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Le secret de Nina - ekladata.comekladata.com/OtCNdjuyDxD6iKBmLMgyJkZz_3o/Le-secret-de-Nina... · temps ses deux frères avec brusquerie. Gabriel, le jeune marié, était extrêmement

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Prologue

St Mary’s Church, Londres

— Il n’est pas trop tard, Gabe,murmura Rafe.

Dans l’église bondée, les invitésbavardaient doucement en attendantl’arrivée de la mariée.

— Tu peux encore t’échapper par lasacristie…

— Tais-toi, Rafe ! lancèrent en même

temps ses deux frères avec brusquerie.Gabriel, le jeune marié, était

extrêmement tendu et Michaels’exprimait avec la sécheresse qui luiétait coutumière.

Assis juste derrière eux, leur pèreintervint à son tour :

— Chut, Rafe…Incorrigible, Rafe se mit à rire.— Le jet est prêt à décoller à

l’aéroport, Gabe. Au lieu de t’envoleraux Caraïbes pour ta lune de miel,profites-en pour te tirer du pétrin où tut’es fourré.

— Vas-tu arrêter, à la fin ?Gabriel se tourna pour foudroyer Rafe

du regard. Il guettait avec impatience lesignal des grandes orgues. Bryn avait

déjà cinq minutes de retard et sanervosité ne cessait de croître.

Rafe s’adossa contre sa chaise ensoupirant.

— Heureusement que je suis là pourdétendre un peu l’atmosphère ! Vous nesavez pas vous amuser, toi et Michael.Sans moi, vous ne seriez jamais sortis etvous n’auriez pas eu la moindreaventure !

— Mon mariage sera la plus belleaventure de ma vie, lui assura Gabrielavec conviction.

Celui-ci avait chèrement payé sonbonheur. Pendant cinq longues années, ilavait aimé celle qui allait devenir safemme d’un amour qu’il croyait sansespoir. Jusqu’au coup de théâtre qui

avait bouleversé le cours de sonexistence, un mois plus tôt.

— En tout cas, Bryn est superbe, j’enconviens.

— Rafe, cesse de l’agacer ! intervintMichael, l’aîné des trois frères. Sinon, ilva finir par te mettre son poing sur lafigure, ce qui ne serait pas du meilleureffet !

— J’essaie seulement…Rafe s’interrompit car la sonnerie de

son portable retentit à ce moment-là.— Je t’avais dit de l’éteindre !

maugréa Gabriel, furieux.— Je croyais l’avoir fait.Avec une grimace, il sortit son

téléphone et le mit sur silencieux avantde le ranger dans sa poche.

— Sérieusement, Gabe, tu as encore letemps de t’enfuir avant qu’il ne soit troptard.

— Raphael Charles D’Angelo !Rafe se tut sur-le-champ. Malgré sa

petite taille et sa frêle apparence, samère réussissait toujours à imposersilence à ses fils, qui avaient tousdépassé la trentaine et le mètre quatre-vingt-cinq…

Il n’eut pas besoin d’affronter soncourroux. A ce moment précis, lespremiers accords de la marche nuptialeannoncèrent l’arrivée de Bryn.

Gabriel se détendit enfin et se leva,tandis que Rafe ignorait la vibration deson portable l’avertissant d’un nouvelappel. Bryn remontait lentement l’allée

au bras de son beau-père.— Oh ! Gabe, elle est magnifique !

murmura-t-il.Elle semblait flotter dans un nuage de

satin et de dentelle. Lorsqu’elle passadevant Gabriel, un sourire éclatantillumina ses traits.

— Oui, dit simplement Gabriel avecune expression de pure adoration.

* * *

— Qui a eu la mauvaise idée de tetéléphoner pendant le mariage de tonfrère ? demanda Michael en rejoignantRafe à la sortie de l’église.

Il regarda complaisamment les jeunesmariés qui posaient sous le porche, dans

la lumière du soleil estival, tandis queRafe jetait un coup d’œil à l’écran deson portable.

— Un ami a la gentillesse de m’avertirque Monique est sur le sentier de laguerre, répondit Rafe. Elle vientapparemment d’apprendre que je nerentrerai pas à Paris après le mariage deGabe.

Les trois frères géraient à tour de rôleles galeries d’art qu’ils possédaient àLondres, Paris et New York. Michaeldevait remplacer Rafe à Paris à partir dulundi suivant, Gabe reviendrait àLondres après son voyage de noces etRafe s’envolerait pour New York dès lelendemain.

— Tu aurais pu la prévenir, grogna

Michael.Rafe haussa les épaules.— Je croyais l’avoir fait.— Tu n’as sans doute pas été assez

clair.Tout en parlant, Michael continuait à

observer Gabriel et Bryn.— Dire que notre petit frère est

marié !— Oui, et il nage dans le bonheur !

acquiesça Rafe en riant.Leur « petit » frère avait en réalité

seulement deux ans de moins queMichael, âgé de trente-cinq ans. Rafe,lui, en avait trente-quatre.

Proches en âge, les trois frères seressemblaient aussi beaucoupphysiquement. Tous les trois très grands

et d’une beauté peu commune, ils avaientdes cheveux foncés, des yeux bruns et lapeau mate, des traits qu’ils tenaient deleur grand-père italien.

Michael, le plus réservé et le plusaustère, avait les cheveux coupés trèscourt, le regard perçant et impénétrable.

Gabriel semblait plus abordable maispossédait un caractère tout aussidéterminé. Ses yeux étaient d’un bruntrès profond et les boucles désordonnéesqui encadraient son visage retombaientsur sa nuque.

Quant à Rafe, des éclats d’or brillaientdans son regard de prédateur. De primeabord, il apparaissait comme le moinssérieux des trois frères D’Angelo. Maisceux qui le connaissaient savaient qu’il

était aussi implacable que les deuxautres, sous des manières plus plaisanteset très charmeuses.

Michael haussa un sourcil moqueur.— Monique n’aura pas duré plus

longtemps que toutes celles qui se sontsuccédé au cours des cinq dernièresannées…

Rafe lança à son frère un regard pleinde commisération.

— Dieu merci, je ne cherche pas lafemme de ma vie !

— C’est peut-être elle qui te trouveraun de ces jours !

— Dans tes rêves ! Gabe est peut-êtretrès heureux, mais moi, je ne crois pas àl’amour. Pas plus que toi, d’ailleurs,ajouta-t-il d’un air entendu.

— C’est vrai, confirma son frère avecemphase. J’espère que cette Monique neva pas me harceler pour savoir où tu eset comment elle peut te joindre.

— Moi aussi, soupira Rafe. En toutcas, l’aventure est terminée.

Michael secoua la tête d’un airironique.

— Et si tu cultivais des relationsféminines un peu plus utiles, quand tuseras à New York ?

Comme son frère l’interrogeait duregard, il expliqua :

— La fille de Dmitri Palitov viendramardi à la galerie. Elle doit superviserpersonnellement l’installation des bijouxde son père, dans des vitrines conçuespar elle-même. Elle suivra d’ailleurs de

près l’exposition du début à la fin, avecl’équipe de sécurité de Palitov.

Rafe écarquilla des yeux ébahis.— Ah bon ?— Oui, Palitov a fixé ses conditions.Malgré les clauses draconiennes du

milliardaire russe, Archangel Galleryavait de toute façon une chance inouïe deprésenter sa collection dont certainespièces, au siècle dernier, avaientappartenu à la tsarine en personne.

— Je compte sur toi pour te concilierles bonnes grâces de la fille, ajoutaMichael.

— Que veux-tu dire exactement ? Quelâge a-t-elle, au juste ? Si Palitovapproche des quatre-vingts ans…

— Peu importe. Je ne te demande pas

de coucher avec elle, seulement d’userun peu de ton charme, conclut Michaeld’une voix moqueuse en donnant à sonfrère une tape sur l’épaule.

Puis il s’éloigna en direction de sesparents.

Rafe maugréa une exclamationindignée. La mission dont le chargeaitson frère ne lui plaisait pas du tout. Iln’avait nullement envie de s’occuperd’une vieille fille, fût-elle la dignehéritière d’un milliardaire russe.

1.

Trois jours plus tard.Archangel Gallery, New York

— Cela vous dérangerait de vousdéplacer ? Vous êtes juste dans lepassage.

Debout sur le seuil, Rafe observaitdepuis quelques minutes l’installation devitrines aux montants de bronze dansl’aile est de la galerie. Surpris par ce

ton péremptoire, il se tourna vers lejeune homme qui s’adressait à lui siabruptement.

Agé d’une vingtaine d’années, ilportait un jean délavé et un sweat-shirtnoir, comme les ouvriers qu’il dirigeait,et une casquette de base-ball enfoncéesur le crâne.

Il avait un beau visage, quoique tropféminin, avec des sourcils bien dessinésau-dessus de grands yeux verts frangésde longs cils, un petit nez retrousséconstellé de taches de rousseur, despommettes hautes ainsi qu’un mentonpointu et déterminé. Oui, il était un peutrop mignon, conclut Rafe.

Dès son arrivée, à huit heures etdemie, son assistante lui avait annoncé

que l’équipe de Palitov était déjà autravail.

— Je cherche…— Ne restez pas là ! répéta le jeune

homme. On attend d’autres livraisons.Comme pour lui prêter main-forte,

deux travailleurs musclés se postèrent àcôté de lui et Rafe réprima unmouvement d’irritation. Où diable étaitla fille de Dmitri Palitov ?

Comme il ne bougeait toujours pas, lesgrands yeux verts du chef d’équipe ledévisagèrent d’un air contrarié.

— J’en référerai à votre patron.— Justement, moi je cherche le vôtre,

répliqua Rafe, en colère.— Ah bon ? lança son interlocuteur

d’un ton méfiant.

— Parfaitement, confirma Rafe d’unton sec. Mlle Palitov devait superviserelle-même l’installation des vitrines.

Le jeune homme parut un peu moinssûr de lui.

— Qui êtes-vous ?— Raphael D’Angelo.Le garçon cilla.— Ah… Bonjour, monsieur D’Angelo.

Je suis Nina Palitov.

* * *

A la satisfaction de Nina, RaphaelD’Angelo perdit un instant de sonarrogance insupportable. Ses yeux d’ors’agrandirent tandis que ses lèvress’entrouvraient de surprise.

Elle l’étudia avec attention. Il avait latrentaine, peut-être un peu moins. Sescheveux sombres lui donnaient un aird’ange déchu. Il avait des yeux dorés defélin, des pommettes hautes et la peaumate, ainsi qu’un long nez aristocratique,des lèvres sensuelles, et une mâchoirecarrée, volontaire et orgueilleuse.

Son costume gris anthracite,impeccablement coupé, et sa chemised’un blanc immaculé accentuaient salarge carrure et sa virilité. Sesvêtements coûtaient sans doute à euxseuls autant qu’un mois de loyer pour unappartement à Manhattan. Sa cravate desoie était nouée avec un soin méticuleuxet ses chaussures en cuir noirprovenaient manifestement de l’atelier

d’un bottier italien.Comme si tout cela n’était pas assez

impressionnant, il parlait en outrel’anglais très sûr et distingué des genscultivés.

— Si j’en juge par votre expression,monsieur D’Angelo, je ne correspondspas tout à fait à ce que vous imaginiez ?

* * *

Quel euphémisme ! La personne queRafe avait prise pour un jeune hommes’avérait être non seulement uneravissante jeune femme, mais la fille deDmitri Palitov… qui avait tout au plusvingt-cinq ans.

C’était sans doute sa petite-fille,

songea-t-il en se décidant enfin àaccepter la main qu’elle lui tendait.

— C’est-à-dire… Je pensais plutôtvoir votre mère, dit-il pour justifier sonétonnement.

— Malheureusement, elle est mortedepuis longtemps. Je n’ai pas d’autrefamille que mon père.

Rafe plissa les yeux.— Je suis bien celle que vous deviez

rencontrer, monsieur D’Angelo, reprit-elle. J’ai été conçue sur le tard, dans ceque certains considèrent commel’automne de la vie.

Lui le premier…Michael était-il au courant ?

Probablement pas, sinon il ne l’auraitjamais confiée à ses bons soins ! Pour

une fois, son frère aîné s’était malrenseigné…

L’identité de la jeune femmeexpliquait aussi la présence des deuxcolosses qui veillaient sur elle. PapaPalitov prenait soin de la sécurité de safille.

Comme si Rafe n’était passuffisamment déconcerté par la situation,Nina Palitov ôta sa casquette et unecascade de boucles cuivrées se répanditsur ses épaules et dans son dos, presquejusqu’à la taille.

Il avait toujours préféré les blondes.Mais cette rousse incendiaire s’amusaità ses dépens et il l’aurait volontierspunie… en écrasant un baiser sur seslèvres pulpeuses pour lui ôter l’envie de

se moquer de lui, par exemple.Ce qui aurait sans nul doute conduit

ses deux sentinelles musclées à voler àson secours.

* * *

A travers ses cils, Nina surprit leregard de Raphael D’Angelo endirection de Rich et Andy. Elle avaittellement l’habitude de ses gardes ducorps qu’elle n’y faisait plus attention.Elle entretenait d’ailleurs des relationstrès amicales avec l’équipe de huithommes que son père employait pour sasécurité.

Cela en disait long sur la vie qu’ellemenait.

Puissant et richissime, son père avaitde nombreux ennemis. Nina regrettaitsouvent de ne pas avoir une existenceplus ordinaire. Comme tous les jeunesde son âge, elle aurait aimé sortir le soiravec une bande d’amis, ou simplementaller acheter le journal et le pain lematin au coin de la rue.

Peut-être aussi boire un verre encompagnie d’un bel inconnu dont lecharme décadent évoquait un angedéchu.

Elle se demanda avec un sursaut d’oùlui venait cette pensée ridicule…

La protection étroite que son pèreexerçait sur elle depuis des années avaitrendu Nina très timide avec les hommes.Elle avait rarement des fantasmes

érotiques, et certainement pas à lapremière rencontre !

Elle fronça les sourcils en dévisageantRaphael D’Angelo.

— J’ai beaucoup à faire, monsieurD’Angelo, déclara-t-elle avec unaplomb qu’elle était loin de ressentir.

* * *

En tant que directeur de la galerie deNew York, Rafe ne supportait pas d’êtrecongédié d’une façon aussi cavalière. Ilétait temps que Mlle Nina Palitov et sesgorilles lui témoignent la déférence quiconvenait.

— J’ai deux ou trois points à discuterd’abord avec vous. Si vous voulez bien

m’accompagner à mon bureau autroisième étage ?

Elle battit des cils d’un air surpris.Apparemment, Mlle Nina Palitov n’avaitpas pour habitude de se soumettre auxsollicitations extérieures.

Elle secoua la tête et sa longuechevelure cuivrée étincela sous lesrayons du soleil.

— Je n’ai absolument pas le tempspour le moment. Un peu plus tard, peut-être ?

Rafe pinça les lèvres.— J’ai plusieurs rendez-vous

importants dans la journée.Michael lui aurait certainement

ordonné de les annuler au bénéfice de lafille de Dmitri Palitov. Mais il n’était

pas là et…Pourquoi ne pas l’avouer, l’arrogance

de cette superbe créature l’irritait auplus haut point ! En d’autrescirconstances, il n’aurait pas hésité àrelever le défi qu’elle lançait à sonautorité — et à sa virilité. Une imageteintée d’érotisme surgit même à sonesprit. Il l’imagina nue, couchée sur desdraps de soie…

La voix hautaine de la jeune femme leramena brutalement à la réalité.

— Dans ce cas, monsieur D’Angelo,je crains qu’il ne faille reporter notrediscussion à demain.

Rafe fit un pas en avant et aussitôt lesdeux colosses qui se tenaient derrièreNina Palitov se rapprochèrent.

— Rappelez vos chiens de garde,commanda-t-il sèchement.

Elle le considéra pendant quelquessecondes avant de se tourner vers eux.

— M. D’Angelo ne présente aucundanger, assura-t-elle avec ironie.

Puis elle toisa Rafe de nouveau,comme pour bien lui signifier qu’iln’avait aucune chance de s’en tirer à boncompte s’il commettait le moindre fauxpas.

Certes, à deux contre un, Rafe risquaitd’être en mauvaise posture. Mais sonexcellente forme physique et sa pratiquede plusieurs arts martiaux luipermettaient de combattre d’égal à égalavec l’un ou l’autre de ces sbires.

Plaquant un sourire sur ses lèvres, il

enveloppa Nina Palitov d’un regarddélibérément provocateur.

— Oh ! à votre place, je n’en seraispas aussi sûr, mademoiselle Palitov.

Une lueur d’étonnement s’alluma aufond des yeux verts de la jeune femme,et ses joues couleur pêche rosirentdélicatement. En même temps, ellehumecta ses lèvres pulpeuses du bout dela langue.

— Est-ce que 11 heures vousconviendrait, monsieur D’Angelo ?suggéra-t-elle d’une voix un peu rauque.

— Je m’arrangerai.

* * *

Raphael D’Angelo avait réussi à

reprendre le contrôle de la situation,avec un mélange de confiance et dedésinvolture désarmant.

En était-il toujours ainsi ? En toutescirconstances ? Au lit, par exemple ?

Nina s’empourpra en prenantconscience du cours totalement déplacéque prenaient ses pensées.

Mais qu’avaient-elles de siinconvenant, après tout ?

Elle avait vingt-quatre ans et unphysique agréable sur lequel la gentmasculine portait généralement unregard très flatteur. Quel mal y aurait-ilà flirter avec un homme aussi séduisantque Raphael D’Angelo ?

Malheureusement, elle n’avait pasl’habitude de ce genre de relations. Elle

vivait dans un milieu très protégé, dansune atmosphère presque close, et sesgardes du corps, non contents d’empiétersur sa liberté, rapportaient à son pèreses moindres faits et gestes.

Elle manquait vraiment tropd’expérience pour se mesurer à un donJuan tel que Raphael D’Angelo.

Elle connaissait sa réputation, commetout le monde. A New York, les ragotsallaient bon train sur ce bourreau descœurs qui collectionnait les aventuressans lendemain. On ne flirtait pasimpunément avec lui.

Nina hocha la tête et se retranchaderrière ses défenses.

— Parfait. A tout à l’heure.Il l’observa un instant à travers ses

paupières mi-closes.— Nous allons être amenés à nous

voir assez fréquemment au cours desprochaines semaines… Sachez que jesuis toujours dans de bonnesdispositions à l’égard de mesinterlocuteurs lorsque la communicationest fondée sur le respect mutuel.

Nina battit des cils.— Je n’accorde jamais le mien

d’emblée. Il se mérite.Il serra les mâchoires.— C’est-à-dire ?Nina garda une expression

délibérément lointaine, indifférente.— Ne voyez aucun sens caché derrière

mon affirmation, monsieur D’Angelo.

* * *

La froideur et le détachement de NinaPalitov irritaient souverainement RafeD’Angelo.

Elle possédait une beauté particulière,très exotique. Elle donnait envie de senoyer dans les profondeurs de ses yeuxverts, de caresser sa peau satinée etd’embrasser ses jolies lèvres pulpeuses.Le haut de son corps disparaissait sousson gros sweat-shirt noir, mais elle avaitles hanches et les cuisses fines, et delongues jambes qui n’en finissaient pas.Quant à ses cheveux, Rafe n’en avaitjamais vu d’aussi magnifiques. Ilsencadraient son visage dans un halocuivré, avec des reflets d’un brun-roux

fabuleux.Oui, Nina Palitov était tout à la fois

irritante, belle, désirable et…inaccessible. Les colosses quisurveillaient Rafe d’un air soupçonneuxauraient dissuadé l’homme le plustéméraire de l’approcher.

Elle était en outre la fille de DmitriPalitov, le puissant milliardaire russequi vivait reclus dans sa tour d’ivoire.

— Je m’entretiendrai évidemmentavec vous de la sécurité de la galerie,ajouta-t-elle.

Rafe haussa les sourcils.— C’est mon problème, mademoiselle

Palitov, pas le vôtre.— Relisez la clause numéro sept du

contrat que votre frère Michael a signé

avec mon père, monsieur D’Angelo.Pendant tout le temps de l’exposition,c’est moi qui décide des mesures àprendre, dans tout l’établissement.

Arrivé la veille à New York, Rafen’avait pas encore eu le temps deconsulter le dossier. Michael lui avaiteffectivement parlé de la mise en sûretéde la collection, mais pas de l’immeubleentier. Il dirait deux mots à son frère.Même si Archangel Gallery réalisait uncoup d’éclat avec cette expositioninédite, cela ne méritait pas d’accorderautant de prérogatives à la famillePalitov.

* * *

Nina réprima un sourire desatisfaction devant la mine contrariée deRaphael D’Angelo. Il était tellementhabitué à donner des ordres qu’ellel’avait déstabilisé. Archangel Galleryavait fait d’énormes concessions àDmitri Palitov, qui exigeait des mesuresde sécurité draconiennes, maisparfaitement compréhensibles. Car il luiavait fallu de longues années pour réunirdes pièces rares et d’une valeurinestimable.

— Si vous avez l’intention demodifier le contrat, je devrais peut-êtreattendre que vous ayez parlé à mon pèreavant de poursuivre l’installation.

— Je n’ai rien mentionné de tel,mademoiselle Palitov, observa Raphael

D’Angelo d’une voix coupante.— Nina, suggéra-t-elle aimablement.— Rafe, rétorqua-t-il, un éclair de

colère dans les yeux.Rafe.Un diminutif qui allait bien à ce

Casanova…— Je n’apprécie guère les menaces,

Nina, reprit-il.— Je ne me permettrais pas, Rafe,

répliqua-t-elle trop poliment. De toutemanière, le contrat comporte desobligations des deux côtés, vous verrez.

Nina était auprès de son père le jouroù Michael D’Angelo l’avait rencontrédans son appartement de Manhattan, enprésence de leurs avocats. DmitriPalitov ne laissait jamais rien au hasard,

et sa collection de bijoux était ce qu’ilavait de plus cher au monde après safille.

— Si vous avez le moindre doute, jevous propose de discuter avec votrefrère avant de vous adresser à mon père,poursuivit-elle avec une pointe de défi.

Bizarrement, quelque chosed’indéfinissable, chez cet homme, lahérissait. Peut-être un excès deconfiance en lui, qui confinait àl’arrogance.

* * *

Rafe était quant à lui très réservé surNina Palitov. Mais, s’il se méfiaitbeaucoup de l’attirance qu’il éprouvait,

il n’avait aucune raison de douter de sabonne foi.

Il hocha la tête abruptement.— Très bien, je prendrai les

dispositions nécessaires pour vous fairevisiter la galerie dès demain et vousexpliquer notre système de surveillance.

— Aujourd’hui serait plus opportunpour moi.

Il soutint pendant quelques secondesson regard provocant.

— Alors un peu plus tard dans lajournée, convint-il avec raideur.

— Parfait. A tout à l’heure, 11 heuresprécises, dans votre bureau, au troisièmeétage.

Elle tourna les talons et rassembla sonopulente chevelure pour la glisser sous

sa casquette de base-ball avant derejoindre son équipe d’ouvriers.

Ses deux gardes du corps luiemboîtèrent le pas, non sans un dernierregard d’avertissement en direction deRafe.

Ce qui était parfaitement superflu.Raphael D’Angelo n’avait pas du toutenvie de faire plus ample connaissanceavec Mlle Nina Palitov. Malgré sabeauté, son comportement ne l’yencourageait pas, non plus que laprésence de ces sbires.

Non, Rafe n’avait aucune intention denouer des relations personnelles avecNina Palitov.

2.

Il reconsidéra néanmoins sérieusementsa décision deux heures plus tardlorsque Bridget, son assistante,introduisit Nina Palitov dans son bureau.

Soucieux de ne plus être pris endéfaut, il avait mis la matinée à profitpour se renseigner. Une conversationtéléphonique avec Michael ne lui avaitrien apporté, mais des recherches surinternet s’étaient révélées plus

fructueuses. Nina était née du mariage deDmitri et Anna Palitov lorsque celle-ciavait trente ans. Son père avait alors lacinquantaine. Anna était morte dans desconditions un peu mystérieuses quand safille avait cinq ans. Apparemment, onignorait la cause de sa disparitionprématurée.

A la fin de ses études secondaires,Nina était partie aux Etats-Unis, àl’université de Stanford, où elle avaitobtenu une licence d’arts plastiques etde design. Depuis son retour en Russie,elle occupait un poste important au seinde l’immense empire de son père.

Dès l’arrivée de Nina Palitov, Rafeéprouva un trouble profond, ettotalement inattendu.

Elle s’était débarrassée de son grospull noir et portait un simple T-shirtblanc qui révélait de jolis petits seinsronds, sans soutien-gorge. Son jeantaille basse laissait entrevoir la peaulisse et veloutée de son ventre plat. Elleavait aussi ôté sa casquette de base-ball,et sa chevelure luxuriante retombait encascade sur ses épaules et dans son dos.

La réaction physique de Rafe,immédiate, trahit un désir violent qui ledéconcerta.

— Monsieur D’Angelo ? lança-t-elle,comme il restait assis sans bougerderrière son bureau de marbre noir.

* * *

Il avait enlevé sa veste, et ses cheveuxsombres contrastaient avec la blancheurimmaculée de sa chemise. Il possédaitde larges épaules et une musculaturepuissante.

Nina détourna les yeux pour examinerles lieux. D’immenses baies vitrées,allant du sol au plafond, formaient deuxmurs du bureau en coin. Les autresétaient tendus de soie crème, avec unebibliothèque et un bar, ainsi qu’une tablebasse et des fauteuils.

Si le luxe et l’élégance du décorétaient à la hauteur de la réputationmondiale d’Archangel Gallery, lesmanières de Raphael D’Angelo, enrevanche, laissaient à désirer…

— Je vous dérange ? demanda-t-elle

froidement en ramenant son attention surlui.

— Pas du tout.Il se leva, attrapa sa veste sur le

portemanteau et l’enfila. Puis il lui fitface en haussant les sourcils d’un airmoqueur.

— Vous avez donné congé à vosgardes du corps ?

Nina soutint son regard.— Ils sont juste de l’autre côté de la

porte.Raphael D’Angelo croisa les bras sur

son torse viril et imposant.— Bien que je ne représente aucune

menace ? railla-t-il.Cela n’avait pas beaucoup plu à Rich

et Andy de rester dehors à l’attendre,

mais Nina s’était montrée intraitable. Aprésent, seule dans le bureau de RaphaelD’Angelo et exposée à la lueurnarquoise de ses yeux d’or, elle n’étaitplus certaine d’avoir pris la bonnedécision.

