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le temps, c est comme le vent, ça d important ! » Les …multimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332522467.pdf · 2 3 « On sait qu’le temps, c’est comme le vent, De

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« On sait qu’le temps, c’est comme le vent,

De vivre, y a qu’ça d’important ! » Chanson Les rois du monde,

de Gérard Presgurvic

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Avertissement

Certains metteurs en scène et réalisateurs situent l’histoire de Roméo et Juliette à l’époque de Shakespeare, soit le XVIème siècle. À cette époque, la ville appartenait à la république de Venise, dont elle était devenue une province. Or il est question dans la pièce d’un « Prince de Vérone »… Il me fallait donc, pour respecter l’Histoire, situer l’action de ce roman pendant la seule période où la ville fut une principauté indépendante, à savoir entre 1259 et 1387. J’ai choisi arbitrairement le milieu, 1320. On se trouve alors en plein Moyen-Age, loin, très loin du XVI ème siècle de Shakespeare, d’où cette petite précision…

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Première partie

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Chapitre 1er

Vérone, début du XIVème siècle

Un mince rayon de soleil matinal traversait la vitre de la porte-fenêtre, pour venir paresseusement finir sa course sur la grande malle ouverte au beau milieu de la pièce. Plusieurs épaisseurs de vêtements s’empilaient dedans, débordant en un joyeux désordre jusque sur le sol recouvert de marbre polychrome. Le soleil, presque à son zénith à cette heure avancée, ne pouvait introduire plus d’un rayon dans le vaste salon. Une fraîcheur bienvenue y régnait donc, entretenue par deux fenêtres entrouvertes. Celles-ci donnaient sur une ruelle plus modeste que la grande artère principale, épargnant ainsi au jeune garçon le vacarme incessant produit par les cris, interpellations, galops de chevaux ou essieux grinçants des voitures.

Celui-ci ne devait pas avoir plus d’une dizaine d’années. Ses yeux aux prunelles sombres scrutaient avec attention son reflet dans le grand miroir en pied qui lui faisait face. Sa bonne mise attira un sourire satisfait sur ses petites lèvres charnues. Ses cheveux d’un noir de jais, soigneusement peignés sur le côté,

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répondaient aux sourcils d’une même couleur qui surmontaient un regard doux et malicieux à la fois. Le nez, finement découpé, affinait quelque peu la rondeur du visage où deux joues rondes et roses attestaient de son jeune âge.

Le garçonnet étendit un bras devant lui pour faire jouer la dentelle qui ornait la voilette de sa manche. Livrée par les meilleurs fournisseurs de sa mère, la finesse de ses détails et de ses broderies le ravissait, à tel point qu’il ne se lassait pas de la contempler, agitant légèrement la main pour lui donner du mouvement.

Puis, mains sur les hanches, campé devant le miroir, il détailla davantage sa silhouette d’un œil critique. Les voilettes de dentelle ornaient idéalement la riche cotte offerte quelques jours plus tôt par sa mère. Le vêtement, très cintré, épousait parfaitement les contours de ses bras et de son torse. Il avait revêtu par-dessus une robe, long vêtement qui lui descendait aux genoux1, maintenu à la taille par une ceinture ouvragée sertie de pierreries. Le vêtement ne comportait pas de manches, ce qui permettait bien entendu de faire admirer la richesse des broderies et autres dentelles qui ornaient la cotte aux manches et au col. Qui plus est, celui de notre jeune seigneur était doublé de fourrure, dont le prix atteignait des sommets exorbitants ces dernières années.

Le jeune garçon en était là de son examen, quand deux coups légers retentirent à la porte du salon. Presqu’aussitôt l’un des deux battants richement peints s’ouvrit pour livrer passage à sa mère.

1 La robe – ou surcotte – descendait jusqu’aux chevilles chez certains hauts dignitaires, et jusqu’en bas pour les femmes.

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– Avez-vous un instant, Roméo ? J’ai à vous entretenir.

– Sì, Madre, je suis à vous. Du bout du pied, le garçon repoussa la manche

d’une tunique qui débordait de la malle. La signora Montaigu s’avança silencieusement dans le salon, le bruit de ses pas étouffé par les épais tapis qui recouvraient le marbre du sol. Roméo aperçut alors un garçonnet de son âge qui entrait dans le sillage de sa mère. Il affichait un air timide, détaillant en douce les miroirs, tableaux et autres sculptures qui décoraient le salon. Ses grands yeux d’un bleu limpide, sa tignasse blonde en bataille lui donnaient un petit air angélique qui plut d’emblée à Roméo.

