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Coordination technique : Chantal Derkenne Service Economie et Prospective Direction Recherche et Prospective ADEME Paris Jean-François Blot Service Planification et Observation des Déchets Direction Consommation Durable et Déchets ADEME Angers RAPPORT Le Travail dans les industries de traitement de déchets Octobre 2013 Étude réalisée pour le compte de l’ADEME par Chay Claire (Doctorante) et Jens Thoemmes (DR au CNRS, responsable scientifique), avec la participation de Michel Escarboutel (IR au CNRS) et Elodie Pucheu (Ingénieur contractuel) (Convention n°1006C0132)

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Coordination technique : Chantal Derkenne Service Economie et Prospective – Direction Recherche et Prospective – ADEME Paris

Jean-François Blot Service Planification et Observation des Déchets – Direction Consommation Durable et Déchets –

ADEME Angers

RAPPORT

Le Travail dans les industries de traitement de déchets

Octobre 2013

Étude réalisée pour le compte de l’ADEME par

Chay Claire (Doctorante) et Jens Thoemmes (DR au CNRS, responsable scientifique), avec la participation de Michel Escarboutel (IR au CNRS)

et Elodie Pucheu (Ingénieur contractuel) (Convention n°1006C0132)

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REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier tous les interlocuteurs ayant accepté de partager leur expertise et leur quotidien au cours de cette étude. Nous remercions les entreprises et leur collaboration dans cette recherche, les travailleurs des installations enquêtées, les acteurs des organismes publics et professionnels et les élus politiques.

Nous remercions de plus l’ensemble des membres du Comité de Pilotage pour leur appui au bon déroulement de l’étude : Agnès Jalier-Durand – ADEME Jean-François Blot – ADEME Chantal Derkenne – ADEME

En français :

Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite selon le Code de la propriété intellectuelle (art. L 122-4) et constitue une contrefaçon réprimée par le Code pénal. Seules sont autorisées (art. 122-5) les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé de copiste et non destinées à une utilisation collective, ainsi que les analyses et courtes citations justifiées par la caractère critique, pédagogique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve, toutefois, du respect des dispositions des articles L 122-10 à L 122-12 du même Code, relatives à la reproduction par reprographie.

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Sommaire

1 Problématique et méthodologie de l’étude .............................................. 6 1.1 Objectif et problématique de l’étude ................................................... 6

1.1.1 Travail et profession dans le secteur des déchets ............................. 6 1.1.2 Une approche par la notion de « travail d’organisation » ................... 7

1.2 Méthodologie de l’étude ....................................................................... 8 1.2.1 Les entretiens et le guide................................................................... 8 1.2.2 Les observations ............................................................................. 10 1.2.3 Une analyse statistique de données qualitatives ............................. 10

1.3 Plan du rapport et logique d’exposition des résultats ..................... 11

2 Présentation des structures .................................................................... 13 2.1 Le syndicat départemental Optitri ..................................................... 13 2.2 Le site de traitement et de valorisation des déchets Valori ............ 14

3 Axe 1 : Le travail ....................................................................................... 15 3.1 Travail du tri des déchets : un travail d’exécution ........................... 16

3.1.1 Le travail en centre de tri ................................................................. 17 3.1.2 Des conditions de travail difficiles .................................................... 27 3.1.3 Le travail de tri comme activité « choisie » ...................................... 31 3.1.4 Un travail collectif ............................................................................ 33

3.2 Le Travail de conception sur les déchets ......................................... 38 3.2.1 Le secteur des déchets : des règles et des acteurs particuliers ...... 39 3.2.2 Les aspects économiques du travail de conception ........................ 54

4 Axe 2 : Les logiques d’action du traitement des déchets ..................... 69 4.1 Logiques d’action publique ................................................................ 70

4.1.1 La figure du syndicat départemental Optitri : un modèle environnemental et pour l’emploi ? ............................................................. 70 4.1.2 Une vision publique du travail se distanciant du privé ..................... 74 4.1.3 L’usager (et son tri) placé au centre du traitement des déchets ...... 76

4.2 Logiques d’action privée .................................................................... 81 4.2.1 Les avantages d’une gestion privée ................................................ 82 4.2.2 Négociations collectives : sécurité au travail, formation professionnelle et salaires ......................................................................... 88 4.2.3 La recherche de l’efficacité productive ............................................ 95

5 Axe 3 : Les risques : travail contre environnement ............................... 99 5.1 Les risques professionnels du tri .................................................... 101

5.1.1 Le centre de tri et la mobilisation pour la prévention des risques professionnels .......................................................................................... 102 5.1.2 Des actions variées qui visent l’amélioration du « confort » du trieur : contradictions, difficultés et conséquences incertaines ........................... 108 5.1.3 L’automatisation : gain économique versus amélioration du bien-être des travailleurs ......................................................................................... 114

5.2 Les risques environnementaux : les ouvriers de l’incinérateur en première ligne ............................................................................................ 120

5.2.1 Caractériser le contexte du travail : prévenir les aléas techniques 121 5.2.2 La gestion des déficiences techniques : assurer la continuité de la production et éviter les risques environnementaux .................................. 128

6 Conclusion et Recommandations ......................................................... 136

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7 Annexes ................................................................................................... 141 7.1 Grille d’entretien commune à tous les acteurs ............................... 142 7.2 Organigramme des services d’Optitri ............................................. 145 7.3 Organigramme Bioréacteur d’Optitri ............................................... 146 7.4 Organigramme Centre de tri C1 Optitri ........................................... 147 7.5 Organigramme centre de tri C2 Optitri ............................................ 147 7.6 Organigramme centre de tri C3 Valori ............................................. 148 7.7 Organigramme Incinérateur Valori (niveau productif) ................... 149 7.8 Les représentations graphiques des trois axes ............................. 149 7.9 Tableau des enquêtés ....................................................................... 153

8 Bibliographie ........................................................................................... 156 TABLE DES PHOTOS Photo 1 : La chaîne sur la ligne du plat à C1 18 Photo 2 : La chaîne sur la ligne des creux à C2 18 Photo 3 : Balayage au centre de tri (C1) 19 Photo 4 : Environnement poussiéreux (C1) 19 Photo 5 : Planning hebdomadaire des postes à C2 21 Photo 6 : Positionnement postes de tri à C2 21 Photo 7 : Viscères d'un animal dans un sac plastique (C2) 22 Photo 8 : Chargement des déchets sur le convoyeur (C1) 24 Photo 9 : Machine de tri : le crible (C1) 25 Photo 10 : Machine de tri optique (vue de l'intérieur) (C1) 25 Photo 11 : Tapis peu chargé 26 Photo 12 : Tapis chargé 26 Photo 13 : Planning du suivi d'entretien (C1) 27 Photo 14 : Identification des tâches de maintenance 27 Photo 15 : Boîtes de DASRI trouvés sur la chaîne (C1) 29 Photo 16 : Intérieur d'une boîte de DASRI (C2) 29 Photo 17 : Brochure éditée par l'INRS 104 Photo 18 : Brochure éditée par la CRAM 104 Photo 19 : Projet de norme AFNOR 104 Photo 20 : Procédures en cas d'accident d'exposition 107 Photo 21 : Procédure de nettoyage à C2 107 Photo 22 : Accumulation de poussières sur des balles de produits 107 Photo 23 : Au pré-tri : secouer les sacs 113 Photo 24 : Variabilité des apports et « tapis chargé » 113 Photo 25 : Plan d'un centre de tri « dernière génération » 115 Photo 26 : 6 Trieurs sur la chaîne de creux 116 Photo 27 : Gestion de la fosse par un conducteur pontier 122 Photo 28 : Ecran de contrôle du bioréacteur 122 Photo 29 : Conducteur du bioréacteur sur un engin compacteur 124 Photo 30 : Un travail de terrassement 124 Photo 31 : Plan du bioréacteur 131 Photo 32 : Apport des déchets entrant au bioréacteur (à l'année) 134 TABLE DES GRAPHIQUES Graphique 1 : Entretiens menés avec les différents acteurs 10

