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Le secret des Harrington - Eklablogekladata.com/E7Ya0m3WlH3uXa4USkN7ol6dOuA/EBOOK_Melanie...Le secret des Harrington Il est temps désormais pour les Harrington d’entrer dans la

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  • LesecretdesHarrington

    IlesttempsdésormaispourlesHarringtond’entrerdanslalumière…Lorsquecesquatrehéritiersd’unechaîned’hôtelsauluxediscretetraffinésevoientproposerunrachatparleursexubérantsrivaux,lesdeuxfamillessedécouvrentennemies.Ainsicommencealorsunjeudepouvoirqui

    bouleverseraàjamaisleurdestinàtous…Maisnulnesaitque,dansl’ombre,unactionnairesecretalepouvoirdedécideràluiseuldel’issue

    decetteguerresansmerci.PourlesHarrington,leslieuxdevillégiaturelesplusluxueuxdelaplanètesesonttransformésen

    champsdebataille.Leurbut?Lepouvoir.Leurrêve?Lapassion…

  • 1.

    Cen’étaitvraimentpaslemomentdenettoyerunebouledepoils.Isabelleposaunregarddépitésursonchat,Atticus.Leconseild’administrationétaitsurlepointdecommencer,etellenetenaitpasàêtreenretard.

    —Tuasbienchoisitonjour!Indifférent,Atticusronronnaavecindolenceentendantunepatteverslabrosse.—Tuauraispufaireçahier,quandj’avaisletempsdet’emmenerchezlevétérinaire,reprit-elle.

    Aujourd’hui,j’aicentpersonnesquim’attendentdanslasallederéunion…Plusquecinqminutes!ElleimaginaleclanChatsfieldentraindeprendreplace,Geneentouréde

    seshuitpetits-enfants…etdesonneveuSpencerChatsfieldavecsesdeuxfrères.LaseuleévocationdeSpencersuffisaitàfairedéferlerenelleunevaguedechaleur.Pourtant,elleauraitdûêtredégoûtéeàtoutjamais après ce qui était arrivé dix ans plus tôt. Comment avait-elle pu tomber dans le piège de ceséducteur qui ne songeait qu’à prendre du bon temps ? Elle enrageait d’avoir été aussi stupide. Al’époque,elleétaittropnaïveetcrédulepourlevoirtelqu’ilétait.

    Etpuis,ilyavaittoutjusteseptmois,ilavaitréapparudanssavieavecuneoffrederachat.Uneoffrederachat!Ilnedoutaitderien.

    A son habitude, il avait comploté en coulisses et réussi à récupérer quarante-neuf pour cent ducapital Harrington. A présent, ils détenaient exactement le même nombre de parts. Mais, si Spencerespéraitobtenirlamajorité,ilsetrompaitlourdement.

    —J’auraisdûprendrelajolieécailledetortueàpoilsras,maugréaIsabelleencontinuantàbrosservigoureusementAtticus.

    Cedernierclignadesyeuxenlevantobligeammentunepattearrière.—Ouunchien…Celadit, j’auraiseuplusdemalà l’introduireclandestinementdansl’hôtel.Le

    règlement est très strict.Aucunanimaldomestique autorisé !Tuasde la chanced’avoir pu te faufilerdiscrètement.

    Elleconsidérad’unairsoucieuxsonchatpersanbleu-grisauxyeuxverts.—Tunevaspast’étoufferpendantmonabsence,j’espère?Atticusmiaulaplaintivementpendantqu’elleattrapaitsonsacetsontéléphone.

    ***

    Leregardd’IsabelleseposasurSpencerdèsqu’elleentradanslasalle.Assisàlagauchedesesfrères,BenetJames,ilportaituncostumedegrandcouturiergrisanthracite,avecunechemiseblancheimmaculéeetunecravateàrayuresnoiresetargent.Sonregardbleusaphirlafrappadepleinfouet.

  • Ilétaitimpossiblededéchiffrersonexpression.Passémaîtredansl’artdemenerdestractationsdehautniveau,Spenceraimaitdomineret séduire. Ildissimulait toujours sespenséesderrièreunmasquemarmoréenouunsourireénigmatique.Commeelle…Aufildesans,elleavaitapprisàdevenirmoinstransparente.

    IsabelleHarringtonredressa lementonet jetaunregardcirculairesur l’assistance,composéedesdeuxfamillesHarringtonetChatsfield,ainsiquedetoutlepersonneldel’hôtel.

    —Jesuisdésoléed’êtreenretard.J’aiétéretenuepar…unsoucidomestique.LeonardSteinberg,legestionnaireetprésidentdeséance,luisourit.—Toutestréglé,j’espère?—Absolument.Isabelleavisaunechaisevide,justeenfacedeSpencer.—Quiattendons-nous?—L’actionnairemystère,réponditSpencerChatsfieldenjouantavecsonstylo.Isabelleréprimaunfrissonenentendantsavoixdebaryton,avecsonaccentanglaiscaressant.Elle

    devaitseconcentrer.C’étaitlemomentqueleclanChatsfieldattendaitimpatiemmentdepuisdesmois.Enfaisantpencherlabalanced’uncôtéoudel’autre,lesdeuxpourcentdécisifsrégleraientlesortdugroupeHarrington.Isabellesavaitprécisémentquiallaitentrer.Larévélationferaitdubruitdanslesmédias.LesChatsfieldavaientledondeprovoquerdesscandales,maiscelui-cisurpasseraittouslesautres.

    Quand la porte s’ouvrit sur la belle-mère d’Isabelle, l’apparition d’un fantôme n’aurait pasprovoquéplusdestupeursurl’assembléefamiliale.

    —Maman?—Toi?—Commentas-tupu?—Liliana?Isabelle éprouvait de la pitié pour eux, à l’exception de Spencer. Liliana avait eu beaucoup de

    chance de garder aussi longtemps le secret de son identité. Cela tenait du miracle en cette ère desappareils-photo numériques et des réseaux sociaux. Mais Liliana était secrète, fuyante, difficile àapprocher…

    Les enfants Chatsfield étaient très jeunes, et Cara encore bébé, lorsque leur mère les avaitabandonnés en pleine dépression postnatale. Elle n’avait ensuite jamais repris contact. Isabelle necomprenaitpasqueLilianaaitcoupélespontsd’unemanièreaussidéfinitive,maissabelle-mèreavaitunepersonnalitétrèscomplexe,assezimpénétrable…IldevaitêtretrèsdurpourlesenfantsChatsfielddevoirleurmèreresurgirsisoudainement,telleuneanciennecélébritédeHollywoodrevenantsouslesfeuxdelarampe.

    —C’estunchocterriblepourvoustous,ditLiliana.Mêmesijesuisimpardonnable,jevousdoisdesexplications.Maislesaffairesd’abord.

    EllesetournaversSpencer.—Jetedonnemesdeuxpourcent.Isabellebonditdesonsiège,sifortbrusquementquesachaisebasculaenarrièreetheurtalemur.—Quoi?—AconditionqueturestesdirectriceduHarrington.Trèspâle,Isabelleouvritetrefermalaboucheplusieursfois,maisaucunsonn’ensortit.Cequise

    produisaitétaitabsolumentinsensé.Cesactionsluiappartenaient.EllerêvaitdepuistoujoursdedétenirlamajoritéducapitalHarrington.C’étaitsonseulbutdanslavie.Elleétaitd’ailleursindispensabledanscet hôtel, où elle travaillait depuis son adolescence. Comment pouvait-on lui ôter son bien pour leremettreàunétranger?

    C’étaitsonhôtel,pasceluideSpencerChatsfield.

  • —Toutefois, en tant qu’actionnairemajoritaire, Spencer sera désormais P-DG duHarrington deNewYork,ajoutaLiliana.

    Leventrenouéparleressentiment,IsabelleentendaitàpeinelesmurmuresdestupéfactionduclanChatsfield.Geneavaitl’airauborddelacrisecardiaque.QuantàSpencer,imperturbableetparfaitementmaîtredelui,ilseréjouissaitévidemmentd’écrasersonadversaire…Ilétaitsansdouteaucourantavantmêmeledébutdelaséance.Etait-ilintervenuauprèsdeLilianapourgagnersesfaveurs?Ilnereculaitdevantrienpourparveniràsesfins.Isabelleenavaitmalheureusementfaitl’expérienceàvingt-deuxans,lorsque, inondée de cadeaux et d’attentions romantiques, elle avait fini par succomber à son charme.Rompuàl’artdelaséduction,ilavaitabusédesoninnocence.

    —Jerefusedetravailleraveclui!s’écria-t-elleenlefoudroyantduregard.— J’ai beaucoup réfléchi, crois-moi, Isabelle, répliqua Liliana sur un ton apaisant. C’est ce

    qu’auraitsouhaitétonpère.—Monpère?Isabellefaillits’étouffer.—Commentpeux-tudireunechosepareillealorsqu’ilaléguésespartsàJonathan?Siseulement

    cetidiotnelesavaitpasperduesaupoker!C’estmoiquiauraisdûenhériter.—Jesaisquec’estdifficilepourtoi,soupiraLiliana.Maisc’estlameilleuresolution.—Pourquoifais-tucela?Pourquoiluidonnes-tul’avantagesurmoi?lançaIsabelleendésignant

    Spencerdumenton.Tusaiscequecethôtelreprésentepourmoi,toutletravailquej’aifourni…—Réglezcelaentrevous,tranchaLiliana.Puisellesetournaverssafamillecomplètementsouslechoc.—Aprésent,jeveuxvousdonnermaversiondel’histoire…etvousexpliquerlesconditionsqui

    m’ontconduiteàvousabandonner.Geneselevaenpoussantunjuronetsortitenclaquantlaportesibruyammentquelesverresd’eau

    vacillèrentsurlatable.Avecunsoupir,Lilianaaffrontalesexpressionstristesetconsternéesdesesenfants.—Laraisonprincipalevientdes’éclipser…Isabelle observa la fratrie Chatsfield. Après une aussi longue absence de leur mère, chacun

    réagissait à sa façon.L’atmosphère était chargéed’unmélangede colère et dedésillusion, teinté pourcertainsdefrustrationetdedésespoir.

    — Il vaut mieux laisser Liliana seule avec sa famille, intervint Spencer en prenant fermementIsabelleparlecoude.

    —Mais…—Nousaussi,nousavonsnospropresaffairesàdiscuter.Impossibledesesoustraireàsoninjonctionautoritaire,d’autantpluspuissantequeSpencerexerçait

    toujoursunpouvoircertainsursoncorps.Résiste,necessait-elledeserépéter,maislessouvenirsnecessaientd’afflueràsoncontact…Elle

    étaitenvahieparunmaelströmdesensationsetundésirqu’elleavaitstoïquementignoréenseplongeantdansuntravailforcenépendantdesannées.Malgréelle,ellesesentaitfébrile.

    Spencerlaconduisitdehors,loinduchahutquirégnaitàl’intérieur.—Laissons-lesàleursretrouvailles.Isabellesedégageabrutalement.—Nemetouchepas.Ilhaussalessourcils.—Tunedisaispaslamêmechoseilyadixans,répliqua-t-ilavecunsous-entenduironique.Isabelle serra les poings, si fort que ses ongles entamèrent la chair de ses paumes. Une haine

    farouche,inextinguible,l’animait.

  • —N’ai-jepasétéassezclairequandtuasrepriscontactavecmoi?souffla-t-ellefurieusement.Ilportalamainàsajouegauche.—Avise-toiseulementdemegiflerencoreunefois,ettuleregretteras,jetelejure.Isabellefrissonna.Jamais,desavie,ellen’avaitrecouruàlaviolencephysiqueavantcetteentrevue

    épouvantable,septmoisplustôt.Incapabledesemaîtriser,elles’étaitlittéralementjetéesurlui.Spencerétait restédemarbre,mais elle reconnaissait en cemoment lamême lueur inflexible etmenaçantequis’étaitalluméedanssonregard.Sesjambesentremblaient,etunfrémissementcourutentresescuisses.Comment pouvait-il encore avoir autant d’effet sur elle ?C’était insupportable.Celadevait cesser. Ilfallaitseressaisir.Absolument.

    Ellesedirigearésolumentverssonbureau.—J’aidutravail,lança-t-ellepar-dessussonépaule.Illarattrapaendeuxenjambéesetlapritparlebras.—Nousavonsdutravail,corrigea-t-ilenl’accompagnant.Quandilrefermalaporteautoritairement,Isabellefrémit.Qu’espérait-t-il?Croyait-illamanipuler

    aussifacilementquelorsqu’elleavaitvingt-deuxans?Surdescharbonsardents,ellesemaîtrisasuffisammentpourselibérerdesonemprise,calmement,

    endépliantsesdoigtsunàun.—Apparemment,tunem’aspascomprise,Spencer,lâcha-t-elle.Jeneveuxplusrienavoiràfaire

    avectoi.SituasenviedejouerauMonopolyavecteshôtels,libreàtoi,maisceserasansmoi.Ilesquissaunrictussarcastique.—Dixansaprès,tuestoujoursaussifurieusecontremoi?Isabelleserralesdentspourréprimersesémotionstumultueuses.Commentosait-ilsemoqueraprès

    l’avoirtrahied’unefaçonaussiéhontée?Il l’avaitséduitedansleseuletuniqueobjectifdegagnerunpari avec des amis qui l’avaient mis au défi de « se faire » Isabelle Harrington. Elle osait à peineimaginer leursplaisanteriesgrivoises…Dieumerci,ellene luiavaitpasavouéqu’ilétaitsonpremieramant. Il se serait vanté d’avoir défloré une célébrité new-yorkaise, et ils en auraient fait des gorgeschaudes.

