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RAYMOND GUÉRIN LE TEMPS DE LA SOTTISE Extrait de la publication

Le Temps de la sottise… · 2013. 10. 29. · M.Armand Petitjean aura beau d lirer, ils 17 Extrait de la publication. nÕemp cheront pas que jÕai vu ce que jÕai vu. Oh! bien s

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RAYMOND GUÉRIN

LE TEMPSDE LA SOTTISE

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Raymond Guérin

Le Temps de la sottise

l e d i l e t t a n t e-, rue du Champ-de-l’Alouette

Paris e

le dilettante, rue Racine

Paris e

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© le dilettante, , renouvelé en .ISBN ---

Couverture : Claude Fraysse

978-2-84263-258-8

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Avant-propos

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POUR SES HUIT OUVRAGES publiés chezGallimard, Raymond Guérin avait adoptéune répartition ordonnée en trois grandesrubriques : «Confessions », « Fictions » et« Mythes » ; dans la première, figuraient lesdeux récits qui l’ont révélé au public, Zobain() et Quand vient la fin () – lequelfaillit ravir le Goncourt à Vent de marsd’Henri Pourrat – ainsi que La Tête vide(), une manière de «nouveau roman» ; laseconde comprend les trois volumes du cycleÉbauche d’une mythologie de la réalité(-) ; la troisième, La Confession deDiogène (), roman « philosophique », etEmpédocle (), l’unique pièce de théâtre

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qu’il a composée. Mais, jusqu’à sa mort en, Guérin a tenu à faire indiquer souschacune de ces rubriques un certain nombre depublications à venir, « à paraître » ou « enpréparation ». Ainsi, c’est dans «Confessions »que se profile, en , l’annonce du Tempsde la sottise, devenant par la suite La Sottisedu temps : quel titre l’auteur aurait-il choiside donner, en définitive, au livre tiré descarnets remplis pendant sa « drôle de guerre »– on pense à ceux de Sartre – et sa captivité ?En l’absence de certitudes, il semble plusprudent d’opter pour le premier, commeLe Dilettante l’a fait en et continue de lefaire pour la présente réédition. En effet, c’estbien de ce titre que Guérin use dans les lettresqu’il envoie à sa compagne, Sonia Benjacob,dès les premiers jours de sa mobilisation, enseptembre , et ce, tout au long des missivesécrites, à peu près quotidiennement, pendantquatre ans : cette correspondance montre, dansun jeu de miroirs, l’écrivain au travail,prenant des notes en vue d’un livre inspiré parson expérience de soldat et, bientôt, de prison-

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nier, mais donnant parfois aussi une versionépistolaire de ce qu’il consigne dans cescarnets : qui connaît un tant soit peu sonœuvre ne sera pas étonné de ces variations« génériques », le roman par lettres – ou leslettres dans le roman – alternant avec unmode plus discursif ou le récit en forme dejournal. Aussi, faut-il revenir brièvement surl’hésitation quant à l’agencement de ce titre :Sottise du temps ou Temps de la sottise ? Àdécouvrir ces lignes, le lecteur comprendraaisément qu’y est fustigée une sottise – le motrevient en leitmotiv – inhérente à la situation :la déclaration de guerre, la « chose » militaire,l’incurie des autorités, la brutalité des hommesde troupe, autant de constats que GeorgesHyvernaud faisait au même moment, de soncôté, et dont il allait alimenter, entre autres*,

* Les principaux ouvrages de Georges Hyvernaud,La Peau et les Os, Le Wagon à vaches, Lettre anonyme,Feuilles volantes sont au catalogue du Dilettante; sontdisponibles également, chez Claire Paulhan, sesLettres de Poméranie, - ().

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La Peau et les Os (), préfacé par…Raymond Guérin. Mais, au-delà des circons-tances immédiates, la « sottise du temps », c’estcelle de l’humain en général, celle que l’auteurde La Main passe () n’a cessé de poin-ter, tantôt pour s’en indigner, plus souventpour s’en amuser. C’est, sans doute, cettedimension plus vaste de la bêtise qu’il auraitvoulu refléter dans un ouvrage achevé. Et ilest vrai que, du Temps de la sottise, se déga-gent des constantes de l’œuvre : la souve-raineté du physiologique sur la psychologie,l’ironie à l’égard des plumitifs «va-t-en-guerre»,la difficulté de concilier une exigence de vieintérieure et l’adhésion aux bonheurs de lavie matérielle. Guérin se voulait un Diogènemoderne, les pages qui suivent le disent bien.Cependant, elles traduisent, en plus des posi-tions du moraliste, son talent de romancier, cetalent qu’il allait développer puissammentdans Les Poulpes (), le roman de lacaptivité, tandis que Le Temps de la sottiseaurait été celui de la débâcle, dans une chro-nologie inversée telle que Céline, par exemple,