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Graphique 2 : Répartition par Catégories Socioprofessionnelles et sexe 10 TABLE DES SCHEMAS Schéma 1 : Les principaux résultats de l’analyse factorielle et de la recherche 12 Schéma 2 : Rôles et acteurs de la conception en lien avec nos enquêtés 41 Schéma 3 : Schéma organisationnel de la gestion de l'entreprise Valori 84 TABLES DES FIGURES Figure 1 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d’importance 17 Figure 2 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d’importance 39 Figure 3 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d’importance 71 Figure 4 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d’importance 82 Figure 5 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d’importance 102 Figure 6 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d’importance 121

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1 Problématique et méthodologie de l’étude

1.1 Objectif et problématique de l’étude

Dans le cadre du programme « Déchets et société », l’ADEME souhaitait faire appel aux sciences humaines et sociales pour éclairer les problématiques sociales et économiques sur la gestion, la prévention des déchets et la société du recyclage. En France, le travail de production et les travailleurs des industries des déchets sont souvent absents des analyses. Dans cette perspective, nous avons proposé une recherche sociologique portant sur « le Travail dans les Industries de traitement de déchets » (TRADEC). Elle s’inscrit dans le programme « individus et jeux d’acteur » et plus particulièrement dans l’axe 2 « Stratégie des organisations ». Cette étude cherche à montrer dans quelle mesure le développement du secteur des déchets ménagers intègre la dimension professionnelle des opérateurs du déchet. Elle est centrée sur la relation entre travail et environnement, et sur les interactions entre la sphère du travail, la sphère économique et celle de l’action politique.

1.1.1 Travail et profession dans le secteur des déchets

Depuis le début des années 1980, le traitement des ordures ménagères est devenu une problématique sociale, économique et sanitaire, en raison d’une très forte augmentation du volume des déchets générée par le mode de vie contemporain et d’une montée de la sensibilité aux problèmes environnementaux dans l’opinion publique, liée à la préservation de l’environnement et à l’acceptabilité sociale des installations. Cela s’est traduit par l’élaboration de politiques du développement durable et la redéfinition des filières de déchets qui aboutissent, entre autres, à l’émergence de nouvelles professions ou au re-modelage de professions déjà existantes. Les incidences des nouveaux enjeux et objectifs en matière d’environnement ont permis l’émergence de nouvelles « figures du travail » : telles que les emplois dits verts

1,

associées à de nouveaux « lieux de travail » les éco-activités2 ou les éco-industries.

Le secteur du déchet, important pourvoyeur de métiers verts, regroupe « près de 40 % des salariés exerçant dans les professions vertes » soit 50 000 personnes (Ast et Margontier, 2012). Se composant d’une multitude de métiers et de salariés il constitue un ensemble de tâches fortement différenciées à l’intérieur d’une même organisation, mais qui concourent toutes à la même finalité : celle d’éliminer et/ou de valoriser les déchets. Nous voudrions d’abord mentionner l’effet de l’émergence de ce secteur industriel sur l’emploi. Car comme cela a été déjà signalé, les conditions de travail ne sont que très rarement étudiées et abordées par les chercheurs scientifiques dans ce domaine (Bazillier, 2011).

La gestion des déchets constitue l’un des principaux enjeux du développement durable. Ce concept met en exergue la recherche de solutions pour élaborer des compromis entre les aspects économiques, écologiques et sociaux. - Au niveau environnemental, la gestion des déchets s’effectue sur le choix des installations de traitement qui engendrent un impact en termes de pollution, mais aussi sur les politiques de prévention et de réduction des déchets, et enfin sur l’objectif de réutilisation et de valorisation des déchets. - Au niveau économique, l’activité de gestion des déchets englobe plusieurs dimensions : l’une liée à la politique du financement du service, l’autre rattachée à la rentabilité des installations, et enfin celle due à l’imbrication des marchés et à la pérennité des filières des produits à valoriser.

- Au niveau social, deux dimensions sont retenues : d’une part, il s’agit de prendre en compte les relations entre les usagers et les installations de déchets. Les problématiques

1 « Les métiers verts sont des métiers dont la finalité et les compétences mises en œuvre contribuent à

mesurer, prévenir, maîtriser, corriger les impacts négatifs et les dommages sur l’environnement. » 2 « Elles produisent des biens ou services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion

des ressources naturelles »

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autour de l’acceptation sociale des structures de traitement des déchets, et la mise en place de campagnes de communication et de sensibilisation sont centrales et constituent des préalables pour une « meilleure » gestion des déchets ménagers ; d’autre part, il s’agit de tenir compte des conditions de travail des opérateurs du traitement des déchets, ces derniers étant au centre de ces compromis productifs, économiques et environnementaux. C’est sur ce dernier point que notre recherche se focalise, sans pour autant esquiver les autres aspects et dimensions relevés. Alors que de nombreuses recherches sont dirigées vers des problématiques prenant en compte les comportements individuels des usagers, en particulier sur le rapport à l’environnement, au déchet, à la pratique du tri et du compostage, l’activité de ceux et celles qui travaillent autour de la filière déchet n’a pas été prise en considération.

1.1.2 Une approche par la notion de « travail d’organisation »

Le secteur des déchets est traversé par des logiques différentes, des exigences concurrentes et des intérêts contradictoires selon les groupes d’acteurs qui le composent. Ces groupes d’acteurs variés interviennent dans la gestion des déchets, dans une perspective d’opérer les meilleurs choix en fonction des valeurs et des intérêts de chacun. Dès lors, des conflits peuvent émerger (que ce soit dans le choix d’un certain type d’installation, d’un type de gestion politique : gestion en service public, ou en délégation, partenariat public-privé…) et leurs résolutions passent par la construction de compromis ou d’accords qu’il s’agit d’expliciter. Le compromis doit être entendu ici comme le point d’étape d’un processus d’élaboration : il n’est pas spontané, il reste fragile et intègre des stratégies multiples (salariés, management, responsables politiques, associations) aux finalités différentes, voire opposées. Au début de ce projet, nous avons fait l’hypothèse générale que se développe entre l’action publique, le marché et le travail, une zone d’intersection qui détermine la « place » et les possibilités d’évolution des éco-industries. En identifiant les différentes formes de gestion et de traitement des déchets, au travers des arbitrages entre pression environnementale, maîtrise des coûts (rationalisation des infrastructures) et travail, nous avons considéré que ces trois pivots s’imbriquent, avec un fonctionnement spécifique pour chaque entreprise. Il s’agit ainsi d’analyser comment chacun des trois domaines (travail, marché et action publique) est approprié et opérationnalisé par les acteurs, pour définir le travail de ces industries. Tout comme l’environnement, l’impératif de valorisation des déchets ménagers concerne tous les acteurs : les collectivités locales, les institutions politiques les industriels de l’emballage, les entreprises du déchet, les usagers. Ils se doivent de travailler ensemble pour maîtriser et contrôler « l’invasion » des déchets. D’autres chercheurs vont plus loin en stipulant que la prise en charge du déchet est une chose publique, qui « repose clairement sur la philosophie de la responsabilité partagée » (Barbier. R, 2002). Notre usage du terme « travail » cherche à intégrer les apports de nombreux acteurs tout en ciblant les contributions à la structuration des univers productifs. Le travail opérationnel ainsi que toute activité qui vise à organiser la filière « déchet » sont au centre de notre intérêt. La notion de « travail d’organisation »