    Ilyavaitaussicetautresecret,qu’ellen’avaitconfiéàpersonneàpartsonamieSophie…Isabelle refoula cette pensée douloureuse. Elle avait toutes sortes de raisons légitimes d’être

    furieusecontrelui.Riennepourraitjamaiseffacerlemalqu’illuiavaitinfligé.—Détrompe-toi, je n’éprouve pas de ressentiment à ton encontre, déclara-t-elle. Tume laisses

    totalementindifférente.Ellefutprisedecourtquandiltenditlamainpourrepousserunemècherebellederrièresonoreille.

    Cecontact,mêmefugace,déclenchaenelledessensationsd’uneviolenceinouïe.Néanmoins,déterminéeà ne rienmontrer, elle se força à demeurer impassiblemalgré le danger. Spencer exerçait sur elle unmagnétisme irrésistible, contre lequel il était vain de lutter. Elle retint son souffle quand il traçadélicatementduboutdesdoigts la lignedesamâchoirecrispée.Celafaisaitdesmoisetdesmoisquepersonnenel’avaittouchée.Sapeaufrémissait.Toutsonêtretremblaitdedésir.

    Commemusparunevolontépropre,lesyeuxd’IsabelleseportèrentsurlabouchedeSpencer.Sonventresecontractatandisqu’elleseremémoraitlasaveuraddictivedesesbaisers,empreintsdeduretéou de douceur, mais toujours d’une sensualité exquise. D’autres hommes l’avaient embrassée depuis,maisaucunaveclemêmeartconsommé.Personnen’avaitsu l’ébranlercommelui,auplusprofonddesonêtre,niéveillercetélanimpérieux,terrifiantetexcitantàlafois.SpencerChatsfieldavaitlibéréunefacettedesapersonnalitéàlaquellepersonned’autren’avaiteuaccès.Devantlui,ellen’étaitplusrienetsedisloquaitend’innombrablespiècesd’unpuzzlemystérieuxqu’ilétaitseulcapabledereconstituer.

    Ilpritsonmentonentrelepouceetl’indexpourl’obligeràleregarderdroitdanslesyeux.—C’estunebonnechose,commenta-t-il,puisquejesuistonpatronmaintenant.

  • Isabelles’écartaencroisantlesbrasdansungestedéfensif,uneexpressionglacialesurlevisage.—Jen’aipasd’ordresàrecevoirdetoi.Ileutunsourireamusé.—Tuasentendutabelle-mère.Désormais,jesuisactionnairemajoritaire.—Commentt’yes-tuprispourgagnersesfaveurs?Sesactionsauraientdûmerevenir.—Dequeldroit?Elleserralesmâchoires.—Jetravailledanscethôteldepuismonadolescence.J’aiconsacrélaplusgrandepartiedemon

    existenceàdécouvrirparmoi-mêmetouslesaspectsdelagestion,depuislacuisinejusqu’auservicedeschambres.Quand ta tante est entréedans laviedemonpère, c’estmoiqui ai tenu legouvernail pourgarder lecap. Jen’aiménagénimon tempsnimapeine.C’estmoi, encore,quiai jeté lesbasesd’unprojetdedéveloppement.Jemesuissacrifiéepourassurerl’avenirduHarringtondansunmarchédeplusenplusmondialiséetcompétitif.Lilianalesavaitparfaitement.Ellen’avaitpasledroitdetedonnerlapréférence.

    —Elleétaitlibred’agiràsaguise.Isabelleproféraunjuronàvoixbasse.—Commed’habitude,ellen’enfaitqu’àsatête,auméprisdetoutlemonde.Spencerscrutalonguementsonexpression.—Depuisquandes-tuaucourant?s’enquit-il.—PourLiliana?Impassible,ilsecontentadehocherlégèrementlatête.—Unboutdetemps…—C’est-à-dire?Isabellepinçaleslèvres.—Ettoi?—C’est trèsrécent.Apeinevingt-quatreheures.Jevoulaisenavoir lecœurnetavant leconseil

    d’administration.Parlestempsquicourent, ildevientquasimentimpossiblededissimulersonidentité.Internetpermetdeserenseignersuràpeuprèsn’importequi,mêmelesgenslesplussecrets.

    En avait-il profité pour effectuer des recherches sur elle ? se demanda Isabelle. Elle-même nes’étaitpasprivée,cesdernièresannées,delesuivreàlatracepoursavoirquiilfréquentait,oùilpassaitsesvacances…Mêmes’iln’arrivaitpasàlachevilledesoncousinLuccaChatsfield,Spencerétaitunséducteurinvétéré…

    —J’aiprovoquéunediscussionsurlesujetavecLilianailyaquelquesmois,déclaraIsabelle.Jetrouvaisvraimenttropcrueldesapartd’avoirlaisséaussilongtempssafamilledansl’ignorance.Jepeuxcomprendrequ’onsoitperturbé,maispasaupointd’abandonnerunbébédesixsemaines.

    —Apparemment,elleafaitunedépressionpostnatale.Isabelleluilançaunregardcynique.—Pendantvingtans?Ilhaussalesépaules.—Elleaprobablementfiniparserendrecomptequ’ellenepouvaitpassecacherindéfiniment.UnsoupçoneffleuraIsabelle.—Tul’assoudoyée?Ilsemitàriredoucement.—MonDieu,machérie,quelleopinionas-tudemoi?—Nem’appellepasainsi,maugréa-t-elle.Ils’appuyacontreleborddubureauencroisantnonchalammentlesjambes,commes’ilétaitmaître

    deslieux.Cequin’étaitmalheureusementpasloindelavérité…

  • —Commentétait-elle,commebelle-mère?Isabellesoupira.—Ellea toujoursgardésesdistances,commesielleavaitpeurd’assumersonrôle.Monpèreet

    elleformaientuncoupletrèsuni.Dèsqu’elleestapparueàsescôtés,iln’apluseudetempspourrien,nipournousnipoursesaffaires.Ill’adorait.Elleluiauraitfaitfairen’importequoi.Cequiexpliquesansdoutepourquoiiln’ajamaisdévoilésonidentité.C’étaitleurpetitsecret.

    —Jusqu’àcequetudécouvreslepotauxroses.Ellefronçalessourcilsd’unairirrité.—Jem’étonneque lavéritén’ait jamais éclaté augrand jour. Il aurait suffid’unephotopour la

    démasquer.Maiselleétait toujourssursesgardesetévitaitsoigneusementl’objectif,prétextantqu’elleétaitmalcoifféeouqu’elleavaitmauvaisemine…Evidemment,maintenant,touts’explique.

    — Etant donné vos relations plutôt tendues, je me demande pourquoi tu espérais devenir labénéficiairedesesdeuxpourcent?

    Isabelleregrettaitmaintenantd’enavoirtropditsursessacrificesetsesrêves.Spencernerisquait-ilpasd’utilisercesrenseignementsàsonavantage?Dixansplustôt,aucoursdeleurbrèveliaison,elleavait fait très attention de ne pas évoquer sa belle-mère,mais il avait dû percevoir quelque chose debizarre.Pendantdesannées,Isabelleavaitessayédenouerdescontactsaveclanouvellefemmedesonpère.Envain.Extrêmementréservée,Lilianaétait restéecentréesurelle-même,sanssepréoccuperduchagrindestroispetitesorphelinesdontelleauraitdûsesentirresponsable.

    —Sottement,jecroyaisqu’ellemesauraitgréd’avoirtanttravaillépourl’hôtel.Manifestement,jemesuistrompée.

    —Pastoutàfait.Elleainsistépourqueturestesdirectrice.—Soustoninfluence?lança-t-elle,soupçonneuse.Ildemeuraimpénétrable.—Anous deux, nous pourrions insuffler une impulsion nouvelle à cet établissement un peu trop

    traditionnel.Lerelooker,lemoderniser.Qu’enpenses-tu?Isabelleseredressaavecarrogancederrièresonbureau.Sanschangerdeposition,Spencerpivota

    légèrementpourluifaireface.— Tu ne comprends rien à la classe et à la distinction du Harrington, dit-elle. Vous autres, les

    Chatsfield,vousêtestouspareils.Vouscroyezquelebien-êtreselimiteauconfortd’unebonneliterie,avecdesserviettesdebainmoelleusesetunminibarbiengarni.

    Ilfronçalessourcils.—Qu’as-tudeplusàoffrir?—Al’hôtel?demanda-t-elleavecunregardcirconspect.Unelueurmalicieuses’allumadanslesyeuxdeSpencer.—Oui,biensûr.Quoid’autre,sinon?—LeHarringtons’enorgueillitdeprestationsdeluxequis’adressentàuneélite,réponditIsabelle

    avecfiertésansprêterattentionausous-entendudeSpencer.—Letout-venantn’apasdroitdecitéchezvous?railla-t-il.—Absolument.—Vosprofitsontchutésensiblementletrimestredernier,poursuivit-ilsansménagement.Isabellesecrispa.—L’hiveraétéparticulièrementrigoureux.Lesaffairestournenttoujoursauralentienbassesaison.

    Leschiffresremonterontavecleprintemps.Spencerramassaunpresse-papiersencristaletletintaucreuxdesapaume.Leregardattiréparses

    longsdoigtsélégants,Isabellerougitenseremémorantmalgréellesescaressessursesseins.Aprèstoutcetemps,commentpouvait-ilconserverautantdepouvoirsursasensualité?Ellen’avaitjamaisoublié

  • l’intensitédesplaisirsqu’elleavaitdécouvertsaveclui.Toutsonêtreenvibraitencore.Lecontactdeseslèvres,desalangue,lafaçondontilsemouvaitenelle,l’accordparfaitdeleursdeuxcorpsréunis,toutrésonnaitenelledansunesymphonieinégalable,commeexclusivementcomposéepoureux.

    Malheureusement, Spencer Chatsfield n’était pas l’homme d’une seule femme. Il avait eud’innombrablesmaîtresses,avantetaprèselle.Ilaimaitavanttoutséduire,conquérir,sanssesoucierdenouerdesliensetencoremoinsdes’engager.C’étaituncollectionneuravidedenouveauté,danstouslesdomaines,cequil’avaitpousséàs’approprierleHarringtoncommes’ils’étaitagid’untrophée.

    Ilreposalepresse-papiers.—Jouonscartessurtable.Quelssonttesatouts?Elleletoisa.—Jesaistrèsbiencequetuesentraindefaire.—Ahbon?répliqua-t-ilinnocemment.Isabellepinçaleslèvres.—Inutiledetefatiguer,çanemarcherapas.Jenesuispluslapetitesottequis’estlaisséséduireil

    yadixans.L’expressiondeSpencerseradoucit,commes’ilsesouvenaitdecequ’ilsavaientpartagéalors.—Jenet’aijamaisprisepourunesotte.Elles’efforçadedemeurerinsensibleàsabellevoixgraveetàl’étincellequibrillaitaufonddeses

    yeux bleus. Le désir primitif qu’il éveillait en elle l’effrayait. Pourquoi ne pouvait-elle pas contrôlerdavantagesesréactions?Devantlui,chaquefibredesoncorpssesouvenaitavecprécisiondesdélicestorrides qui l’avaient éblouie. Les notes de citron vert de son eau de toilette lui rappelaientimperceptiblementsesbaisers.Elleavaituneenvieirrépressibledesentirsursapeaulecontactrâpeuxdesabarbenaissante…

    Isabelles’obligeaàseressaisir.Ilfallaitarrêterdesongeraupasséetseconcentrersurleprésent.De toute façon,Spencern’avaitaucundésirpourelle. Ilvoulait juste sonhôteletutiliseraitn’importequelmoyenpour parvenir à ses fins.Elle voyait clair dans son jeu. Il essayait de s’insinuer dans sesbonnesgrâcesenusantdesoncharme,croyantsansdoutelaréduireàl’impuissance,commeautrefois,enlaséduisant.Maisl’expérienceluiavaitservideleçon.Ellenelelaisseraitpasprendrelepouvoir,nisurelleni sur leHarrington,dont la réputationétaiten jeu.Le luxediscretetélégantqu’il symbolisaitnetomberaitpassouslacoupedesChatsfield,aunomsynonymedescandaletapageur.

    Isabelleselevapourletoiserdetoutesahauteur.—Jevaisappelerlerégisseurpourtefairevisiterl’établissement.—Non,jeteveux,toi.Elle releva lementon.Comment s’yprenait-ilpourglisserconstammentdans laconversationdes

    insinuationsàconnotationsexuelle?—J’aiunautrerendez-vous.—Annule-le.Elleluijetaunregardglacial.—Quecomptes-tufairesijen’obéispas?Merenvoyer?Ilesquissaunsouriresarcastiqueeténigmatique.—Sijetedisaiscequej’aienviedefaire…Elle s’empourpra. Il était urgent de prendre ses distances avec cet homme qui annihilait ses

    défenses.—Ilexistedesloiscontreleharcèlementsexuel.Tuesaucourant,j’imagine?Ilgardalesilenceuninstant.—Tuasquelqu’undanstavie?—Oui.

  • Lemensongevint facilementà Isabelle,mais il seraitunpeuplusdélicatde fournirdespreuves.Ellepassarapidementenrevuesesconnaissancesmasculines.Aupire,elleauraitrecoursàdessitesderencontresurInternetpoursetirerd’embarras.

