Le Secret Sur La Torture Pendant La Guerre d Algerie Article n 1 Vol 58 Pg 57 63

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    Madame Sylvie ThenaultMadame Raphaele Branche

    Le secret sur la torture pendant la guerre d'AlgrieIn: Matriaux pour l'histoire de notre temps. 2000, N. 58. pp. 57-63.

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    Thenault Sylvie, Branche Raphaele. Le secret sur la torture pendant la guerre d'Algrie. In: Matriaux pour l'histoire de notre

    temps. 2000, N. 58. pp. 57-63.

    doi : 10.3406/mat.2000.404251

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mat_0769-3206_2000_num_58_1_404251

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_mat_1041http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_mat_997http://dx.doi.org/10.3406/mat.2000.404251http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mat_0769-3206_2000_num_58_1_404251http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mat_0769-3206_2000_num_58_1_404251http://dx.doi.org/10.3406/mat.2000.404251http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_mat_997http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_mat_1041
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    Le secret sur la torture pendant la guerred'Algrie

    Les orces de l'ordre charges, en Algrie, deprimer la rbellion entre 1954 et 1962 ontratiqu la torture : cette ralit est aujourd'hui onnue. Elle l'tait dj l'poque, la presses'tant fait notamment l'cho des dnonciationsdes svices subis, principalement, par les Algriens.

    S'il n'y a donc pas proprement parler de secretsur la torture pendant la guerre d'Algrie, il y acependant des rvlations rgulires qui signalentla persistance d'un doute sur cette ralit : tait-elle massive ou n'tait-elle qu'exceptionnelle?tait-elle encourage par le pouvoir? Les appels,enfants des lecteurs des journaux mtropolitains,taient-ils amens la pratiquer? De nombreusesquestions sont en fait restes en suspens pendantla guerre et toutes les rponses apportes n'ontpas russi rsorber cette impression d'un secretsu r le sujet.Le secret existe en effet bien sur la torture pendant la guerre d'Algrie. Il est le rsultat de multiples constructions que nous allons essayer deprsenter ici. Elles peuvent tre ramasses en deuxgrands ensembles : les stratgies de dissimulationet les stratgies de divulgation.

    Les stratgies de dissimulation :garder la torture secrteLa volont de garder la torture secrte est bien l'uvre pendant la guerre d'Algrie puisque lapratique de la torture est interdite en Francecomme en Algrie entre 1954 et 1962. Mmedans le cadre d'une guerre ce qui n'est pas lecas, officiellement, des vnements en question -, elle est interdite, au moins depuis les conventionsde Genve1. Les militaires comme les policiersqui y ont recours sont passibles de condamnationspnales et disciplinaires. Ils ont donc tout intrt garder le secret su r cette pratique.Le visage terroriste de la guerre d'Algrie acependant amen certains chefs militaires et politiques considrer la torture comme un moindremal face aux ennemis de la France. Mais l'opinionpublique, tenue informe par une presse libre malgr des censures et des saisies -, reste, peinedix ans aprs la fin de la Seconde Guerre mondiale, sensible sur ce point. Pour les excutants, lesecret sur cette pratique s'impose donc absolument.C'est l'tude de la prservation de ce secretque nous allons dans un premier temps nousconsacrer; le meilleur moyen de garder une pratique secrte tant de n'en laisser aucune trace ce qui, pour l'historien, n'est pas sans poser des

    problmes... Deux types de traces sont vits : lestraces crites et les traces physiques.Une arme a toujours intrt ce que la discipline rgne dans ses rangs. Pour cette raison, ellene peut laisser les soldats, ou mme les chefsd'unit, libres de tous leurs gestes et dcisions. Lamanire dont on fait la guerre relve bien du hautcommandement et pas simplement des excutants les responsables militaires ont d prendreposition sur la question de la torture. Quand ontudie les directives, les ordres et autres circulairesproduits par les plus hauts responsables de laguerre d'Algrie, on repre une attention extrmeaux termes employs. Dans certains textes, lesmots torture et svices sont utiliss mais ils'agit toujours alors d'instructions les interdisant.Informs de la ralit de certains svices, les responsables, auteurs de ce type de textes, prcisentque ce s pratiques sont illgales et seront l'avenirsvrement sanctionnes. On apprend ainsi queles responsables civils et militaires taient au courant de ce s pratiques, mais aussi qu'ils les condamnaient.Par contre, dans les textes officiels sur lesmthodes de rpression employer, jamais le motde torture n'est utilis. Est-ce dire que la pratique n'est jamais prconise? Pour se faire comprendre, les auteurs ont en fait recours un certain nombre de subterfuges allant del'euphmisation la mtaphore. Trs vite unlexique parallle se met en fait en place qu ipermet de dcrypter, sans trop de doute possible,la ralit des consignes donnes, tout en laissantaussi toujours la possibilit leurs auteurs de nieravoir donn explicitement et c'est tout le problme, mais c'est le seul problme de telsordres.Ainsi, pendant la bataille d'Alger, quand legnral Salan, dans une note de service trssecrte adresse tous les commandants de Corpsd'Arme, crit : de rcentes expriences effectues dans certains rgions ont mis en lumire leparti qui pouvait tre tir, surtout dans les villes,d'interrogatoires pousss fond et immdiatementexploits , et qu'il ajoute tout individu apprhend [doit tre] soumis un interrogatoire aussiserr que possible 2, on peut lire qu'il recommande les mthodes utilises par les hommes dugnral Massu Alger, savoir notamment la torture. Interrogatoire est en effet devenu le synonyme lgal 3 de torture : le mot se dclineen interrogatoire sous la contrainte , interrogatoire contraint , interrogatoire muscl maisil dsigne toujours la mme ralit.Ceci dit, l'usage d'expressions au sens lgrementdcal laisse une marge d'interprtation aux