– Vous vous souvenez de votre cousin, Benvolio ? demanda la signora en le désignant d’une main. Le pauvre a eu le malheur de perdre son père il y a quelques semaines, comme vous le savez.

– Sì, je m’en souviens, et m’en voyez sincèrement navré, répondit son fils, bien élevé, non sans noter au passage l’extrême simplicité de la vêture du nouveau venu, sa robe sans ornement ne recouvrant visiblement qu’une simple tunique.

– Sa mère ayant déjà rejoint Notre Seigneur depuis longtemps, Son Altesse le prince vient de confier sa tutelle à votre père. Benvolio sera donc des nôtres à compter de ce jour.

Roméo afficha un large sourire et tendit la main à son nouveau compagnon. Pour lui qui était fils unique, rien ne pouvait le réjouir davantage que d’avoir dorénavant un camarade de jeu avec qui chahuter et faire les quatre cent coups.

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– Benvenuto ! Bienvenue, mon cousin, j’ai hâte de mieux te connaître ! déclara-t-il joyeusement. Mais il va falloir me changer tout ça ! ajouta-t-il en soulevant un pan tout simple de son vêtement.

Le visage du jeune orphelin s’éclaira tout d’un coup, mis en confiance par le sourire chaleureux et bienveillant de son nouveau compagnon.

– J’ai là quelques affaires qui devraient mieux te convenir, enchaîna Roméo en se penchant sur la malle débordante.

La comtesse Montaigu hocha la tête d’un air satisfait, puis sortit pour les laisser entre eux. Aucun des deux garçonnets ne s’en aperçut, trop occupés à mettre consciencieusement la malle sans dessus-dessous.

* * *

Le lendemain, tous deux parcouraient les rues étroites de Vérone à bord d’une lourde voiture tirée par quatre chevaux. Sur les portières s’étalaient les riches armoiries des Montaigu, incitant les passants à céder le passage à l’attelage ainsi qu’aux deux gardes qui l’escortaient.

– Guarda, Benvolio ! dit Roméo en désignant la rue par-delà la fenêtre au volet de cuir relevé. Regarde ! On arrive à la piazza dell’Erbe ! Et juste derrière se trouve le palazzo di Cansignorio, demeure de notre prince.

– Que de monde, je doute que nous puissions passer…

– Mais si, ils vont s’écarter, tu vas voir.

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– C’est jour de marché, aujourd’hui, intervint la gouvernante qui les accompagnait, donna Livia. Je crains que nous n’ayons choisi le mauvais jour, en effet.

– On pourra s’arrêter, donna Livia ? S’il vous plaîîît ? Pour montrer à Benvolio comment c’est !

– Je sais ce qu’est un marché, protesta le garçon, on en avait un aussi, chez nous.

– Mais pas aussi grand que celui-là, j’en suis sûr ! claironna son compagnon. Per favore, donna Livia !

– Bien, bien, si vous le souhaitez. Mais prenez garde à ne pas vous éloigner de moi et de notre escorte.

– Promis ! La voiture les déposa à l’entrée de la piazza, et le

cocher leur indiqua l’endroit où, rangé à l’écart, ils devraient le rejoindre. Les deux garçons se promenèrent un instant parmi les étals où se côtoyaient soieries et épices, encens et nourriture. Certains marchands haranguaient les passants, tandis que leurs femmes présentaient la marchandise aux acheteurs éventuels. Une foule dense et bigarrée avait envahi la place, sous les regards majestueux des nombreux palais qui la bordaient, somptueuses demeures des riches véronais, nobles sires ou bourgeois fortunés.

Roméo et Benvolio se frayaient vaille que vaille un chemin parmi la foule, dûment encadrés par les deux gardes et la gouvernante. Roméo en particulier ne tenait pas en place, désignant tour à tour chaque étal avec enthousiasme.

– J’adore toujours les marchés ! lança-t-il en détaillant les poivrons multicolores qui voisinaient

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avec un échantillon de tissus précieux. On y voit de tout, même ce qui est dans les boutiques où on ne peut pas rentrer d’habitude, ajouta-t-il devant des caisses remplies de bouteilles de vin.