    Spencernesemblapasdésarçonnéparsaréponse.—Quandseras-tudisponible?—Pourquoi?—J’aimeraistesoumettrequelquesidées.—Aquelsujet?lança-t-elled’untonsoupçonneux.—Net’inquiètepas!Jen’aipasl’intentiondedémolirleHarringtonàcoupsdebulldozer.—Detapart,celanemesurprendraitpas.Tesméthodesmanquentsingulièrementdesubtilité.—Rendez-vousà17heuresdansmonbureau,suggéra-t-il.—Trèsbien.Illuibloquaitlepassage.Ellebaissaostensiblementlesyeuxsursesjambes.—Jepeuxpasser?Ils’écartagalamment.—Aprèstoi.Ellelefixadurement.—Iln’estpasquestionquejetelaisseseuldansmonbureau.—Tuaspeurquejefouilledanstesdossiers?Paralysée,Isabellerougitviolemmentetserralespoings.Spencerluipritlamain.—Enterronslahachedeguerre,veux-tu?Noussommesdanslemêmecamp,maintenant.Isabellesedégageaprestement.—Tun’imaginespasàquelpointjeteméprise,siffla-t-elle,lesdentsserrées.Toutcecin’estqu’un

    jeu pour toi, et tu asmanigancé dansmon dos pourme réduire à l’impuissance.Mais je ne vais pasabandonnerlapartiesansmebattre.Tun’aspasencoregagné.

    Pourlapremièrefois,ilparutdécontenancé.—Venant de toi, c’est un peu fort ! Qui a essayé deme couper l’herbe sous le pied en faisant

    interveniruneamiejournalistepourpublierunscoopsurmonfrèreJames?Malheureusementpourtoi,tun’aspasobtenul’effetescompté…

    — Tu peux parler ! rétorqua-t-elle avec mépris. Tu as osé demander à ton frère Ben de fairesemblantd’êtrefiancéàmasœurpourorchestrerunecampagnedepresse!Maiscelanes’estpaspasséexactementcommetulevoulaisparcequ’Oliviaetluisonttombésamoureuxpourdebon.

    —Grandbienleurfasse.—Tutesersdesgensd’unemanièreéhontée.—Çasuffit,Isabelle.C’estfaux.—Vraiment?J’aimêmefaitl’objetd’unpari!Combienas-tugagné,dansl’histoire?—Tutetrompes.Desamisàmoiontplaisantéentreeux,c’estvrai,maisàmoninsu.Jeregretteque

    celatesoitvenuauxoreilles.Ilsepassalamaindanslescheveuxenpoussantunjuron.—Jesuisdésolé,soupira-t-il.Isabelle refusadese laisserattendrirpardesexcusesquiarrivaientdixans trop tard.Rienne le

    rachèteraitjamaisàsesyeux.Elleavaittropsouffert.Enplusdesafaussecoucheéprouvante,elleavaitperdu le peu de confiance qu’elle avait en elle. Il lui avait fallu des années avant d’oser renouer desrelations avec un homme. Encore maintenant, elle avait du mal à se détendre complètement, à faireconfiance, à être elle-même. Constamment sur ses gardes par peur d’être instrumentalisée, elle avaitadoptélecomportementdeSpenceretutilisaitleshommescommelui-mêmel’avaitutilisée.Pourlesexe.Danssesliaisons,finalementassezrares,ellerecherchaituniquementleplaisirphysique.

  • —Gardetesexcuses,dit-elle.Pourmoi,nousseronstoujoursennemis.Iln’yapersonneaumondequejehaisdavantagequetoi.

    —Commedit leproverbe,ilnefautjamaistrops’éloignerdesesennemis…L’amouretlahainesontparfoistrèsproches.

    Isabellelefoudroyaduregard.—Danstesrêves,Chatsfield.Detoutefaçon,jesuisdéjàprise.

  • 2.

    SpencerpinçaleslèvresquandIsabelle,quinevoulaitpourtantpaslelaisserseuldanssonbureau,sortitenclaquantlaporte.Leurrencontrenes’étaitpassimalpassée,songea-t-ilensoupirant.Ilobservaledécor feutré, lemobilierancienet la tapisserieunpeuvieillotteàsongoût,maisenaccordavec lestyledel’établissementetsaclientèlebourgeoise.

    Isabellel’accusaitdejouerauMonopolyavecleshôtels,maisellesemblaitnepasavoirconsciencequesonchiffred’affairesétaitenchutelibredepuislamortdesonpère,l’annéeprécédente.Siellenechangeaitpasd’attitude,ilmettraitlespointssurlesi.Iln’étaitpasquestionpourluid’associersonnomàuneaffairequimarchaitmal. Ilavait sa réputationàpréserverauxyeuxdesa famille. Isabelleavaitpeut-êtredescomptesàrégler,maiselleneluimettraitpasdesbâtonsdanslesroues.

    Il avaitdéjoué toutes sesmanœuvresaucoursdesderniersmoiset réussi à semontrerplus ruséqu’elle.Ellefaisaitpreuved’uneopiniâtreté impressionnante,qu’iln’avaitpasremarquéedixansplustôt.

    Dixans.Commentétait-cepossible?Elleétaitencoreplusbellemaintenant,àtrente-deuxans.Sescheveux

    d’unnoirdejaiscontrastaientavecsonteintdeporcelaine,etsesyeuxd’ambreilluminaientsonvisageauxtraitsépurés.Elleétaittrèsmince,maisavecdesrondeurslàoùilfallait.

    Il ne l’avait jamais oubliée. En la revoyant, sept mois plus tôt, il avait de nouveau éprouvé unviolentcoupaucœur.Ettoutàl’heure,quandelleétaitentréedanslasallederéunion,ilenavaiteulesoufflecoupé,mêmes’ilétaitrestéimpassible.Ilnevoulaitsurtoutpastrahirlamoindreémotion.

    Avec ses cheveux impeccablement lissés qui cascadaient sur ses épaules et sa bouche rouge,pulpeuse,elleexsudaitlaconfianceenelle.Sortait-elledechezsonamant?Ilnecirculaitaucunerumeursursavieamoureuse.Elledonnaitl’impressiondevivreuniquementpoursontravail.Lapenséequ’ellepuisse avoir un homme dans sa vie le répugnait singulièrement, lui qui n’était pourtant pas du genrejaloux… jusqu’à présent en tout cas. Il n’avait jamais eu aucune raison de l’être, car ses liaisons neduraientpassuffisammentlongtemps…

    Au cours des derniers mois écoulés, Isabelle avait peu à peu gagné une place de plus en plusimportante dans son esprit. Elle se préparaitmanifestement à l’affrontement et contre-attaquait chaquefois qu’il avançait un pion, avec beaucoup de sens tactique et de discipline. Elle ne se laissait pasimpressionnerparlenomdesChatsfield.Evidemment,elleignoraitqu’iln’avaitpasréellementledroitdeleporter.Personne,àpartsonfrèreBen,nesavaitqueMichaelChatsfieldn’étaitpassonvraipère.

    L’horrible sensationdevacuitéqu’il ressentait toujoursàcette idéeplanaun instantau-dessusdelui.Lejouroù,adulte,ilavaitdécouvertlavéritéensurprenantunedisputeentresesparents,ilavaiteul’impressiond’êtrebrusquementdépouillédesonidentité.Sesparents.Quellesinistreplaisanterie…Sa

  • mèreavaittoujourssembléembarrasséeparsaprésence.C’estàpeinesielleletouchait.Spenceravaitdumalàsesouvenirdesoccasionsoùonluiavaittémoignéunpeud’affectionetdechaleurhumaine.Illui avait fallu attendre sa vingt-neuvième année et cette épouvantable fête de Noël pour comprendrepourquoi.Sesparentsn’étaientjamaiscontents.Pourtant,ilavaittoujoursd’excellentsrésultatsàl’école,raflaittouteslescoupesdanslescompétitionssportives.Rienn’yfaisait.Ilneparvenaitjamaisàsefaireaimeretaccepter.

    Celal’ennuyaitdecontinueràensouffrir.Ilauraitdûtireruntraitpourallerdel’avant.Aprèstout,ils’étaitfixédesobjectifsetn’avaitplusbesoindesamèrenideMichael.

    Depersonne,enfait.Spencer approchade la fenêtre pour contemplerCentralPark.Les cerisiers étaient en fleur, et il

    admirauninstantleverttendredesbourgeonssurlesarbresetdespelouses.NewYorkvibraitentoutesaison, mais le printemps dotait la ville d’une énergie particulière, magique, pleine d’espérances etd’ondespositives.

    Ilvoulaits’approprier leHarrington,complètement. Il rêvaitdebrandir fièrementce trophéeà lafacedumondepourmontreràsafamillequ’ilavaitledroitdeporterlenomdeChatsfield,mêmesileursangnecoulaitpasdanssesveines.Tantpiss’ildevaitpourcelasemontrerimplacable.N’était-cepaslarançondusuccès?Danslesaffaires,onnepouvaitpassepermettred’êtresentimental.

    Malgrétout,dansunpetitcoindesonesprit,ilreconnaissaitqu’Isabelleavaitétéflouée.Jonathan,sonfrèreaîné,décidémentbonàrien, l’avaitd’abordimprudemmentavertiqu’Isabelleseraitd’accordpouraccepteruneoffrederachat.Croyantl’affaireentendue,SpenceravaitcontactéGeneChatsfield…QuandIsabellel’avaitrappeléàlaréalitéenluiassénantunegifleretentissante,ilavaitfalluchangerdestratégiepourrassurersononcleetleconvaincrequ’iln’avaitpasfaituneerreurenlenommantP-DG.

    Tôt ou tard, il faudrait parler à Isabelle de la traîtrise de Jonathan.Mais les relations familialesétaient tellement compliquées… Lorsque Ben avait appris la vérité sur les origines biologiques deSpencer,un long silence lesavait séparéspendantdesannées.La réconciliationn’était intervenuequerécemment.

    SpencerdevraitégalementexpliqueràIsabellequ’iln’étaitpasresponsableduparistupidedontilavait fait les frais.C’était Tom, un copain de fac, qui avait entendu parler de la belleAméricaine. Ill’avait lui-même entrevue à une soirée londonienne pendant ses études universitaires. A l’insu deSpencer,ilavaitmiséunefortesommed’argent,avecunautreami,surletempsqu’ilfaudraitàSpencerpour coucher avec elle. Cette histoire était malheureusement venue aux oreilles d’Isabelle, maisdéformée. Vexé qu’elle le juge aussi puéril et irresponsable, Spencer n’avait même pas voulu sedéfendre. Il n’était pasdans sanaturede se justifier et de ramperdevantquelqu’un.Si elle le croyaitcapable d’une chose aussi stupide, eh bien tant pis. Il n’avait pas cherché à se disculper. De toutemanière,luivivantàLondresetelleàNewYork,leursrelationsétaientvouéesàsedistendre.

    Cependant, avec le temps, il avait pris ombrage d’avoir été évincé. D’ordinaire, c’était lui quirompait.Lablessuredesonamour-propren’avaitjamaistoutàfaitcicatrisé.Ilavaitplusieursfoishésitéàlacontacterpourluiexpliquerlescirconstancesréellesdeceparistupide.Puis,Tométaitmortdansunaccidentdeski,etilavaitpréférésetairepournepasentacherlaréputationposthumedesonami.

    La haine véhémente d’Isabelle lui laissait un goût amer. Pour un motif aussi insignifiant, c’étaitvraiment dommage…Le rachat de son hôtel n’arrangeait rien.Mais c’était une femmed’affaires dansl’âme.Ellefiniraitbienparoublierleursdifférends.

    Detoutemanière,ilsemoquaitdesacotedepopularité.Ilétaitlàpourgagner.Pointfinal.Pourêtrelemeilleuretnepasperdreconfianceenlui,commecelaavaitbienfailliluiarriverlejouroùilavaitapprisqueMichaelChatsfieldn’étaitpasréellementsonpère.

    Ilsouffraitd’êtreunbâtard, le filsadultérind’uneaventurequesamèreavaiteuepoursevengerd’uneinfidélitédeMichael.Iln’avaitmêmepaseul’occasionderencontrersonpèrebiologique,mort

  • quelquesannéesplus tôt.Ladécouvertedesanaissance illégitimeavaitcreuséungrandvideenlui. Ilavait parfois l’impression d’usurper son identité. Il n’en ferait jamais assez pour se montrer digned’appartenirauclandesChatsfield.

    ***

    Isabelle retournadanssasuitepourvoircommentallaitAtticus.Vautrésurson lit, il soulevaunepaupièreetlarefermaaussitôt.

    —Jet’enviedepassertesjournéesàdormir!Siseulementjepouvaisenfaireautant…Des images importunes et déplacées affleurèrent à son esprit. Pourquoi Spencer hantait-il sa

    mémoire?—Seule, naturellement, précisa-t-elle comme si Atticus lui posait des questions. Et ne va pas

    t’imaginerque j’éprouveencorequelquechosepour lui,c’est totalementfaux.Tous lesChatsfieldsontpareils,arrogantsetimbusd’eux-mêmes.Jesaisparfaitementcequ’ilpense.Ilcroitquejevaisencorelui tomberdans lesbras!Ilchercheunpeudedistractionpendantqu’ilestàNewYork.Maiscelanerisquepasdeseproduire.Ohnon!

    Elleappelalevétérinairequilarassuraenluiprodiguantquelquesconseils.SiAtticusnetoussaitplus,ilnecouraitaucundanger.Ilfaudraitluidonnerunpeudebeurreavecsanourriturepourfaciliterladigestionetcontinueràbienlebrosser.Elleraccrochaensoupirant.