3 permet de penser ensemble, la réalisation et la

décision, l’exécution et la conception de la filière des déchets et de saisir les évolutions de ses univers professionnels. Ainsi, ceux qui conçoivent l’organisation et qui participent à la création de règles ne sont pas seulement les concepteurs/ingénieurs, mais également tous ceux qui agissent au sein de celle-ci (les travailleurs, la société civile, les politiques, le marché), sans que pour autant leurs actions aient pour affichage de concevoir le système en place. Il s’agit ainsi d’élargir doublement la notion de travail à partir de son noyau industriel : du point de vue de ses objets en interrogeant les finalités environnementales, économiques et

3 « Le travail d’organisation apparaît comme un processus de structuration de l’action : structuration de

l’action des autres, lorsque les décisions des uns doivent être mises en œuvre par les autres et structuration de sa propre action pour ordonner les interactions avec les autres acteurs qui participent à son action » (De Terssac, 2002, p.147)

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politiques ; et du point de vue des acteurs qui ne se cantonnent pas à un périmètre d’activité préalablement défini.

1.2 Méthodologie de l’étude

Notre approche repose sur la réalisation d’entretiens semi-directifs (87), enregistrés et retranscrits intégralement, et de nombreuses observations in situ dans deux structures et cinq installations de déchets. De plus, nous avons recouru à une analyse factorielle des discours (utilisation du logiciel TROPES et SPAD). Cette approche nous a permis d’organiser nos matériaux et de présenter synthétiquement nos résultats en indiquant une mesure statistique de nos données qualitatives. Prise isolément l’approche qualitative (observations et entretiens) permet d’identifier les logiques d’actions, les formes d’organisation du travail, et les pratiques au travail. L’enquête s’appuie sur l’étude de trois centres de tri de déchets, d’un incinérateur, et d’un centre d’enfouissement dit « alternatif » : le bioréacteur. Le choix des structures (Optitri et Valori) s’est fait pour incarner la diversité des entreprises, tant sur le plan géographique (localisation territoriale : rural/ semi urbanisé), que sur le plan organisationnel (taille, fonctionnement interne, stratégies politiques, économiques et sociale) que sur le mode de gestion (privée ou publique). Un autre point de comparaison concerne le volume et la diversité des activités : Optitri est de taille plus importante que Valori, mais ce dernier est une filiale d’un groupe privé. A Optitri les activités industrielle du tri et du bioréacteur sont deux activités du déchet parmi d’autres (cf. 2.1). A Valori, l’incinérateur et le tri des déchets sont au cœur de leurs activités.

1.2.1 Les entretiens et le guide

Le guide d’entretien

4 est commun à chacun des acteurs identifiés et interrogés, mais il est

ajusté selon que l’on rencontre un salarié, un élu politique ou un acteur du marché. Il a été élaboré de manière à prendre en compte la diversité des situations et à traiter l’ensemble des dimensions d’analyse, à savoir :

Les variables caractérisant les individus : âge, sexe, diplôme, situation matrimoniale, ancienneté dans la structure, expérience professionnelle antérieure.

Les spécificités techniques des équipements, des installations, ou de leur structure.

Un premier volet concerne l’activité de travail : on y interroge ce qui a trait à l’organisation de travail, aux conditions de travail, aux relations et motivations au travail et aux représentations du travail.

Un second volet porte sur la politique et l’action publique du secteur des déchets : elle vise à connaître les liens qu’ont nos enquêtés avec d’autres acteurs du secteur, à « identifier » les connaissances en matière de politique et de gestion des déchets, à connaître les dispositifs qui les concernent et comment ils peuvent configurer et « contraindre » leur activité, les problèmes qu’ils rencontrent, leurs opinions sur certains dispositifs ou politiques.

Un troisième volet qui s’intéresse aux enjeux économiques et à la construction des marchés des déchets : le rapport au marché, la question des prix et des coûts, les difficultés ou contraintes qu’ils rencontrent, la représentation au niveau économique qu’ils ont du secteur.

Enfin, un dernier volet interroge le rapport aux déchets et à l’environnement, dans le but d’analyser les valeurs et finalités environnementales au regard des positions des acteurs et de leurs activités.

La plupart des entretiens ont une durée moyenne d’une heure. Au sein des installations, ils ont été réalisés durant le temps de travail, dans des salles de travail ou des bureaux prêtés pour l’occasion. Certains des enquêtés ont été rencontrés plusieurs fois à l’intérieur de leur structure

4 cf. Annexe

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d’appartenance. La figure ci-dessous présente le nombre d’entretiens effectués selon les acteurs rencontrés durant la recherche

5.

Graphique 1 : Entretiens menés avec les différents acteurs (n = 87)

Graphique 2 : Répartition par Catégories SocioProfessionnelles et sexe

légende n= 87

5 En annexe nous détaillons quelques caractéristiques de nos enquêtés.

21

17

10

5

15

6

4

9

0

5

10

15

20

25

6 5

14

8

22

12

0 2 2

0

15

1

02468

1012141618202224

Hommes

Femmes

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1.2.2 Les observations

Notre démarche empirique accorde une place centrale aux situations de travail et au processus de production. Elle s’appuie ainsi sur des observations participantes et directes menées dans quatre des installations de déchets. Les périodes cumulées correspondent à une année d’observation à temps plein. En se faisant embaucher en tant qu’intérimaire, au poste de trieur, l’une d’entre nous a travaillé pendant plusieurs années (2004-2008) à Valori sur des intervalles allant de 15 jours à deux mois. En 2009, un stage d’un mois a également été effectué à l’incinérateur de Valori. Les observations ont été conduites auprès des équipes de quart à deux reprises pendant 15 jours. Menées essentiellement dans la salle de commande, nous avons suivi des conducteurs pontiers et des adjoints chef de quart lors des déplacements sur le terrain à effectuer chaque jour. Ces expériences professionnelles antérieures à ce projet ont permis d’acquérir une certaine familiarité avec ces milieux professionnels du déchet. Dans le cadre du projet « TRADEC », nous avons souhaité renouveler ces expériences d’observation. Pour cela, nous avons négocié avec la direction et les contremaîtres des centres de tri d’Optitri des périodes d’observation de 15 jours, à deux reprises. Les premières séquences d’observation se sont déroulées en 2011 avant les travaux d’optimisation entrepris dans les deux installations. En 2012, nous sommes retournés sur ces deux terrains afin d’apprécier les changements techniques et organisationnels. Les observations ont été également l’occasion de filmer quelques séquences de travail dans les centres de tri, et de photographier les installations et les travailleurs en situation. Dans la partie résultat, nous avons choisi d’intégrer quelques observations

6 (notes de terrain) de nos terrains

d’investigation et des photographies.

