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LE TEMPS VERTICAL Le Mat

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LE TEMPS VERTICAL

Le Mat

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Éditions Le Mat, 2016

N É O L O G I E

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J’ai le cœur en brume et les sensations qui déflochent

Naturellement joyeux, naturellement Le train défile des régions de passe-montagne Où les cloches tintent des limailles d’aurore Des endives pâles et de bufleux soupirs Poignant l’âme, l’esprit et le corps Vers les rampes bouilleuses

d’expassions enattardies Danse ! Danse ! Mélodie tardive et dense ! Matriste panseuse de cicatrées Toujours après coup Après coup tu cohérises mes vents fouleux de

solité A l’hémicycle des conférences transitionnelles Les orphelins palpitent d’amourées paradites Couche brisée, souche courbue et bouche crisée Ventre sur la terre enroulée qui les bahute Ils creusent à prismer leur chance

butifs sur la fânerie cerclée de leur chute La lune plume. Les enclos entrent, cileux, ravides. PURE DEPENSE A la suite bétailleuse abeuglante J’avoue la fin guidant mes pas L’invention d’un langage philanthroposophique Huilant la libation du cœur

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Les coups redoublent en martelant un désir blanc de plénitude.

Sans ça, sans cible, ils couperaient le vin à l’eau. Objectif monde : parler avec les yeux

danser avec des mots échanger par pure chaleur la douce présence de l’autre

fluidifier l’attraction. Ses pupilles avaient approuvé notre ange commun

le désir Mais déjà la peur de l’échec

nous refusa en même temps silence et parole Nous co-existions difficilement Brèche douloureuse de possibilité défunte (et pourtant simple imagination) Mais dans le souvenir seul elle était une porte vers une lumière Je voulais la lumière encore

et je scrutais la porte disparue.

Bonheur : connaissance mentale d’une

connaissance pratique des beaux défauts et qualités de la raison, ou l’intuition travaillée, affinée, pas à pas.

Rilke disait entendre la forme autant que le fond.

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Objectif monde : pas de protocole Amour juste Bonheur deux insignes Et de la conscience à l’inconscience

c’est un choix difficile Entre s’en remettre à des foules surgissantes

et s’encadrer de murs vides Mais toi dont l’œil m’a plu

de quelle partie étais-tu ? des réminiscences ou des jaillissements neufs et purs ?

Il y a peut-être encore à espérer

que par ton souvenir brille un nouvel instant (tel une boite mystérieuse délivrant soudain un élément supplémentaire

son double-fond) ou un autre usage.

Les legs non-remâchés sont autant de restrictions

paternelles. Poésie, tu as droit sur tout l’inconnu puis d’y inviter qui tu sens Tu travailles à éclaircir ce que d’autres expliqueront.

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Poésie qui seule parle du froid à la chaleur des mots.

Sous-entendu tu hennissais

à ma stricte humanité à mon homme sans valeur puisant aux graines rassurantes d’un dégoût empreint de jalousie accablant l’autre d’animal comme refusant les profondeurs d’un être, ton semblable muni de cette même faible hypocrisie qui partout pose sur l’épaule voisine son coude ambitieux. Mais, mon ami, c'est à la mesure de la distance qui nous bifurque que s’apprécie l’intensité des rapports. Ne laissez jamais personne définir le qualité de votre expérience ni celle de votre caractère. Jugement dernier Jugement inoculé à soi par soi Comme une gangrène extérieure infiltrant la peau C’est la dure lueur de quand l’instant

n’aura plus que du passé C’est le lieu lointain d’où Dieu répand la peur notre devoir est de l’empêcher et de laisser l’eau du temps couler sans gel.

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Recherche de l’infini, de l’absolu difficile désir de se fondre à l’océan de se suicider dans la Vie. Aux premiers matins je me rappelle mon désir pour toi Aujourd’hui le miroir est fêlé je suis coupable de doute et je doute d’être coupable deux pôles inconciliables et pleins Pures illusions changeantes mais comment les changer encore ? (jusqu’à l’innocence et la pureté). OBSTACLE Confiance en soi liée à la confiance en le monde Je souhaite, ardemment, mettre les deux en conférence et atteindre ce point vital où rien n’empêche Si ce n’est le temps et encore que représente-t-il de fatal en face de la connaissance de la transmission et de

la métamorphose ? Le monde intérieur, mon monde intérieur Est traversé de vagues oscillantes

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Dès lors, où fonder sa force ? Dans le rythme ! à la poursuite d’une résonance. Je m’habitue aux clés abstraites par souci de clés utiles à l’autre mais probablement m’empêchent-elles de trouver les miennes. Où est-ce que le soleil se mêle à l’océan ? Je me suis senti héritier des poètes, et leur première leçon fut de me laisser seul de m’abandonner à d’autres et moi. La mission d’anéantir ce qui nous dérange est

insoluble, parce que nous n’avons pas l’usage du néant. A moins que l’harmonie en soit la solution. Harmonie de ratures, acceptation des choses

empreinte de conséquence à les changer dans l’ordre infini (mais non chaotique ; réglé) des possibles : connaître l’orientation.

Diriger vers l’Est. Et aller dormir comme on abandonne un flambeau Avec la certitude des réverbérations anciennes Mystique des instants intriqués Au-delà d’une mer d’insignifiance persistante

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Latente, vient le pont vers d’autre temps Hier, aujourd’hui, demain Embrassés de souvenirs, rencontres de conscience Regard porté vers le soi différent Porté de circonspection et de respect Juge amical et vivant ivre d'une parole, d’un geste, d’un frisson inattendu Rappel heureux ou malheureux de qui nous

sommes Etrange malfaçon de durer. Dans l’atelier mental Je redessine mon visage Aux pinceaux de parents et d’amis Couleurs de souvenirs communs et de désirs

cachés Je trace les lignes Contemple l’ensemble en quête d’une vision

harmonieuse Et si quelques fois elle apparait au milieu des

ondes qui la brouillent Je la sens tomber, là, maintenant Au fond d’un lac aux eaux marâtres et floues Je me bats verbe contre les flots agités Aspirant au calme d’un miroir fidèle Qui, s’il pouvait être cruel, serait au moins

clair éclairant Et même chargé d’ennemis et d’obstacles leur donnerait au moins un nom

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De quoi les identifier, les servir ou les combattre (Car) Il n’est pas de spectre plus lourd que celui qui s’efface ni de douleur plus amère que celle qui crie sans écho et à laquelle est refusée la saine et naturelle transmutation du noir au blanc l’inversion périodique des pôles le jeu périodique par lequel au plus fort du dégoût je me découvre digne d’amour l’amour de soi qui porte sur lui la capacité d’aimer l’autre et le reste et je parle sans image pour parler directement de la boue cette terre qui ternit et cette eau qui fond ce mariage qui glisse et déluge jusqu’aux fatigues absolues de penser et sentir et encrasse même les portes de la colère et de

l’abandon reflétant toujours tout tout bien et tout mal, tout ambivalent tout équivalent et changeant changeant jusqu’aux premiers critères par lesquels les choses changent Les choses, ah !, tourbillon qui ne change pas Je vous ai rejointes, je suis vous, parmi vous, et sans

moi Spectre de boue à la peau diluée dans la boue mondiale

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Où sont les signes ? Pourquoi les objets se taisent ? Ces compagnons murmurant en reflet les courants de ma caverne Pourquoi plus rien ne vibre ni ne résonne

sur l’espace de mon vide ? Quel signe porte donc ce silence hivernal et raide ? Nécessité des décisions Mais même ne pas agir est une action glorieuse, parfois… ILLUMINATION Découverte de l’infini par des caresses à retardement Son image tout de mémoire et d’espoir et mon émoi Irradiant jusqu’aux confins du corps le mental jusqu'à l’âme Les pires horreurs et les plus basses constructions

de l’homme-reptile, le crocodile conscient, Dévoile dans la rue de la gare bondée de

mendiants, de détritus, d’étudiants hagards, d’hommes d’affaires enragés ou pédants, un dessin parcouru de lucioles et de bénédictions, une toile d’araignée scintillante comme une pluie d’huile chaude baignant de lumière l’ignorance des coins aigus et de la foule disparate des angles.

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Sous le chaos mondial à la peau crasseuse s’entend battre un doux cœur d’harmonie et un souffle lent de joie pacifique.

Des heures et des heures d’explosion d’univers. Sous le sourire des dames âgées danse une belle et

jeune femme de désir, millénaire. L’écho porte une réverbération lointaine et

conciliante, embrassant la magique sculpture du passé et les bordures bucoliques du chemin–avenir.

Soudain tout est rassurant ; même la mort, majestueuse, impériale, noble et fine, assagie de tristesse, tient son rôle ingrat avec hauteur, elle n’a plus le visage de l’insensé, mais celui de la juste mesure, celui de l’œuvre d’art et de l’achèvement paradoxal qui nous fait aimer un homme et son génie pour son inévitable erreur.

Le vrai n’a plus que des apparences de diable et le diable des jeux d’enfant cruel auquel on ne peut simplement pas en vouloir.

Et c’est une joie toute simple, qui n’a pas à s’élaborer, qui est là, inexplicablement ainsi, et qui rend justice à grands coups de grâces, sans penser ni débattre, par d’évidentes décisions aimantes qui n’ont absolument rien de différent d’intuitions démentes.

Le temps lui-même et cette humaine illusion de successions implacables se diluent dans un amas de réalités divergentes et simultanées dont les couloirs et les ponts se situent non dans le plan

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de l’espace mais des perspectives, dans l’ouverture plutôt que dans la focale, dans ces regards concentrés sur les bords de l’œil.

L’existence prend alors des bateaux par le ventre et l’ivresse est plus longue et profonde, attachée à mille ports et retrouvant au bout de n’importe quel voyage sa maison.

Le doute est la seule peur dont reste une trace, mais sa réponse est désormais connue : il est trop tôt pour savoir, trop tôt pour demander.

Les amitiés, attablées autour d’un lieu commun et habituel, forment une fresque de culte, une statue en mouvement se retrouvant d’âge en âge comme un symbole chaque fois au même stade embryonnaire et euphorique, chaque fois à l’étincelle, à la fondation d’une ville croisant hasardeusement deux rivières qui se croisent.