    —Net’inquiètepas,Atticus.Jenepensaispasvraimentcequejedisais,pourl’écailledetortue.Elleallumasonordinateurportable.Jusque-là,ellen’avaitjamaiseurecoursàInternetpourgérer

    saviesentimentale,maislasituationétaitunpeudésespérée.Elledevaitabsolumenttrouverquelqu’unpendantqu’ilétaitencoretemps,siellevoulaitrésisteràSpencer.

    Elleseconnectaàunsitebienconnuet,enl’espacedequelquesminutes,organisaunrendez-vousavecuningénieurquis’appelaitJacquesethabitaitCobbleHill.C’étaitincroyablementfacile!SasœurEleanore,quiluireprochaittoujoursdemeneruneviedenonne,n’enreviendraitpas.

    Quandelleredescenditaurez-de-chaussée,EnricoPerez,lerégisseur,l’intercepta.—MadameHarrington,nousavonsattribuélasuiteManhattanàM.Chatsfield,àvotreétage.Soncœurcognadanssapoitrine.—Illogeici?—Celaneposepasdeproblème,j’espère?ditEnrico.Ilcompteseulementresterunesemaineou

    deux,letempsqueleschangementssemettentenplace.Ellegrinçadesdents.Ellen’avaitpasbesoinqu’onluirappelleconstammentlasituation!Spencer

    n’avaitpasfinidefairelepaon!Lesjournalistes,quiavaientsuiviavecintérêtlabagarredesderniersmois,allaientsejetersurl’information.Elleimaginaitdéjàlesgrostitres,partout.

    L’EMPIRECHATSFIELDAPRISLECONTRÔLEDUHARRINGTON.

    Elleenavaitlanausée.—Onnepeutpaslemettreailleurs?DanslaMadisonoulaRoosevelt?Oucarrémentdansunautrehôtel…Enricosecoualatête.—Elles sont réservées pour les trois semaines à venir.Nous pourrions lui donner une chambre

    standard,maisj’aijugépréférabledeluioffrirlaplusluxueusedenosprestations.Isabellesemorditl’intérieurdesjoues.—Parfait.Maispourquoinedescend-ilpasauChatsfield?S’il estvraimentaussi richequ’il le

    prétend,ilpourraitbiens’acheterunappartementdansl’UpperEastSide!

  • —Ilestpeut-êtrecommevous,accroàsontravail.—J’aiuneviesociale,voussavez,répliqua-t-elle,surladéfensive.— Je suis ravi de l’apprendre. Vous vous êtes tellement investie dans cet hôtel… Ce serait

    dommagedeporterseulecefardeau.Elleseredressa.—Cen’estpasdutoutunfardeau.Jusqu’àcematinentoutcas,quandSpencerChatsfieldestarrivé…— Y a-t-il quelques détails que vous aimeriez ajouter à la suite de M. Chatsfield pour la

    personnaliser?Ilestdanslasallederéunionaveclafamille,nouspouvonsenprofiter.UnaiguillonmalicieuxgalvanisabrusquementIsabelle.—Jem’enoccupe.Les femmes de chambre terminaient le ménage quand Isabelle arriva avec le factotum et deux

    ouvriers.—Merci,Rosa,dit-elle.Jemechargedureste.—Trèsbien,madameHarrington.Isabelledonnasèchementquelquesdirectives.—Accrochezunmiroirauplafondetl’autresurlemurdufondenfacedulit.Vousconnaissezla

    réputationdesChatsfield,ajouta-t-elledevantlamineperplexeduchefd’équipe.Tousdeslibertins…Elleattenditledépartdestroishommespourterminersapetitemiseenscèneetsortitdesongrand

    sac une collection de préservatifs colorés qu’elle venait d’acheter à la pharmacie du coin.Après lesavoirempilésenpyramide,elledisposasurlatabledenuitunflacondegellubrifiantetdeschocolatsaugingembre.Elleavaitaussiunebouteilledechampagnefrançais,lamarquepréféréedeSpencer,unseauàglaceetdeuxflûtesencristalmonogramméesavecunHenargent.Elleajoutadeuxrubansensatinnoird’unmètredelongqu’ellenouaauxmontantsdulitavecunepairedemenottes,etunmasqueenvelourssur les oreillers. Pour finir, elle éparpilla une jonchée de pétales de roses et se recula pour juger del’effetproduit.

    —Parfait!lançaunevoixmasculinejustederrièreelle,avecuneironiemordante.Ellefitvolte-faceenfigeantuneexpressionglacialesursestraits.—Jetenaisàm’assurerparmoi-mêmequ’onavaitsuiviàlalettretoutestesrecommandations.Uneétincellemoqueuses’allumadanslesyeuxbleusdeSpencer.—LesHarringtonn’ontpasleurspareilspourdevancerlesdésirsdeleurshôtes.Elles’empourpramalgréelle.—S’ilmanquequoiquecesoit,n’hésitepasàréclamer.Iljetaunregardcirculaire.—Unfouet,peut-être?—J’yaipensé,maisilnefaudraitpasabîmerl’ameublement.Ilsedirigeaverslatablebasseetsoulevalabouteilledechampagnepourlirel’étiquette.—Tum’accompagnes?—Jeneboisjamaispendantletravail,répliqua-t-elleavecdédain.—Mêmepasaujourd’hui,pourtrinqueravecmoi?—Tusavourestontriomphe,n’est-cepas?Tuneperdspasuneoccasiondem’humilier.Bientôt,tu

    vasmedemanderd’organiserunesoiréeentonhonneur!—Commentas-tudeviné?répliqua-t-ilnonchalamment.—Tun’espassérieux?—Si,toutàfait.Isabelleproféraunjuronàvoixbasse.Pourquoilatorturait-ilainsi?Ellen’allaittoutdemêmepas

    fêterpubliquementlamainmisedesChatsfieldsurlesHarringtonetfairesemblantdeseréjouircommesi

  • toutallaitpourlemieuxdanslemeilleurdesmondes!—Tuesin-sup-por-ta-ble!—Ilyadéjàeudesgalasici?Ellefulminait.—Oui,maisjamaisavecdesdanseusesseinsnusquisortentdegâteauxgéants.—MoncousinLuccanegoûteplusdutoutcegenredeplaisirsdepuisqu’ilaépouséLottie.—Heureusedel’apprendre.Ilsefrottalajouecommes’ilréfléchissait.Absurdement,cegestefamilierdéclenchachezIsabelle

    unevaguededésir.Elleadoraitsentirsabarbedetroisjoursquilaissaitparfoisdesmarquesrougessursa peau quand il l’embrassait. Oh ! pourquoi se rappelait-elle constamment tous ces détails ? Siseulementellepouvaitl’effacerdesamémoire,complètement…pourretrouversonorgueilintact.

    —Jesongeaisàunesoiréeplusélégante,dit-il.Ellel’écrasadesonmépris.—C’estunqualificatifquejen’associepasdutoutavectoi!L’espaced’unefractiondeseconde,sestraitssedurcirent,puissontéléphonesonna,etilrépondit,

    fortcourtoisement.— J’ai déjà fait une déclaration à la presse, dit-il à son interlocuteur. Oui, c’est cela…

    MmeHarringtonsefélicitedel’heureuseissuedesnégociationsetal’intentiondedonnerungalapourfêterl’événement.

    Isabellelefoudroyaduregardetouvritlabouchepourprotester,maisill’arrêtad’ungeste.—Nousavonsd’excellentesrelationsdetravail…Oui,vouspouvezmeciter.Ilraccrocha.—Ah,cesjournalistes!Lescoupsdefiln’arrêtentpas.—Tu leurasditque j’étaiscontente? s’écria Isabelle,outrée.Tuperds la tête?Personnene te

    croira!—Quefais-tudumarketing?Isabellebouillonnaitderageetd’impuissance.—Tun’aspasledroitdet’adresseràlapresseenmonnom.Jeleuraccorderaiuneinterviewquand

    jeseraiprêtepourleurraconterquelhorribleindividutues.UnmuscletressaillitsurlajouedeSpencer.—Situasenvied’avoirdesclients,faispreuved’unminimumdeprofessionnalisme,Isabelle.Tu

    asunbonproduit,maistun’exploitespastoutsonpotentiel.Unepousséed’adrénalinesediffusaenelle.—Tuosescritiquermontravail?Illevalesyeuxauciel.—Asseyons-nousetdiscutonsraisonnablementcommedeuxadultes…Elleplantalespoingssurseshanches.—Demieuxenmieux!Maintenantjesuispuérileetimmature!—Turéagisenenfantcapricieusequin’apasobtenucequ’ellevoulait.Ellepointasonindexsurlui.—Retirecelatoutdesuite.Ildemeurademarbre,imperturbable,etlafixadroitdanslesyeux.—Jenevaispasm’excuserdedirelavérité.Grandisousorsd’ici.Elleenfonçaledoigtsursonsternum,detoutessesforces.—Non,jenem’eniraipas!Ilfaudraquetumeportespourmemettredehors!Hé…Qu’est-ceque

    tufais?Repose-moiparterre!

  • Sourdàsesprotestations,illajetaentraversdesonépauleetsedirigeaverslaportetandisqu’elletambourinaitdanssondosetagitaitlesjambesfrénétiquement.Commeuneenfant,eneffet…L’ironiedela situationne lui échappapas.Commentosait-il la traiter ainsi ?Et siunemployé la surprenaitdanscetteposturehumiliante?Ellenes’enremettraitjamais!Lahainelasubmergea,menaçantd’exploser.

    Quandelleessayadeplanter lesonglesdanssesépaules, il laremitsanscérémoniesursesdeuxpieds.

    —Çasuffit,grogna-t-il.Lesoufflecourt,Isabellel’auraitvolontiersgriffépourluiôtersonexpressionsuffisante,maisilla

    tenait par les poignets. Son contact la brûlait jusqu’à l’incandescence. Si elle ne se dégageait pasimmédiatement,ellefiniraitparsetrahiretenmourraitdehonte.

    Elleessayadeluidonneruncoupdegenouàl’entrejambe,maisilparal’attaqueenlaclouantdosaumuretenl’emprisonnantentresesbraspuissants.

    —Jet’aiditd’arrêter.Elleletransperçaduregard,lesmusclestenduspournepassuccomberàsaproximité.Sabouche

    était àquelquescentimètresde la sienne, et elle sentait sonérection.Soncorps répondait à sonappelprimitif et sensuel commeavecaucunautrehomme.Spencer était le seul àprovoquerenelleundésiraussiardent,irrépressible.Ilcoulaitdanssesveinesetserépandaitàunevitesseeffrayante,balayanttousles obstacles, toutes les résistances. Déjà, elle se cambrait vers lui, sans même s’en rendre compte.L’atmosphères’alourdit,sechargeantdetensionérotique.

    —Tun’avaispascesmanièresd’hommedescavernes,autrefois,souffla-t-elle.Lestempssont-ilsdevenussidifficilesquetuesobligéd’assommertesproiespourlesréduireàl’impuissance?

    Ildesserralégèrementsonétreinteetposalesyeuxsursabouche.—J’aitrèsenviedet’embrasser,maisquelquechosemeditqueceseraitdangereux.—Tuaspeurquejetemorde?Ilritdoucement,encaressantsalèvreinférieureduboutdudoigt.—Cen’estpasleseulrisque.Unbaiserpeutconduireàautrechose.—Unegifle?Ileutunpetitsourirecontraint.—Detonpointdevue,jeméritaisprobablementcellequetum’asdonnée.Isabellefronçalessourcils.—Probablement?Tumefaissavoirbrutalement,debutenblancetavectonarrogancecoutumière,

    quetuveuxrachetermonhôtel…Avouequej’avaisdequoiêtreencolère.Ils’écartaetreculad’unpas.— J’ai pourtant des circonstances atténuantes. Ton frère m’avait laissé entendre que tu étais

    d’accord.—Quoi ? Et tu l’as cru ? Après ce que nous avions vécu et la manière dont nous nous étions

    quittés?Ilsefrottalesommetducrâne.—Oui,jesais.J’aieutort.Maispersonnen’étaitaucourant…Effectivement, pour une fois, Spencer était resté très discret, et Isabelle s’en était félicitée au

    momentdeleurrupture.Lespaparazzinelesavaientpasimportunésdurantlemoisentierqu’avaitduréleur liaison, alors qu’ils dormaient ensemble toutes les nuits et se voyaient quotidiennement. C’étaittellementinhabituelpourSpencerquicollectionnaitlesaventuressanslendemain,qu’Isabelle,naïvement,en avait conçu de folles espérances. En plus, il la couvrait de cadeaux : des bijoux, des chocolatsraffinés, des fleurs somptueuses… Il l’invitait pour des dîners au champagne dans les meilleursrestaurants. Stupidement, elle s’était autorisée à penser qu’il était en train de tomber amoureux, qu’il

  • allaitlademanderenmariage,maisattendaitlemomentpropicepournepasl’affolerenprécipitantleschoses.

    Rétrospectivement, elle avait conscience d’avoir été totalement ridicule. Tous ses rêves demidinettes’étaienteffondrésquandelleavaiteuconnaissancedupariodieuxdontelleétaitl’enjeu.Elleavaitsouffertatrocement,dedésespoiretd’humiliation,etavaitmisbeaucoupdetempsàsurmontersacolère et son amertume. Elle avait tout donné à un homme qui se moquait éperdument de ce qu’elleéprouvaitetnesongeaitqu’às’amuser…

    Commesicen’étaitdéjàpasassezdouloureux,quinzejoursaprèsleurrupture,elleavaitdécouvertqu’elleétaitenceinte.Lechocl’avaitparalysée.Elleavaitrefaitletestunebonnedizainedefois,jouraprès jour, en espérant s’être trompée et avoir mal lu les résultats. Mais le verdict retombaitinexorablement,toujourslemême.

