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LE DROIT MORAL DE L'AUTEUR Le 4 juillet 1865, sur les conclusions du premier avocat général, Oscar de Vallée, la Cour Impériale de Paris présidée par Bonneville de Marsangy rendait un arrêt dans un procès qui opposait Rosa Bonheur, peintre déjà célèbre, et un sieur Pourchet. Elle ne se doutait guère que par cette décision elle apportait une première pierre à un édifice qui, près d'un siècle plus tard allait, grâce à la loi du 11 mars 1957 consacrer le droit moral de l'auteur en l'inscri- vant dans un texte de loi, ce qui ne s'était jamais vu jusque là. Les magistrats que je viens de nommer s'étaient fait connaître pour des raisons diverses. Le premier avocat général impérial Oscar de Vallée était un littérateur apprécié pour ses études histo- riques. Il avait publié sept ans auparavant un ouvrage sur les Manieurs d'argent que l'Empereur avait daigné remarquer ; quant à Bonneville de Marsangy, il a rendu de grands services à la Justice criminelle en inventant le système du casier judiciaire qui permet de retrouver la trace des récidivistes. En ce mois de juillet 1865, l'affaire pendante devant ces deux magistrats se présentait ainsi : Rosa Bonheur avait accepté d'un sieur Pourchet la commande d'un tableau de 10.000 francs qui devait représenter un sujet se rapportant au genre qu'avait rendu célèbre ce peintre : soit un attelage de bœufs, soit une scène de labourage. L'artiste commença puis elle interrompit bientôt son travail ; elle finit par écrire à l'amateur qui lui avait commandé le tableau qu'elle ne lui donnerait pas « le plus petit morceau de toile peinte ». Le Tribunal de Fontainebleau (elle habitait cette ville où elle a eu une statue) avait ordonné que dans un délai de six mois, Rosa Bonheur devait livrer à Pourchet un tableau composé

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LE DROIT MORAL DE L'AUTEUR

Le 4 juillet 1865, sur les conclusions du premier avocat général, Oscar de Vallée, la Cour Impériale de Paris présidée par Bonneville de Marsangy rendait un arrêt dans un procès qui opposait Rosa Bonheur, peintre déjà célèbre, et un sieur Pourchet. Elle ne se doutait guère que par cette décision elle apportait une première pierre à un édifice qui, près d'un siècle plus tard allait, grâce à la loi du 11 mars 1957 consacrer le droit moral de l'auteur en l'inscri­vant dans un texte de loi, ce qui ne s'était jamais vu jusque là.

Les magistrats que je viens de nommer s'étaient fait connaître pour des raisons diverses. Le premier avocat général impérial Oscar de Vallée était un littérateur apprécié pour ses études histo­riques. Il avait publié sept ans auparavant un ouvrage sur les Manieurs d'argent que l'Empereur avait daigné remarquer ; quant à Bonneville de Marsangy, il a rendu de grands services à la Justice criminelle en inventant le système du casier judiciaire qui permet de retrouver la trace des récidivistes.

En ce mois de juillet 1865, l'affaire pendante devant ces deux magistrats se présentait ainsi : Rosa Bonheur avait accepté d'un sieur Pourchet la commande d'un tableau de 10.000 francs qui devait représenter un sujet se rapportant au genre qu'avait rendu célèbre ce peintre : soit un attelage de bœufs, soit une scène de labourage. L'artiste commença puis elle interrompit bientôt son travail ; elle finit par écrire à l'amateur qui lui avait commandé le tableau qu'elle ne lui donnerait pas « le plus petit morceau de toile peinte ». Le Tribunal de Fontainebleau (elle habitait cette ville où elle a eu une statue) avait ordonné que dans un délai de six mois, Rosa Bonheur devait livrer à Pourchet un tableau composé

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et peint par elle, ajoutant que, ce délai expiré, elle lui payerait vingt francs par jour de retard. C'était condamner l'artiste à une astreinte. En appel les magistrats comprirent qu'une livraison de tableau commandé à un artiste peintre n'était pas une livraison ordinaire. Sans faire allusion au droit moral de l'auteur, la Cour Impériale pensait cependant qu'on ne pouvait obliger par la menace d'une astreinte un peintre à exécuter ou à terminer l'œuvre qu'il s'était engagé à livrer. Son contractant pouvait seulement obtenir des dommages-intérêts. Aussi la Cour Impériale de Paris supprima-t-elle ce moyen de contrainte indirect qu'était l'astreinte à laquelle avait été condamnée Rosa Bonheur en première instance. Elle lui infligea seulement une condamnation à 4.000 francs de dommages intérêts. Sans bruit, presque subrepticement, le droit moral de l'auteur entrait dans l'histoire. Sa reconnaissance fut d'ailleurs lente et difficile. Longtemps on jugea certaines de ses conséquences sans oser prononcer son nom.