1.2.3 Une analyse statistique de données qualitatives

Notre recherche à partir de la retranscription intégrale des entretiens, intègre une analyse textuelle assistée par ordinateur de notre corpus d’entretiens composé d’environ 700 000 mots, en combinant un logiciel d’analyse du discours (TROPES) et un logiciel de statistiques multidimensionnelles (SPAD). L’usage de ces deux logiciels vise à organiser les discours de nos acteurs en distinguant les différents registres qu’ils mobilisent quand ils parlent de leur activité de travail et du secteur des déchets, afin d’aboutir à une typologie. TROPES est un logiciel qui permet la catégorisation de mots-clés en comptabilisant le nombre de mots, selon leur fréquence d’apparition (occurrences), que contient le corpus d’entretien. En usant de l’analyse des discours assistée par ordinateur, cela nous permet de réduire le nombre de mots du corpus de 50% afin de travailler sur des tableaux lexicaux plus petits pour privilégier une meilleure robustesse des traitements statistiques. De plus, le logiciel d’analyse des contenus TROPES donne la possibilité de séparer les mots polysémiques

7 et de lever des

ambiguïtés. A la suite de la lecture de l’ensemble des entretiens, pour l’analyse textuelle opérée par TROPES, nous avons élaboré un scénario sémantique dans lequel nous avons défini des variables (107) se composant de termes et de mots-clés issus de nos enquêtés. Pour exemple, la construction de la variable « machines » se compose de l’inventaire de toutes les machines qui ont été citées par nos interlocuteurs (exemple : compacteur, convoyeur, crible, presse à balle etc.). Celle de « qualificatifs négatifs des métiers du déchet » assemble, en partie, les termes suivants : honte, ingrat, pénibilité, ennui etc.. Une fois le scénario et les variables stabilisés, nous l’appliquons sur le discours de chacun de nos enquêtés afin de voir comment chacun de ces individus privilégie ou évite telles ou telles

6 Elles sont représentées par un encadré.

7 Par exemple, le mot « course » selon qu’il se réfère à « faire les courses » ou à « course à pied » sera

classé dans des variables ou catégories sémantiques différentes. De la même façon, nous avons pu créer nos propres variables en intégrant des mots que le logiciel ne connaît pas. Par exemple, le terme « refus » qui dans le centre de tri correspond aux matières non valorisables a été classé dans la variable « déchets non valorisables » ; ou encore le mot « main » qui peut se référer à « avoir la main sur le process » ou à avoir « mal aux mains » a été classé de façon différente dans les variables selon la manière dont il est utilisé par nos enquêtés.

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variables. Cette application permet d’obtenir « une fiche de mise en scène » pour chaque individu, dans laquelle nous trouvons la liste des fréquences des co-occurrences de mots, calculée pour chacun des entretiens. Cette liste sous forme de tableau représente les données textuelles sous la forme de données quantitatives chiffrées exploitables statistiquement

8. Puis,

les traitements statistiques de ces données par une analyse factorielle (SPAD) montrent la contribution des individus et des variables à la structure globale des discours dans un espace multidimensionnel (Cf. Annexe). Ce dernier est sous forme de graphique dans lequel deux axes sont représentés. Il nous montre les correspondantes les plus significatives ou importantes qui existent entre les mots énoncés dans les entretiens de nos 87 individus. Enfin, nous avons sélectionné les extraits d’entretiens les plus significatifs intégrant les mots-clés des variables et dont l’analyse factorielle nous a signifié l’importance.

1.3 Plan du rapport et logique d’exposition des résultats Après la présentation des deux structures étudiées (Valori et Optitri), ce que vous allez voir est, selon l’analyse factorielle du discours, la présentation des résultats tels qu’ils apparaissent à l’issue du traitement fait par les logiciels (TROPES et SPAD). Les résultats de l’analyse qualitative ont donné une valeur statistique à l’ensemble des matériaux du discours. Les observations de terrain sont mobilisées à l’endroit même où l’analyse factorielle a donné un résultat. Nous allons voir que nos entretiens ont donné lieu à des mots clés regroupés sous formes de variables, qui ont été évaluées. Nous indiquons les variables qui ont été mobilisées par nos acteurs en note de bas de pages, à chaque titre ou sous titre de partie. Nous avons aussi évalué la distance entre les individus qui ont répondu à nos questions. Le procédé a donné lieu à un regroupement d’individus (6) qui vont aussi décrire l’espace de représentation. Au total, nous allons exposer nos trois principaux résultats en fonction des trois axes factoriels de l’analyse et en fonction des coordonnées, de la contribution à la construction des axes et en fonction de la qualité de représentation des variables sur les axes. Chaque axe décrit un champ de tension et de contradiction que nous allons mobilisé dans notre logique d’exposition. Nous allons aussi expliquer qui parmi nos interlocuteurs s’avère être le porte-parole de la logique exposée. Sur les trois axes retenus, nous sommes en présence pour chaque axe de deux « régimes de référence » qui s’opposent et qui décrivent un champ de tensions dans lequel s’inscrivent les paroles singulières de nos enquêtés. Ainsi, à partir des 87 entretiens mobilisés, 6 catégories d’acteurs se distribuent dans l’espace avec pour chacune d’entre elles un discours singulier soit « un régime de référence ». Rappelons que ce régime de référence se constitue à partir de la mobilisation des 107 variables. Une même variable ne peut pas être utilisée par deux catégories d’acteurs différentes. Cette méthode nous a permis de voir comment les acteurs de la filière déchet se distribuent dans cet espace tridimensionnel caractérisé par une multiplicité de significations. A partir des 107 variables, celles qui sont communes à chacun de nos enquêtés, ont participé à la construction de chaque axe. Le premier axe est celui du travail, il explique 16,5 % des informations de départ. Le second est celui des logiques d’action expliquant 7,46 % des informations. Enfin, le dernier axe est celui des risques recoupant 6,74 % des informations. Au total la contribution cumulée des variables sur les trois axes est de 30,69 %. Le schéma ci-dessous permet de voir les contrastes entre les différents discours mobilisés et les groupes d’acteurs associés sur les trois axes.

8 Pour chacune des variables, la valeur du Khi2 indique le degré de correspondance.

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Groupe 1 Les salariés du tri

Groupe 3 Les élus membres et

salariés d’Optitri

Groupe 2 Les acteurs de la

conception

Groupe 4 Les salariés du privé

Groupe 5 Les experts

Groupe 6 Les ouvriers de

l’incinérateur et du bioréacteur

Axe 1 : Le travail

Ax

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tra

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Axe 3 : Les risques

Travail du tri des déchets : un travail d’exécution

Logiques d’action privée

Les risques environnementaux

Le travail de conception sur les déchets

Les risques professionnels Logiques d’action publique

Schéma 1 : Les principaux résultats de l’analyse factorielle et de la recherche

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2 Présentation des structures

2.1 Le syndicat départemental Optitri

Optitri est un syndicat mixte départemental qui détient les compétences de valorisation et de traitement des déchets ménagers et assimilés. Il traite près de 75 % des déchets du département étudié (soit environ 250 communes) et « dessert » également des communes et des collectivités de trois départements limitrophes (près de 50 communes). Avec une activité déployée sur environ 6 000 km2, Optitri se trouve ainsi en position de leadership sur le département, l’activité de traitement des autres zones du territoire étant assurée et répartie entre deux autres syndicats. Optitri s’est construit autour d’un projet de fédération des équipements du service public.