    Sonesprit se révoltaitalorsmêmequesoncorpscommençaitàmontrerdessymptômes flagrants.Elleavaitdesnausées,lesseinsgonflésetdesaccèsdesomnolence.Elleserefusaitàl’évidenceensedemandantcommentc’étaitpossible,alorsqu’ilsavaienttoujoursfaittrèsattention.Elles’enfermadansledénienespérantenversetcontretoutquelasituations’arrangerait,magiquement.

    Auboutdeplusieurssemaines,ellen’avaittoujoursmispersonneaucourant.Elleétaitincapabledese projeter dans l’avenir et n’imaginait pas comment elle pourrait mener de front sa carrièreprofessionnelleavecunematernité.Ellen’envisageaitpasnonplusdeparleràSpencer.L’idéed’êtreliéeàluiàcaused’unenfantajoutaitencoreàsonangoisse.Mêmesiellesouffraitd’êtreséparéedelui,illuiétaitégalementodieuxderenouerdescontacts.

    Puis,justeaumomentoùellecommençaitàs’habitueràlaperspectivededevenirmère,elleavaitfaitunefaussecouche,àlafinduquatrièmemois.SeulesonamieSophieétaitdanslaconfidence.Ellen’avaitqu’unsouvenir,unclichédel’échographie.Unepetitefille…

    —Aveclerecul,j’auraisdûmedouterquetunelâcheraispasl’hôtelsanstebattre,ditSpencerenrompant le silence.Mais ton frère était très convaincant. Selon lui, le Harrington avait besoin d’unerepriseenmain,ettuétaisd’accord.

    Isabellerouladesyeuxeffarés.—Ilnet’estpasvenuàl’idéedem’appelerpourmedemandermonavis?Illaconsidérasongeusement.—Tuauraisacceptédemeparler?—Probablementpas,soupira-t-elle.Unautresilencetombaentreeux.—Jecomprendsquetusoisencolère,reprit-ilauboutd’unmoment.Ataplace,jeleseraisaussi.

    Mais j’ai vraiment envie que ça marche, Isabelle. Je veux que le Harrington devienne le fleuron del’industriehôtelière.Cependant,jenepeuxpaslefairesanstoi.Nousdevonstravaillerenéquipetouslesdeux,oupasdutout.

    Isabellesemorditlalèvre.—Etsinousn’avonspaslesmêmesconceptions?TuaslestyleChatsfieldinscritdanstesgènes.—Cen’estpasunequestiond’ADN,argua-t-il.—Queveux-tudire?D’unseulcoup,ildevintdistantetserenfermasurlui-même.—Donne-moitadéfinitiondel’hôtelentroismots.Isabelleréfléchituninstant.—Discrétion.Luxe.Elitisme.Ilhochalatête.—Qu’est-cequitedifférenciedetonconcurrentleplusproche?Elleavaitl’impressiondepasserunexamenetavaitdumalàsoutenirsonregard.

  • —LeHarringtons’estassociéaveclesplusgrandsnomspouroffrirdesprestationsprestigieuses,inégalables.

    —Qu’ensais-tu?Lesas-tucomparéespartoi-même?Leuréchangeprenaitdesalluresdeduel.—Non…Pasrécemment.—As-tudéjàdormiailleursqu’auHarrington?—Montravailnemelaissepasbeaucoupdeloisirs.Jen’aiguèrel’occasiondepartirenvacances

    dansdesendroitsexotiquesàl’autreboutduglobe,répliqua-t-elleavecunemoueboudeuse.—Quandonveutréussir,ilfautsavoirpourquoionestmeilleurquelesautres,précisément.—Jetefaisconfiancelà-dessus,railla-t-elle.—Tumeconnaisbien…Ellesecrispa.—Oùcetteconversationmène-t-elleexactement?—Rends-toidisponiblepourunweek-end,dansquinzejours.—Pourquoi?—Nouspartonsenmission.—Nous?—Parfaitement.Tous lesdeux.Nouspasseronsdeuxnuitschez laconcurrence,pourprendredes

    notes,établirdescomparaisons,travaillersurdesaméliorationspossibles.Elleluilançaunregardaffolé.—Tumedemandesdepasserleweek-end…avectoi?—Laperspectivenet’enthousiasmepas?répliqua-t-il,imperturbable.—Tunemanquespasdetoupet.—Nousnesommespasobligésdedormirdanslamêmechambre.—Tuoublies que j’ai unpetit ami. Il ne sera pas du tout content demevoir partir avecmon…

    mon…—Patronestlemotquetucherches,dit-ild’unairamusé.Tupeuxledire,Isabelle.Çanetetuera

    pas.Isabelle pinça les lèvres en lui décochant un regard noir. Il était vraiment sans pitié. La rage au

    ventre,elleserralespoingsenrefrénantunefurieuseenviedemartelersontorse.Elleavaitunmalfouàse maîtriser. Personne d’autre ne la mettait dans cet état, elle qui d’ordinaire s’enorgueillissait deconserver en toutes circonstances un calme et une courtoisie exemplaires. Il avait le pouvoir de latransformerentigresse!

    Ils’approchapourprendresonmentonentrelepouceetl’index.—Dis-le.Isabelles’obligeaànepasbaisserlesyeux.—Tunepeuxpasmefairefairecequetuveux.—Tuenessûre?—Absolument.Ilsepenchatoutprès,àquelquesmillimètres.Elleretintsonsouffleenentrouvrantinvolontairement

    les lèvres.Le cœurbattant, elle implora le ciel pour qu’il ne s’arrête pas là.Elle brûlait dudésir del’embrasser,éperdument,àpleinebouche.

    Enmême temps, elle savait très bien qu’il s’amusait à lamettre à l’épreuve. Il attendait qu’ellecraquelapremière.Qu’ellecèdeàl’attirancequicrépitaitentreeuxcommeuncourantélectrique.

    Avecunevolontédontellenesecroyaitpascapable,ellereculafermement.—J’espèrequetachambretedonneratoutesatisfaction.S’il temanquequoiquecesoit,n’hésite

    pasàappelerlerégisseur.

  • Spencernemanifestapas lamoindredéconvenue.Seule lapetite lueurquidansaitaufonddesesyeux suggérait une légère complicité. Il lui avait tendu un piège,mais elle n’avait pas succombé à latentation…

    — Jusque-là le service est impeccable, déclara-t-il. Je ne doute pas de voir lemoindre demesdésirsexaucéd’icilafindemonséjour.

    Ellesedirigeaverslaporteavecraideur.—Jeveuxunprojetdétaillépournotresoiréefestiveà17heuressurmonbureau,ajouta-t-il.C’est

    faisable?—Ceseratout?dit-ellepar-dessussonépaule.Ilattrapaunpaquetdepréservatifs.—Ilssonttroppetitspourmoi.Donne-lesàtonami!ajouta-t-ilenleluilançant.Isabelleseretournapourletoiseravecuneragefroideavantdes’éloignerenpestantintérieurement.

  • 3.

    Spencer sourit en contemplant sa chambre. Isabelle n’avait pasménagé ses efforts pour sa petitemiseenscène!Sontempéramentfougueuxluiplaisaitetlestimulait.Combiendetempstiendrait-elle,àfaire semblant de le détester ? Plus elle se montrait hargneuse, plus il avait envie de la provoquer.L’atmosphèresechargeaitd’électricitéchaquefoisqueleursregardssecroisaient. Il finirait forcémentparsepasserquelquechoseentreeux.

    Spencer se souvenait d’elle dans toutes les fibres de son corps. Elle s’était donnée à lui sansréserve,dixansplustôt.Avecelle, l’amourphysiqueétaitsi intense,excitantetaddictifqu’ilenavaitoubliésasacro-sainterègledeconduite.Normalement,ilnevoyaitjamaisunefemmeplusdetroisfois,quatreaumaximum.Nonqu’ilsoitabsolumentaccrochéaucélibatcommecertainsdesescousins,maisilpréférait être libre de toute attache, sans engagement ni responsabilité. Seule la belle et sophistiquéeIsabelleHarringtonavaitréussiàleretenirunpeu.

    Leurliaisonavaitduréunmois.Ils’étaitpersuadéàl’avancequesalassitudecoïncideraitaveclafindesonvoyaged’affaires.MaisIsabellel’avaitcontrariéenrompantlapremière.Iln’avaitcependantpasmanifestéderegret.Avingt-quatreans,cen’étaitpascommes’ilavaitenviedes’assagir.

    Néanmoins, il avaitmisplusieurs années à l’oublier. Il se souvenait encore avec émotionde sonparfumetdesapeausatinée.Ilraffolaitdesesbaisers,tantôttimides,tantôtéperdus.

    Dixansplustard,ilprenaitplaisiràflirteravecelle.Celal’excitait.Maisirait-iljusqu’àrenouer?IlétaitàNewYorkavant toutpour travailler. Ils’était fixéunobjectif : faireduHarrington le fleuroninégaléde l’hôtelleriede luxepour éblouir les siens et prouver savaleur.Uneaventure avec IsabelleHarringtonrisquaitdeledétournerdesonbut.

    Enoutre,elleprétendaitavoirunpetitami.Etait-cesérieux?Elleneportaitpasdebague,entoutcas.Etait-elleamoureuse?Bientôtfiancée,peut-être?Aprèstout,peuluiimportait.Ilavaitassezàfairesanssepréoccuperdesaffairesdecœurd’IsabelleHarrington.

    Il inspecta le décor. A part les accessoires qu’Isabelle avait stratégiquement disposés, la suiterespirait l’élégance et le bongoût.De lourdes tentures avecune cantonnière festonnée encadraient lesfenêtres. Des tapis laineux, confortables, recouvraient le parquet. Dans la salle de bains en marbred’Italie, la robinetterie en or étincelait. Lesmeubles anciens, les lustres en cristal, les petites lampesposéesçàetlà,toutconcouraitàcréeruneambianceraffinéeetaristocratique.Lesgensfortunésaimaientàseretrouverdansununiversfeutré,horsdutemps,àl’écartdestrépidationsdelaviemoderne.

    Spenceravaitunpeu l’impressiondevoyagerdans lepassé,àuneépoqueoù leservicedans lespalacesétaitpersonnalisé,profondémentrespectueuxdesgoûtsdechacun.Denosjours,lesprestationstendaientàs’uniformiser.

  • En discutant avec Liliana, il avait découvert qu’Isabelle plaçait la barre très haut. Pour lesrecrutements,elledirigeaitelle-mêmelesentretiensd’embaucheetexigeaitbeaucoupd’abnégationdelapartdesonpersonnel.Elletenaitàlaréputationsansfailledel’établissement,àlaquelleellesedévouaitelle-mêmetotalement.Elledonnaitl’impressiondeseservirdesamissionpoursecacheretseprotéger,commederrièreunearmureouunbouclier.Mais il connaissait lanaturepassionnéequi sedissimulaitderrièrecettefaçadefroideetprofessionnelle.

    Spencer ramassa le masque en velours qu’elle avait placé sur l’oreiller. De vagues remords letourmentaient.Iln’avaitpasagitrèsélégamment,septmoisplustôt…Ilpouvaittoujoursrejeterleblâmesursonbonàriendefrère,maisilavaitluiaussidestorts.IlauraitdûprévenirIsabelleavantdelancersonOPA.Elleauraitaumoinsétéprévenueetseseraitpréparéeànégocier. Ilauraitégalementpu luiprésenterdesexcusespourlamanièredontleurhistoiredejeunesses’étaitterminée.

    Ilauraitdûluidire…Quoi,aujuste?Qu’ilavaiteupeurdetomberamoureux?Certainementpas.Si l’amour en personne avait frappé à sa porte, il ne l’aurait pas reconnu. C’était un sentiment qu’ilignorait. D’ailleurs, en était-il capable ? Les serments éternels n’existaient que dans les films et lesromans.Sapropreexpérienceluiavaitenseignélaméfiance.

    Ilnefaisaitplusconfianceàpersonnedepuisqu’ilavaitapprislavéritésursanaissance.Iln’étaitpaslefilsdeceluiqu’ilconsidéraitcommesonpèredepuistoujours…

    Il leva les yeux sur la glace accrochée au plafond, puis se tourna vers celle du mur d’en face.Isabelle s’était donné vraiment beaucoup de mal pour lui rappeler ce qu’elle pensait de lui. Elle leconsidérait comme un play-boy superficiel, un libertin sans intérêt. En réalité, elle ignorait sesmotivations profondes. Il n’était pas guidé par l’argent, le prestige ou la célébrité. Il se moquaitéperdumentdes ragotsque lapressecolportait à sonsujet.De toute façon, lamoitiédeshistoiresqueracontaient les journalistes étaient inventéesde toutespiècespour lesmagazinespeople.Spencer s’enaccommodaitavecfatalisme,sansprendrelapeinededémentir.Ilnerecherchaitpaslescandale,maisnel’évitaitpasnonplus.

    Ilenallait toutautrementdesa réputationprofessionnelle,à laquelle ilattachaitungrandprix. Ilavait le culte du résultat et du chiffre d’affaires. S’il pouvait amener leHarrington tout en haut de lacourbedecotationàlaBoursedeNewYork,ilseraitpeut-êtresatisfait.

    Enfin.

    ***

    Isabellephotocopiaunelisted’idéesetdepropositionspourlegala,engrinçantdesdentspendantquelesfeuilletssortaientdelamachine.Puis,ellelesglissaàl’intérieurd’undossiervélinHarringtonetse dirigea vers le bureau de Spencer. Il était plus 17 heures, mais elle s’en moquait. S’il croyait lastresseretl’impressionner,ilsetrompait.