Les contemporains de cet arrêt ne se sont même pas aperçus de son importance. J'ai eu la curiosité de feuilleter un journal « Le Monde Judiciaire » que publiait à l'époque un avocat Norbert Billiart qui y rendait compte des grandes affaires judiciaires. S'il parle de ce procès c'est pour ironiser sur « les grands artistes qui sont sans doute des gens charmants mais qui ont parfois une sin­gulière manière de tenir leurs engagements : c'est de les tenir comme non avenus ». Et comme Rosa Bonheur avait été nommée Chevalier dans l'Ordre de la Légion d'Honneur à la demande de l'Impératrice qui avait tenu à lui remettre elle-même cette distinc­tion, le spirituel chroniqueur, s'appesantissant seulement sur les dommages intérêts auxquels l'artiste avait été condamnée, ajoutait : « C'est bien le moins maintenant qu'elle apprenne à porter sa croix ».

Cependant le germe était lancé grâce à cette affaire. Des auteurs comme Pouillet, le futur bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Paris, dans son célèbre Traité de la propriété littéraire et artistique qu'il publia en 1879, va se pencher sur le droit moral de l'auteur toujours d'ailleurs sans oser l'appeler par son nom. Les textes qui existaient alors en matière de propriété littéraire étaient anciens et vagues. C'était spécialement le décret du 19-24 juillet 1793 ; il s'était d'ailleurs contenté de qualifier de propriété le droit d'auteur, et de dire qu'il durait toute la vie de l'auteur et pour ses héritiers dix ans après sa mort. Ce texte était étranger au droit moral.

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D'après Pouillet une œuvre littéraire n'entre dans le commerce que par la publication ; avant, l'œuvre attachée à la personne de son auteur et faisant comme partie de lui-même est insaisissable. Les créanciers de cet auteur ne peuvent mettre la main sur ses manuscrits et profaner ce que le Procureur Général Renouard qui fut membre de l'Académie des Sciences morales et politiques de 1861 à 1878 appelait « la conversation de l'auteur avec lui-même ». Selon Pouillet, l'œuvre musicale devait être en tous points assi­milée à l'œuvre littéraire. Mais, écrivait-il, il en est autrement du tableau du peintre.

Cette distinction ne paraissait pas très juridique ; elle était trop absolue. Et un grand magistrat, l'avocat général Desjardins, qui appartint lui aussi à l'Académie des Sciences morales et poli­tiques de 1882 à 1901, la rejeta. C'était à l'occasion d'un procès qui présentait beaucoup d'analogie avec celui qui avait été intenté contre Rosa Bonheur, l'affaire Whistler. L'avocat général Desjar­dins présenta des conclusions remarquables devant la Cour de Cassation au mois de mars 1900. Le peintre Whistler s'était engagé à faire le portrait de Lady Eden puis il s'était toujours refusé à mettre le tableau à la disposition de William Eden qui en avait fait la commande. Bien mieux, après avoir exposé le tableau au salon du Champ de Mars, il avait fait subir à la peinture des modi­fications profondes. L'affaire avait été jugée en première instance et le Tribunal avait décidé que sir Eden devait recevoir le tableau en même temps que des dommages-intérêts. L'affaire vint devant la Cour d'Appel de Paris présidée par le Premier Président Périvier. Le Procureur général Bulot prit lui-même des conclusions « J'estime, déclara-t-il que le Tribunal s'est trompé, l'artiste n'a pas à dire pourquoi, ni pour quelles raisons il ne veut pas exécuter son obli­gation de faire. C'est son droit de ne pas exécuter. C'est à ses risques et périls qu'il va s'exposer, en n'exécutant pas, à des dommages-intérêts. » La Cour d'Appel suivit le Procureur Général condamnant le peintre non pas à donner le tableau remis en état à celui qui l'avait commandé mais l'obligeant seulement à restituer le prix reçu d'avance et à payer des dommages intérêts.

