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Le temps et ses masques Jean-Louis Aroldo - Gilgian Gelzer - Horst Haack - Raymond Hains - Christian Jaccard Al Martin - Bernard Piffaretti - Yvan Salomone Œuvres de la collection du FRAC Auvergne Du 10 avril au 28 mai 2014

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Le temps et ses masquesJean-Louis Aroldo - Gilgian Gelzer - Horst Haack - Raymond Hains - Christian Jaccard Al Martin - Bernard Piffaretti - Yvan Salomone

Œuvres de la collection du FRAC AuvergneDu 10 avril au 28 mai 2014

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Cette exposition dans l’enceinte du lycée Descartes s’inscrit dans le cadre du jumelage avec le FRAC Auvergne. Elle est centrée autour d’un thème fédérateur : le temps. Ce thème croise, plus ou moins directement, les orientations des différents événements culturels qui ont lieu dans l’environnement de l’établissement : Rencontre du film documentaire, Traces de vie, Biennale du carnet de voyage, Festival Vidéoformes, Festival du court métrage, expositions du FRAC notamment, d’où son choix.

Dans le cadre du programme de seconde de l’option d’exploration « Arts Visuels », le professeur définit un questionnement qu’il met en relation avec cet environnement culturel. Le jumelage avec le FRAC est la situation de référence sur laquelle repose ce projet collectif ; ce dernier permet à l’élève :- d’identifier quelques grandes catégories d’activités et de métiers propres au domaine étudié- de réfléchir aux réalités et enjeux de la problématique choisie, par le biais de la pratique plastique- de découvrir et connaître les conditions de la mise en œuvre d’une exposition.

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Le temps est la substance dont je suis fait.Le temps est un fleuve qui m’emporte, mais je suis le fleuve ;

c’est un tigre qui me dévore, mais je suis le tigre ;c’est un feu qui me consume, mais je suis le feu.

Borges. Nouvelle réfutation du temps.

Le temps d’aimer chez un physicien

« Je t’aime tant que le temps n’a de temps que pour toi » pleure le poète amoureux allongé sur son banc. Vous qui passez à bord de votre voiture de sport, allez-vous vous arrêter pour lui accorder un peu de votre temps, prendre part à sa peine, remonter avec lui le temps de ses souvenirs ? Non. Vous n’allez pas le faire : vous dites que vous n’avez pas le temps. En outre le temps qui s’écoule dans votre belle carosserie n’est pas le même que celui de ce pauvre individu. Pour les amoureux blessés, le temps c’est une éternité, pour vous, ce sont des secondes qui s’égrainent trop vite. Vous avez tort : - premièrement, on ne laisse pas un naufragé du cœur seul au bord d’une route,- deuxièmement, Albert Einstein a dit que le temps n’est pas une grandeur absolue et plus on va vite plus le temps se dilate.Autrement dit, lorsque vous aurez fait le tour du périphérique à vive allure et que vous repasserez (vous avez des remords) devant cet individu (s’il vit encore) les trente minutes passées dans votre bolide seront des jours pour le banc et son hôte. Je me suis finalement trompé : le poète a le temps qu’il se donne pour aimer. Vous, vous commencez à regretter le temps de Newton comme celui des bourdons des cathédrales qui rythmaient la vie aussi bien des piétons que des coursiers.

Contribution de Frédéric Védrine, professeur en sciences-physiques

Le temps en philosophie

Toute réflexion sur le temps se heurte à cette expérience simple : comment se fait-il qu’une heure en bonne compagnie passe bien plus vite qu’une heure chez le dentiste ? Le temps cadencé des horloges, à l’époque où elles avaient encore des aiguilles, n’est pas celui de nos vies. Nos photos usées nous rappellent au souvenir et à la nostalgie, quand la nécessité nous presse à regarder toujours vers l’avenir. Le présent ainsi n’est qu’une position d’équilibre, qu’il faut sans cesse maintenir, en ramenant notre attention aux petits riens qui occupent toute une vie. Le temps dès lors est une épreuve pour l’homme : l’homme se retourne, il a vieilli. Il n’est plus le même, et pourtant cet autre aujourd’hui, c’est encore lui. Et qui sait encore qui il sera demain ?