– C’est aussi là que pullulent voleurs et malandrins, remarqua Benvolio.

Roméo lui lança un regard à la dérobée. Il avait déjà eu l’occasion, depuis la veille, de s’apercevoir que son compagnon était beaucoup moins naïf que ses grands yeux bleus le laissaient paraître. D’un naturel gai et rieur, il n’en retenait pas moins tout ce qu’il entendait, notait tout ce qu’il voyait. Cela avait aiguisé son bon sens, et le rendait souvent plus avisé que son cousin.

À cet instant, comme pour illustrer son propos, le fameux cri « Au voleur ! », que tout marchand redoutait, retentit non loin d’eux. Les deux enfants eurent tout juste le temps d’apercevoir un type qui s’enfuyait ventre à terre en sautant par-dessus les étals, bousculant la foule sans ménagement. Personne pourtant ne se soucia de l’arrêter, si ce n’est peut-être les hommes du guet, toujours vigilants lors de ce genre de manifestation.

Donna Livia entraîna aussitôt ses protégés vers un endroit plus calme, au bord de la place.

– Bon, j’espère que vous en avez vu assez. Il est temps de rejoindre…

– Moi, si j’avais été le marchand, je l’aurais embroché, ce voleur ! s’exclama Roméo en dégainant le petit poignard qu’il portait à sa ceinture. Comme ça ! fit-il en pourfendant l’air d’un grand geste.

Chacun des enfants en portait un à la place d’une épée, mais ils servaient davantage de décorations que d’armes réelles. Les gardes étaient là pour ça.

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– En garde ! enchaîna le garçonnet en se jetant sur Benvolio, qui riposta en riant avec son propre poignard.

– Oh non messire, vous ne m’aurez pas comme ça !

Et tous deux d’entamer un combat acharné sous les regards amusés des deux gardes et celui, scandalisé, de la gouvernante.

– Messires, voyons, cessez immédiatement ! Vous vous donnez en spectacle ! Et vos armes ne sont même pas mouchetées ! Si Madame vous voyait !

Un autre regard, à vrai dire, suivait avec attention le combat des deux enfants. Celui d’un cavalier qui, sortant du palais du prince, venait de déboucher sur la piazza dell’Erbe.

– Messires, je vous en prie, ce n’est pas le lieu pour ce genre de jeu ! tenta encore donna Livia.

– Oui, c’est vrai ! nota Roméo et s’interrompant. Viens, Benvolio, nous serons mieux dans la cour de cette taverne, là-bas !

Avant même que la bonne dame eut le temps de réagir, les deux garnements couraient en direction d’une taverne que l’on apercevait dans une ruelle donnant sur la place. Il ne leur fallut que quelques secondes pour l’atteindre, talonnés par la gouvernante qui jetait de hauts cris. Mais, plus petits et plus lestes, ils se faufilèrent plus facilement à travers la foule et distancèrent sans peine leur petite escorte. Échappant enfin à la cohue, ils passèrent en riant sous le porche de la taverne dont l’enseigne annonçait Il Cavaliere bianco.

Mais ils comprirent bien vite qu’ils ne seraient pas plus à l’aise ici, tant l’agitation répondait à celle du

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marché : plusieurs valets d’écurie entraînaient des chevaux, des chiens jappaient en tous sens autour des lourdes voitures de voyage qui déversaient un flot de passagers, sans compter une autre qui effectuait laborieusement un demi-tour dans l’espace réduit.

– Je crois que je te donnerai une bonne leçon une prochaine fois, se résigna Benvolio.

– Pas dit ! Il y a certainement une cour intérieure de l’autre côté, qui sera plus calme !

Et à peine leur escorte passait-elle à son tour le porche que déjà les deux garçons filaient à l’intérieur de la taverne, traversaient la salle commune sous les yeux surpris des voyageurs, et débouchaient dans une cour de l’autre côté, plus petite mais plus calme. Seules quelques caisses y étaient empilées, non loin de plusieurs tables sorties pour profiter du beau temps, où quelques clients étaient déjà installés.

– Haha ! Maintenant je vais pouvoir te pourfendre, sale voleur ! triompha Roméo en brandissant derechef son poignard.

– Si je t’en laisse l’occasion ! riposta son compagnon en esquivant le coup.

