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LE STATUT CONSTITUTIONNEL DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ISSU DE LA LOI CONSTITUTIONNELLE DU 28 MARS 2003 : ENTRE INNOVATION ET COMPLEXITÉ Hervé Rihal E.N.A. | Revue française d'administration publique 2003/1 - no105-106 pages 219 à 234 ISSN 0152-7401 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2003-1-page-219.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Rihal Hervé, « Le statut constitutionnel des collectivités territoriales issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 : entre innovation et complexité », Revue française d'administration publique, 2003/1 no105-106, p. 219-234. DOI : 10.3917/rfap.105.0219 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour E.N.A.. © E.N.A.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Michigan - - 141.213.236.110 - 14/05/2013 22h33. © E.N.A. Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Michigan - - 141.213.236.110 - 14/05/2013 22h33. © E.N.A.

Le statut constitutionnel des collectivités territoriales issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 : entre innovation et complexité

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LE STATUT CONSTITUTIONNEL DES COLLECTIVITÉSTERRITORIALES ISSU DE LA LOI CONSTITUTIONNELLE DU 28MARS 2003 : ENTRE INNOVATION ET COMPLEXITÉ Hervé Rihal E.N.A. | Revue française d'administration publique 2003/1 - no105-106pages 219 à 234

ISSN 0152-7401

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2003-1-page-219.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Rihal Hervé, « Le statut constitutionnel des collectivités territoriales issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 :

entre innovation et complexité »,

Revue française d'administration publique, 2003/1 no105-106, p. 219-234. DOI : 10.3917/rfap.105.0219

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ÉTUDE

LE STATUT CONSTITUTIONNEL DES COLLECTIVITÉSTERRITORIALES ISSU DE LA LOI

CONSTITUTIONNELLE DU 28 MARS 2003 :ENTRE INNOVATION ET COMPLEXITÉ

Hervé RIHAL

Professeur de droit public à l’Université d’Angers

Jusqu’à présent, l’enracinement constitutionnel des collectivités territoriales étaittrès restreint. Mis à part son article 24 qui affirme que le Sénat assure la représentationdes collectivités territoriales de la République et son article 34 alinéa 14 qui inclut dansle domaine de la loi « la libre administration des collectivités locales, de leurscompétences et de leurs ressources », la Constitution consacrait son titre XII (quatrearticles) aux collectivités territoriales. Rappelons que l’article 72 posait seulement troisprincipes : celui selon lequel « les collectivités territoriales de la République sont lescommunes, les départements, les territoires d’outre-mer », toute autre collectivitéterritoriale pouvant être créée par la loi (cas des régions en général, de la collectivitéterritoriale de Corse en particulier) ; celui selon lequel « ces collectivités territorialess’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi » ;enfin le principe de la déconcentration et du contrôle étatique confiant au « délégué dugouvernement » le soin de veiller aux intérêts nationaux, d’assurer le contrôle adminis-tratif et le respect des lois. Les articles 73 et 74 ont trait, pour le premier, aux DOM, pourle second, aux TOM.

Depuis la première vague de décentralisation consécutive aux lois du 2 mars 1982relative aux droit et libertés des communes, des départements et des régions et à la Corse,on a beaucoup sollicité le texte constitutionnel, l’article 72 alinéa 2 notamment, de tellesorte qu’une jurisprudence foisonnante est venue interpréter la Constitution. On s’est peuà peu rendu compte que la jurisprudence constitutionnelle entraînait de nombreuxinterdits difficiles à contourner. Aussi était-il logique que, désirant mettre en place unedeuxième vague de décentralisation, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin commencepar entreprendre une vaste réforme constitutionnelle.

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Pour autant, la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 1 est une loibavarde et touffue ; certaines dispositions ne s’imposaient sans doute pas. Tout au longde notre étude, on constatera qu’à côté de réelles innovations (statut des DOM,démocratie locale) se trouvent des dispositions de principe dont on a voulu garantirl’effectivité en les intégrant dans la Constitution. Tel est notamment le cas, dans une trèslarge mesure, de l’article 72-2 qui porte sur les ressources des collectivités territoriales.

Cette nouvelle loi enrichit considérablement l’ancrage constitutionnel des collecti-vités territoriales. Outre une réécriture complète des articles 72 à 74 et des modificationsmineures d’autres articles, elle introduit dans notre loi fondamentale six articlessupplémentaires. L’objet de la présente étude est de présenter brièvement les nouvellesrègles constitutionnelles sans pouvoir répondre à toutes les questions qu’elles posent. Eneffet, quatre lois organiques au moins seront nécessaires à leur mise en œuvre et il seraitinutile de faire du « droit-fiction » en imaginant quel sera leur contenu.

Après avoir dégagé quelques règles générales de la réforme, seront analysées lesnouvelles règles de répartition des compétences entre l’État et les collectivités territo-riales, l’implication financière de ces nouvelles règles, et le renforcement de ladémocratie locale. Nous donnerons enfin un aperçu du régime juridique de l’outre-mer.

DE NOUVEAUX PRINCIPES CONSTITUTIONNELS

La France devient une République décentralisée ; le Sénat renforce son rôle dereprésentant des collectivités territoriales ; les régions de manière directe et lesgroupements de communes, plus incidemment, font leur entrée dans la Constitution.

La France, une République décentralisée

À côté de ses autres attributs contenus à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre1958 (caractère indivisible, laïc, démocratique et social), et de son objectif d’assurer« l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou dereligion et dans le respect de toutes les croyances », l’article 1er de la loi constitutionnelledote notre République d’une nouvelle caractéristique : « son organisation est décentra-lisée ».