Mais le hasard n’est plus qu’un mot, que la coquille d’une lumière qui rayonne ni droite ni courbe, qui se répand dans et hors de son œuf identiquement.

Le point d’origine se confond à la destination et c’est en riant qu’on dit que tout se repasse sans cesse.

Alors main dans la main, on accepte la chute qui fera frémir d’aigreur comme on se borne à l’oubli de sa propre histoire

pour rejoindre, averti et avide, l’océan des petits joyaux et des larmes et des heures qui ont convergé en nous la cascade de l’absolu.

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On se rappelle à la terre douloureusement respirante,

terre qui n’avait jamais été moins, ni aussi éclatante. Seul l’instant est propice Autrement nous sommes vaincus. Je crois que je crois en Dieu. Il semble que tout converge vers notre propre

naissance Celle-là même que nous refusons comme la mort. Mobiliser l’ensemble des facultés en un faisceau Mobiliser tous les souvenirs, les désirs et les peurs

en un faisceau. Cabane en bois vert turquoise ou bleue Un palmier L’eau tombée de vents verticaux stagne La terrasse bulle Les feuilles batifolent entre les arbres tués par l’hiver Les âmes liquides ont une voie de solitude Elles entendent la mélodie lointaine des formes par des contemplations mélange de sentiments et de vue C’est un cœur végétal qui pousse par l’immobilité pour mieux sentir la danse des organes internes

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Les hommes ont déserté la pluie mais pas le reste du monde Lui, pour un temps, se retrouve Le végétal se réunit, se concerte, rêve Il se réordonne et se prépare à pousser Début d’année, promesse des dieux à l’harmonie Pause. Sur les carreaux, les flaques aux reflets irréels, irisés, surgissent les visages brisés de compagnons et d’âmes antiques. La blonde aux diamants de jeunesse bat la paume amicale, et si quelque fois à l’aube ses pétales se sont liés d’amertume et d’ivresse, Ils clignent à présent sur les flots renouvelés, assagis et sourire, spectateurs virtuels qui se mirent, comme moi, mais de l’autre côté de l’eau. Et l’or et les jours, et les démons et les nuits qui se croyaient depuis longtemps enfuis se découvrent encore et toujours, toujours mystérieusement enroulés

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dans les murs les plus denses, dans les mots les plus fiers ;

toujours et des siècles cachés dans la pierre, ils dansent notre fièvre endiablée ; toujours prisonniers, au matin, dans la foule hurlante, aux heures accablées de festins et bazars, quand le destin vertige et ressemble au hasard, jaillit soudain la source d’où les souvenirs

s’écoulent. Non plus en une myriade d’insectes furieux aux délires de cyclopes innombrables, mais d’un même joyau aux facettes admirables, infinies, éternelles et toutes visibles à nos yeux dans le temps vertical. Et ça y est, après la plongée interne, je suis à nouveau disponible à la valse de choses et à toi.

F A C E À F A C E

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Pour l’instant, je ne peux te comprendre car j’ai trop de nécessités d’expression mais bientôt nous écouterons vraiment le poids du vide qui nous meut. Quelle est cette forme attirée par d’autres ? Quel est cet être qui veut devenir ? (et qui n’est à la fin qu’une infinité [son but] de finitudes). Le sentiment empêche la pensée (cf. Jung). Quel serait une poésie de la pensée ? Rien n’est à détruire, tout est à redisposer, à

réenvisager (rendre un autre visage). L’intérêt de l’échange est moins dans la

communication – unification – que dans la rencontre de deux solitudes, moins dans l’écoute que dans le fait de s’entendre et de laisser une autre pensée résonner en soi – sans chercher à l’affirmer ni à la contredire – comme si elle était notre propre pensée (c’est-à-dire le lieu difficile où nous cultivons notre folie avec un respect effrayé).

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MILLE FEUILLES Les modes de rencontre sont si nombreux En vérité un plus un égale l’infini L’observateur dialogue sans cesse avec l’alentour Il existe deux formes extrêmes de milieu : le nul et l’ambivalent le vide et l’ambigu L’ambiguïté est au centre écartelé de deux chevaux contraires Ralentissant le rythme des pas, la ville dévoile son travail tranquille et toute sa frénésie gestuelle parait un danseur mesuré Baladant son corps sans destination, il n’y a plus

que de bons endroits pour admirer le spectacle de la vie qui tourne Des bulles, des spores, des champignons, des

excavations renouvelées, des laves jaillissant et se refroidissant

Un jeu de gravité et d’explosions : les feuilles, si fines, du livre ou de l’automne se multiplient en deux feuilles multipliables

Il est probable que les arbres méditent sur des ondes basses et que chacune de leur respiration dure un jour, chacun de leur jour une année

– leur vie est si courte… mais peut-être plus dense.

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La rapidité des transactions ne fait qu’élever la température interne, c’est-à-dire la longueur de la phase.

Descendant : fatiguer l’esprit jusqu’à son bout. Des volutes qui s’en vont Des flûtes qui résonnent Des vols d’oiseau Et des luths qui rejouent Après les clameurs La joie d’accorder les ondes Sur le rythme des craquelures, Accord et désaccord passent la main. Est-ce que la nécessité de la communication

provient de l’impossibilité de résider dans la mésentente ?

Dans le soliloque, soi-même répond à soi-même, mais dans la communication à sens unique la parole ne trouve ni réponse ni écho. Et s’exacerbe non le désir d’être entendu mais le besoin d’une réaction. Que serait un monde où tout s’indiffère ? Une explosion chaotique, sans centre et sans borne.

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Rappel des quatre peurs : - la peur de l’échec - la peur de manquer de quelque chose - la peur d’être abandonné - la peur de mourir.

Il est envisageable que des êtres à une dimension,

deux dimensions, même des êtres de pure abstraction et pourtant non moins réels, aient présence en ce monde et que leurs influences, volontaires ou non, portent, entre autres, sur nous. Il serait alors d’autant plus intelligible que le flux psycho-mental nous paraisse souvent brisé, interrompu, ou mystérieusement modifié sans cause apparente. Bien sûr, notre connaissance du corps et de ses influences serait le premier domaine à explorer, car le plus proche, seulement il semble manquer d’une part de valeur explicative. Si, en comparant l’homme à l’arbre, il est envisageable d’imaginer un monde sans la vue – et quelles en sont les modalités de conscience ? – il est tout aussi probable qu’il existe des sens supplémentaires aux nôtres et dont nous n’avons pas idée (ou qu’une idée trop floue pour être isolée).

Les pouvoirs magiques, le paradis et l’enfer, pourraient ainsi désigner dans ce même univers l’évolution via un certain mode d’être, notamment déterminé par les sens qui nous

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permettent de les percevoir et donc de s’y mouvoir et changer.

Imaginez qu’au lieu que nos yeux perçoivent les formes et couleurs de la matière, ils perçoivent les sentiments ou les ondes : nos voies et questionnements seraient tout autres !

Mais il n’est pas dit que le but – l’étrange désir de comprendre et d’exister – serait différent.

A l’échelle des particules, chacune de mes

respirations est cataclysme : et qui sait si la part non-maitrisée de mon cerveau n’y participe pas consciemment

Consciemment non pour moi mais pour elle Les personnalités multiples ne sont pas des

dérèglements, mais la règle Et on appelle illuminé celui qui les vit toutes. La table est l’autel quotidien des sacrifices sans grandeur. A l’époque où l’extase est oubli d’oubli déjà oublié, la cruauté est un plaisir sans jouissance. Il ne faudrait pas devenir fou avant d’être assez

intelligent et sage. Il y a une forme d’émotion terrible qui réside dans

un lieu plus profond que le mental mais semble avoir trait à l’esprit. Cette émotion se caractérise par une élévation (sainteté extraite du monde) en

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même temps qu’une angoisse irrationnelle de déstructuration (folie). Ainsi évolue-t-elle entre vie et mort, hors du monde mais dans la vie, hors de la raison mais dans la pensée, hors des sens mais palpable dans le corps tout entier, hors de soi mais dans l’esprit.

L’homme est une horreur de failles. Le plus profond de l’air, l’éther, est un liquide

amniotique, nourricier d’indépendance. Ma mère est dans le mot : j’y retrouve ma vie

première et une nourriture sans chasse ni faim. La tâche du sculpteur est moins de remplir que

d’éroder, moins de donner sa juste forme à la pierre que d’étendre l’air à sa forme parfaite.

Stand-by infini, arrêt, porte close Consignation des référés absents Valse avec le bus, terminus, la mort Chauffeur ! Allez ! Vers les zones !... Quelles sont ces forces qui s’invitent sans prévenir et ces esprits de pleine autorité qui savent faire hiver de tout été ou réveiller d’aurore un long soupir ?

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Silence, enfin… Et la parole montante Jaillit du souffle retrouvé Au coin d’une lampe seule L’étoile écoute Le ventilateur haletant Chanter un souvenir de rivière. Arrêtons-nous un instant !... Entendez-vous, vous aussi, ces fumées qui

grondent ? Ou est-ce moi seulement qui, perdu dans ma

ronde, Voit des ombres danser, et entend Des voix, un chœur brumeux et sourd Lancer des plaques d’égouts son cantique lourd ? Ces morts souterrains qui se plaignent, Se peut-il qu’ils m’atteignent ? Et éteignent mon âme à la noirceur de leur chant ? Et que leur douleur gangrène se mêle à mon sang ? Que dire de ces passants tout proches Qui vont, qui viennent et qui brillent ? Est-ce que leur cœur est de roche ? Est-ce ma raison qui défaille ? Les yeux si grands ouverts, Je m’éblouis d’une flamme, Et ces spectres qui incessamment s’exclament, Qui sait s’ils ne sont pas que des vers ? De solitaires hallucinations mentales D’un poète acharné

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Qui regarde s’incarner Toutes ses humeurs mondiales… Et pourtant je jurerais à m’y pendre Que cette ville est de cendre. Et si je m’accordais maintenant aux hommes en

nombre, Rien ne saurait plus empêcher que je sombre Dans cette folie sans issue qui répète Qu’autant moi que le monde n’ont lieu qu’en ma

tête. A choisir, Je préfère encore penser Que tout l’univers se rêve Dans mon corps et s’achève Sur un bout de papier.