Rafe D’Angelo était un dangereuxséducteur. Nina, qui ne se sentait pas detaille à se mesurer à lui, se réfugiaitderrière un comportement abrupt ettranchant. Elle manquait d’expérience,ne fréquentant quasiment personne endehors de son père et ses gardes ducorps.

Depuis la mort de sa femme, DmitriPalitov vivait en reclus et la protectionde sa fille était devenue une véritableobsession. Non seulement Nina avait

très peu de relations masculines, mais illui fallait d’abord gagner l’approbationde son père avant d’accepter uneinvitation.

Rafe D’Angelo, sous des dehorscharmants, était un homme déterminé,doté d’une volonté inflexible. Il n’étaitpas du genre à s’encombrer d’uneautorisation paternelle pour donner unrendez-vous à une jeune femme.

De toute manière, Nina doutait fort del’intéresser. Elle n’était pas assezsophistiquée pour plaire à un homme quiavait toutes les plus belles femmes à sespieds.

Néanmoins, elle savait d’instinct qu’ilferait fi de Rich et Andy s’il avait enviede l’embrasser et n’obéirait qu’à ses

pulsions …Que lui arrivait-il ? Son esprit

s’égarait !Comme si elle avait envie de plaire à

Rafe D’Angelo !C’était ridicule. Elle était ici pour

superviser l’installation de la collectionde bijoux de son père, point final. Laperception aiguë qu’elle avait de RafeD’Angelo, avec ses cheveux un peu troplongs, la lueur de prédateur de ses yeuxd’or, la beauté de son visage sculptural,était tout simplement hors sujet… Il étaitinconcevable de céder à l’attirance qu’illui inspirait. Les mesures protectrices deson père étaient de toute façon là pourl’en empêcher.

— Un technicien vous accompagnera à

midi précis pour un tour d’inspection denotre système de sécurité, au sous-sol,l’informa Rafe D’Angelo un peusèchement. Cela vous convient-il ?

— C’est parfait, je vous remercie.Vous savez que nous aurons deux vigilesvingt-quatre heures sur vingt-quatre poursurveiller l’aile est de la galerie une foisla collection installée ?

— A ce qu’il paraît, répliqua-t-il avecraideur.

Son ton la surprit.— Vous n’êtes pas d’accord ?— Visiblement, je n’ai pas mon mot à

dire. Malgré tout, je trouve un tantinetinsultant que votre père juge celanécessaire.

Elle haussa les épaules.

— Ce n’est pas dirigé contre vous.— Merci, c’est rassurant !Il était inutile d’insister davantage.

Dmitri Palitov ne reculerait pas.— Eh bien, monsieur D’Angelo, de

quoi vouliez-vous me parler ? demanda-t-elle abruptement.

— N’avions-nous pas convenu denous appeler par nos prénoms ?M. D’Angelo me paraît biencérémonieux et conviendrait mieux à lasévérité de mon frère aîné.

— Michael D’Angelo ? Celui qui arendu visite à mon père il y a quelquessemaines ?

— Vous le reconnaissez dans madescription ?

— Je l’ai trouvé poli… quoiqu’un peu

austère, en effet.— Vous l’avez donc rencontré ?— J’étais présente lorsque mon père

et lui ont signé le contrat, oui.Mais alors… Rafe ne comprenait pas

pourquoi Michael s’était montré siévasif au sujet de Nina Palitov. Il auraitpu lui faire un portrait précis, au lieu dele laisser dans le flou.

— Je vous ai vus tous les trois enphoto dans les journaux, à l’occasion dumariage de votre plus jeune frère…Gabriel, n’est-ce pas ? Vous vousressemblez beaucoup.

* * *

Rafe, qui étudiait songeusement la

pointe de ses chaussures, releva la tête.Une fois de plus, la beauté de la jeunefemme le frappa au cœur. Les rayons dusoleil jetaient des reflets sur sonextraordinaire chevelure et ses lèvresentrouvertes appelaient les baisers…

Rafe retourna s’asseoir en pestantintérieurement contre les manifestationsimportunes de sa libido. Il refusaitd’être asservi à ses pulsions etchoisissait ses maîtresses enconséquence. Les grandes blondes quil’attiraient ne lui posaient généralementpas de complications insurmontables.Elles n’attendaient rien de particulierd’une relation qu’elles savaientéphémère et il rompait sans difficulté aubout de quelques semaines.

Nina Palitov ne leur ressemblait pas.Avec sa personnalité complexe et sonpère tyrannique, hors du commun, elleétait à éviter, qu’elle l’attire ou non…

— Oui, nous tenons de notre pèreitalien, dit-il d’un ton détaché. Lacérémonie était très réussie, pour ceuxqui prennent plaisir à ce genre defestivités…

Nina ne put s’empêcher de sourire.— Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas

une maladie contagieuse comme lavaricelle ou la rougeole !

— Je ne crains rien, je suis immunisé !— Tant mieux pour vous.Elle marqua une pause.— Vous n’aviez rien d’autre à me

dire ?

Rafe D’Angelo se ressaisit très vite.— Asseyez-vous, je vous en prie. Les

règles de sécurité mises à part,j’aimerais définir précisément votre rôleà Archangel Gallery durant la périodede l’exposition.

Nina haussa les épaules.— Comme je l’ai déjà mentionné, tout

est consigné dans le contrat que monpère a négocié avec votre frère.

Rafe hocha la tête.— Je l’ai lu en détail. J’ai du mal à

croire que vous allez passer tout votretemps ici pendant quinze jours.

— Ah bon ? lança-t-elle, ironique.— Oui. Vous n’aurez rien à faire une

fois que tout sera en place. A propos, jevous félicite, les vitrines sont une

réussite.— Merci.Nina y travaillait depuis quatre mois.

Après en avoir discuté avec son père,elle avait choisi des armatures trèssobres, en bronze et en étain, et desplaques de verre biseauté. Chaque petitmeuble avait son propre système defermeture, avec un code particulierconnu seulement de Nina et de son père.

— Il faut attendre que les bijoux soientinstallés pour juger de l’effet final,ajouta-t-elle avec modestie.

— Certainement. Cela ne vous prendrapas plus d’un jour ou deux ?

— Il y a de nombreuses pièces.— Malgré tout…Nina lui adressa un regard moqueur.

— Vous cherchez à vous débarrasserde moi ?

Elle n’était pas loin de la vérité…Rafe avait le reste de la galerie à gérer.Il n’avait pas le temps de se consacrerexclusivement aux caprices et auxexigences de la famille Palitov.

— Pas du tout, répliqua-t-il avec unedouceur feinte.

— J’ai eu mon père au téléphone toutà l’heure. Il vous adresse ses salutationset vous invite à dîner ce soir, si vousêtes libre.

Rafe fronça les sourcils. Quelhonneur, de la part d’un homme quivivait en reclus ! Il tenait sans doute àrespecter les formes avec le galeristequi exposait sa précieuse collection.

Néanmoins, Rafe n’avait pas trèsenvie de cultiver des relations étroitesavec la famille Palitov. Le milliardairerusse ne manquerait pas de percevoirl’attrait que sa fille exerçait sur lui. Ilvalait mieux garder ses distances.

— Rafe ?— Je suis déjà pris, malheureusement.Ou plutôt, Dieu merci !— Je vois, répondit Nina d’un air

pincé.Parmi les rares élus qui avaient le

privilège d’être invités par DmitriPalitov, rares, sans doute, étaient ceuxqui se permettaient de refuser.Professionnellement parlant, Rafe auraitdû s’arranger pour se libérer et remettreà un autre soir son dîner avec l’actrice

Jennifer Nichols. Michael le lui auraittrès vraisemblablement conseillé…Mais peu lui importait l’avis de sonfrère.

* * *

De son côté, Nina savait que son pèreserait vexé, ou en tout cas mécontent.Tout le monde rampait devant lui et luiobéissait au doigt et à l’œil. Même sielle l’aimait tendrement, cela nel’empêchait pas de souffrir de sontempérament tyrannique. Elle éprouvaitdu coup une certaine admiration pourRafe, qui ne se laissait pasimpressionner.

— Dans ce cas, choisissez une date à

votre convenance.— Voyons…Rafe consulta ostensiblement son

agenda.— Demain soir ?Elle hocha la tête.— Si jamais vous avez un

empêchement, vous pourrez me le diredemain dans la journée.

Il haussa les sourcils.— Vous avez vraiment l’intention de

venir tous les jours ?— Mon père y tient.Rafe l’observa un instant.— Et vous vous conformez toujours

aux désirs de votre père ?Nina se raidit.— Il est moins malheureux si j’évite

de le contrarier.— Malheureux ? répéta Rafe d’une

voix légèrement moqueuse.— Oui.Nina n’avait pas l’intention d’en dire

davantage. Le comportement et les étatsd’âme de son père ne regardaient pasRafe D’Angelo. Ni personne d’autre,d’ailleurs. Elle-même s’enaccommodait, par obligation. Et s’il yavait parfois quelques frictions, cela neconcernait qu’elle.

Rafe D’Angelo se mit à la détailleravec insolence, et elle s’agitanerveusement sous son regard pailletéd’or de félin. Ses seins se tendirent sousle T-shirt et leurs pointes se dressèrenttandis que le sang affluait au bas de son

ventre, en haut des cuisses.Elle s’en voulait de réagir ainsi, mais

elle ne pouvait pas s’en empêcher,comme si la maîtrise de son corps luiéchappait. Un sourire narquois auxlèvres, Rafe D’Angelo avaitmanifestement conscience de son troubleet prenait un malin plaisir à la mettremal à l’aise. Nina était au supplice.

Il n’était pas question de prolongercette torture. Même si l’attitudeprotectrice de son père ne l’avait pasarmée pour affronter des hommes telsque Rafe D’Angelo, elle avait assez decaractère pour refuser d’être un objet demoquerie ou d’amusement.

Elle se leva.— J’informerai mon père que vous

avez accepté son invitation pour demain.

* * *

Rafe releva les yeux à regret.Manifestement, Nina Palitov n’était pasinsensible à son charme.

Mais devant son expression peinée etaccusatrice, il eut honte de se comportercomme un goujat. Elle était très pâle. Iln’avait pas le droit de se venger sur elle.Elle n’était pas responsable du désir quil’animait, et encore moins de sa rancuneenvers Michael.

Pris de remords, il s’avança vers elle.— Vous serez des nôtres pour ce

dîner ? demanda-t-il plus aimablement.Elle lui jeta un regard circonspect.

— Oui, mon père m’a demandé defaire la maîtresse de maison.

— Vous vivez avec lui ?— Pas tout à fait.

* * *

Nina esquissa un sourire. Elle habitaitun appartement situé dans le mêmeimmeuble et dont il était propriétaire. Cen’était pas l’indépendance dont elleavait rêvé en revenant de Stanford, maiselle s’en satisfaisait.

— C’est-à-dire ? interrogea RafeD’Angelo.

Peu encline à se répandre sur le sujet,elle secoua la tête.

— Je dînerai avec vous, c’est tout.

— Vous ne voulez pas me dire oùvous habitez ?

— Non.— Même si je propose de passer vous

prendre ?— Non. De toute façon, mon père vous

enverra son chauffeur. Il souhaited’ailleurs confirmation de votre adresse.Sur la Cinquième Avenue, n’est-ce pas ?

— Oui. Remerciez-le de ma part, maisje préfère venir par mes propresmoyens.

Il pourrait repartir quand il en auraitenvie, sans être tributaire d’autrui. Iln’aimait pas du tout qu’on dispose delui !

Nina Palitov fronça les sourcils.— Cela ne plaira pas à mon père.

— Tant pis. Je préfère vraiment veniravec ma voiture.

— Vous ne savez pas où il habite.— Vous aurez l’amabilité de laisser

son adresse à ma secrétaire ?Nina se mordit la lèvre inférieure,

attirant aussitôt le regard de Rafe sur sabouche pulpeuse, puis sur ses yeux vertsfascinants.

Nina exerçait sur lui un attrait d’unepuissance incroyable, comme une forcemagnétique. Lentement, il se pencha verselle…

— Il est temps d’aller inspecter lesystème de sécurité, maintenant, déclaraNina d’une voix rauque, en reculantabruptement. Je transmettrai votremessage à mon père.

— Très bien.Rafe se redressa avec brusquerie. Il

maudissait cette attirance qui lesubjuguait. Heureusement, son rendez-vous de ce soir avec Jennifer Nicholsréglerait le problème !

— Voulez-vous que je vousaccompagne pour cette tournéed’inspection ? ajouta-t-il sans grandenthousiasme.

— Ce ne sera pas la peine, merci. Jetrouverai le chemin toute seule.

Rafe lui lança un coup d’œil irrité.— Je me montrais juste poli.— Je sais.Il la reconduisit jusqu’à la porte, et les

deux gardes du corps en factionencadrèrent aussitôt la jeune femme.

— Rassurez-vous, il n’est rien arrivéde fâcheux à Mlle Palitov dans monbureau, annonça-t-il d’une voixmoqueuse.

La mine sévère, ils ne consentirent pasà esquisser l’ombre d’un sourire.

— Bonne journée à vous, monsieurD’Angelo, murmura Nina avant de sediriger vers l’ascenseur avec sonescorte.

Rafe la regarda s’éloigner d’un airsongeur. Son jean serré moulait trèsjoliment sa fine silhouette.

De nouveau, une pointe de désir letransperça. Il filait un mauvais coton…

3.

— Comment trouves-tu ce RaphaelD’Angelo ? Il te plaît ?

En train de servir à son père sonwhisky pur malt, Nina dut s’arrêterparce que sa main tremblait. Au bout dequelques secondes, elle se retournacalmement et lui tendit son verre encristal taillé.

— Tu es superbe, ce soir, papa !— Tu es gentille, ma chérie, mais ce

qualificatif ne convient guère à unhomme de soixante-dix-neuf ans.

Dmitri Palitov avait toujours un légeraccent, même s’il avait vécu aux Etats-Unis pendant plus de la moitié de sonexistence.

— Pour moi, tu es toujours très beau,papa, lui assura sa fille avec chaleur.

C’était vrai. Il possédait d’ailleurs unevitalité qui le faisait paraître beaucoupplus jeune, tout comme ses cheveux gris,qu’il avait en abondance. Ses yeux vertsavaient peut-être perdu un peu de leuréclat, mais son visage respirait la force.

— Tu as éludé ma question, observa-t-il d’un air entendu.

En effet, elle n’avait pas très envie derépondre sans savoir ce qu’il avait

derrière la tête.Elle avait passé la journée à mettre la

dernière main à l’exposition. D’abordtrès nerveuse à l’idée de revoir RafeD’Angelo, elle avait fini par repartirtrès déçue de n’avoir même pas croiséle charismatique propriétaired’Archangel Gallery.

Une heure plus tard, tout en seprélassant dans un bain parfumé, elles’était sévèrement réprimandée. RaphaelD’Angelo ne méritait pas qu’elles’intéresse à lui. Il était arrogant,moqueur et ne se souciait pas d’elle lemoins du monde.

Néanmoins, en sortant de la salle debains, Nina n’avait pas pu s’empêcherd’allumer son ordinateur pour chercher

des renseignements sur lui sur internet.Assise sur son lit, ses cheveux mouillésenveloppés dans une serviette, elle avaitparcouru des pages et des pagesd’informations, de ragots et de photos.Elle avait une bonne excuse. Puisque sonpère l’avait invité, elle devait savoir quiétait cet homme. Naturellement, celan’avait rien à voir avec les réactionsphysiques qu’il déclenchait et qui lamettaient si mal à l’aise…

Au bout de quelques minutes, elleavait découvert qu’il avait passé lasoirée de la veille dans l’un desmeilleurs restaurants de New York, encompagnie de la ravissante actriceJennifer Nichols. Dépitée, elle avait toutdébranché.

Finalement, Rafe D’Angelo n’étaitqu’un coureur de jupons sans intérêt.Elle n’avait pas de temps à perdre aveccet individu.

— Tu n’as toujours pas répondu,insista son père.

Elle secoua la tête d’un air indécis.— Je ne comprends pas pourquoi tu

me poses cette question, papa.— Tu es particulièrement ravissante,

ce soir, moya doch.— Plus que d’habitude ? le taquina-t-

elle.Son père lui sourit.— Tu t’es habillée et maquillée avec

beaucoup de soin.Sans doute à cause de la photo de Rafe

D’Angelo avec Jennifer Nichols ! Ce qui

était parfaitement ridicule. Elle nepouvait pas rivaliser avec une actriceaussi belle et sophistiquée.

Elle n’en avait d’ailleurs pas envie.Raphael D’Angelo ne signifiait rien

pour elle, et c’était réciproque.— Ce n’est certainement pas pour

moi, reprit son père. Donc, il te plaît, ceRaphael D’Angelo ?

Nina poussa un soupir exaspéré.— Je le connais à peine, papa.— Tu as passé du temps seule avec

lui, hier.Elle plissa le front d’un air soucieux.— A mon retour de Stanford, tu

m’avais promis de relâcher tasurveillance…

— Je n’ai rien demandé aux gardes du

corps. J’ai été informé par un agent.Elle eut un mouvement d’impatience.— Autrement dit, l’un des ouvriers de

l’équipe ? Papa, tu exagères.Il haussa les épaules.— Je veux juste savoir de quoi tu as

parlé avec D’Angelo pendant les vingt-trois minutes où tu es restée seule aveclui dans son bureau.

— Vingt-trois minutes ? répéta Nina,incrédule. Tu m’as chronométrée ?

— Pas moi personnellement…Connais-tu la réputation de D’Angeloavec les femmes ?

— Papa, je refuse de poursuivre cettediscussion ! De toute façon, RafeD’Angelo et moi avons eu uneconversation purement professionnelle.

— Rafe ?Elle hocha la tête.— C’est d’ailleurs toi qui m’avais

chargée de régler certains problèmes, luirappela-t-elle avec humeur.

Elle rougit malgré elle en seremémorant les quelques secondes où ilavait semblé sur le point de l’embrasser.Elle était partie précipitamment, dans ungrand accès de nervosité.

— Je ne veux pas que cet homme tefasse du mal, moya doch.

— Tu n’as aucun souci à te faire,déclara-t-elle avec fermeté. De toutefaçon, je te l’ai dit, je ne suis même passûre qu’il me plaise.

— C’est dommage pour moi. Parceque vous, Nina, vous me plaisez

beaucoup…Elle pâlit et sursauta en reconnaissant

le son de cette voix. Puis elle seretourna. Rafe D’Angelo était sur leseuil, juste derrière le majordome deson père. Vêtu d’un costume noir, avecson teint mat qui tranchait avec sachemise blanche, il était superbe.

Rafe eut d’abord envie de rire devantl’expression désemparée de NinaPalitov. Mais elle était si belle qu’il enfut tout étourdi.

Elle portait une robe verte de la mêmecouleur que ses yeux, un fourreau courtqui mettait magnifiquement en valeur sescourbes féminines. Retenu par de finesbretelles, il dénudait ses épaules ainsique ses bras, et son décolleté soulignait

la naissance de ses petits seins ronds.Juchée sur des talons aiguilles, ellemesurait près d’un mètre quatre-vingts etses jambes fuselées paraissaientinterminables. Deux barrettes endiamants retenaient au niveau destempes sa somptueuse chevelurecuivrée, qui retombait librement encascade dans son dos, jusqu’au creuxdes reins.

— M. D’Angelo, Monsieur, annonçale majordome, imperturbable.

— Entrez, monsieur D’Angelo, je vousen prie, lança Dmitri Palitov.

Rafe s’avança et son sourire se figeasur ses lèvres lorsqu’il se rendit compteque son hôte était assis dans un fauteuilroulant.

— Vous comprendrez que je ne melève pas pour vous accueillir, monsieurD’Angelo, reprit Dmitri Palitov devantl’expression surprise de son visiteur.

Rafe se ressaisit très vite ets’approcha pour serrer la main du vieilhomme.

— Appelez-moi Rafe, l’invita-t-ild’un ton léger. Comme votre fille, mêmesi elle n’est pas encore très sûre de metrouver sympathique.

Il jeta un regard réprobateur endirection de Nina. Il lui en voulait unpeu de ne pas l’avoir informé del’infirmité de son père.

Malgré tout, il ne lui avait pas facilitéla tâche. Ainsi qu’il le lui avaitdemandé, elle avait laissé son adresse à

sa secrétaire, mais il avait pris soin, toutau long de la journée, de ne pas lacroiser.

Parce qu’il était fâché.Pas contre Nina, mais contre lui-

même.Sa soirée avec Jennifer Nichols avait

tourné au désastre parce qu’il pensaitsans cesse à Nina Palitov. Ellel’obsédait. Physiquement.

Si bien qu’il n’avait pas éprouvé lemoindre plaisir à dîner avecl’éblouissante star de cinéma, ni aucundésir de prolonger la soirée. En laraccompagnant, il l’avait laissée sur lepas de sa porte et avait déposé unsimple baiser sur sa joue, avant derentrer sagement chez lui pour se

coucher dans son grand lit vide. Il avaitdormi d’un mauvais sommeil,entrecoupé de rêves hantés par unemagnifique créature rousse.

Il s’était donc senti de fort mauvaisehumeur toute la journée, et peu enclin àrevoir la femme qui lui avait gâché sasoirée de la veille. Pareille mésaventurene lui était encore jamais arrivée…

— N’en voulez surtout pas à ma fillepour sa remarque, lui dit son hôte. Ellerépondait simplement à une taquineriede ma part.

Rafe regretta de ne pas en avoirentendu davantage, surtout lorsque Ninas’empourpra.

— Voulez-vous prendre un whiskyavec moi en apéritif, Rafe ? offrit

Dmitri.— Merci, avec plaisir.Nina se dirigea vers le bar et Rafe

contempla la masse cuivrée de sescheveux pendant qu’elle le servait.

— Votre dîner s’est bien passé, hiersoir ?

Rafe se retourna vers Dmitri Palitov,qui avait manifestement remarquél’intérêt qu’il portait à sa fille, maiscontinuait d’afficher une expressionimperturbable. En revanche, il savaitfort bien ce que Rafe avait fait la veille,comme l’indiquait la lueur moqueuse deses yeux verts.

— Vraiment, papa ! protesta Nina.Elle tendit son verre à Rafe en prenant

bien soin de ne pas le toucher.

— Ne mets pas Rafe dans l’embarras.La compagnie de Mlle Nichols ne peutêtre que divertissante.

Donc, tout le monde était au courant…Et à en juger par l’ironie de Nina, ellen’avait aucun doute sur la façon donts’était terminée la soirée .

Rafe D’Angelo regrettait-il d’avoirpréféré une actrice d’Hollywood à unclient pourtant prestigieux ? En tout cas,sa gêne emplit Nina de satisfaction.

— Oui, j’ai passé une bonne soirée, jevous remercie, répondit-il enfin, nonsans raideur.

Dmitri émit un petit rire.— Il devient de plus en plus difficile

d’échapper aux paparazzis, Rafe, de nosjours. C’est la rançon de la célébrité.

— Sans doute.Rafe ne chercha pas à s’excuser et

Nina en conçut une certaine admiration.A sa place, la plupart des hommes,impressionnés par l’aura d’autorité et depuissance de son père, auraientbredouillé des explications confuses.Mais pas lui.

— Voudriez-vous voir ma collectionde bijoux avant de dîner, Rafe ? proposaaimablement Dmitri.

— C’est une excellente idée, merci.Nina accompagna les deux hommes

dans le sanctuaire privé de son père, etfut favorablement impressionnée par lescommentaires et les connaissances deRafe.

C’était un ensemble unique et tout à

fait extraordinaire, avec des douzaineset des douzaines de pièces d’une valeurinestimable. Plusieurs colliers, bagues etbracelets avaient appartenu en personneà la tsarine Alexandra. Chaque objetpossédait une histoire propre, queDmitri Palitov avait patiemment appriseau fil des ans.

L’atmosphère se détendit et futbeaucoup plus légère lorsqu’ilsretournèrent dans la salle à manger.Pendant le dîner, la conversation tournaautour de l’exposition, puis de lapolitique, avant de se fixer sur le sportet plus particulièrement le footballaméricain, au moment du cigare et ducognac.

Nina, qui avait jusque-là participé,

étouffa un bâillement.— Je crois que nous ennuyons Nina,

plaisanta Rafe avec un sourire.— Doch ? lança Dmitri d’un ton

interrogateur.— Je suis un peu fatiguée, c’est tout,

répondit Nina.— Il se fait tard, dit Rafe. Je vais

rentrer.— Ne vous sentez pas obligé de partir

à cause de moi, protesta Ninagauchement. J’ai eu une semaine un peuchargée.

— Non, je dois vraiment vous quitter.J’ai un rendez-vous très tôt demainmatin.

Après une très légère hésitation, ilajouta :

— Je peux vous raccompagner, Nina ?Le cœur de la jeune femme se mit à

battre très fort. Allait-il l’embrasser surle pas de sa porte… ?

Sans doute avait-elle un peu abusé dudélicieux vin que son père avait serviavec le repas car rien, dans lecomportement ou les propos de Rafe, nelaissait supposer pareille éventualité.Non, il se montrait simplement poli.Peut-être aussi cherchait-il à s’attirer lesfaveurs de son père en affichant unecourtoisie un peu désuète.

— Vous avez des manières degentleman, Rafe, commenta Dmitri, à lasurprise de Nina. Depuis ses étudesuniversitaires, ma fille est devenue trèsindépendante, beaucoup trop à mon goût.

Rafe perçut un éclair d’irritation, trèsfugitif, dans les yeux de la jeune femme.La protection permanente de ses gardesdu corps lui pesait-elle ? A la longue,cela devait être terriblement étouffant, etmême déprimant.

Y avait-il un homme dans la vie deNina ? Il fallait une sacrée déterminationpour nouer une relation avec la fille deDmitri Palitov ! Comment ne pass’exaspérer de se sentir sans cessesurveillé ?

Pour quelles raisons Nina s’enaccommodait-elle ? Jeune, intelligente,cultivée, elle possédait en outre un réeltalent pour le design. Pourquoiacceptait-elle de son père de tellesrestrictions sur sa liberté ?

Décidément, le mystère qui entouraitNina Palitov s’épaississait…

Plus Rafe passait du temps en sacompagnie, plus il avait envie d’obtenirles réponses à ses questions.

— Nina ? lança-t-il en s’approchantde sa chaise.

— D’accord, répondit-elle d’une voixtendue. Si vous voulez prendrel’ascenseur avec moi jusqu’à l’étage au-dessous, je n’y vois pas d’objection.

