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Le système olfactif périphérique aviaire : modèle d’étude de l’apoptose et de la régénération cellulaire

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Article original

Le système olfactif périphérique aviaire : modèle d’étude de l’apoptoseet de la régénération cellulaire

M. Mathonnet1,2*, P. Cubertafond1, A. Gainant1, C. Ayer-Le Lièvre2

1Service de chirurgie digestive endocrinienne et générale, CHU Dupuytren, 2, avenue Martin-Luther-King, 87 042 Limoges,France ; 2UMR-CNRS 6101, physiologie moléculaire de la différenciation et de la maturation cellulaires, faculté de médecine,

2, rue du Docteur-Marcland, 87 025 Limoges, France

RESUMEL’analyse des processus engagés dans la mort, la régé-nération et la différenciation cellulaire nécessite desmodèle fiables, utilisables in vitro et in vivo. Les capacitésuniques de renouvellement du système olfactif périphéri-que en font un modèle privilégié pour cette analyse.But de l’étude : Ce travail a eu pour but d’analyser cesprocessus sur un modèle animal.Matériel et méthodes : Nous avons effectué, sur desembryons de poulet de 17 jours et de jeunes animaux, dessections du nerf olfactif puis des applications d’IGF-I(insulin-like growth factor I) dans la solution de continuité.La mort, la régénération et la différenciation cellulaires ontété analysées par techniques d’immunocytochimie.Résultats : Après la naissance, la section du nerf olfactifprovoquait une apoptose massive à la 24e heure, suivied’une vague de mitoses dans les 24 heures suivantes. Enprénatal, la réponse à cette même lésion correspondaitplutôt à une dédifférenciation.Lors de l’axotomie postnatale, l’application d’IGF-I auniveau de la solution de continuité axonale favorise lasurvie des neurones sensoriels, protège leur différencia-tion et stimule les mitoses. La néoneurogenèse, à partirdes cellules souches neuronales pourrait dépendre dudegré de maturation et de l’environnement des neuronesolfactifs sur lesquels IGF-I a un effet anti-apoptotique etprotecteur.Conclusion : L’épithélium olfactif aviaire est un modèle dechoix pour l’étude des processus de mort, régénération etdifférenciation cellulaire. Les capacités de dédifférencia-tion des cellules souches de ce tissu rapprochent celles-ci

des cellules souches totipotentes à l’origine de tous lescontingents cellulaires. © 2001 Éditions scientifiques etmédicales Elsevier SAS

apoptose / cellule souche / différenciation /régénération cellulaire / système olfactif

ABSTRACTThe avian olfactory system as a model for the analysisof apoptosis and cellular regeneration.A reliable model, usable in vitro and in vivo, is necessaryfor analysis of processes engaged during cell death,regeneration and differentiation. The peripheral olfactorysystem is an attractive model for studying these processesthrough its dynamic neurogenesis that occurs continuallythroughout the lifetime.Study aim: The aim of this study was the analysis of theseprocesses on an animal model.Material and methods: We performed axotomy of thenerve olfactory on young animals and chicken embryosE17. Then we infused IGF-I (insulin-like growth factor-I) inthe lesioned site. Death, regeneration and differenciationof cells were studied by immunocytology.Results: After hatching, the section of the olfactory nerveinduced a rapid neuronal apoptosis at the 24th hourfollowed by a wave of mitosis 24 hours later. In prenatalstages, the response to the axotomy was rather similar toa dedifferentiation.In postnatal stages, the IGF-I infusion at the lesioned sitehad a triple function: survival of mature neurons, mainte-nance of differentiation and stimulation of mitosis. Theneoneurogenesis, which occured from neuronal stem cellswould depend on the maturation and environment of theolfactory neurons protected from apoptosis by IGF-I.

Communication faite à l’Académie nationale de chirurgie au coursde la séance du 16 mai 2001.*Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail : [email protected] (M. Mathonnet).