À vrai dire, l’introduction de cette nouvelle disposition relève plus de « l’effetd’annonce » que du changement profond. D’une manière assez proche, la révisionconstitutionnelle du 25 juin 1992 a introduit dans notre Constitution un article 88-1 auxtermes duquel : « La République participe aux communautés européennes et à l’Unioneuropéenne ». La révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 a doté la France d’uneunité territoriale autonome, la Nouvelle-Calédonie. De même, les révisions constitution-nelles des 25 novembre 1993 et 8 juillet 1999 ont introduit dans notre Constitution desarticles 53-1 et 53-2 autorisant des transferts de compétences dont l’exercice constitue

1. Relative à l’organisation décentralisée de la République, JO du 29 mars 2003, p. 5568 ; pour uneversion réécrite de la Constitution modifiée voir AJDA, 2003, p. 571.

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une condition essentielle de la souveraineté nationale. Ainsi notre République est-elle àla fois liée par des engagements internationaux et des traités communautaires, tout enétant décentralisée. Le texte constitutionnel aurait pu placer également le principe dedéconcentration à l’article 1er mais le constituant de 2003 a préféré le renvoyer ausixième et dernier alinéa de l’article 72.

Dans son avis du 10 octobre 2002 précédant le dépôt de ce projet de révisionconstitutionnelle, le Conseil d’État avait critiqué cette disposition en la jugeant inutile.La majorité sénatoriale s’y est également montrée hostile. Comme le montre fort bienOlivier Gohin 2 cette affirmation ne modifie pas les caractéristiques de notre État qui resteunitaire.

En premier lieu, on est très loin d’un État fédéral : chaque région n’a pas saConstitution, les collectivités territoriales sont des entités administratives, en aucun casdes entités constitutionnelles ou politiques. En second lieu, la révision constitutionnellene fait pas non plus de la France un État régional au sens italien ou espagnol du terme.En effet, les régions ne disposent nullement de pouvoirs législatifs ; elles pourrontseulement disposer, comme d’ailleurs toutes les autres collectivités territoriales, d’unpouvoir d’adaptation des lois dans le cadre de l’expérimentation, par la voie d’actes devaleur réglementaire.

La décentralisation est tout juste plus marquée, davantage mise en exerguequ’auparavant. On doit ainsi constater que l’ajout de cette caractéristique à notreRépublique était finalement inutile. Utile mais contestable nous apparaît être lerenforcement des pouvoirs du Sénat.

Le Sénat renforcé dans son rôle de représentation des collectivités territoriales

Il était de tradition, surtout sous les présidences de messieurs Giscard d’Estaing etChirac, que l’examen des projets de loi intéressant les collectivités territoriales débute auSénat. Il ne s’agissait pas pour autant d’une règle formelle, l’article 39 laissant dans cedomaine une totale liberté au gouvernement hormis le cas des lois de finances et des loisde financement de la sécurité sociale, nécessairement soumises d’abord à l’Assembléenationale.

Le sénateur Raffarin, devenu Premier ministre, a souhaité constitutionnaliser cettepratique. Ainsi l’article 39 est-il complété par la disposition suivante : « Les projets de loiayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales et les projets de loirelatifs aux instances représentatives des Français de l’étranger établis hors de Francesont soumis en premier lieu au Sénat ».

Dans son avis du 10 octobre 2002, le Conseil d’État s’est également montré opposéà cette modification. Il est en effet peu logique que le Sénat, non élu au suffrage universeldirect, ait nécessairement la primeur de l’examen d’un projet de loi. De plus, si la gauche,traditionnellement minoritaire au Sénat, revenait au pouvoir, ses projets sortiraientsouvent bouleversés de cet examen en premier lieu par le Sénat.

Toutefois, l’évolution opérée a un caractère plus symbolique et politique quejuridique. En effet, le Sénat ne se voit accorder ni le dernier mot, ni même l’égalité ence qui concerne les projets de loi concernant les collectivités territoriales : il se borne àen avoir la primeur. Cette modification, outre son caractère limité et contestable au regard

2. Gohin (O.), « La nouvelle décentralisation et la réforme de l’État », AJDA, 2003, p. 522-528.

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de la démocratie, risque de présenter l’inconvénient d’alimenter la jurisprudence duConseil constitutionnel auquel il appartiendra dans un proche avenir de déterminer cequ’est un « projet de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivitésterritoriales ».

L’entrée des régions dans la Constitution n’a, en revanche, pas seulement uncaractère symbolique.

L’entrée des régions et des groupements de communes dans la Constitution

On sait que les régions, après une tentative de création avortée en 1969, ont d’abordfait leur entrée dans notre galaxie institutionnelle sous la forme de timides établissementspublics et ne sont devenues des collectivités territoriales qu’à la faveur de leur électionau suffrage universel direct décidée par la loi n° 82-213 du 2 mars 1982. L’article 72alinéa 1 n’était pas transgressé puisqu’une loi avait créé une nouvelle catégorie decollectivités territoriales. Néanmoins, le principe du parallélisme des formes impliquaitque, juridiquement au moins, la suppression par le législateur des régions restaitparfaitement envisageable. L’article 72 alinéa 1 nouveau constitutionnalise l’existencedes régions. Trois précisions doivent ici être apportées.

D’une part, l’article 34 alinéa 14 relatif au domaine de la loi remplace l’expression« collectivités locales » par celle de « collectivités territoriales » ce qui tient compte del’arrivée des régions dans notre Constitution.

D’autre part, l’article 72 alinéa 1 prévoit également la possibilité de créer des« collectivités territoriales à statut particulier ». Pour l’instant, il s’agit de la Corse, et àun moindre degré, de Paris, Marseille et Lyon. Il pourrait s’agir demain notammentd’autres régions : Alsace, Pays-Basque, Catalogne, Bretagne...

Enfin, la deuxième phrase du même alinéa 1er ajoute à la formule jusqu’à présent envigueur selon laquelle « toute collectivité territoriale est créée par la loi », la formulesuivante « le cas échéant, en lieu et place d’une ou plusieurs collectivités mentionnées auprésent alinéa ». Ainsi est ouverte la voie à une entité regroupant par exemple une régionet un ou plusieurs départements. Même si les groupements de collectivités territoriales nesont pas mentionnés à l’alinéa 1er de l’article 72 et n’avaient pas à l’être puisqu’ils nesont que des établissements publics, ils font leur entrée dans la Constitution par la « petiteporte ». En effet, ils sont admis au bénéfice de l’expérimentation (alinéa 4 de l’article 72)et peuvent devenir « chefs de file » suivant l’alinéa 5 de ce même article.