En 2010, le syndicat comptabilise 43 équipements pour assurer le traitement, l’élimination et la valorisation des déchets ménagers. Nous les présentons ci-dessous. Le syndicat a fait le choix de s’équiper d’un bioréacteur, sa mise en service date du 1er janvier 2007 (capacité réglementaire 90 000 tonnes/an). En octobre 2010, l’autorisation préfectorale est passée à 180 000 tonnes/an. L’installation s’étale sur un territoire de 66 hectares. La question de la maîtrise foncière s’est réglée sans qu’aucune expropriation n’ait eu lieu et toutes les ventes auraient été consenties à l’amiable. Le mode du bioréacteur consiste à la circulation des lixiviats. Ils sont récupérés afin d’améliorer le processus de décomposition des ordures ménagères et de méthanisation. Le biogaz produit est récupéré (90%) et est transformé sous la forme de biométhane utilisé pour la production d’électricité. Depuis 2010, le site a intégré une station de production de biométhane carburant, qui alimente le fonctionnement d’un véhicule léger et d’un camion polybenne. Les recherches se poursuivent dans le souhait d’alimenter des véhicules poids lourds, et des tests seront effectués sur des tracteurs semi-remorques. A l’échelle départementale, il y a deux centres de tri de déchets qui emploient environ une cinquantaine de personnes. Ils sont situés au nord et au sud du département. Le premier centre de tri (C1) qui est proche de quelques habitations, a été mis en service en 2003. Le deuxième (C2) est situé sur d’anciennes mines de charbon et son activité a débuté en 2005. En 2012, les déchets entrants représentent environ 20 000 tonnes. Le taux de refus affiché est de 13 %, et le taux moyen de recyclage 61 %. Au cours de l’année 2011, des travaux d’optimisation ont été réalisés sur les deux installations. En périphéries de ces usines se situent deux plateformes de compostage, qui sont sous la responsabilité du contremaître d’exploitation. En 2010, environ 15 000 tonnes de déchets verts ont été réceptionnées. Après préparation, 6 600 tonnes ont été cédées à la filière agricole et 3 100 tonnes ont été mises à disposition des usagers. Les déchèteries (26) emploient une cinquantaine de gardiens. Elles sont implantées de façon à ce qu’aucun habitant ne se trouve à plus de 15 kilomètres d’une déchetterie, ce qui représente une déchetterie pour 2 cantons. 68 228 tonnes de déchets auraient été accueillies en 2012. Le service proposé est gratuit auprès des particuliers. Les professionnels doivent s’acquitter d’un droit annuel d’accès et des redevances correspondant aux volumes et aux types de leurs apports. Sur l’ensemble du département, 9 quais de transfert sont distribués, pour répondre à l’objectif de maîtrise du transport et du contrôle des coûts économiques. Enfin, deux plateformes de bois sont en activité au centre et au sud du département. Les forêts couvrant 28 % du territoire, elles présentent le plus fort gisement de bois pour la région. Le bois récolté sur deux sites et sur les déchetteries est préparé en broyat et alimente des chaufferies automatiques au nombre de 13 sur le département. En 2010, 4 300 tonnes de combustibles ont été préparées et expédiées par les deux plateformes.

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Ensuite, la structure, conformément à une volonté d’innovation9, a engagé plusieurs projets

pour le développement des énergies renouvelables. Un projet de réseaux de chaleur (à partir de la filière bois) est en voie d’opérationnalisation afin d’alimenter plusieurs établissements (logements sociaux, écoles, et lieux culturels et sportifs) au sein de la ville qui abrite le siège. Ces futurs réseaux de chaleur fonctionneront en régie, avec autonomie financière et budget annexe. Optitri travaille également avec des partenaires publics et privés sur la production d’énergie non fossile, qui ont aboutit à un projet de recherche sur l’hydrogène. Le président de la structure est membre du bureau d’une instance de promotion européenne du vecteur d’énergie hydrogène sur le territoire national et régional. Enfin, 3 centres d’enfouissement techniques de classe 3 (pour les déchets inertes) sont établis au nord et au sud du département. La spécificité d’Optitri réside dans le choix d’assurer l’intégralité du service du traitement des déchets en régie publique alors qu’une majorité des collectivités françaises délègue la compétence du traitement à des entreprises privés.

2.2 Le site de traitement et de valorisation des déchets Valori Valori est une entreprise filiale d’un groupe privé. Il est implanté au nord d’un département urbanisé. Il s’occupe de traiter principalement les déchets ménagers du syndicat mixte Propret et est au service de collectivités et d’industriels pour le traitement et la valorisation de leurs déchets. En 1998, le syndicat Propret regroupant près de 160 communes du nord d’un département a contracté une délégation de service public pour le traitement des déchets du territoire à Valori. Propret est un syndicat mixte de réalisation, créé en 1993, qui est composé d’Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (ECPI). Le syndicat a délimité deux zones géographiques pour le traitement de ses déchets. L’une de ces zones compte les équipements de traitement et de valorisation de l’entreprise de Valori. Le financement, la construction et l’exploitation des installations pour la valorisation et le traitement des déchets ménagers et assimilés lui ont été confiés. Le site ouvert depuis 2001, emploie près de 90 personnes. Le site de valorisation des déchets se compose d’un centre de tri de déchets, d’un incinérateur à valorisation énergétique (électricité) et d’une plateforme de mâchefers (assurée et gérée en partenariat avec une autre société). La capacité de traitement du centre de tri est de 30 000 tonnes par an, celle de l’incinérateur est de 170 000 tonnes par an et celle du centre de traitement de valorisation des mâchefers est de 45 000 tonnes par an. En outre, il gère et exploite un centre de compostage de déchets verts d’une capacité de 8 000 tonnes par an, et quatre centres de transfert. En 2011, le centre de tri aurait accueilli 20 226 tonnes d'emballages. Une fois triés 17 579 tonnes des matériaux ont été redirigés vers les filières de recyclage. L’incinérateur a incinéré 169 301 tonnes d'ordures ménagères et produit 101 293 MW/h d'électricité (20% de l’électricité produite permet d’alimenter l’ensemble du site, les 80% restantes sont vendues à EDF). Pour finir, 8 486 tonnes de déchets verts et 22 840 tonnes de mâchefers ont été traités. En outre, soulignons que l’incinérateur a été l’objet d’une étude pilotée par l’Institut National de la Veille Sanitaire (INVS), en 2005, qui visait à analyser et mesurer l’imprégnation par les dioxines par les populations vivant à côté des usines d’incinération d’ordures ménagères.

9La structure accorde une forte importance à l’innovation qui représente une valeur portée et soutenue par

les élus, et notamment par le directeur général des services : « une collectivité reconnue est une collectivité qui innove ». Un pôle de recherche et de développement s’est constitué et travaille sur des filières et des projets « inscrits dans l’avenir ».