— Vous habitez l’immeuble ?— Oui.Ce qui expliquait sa remarque de la

veille…— Je comprends, dit-il simplement.Elle pinça les lèvres.— Permettez-moi d’en douter.

— Nina…, lâcha son père un peusèchement.

Elle ferma les paupières et prit deuxlongues inspirations avant de les rouvriret de déclarer avec un sourire poli :

— Merci, Rafe. J’accepte bienvolontiers.

Il lui tint sa chaise pendant qu’elle selevait et elle fit le tour de la table pouraller embrasser son père sur la joue.

— A demain, papa, murmura-t-elleavec infiniment plus de douceur.

— Oui, moya doch.Dmitri se tourna ensuite vers Rafe.— J’ai été ravi de vous rencontrer.— Moi aussi, monsieur, répondit Rafe

d’un air distrait en suivant des yeux lasilhouette gracieuse de Nina.

— Ma collection de bijoux m’estextrêmement précieuse, déclara DmitriPalitov.

— J’en ai conscience, acquiesça Rafe,sans savoir où il voulait en venir.

— Elle possède une valeurinestimable. Mais ma fille m’estinfiniment plus chère que tous les rubiset les diamants du monde.

— Et je suis prêt à tout pour assurerson bonheur.

— Nina n’est plus une enfant, Dmitri.— Certes. Malgré tout, si un homme

s’avise de la faire souffrir,intentionnellement ou pas, il aura affaireà moi. Je tiens à ce que vous le sachiez.

Cela avait le mérite d’être clair.C’était la première fois que Rafe

recevait une mise en garde d’un père defamille…

Il lui tendit la main.— Merci pour cette agréable soirée.— D’Angelo…Le vieux monsieur le transperça d’un

regard aussi dur et tranchant qu’undiamant taillé.

* * *

Dans l’ascenseur, Nina trouva lesilence très pesant. Heureusement, elleserait vite débarrassée de son escorte,quelques secondes tout au plus.

— Vous n’avez pas vos gardes ducorps, ce soir ? lui demanda Rafeplatement en la raccompagnant jusqu’à

sa porte.Elle eut un petit sourire désabusé.— Mon père lui-même accepte de

m’en dispenser à l’intérieur de cetimmeuble dont il est propriétaire, et quipossède une entrée sécurisée. Personnene peut en franchir le seuil à son insu.

Il fronça les sourcils.— N’est-ce pas pousser un peu loin la

surveillance ?— Peut-être.— Pourquoi tolérez-vous un

comportement aussi excessif ?Elle pinça les lèvres.— Cela ne vous regarde absolument

pas.Rafe ne se laissa pas décontenancer.— Depuis quand votre père est-il en

fauteuil roulant ?Nina lui jeta un regard surpris.— Presque vingt ans.— Vous auriez pu me prévenir, non ?— Je… Cela ne m’est pas venu à

l’esprit. Ni à celui de votre frère,d’ailleurs. J’y suis tellement habituéeque je ne le remarque même plus.

Elle avait raison, Michael n’y avaitpas songé non plus. Décidément, sonfrère avait omis beaucoup de choses surla famille Palitov.

— Comment est-ce arrivé ?— Je… Un accident, répondit-elle

avec raideur.Rafe plissa les yeux.— Quel genre d’accident ?— De voiture. Il a eu une fracture de

la colonne vertébrale et s’est retrouvéhandicapé du jour au lendemain.

Elle ouvrit sa porte avec une cartemagnétique.

— Merci pour…— Invitez-moi à entrer, Nina !Elle sursauta. Rafe la considérait

intensément, de ses beaux yeux pailletésd’or.

— Je… Non, ce ne serait pas unebonne idée.

— A cause de votre père ?Elle se hérissa.— Mon refus n’a rien à voir avec lui.En réalité, Nina avait lutté toute la

soirée contre le trouble grandissant quelui inspirait Rafe D’Angelo. Elle nes’expliquait pas pourquoi elle avait une

conscience aussi aiguë de sa présence.En tout cas, elle se sentait attirée commeun papillon par la flamme d’une bougie.Si elle approchait, elle se brûlerait lesailes …

— Bien au contraire, observa Rafed’une voix moqueuse.

— Vous ne comprenez pas.— En effet, acquiesça Rafe avec

impatience. Pourquoi une jeune femmeaussi belle et talentueuse que vousaccepte-t-elle de se soumettre à latyrannie d’un père trop protecteur ?

— Mon père n’est pas…Elle s’interrompit pour respirer

profondément.— Vous ne pouvez pas comprendre.— Alors invitez-moi à prendre un café

et expliquez-moi.Il posa les mains sur l’embrasure, de

chaque côté, et se pencha vers elle.Le cœur battant, elle scruta la

profondeur de son regard, mais sansarriver à déchiffrer son expression.

— Vous avez déjà bu le café chez monpère.

— Pour l’amour du ciel ! Allez-vousme laisser entrer, Nina ?

La bouche sèche, elle se gratta lagorge. La proximité de ce corps virilmenaçait dangereusement sesrésistances.

— Ce n’est pas une bonne idée, jevous l’ai dit.

— Vous avez peut-être raison. Maissoyez gentille…

Elle le considéra d’un air perplexe.— Pourquoi tant d’insistance, Rafe ?Il plissa le front.— Je me pose beaucoup de questions.

Pour commencer, la maîtresse de maisonm’a accueilli avec des paroles trèsdésagréables…

— C’était un malentendu, le coupa-t-elle en rougissant. Mon père vous aexpliqué pourquoi.

— En partie seulement. Votre père estun homme très intéressant, ajouta-t-ilavec un mélange de dureté et d’ironie.C’est un hôte parfait, tout à faitcharmant.

— Vous avez l’air de vous moquer,protesta-t-elle.

— Sans doute parce qu’il vient très

courtoisement de me mettre en garde.Nina secoua la tête.— A quel sujet ?— Vous, lança-t-il avec exaspération.— Moi ?Il hocha la tête sombrement.— Au moment où vous avez quitté la

pièce, il en a profité pour me conseiller,très subtilement, de garder mes distancesavec vous.

— Oh ! non…Elle pâlit. Hélas, son père était

parfaitement capable d’une chosepareille.

Mais pour la première fois de sa vie,elle lui en tenait rigueur car son émotionn’avait cessé de croître tout au long dela soirée, tandis qu’elle observait Rafe à

la dérobée. Cet homme lui inspirait undésir irrépressible.

— Si, confirma Rafe. Il se conduitainsi avec tous les hommes qui sont encontact avec vous, ou seulement avecmoi ?

— Je n’en ai pas la moindre idée.Mais elle le saurait. Car elle comptait

bien avoir une discussion à cœur ouvertavec son père dès le lendemain.

— Je lui parlerai… Il a vraiment faitcela ?

— Oui, je n’invente rien.— Dans ce cas, je vous présente mes

excuses. J’ignore pourquoi mon père apu penser… Il n’y a pourtant rien entrenous deux qui…

Ecarlate, elle s’interrompit, incapable

de poursuivre.Comment son père avait-il osé

l’humilier ainsi ? Auprès d’un hommequ’elle allait côtoyer quotidiennementpendant au moins quinze jours… Unhomme qui l’attirait comme un aimant.

— Invitez-moi, s’il vous plaît, Nina,la pressa Rafe d’une voix rauque.

Elle lui jeta un regard indécis.— Je… Vous êtes vraiment entêté !

Pourquoi y tenez-vous tant ?— Parce que vous avez besoin de

prendre la parole de temps en temps, aulieu de toujours obéir aux ordres dequelqu’un d’autre.

De nouveau, elle perdit contenance.— Mon père est… Il a des raisons de

se comporter comme il le fait. Vous ne

pouvez pas comprendre.— En effet. C’est insensé qu’une

femme belle et intelligente comme vousse laisse étouffer ainsi !

Comment osait-il ! Alors que son pèrevivait dans la crainte permanente depuissi longtemps… Depuis vingt ans, ilredoutait de perdre sa fille.

Comme sa femme bien-aimée, qui luiavait été cruellement enlevée.

4.

— Allez, Nina…, l’encouragea Rafedevant son air indécis.

Elle hésita encore quelques secondes.Puis elle hocha la tête en silence et,tournant les talons, éclaira le vestibuleplongé dans l’obscurité.

Après avoir refermé doucement laporte derrière lui, Rafe prit Nina dansses bras pour la serrer contre lui. Dansun geste instinctif, elle s’agrippa à ses

épaules et ferma à demi les paupières.— Il n’y a aucun moyen pour un

homme de cacher le désir que lui inspireune jolie femme, n’est-ce pas ?murmura-t-il sur le ton de l’autodérision.

La gorge blanche et satinée de Nina secontracta légèrement.

— Je… Non, en effet.Rafe fixait ses lèvres charnues, qui

l’obsédaient depuis le début de lasoirée. Il l’avait observée tout au longdu repas, quand elle portait son verre ousa fourchette à sa bouche. Elle avaitaussi une façon très particulière, trèsérotique, de les humecter du bout de lalangue.

D’une certaine manière, il méritaitsans doute l’avertissement que Dmitri

Palitov lui avait donné. Ce dernier avaitprobablement surpris plus d’une fois sonregard ardent.

— Je… Vous voulez un café ?— Non merci.— Oh…Nina tremblait de nervosité. Il sentait

la chaleur de ses mains à travers saveste et sa chemise. Il avait plus d’unefois imaginé ses longs doigts élégants,aux ongles vernis, sur sa peau nue.

Oui, Dmitri Palitov avait raison de seméfier de lui.

Les yeux de braise de Rafedescendirent plus bas, vers la ligne deson décolleté.

— Je vais vous embrasser, Nina…— Oui, murmura-t-elle, les jambes

flageolantes.— Ensuite, je vous déshabillerai pour

caresser vos seins.Joignant le geste à la parole, il en

chercha la pointe sous ses paumes.— Je les mordillerai et…— Arrêtez de parler, Rafe, gémit

Nina.Elle serra les dents quand une vague

de désir l’assaillit.— Finalement, vous n’avez pas si peur

que cela.Enroulant une longue mèche de

cheveux autour de sa main, il l’obligea àrenverser la tête en arrière et scrutalonguement son regard. Au bout d’uneminute interminable, il se pencha enfinvers ses lèvres.

Au début, sa bouche ferme et sensuelleeffleura à peine celle de Nina, commepour la goûter. Puis son baisers’approfondit, délicieusement érotique.

Quittant les épaules de Rafe, les mainsde Nina glissèrent dans ses cheveuxsombres, comme pour presser davantageson visage contre le sien. Sans cesser del’embrasser, avec voracité maintenant, ilposa les mains au creux de ses reinspour l’attirer plus près encore, toutcontre la force de sa virilité dressée.Elle sentit son pouls battre contre sescuisses.

Sous cet assaut charnel, le corps deNina s’embrasa tout entier, réclamantd’autres caresses, plus intimes.

Tandis qu’elle reprenait son souffle, il

l’embrassa au creux du cou. Il fit glisserles fines bretelles de sa robe sur larondeur de ses épaules, puis descendit lafermeture Eclair, dévoilant sa poitrine.

Nina vacilla sous la torture exquise desa langue et de ses lèvres.Heureusement, Rafe la tenait par lataille. Mais ses jambes ne la portaientplus.

Quel tourment délicieux…Il ne lui laissait aucun répit. Elle sentit

le désir bouillir dans ses veines etétouffa un sanglot. Elle était au supplice.Oh…

Elle poussa un petit cri de déceptionquand la bouche de Rafe l’abandonna. Ils’écarta un peu pour contempler sesseins gonflés, aux pointes rougies.

— Comme tu es belle, murmura-t-il enles effleurant d’une caresse.

Nina n’osait plus respirer. Elleattendait la suite avec une impatiencefébrile, en espérant qu’il accéderait àses désirs les plus inavouables.

Rafe en avait parfaitement conscience.Lui-même avait une folle envied’explorer les replis cachés de saféminité. Pourquoi résister à latentation ? Il allait sentir et goûter sonodeur intime, la boire et se rassasierd’elle, longuement, lentement…

D’ailleurs, Nina n’attendait que cela.Elle le regardait avec de grands yeuxéperdus, les pommettes roses, le soufflecourt.

Mais Rafe ne pouvait pas.

Oh ! il savait ce qu’on racontait sur luidans les journaux. Qu’il avait unekyrielle de maîtresses, qu’on necomptait plus ses conquêtes. Et dans unecertaine mesure, c’était vrai. Il avaittoujours eu beaucoup de femmes dans savie, pour une nuit ou davantage.

Malgré tout, Rafe avait ses propresrègles de conduite, même pour de brèvesaventures. Il ne faisait jamais de faussespromesses et n’était jamais infidèlependant le temps que duraient sesliaisons. Et lorsque venait la lassitude, ilrompait le plus courtoisement possible.

Nina ne ressemblait pas aux femmesqu’il avait l’habitude de fréquenter. Elleétait beaucoup plus complexe, tant auplan émotionnel qu’intellectuel, tout ce

qu’il avait évité avec soin jusqu’àprésent.

Elle était aussi beaucoup plus jeune etavait passé vingt-quatre ans sous lacoupe paternelle. Elle n’avait pas lasophistication et le cynisme nécessairespour s’accommoder d’une histoire sanslendemain.

Par ailleurs, même si cela paraissaitridicule, il était là sur l’invitation de sonpère, un homme puissant et dangereuxqui était aussi son client. Or, Rafe nemélangeait jamais les affaires et leplaisir.

Enfin, Nina et lui n’étaient même passortis ensemble.

— Rafe ? murmura Nina, indécise.Il restait immobile, sans rien dire,

alors qu’elle était à moitié nue devantlui.

Il serra les mâchoires et relevadélicatement les bretelles de sa robepour les remettre en place sur sesépaules. Trop désemparée, Nina neprotesta même pas lorsqu’il la fitpivoter pour remonter sa fermetureEclair.

— Veux-tu dîner avec moi demainsoir, Nina ?

Elle scruta en vain son expressionimpénétrable.

— Pourquoi ? souffla-t-elle.Il haussa les sourcils.— As-tu l’habitude de poser ce genre

de questions quand un homme t’invite aurestaurant ?

Nina redressa le menton dans uneattitude défensive.

— Seulement quand il est sorti laveille avec une autre femme.

— Je n’ai pas l’intention de revoirJennifer Nichols.

— Elle le sait ?— Oh oui !Elle secoua la tête.— Je… Ce baiser était une aberration,

Rafe. Il vaut mieux l’oublier. Tu n’espas obligé de m’inviter à cause de cequi s’est passé.

— Une aberration ? répéta Rafe,décontenancé.

C’était pour le moins inattendu ! Alorsqu’il avait lutté toute la soirée contre lafascination qu’elle exerçait sur lui…

Dmitri Palitov ne s’y était pas trompé etn’avait pas pris de gants pour le lui dire.

C’était en partie pour avoir le derniermot que Rafe avait tant insisté pourpénétrer dans l’appartement de Nina. Ilvoulait affirmer son indépendanced’esprit, mais sans aucune arrière-pensée. Ensuite, ses pulsions en avaientdécidé autrement…

— Oui, une aberration, insista-t-elleavec fermeté. Je n’ai pas l’habituded’embrasser n’importe qui.

— Pardon ?Cette fois-ci, Rafe éclata de rire.— Je ne suis pas n’importe qui, Nina !— J’ai dû boire un peu trop de vin,

dit-elle, irritée par sa réaction.— De mieux en mieux ! Tu n’es

vraiment pas très gentille avec moi.Nina ne savait plus comment justifier

son abandon. Elle ne se reconnaissaitpas elle-même. Mais il n’était pasquestion d’avouer à Rafe qu’il luiplaisait.

— Peut-être, mais je voudrais que tut’en ailles, maintenant.

— Tu obtiens toujours ce que tuveux ?

Presque jamais, songea Ninatristement.

Oh ! grâce à l’immense fortune de sonpère, elle n’avait jamais aucun problèmematériel. Mais il n’en allait pas demême pour ses aspirations profondes.En revenant de Stanford, fraîchementdiplômée, elle espérait fonder sa propre

entreprise, une start-up dans le design.Elle rêvait aussi de rencontrer l’hommede sa vie, pour se marier et avoir desenfants.

Hélas ! elle avait vite retrouvé saplace de recluse dans l’existenceroutinière que menait son père.

Ce dernier, cependant, n’était pas seulà blâmer. Elle n’avait pas beaucoup luttépour s’imposer et conquérir sonindépendance.

Probablement parce que son pèrevieillissant avait besoin d’être rassurépar sa présence. Nina avait donc mis sesrêves de côté jusqu’à aujourd’hui.

Jusqu’à ce que Raphael D’Angelol’oblige à s’en souvenir.

— Nina ? lança-t-il, comme elle

gardait le silence.Elle soupira.— Merci pour l’invitation, Rafe, mais

je préférerais en rester là.— Pourquoi ?Elle lui lança un coup d’œil irrité.— Tu es toujours insistant quand une

femme te dit non ?Il esquissa un sourire.— Je ne sais pas, cela ne m’est jamais

arrivé.— Eh bien, il faut une première fois à

tout !— Tu as tort, Nina, murmura-t-il. Tu

devrais t’affirmer, au lieu de capitulerdevant ton père.

— Mêle-toi de ce qui te regarde !s’écria-t-elle avec colère.

En fait, il avait raison et son invitationla tentait beaucoup. Pour la premièrefois depuis longtemps, elle avait enviede se rebeller contre les restrictionspaternelles.

— Pourquoi veux-tu dîner avec moi,Rafe ? reprit-elle. Parce que cela te faitréellement plaisir, ou parce que tu veuxdéfier mon père ?

— Ce n’est pas très flatteur, Nina. Nipour toi, ni pour moi.

Elle haussa les épaules.— Non, en effet.Rafe la considéra avec un mélange de

perplexité et d’agacement.— Tu as tort. Donc, c’est non ? Tu es

sûre ?L’hésitation qui troublait ses beaux

yeux verts le poussait à gagner duterrain. Il ne manquait pas d’arguments,ni d’atouts. Malgré tout, il se retint.C’était à Nina de prendre la décision. Iln’allait pas se comporter comme DmitriPalitov, dont il condamnaitl’autoritarisme.

Donc, il se tut et attendit. Comme lesilence s’éternisait, il se perdit dans sesréflexions. A quel moment Nina avait-elle commencé à lui plaire ? Ce soir,lorsqu’elle était apparue dans sonfourreau vert ? Pendant le dîner ? Quandil l’avait embrassée ? Peut-être dès lepremier instant, quand elle avait enlevésa casquette de base-ball…

En tout cas, son invitation n’avait rienà voir avec la mise en garde de Dmitri

Palitov. Il aurait même préféré battre enretraite. Non parce qu’il avait peur, maisparce qu’il détestait les complications etqu’un père comme celui de Nina luicréerait forcément des ennuis.

En effet, Rafe avait la nette impressionque sa rencontre avec Nina Palitov allaitsingulièrement compliquer sonexistence…

Nina, elle aussi, réfléchissait. Tout lapoussait à refuser. Mais contrairement àce que croyait Rafe, elle se moquait del’opinion de son père. Oh ! il ne seraitsans doute pas très content, mais pourune fois il devrait s’accommoder de cedésagrément. Il aurait dû s’abstenir deparler à Rafe et elle le lui dirait.

Non, son père n’avait rien à voir là-

dedans. En fait, elle avait terriblementpeur de tomber sous le charme de Rafe.Si elle passait une soirée entière seuleavec lui, elle ne serait plus capable delui résister.

Or elle n’était pas complètement naïveet innocente. A Stanford, elle avait eudeux petits amis parmi les étudiants, endeuxième et troisième années. Chaquefois, elle s’était trompée en croyant êtreamoureuse, et avait rompu très vite.Comme elle ne ressentait pas grand-chose physiquement, elle en avait concluqu’elle n’était pas faite pour l’amour.Elle n’avait pas retenté l’aventure à sonretour à New York.

Ce qui s’était passé ce soir avec Rafe,les réponses enfiévrées à ses baisers et

à ses caresses, ne ressemblait pas dutout aux expériences précédentes. Ill’avait rendue folle de désir. Elle seserait donnée à lui sans l’ombre d’unehésitation s’il l’avait complètementdéshabillée et emportée dans lachambre. L’espace de quelques instants,elle n’avait plus eu qu’une envie : fairel’amour avec lui.

D’ailleurs, il lui suffisait de leregarder pour frissonner et replongerdans les affres de la frustration. Avecses cheveux en désordre autour de sonvisage ciselé, comme taillé dans lemarbre, sa carrure large et sa statureimposante, il était beau comme un dieu.

Rafe haussa un sourcil moqueur.— Tu es toujours aussi hésitante,

d’habitude ?Nina s’empourpra.— Ce n’est peut-être pas une très

bonne idée de mélanger les affaires et leplaisir, déclara-t-elle enfin, d’un tonincertain.

D’accord sur le principe, Rafe étaitcependant incapable de suivre cetteligne de conduite avec Nina Palitov. Ilvaincrait tous les obstacles, même lesplus insurmontables, pour passer unesoirée avec elle. Avec ou sans gardes ducorps !

— Oui ou non, Nina ? maugréa-t-ilentre ses dents.

Elle capitula.— Eh bien… D’accord, j’accepte !Rafe réprima un sourire triomphant et

se contenta de hocher la tête d’un airsatisfait.

— Je m’occupe de la réservation. Jepasserai te prendre ici à 19 h 30.

Elle plissa le front.— J’aurai besoin de connaître le nom

du restaurant à l’avance.— Un peu de rébellion, mais pas

trop… Hé, Nina, je plaisante ! larassura-t-il aussitôt. Il n’y a pas deproblème.

— Non ?— Absolument aucun.Rafe n’allait pas lui rendre la vie plus

difficile qu’elle ne l’était déjà avec sonpère.

— Je te le dirai demain matin.J’imagine qu’Andy et Rich voudront

visiter les lieux avant ?— Ce n’est pas ma faute si ma vie

ressemble parfois à un roman policier.— Cela manque un peu de spontanéité,

reconnut-il. Mais ne t’inquiète pas, toutse passera bien.

— Merci, souffla-t-elle.Il lui jeta un regard curieux.— Pourquoi ?— D’accepter tout cela sans faire

d’embarras. La plupart des hommesronchonneraient, à ta place.

— Je ne suis pas n’importe qui, Nina,lui rappela-t-il pour la taquiner.

Puis il effleura son front d’une caresseet déposa un baiser furtif sur ses lèvresavant d’ajouter :

— Cesse de te tourmenter. A demain,

à la galerie ?— Oui.— Souris-moi, Nina !Nina craignait déjà d’avoir commis

une erreur. Elle aurait dû se protéger.Mais Rafe D’Angelo lui plaisait tantqu’elle était prête à briser le carcanpaternel. C’était la première fois quecela lui arrivait.

Elle ne devait pas oublier pour autantqu’aucune femme ne retenait jamais trèslongtemps l’intérêt de RaphaelD’Angelo. Les conquêtes se succédaientdans sa vie — et dans son lit… — à unecadence impressionnante. Ses maîtressesétaient toutes blondes, grandes,sophistiquées…

Nina ne leur ressemblait pas, sauf

pour la taille. Saurait-elle se contenterd’un simple flirt ? Ou d’une brèveaventure ?

Elle sourit avec détermination.— A demain, Rafe.— Bon. Maintenant, il est temps que je

m’en aille. Même si tes gardes du corpsne sont pas là pour te surveiller, lescaméras de sécurité ont dû avertir tonpère que je n’étais pas encore parti !

Nina hocha la tête et le raccompagnajusqu’à la porte.

Rafe s’étonnait des mesures deprotection qui entouraient Nina. Elle-même n’y prêtait plus attention,tellement elle en avait l’habitude.

Leur rencontre allait peut-être laréveiller de sa torpeur et lui fournir

l’occasion qu’elle attendait.Oui, le moment était peut-être venu de

se libérer de la domination paternelle…

* * *

En rentrant chez lui, vingt minutes plustard, Rafe hésita à téléphoner à Michael.Finalement, il n’en fit rien. Son frèrevenait de toute façon à New York levendredi suivant pour le vernissage del’exposition des bijoux Palitov, quiouvrirait au public le samedi. Les troisfrères se retrouvaient généralement pourde grandes occasions comme celle-ci.Pour une fois, Gabriel ne se joindraitpas à eux, mais Michael ne manqueraitpas un événement de cette importance.

Rafe en profiterait pour lui exposer unprojet qui avait germé dans son esprit.C’était lui qui était le plus souvent àl’origine des idées nouvelles ou desconcepts révolutionnaires d’ArchangelGallery. Il était si modeste que peu degens en avaient conscience ; quant auxjournalistes, ils ne connaissaient de luique sa réputation de play-boy.

Il était peut-être grand temps que celachange.

Rafe s’étonna du cours que prenaientses pensées. Pourquoi se souciait-ilbrusquement de lui-même ?

A cause de Nina Palitov ?D’autres questions se pressaient dans

sa tête. Il se renseignerait sur lapersonnalité énigmatique de Dmitri

Palitov.A en croire Nina, il s’était retrouvé en

fauteuil roulant à la suite d’un accident.Cela expliquait en partie pourquoi ilvivait en reclus. Avec tous les moyensmodernes de communication, on pouvaittrès bien diriger un empire à partir d’unappartement au cinquantième étage d’ungratte-ciel, sans avoir besoin d’unbureau dans un immeuble d’affaires.

Mais cet accident ne suffisait pas àexpliquer l’obsession de Dmitri Palitovpour la sécurité.

Celle de sa fille, en particulier.

5.

— Je ne suis jamais venue ici, ditNina à Rafe en jetant un regardcirculaire.

On les avait installés à une petite tableen coin, juste devant la fenêtre. Situé audernier étage d’un des plus beaux gratte-ciel de New York, le restaurant branchéétait l’un des meilleurs de la ville, avecune vue extraordinaire, à trois centsoixante degrés. Il était fréquenté par

des personnalités riches et célèbres.Nina avait déjà repéré une animatrice detélévision, ainsi qu’un couple d’acteurset un politicien de renom.

Elle avait passé la journée à la galerieà s’interroger. Devait-elle passer lasoirée avec Rafe comme prévu ou, aucontraire, annuler en invoquant unprétexte quelconque ?

Son père ne s’était pas franchementopposé à cette sortie et s’était contentéde pincer les lèvres d’un airréprobateur. L’expression butée de safille l’avait sans doute dissuadé de toutcommentaire.

L’hésitation de Nina tenait plutôt àRafe D’Angelo lui-même.

