Le Symbolisme des Lettres Arabes - Nadjm Oud Dine Bammate

8/14/2019 Le Symbolisme des Lettres Arabes - Nadjm Oud Dine Bammate

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Le symbolisme des lettres

arabes

Toute la cration peut se rsumer dans le seul trac du nom

dAllah

Extrait dun texte de Nadjm oud Dne Bammate

Nadjm oud Dine Bammate est issu dune longue ligne de soufis dAsie Centrale.Docteur en droit romain, il se consacre trs jeune aux tudes islamiques Lausanne,Cambridge, Al Azhar au Caire puis lEcoles des Hautes Etudes de Paris avec LouisMassignon.Dlgu de lAfganistan lONU en 1948, il commence ensuite une carrire de trenteannes lUNESCO. Il y fut coordonnateur du projet Orient-Occident, Directeur de laDivision de philosophie et sciences humaines, puis du dpartement culturel, et enfin

conseiller spcial auprs du Directeur gnral pour la culture et la communication.Pdagogue subtil et plein dhumour, il a aussi uvr travers son enseignement enSorbonne et luniversit de Paris VII en tant que professeur dtudes islamiques.Infatigable tmoin de la ralit spirituelle et pluriculturelle de lislam, il a tambassadeur de lorganisation de la Confrence Islamique et Prsident delAssociation ducative et culturelle des musulmans de France .Parlant douze langues Nadjm oud Dne Bammate incarnait " laventure tincelantedu dialogue des cultures ". Il est mort subitement le 15 janvier 1985. Il avait publi denombreux articles, mais beaucoup dautres ainsi que des livres taient encore ltatde projets. Homme de la parole dabord mais aussi de la littrature, de lcriture ausens noble, il a laiss des textes dune grande beaut et dune rigueur sans faille.

Soufisme dOrient et dOccident souhaite vous faire goter travers lun de cestextes la joie de le lire.

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Lordre lalphabtique.

La tradition musulmane connat la science des lettres (ilm al ourouf), qui se rattache celle

des nombres (ilm al arkam) ainsi qu la connaissance des noms divins (asma el housna).

Cette science remonte au Coran. Le livre sacr nest pas seulement un guide pour les fidles,

chaque verset, chaque lettre est une rvlation divine. Plus encore le Coran est la parole mme

de Dieu. Contre toutes les tentations htrodoxes, la thologie musulmane a maintenu avec

une stricte rigueur que le livre est comme le Verbe, ternel et incr. Les affirmations des

docteurs de la loi sont reprises et amplifies dans le symbolisme mystique. Ainsi les pages

que psalmodient les croyants ne sont autres que les signes inscrits de toute ternit dans " la

Table garde " auprs du Trne divin.

Le premier mot rvl Muhammad fut " iqra ", " lis ". Suit la phrase : " lis au nom de ton

Seigneur qui cra lhomme et lui enseigna lusage de la plume ". Ainsi le pacte entre Dieu et

lhomme quest lcriture se trouve conclu au moment mme de la cration dAdam.

Lunivers tout entier peut dailleurs tre considr comme une criture de Dieu. La cration

du monde obit au mme rythme, retrace la mme arabesque de lesprit divin que le Coran.

De mme, en retour, le symbolisme de lcriture sapplique la louange que les cratures

rendent leur Seigneur. Il est dit que si locan tait un encrier prodigieux et tous les arbres

du monde autant de plumes, cette calligraphie cosmique npuiserait pas lloge de Sa

magnificence.

La racine du mot " iqra ", qui est le verbe " qaraa ", lire, se retrouve dans le nom dal quran.

Coran signifie donc lecture. La Bible, les Ecritures, le Coran : par ces mots mmes les trois

religions se placent sous le signe du livre. Et la tradition musulmane les regroupe tous les trois

sous lexpression " ahl al kitab ", les peuples du Livre. Pourtant le Christianisme est avant tout

la religion de lIncarnation. Par contre lislam comme le judasme, affirme la Transcendance

sans condition, do le prestige plus vif de lcriture : elle tient lieu dincarnation. Cest donc

le Coran, un livre, et non pas Muhammad comme on le croit souvent, qui occupe la place du

Christ dans lIslam. Le croyant du dsert frissonne de scandale mtaphysique la seule ide

que lon puisse attribuer Dieu une forme charnelle. Seule lcriture est suffisamment

abstraite pour manifester le Verbe. La calligraphie est lart des iconoclastes. On a dit des

cathdrales quelles taient des vangiles de pierre. Pour lislam il faut renverser les termes et

dire que son monument vritable, son temple, ses icnes, ses Pitas, ce sont les lettre du Livresacr. Ecriture et dessin tout la fois, larabesque est lart musulman par excellence. Le