Le juriste éminent qu'était le Professeur Planiol devait com­menter cet arrêt dans le Dalloz : « Le peintre, écrivait-il, entend nécessairement se réserver le droit d'apprécier l'exécution maté­rielle de l'œuvre jusqu'au jour où il la jugera finie, prête à livrer. Il doit avoir par exemple le droit de la recommencer s'il n'en est

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pas content et l'on ne saurait admettre que son client puisse exiger la livraison d'un tableau que l'artiste jugerait inachevé ou indigne de lui. »

C'est dans cette affaire qui présentait évidemment sous un jour assez défavorable les agissements du peintre que l'Avocat général Des jardins, qui était alors à la fin de sa vie, — il devait mourir six mois plus tard, — donna ses conclusions devant la Cour de Cassa­tion. Il repoussait nettement la distinction que faisait Pouillet entre les peintres d'une part et les écrivains et musiciens d'autre part. « Virgile, s'écriait-il, a des droits sacrés sur le manuscrit de son Enéide tant qu'il ne le juge pas terminé. Meyerbeer a des droits inviolables sur la partition de VAfricaine tant qu'il ne la croit point parfaite et nul directeur de théâtre ne pourra le contraindre à lui livrer cette partition que le compositeur juge même par un excès de sévérité devoir être complétée et remaniée ». On sait que Meyerbeer retint quinze ans la partition de VAfricaine et qu'il ne se décida à la livrer au public que la veille de sa mort. Et l'avocat général Desjardins continuait : « Est-ce que le tableau n'est pas au même titre que la symphonie de l'opéra, un ouvrage de la pensée. Un écrivain peut jusqu'à la dernière minute se repentir d'avoir commis une œuvre indigne de son génie ; le même regret peut assurément naître dans l'esprit du peintre ».

La Cour de Cassation suivit son avocat général le 14 mars 1900 et elle rejeta le pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour d'Appel. La jurisprudence continuait sans le citer par son nom à affirmer l'existence du droit moral de l'auteur qu'il soit écrivain, musicien ou peintre.

De nombreux travaux de doctrine en même temps s'attaquaient à ce problème. Il est impossible d'en faire une énumération complète et je parlerai seulement de la thèse qu'en 1906 un grand avocat qui fut en même temps un grand français, l'héroïque déporté des camps de la mort Pierre Masse, écrivit sur le droit moral de l'auteur sur son œuvre littéraire et artistique.

Arrivons à une décision judiciaire qui, la première en l'absence de textes, consacra le droit moral de l'auteur en le nommant expres­sément cette fois. Il s'agit d'un jugement du Tribunal Civil de la Seine du 10 juillet 1946. Il fut rendu par le Président de cette juri­diction qui, par suite d'une réforme passagère de notre organisa­tion judiciaire, statuait alors en juge unique.

Le tribunal avait à connaître d'un différend qui opposait le

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peintre Rouault aux héritiers du marchand de tableaux Vollard. Il reconnut au peintre le droit de refuser de livrer une œuvre commencée, le droit de refuser de l'achever et même de la détruire. Pourtant là aussi les circonstances étaient assez défavorables pour l'artiste. La difficulté venait du fait qu'il y avait eu accord et même que les parties avaient convenu que Rouault porterait chez Vollard des toiles inachevées qu'il pourrait modifier sur place. On pouvait penser que le marchand était devenu propriétaire des toiles.

Le Tribunal n'adopta pas cette thèse : les toiles étaient inache­vées, et l'artiste, estima-t-il, avait alors en vertu de son droit moral le droit de les reprendre. « Attendu, lit-on dans ce jugement, que ce principe du droit moral de l'auteur qui consacre en ces matières la primauté de l'esprit doit aboutir à faire considérer que la vente d'une toile inachevée n'a pas transféré la propriété puisque jusqu'à ce qu'elle ait atteint le degré de perfection dont le peintre est seul juge, celui-ci peut se repentir d'avoir peint une œuvre qu'il pense indigne de son génie et revenir entièrement sur ce qu'il a cru être la matérialisation de sa pensée. Attendu que la possibilité pour le peintre de revenir sur une œuvre inachevée est la conséquence du droit de libre développement de la personnalité humaine, droit qui est de la même nature que tous les autres droits inhérents à la liberté de l'homme ; qu'il s'agit là de droits qu'on ne peut céder et qui ne peuvent être restreints par aucune convention ».

Mais le jugement du Tribunal de la Seine allait encore plus loin et dans ses considérants il élevait le débat. Il ne statuait pas seule­ment pour les tableaux inachevés des peintres. A ses yeux, ce n'était là qu'un aspect du droit moral de l'auteur : « Attendu, disait-il, que toutes les conventions qui portent sur des œuvres d'art et en général sur des œuvres de l'esprit sortent des catégories normales du droit et différent des conventions ordinaires à cause de l'influence qu'exerce sur elles le droit moral de l'auteur. Attendu, en effet, que le créateur de toute œuvre intellectuelle, qu'il soit poète, litté­rateur, homme de science, musicien, sculpteur ou peintre, a le droit absolu de déterminer lui-même, le moment où, il estime que son œuvre est achevée, c'est-à-dire l'instant où ayant franchi la période des tâtonnements et des retouches, elle peut enfin être considérée comme une œuvre définitive. Attendu que tant qu'il n'a pas achevé son œuvre, celui qui l'a créée en est le maître absolu, qu'il peut non seulement la modifier entièrement, mais même la supprimer et la détruire nonobstant toute convention ».