    Ellefrappaà laporte,et ilvintouvrir, le téléphonecolléà l’oreille. Il lui fitsigned’entrerd’unsignedetêteenpoursuivantsaconversation.

    —Combien?Ilmarquaunepause.—C’estastronomique!Pourquicesgensseprennent-ils?Quisont-ils?Contacteznosavocats.Il

    fautleurintenterunprocès.Etmettez-lesdehors,compris?Ilraccrochaensepassantlamaindanslescheveux.—Quelcauchemar!—Quesepasse-t-il?demandaIsabelle.—Ungroupedemusique,celuiquivientdegagnerladernièresaisondeTheVoice,asaccagéune

    suiteauChatsfielddeLondres.Ilyenapourcentmillelivresdedégâts.

  • —C’esthorrible!—Complètement.Ellene l’avait jamaisvudanscetétat.Malgrésesnerfsd’acier, il luiarrivaitdoncde tomber le

    masque. En tant que P-DG des hôtels Chatsfield, il assumait d’écrasantes responsabilités, ce qu’ellecomprenaitmieuxquequiconque.Quandonoccupaitunpostepareil,onétaittoujourssurlabrèche.Unhôteldetrèshautstandingcommelesiennepouvaitsepermettreaucunfauxpas.

    Isabelle refoula son élan d’empathie. Peu lui importaient les soucis deSpencer.Onpouvait bienvandalisertouslesChatsfielddumonde,elles’enmoquaitroyalement.

    —Lesjournauxnevontpassegênerpourenfaireleursgrostitres!maugréaSpencer.L’affairenousferadutort,forcément.Quivoudraitlogerdansunhôteloùsedéroulentdesorgies?

    —Desgroupies?Ilesquissaunlégersourire.—Tuesunedeleursfans?—Assez,oui.Pourunoudeuxmorceaux,entoutcas.Ilfronçalessourcilsd’unairdereproche.—Tuasdespostersd’euxdanstachambre?—Jen’aiplusdouzeans.Ilredevintsérieux.—Qu’est-cequetum’apportes?Elleouvritledossiersursonbureau.—Jeproposeun thèmenoiretbleuounoiret rose.Undroitd’entréeélevé,biensûr.Toutes les

    recettesserontreverséesàuneassociationcaritative.—Laquelle?—Tuasunepréférence?Lesyeuxrivésauxsiens,ilréfléchituninstant.—L’aideàl’enfance.Isabelleeutuncoupaucœur.Siellen’avaitpasperdusonbébé,sapetitefilleauraitmaintenantneuf

    ans.Ellel’imaginaittoutenjambes,avecdescheveuxnoirsetdesyeuxbleus.Aurait-elleétécommeelle,unpeutimideetréservée,oucommesonpère,insoucianteetdécontractée?Sociableouénigmatique?Elle aurait tant aimévoirSpencer avec leur bébé dans les bras…Des scènes de bonheur domestiqueflottèrentuninstantà lasurfacedesonesprit. Ilaccompagnaitsafilleà l’école le jourdesapremièrerentrée,jouaitparterreavecelleavecdescubesenboisoul’aidaitàfairesesdevoirs.Aurait-ilétéunpèreexemplaire?

    Elles’égarait…Elles’aventuraitenzoneinterdite.Ilnefallaitpluspenseràcela.—L’enfance?répéta-t-elleavecuneexpressionsceptique.Illuilançaunregardcirconspect.—Tucroisquejen’aimepaslesenfants?—Généralement,lesplay-boyscommetoin’ontpaslafibrepaternelletrèsdéveloppée.—Jeneveuxpasenfaire,déclara-t-ilavecunefermetéquifitmalàIsabelle.Maissijepeuxen

    aidercertains,surtoutdéfavorisés,jenem’enpriveraipas.—C’est…nobleàtoi.Ilhaussalessourcils.—Tunemeconsidèrespascommeunphilanthrope?—Cen’estpasl’imagequetudonnesdetoi.—Onagitsouventplusefficacementdansl’ombre,sanstropdepublicité.—Queveux-tudire?

  • —Ehbien…Jeparticipeàunprogrammededéveloppementpersonnelpourredonnerconfianceàdesenfantsenmanquederepères.Nousessayonsdedétecterleplusprécocementpossiblelessignesdemalaise,afindecombattrel’énergienégativepourlaredirigerversdessphèrespositives.Lesport,parexemple,outouteactivitétournéeverslesautres.

    Très étonnée, Isabelle se demanda d’où lui venait une tellemotivation. Il était issu d’une bonnefamille, stable, contrairement à celle de ses cousins. En tout cas, samère Anna et son pèreMichaelétaientrestésensemblepouréleverleurstroisfils.LesdeuxfrèresdeSpencerétaientmariés,Benaveclapetitesœurd’Isabelle,Olivia,etJamesaveclaprincesseLeiladuSurhaadi.Ilétaitleseulcélibataire.Etait-ilheureuxdelaviequ’ilmenaitàcollectionnerlesaventuressanslendemain?Ouétait-ilcommeelle,tropaccaparéparsontravailetl’enviederéussirpourpenseràautrechose?

    —Bon…Quoiqu’ilensoit,nouspourrionségalementorganiseruneventeauxenchèresavecdetrèsgroslots,parexempleunportraitdepeintrecélèbreetdessculptures.

    —Excellenteidée.Ilchangeabrusquementdesujet.—Quefais-tucesoir?Décontenancée,ellecilla.—Pardon?—Dînonsensemblepourdiscuterdesdétails.Elleredressalementon.—Jenesuispaslibre.—Ah.Jeleconnais?—Non.—Ilfaitquoi?—TuveuxsonCVetsaphoto?Jetelesenverraiparmail…—Celaduredepuiscombiendetemps?—Mavieprivéeneteregardepas.—C’estsérieux?—Tum’asentendue?—N’oubliepasnotreweek-end.—Jenepartiraipasavectoi.—Amènetonamant,dit-il.Elletournalestalons.—Restons-enlà,s’ilteplaît.—Préviens-moisijamaisturompsaveclui.Surleseuil,elleluifitfaceavecuneexpressionméprisante.—Crois-tuvraimentquejemelaisseraimanipulerunedeuxièmefois?Unéclaird’irritationpassafugacementdanslesyeuxbleusdeSpencer.—Nouspourrionstoutsimplementnousfaireplaisir,touslesdeux…—Jenevoispasdutoutcequetuveuxdire.—Mais si, protesta-t-il en riant. Tu n’as rien oublié,ma chérie ! Tes joues roses te trahissent.

    Rappelle-toinosnuitsd’amour,quandtucriais…—Arrête!cria-t-elleensebouchantlesoreilles.Il la rejoignit en deux enjambées et emprisonna ses poignets entre ses doigts puissants.Aussitôt,

    Isabelles’embrasa.LalueursensuellequibrillaitaufonddespupillesdeSpencerlacontaminaitmalgréelle.Ellesentaitlatiédeurdesoncorpsdangereusementproche.L’atmosphèresechargead’unérotismedifficilement supportable. N’y tenant plus, elle se hissa sur la pointe des pieds à la rencontre de sabouche.

  • Quand leurs lèvres se touchèrent, ce fut comme une déflagration. Les jambes d’Isabelle sedérobèrentsouselleaumomentoùlalanguedeSpencerrencontralasienne.Elleauraitperdul’équilibres’ilnel’avaitretenueenl’attrapantfermementparleshanches.Ilfrottasonsexecontresonventrequisecreusaetsecontractaconvulsivement.Aufuretàmesurequeleurbaisers’intensifiait,ledésird’Isabellemontait,échappantdeplusenplusàsoncontrôle,dansuneescaladevertigineuse.

    Elle s’abreuvait à son haleine et s’enivrait de sa saveur, un mélange de menthe et de café siparticulier.Avidement,ellecommençaàdéboutonnersachemisepourretrouversoussesdoigtslatexturede sa peau. Cet homme agissait sur elle comme une drogue puissante. Elle se croyait guérie,mais ilsuffisaitd’unsimplecontactpourretomberenesclavage.

    LesmainsdeSpencerremontèrentverssesseinsavecbeaucoupdedouceur,commes’ilguettaitsesréactions.Secouéeparunfrisson,ellesetenditversluiencambrantlesreins.Ellenerêvaitplusquedesedonneràlui.

    Il enfouit les doigts dans lamasse soyeusede ses cheveux tout en luimordillant les lèvres.Ellesoupiraitbruyamment.Ilsavaitexactementoùsesituaitl’équilibredélicatentrelavoluptéetladouleuretjouaitdesoncorpscommed’uninstrumentdemusiquetrèsprécieux,avecunsensintuitifdesonplaisir.C’étaitsansdoutecequiladérangeaitleplusdanscesretrouvailles.Illaconnaissaitparcœur.C’étaitluiquil’avaitinitiéeàlapassion,dixansplustôt.Depuis,elleavaitmenéundurcombatpourrefoulercettesexualitéquis’étaitéveilléegrâceàlui.Enuninstant,tousseseffortsétaientanéantis…

    — Tu vois bien, murmura-t-il. Il ne sert à rien de nier l’évidence. Tu préfères ici ou dans tachambre?

    Ellesefigeabrusquement.Qu’était-elleentraindefaire?L’expérienceneluiavaitdoncpasservideleçon?Toutrecommençait…

    Mais il y avait unmoyen de battre Spencer à son propre jeu.Elle se força à se détendre, allantjusqu’àsefrottercontreluid’unemanièretrèssuggestive.

    —Donne-moiunedemi-heure.Jeteretrouvedanstasuite.Ici,onpourraitnousdéranger.Illadévoralittéralementdesyeux.—Atoutàl’heure.

  • 4.

    Isabelles’habillad’unepetiterobenoireclassiqueetdrapauneétoleensoierougesursesépaules.Lebelinconnucroisésurlesitederencontreavaitacceptésonrendez-vousaubarduHarrington,cequiprésentaitdeuxavantages.Premièrement,elleétaitensécuritépourfaireconnaissanceavecunétranger.Deuxièmement,celaferaitclairementsavoiràSpencerqu’elleneluitomberaitpasdanslesbras.Malgréledésirfouqu’illuiinspirait,ellerésisterait,detoutessesforces.

    Elle s’installa dans une bergère confortable, dans un coin discret, et commanda un cocktail auchampagne.Carlos,lechefbarman,laservitenpersonne.

    —Bonsoir,madameHarrington.Avisantlachaisevideenfaced’elle,ilajouta:—J’apporteunverrepourM.Chatsfield?Isabellefronçalessourcils.—Jen’attendspasM.Chatsfield,mais…quelqu’und’autre.—Oh!excusez-moi.D’ailleurs,levoiciavecsonamie.Sonamie?Isabelle sursauta.Une blonde sublime, très jeune, l’accompagnait en effet. Perchée sur des hauts

    talonsquimettaientenvaleursadémarchedemannequin,elleétaitlittéralementpendueàsonbras.Dédaigneusement,Isabellecroisalesjambesetbutunegorgéedecocktail.Sarevanchenetarderait

    pas.Elleattendit.Longtemps, touten jetantde tempsàautredescoupsd’œil endirectiondeSpencer

    Chatsfieldquil’ignoraitcomplètement,commesielleétaitinvisible,tantilétaitfascinéparsaLolita.Isabelle sortit son téléphone et consulta ses mails. Elle lut quelques tweets et posta quelques

    commentairessansgrandintérêtsurFacebook.Enfin,unbipluisignalaunmessage.C’étaitprobablementsonrendez-vouscoincédanslesembouteillagesoudanslemétro.Ellecliquasurl’icône.

    Ilt’afaitfauxbond?Spencer.

    Isabelle luidécochaunregardnoirà travers lasalle, tandisqu’ilagitait lamainavecunsourire,avantdereportersonattentionsurlabeautéàsescôtés.

    Sonportablebipadenouveau.Cettefois-cic’étaitsoninconnuquisedécommandait.Nesachantsielledevaitsesentirsoulagéeoudéçue,elleseretrouvaitentoutcasenmauvaiseposture,avecSpencerquiflirtaitd’unemanièreéhontéedevantelle.

    Carlosluiapportaunautrecocktail.—AveclescomplimentsdeM.Chatsfield.Elleserralesdentsavecunsourirecontraint.

  • —Remerciez-ledemapart,s’ilvousplaît.Ellelebutsansdouteunpeutropvite,carlatêtecommençaàluitourner.Enmêmetemps,satension

    et sa gêne se dissipaient. Après tout, il y avait ici quelques hommes esseulés, dont certains trèsséduisants.Justement,l’und’euxcroisasonregardetapprocha.

    —Bonsoir.Sivousêtesseule,nouspouvonsbavarderunpeu?Jevousoffreunverre?—Avecplaisir.—Pasquestion.Spencerétaitbrusquementapparuàcôtéd’elle.—Machérie,danstonétat,l’alcoolestfortementdéconseillé.L’hommereculaenrougissant.—Excusez-moi…—Jenesuispas…,commençaIsabelle.MaisSpencerl’interrompit.—Lanouvellen’estpasencoreofficielle.— Félicitations, bredouilla l’autre, impressionné par la stature de Spencer. Je suis désolé,

    vraiment…—Cen’estpasgrave.Jen’auraispasdûlalaisserseule.Ellefaittoujoursdesbêtisesquandjene

    lasurveillepas.— C’est ce qui fait mon charme, n’est-ce pas ? minauda Isabelle qui bouillait de rage

    intérieurement.CommentSpencerosait-ilplaisantersurunsujetpareil?Mêmes’iln’avaitpasconsciencedesa

    cruauté,elleeutenviedelegifler.Unedouleurhorriblelatransperça,mêléedeculpabilitéetd’espoirsdéçus.Unpoids atroce l’écrasait, lui comprimant la poitrine et l’empêchant de respirer.Auprix d’uneffortsurhumain,elleparvintàmaîtrisersesémotions.Ellenes’effondreraitpasdevantSpencer.Aaucunprixelleneluiaccorderaitlepouvoirdelarendremalheureuse,del’acculerauxlarmes.