M É M O I R E D E S S U R F A C E S

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Je mettais les deux pieds sur la gouttière et grimpait Sans savoir pourquoi Sinon que les actes étaient des mots. A quel point l’intention s’incorpore ? L’émotion, telle une onde persistante, peut-elle

s’installer dans les murs ? Hypothèse : la conscience individuelle n’est qu’une

partie fractale d’une conscience multiple. Fait : ce matin, dans le bus, j’ai rencontré mon

oncle posthume. Si nous devons bien admettre que notre seul pilier

est le présent, notre seule espérance l’instant qui jaillit ; alors il n’existe d’obstacle que dans l’habitude de la peur qui nous pousse à croire que tout n’a pas changé.

C’est l’habitude prise de vouloir revivre certains de

nos souvenirs qui, tel un penchant malsain, s’éveille contre notre désir et notre volonté, et fait surgir l’agacement du déjà vu. C’est ainsi que l’homme nostalgique devient mélancolique, nécessairement, car dirigeant ses espoirs vers le passé, il ne fait plus présentement que le voir, dans une continuelle répétition.

Mais d’où vient que ce genre d’obsession s’achève ? Qu’à terme elle se résolve en leur

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contraire (en l’occurrence dans l’émerveillement du pur nouveau) ?

Renouveau plutôt que nouveau, devrait-on dire, parce qu’il semble intimement se repéter.

L’automne est la saison de la mémoire Commune préparation au lent surgissement de la

mort Pressentiment global C’est l’instant dont nous refusons la parole qui

rappelle : « je ne fais jamais que cela et en même temps de renaitre ». Avançons d’erreur en erreur jusqu’au but final qui

est le cul-de-sac : le point de transfert vers d’autres vérités.

L’art de la morale, c’est l’expérience. Ni fuir, ni chercher, rester à bonne distance de soi,

pour ne pas se juger de trop haut et ne pas s’engouffrer de trop près. Penser la politique en sculpteur, par l’utilisation de

la critique négative, pour enlever la matière débordante et sans intérêt. Axer l’acte négatif de destruction vers une construction positive du « restant ».

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L’illusion ne contredit pas l’essence. Je suis un voyageur sédentarisé par le poids de

responsabilités sans désirs. L’amour a ses dangers télépathiques Cette confusion des sentiments c'est aussi la confusion des êtres Chaque émotion transperce de l’un à l’autre corps Ce sont des corps étrangers qui se rappellent à leur

étrangeté Qui es-tu ? toi ? l’autre ? dans lequel j’ai fondu et

qui s’est fondu en moi ? Comment reprendrais-je équilibre à tes

gesticulations que je ne contrôle pas ? Les messages ne font plus que ressasser qu’ils ne

parlent qu’aux âmes solitaires Dans le silence des chambres, j’entends ton souffle

capter les battements de mon cœur Les deux bateaux se sont ancrés ensemble Quand l’un coule l’autre sombre sans secours Les flancs sont soudés C’est une folie banale et sans éclair une folie de possessions successives une colonisation mentale par l’être aimé et de l’être aimé Y a-t-il un moyen d’agrandir un pays sans qu’il se mette à tant peser de peuples qu’il s’écroule sous son propre poids ?

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Pendant la danse, les bras s’emmêlent et s’accrochent

Nous nous obligeons seulement à la proximité L’ampleur des gestes s’en trouve étriqué à deux déjà c’est un groupe tout groupe est indécis tout groupe est foyer d’asservissements

frustrés et de responsabilités inertes ne rien faire ne rien dire ne rien penser est la première voie des chefs d’armée ou alors frapper en despote imposer la volonté sur la chair morte des commandés Le commun : le commun efface le particulier De toi et moi, il n’y a plus que les terres où ils se touchent Le seulement moi et le seulement toi sont des bêtes qui nous contredisent Le seulement nous est une bête qui contredit chacun de nous Alors l’âme est scindée : polaire tombant vers le pôle équateur l’équation, l’égalité l’inéquation refuse le jeu purement inverse Comme nos deux sexes l’un à côté de l’autre se résorbent à s’unir ou à se refuser

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Ils ne peuvent plus simplement s’absenter Comme nos lèvres se résorbent à s’unir ou à se rejeter Sans possibilité d’entre-deux Au programme c’est d’inverser les pôles Au jeu de go la périphérie est au centre idem nos différences au centre et les similitudes en marge Car nous souffrons du miroir incomplet qui nous trahit Nous n’avons pas besoin de miroir mais bien plutôt du rêve qui ouvre l’œil par l’intérieur sur l’intérieur Le rêve de soi a quelque chose d’une douleur non

partageable Elle s’évoque à peine se montre par cachettes et sémaphores Symbolisation temporaire d'un joyau informe Photographie intermédiaire d'une sculpture changeante Energie positive ou négative peu importe Tant que l’espace est disponible à sa

métamorphose à son cycle de soleil et de pluie Parfois il faut que sur la lune l'âme puisse regarder le soleil en face

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Parole est soleil, présence est soleil, écoute est soleil

Lune est pensée, lune est absence, lune est silence Lorsqu’une image est brouillée, elle se vexe Et les personnages des profondeurs s'agacent et se taisent Il est des amis spirituels qui doivent se confier et auxquels on se confie ils exigent le tête-à-tête avant que je te raconte leurs humeurs L’enfant doit s’exercer pour se préparer à éclore Les démons ont besoin d’intimité pour s’assagir pour se regarder avec douceur et se pardonner leur violence Tous les empires ont sombrés écrasés par leurs murs et cette famille à laquelle ils devaient tout justifier cette famille qui effaçait leur prénom autant que leur envie d’être eux-mêmes, eux-mêmes cet autre qui les regarde. L’espoir est la corde par laquelle l’homme s’oblige

aux regrets. Si les murs étaient creux, toutes les portes seraient

des ponts. Trouvons sans croire avoir trouvé. Gagnons sans croire avoir gagné. Combattons sans croire au combat.

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Et soutenus par les forces mystiques de l’impénétrable cœur du monde, faisons comme si nous étions ce cœur : inconscients de notre pleine conscience, cela veut aussi dire conscients de notre pleine inconscience. Car connaissance, force et avis ne servent à rien.

Nous avançons la pluie calée sous les os. Initiations et chamanismes : il semble que c’est par

la déchéance de nous-mêmes que peut s’extraire plus facilement nos sincérités et vérités primordiales.

Là où la fin devrait tailler l’outil convenable, l’outil,

tel un esclave face à son maître, finit par déterminer les fins possibles.

Tout comme l’idée de réalité engendre celle

d’utopie, la raison des mots trahit la folie de leur signification.

Qu’est-ce donc qu’une vie dont la liberté ne peut

pas s’inscrire, dont les illuminations sont condamnées à rester virtuelles ?

Dès l’apparition de ta clairvoyance, agit ! Ainsi vont les cascades et les élévations, toujours de

plus en plus hautes, et toujours de plus en plus intenses, sans repère formel, juste évaluant les distances parcourues et parfois se croyant en

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plein enfer à l’endroit même où hier s’érigeait le paradis.

Sujet qui défaille En face de ses propres fautes (d’orthographe) Sujet qui trouve toujours un sens à la continuité de

ses erreurs L’écrivain dit chercher les mots qu’il lui faut Mensonge : il cherche la vie, comme tout le monde Ceci n’est pas un répertoire ni un journal Mais une stylisation folle de l’existence Existence sans rocher qui débute en tâtant

l’atmosphère Cherchant non l’équilibre mais le rythme des extrêmes Je dépasserais l’envie de ne plus être. Par mille chemins et mille éclipses alternent le

soleil et la lune pour trouver dans l’égarement la forme du crépuscule.

On ne voit jamais mieux la lumière que dans les

ténèbres. Ebloui de lumière, on ne voit pas les ténèbres surgir.

Etrange que l’heure de notre plus profond aveuglement soit le crépuscule du soir, quand la lumière est assagie d’ombre, équilibrée.

Le vice n’a rien à voir avec quelque morale, il n’est

qu’un tourment qui nous lasse d’essayer encore.

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En face, la bonté est indécelable : car on ne distingue jamais vraiment le courage de l’inconscience, la foi de la folie.

Pendant ce temps, il y a des vies qui courent. Quelle est cette civilisation qui ne parle plus qu’aux

abstractions, et engendre des hommes abstraits ? Mutation des substances énergétiques : la

structuration des flux ayant été modifiée si rapidement, mes sensations mentales se confrontent à des états incongrus. Le rythme et le contenu des expériences a changé d’élément, passant de l’eau au feu.

Les repères sont en réorganisation de leurs échanges.

Ce qui est ici le plus dérangeant est de devoir défiler la toile de mes attentes passée – elles qui avaient été construites pour un autre moi-même.

J’écris pour découvrir ce que je pense. C’est une sensation d’urgence qui électrise et

disperse, La chaleur d’une âme aimée me questionne sur

comment j’aime

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R E N C O N T R E D E S L U N E S

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Il y a l’amour, le désir de toucher, le désir de posséder et la peur de perdre

Perdre quoi ? L’innocence qui déjà se consume à travers

quelques mots non prononcés Au premier plan il y a un choix d’extrêmes

décisions fantasmées Au fond il y a une manière de se pétrir sans

s’enchaîner, sans s’offrir à l’inquiétude Quand le corps, le mental et le cœur

s’entrechoquent, choisir c’est tomber, quand il faudrait rétablir l’unité

Tous ces temps inféconds me transpercent Je t’aime avec ta beauté, mon délire et la foi de

t’aimer vraiment sans pencher J’ai cœur à ajouter ton nom sur mon tableau

d’existence sans en rayer aucun autre et sans rayer ma fidélité à la confiance Je ne veux pas me choisir un pays mais intégrer le monde Je veux tes caresses sans concurrence ni exclusion Je veux aimer sans haïr, accepter sans rejet, d'une mosaïque où rouge, bleu et jaune multipliant les couleurs. Peut-on allier deux amours ? Qu’on le puisse ou non, on le doit, car l’amour est

unique au creux de l’âme qui s’éclaire.