Mais malgré son enthousiasme, Benvolio se fit rapidement dépasser par son adversaire. Ses défenses étaient maladroites, ses attaques peu assurées.

– Vous n’aviez pas de maître d’arme, chez vous ? s’étonna Roméo, sans cesser le jeu pour autant.

– Si, mais j’étais trop jeune pour commencer vraiment les leçons.

Benvolio ne précisa pas que c’était lui, qui, après avoir été particulièrement maladroit lors de sa première séance, avait persuadé son père de sa trop grande jeunesse pour commencer cet enseignement.

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Mais, la fierté aidant, le garçonnet n’en tenta pas moins de résister vaillamment à son cousin, sous les yeux résignés de leur escorte qui les avait rejoints.

Une autre personne ne perdait pas de vue leur petit jeu. Le cavalier, amusé, avait suivi de loin les deux enfants jusqu’à la taverne, puis contourné celle-ci pour arriver sous le mur de la cour intérieure. En se mettant debout sur son cheval, il s’était hissé en haut du mur et s’était installé dessus à peu près à son aise. Un bras passé autour de son genou replié, le menton posé dessus, il ne perdait pas une miette du jeu des garçons. Les yeux verts du discret spectateur brillaient de malice, tandis que son sourire amusé s’élargissait à mesure que les passes s’enchaînaient. Ses épais cheveux bruns étaient noués en une petite queue-de-cheval qui se balançait légèrement au-dessus de sa chemise violette.

Enfin, n’y tenant plus, il lâcha un rire léger et joyeux, avant de sauter de son perchoir pour atterrir en souplesse dans la cour.

– Holà, messires, ce n’est pas comme cela que vous pourfendrez les voleurs ! fit-il en se redressant. Tout juste un ou deux moineaux innocents. Et encore, à condition qu’ils soient blessés. Laissez-moi vous montrer !

Les deux combattants, dont la sueur perlait déjà au front, s’interrompirent pour dévisager avec surprise le nouveau venu. Il ne devait pas être beaucoup plus âgé qu’eux, mais affichait pourtant une assurance qui les prit de court.

– Tes attaques manquent de précision, dit-il à l’adresse de Roméo. Et prends garde à tes parades, ou sinon messire…

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– Benvolio, répondit ce dernier. – … messire Benvolio, tout inexpérimenté qu’il

semble être, pourrait bien réussir à t’avoir ! Et, s’emparant d’autorité du poignard de Roméo, il

mima une attaque de son cru, accompagnée d’une mimique exagérément concentrée qui fit pouffer de rire les deux cousins. Cela fait, il rendit l’arme avec un large sourire, si franc et chaleureux qu’il conquit aussitôt les deux compagnons. Leur intérêt pour lui en augmenta d’autant, car bien que vêtu simplement d’une chemise au lieu d’une robe aristocratique, les manières du nouveau venu prouvaient assez qu’il n’était pas issu de la fange.

– Comment t’appelles-tu, amico ? demanda Roméo. – Mercutio, pour vous servir, répondit l’autre en

s’accompagnant d’une courbette jusqu’à terre, ce qui provoqua un nouveau rire. Mon oncle est le prince de Vérone, Son Altesse Escalus Scaligeri. Et vous ? Je connais il signor Benvolio, mais toi…

– Roméo Montaigu. Je suis très honoré, Votre Altesse.

Le dénommé Mercutio partit soudain dans un grand rire sonore qui résonna dans toute la cour.

– Non je t’en prie, pas de ça ! fit-il en se contenant à grand peine. Ou alors tu vas jusqu’au bout et tu t’agenouilles pour me lécher les bottes !

Un coup d’œil sur ses bottes de cavalier arracha une grimace à Roméo, et un autre éclat de rire à leur propriétaire.

– S’il vous plaît, je viens d’arriver à Vérone, où mes parents m’ont expédié pour que j’apprenne mon monde auprès de mon oncle, expliqua-t-il en essuyant d’un revers de main une larme provoquée par le rire.

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Je vous ai observés depuis la piazza dell’Erbe, et je me suis dit qu’il ne pourrait y avoir de plus plaisants guides. Le voulez-vous ?

– Avec joie ! répondirent-ils en cœur. – Dans ce cas venez à l’intérieur. Nous y

trouverons une table plus ombragée, où vous me raconterez qui est cette noble dame qui nous observe depuis tout à l’heure d’un air si catastrophé !

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