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La Cour d'Appel de Paris, le 15 mars 1947, confirma ce jugement en s'appuyant, elle aussi, sur le droit moral de l'auteur.

Ainsi, par toutes ces décisions la jurisprudence avait consacré l'existence du droit moral de l'auteur ; elle en avait fixé les contours, les attributs. La voie était tracée pour le législateur et la loi du 11 mars 1957 allait entériner sur la plupart des points ces solutions.

Mais il serait injuste de méconnaître l'apport de la doctrine dans l'élaboration de cette loi du 11 mars 1957 où pour la première fois dans un texte législatif on voit apparaître le droit moral de l'auteur.

Cette loi est en effet le résultat des travaux de la Commission de la propriété intellectuelle qui œuvra durant de longues années au Ministère de l'Education Nationale sous la présidence du regretté Professeur Escarra et la vice-présidence du Conseiller à la Cour de Cassation aujourd'hui également décédé Lerebours-Pigeonnière ancien Professeur de Faculté de droit.

Le projet avait été déposé le 9 juin 1954 par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée Nationale. Il avait pour objet de : « codifier la jurisprudence qui s'était créée depuis un siècle et demi, en matière de droit d'auteur et de fixer en un texte définitif le dernier état de la doctrine française en ce domaine ».

Si l'on veut étudier le droit moral de l'auteur tel qu'il résulte de la loi du 11 mars 1957, il faut encore utiliser souvent la juris­prudence antérieure pour éclairer certaines de ses dispositions car on vient de voir que le nouveau texte législatif l'a fréquemment suivie.

Aux termes des travaux de la Commission de la propriété intellectuelle qu'il venait de diriger avec tant de compétence le Professeur Escarra avait écrit en 1954 : « Saisissons l'occasion qui nous est offerte d'affirmer par une grande loi sur le droit de l'auteur que la défense des œuvres de l'esprit ou du génie de leurs créateurs demeure la préoccupation fondamentale de la nation idéaliste que nous voulons rester ».

La loi du 11 mars 1957 répondit à cette préoccupation : Lisons l'article premier « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre du seul fait de sa création d'un droit de propriété incorpo­relle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs

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d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patri­monial qui sont déterminés par cette loi ».

Ainsi ces « attributs d'ordre intellectuel et moral » de par la volonté du législateur du 11 mars 1957 passent avant ceux d'ordre patrimonial. Cet ordre de préséance correspond à la primauté que cette loi a reconnu au droit moral.

Pour fixer les idées, distinguons rapidement les attributs d'ordre intellectuel et moral des attributs d'ordre patrimonial. D'après le législateur de 1957 les prérogatives pécuniaires de l'auteur consistent dans la possibilité de tirer des profits matériels de son droit incorporel. Ce qui se réalise par l'exploitation de l'œuvre qui, aux termes des articles 26 à 28 du texte, comprend le droit de repré­sentation consistant dans la communication directe de l'œuvre au public (représentation théâtrale, concert, radio, etc.) et le droit de reproduction, c'est-à-dire celui de fixer l'œuvré par l'imprimerie. L'auteur peut céder ses droits entièrement ou pour partie.

D'autre part, aux termes de l'article 21 le droit pécuniaire de l'auteur duré toute sa vie et même cinquante ans après son décès.

Ainsi donc les droits pécuniaires de l'auteur sont cessibles et s'éteignent par l'écoulement d'un certain laps de temps.

Tout au contraire, le droit moral qui est lié à la personnalité de l'auteur est indisponible. L'auteur ne peut le céder. Il est de plus imprescriptible et ses conditions de survie sont spéciales.

Le droit moral présente d'après la loi deux aspects : un aspect positif ou défensif et un aspect négatif.

Positif d'abord : aux termes de l'article 6 de la loi, l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. En vertu du droit moral qu'il conserve sur son œuvre, l'auteur peut, bien qu'il ait cédé tous ses droits pécuniaires de représenta­tion et de reproduction, exiger qu'elle porte son nom (droit à la paternité) et la protéger contre tout plagiat, toute modification ou addition (droit au respect).

Le droit au respect de son œuvre, c'est l'essence même du droit moral de Fauteur. Tout auteur digne de ce nom est fier de son œuvre et il ne veut pas qu'on y touche. Rappelons-nous les beaux vers, quoiqu'un peu familiers que Rostand met dans la bouche de Cyrano de Bergerac quand le Comte de Guiche lui parle de légères corrections que le Cardinal pourrait apporter à son œuvre :

Impossible, Monsieur, mon sang se coagule E n pensant qu'on y peut changer une virgule.

