Andézian, Sossie. 2012. Le sacré à l’épreuve dupolitique :Noël à Bethléem. Riveneuve. 237 pp.Pb.: 20,50 €. ISBN: 978–2360130726.

Le propos de l’ouvrage est de montrer leslogiques de formation d’une entité politiquedans un espace sacré, la Terre Sainte. Ladynamique à l’œuvre, à l’échelle de Bethléem,conduit, depuis l’autonomisation de la ville, endécembre 1995, à la transformation d’un lieusaint chrétien en un lieu de mémoire nationaleà portée universelle dans une société àdominante musulmane. L’auteur interroge lesdifférentes dimensions de ce processus: quellecharge symbolique est conférée à ce lieu sacréqu’est Bethléem? Dans quelle mesure cesurinvestissement est-il partagé par la société civile?Ce livre interroge également le rôle des différentsprotagonistes, autres que l’Etat en formation: lesEglises chrétiennes et l’autorité israélienne.

Andézian fonde son analyse sur les travauxde Halbwachs sur la formation des mémoirescollectives qui opèrent par tri sélectif. Lalocalisation des lieux saints chrétiens commémoredes croyances anciennes qui s’y sont fixées et quis’y enracinent. La basilique constitue aussi un lieude compétition pour le contrôle de l’espace entrereligions et puissances politiques internationaleset aujourd’hui entre l’Israël et l’Autoritépalestinienne. Elle connaît de multiples usages:offices quotidiens, cérémonies solennelles et,dans la Grotte (crypte de la Basilique où latradition a fixé le lieu de naissance de Jésus etde l’adoration des Rois mages) a lieu une formede dévotion établissant une relation personnelleavec Jésus qui est également pratiquée par leshabitants musulmans de la ville.

La fête de Noël à Bethléem devient unévénement pertinent d’analyse, non seulementdu lien entre religion et politiquemais égalementdes multiples pratiques de dévotion. Cette fêteest analysée à partir des contextes historiquesqui ont consacré, puis institutionnalisé le lieude sa célébration comme basilique de laNativité;des formes de la tradition revisitée avec lalibération de la ville; des différentes cérémoniesorganisées par les Eglises chrétiennes comme le

Grand Jubilé de l’an 2000; des luttes qui s’y sontdéroulées après la deuxième intifada. La fête faitaussi l’objet d’une ethnographie des différentespratiques cultuelles.

Les célébrations de Noël, chaque annéesont au nombre de trois puisque l’on distinguele Noël catholique célébré les 24–25 décembre,auquel participent aussi mais dans un lieu séparéles Coptes et les Syriaques; le Noël orthodoxe,les 6–7 janvier et le Noël arménien les 18–19janvier. La tradition est revisitée par l’institutiondes rituels au croisement du religieux et dupolitique. La prise du contrôle de la ville deBethléem par Yasser Arafat en décembre 1995s’appuie sur la symbolique de la fête de Noëlcomme fête chrétienne universelle. La messe deminuit deviendra celle de l’an I et le présidentArafat dont on célèbre le sacre sera comparé àJésus. Ainsi le conflit israélo-palestinien a conduità la redéfinition des frontières symboliques de labasilique et renforcé l’attachement des Eglises,des fidèles, des Bethléemites mais aussi del’ensemble de la population palestinienne à ce lieuchrétien. Il est analysé comme un repère stable,un lieu d’unification des églises chrétiennes dansun espace multiculturel et multireligieux qui estaussi un espace de conflit.

L’importance de la ville et des lieux saintsdans le processus de construction nationale del’Autorité palestinienne, les liens entre programmesde célébrations orchestrés par le gouvernement,projet de développement urbain et touristiquesont analysés comme des stratégies pour asseoirsa légitimité nationale et internationale.L’ensemble des événements qui conduisent del’utopie à la violence sont décrits comme desséquences d’une politisation du lieu de laNativité, d’un renforcement de ses frontièressymboliques et d’une cristallisation des conflitsdont le siège de la basilique, où se sont réfugiésdes militants de l’intifada, par des chars israéliensconstitue le point culminant. Cette étude offreune remarquable illustration des rapports entresacré et politique et de l’instrumentalisation dupremier par le second à partir des scènes de Noëlqui se déroulent à Bethléem - la procession de

600 Social Anthropology/Anthropologie Sociale (2013) 21, 4 600–602. © 2013 European Association of Social Anthropologists.doi:10.1111/1469-8676.12052

Jérusalem à Bethléem est rendue difficile etremplacée par une démultiplication des lieux decélébration. L’importance de la basilique de laNativité, malgré le morcellement du territoirepalestinien, et la patrimonialisation des lieuxsaints pourraient constituer une réponse à ladiscontinuité de l’espace et du temps.