Contribution de Anthony Dekhil, professeur de philosophie

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Le temps dans le sport

En sport comme dans la vie, nous devons laisser du temps au temps des apprentissages, et pourtant à l’inverse, l’efficacité absolue se joue en une fraction de seconde, il faut «être dans le temps», c’est à dire au bon endroit au bon moment, alors tout devient facile...

Contribution de Philippe Meuley, professeur d’EPS

Le temps dans les lettres

Entourée de réveils modernes et d’horloges vives, sournois et effrayants, je ressens le temps comme une urgence intime, je le vis comme une course permanente.Pourtant, je vois le temps comme une palette qui me donne les couleurs dont je compose, peu à peu, mon esquisse, définitive.

Contribution de Valérie Bach, professeur de français

Le temps photographique : un Narcisse empressé

Sur les images pionnières les rues parisiennes sont vides. Les passants, voitures à chevaux, charrettes sont invisibles, effacés oubliés, par un temps de pose très long. Pour exister alors sur la plaque sensible il faut obéir à l’impérieux «ne bougeons plus !» de l’opérateur. La vie ne peut pas à cette époque être synchrone avec les images.Les progrès de l’invention nous ouvrirons peu à peu les portes de l’instantané, les joies du mouvement arrêté qui exaucent notre désir d’envol. Le temps est, pensons nous naïvement, enfin suspendu.Nous croyons pouvoir aujourd’ hui tout saisir, donnant ainsi plus d’éclat à nos modestes et fragiles bonheurs. A l’ère numérique du direct, du scoop et de la webcam nos vies sont un flot d’images qui défilent sur le miroir docile de nos téléphones portables. Sous nos caresses de Narcisse ils murmurent insidieusement : vanité, vanité, vanité…

Contribution de Bernard Gonzalez, professeur d’Arts plastiques

Le temps en biologie -géologie

Durée d’un cycle cardiaque ? 0.8 seconde. Durée d’un message nerveux ? 1 milliseconde.Durée d’un séisme ? Quelques secondes. Vitesse d’ouverture de l’océan atlantique ? Environ 2 centimètres par an. Quant à l’océan alpin, il s’est ouvert il y a 135 millions d’années et s’est refermé il y a 70 millions d’années. Son existence a été prouvée, entre autres, par la découverte de fossiles marins à plus de 3000 mètres d’altitude, et qui ont pu être…datés. Et si l’on rapportait l’histoire de la Terre à un an, un mois représenterait 375 millions d’années. La vie serait apparue au 1er mars. Quant à Homo sapiens ; il ne serait présent qu’à partir du 31 décembre à 23h45 !Temps linéaire très bref, temps linéaire très long, temps cyclique. Quelles observations, quelles mesures, quelles analogies ne ferions-nous pas pour tenter de percevoir ses différentes échelles !

Contribution de Gilbert Cherroret professeur de SVT

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Jean-Louis AROLDONé en France en 1967Vit en France

Compound XV, 2003Huile sur toile, 2 x (40 x 30) - 50 x 50 - 30 x 40 cm

Jean-Louis Aroldo mène une pratique picturale au sein de laquelle s’agencent divers éléments indifféremment empruntés à l’histoire de l’art, au cinéma ou au genre documentaire. Ce mixage des genres trouve sa manifestation première dans des œuvres en polyptyques réunies sous le terme Compound, appellation générique indiquant à la fois les notions de composition, d’assemblages complexes et de greffes d’éléments hétérogènes n’appartenant pas à une seule et même famille. Les polyptyques réalisés sont la résultante d’un assemblage précisément réfléchi dont les codes obéissent souvent aux techniques employées dans la création cinématographique et vidéo, aux principes de montage qui s’y rattachent ou à certaines techniques particulières comme le split screen – effet consistant à diviser l’écran en plusieurs fenêtres présentant chacune une scène différente ou une perspective différente sur une scène unique – effet inventé par Brian De Palma dans son film Sisters. La finalité d’une telle entreprise est de constituer des œuvres à l’intérieur desquelles chaque peinture possède ses spécificités propres tout en étant l’organe d’un ensemble cohérent, organisé. Tout se passe donc simultanément dans les peintures et entre les peintures. Tout se passe selon un principe de circulation de flux, d’association d’idées et de contamination des images entre elles.