    Dès qu’ils se retrouvèrent seuls tous les deux, Spencer troqua son sourire charmeur contre unmasquefurieux.

    —Quet’arrive-t-il?Tufaisn’importequoi!Isabellelefoudroyaduregard.—Tuasperdulatête?Tuasditàcethommequej’étais…enceinte!C’estàpeinesiellepouvaitarticuler.—Jen’aipasprononcélemot.—Peut-être,maisc’étaitsous-entendu,répliqua-t-elle,lagorgesèche.Ets’ildivulguelanouvelle?

    S’ilsaitquinoussommesetparleàlapresse,ceseraunecatastrophe…—Depuisquanddragues-tudesinconnusdanslesbars?—Ettoi,tun’aspashontedet’afficheravecunecollégienne?Quiest-ce?—C’estsansimportance.—Unnouveaujouet!railla-t-elle.Illapritparlamain.—Sortonsd’ici.Lesemployésnousregardent.Isabelletentadesedégager,maisillaretintd’unepoignéedefer.Ilvalaitmieuxlesuivrepourne

    pasprovoquerunscandale.Illaconduisitjusqu’àsonbureau.—Jecroyaisquetuavaisquelqu’un?Elleredressalementon.—J’avaisrendez-vousavecquelqu’unquis’estdécommandéàladernièreminute.J’aidécidéde

    tentermachance.

  • —Avecquiavais-turendez-vous?Elle serra les lèvres et croisa les bras avec un air de défi. Elle préférait la colère.C’était plus

    facileàgérerquelatristesse,lesregretsetlechagrin.Illasecouaparlebras.—Réponds-moi.—Aïe!Tumefaismal.Ildesserralégèrementsonétreinte,maissanslalâcher.—Tun’aspasvraimentdepetitami,n’est-cepas?Lerougemontaauxjouesd’Isabelle.Quellehumiliationd’avouersonstatutdecélibataire…—Celaneteregardepas.Ilsemitàcaresserdoucementl’intérieurdesonbras.—Jenesuispasd’accord.Jeveuxsavoir.—Pourquoi?—Parcequetutemoquesdemoi.Situveuxabsolumentcoucheravecquelqu’un,jesuislà.—Jenesuispasdésespéréeàcepoint!—Moisi.Il l’embrassa résolument, comme s’il cédait à un désir qui le rongeait depuis un certain temps.

    Isabellenesedébattitpasetn’essayamêmepasderésister.Aprèstout,ellepouvaittrèsbienavoirdesrelationssexuellessanstomberdanslepiègedessentiments.Elleauraitenfincequimanquaitàsavie.Delapassion.Del’aventure.Del’excitationetdudésir…

    Mais,cettefois-ci,elleposeraitsesconditions.Elle avait autant envie que lui de ce baiser et s’y abandonna avec une ardeur fébrile. Comme

    enivrée, elle se perdit dans ses sensations, qui l’entraînèrent de plus en plus loin, bien au-delà de lalimiteraisonnable.Spenceracquiesçadansunesortedegrognementindistinct,animal,qu’ellereconnutavecunfrémissementdejoie.Commeelleaimaitentendreceson!Combiendefoisn’avait-ellepasrêvédel’accentvirildecettebellevoixgravequirésonnaitprofondémentenelle…

    Lesbattementsdeleurscœursseconfondaient.Leurscorpss’emboîtaientl’undansl’autrecommelespiècesd’unpuzzlecompliqué.Lesangless’arrondissaient,magiquement.Unealchimiemerveilleuselesréunissait,dansunechorégraphieparfaite,connued’euxseulsetqu’ilsinterprétaientintuitivement.

    Spencerlasaisitparlanuquepourapprofondirsonbaiser,etelleréponditsansréserve,avecuneimpudeur totale.Aufonddesonêtre, le feuet lapassionrenaissaientetbouillonnaientcomme la laved’unvolcanenéruption.

    Fougueusement,elleagrippasescheveuxpourécrasersabouchecontrelasienne,sefondreenlui.Elleavaitenviedesedissoudre,complètement.

    Elle tressaillit quand il descendit la fermeture Eclair de sa robe qui tomba par terre. C’étaitterriblementexcitantdeseretrouverlà,danssonbureau,ensous-vêtementsethautstalons…

    Asontour,elledéfitlaboucledesaceintureetfitglissersonpantalonsurseshanches.Quandellerefermalesdoigtssursonsexe,ilpoussaungémissementdeplaisir,encoreunsonqu’elleadorait.Sonpoulsbattaitdanssapaume,commeenéchoauxpalpitationsquicreusaientlebasdesonventre.

    Aucunhommeneproduisaitsurelleunteleffet,unetellefrénésie…Ellen’avaitplusqu’uneidéeentête,allerauboutdesondésir,sentirSpencerplongerenelle,auplusprofond.

    Il dégrafa son soutien-gorge, et ses seins sedurcirentpresquedouloureusement.Abandonnant seslèvres,ildescenditlentementverssapoitrine,traçantunelignedefeusursapeau.Mais,tropimpatiente,ellesepressacontresonsexedressé.

    Illatintàboutdebraspourplongerlesyeuxdanslessiens.—Tuesbienpressée…Elleesquissaunemoueboudeuse.

  • —Tudevraisêtrecontent!Querêverdemieuxpouruneprisedefonction?UnescènedeséductiondanstonnouveaubureaudeP-DG!

    Quelquechosechangeadansl’expressiondeSpencer,brusquement.—Lemomentestpeut-êtremalchoisi…Ellesehérissa,toutenrefusantdemontrersadéception.—C’estpourtantbientoiquiparlaisderetrouvailles,non?Ils’absorbauninstantdanssesréflexions,puisrecularésolumentenremontantsonpantalon.—Oui,maispasici.Pascommeça…Indifférenteàsesscrupules,Isabellesejuchasurlebureauencroisanttrèshautlesjambes,dansune

    postureprovocante.—Jesuisàtoi,quandtuveux.—Rhabille-toi,répondit-ilbrutalement.Elleinsista.—Fais-letoi-même.Aprèstout,c’esttoiquim’asdévêtue.Ilseredressadetoutesahauteur,dansuneattitudeintransigeante.—Cessedemeprovoquer,Isabelle.Jenerentreraipasdanstonjeu.Elles’accrocha.Pourquoirefusait-ildeplier?Ilpouvaitbienadmettrelaforcedesondésir,sinon

    verbalement,dumoinsphysiquement.Ceseraitlarevanched’Isabelle,unebrèveaventuretorride,maisdénuéedetouteémotionouintimitéréelle,uniquementpourleplaisirdessens.Elleétaitdécidéeàtouttenterpourparveniràsesfinsetleréduireàl’impuissance.Lechallengelapoussaitimprudemmentsurunepentedangereuse.Unpanobscurdesapersonnalitésurgitaugrandjour,lasurprenantelle-même.

    Elledécroisalesjambesetlesécarta.—Viens,Spencer,murmura-t-elled’unevoixrauque.Tuenasenvieautantquemoi.A l’évidence, il avait énormément demal à semaîtriser, ce qui emplit Isabelle de fierté et d’un

    incroyablesentimentdetoute-puissance.Ilserralesmâchoires.—Non.Isabellebaissasapetiteculotteendentelleens’humectantleslèvres.—Tuessûr?Ilrestademarbre,enapparenceentoutcas.—Neterabaissepasainsi.Elleémitunriredegorgeetrelevalesbraspourramenersescheveuxdecôté,surl’épaule.—Pourquoifais-tucela?ajouta-t-il.—Quoidonc?Ilpoussaunjuronetallaseplanterdevantlesimmensesbaiesvitréesquidonnaientsurlaskyline

    deNewYork.Ilétaittellementcrispéqu’ellevoyaitsesmusclessedessinersoussachemise.Ilposalefrontcontrelepanneaudeverre.

    —Va-t’en.Isabellesecontentadetendrelajambeendécrivantunecourbegracieuseavecsacheville.—Jetel’aidéjàdit,jen’aipasd’ordresàrecevoirdetoi.—Attentionàtoi,Isabelle,répondit-ild’untonmenaçant.Sorsd’iciavantquetesprovocationsne

    seretournentcontretoi.Ilss’engageaientdansuneguerresansmerci,qu’ilsnevoulaientperdrenil’unnil’autre.Elle mit pied à terre et s’approcha de lui prudemment, comme d’un prédateur dangereux,

    imprévisible.Mêmes’ilbondissaitsursaproie,elletenaitàremporterlavictoire.Ellepromenaleboutdudoigt tout le longdesacolonnevertébrale,delanuquejusqu’aubasdes

    reins.Ilfrissonnaimperceptiblement,etelleseserracontrelui,pressantlesseinscontresesomoplates.

  • —Tun’auraspasderegrets?demanda-t-elled’unevoixaltérée.Ilseretourna,lesoufflecourt,etempoignasescheveuxtoutenrefermantl’autremainsursahanche,

    avecrudesse.Ilavaitlespupillestellementdilatéesqu’onnepercevaitpresquepluslebleudesesyeux.Maisseslèvresgardaientunplicynique.

    —Tutecroisirrésistible?Isabellesefrottaimpudemmentcontresonérection.—Sijememettaisàgenouxdevanttoi,tujouiraistoutdesuite.Ilsoutintsonregard.Autourd’eux,l’atmosphèrechargéed’électricitédevenaitirrespirable.Ellebaissalesyeuxsursabouche.—Tun’esvraimentpastenté?Illarepoussaentremblant,auprixd’uneffortmanifestementsurhumainetsedirigeaverslaporte.—Jetedonnetrentesecondesexactementpourterhabiller.Isabelleavaitperducettebataille.Maisd’autresoccasionsseprésenteraient.Avec un haussement d’épaules nonchalant, elle enfila sa robe, sans hâte, comme un strip-tease à

    l’envers.Puiselleramassasonétoleets’enenveloppa.EnpassantdevantSpencer,elle luiadressaundernierregardlangoureux.

    —Situchangesd’avis,tusaisoùmetrouver.— Je n’arrive pas à croire que tu sois devenue une fille facile, déclara-t-il d’une voix dure et

    méprisante.—C’estuneréflexionsexisteetirrecevabledelapartd’uncoureurdejupons,répondit-elleavecun

    souriremoqueur.Ilouvritlaporteens’écartantavecunmasqued’indifférence.Maistoutsonêtrevibraitd’undésir

    évident.Elleeutenvied’avoirlederniermot.—Aproposduweek-end…—Oui?lança-t-ild’untoncoupant.—J’aichangéd’avis.J’accepte.Jetelaisset’occuperdesréservations?Finalement,unechambre

    suffira.Ilattendituninstant.—Tunegagneraspascontremoi.Ellesoulignaduboutdudoigtsonérection.—J’aidéjàgagné.

  • 5.

    SpencerclaqualaportesurIsabelleetsurledésirquiletaraudait.Iln’entreraitpasdanssonjeu.S’illaséduisait,ceseraitselonsesproprestermes,pasencédantàdesprovocationsquileréduisaientàuneanimalitéprimitive.Iln’étaitpasdupe.Ilavaitparfaitementdevinéqu’ellenelerejoindraitpasdanssasuitecommeellel’avaitpromis.Ilavaitfaitexprèsd’arriveraubaraccompagné.

    Maislà,elledépassaitlesbornes.Elles’étaitofferteàluicommeunecall-girl,et ilavaitfailliperdresonself-control.Asagrande

    honte,ils’enétaitfalludepeuqu’illaprenneaumot.Ilpassaunemaintremblantedanssescheveux.Toutsonêtrevibraitdefrustration.

    Pourquoiétait-elleaussidéterminée?Qu’espérait-elleprouver?Qu’elleétaitlaplusforte?Ellesetrompait.Riennelaprotégeaitcontrelapuissantealchimiequilespoussaitl’unversl’autre.Illevoyaitàsesregards,aumagnétismequiflottaitdansl’airaumoindrecontact.Ellebrûlaitdumêmefeuquelui.

    Ilpoussaunchapeletdejuronsetsemitàfairelescentpascommeunlionencage.Cherchait-elleàledéstabiliser?Elleluivouaitunehaineféroce,encoreplusdepuislerachatduHarrington.Cen’étaitpaslemomentpourluideperdrepied,alorsqu’ils’apprêtaitàendosserdenouvellesresponsabilités.Saréputationetsaréussiteétaientenjeu.Isabellevoulaitpeut-êtresecrètementleconduireàsaperte…

    S’il la repoussait, elle risquait de se jeter à la tête d’un autre homme qui, bien entendu, enprofiterait.Cette idée irritait considérablementSpencer. Il ne supporterait pas de la voir s’afficher enpublicavecunamant.Depuisquandsecomportait-elleainsi?Ilnelaconnaissaitpassouscejour-làetlaconsidéraitplutôtcommeunmodèled’équilibreetdeprofessionnalisme.Ledévergondagene luiallaitpasdutout.Direqu’ill’avaitsurpriseentraindedragueraubarduHarrington!N’avait-ellepasuneplushauteopiniond’elle-même?