ANNIE BENVENISTEUniversité Paris 8 (France)

Bessire, Lucas and Fisher Daniel (eds.). 2012.Radio Fields.Anthropology andWireless Soundin the 21st Century. New York: New YorkUniversity Press. 298 pp. Pb.: 27.00 USD.ISBN: 978-0814738191.

Ce qui frappe d’emblée au terme de lalecture de Radio Fields, c’est la richesse et ladiversité du matériau rassemblé : en plus d’unedense introduction et d’une postface signéepar Faye Ginsburg, on trouvera treizechapitres de très bon niveau, qui se basenttous sur un matériau ethnographique depremière main, recueilli sur les six continents.Cette diversité est à la base du projet deBessire et de Fisher qui se sont explicitementdonné pour objectif de réunir un ensemblede textes pour participer à l’émergence d’une« anthropologie de la radio ». Non seulementla radio est aujourd’hui le média le moins étudiépar les anthropologues, mais elle n’avait pasencore fait l’objet dans la discipline de mises enperspective la prenant comme question centrale.Tout en rappelant les grandes tensions quitraversent les travaux sur la radio, et en insistantsur l’indispensable dialogue à entretenir avec cesderniers, c’est la méthode ethnographique et laperspective comparative qui sont mises en avantdans l’introduction par les deux auteurs commeconstituant l’apport spécifique de l’anthropologieà son étude. Pour eux, l’ethnographie autorisele réexamen à nouveaux frais des définitionsexistantes de la radio, et de notions aussiclassiques que celles de communauté, depublic ou d’autonomie qu’une grande partiede la littérature sur les médias considèrecomme établies. Elle permet également,couplée à la nécessaire historicisation et miseen contexte des relations et pratiques socialesqui font de la radio ce qu’elle est, de sedémarquer d’un médiacentrisme simplificateur et

de visions instrumentales qui la rangent tropvite, par exemple, du côté de l’émancipation oude la domination. Explorer de cette manière, etcomparer ces radio fields donne ainsi la possibilitéd’après Bessire et Fisher de « repenser la manièredont les médias créent du collectif dans descontextes politiques complexes, la naturechangeante des économies de la parole, […] lamanière dont le son de la radio influencel’expérience de l’espace et du temps, ou encore[sa] capacité […] à influer sur les contextes deperception, sur les affects et sur la politique aujour le jour » (p. 19). Si le programme développédans l’introduction est ambitieux, la majoritédes contributions l’exemplifient de manièreconvaincante. Certains pourraient parfois êtreagacés par l’usage assez répandu dans l’ouvrage(près d’un tiers des textes) de la causalitéculturelle comme principe explicatif dominant,mais dans l’ensemble les auteurs offrent desethnographies suffisamment complexes et ausein desquelles l’imbrication des dimensions dela vie sociale et technologique de la réalité estsuffisamment poussée pour qu’elles conserventtout leur intérêt. On est ainsi plongé dans lescontradictions de l’histoire culturelle et politiquerécente de la radio privée au Népal et de la vie dedeux radios communautaires Aborigènes enAustralie. En Israël, on découvre comment lesprogrammateurs contribuent par leurs choixmusicaux à nourrir le sentiment national. AuMali, dans le cadre du renouveau islamique, onexplore les implications des récents prêchesreligieux féminins à la radio tandis que deuxtextes évoquent le Mexique, l’un pour examinerla manière dont le mouvement social de 2006à Oaxaca s’est emparé de la radio publique,l’autre pour approfondir la matérialité etl’esthétique des radios libres de Mexico. Laradio publique berlinoise, Multikulti, outil etsymbole de la politique multiculturelleallemande de 1998 à 2008 fait égalementl’objet d’une contribution au même titre quel’appropriation des émetteurs-récepteurs parles Ayoreo de la frontière bolivo-paraguayenneou l’usage, dans les églises charismatiques desAppalaches, des objets de la radio (récepteurs,micros) comme prothèses de la prière ettechniques de l’immédiateté. Les deux dernierstextes de l’ouvrage ont une vocation plusthéorique et méthodologique et explorent

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respectivement, à partir d’éléments de terrain enGrande-Bretagne et en Zambie, comment laradio participe de la gestion affective duquotidien dans l’espace domestique et comment,en étudiant le langage notamment, il estpossible d’avancer dans la connaissance desphénoménologies du son et de l’écoute. Ainsi,cet ouvrage dessine un programme de recherche

exaltant et constitue une excellente introductionà l’ethnographie de la radio, et à l’anthropologiedes médias en général.

THOMAS PERROTUniversité Paris 8 Vincennes – Saint-Denis(France)

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