Loin de mettre fin à la complexité architecturale de notre République, le constituantde 2003 l’a plutôt accentuée en institutionnalisant trois niveaux d’administration et enreconnaissant en filigrane l’existence d’un quatrième : l’intercommunalité. La Républi-que décentralisée que constituera la France sera celle d’une administration complexe ; lesnouveaux principes de répartition des compétences énoncés dans la révision constitu-tionnelle ne sont pas faits non plus pour simplifier les relations entre l’État et lescollectivités territoriales et entre les collectivités territoriales elles-mêmes, ni pourdiminuer la quantité de normes applicables.

LES NOUVEAUX PRINCIPES DE RÉPARTITION DESCOMPÉTENCES

La révision constitutionnelle pose, sans l’affirmer nommément, le principe desubsidiarité. Posant le principe de l’absence de tutelle d’une collectivité territoriale sur

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une autre, elle lui apporte aussitôt un important correctif. Enfin et surtout, le nouveautexte permet une expérimentation — certes sous d’étroites limites — en ce qui concernel’exercice des compétences.

Le principe de subsidiarité

Entré dans le droit communautaire par l’article 3 B du traité de Masstricht (devenuarticle 5 à la suite de la nouvelle numérotation issue du traité d’Amsterdam), le principede subsidiarité fait son entrée dans notre Constitution même s’il n’est pas expressémentmentionné.

Suivant le nouvel alinéa 2 de l’article 72, « les collectivités territoriales ont vocationà prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être misesen œuvre à leur échelon ». Si on transposait l’article 5 du traité de Maastricht à lasituation qui naît de ce principe dans les relations État-collectivités territoriales, onpourrait utiliser la formule suivante : « Dans les domaines qui ne relèvent pas de sacompétence exclusive » l’État « n’intervient, conformément au principe de subsidiarité,que si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action ne peuvent être réalisés de manièresuffisante » par les collectivités territoriales « et peuvent donc, en raison des dimensionsou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés » au niveau central.

Sans conséquence immédiate, cette affirmation quelque peu hésitante du principe desubsidiarité devrait guider le législateur dans sa définition des nouvelles compétences.C’est ainsi que, lors des assises des libertés locales qui ont eu lieu d’octobre 2002 àfévrier 2003, les élus locaux ont été invités à faire connaître les compétences dont ilssouhaitaient le transfert. Dans l’immédiat, la gestion du revenu minimum d’insertiondevrait être confiée aux départements ; devrait être également décentralisée la gestiond’une centaine de milliers de fonctionnaires appartenant jusqu’à présent au ministère del’éducation nationale.

Le principe de subsidiarité tel qu’il est affirmé est avant tout, selon l’expression deJean-François Brisson « une règle de bonne gouvernance » 3 : « Il s’agit davantage d’unobjectif, d’une règle de conduite que d’une véritable obligation » 4. Il ne semble pas enrevanche qu’il faille compter sur le Conseil constitutionnel pour définir les implicationsprécises de cet alinéa qui reste assez flou. Il est tout de même probable qu’il incitera lelégislateur à transférer davantage de responsabilités aux collectivités territoriales.

Le constituant insère ensuite dans la Constitution un texte en vigueur depuis 1983,tout en lui apportant un important correctif.

L’absence de subordination d’une collectivité territoriale à une autreet son correctif

Issu de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, l’article L. 1111-3 du code général descollectivités territoriales interdit l’exercice d’une tutelle d’une collectivité territoriale surune autre ; ce principe reçoit l’onction constitutionnelle par l’alinéa 5 du nouvelarticle 72 : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ».

3. Brisson (J.-F.), « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétencesentre l’État et les collectivités locales », AJDA, 2003, p. 528 et suivantes, spéc. p. 531.

4. Ibid, p. 532.

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On sait que ce principe a souvent été difficile à respecter, notamment en matièred’aide sociale où la décision prise par un département concernant l’agrément en matièred’adoption ou celui d’une assistante maternelle s’impose à un autre en cas dedéménagement de la personne agréée. On sait combien il est difficile à faire respecter encas de financement croisé. N’oublions pas aussi que, depuis 1982, la région est devenueautorité de décision en matière d’aides directes aux entreprises, les communes etdépartements ne pouvant accorder de telles aides qu’au cas où la région en a octroyées.

Aussi, dès sa seconde phrase, l’article 72 alinéa 5 apporte une exception : « Cepen-dant, lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours d’une ou plusieurscollectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leursgroupements, à organiser les modalités de leur action commune ».

On admet ainsi qu’une collectivité territoriale puisse devenir « chef de file ». Cettepossibilité apparaît comme réaliste. On sait fort bien que les nouvelles politiques nepourront avoir une efficacité que s’il existe une synergie entre les divers intervenantspublics. Ainsi en est-il des politiques de requalification urbaine qui nécessitent leconcours des régions compétentes pour l’aménagement du territoire, des départementscompétents en matière sociale, des EPCI compétents en ce qui concerne l’urbanisme,voire le logement social. Comme le montre Jean-François Brisson, « la notion decollectivité locale chef de file conjuguée à l’interdiction de la tutelle entre collectivitésterritoriales suggère que l’articulation des compétences au niveau local ne pourra prendrequ’une forme contractuelle, seule en mesure de garantir le consentement de l’ensembledes partenaires aux orientations définies par le chef de file » 5.

Il est probable que cette notion de collectivité territoriale « chef de file » avantageragrandement les régions notamment dans le domaine économique et dans celui del’aménagement du territoire.

L’introduction dans la Constitution du principe de l’absence de tutelle, aussitôtcorrigé, n’était sans doute pas utile. En revanche, plus nouvelle est la possibilitéd’expérimenter.