Ann Chir 2001 ; 126 : 888-95© 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés

S0003394401006198/FLA

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Conclusion: The avian olfactory epithelium is a goodmodel for analysis of cell death, regeneration and differ-entiation. The capacity of these neuronal stem cells todedifferentiate makes then more primitive than the pluri-potent cells, closer to totipotent embryonic stem cells.© 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

apoptosis / cell regeneration / differentiation / olfactorysystem / stem cell

Mort et régénération cellulaires sont deux mécanis-mes biologiques fondamentaux. Physiologiques aucours de l’embryogenèse, indispensables au renou-vellement des cellules tout au long de la vie, ilsparticipent également à de multiples pathologies,dégénératives, inflammatoires, infectieuses ou can-céreuses. La mise au point des thérapeutiques cel-lulaires impose l’analyse des processus engagésdans le renouvellement cellulaire physiologique oudans l’histoire naturelle des maladies. Il est doncindispensable d’utiliser des modèles d’étude fiables.

La mort cellulaire, définie comme la perte irréver-sible des structures et des fonctions vitales de lacellule, est principalement due à deux processus :l’apoptose ou la nécrose. L’apoptose, ou mort cel-lulaire programmée, caractérisée par une fragmen-tation de l’ADN, régulée par un programme géné-tique, s’oppose à la nécrose, mort passive,secondaire à des perturbations profondes de l’envi-ronnement cellulaire, inductrice d’ inflammation. Lanécrose détruit des groupes de cellules contiguësalors que l’apoptose n’ intéresse, le plus souvent, quedes cellules isolées [1-3]. Les cellules vivantespossèdent toutes, dans leur patrimoine génétique, lesfacteurs nécessaires à l’ induction de leur propremort, et à leur survie [1].

L’activation du système endogène de mort provo-que la libération de multiples facteurs, certains ayantapparemment deux rôles contradictoires : inductiond’apoptose ou stimulation de la prolifération cellu-laire. Ainsi les facteurs de transcription c-jun, c-fosou c-rel, ou le proto-oncogène c-myc, sont exprimésau cours de la multiplication et de la différenciationcellulaire et ont un rôle de régulation de l’apoptose[4-6]. Ces facteurs semblent agir en inhibant demanière active les voies apoptotiques [4]. Leur rôletrophique peut également être en rapport avec uneinduction de facteurs de croissance, tels EGF (epi-dermal growth factor), TGF (transforming growth

factor) ou IGF (insulin-like growth factor). Cesderniers activent la régénération tissulaire en stimu-lant la prolifération et la différenciation des cellulessouches.

Les cellules souches ont pour rôle d’assurer lerenouvellement des cellules au sein des tissus aux-quels elles appartiennent. Ces cellules souches sontdites pluripotentes, déterminées pour être à l’origined’une lignée cellulaire donnée, telles les cellulessouches hématopoïétiques [7]. Or les potentialitésde différenciation de ces cellules souches adultessemblent plus larges, les rapprochant du caractèretotipotent de la cellule souche embryonnaire primi-tive. Ainsi, chez la souris et dans des conditionsexpérimentales particulières, des cellules hémato-poïétiques [8, 9] et des myocytes [10] ont étéobtenus à partir de cellules souches neuronalesadultes, et des hépatocytes à partir de cellulessouches hématopoïétiques [11].

Les mécanismes de mort, régénération, différen-ciation cellulaires sont complexes et interdépen-dants. Leur dysrégulation semble largement impli-quée dans la carcinogenèse, l’angiogenèse qui a unrôle primordial dans la croissance tumorale, lespathologies auto-immunes ou les immunodéficien-ces acquises, l’ infarctus du myocarde, les états dechoc et les maladies neurodégénératives. Lessignaux impliqués dans ces mécanismes ne sont pasencore totalement connus. Leur analyse peut êtreeffectuée sur des modèles in vitro, utilisant descultures primaires de cellules. L’analyse in vivo estplus délicate. Peu de tissus offrent l’accès à despopulations cellulaires abondantes où la mort pro-grammée peut être synchronisée et où la présence decellules souches permet une régénération de ce tissu.