    1. Le traitement humainde s prisonniers est thoriquement garanti par l'article 13 de la conventionet prcis l'article 17par les alinas c et d, lepremier interdisant lesinterrogatoires inhumains(c'est--dire toute formede contrainte physique oumorale visant arracherdes aveux ou obtenir lacollaboration du prisonnierontre sa volont) etle second toute formed'humiliation.2. Note de service du11 mars 1957, 1H 3087/1(SHAT, Service Historiquede l'Arme de Terre).3. Gabriel Pris, Conditions d'emploi destermes interrogatoire ettorture dans le discoursmilitaire pendant la guerred'Algrie , Mots, n 51 ,juin 1997, pp. 41-57.

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    4. Lettre du gnral Salanaux commandants deCorps d'Arme, 27 avri l1957, 1H 2579/2 (SHAT).5. Note de la section P du CC I du 10 juillet1958 , 1H3087/1 (SHAT).6. On connat le cas dusous-lieutenant Jean leMeur mis aux arrts derigueur pour avoir critiquun ordre entendu parradio de son commandantd'unit ordonnant de nepa s faire de prisonniers{Tmoignages et Documents, n 1 9, dcembre1959).7. Causerie destine auxofficiers stagiaires duCICPG d'Arzew sur lerenseignement en Algrie,postrieure au printemps1960, 1 H 1485 (SHAT).8. Commandant du Corpsd'Arme d'Alger.9. Instruction du 27 mars1957, 1H 2698/2 (SHAT).10 . Paul Thibaud, Comment fonctionne la justiceen Algrie , Esprit , mai1957.

    destinataires des textes : marge qui restitue toutesa place l'oral it. Les instructions, directives etautres textes rglementaires sont en effet amens tre diffuss jusqu'aux chelons infrieurs etcomments par les responsables subalternes. C'estce commentaire qui est le vritable ordre pour lesoldat, et il est oral.L'importance de l'oral it pour l'expression del'autorit est bien connue. Pa r exemple, quand legnral Salan, en avril 1957, veut empcher quese reproduisent des crimes perptrs par des militaires franais sur les populations dsarmes, iladresse une lettre aux commandants de Corpsd'Arme en leur demandant d'intervenir personnellement trs fermement : mieux qu'une instructionu gnral en chef, il sait qu'une interventionpersonnelle de s commandants locaux est lemeilleur moyen de voir sa volont traduite enactes4.Il ne s'agit pas de dire que les ordres verbauxencouragent systmatiquement des formes illgalesde rpression, tandis que les ordres crits l'interdiraient. Nanmoins, il est vident que les ordresoraux offrent une latitude beaucoup plus grandeaux responsables militaires sur le terrain. Legnral Salan prcise d'ailleurs en bas de sa noted'avril 1957 adresse au x commandants de Corpsd'Arme et recommandant les interrogatoiresserrs, qu'elle doit tre diffuse uniquement oralement aux subordonns : les traces de l'instructionu gnral en chef doivent s'arrter au niveausuprieur de la hirarchie. En outre, la placeimportante laisse l'oralit dans la guerre estrenforce par les moyens de communicationmodernes (tels que le tlphone et la radio) : desordres importants peuvent tre donns oralementet appliqus rapidement.Ainsi, le secret est bien construit l'chelonsuprieur. Qu'en est-il celui des excutants?Comment, au plus prs de la pratique, est laborle secret sur la torture ? Bien souvent, le secret surles oprations menes est considr comme unecondition sine qua non de la russite. videntedans les guerres classiques, cette considration estd'autant plus vraie dans une guerre de renseignementsomme celle que mnent certains servicesou certains soldats en Algrie. Aucun ordrecrit ne sera donn prcise ainsi une note de service de juillet 1958 propos d'une opration5. Ilest toutefois prcis par crit aux excutants leurmarge de manuvre : l'issue de l'opration oumme en cours d'opration, des dcisions immdiates doivent tre prises vis--vis des personnesarrtes et reconnues coupables. [...] Certainesdoivent tre abattues par la troupe oprationnelle.D'autres doivent tre internes . Toutes les dcisions particulires quant aux individus ou quant audtail de l'opration, sont donc du domaine del'oral : l'crit fixant uniquement le cadre pour lesexcutants. Bien que cet exemple relve d'un service spcial, le rapport qu'y entretiennent l'oral etl'crit est gnralisable d'autres situations.Le soldat est donc toujours confront desordres oraux qu i ne laissent aucune tracedirecte pour l'historien. La force d'un ordre oral estthoriquement moins forte que celle d'un ordrecrit puisqu'un soldat peut demander la