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l’a pratiquée de Voyage au bout de la nuit,cité ici*, à Mort à crédit** ; si, en effet, lespremières chroniques sont davantage faites deréflexions sur les événements vécus, celles quileur succèdent, surtout à partir du printemps, mettent en place une véritable stratégienarrative qui permet de passer, presque insen-siblement, de la réalité à la fiction : l’exodedes civils – à la mesure des 33 Jours*** deLéon Werth –, la déroute des combattants,les attaques aériennes, tout prend des alluresde rêve cauchemardeux, de drame épique, despectacle hallucinant ; s’y mêle, en esthétiquetypiquement guérinienne, l’émotion suscitéepar la grâce des jeunes femmes, la générosité dela nature, le pittoresque des paysages qui luifont convoquer les maîtres du genre, Chardin,

* « Bois de Saint-Clément-à-Arnes (Ardennes),le jeudi mai », p..

** Voyage au bout de la nuit, Louis-FerdinandCéline, Denöel, ; Mort à crédit, id., .

*** 33 Jours, Viviane Hamy, . Le manuscritest resté inédit pendant plus de cinquante ans.

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Greuze ou Corot : nous sommes, incontes-tablement, dans le monde de l’art, et l’on se ditque, mené à terme, l’ouvrage aurait pu faireécho au Bouquet* de Calet ou au Caporalépinglé** de Perret. Mais aurait-ce été un« vrai » roman, comme Les Poulpes ? Là estvraisemblablement la raison qui explique,d’une part, la variation du titre, de l’autre,son classement dans les «Confessions » : le « je »qui s’y exprime, s’il n’est pas entièrementréductible à l’auteur, n’est pas tout à faitimaginaire et, surtout, Guérin a voulu jouersur le registre ambigu qu’il chérissait, celui oùle témoignage prend des allures de fable, etinversement. C’était sa façon de répondre àl’interrogation de son époque sur la légitimitédu genre romanesque. Quoi qu’il en soit, ilconvient avant tout d’apprécier Le Temps dela sottise, non seulement comme un work inprogress, mais surtout pour la justesse, sans

* Le Bouquet, Henri Calet, Gallimard, .** Le Caporal épinglé, Jacques Perret, Gallimard,

.

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apprêt, de thème et de ton qui s’y affirme : quela « sottise » fasse rire ou pleurer, elle est de tousles temps et, puisque c’est par elle que lemalheur arrive, autant dire qu’on n’en aurajamais fini d’écrire son histoire.

Bruno Curatolo*

* Bruno Curatolo a notamment publié RaymondGuérin, une écriture de la dérision, L’Harmattan,.

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Les points de conduite repré-sentent toujours des coupures denotre fait (N.D.É.).

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Kerling, le er octobre .

JE ME SOUVIENS de ce texte où M. deMontherlant exaltait le temps de guerre.Certes c’est un temps de virilité, encoreque les caractères efféminés s’y libèrent.Certes c’est un temps de camaraderie,encore que beaucoup, soldats ou officiers,se jalousent avec égoïsme, se nuisent et sedesservent. Mais, tout de même, ce n’estpas un temps de raison et de beauté, etM. de Montherlant aura beau écrire,M. Armand Petitjean aura beau délirer, ils

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n’empêcheront pas que j’ai vu ce que j’aivu.

Oh ! bien sûr, avant, je restais sur mesgardes. M. de Montherlant avait été à laguerre. Et moi, pas. M. Armand Petitjeanavait vécu sur la ligne Maginot. Et moi,pas. Mais, maintenant, je sais à quoi m’entenir. Qu’ils cessent de mentir, de prendreleurs désirs pour des réalités, de se griserde mots et d’images.