Le droit limité à l’expérimentation

Inconnue jusqu’alors de notre loi fondamentale, l’expérimentation fait l’objet dedeux dispositions bien distinctes.

En premier lieu, juste après l’article 37 déterminant le domaine réglementaire, estcréé un article 37-1 qui ne concerne pas uniquement le droit des collectivités territoria-les : « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, desdispositions à caractère expérimental ». Il s’agit ici de permettre ce que certaines loisavaient autorisé. Ainsi en fut-il par exemple de la loi du 27 février 2002 relative à ladémocratie de proximité : elle a permis aux régions d’expérimenter l’exercice descompétences de l’État concernant l’aménagement, l’entretien et l’exploitation des portsd’intérêt national, à des collectivités non déterminées d’expérimenter l’exercice descompétences étatiques sur les aérodromes et surtout — ceci a été et est encore très discuté— elle a autorisé les collectivités territoriales à instruire les mesures de classement desmonuments historiques, d’inscription d’immeubles à l’inventaire supplémentaire ; elle a

5. Art. préc., AJDA, 2003, p. 538.

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prévu aussi leur participation à des travaux d’entretien et de réparation sur ces immeubleset la délivrance par elles d’autorisations de travaux 6.

L’article 37-1 a un champ d’application très large permettant par exemple l’expé-rimentation de nouvelles règles de gestion par les universités. Il évite toute censureéventuelle d’une loi par le Conseil constitutionnel ou d’un règlement par le Conseild’État notamment sur la base du principe d’égalité auquel toute expérimentation dérogepar principe.

L’objectif de ces expérimentations est clairement mis en relief par l’exposé desmotifs du projet de loi : « L’expérimentation est un instrument qui doit permettred’avancer avec plus de sûreté et d’efficacité sur la voie des réformes dans une sociétémarquée par la complexité. Elle constitue en particulier un moyen de progresser sur lavoie de l’indispensable réforme de l’État » 7.

L’alinéa 4 de l’article 72 est beaucoup plus riche de virtualités pour le droit descollectivités territoriales en prévoyant que « dans les conditions prévues par la loiorganique, (...) les collectivités ou leurs groupements peuvent, lorsque selon le cas la loiou le règlement l’a prévu, déroger à titre expérimental (...) aux dispositions législativeset réglementaires qui régissent leurs compétences ».

Le texte est bien loin de créer un droit à l’expérimentation puisqu’il l’assortitd’emblée de deux conditions et de deux limites. La première condition est quel’expérimentation est prévue, organisée par la loi ou le règlement et n’est donc nullementspontanée. Ensuite, elle ne porte que sur l’exercice des compétences et donc jamais surle mode d’élection, la structure, la gestion ou le statut du personnel. C’est la loi organiquequi indiquera si la dévolution des ressources comme moyen d’exercice des compétencespeut faire l’objet d’une expérimentation.

La première limite est que l’objet et la durée de l’expérimentation doivent êtrelimités. Ne doivent pas, en outre, être en cause les conditions essentielles d’exerciced’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti ce qui vient réduiregrandement le champ de l’expérimentation qui ne pourra ainsi pas concerner, parexemple, l’enseignement privé.

Cette nécessité de réviser la Constitution trouve son origine dans la décisionno 2001-454 DC du 17 janvier 2002 rendue à propos du projet de loi sur la Corse. On saitqu’une disposition de ce projet prévoyait que « lorsque l’Assemblée de Corse estime queles dispositions législatives en vigueur ou en cours d’élaboration présentent, pourl’exercice des compétences de la collectivité territoriale, des difficultés d’applicationliées aux spécificités de l’île, elle peut demander au gouvernement que le législateur luiouvre la possibilité de procéder à des expérimentations comportant le cas échéant desdérogations aux règles en vigueur ». Le Conseil constitutionnel a sèchement censurécette disposition : « En dehors des cas prévus par la Constitution, il n’appartient qu’auParlement de prendre des mesures relevant du domaine de la loi (...). En ouvrant aulégislateur, fût-ce à titre expérimental, dérogatoire et limité dans le temps, la possibilitéd’autoriser la collectivité territoriale de Corse à prendre des mesures relevant du domainede la loi, la loi déférée est intervenue dans un domaine qui ne relève que de laConstitution » 8.

6. Sur ce point, voir notre commentaire, RFAP, 2002, p. 183.7. Sénat, projet de loi n° 24, 16 octobre 2002.8. Pour plus de détails, voir chronique RFAP, 2002, p. 174 et suivantes.

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Le but de ce type d’expérimentation est aussi clairement défini par l’exposé desmotifs 9 : « Dans l’exercice de leurs compétences, les collectivités territoriales sontparticulièrement à même d’apprécier l’adéquation des lois et règlements à l’objetpoursuivi, d’identifier leurs éventuelles imperfections et de concevoir les réformes dontces textes pourraient faire l’objet ».

En rupture avec le principe d’égalité auquel les Français sont très attachés,l’expérimentation « effraie plus qu’elle n’enthousiasme » 10. La grande difficulté del’expérimentation sera évidemment celle de son évaluation. Elle pourra soit échouer, soitconduire à une généralisation de la mesure à l’ensemble des collectivités territoriales.Dans tous les cas, elle ne sera jamais pérennisée et n’a pas vocation à permettre à unecollectivité territoriale d’acquérir une compétence qu’une autre n’aurait pas.

Le texte n’a ainsi pas de quoi « effrayer » : les collectivités territoriales n’aurontaucun droit à l’expérimentation, c’est au Parlement qu’il appartiendra de l’encadrer.C’est aussi aux autorités centrales qu’il appartiendra d’en tirer les enseignements,celles-ci pouvant même en demander l’abandon avant le terme prévu. Enfin, et surtout,si la collectivité territoriale peut, pour un objet et une durée déterminés, à condition d’yavoir été autorisée, déroger à la loi, elle ne prend pas pour autant des délibérations àvaleur législative. Les actes pris restent bien de valeur réglementaire et serontsusceptibles d’être annulés par le Conseil d’État.