    mation par crit d'un ordre oral. Dans les faits, detels actes sont rares6 : les soldats n'tant pasinforms de leurs droits et surtout n'tant pas toujours en situation de les faire valoir. Les hsitationsdes soldats sont de peu de poids face la force desordres donns.Le secret de la torture n'existe donc pas proprement parler puisque tous les militaires qui ontt au contact de cette ralit et ils sont nombreux en connaissent l'existence. Leurs tmoignages sont d'ailleurs une des sources principalestant l'poque qu'aujourd'hui. Les responsablesde la guerre ont nanmoins eu un souci, croissantau cours de la guerre : viter de laisser des tracesde cette pratique. En ce sens et pour l'histoire, il ya bien eu une tentative de construction d'un secretde la torture pendant la guerre d'Algrie.Ce secret n'a pas t labor a posteriori pardestruction des preuves et des crits (mme si detelles dmarches ne sont pas exclure), il l'a tds l'poque. On a vu la prudence dans l'expressiont le jeu entre l'crit et l'oral qui ont permisde faire coexister au moins deux discours au seinde l'institution militaire. Cette conscience destraces se retrouve aussi quand on tudie lamanire mme dont les interrogatoires sous lacontrainte taient mens : le souci de ne paslaisser de traces physiques apparat nettement.Dans une causerie sur le renseignement dest ine aux officiers en stage en Algrie dans les dernires annes de la guerre, il est expliqu aux stagiaires que lorsque l'Officier de Renseignement qui est l'officier charg des interrogatoires ausein des secteurs ou des units militaires leurdemandera de lu i envoyer un prisonnier fait aucombat, celui-ci devra lu i tre transfr rapidement, ntact et avec les documents saisis sur lu i 7. Intact est explicit ainsi : attention aux harkis, leur brutalit possible et aux questions inopportunes. Ce souci de l'intgrit physique des prisonniers n'est pas nouveau. En 1957, le gnralAl lard8 proscrivait dj, notamment au 3e RPC, tout procd qui marquerait irrmdiablementl'individu moralement ou physiquement 9. Ilritre d'ailleurs cet ordre en 1959.L'usage de l'lectricit pour faire parler des suspects ou de s prisonniers a pu tre vant pour cetteraison : contrairement d'autres svices, cettemthode aussi efficace que d'autres ne laissait pas de squelles durables. Les rserves de certains militaires sur ce point peuvent tre rattaches des considrations thiques. Il faut aussi se souvenir que certains nationalistes, inculps de participation la rbellion, dclarent que les aveuxobtenus d'eux l'avaient t sous la torture. Or,devant la justice, les traces de ces tortures sont lesseules preuves qu'ils pouvaient allguer. Sanstraces visibles qu'un mdecin peut constater, il n'ya pas eu de torture.Paul Thibaud, dans un article paru en mai 1957dans la revue Esprit]0, se fait l'cho de cette disparition de s traces. voquant les tortures l'lectricit, il crit : l'application des lectrodes surune peau mouille (par la sueur par exemple)risque seulement de provoquer des tincelles etpar consquent de petites brlures . Il ajoute : ces lsions ont d'ailleurs souvent t constates