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L'article 5 décide que le titre est une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, et qu'il est protégé comme l'œuvre elle-même.

Déjà la jurisprudence antérieure à la loi avait statué dans ce sens : Une société de films avait intitulé un film Paris-Canaille du nom d'une chanson portant ce titre qui avait pour auteur Léo Ferré. Or, il se trouvait que si Léo Ferré la chantait dans le film, celui-ci n'était pas une adaptation de la chanson. La l r e Chambre de la Cour d'Appel de Paris, le 30 mai 1956, prescrivit le changement du titre du film « Considérant, dit cet arrêt, qu'en l'espèce sans conteste le titre de la chanson Paris Canaille était original ; qu'il ne s'agit pas là d'une locution banale appartenant au domaine public. Considérant que l'épithète de « Canaille » qui n'est pas nécessairement péjorative, caractérise la vie libertine et déver­gondée de certains milieux de la capitale. Considérant que la réunion de l'épithète et du substantif par un trait d'union est elle-même originale. Considérant que Ferré qui n'a cédé que sa chanson a donc droit à la protection du titre de cette chanson ».

Voyons l'aspect négatif du droit moral. L'article 19 de la loi du 11 mars 1957 consacrant la jurisprudence que nous avons étudiée décide que « l'auteur a seul le droit de divulguer son œuvre ». Par là il faut entendre que tant que l'auteur n'a pas livré son œuvre, donné si c'est un écrivain le « bon à tirer » il peut toujours la modifier et même la détruire. Nous nous sommes longuement étendus sur le droit au repentir des auteurs en analysant notamment les décisions rendues dans le procès qui opposait les héritiers du marchand de tableaux Vollard au peintre Rouault.

Ainsi la loi de 1957 comme l'avait fait avant elle la jurisprudence avait un choix à effectuer entre la force obligatoire des contrats longtemps considérée comme sacrée et le trouble de conscience de l'artiste qui, pris de remords se repent d'avoir livré une œuvre qui ne correspond plus à la notion qu'il a maintenant de sa création. Le législateur a sacrifié la force obligatoire des conventions. Qu'on est loin de l'article 1134 du Code Civil aux termes duquel les conventions légalement formées font la loi des parties !

L'article 32 de la nouvelle loi édicté en effet que « nonobstant la cession de son droit d'exploitation, l'auteur même postérieure­ment à la publication de son œuvre jouit d'un droit de repentir ou de retrait vis-à-vis du cessionnaire. »

Mais ces scrupules et ces remords peuvent n'être parfois qu'un

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prétexte et dissimuler en fait des intérêts qui sont loin d'être dictés par le seul souci de /'art.

Aussi le même article 32 de là loi stipule au cas d'exercice du droit de repentir que l'auteur ne peut exercer ce droit qu'à charge d'indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice que ce repentir ou ce retrait peut causer. Il devra payer de sa bourse le sursaut de sa conscience. C'est là un premier barrage dressé par le législateur contre l'exercice du droit moral. Il y en a encore un autre destiné à décourager les basses spéculations. S'il vient à regretter de s'être repenti et décide à nouveau de publier son œuvre, l'auteur devra offrir la préférence à son co-contractant aux conditions antérieures et ce, aux termes de l'article 32, § 2 de la nouvelle loi.

Ces dispositions concernent la faculté de retrait dans les rap­ports entre l'auteur et le cessionnaire du droit d'exploitation non dans les relations entre un artiste et les acquéreurs de ses œuvres. Alors ce n'est plus la force obligatoire des contrats qui est en cause mais le droit de propriété.

Il est à ce propos une histoire célèbre qui, disons-ie immédiate­ment n'a fait l'objet d'aucun procès. Le Conventionnel Lepeletier de Saint Fargeau avait été assassiné pour avoir voté la mort de Louis XVI . Une peinture de la victime avait été faite par l'illustre peintre David. A la mort de ce dernier en 1825, la fille de Lepeletier de Saint Fargeau, Mme de Mortefontaine qui était une ardente royaliste acheta le tableau pour le prix fabuleux à l'époque de 100.000 francs. Les héritiers de David qui se méfiaient connaissant les sentiments de l'acheteuse lui avaient fait promettre dans le contrat de vente que tant que vivrait un descendant du peintre, le tableau lui serait représenté à première réquisition. Depuis lors, il n'a jamais été revu et on croit que Mme de Mortefontaine l'a fait murer dans son château.