Il était en tout point différent de tous

les hommes qu’elle avait pu rencontrerjusque-là. Confiant et sûr de lui, ilmaniait malgré tout l’autodérision etpossédait un solide sens de l’humour.Intelligent et cultivé, il n’était pasprétentieux pour autant. Ses vêtementsde grand couturier, d’une éléganceirréprochable, n’enlevaient rien à soncharme de bad boy. C’était unanticonformiste doublé d’un dandy quiportait des chemises de soie et desnœuds papillons.

Contrairement au reste du monde,l’autoritarisme de son père nel’impressionnait pas. Depuis son retourde Stanford, Nina était tout de mêmesortie de temps en temps. Chaque fois,immanquablement, les hommes qui

l’invitaient cherchaient à plaire à sonpère, avant même de s’interroger sur sesgoûts à elle.

Rafe, même s’il était respectueux, nes’en laissait pas imposer par lapuissance ou la fortune des Palitov. Ilétait lui-même. Drôle, aimable,divertissant et à l’aise.

C’était nouveau pour Nina qui avaittoujours vu tout le monde ramper devantson père.

Le sommelier leur servit une flûte dechampagne rosé et reposa la bouteilledans le seau à glace avant de s’éclipser.

— Cet endroit est réputé pour êtretoujours bondé, observa Nina. On ditqu’il faut réserver des semaines àl’avance.

Rafe haussa nonchalamment lesépaules.

— Le propriétaire est un ami.— Il l’était avant ou il l’est devenu

parce que tu viens souvent ? demanda-t-elle avec un sourire malicieux.

Il n’y avait pas amené JenniferNichols, mais elle était sûre d’avoir vuplusieurs photos de Rafe dans ce décor,avec de jolies femmes bien sûr.

— Je connaissais Gerry avant qu’ilachète son restaurant. A propos, il apassé un excellent moment avec les deuxhommes que ton père a envoyés pourinspecter les lieux.

— C’est du sarcasme ? interrogeaNina, indécise.

— Pas du tout. Après s’être acquittés

de leur mission, ils se sont installés àune table avec une bonne bouteille et ilsont joué au poker tous les trois. Gerryadore les cartes, surtout quand il gagne.

Nina se mit à rire.— Il doit s’agir de Paul et Lawrence.

Je les battais déjà quand j’avais dixans !

Rafe ouvrit des yeux effarés.— Tu jouais au poker avec tes gardes

du corps ? Tu n’avais pas de poupées ?— Sexiste ! rétorqua Nina. Je n’avais

pas beaucoup d’amis de mon âge et jepréférais de toute façon les jeux degarçon.

Rafe découvrait peu à peu des détailssurprenants sur l’enfance et l’éducationde Nina. Privée de mère, elle avait

grandi seule avec son père, mais elleavait eu d’étranges compagnons de jeu.

— En tout cas, Gerry te remercied’avoir discrètement laissé tes deuxagents de surveillance à l’entrée.

— Je reconnais que leur présence estparfois pesante.

— Ne t’inquiète pas, ils ne me gênentpas.

Elle baissa les yeux sur sonchampagne.

— Que fêtons-nous ?— La vie ?Nina leva son verre avec un sourire

pour trinquer avec Rafe. Elle adorait lechampagne rosé, et tout spécialement lamarque que Rafe avait choisie. Etait-ceune simple coïncidence ?

Croisant son regard soupçonneux,Rafe répondit à la question qui luibrûlait les lèvres.

— J’ai téléphoné à ton père pour luidemander quel était ton vin préféré.

Nina écarquilla les yeux.— Tu as fait cela ?— Oui.Posant nonchalamment les coudes sur

la table, Rafe détailla Nina tout à sonaise, sans la moindre gêne.

Elle portait un fourreau noir pailleté,sans manches et très près du corps, avecun joli décolleté. Une légère ombre àpaupières vert pâle rappelait l’émeraudede ses yeux et un rouge à lèvres couleurpêche, un peu plus soutenu que sonblush, complétait son maquillage. Ses

cheveux rassemblés en chignon sur lesommet du crâne dégageaient son cougracile.

Paradoxalement, alors que son pèrepossédait une collection de bijouxextraordinaires, elle n’en portait pas,sauf deux petits diamants aux oreilles.Rien ne distrayait l’attention de sacarnation satinée, dénuée de la moindreimperfection.

Cette sobriété même, un combled’élégance et de raffinement, la rendaitplus belle que les autres femmes, trèsmaquillées et couvertes de bijoux. Tousles hommes l’avaient regardée, quand ilsétaient entrés. D’instinct, Rafe l’avaitprise par la taille pendant qu’ilstraversaient la salle pour aller s’asseoir.

Ce n’était pas un geste de propriétaire,mais plutôt une façon de montrer safierté. Car c’était très flatteurd’accompagner Nina. Curieusement, ilse sentait aussi investi d’une mission deprotecteur.

Elle humecta ses lèvres du bout de lalangue.

— Tu as parlé à mon père… ? finit-elle par demander.

— Je l’ai appelé pour le remercier dudîner d’hier soir, par politesse.

— C’est tout ?— J’en ai profité pour lui demander

quel était ton vin préféré, je te l’ai déjàdit.

Cela paraissait assez banal, mais pasaprès la mise en garde de son père, la

veille.Elle grimaça une moue sceptique.— Et vous avez bavardé comme si de

rien n’était ?— Il est extrêmement soucieux de ton

bonheur.Il but une gorgée de champagne et

recommença à la regarder par-dessusson verre.

— Rafe…— Détends-toi, Nina, l’interrompit-il

d’une voix apaisante. Regardons la carteet choisissons notre menu. Ensuite, si tuen as envie, nous reprendrons cetteconversation.

Elle n’avait pas l’intentiond’abandonner le sujet. Finalement, cecoup de téléphone avait peut-être

influencé son père. Cela expliquait entout cas qu’il n’ait pas eu l’air surprislorsqu’elle lui avait annoncé qu’elleétait invitée.

Quand le majordome s’éloigna aprèsavoir pris leur commande, Rafe croisales bras sur la table.

— Je vois à ton expression que tucontinues à te poser des questions.

— Je suis si transparente ?— Oh non, loin de là !Au contraire, plus il côtoyait Nina,

plus elle lui semblait mystérieuse.Des recherches sur internet lui avaient

fourni quelques informations. Nina etson père vivaient seuls tous les deuxdepuis qu’elle avait cinq ans. Unprécepteur avait assuré son éducation à

domicile pendant sa petite enfance. Puisdes professeurs particuliers avaientsupervisé ses études secondaires. Aprèsavoir passé tant d’années sous étroitesurveillance, Rafe se demandaitcomment elle avait pu s’échapper pourentrer à l’université.

Dmitri Palitov ne s’était certainementpas séparé d’elle de gaieté de cœur.Nina avait d’autant plus de mérited’avoir brisé le cocon protecteur.

Néanmoins, après avoir goûté à laliberté pendant trois ans, elle avait dûrentrer à New York où elle avaitretrouvé l’atmosphère oppressante de savie auprès de son père. Même si elleavait maintenant son propreappartement, elle habitait dans le même

immeuble, sous sa protectionrapprochée. Et son travail au sein del’entreprise familiale ne l’émancipaitguère.

Tous les efforts de Rafe pour obtenirdes renseignements supplémentaires ausujet de Dmitri Palitov s’étaient heurtésà un mur. Il n’avait rien trouvé sur lamort de sa femme Anna, et l’accident quiavait coûté à Dmitri Palitov l’usage deses jambes était à peine mentionné.

Le mystère s’épaississait autour deNina, si réservée mais en même temps sibelle, intelligente et talentueuse. Sexy etfascinante, aussi…

— Je n’avais aucune idée derrière latête quand j’ai appelé ton père, luiassura Rafe doucement. Je ne bravais

pas l’avertissement qu’il m’a lancé hiersoir.

— Non ?— Non. Je ne suis ni mesquin ni

agressif.Un peu honteuse, Nina rougit.— Alors pourquoi l’as-tu fait ?— Pour t’épargner la corvée de lui

annoncer toi-même notre rendez-vous.Rafe lui prit la main.— Nina, je sais combien vous êtes

proches, ton père et toi, et je ne voudraissurtout pas causer de tension entre vous.J’ai envie que toi et moi, nousapprenions à nous connaître, mais je n’aipas l’intention de te compliquer la vie.Au contraire, je veux t’aider.

C’était tellement gentil que Nina en eut

les larmes aux yeux. Rafe rassemblaitdéjà trop de qualités en une seulepersonne. Il était beau, charmant,amusant, séduisant…

Depuis le moment où elle lui avaitouvert sa porte, tout à l’heure, tous sessens étaient en éveil. Sa présencel’exaltait. Il était arrivé les cheveuxencore humides de la douche et rasé defrais. Mais il avait la barbe si druequ’une ombre persistante soulignait samâchoire. Dès qu’il avait posé sur elleses yeux pailletés d’or, elle avait sentiun petit frisson courir le long de sondos…

S’il fallait ajouter la compréhension etl’empathie à tous ses atouts, elle n’auraitjamais la force de lui résister.

Quoi que Rafe ait dit à son père, ilavait préparé le terrain et elle lui enétait infiniment reconnaissante.

— Dmitri et moi ne sommes pasencore certains de nous apprécier,continua Rafe. Mais nous nousrespectons, ce qui est un bon début.

Oui, le père de Nina, avec ses idéesun peu désuètes sur l’éducation et lesbonnes manières, avait probablementapprécié l’initiative de Rafe, même s’iln’approuvait pas son invitation. En toutcas, il admirait et estimait la force decaractère, ce que Rafe avait enabondance.

Nina eut une petite grimace de regret.— Je suis désolée d’avoir douté de tes

motifs.

— Nous n’allons pas passer la soiréeà nous excuser, déclara-t-il en pressantdoucement ses doigts.

Puis il la lâcha car le serveurapportait les hors-d’œuvre.

— Parle-moi de ton travail àArchangel, dit-elle.

— Cela t’intéresse ?— Oui. Je sais que tu gères les trois

galeries avec tes frères à tour de rôle,n’est-ce pas ?

Rafe lui confia quelques-uns de sesprojets. Il lui raconta aussi toutes sortesd’anecdotes amusantes de son enfance.Espiègle dès son plus jeune âge, il avaitfait les quatre cents coups. Un jour, avecGabriel, il avait même mis unegrenouille dans le lit de sa grand-mère

qui était en vacances chez eux.— Ta pauvre mère ! s’exclama Nina

en riant. Et Michael ? Il faisait aussibeaucoup de bêtises ?

Rafe secoua la tête.— A douze ans, il était déjà

raisonnable.Lorsqu’elle avait rencontré Michael

D’Angelo, Nina avait effectivement étéfrappée par son esprit de sérieux et soncomportement réservé.

— Avec deux chenapans comme vous,il n’avait peut-être pas le choix,remarqua-t-elle.

Rafe médita un instant ses paroles. Quisait ? Son frère aîné se cachait peut-êtrederrière un masque, lui aussi…

— Je n’y avais jamais pensé, mais tu

as peut-être raison, concéda-t-il. Apropos, j’ai bavardé avec lui cet après-midi.

— Il est à New York ?— Non, je l’ai appelé en

visioconférence.— Tu es un homme très occupé !Rafe avait répondu très spontanément

à ses questions et elle avait l’impressionde le connaître un peu mieux, désormais.

— Les paparazzis brossent de toi unportrait très différent, observa-t-elleavec malice.

— Ils s’intéressent davantage à ma vienocturne, soi-disant très agitée…

— Ils n’ont tout de même pas inventétoutes ces jolies femmes pendues à tonbras !

Rafe préféra changer de sujet.— J’ai téléphoné à Michael pour une

raison bien précise. Je voulais luidemander son avis avant de te soumettreune proposition. Que dirais-tu deconcevoir de nouvelles vitrinesd’exposition pour nos trois galeries ?

— Moi ?Elle paraissait plus étonnée

qu’enthousiaste.— Oui. Celles que tu as dessinées

pour ton père sont particulièrementbelles, avec des lignes sobres etélégantes qui conviendraient à merveilleà Archangel.

— Eh bien… J’ai déjà beaucoup detravail.

— Avec ton père.

Nina perçut de la réprobation dans leton de Rafe, comme s’il trouvaitdommage que ses études à laprestigieuse université de Stanford ne luiaient pas permis de quitter le nid.

Il ne pouvait pas comprendre.Personne ne savait ce qui s’était passédix-neuf ans plus tôt. Son père avait uséde son influence et de sa fortune pourfaire disparaître toute trace desévénements.

— Tu ne rêves pas d’avoir une vie àtoi ? reprit Rafe. Tu n’as pas d’autreambition que de rester dans l’ombre deton père ?

Elle pâlit sous le choc de sonaccusation. Sans doute s’autorisait-ilcette franchise parce qu’il venait lui-

même de lui livrer quelquesconfidences.

— Tu es injuste ! Je ne mérite pas tasévérité.

— Mais c’est vrai, non ?— Merci pour ce délicieux repas,

Rafe, mais il est temps pour moi derentrer.

Elle posa sa serviette sur la table et sedétourna avec raideur. Rafe n’avait pasle droit de lui parler ainsi.

— Je te raccompagne, dit-il.— Lawrence et Paul me reconduiront.Rafe secoua lentement la tête.— Je t’ai amenée ici. Nous repartirons

dans ma voiture.— Pour continuer à m’insulter ? lança-

t-elle avec colère. Tu m’en veux parce

que je t’ai posé trop de questions ? Turegrettes de m’avoir répondu ?

Elle se leva, mais Rafe la rattrapa parle bras.

— Et toi, Nina, tu prends la fuitechaque fois que quelqu’un t’approched’un peu trop près ?

— Oui, je cours me réfugier chezpapa ! s’écria-t-elle, les larmes auxyeux.

— Je n’ai pas dit cela, protesta-t-il.— Mais tu l’as pensé, répondit-elle en

essayant de se dégager.Ils commençaient à attirer l’attention.— Ne provoque pas un scandale,

Rafe, marmonna-t-elle comme plusieurstêtes se tournaient vers eux.

Quel gâchis ! Alors qu’ils avaient

passé une si bonne soirée…Nina possédait évidemment des rêves

bien à elle. Elle en avait d’ailleursréalisé un en obtenant son diplôme dedesign à Stanford.

Malheureusement, elle ne s’attendaitpas à retrouver son père aussi diminué àson retour, trois ans plus tard. Elles’était sentie un peu responsable car ils’était beaucoup inquiété en sonabsence. Elle n’avait pas eu la forced’exiger davantage qu’un appartementindépendant dans son immeuble.

Pourtant, elle n’avait pas abandonnél’idée de monter sa propre affaire. Laproposition de Rafe lui aurait peut-êtremis le pied à l’étrier. Sur le moment, laperspective l’avait enchantée.

Puis, presque aussitôt, elle s’étaitravisée. Cela ne pourrait pas seconcrétiser. Pas du vivant de son père entout cas, et Nina espérait qu’il avaitencore de longues années devant lui.

— Lâche-moi, Rafe ! reprit-ellesèchement. Sinon, tu risques d’avoirdemain une photo de toi dans lesjournaux en train de violenter unefemme…

Décidément, songea Rafe, Nina et luifinissaient toujours par se disputer.

Il avait peut-être exagéré en laprovoquant sur un point sensible. En toutcas, il n’aurait pas dû insister.

Pourquoi l’avait-il attaquée sur sa viepersonnelle ?

Peut-être parce qu’elle l’avait obligé à

se dévoiler… Il éprouvait le besoin dese défendre. En tombant le masque deplay-boy, il avait révélé des facettescachées que personne ne connaissait endehors de sa famille. Cela l’avaitdéstabilisé. Avant Nina, aucune femmene s’était aventurée aussi loin dans sonintimité.

Mais elle n’allait pas continuer àl’humilier !

— Nous discuterons dans la voiture,déclara-t-il avec raideur.

— Je rentre avec Lawrence et Paul, jete l’ai déjà dit.

— Non, Nina. Ce n’est pas toi qui vasdécider qui te raccompagne, énonça-t-ilfermement en la conduisant par le coudevers la sortie.

Il salua Gerry d’un bref signe de têteet s’arrêta à la réception pour prendrel’étole en cachemire de Nina. Ilrepasserait dans la semaine pour réglerl’addition et expliquer à son amipourquoi ils étaient partisprécipitamment.

— J’emmène Nina chez moi, lâcha-t-ild’un ton sec aux deux gardes du corps enfaction. Vous connaissez l’adresse,j’imagine ?

Il s’engouffra dans le premierascenseur avec la jeune femme, tandisque Paul et Lawrence prenaient ledeuxième.

— Rafe.— Pas maintenant, dit-il, les dents

serrées.

— Mais…— S’il te plaît, Nina. J’ai déjà du mal

à me contrôler…Il s’interrompit un instant pour calmer

sa respiration.— Je veux simplement sortir d’ici et

aller chez moi.Gerry avait fait le nécessaire pour

prévenir le voiturier, qui avait déjàramené sa voiture devant l’entrée et enfaisait le tour pour ouvrir la portièrecôté passager. Derrière eux, Lawrenceet Paul se dépêchaient de suivre lemouvement.

Pas un mot ne fut prononcé durant toutle trajet. Rafe se remémora lesdifférentes étapes de l’incident, dont ilétait indéniablement le seul et unique

responsable. Ce qui était d’autant plusfâcheux qu’il voulait sincèrementépargner Nina.

— Je suis désolé, soupira-t-il engarant la voiture. Ma remarque étaitdéplacée.

— Ce n’est pas grave, murmura Ninaen essuyant une larme.

— Si, répliqua-t-il, confus.Nina laissa échapper un sanglot. Quel

dommage qu’une soirée qui avait si biencommencé et dont elle se faisait une joiese termine aussi lamentablement…

Elle avait pourtant découvert avec unréel plaisir un homme différent de celuiqu’elle imaginait, très éloigné de saréputation de play-boy et de séducteur.

Il avait su tenir tête à son père sans

pour autant le provoquer. Et il semblaitvraiment s’intéresser à elle. Mais ilvalait peut-être mieux pour tout lemonde que leur relation naissante n’aillepas plus loin.

6.

— Tu te sens mieux ?— Oui, merci.Après avoir bu une gorgée, Nina

reposa le verre de cognac que Rafe avaitinsisté pour lui servir. Finalement, elleavait accepté de monter chez lui. Si celadevait être leur seul rendez-vous, autantrester sur un bon souvenir…

Le décor très moderne, futuriste même,de l’appartement l’avait surprise et un

peu déçue. Des tons de noir, argent etblanc dominaient, dégageant uneimpression assez froide etimpersonnelle. Seules les œuvres d’artoriginales accrochées au mur et la vuefabuleuse sur New York apportaient auxlieux un cachet particulier, mais sansrefléter ni la personnalité ni la sensualitéde leur occupant.

— Nous sommes tous les troispropriétaires, expliqua-t-il comme s’illisait dans ses pensées. Chacun de nousutilise l’appartement à tour de rôlequand il est à New York.

— Alors, tu ne restes jamais trèslongtemps au même endroit ?

— Nous changeons à peu près tous lesdeux mois, parfois plus souvent, cela

dépend des circonstances. En cemoment, nous préparons une expositionà Paris pour le mois prochain. CommeGabriel est en voyage de noces, Michaela décidé de rester un peu en France. Aufait, il arrivera vendredi soir pour levernissage.

Rafe parlait tant pour se donner unecontenance que pour la mettre à l’aise.

— Cela fera plaisir à mon père.— Michael ne pouvait pas manquer

cette occasion.C’était malgré tout Rafe qui s’occupait

de tout, preuve supplémentaire qu’iln’était pas l’écervelé irresponsable queles journalistes se plaisaient à décrire.

Rafe reposa lui aussi son verre sur latable basse et s’accroupit devant Nina

pour lui prendre la main.— Je suis vraiment désolé de t’avoir

fait pleurer, tout à l’heure, murmura-t-ild’un ton bourru. Je n’aurais pas dû memontrer aussi dur.

Elle tremblait légèrement.— Ce n’est pas ta faute. Tu ne peux

pas comprendre, et je ne peux pas nonplus t’expliquer.

Il plissa les yeux.— Pourquoi ?— Ce n’est pas possible.— Mais enfin, pourquoi ? répéta-t-il.— Parce que je ne suis pas seule en

cause.Evidemment, d’autres personnes

étaient impliquées. Rafe avait aussideviné que cette histoire survenue dix-

neuf ans plus tôt avait un lien nonseulement avec la mort de la mère deNina, mais avec l’accident de DmitriPalitov.

La coïncidence des deux événements,à quelques semaines d’intervalle, ainsique le mutisme obstiné de Ninal’intriguaient beaucoup. Il y avaitquelque chose de bizarre dans cetteaffaire. Il avait envie de percer lemystère, non par simple curiosité, maispour comprendre les raisons quipoussaient Nina à mener une existenceétriquée dans l’ombre de son père.

N’éprouvait-elle jamais le désir de selibérer pour vivre au grand jour ?

Il se promit de percer son secret, dedécouvrir pourquoi Dmitri Palitov

protégeait sa fille au point de l’étouffer.Après ses recherches infructueuses sur

internet, Rafe avait échafaudé toutessortes de scénarios. Anna Palitov avaitpeut-être tout simplement quitté son mariet sa fille ? Cela expliquerait lecomportement exagérément possessif deDmitri.

Devant la frustration de Rafe, Ninaesquissa un sourire triste. Il réprimaitavec difficulté son impatience et nesupportait pas qu’on lui résiste. Elle luiposait une énigme et il n’avait pasl’habitude de buter sur un problème sanstrouver la clé pour le résoudre.

Nina n’avait aucun souvenir véritablede ce qui s’était passé lorsqu’elle avaitcinq ans. Elle savait seulement ce que

son père lui avait expliqué lorsqu’elleétait un peu plus grande et capable desupporter l’horreur qui avait transformépour toujours leur existence.

Elle revoyait comme si c’était hier levisage de son père ravagé par ladouleur.

Oh ! A cinq ans, elle avaitparfaitement compris que sa mère avaitdisparu de sa vie. Elle avait beaucouppleuré, sombrant parfois dans des crisesde rage et de désespoir. Son père laconsolait du mieux qu’il pouvait. Il luiexpliquait que sa mère n’avait pas voulules abandonner mais qu’elle n’avait paseu le choix.

Mais il avait fallu attendre cinq autreslongues années pour que son père lui

dévoile les circonstances de sadisparition.

Anna avait été kidnappée.Et ses ravisseurs avaient demandé une

rançon.Dmitri s’était rendu à leurs exigences

pour retrouver son épouse bien-aimée.Conformément à leurs revendications, iln’avait pas prévenu la police, ni lapresse, parce qu’ils menaçaient de latuer s’il le faisait.

Malheureusement, le versement de larançon n’avait pas empêché leskidnappeurs d’assassiner leur otage,privant Nina de sa maman chérie etDmitri de sa femme adorée.

Dmitri avait alors résolu depourchasser les assassins.

Après avoir retrouvé leur trace, il lesavait contactés pour leur fixer un rendez-vous. Mais leurs voitures étaient entréesen collision. Deux des malfaiteursétaient morts sur le coup et Dmitri étaitresté handicapé.

Nina avait toujours eu des doutes surles circonstances de cet accident. Ellesoupçonnait son père d’avoir eul’intention de tuer les trois criminelspour venger la mort d’Anna. Mais ellen’avait jamais osé l’interrogerouvertement.

Ignorant les réponses à ses questions,elle ne pouvait parler à personne de cequi était arrivé dix-neuf ans plus tôt. Sonpère était peut-être impliqué dans unehistoire trouble et elle avait trop peur de

réveiller de vieux démons. Elle n’avaitjamais eu le courage non plus dedemander ce qu’était devenu letroisième malfaiteur.

Il lui était impossible de se confier àRafe, au risque de perdre à tout jamaiscet homme qui lui plaisait infiniment.

Elle prit une profonde inspiration.— Il est temps que je m’en aille.Rafe s’attendait à cette conclusion.— Tu recommences à te dérober, lui

reprocha-t-il doucement.— Oui, confirma-t-elle sans s’excuser.Il fronça les sourcils.— Tu n’es pas obligée de partir.— Si.Il secoua la tête.— Je n’ai pas envie que tu t’en ailles.

Il voulait que Nina reste ici, dans cetappartement, chez lui, dans son lit. Il nese souvenait pas d’avoir jamais désiréquelque chose aussi fort.

Il prit ses deux mains dans les sienneset scruta longuement son regard.

— Ne t’en va pas, Nina. Passe la nuitavec moi.

La gorge de Nina se contracta et soncœur se mit à battre très vite. L’éclat quibrillait dans les yeux d’or de Rafe labouleversait tout autant que les motsqu’il venait de prononcer.

— Tu serais déçu.— Pardon ? s’écria Rafe, incrédule.Nina s’empourpra.— Je…Elle passa le bout de la langue sur ses

lèvres sèches.— Je n’ai pas beaucoup d’expérience,

Rafe. Je ne suis pas vierge non plus,s’empressa-t-elle d’ajouter pourdissiper tout malentendu. Mais je neressemble certainement pas aux femmesque…

Il pressa le bout de ses doigts sur sabouche pour lui intimer le silence.

— Nina, peu importent les autres. Iln’y a que l’instant présent qui compte, etce que nous voulons tous les deux. Moi,j’ai très envie de toi. Et toi ?

Quelle question…Le désir de Nina était né dès le

premier instant où elle avait vu RaphaelD’Angelo, debout sur le seuil de lagalerie Archangel.

Il l’avait manifestement prise pour ungarçon et elle s’était beaucoup amuséede sa stupeur quand elle avait enlevé sacasquette pour libérer son opulentechevelure rousse.

Rafe éveillait en elle une sensualitéprofondément enfouie. Son désirs’animait dès qu’il était là et qu’il laregardait. Comme en ce moment. Sesyeux pailletés d’or guettaientimpatiemment sa réponse et il n’attendaitqu’un signe pour l’embrasser.

Nina avait une folle envie de dire oui.Tout son être se tendait vers lui. Jamaiselle n’avait éprouvé cela pour aucunhomme. Elle voulait frissonner sous sescaresses et ses baisers. Son souhait leplus ardent était qu’il lui fasse l’amour.

