8/7/2019 Le Temps Ne Revient Pas, par Olivier Mathieu, candidat pote et romancier l'Acadmie franaise au fauteuil de C

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Olivier Mathieu

Le temps ne revient pas.

A Monsieur Jean Hautepierre.

*

Fils de la prdiction que dit la bohmienne

Le jour que je suis n - "il sera foudroy" -

Je marche en la cit que l'exil voulut mienne,

Au sortir de l'hiver, sans feu dans mon foyer.

Ds quatre ans, je suis n en mil neuf cent soixante:

Une femmepassait? Lors, s'teignait mon ris.Enfant, je fus toujours l'amoureux des passantes,

Qui passent jamais dans la rue, Paris.

J'ai pourchass, vraiment, tant d'toiles filantes!

La passante est roman. Celle qui fuit, douleur.

Mais qui s'arrta trop me fut vite lassante.

Qui fait halte un instant fut ma soeur de douceur.

La fille qui soudain vient se pendre mon bras,

Qui un instant plus tt m'tait une inconnue,

C'est toujours la plus belle, en l'instant je le crois,

Que peut-tre tantt je verrai toute nue.

Et voici qu'aujourd'hui j'aperus une fille,

Dans la premire nuit timide du printemps,

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La plus belle toujours - et que nul ne s'en rie,Quand mon coeur a douleur de n'avoir plus de temps.

Je me suis souvenu, ainsi, d'un jour de pluieDu temps de ma jeunesse et que j'avais mille ans

Et que je dessinais en secret une fille

Dedans un cahier vierge, en gare de Milan.

Or trente ans ont pass, mais ce soir est vermeil.

La voici, s'envolant du livre de mes ges.

Ses yeux sont de ceux qui, la nuit, rient soleil,

Sa joue est douce; or, c'est la fin de mon voyage.

Voil que nous marchons, elle et moi, dans la rue.

Je passe mes doigts dans ses boucles; l'Apulie,

Fut-ce encore un hasard si ma mre autrefois

M'en parlait voix basse, et les larmes aux yeux,

Tandis qu'elle peignait mes cheveux de ses doigts?

Quel trange destin, mais j'ai vu mille cieuxQuand, un instant plus tt, la foudre est apparue,

Reflts dans les yeux de ses filles de feu,

Quand je passais les doigts dans leurs boucles jolies.

Dans ma main, je sens que sa douce main se serre.

Je suis encore enfant. Non, je ne suis point vieux.

Elle dit, en riant, qu'aux filles je sais faire.

- Si revenait le temps? - Point ne revient le temps!Vertige d'un baiser que le printemps attend,

Si je m'loigne d'elle, elle crie : "O vas-tu?"

Et seuls les trottoirs ont entendu nos paroles.

Or moi, qui n'ai jamais frquent d'autre cole,

Je ne lui rponds pas que je cours ma mort.

Robert Pioche, vingt ans de moins pourquoi n'as-tu?

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Comme la route est brve et moi, je touche au port.

Mes yeux dedans ses yeux, je retarde l'instant:

Je sais que c'est souvent le dbut d'un naufrage,

Mais les yeux d'une fe attendant un baiserQu'elle fait en riant semblant de refuser,

A-t-on souvent connu de plus jolie image?

- Si revenait le temps? - Point ne revient le temps!

Je l'entends chuchoter : "Ah - dit-elle - trahir...Quand comme nous, ce soir, c'est dans le coeur qu'on grave,

Puisque nous inventons de quoi nous souvenir,

Mais trahir, ce n'est rien. Et nous, c'est bien plus grave".

Me voici l'ternel enfant qui toujours joue

Au jeu le plus srieux de l'amour, de la mort:

Et je la baise au cou, et je la baise aux joues,

Comme enfant je joindrai du Styx, l-bas, les bords.

Je ne l'embrasse pas. Je lui dis:Reste et passe!

J'ai les yeux des instants de mon coeur hors du temps.

Bientt elle viendra, belle aube qui s'avance,

L'aube belle peut-tre en mon dernier printemps.

Les yeux qui disent oui, elle reste en silence.