Evidemment le droit moral du peintre était mis en échec. li m'a paru curieux de rechercher la solution qu'en l'état de la légis­lation actuelle on donnerait maintenant à pareille affaire. La réponse est simple ; elle se trouve dans la loi du 11 mars 1957 : L'article 29, § 3 refuse à l'auteur ou à ses ayants-droit le droit d'exiger du propriétaire la remise de l'œuvre pour l'exercice des droits de pro­priété incorporelle ; l'œuvre d'art est la propriété de l'acquéreur qui a le droit de la conserver et même de s'opposer à toute modi­fication. Ainsi donc, pour reprendre notre exemple, les héritiers de David ne pourraient pas, avec les textes actuels, reprendre encore

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des mains de Mme de Mortefontaine le tableau du grand peintre. Mais, car il y a un mais, ils auraient la faculté d'en demander la divulgation c'est-à-dire la reproduction et le Tribunal pourrait, s'il estimait qu'il y a abus notoire de la part du propriétaire, prendre toute mesure appropriée. L a loi de 1957 reprend d'ailleurs une solution déjà donnée par la loi du 9 avril 1910. Les héritiers de David si l'affaire se produisait de nos jours ne seraient donc pas démunis de toute action ; mais, peut-être le Tribunal estimerait-il que, s'agissant d'un portrait rappelant une pénible histoire de famille, le revirement politique de l'ancien Président à mortier du Parlement de Paris, l'acquéreur avait quelque raison de la soustraire aux regards indiscrets.

Par cet exemple, j'ai voulu montrer les limites que le législateur apporte à l'exercice du droit moral pour qu'il ne dégénère pas en abus.

D'ailleurs, la jurisprudence qui s'était instaurée avant la loi de 1957, lorsque le droit moral est en conflit avec le droit de pro­priété, donnait raison à ce dernier. C'est ainsi que la Cour d'Appel de Paris avait le 27 avril 1934 débouté un artiste qui se plaignait de ce qu'un peintre avait fait badigeonner des fresques qu'il avait peintes dans la Chapelle de Saint-Dominique à Juvisy.

Nous avons vu le droit moral de l'auteur en conflit avec les contrats et ceux-ci pliant devant lui ; nous l'avons vu en lutte avec le droit de propriété et celui-ci l'emportant le plus souvent. Il nous reste à le voir en face des régimes matrimoniaux et des successions.

Le droit moral de l'auteur est tellement puissant que sous son influence les droits patrimoniaux de l'auteur sont exclus de la masse commune en matière de régimes matrimoniaux et ils ont le statut de biens propres. Une controverse célèbre s'était élevée jadis dans la jurisprudence entre les Cours d'Appel, notamment celle de Paris et la Cour de Cassation. L'article 25 de la nouvelle loi met un point final à cette divergence.

Une dame Canal avait composé diverses œuvres musicales soit antérieurement à son mariage avec un sieur Janin, soit au cours de cette union qu'un divorce vint rompre. Le 1 e r avril 1936, le Tribunal de la Seine décida, contrairement à la jurisprudence de la Cour de Cassation, d'exclure de l'actif de la communauté toutes les œuvres de Mme Canal en sorte que, lors du partage de cette communauté, le sieur Janin qui n'était, lui, aucunement composi­teur de musique, se vit refuser la propriété de certaines œuvres

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composées par son ex-épouse. La solution paraissait équitable et la Cour d'Appel de Paris le 23 février 1938 confirma cette déci­sion dont il faut citer un attendu essentiel : « Considérant que le droit d'auteur... s'analyse dans une simple faculté inséparable de la personne de l'auteur ; qu'il ne rentre dans aucune des classi­fications du Code Civil et constitue un droit extra-patrimonial qui, de par sa nature... ne saurait tomber en communauté ».

La Cour de Cassation, le 15 mai 1945, cassa cet arrêt et elle devait longtemps persister dans sa jurisprudence. Ces décisions de la Cour Suprême avaient ému profondément la Commission de la propriété intellectuelle qui, nous l'avons vu, préparait le projet qui devait devenir la loi du 11 mars 1957. Aussi ce texte tient-il compte de la nature des œuvres de l'esprit ce qui doit exclure les droits de l'auteur de la communauté. Il est indispensable, si l'on veut donner toute sa force au droit moral de l'auteur, que les biens dérivant du droit d'auteur soient des biens propres. C'est ce que décide l'article 25 de la nouvelle loi d'une manière très nette pour l'avenir. Regrettons toutefois que le législateur n'ait pas prévu une rétroactivité absolue pour les mariages célébrés avant la loi. Le texte n'est pas très précis à ce sujet et cela ne manquera pas de susciter des difficultés.