Qu’est-ce qui l’en empêchait ?Pourquoi ne s’accorderait-elle pas unenuit avec lui ? Pourquoi s’interdire leplaisir de se perdre dans son étreinte,puisque l’occasion lui en était donnée ?Une seule fois…

Car cela ne se reproduirait pas, Ninale savait déjà. Rafe était trop intelligent,trop curieux aussi, pour ne pasl’interroger sur son passé. Et elle n’avaitpas le droit de mettre son père en dangeren satisfaisant la curiosité de Rafe.

Elle humecta ses lèvres sèches ensoutenant son regard.

— Oui, Rafe, moi aussi j’ai envie detoi, déclara-t-elle très doucement, maisavec une tranquillité pleine d’assurance.

Le doute avait disparu de son esprit.

Elle vivrait cette nuit unique et sedonnerait totalement, sans retenue.Pourquoi pas ? Après tout, les hommesle faisaient tout le temps, et Rafe lepremier.

— Tout de suite, ajouta-t-elle,déterminée.

— Je le savais…Il n’était pas triomphant, seulement

satisfait.Il la prit par la main et elle le suivit

sans hésiter jusqu’à la chambre.Débarrassée de ses dernières craintes,elle le regarda allumer la lampe dechevet. Puis il prit son visage entre sesmains et se pencha tout près.

— Tu es si belle…, murmura-t-ild’une voix rauque.

— Embrasse-moi, Rafe.— Tes lèvres me rendent fou, depuis

le tout premier instant où je t’ai vue.Elle cligna les paupières.— Vraiment ?— Oui, elles sont irrésistibles, et si

appétissantes que j’en rêve toutes lesnuits. Je les imagine sur mon corps,partout…

Nina rougit.— Cela ne t’a pas empêché de

coucher avec une autre femme le jour oùtu m’as rencontrée.

— Détrompe-toi. Nous avonssimplement dîné ensemble. Je ne pensaisqu’à toi…

Un frisson délicieux courut dans le dosde Nina. Il n’avait pas séduit Jennifer

Nichols… C’était elle, qu’il désirait.Elle, Nina Palitov.

— Alors je serais ravie de satisfairetes fantasmes, avoua-t-elle.

Toutes les règles de prudence queRafe s’était imposées s’envolèrentcomme par magie. Tout à coup, il semoquait éperdument des complicationsqui ne manqueraient pas de surgir avecune femme comme Nina Palitov.

Tout en pressant le visage de Ninaentre ses paumes, il savoura le goût deces lèvres qui l’obsédaient depuis troisjours. Nina lui rendit son baiser avecune ferveur croissante, et bientôt sesmains se glissèrent sous sa veste poursentir la chaleur de son corps.

La soirée s’achevait finalement d’une

manière que Rafe n’osait plus espérer.Mais la nuit ne faisait que commencer.

Sans cesser d’embrasser Nina, ildétacha le clip qui retenait ses bouclesd’or cuivré. Puis il ôta sa veste et la jetapar terre. Avec un gémissement rauque,Nina se blottit contre lui tout enpromenant avidement les mains sur sondos musclé.

La barrière des vêtements devenaitgênante. Rafe avait besoin de voir et detoucher les petits seins ronds de Nina. Ilvoulait entendre ses adorables cris deplaisir sous la caresse de ses doigts etde sa langue.

Il fit glisser sa bouche le long de sagorge, comme une brûlure, pendant qu’ildescendait la fermeture Eclair de sa

robe. Puis il fit glisser les bretelles surses épaules et le vêtement tomba dans unbruissement.

— Tu es superbe, souffla-t-il,subjugué.

Nina se tenait presque nue devant lui,avec juste une minuscule culotte dedentelle noire et ses chaussures à talonsaiguilles. Ses longs cheveux retombaienten une masse soyeuse sur ses épaules etsa poitrine.

— Je te plais ? demanda Ninatimidement.

Il la dévorait des yeux avec une fièvremal contenue.

— Oh ! infiniment… Enlève tout,Nina, je t’en prie.

Elle lui obéit de bonne grâce et

avoua :— J’ai pensé à toi en m’habillant…Le désir ardent qui brillait dans les

yeux de Rafe la libérait de toute honte oufausse pudeur.

— … parce que je rêvais de passer lanuit avec toi.

Il scruta son visage pendant un tempsqui parut une éternité, avant de hocher latête d’un air satisfait.

— Je ne vais pas garder mesvêtements, murmura-t-il en reculant.

Il écarta légèrement les bras, dans ungeste d’invitation.

Nina n’avait encore jamais déshabilléun homme. Ses deux aventuresprécédentes avaient été hâtives etmaladroites. Elle commença par défaire

en tremblant son nœud papillon. Puiselle déboutonna sa chemise de soie et enécarta les pans pour savourer la vue deson torse musclé, sculptural. Sur sa peaumate et bronzée, une toison brunedessinait un V qui descendait vers lenombril.

— Dépêche-toi, Nina, la pressa-t-il ense débarrassant de ses chaussures.

Agitée par un frisson incoercible, elledéfit la boucle de sa ceinture et lafermeture du pantalon. Elle retint sonsouffle en voyant le renflement éloquentdu caleçon noir. Un instant, elle relevala tête, mais détourna aussitôt le regarddevant l’intensité qui brûlait dans lesyeux de Rafe.

Elle pouvait le faire… Elle s’en

sentait capable. De toute façon, le désirétait trop fort. Elle avait besoin detoucher Rafe, de le caresser.

Elle s’agenouilla devant lui, glissa lebout des doigts sous l’élastique, sur lapeau chaude.

Rafe possédait un corps parfait. Onaurait cru une statue antique.

Nina posa les paumes sur ses cuisses,de chaque côté, et se pencha vers sonsexe érigé, pour en goûter la saveurlégèrement salée. Encouragée par sesgrognements de plaisir et ses mains quis’agrippaient à ses épaules, elle ouvritla bouche pour l’accueillir.

Rafe n’osa plus respirer lorsque leslèvres délicieusement pulpeuses de Ninase refermèrent sur lui. Il s’immobilisa

pour s’abandonner à son pouvoir et ausupplice exquis qu’elle lui infligeait. Ilavait tant rêvé de ses caresses qu’ilavait l’impression d’être transporté dansun monde irréel et merveilleux.

Toute vibrante d’émotion, Nina,inlassablement, continua à lui prodiguerses attentions, l’amenant peu à peu toutau bord du plaisir.

— Non, Nina, arrête !Il s’écarta à regret et émit un petit rire

devant sa moue de déception.— Cela va se terminer trop vite, si tu

continues, expliqua-t-il d’une voixaltérée.

Il la souleva dans ses bras pour laporter sur le lit.

— A mon tour maintenant d’explorer

ton corps et de te goûter, chuchota-t-il enla déposant délicatement sur les drapsde satin.

Avec sa peau laiteuse et ses cheveuxd’or cuivré, Nina ressemblait à unedéesse des temps anciens.

Elle se cambra pour lui offrir sesseins, dont il se délecta avec unegourmandise insatiable. Pendant qu’illes tourmentait sans répit, elle sentit sonventre se creuser. De sa main libre, Rafeécarta doucement ses cuisses pour seperdre dans son sexe. Ses assautsrépétés entraînèrent Nina dans unmaelström de sensations d’une violenceinouïe et, peu à peu, elle céda à lavolupté.

Il n’en continua pas moins son

supplice exquis, exacerbant ses sens leplus longtemps possible.

Elle s’ouvrait à lui avec tant debonheur qu’il se laissa glisser le long deson corps, remplaçant la caresse de sesdoigts par des baisers audacieux. Dansune sorte d’affolement incontrôlable,Nina sombra une deuxième fois, encriant son nom, encore et encore.

— Je veux te sentir en moi, Rafe,supplia-t-elle en s’agrippant à sescheveux.

Jamais elle n’avait éprouvé cela.C’était bouleversant.

— J’en ai tellement envie, gémit-elle.Elle poussa un petit cri plaintif quand

il remonta lentement, parsemant soncorps de baisers. Puis, posant les coudes

de chaque côté de son visage, il fouillalonguement son expression.

— Tu es si belle…Il l’embrassa avec une fougue et une

passion décuplées, tout en la pénétrantsans hâte, pour lui laisser le temps des’habituer à ce nouveau plaisir. Ravagéep a r l’intensité de son désir, Ninainterrompit leur baiser pour seconcentrer tout entière sur lesimpressions inconnues quil’envahissaient lentement.

Quand Rafe enfouit le visage dans lecreux de son cou tout en mordillant sapeau délicate, Nina eut l’impression dese perdre dans un univers immense,encore étranger et mystérieux.

— Plus fort, Rafe !

Elle enfonça les ongles dans la chairde ses épaules et replia les jambesautour de ses cuisses, en s’arc-boutant àsa rencontre. Son corps se contractaviolemment, jusqu’à ce qu’elle finissepar perdre tout contrôle.

Secouant la tête de droite et de gauchesur l’oreiller, elle cria en s’abîmantdans un oubli plus profond encore queles deux premières fois. Avecl’impression d’être engloutie sous unraz-de-marée, elle entendit, commeassourdis, les grognements sourds deRafe, lui aussi précipité dansl’inconscience. Au plus fort de l’extase,leurs regards se croisèrent et restèrentaccrochés l’un à l’autre, dans unecommunion absolue.

* * *

Rafe s’éveilla le lendemain matin lesourire aux lèvres, avec la délicieusesensation qu’un rayon de soleil jouaitsur ses paupières closes. Il était heureux.La longue nuit de passion qu’il avaitpartagée avec Nina l’emplissait d’unejoie ineffable.

Epuisés, ils avaient fini pars’endormir dans les bras l’un de l’autre.Mais ils s’étaient réveillés quelquesheures plus tard pour connaître denouveaux plaisirs. Ils ne se lassaient pasde cette découverte extraordinaire ducorps de l’autre.

Rafe s’étonnait de ne jamais avoirressenti cela, avec aucune femme.

Son sourire s’élargit encore quand ilsongea à la perspective d’une grassematinée avec Nina. Peut-être même,pourquoi pas, passerait-il toute lajournée au lit avec elle…

Mais d’abord il fallait songer au petitdéjeuner. Il mourait de faim et elle aussi,sans doute. Il lui prêterait l’une de seschemises de soie blanche, et ill’imaginait déjà déambulant ainsi vêtuedans l’appartement.

Il ne l’entendait même pas respirer.Elle devait dormir profondément.

Allait-il la réveiller d’un baiser surl’épaule ? Ou d’une caresse sur sa peausatinée et son corps languide ?

Il roula sur le côté.— Nina, je…

Il s’arrêta net. Elle était déjà levée.— Nina ? appela-t-il doucement en

sautant au bas du lit.N’obtenant aucune réponse, il se

dirigea pieds nus vers la cuisine.— C’est moi qui prépare le petit

déjeuner ! lança-t-il d’un ton enjoué.Personne.Et le reste de l’appartement était vide.— Bon sang ! s’exclama-t-il avec

colère en regagnant la chambre.Les vêtements et les chaussures de

Nina avaient disparu. Il ne subsistaitplus aucune trace de son passage.

Elle était partie.

7.

— Qu’est-ce qui t’a pris, de te sauvercomme une voleuse ?

Nina était en train de disposer uncollier sur un fond de velours grenat. Auson de la voix de Rafe qui l’apostrophaitavec colère, elle s’immobilisa et levalentement les yeux.

Il avait l’air furieux. Il ne subsistaitplus aucun signe de l’amant attentif etpassionné qu’elle avait découvert la nuit

précédente.Nina avait vécu le plaisir comme une

révélation. En comparaison, ses deuxexpériences précédentes lui paraissaientd’une banalité affligeante. Ellecomprenait maintenant toute la puissancerecélée dans la sexualité.

Rafe s’était montré tout à la foistendre, fougueux, prodigieusementérotique… Il l’avait amenée plusieursfois au paroxysme de la volupté,explorant chaque centimètre de sa peautout en l’invitant au partage.

Nina rougit au souvenir de leurintimité. Son être n’avait plus le moindresecret pour la bouche et les doigts deRafe et elle avait elle-mêmel’impression de le connaître mieux

qu’elle ne connaissait son propre corps.— C’est bon, dit-elle à Rich et Andy

qui s’approchèrent immédiatement pourla protéger.

Dans son costume sombre et sachemise gris perle à la cravate assortie,Rafe D’Angelo, encadré dansl’embrasure de la porte, semblait lesnarguer de toute sa hauteur. Exactementcomme le premier matin où il étaitapparu, à peine trois jours plus tôt,même si cela semblait une éternité àNina.

Pas seulement parce que le plaisirphysique s’était dévoilé à elle… Lespropos de Rafe, la veille lorsqu’ilss’étaient disputés, la faisaient réfléchir.Elle se posait beaucoup de questions sur

sa manière de vivre.Elle avait toujours veillé avant tout à

préserver son père, parce qu’il avaitbeaucoup souffert. Mais ce que Rafe luiavait dit avait fissuré la carapace quiétouffait ses rêves et ses espoirs. Etait-ilréellement nécessaire, après tantd’années, de continuer à vivre à l’ombredu passé ?

N’y avait-il pas moyen de trouver uncompromis ? Une façon de rassurer sonpère qui lui permettrait en même tempsde voler de ses propres ailes ? Au lieud’avoir constamment l’impression d’êtreenfermée dans une cage dorée…

— Non, ce n’est pas bon du tout,aboya Rafe en toisant les deux gardes ducorps d’un air menaçant. Nous montons

discuter dans mon bureau.Il s’écarta légèrement pour la laisser

passer. Tout, dans sa posture, exprimaitune rage sourde, prête à exploser, trèséloignée de la façade charmeuse qu’ilaffichait d’ordinaire.

Nina, cependant, ne comprenait pasles raisons de sa fureur. Ils avaientpassé une excellente soirée aurestaurant, et une nuit absolument divine.Que lui arrivait-il ?

Avait-elle commis une erreur quelquepart ? N’était-ce pas ainsi que les gensse comportaient dans ce genre derelations ? Il avait pourtant l’habitudedes aventures d’un soir…

— Je suis occupée, Rafe.— Peu importe ! Tu viens avec moi !

Tout de suite !— Ne parlez pas à Mlle Palitov sur ce

ton, monsieur D’Angelo, intervint l’undes gardes du corps.

— Et vous, ne vous mêlez pas de mesaffaires ! rétorqua Rafe sans chercher àmaîtriser son agressivité.

Il était même soulagé d’y donner librecours, car ses émotions lesubmergeaient. Depuis le moment où ils’était réveillé, il s’interrogeait sansrépit sur les raisons qui avaient pousséNina à partir en catimini. Etait-ellefâchée ? Chagrinée à cause de ce quis’était passé ? Ou les deux à la fois ?

Il n’avait même pas de numéro detéléphone où la joindre, ce qui avaitachevé de le déstabiliser. Et il ne

pouvait pas appeler Dmitri Palitov, quisavait forcément où sa fille avait passéla nuit.

Non qu’il se souciât le moins dumonde des réactions du vieux monsieur.Il était désireux de parler à Nina, maisDmitri Palitov, s’il en jugeait par samise en garde, refuserait certainement del’aider.

Après s’être douché et habillé à lahâte, Rafe s’était aussitôt rendu àl’appartement de Nina. Mais dans lehall, deux réceptionnistes musclés luiavaient barré le passage, prétendant queMlle Palitov n’était pas chez elle.

Nina leur avait-elle donné desconsignes ? En tout cas, cela nel’éclairait guère sur les intentions de la

jeune femme.Partagé entre l’irritation, la colère et

la frustration, Rafe s’était rendudirectement à la galerie. On l’avaitinformé que Nina était déjà là.

Effectivement, il l’avait trouvée enplein travail, comme si de rien n’était,comme si elle ne s’était pas éclipsée cematin avant son réveil, sans se soucierde lui le moins du monde… Du coup,ses inquiétudes et ses interrogationss’étaient transformées en une colèreirrépressible.

Il était d’autant plus furieux que,contrairement à son habitude, il avait faità Nina des confidences auxquelles il nes’était jamais laissé aller jusque-là.

En tout cas, il n’était pas d’humeur à

supporter ses sbires.— Nous pouvons parler ici ou dans

mon bureau, déclara-t-il froidement. Atoi de voir, Nina.

Même si Nina ne se sentait pas trèsrassurée, il lui semblait préférable de nepas poursuivre cette conversation devantRich et Andy. Cela risquait dedégénérer, car les trois hommes étaientprêts à en découdre.

— Très bien.Elle enleva les gants de coton qu’elle

portait pour manipuler les bijoux.— Restez là, commanda-t-elle à ses

gardes du corps. J’en ai pour une minute.— Cela m’étonnerait, marmonna Rafe

quand elle passa devant lui.Elle lui jeta un regard noir et sa colère

monta tandis qu’il la suivait sans un motdans l’escalier.

Mais dès qu’il referma la porte de sonbureau, une autre émotion, infinimentplus troublante, la submergea. Car il lacoinça contre le mur, l’emprisonnantentre ses bras tendus. Aussitôt, soncorps réagit avec traîtrise. Ses seins setendirent et son ventre se creusa.

— Explique-toi, Rafe ! ordonna-t-elleavec irritation.

Il fronça les sourcils.— Tu es partie.— Pardon ?— Pourquoi t’es-tu sauvée comme une

voleuse ce matin, Nina ?Elle secoua la tête.— Je ne comprends pas le sens de ta

question.— Tu as l’habitude de t’enfuir ainsi,

sans même dire au revoir, quand tupasses la nuit avec un homme ?

Un éclair s’alluma dans les yeux deNina.

— Je ne me suis pas sauvée.— Ah bon ?— Non. Tu dormais encore quand je

me suis réveillée, et j’avais besoin derepasser chez moi pour me changeravant de venir travailler.

— Sans un mot ?Elle haussa les épaules.— Je ne voulais pas te déranger.— Même après la nuit que nous

venions de passer ?— Oui.

Elle redressa le menton d’un air dedéfi.

— Tu m’avais annoncé l’arrivée deMichael.

— Pas avant ce soir, rétorqua-t-ilimpatiemment. De toute manière, cela nechange rien. Mon frère ne risque pas dese choquer à cause d’une femme dansl’appartement.

— Je m’en doute ! ironisa-t-elle.Même s’il en allait différemment

maintenant pour Gabriel, qui venait dese marier, les trois frères avaient àl’évidence collectionné les conquêtesféminines. Sous ses dehors austères,Michael n’échappait pas à la règle.

— Je n’avais pas envie de le croiser,ajouta-t-elle d’un ton résolu.

Rafe la scruta longuement avant des’écarter pour se placer devant lesgrandes baies vitrées, serrant les poingsdans ses poches pour résister à latentation de la toucher. Il se reprochaitavec amertume d’avoir envie del’embrasser, d’autant plus qu’elle secontrôlait parfaitement. Malgré lemanque de sommeil, elle semblait mêmetrès fraîche et tout à fait en forme. Elleportait un T-shirt de la même couleurque ses yeux, sur un jean noir à taillebasse. Elle avait attaché ses cheveux enqueue-de-cheval sur la nuque et sestaches de rousseur ressortaient sur sonvisage dénué de maquillage.

A l’opposé, Rafe était de trèsmauvaise humeur.

— Pourquoi es-tu partie ainsi, Nina ?répéta-t-il d’un ton dur.

Elle plissa le front en considérantavec perplexité cet homme qui luitournait le dos.

— C’est vraiment tout ? lança-t-elle,incrédule. Rafe D’Angelo est fâchéparce que j’ai osé quitter sonappartement sans lui demander lapermission ?

Il se retourna abruptement.— Tu n’avais pas besoin de mon

autorisation.— Vraiment ? Ce n’est pas

l’impression que tu donnes !— C’est-à-dire ?Elle lui lança un sourire dédaigneux.— Rafe D’Angelo n’a sans doute pas

l’habitude de ce genre de situation.J’imagine que c’est lui, d’ordinaire, quis’en va à l’aube sur la pointe des pieds.Et il est furieux qu’une femme ait osé luifaire cela !

La part de vérité contenue dans cetteaccusation n’aida pas Rafe à surmonterson énervement. En effet, cela ne luiposait aucun problème de partir aumilieu de la nuit après avoir séduit unefemme. Il évitait ainsi l’embarras departager le moment du petit déjeuneravec une admiratrice qu’il n’avaitnullement l’intention de revoir.

Mais Nina n’était pas comme lesautres. Non seulement il s’était confié àelle, mais c’était la première qu’ilrecevait dans l’appartement familial. Il

s’était même fait une joie d’imaginer lepetit déjeuner avec elle, au lit ou dans lacuisine. Elle aurait eu l’air tellementsexy dans l’une de ses chemises !Ensuite, ils auraient recommencé à fairel’amour…

Le départ de Nina était donc d’autantplus frustrant. Et de la trouver au travailen arrivant à la galerie n’avait rienarrangé.

— Je n’amène jamais aucune femme àl’appartement.

Elle cligna les paupières.— Vraiment ?— Oui.— Alors pourquoi m’as-tu invitée

chez toi ?— Je n’en ai pas la moindre idée,

maugréa-t-il.Elle lui lança un regard sceptique.— Cela ne te donne pas le droit de te

conduire comme un homme deNeandertal !

— Pardon ?— Un homme des cavernes !— Merci, j’avais compris.Pourquoi Nina déclenchait-elle en lui

des réactions aussi violentesqu’inexplicables ?

Elle fourra les mains dans les pochesarrière de son jean, exposant ainsiinvolontairement sa poitrine, et il sesentit aussitôt submergé par le désir.Qu’avait donc cette femme de siparticulier pour non seulement susciterses confidences, mais en plus l’exciter à

ce point ? Etaient-ce ses yeux verts, seslèvres pulpeuses, son expressionprovocante et pleine de défi ? Il n’enavait pas la moindre idée, mais elle lemettait hors de lui.

Il poussa un long soupir.— Bon, j’ai peut-être été un peu

brutal, tout à l’heure.— Un peu brutal ? lança Nina en

arpentant nerveusement la pièce, commeune tigresse prise au piège. Tu m’asmise dans l’embarras devant Rich etAndy, en te tournant de surcroît enridicule. Ils savent de toute façon où j’aipassé la nuit. Tu aurais pu m’épargner lagêne d’étaler au grand jour notreintimité, comme un sauvage…

— Ce n’est pas la peine d’insister, la

coupa Rafe.— Alors, prends-en bonne note pour

ne pas répéter la même erreur à l’avenir.— Je ferai très attention. Nos

relations…Il s’interrompit. Jamais encore il

n’avait abordé pareil sujet avec unefemme. Pourtant, il envisageait bel etbien de poursuivre son aventure avecNina.

— Il n’y a rien entre nous, Rafe,déclara Nina posément.

— Cette nuit…— Ne suffit pas à instaurer quoi que

ce soit, insista-t-elle fermement.Rafe lui jeta un coup d’œil

circonspect.— C’était pourtant…

— Très agréable, je te l’accorde,trancha-t-elle.

Elle n’oublierait jamais ces heuresprécieuses qui demeureraient à jamaisgravées dans sa mémoire. Mais en mêmetemps elle se résignait déjà à lesconsidérer comme des souvenirs. PourRafe, elle ne serait rien d’autre qu’uneconquête de plus, une victime à ajoutersur la liste déjà longue de celles quiavaient succombé à son charme.

Nina ne se plaignait pas pour autant.Elle le savait avant de s’offrir à lui. Cen’était pas la faute de Rafe si sesémotions s’en mêlaient. Elle sedemandait même si elle n’était pas déjàun peu amoureuse de lui…

Rafe refusait d’en rester là.

— Est-ce ainsi que tu te comporteshabituellement avec les hommes ?insista-t-il. Tu passes une nuit avec euxet tu t’en vas sans même dire au revoir ?

Pourquoi Nina prétendait-elle ne pasavoir d’expérience ? Son extrêmedésinvolture, de même que les délicieuxmoments qu’ils avaient partagés,indiquait tout le contraire. Et cela luidéplaisait beaucoup.

Malgré l’ironie mordante de Rafe,Nina n’avait aucune intention de fléchir.Sa décision était irrévocable. Derrièreles apparences se cachait un hommed’une curiosité et d’une intelligencerares, dont la sagacité risquait de mettreson père en danger. Il n’en était pasquestion.

Ce qui ne l’empêchait pas de leregretter…

En se réveillant, un peu après6 heures, le corps meurtri de plaisir, ellen’avait pas résisté à l’envie des’attarder quelques minutes. Rafedormait profondément et elle avaitcontemplé avec émerveillement sonbeau visage éclairé par les premiersrayons du soleil.

Il avait une expression presquejuvénile, parfaitement détendue, avecses cheveux sombres un peu trop longsqui encadraient ses traits aristocratiques.Ses longs cils jetaient une ombre sur sespommettes hautes et ses lèvressensuelles semblaient sourire dans sonsommeil.

Le drap avait glissé jusqu’à sa taille,découvrant son torse bronzé et musclé,recouvert d’une douce toison brune quidescendait vers son ventre.

Rafe était sans conteste l’homme leplus beau que Nina ait jamais rencontré.

Et il lui avait appartenu tout entier. Leplaisir qu’elle avait connu entre ses brasdépassait toutes ses espérances. Leurscorps s’étaient fondus en une harmonied’une perfection absolue, dans uneéblouissante symphonie de caresses etde baisers.

Quelle nuit merveilleuse… Cependant,alors que, étendue à côté de lui, Nina sepromettait de ne jamais l’oublier, ellesavait aussi que tout était déjà fini. Lebien-être et la sécurité de son père

l’exigeaient.Car elle s’interdisait de le mettre en

péril en échange d’une relationépisodique et incertaine avec Rafe. Saréputation de séducteur invétéré ne luilaissait aucun espoir. Il n’était pas dugenre à s’engager sur le long terme.

Elle haussa nonchalamment lesépaules.

— Il n’y a rien de pire que de seréveiller à côté de quelqu’un qu’on n’apas envie de voir.

Rafe fixa sur elle ses yeux pailletésd’or.

— C’est ce qui t’est arrivé ce matin ?— Ne sois pas ridicule, Rafe.Elle éclata d’un rire léger, un peu

forcé, pour donner le change mais sans

le détromper tout à fait.— Il est plus important pour nous de

maintenir de bonnes relationsprofessionnelles que de nous engagerdans une aventure de quelques jours ouquelques semaines tout au plus.

— De bonnes relationsprofessionnelles…, répéta-t-il d’un tonsongeur.

— Absolument. D’abord, l’expositionde mon père. Ensuite, le projet devitrines dont tu m’as parlé pour lagalerie Archangel.

— Tu as refusé, objecta Rafe.Nina évita son regard perçant.— Eh bien, j’ai réfléchi. A moins que

tu n’aies changé d’avis ?— Non, pas du tout. Mais je suis

curieux de savoir pourquoi tu t’esravisée.