Le tissu olfactif périphérique est le siège d’uncontinuel renouvellement, discret dans les condi-tions normales, mais qui peut prendre un caractèreexplosif dans un contexte pathologique, infectionvirale ou bactérienne, ou expérimental. Ce renou-vellement est assuré par des cellules souches neuro-nales qui ont la capacité de se différencier encellules neurosensorielles adultes [12]. De manièreexpérimentale, il est possible d’ induire une apoptosemassive en privant les neurones sensoriels de leurcible, c’est-à-dire soit en supprimant le bulbe olfac-tif (bulbectomie), soit en sectionnant le nerf (axoto-mie) [13, 14]. Contrairement aux mammifères,l’oiseau a un nerf olfactif individualisé cheminant le

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long du septum nasal, reliant l’épithélium au bulbeolfactif. Le système olfactif périphérique peut doncêtre isolédu système nerveux central par une sectionélective de ce nerf, préservant le bulbe. Enfin seulela race aviaire offre la possibilité d’effectuer desexpérimentations à des stades pré et postnataux,sans sacrifice du géniteur ou du fœtus.

Ses qualités dynamiques particulières, la possibi-lité de travailler sur des embryons et des sujetsmatures font de cet épithélium olfactif aviaire unmodèle remarquable pour l’analyse des processus demort, de prolifération et de différenciation cellulai-res. Notre étude a eu pour but la mise au point d’unmodèle animal fiable et l’analyse des processus misen jeu lors de la mort, la régénération et la différen-ciation cellulaire.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Nous avons utilisé des embryons de poulet et despoussins âgés au plus de 15 jours, issus d’une racehétérozygote pour le gène « cou nu ». Les œufsfécondés étaient maintenus en couveuse à 38 °C enhygrométrie maximale. Avant l’éclosion qui sur-vient au 21e jour, le stade embryonnaire était comptéen nombre de jours d’ incubation, et contrôlé àl’aidedes tables de Hamburger et Hamilton [15].

Les axotomies, section du nerf olfactif, étaienteffectuées sous loupe binoculaire à l’aide de ciseauxde Pascheff-Wolff et d’ instruments de micro chirur-gie. Les embryons étaient opérés au 17e jour d’ incu-bation (E 17). Après l’éclosion, les animaux étaientanesthésiés par une injection intra péritonéaled’hypochloride de kétamine à la dose de 100 mg/kg,puis opérés au 2e jour de vie postnatale. Seul le nerfolfactif droit était sectionné, le nerf controlatéralservant de témoin. Les animaux étaient sacrifiés àintervalles réguliers dès la 3e heure postopératoire,et les tissus rapidement congelés à – 80 °C aprèsvérification de la qualité de l’axotomie. Nous avonsétudié le rôle de l’ IGF-I (insulin-like growth factorI) en appliquant de l’ IGF-I aviaire (chicken IGF-Irecep grade, GroPep, Adélaïde, Australie) dans lasolution de continuité axonale grâce à un tampon defibres résorbables.

L’analyse de l’apoptose et de la régénérationcellulaire a été effectuée sur coupe à congélation de12 µm d’épaisseur. L’apoptose a été détectée parplusieurs techniques : microscopie optique etmicroscopie électronique, recherche in situ de la

fragmentation de l’ADN par méthode TUNEL (TdTmediated dUTP nick end labeling) et par marquagenucléaire au DAPI (4,6-diaminidino-2-phenylindole), et électrophorèse en gel d’agarose del’ADN génomique qui migre sous forme d’échellescaractéristiques lors d’apoptose. La régénérationcellulaire a été mise en évidence grâce à l’ injectionintrapéritonéale, une heure avant le sacrifice, deBrdU (5-bromo-2’ -désoxyuridine), dont l’ incorpora-tion dans les cellules en mitose était révélée sur lescoupes histologiques par immunohistochimie. Ledegré de différenciation des cellules neurosensoriel-les au sein des épithéliums a été apprécié selon lasituation des noyaux cellulaires, les cellules souchesse situant contre la membrane basale, et l’expressionde la Ca2+/calmodulin-kinase II, exprimée par lesneurones matures.