Compound XV, acquise par le FRAC Auvergne en 2003, est constituée de quatre peintures de formats réduits dont le voisinage entraîne le spectateur sur des temps et des espacesdifférents.

Le premier tableau, abstrait en apparence, est une représentation cadrée au plus près d’une scène d’autodafé issue d’une photographie montrant des livres brûlés sur la place publique dans l’Allemagne des années 30. Si l’image renvoie à une réalité historique dont l’événement est porteur à lui seul des prémices de la barbarie nazie, elle active également le souvenir d’une des toutes premières scènes du film Fahrenheit 451, adaptation au cinéma par François Truffaut du livre écrit par Ray Bradbury en 1951. Elle étend également son sens à la notion de censure et, plus particulièrement, à la censure religieuse formalisée par l’Index Librorum Prohibitorum (la liste des livres interdits), créée en 1559 par Paul IV et abolie en 1966 par Paul VI (cette liste de livres interdits contenait, entre autres, les ouvragesde Montaigne, Descartes, Pascal, Spinoza, Zola, Laurence Stern, Sartre… mais pas MeinKampf).

La seconde partie de Compound XV est une représentation de motifs floraux issus de l’imagerie décorative mexicaine dont le flamboiement contraste violemment avec le feu glacé du premier élément de ce polyptyque. On y retrouve indirectement une allusion à l’art fresquiste d’un Diego Riveira qui ne peut que renvoyer, par association d’idée, à l’exil de Trotski au Mexique en 1937, fuyant sa condamnation à mort par contumace par le régime soviétique avec l’aide de Diego Riveira et de sa compagne Frida Kahlo. Par ailleurs, la conjonction, dans l’œuvre de Jean-Louis Aroldo, des époques, des lieux et de techniques cinématographiques peut également raviver le souvenir d’un Luis

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Bunuel exilé au Mexique en raison de son anticléricalisme et de son marxisme déclaré.

La troisième peinture représente une gueule cassée de la première Guerre Mondiale, portrait délicatement fané d’un acteur anonyme de l’Histoire dont la présence teinte les motifs floraux d’une connotation funéraire, effleurant par là même la notion de mémoire collective et d’oubli passif, de disparition progressive d’une histoire vivante s’étiolant à la mesure du nombre décroissant de survivants du bourbier de la Grande Guerre.

Enfin, deux mains serrées l’une contre l’autre, cadrées elles aussi au plus près, font circulerà l’intérieur du polyptyque un sentiment ambigu où se mêlent la sérénité, l’attente et la tristesse. Cette dernière partie ferme l’œuvre, termine le montage, règle la vitesse interne du polyptyque, obligeant le regard à parcourir celui-ci à des rapidités différentes (le temps d’un autodafé, l’intemporalité d’un motif floral, la latence d’un visage ravagé, l’attente indéterminée des mains), dans des espaces réunis de façon anachronique.

Compound XV procède ainsi par court-circuits inattendus laissant filtrer une sensation qui flotte de manière persistante dans la mémoire, appuyée, tout comme chez Luc Tuymans, par une touche picturale maigre exclusivement constituée de gris teintés.