Ainsi, l’expérimentation ne ruine pas l’unité et l’indivisibilité de la Républiquemême si elle correspond sans doute à l’innovation la plus audacieuse de la présente loiconstitutionnelle. Ajoutons que toute collectivité, y compris certaines communes, peutbénéficier d’une expérimentation. Le texte ne fait donc ici aucun choix de privilégier larégion.

Les idées de subsidiarité, d’expérimentation, de collectivité territoriale chef de filedevraient permettre une très forte vague de décentralisation notamment dans lesdomaines scolaire, culturel et social. Il pouvait dès lors paraître logique que le transfertde compétences s’accompagne de garanties demandées depuis longtemps par lesparlementaires en ce qui concerne l’autonomie financière et fiscale des collectivitésterritoriales. Tel est bien l’objet des cinq principes posés par l’article 72-2 de laConstitution.

LES GARANTIES FINANCIÈRES DE LA DÉCENTRALISATION

Les trois premiers principes posés en ce domaine par le nouvel article 72-2concourent à l’autonomie fiscale des collectivités territoriales, tandis que le quatrièmevise à l’accompagnement des transferts de compétences par des transferts de ressources.Enfin, pour corriger les inégalités qui pourraient résulter des futurs transferts decompétences, le constituant a prévu un principe de péréquation.

Les garanties de l’autonomie fiscale des collectivités territoriales

Le premier principe qui garantit l’autonomie est le suivant : « Les collectivitésterritoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les

9. Sénat, projet de loi n° 24 précité.10. Pontier (Jean-Marie), « Décentralisation et expérimentation », AJDA, 2002, p. 1037.

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conditions fixées par la loi ». L’alinéa 3 précise que « les recettes fiscales et les autresressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie decollectivités territoriales, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ».Quant aux impositions de toute nature qu’elles perçoivent (alinéa 2), « la loi peut lesautoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine ».

Ainsi, les collectivités locales ne peuvent-elle être uniquement financées par desrecettes provenant de l’État ; ici réside leur autonomie fiscale. Il conviendra de leurtransférer de nouveaux impôts et pas simplement des dotations représentatives descharges transférées : dotation générale de décentralisation, dotation globale de fonction-nement. Or, ces dernières années, certaines ressources fiscales des collectivités territo-riales ont été supprimées (part régionale de la taxe d’habitation, vignette automobile).

Comme le souligne Robert Hertzog 11, la grande difficulté qui devra être réglée estle sens de l’expression « part déterminante ». Cette expression fait étrangement penser auchamp d’application de la délégation de service public où la rémunération doit êtresubstantiellement assurée par l’exploitation du service. « Part déterminante » ne signifieabsolument pas part prépondérante ; il semble que l’on pourra se contenter d’une partallant de 30 à 40 %. À vrai dire, le droit pour les collectivités territoriales de disposerlibrement de leurs ressources et celui d’en fixer l’assiette et le taux ne sont pascontestables et n’avaient aucun besoin d’une affirmation constitutionnelle. On est làencore dans un domaine beaucoup plus symbolique que juridique. Pour ce qui est de lacompensation des charges transférées, l’affirmation était nécessaire mais sera-t-ellesuffisante ?

L’exacte compensation des charges transférées

« Tout transfert de compétence entre l’État et les collectivités territoriales s’accom-pagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leurexercice ». De même, « toute création ou extension de compétence ayant pour consé-quence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée deressources déterminées par la loi » (article 72-2 alinéa 4).

On comprend que les élus aient tenu à la constitutionnalisation de ce principe. Onsait par exemple que le transfert aux départements des collèges et aux régions des lycéess’est accompagné d’une croissance exponentielle des dépenses ; on sait aussi combien,tout récemment, les départements ont souffert de la mise en place de l’allocationpersonnalisée d’autonomie 12. Ces mesures qui seront rappelées sans cesse aux gouver-nants par les parlementaires donneront lieu à bien des joutes oratoires et à bien desprécisions du Conseil constitutionnel. Quelles ressources transférer ? Comment rendreces transferts compatibles avec l’alinéa 3 du même article 72-2 ? Comment éviter deporter une trop grave atteinte à l’égalité des citoyens devant l’impôt ?

C’est précisément à ces inégalités que tente de remédier par avance le dernierprincipe posé par le même article.

11. Herzog (Robert) « L’ambiguë constitutionnalisation des finances locales », AJDA, 2003, p. 549.12. Lire notre chronique ci-dessous à propos de la loi du 31 mars 2003.

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La crainte des inégalités fiscales et financières

Plus les collectivités territoriales reçoivent de compétences, plus la différence entrecollectivités riches et pauvres risque de s’accroître. Très souvent, les collectivités lesmoins riches s’acquittent aussi bien, voire mieux, de leur rôle de service public que lesautres ; il en résulte alors que les contribuables sont davantage imposés au détrimentparfois de l’activité économique.

C’est pour tenter de concilier deux principes souvent antagonistes — la décentra-lisation et l’égalité — que le dernier alinéa de l’article 72-2 a posé le principe suivantlequel « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entrecollectivités territoriales ». Cette large habilitation donnée au législateur pour organiserla péréquation ne sera pas facile à mettre en œuvre. Les indicateurs économiques secontredisent souvent ; les normes qui encadrent l’exercice des compétences se modi-fient ; les citoyens osent parfois exiger des collectivités territoriales ce que l’État leuraurait refusé.

Si, en matière financière, le constituant a accordé de larges libertés aux collectivitésterritoriales, il s’agit davantage de déclarations d’intention que de principes directementopérationnels. Il faudra donc attendre les lois organiques et ordinaires et les décisions duConseil constitutionnel pour cerner le contenu précis de principes aussi généraux quegénéreux.

Plus ambitieuses et finalement plus novatrices apparaissent certaines des règles quiviennent renforcer notre démocratie locale.