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    par les mdecins, mais on les attribue officiellementdes maladies de peau, une pidmie d'eczma du e au climat nord-africain . Ilconclut : D'aprs le Dr Hovnanian ", cette formed'eczma serait particulire au x prisons d'Algrie .Les tmoignages su r les lieux de torture prouventque les militaires franais qui recourent de telsprocds ont conscience de cette dimension. Lesprisonniers trop abms sont souvent gards ausecret en attendant qu'ils se remettent ou soignsdans les lieux mmes o ils ont t interrogs.Certains sont aussi excuts sommairement lasuite d'interrogatoires trop violents. Dans les deuxcas, il s'agit de dtruire ou d'effacer les tracesvisibles des tortures infliges aux prisonniers : lesecret est ainsi prserv.On pourrait penser que les Algriens ont la possibilit de parler et de raconter les svices, queceux-ci aient ou non laiss des traces, mais dansun contexte et sur un sujet o la parole d'un Algrienn'a pas de poids, c'est bien la trace matriellequi seule peut faire foi. Les rapports d'expertisemdicale sont en fait les seules preuves acceptesde ce s pratiques d'o des discussions parfoisserres sur ces rapports.L'illgalit de la pratique de la torture taitconnue de tous les militaires engags en Algrie.Selon les contextes oprationnels, selon la personnalit des hommes, selon aussi la distance physique avec les interrogatoires, les ractions cettepratique ont t trs diffrentes. Une entreprisegnrale de dissimulation a pu tre dcele maiss'agissait-il, tous les niveaux, de la mme dissimulation ? En fait, paralllement la pyramide hirarchique, on peut sans doute dessiner une pyramide de secrets embots 12 et distinguergrossirement deux niveaux : celui des excutantset celui de leurs suprieurs.Les excutants ont, en gnral, le souci de dissimuler leurs pratiques. Les tmoignages sontnombreux des prisonniers dplacs lors des visitesde membres de commissions d'enqute ou d'inspection, qu'ils soient militaires ou civils, franaisou trangers. Il est aussi facile de faire disparatreles installations utilises pour les tortures, ou de lesrendre rapidement leur usage lgal pour lesgnratrices de campagne.Quant aux autorits suprieures, que ce soientles suprieurs hirarchiques ou les autorits civiles,il est difficile de savoir de quelles informationselles disposent exactement. Mais la torture n'est unsecret pour personne. On sait mme que certainsministres ont encourag verbalement le gnralMassu et ses mthodes au cours de la batailled'Alger13. Si presque tous les responsables politiques et militaires tiennent pourtant dissimuleraux yeux de l'opinion l'existence de cette pratiquedans les rangs des forces de l'ordre, s'ils tentent demaintenir le secret su r la torture, c'tait qu'ils dissimulent aussi ainsi leur impuissance encontrler l'interdiction.Malgr toutes ces prcautions pour dissimuler lapratique de la torture, l'opinion publique a, denombreuses reprises, t informe de son existence. Comment s'est opre cette divulgation dusecret? C'est l'objet de notre seconde partie, qui

    se concentre sur les premires annes de la guerre(et notamment sur l'anne 1957) qu i voient larvlation au grand jour de cette pratique14.Les stratgies de divulgationou le temps de la rvlation du secret

    Mettre jour les mcanismes de la divulgation dela pratique de la torture revient reconstituer lachane de la victime jusqu' la presse ou l'diteurassurant la publicit de l'affaire. Trois cercles agissant les uns aprs les autres se dgagent : ceux quisavent; ceux qui s'engagent; ceux qui publient.Les premiers savoir que la torture est pratique sont videmment les victimes elles-mmes.Leurs tmoignages sont la plupart du temps constitusar le texte des plaintes qu'elles ont dposes.La plainte prsente l'avantage d'attester la crdibilit des faits dans la mesure o ils sont soumis la vrification de la justice. Or, dans un contextede dissimulation de la pratique de la torture, l'exigence de crdibilit du tmoignage est redouble.Le livre d'Henri Alleg, La question, constitue uneexception notable d'expression directe par unevictime. Ce cas unique peut s'expliquer par le faitqu'Henri Alleg est un professionnel de l'criturepuisqu'il a dirig le journal Alger Rpublicain. Sontmoignage est d'une force rare et , un mois aprssa parution en fvrier 1958 aux ditions de Minuit,au moment o il est saisi, plusieurs dizaines demilliers d'exemplaires en ont dj t vendus.En contact avec les victimes qu'ils incitent porter plainte, les avocats sont les principaux informateurs de la presse. Pierre Stibbe est ainsi l'origine des deux premiers articles dnonant la torture en Algrie, parus en janvier 1955 : VotreGestapo d'Algrie , de Claude Bourdet dansFrance-Observateur et La question de FranoisMauriac dans l'Express^5. De plus, pour les avocats, faire connatre les tortures subies par leursclients peut s'inscrire dans le cadre d'une stratgiede dfense, en particulier au moment de plaider lagrce des condamns mort. La premire affairedans laquelle s'est engag Jacques Vergs enfournit un bon exemple : Djamila Bouhired estcondamne mort en juillet 1957 et , deux moisplus tard, parat Pour Djamila Bouhired deGeorges Arnaud, aux ditions de Minuit, point dedpart de la campagne pour la grce de la jeunefille.Enfin, certains fonctionnaires d'Algrie encontact avec les victimes, comme les magistrats oule personnel des prfectures charg de la gestiondes centres d'internement, appartiennent eux aussiau cercle de ceux qui savent avec certitude, sanscontestation possible, que la torture est pratique.Mais leur profession, qui les met au service del'tat, leur interdit toute publicit mme quand lapratique de la torture, qu'ils constatent et rprouvent, eur pose un cas de conscience. En 1957,Jean Reliquet, procureur gnral d'Alger, qui visitela prison d'Alger et fait recueillir des plaintes parson substitut, ainsi que Paul Teitgen, secrtairegnral de la prfecture d'Alger, lors de son inspection du camp de Paul-Cazelles, ont tconfronts cette situation insoutenable. Ils font