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L’amour est une drogue à forte accoutumance. Ainsi commençons-nous toujours par en jouir, Finissons-nous toujours par en manquer. Je t’aime sans espoir, sans manque et sans

possession – Pur désir embrassant l’impossible – Tel un homme du désert qui, une fois, une seule a eu joie de goûter au poisson. Cette soif de toi me désaltère autant que ton eau Comme si ton idéal me nourrissait d’une faim

douce, vivante et rêveuse. Ô femme Tes cent visages et mes innombrables angoisses ne

me trompent plus C’est à toi que je dois la première découverte : que je suis capable d’enfanter des mondes Et je vole désormais avec du bleu dans les ailes. Ta présence m’a rendu présent Alors, en ton absence, j’ai préféré conserver ton

illusoire présence en mon cœur que de retrouver la folie douloureuse du souvenir et du manque.

Ainsi je comprenais la sage passion de ces veuves à dire que leur mari défunt les accompagne partout.

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J’admirais ta paix inquiète, Tu admirais ma guerre tranquille. Ou bien était-ce l’inverse, Deux équilibres qui se bercent. Il n’y a que la femme D’abord celle extérieure – qui m’a fait découvrir celle intérieure. Celle en moi, quand je l’eus reconnue, A su me faire voir la beauté ; Et lire dans les paroles toutes leurs rêveries

d’écoute ; Et sentir dans les gestes tout leur désir d’être

embrassés. J’ai tant aimé ton refus, car il m’appelait à

l’insistance. Si tu avais changé d’avis, je n’aurais eu que le quart

de l’accord que ton refus m’as donné. Mon refus fut tout semblable : si plein

d’acceptation. Nous avions alors dit tous nos désirs, il n’y en avait

qu’un : désires-moi ! Il se réalisait en l’un en même temps qu’il refusait de s’assouvir en l’autre

et ainsi chacun de ces deux désirs s’assouvissait en refusant de réaliser l’autre.

La volupté était irréelle, et pourtant plus puissante et plus vraie.

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Si en dessinant mal un arbre, je peins un oiseau, Qui de ma vue ou de ma main s’est trompée ? Dans le désir qui ne cherche plus à s’assouvir,

refusant la jouissance qui représente son achèvement, ce désir se maintient dans le désir de vivre, de se perpétuer, de désirer ; désir non dirigé vers la jouissance mais qui jouit simplement de désirer.

Transmutation des contraires. L’instant qui passe n’est un regret que par l’oubli

de l’instant qui vient. A. – Je crois être en face d’une déesse. Tu es une

déesse. Oh oui je t’idéalise, mais que je l’aime ce parfum, qui sûrement est en moi, et qui couvre mes yeux à ta vue. D’où vient que ton image appelle mon plus grand rêve ? Quand bien même l’erreur, le faux, l’imaginaire, s’il s’allie à la plus grande volupté, au plus grand plaisir, à la plus grande joie, à l’émerveillement et à l’extrême bonheur.

T. – Seule chose à prendre garde : tu pourrais bien me posséder, me convaincre, me marier, m’asservir, tu n’aurais que le support et tu verrais peu à peu disparaitre à ta certitude la profonde lueur qui t’attire, car celle-ci se trouve en réalité au creux le plus secret de ton âme.

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A la recherche perpétuelle de lumière Impossible de fixer le soleil Et rien ne sert de s’approprier la lune : Aucun visage ne se pêche dans les miroirs. Qui donc fut ma nourrice lorsque ma mère m’eut

quitté six mois d’enfance ? Qui donc fut-elle cette femme pour qu’aujourd’hui encore je sente le même désir double de la maison maternelle et d’un refuge d’exil ? Chacun de mes mariages est mon pays et ma sécheresse, chacune des femmes qui m’aiment est une source, et ma traitrise…

Je refermais mon livre juste assez Pour y créer une ténèbre vers sa trame Et j’y aperçus, stupéfait, un trait de lumière Comme celle d’une porte vers une pièce claire Ou vers un monde nouveau. Je crois tomber Comme le sang afflue vers ma tête Mes entrailles me lèvent le cœur A trop plein de pensées. Le temps aussi se respecte : pas d’inquiétude. Les hommes s’échangent leurs folies Comme des tournures de phrases pour poétiser la

vie Et tant que la vérité ne saura avoir qu’un angle

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pour décrire la sphère du monde Elle ne pourra être dite qu’avec des marges

d’erreur Alliées à la sincérité, elles sont les marges de notre

liberté En regardant les cœurs, on entend dans l’absurde plus de beauté que dans la plus élevée certitude L’éblouissement est la part la plus vivante de

l’illumination Tant que l’on peut encore apprécier ses zones

d’aveuglement Nous échangeons fleurs et poisons Ne trions pas le blé de l’ivraie Les épines aussi ont de doux parfums Pour seule médecine : la poésie. Elle est faite

d’actes et d’instants, de pensées et d’émotions. Les mots n’en sont que la trace, la photographie, le souvenir.

A nous d’apprendre par quel côté chaque chose est

merveilleuse. L’ivresse : l’alliance du feu et l’eau fait un explosif

d’alcool nous répandant à l’horizon c’est notre altitude qui se fait instable Conseil d’un sage : c’est avant d’atterrir qu’il faut

dépressuriser sa capsule.

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Arbres, vous êtes l’ombre qui rafraichit mes soleils Pour vous honorer, je fleurirais au pied de vos

troncs. J’aime à me bercer d’illusions : berceau de poète navire de rêveur tendre rivière qui m’achemine enfant vers des destins de pharaon. Les arbres murmurent au chant des hirondelles Le songe qu’une lune trop pleine A chassé de la nuit Eveil en miroir de mon cœur et du monde J’étends sur la ville mes ailes fatiguées Parcourant les brumes du matin silencieux. Ce jour qui se lève Sur mes souffles éprouvés Dans des rêves sans repos Se lève nu de promesses Blanchi par le vent. Ô éblouissante aurore Qui force mon âme à faiblir Ton soleil me dilue Et je me baigne dans ton ventre Dans l’eau noire de ton jour qui porte sur ses paupières le fardeau des nuits blanches.

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Ô nature d’été qui redouble d’étincelles Dis-moi ton secret : Comment s’allonger sur des souvenirs de pierre ? Comment s’endormir dans un ciel si clair ? Mon être se déploie dans l’horizon de ton regard infini. J’y admire le monde m’admirant. Merveille d’une fleur rassurée qui montre à mon âme le courage de s’ouvrir aux naissances. Elle me prend la main, elle me raccompagne, dans l’océan des paroles incarnées. Le poète ne cherche à dire que les innombrables

continents par lesquels un brin d’herbe le parcoure.

Ses cheveux sont la preuve des forêts de poèmes que toute graine contient.

Le philosophe dirait que toute possibilité aperçue est une réalité tangible.

Nous explorons des mondes ouverts avec les lunettes de nos clôtures.

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Je me suis laissé prendre aux filets de la lune à la douleur de son empire qui scrute inquisiteur dans la caverne de mon âme Qui ne fait que montrer du doigt, en silence, les objets plaqués à l’ombre de mes hontes. Ô toi ma bien-aimée Quelle grandeur, quelle force et quelle clémence dois-tu avoir Pour te laisser subir tel un astre Les projections malaisées de mes délires coupables Toi qui moi-même n’en comprend que les phrases Quand la chimie spirituelle passe par une frénésie

de couloirs une accélération d’images Quand le soi bouillonne et que chaque bulle est un

visage un des visages de soi Quand chaque visage dessine au trait fin, plein,

tranchant ce grand visage uni par le trouble qui seul peut être mien qui seul peut être à ma mesure : libre et infini : inachevé Mauvais portrait d’une lune trop pleine : c'était ça le trait trop brut et violent

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le geste hésitant insatisfait allant de retours en ratures secoué par le mental par le flux torrentiel de mots, d’images, d’émotions et de pensées devenues magma instable et crépitant je voguais hébété sur une houle sans rythme multiplié de miroirs se dédoublant, se dédoublant, se dédoublant pris dans le vertige d’une réaction en chaine qui dans le chaos couvait un ordre impossiblement là. Le jour n’est qu’une nuit sans lune La nuit n’est qu’un jour sans soleil. Je veux mon chemin aussi large que la forêt qu’il

parcoure Sans y couper aucun arbre Ni n’y connaitre aucun obstacle. Je désire t’embrasser mais je dois désormais mêler la sincérité au

respect Je t’admire Point tant ta beauté – elle aussi mais elle sonne

trop statique et univoque, trop harmonieusement figée pour qui tu es

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J’admire le mouvement et le scintillement de tes mille facettes

J’admire le jeu et la danse de tous tes points d’ombre et de tous tes points de lumière Admirant en toi cet ensemble fugace que je ne peux que pressentir en moi. Je crois que je ne sais rien Je sais que je crois tout. On ne met pas de l’eau pour assagir un feu. On y place les buches à pas de ruisseau. Je n’ai pas eu le temps de calmer mes eaux avant la marée, Alors la lune m’a surpris de tempête. Les pages sont comblées de verbes amoureux. L’amour de sa famille, de son village, de sa région,

de sa nation ou de l’humanité, ne fait que transformer le courage d’être un homme en fierté d’être soi, et le bonheur d’être au monde en plaisir d’être ici. Considérer l’importance de nos appartenances, ce n’est qu’appartenir à l’importance ; c’est encore se définir, c’est-à-dire se tronquer à biseau d’illusions trop réelles. Que je périsse si l’âme a des frontières, qu’on me tue si j’atteins l’horizon ! Et si on me donne un nom,

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un visage, un groupe, un objet, quoique ce soit qui ne soit pas tout, alors je serais perdu dans cette prison sans ampleur qui s’appelle « un peu moins que l’univers ». La communion la plus infime ne peut se faire que parce que, de la poussière à l’étoile, il n’y a qu’une seule personne, dont la schizophrénie a commencé lorsqu’elle s’est crue autre que le Néant. Mais le Tout n’est qu’un amas de riens dont les différences sont absolument identiques.

Une certitude, c’est la torture d’un rêve. Je baigne dans une fatigue sans contraire pour la

meurtrir. J’écris pour être sûr que les choses n’ont pas qu’un

sens. Si tu l’acceptes, tu seras la muse vers laquelle je

cours perpétuellement, Plutôt que l’amante que je fuis sans cesse. Quand ta détresse s’enroule dans les draps de mon

espérance Je revois la promesse que l’avenir a tue. Le soleil de la vie dresse des arbres improbables des branches aux nœuds de récompense.