L’apoptose, la régénération et la différenciationneuronale ont été quantifiées par comptage descellules marquées sur des coupes sériées intéressantl’ensemble de l’épithélium olfactif. Toutefois, lescoupes réalisées chez un même animal et sur les-quelles la même technique devait être utilisée,étaient séparées par 60 µm au minimum (une coupesur cinq était retenue pour une même analyse) afind’éviter de compter deux fois une même cellule[16]. Le nombre de cellules positives rapporté aunombre de cellules comptées nous a permis dedéterminer des index. Les résultats étaient exprimésen moyenne ± écart-type. La comparaison des popu-lations appariées était effectuée par le test de Wil-coxon, celle des populations non appariées par letest de Mann-Whitney. Les valeurs de p < 0,05étaient considérées comme significatives.

RÉSULTATS

Chez le jeune animal, l’axotomie a induit une vagueapoptotique détectable dès la 12e heure postopéra-toire, culminant à la 24e heure (27 contre 5 %,p < 0,05) pour s’estomper progressivement à partirdu 3e jour. Cette vague apoptotique était suivie dèsla 24e heure d’une élévation significative de l’ indexmitotique (20,8 contre 10,7 %, p < 0,05) dont le picse situait à la 48e heure postopératoire (33,2 contre13,4 %, p < 0,05) (figure 1).

En revanche, chez l’embryon, aucune vague apop-totique ou poussée mitotique n’est détectée aprèsaxotomie. Cette absence de vague apoptotique a étéconfirmée par toutes les méthodes de détection,

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microscopie optique ou électronique, technique« des échelles », marquage nucléaire au DAPI. Tou-tefois, la section axonale était responsable d’unediminution de l’épaisseur épithéliale, visible dès la3e heure postopératoire et persistant pendant les 24premières heures (64,4 contre 82 µm en moyenne).La restitution de l’épaisseur épithéliale était effec-tive dès la 48e heure. Cet amincissement épithélialsemblait en rapport avec une majoration de la mort

cellulaire. En effet, même s’ il n’y avait pas dedifférence significative entre les index apoptotiquesipsi- et controlatéraux (4 à 6 % contre 3 à 6 %), lescellules apoptotiques, détectées par méthodeTUNEL du côtéaxotomiséentre la 3e et la 24e heurepostopératoire, se situaient plutôt à la partie supé-rieure de l’épithélium, ou dans la lumière nasale.Cette élévation modérée de l’ index apoptotiqueentre la 3e et la 24e heure s’accompagnait d’une

Figure 1. Comparaison des index apoptotiques et de régénération induits par axotomie en pré- et postnatal. Chez l’embryon, la section dunerf olfactif n’ induit ni apoptose ni régénération, tandis qu’en postnatal cette lésion provoque une vague apoptotique (détection par méthodeTUNEL) entre la 12e et la 72e heure, suivie d’un pic mitotique (marquage des cellules au BrdU) à la 48e heure postopératoire. Un délai de24 heures sépare les pics apoptotiques et mitotiques.

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minime poussée mitotique, à la limite de significa-bilité à la 24e heure, 14 contre 11 % (p = 0,045), leretour à l’ index mitotique de base étant effectif à la48e heure postopératoire (figure 1). Les neuronessensoriels de l’embryon semblaient s’engager prio-ritairement vers une dédifférenciation cellulaire àlaquelle s’associerait une élévation fugace de lamort cellulaire mise en évidence par la présence decorps apoptotiques dans la lumière nasale.