Je lui dis : Passe et reste! et point je ne l'embrasse.- Si revenait le temps? - Point ne revient le temps!

Veste de cuir, et corps en huit, et rougissante,Telle qu'en mon cahier d'autrefois Milan,

Elle n'est dj plus seulement la passante

Qu'elle sera demain la fin de mes ans.

Et de la Belle Fe elle a les cheveux bleus,

Je caresse sa nuque, elle tremble en vertige,

Et voici que ma main s'attarde en ses cheveux:

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Coquelicots, ainsi, frmissent sur leurs tiges.

-Es-tu magicien, ou prestidigitateur?

Fait-elle. Alors je songe au jour lointain, Rome,Du temps de mon enfance, o jura un jongleur

Que j'aurais t un mage parmi les hommes.

Plus tard, je la contemple en un petit rectangle,

Rectangle de miroir - c'est son rtroviseur -

Que la lune illumine, ou des lampions, aux angles

De la rue o s'enfuit le temps, le temps voleur

Et je trouve ses yeux, chaque fois, dans les miens:Prestidigitateur, ou suis-je magicien?

- Dans la nuit de printemps, que rpond donc ton coeur?

Fais-je ainsi qu'un enfant: un dfi que je lance,

Dans ses yeux j'aperois des milliers de couleurs.

Les yeux qui disent oui, elle reste en silence.

Je n'ai pas oubli ses yeux dedans mes yeux,

Et l'mouvant cho des questions sans rponses.

Si je l'avais connue, hier, sous d'autres cieux?

Il est tard; moi, c'est dans la mort que je m'enfonce.

Las! Se souviendra-t-elle? Et de quoi? Je ne sais.

Je ne sais, non, o gt le plus cruel dommage:

Qu'elle a tout oubli je prfre penser,Plutt qu'elle me cherche au temps du grand voyage.

Et nous avons pass, dans la nuit, un instant,

Dans la premire nuit de ce dernier printemps.

Mais je lui dis merci pour ce soir de jeunesse

Et d'avoir pu encore admirer la promesse

De la beaut jadis que j'avais dessine

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Dans mes vierges cahiers : elle n'tait pas ne.

Dans la rue aux passants, dans la rue aux passantes,

Puis vient une journe, et c'est la Trpassante.

La passante s'esquive; il faut que la passante

Passe; et elle est passe et je lui dis merci

D'un rire, d'un parfum, de sa dmarche lente

Et demain, nous ne nous reverrons plus ici.

Je ne suis point surpris, et ne regrette rien.

Oh! Demain, j'attendrai un peu qu'elle m'appelle

Mais au fond de mon coeur, je me souviens trop bienQue l'inachvement sied aux histoires belles.

Le coeur bat douleur, vieux coeur de rprouv.

Dans mon chapeau de mage, il me reste une image,

Il ne reste rien d'autre en mon chapeau trou,

Ne reste qu'une image - et mille ans de mes ges.

Et je me remmore encore un jour de pluie

Du temps de ma jeunesse et que j'avais mille ans

Et que je dessinais - tait-ce elle? - une fille

Dedans un cahier vierge, en gare de Milan.

Et je crois qu'elle existe et je l'ai aperue:

O livre de la vie, pages des cahiers,

O cahiers gars des occasions perdues,O coeur de rprouv, tu peux bien te railler!

Dans la nuit de printemps, a rpondu son coeur

Que j'avais cinquante ans. La foudre s'est rsoute.

Il arrive, on le sait, qu'un jeune coeur ait peur:

Mais quoi qu'elle ait pens, dj je l'ai absoute.

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Puis au matin, voil, elle et su mon exil,

La faim, le froid cruels de mon sort sans nul havre.

Ah! Me faut-il pleurer, ou point ne convient-il?

A l'aube, elle aurait vu ma gueule de cadavre.

Dans la rue aux passants, dans la rue aux passantes,

Puis vient une journe, et c'est la Trpassante.

O sont les grands esprits? Mais o sont les coeurs libres?

Libre, qui n'a le coeur dans la nuit de printemps?

Dans la nuit de printemps, qui n'a le coeur qui vibre?

- Si revenait le temps? - Point ne revient le temps!

*

Olivier Mathieu