    11 . Membre de la commission parlementairecharge d'enquter sur lessvices commis sur de scommunistes algriens Oran en septembre 1 956,le Dr Hovnanian avaitprfr s'abstenir sur lerapport final (rapportProvo) arguant d'unensemble de faits, enpartie mdicaux, lui ayantparu probants demthodes policiresincompatibles avec lavritable mission de lapolice .12 . L'aspect systmatiquede cet article ne doitcependant jamais occulterl'extrme diversit dessituations qui coexistentpendant la guerre d'Algrie, en particulier sur laquestion de la torture.13 . Rapport du gnralMassu sur la batailled'Alger, 5 juin 1957, 304AP 701/1 (fonds Garon,CAC) .14 . Cette premire partiea t rdige parRaphalle Branche, laseconde partie parSylvie Thnault.15 . Parus respectivementle 13 et le 15 janvier1955.

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    emeAPRES LA 5

    DE FRANCE-OBSERVATEUR"

    (Deux fois en S jours : le 27 Fvrier et le 6 Mars)e ".1 f\r*r le gouvernement a fait saisir tous le* exemplaire de FRANCE-OBSERVA1e motif fipuifl et eette aisle tait 1 publirattart dVxtratti du lvre d'ilrr Altr " i >4 publuaiii es t vendu noimalement), et .f'.ji. lift r t .^.nvitlaire dans !?'i ft'-cs '> la libert dr l.t prv**r; c'est--dire qui refue 6 mars, Je jeune -- rnaif dj si vieux ----- Felix {itiilard a '*;< r;*':ur-v r:itr. ,i . pi-s. .n ti t 1er : Le srtiieicle de 1 France .i'S confrre L'Kxpre.v* et * Fru:.. veulent lr prcipiter des. -s rrj)tj|ili( .iijs dr ce pyv (ju'ils uir.-it ou nrn nos lecteurs, .t/'- ;i : t. ... ;;i ou rien toutes 1utnn>!utJ (ueleonque.^e t iv rrn> !'.: ; et t.i ; 1 - lr- s/ivent. Ils ont. l'occasion des dffrrnte {"-Rjukitions, rxi%nn no coinp*e* . Ils v mit trinar !i preu\e ! !. totale ilidprndattc** dr tsotf-r- joitrn.t!. Ttiat si* nt crti aussi > dcoinrir sortoint laibe,. Nous nr iM;r."!i ; effet, nous permettre de jwrdr dans la mme anne les recettes de quatreumro! en France !n>-;?'op.i; n.-i. et celles dr qumrsnfc numros en Aiurri**,ans 1rs viniit derniers mois, fri saisies efec tu r ;' loittrr notre jinirnal nuns, ont et prs de '2H irul-ionv. On espre que nous, serons ennduit*! ainsi nous taire u i disparatre. -m dr pour^ui - ..i|. n fondation.i.^'jti'.i prsent, nous n'avn-i^ ,i:::i.^ ouvert de soa^cnptiou. Nous en L(iu;f-et}ij"H'tr- T^onnHlfn^ it au dfi lance par- le- (ouvrrnement.e n'est pas seulement l'existence de FRANCE-C5 BSEKVATEL'R qu i es t en jeu. C'est le principe mmee u libert de I* pte*. FRANCE-OBSERVATEUR..i unr.RT di: i.\ pri-.>si: l'sr M/:x\