L’axotomie induisant dans l’épithélium matureune vague apoptotique puis une régénération cellu-laire [17] nous avons ensuite analysé le rôle quepourrait jouer l’ IGF-I sur la survie, la multiplicationet la différenciation cellulaires [18].

Une double instillation d’ IGF-I dans la solution decontinuité axonale d’un animal âgé de deux joursneutralisait la vague apoptotique (détection par tech-nique TUNEL) normalement induite par cette lésionau cours des 72 premières heures postopératoires : àla 24e heure postopératoire, index apoptotique de5 % avec traitement (similaire à l’ index apoptotiquebasal) contre 25 % sans traitement. Il existait toute-fois une vague de régénération cellulaire fugace(détection de l’ incorporation de BrdU) à la 24e

heure postopératoire (23 contre 10 % du côtétémoin, p < 0,05), l’ index mitotique revenant à sontaux basal dès la 48e heure. Enfin, l’axotomieprovoquait une diminution précoce et significativedu nombre de neurones matures, détectable dès la24e heure postopératoire par une perte de l’expres-sion de la Ca2+/calmodulin kinase II (à la 24e heure12 contre 32 % du côté témoin) et persistant à la 72e

heure. Cette disparition a coïncidé avec la vagueapoptotique. L’ IGF-I protégeait les neurones senso-riels matures (à la 24e heure les index de différen-ciation étaient comparables du côté traité et du côtétémoin, 32 contre 29,9 %) mais sa durée d’action surle maintien de leur différenciation était limitée dans

le temps : son action s’estompait sur les neuronesmatures dès la 48e heure, les index de différenciationétant similaires avec ou sans traitement (tableau I).

DISCUSSION

Le système olfactif périphérique aviaireest un modèle d’étude pour l’apoptose

Chez l’animal adulte, l’axotomie provoque uneapoptose rapide et brutale des cellules neurosenso-rielles, l’acmé se situant à la 48e heure. La restau-ration anatomofonctionnelle s’effectue ad integrumen quelques semaines du fait d’une importanteactivité mitotique au sein des cellules souches [19,20].

Si les conséquences de l’axotomie étaient connueschez l’oiseau adulte, aucun travail n’avait analysé etcomparé les conséquences de l’axotomie chezl’embryon en fin d’ incubation et chez le sujet jeune.Leibovici et al. avaient cependant signalé qu’au 15e

jour de vie embryonnaire l’axotomie provoquait uneperte des expressions de la Ca2+/calmodulin-kinaseII et des gènes des récepteurs aux odorants [21]. Ausein de l’épithélium embryonnaire, l’axotomie sem-blait donc responsable d’une importante raréfactiondes neurones matures.

Les épithéliums embryonnaires et matures sontdeux tissus similaires ayant des environnements trèsdifférents : chez l’embryon, l’épithélium baigne dansun liquide en continuité avec le liquide amniotique,alors qu’ il est au contact de l’atmosphère après lanaissance. La réponse des cellules à une mêmeagression dépend de leur degré de maturation et deleur environnement locorégional. Ainsi, les neuro-nes sensoriels semblent moins sensibles à la pertedes facteurs bulbaires avant la naissance. Des modi-fications de l’environnement peuvent donc moduler

Tableau I. Réponse des neurones sensoriels axotomisés à l’application d’ IGF-I dans la solution de continuité axonale.

