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 26 stradd a / n° 17 / juillet 2010  T outes les professions du secteur culturel sont aujourd’hui confrontées à l’usage des images. Pourtant, bien peu maîtrisent la notion de droit d’auteur, à commencer par les photographes eux-mêmes ! Or, il devient urgent de ne plus négliger ce droit, ne serait- ce qu’en mémoire du chemin parcouru depuis l’inven- tion de la photographie. La notion de droit d’auteur s’est en eet peu à peu armée depuis le XIX e  siècle à travers plusieurs grandes aaires 1 . La querelle « Dovima ». Une image mythi- que associée au cirque a ainsi fait l’objet d’un procès exemplaire. Il s’agit de « Dovima with Elephants »,  une photographie prise par Richard Avedon au Cirque d’Hiver en 1955 pour un magazine. En 1991, Avedon découvre que, suite à son succès, l’épreuve a été vendue par le journal. Or, si l’ar- tiste avait remis ce tirage pour une unique repro- duction, il n’en avait autorisé ni l’exploitation ni le transfert. Les faits se sont déroulés dans les années 1950, époque où la valeur des tirages n’avait que peu d’importance. Quand il demande à récupé- rer l’image et les bénéces de la vente, en 1991, le photographe a pris conscience rétrospectivement de la valeur de son travail. La Cour ne lui donnera pas raison, replaçant les faits dans leur contexte. Cette histoire illustre l’évolution des mentali- tés. Dans les années 1980-1990, des agences, telles Magnum ou Vu, défendent les intérêts des photo- graphes, ceux-ci acquièrent des droits et parviennent à vivre de leur travail. Des reporters indépendants, comme Christophe Raynaud de Lage, se lancent alors dans la prise de vue des spectacles de rue et de cirque. Les compagnies, conscientes de l’importance de leur identité visuelle, passent leurs premières commandes aux photographes. C’ét ait avant l’an 2000 et la propa- gation à grande vitesse des images sur Internet. Équilibre précaire.  Aujo urd ’hui , les ph otog ra- phes spécialisés dans les spectacles de rue et de cirque et qui vivent de leurs droits d’auteur doivent trou- Le salaire de l’auteur Entre le prix vertigineux de certaines photos de légende et le « tout à cent sous » du grand bazar numérique en ligne, il y a un gouffre… Où se débattent la plupart des photographes de spectacle. Leurs droits d’auteur sont tout simplement une source vitale de revenu. ver un équilibre précaire entre diérentes sources de revenus aléatoires. Leur ressource principale repose sur les grandes structure s culturelles – festivals, institu- tions, ministère de la Culture – qui respectent le droit d’auteur. Nombreux sont ceux qui recherchent la protection de ces organismes, conscients des menaces qui pèsent sur la liberté et la propriété des artistes.  Autr e poss ibi lité de rétr ibut ion: prod uire des imag es pour les compagnies. Mais rares sont ceux qui obtien- nent un contrat régulier auprès d’une compagnie ou d’un di useur. Certaines troupes envisagent le photo- graphe comme un parasite qui utilise leurs créations pour faire valoir son propre travail. Elles ne compren- nent pas toujours pourquoi elles devraient le payer (voir aussi « Au pays du droit à l’image », p. 38). Retour sur investissement. Cependant, dès qu’elles réalisent que l’utilisation d’images de qualité a un meilleur impact que des visuels bricolés et que le retour sur investissement est perceptible, les compagnies entrent dans un rapport d’engagement mutuel avec le photographe. Une entente préalable xe les conditions de production et de rémunération de l’auteur. La structure pourra, par exemple, utiliser les images pour faire la promotion commerciale de ses spectacles. Puis, à chaque nouvelle utilisation, le photographe percevra des droits complémentaires. C’est surtout au niveau de la troisième ressource que le bât blesse. La presse et les di useurs ont tendance à ne plus vouloir payer de droits d’auteur. Les journaux demandent aux di useurs d’acheter les photos pour qu’elles soient libres de droit. Si certains acceptent, d’autres ont tendance à considérer qu’elles devraient être gratuites sous prétexte qu’ils payent le spectacle. Copyrigth vs droit d’auteur. « Le nancier a la part belle de nos jours. [Dans les domaines du cinéma et de la musique] le droit français ressemble de plus en plus au copyright américain où l’investisseur devient titulaire des droits sur une œuvre. Le droit moral de l’auteur s’estompe par le biais de contrats aménagés à cet eet. Les accords conclus prévoient une cession Robert Doisneau, rapporteur  photo graph e... devant la  pyra mide du Louvre, Paris, 1991. pratique numéro spécial P H O T O / 26 27 droitauteur PapaPa. indd 26 26-27-droitauteur-PapaPa.indd 26 18/06/10 15:02:16 18/06/10 15:02:16