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Gilgian GELZERNé en Suiss en 1951Vit en France

Sans titre (réf. 75), 1998Mine de plomb sur papier, 190 x 150 cm

Peinture, d’une part, et dessin, d’autre part, les deux pratiques sont traditionnellement bien distinctes. Cette distinction, qui tourne parfois à l’opposition, s’appuie du reste sur une véritable différence technique : la peinture aurait en charge la couleur, tandis que le dessin n’aurait recours qu’au trait. Cette distribution des rôles excède par ailleurs la stricte délimitation des genres ; en témoignent, au sein de la peinture, les prises de position de Delacroix et Ingres, de Matisse et Picasso… On pourrait ainsi remonter tout le cours de l’histoire de l’art en suivant en pointillé les démêlés des tenants de la couleur avec ceux du dessin. Actuellement, la querelle s’estompe, comme beaucoup d’autres, et nombre d’œuvres mêlent la peinture et le dessin sans que cela soulève le moindre problème. Gilgian Gelzer ne répond pas ainsi à la question. Il ne la considère pas d’emblée comme résolue parce que révolue. Au contraire, non seulement il maintient la distinction, mais il la porte à son paroxysme : sa peinture n’est qu’un assemblage de couleurs et son dessin, une prolifération de lignes tracées au crayon.

Ses dessins ont la même densité que ses peintures. Bien sûr, le blanc du papier est visible entre les lignes, alors que les toiles sont recouvertes par la peinture, mais le réseau tracé est si dense qu’il semble dessiner un filet qui, le plus souvent, enserre tout l’espace. Aucune figure n’est reconnaissable, parfois un semblant de perspective est esquissé pour être plus loin (ou plus exactement, à côté) déconstruit ou démenti par une hystérie de la ligne qui se divise, s’enroule, s’éparpille, repart pour tracer une amorce de forme géométrique avant de dériver à nouveau. Comme les cercles concentriques d’une souche, ces lignes se suivent, se redoublent, convergent et se séparent pour témoigner du temps de développement du dessin. La distinction entre peinture et dessin n’ouvre, chez Gilgian Gelzer, sur aucune dualité. L’œuvre est une. Pour autant, les différentes techniques ne sont pas gommées, mais exacerbées par l’inscription dans un même processus d’indécision qui, loin de conduire à l’impuissance ou au renoncement, aboutit peut-être à la liberté.

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Horst HAACKNé en 1940 en AllemagneVit en Allemagne

Sans titre, 1984Crayon et aquarelle sur papier, 210 x 75 cm

Cette œuvre n’est qu’un élément d’une création monumentale débutée en 1979 sous le titre de Chronographie terrestre (work in progress). Comme ce dernier l’indique, il s’agit d’une œuvre en évolution permanente, dont la réalisation s’étale sur une durée longue et qui consiste en une chronographie, une «écriture du temps», un journal.

L’œuvre exposée regroupe 50 feuillets de ce journal qui dresse un portrait de l’artiste, faisant état de pensées, de citations littéraires, de notes écrites en allemand, français ou anglais, accompagnées d’aquarelles particulièrement soignées dans leur réalisation. Ces feuillets n’étaient au début que de simples cahiers de dessins destinés à fixer pêle-mêle des idées spontanées, des souvenirs, des impressions, sans rien y modifier ni projeter car Horst Haack n’avait pas envisagé d’en faire une œuvre à part entière.

Chronographie terrestre se distingue par une parfaite osmose de l’image et du texte, même si l’écriture n’est pas toujours en rapport avec les images. Cette œuvre offre à l’artiste la possibilité de réaliser un vaste autoportrait fait de multiples facettes aux agencements subtiles et complexes, la possibilité d’une médiation visuelle et verbale où le réel, l’imaginaire, l’angoisse, les désirs et les obsessions peuvent être exprimés.

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Raymond HAINSNé en France en 1926Décédé en 2005

Sans titre, 1961Affiches déchirées sur tôle, 115 x 115 cm

Lors d’une exposition des nouveaux réalistes en 1961, Raymond Hains présente quelques exemplaires de supports d’affiches déchirées. L’œuvre présentée fait partie de cette série. Les tôles de Hains sont toutes différentes et témoignent des gestes successifs de collages, décollages et grattages… Elles sont l’histoire de ces fragments de papier et d’affiches qui durant des années se sont succédés sur ce support. L’appropriation de ces tôles nous rappelle les « ready-made » de Duchamp, mais elles présentent cependant la caractéristique d’être des objets manufacturés, fruits des gestes d’anonymes ayant œuvré à développer des caractéristiques graphiques et chromatiques. Hains nous révèle combien la rue peut avoir une dimension poétique voire les qualités d’une expression abstraite. Proche des Nouveaux Réalistes aux côtés de César, Arman, Jean Tinguely ou Yves Klein, Raymond Hains est à cette époque habité par le sentiment que l’affiche urbaine contient intrinsèquement une charge poétique et sociale. Son geste d’arrachage et de transformation artistique est donc la manifestation du désir de rendre compte de cette charge évidente et pourtant presque invisible.