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    alors le choix de taire circuler l'information sanspour autant la rendre publique. Ils informent eneffet les membres des commissions d'enquteenvoys par la mtropole, comme MauriceGaron de la Commission de sauvegarde et LouisMartin-Chauffier de la Commission internationalecontre le rgime concentrationnaire16. Ils participent onc la divulgation de l'information maisen restant dans l'ombre et en se couvrant puisqu'ils ne parlent qu' des Commissions officielles.Du fait de leur statut professionnel, ils ne mettenten uvre qu'une divulgation rflchie et matrise,en prenant le soin de ne pas alimenter la campagne de presse qui secoue la mtropole aumoment de la bataille d'Alger .Le cercle de ceux qui s'engagent comprend ceuxqui mettent leur notorit ou leurs rseaux d 'information au service d'une affaire de torture. Leplus souvent, au dpart de l'affaire, joue de faonprimordiale un lien personnel entre la victime etcelui qu i se mobilise pour dfendre sa cause. Eneffet, en l'absence de preuves indiscutables et face la ngation de la pratique de la torture, le douteet l'incrdulit doivent tre vaincus. L'engagementsu r une affaire ncessite une relation de confianceentre la victime et la personnalit qui entreprendla mdiatisation de son cas.Deux des affaires clbres qui ont mobilis lesmilieux universitaires se plient cette rgle. C'estd'abord le cas pour Ali Boumendjel, arrt Algeren fvrier 1957, dtenu par les parachutistes etdont le suicide est officiellement annonc au dbutdu mois de mars. Ren Capitant, professeur dedroit dont Ali Boumendjel a t l'lve, choisitalors de suspendre ses cours et sa raction n'estque le dbut d'une cascade de protestations. Lecas de Maurice Audin, arrt en juin 57 par lesparachutistes Alger, disparu, prsente des similitudes : il tait alors doctorant en mathmatiques,sous la direction de Laurent Schwartz. Or, ce dernier est en partie l'origine du Comit MauriceAudin. De mme, Ren de Possel, dont MauriceAudin a t l'assistant, a l'ide d'organiser la soutenance de sa thse in abstentia en dcembre1957, moment fort de dnonciation et de mdiatisation du sort du jeune disparu 17.Par la suite, le relais dans les milieux universitaires u intellectuels s'largit en dpassant lecadre des connaissances personnelles et , globalement, la mobilisation des universitaires reposesur d'autres motivations que l'existence d'un lienpersonnel avec une victime de la torture. Mais celien personnel semble indispensable au dpartpour vaincre l'incrdulit et le doute, inspirer laconfiance, provoquer l'engagement. Cette ncessit 'une garantie de la vrit du tmoignageest essentielle. C'est la consquence directe de ladissimulation entreprise. Dans la mme logique,pour emporter l'adhsion et convaincre l'opinionpublique, alors que les auteurs de torture organisent la dissimulation de leurs actes, la notorit et la respectabilit des personnes engagesservent de caution. Ainsi s'explique la place desuniversitaires dans le cercle de ceux qui s'engagent.A contrario, les difficults auxquelles se heurtentles communistes tmoignent de la dfiance que

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    18 . Cf . Benjamin Stora, Une censure de guerrequi ne dit pa s son nom ,in Censures, Bibliothquepublique d'information ducentre Georges Pompidou,1987, pp. 46 54.1 9. Tome 2 de s Mmoiresde Pierre Vidal-Naquet,op. cit., page 53 .20 . Le Monde, le 1 3 mars1957, page 1.21 . Tome 2 de s Mmoiresde Pierre Vidal-Naquet,op. cit., p. 38 .22 . Tous deux sont publispar Le s temps modernes,le premier en octobre1959 et le deuxime ennovembre.

    Les milieux chrtiens, eux aussi trs engagsdans la dnonciation de la torture, ne rencontrentpas ce type de problme. Ils trouvent assez facilement une audience plus large, usant de leurs relaisdans les milieux intellectuels. Le tout premier livrednonant la torture, intitul Contre la torture,paru en mars 1957 aux ditions du Seuil, a ainsit crit par Pierre-Henri ,Simon, membre duCercle des crivains catholiques.La notorit et la respectabilit de ceux qui s'engagent jouent d'autant plus qu'il leur faut vaincreles rticences de ceux qui publient : les journalistes.Dans ce dernier cercle entre les victimes etl'opinion, deux lments freinent considrablementa rvlation d'affaires de tortures. La peur dela saisie, d'abord : 35 % des saisies concernent eneffet les seules affaires Al leg, Audin et Boupacha,trois affaires de dnonciation de la torture. En l'absence de censure pralable, la saisie a posterioriest une arme trs efficace pour le pouvoir, enraison des pertes financires qu'elle entrane, lesexemplaires saisis ayant t imprims mais nonvendus. La presse fait donc preuve de prudenceavant de se lancer dans la rvlation d'une affaireet tend pratiquer l'autocensure. D'aprs JrmeLindon, directeur des ditions de Minuit, les diteurs ont d pallier les carences de la presseen prenant la dcision de publier certains rcitsquand la presse, timore, se refusait le faire18.Les ditions de Minuit et les ditions Maspero,cres en 1959 pour publier des crits favorablesau FLN, ont ainsi assur la publication d'unnombre important de livres dnonant la rpression.De mme, l'anne 1957, anne de la rvlat ion, voit se multiplier les livres et les brochurespublis par d'autres canaux que ceux de la grandepresse mtropolitaine.Le deuxime frein la dnonciation de la torture par les journalistes est leur apprciation de lasituation politique au moment o ils reoiventdes tmoignages. Pour eux, non seulement le rcitdoit tre vrai, authentifi, certifi par ceux qui leleur transmettent, mais de plus, sa rvlation nedoit pas tre inopportune. C'est ainsi que Jean-Marie Domenach a reu de nombreux tmoignages de rappels en 1956. Mais il dcide de nepas les publier. Par contre, il crit au colonelLacheroy, responsable de l'action psychologique,pour l'informer des violences commises par lestroupes franaises en Algrie et l'inciter ragir.Il ne reut pour toute rponse que le mpris : L'autre le traita de boy-scout , raconte PierreVidal-Naquet19. L'attitude de Jean-Marie Domenach 'explique par sa rticence gner le gouvernement en rendant publique une dnonciationde la rpression. Pour Jean-Marie Domenach, ilfaut laisser le temps au gouvernement de GuyMollet, qu i a dfini sa politique algrienne par letriptyque cessez-le-feu, lections, ngociations, de la mettre en uvre. De son ct,Hubert Beuve-Mry rsume bien cette difficileresponsabilit du journaliste partag entre sondevoir d'informer et la peur de mettre dangereusementn difficult le pouvoir, dans l'ditorialqu'il consacre la sortie de Contre la torture dePierre-Henri Simon : Tmoins ou victimesd'atrocits commises en Algrie par des Franais,