Le salaire de l'auteur PLB pour STRADDA

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26  stradd a / n° 17 / juillet 2010

 T outes les professions du secteur culturelsont aujourd’hui confrontées à l’usage desimages. Pourtant, bien peu maîtrisent lanotion de droit d’auteur, à commencerpar les photographes eux-mêmes ! Or, il

devient urgent de ne plus négliger ce droit, ne serait-ce qu’en mémoire du chemin parcouru depuis l’inven-tion de la photographie. La notion de droit d’auteurs’est en effet peu à peu affi rmée depuis le XIX e siècle àtravers plusieurs grandes affaires1.

La querelle « Dovima ». Une image mythi-

que associée au cirque a ainsi fait l’objet d’un procèsexemplaire. Il s’agit de « Dovima with Elephants », une photographie prise par Richard Avedon auCirque d’Hiver en 1955 pour un magazine. En1991, Avedon découvre que, suite à son succès,l’épreuve a été vendue par le journal. Or, si l’ar-tiste avait remis ce tirage pour une unique repro-duction, il n’en avait autorisé ni l’exploitation ni letransfert. Les faits se sont déroulés dans les années1950, époque où la valeur des tirages n’avait quepeu d’importance. Quand il demande à récupé-rer l’image et les bénéfices de la vente, en 1991, lephotographe a pris conscience rétrospectivementde la valeur de son travail. La Cour ne lui donnera

pas raison, replaçant les faits dans leur contexte.Cette histoire illustre l’évolution des mentali-

tés. Dans les années 1980-1990, des agences, tellesMagnum ou Vu, défendent les intérêts des photo-graphes, ceux-ci acquièrent des droits et parviennentà vivre de leur travail. Des reporters indépendants,comme Christophe Raynaud de Lage, se lancent alorsdans la prise de vue des spectacles de rue et de cirque.Les compagnies, conscientes de l’importance de leuridentité visuelle, passent leurs premières commandesaux photographes. C’était avant l’an 2000 et la propa-gation à grande vitesse des images sur Internet.

Équilibre précaire. Aujourd’hui, les photogra-phes spécialisés dans les spectacles de rue et de cirqueet qui vivent de leurs droits d’auteur doivent trou-

Le salaire de l’auteurEntre le prix vertigineux de certaines photos de légende et le « tout à cent sous » du grand

bazar numérique en ligne, il y a un gouffre… Où se débattent la plupart des photographes

de spectacle. Leurs droits d’auteur sont tout simplement une source vitale de revenu.

ver un équilibre précaire entre différentes sources derevenus aléatoires. Leur ressource principale reposesur les grandes structures culturelles – festivals, institu-tions, ministère de la Culture – qui respectent le droitd’auteur. Nombreux sont ceux qui recherchent laprotection de ces organismes, conscients des menacesqui pèsent sur la liberté et la propriété des artistes.

 Autre possibilité de rétribution : produire des imagespour les compagnies. Mais rares sont ceux qui obtien-nent un contrat régulier auprès d’une compagnie oud’un diffuseur. Certaines troupes envisagent le photo-graphe comme un parasite qui utilise leurs créations

pour faire valoir son propre travail. Elles ne compren-nent pas toujours pourquoi elles devraient le payer(voir aussi « Au pays du droit à l’image », p. 38).