TUNEL BrdU CaMII kinaseTémoin Lésion IGF-I Témoin Lésion IGF-I Témoin Lésion IGF-I

24 h 5 % 25 % 6 % 10 % 19 % 23 % 32 % 12 % 29,9 %48 h 4,3 % 16 % 5 % 11,5 % 32,5 % 12 % 28 % 10 % 10 %72 h 4,5 % 6 % 4 % 10 % 26,9 % 8 % 32,5 % 11 % 11 %

En l’absence d’ IGF-I, l’axotomie induit une vague apoptotique (détection par technique TUNEL) à la 24e heure suivie d’un pic mitotique àla 48e heure. L’ IGF-I prévient la vague apoptotique et favorise une régénération neuronale à la 24e heure postopératoire (marquage des cellulesau BrdU). En l’absence de traitement, le nombre de cellules différenciées (exprimant la Ca2+/calmodulin-kinase II) décroît au cours des 24premières heures postopératoires. L’effet protecteur d’ IGF-I ne dépasse pas 24 heures. Zones grisées : différences statistiquement significatives(p < 0,05) par comparaison au témoin.

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la dynamique cellulaire. Mort et régénération cellu-laires semblent liées : une poussée mitotique répondà une vague apoptotique.

Le système olfactif périphérique aviaireest un modèle d’étude pour la régénérationcellulaire

Les facteurs de croissance sont indispensables etnécessaires au maintien de la survie, de la différen-ciation et de la maturation cellulaires. Ils agissentpar l’ intermédiaire de récepteurs membranaires. Ladistribution de ces facteurs et de leurs récepteursvarie selon les tissus, la maturation et la différen-ciation des cellules. Ils sont ubiquitaires et regrou-pent plusieurs familles. Le premier facteur mis enévidence a été isolé àpartir de neurones : il s’agit duNGF (nerve growth factor) [22]. La famille des IGF,qui comporte l’ IGF-I et l’ IGF-II, agit comme unrégulateur de la croissance et de la différenciationcellulaire [23].

Le système nerveux et le système olfactif sontparticulièrement riches en facteurs de croissance.Parmi ceux-ci, l’ IGF-I semble exprimé par lescellules en cours de différenciation [24]. Dans lesystème olfactif, le bulbe est producteur d’ IGF-Ialors que son récepteur, l’ IGF-IR est localisé auniveau de l’épithélium neurosensoriel [24-27]. Demême que le NGF [28], il peut bénéficier d’untransport rétrograde vers le corps cellulaire.

Le système olfactif est particulièrement riche enfacteurs de croissance, sécrétés par le bulbe ettransportés de manière rétrograde vers l’épithéliumolfactif, siège des récepteurs. L’ individualisation dunerf olfactif dans la race aviaire, permet une analyseélective de chaque facteur de croissance. Ainsi,l’ IGF-I semble avoir trois actions principales : favo-riser la survie cellulaire, stimuler la régénération etmaintenir la différenciation des neurones matures.Son rôle protecteur vis-à-vis des cellules différen-ciées est plus limité dans le temps, probablement liéà sa demi-vie qui ne semble pas excéder 12 heures.

Le système olfactif périphérique aviaireest un modèle d’étude pour les cellules souches

Quelle que soit l’espèce, l’épithélium olfactif est lesiège d’un continuel renouvellement [12]. La durée

de vie moyenne d’un neurone sensoriel est d’envi-ron un mois, et s’allonge parallèlement au vieillis-sement du sujet. Tous les neurones quel que soit leurdegré de maturation peuvent mourir par apoptose[29]. La mort des neurones est aussitôt compenséepar une prolifération active des cellules souchesneuronales situées contre la membrane basale del’épithélium (figure 2).

L’ identification de cellules souches dans le sys-tème nerveux adulte est relativement récente [8].Ces cellules se situent à proximité des 1er et 2e

ventricules, près de l’épendyme, et dans l’épithé-lium olfactif. Des cellules souches neuronales ont puêtre isolées et cultivées à partir de corps embryoïdeset de tissus nerveux murins adultes [9].

Les capacités de « dédifférenciation » ou « repro-grammation », vers des lignées cellulaires différen-tes, des cellules souches neuronales adultes ont puêtre démontrées in vitro, sur cultures cellulaires, et

Figure 2. Représentation schématique de l’épithélium olfactif. A :neurones matures, B : cellules de soutien, C et D : cellules souchesneuronales, E : neurone immature, F : cellule de Schwann, 1 :dendrite, 2 : cils, 3 : noyau cellulaire, 4 : axone.