    des lecteurs s'affligent de la relative discrtionqu'observe Le Monde se sujet. Pour d'autres aucontraire, toute information qui peut treexploite contre nous est dj une trahison. Ledilemme est redoutable 20 . La peur de trahir etde gner un gouvernement explique donc lalongue plage de silence sur les tortures dans lapresse, de janvier 1955 la fin de l'hiver 1957,excepte l'affaire des torturs d'Oran qu i clate l'automne 1956.A partir de mars 1957, cette peur de gner ungouvernement ou de trahir son pays saute sousl'avalanche des affaires lie une modification ducontexte : d'abord, cette anne 1957 s'ouvre surla bataille d'Alger, marque par un quadrillagesystmatique, une multiplication des arrestationsdonc des interrogatoires et , mcaniquement, dela torture. De plus, celle-ci est justifie par le commandement qui voit en elle une mthode efficacepour obtenir des renseignements et dtruire leFLN. Pa r ailleurs, en 1957, l'opinion publique estpeut-tre plus rceptive aux rcits dnonant lesformes prises par la rpression en Algrie. C'estque le compte rendu quotidien de la guerre d'Algrie s'enfle, se nourrit de rcits sur la rpressiontandis que la politique du gouvernement GuyMollet a fait ses preuves. Face l'enfoncementdans la guerre, l'opinion prte une oreille plusattentive aux dnonciations des violences commises au nom de la France. Enfin, partir de 1957,les tmoignages de rappels abondent. La plupartdu temps, ceux-ci parlent leur retour. Or, lespremiers retours de rappels envoys en Algries'effectuent en 1957. C'est ainsi que La paix desNemenchtas , de Robert Bonnaud, est publidans Esprit en avril 1957, au retour de cet agrgd'histoire envoy en Algrie. Comme les autres, lesrcits des rappels doivent maner de personnesde confiance, avec une garantie de la vracit dutmoignage et , dans le cas de La paix desNemenchtas , la seule qualit d'agrg d'histoirede son auteur suffit cautionner ses propos : Jene pouvais imaginer que ce tmoignage crit parun homme qui tait comme moi, un professionnelde la vrit (c'est--dire un agrg d'histoire!) etqui signerait de son nom, ne soulverait pas unimmense scandale , tmoigne Pierre Vidal-Naquet21. Le dossier Jean Mller, supplment aunumro 38 de Tmoignage chrtien, qu i parat enfvrier 1957, offre galement des garanties par lapersonnalit de son auteur. En effet, Jean Mller at tu en octobre 1956 et son dossier ras s emble les lettres qu'il avait envoyes son frre.Les textes publis n'ont donc pas t crits dansl'objectif d'tre publis et de provoquer le scandale. Mais surtout, Jean Mller tait permanent del'Action catholique, membre des Scouts de Franceet quatorze tmoins retrouvs par son frre sontprts tmoigner de la vracit de s faits qu'ilrelate.