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Christian JACCARDNé en France en 1939Vit en France

Anonyme calciné (flagellation 17ème siècle), 1980Huile sur toile, 228 x 151cm

Christian Jaccard s’est rendu célèbre par l’utilisation quasi-systématique de la combustion sur ces œuvres. L’omniprésence de la brûlure sur ses peintures abstraites insère son œuvre de manière profonde dans l’histoire de l’art. En effet, les scarifications, obtenues à l’aide de mèches à combustion lente, créent des empreintes sur les toiles. Or on connaît l’importance de l’empreinte dans le contexte historique : empreintes de mains dans les grottes préhistoriques, empreintes de corps moulées pour la réalisation de sculptures, empreintes de corps sur les toiles (Yves Klein, Robert Rauschenberg), empreintes sur papier photosensible (la photographie), empreintes digitales, empreintes génétiques.

Au début des années 80, Christian Jaccard réalise une série d’œuvres tout à fait singulière, qu’il nomme les Anonymes Calcinés. Il achète en brocante des peintures des XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles, peintures non signées (anonymes), très abîmées par le temps et l’humidité et, surtout, reconnues pour être d’assez mauvaise qualité artistique. Après les avoir restaurées et retendues sur châssis, il les brûle partiellement, biffant les zones qui lui semblent les moins intéressantes, préservant les parties les mieux exécutées par leur artiste d’origine.

Ainsi, par un geste associant reconstruction et destruction, Christian Jaccard redonne existence et identité à une série de peintures anonymes et vouées à la destruction.Devant ces œuvres émerge un doute : y a-t-il destruction partielle de peintures classiques (même de mauvaise qualité) ou, au contraire, récupération et – pourrait-on presque dire – résurrection offerte à des peintures médiocres ? Au spectateur de l’œuvre d’en juger.

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Eidétique paressante - 2009-2010365 couches d’acrylique poncées sur toile- 42 x 35 cm

Al MARTINNé en France en 1949Vit en France

Depuis le milieu des années 1970, chaque série réalisée par Al Martin est l’occasion dans un protocole souvent strict, parfois humoristique, de magnifier ce que seule la peinture sait faire : produire des surfaces spécifiques qui sont en même temps des images.

L’œuvre que possède le FRAC Auvergne a pour titre Eidétique paressante. Elle date de 2009-2010 et est constituée de 365 couchesd’acrylique poncées sur toile. L’explicitation du processus est simple : chaque jour, Al Martin ajoute une couche de peinture à la surface du tableau. Chaque couche est constituée d’une couleur différente. Après une année et, donc, 365 couches différentes, la phase préparatoire est achevée et Al Martin peut procéder à la phase inverse. Il s’agira de creuser à l’aide d’une gouge la surface picturale couche par couche. Ainsi, une première couche est enlevée, puis une couche encore plus grande à partir de la première, puis une couche encore plus grande, etc. Le tableau est achevé quand 365 couches ont été enlevées – il va de soi que ce n’est pas la totalité de la couche qui est enlevée mais uniquement un fragment. Enfin, précisons que la surface est unifiée par un ponçage manuel au papier de verre et à l’eau afin d’obtenir une «pente» douce sans décrochages. Le résultat est une «peinture inversée» – titre sous lequel Al Martin regroupe ces peintures qu’il effectuedepuis maintenant plus d’une quinzaine d’années.