Retour sur investissement. Cependant,dès qu’elles réalisent que l’utilisation d’images dequalité a un meilleur impact que des visuels bricoléset que le retour sur investissement est perceptible, lescompagnies entrent dans un rapport d’engagementmutuel avec le photographe. Une entente préalablefixe les conditions de production et de rémunérationde l’auteur. La structure pourra, par exemple, utiliserles images pour faire la promotion commerciale deses spectacles. Puis, à chaque nouvelle utilisation, le

photographe percevra des droits complémentaires.C’est surtout au niveau de la troisième ressource que

le bât blesse. La presse et les diffuseurs ont tendance àne plus vouloir payer de droits d’auteur. Les journauxdemandent aux diffuseurs d’acheter les photos pourqu’elles soient libres de droit. Si certains acceptent,d’autres ont tendance à considérer qu’elles devraientêtre gratuites sous prétexte qu’ils payent le spectacle.

Copyrigth vs droit d’auteur. « Le financier a la part belle de nos jours. [Dans les domaines ducinéma et de la musique] le droit français ressemble de plus en plus au copyright américain où l’investisseur 

devient titulaire des droits sur une œuvre. Le droit moral de l’auteur s’estompe par le biais de contrats aménagés à cet effet. Les accords conclus prévoient une cession

Robert Doisneau,

rapporteur

 photographe...

devant la

 pyramidedu Louvre,

Paris, 1991.

prat iquenuméro spécialP H O T O /

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sur tous les supports, pour la durée maximale, tous les territoires, toutes les langues, etc. » 2 

Or le droit d’auteur protège le créateur de l’œuvreen tant que personne physique, alors que le copyrightattribue dès l’origine tous les droits au producteur,c’est-à-dire à celui qui investit dans la productiond’une œuvre. Chez les anglo-saxons, cet usage s’ac-compagne de tarifs conséquents en faveur de l’auteur.

En revanche, en France, on allouera plus facilementun budget pour le papier, l’impression, la communi-cation d’un spectacle que pour le photographe. Pour-

tant, à quoi serviraient tous ces supports sans messagevisuel ? Face à ce phénomène, les photographes ontsouvent recours à des agences, des collectifs ou desgaleries d’art qui protègent leurs droits.

Si travailler seul devient de plus en plus diffi cile, c’estla capacité des auteurs à s’organiser pour la défensede leur profession et de leurs contrats qui protègele mieux le droit d’auteur. ● PAULINE DE LA BOULAYE

1. « Controverses, une histoire juridique et éthique de la photographie »,Daniel Girardin, Christian Pirker, Actes Sud / Musée de l’Elysée, 2003.

2. « Antimanuel de droit », Emmanuel Pierrat, éditions Bréal, 2007.

   ©     J

    E    A    N      L    O    U    I    S    C    O    U    R    T    I    N    A    T    /    P    I    C    T    U    R    E    T    A    N    K

Le b. a. ba du droit

d’auteur

• Toute œuvre photographiqueoriginale est protégée parle droit d’auteur : pour en utiliserune reproduction, il fautl’autorisation de son auteur,le photographe.

• Le photographe et l’utilisateurélaborent un contrat qui fixe letarif et les conditions d’utilisa-tion : promotion commercialed’un spectacle pendant unedurée limitée, édition d’un livre,

diffusion dans la presse natio-nale, utilisation dans le cadred’une représentation publique.

• Une fois payée, l’image devient« libre de droits ».Ce terme est un faux ami. Il nesignifie pas que l’image estgratuite, ni qu’elle est utilisabledans n’importe quelles condi-tions et encore moins qu’elle esttombée dans le domaine public.Il indique qu’il y a eu cession desdroits de reproduction danscertaines conditions.

• Si un photographe est mortdepuis plus de soixante-dix ans,

son œuvre appartient audomaine public. Elle peut êtreutilisée librement à condition derespecter le droit moral, c’est-à-dire de ne pas dénaturerl’œuvre originale.

• Enfin, commander une œuvrene donne pas de droits : il fautque l’auteur cèdeen plus ses droits pour chaque

utilisation ultérieure.* 

* Informations fournies par l’Association

des professionnels de l’information

et de la documentation, www.adbs.fr

La presse a tendance à ne plus vouloir payer de droits d’auteur.Les journaux demandent aux diffuseurs d’acheter les photospour qu’elles soient libres de droit.

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