À Kerling donc, le village ayant étéabandonné par les habitants qu’on éva-cuait de force, le quartier général de ladivision que nous avons relevée s’étaitinstallé depuis un mois dans les maisons.Il a laissé les locaux dans le plus navrantétat de saleté et de dévastation. Ces indi-vidus, soldats et officiers, s’installaient, for-çant les portes des maisons, des chambreset des armoires, pillant la vaisselle, lescouverts, la verrerie, le linge, les draps.Nous avons trouvé, dans la plupart desmaisons, toute la vaisselle dégoûtante. Aulieu de laver cette vaisselle après chaque

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repas, ils l’avaient laissée s’accumuler,prenant dans les buffets, pour le repassuivant, de la vaisselle supplémentaire. Ilne restait plus une assiette, plus un cou-vert, plus un plat, plus une casserole quine fût souillé. Sur le sol, les immondicess’amoncelaient. Les murs avaient été salis.Sur des glaces on voyait des traînées deconfiture qui y avait été projetée. Dans lescours des aliments pourris abandonnés,du vomi, des excréments. Aux fenêtresdes carreaux brisés. Aux portes des serruresarrachées. Aux murs des interrupteursdétraqués. Des armoires béantes avecdu linge en vrac sur le parquet. Despantalons de femme ou des chemisesdont certains s’étaient servis pour essuyerleurs grosses chaussures pleines de boue.Des draps où d’autres avaient fait leursbesoins. De la pourriture, du désordre,de l’ignominie partout. Les arbres frui-tiers avaient été dépouillés. Les animauxdomestiques, poules, lapins, cochons, égor-gés. Les récoltes de bois, de paille ou de

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foin, d’avoine et même de blé avaient étégaspillées.

On n’avait eu aucun respect pour lessouvenirs ou les dévotions les plus intimes.Que de statues religieuses brisées, que decadres de famille défoncés. Et jusqu’auxlivres de messe ou de comptes béants, jus-qu’aux sacs des femmes, jusqu’aux porte-feuilles des hommes, jusqu’aux lettres,jusqu’aux diplômes qui gisaient par terre,couverts de poussière ou de boue. Il y enavait qui auraient volé un ciboire, d’autresdes horloges, d’autres de l’argenterie. Il yen avait qui avaient mis des robes defemmes en pièces, les ayant, peut-être,voulu revêtir. Partout le soudard roi s’étaitmanifesté, détruisant ce qui aurait pu luiêtre utile, emportant ce qu’il croyait pou-voir lui rapporter, livrant au saccage toutce qui semblait ne pas lui convenir.

Mais je veux oublier ce spectacle quej’ai eu à mon arrivée. Depuis que noussommes là nous avons, du moins certains,essayé de mettre un peu d’ordre et de pro-

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preté dans ce chaos, nous servant malgrétout de ce que nous trouvions sous lamain, et déjà transportant là où l’objetnous manquait celui que nous trouvionsdans tel autre lieu. Mais que ferons-nousdans un mois ? Serons-nous moins répu-gnants que nos devanciers ? J’ose en dou-ter. Les hommes se valent dans cet ordre,à peu près. Ce qui les change c’est lacondition qu’on leur fait. Et l’armée estsans doute, sans aucun doute, la pire deces conditions. Il n’y a pas un de ces mal-heureux qui, dans la vie normalementpolicée du temps de paix, oserait seconduire comme ils font tous, dès que lespénètrent les principes de la vie militaire.Il faut être débrouillard. Il faut savoir sedébrouiller. Cent fois par jour on vousassomme avec cet axiome. On imaginequ’à ce régime le plus honnête, le plusscrupuleux finit très rapidement parconfondre l’habileté du débrouillard avecla malhonnêteté du voleur et avec le van-dalisme du pillard.

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Je disais, d’abord, qu’il fallait accuser leschefs. Mais non. Eux-mêmes sont menéspar la « chose », par ce monument de sottisequ’est la chose militaire. On s’étonne, ons’indigne, on crie. Il n’y a pas à allercontre. Si l’on ne détruit la « chose » ellefinit par tout dévorer comme la naturedévore les travaux des hommes, si leshommes baissent les bras. Les chefs eux-mêmes sont dévorés. Sur leurs propresordres. De leur propre mouvement. Pourse sauver, il faudrait avoir prévu ce pire.Ce serait trop beau, trop courageux. Onverrait nos maîtres entravés. Libres deparler et d’agir, mais entravés et retenus aumoindre écart. Au lieu de cela on les laissefaire. Bientôt le militaire sort de terre,subjugue la nouvelle génération, règnebientôt en maître, puis devient tyran enentrant dans quelque guerre où il entraîneles peuples.

Les peuples ? Il est bien temps alorspour eux de chercher des responsables !Qui l’a voulu ? Personne et tous. Tous et

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