Nina avait tout simplement pris debonnes résolutions concernant sonavenir. Tant pis s’il lui fallait s’opposerà son père, mais le moment était venu debriser le cocon qui l’emprisonnait pourprendre son essor. Les remarques deRafe lui avaient ouvert les yeux.

Et quel meilleur moyen que d’utiliserses talents pour faire carrière ? Sansaucune aide de la part de son père. Maissi elle acceptait l’offre de Rafe, il valaitmieux ne pas mélanger les affaires et leplaisir.

Etablies à New York, Paris etLondres, les galeries Archangelcomptaient parmi les plus prestigieuses

au monde. En travaillant pour les frèresD’Angelo, Nina était sûre d’attirerl’attention des meilleurs professionnelset collectionneurs.

— Ce serait dommage pour moi derefuser un premier contrat aussiprometteur, déclara-t-elle.

Tout en se félicitant de l’avoir amenéeà prendre cette décision importante,Rafe s’interrogeait néanmoins sur sesmotivations. Et il n’était pas du toutcontent des conséquences que celaentraînait sur leurs relations, en tout casdans l’esprit de Nina.

— Si cela te gêne de négocier uncontrat avec moi après ce qui s’estpassé, reprit-elle avec légèreté, je peuxtrès bien m’adresser à Michael.

Rafe ressentit une brûlure aiguë, quis’apparentait à la jalousie. Pourtant, iln’avait jamais ressenti d’émotions de cetordre… Décidément, Nina éveillait enlui des réactions étranges.

Il pinça les lèvres en s’obligeant à seressaisir et chassa loin de lui une penséeridicule qui lui traversait l’esprit. Non.Même s’il avait adoré faire l’amouravec Nina, il ne ressentait rien departiculier.

— L’idée vient de moi. Tu n’asaucune raison de traiter avec Michael.

Surprise par le ton coupant de Rafe,Nina scruta son expression. Etait-iljaloux ? Un homme tel que RafeD’Angelo, qui avait les plus bellesfemmes du monde à ses pieds, ne

pouvait pas connaître ce genred’émotions. Pourtant, elle y auraitpresque cru…

Non, Rafe était tout simplement vexéet terriblement ennuyé qu’elle se soitéclipsée en lui témoignant autant dedésinvolture. Il ne l’imaginait sans doutepas aussi forte et indépendante.

Il aurait été tellement plus facile, cematin, de le réveiller et de rester au litavec lui pour faire l’amour encore etencore… Mais elle avait bien trop peurde s’attacher. Pourquoi s’exposer àsouffrir inutilement ?

Qui sait, d’ailleurs, s’il n’était pastrop tard…

Elle n’avait jamais rencontré unhomme comme Rafe. Il avait tout pour

lui. Non seulement le succès et lafortune, mais un charme physiqueirrésistible. Nina avait besoin de toute laforce de sa volonté pour ne pas y céder.C’était en outre un amant merveilleux,très attentif au plaisir féminin.

Nina craignait d’être déjà tombéeamoureuse.

— Bien, conclut-elle abruptement. Tun’avais rien d’autre à me dire ? Avec levernissage demain soir, j’ai beaucoup àfaire.

Rafe réprima à grand-peine sonirritation. Nina l’exaspérait. Même si, enapparence, elle avait répondu à saquestion, il n’était pas du tout satisfait.

Ses interrogations demeuraient.Pourquoi était-elle partie sans un mot, ce

matin ? Agissait-elle toujours ainsi avecles hommes ? Regrettait-elle d’avoirpassé cette nuit avec lui ? Et pourquoiavait-elle choisi précisément ce jour-làpour s’affranchir de son père enacceptant un contrat avec ArchangelGallery ?

Tantôt elle éludait, tantôt elle faisaitmontre d’une désinvolture insolente.Mais dans les deux cas, elle luiéchappait en érigeant entre eux unebarrière infranchissable, qu’elle étaitrésolue à maintenir fermement en place.

Il poussa un soupir de frustration etmit les points sur les i.

— Cette nuit aura-t-elle desconséquences pour toi, de la part de tonpère ?

Nina n’avait pas encore vu son pèrede la journée, mais il était sans nul douteau courant et ne manquerait pasd’aborder le sujet. Malgré tout, elleignorait quelle attitude il adopterait.

En temps ordinaire, elle était capablede prévoir ses réactions. Mais lasituation était tellement inhabituellequ’elle n’en avait pas la moindre idée.

— Il est un peu tard pour s’en soucier,observa-t-elle sèchement.

Il haussa les épaules.— Je lui parlerai, si cela doit te

faciliter les choses.Elle lui jeta un regard soupçonneux.— Pour lui dire quoi, exactement ?— Que ta vie intime ne le regarde pas.— Non, merci, je m’en occuperai moi-

même.Elle se remémora la conversation

téléphonique qu’ils avaient eue lapremière fois qu’elle avait dormi avecun homme. Cela avait été trèsembarrassant pour tous les deux. Maisson père, malgré son désir de laprotéger, ne pouvait pas l’empêcher des’amuser et de goûter aux plaisirs de sesvingt ans. Il tenait néanmoins àsurveiller de près ses fréquentations.

— Ce n’est pas la première fois quecela arrive, tout de même ? reprit Rafe.

— Ne recommence pas avec tesindiscrétions blessantes ! répliqua-t-elle, furieuse.

Il alla s’asseoir derrière son bureau.— Je cherche à te comprendre. Ce

n’est pas ma faute si tu es si compliquée.Nous avons passé une bonne soirée…

Il marqua une légère pause.— Sauf quand je t’ai fait pleurer, mais

nous nous sommes expliqués. La nuit quia suivi a été pour moi tout simplementmerveilleuse. Mais pourtant, ce matin, tum’annonces que tout est terminé entrenous parce que tu veux te consacrer à tacarrière.

— Il n’a jamais été question de nousengager dans une relation durable,répliqua Nina. De toute façon, j’auraisrefusé si tu me l’avais proposé. Nousavons partagé de bons moments, je suisd’accord, mais il est temps de revenir àla réalité.

— Une réalité où il n’y a pas de place

pour moi, remarqua Rafe d’un tondésabusé.

La seule place que Nina aurait aiméoffrir à Rafe appartenait de toute façonau domaine du rêve, et il n’en aurait pasvoulu. Même si elle avait découvert enlui des facettes qu’elle ne soupçonnaitpas, il restait un joyeux célibataire detrente-quatre ans qui faisait la fête etcollectionnait les conquêtes fémininessans intention de se ranger. A aucunmoment il n’avait tenté de donner uneimage différente.

Malheureusement, Nina n’était pasainsi. Il valait donc beaucoup mieux,pour tous les deux, en rester là. Il nes’agissait pas seulement de son père. Sielle voulait préserver son orgueil, il

fallait cesser dès maintenant touterelation avec Rafe. Sinon, il lui briseraitle cœur quand il romprait, d’ici àquelques semaines tout au plus.

Elle releva le menton.— Pas en ce moment, non.Rafe haussa un sourcil interrogateur.— Cela risque d’évoluer ?— Non.— Bien.Rafe n’allait pas la supplier. Puisque

Nina n’avait rien d’autre à lui offrir, ilse contenterait de cette seule et uniquenuit qui appartenait déjà au passé.

Au moins, c’était clair.

8.

— Tu ne sors pas, ce soir ?Debout devant la fenêtre, Rafe se

tourna vers son frère qui le considéraitd’un air perplexe. Depuis qu’il avaitdébarqué de l’avion, Michael étaitplongé dans ses dossiers.

— Non.En rentrant à l’appartement, Rafe avait

enfilé un jean délavé et un T-shirt noir.Incapable de rester assis, il arpentait

nerveusement le salon.— Arrête de faire les cent pas et dis-

moi ce qui ne va pas ! reprit Michaelimpatiemment.

Toute la journée, Rafe avait étéincapable de se concentrer, malgré letravail qui s’accumulait sur son bureau.Il pensait sans cesse à Nina, qui mettaitla dernière touche à l’exposition debijoux sans se soucier de lui.

C’était la première fois qu’une femmele snobait ainsi. Son amour-propre ensouffrait d’autant plus qu’il avaitfurieusement envie de la revoir.

Elle lui avait témoigné une tellefroideur, ce matin… Comment pouvait-elle paraître aussi lointaine etindifférente ?

Quand il rompait avec ses maîtresses,ressentaient-elles la même chose que luien ce moment ? Le haïssaient-elles avecautant de rage et de frustration qu’il…

Non, il n’éprouvait pas de haineenvers Nina. Il la désirait bien trop pourcela.

Il était vexé, en colère et terriblementdépité, voilà tout. Il lui était intolérablede se trouver en position d’infériorité,sans rien maîtriser. Son ego ne lesupportait pas.

— Rafe ?Son frère Michael commençait

vraiment à se poser des questions.— Ce n’est rien, bougonna Rafe. Tu

veux commander à dîner ?Il sortit d’un tiroir les cartes des

différents restaurants ou traiteurs quilivraient des plats à domicile les raresfois où il mangeait à l’appartement. LesD’Angelo menaient une vie tellementirrégulière et agitée qu’ils n’avaient pasde gouvernante à plein temps.

Que faisait Nina ce soir ? se demandaRafe. Elle dînerait probablement avecson père qui lui assènerait une leçon demorale. Toute la journée, il s’étaitattendu à recevoir un coup de fil deDmitri Palitov.

Le silence du vieil homme l’avaitpresque déçu, tant il avait envie de sebagarrer avec quelqu’un pour passer sacolère. Il l’aurait volontiers remis à saplace, même au risque de devoir annulerl’exposition au dernier moment. Il s’était

même préparé à lui dire son fait en toutefranchise. Un père n’avait pas le droit degâcher la vie de sa fille !

Mais aucun membre de la famillePalitov ne s’était manifesté.

— Rafe, qu’est-ce que tu as, à la fin ?questionna Michael impatiemment.

— Comment ?Une fois de plus, Rafe jeta un regard

irrité à son frère.Michael repoussa ses dossiers.— Cela fait cinq bonnes minutes que

tu as ces menus à la main, les yeuxperdus dans le vague.

Son frère avait raison…— Et alors ? Tiens ! Choisis, toi.Il les tendit à Michael qui fit une

grimace expressive.

— Ton comportement taciturne me faitpenser à Gabriel avant sa rencontre avecBryn.

Rafe pinça les lèvres.— Que veux-tu dire ?— Tu te morfonds comme une âme en

peine.— Pas du tout, maugréa Rafe. Je suis

juste un peu distrait.Michael scruta son expression de ses

yeux perçants.— Tu as des problèmes avec la

famille Palitov ?Rafe se crispa, sur la défensive.

Michael avait-il deviné quelque chose ?— Pas que je sache, répondit-il

prudemment.Il en aurait peut-être bientôt avec le

père, mais pour l’instant rien n’étaitdéclaré.

Michael hocha la tête.— Tu as parlé à la fille ?La tension de Rafe monta d’un cran.— A quel sujet ?— Quelle question ! Du projet de

vitrines, bien sûr ! Pour l’amour du ciel,Rafe, ressaisis-toi. C’est bien toi qui aseu l’idée, non ?

Certes. Mais maintenant, il leregrettait amèrement. Si Nina acceptait,comme c’était probable, il ne voyaitvraiment pas comment il pourraitcollaborer avec cette femme qui lerendait fou de désir.

— Elle est d’accord, répliqua-t-il.Elle t’en parlera sans doute demain soir

au vernissage.Même s’il avait voulu la dissuader de

s’adresser à son frère aîné, dans lescirconstances actuelles, cela vaudraitmieux.

— A moi ? lança Michael, déconcerté.— Oui… A toi, confirma Rafe d’une

voix moqueuse. Apparemment,Mlle Palitov fait davantage confiance ausérieux du frère aîné qu’à moi.

— Elle n’est pas au courant de lafaçon dont nous nous distribuons letravail ? Je suis le businessman de lafamille, Gabriel l’artiste, et toi lelanceur de projets.

— Ce n’est pas évident pour tout lemonde.

— A qui la faute ?

— La mienne, soupira Rafe. Jusque-là,cela ne me posait pas de problème.

— Cela a changé ?Oui. Parce que pour la première fois

de son existence, Rafe avait envie quequelqu’un, Nina en l’occurrence, le voietel qu’il était, derrière les apparences deplay-boy qu’il se donnait.

Un peu plus tôt dans la soirée, lesdeux frères avaient d’ailleurs discutéd’une nouvelle idée de Rafe. Il songeaiten effet à étendre leur concours desjeunes talents à d’autres domainesartistiques, comme le design, lasculpture ou la joaillerie. Les galeriesArchangel pourraient par exempleconsacrer une salle par mois à ce genrede manifestations.

Après le succès de Paris et Londres, iln’y avait pas de raison de s’arrêter là.

Naturellement, cela représentaitbeaucoup de travail, mais cela en valaitla peine. Au lieu de se contenter devendre et d’exposer des artistes, ilsferaient œuvre de défricheurs.

Michael avait déjà réagi avecenthousiasme. Ils en parleraient avecGabriel dès son retour de voyage denoces.

— J’en ai peut-être assez, oui,concéda Rafe en se décidant à répondreà la question de son frère.

— De quoi ? De jouer au séducteur ?— Oui, je crois.Surtout si Nina se laissait prendre aux

apparences…

— Enfin !Comme Rafe haussait un sourcil

interrogateur, Michael poursuivit :— A ton âge, il est grand temps de

passer à autre chose. Tu es brillant,Rafe. Tes intuitions et ton analyse dumarché ne te trompent jamais et tu astoujours su orienter Archangel dans labonne direction. C’est d’accord, jeparlerai à Mlle Palitov demain, maisseulement pour lui préciser ton rôle et lafonction. Elle négociera avec toi, pasavec moi.

Rafe devait donc se préparer àaffronter cette perspective pénible.Malgré tout, dans un sens, il n’en étaitpas mécontent. Nina avait cru trouver unmoyen de l’éviter, mais il lui faudrait

aussi en passer par là. Ils seraientobligés d’être en contact et même decollaborer pendant quelque temps. Ellen’y échapperait pas plus que lui.

En plus, à la réflexion, il n’était pas dutout prêt à s’effacer devant Michael. SiNina voulait vraiment travailler pourArchangel Gallery, elle signerait aveclui, et rien qu’avec lui.

Il interpella son frère.— Ni… Quelqu’un m’a laissé

entendre, l’autre jour, que tu avaiscertainement mûri plus vite parce que tues l’aîné. Tu as dû te montrer plusresponsable que tes petits frères quifaisaient les quatre cents coups.

— « Quelqu’un » ?— Oui… C’est vrai ?

Michael réfléchit un instant.— Peut-être, concéda-t-il. J’ai

toujours été le plus raisonnable de noustrois.

— Cela n’a pas dû être très drôle ?— La place du milieu n’est guère plus

enviable, il me semble ? Tu avaisconstamment besoin d’attirer l’attentionsur toi, avec des pitreries ou des coupsd’éclat. Ce n’est pas très amusant nonplus.

Rafe fit la grimace.— En effet.Michael l’observa avec attention.— Alors, tu en as vraiment assez, de

ce rôle ?Oui, Rafe était fatigué de jouer la

comédie. Mais il ne voulait pas

expliquer à son frère les raisons de salassitude.

— Mmm, marmonna-t-il.Puis il changea délibérément de sujet.— Commandons à dîner ! lança-t-il

d’un ton enjoué.Il n’avait plus envie de penser à Nina

pour le moment. Le vernissage, prévupour le lendemain soir, arriverait bienassez vite.

* * *

— Si tu as quelque chose à me dire,papa, j’aime autant le savoir tout desuite !

Assise à l’arrière de la limousine quiles emmenait au gala d’ouverture de

l’exposition, Nina se tourna à demi versson père en croisant les bras. Lacirculation était très dense, comme tousles samedis soirs à New York. A traversles vitres fumées, on apercevait detemps à autre, dans les trouées entre lesgratte-ciel, les rayons du soleilcouchant.

— A quel sujet, moya doch ? répliquason père, une expression indéchiffrablefigée sur les traits.

Nina secoua la tête.— Ne fais pas l’innocent, papa.— Pourquoi me dis-tu cela ?Elle soupira.— Tu sais très bien que j’ai passé la

nuit de jeudi chez Rafe D’Angelo.Cela faisait trente-six heures qu’elle

était sur des charbons ardents, maisDmitri Palitov ne s’était toujours pasdécidé à aborder le sujet.

Il haussa les épaules.— C’est ton affaire, non ?Elle écarquilla des yeux étonnés.— L’autre jour, tu ne t’es pas gêné

pour lui conseiller de garder sesdistances.

— Ah, il t’a rapporté mes propos…— En effet.— Mon avertissement ne lui a pas fait

plaisir.— A moi non plus, remarqua Nina.

Pourquoi t’es-tu permis d’intervenir ?— Pour voir comment il réagirait,

répondit Dmitri d’un air satisfait.Nina regarda son père avec une

expression incrédule.— Tu lui as tendu un piège ?— Oui, avoua son père, sans

vergogne. Je voulais voir quel genred’homme il est.

— Eh bien ?Dmitri esquissa un sourire.— Il a du caractère. Il ne s’est pas

laissé impressionner, ni par moi, ni parmon nom.

Nina commençait à connaître RafeD’Angelo, maintenant. Rien, nipersonne, ne pouvait le déstabiliser.

Quant à elle, même si elle aimaitbeaucoup son père, il était temps des’affirmer en face de lui.

Elle prit une profonde inspiration.— Rafe aime beaucoup le design de

mes vitrines et il m’a proposé d’en créerpour Archangel Gallery, annonça-t-elled’une voix rauque et précipitée.

Une émotion fugitive s’alluma dans lesyeux de Dmitri Palitov, et s’éteignitpresque aussitôt.

— Tu as envie d’accepter ?Elle soutint le regard de son père.— Oui.— Il te plaît, maintenant.C’était plus une affirmation qu’une

question.— Assez, en tout cas, pour passer la

nuit avec lui, oui !— Nous reprendrons cette discussion

un peu plus tard, en rentrant à la maison,suggéra son père lorsque la limousineles déposa à l’arrière de la galerie

Archangel.Dmitri Palitov souhaitait éviter la

foule des paparazzis pendant qu’onl’installait sur sa chaise roulante.L’événement ferait les gros titres desjournaux le lendemain. De nombreusespersonnalités du monde du spectacle etde la culture étaient attendues.

— Il y a encore tant de choses que tuignores, moya doch, ajouta-t-il. Je vaistout te raconter. Mais pas maintenant. Cen’est ni le lieu ni le moment.

Nina scruta attentivement le visage deson père. Ses yeux vert pâle avaient prisune expression douloureuse, des rides secreusaient aux commissures de seslèvres et il était très pâle.

— Tout va bien, papa ?

Elle posa une main sur son bras agitéd’un tremblement.

— Si tu ne te sens pas bien, nous nesommes pas obligés d’assister auvernissage.

— Ma condition physique ne me poseaucun problème, lui assura-t-il d’unevoix bourrue. Il n’en va pas tout à fait demême pour mon cœur et mon esprit, machère fille… Mais pas maintenant, Nina.Tout à l’heure. Un peu de patience.

Il la réconforta d’une pression desdoigts.

— Nous participerons comme prévuau gala d’ouverture et nous parleronstous les deux un peu plus tard. J’espèreseulement que tu me pardonneras…

Il s’interrompit car ses propos

mystérieux inquiétaient Nina. L’angoissesourde qu’elle percevait chez son pèreavait sans doute quelque chose à voiravec l’histoire du kidnapping.

— Plus tard, pas maintenant, répéta-t-il résolument.

Nina n’avait jamais vu une telleexpression de souffrance sur le visagede son père. Mais elle ne pouvait pass’y attarder pour l’instant. Il lui fallaitd’abord affronter la rude épreuve derevoir Rafe pendant cette soirée duvernissage…

* * *

— Je ne me souvenais pas qu’elleétait aussi belle.

Trop occupé par l’arrivée de Nina encompagnie de son père, Rafe entendit àpeine la réflexion de Michael. Il guettaitanxieusement son expression pour tenterde deviner ce qu’elle ressentait.

Aucune ombre ne troublait la clarté deson regard. Le teint éclatant de santé etde vitalité, elle adressa un sourireresplendissant à deux amis de son pèrequi venaient de les rejoindre.

Non seulement elle ne paraissait pastendue, mais elle était divine, d’unebeauté à couper le souffle.

Ses cheveux flottaient librement,comme une rivière de flammes qui luiretombait dans le dos jusqu’à la taille.Le gloss rose de ses lèvres contrastaitavec le vert émeraude de ses yeux

somptueux. Elle portait un fourreau enlamé or qui moulait ses courbes à laperfection, en laissant ses bras nus et quis’arrêtait au-dessus du genou. Des talonsaiguilles assortis allongeaient encore sesjolies jambes fuselées.

Depuis qu’elle était apparue sur leseuil, à côté de la chaise roulante de sonpère, Rafe était comme paralysé, figé surplace.

— Rafe, tu m’entends ? Rafe !— Qu’y a-t-il ?Rafe serra les poings en se tournant

vers son frère d’un air agressif.— Calme-toi ! Je disais juste que Nina

Palitov est vraiment magnifique. Mais tune m’écoutes pas, ou tu n’as toutsimplement pas envie de répondre.

Rafe plissa le front.— Je t’avais pourtant parlé d’elle au

téléphone, quand j’ai découvert qu’ellen’était pas du tout la vieille fille que jem’attendais à rencontrer après maconversation avec toi.

— Je n’avais rien dit de tel ! protestaMichael. J’avoue que je n’avais pas faitattention à elle quand j’ai rencontréDmitri Palitov. Mais ce soir, il faudraitêtre aveugle pour ne pas la remarquer.

Rafe fronça les sourcils.— C’est-à-dire ?Littéralement fasciné par la jeune

femme, Michael ne vit pas l’expressionde mécontentement de son frère.

— Nous devrions nous approcher poursaluer notre hôte d’honneur, déclara-t-il

d’un air distrait.Rafe posa une main sur le bras de

Michael, comme un avertissement.— Garde tes distances avec Nina et ne

t’avise pas de lui faire du charme !Michael sursauta d’un air surpris.— Que diable t’arrive-t-il ?Puis il scruta longuement le visage de

son frère.— Rafe, ne me dis pas que… Oh ! si !

Je t’avais recommandé de traiter DmitriPalitov avec tous les égards et tu ascouché avec sa fille !

— Ne parle pas si fort, protesta Rafeen lui décochant un regard noir.

Petit à petit, la clarté se fit dansl’esprit de Michael.

— C’est à cause de Nina Palitov que

tu es si nerveux ? Depuis hier, tu tournessans arrêt comme un ours en cage… Etc’est certainement aussi à cause d’elleque tu as décidé d’abandonner tonpersonnage de play-boy !

— Occupe-toi de tes…— Ce sont mes affaires, Rafe, coupa

son frère d’un ton froid. Et égalementcelles de Gabriel. Tout ce qui touche àArchangel nous concerne tous les trois.

— Cela n’a rien à voir avecArchangel.

— Vraiment ? Qu’y a-t-il exactemententre Nina Palitov et toi ?

— Rien qui t’intéresse.Michael laissa échapper un soupir

impatient.— Palitov est au courant ?

— Peu importe.— Il sait, oui ou non ?Rafe serra les mâchoires.— Oui. Mais c’est déjà fini entre

nous.— Pourquoi ?— Tu devrais te réjouir, au lieu de me

poser des questions indiscrètes.— Non, parce que tu as l’air très

affecté.Comme Rafe ne répondait pas,

Michael essaya de plaisanter pourdétendre l’atmosphère.

— Tu as peur que les gardes du corpsdes Palitov te tendent un guet-apens aufond d’une impasse ?

— Ton sens de l’humour meréconforte ! Tu as raison, allons leur

dire bonjour. Tu me diras ensuite siPalitov te donne vraiment l’impressionde vouloir m’éliminer.

Et, sans tarder, il se dirigea versl’autre bout de la galerie.

* * *

La présence des deux frères D’Angeloimpressionna Nina. Ils étaient sansconteste les hommes les plus séduisantsde l’assistance, avec leur smoking noirimpeccable et leur chemise blancheimmaculée. Et ils se ressemblaientétonnamment. Michael avait les cheveuxplus courts, et un regard d’acier.

Elle évitait délibérément Rafe. Quandelle osa enfin se tourner vers lui, la

colère qui luisait dans ses yeux deprédateur la transperça. Pourquoiétalait-il ainsi au grand jour la tensionqu’il y avait entre eux ? Il aurait dû semontrer plus discret, surtout devant sonpère et Michael.

Mais cela ne semblait pas le gêner.— Si vous voulez bien nous excuser,

messieurs, je vous enlève Nina pourquelques minutes, annonça-t-il d’unevoix déterminée.

Sans attendre de réponse de sesinterlocuteurs, il la saisit par le poignetet s’éloigna avec elle.

Perchée sur ses talons de douzecentimètres, elle avait du mal à lesuivre.

— Pas de scandale, s’il te plaît, Rafe !

souffla-t-elle en surprenant quelquesregards curieux.

— Si je m’écoutais, je te plaqueraiscontre le mur pour t’embrasser devanttout le monde !

— Rafe ! protesta-t-elle d’un tonchoqué.

En réalité, elle se sentaitdélicieusement troublée.

9.

L’envie d’embrasser Nina, de latoucher, de lui faire l’amour, consumaitRafe depuis trente-six heures.Lorsqu’elle était apparue tout à coupdevant ses yeux, dans la galerie, quelquechose s’était brisé en lui, comme unressort trop tendu. Avec sa chevelureflamboyante qui retombait en cascade,sa robe étincelante et sa bouchepulpeuse, elle était tout simplement

irrésistible…— Laissez-nous, ordonna-t-il

sèchement aux gardes du corps quis’avançaient.

— Tout va bien, Andy, confirma Nina,la mine contrite. Restez avec mon père.M. D’Angelo et moi allons marcher unpeu pour prendre l’air.

Certainement pas, songea Rafe enouvrant la première porte qui seprésenta quand ils eurent tourné le coindu couloir. C’était un réduit, une sortede placard à balais, mais peu importait.Il la poussa sans cérémonie à l’intérieur,et ils se retrouvèrent plongés dans uneobscurité totale.

— Rafe !— J’ai très envie de t’embrasser,

Nina ! grogna-t-il en se penchant pourcapturer sa bouche.

En retrouvant le goût délicieux de sesbaisers, il gémit de plaisir.