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Le repos est un pardon d’être. Poursuivant une paranoïa inversée Je crois que le monde conspire à mon bonheur. Rencontrant ta voix Je suivis son chant Et découvris qu’à l’intérieur, nous n’avons que des

continents partagés. L’amour, c’est ne rien avoir en soi qui ne soit

commun, c'est sentir que tout ce qui se passe en soi a lieu autre part. Je remercie la soif d’avoir engendré l’eau.

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D O U L E U R C O M P A G N O N

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Je souris à ma douleur comme à l’orage qui rafraichit les champs.

Nos humeurs sont les respirations d’un jardin et dans nos souffles, les quatre saisons se passent

le vin. Je viens boire à ta fontaine le plaisir de contempler une beauté inaccessible. Tu as mis tes cœurs sur le dos de ma main pour que je ne puisse pas les attraper. Rien ne sert d’interdire ce qui est inconnu. Ce n’est pas en interdisant le loup qu’on interdit la

peur. La douleur est un rappel à la terre. Le souvenir est le secret de ce qui nous attend plutôt que le regret de ce qui a fui, car rien ne disparait. Tout comme l’étoile, apparemment morte, se perpétue infiniment dans sa lumière. Pourquoi dénigrer les chutes ? Pourquoi louer l’élévation ? Elles sont toutes deux, au fond, rien que

déplacements.

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Seules nos lunettes ont des zones d’ombre Satan lui-même est l’ombre d’une trace. Prendre soin de son véhicule N’exige pas de craindre la mort à chaque virage, Car c’est la pensée de la mort – et sa crainte – qui

est mortifère. Ne considère pas ta maladie comme un plus ou

comme un moins, Elle n’est qu’un autre état, Et tout handicap est une béquille pour l’âme. L’idéal, en tant qu’illusion, doit être reconnu

comme tel pour que sa clef puisse ouvrir la juste porte dans le labyrinthe de nos âmes.

Le drame du monde, c’est que nous croyons ne

pas vivre le même. Nos existences ne sont constituées que de passages Et acceptant d’aller de passages en passages Nous atteignons notre but Inéluctablement. Mes pensées virevoltent trop haut pour ma tête. Affilié à la lune, mon lit se retourne à chaque inversion des pôles.

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La pensée est corrosive, elle finit toujours par détruire ce qu’elle pense.

Alors ne pense pas trop longtemps à ce qui t’es cher, tu risquerais de ne plus le sentir.

Le bien, c’est de savoir conserver l’oubli du mal. Kali, déesse noire, déesse du temps, veut dire que

dans son obscurité elle peut recréer ta mémoire en déplaçant tes souvenirs, et ainsi changer ton être, tel le peintre qui par une configuration nouvelle des mêmes couleurs transforme le chaos en harmonie.

Nos abîmes sont plantées dans nos chairs. Rien ne sert d’y entrer si on ne sait en sortir, Et pourtant y entrer est nécessaire. Même les rues de mon enfance ont disparu, toutes mes racines creusent en mon cœur. Il ne me reste plus qu’une peur à éradiquer, celle d’avoir encore peur. Sa solution : le présent pur. Même l’éternel doit finir. Pour trouver le vent favorable, il suffit d’ouvrir les

fenêtres.

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Mes rêveries m’émerveillent, tel un puits d’où jaillit l’oiseau de mon reflet.

Maintenant que j’ai la souffrance, je n’ai plus besoin de l’alcool : je vis avec un obstacle toujours visible à dépasser. En un seul paysage se découvre mille aubes aux

visages de gloire. Il faut avoir de la force pour forcer la souffrance à

faiblir, tel un roseau dans les courants insatiables.

Ne te dérange pas, tu m’entraines à être. Ce qui fait peur en les autres n’est que le souvenir

qu’on a d’eux ; alors ne laisse pas une trace. Le présent est le dessin de la mémoire, à pinceaux de souvenirs inachevés. Le mystère n’a pas besoin d’être expliqué, il ne

demande qu’à être vécu. Rose qui s’offre aux yeux aveugles qui osent

embrasser leur cécité. Notre plus grande faiblesse est d’oublier la

souffrance.

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Les plus beaux jours se lèvent avec un point dans les côtes. Le corps des jours est parsemé de fruits mûrs car, sous la terre, une forêt de songes l’ensemence. Lorsque tu dors, ton humeur enveloppe les murs. Décharge-toi des choses que tu as à faire Pour faire pleinement ce que tu fais déjà. Tu cherches comment servir au monde ? Comme si tu ne servais pas déjà… Nous attendons à la table que le maitre parle, mais le cours que donne la vie n’est fait que d’infinis silences. Pourquoi as-tu les serpents qui dansent ? L’emprisonnement est une punition collective : car l’homme est un être social et d’amour, ce

sont aussi ses proches, sa famille, ses amis, qui se voient emprisonner une partie de leur existence.

Nos mutations sont monstrueuses tel ce sang qui se meurtrit pour durcir nos plaies ou ces os calcifiés de régénération, nos mutations forcent celles d’autres être connexes.

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Il y a une femme qui contrôle, elle est à l’opposé de toi Il y en a une seconde qui t’accompagne, elle ne va que dans l’autre direction. Comment éradiquer l’envie d’être aimé ? Ce désir incessant de séduire et d’être séduit Chercher à être aimé, c’est créer le point de

comparaison : la soupesée de l’amour. Puise à fond de rêverie de quoi rejoindre ton cœur. Tous nos systèmes sont des systèmes de concours. Il n’existe pas d’examens. Nos réussites sont toujours mises par rapport à. Nous avons pris la relativité à l’envers : nous ne disons pas : il n’y a pas de barrière ; nous disons : la barrière change. La barrière reste. Trop avide de vie, le vampire croit boire du sang par nécessité. Peut-être des morts temporaires sont salutaires. L’air ne laisse pas seulement passer la couleur,

passivement, neutralement, L’air porte la couleur, la lumière, comme sa

substance,

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Il faut répéter que la transparence est pleine, qu’elle est quelque chose.

Le problème est dans la solution. La solitude est le moment subtil par lequel les

choses nous pénètrent, Comme la chouette, grands yeux déployés, laisse

s’y aspirer la nuit. La nature n’est pas séparée, mais le terreau interne sur lequel se fonde nos idéaux. Dieu n’est que le saut qui nous a fait voir un désert de sable en contemplant de l’eau. Avancer en laissant venir. La perfection, c’est le meilleur moins quelque

chose, c’est le deuxième, humble majesté. Utopie d’une société allant vers le second. Le rêve est un souvenir espéré. Les hommes ont quatre ailes : leurs cils sur les

paupières sont comme les veines des plumes d’oiseau ; ainsi volons-nous par les yeux.

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Ne grandit pas trop vite, tu risquerais de tomber à la première tempête, car le grand est fragile, le petit est stable. Le futur est le contraire de la nature, l'espoir le contraire du passé, et la survie – non la mort – le contraire de la vie. La chance est un détour qui se transforme en

raccourci. L’unité est un diamant aux innombrables facettes. A la communauté des semblables, je préfère l’unité

des dissemblables. Donne à tout acte sa signification, qu'importe qu’elle soit réelle ou imaginaire, tant que tu la ressens : car re-sentir, c’est redonner du sens.

L É V I T A T I O N S O R G U E I L L E U S E S

L E Ç O N S E R R O N N É E S

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Le contrôle est l’éducation forcée d’un homme ou d’un peuple à une règle morale fondée sur la peur et la responsabilité générale – le devoir envers autrui. Peut-être le fascisme commence-t-il ainsi : par le port du fardeau exemplaire de la société, posée toute entière sur les épaules de chaque homme ; et par cette phrase : « si tout le monde agissait ainsi… », quand bien même tout le monde n’agit pas ainsi.

Le si est l’erreur fondamentale, la gangrène de la

virtualité, tout comme est absurde d’essayer, au lieu de faire ou d’échouer.

Le voyage est un songe dur, extérieur, réel, par

lequel nous éprouvons le retour de l’âme au corps.

En nous y dissolvant sans contracture, nous apprenons à être dans la véritable et totale étrangeté du monde : ramenant à soi l’inconnu.

Voyager donne des raisons supplémentaires d’être

en soi, par soi, chez soi, partout. Toutes nos erreurs, nos confusions, nos déceptions

et nos misères tendent, à terme, à se joindre en un seul grand miracle : tel un millier d’averses forment la mer.

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A travers la rectitude morale se ferment les yeux du cœur.

Marie-Madeleine : tes cheveux furent un bonheur ni prude, ni séducteur.

Les voyages sont uniquement intérieurs,

émanations de reliques oubliées et excavations de recoins inexplorés : tout cela n’a que peu à voir avec l’époque et l’espace, ni même avec la culture, car nous ne trouvons en la culture étrangère d’étonnant ou d’instructif que le reflet qu’elle stimule en nous, la part excitée de notre diamant.

Jamais aucune vérité ne fut trouvée autre part que

dans nos tréfonds. L’objectivité est un leurre. Ce qui effraie le plus un mouton, c’est la liberté. L’apparence rend aveugle, seul l’œil clos voit. Le feu est du bois qui danse sa nouvelle vie

germant. A quoi bon chanter ici Sous l’œil médisant d’Espagne Qui juge l’homme à l’habit Ne parle qu’aux charlemagnes Recule devant l’Arabie Ne pardonne pas le bagne

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Dimanche à charité prie Lundi de misères s’épargne Les gens le toisent et sourcillent Lui qui revient des montagnes Son allure de Jésus-Christ Lui fait mauvaise campagne De la terre plein les pupilles De l’herbe en gras sur son pagne Qu’importe ces malins esprits ! Il a son cœur pour compagne. La logique est la construction mentale d’un

raisonnement du sens commun, attribuable à d’autres imaginaires et totalisés en fausse cohérence communautaire. Ainsi, la compréhension de l’autre, de sa pensée, est antonyme de l’empathie, laquelle est compassion, ressentie et non pensée, plus intuitive qu’analytique.