Il est donc question, d’abord, de dépôt et la peinture est, fondamentalement et matériellement, cette opération de dépôt, ce recouvrement d’une couche par une autre – par glacis ou empâtement. Si cette opération est respectée dans un premier temps, elle est contredite dans un deuxième puisqu’il y a dépôt puis excavation, mise en oeuvre d’une archéologie de la peinture, carottage dans ses sédiments ou voyage temporel comme, dans cette oeuvre, la couche la plus ancienne est aussi visible que la couche la plus récente et comme l’oeuvre est achevée quand la couche la plus ancienne émerge enfin. Il est, donc, question de temps, d’accumulation de temps – 365 dépôts et 365 creusements – et de rendre visible ce temps physiquement. Il est à noter également que ce qui apparaît comme étant le «fond» est en fait la dernière couche et que ce qui apparaît comme la forme est en quelque sorte le fond. On notera également les «barbes» sur le bord de la peinture produite par la lourdeur de l’accumulation picturale pouvant évoquer, par analogie, des stalactites. La peinture d’Al Martin est, ainsi, une double mémoire ; non seulement la mémoire de toutes les couches qui ont amené à sa dernière surface, mais aussi mémoire de toutes les opérations visibles qui ont permis l’achèvement de la peinture. Il y a, en plus d’un temps révélé et démontré comme un agenda ou un journal intime, un journal de peinture.

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Bernard PIFFARETTINé en France en 1955Vit en France

Sans titre, 1991 Acrylique sur toile, 40 x 40 cm

Depuis 1985, Bernard Piffaretti utilise systématiquement la même contrainte pour la réalisation de ses oeuvres.

Bernard Piffaretti a choisi un mode de création immuable que retranscrit l’œuvre présentée : toutes les peintures sont élaborées sur le principe d’un dédoublement. Les toiles sont scindées en deux parties égales par une ligne verticale. Bernard Piffaretti peint la première moitié du tableau puis réalise, de mémoire, la seconde moitié en essayant de reproduire les mêmes gestes, dans le même ordre, quitte àreproduire aussi les mêmes accidents dus au hasard (coulures, coups de brosse involontaires…). Le spectateur ne sait jamais quelle moitié a été exécutée en premier. La peinture propose donc non sa copie mais son double approximatif et doit s’envisager comme une oeuvre à part entière, comme une œuvre bègue en quelque sorte.

Il s’agit, avant tout, d’éviter tout acte gestuel ou pulsionnel, de désigner, par le dédoublement ou le redoublement, que la toile n’est pas exécutée dans un geste passionnel fondant une catharsis. Une coulure répétée exactement au même endroit ne peut être expressionniste, sa reconduction met en cause non seulement le geste premier mais tous les gestes possibles pour produire une peinture. Le geste «va se trouver gelé par ce redoublement».

Un autre élément important est que Bernard Piffaretti ne refait pas uniquement la dernière surface mais toutes les surfaces qui l’ont amené à faire la première moitié et qui la constituent. La subtilité d’une couche dépendant nécessairement d’un certain nombre de sous-couches, leur répétition permet l’identique. Cette attention conditionne deux éléments, d’une part la nécessité d’une mémoire de la peinture, d’autre part, celle d’une peinture qui ne peut être trop poussée, sous peine d’un oubli, et qui doit, pour montrer ce processus, être extrêmement légère dans sa surface, désigner la reconduction de ses stratifications.

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Yvan SALOMONENé en Allemagne en 1965 Vit en Allemagne

Sans titre (1/051997), 1997Aquarelle et crayon sur papier, sous verre, encadrement bois, 104 x 145 cm

Yvan Salomone peint des aquarelles de paysages marins. Cela peut paraître pittoresque et nous nous disons que ça nous promet de jolies aquarelles de voiliers sur les flots bleus. Mais Salomone est un artiste qui travaille sous contrainte, c’est à dire qu’il s’impose des règles très strictes et codifie son travail suivant celles-ci. On peut, en ce sens, rapprocher le procédé de celui de Roman Opalka.

Yvan Salomone peint toujours sur des feuilles de même dimension (104 x 145 cm). Ce format est systématique et immuable. Il réalise une aquarelle par semaine et la date est consciencieusement tamponnée.Il exécute des vues de bord de mer mais il échappe à l’imagerie de la plage, du soleil, des voiliers et des phares… Salomone s’intéresse davantage au zones de transit, de fret et aux docks avec leurs grues, leurs conteneurs, leurs camions et les sites industriels des zones portuaires.