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3 Axe 1 : Le travail Le secteur des déchets se base sur une chaîne d’activités articulant une diversité d’enjeux : enjeux liés au service public et au bon usage des moyens mis en place, enjeux d’efficience de l’activité de travail pour les différents salariés, enjeux réglementaires en vue d’assurer la sûreté environnementale et la préservation de l’environnement, enjeux économiques avec la rentabilité des installations et du service de traitement. Notre première hypothèse a porté sur un travail coordonné et coopératif dans le secteur des déchets c’est-à-dire que tous les acteurs, du salarié aux élus politiques, participent à la régulation et à la coordination du processus décisionnel. Il était donc plutôt surprenant d’observer dans les discours et les représentations une séparation particulièrement forte entre le travail d’exécution et celui de conception

10. Même si les processus de prise de

décision dans le secteur des déchets s’appuient sur la mobilisation d’acteurs hétérogènes qui interagissent entre eux, nous verrons que les ouvriers et employés des industries du déchet sont les absents du processus de construction des normes productives et de l’élaboration de politiques réglementaires. En effet, ce premier résultat fort de notre étude, interprété par l’axe qui représente le « travail »

11, est celui d’une tension entre ceux qui font les règles du travail d’un côté et de

l’autre ceux qui produisent la valorisation des déchets. Ces deux mondes sont bien distincts. Le secteur des déchets apparaît « clivé » entre ceux qui organisent, réglementent, institutionnalisent des pratiques et ceux qui réalisent le travail, en particulier les acteurs travaillant dans le secteur du tri des déchets ménagers des collectes sélectives. La concertation sur les cadres et les règles du secteur ne semble donc pas acquise et possible pour les salariés « du bas de l’échelle ». Comment comprendre et expliquer ce résultat ? Au cours de nos entretiens, nous avons d’abord constaté que les salariés disaient ne pas avoir de connaissances ou ne s’attardaient pas ou peu sur les politiques réglementaires et sur les acteurs qui définissent leur activité. Certains d’entre eux refusaient aussi ouvertement d’aborder les questions politiques ou les questions du marché, estimant que cela n’était pas de leur ressort mais de celui de leur direction ou des dirigeants de leur entreprise. De ce fait, leurs discours se concentrent davantage sur le travail de production, sur l’exposition de leurs conditions de travail et sur l’organisation du travail. Puis, avec les entretiens menés avec les acteurs situés « en périphérie » des installations, ceux qui coordonnent les activités du secteur, nous avons remarqué que certains d’entre eux méconnaissaient le travail des professionnels du déchet, en particulier celui qui relève du domaine du traitement. Le manque de visibilité de cette profession et le fait qu’elle soit relativement récente pourrait expliquer qu’elle soit peu appréhendée ou de façon fragmentaire par les acteurs rencontrés. De nombreuses recherches ont montré que la définition de normes environnementales se structure par l’intégration et le rassemblement de différentes parties prenantes et fractions de la société (les responsables politiques et administratifs, les acteurs industriels et les différentes composantes syndicales, la société civile, les associations environnementales, les experts etc.). Bien que les milieux industriels du secteur des déchets apparaissent comme des univers fermés et difficilement pénétrables par les chercheurs en sciences humaines et sociales, notre analyse montre comment les industriels participent au processus réglementaire (cf. « le travail de conception »). Mais seuls les cadres et dirigeants des entreprises de déchets participent à la mise en œuvre de la coordination et à l’articulation des enjeux du secteur. Les variables les plus significatives alimentant les discours mobilisés dans « le travail de conception » ne s’articulent pas autour de la problématique de l’activité de travail du tri, alors même que le travail d’exécution relie des problématiques diverses relevant de questions sociales, économiques, politiques du travail mais aussi environnementales.

10

Marx, 1867 ; Braverman, 1974 ; De Terssac et Friedberg,1996. 11

Le premier axe est celui du « travail », il explique près de 17 % des informations de départ. Sur le plan factuel, deux régimes de référence se distinguent selon les variables propres à chacun d’entre eux (Cf annexe). Ces variables sont rangées pour chaque groupe et selon l’ordre d’importance mis en évidence par l’analyse factorielle.

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Nous verrons que les discours véhiculés sur le « travail du tri » rendent compte des formes d’organisation du travail, des conditions de travail, et du travail réel effectué par les salariés du tri. Ceux qui s’articulent autour du « travail de conception » visent à répondre à la question : comment s’organisent le rôle et la rencontre des acteurs intervenants dans la gestion des déchets ? Cette première partie questionne donc le rapport à l’action collective de la gestion des déchets, entre d’un côté un discours « micro » centré sur ces effets dans le travail industriel des centres de tri, et de l’autre un discours « macro » porté sur le travail d’organisation de l’action publique du secteur. Si ces deux discours abordent la finalité ou l’utilité sociale de la gestion des déchets, l’un intègre les enjeux et les contraintes réglementaires environnementaux alors qu’ils sont peu abordés voire absents dans le second. Afin d’analyser à la fois les groupes d’acteurs et les discours qui constituent cet axe, nous avons effectué un regroupement de variables dans chacun des régimes de sens. La présentation propose de mettre en lumière ces regroupements de variables par l’illustration des extraits d’entretiens les plus significatifs.

3.1 Travail du tri des déchets : un travail d’exécution Le groupe d’acteurs est constitué de l’ensemble des exécutants du tri : les trieurs et trieuses, les agents au sol et les agents de maintenance ; mais aussi l’encadrement intermédiaire : les chefs d’équipe et chefs de cabines, ainsi qu’un contremaître du centre de tri sud d’Optitri (structure publique). Ce groupe de variables se distingue par un discours porté sur les contenus et la description de l’activité du tri. Il est aussi spécifique de par le caractère plutôt négatif des discours portant sur les conditions de travail.

Travail de chaîne

Encadrement intermédiaire

Machines

Santé, douleurs, fatigue physique

Déchets valorisables, matières premières

Travail au sol

Conditions de travail défavorables

Travail d'équipe

Gratifications

Tâches de nettoyage

Contrats temporaires

Santé troubles pathologiques

Temps libre

Horaires de travail

Homme

Conditions de travail : dégoûts et dangers

Pause

Première cabine de tri des déchets ménagers

Sécurité de l'emploi

Mauvaise ambiance de travail

Déchets répugnants Equipements de protection

Famille

Femme

Opérateurs hors chaîne

Qualificatifs négatifs des métiers du déchet

Travail sans qualité

Rémunération

Chômage

Tâches et missions

Abréviations postes : TR : Trieur CC : Chef de cabine CE : Chef d’équipe AS : Agent au sol RP : Responsable Presse MA : Agent de Maintenance RE : Responsable Exploitation

Variables Mobilisées Individus du regroupement

CE _22

CE _26

TR _2

TR _17

CE _21

CE _23

TR _3

MA _33

TR _8

TR _1

TR _39

MA _37

CC _27

TR _14

TR _5

TR _6

MA _36

TR _87

TR _34

AS _43

TR_4

TR_10

TR_15

TR_44

TR_12

AS_47

TR_13

TR_11

TR_18

AS_42

RE_25

TR_40

CC_19

TR_35

AS_41

TR_9

TR_45

QU_86

TR_16

TR_7

Figure 1 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d’importance

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Pour comprendre comment s’organisent les chaînes d’activités dans le centre de tri de déchets, il importe de revenir sur l’organisation générale du travail en portant attention à la manière dont les opérateurs décrivent leur activité et leur positionnement dans l’usine. Dans cette partie, nous évoquerons quatre grands points, qui entrent en résonnance à plusieurs reprises avec le travail d’exécution. Il s’agit ainsi de décrire l’environnement technique de l’activité, soit la place des machines et des hommes dans cet univers caractérisé par l’objet « déchet » et la saleté, et de montrer les relations entre les opérateurs tout en exposant la place des différents métiers et leur rôle particulier (1). Puis, nous aborderons les conditions de travail et les risques professionnels encourus par les opérateurs. Nous verrons alors que l’activité du tri comporte des dimensions physiques et morales difficilement supportables (2). Ensuite, nous chercherons à comprendre quels sont les facteurs qui incitent les opérateurs à travailler dans le centre de tri, en particulier pour les trieurs (3). Pour finir, le dernier point concernera le travail collectif, dont nous montrerons qu’il peut être à la fois un facteur de satisfaction au travail ou au contraire source de conflit (4).