LE RENFORCEMENT DE LA DÉMOCRATIE LOCALE

La loi du 6 février 1992 a créé des référendums consultatifs locaux en les enfermantdans de très strictes limites. La jurisprudence du Conseil d’État a veillé à ce que cesréférendums consultatifs interviennent dans des domaines relevant de la compétence duconseil municipal ou du maire, à l’exclusion de toute prise de position sur des projets del’État (autoroute, politique de l’immigration par exemple) 13.

Issu de l’article 6 de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, le nouvel article 72-1de la Constitution crée trois nouvelles procédures : une procédure de référendum localdécisionnel, un droit de pétition qui ne nous paraissait guère mériter l’élévation au rangde norme constitutionnelle, un référendum organisé par le législateur en cas dechangement de statut d’une collectivité territoriale (auquel nous rattacherons desprocédures référendaires propres à l’outre-mer).

Précisons d’emblée que les opérations référendaires ne seront pas contrôlées par leConseil constitutionnel mais par les juridictions administratives. En effet, le nouveautexte, dans son article 12, a pris soin de modifier l’article 60 de la Constitution pourexclure du contrôle du juge constitutionnel les référendums autres que ceux organisésdans le cadre de l’article 89 (référendums constituants) et de l’article 11 (référendumslégislatifs).

13. Qu’il nous soit permis de renvoyer sur ce point pour de plus amples développements à notre article« Le référendum communal, bilan et perspectives », RFDA, 1996, p. 452.

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La création d’un référendum décisionnel local

« Dans les conditions prévues par la loi organique (article 72-1 alinéa 2), les projetsde délibération ou d’acte relevant de la compétence d’une collectivité territorialepeuvent, à son initiative, être soumis par la voie du référendum à la décision des électeursde cette collectivité ».

Si, comme auparavant, les référendums doivent porter sur des actes relevant de lacompétence de l’organe délibérant ou exécutif de la collectivité territoriale — ce quin’autorise pas à interroger les électeurs sur des sujets de compétence étatique même aucas où le maire agit comme représentant de l’État — deux différences importantesdoivent être soulignées. D’une part, le référendum est bien décisionnel, les électeurs sesubstituent donc à la collectivité pour adopter le projet. D’autre part, le référendum estétendu aux départements et aux régions, aux départements, régions et collectivitésd’outre-mer, aux collectivités territoriales à statut particulier. Seuls les établissementspublics de coopération intercommunale non reconnus directement par la Constitution yéchappent.

Il est vraisemblable que la loi organique qui devrait être rapidement votéeréintroduira de nombreuses limites existant auparavant : interdiction en période pré-électorale, périodicité entre deux référendums, etc. Il serait également envisageable(quoiqu’un peu choquant) qu’elle exige un certain taux de participation des électeurs quin’existe cependant nullement dans les référendums constituants et législatifs.

On peut remarquer que le référendum d’initiative populaire n’a pas été introduit. Iln’a pas été permis non plus aux habitants non électeurs, notamment aux étrangers ycompris ressortissants de l’Union européenne, de voter.

C’est donc bien la démocratie locale dans son fondement qui est touchée : les élusdemanderont au peuple de voter à leur place un texte important ; espérons cependant quel’on ne glissera pas — tendance naturelle française depuis Napoléon — de la démocratieà la démagogie, du référendum au plébiscite.

Si le référendum d’initiative populaire n’a pas été introduit, il en existe une traceembryonnaire dans le modeste droit de pétition.

Un droit de pétition quelque peu inutile

« La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivitéterritoriale peuvent, par l’exercice du droit de pétition, demander l’inscription à l’ordredu jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité d’une question relevant de sacompétence ».

Il s’agit d’une mesure qui aurait beaucoup mieux trouvé sa place dans la loi du27 février 2002 relative à la démocratie de proximité et dont les effets sont fort limités.En pratique il s’agira pour l’opposition ou pour une fraction de la population nonreprésentée au conseil municipal, général ou régional, de tester sa représentativité enfaisant signer une pétition par un nombre d’électeurs fixé par la loi. Une fois cettepétition transmise à l’assemblée délibérante, celle-ci se prononcera pour savoir s’ilconvient de délibérer à son sujet. En effet, la pétition se bornera à demander l’inscriptionà l’ordre du jour d’une délibération. Or, demander ce n’est pas nécessairement obtenir.L’assemblée délibérante ne sera même pas obligée de suivre la pétition des électeurs, afortiori d’adopter le projet de délibération demandé. Il n’y avait certainement pas besoinde déranger les parlementaires réunis en Congrès pour une telle « broutille » !

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Les référendums statutaires

En premier lieu, suivant l’article 72-1 alinéa 3, « lorsqu’il est envisagé de créer unecollectivité territoriale dotée d’un statut particulier ou de modifier son organisation, ilpeut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivitésintéressées ». Cette procédure peut également être appliquée à une modification deslimites géographiques des collectivités. Cette disposition visait en premier lieu la Corse.Dès le 29 avril 2003, le gouvernement présentait au Sénat un projet de loi tendant àsupprimer les deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-sud et à ne laissersubsister qu’une « collectivité unique déconcentrée » : la collectivité territoriale deCorse. Cette loi fut rapidement adoptée 14 et le référendum eut lieu dès le dimanche6 juillet. Les orientations proposées pour modifier l’organisation institutionnelle de laCorse sur lesquelles les électeurs de nationalité française résidant en Corse devaient seprononcer étaient prévues en annexe de la loi.

Il était prévu que cette « collectivité unique déconcentrée » serait administrée parune Assemblée et un Conseil exécutif et aurait exercé les compétences de la région et desdépartements. Cependant, auraient été maintenues deux subdivisions administrativesdépourvues de la personnalité morale et regroupant les actuels départements. Cessubdivisions auraient été administrées par des conseils territoriaux seulement chargés demettre en œuvre les politiques de la collectivité unique.