Toute l’irritation de Nina s’évanouitcomme par enchantement. Rafe secomportait bel et bien comme un hommede Neandertal, mais elle s’en moquaitéperdument. Le désir qu’il éveilla enelle fut immédiat, incandescent.

Elle entrouvrit les lèvres et la pochettequ’elle tenait sous son bras tomba àterre lorsqu’elle enlaça Rafe par le cou.Puis, enfonçant les doigts dans sescheveux, elle se pressa fébrilementcontre lui. Aussitôt, ses seins sedurcirent et une douce chaleur irradia duhaut de ses cuisses dans son ventre,

tandis que les mains de Rafe appuyaientavec force au creux de ses reins.

Il agrippa ses cheveux pour lui tirer latête en arrière et sa bouche glissa le longde son cou satiné.

— Ton père ne va pas être content…,murmura-t-il.

— Ce n’est pas le moment de parlerde lui.

Il la serra plus près contre sa virilitétriomphante en bougeant lentement leshanches. En même temps, il releva lebas de sa robe pour lui caresser lacuisse.

— J’ai besoin de sentir ton sexevibrer sous mes doigts, Nina.

Il poussa un grognement sourd quandelle prononça son nom d’un ton presque

suppliant.— Tu as une culotte, sous ta robe ?— Oui.— Minuscule, alors ?— Un string, oui.— Pas pour longtemps. Je vais te

l’arracher et t’emporter vers dessommets de volupté !

— Rafe, je t’en prie…Un peu perdue, Nina ne savait pas si

elle devait le supplier d’arrêter ou depoursuivre.

— J’ai envie de te donner du plaisir,infiniment. C’est mon souhait le plusardent.

Malgré l’endroit peu accueillant, Ninacapitula et rendit les armes aussitôt. Tantpis s’ils se trouvaient seulement à

quelques mètres de la galerie où deuxcents personnes assistaient auvernissage, dont son père. En outre, toutle monde l’avait vue partir avec Rafequi la traînait littéralement à sa suite.Mais elle ne s’en souciait pas le moinsdu monde.

En ce moment, rien ne comptait, queles baisers enivrants de Rafe.

— Oui, Rafe, oui…, souffla-t-elle,abandonnée.

A peine avait-elle prononcé ces motsqu’elle entendit la dentelle se déchirer,et son string tomba dans un légerbruissement.

— Tu es si belle, si merveilleuse…Il écarta délicatement son sexe pour en

chercher le cœur sensible et palpitant,

tout en explorant sa douceur tendre etveloutée. Il la caressa très délicatementd’abord, puis avec plus de vigueur aufur et à mesure que son plaisir montait,mais toujours avec une attention infinie.De son autre bras, il la soutenait par lataille et elle se laissa aller contre luiquand les premiers spasmesl’emportèrent. Un instant, ses jambestremblantes se dérobèrent sous elle.

— Oui, Nina. Donne-toicomplètement !

Elle poussa un cri quand la volupté laravagea avec la force d’un tsunami.Puis, pendant plusieurs secondesinterminables, les vagues sesuccédèrent. Elle se serait effondrée siRafe ne l’avait pas retenue de son bras

puissant.— Tu as un délicieux goût de miel,

chuchota-t-il peu après en portant sesdoigts à ses lèvres.

— Seigneur… !Les joues en feu, elle appuya son front

moite contre son épaule.— Je m’appelle Rafe, plaisanta-t-il.— Tu es incorrigiblement

égocentrique et mégalomane ! répliqua-t-elle en le taquinant. Tu te sens tout-puissant, maintenant, bien sûr.

Il se mit à rire.— Absolument !— Tu pourrais tout de même te

montrer un peu plus modeste.— Alors que je viens de donner tant

de plaisir à la femme de mes rêves ?

Non, je suis au contraire très fier demoi.

La femme de ses rêves ?Que voulait-il dire ? C’était une

expression curieuse dans la bouche d’uncélibataire endurci.

Mais Nina n’avait pas la force deréfléchir en cet instant.

Devait-elle s’indigner de sonarrogance ? S’arracher à ses bras en luidisant que cette scène ne changeait rien àsa décision ?

Elle n’en avait ni l’envie ni lecourage. En tout cas pas pour l’instant.

Plus tard, se promit-elle. Il finirait parcomprendre.

— Rejoins-moi à mon appartement cesoir, commanda Rafe brusquement. La

réception devrait se terminer vers23 heures. Passe la nuit avec moi, Nina,s’il te plaît.

— Michael sera là ?— Cela n’a pas d’importance.

L’appartement est grand. Il ne sauramême pas que tu es là.

Pouvait-elle accepter de passer uneautre nuit dans les bras de Rafe, dansson lit ?

D’un autre côté, comment aurait-ellel’audace de refuser alors qu’il semontrait si tendre et empressé ? Ceserait affreusement égoïste de sa part.

— Tu n’es pas obligée de dire oui àcause de ce qui vient de se passer. Maissimplement si tu en as envie, Nina,reprit-il comme s’il devinait le cours de

ses pensées.Elle s’humecta les lèvres du bout de la

langue.— Nous avons un problème plus

urgent à résoudre. Comment allons-noussortir de ce placard et rejoindre lesautres comme si de rien n’était ?

Rafe se mit à rire.— Tu ne réussiras certainement pas à

tromper beaucoup de gens, Nina.J’imagine déjà tes yeux brillants, teslèvres écarlates et tes pommettesroses…

— Charmant ! On va me prendre pourune folle.

— Non, Nina. Pour une femme ardenteet impétueuse, qui me plaît beaucoup.

Les paroles de Rafe répandaient en

Nina un baume délicieux.— Tout de même, il vaudrait mieux

que tu réapparaisses seul dans la sallede réception. Je reviendrai quelquesminutes après, quand j’aurai remis unpeu d’ordre dans ma tenue.

— Si tu veux, mais cela ne changerarien pour moi. Je n’aurai d’yeux quepour toi et je garde ta petite culottedéchirée dans la poche de mon pantalon.

Elle lui sourit.— D’accord, je te rejoindrai chez

toi…Elle s’interrompit.— Zut, j’avais oublié ! Je dois

d’abord rentrer avec mon père pourterminer une conversation importanteque nous avons entamée dans la voiture.

— Rien de grave ?— Je ne sais pas, concéda Nina.Il fronça les sourcils.— Cela a-t-il quelque chose à voir

avec moi ? Si c’est le cas, je…— Non, assura-t-elle fermement. Il

s’agit d’autre chose. Ne t’inquiète pas.Cela ne prendra pas très longtemps.

Rafe déposa un baiser au creux de soncou.

— Je tâcherai de convaincre Michaeld’aller se coucher directement quandnous rentrerons. A son âge, on a besoinde dormir pour récupérer du décalagehoraire.

— Il n’a qu’un an de plus que toi !— Mais je suis resté plus jeune.Il fit la grimace.

— Il n’était pas très content, tout àl’heure.

— Pourquoi ?— Je l’ai mis au courant, pour nous

deux. Il a peur que la garde rapprochéede ton père ne m’inflige une correction.

— Mon père n’est pas un gangster,Rafe, protesta Nina.

— Je n’ai jamais dit cela.— Mais vous le pensez, Michael et

toi ?— Eh, ne te fâche pas ! Michael

plaisantait.— Avec des idées pareilles, je me

demande pourquoi vous avez acceptéd’exposer sa collection de bijoux,rétorqua-t-elle froidement. Après tout, illes a peut-être volés.

— Nina, ne…Il s’interrompit quand elle se dégagea

brusquement.— Nina ?— Nous devrions repartir, maintenant.— Pas ainsi, protesta-t-il.Il voulut la reprendre dans ses bras,

mais elle refusa.— Je suis désolé de t’avoir froissée à

cause d’une plaisanterie de mauvaisgoût.

Malheureusement, Nina avait tropd’incertitudes au sujet de l’accidentsurvenu dix-neuf ans plus tôt pour s’enamuser…

Elle entrouvrit la porte. Quand elle sebaissa pour ramasser sa pochette, Rafeen profita pour lui barrer le passage.

— Laisse-moi, Rafe.Malgré ses cheveux légèrement

décoiffés, il conservait une allureimpeccable, alors qu’elle se sentait elle-même bien peu présentable…

— Tu me promets de venir chez moi ?insista Rafe.

Une petite voix intérieure commandaità Nina de dire non, de s’en tenir à ladécision qu’elle avait prise la veille. Ilne fallait pas revoir Rafe pour ne pas luidonner l’occasion de fouiller dans sonpassé.

Voilà ce qu’elle devait faire.Mais son corps, traîtreusement, la

poussait dans la direction opposée.— Oui, je viendrai, promit-elle d’une

voix rauque.

— Bien.Il marqua une pause.— Nina ?— Qu’y a-t-il ?Prenant son visage entre ses paumes, il

plongea son regard dans le sien eteffleura ses lèvres d’un baiser.

— Merci, chuchota-t-il.Le cœur de Nina se mit à battre la

chamade.— Pourquoi ?— Juste merci.Rafe ne savait pas lui-même pourquoi

il disait cela.Peut-être tout simplement parce

qu’elle ne l’avait pas giflé lorsqu’ill’avait arrachée à son groupe d’amis et àson père ? Elle avait raison, il se

comportait parfois comme un homme descavernes.

C’était peut-être aussi une façon de laremercier d’avoir répondu sansinhibition à son désir, sans nierl’attirance qui les poussait l’un versl’autre. Grâce à ces quelques instantsvolés au reste du monde, Rafe étaitdélivré du mélange de frustration et decolère qui le tourmentait sans répitdepuis qu’il s’était réveillé seul dansson lit.

Peut-être encore voulait-il laremercier d’être tout simplement Nina…

Cette pensée le troubla, mais il devraitattendre la fin de la soirée pour réfléchirà cette révélation.

* * *

— Tu es sûr que tout va bien, papa ?Depuis qu’elle avait rejoint son père,

la pâleur de ce dernier inquiétaitbeaucoup Nina. Après tant d’années deréclusion solitaire, il était peut-êtresimplement épuisé de parler avec tant degens à la fois. Elle espérait que celan’avait rien à voir avec sa disparition encompagnie de Rafe quelques instantsplus tôt.

Avant de réapparaître, elle s’étaitéclipsée pour remettre un peu d’ordredans sa tenue, se recoiffer et retoucherson maquillage. Mais l’éclat de ses yeuxet la rougeur de ses lèvres et de sespommettes la trahissaient sans doute.

— Absolument, moya doch, réponditDmitri Palitov en scrutant l’expressionde sa fille. Tu t’es… réconciliée avecRafe D’Angelo ?

— Nous n’étions pas fâchés, dit-elleen s’empourprant.

— Nous avons dépassé le stade descachotteries, Nina, lui reprocha-t-ilgentiment.

Nina avait malgré tout des raisons dese sentir gênée. Tout à l’heure, avecRafe, elle s’était comportée avec unepassion totalement débridée, quil’effrayait. Ils s’étaient presque jetésl’un sur l’autre, avec une aviditéstupéfiante, et tout son corps vibraitencore du plaisir qu’il lui avait donné.

Elle jeta un coup d’œil en direction de

Rafe, à l’autre bout de la galerie, engrande conversation avec son frère. Aumême moment, il enfonça la main danssa poche de pantalon, où il avait mis sapetite culotte.

D’instinct, il leva la tête et un sourirecomplice étira ses lèvres quand leursregards se croisèrent, comme unepromesse à venir, un peu plus tard dansla soirée.

* * *

— Tu recommences à t’agiter.Rafe lança un regard noir à Michael.

Assis en face de lui à la table du petitdéjeuner, son frère buvait tranquillementson thé en lisant le journal du dimanche.

Oui, il faisait les cent pas pour tenterde calmer sa nervosité. Car Nina n’étaitpas venue le rejoindre comme prévu.

Les deux frères étaient rentrés peuavant minuit et Michael était tout desuite allé se coucher, sans même queRafe ait besoin d’intervenir. Peut-êtreavait-il deviné que Nina devait venir.

Vers 1 heure du matin, Rafe, craignantun malentendu, avait appelé leconcierge. Mais aucun visiteur ne s’étaitprésenté.

Il avait réitéré son coup de fil uneheure plus tard, pour obtenir exactementla même réponse.

Il s’était inquiété. La conversation queNina devait avoir avec son père s’était-elle mal passée ? Pourquoi n’avait-elle

pas pris la peine de le prévenir ?En désespoir de cause, il avait

téléphoné chez elle. Sans succès. Il étaitnaturellement impensable de contacterDmitri Palitov pour lui demander oùétait sa fille…

Il avait fini par se mettre au lit, seul.Mais sans trouver le sommeil. Tout ense repassant les événements de la soirée,il s’était efforcé de comprendrepourquoi Nina avait changé d’avis.

S’était-elle vexée à cause de laremarque sur son père ? De toute façon,cela n’expliquait rien, puisqu’elle avaitpromis de le rejoindre.

Pieds nus et en pyjama, les cheveux enbataille, il continua d’arpenternerveusement la cuisine sous le regard

exaspéré de son frère.— Je m’attendais à voir Nina ici ce

matin, avec toi, déclara ce dernier.— Eh bien, tu t’es trompé ! maugréa

Rafe.Juste à ce moment-là, le téléphone

sonna et Rafe décrocha à la hâte.— Quelqu’un demande à vous voir,

monsieur D’Angelo, l’informa leconcierge.

— Conduisez-la jusqu’à l’ascenseur.— Mais…— Faites ce que je vous dis, Jeffrey.Michael se leva.— Je vais prendre une douche avant

de partir à l’aéroport. Je préfère vouslaisser seuls tous les deux.

— Merci, répondit Rafe distraitement

en se dirigeant vers le vestibule.Nina était enfin là. C’était tout ce qui

comptait pour lui.Il ouvrit la porte au premier coup de

sonnette et son sourire se figea quand ilaperçut Dmitri Palitov, dans son fauteuilroulant et entouré de ses gardes ducorps.

— Je suis désolé de vous déranger,Rafe. Si ma fille est ici avec vous,j’aimerais lui parler.

Comme lui, Dmitri Palitov ignorait oùétait Nina…

10.

Le lundi matin, Nina franchit la têtehaute les portes de la galerie Archangel.Elle sourit à l’hôtesse d’accueil, puis sedirigea vers l’ascenseur conduisant aubureau de Rafe, au troisième étage.

Rafe…Il serait probablement furieux. Non

seulement elle n’était pas venue aurendez-vous, mais elle n’avait même pasappelé pour le prévenir.

Finalement, la mauvaise plaisanteriede Rafe sur son père n’était pas très loinde la vérité. Leur discussion l’avaitéclairée en confirmant les soupçonsqu’elle nourrissait depuis longtemps.

Trop choquée par les révélations deson père, elle s’était sentie incapable derapporter à Rafe ce qu’elle avait apprisau sujet de la disparition de sa mère.Elle avait donc résolu de s’en tenir à desrapports purement professionnels aveclui. Elle signerait le contrat qu’il luiproposait. Mais leurs relationss’arrêteraient là. Cette fois-ci, sadécision serait sans appel.

Cela avait paru très simple à Ninalorsqu’elle y avait réfléchi dans lasolitude de sa chambre d’hôtel. Elle

avait passé la plus grande partie de lanuit assise sur une chaise, à contemplerNew York depuis sa fenêtre. Après toutce que son père lui avait raconté, elle sedemandait comment elle aurait la forced’affronter les heures qui suivraient,sans parler des jours à venir.

En ce moment même, alors qu’ellearrivait au troisième étage, il luisemblait presque impossible de garderle cap qu’elle s’était fixé. Rafe voudraitforcément connaître les raisons de sonrevirement. Mais elle ne pouvait pas enparler. Ni à lui, ni à personne d’autre.

Elle ralentit le pas en approchant deson bureau. Pourtant, si elle voulaitréellement aller de l’avant et conquérirson indépendance, la confrontation était

inéluctable. Elle était déterminée àprendre un nouveau départ en montant sapropre entreprise, loin de l’influencepaternelle. Le contrat avec ArchangelGallery lui offrait un sésame inespérépour la liberté.

Il suffirait d’opposer une résistanceinébranlable aux questions de Rafe.

Mais le pourrait-elle ?Le cœur battant, les paumes moites,

elle frappa à la porte de son bureau.

* * *

— Bridget, je vous avais formellementinterdit de m’interrompre… Nina !

Dès qu’il la vit, Rafe se leva ettraversa la pièce à grandes enjambées

pour lui prendre les mains, tout enscrutant avidement ses traits. Elle avaitles yeux cernés et était d’une pâleurlivide.

— Je te dérange ? demanda-t-elle d’unton froid et distant.

Il continua à l’observer, en cherchantdésespérément à retrouver la Nina qu’ilconnaissait.

— Tu vas bien ?Il regretta aussitôt cette question

stupide. Non, elle n’allait pas bien.Sinon elle n’aurait pas mystérieusementdisparu samedi soir, et elle nes’adresserait pas à lui comme à unétranger.

Elle haussa les épaules.— Oui, bien sûr. Pourquoi ?

Rafe n’avait pas tous les éléments enmain. Dmitri Palitov ne lui avait pasdonné de détails.

— Entre…Il s’effaça devant elle et referma la

porte.— Tu n’imagines pas à quel point je

suis content de te voir, poursuivit-il.— Pourquoi ?Au moins, elle était saine et sauve…

Et il avait tellement besoin d’elle…— Ton père est venu chez moi hier.Une émotion fugitive s’alluma un

instant dans les yeux de la jeune femme.— Ah bon ?Puis, très vite, elle se maîtrisa et

libéra sa main pour s’écarter de lui.— La visite n’a pas dû être très

agréable, ajouta-t-elle d’une voixtendue.

La froideur de son attitude ne trompaitpas Rafe qui avait conscience de safragilité, derrière les apparences. Ellerisquait de se briser pour un mot detravers ou un geste maladroit.

Il se garda bien de la prendre dans sesbras pour l’embrasser comme il en avaitenvie.

Ce serait un moindre mal si elle sedéfendait en sortant ses griffes.Malheureusement, elle pouvait aussis’effondrer, ce qu’il ne supporterait pas.

Qu’était devenu l’esprit combatif etrebelle qui l’avait frappé dès leurpremière rencontre ? Cela faisait à peineune semaine, et pourtant il avait

l’impression de la connaître depuistoujours…

L’admiration qu’elle lui avait tout desuite inspirée n’avait cessé de croître. Acause de sa beauté, de son sens del’humour, de sa nature passionnée, maisaussi de l’immense générosité dont ellefaisait preuve avec son père.

Jusqu’à présent.Rafe prit une profonde inspiration. Il

avait très peur de commettre un faux pas.— Nina…— J’aurais sans doute dû prendre

rendez-vous, coupa-t-elle. J’ai apportéquelques esquisses de projets.

Il haussa les sourcils d’un air surpris,mais elle poursuivit avec un sérieuximperturbable :

— J’ai eu le temps de travailler, ceweek-end.

Rafe n’en croyait pas ses oreilles.Comment pouvait-elle faire semblant derien, avec un si grand calme, alorsqu’elle s’était violemment disputée avecson père ? Elle était partie sur un coupde tête, avant même la fin de leurdiscussion, en jurant qu’elle ne luipardonnerait jamais. Une telleatmosphère n’était guère propice autravail…

Malgré les questions pressantes deRafe, Dmitri Palitov avait refusé d’endire davantage. Son seul souci était deretrouver Nina. Les deux hommesavaient donc conclu une trêve en vued’atteindre cet objectif.

Apparemment, Nina n’avait aucuneintention de s’expliquer sur ce qui s’étaitpassé.

Rafe, lui, espérait qu’elle avait besoinde lui.

Autant qu’il avait besoin d’elle.Il avait été très choqué d’apprendre

que Dmitri Palitov n’avait pas vu sa filledepuis le samedi soir, et qu’elle s’étaitenfuie en échappant à la surveillance deses gardes du corps.

Ensuite, l’entrevue avait un peudégénéré entre les deux hommes, quis’accusaient l’un l’autre d’avoir manquéde vigilance. Alerté par les éclats devoix, Michael les avait rejoints et avaitréussi à les calmer, proposant mêmed’annuler son voyage de retour pour les

aider à chercher Nina. Néanmoins, Rafes’y était opposé. Ce n’était pas à sonfrère de régler le problème.

Pendant toute la journée du dimanche,Dmitri Palitov et Rafe avaient contactéles amis et les connaissances de Nina,mais personne n’avait de ses nouvelles.Ils avaient également téléphoné à tousles hôtels de Londres et des environs. Envain.

Nina restait introuvable et avaitprotégé sa retraite avec soin.

Rafe avait espéré qu’elle se tourneraitvers lui pour demander son aide, maiselle n’en avait apparemment nulle envie.Peut-être méritait-il ce rejet. Après tout,il ne lui avait pas encore dit à quel pointelle comptait pour lui.

Et elle était trop vulnérable en cemoment pour aborder ce sujet délicat.

— Tu sais, Nina, quoi que ton père aitfait, quoi qu’il t’ait dit, personne n’estjamais complètement blanc nicomplètement noir. Il existe toutes sortesde nuances de gris…

— Oh ! s’il te plaît ! coupa Nina. Il aréussi à te convaincre, n’est-ce pas ? Etmaintenant, tu l’excuses en lui accordanttoutes sortes de circonstancesatténuantes.

— Il ne m’a absolument rien dit, Nina.Je ne sais même pas ce qu’il t’a fait, luiassura Rafe d’un ton bourru.

— Il est impardonnable !Les défenses de Nina commencèrent à

se craqueler, mais elle se ressaisit

aussitôt.— Impardonnable, répéta-t-elle avec

force.— Il t’aime beaucoup. Il a juste essayé

de te protéger.— Au point de m’empêcher de vivre !

s’écria-t-elle avec colère.— Sans doute, admit Rafe. Il a peut-

être eu tort.— Peut-être ? Il s’est sûrement confié,

pour que tu t’apitoies autant sur lui.— Il n’est pas question de pitié.— En tout cas, moi je n’en éprouve

plus du tout, depuis qu’il m’a enfinrévélé les secrets que j’ai ignoréspendant si longtemps.

Les larmes qui brillaient dans ses yeuxverts démentaient la dureté de ses

paroles.— Cette cruauté ne te ressemble pas,

Nina.Elle éclata d’un rire sec, sans joie.— Que sais-tu réellement de moi,

Rafe ? Tu crois me connaître parce queje me suis offerte à toi sans retenue dansun cagibi obscur, samedi soir ? Eh bien,tu te trompes. C’était un instantd’égarement, de plaisir éphémère, sansconséquence.

— Arrête, l’avertit-il durement,pressentant la suite.

Refusant d’être rabaissé, il serra lespoings pour résister à l’impulsion de laprendre dans ses bras.

— Aujourd’hui, tu es là, Nina. Tuauras beau invoquer toutes sortes

d’excuses, il n’empêche que tu es venueme trouver, moi et personne d’autre.

Il avait raison, reconnut Ninaintérieurement. Ce matin, en se douchantet se préparant dans sa chambre d’hôtel,elle s’était convaincue qu’il fallait à toutprix ravaler son orgueil pour signer soncontrat avec Archangel Gallery. Cepremier pas lui permettrait de se lanceret de monter sa propre entreprise dedesign.

Mais depuis qu’elle était là, devantRafe, elle n’était plus aussi sûre de sesmotivations.

Sa force tranquille la rassurait. Saprésence agissait comme un baume sursa sensibilité à vif. Elle avait tant besoinde se sentir désirée, choyée… Son cœur

était comme un bloc de glace à larecherche d’une source de chaleur pourreprendre vie.

Elle était venue voir Rafe parcequ’elle avait besoin de lui, besoin d’êtreavec lui. Elle ne pouvait plus se passerde cet homme dont elle était tombéeamoureuse.

Elle en avait pris conscience au coursde ce long dimanche de réflexion. Carelle n’avait pas seulement réfléchi à laconversation qu’elle avait eue avec sonpère. Elle avait aussi beaucoup pensé àRafe et à la relation qui s’était ébauchéeentre eux. Il ne s’agissait pas juste dedésir et de plaisir, mais d’amour, desentiments.

Physiquement, il lui plaisait, c’était

indéniable. Elle aimait aussi sacompagnie, agréable et divertissante.Mais tout au long de la semaine, elleavait découvert une facette de sapersonnalité qu’il cachait jalousementaux yeux du monde.

C’était un être sensible, attentif.Très attaché à Archangel Gallery.A elle…Et à sa famille, profondément.Michael le lui rendait bien. Il avait

mis un point d’honneur à expliquer àNina le rôle que Rafe jouait dans lesuccès des galeries Archangel. Ildébordait d’idées originales et son goûtde l’innovation leur valait de figurerparmi les meilleures du monde.

Rafe se cachait derrière sa modestie et

ses allures de fanfaron, mais Ninal’avait percé à jour.

Et elle était tombée amoureuse de lui.Hélas, ses sentiments ne seraient

jamais payés de retour…Elle redressa fièrement les épaules.— Je suis venue te montrer mes

dessins, déclara-t-elle le plusfroidement possible. Si toutefois leprojet t’intéresse toujours ?

— Nina, nous ne pouvons pas parlerde cela en faisant comme si de rienn’était, comme si ta conversation avecton père n’avait pas eu lieu.

— Je ne vois pas pourquoi, coupa-t-elle d’un ton glacial.

— Nina…— Que t’a-t-il dit exactement, Rafe ?

l’interrompit-elle. Quelle part de véritéa-t-il confié à quelqu’un qu’il connaîtseulement depuis une semaine, alors quej’ai tout ignoré jusqu’à maintenant ?

Rafe se raidit, tout en adoptant un tonapaisant.

— Il faut te calmer, Nina.— Non, Rafe. Tu n’as pas de conseils

à me donner. Dorénavant, je n’enrecevrai de personne et j’agirai commebon me semble. A présent, réponds-moi : veux-tu voir mes esquisses, oui ounon ?

Déconcerté par son agressivité, ilfronça les sourcils.

— Oui, bien sûr.— Alors dépêchons-nous.Elle lui tendit son carton à dessin.

— J’ai rendez-vous avec un agentimmobilier cet après-midi pour visiterun local et un appartement.

— Tu ne comptes pas retourner cheztoi ?

— Non.Rafe ne savait pas du tout comment se

comporter avec cette femme rigide,inaccessible, qu’il ne reconnaissait pas,mais qui occupait pourtant toutes sespensées depuis une semaine, jour et nuit.