Lorsque l'auteur est décédé, le droit moral présente un tout autre caractère ; il n'est plus que le moyen d'exécuter les intentions du défunt. En cette matière le législateur, dans l'article 19 de la loi parlant de la divulgation des œuvres posthumes, déroge au régime normal des successions et, ceci est important, il confie l'exercice du droit moral à ceux qu'on appelle les « gardiens de la mémoire du défunt » c'est-à-dire aux exécuteurs testamentaires désignés par l'auteur, puis à défaut de volonté contraire du défunt aux descen­dants, au conjoint non séparé de corps et non remarié, aux autres héritiers et aux légataires universels. E n cas de conflit et d'abus, le Tribunal aux termes de l'article 20 interviendra. Il est précisé par le législateur que l'instance pourra être engagée « notamment par le Ministre chargé des Arts et des Lettres ». C'est là une inno­vation importante et il faut insister sur le mot : notamment. Ainsi donc les organismes chargés de la sauvegarde des œuvres de l'esprit auront une vocation concurrente. Mais là aussi des difficultés pourront naître afin de savoir justement qui sont ces organismes.

La sanction du droit d'auteur est la même pour le droit pécu­niaire et pour le droit moral. Ces sanctions sont de différents ordres :

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La saisie contrefaçon qui permet par exemple de saisir un exem­plaire contrefait, d'empêcher une fabrication en cours ou d'interdire une représentation (articles 66 et suivants de la loi). On peut aussi recourir à une condamnation à des dommages-intérêts et même sanctionner le droit d'auteur par une condamnation à la prison ou à l'amende aux termes des articles 426 et 427 du Code Pénal. Ainsi donc le droit moral de l'auteur est maintenant très efficace­ment protégé.

Telle est la loi du 11 mars 1957. On a vu à quels besoins elle répondait et les problèmes qu'elle a résolus. Mais tout n'est pas terminé. Bien au contraire comme tous les textes, les dispositions de cette loi, pourtant en général fort claires, vont être discutées par la doctrine et interprétées par les Tribunaux à l'occasion des litiges qui vont naître.

Cette loi constitue incontestablement un très grand progrès et on doit rendre hommage à ses auteurs ; mais les juristes de demain auront à résoudre les difficultés qui subsistent et celles-ci sont nombreuses.

Les cas délicats se rencontrent fréquemment dans cette matière du droit moral de l'auteur souvent imprécise. Citons des exemples tirés d'un sujet qui paraît simple, celui du plagiat. Les actions en justice basées sur le plagiat semblent à première vue ne souffrir aucune difficulté. C'est un auteur qui en copie un autre sans citer sa source. Mais la pratique est plus compliquée. Sous le prétexte de punir par la voie de l'action civile le plagiat on ne saurait empê­cher les travaux d'érudition.

Une étude sur la littérature contemporaine sera obligatoirement émail!ée de citations d'auteurs. Voici un exemple de ces difficultés en cette matière dans un procès qui a été soumis au Tribunal de la Seine le 21 juin 1955. Il s'agissait de la publication d'une thèse de doctorat ès lettres sous le titre de : Dante, Minerve et Apollon, Les images de la Divine Comédie. Cet ouvrage comportait des citations de passages de la Divine Comédie dont certains reprodui­saient une traduction qui avait été éditée en 1930. L'auteur de cette traduction réclamait 1.500.000 francs de dommages intérêts pour le prétendu plagiat. Il fut débouté. Le Tribunal, entre autres motifs, se fonda sur ce que l'auteur de la thèse avait fait une œuvre entièrement différente et qu'en se référant à cette traduction dans son avant-propos et dans sa bibliographie, il avait suffisamment informé son lecteur.

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Délicate aussi est la délimitation du domaine de la loi. En quelles matières a-t-on le droit d'invoquer le droit moral ? Les oeuvres les plus diverses sont protégées. L'article 2 dispose c ue la loi du 11 mars 1957 vise les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit quels qu'en soient le genre, la forme d'expression ou la destination. L'énumération qu'en fait l'article 3 est longue et elle n'est pas limitative. Il s'agit notamment des livres, brochures, écrits littéraires artistiques et scientifiques, conférences, allocu­tions, sermons, plaidoiries. Mais pour les plaidoiries il semble, et c'est un barrage à l'extension du droit moral, qu'il ne s'agisse pas de la publication de toutes les plaidoiries. Un arrêt rendu par la Cour d'Appel de Paris, le 25 septembre 1956 est très intéressant sur ce point : il distingue en effet le cas où la plaidoirie publiée fait partie de l'édition de l'ensemble des débats judiciaires d'un procès. Il n'est pas alors concevable que par le jeu du droit moral, l'un de3 auteurs créateur d'un seul élément de ces débats judiciaires puisse s'opposer à la reproduction intégrale de ces débats. Il en serait autrement si la plaidoirie faisait l'objet d'un tirage particulier ou figurait dans une anthologie d'éloquence ; alors seulement le droit moral pourrait jouer et l'éditeur devrait obtenir l'autorisation de l'avocat pour la publier.