Malgré l’engagement du Président de la République et surtout du ministre del’intérieur, ce référendum a été rejeté par 50,98 % des électeurs, le taux de participationayant été d’environ 60 %. Les arguments en faveur du « oui » étaient essentiellementtirés de la recherche de la stabilité institutionnelle, du caractère peu peuplé des deuxdépartements et du morcellement excessif de la Corse qui compte environ deux fois plusd’élus en fonction du nombre d’habitants que les autres régions françaises. Les partisansdu « non » qui se recrutaient même au sein de la majorité présidentielle et parlemen-taire 15 estimaient cette réforme à la fois inutile et dangereuse car les départements sontle symbole de la participation de la Corse à la France et des facteurs d’enracinement dela démocratie dans le territoire.

En votant « non », les Corses ont ainsi sanctionné une loi assez floue supprimant lesdépartements tout en les maintenant grâce à des conseils sans grand pouvoir. Ainsi, lepremier référendum statutaire permis par la révision constitutionnelle constitue-t-il unéchec certain pour le gouvernement.

Ensuite, deux autres dispositions de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003prévoient des référendums statutaires concernant uniquement l’outre-mer. L’article 72-4nouveau prévoit qu’aucun changement de catégorie au sein de la nébuleuse del’outre-mer et notamment le passage de département à communauté d’outre-mer ou viceversa, ne peut être opéré sans que le consentement des électeurs de la collectivitéintéressée ait été recueilli. Ce référendum sera organisé dans des conditions trèssolennelles qui sont la copie conforme de celles prévues par l’article 11 de laConstitution, pouvoir propre du Président de la République sur proposition soit dugouvernement, soit des deux assemblées conjointement. Au cas où ce référendum estd’initiative gouvernementale, celle-ci donnera lieu à une déclaration du gouvernement

14. Loi n° 2003-486 du 10 juin 2003 organisant une consultation des électeurs de Corse sur lamodification de l’organisation institutionnelle de la Corse, JO, 11 juin 2003, p. 8915.

15. Voir sur ce point, l’interview d’un élu UMP, J. Polverini, Le Monde du 2 juillet 2003, p. 15.

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suivie d’un débat devant chaque assemblée. Cet ajout provient de la révision constitu-tionnelle du 4 août 1995 et n’a jamais fait l’objet de la moindre application.

La même procédure est applicable, suivant l’article 73, à la création par la loi, dansles départements ou les collectivités d’outre-mer, d’une collectivité se substituant à undépartement ou à une région, ainsi qu’à l’institution d’une assemblée unique pour undépartement et une région. Ainsi ces référendums seront-ils applicables non seulement aucas où l’on passe d’un statut à un autre mais aussi au cas où l’on transforme les structuresdélibérantes ou exécutives d’un département ou d’une région d’outre-mer.

On peut seulement espérer que ces nouveaux types de référendum susciterontl’adhésion du peuple ; la démocratie directe peut être la meilleure mais aussi la pire deschoses si elle est exercée dans l’indifférence générale.

APERÇU SUR L’ÉVOLUTION DE L’OUTRE-MER : DES DOM-TOMAUX « DOM-COM »

Jusqu’à présent, les collectivités d’outre-mer comportaient trois catégories d’entités.D’abord, il y avait quatre départements d’outre-mer (la Guadeloupe, la Guyane, laMartinique et la Réunion), régis par l’article 73, dont le régime législatif et l’organisationadministrative pouvaient faire l’objet de mesures d’adaptation nécessitées par leursituation particulière. Ensuite, l’article 74 a prévu l’existence de territoires d’outre-merdont le particularisme est beaucoup plus important (Polynésie française et îles Wallis-et-Futuna). En marge, la collectivité territoriale de Mayotte et celle de Saint-Pierre-et-Miquelon sont souvent qualifiées de « collectivités territoriales à statut spécial ».

Dans le domaine de l’outre-mer, la loi du 28 mars 2003 apparaît complexe et« bavarde » puisqu’elle réécrit entièrement les articles 73 et 74 et crée trois nouveauxarticles.

Son article 72-3 proclame de façon solennelle le rattachement de l’outre-mer à laRépublique « dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». Il énumèreensuite les huit collectivités territoriales d’outre-mer qui appartiennent à notre Républi-que.

Les articles 73 et 74 prévoient ensuite deux régimes distincts (dont on ne peutchanger que par référendum). Il s’agit d’une part des départements et régions d’outre-mer, d’autre part des collectivités d’outre-mer. Nous ne donnerons ici qu’un aperçu deleur nouvelle organisation 16.

Les départements et régions d’outre-mer

Comme auparavant, les lois et règlements leur sont applicables ; ce qui est nouveauc’est que les adaptations dont peut faire l’objet leur législation peuvent être décidées parles départements et les régions d’outre-mer dans les matières où s’exercent leurs

16. Pour plus de précisions, on se reportera à l’article de Thiellay (Jean-Philippe) « Les outre-mers dansla réforme de la Constitution », AJDA, 2003, p. 564. Sur l’ensemble du sujet, voir le no 101 de la RFAP, Lesoutre-mers entre décentralisation, intégration européenne et mondialisation, janvier-mars 2002.

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compétences et dans la mesure où ils y ont été habilités par la loi. Il peut s’agirnotamment de règles trouvant leur source dans le domaine de la loi. L’alinéa 4 del’article 73 indique les points sur lesquels ne pourront porter ces règles. Ils ont trait à lanationalité, aux droits civiques, aux garanties des libertés publiques, à l’état et à lacapacité des personnes, à l’organisation de la justice, au droit pénal, à la procédurepénale, à la politique étrangère, à la défense, à la sécurité et à l’ordre public, à lamonnaie, au crédit et aux changes, au droit électoral. Cette liste de matières interditesrappelle étrangement celles qui incombent à la fédération dans un État fédéral. Il est enoutre précisé que cette énumération pourra être complétée et précisée par une loiorganique. À la demande de ses parlementaires, l’Île de la Réunion ne pourra procéderà ces adaptations et restera soumise au régime antérieur. Ces habilitations législativesseront décidées à la demande de la collectivité concernée.