3.1.1 Le travail en centre de tri12

L’activité productive dans le centre de tri de déchets est répartie entre trois catégories d’ouvriers et d’employés : les agents au sol, les trieurs et les agents de maintenance dont nous montrons ici leur degré de dépendance. Elle se caractérise par le travail à la chaine et ses appendices (machines), où des petits groupes de trieurs exécutent une série de gestes relativement identiques, sans outils et selon une cadence déterminée. Les degrés de liberté et les marges de manœuvre possibles et laissés aux opérateurs sont minces. Ainsi, l’avènement d’un nouveau « modèle productif » et la thèse de la fin du taylorisme annoncés par plusieurs recherches en sciences humaines et sociales (Kern et Schuman, 1989 ; Coriat, 1990 ; Coninck 1991 ; De Terssac, 1992 ; Veltz et Zarifian, 1994) sont questionnés ici par notre étude sur les centres de tri de déchets. En effet au-delà de la séparation entre travail d’exécution et travail de conception, la division du travail dans la production elle-même est forte.

Chaîne, tapis et convoyeurs La production dans les centres de tri doit répondre aux flux d’arrivée des déchets de la collecte sélective. Ces apports sont convoyés dans différentes cabines de tri dans lesquelles sont postés les agents. Le travail en centre de tri est donc organisé autour des différents convoyeurs. A l’instar du travail en abattoir (Muller, 2008), l’activité ne vise pas à construire un produit mais à démanteler une masse importante de déchets.

Photo 1 : La chaîne sur la ligne du plat à C1 Photo 2 : La chaîne sur la ligne des creux à C2

12

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Travail de chaîne ; machines ; déchets valorisables, travail au sol, tâches de nettoyage, opérateurs hors chaîne, tâches et missions, déchets répugnants, travail sans qualité, première cabine de tri des déchets ménagers (pré-tri) ; encadrement intermédiaire ».

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Bien que les trieurs soient dits « polyvalents » du fait de la rotation entre chacun des postes leur activité est et reste majoritairement sur la chaîne, même s’ils s’occupent parfois de tâches annexes telles que le nettoyage des postes, des cabines de tri et du rez-de-chaussée de l’usine. Certains d’entre eux peuvent aussi être amenés à réaliser la caractérisation des apports de la collecte sélective, surveiller et/ou actionner le fonctionnement de la presse à fer, ou encore vider les poubelles d’appoint des postes de tri. Les tâches de nettoyage, qui sont attribuées aux trieurs lors des pannes ou des arrêts de chaîne, sont perçues de façon plus négative pour les trieurs. Ils les considèrent comme dévalorisantes du fait de leur caractère sale, inutile, sans fin, et parce qu’elles ne relèvent pas des tâches pour lesquelles ils sont présents dans le centre de tri. Elles constitueraient une négation des compétences des trieurs et seraient un facteur de dévalorisation.

« Mais moi mon métier ce n’est pas de balayer, et puis il faut voir la saleté, la poussière, quand on sort de là-dedans, on est crasseux, quand on se mouche, c'est du noir qui sort. Alors imagine ce qu’on respire quand on balaye. Et puis ça va, merde, on est déjà à la chaîne avec des poubelles et pour nous occuper, pour rattraper le retard, on balaie, des boniches du balai. » Trieuse_17

Arrivée au centre de tri d’Optitri du sud du département, on m’informe qu’il n’y aura qu’une heure de travail sur la chaîne du tri des creux, car le crible a une palle cassée ce qui engendre un arrêt de la chaîne du plat et donc de l’activité, jusqu’à la réparation de la machine. Une petite dizaine de trieurs, essentiellement des titulaires et des femmes, sont au tri des bouteilles, le reste étant en support avec les agents au sol. Les agents s’inquiètent de cette panne, et espèrent ne pas devoir aller la semaine au centre de tri du nord du département. Au bout d’une heure et demie de tri, nous passerons la journée à effectuer du nettoyage dans l’usine, au programme : balayage, dépoussiérage, nettoyage des vitres des cabines au chiffon, nettoyage du parking. Tous les recoins sont passés en revue. J’observe des petits groupes d’individus, des agents se cachent pour discuter, d’autres en profitent pour aller fumer. Pour ma part, je reste avec un des agents de tri, des plus âgés, nous dépoussiérons une petite zone située sous le tapis qui part du crible pour aller en cabine (Photo 1 et 2). Au bout d’une trentaine de minutes, nous en ressortons couverts de poussières de la tête au pied et passons plus de 10 minutes à nous dépoussiérer à l’aide d’un souffleur. Une large majorité des agents râlent, certains s’ennuient et trouvent le temps long, d’autres sont dégoûtés de devoir faire le ménage. Plus tard dans la journée, plusieurs balles de tétra sont déliées, car il y a de l’alu dedans. Nous sommes au rez-de-chaussée de l’usine, à genoux en train de séparer l’alu du tétra-pack. Trois des agents refusent de participer à cette tâche, le chef d’équipe laisse faire, il m’explique qu’il n’a pas envie de se battre aujourd’hui. Un des agents prend une photo de cette scène avec son portable, qui nous paraît « surréaliste ». Une des trieuses dit « on croirait être des gitans, ce n’est pas normal d’être comme ça, on n’est pas payé pour être à genoux ». Notes de terrain (Novembre 2012).

Photo 3 : Balayage au centre de tri (C1) Photo 4 : Environnement poussiéreux (C1)

En revanche, nous avons observé qu’à C3, les tâches annexes telles que s’occuper des ferreux, ou participer à la caractérisation apparaissent comme une « récompense », car elles donnent la possibilité de quitter la chaîne ne serait-ce qu’une dizaine de minutes et de rompre la monotonie de la tâche du tri.

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« Ben maintenant je tourne, je vais au ferreux par exemple donc je peux sortir de la chaîne, pas longtemps mais tu vois ça fait du bien de sortir de la prison de la chaîne, de cet endormissement, donc je pars de temps en temps et ça fait du bien… » Trieuse_7

Les différents postes sur la chaîne pour les trieurs ne semblent pas avoir une valeur équivalente notamment physiquement. La première cabine de tri, appelée pré-tri, se compose de 2 à 4 postes jugés comme étant les plus difficiles. Du fait de son positionnement en amont de la chaîne, le « pré-tri » réceptionne les produits « bruts » de la collecte, et donc les plus « sales » et « dangereux » mais aussi les plus massifs (imposant cartons ou refus : animaux morts ; carcasses de motos ; batteries de voiture etc.). Les trieurs postés au pré-tri sortent les déchets les plus lourds, les plus encombrants, et les plus sales. La charge physique apparaît donc plus élevée pour les opérateurs comparés à ceux qui sont situés par exemple en fin de chaîne.