Notons que pour tous les cas de protection des œuvres de l'esprit, celle-ci n'est accordée qu'à la forme et non pas à l'idée. Mais dans la pratique un tel principe ne sera pas toujours facile à appliquer.

Abordons maintenant une nouvelle source de difficultés. Qui est auteur lorsque l'œuvre est le fruit du travail de plusieurs per­sonnes ? La loi de 1957 a tenté de résoudre ce problème fort délicat. Elle s'est lancée dans des distinctions peut-être trop subtiles. Les articles 9 et suivants distinguent :

1° L'œuvre de collaboration à laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ; alors tous les coauteurs sont en com­mun propriétaires. L'œuvre composite : œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sous la collaboration de l'auteur de cette dernière : Alors cette œuvre est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée sous réserve des droits de l'auteur de l'œuvre préexistante.

3° Enfin l'œuvre collective créée sur l'initiative et sous la direc­tion d'une personne avec le concours de plusieurs auteurs,

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la contribution de chacun ne restant pas distincte ; elle est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne qui dirige, non de ses collaborateurs.

Mais malgré toutes les précisions de la loi, en pratique on connaîtra certainement de nombreuses difficultés.

C'est surtout dans les sphères nouvelles de la production intel­lectuelle et spécialement en matière d'œuvres cinématographiques que celles-ci seront grandes. Le producteur, c'est-à-dire celui qui prend l'initiative et la responsabilité de la réalisation de l'oeuvre, d'après le législateur de 1957 qui suit ici une fois de plus la juris­prudence antérieure n'est pas, sauf preuve contraire, l'auteur du film cinématographique. (Article 17 de la loi.) Il est seulement le concessionnaire des droits d'auteur.

Aux termes de l'article 14 le film cinématographique est une œuvre de collaboration entre l'auteur. du scénario, l'auteur de l'adaptation, l'auteur du texte parlé, l'auteur des compositions musicales et le réalisateur. Ainsi ce dernier qui assume la mise en scène d'après un découpage technique qu'il n'a pas lui-même conçu est, aux termes de la nouvelle loi, coauteur. On a estimé qu'il méri­tait ce titre parce qu'il doit, au moment du tournage, faire face à d'innSmbrables problèmes, notamment régler le jeu des acteurs et coordonner toutes les activités littéraires, artistiques et musi­cales qui concourent à l'élaboration de l'œuvre cinématographique.

Mais doit-on étendre cette notion et dire qu'en toute hypothèse, même en dehors de l'œuvre cinématographique, le metteur en scène est un auteur et peut invoquer un droit moral ? La jurisprudence antérieure à la loi ne l'avait pas pensé.

Le 5 février 1958 la Cour d'Appel de Paris avait, à propos de l'opérette La Belle de Cadix, à juger des droits du metteur en scène. Elle estima que ses droits ne pouvaient être protégés que s'il était l'auteur d'une création originale, et qu'en matière d'opérette cet élément faisait défaut le plus souvent car le metteur en scène est le prisonnier de l'action et des indications données par les auteurs. Mais cette question est encore discutée en jurisprudence et un jugement du Tribunal correctionnel de la Seine, en date du 24 jan­vier 1962, statuant à propos de la même opérette, a rendu une déci­sion tout à fait différente.

Un dernier mot sur le droit moral d'auteur de l'interprète. Dans son Paradoxe sur le Comédien, Diderot raconte que Voltaire

s'émerveillant devant la Clairon jouant dans une de ses œuvres

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s'écria : « Est-ce bien moi qui ai fait cela » et Diderot d'ajouter : « Est-ce que la Clairon en sait plus que Voltaire ? »

Il est certain que l'interprète peut concevoir plus fortement que l'auteur, il peut transformer une œuvre, mais on peut dire que celle-ci était créée et achevée avant son intervention. Et en matière de film, l'article 14 de la loi de 1957 n'a pas compris les interprètes dans l'énumération des coauteurs possibles.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le droit moral de l'auteur, mais mon but est seulement de faire le point de la législation du droit moral de l'auteur après la loi du 11 mars 1957. J'ai voulu montrer ce qui a été fait, ce qui reste à faire et les difficultés qu'il faut encore surmonter.

J'estime, en tout cas que le législateur de 1957 a accompli un progrès considérable en consacrant pour la première fois dans notre législation le droit moral de l'auteur. Encore faut :il, et il l'a fait ainsi que la jurisprudence antérieure, le contenir dans d'étroites limites pour qu'il ne dégénère pas en abus.

M A R C E L ROUSSELET.

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