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dessin comme lcriture se rduit lessentiel, sa forme la plus dpouille, la plus

intellectuelle, un pur jeu de rythmes linaire plus proche des mathmatiques que de la

plastique. " Le dessin arabesque est le plus idal de tous " disait Baudelaire dans lune de ses

fuses. Larabesque est un texte qui serait sa propre illustration, une image qui serait son

propre commentaire. Impossible daller plus avant dans lconomie des moyens. " Que

personne ny touche sil nest purifi ". La phrase est inscrite sur la couverture de certains

exemplaires du Coran. Comme pour la prire, il faut faire ablution avant daborder le Livre

Sacr. Le recopier de sa main constitue lun des actes les plus mritoires. Aujourdhui encore,

au temps de limprimerie, il est prfrable de ldifier partir dun manuscrit sur lequel la

plume a frmi, plutt que de le fabriquer directement avec des caractres de plomb, cest--

dire des objets inertes.

Un homme de foi profonde ne vendrait pas un exemplaire du Coran. La parole de Dieu na

littralement pas de prix. Un Coran ne se vend pas, il se donne, car seule la chose donne est

inestimable.

Beaucoup de musulmans portent au cou, en guise dimage sainte ou de crucifix, quelques

versets cousus dans un sachet. Certains gardent toujours sur eux une dition en miniature. Le

prestige du Coran stend toute criture. Un papier, nimporte lequel, pourvu quil soit

marqu de signes alphabtiques, doit tre respect, car il peut offrir la parole divine. En fait

tout livre publi en pays musulman, et mme une lettre quelconque entre amis, commence par

la formule : " Au nom de Dieu clment et misricordieux ". Ils portent obligatoirement en

ddicace le nom du Seigneur. En un sens chaque texte crit se prsente comme un germe de

Coran. Do le geste populaire, encore familier qui consiste ramasser le bout de papier que

trane par terre et le mettre labri, sur soi, entre les pierres dun mur, nimporte o pourvu

que lcriture soi sauve. Les signes de lalphabet, comme tels, partagent ainsi la dignit du

pain. Comme on na pas le droit de jeter un morceau de pain, de mme on ne peut abandonner

une page crite. Lun et lautre geste seraient une profanation.

Le symbolisme des lettres arabes atteint son point culminant dans la thorie des noms divins.

Toute la cration peut se rsumer dans le seul trac du nom dAllah. La premire lettre, lalif,

qui sonne comme " a ", se prsente comme une droite verticale. Mais cette droite est

surmonte dun petit signe, un point qui reprsente lattaque gutturale, lappel dair avant la

parole. De mme le silence prcde le verbe, et le secret, au-del de toute manifestation,

prcde lunit de ltre. Cependant les deux signes ne sont quune mme ralit. Le trait

vertical est interprt comme une projection du point ; le point nest que la droite vue " par la

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tranche ". Les deux ensembles symbolisent que Dieu est la fois " au-del des toiles " et "

plus proche de nous que notre artre jugulaire ".

Vient ensuite le signe " l " du nom dAllah. Cette lettre est appele barzakh, la lettre de la

liaison, la mdiatrice. Par cette lettre Dieu se manifeste dans le monde, dveloppe la cration,

prend possession des choses. Le symbole est la fois visuel, sonore et numrique.

La lettre lam se tend comme un crochet. Au surplus, elle est double. La voix fait vibrer la

lettre de la manifestation en lui donnant toute la rsonance possible. Le chiffre de lam, qui est

30, signifie lui aussi lexpansion infinie.

Enfin la lettre " h ", le " ha ", souffle expir final, ramne vers lalif sous forme dune boucle

qui revient sur elle-mme. Le cercle est accompli.

Les correspondances ne se limitent ni au nom dAllah, puisque Dieu a 99 noms, le centime

tant secret, ni la srie : ide, forme, son, chiffre. Dinnombrables analogies viennent sy

ajouter. Par exemple, les gestes de la prire musulmane peuvent tre interprts comme une

transcription, dans les mouvements du corps , des lettres qui forment le noms dAllah.

Les mystiques de lIslam ont su tirer des lettres les variations les plus tonnantes. Mansour al

Hallaj compare ltat dunion spirituelle avec Dieu lemplacement dun signe qui ponctue

une lettre.

Ailleurs, il dit que le but de la vie est de faire passer au-dessus de la lettre " n " le point qui se

trouve sous la lettre " b " . Les deux signes se composent dun arc en cercle. La seule

diffrence est en effet lemplacement du point. La lettre " b " initiale du mot " bab ", la porte,

est celle de la cration. La lettre " n " initiale du mot " noun ", le poisson, symbolise la

rsurrection. Les prires pour les morts riment souvent en " n ".

Notons en passant lidentit de signification du poisson dans le symbolisme des premiers

temps de la chrtient. Faire sauter le point de bas en haut de larc en cercle cest passer du

monde de la cration celui de la rsurrection. Lopration quivaut la renaissance

spirituelle, lillumination.

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