Il suffit d’une goutte de citron pour cailler un plein

pot de lait. A proximité du puig des Quatre Thermes se

trouvent les poteaux reliques d’une frontière qui voulait se matérialiser, travaux de forçats, car ce sont encore et toujours des prisonniers qui bâtissent les prisons de leurs prochains. Pour enfermer deux peuples dans les barrières de

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leurs nations, il faut d’abord emprisonner puis exploiter des milliers d’anarchistes. Ainsi la criminalité sert d’abord au pouvoir.

Le temps est secondaire. Qu’il te faille un jour,

neuf mois ou cent ans, tant que l’enfant est né. Il n’y a pas d’erreur, tous les chemins mènent là où

on sera. Avant de pouvoir descendre paisiblement la

montagne et apprécier la vue, il faudra bien que tu montes, c’est pourquoi il te faut apprendre la persévérance. Mais certaines routes sont longues et pénibles, quand d’autres sont courtes et paisibles, c’est pourquoi tu dois utiliser ton instinct.

Alliant intuition et persévérance, tu trouveras la voie.

Midi, miedo es medio, faire peur est un moyen. Au sud, il faut repousser la chaleur qui vient. Trouve le couloir qui relie ton passé à ton avenir ; alors le présent t’appartiendra sans faille. La musique n’aurait jamais dû devenir un spectacle

programmé : comment pourrait-elle ainsi parler au cœur de l’inattendue mélodie des hommes et des choses ?

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Analyse tes fluctuations mentales comme tu analyserais ce que tu as écrit : non pour les corriger mais pour en déceler les courants, biais, penchants, vents contraires ou ascendants, etc. Alors seulement tu sauras naviguer hors de la peur sur la mer houleuse de tes sentiments incontrôlables.

Où tu es ? Toujours à mi-chemin d’où tu viens et

d’où tu seras. D’où tu viens ? Tu le sais sans l’avouer. Où tu seras ? Dans l’horizon de qui tu peux. Apprendre, c’est ne pas prendre les choses, mais

les laisser où elles sont. Du noir océan surgissent les fantômes qui

t’obnubilent, remarque-les mais ne t’y attache pas ;

tel Ulysse face aux sirènes, enchaine-toi à ton mat, ton axe de navigation.

Souviens-toi de l’alternance des lunes, alors tu

n’accorderas pas trop d’importance à l’ombre ni à la lumière : tu observeras le jour, tu méditeras la nuit et te trouveras, toi, au crépuscule.

Les saisons font un labyrinthe circulaire au travers duquel tu es récurremment confronté aux mêmes monstres, nymphes, gouffres et

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épiphanes. Chaque fois, l’année t’a changé ; chaque fois tu redécouvres vivant ce qui avait sommeillé sous ton sol, bons ou mauvais esprits. Peu à peu, tu apprends à les reconnaitre, même tu les attends. Mais ne prévois rien d’autre que l’arme unique du pur présent et ta profondeur, le reste viendra sans invocation. Le passé et l’avenir surgissent toujours à l’heure opportune.

La civilisation est un entrainement à l’indifférence,

la campagne une dangereuse resensibilisation. Etre solitaire est un lâche abandon, un refus durci. La solitude n’est que la fleur douloureuse des

séparations, momentanée. Mais être seul, c’est ce qu’il faut apprendre ; Apprendre à trouver la joie n’importe où ; Apprendre à se faire compagnon de soi-même ; Car soi-même est un fidèle étranger. N’ai pas peur du dangereux, de la décision aux

conséquences possiblement permanentes, car tout est irréversible :

Aucune erreur ne se répare ; Aucun plaisir ne se retrouve ; Aucune altitude n’est éternelle ; Toutes les montagnes s’érodent vers la plaine ; Tous les gouffres se comblent de sable ; Les puits s’assèchent, les sources tarissent,

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Et les déserts fleurissent, au terme de leur expansion, inspirant de nouveaux océans et des pluies improbables.

Faveur des nuits sans lune d’empêcher mes yeux de voir et que dans les forêts si noires l’intérieur enfin s’allume lueur infime d’une faible flamme qui luit fragile au fond de l’âme lampe d’huile jamais éteinte dont facilement s’oublie l’étreinte il suffit d’un peu de clarté pour écarter ta majesté et croire beau ce qui s’orgueille mais la beauté se montre au deuil des actes espérants. Refuse à chaque chose, chaque évènement, chaque

force qui surgit, de te dicter, mais dicte-la au contraire selon ton centre et ta direction, tournant intelligemment tes voiles sans changer de cap.

Invoquer, ce n’est pas laisser un esprit parler par

soi, se faire son instrument ; c’est au contraire imprimer sur l’extérieur, par sa voix, la vérité aphone qui gît en nous.

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Maïeutique, technique de démonstration par l’absurde de l’absurde pensée. Néanmoins semble rester quelques ineffables sédiments que l’acide ne parvient pas à détruire. Vérité par réduction. Atteinte de la ligne pure, vérité antérieure à la capacité analytique des mots, insoumise à critique et donc d’autant plus suspecte, digne de suspicion.

Le bon sens est suspect d’invincibilité, quand le

sens commun n’est qu’un mensonge de polichinelle.

Pensée par saut de puce qui s’affranchit des fausses

barrières. A la fin ne reste rien que la certitude de ne pas

comprendre. Dirigé par le leitmotiv d’un ciel heureux, le peintre

pèse pinceaux et pigments à la mesure de ses possibilités : un cadre minuscule harmonisé de couleurs ; il n’aura plus qu’à approcher ses yeux de la toile pour en faire toute sa vision, tout son ciel, tout son horizon, sa profondeur.

Tu dois retrouver le fil, celui qui lie tout ton passé

à maintenant, et même plus encore, tendre les cordes de l’arc droit vers ta cible. Mais avant cela, lave tes mains et ton esprit : ne laisse pas

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d’autres images anciennes dessiner ton visage, car ton visage est chaque fois celui du paysage qui te contemple, et ton regard celui de l’autre qui te rencontre.

Toi qui n’attends rien, ne te blesse pas des mots

des amis qui t’attendent. Juge à la mesure de tes insomnies la noirceur de

l’assassin qui pleure. Vole, principalement. Face à la tempête, les innocents portent le fardeau

des coupables, les coupables la légèreté des innocents.

La vérité est un diamant à mille facettes, qui n’en

dit qu’une se trompe. S’il n’y a pas de jour sans soleil, il n’y a pas de nuit

sans lune. Elle aussi se couche. Alliée téméraire, amoureuse, recevant avant de

donner, s’effaçant sans orgueil et sans dégradé. Elle fait son office fidèle au milieu des ténèbres

comme en pleine lumière. Insouciante des reconnaissances. Voyageuse à la marche éternelle, ermite sillonnant

au milieu des vivants, toujours lanterne allumée

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et joue blafarde, sauf quelques jours de morts rituelles.

Par la lune, tu embarqueras pour le chemin le plus

long vers le soleil, à la fraicheur des vents d’automne.

Le sommeil, comme l’inexistence, n’a pas de

douleur ; seules en ont la naissance et la mort : ces deux pôles qui agitent la vie.

Quoiqu’en disent les prophètes,

« pourquoi » ne gît qu’ici-bas. Pourquoi ? Aucune raison de plus que poésie. Au matin, la nuit survit dans l’ombre, le plat laisse

place à la profondeur des contrastes saillants, l’humeur brumeuse s’évertue ou s’exténue à s’élever vers un soleil trop blanc pour être rejoint, il blesse par sa distance et sa hauteur qui ne peut être atteinte. Son calme, son insouciance, sa majesté, bien qu’involontaire et sans intention, ne l’empêche pas d’être hautain. Alors l’ombre s’éclaire elle aussi, mais moins, toujours moins, et pour elle ce moins reste un pas assez.

Nuages ! Couvrez la brillance du maitre ! Et

recréez dans le jour la nuit, une nuit grise, mais

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qui comme la nuit noire baigne tout d’incomparable.

Le temps lie les espaces. C’est pourquoi tu dois

quitter le labyrinthe des souvenirs et des projections pour retrouver ce lieu du moment-même.

Ne témoigne pas de ta vie. Existe mais ne fais pas

exister ton existence, ainsi tu ne prendras plus le risque du faux-témoignage.

L’éternel retour est un mythe. Et l’éternel exil ? L’homme est un chien dont le maitre est parti en

vacances en le laissant entre quatre haies, la gamelle pleine et la gueule jouant avec une providentielle bouteille en plastique.

Il est nécessaire d’oublier le destin, la condition, les

liens absolus, en tout la réalité, pour pouvoir espérer être libre, et pour l’être. Aucune des manifestations d’ici-bas ne doit t’attacher.

L’homme crée ses illusions pour palliatif. Le péché originel est la répétition : engendrant la

pensée de l’infini tout comme l’infini mathématique ne se prouve que par récurrence.

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Deux choses subjectivement récurrentes : la naissance et la mort. Tout le reste est divertissement pour notre part spirituelle. N’est-ce pas notre part spirituelle notre part déchue et honteuse ? N’est-ce pas elle qui nous fait considérer les animaux comme vils ? Entends plutôt dans le hurlement du loup le chant d’une vie sans recherche ni promesse.

Ne poursuis rien de plus, mais réduit tes envies, et

tu seras comblé. Un ami, une fleur, un plat, ne complique pas ta

joie. Prends garde aux influences externes, liquéfie-toi

régulièrement au contact des autres, mais pense aussi à te solidifier de solitude : pierre qui ne pâtit pas du mouvement.

Ajoute au froid des formes dures la poésie des

couleurs. Au contraire de l’adage : sois satisfait ! On t’attachera et tu te sentiras attaché. Mais

comme le serpent, ce ne sera pas avec brutalité ni mensonge que tu te délieras, mais avec souplesse et franchise.

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Histoire des religions : tous les chemins mènent à Rome. Quitte les chemins, fais du hors-piste.

Trouve le moyen d’être heureux de ne rien savoir :

l’enfant. Puisque tu ne sais rien, tu ne sais pas non plus ce

dont tu es capable. Ce dont ton semblable a besoin, ce n’est ni de tes

conseils, ni de ton approbation, ni même de ton aide qui l’empêchent. Il a besoin que tu sois tranquille.

Cultive ta souvenance avant tes souvenirs, ton

repos avant tes rêves, ta confiance avant tes projets, tout comme le paysan cultive la terre avant les plantes. Ensuite tu pourras cueillir les fruits pleins et juteux et en apprécier pleinement le jus.