Il lui suffisait de la regarder pour êtresubmergé de désir. Elle étaitchaleureuse, douce, amusante… Il s’étaitconfié à elle comme à personne d’autre.Elle était si différente des femmes qu’ilavait connues jusqu’ici… Elle l’avaitensorcelé. Il avait besoin d’elle.

Mais en ce moment, elle souffraittellement qu’elle se barricadait derrièreses défenses.

Que lui avait donc raconté DmitriPalitov pour la mettre dans cet état ?

Cela restait très mystérieux, mais elleétait en danger. Elle risquait des’effondrer.

— Nina…— Je t’en prie, Rafe, protesta-t-elle

d’une voix brisée. Si je compte un peupour toi, aide-moi à mener à bien ceprojet.

Si elle comptait pour lui… ?Au cours des deux dernières journées,

Rafe avait pris conscience del’importance que Nina avait désormaispour lui. Il n’avait jamais ressenti cela

auparavant, pour aucune femme, et celane se reproduirait sans doute jamais.

— Nina…Ils se retournèrent tous les deux en

sursautant quand la porte du bureaus’ouvrit brusquement. Rafe poussa unsoupir accablé en apercevant les gardesdu corps qui encadraient Dmitri Palitov.

Nina lui jeta un regard noir etaccusateur. A l’évidence, elle étaitpersuadée qu’ils étaient de connivence.

11.

— Tu as donné des instructions à tasecrétaire pour qu’elle prévienne monpère ?

— Non.— Rafe n’a strictement rien à voir

avec ma présence ici ce matin, Nina,déclara Dmitri après avoir congédié sesagents de sécurité. J’ai mis sonappartement et la galerie soussurveillance depuis hier, à tout hasard.

— Vous avez un sacré toupet ! lançaRafe.

— Excusez-moi, Rafe, mais c’étaitnécessaire.

— De ton point de vue, observa Ninasèchement.

Malgré tout, elle était soulagée queRafe soit blanchi. Elle n’aurait passupporté deux trahisons coup sur coup.

Son père la considéra avec calme.— Où étais-tu, Nina ?— A l’hôtel.— Nous avons téléphoné dans tous les

établissements de New York.— Je me suis enregistrée sous le nom

de Nina Fraser.Son père blêmit en accusant le choc.

Elle avait utilisé le nom de jeune fille de

sa mère…Même blessée et en colère, Nina ne

voulait pas faire souffrir son pèreinutilement. Elle se radoucit.

— Tu aurais dû me dire la vérité surmaman depuis le début, papa.

Un spasme de douleur déforma lestraits du vieil homme.

— Tu n’avais que cinq ans. Tu étaisbien trop jeune pour comprendre.

— Mais plus tard, quand j’ai grandi,pourquoi ne m’as-tu rien expliqué ?

— J’y ai pensé, bien sûr. Mais c’étaitsi difficile pour moi, moya doch.

Il avait l’air complètement hagard.— Après avoir pesé le pour et le

contre, j’ai décidé qu’il valait mieux quetu gardes de bons souvenirs de ta

maman.Rafe ne savait pas vraiment de quoi ils

parlaient, mais il commençait à se sentirde trop.

— Je vais vous laisser.— Non.— Non !Le père et la fille avaient répondu en

même temps, Dmitri avec résignation etNina avec un accent désespéré.

Puisqu’elle avait besoin de lui, ilresterait pour la soutenir.

— Alors asseyons-nous, Nina,suggéra-t-il.

Nina s’installa tout au bord du canapéet il prit place à côté d’elle. Elle glissaun regard furtif dans sa direction quandil serra sa main tremblante dans la

sienne.Son attitude pleine de bonté et de

bienveillance l’emplit dereconnaissance. Elle l’aimait,profondément. Cela ne faisait pasl’ombre d’un doute. Cependant, et mêmesi elle souhaitait ardemment sa présence,elle ne voulait pas lui infliger unecorvée pénible.

— Je suis désolée d’envahir ainsi tonbureau, Rafe. Si tu préfères ne pas êtremêlé à nos histoires, je le comprendraitrès bien.

Elle chercha l’approbation de sonpère, qui hocha la tête.

— Vous n’avez peut-être pas envie denous écouter, Rafe.

— C’est à Nina de décider, déclara

Rafe en se tournant vers elle.Elle était de plus en plus tendue, et ses

grands yeux verts s’étaient encoreassombris.

— Cela me fait plaisir d’être avec toi,Nina, ajouta-t-il. Si tu en as envie aussi.

— Oui, s’il te plaît, souffla-t-elle.— Alors je reste, dit-il avec fermeté.Elle le remercia d’une pression des

doigts avant de s’adresser à son père,les larmes aux yeux :

— C’est très cruel, papa, de m’avoircaché la vérité sur maman pendant tantd’années. J’avais le droit de savoir !

— J’ai agi pour le mieux, selon maconscience.

Il poussa un long soupir.— Notre conversation doit paraître

bien obscure à Rafe, ajouta-t-il.— En effet.Elle prit une profonde inspiration.— Rafe, il y a dix-neuf ans, ma mère a

été kidnappée.Rafe eut un sursaut de stupéfaction et

elle marqua une légère pause.— Les ravisseurs ont aussitôt contacté

mon père pour demander une rançon. Ilsont promis de nous rendre ma mère saineet sauve s’il les payait dans un délaid’une semaine et sans prévenir la police.

Rafe comprenait maintenant pourquoiDmitri Palitov avait un comportement siprotecteur envers sa fille. Il avait dûsouffrir atrocement, et avoir une peurterrible. Rafe n’osait imaginer ce qu’iléprouverait lui-même dans pareille

situation. Si Nina, par exemple, étaitenlevée…

La main de Nina s’agrippa de toutesses forces à la sienne.

— Mon père a respecté lesinstructions, versé l’argent, mais…Mais…

— C’est là que nos versions del’histoire divergent, intervint Dmitricomme Nina hésitait. A l’époque, je n’aipas parlé à ma fille du kidnapping. Je luiai dit qu’Anna était morte. Ensuite,quand elle a eu dix ans, je lui ai dévoiléles conditions de l’enlèvement pour luiexpliquer pourquoi je prenais tant deprécautions pour sa sécurité. Mais…jusqu’à samedi dernier, je ne lui avaispas révélé toute la vérité sur le triste

destin de sa mère.Rafe devina la suite avec une terrible

appréhension, en soutenant difficilementle regard dévasté de Dmitri Palitov.

— Anna n’est pas morte au moment deson enlèvement ? souffla-t-il en serappelant ses recherches infructueusessur internet.

Dmitri crispa les mâchoires.— En réalité, elle est morte cinq ans

plus tard, dans une clinique privée oùj’avais été obligé de la placer quelquesjours après son retour. Elle est enterréedans le cimetière voisin. Elle avaitperdu l’esprit et ne me reconnaissaitmême pas. Elle s’était réfugiée très loinau-dedans d’elle-même, dans un endroitoù plus personne ne pouvait l’atteindre,

pour échapper aux abominations que cessauvages lui avaient fait subir pendant sacaptivité.

— Non, papa ! s’écria Nina en posantune main sur son bras.

La glace qui enserrait son cœur depuisqu’elle avait appris la vérité se craquelabrusquement et fondit. Il y avait tant dedouleur et d’angoisse dans les yeux deson père…

Samedi, sous le choc, elle avait étéincapable de s’en rendre compte.Pourtant, le terrible secret que DmitriPalitov avait gardé tout au long de sonexistence avait pesé lourdement sur sesépaules et rongé une partie de son âme.Sur l’instant, elle n’avait retenu qu’unechose : pendant cinq années, sa mère

avait continué à vivre loin d’elle et ellen’en avait rien su.

Mais quelle souffrance pour son père,et quelle solitude ! Il avait dû êtreinconsolable et désespéré de ne pasretrouver la femme qu’il avait connue.Semaine après semaine, il lui avaitrendu visite dans cette affreuse cliniqueimpersonnelle, alors qu’elle nereconnaissait plus ni son mari ni sa fille.

Nina prenait tout à coup conscience detout ce qu’il avait fait pour elle, pourqu’elle puisse grandir et s’épanouir engardant un bon souvenir de sa mère.

— J’ai eu tort, articula son père d’unevoix faible.

— Non, papa, cesse de te croirecoupable ! C’est moi qui ai mal réagi

samedi. Je n’ai rien compris.Elle lâcha la main de Rafe pour

s’approcher de son père et l’entourer deses bras.

— Je suis tellement désolée, papa…Je m’en veux d’avoir disparu ainsipendant deux jours. J’aurais put’épargner du chagrin et des inquiétudessupplémentaires.

— Je te pardonne de tout mon cœur,moya doch, répondit-il avec brusqueriepour dissimuler son émotion. Tu es saineet sauve, c’est tout ce qui m’importe.

Incapable de se retenir pluslongtemps, Nina éclata en pleurs. Ellepartageait enfin l’immense chagrin quiavait ravagé son père.

Bouleversé par la scène qu’il avait

sous les yeux, Rafe se leva. Il serra lespoings pour s’empêcher de prendre Ninadans ses bras. Pour elle et DmitriPalitov, c’était un instant d’apaisementet de réconciliation. Il devait rester unpeu en retrait, même s’il partageait leurémotion.

Il secoua la tête.— J’ai beaucoup de mal à vous

exprimer ma sympathie. Cette histoireest tellement tragique etincompréhensible… J’ai du mal à croireque vous avez traversé un drame aussiaffreux.

Il passa une main dans ses cheveux.Les mots lui manquaient. Il avait eu lachance de grandir dans une famille unie,entouré de l’amour de ses parents. Dans

les mêmes circonstances, il ne doutaitpas que son propre père aurait réagiexactement de la même façon queDmitri. S’il avait perdu sa chère ettendre épouse, Giorgio aurait sans doutecherché avant tout à protéger ses troisfils d’une vérité destructrice.

Il songea à Gabriel, tellementamoureux de Bryn qu’il remuerait ciel etterre pour se venger si quelqu’uns’avisait de lui faire du mal.

Et si la même chose lui arrivait, ilserait lui aussi fou de rage. Il chercheraità tout prix à retrouver les coupablespour les détruire de ses propres mains,les punir de leur crime et les empêcher àtout jamais de recommencer.

L’histoire de Dmitri Palitov ne

s’arrêtait probablement pas là… Rafes’arma de tout son courage pour poser laquestion qui lui brûlait les lèvres.

— Votre accident n’en était pasvraiment un, n’est-ce pas ?

— Non, confirma le vieil homme en seraidissant. Cela m’a pris beaucoup detemps, mais j’ai traqué les troisravisseurs sans répit et j’ai fini par lesdébusquer. Je les ai contactés pour leurdonner un rendez-vous. Je projetais deles tuer tous les trois, dans un endroit àl’écart, loin de la ville. Je voulais lesfaire souffrir autant qu’ils avaient faitsouffrir Anna…

Il marqua une pause lorsque Ninapoussa un cri étouffé.

— Je n’ai pas réussi, rassure-toi,

moya doch.— C’est vrai ? souffla-t-elle. Pourtant,

j’ai toujours eu peur… Nous n’en avonsjamais parlé franchement, mais j’aitoujours soupçonné…

Dmitri secoua la tête.— Ils étaient apparemment animés des

mêmes intentions à mon égard. Ilsvoulaient m’éliminer parce que je lesavais démasqués. Ils ont percuté mavoiture sur la route en cherchant à meprécipiter contre un arbre. Mais ils ontmal calculé leur affaire. Leur véhiculen’a pas supporté le choc. Deux d’entreeux sont morts sur le coup, et letroisième un an plus tard, des suites deses blessures.

Dmitri s’exprimait d’une voix calme,

dénuée d’émotion et de regret.Rafe le comprenait. Il avait agi en son

âme et conscience, comme n’importe quil’aurait fait à sa place. Lui, en tout cas.

— Si je vous avais connu à l’époque,Dmitri, je vous aurais proposé mon aide,déclara-t-il tranquillement.

Nina lui fut tellement reconnaissantede ne pas juger ou condamner son pèrequ’elle faillit lui sauter au cou pourl’embrasser.

D’ailleurs, elle en avait envie depuisl’instant même où elle avait pénétré dansson bureau, une heure plus tôt.

Tout comme elle mourait d’envie,samedi soir, de le rejoindre chez lui,malgré tout ce que son père lui avaitraconté. Elle avait besoin de se réfugier

auprès de lui, de sentir la présencerassurante de ses bras autour d’elle et dese perdre dans une étreinte passionnée,au lieu de se lamenter sur toutes lesannées perdues avec sa mère.

Mais son instinct l’en avait empêchée.Car en apprenant le détail de sa

conversation avec son père, Rafe auraiteu l’impression d’être utilisé, même s’iln’en était rien. Il lui était aussi vital quel’air qu’elle respirait. Parce qu’ellel’aimait, tout simplement.

— Vous m’impressionnez beaucoup,Raphael D’Angelo, déclara Dmitri sanscacher son admiration.

Rafe haussa les sourcils.— Nina est bien plus extraordinaire,

répondit-il avec beaucoup de respect.

Elle vous a soupçonné d’avoir tué cestrois hommes pendant la plus grandepartie de son existence. Pourtant, ellen’a jamais rien dit et a toujours gardé lesecret.

— Oui, acquiesça Dmitri, uneétincelle d’orgueil au fond des yeux.

Nina s’agita, un peu mal à l’aise.— J’aurais peut-être dû me libérer de

ce fardeau en posant des questions àmon père. Papa, j’ai tellement honte ! Jesuis désolée d’avoir imaginé le pire…

— C’est le destin qui en a décidé, enchangeant le cours des événements,moya doch, murmura son père. Cettenuit-là, j’étais sincèrement déterminé àdébarrasser le monde de trois ignoblesindividus.

— Mais tu ne l’as pas fait.Elle serra la main de son père en se

pénétrant de cette vérité libératrice.— Tu ne l’as pas fait, papa ! répéta-t-

elle avec un soulagement immense.Elle était enfin libérée du poids qui

l’écrasait depuis si longtemps et quil’empêchait de vivre pleinement.L’horizon s’éclaircissait devant elle, luioffrant des choix infinis.

— Non, concéda-t-il. Et j’en auraisété de toute façon bien incapable. J’en aipris conscience cette nuit-là, pendantque je me rendais au rendez-vous quej’avais fixé à ces hommes.

Il serra la main de sa fille.— Je ne pouvais pas me transformer

en assassin parce que tu avais besoin de

moi. Si j’avais tué cette vermine,j’aurais dû payer pour mon crime et tu teserais retrouvée complètement seule.Comment t’aurais-je abandonnée à cetriste sort, en te privant du seul parentqui te restait ? C’était impossible.

De nouveau, les larmes brouillèrent lavue de Nina. Elle pleurait de joie,maintenant. Son père était innocent ! Iln’était même pas responsable del’accident qui lui avait ôté l’usage deses jambes.

Libérée, elle pouvait désormaisenvisager de mener une existenceindépendante, et d’offrir son cœur àl’homme dont elle était éperdumentamoureuse.

Peu importait que Rafe ne lui retourne

pas son amour. Elle se contenteraitd’une aventure, d’une liaison, mêmebrève, pour aussi longtemps qu’ilvoudrait.

Si toutefois il en avait encore envie ?Rafe tressaillit lorsque Nina lui

adressa un sourire ému et resplendissant.Malgré tout, il avait encore une

question à poser à Dmitri.— Pourquoi avez-vous brusquement

décidé de révéler la vérité à Nina ?— A votre avis, Rafe ?Rafe scruta l’expression de Dmitri. Il

avait peur de se tromper.Pourtant, il avait de bonnes raisons

d’espérer.Oui, Dmitri avait sans doute choisi

d’accorder enfin à sa fille la liberté de

vivre et d’aimer. Car il avait deviné lessentiments de Rafe.

— Vous avez sans doute encorebeaucoup de choses à vous dire, Nina etvous, Dmitri, déclara Rafe d’une voix unpeu altérée. Cependant… Cela vousennuierait si je vous la volais pourquelques heures ? Elle n’a sûrement pasbeaucoup mangé ces deux derniers jourset j’aimerais au moins l’inviter àdéjeuner.

— C’est une excellente idée, Rafe. Detoute façon, Nina et moi avons tout letemps devant nous pour reprendre le filde cette conversation.

— Nina ? lança Rafe en tendant lamain à la jeune femme.

Il retint son souffle en guettant sa

réponse.

12.

— Tu as remarqué comment mon pèrea discrètement fait signe à Andy et Richde nous laisser tranquilles ?

Rafe regarda Nina, assise à côté de luidans la voiture. Les yeux rouges, elle luiparut soudain très jeune et vulnérable.

— Oui.Elle se détendit un peu et appuya la

tête contre le dossier du siège.— Je suis désolée de t’avoir infligé

tout cela.— C’est moi qui ai choisi de rester,

Nina, corrigea-t-il. Et il faut arrêter det’excuser constamment. Tu n’as rien à tereprocher.

Il glissa une main vers elle pour serrerses doigts entre les siens.

— Je t’admire beaucoup, reprit-il.Rafe l’admirait ?De la part de l’énigmatique Rafe

D’Angelo, c’était un complimentinattendu.

— Merci, c’est gentil.— Gentil ? répéta-t-il, déçu.— Oui, très, le taquina-t-elle.Elle était si heureuse d’avoir enfin

dissipé tous ces malentendus avec sonpère et, plus important encore, d’être

avec Rafe. L’homme qu’elle aimait.D’un amour si fort, si profond, qu’ill’emplissait d’une force incroyable.

— C’est tout ce que tu trouves à dire ?lança-t-il.

Nina ne voulait surtout pas attachertrop d’importance à une parole qu’ilavait peut-être prononcée sans réfléchir.Pour changer de sujet, elle demanda :

— Où allons-nous ?Rafe réprima un mouvement

d’impatience devant la désinvolture deNina, qui refusait de parlersérieusement. Même s’il avait obtenul’approbation tacite de Dmitri, il étaitsans doute trop tôt, malgré tout, pourdemander à Nina de s’engager. Pour lemoment, elle avait juste besoin de se

perdre dans le désir, la passion et leplaisir des sens…

— Dans le meilleur restaurant de NewYork, répliqua-t-il.

Elle baissa les yeux sur le tailleur-pantalon qu’elle avait revêtu ce matin-làcomme une armure.

— Je ne suis pas vraiment habilléepour la circonstance.

— Je pensais plutôt t’emmener chezmoi, avoua-t-il.

Elle rougit en se remémorant sa seuleet unique visite chez lui.

— J’ignorais que tu savais cuisiner !— Non, malheureusement, admit-il. Il

faudra te contenter de fruits et defromage, j’en ai peur. Mais l’endroit oùnous allons manger n’a pas son pareil

dans tout New York.— Tu joues aux devinettes ?— Oh ! il y a toutes sortes de jeux

auxquels j’aimerais me livrer avec toi,plaisanta-t-il en pénétrant dans leparking souterrain de son immeuble.

Après avoir garé sa voiture, il setourna vers Nina et plongea le regard aufond de ses grands yeux verts.

— Des jeux très érotiques… D’abord,je vais te déshabiller et te coucher dansmon lit. Ensuite, je disposerai mondéjeuner sur différentes parties de toncorps délectable, et je m’en régalerai enfaisant durer le plaisir le plus longtempspossible.

— Rafe ! protesta-t-elle, cramoisie.— L’idée ne te plaît pas ? la taquina-t-

il en libérant sa magnifique chevelurequi tomba sur ses épaules en vaguesflamboyantes.

Au contraire… Après ces deuxjournées traumatisantes, elle n’auraitrien rêvé de mieux.

— Si, infiniment, chuchota-t-elle. Acondition que je puisse te rendre lapareille.

Rafe hocha la tête.— J’ai faim de toi…Elle s’humecta les lèvres du bout de la

langue.— Moi aussi.— Tant mieux !Il sauta prestement à terre et fit le tour

pour ouvrir sa portière. Puis, la prenantpar le coude, il la conduisit vers

l’ascenseur.Avant même d’arriver à l’étage de son

appartement, ils se perdirent dans unlong baiser passionné qui décupla leurimpatience.

Ils sortirent de l’ascenseur en titubant.Rafe avait à peine refermé la porte

qu’ils se débarrassèrent de leursvêtements avec une hâte fébrile. Ilsétaient nus quand ils parvinrent dans lachambre et ils se jetèrent sauvagementsur le lit pour s’abandonner au plaisir.

* * *

— Tant pis pour le déjeuner, murmuraNina beaucoup plus tard tout encaressant le torse de Rafe.

— Oh ! nous allons tout de mêmemanger, lui assura-t-il en s’appuyant surun coude pour la contempler.

Dieu, comme elle était belle ! Avecses pommettes roses, ses yeuxresplendissants et ses lèvrespulpeuses…

— Je… J’avais trop envie de toi pourattendre. Mais nous allons recommenceren prenant notre temps, cette fois-ci.

Il scruta son expression.— Je n’ai pas été trop brutal,

j’espère ?Elle lui sourit timidement.— Pas du tout.— Nina…Il hésita un instant avant de

poursuivre.

— Oui ? le pressa-t-elle, un peusurprise.

Le Rafe qu’elle connaissait et aimaitn’était jamais indécis, et cela l’intrigua.

Il inspira profondément.— Je m’étais promis de ne pas

aborder la question aujourd’hui. Tu aseu assez d’émotions comme cela…

Un nœud douloureux contractabrusquement l’estomac de la jeunefemme. Rafe allait mettre un termedéfinitif à leur relation…

Quoi qu’il en soit, elle se soumettraitsans protester à sa décision. Elle nevoulait pas qu’il se sente coupable,surtout après l’avoir soutenue comme ill’avait fait pendant son explication avecson père. Il avait tout écouté avec calme,

sans porter de jugement, ce dont elle luiétait infiniment reconnaissante. De toutefaçon, s’il voulait rompre, elle nepouvait pas lui en tenir rigueur.

— Tu ne veux plus me voir, dit-ellesimplement.

— Pardon ?Les yeux d’or de Rafe s’assombrirent.— Ce n’est pas grave, Rafe.Déterminée à ne pas craquer devant

lui, elle effleura son épaule d’unecaresse. Elle s’effondrerait plus tard,hors de sa vue.

— Je savais dès le début que cela nedurerait pas, continua-t-elle.

La mine sévère, Rafe fronça lessourcils.

— Tu ne veux plus me voir ?

— C’est toi qui ne veux pas !— Je n’ai jamais dit cela.— Mais… Tu allais le faire.— Pas du tout !Rafe rejeta le drap et sauta au bas du

lit pour arpenter nerveusement la pièce.— Le moment est mal choisi, je le

savais, maugréa-t-il.— De quoi parles-tu ? demanda Nina,

déconcertée par son comportement.Rafe secoua la tête.— Tu es bouleversée à cause de

l’histoire de ta mère, c’est normal.— Je vais bien, Rafe, je t’assure.Quand il s’arrêta pour la regarder, elle

le rejoignit, sans se soucier de sa nudité.— En fait, je me sens mieux que je ne

l’ai jamais été. Je connais la vérité et

cela m’enlève un poids immense. Pourla première fois de ma vie, je me senslibre, débarrassée de mes angoisses.

— Libre ? répéta-t-il en s’efforçant dene pas se laisser distraire parl’incroyable beauté de ce corps defemme.

— Oui, libre de vivre et d’aimer,ajouta-t-elle d’une voix rauque.

Son regard était attiré comme unaimant par la preuve manifeste du désirque Rafe éprouvait pour elle.

Quant à lui, il n’arrivait pas à détacherle regard des lèvres de Nina, humides etlégèrement entrouvertes.

Sans savoir comment, il se retrouvatout près, à quelques centimètres d’elle àpeine. Dieu, comme il avait envie de la

soulever dans ses bras pour la porterjusqu’à son lit ! Il lui ferait l’amourjusqu’à ce qu’elle lui promette de nejamais le quitter.

Il se gratta la gorge.— Je suis amoureux de toi, Nina.Il articula maladroitement ces mots

qu’il n’aurait jamais imaginé prononcer,mais qu’il avait un besoin absolu de direà Nina.

— Je t’aime.C’était beaucoup plus facile la

deuxième fois. Quelque chose s’éclairaen lui et sa gêne se dissipa comme parenchantement.

— Je t’aime, Nina Palitov, murmura-t-il de nouveau en la serrant contre lui àl’étouffer. Je t’aime, Nina. Je t’aime. Je

t’aime !Sa voix s’éleva, de plus en plus

joyeuse et légère tandis qu’il répétaitson aveu, inlassablement.

Stupéfaite et désemparée, Nina avaitpresque peur de le croire. C’étaittellement merveilleux et inattendu ! Il y aquelques secondes à peine, elle serésignait à le perdre et tout à coup il luidisait des paroles qu’elle n’espéraitplus.

— Moi aussi je t’aime, chuchota-t-elle. Je t’aime, Rafe.

Elle posa les mains sur son torse, àl’endroit où battait son cœur, commepour s’assurer qu’il ne mentait pas.

Rafe raffermit son étreinte.— Epouse-moi, Nina. S’il te plaît !

Elle le fixa avec un étonnement sansbornes.

— Rafe D’Angelo ne croit pas àl’amour ni au mariage.

— Il n’y croyait pas jusqu’à ce qu’il terencontre, corrigea-t-il d’un ton bourru.Mais tu as tout changé.

Il déposa un baiser sur sa tempe.— Je te veux pour toujours, Nina. Tu

seras ma femme et la mère de mesenfants. Je veux passer le reste de monexistence avec toi, Nina. Je veux meréveiller le matin auprès de toi pourcommencer chaque journée en te faisantl’amour.

Nina le contempla avec uneexpression de pur émerveillement.

— Oui, Rafe. Oui, je veux être ta

femme ! Je t’aime tellement, tellement !Elle offrit son visage à ses baisers

possessifs.Le reste du monde cessa d’exister

pendant qu’ils s’abandonnaient aumerveilleux amour qui venait de serévéler à eux.

* * *

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est une marque déposée par le Groupe Harlequin

Azur® est une marque déposée par Harlequin© 2014, Carole Mortimer.

© 2015, Traduction française : Harlequin.Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de :

HARLEQUIN BOOKS S.A.Tous droits réservés.

ISBN 978-2-2803-3692-5

Tous droits réservés, y compris le droit dereproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sousquelque forme que ce soit. Ce livre est publié avecl’autorisation de HARLEQUIN BOOKS S.A. Cetteœuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres,les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit lefruit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés dans lecadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblanceavec des personnes réelles, vivantes ou décédées, desentreprises, des événements ou des lieux, serait unepure coïncidence. HARLEQUIN, ainsi que H et le

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