Système olfactif : modèle d’apoptose et régénération 893

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in vivo, par création de chimères [9]. Les chimèrespermettent de suivre les migrations et les différen-ciations cellulaires [7]. Ainsi des cellules souchesneuronales de souris adultes injectées dans le sacamniotique d’un embryon de poulet E4 participent àla formation des tissus d’origine ectodermique, sys-tème nerveux, mais également des organes dérivésdu mésoderme, mésonéphros et notochorde, et del’endoderme, foie et paroi intestinale [9]. Les cellu-les souches neuronales, d’origine embryonnaire ouadulte, se rapprocheraient des cellules totipotentes.Toutefois il semblerait que le potentiel de « repro-grammation » des cellules souches dépende d’unepart du type de cellule souche injecté, d’autre part del’environnement procurépar les cellules hôtes. Ainsile degré de chimérisation des organes répond à unespécificité tissulaire [9]. Des cellules souches neu-ronales adultes injectées par voie sanguine à dessouris irradiées de manière létale peuvent générerdes cellules hématopoïétiques, alors que ces mêmescellules injectées dans le blastocyte d’embryon desouris ne génèrent pas de cellules de la lignéehématopoïétique mais participent à la constitutiond’organes issus des trois feuillets embryonnaires [8,9]. Les facteurs influençant cette « reprogramma-tion » sont encore mal déterminés.

L’épithélium olfactif est facilement accessible. Sescellules souches représentent un matériel d’étudeutilisable in vitro et in vivo. La construction dechimères caille–poulet, modèle largement utilisé parles embryologistes [7], permettrait de suivre ledevenir de cellules souches neuronales d’une espèce,isolées à partir d’épithélium olfactif, puis injectéesdans l’amnios hôte de l’autre espèce. La parfaitecompatibilité des cellules de caille et de pouletpendant la vie embryonnaire permet le développe-ment de structures normales chez la chimère. Lesnoyaux cellulaires des deux espèces ayant unemorphologie différente, les cellules greffées peuventêtre facilement « suivies » dans les organes hôtes, aucours de la vie embryonnaire ou aux stades postna-taux.

CONCLUSION

L’apoptose et la régénération cellulaire sont indis-sociables. L’atout principal du système olfactif péri-phérique est d’offrir en abondance des neuronesmatures ayant la capacité de s’engager très facile-ment dans la voie de la mort cellulaire programmée,

rapidement compensée par une prolifération activedes cellules souches et une production de précur-seurs neuronaux qui se différencient en neuronesmatures [12]. Ce modèle donne accès, in vivo, à despopulations abondantes et homogènes de cellulesengagées dans des processus synchrones de mort,prolifération ou différenciation. L’analyse biochimi-que, histochimique et moléculaire de ces processusest donc possible.

Les cellules souches représentent à l’heure actuelleun axe de recherche scientifique primordial. Lescellules souches neuronales cultivées en présence deFGFb (basic fibroblast growth factor) ont une survieprolongée, pouvant atteindre un an [30]. La stabilitéde leur phénotype autorise des manipulations de leurgénome, comme l’ introduction de gène de résistanceaux chimiothérapies ou la manipulation de leurcomplexe d’histocompatibilité [30].

Depuis la mise en évidence du caractère quasitotipotent des cellules souches neuronales, certainsauteurs envisagent la création de banques de cellulescapables de fournir de nouveaux contingents cellu-laires pleinement fonctionnels, cellules sanguines,myocardiques, hépatiques. Les facteurs influençantla « reprogrammation » de ces cellules souchesneuronales ne sont pas encore totalement décryptés.L’épithélium olfactif aviaire est un modèle de choixpour l’analyse de ces mécanismes.

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Système olfactif : modèle d’apoptose et régénération 895