    Non. Décidément, quelque chose clochait. La dureté impitoyable qu’elle lui témoignait ne luiressemblaitpas.

    Unsouriresedessinasurseslèvres.Ellebluffait,etilallaitlamettreaupieddumur.

    ***

    Isabelleavaitdébouchéunebouteilledechampagnepourcélébrersapetitevictoire.—Tuauraisdûvoirsatête,Atticus!lança-t-elleàsonchat.Ilétaitvraimentàcran.Elleseresservit.Tuboistrop,luisoufflaunepetitevoixintérieure,qu’elleignorajoyeusement.—Ilnemerésisterapluslongtemps!Onfrappaàlaporte.—Sansdouteleserviced’étage,dit-elleenregardantsamontre.Ehbien…Ilsontfaitvite!

  • ElleseretrouvanezànezavecSpencer.—Tufêtesquelquechose?demanda-t-ilenbaissantlesyeuxsursonverre.Lagorged’Isabellesecontracta.—Quefais-tuici?Ilhaussaunsourcilironique.—Tum’asinvité.Tunetesouvienspas?Ellesemorditlalèvre.Atticusétaitvautrésurlecanapé.Danssonétatdelégèreébriété,elleavait

    oubliédel’enfermerdanslasalledebains,commechaquefoisquequelqu’unvenait.Spencerétaittoutàfaitcapabledel’obligeràsedébarrasserdesonchatpourlapunir.

    — Je suis occupée, déclara-t-elle en pesant de tout son poids contre la porte pour l’empêcherd’entrer.

    Maisilavaitdéjàglisséunpieddansl’entrebâillement.—Tuasbienunmomentpourparler?Ellen’avaitpaslaforcedeluttercontrelui.Detoutefaçon,ellen’étaitmêmepassûred’enavoir

    envie.Déjà,ledésirl’envahissaitavecuneviolenceincontrôlable.Soncorps,traîtreusement,n’obéissaitpasàsonesprit.

    —Jenesuispasd’humeuràbavarder.—Celatombebien,moinonplus,rétorqua-t-ildutacautac.Unfrissond’excitationcourutsursapeau.Ilfallaitsedébarrasserdeluiauplusvite.—Tunepeuxpasentrermaintenant.—Tun’espasseule?Ellehésitaunefractiondeseconde.—Non.—Jenetecroispas.Elleéclataderire.—Tumesous-estimes!Ellefrémitsoussonregardscrutateur.—Ouvrecetteporte.—Tuviensàpeinedemejeterdetonbureau!Désolée,mapropositionn’estplusd’actualité.Atticussautasurlamoquetteavecunbruitmat.—C’étaitquoi?—Rien,répondit-ellelecœurbattant.Laisse-moi,maintenantje…j’aimalàlatête.—Celan’ariend’étonnant,avectoutl’alcoolquetuconsommes.IlfronçalessourcilsquandAtticusvintsefrottercontresesjambes.—Tuasunchat?Atticusémitunmiaulement.—Etalors?lançaIsabelleeffrontémentenleprenantdanssesbras.—Dansunechambred’hôtel!Ilprofitadesonembarraspours’introduireàl’intérieur.—Qu’est-cequetucachesd’autre?—Absolumentrien.Nerougispas,s’admonesta-t-elleenpensantauclichédel’échographiequ’elleconservaitdansun

    livredepoèmes.—Monchatne faitdemalàpersonne.Cen’estpascommes’il sepromenait librementdans les

    couloirs.Ilnequittejamaislasuite.—Ilpréféreraitsûrementsortir,allersurlestoits!—Non.Ilesttrèsheureuxainsi.

  • —C’estabsolumentinterditparlerèglement.Imagineunpeulesproblèmessiunclientattrapaitlatoxoplasmose,lasalmonelleoudescampylobacters!

    —Monchatestvaccinéetenparfaitesanté,répliqua-t-elleenlegrattantentrelesoreilles.—Peuimporte.Tunepeuxpaslegarder.—Etsijen’obéispas?—Jetelicencie.—Tun’aspasledroit.Lilianas’yopposerait.—Elleestaucourant?Isabellesetortillanerveusementsoussonregardscrutateur.Cetultimatuml’effrayaitplusqu’ellene

    voulaitlemontrer.Atticusétaituncompagnonfidèle,unsubstitutdubébéqu’ellen’avaitpaseu…—Jet’aiposéunequestion.—Beaucoupd’hôtelsacceptentlesanimauxdomestiquesauxEtats-Unis…—Jememoquedecequefontlesautres.Ici,c’estinterdit.Isabelle alla installer son chat sur son coussin préféré, puis se retourna vers Spencer qui l’avait

    suivie.—Iln’ajamaisconnud’autreendroit.Jel’aidepuisqu’ilasixsemaines.Tunepeuxpasm’obliger

    àmeséparerdelui.Ceseraittropcruel.Illaconsidéraavecuneexpressionperplexe.—Commentfais-tuquandtuparsenvacances?Elles’humectaleslèvresetdétournalesyeux.—Jenem’envaispassouvent.Jepréfèretravailler.Ils’approchaetluipritlementonentrelepouceetl’index.—Quiestaucourant?—Deuxfemmesdechambreetlegarçond’étage.Ilrestasongeur.—Pourquoiunchat?—Tunel’aimespas.—Jen’aipasditcela.—Jelevoisbien.Iln’estpasmignon?Ils’esclaffa.—Ilfautlesyeuxd’unemèrepourletrouverbeau!Isabelle semordit la lèvre.Lemotmère lui donnait toujours un coup au cœur.En était-elle une,

    aprèscequ’elleavaitvécu?Touslesans,ellesouffraitlemartyreaumomentdelafêtedesMères.Nonseulement la sienne était morte, mais l’événement lui rappelait l’épisode le plus douloureux de sonexistence.Chaquefoisqu’ellevoyaitunefemmepousserunlandau,elleavaitenviedepleurer.

    Ellesoulevalabouteilledechampagned’unemaintremblante.—Jetesers?—Ilt’arrivesouventdeboireseule?Elleluijetaunregarddedéfi.—Jenesuispasseule.J’aiAtticus.Spencersoupirabruyamment.—Oui,donne-moiunverre.Ceseratoujourscelademoinspourtoi.—Jenesuispasalcoolique!bougonna-t-elle.Ilbutunegorgée,sanslaquitterdesyeux.—C’étaitquoicenumérodeséductiondansmonbureau,toutàl’heure?Elles’écartavivement.—Pourquoias-turefusé?

  • —Jedoisadmettrequejen’ensaisrien.Ellefrottasespaumesmoitessursescuisses.—J’avaisunpeutropbu,j’imagine.Jeteremerciedet’êtrecomportéengentleman.Illapritparl’épaule,d’unemainfermeetpossessive.—Jenesuispasungentleman.Elles’embrasaàsoncontact.—Cen’estpasunetrèsbonneidée…,protesta-t-elle.Jesuisfatiguée,unpeuivreet…—Quoidonc?—J’aidumalàrésisterparcequejemesens…trèsseule.Illuicaressalanuque,etellefrissonna,incapablededissimulersesréactions.Uneplainte,presque

    un gémissement, monta de sa gorge pendant qu’il continuait à la masser tendrement. C’était un gesteattentionné,quitrahissaitlaprofondeconnaissancequ’ilavaitdesoncorps,desesdésirs.Unenostalgieinfinie s’empara d’Isabelle. Elle avait tellement besoin de se sentir vivante… Cela confinait audésespoir.Elleavaitl’impressionqueseulSpencerétaitcapabled’atteindrelafemmepassionnéequ’elleétait réellement sous la froideur apparente. Elle avait terriblement envie d’affection, d’intimité, decomplicité…

    —Regarde-moi,dit-il.Elleobtempéra.LesyeuxdeSpencerreflétaientlemêmedésirardent,lemêmeappétit.—Toutmonêtreserévoltecontrecequej’éprouveencemoment,déclara-t-elle.Jem’enveuxetje

    tedéteste.Ileffleurasalèvreinférieureavecsonpouce.—Ilsuffitdetransformercesémotionsnégatives,delesorienterdifféremment.Isabelleretintsonsoufflequandilsepencha.Sansmêmeattendrelecontactdesabouche,elleallaà

    sa rencontre.Cette fois-ci, ce ne fut pas une explosion,mais davantage une explorationmutuelle, uneredécouvertelangoureuse,pleinededouceur.

    Puis,peuàpeu,Spenceraccentua lapressionet introduisit sa langue.Elle s’ouvrit à lui avecunsoupirqui sepropageapartoutdans soncorps, la libérantenfindes tensionsquicontractaient tous sesmuscles.Elleseserracontre luiavec l’impressionderetrouverunepartd’elle-mêmequi luimanquaitdepuislongtemps.

    Spencer embrassait comme un dieu. Il explora sa bouche avec un art consommé, et elle fonditlittéralementdeplaisir,aveclasensationderevenirenfinàlavieaprèsunehibernationinterminable.

    Enfouissant lesdoigtsdanssachevelure, il lapencha légèrementenarrièrepourapprofondir sonbaiser.Lafièvremontaenelle.Ellesemitàtremblerd’impatience.

    Il glissa lesmains le longde son corps, jusqu’à sa taille, puis remontavers ses seins, et elle setendit vers lui en ondulant des hanches. Ils n’avaient pas besoin de mots pour se comprendre. Ilss’exprimaient dans un langage immémorial. Isabelle était en train de succomber. Elle allait redeveniresclavedesessens.EsclavedeSpencer.

    Avec un murmure de protestation, elle ramena ses paumes sur sa poitrine lorsqu’il s’écartalégèrement.Pourquoil’expressiondeSpencerseteintait-ellederegret,toutàcoup?

    —Finalement,jesuispeut-êtreplusgentlemanqu’iln’yparaît.Isabellesesentitrejetée,cruellementblesséedanssonamour-propre.—Tun’aspasenviedemoi?Elle s’en voulut immédiatement d’avoir prononcé ces paroles qui trahissaient sa déception et sa

    vulnérabilité.Ilinspiraprofondément.—Jem’envoudraisd’abuserdetafaiblesse.—Cen’estpascequit’aarrêtéilyadixans,ironisa-t-elle.

  • —Jene t’aipas faitboirepour t’attirerdansmon lit.Tuétaisparfaitementconsentante, si jemerappellebien.

    Isabellesedétournaensefrottant lesbras.Elleavait froid.Enmêmetemps,ellen’arrivaitpasàmaîtriser ses émotions et perdait le contrôle, complètement.Elle ne voulait pas se souvenir du passé,beaucouptropdouloureux.Dieusavaitcommeelleavaitessayédelutter,audébut,maisàvingt-deuxansilneluiavaitpasfallubeaucoupdetempspourtombersouslecharmedeSpencer.Chaqueminutepasséeavecluilatransportaitdansunmondeinconnu,merveilleusementromantique,quil’enchantaitcommeuncontedefées.Ilavaitentreprisdeluifaireunecourassidue.C’étaitdélicieusementdésuetettoutàfaitirrésistible.Elleavaiteul’impressionqu’ilétaitentraindetomberamoureux,luiaussi…

    Commeelles’étaitreprochéesanaïvetéparlasuite!Elleavaitcommislaplusgrossebêtisedesavie.Enferméedanssesrêves,danssaquêtedebonheur,elleétaittombéedansunpiègegrossier,commeunestupidemidinette.

    CarSpencerneladésiraitpasvraiment.Soncorpsoui,maispaselle.Ellenereprésentaitqu’undéfiàrelever,l’enjeud’unparistupide,untrophéedecollectionneur.

    Commentavait-ellemanquéàcepointdelucidité?AvantSpencer,aucunhommenes’étaitintéresséàelled’aussiprès.Ellelesdécourageaitparsonattitudedistante,pleinedefroideur.Sanatureintrovertierendait ses relations avec les autres difficiles, embarrassées. A part son travail, elle n’avait pasénormément de sujets de conversation. Les fêtes et les mondanités l’ennuyaient, le plus souvent. Lesattentions de Spencer avaient considérablement flatté son amour-propre. Qu’un homme sophistiqué etcultivécommeluis’attacheàlaconquérirluidonnaitdesboufféesd’orgueil.

    Oh!siseulementelleavaitétéplusperspicace…—Jevoudraisquetut’enailles,dit-elle,leslèvrespincées.—Jeveuxd’abordêtresûrquetoutvabien.Elleluifitface,avectoutelafiertédontelleétaitcapable.Illaconsidéraitavecsévérité,commeun

    parentdevantunadolescentdésobéissant.Pourquoicebrusqueaccèsdesollicitude?Cecomportementprotecteurladésemparaitetlatroublait.IlétaitbeaucoupplusfacilepourIsabelledelehaïr.

    —Quecomptes-tufaire,Spencer?Meborderdansmonlitcommesij’avaiscinqans?Ileutungrognementd’impatience.—Tuasmangé?—Jeboistoujoursl’estomacvide,rétorqua-t-elleavecuneeffronteriedélibérée,pourlechoquer.

    C’estplusdrôle.Elle reprit la bouteille, mais il l’empêcha de se servir et la vida dans le seau à glace. Elle ne

    protestamêmepas.Detoutefaçon,ellen’avaitplusvraimentl’intentiondeboire.—Quelgâchis,commenta-t-elleavecunemoueboudeuse.—Arrêtedejouerlacomédie.Ellehaussalesépaulesnonchalamment.—Tucroismeconnaître,maisaufondtunesaispasquijesuis.—Pourquoifais-tucela?demanda-t-ilavecunegen