N’ai pas besoin de sûreté pour être sûr : jouis du

hasard. La liberté n’est pas de tout pouvoir faire, mais de

ne rien avoir à faire ; non un pouvoir absolu, mais l’absence de devoir.

Il reste toujours cette envie insatisfaite : vivre plus

intensément. Alors dépense tout ce que tu as

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d’énergie, et même ce que tu n’as pas, à changer de rythme, à décaler l’humeur par les actes, sans leur accorder à eux d’autre importance que ta mutation. Pour bien se mouvoir, il faut de l’espace, du vide. Pure dépense disait Bataille, il voulait aussi dire ne compte pas ton âge ni le reste de tes sous, mais prends tout jusqu’à l’épuisement final consécutif.

Alexandre le Grand, après avoir conquis un empire et découvert les merveilles de l’Orient et de la paix, est mort à trente-deux ans. Exemple supplémentaire de l’incapacité du nombre à rendre la profondeur du vécu.

Il est certain que nous devrions être jaloux des merveilles entrevues par quelques éphémères. Camus voulait voir la vieillesse, non sans raison ; certains la vivent à dix-huit ans.

Vieillesse, jeunesse, il vaudrait mieux les compter à la mesure de notre faim d’être.

L’être est la chimère brillante qui nous tient pour la

survie. Pour amplifier le cercle, deux méthodes non

exclusives : prendre tout, donner tout. Trouve ta latitude entre l’apparence de la fête et le

froid des cœurs sans spectacle.

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Ventre qui boit, yeux voilés, nez de chien, gueule d’oiseau, bras d’automate et jambes atrophiées : l’homme maintenant.

Augmente tes risques, joue toujours double : pour

mieux savoir pourquoi la chute ou l’ascension. Le sage s’enfuit, le diable arrive et Dieu contemple. Produire, chier, semence indéfectible à barioler les

murs. Exister par des matérialisations qui n’auront l’ampleur que d’une poussière ; ou bien s’évertuer à l’âme, se tuer à l’âme, grandir un diamant qui sera ravi par un retour au Grand Tout. Que choisir entre la révolte et l’acceptation ? Lâche acceptation, révolte condamnée. Accepter la révolte, révolter l’acceptable.

Détruis ton corps, la matière, achève ton souffle, le

liant, et garde ce qu’il reste. Nous sommes liés par des extases sans non à des

promesses disparantes. Le soleil resplendit sans rien voir, la lune reçoit sans rien dire. Recherche le verbe, pour concentrer ta mémoire

sur avant ta naissance et entrainer ta vision aux

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profondeurs de l’altitude. Et puis ne recherche plus le verbe, lorsque tu n’auras plus besoin de lui pour perpétuer ton ascension.

Peut-être Job n’a-t-il pas compris que le Mal

n’existe pas, ou plutôt qu’en rien son essence ne se distingue du Bien.

Le Mal est le Bien qui ne s’est pas reconnu. A boire toujours à la même source, l’eau perd son

goût. Nous ne jugeons les autres que sur l’apparence de

leurs actes quand leurs paroles, seules, peuvent en exprimer le cœur.

Vivre, c’est faire confiance à l’erreur, survivre, c’est avoir peur du certain. L’égoïsme, c’est oublier que l’autre a la force qu’il

nous manque pour nous pousser plus haut. Sois sereine comme une plante et pousse vers tes

fleurs. Quand la pensée bat ses ailes de papillon, regarde

le vent passer. Ainsi fume-t-on pour s’évader par les airs.

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Pense, et dépense. Pense avec le cœur Dépense avec tout ce que retient ton ventre. Car jamais plus tu n’auras faim. Ici le ciel semble différent, mais il n’a pas changé, il

est resté le même, différent depuis le départ. Ne pouvant voir le tableau en entier, chaque détail

parait innombrable, alors qu’ils sont tout un dans l’œuvre.

La connaissance, en disant, est le premier

discriminant séparant l’être du non-être. Elle n’accèdera donc à aucun savoir primordial, mais elle en montre la voie : le changement de la vision, et la foi. L’impasse de la science signifie seulement : est réel ce qu’on imagine être réel, ce qu’on imagine être réel est réel.

La maitrise de la vision ne signifie pas la maitrise

de ce qui est vu. Apercevoir quelque chose ne modifie que notre œil, non le contenu de la chose aperçue, ni même sa forme.

Ne te fatigue pas à obtenir de quoi donner, donne

ce que tu as. A te juger, tu ne fais encore que t’admirer. A t’aimer, enfin tu cesses d’être hautain.

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Et tu te laisses bercer par tes sources, chaudes ou fraiches – le torrent qui t’as fait.

L’écriture est une solitude étrange. A mesure

qu’elle parvient à donner profondeur à l’existence, les repères se brouillent. Celui qui écrit divague toujours entre l’ami et le professeur, l’accusé défendant et le témoignant, défendant aussi.

Se confondant avec ces multiples personnages, jouant sur ces multiples scènes, l’ampleur des évènements, des actes, des sentiments et des pensées s’accentue vers une infinité multidimensionnelle.

Est-il le shaman, l’alchimiste actuel, s’adonnant à l’exploration des mondes parallèles par l’ascétisme, l’ivresse, ou diverses mortifications, techniques avérées de transe par lesquelles il obtient ses visions ?

Prisme par lequel la lumière blanche a créé les

couleurs, corps de diamant par lequel les couleurs font un rayon blanc.

Tu te méfies des choses. Tu te méfies de Dieu et de sa part de diable. Tu entends l’appel incessant à la transformation,

mais tu t’exténues à te solidifier, poussé par l’orgueil de ta conservation.

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Egaré, apeuré, enfin tu combats la boue, cet ennemi qui fait dire qu’il ne faut pas s’écarter des chemins.

Ecoute la mélodie des bruits, Aiguise tes instruments, Pense l’unité de tes membres, Ressens l’unanimité de tes choix, Et conjoint, en chef d’orchestre, la cacophonie de

tes voix. Il est de nombreux mondes auxquels tu peux

t’éveiller. Arpente-les tous ! Mais rappelle-toi qu’aucun n’est moins réel ni plus valable : équivalents qui se superposent comme le hasard sur la nécessité, comme la pluie se superpose au soleil en dehors de leur contradiction, dans l’espace original de l’arc-en-ciel.

Ce n’est pas la direction qui te manque, c’est le

gouvernail qui t’égare ; Alors navigue sans bateau : nage ! Nous ressentons autant le besoin de créer des

mondes, que d’être créé, besoin de semer et d’être ensemencé, besoin de s’insérer et d’accueillir, d’être créateur et créature, d’illuminer et d’être illuminé ; métaphore sexuelle qui nous rappelle à notre androgynie.

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Nous recherchons la terre fertile qui nous fera être une terre fertile.

Ce n’est pas au tracé de nos pas, mais aux

balancements de nos oreilles, que nous apprenons à marcher droit.

Côtoie des êtres spirituels pour ne pas oublier que

les plus grands savants n’ont jamais rien dit. A servir trop humblement une cause, tu ne

cherches en vérité qu’à la maitriser fièrement. Servir c’est aussi asservir. Lorsque les soucis font tempête, ne cours pas, ne

gesticule pas, concentre-toi ; mets-toi en boule pour juste réduire le nombre des vents.

Avant d’y prendre part, observe longuement tes

batailles intérieures. Car c’est toi, d’abord, que tu dois laisser en paix.

Ta présence ici n’est pas nécessaire, mais elle n’est

pas fortuite. Ton absence n’est pas demandée, mais elle n’est

pas inutile. Nul devoir ne t’a été légué, sinon par toi-même.

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Le temps ne compte pas. C’est toi qui le fais. Compter le temps n’est pas toujours désagréable, tout dépend à quelle vitesse.

A charger les choses de sens et d’esprit, tu finis par

être partout confronté à toi-même. A en démêler les fils, à d’abord penser sa pensée avec circonspection,

notre état intérieur montre des remous plus denses qu’une fête illuminée ou qu’une guerre atroce.

D’où ces marées et ces vagues ? Elles ne viennent certainement pas que des choses. Et puis d’ailleurs, avec quel œil suis-je en train de

regarder cette mer ? Si la méditation est un détachement des pensées,

l’écriture est la gestion de leur rythme (dans un but productif – produit pour quoi ?).

La sagesse attend au bout d’un fil tendu entre la

brûlante folie et la froide observance : elles en sont les deux parents. La sagesse est soit la brûlante folie de l’observance, soit la froide observance de la folie. Un extrême au bout d’un autre.

Fais-toi le messager fidèle de ce quelqu’un qu’on

appelle toi.

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Certaines pensées t’attirent, t’embrassent et

t’engluent : apprends à voler hors des gouffres. Le mental est un animal féroce et puissant s’il n’est

pas dompté, il est un tigre. La majorité de nos gestes n’est pas pensée, qui les

fait ? Conquiert non la pensée de tes actes, mais ce

qui les tient tous deux. Observant tes faits et gestes, regarde tout ce que tu

fais en ne faisant rien, et que dire de tes paroles ! Le malaise, c’est de croire qu’on en met un. L’amour est un soleil aux nuits improbables, on n’en devine ni les soirs ni les aubes. Tout est au mieux, rien n’est au pire. Pour avoir des ambitions, il faut de l’orgueil et de

la réussite. Ne pense pas trop à comment mener ta vie, car c’est elle qui t’emmène, souviens-t-en pour les soirs où tu crois qu’elle t’a

quitté.

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Il est extrêmement difficile de changer de vie, Il ne faut pourtant pas grand-chose pour le faire. Ton savoir ne sait résoudre tes problèmes les plus

simples : tes décisions. Tes actes n’ont de mal que l’intention qui les porte,

pardonne-toi tes infortunes. Il est des paroles dont la vérité ne tient qu’en leur

sincérité. Il est des bonheurs dont l’accès est d’y croire.

De quoi as-tu donc si peur que cela t’empêche de

vivre ? Si c’est de la mort, ta solution est absurde.

Avant d’appeler au secours, attends d’être arrivé

tout en bas ; si ça se trouve, tu n’as rien à craindre.