    Aprs la rupture de mai 1958, sous la Cinquime Rpublique, peu d'affaires retiennent denouveau l'attention de l'opinion. Seules troisgrandes affaires marquent cette priode : La gangrne aux ditions de Minuit, en juin 1959; lesdeux volumes du Cahier vert des disparitions enAlgrie, l'automne 1959 22 ; l'affaire Djamila

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    Boupacha qui clate en mai 1960. Pourtant, lapratique de la torture ne cesse pas.La premire explication de ce dcalage est quela conjoncture de la Cinquime Rpublique estassez identique celle de l'anne 1956. Aprs1958, la presse fait de nouveau preuve d'attentisme, tant l'espoir d'un tournant politique degrande ampleur est fort. La rupture a t promisepar Andr Malraux en juin 1 958 : Aucun acte detorture ne s'est produit ma connaissance, ni lavtre, depuis la venue Alger du gnral deGaulle. Il ne doit plus s'en produire dsormais 23.Cette dclaration marque la^ reconnaissance parles plus hautes autorits de l'tat de la pratique dela torture. De plus, comme une modification despratiques es t annonce, la presse attend les rsultatsdes bouleversements politiques. La premiregrande affaire, La gangrne, clate d'ailleurs pourprouver que la promesse d'Andr Malraux n'a past tenue.Les dnonciations d'affaires de torture se ralentissent galement en raison de la personnalit et dela politique du gnral de Gaulle qu i suscitent leralliement d'intellectuels autrefois engags dans ladnonciation de la torture, comme Pierre-HenriSimon ou Franois Mauriac. Enfin et surtout, letemps de la rvlation est pass. Pour ceux qui ontcontribu percer le secret de la pratique de latorture, le mdiatiser, emporter l'adhsiond'une partie de l'opinion et des intellectuels, au-del de 1957, l'essentiel est d'entretenir l'information. Certes, le Comit Maurice Audin continue publier des tmoignages. Mais, pour ce Comit,le temps de la preuve au sens juridique du termesuccde celui de la rvlation : le Comit porteses efforts su r l'instruction de la plainte dposeaprs la disparition de Maurice Audin, dont ilobtient le transfert en mtropole, Rennes, enavril 1959. Puis il se lance dans un procs en dif f amation contre La voix du Nord en mai 1 960.Mais aprs les rvlations de 1957, il devient difficile de crer de nouveau un scandale car la prat ique de la torture est connue. La question qui sepose dsormais est de savoir ce que fait le gnralde Gaulle contre la torture, surtout aprs les assurances d'Andr Malraux. Par consquent, lesaffaires ont pour objectif essentiel d'interpeller lenouveau gouvernement, la rupture promisen'ayant pas lieu. La gangrne s'ouvre ainsi su r unecitation d'Edmond Michelet, ministre de la justice : II s'agit l de squelles de la vrole, du

    litarisme nazi . De mme, le cas de Djamila Boupacha est prsent la presse en mai 1 96 0 accompagn de cette anecdote : le pre de Djamilaaurait cri aux militaires De Gaulle a di t qu'onne torturerait plus et le militaire qu'il avait enface de lui lui aurait rpondu De Gaulle, qu'ilfasse ce qu'il veut chez lui, ici, c'est nous qu icommandons 24 .Enfin, dernire preuve que le temps de la rvlation est passe, on entre dans une priode derflexion sur de possibles inculpations pour crimecontre l'humanit incluant la torture. En 1961,Nuremberg pour l'Algrie, de Matres BenAbdallah, Oussedik et Vergs, aux ditions Mas-pero, en fait la tentative. Sous la Cinquime Rpublique commence donc la construction d'un objetjuridique, par la recherche d'une qualificationpour le crime qu'est la torture commise par lesforces de l'ordre franaises uvrant en Algrie.Il n'a pas fallu attendre longtemps pour que lesecret de la torture soit divulgu. Pendant laguerre, les dnonciations de cette pratique ont tfoison et ce s informations, portes la connaissance e l'opinion publique pour des motifsdivers, constituent aujourd'hui encore une sourcepour l'historien. La dissimulation de la pratiquede la torture a donc t relativement inefficace.Grce aux tmoignages qui abondent, aux livresqui existent, la pratique de la torture en Algriependant la guerre est incontestable. Le mrite desopposants la torture rside dans cette productionde sources.Les stratgies de dissimulation n'ont pas pourautant chou totalement. Pour rpondre auxnombreuses questions qui demeurent autour de latorture, les archives sont rarement explicites etl'historien doit composer avec les diffrents voilesplacs sur la ralit par les contemporains, aurisque de se heurter parfois l'incrdulit que suscitent le dcryptage des euphmismes, priphraseset silences des documents crits, ainsi que lerecours aux tmoignages oraux. Les stratgies dedissimulation continuent donc de produire leurseffets par ces handicaps pour l'historien.

    Raphalle BRANCHEATER l'Universit de ReimsSylvie THENAULTDocteur en histoire

    23 . Le Monde, 26 juin1958, p. 3.24 . Cit notamment parLe Monde, dition du27 mai I960, page 5.