L’aquarelle est un médium parfait pour Salomone. Le liquide est omniprésent, diluant les couleurs, rendant transparent les images et laissant le paysage comme prêt à se diluer et disparaître. Il travaille et réfléchit à l’inertie qui saisie des lieux habituellement très actifs. La représentation est comme suspendue, inerte et nous renvoie la solitude et la perception de paysages habituellement sans attrait -le paysage industriel.

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Les Fonds Régionaux d’Art Contemporain (FRAC), créés au début des années 80, sont desinstitutions dotées de trois missions essentielles.

La première consiste à constituer des collections d’œuvres d’art représentatives de la créationcontemporaine de ces 50 dernières années. La seconde est une mission de diffusion de cescollections sous forme d’expositions, tant dans les régions d’implantation des FRAC respectifsqu’ailleurs en France et à l’étranger. Enfin, la troisième raison d’être de ces institutions est d’oeuvrerpour une meilleure sensibilisation des publics à l’art de notre époque.

Le FRAC Auvergne a choisi dès le départ d’orienter sa collection vers le domaine pictural, se dotantainsi d’une identité tout à fait spécifique dans le paysage culturel français.Aujourd’hui composée de plus de 500 œuvres, cette collection circule chaque année en régionAuvergne et ailleurs, à raison de 20 expositions annuelles.Le FRAC Auvergne bénéficie du soutien du Conseil Régional d’Auvergne et du Ministère de laCulture – Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Auvergne.

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Programmation du FRAC Auvergne

AU FRAC AUVERGNE

6 rue du Terrail - 63000 Clermont-ferrandwww.fracauvergne.com

Marc Bauer1er mars – 1er juin 2014

Camille Saint-Jacques21 juin – 21 septembre 2014

Eric Poitevin11 octobre 2014 – 18 janvier 2015

HORS LES MURS

En permanence / Alain Séchas

Depuis quatre ans, l’immense pieuvre d’Alain Séchas appartenant aux collections du FRAC Auvergne est exposée dans le grand hall du CHU Estaing. Le partenariat est reconduit pour cinq années supplémentaires.

27 juin – 31 octobre 2014 / L’Architecte / Musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac

Premier volet d’une double exposition simultanée du FRAC Auvergne au Musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac, L’Architecte est consacré à une présentation du vaste ensemble d’œuvres de Marc Bauer acquises par le FRAC Auvergne. L’exposition réunira le film L’Architecte et 39 dessins préparatoires. Elle sera accompagnée d’un concert du groupe Kafka à Aurillac.

27 juin – 31 octobre 2014 / L’Arpenteur / Musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac

Second volet de la double exposition simultanée du FRAC Auvergne au Musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac, L’Arpenteur regroupera les œuvres de Pierre Gonnord, Darren Almond et Georges Rousse autour de la notion de déambulation, de traversée, de territoire.

Eté 2014 / Centre Culturel Valéry Larbaud, Vichy

Exposition d’œuvres du FRAC sur le thème de la musique, en collaboration avec le Festival Musiques Démesurées. L’exposition s’accompagnera de concerts.

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Informations pratiques

FRAC Salle d’exposition6 rue du Terrail63000 Clermont-FerrandTél. : 04 73.90.5000

Ouverture :- de 14 h à 18 h du mardi au samedi- de 15 h à 18 h le dimanche- fermeture les jours fériésEntrée libre

Contact pour les scolaires :

Pour le premier degré :Amandine Coudert au 04.73.74.66.20 ou par mail à [email protected]

Pour le second degréLaure Forlay au 04.73.74.66.20 ou par mail à : [email protected] correspondant culturel : Patrice Leray ([email protected])

Lycée René Descartes :

Avenue Jules Ferry63 800 Cournon04.73.74.55.50

Contact pour les réservations :

Lassale Véronique et Teste Chantal, documentalistes du lycée : 04.73.77.54.57