Ne poursuis pas la rivière, trouve la source. Trouve d’abord ce que tu as à chercher, ensuite tu chercheras ce que tu trouves, car ce que tu cherches vraiment, tu le trouve déjà sans cesse. Il y a en toi mille voix qui parlent, écoute-les, distingue-les, puis tu reconnaitras la tienne à la douceur

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assurée de son ton. Offre à tes douleurs la beauté d’un but, ne les laisse pas sans réponse. Ton œuvre est de faire apparaitre ce que se cache

derrière ce toi qui se montre. Soumets tout – corps, pensée, esprit – à cette ultime réalisation. Soumets tout, mais surtout ne néglige rien, car rien n’est superflu.

Lorsque tu auras compris que tous tes heurts

passés n’étaient que les plus courts virages que ta rivière a pris pour rejoindre l’océan, alors tu exalteras progressivement ta chute, ton retour à l’origine.

La séparation est une illusion. Illusion du monde seul du fœtus. Illusion du berceau multiplié de solitudes. Illusion d’un corps aux membres disjoints. Illusion du prisme créant d’un mille visages Par lequel l’orgueil laisse déjà entrer la mort,

cette illusion de ne pas être ou de pouvoir ne plus être cette illusion de n’être qu’en partie. Rien ne disparait rien que les paternelles fumées de nos regards obliques rien que les fantasques boucliers

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qui nous protègent de dangers inexistants rien que des spectres, faibles et rassurants. Rien ne disparait que ce qui était déjà néant. Mourrais-tu si tu oubliais ton nom ? La véritable amnésie n’est pas la disparition des

souvenirs, mais l’absence de mémoire ; ce n’est pas ignorer les faits historiques de son existence, c’est être incapable de sentir le poids du temps incorporé. La mémoire est le sens du temps, le souvenir est une réserve d’images.

Tu n’es pas sous contrôle ! Tu joues avec tes

multiples influences… Ainsi tu vis seul avec quelques lumières complices. Le démon, au milieu de sa propre dilution,

cherche inlassablement à distinguer tout chose, et surtout à se distinguer lui-même. Orgueil existentiel qui, se détachant de la création, s’attache aux ténèbres irrésolues.

La première étape de l’écriture est l’écoute

attentive de son esprit divaguant. De là peut apparaitre l’étoile autour de laquelle tournoierons ces divagations vers l’œuvre.

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Le plus difficile n’est pas de réaliser tes rêves, mais de savoir lesquels d’entre eux sont vraiment de toi.

Choisis ton but, suis ton instinct, prévoit avec

intelligence, prends courage et va. Garde un œil sur ta pensée comme sur un chien,

farouche compagnon qui, si tu ne le dirige pas, s’agite jusqu’à la morsure. Garde l’autre œil sur le monde, cet environnement qui sous ses lambeaux d’horreur cache le cœur de la beauté.

La tempête ne peut pas durer éternellement, ne t’y

fatigues pas en navigation mais rejoins par la patience le temps de l’accalmie.

Le monde est comme ces bêtes sauvages ; lorsqu’il

sent la peur en l’homme, il lui devient agressif. Il y a des poussières d’or au cœur du plomb de tes

échecs. Il y a des cristaux de plomb au cœur de l’or de tes

victoires. Alors fais ! et que tu réussisses ou que tu échoues, le principal est que tu reconnaisses le lieu de tes impuretés. Ainsi chaque bataille, gagnée ou perdue, t’approcheras de la victoire.

Tu n’as pas pu te tromper de voie, puisque tu y es.

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Si tu cherche, alors tu trouveras ; si tu ne cherches pas, alors c’est que tu as déjà trouvé.

Il ne s’agit pas tant de changer le monde que de

faire la paix avec lui. Laisser le passé au passé, ce qui est fait au feu du temps, et que chacun se mette à vivre.

La civilisation délabre nos inquiétudes. Croyant

nous être affranchis des considérations d’ordre météorologiques, cosmologiques et théologiques, nous sommes plus bassement soumis à l’incertitude du logement, de la faim, jusqu’à nos possibilités de mouvement et de respiration – la régression masque sous d’absurdes exploits atomiques l’ampleur de la décadence existentielle en cours.

L’actuelle soif spirituelle est peut-être moins le

signe précurseur d’une évolution de la conscience que celui d’une réaction désespérée à la paupérisation de nos âmes.

Un parfum de notre vécu semble habiter les murs,

s’incruster dans les lieux par un souvenir qui ne peut être rappelé qu’en présence. Pourrait-on ainsi partager la sève de nos souvenirs, leurs sentiments, survivants dans les pierres ?

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Dans l’adversité, tu as développé ton courage ; use-le désormais au-delà.

Les moments de doute ont la beauté particulière

de celui qui accomplit ses exploits sans le savoir, qui atteint les hauteurs en se jugeant trop bas. Il s’en rend compte après coup, abandonnant en même temps son humilité et sa grandeur.

L’ambition est la manière par laquelle tu feins que

ta lâcheté poursuis de grands desseins ; ridicule celui qui se pare de costumes sacrés les jours de fêtes profanes.

Dieu est le mélange parfait et non contradictoire

du vrai et de l’impossible. Dire la vérité est une façon blanche de blesser.

Vengeance couverte d’un drap immaculé. Evacue ce désir intermittent de plaisirs fugaces,

dont l’assouvissement ressemble à un feu de paille – explosion volumineuse mais sans consistance qui bientôt se renfrogne et s’assèche. Préfères-y la patience des lourdes bûches et des souffles prolongés : seuls ces feux-là pourront te faire traverser les nuits à la chaleur de leurs soleils constants.

-98-

La volonté s’arrête aux bornes de la matière. Au-delà, notre réel pouvoir ne veut pas, il fait.

Montrer tes faiblesses est orgueilleux, les cacher

aussi. Voilà de quoi rassurer tes doutes et diluer tes hontes.

L’alcool t’a appris qui tu es avec confiance. Il ne t’a

pas appris à en avoir sans lui. L’homme est partout ; dans les tours, les murs, les

trottoirs… jusqu’aux montagnes et leurs sapins d’outre-Atlantique.

Ta beauté est la preuve conjointe de ta force et de

ta vanité. Les larmes sont la certitude des peines : elles sont

aussi humbles que lâches. Ne confie pas au diable insensé les qualités de ta

folie. Bien que le chemin ne fasse qu’un pas, il te faudra

peut-être plusieurs années pour le faire. Rajeunis ton jaune malgré ses verts – ils sauront

mûrir.

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Concentre-toi, car la mémoire est la trace de la conscience.

Etre conscient, c’est savoir être inconscient et droit. Sens-tu la lune disposer son aura favorable en ton

cœur ? Elle te montre encore ce que tu as toujours connu. Ou peut-être suis-tu d’autres guides. Assurément tu es aussi autre part.

Accepte ta peine. Porte ta croix. Mais ne t’en

ajoute pas, ce serait orgueil ou malfaisance, car tout ce que tu subis, un autre en est affligé.

La pitié est une clé. Le juste n’en use pas trop, car

il n’aime pas ouvrir les portes, mais que les portes soient ouvertes.

Approuver le passé, changer le présent, oublier

l’avenir. Futur résonne comme ce qui fut. Dieu : force constellée d’intuitions. Axe tous tes actes, tous tes sommeils et tes

imprévus – même tes incertitudes – vers ton but premier : ce secret qui te murmure inlassablement un idéal que tu es seul à pouvoir accomplir.

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Chaque doute émergent est une preuve tangible de ta surdité : exerce-toi alors à entendre les messages purs.

Transforme chacun de tes échecs en expérience

première, en une leçon ineffable et une connaissance victorieuse de toi : alliant le pardon à une persévérance ascendante, plus aucun obstacle ne t’arrêtera ; au contraire, il sera ton marchepied.

Ce sont des désirs futiles, paraissant insignifiants,

qui pourtant te sabotent. Au moins sache-le et sabote-toi, s’il le faut, intelligemment.

Trouve en toi le joyau de la joie inaltérable.

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É P I G O N E

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Le sentiment religieux, ce sentiment d’appartenir et contribuer à un projet céleste, est le seul moyen par lequel l’infortuné peut donner à son infortune la beauté d’un destin.

Comment juger la valeur d’une œuvre, d’un

homme, d’une chose, si ce n’est pour soi-même à l’instant de la rencontre ? Transcendentalement, toute chose existante a pour l’autre qui la côtoie l’incommensurable mérite d’exister. Exister, c’est déjà là notre plus grande œuvre.

Même cloitré dans la plus secrète grotte, tu

existeras toujours, ne serait-ce que pour la pierre qui t’entoure.

D’abord tu n’es plus sûr de ce que tu sais, ensuite tu n’es plus sûr de ce que tu crois. Par peur de mourir, alternativement, tu cherches le

danger, tu évites le danger. Comment achever une œuvre au milieu d’une vie

sans fin ? Comment poser le bout d’un champ infini ? exclure l’inexploré ? Ou juste passer la main, regarder curieux à travers la porte, avec tous les risques contenus à deviner l’avenir.

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La rupture, le discontinu, c’est l’illusion du fou qui croit passer une frontière chaque fois qu’il retourne au même endroit.

Il y avait une autre mer dans le reflet des vitres. Nous nous forçons à l’achèvement de nos actes en

le vivant aussi en nous-mêmes. Et nous mourons seulement parce que nous

voulons le faire. A un certain moment, nous souhaitons figer la

forme de notre joyau. Meurtre aux odeurs de but. Enchainement

d’égos. Et tu découvres au but du chemin que ton but avait

d’autres buts. Que tes jardins mélancoliques donnaient sur des

humours phosphores. Et tu revis encore tes accouchements inachevés. Pourquoi ces yeux qui cherchent un assentiment

ou une réponse ? Enfant d’automne, tombe mollement comme ces

feuilles ! Retourne sans inquiétude à ta terre prématurée !

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Rappelle-toi ce que tu as dit : La séparation n’est qu’une illusion Rien ne disparait. Malgré tout reste la douleur de nommer la

dernière page, Dernière page d’écrits qui se voulaient vie, Ecrits qui se font livre, livre qui s’imprime, figé, et la vie, où continue-t-elle ? Dans ce familier autre part où nous baignons sans

cesse…

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Impression Le Mat

à Lyon le 4 novembre 2016

dépôt légal : novembre 2016

ISBN : 979-10-92537-13-0

Prix public : 4€