Malgré l’apparence du fédéralisme, il ne s’agit nullement de donner un pouvoirlégislatif aux départements et régions d’outre-mer mais de leur permettre, par desdélibérations de valeur réglementaire, d’adapter des lois. Le pouvoir est ainsi de mêmenature que celui conféré aux collectivités territoriales de métropole comme d’outre-merpar le jeu de l’expérimentation. On est ainsi très loin de la Nouvelle-Calédonie qui resterala seule entité française à pouvoir édicter des « lois de pays » pouvant faire l’objet d’uncontrôle par le Conseil constitutionnel. C’est ici le Conseil d’État qui demeureracompétent pour contrôler si les actes déférés, éventuellement par le représentant del’État, correspondent bien à la dérogation édictée par le législateur 17.

Les collectivités d’outre-mer

Régies par les articles 74 et 74-1, elles se substituent à la fois aux TOM et auxcollectivités territoriales à statut spécial. Chaque collectivité d’outre-mer bénéficierad’un statut adopté par une loi organique. Celle-ci, adoptée après avis de leur assembléedélibérante, fixera les conditions dans lesquelles les lois et règlements leur sontapplicables, les compétences de cette collectivité, les règles d’organisation et defonctionnement des institutions, les conditions de consultation des institutions sur lesprojets de lois, de décrets et d’ordonnances. Ces collectivités d’outre-mer exercerontainsi des compétences relevant du domaine de la loi. Cependant, il est précisé que leursactes seront contrôlés par le Conseil d’État, ce qui montre qu’ils n’auront, eux aussi, quevaleur réglementaire.

Certaines collectivités d’outre-mer pourront pratiquer « la préférence locale », àl’image de la Nouvelle-Calédonie, leur permettant de prendre des mesures en faveur deleur population notamment en matière d’accès à l’emploi ou de dévolution du patrimoinefoncier.

Enfin, l’article 74-1 habilite le gouvernement de manière permanente à prendre desordonnances pour procéder à l’adaptation de dispositions législatives en vigueur enmétropole aux collectivités d’outre-mer ; elles seront prises en conseil des ministresaprès avis des assemblées délibérantes des collectivités et du Conseil d’État. Elles

17. Sur ce point voir notre article « Nouvelle-Calédonie : la disparition d’un territoire d’outre-mer et lacréation d’une unité territoriale autonome », RFAP, 1999, p. 178.

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entreront en vigueur dès leur publication et deviendront caduques en cas d’absence deratification parlementaire dans le délai de dix-huit mois suivant leur publication. Ellesauront ainsi, telles les ordonnances de l’article 38, valeur réglementaire jusqu’à leurratification ; simplement, le Parlement n’aura pas à voter des lois d’habilitationsystématiques. Il s’agit ainsi, dans ce domaine très particulier, d’un assouplissement parrapport aux règles générales de la législation déléguée prévues par l’article 38 de notreConstitution. L’intérêt est de ne pas encombrer l’ordre du jour parlementaire avec des loisd’habilitation dont l’adoption était devenue systématique ces dernières années afin demoderniser le droit de l’outre-mer.

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* *

Il est encore très difficile de mesurer l’exacte portée de cette réforme constitution-nelle. Remarquons d’abord qu’elle a souhaité prendre en compte l’ensemble du droit descollectivités territoriales. Son application dépendra évidemment du contenu des quatrelois organiques qui viendront la préciser sur l’expérimentation, le référendum décision-nel, l’autonomie fiscale et l’outre-mer et des nombreuses lois ordinaires qui viendrontaussi la préciser sur les autres points. Le Conseil constitutionnel, saisi d’office des loisorganiques, le sera sans doute aussi de bien des lois ordinaires et ne manquera pasd’apporter sa pierre.

Contrairement à ce que l’on avait pu craindre ou espérer, la réforme ne règle pasvraiment la question du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Pourtant,l’article 72 alinéa 3 prévoit que « dans les conditions prévues par la loi, les collectivitésterritoriales s’administrent librement par des conseils élus », mais aussi que cescollectivités territoriales « disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurscompétences ». Depuis une vingtaine d’années, la doctrine s’est beaucoup divisée surl’existence d’un pouvoir réglementaire autonome au profit des collectivités territoriales.Bien des auteurs estimaient que ce pouvoir était le corollaire obligé du principe de libreadministration, tandis que d’autres prônaient une application stricte des articles 21 et 13de la Constitution qui confèrent au Premier ministre et au Président de la Républiquel’entier exercice du pouvoir réglementaire autonome 18.

La reconnaissance explicite d’un pouvoir réglementaire aux collectivités territoria-les ne règle pas la question. En effet, l’article 21 n’a nullement été modifié de telle sorteque la collectivité territoriale ne dispose pas d’un pouvoir réglementaire propre etautonome. Son pouvoir réglementaire reste ainsi subordonné, sauf habilitation législa-tive, au pouvoir du Premier ministre. Comme le note Pierre-Laurent Frier « le pouvoirréglementaire local reste donc résiduel avec un champ d’application restreint et uncontenu très encadré » 19.

18. Sur ce point voir l’article de Frier (Pierre-Laurent), « Le pouvoir réglementaire local, force de frappeou puissance symbolique », AJDA, 2003, p. 559 et les références citées.

19. Ibid., p. 562.

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Au total, la révision constitutionnelle ne change pas fondamentalement notre État etnotre République et l’affirmation de son caractère décentralisé ne brise pas lesmécanismes classiques de l’État unitaire et de la République indivisible. Reste quel’affirmation du principe de subsidiarité, l’expérimentation sur habilitation législative, lerenforcement de la démocratie locale devraient impulser une nouvelle dynamique etpermettre que l’État se cantonne de plus en plus à l’exercice de ses fonctions régaliennes.N’est-ce pas là une aspiration profonde à l’aube du XXIe siècle ?

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