« Au pré-tri, on est trois, avant on était que deux et une personne aujourd’hui est donc préposée aux cartons, mais pareil, ça aussi, c’est un poste dur, parce qu’on fait les sacs et ça, c’est dur. Les sacs souvent arrivent mais ils ne sont pas ouverts donc il faut les ouvrir à la main, donc on met les cartons d’un côté, les sacs de l’autre, et puis, on enlève le gros refus, par exemple un magnétoscope. Donc voilà, le pré-tri, et creux c’est là où on dérouille des épaules, c’est là où c’est intense. Le pré-tri c’est pas toujours dur, mais souvent il y a des gros cartons, vraiment aussi grand que vous, alors il faut les enlever et ça, c’est très dur surtout quand c’est mouillé, il y a des grosses choses qui passent, et puis il y a aussi beaucoup de poussière et c’est ça le plus gênant […] » Trieur_1

A C3, certaines filles trieuses n’allaient que très rarement au poste du pré-tri. L’une des principales raisons évoquées était la hauteur du tapis et le fait que les trieuses de petite taille (1M50-1M55) ne pouvaient pas opérer un tri de qualité sans se fatiguer rapidement et sans se faire au mal au dos ou aux épaules. Notes de terrain

Le roulement des postes (préconisé par la médecine du travail dans les trois sites étudiés) apparaît comme un point central de l’organisation du travail dans le discours des trieurs, au même titre que les pauses, et peut être source de conflit entre les trieurs ou avec l’encadrement. Le fait de tourner sur tous les postes est aujourd'hui obligatoire dans les trois centres de tri. Cadré par un planning effectué par le chef de cabine, le chef d’équipe ou le contremaître, il s’est peu à peu institué au fil des années. Il est considéré par l’ensemble des trieurs comme un élément d’allégement des conditions de travail et de la dureté de la situation de travail.

« Donc en fait suivant le nombre de personnes qu’on est, on va sur le plat, puis sur le creux puis on ira au pré-tri toutes les 2h15, ça change et c’est ça qui est important. Au début quand on passait la semaine aux bouteilles le vendredi on était naze. Et donc au début en 2003, le planning était à la semaine, on passait toute la semaine sur le même poste. Tandis que là c’est vrai que c’est bien, de tourner chaque 2h15 c’est super, ça passe vite c’est plus du tout pareil, ça fait à peu près 1 an, c’est dommage qu’on n’ait pas percuté avant. » Trieur_13 « Avant c’était nous qui décidions sous l’ancien chef. Chacun prenait la place où il voulait. Il fallait juste aller au pré-tri une fois par semaine. Le problème qu’il y a eu c’est que certaines personnes ne bougeaient plus d’un poste, et puis certains se débrouillaient pour ne pas aller au pré-tri, alors ça posait des problèmes relationnels, maintenant les choses sont claires et justes. » Trieur_16

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Photo 5 : Planning hebdomadaire des postes à C2 Photo 6 : Positionnement postes de tri à C2

En ce qui concerne les agents au sol, bien qu’ils interviennent en amont et en aval de la chaîne, leur activité est dépendante de celle des trieurs : ce sont eux qui chargent la chaîne de tri avec les apports de la collecte sélective. Ils gèrent les alvéoles (stalles) de produits, puis les conditionnent et les stockent en balles pour la vente. Enfin ils finissent par charger les camions d’expédition livrant les matières premières recyclables (MPR) dans les usines de recyclage. Il existe une forte interdépendance entre le travail effectué en amont par les agents au sol, qui influence la charge de travail de l’aval. Par exemple, le volume de chargement de déchets sur la chaîne qui dépend du stock des apports, aura une incidence sur l’activité de travail des trieurs. De la même façon, si les stalles se remplissent rapidement et sont sous dimensionnées, le travail des agents au sol s’intensifie fortement (observé au centre de tri sud d’Optitri après travaux d’optimisation). Il en est de même de la maintenance qui doit entretenir les différents équipements présents sur la chaîne et assurer son fonctionnement. Leurs horaires de travail sont dépendants de l’activité des trieurs puisqu’une partie de leurs tâches (notamment l’entretien) est exécutée lors de l’arrêt du centre de tri. Les agents de maintenance ont aussi une action directe sur la chaîne en présence des trieurs puisqu’ils sont astreints à la « débourrer », tâche qui présente des risques professionnels. De plus, ils peuvent aussi servir de renfort aux équipes du sol. Enfin, les chefs d’équipe et les chefs de cabine ont pour fonction d’organiser et de gérer le personnel de la chaîne (rappelons que les chefs de cabine chez Valori sont aussi trieuses et que les chefs d’équipes à Optitri sont agents au sol). Ils s’occupent de régler la cadence et de surveiller l’approvisionnement de la chaîne, d’anticiper ses blocages et ralentissements afin de maintenir un rythme de production constant. Leur logique est donc différente de celle des trieurs qui souvent espèrent la panne ou le bourrage afin de pouvoir bénéficier d’un temps de récupération plus ou moins prolongé dans le travail.

« Je fais beaucoup de management, plus de papier, et plus de pas aussi, je fais beaucoup de déplacements. Je ne suis jamais dans le bureau. Je dois y passer une demi-heure par jour maximum dans le bureau, une demi-heure maximum et après je ne fais que marcher. Je suis tout le temps en train d’essayer d’anticiper un bourrage, j’anticipe, je vois un bruit ou quelque chose. J’essaye d’intervenir avant que ça s’arrête. » Chef d’équipe_22

On peut émettre l’hypothèse que les agents au sol, de maintenance et les encadrants, de par les objectifs qui leur sont fixés et par le caractère plus polyvalent de leurs tâches et mission, sont dans une logique d’optimisation de la production par la recherche du « bon » réglage, par la nécessité d’anticiper des bourrages ou des pannes. Certains trieurs contrebalancent cette logique d’optimisation et de recherche de régulation de l’activité, en souhaitant un allégement de leur activité de travail (réduction des gestes) voire en espérant une panne pour que l’activité soit stoppée.

« Moi déjà premièrement (mon rôle c’est) d’assurer le fonctionnement de la chaîne, ça, c’est le premier truc, faut que la chaîne elle tourne à fond ; après placer les agents, les plannings et tout ça » Chef d’équipe_22

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« La bonne journée c’est quand tout marche, on a fait l’entretien normal, on a fait notre travail et il n’y a pas eu de panne, la journée se termine bien. La mauvaise, ce qui m’arrive à chaque fois, à 17 heures ou à 20 heures quand je dois partir il y a un truc qui pète. » Agent de maintenance_37 « Quand ça tombe en panne, ça tombe en panne ce n’est pas de notre faute. À partir de là on appelle le chef mais honnêtement si le chef n’est pas en bas, qu’il est en train de boire son café ou qu’il prend sa pause, on n’ira pas le chercher. Il prend sa pause il n’y a pas droit, il la prend donc il se démerde mais bon à la limite on attendra qu’il revienne, c’est tant pis pour lui en même temps. » Trieuse_3 « Une bonne (journée) pour moi c’est quand il y a des pannes. » Trieuse_8

Les déchets valorisables comme objet du travail

Le déchet est l’objet de travail de la totalité des opérateurs dans le centre de tri, qu’ils soient ou non sur la chaîne. Pourtant, le fait de travailler dans ce secteur semble être perçu différemment entre les opérateurs de chaîne et hors chaîne. La division verticale et horizontale du travail au sein du secteur du tri semble jouer un rôle déterminant dans la perception de ce travail. Plus on s’éloigne du contact avec le déchet, plus son appellation pour le qualifier diffère. En effet, les agents du centre de tri emploient des qualificatifs différents pour « parler » de leur objet de travail (le déchet) suivant la position qu’ils y occupent. Chaque poste utilise donc un langage spécifique pour nommer le déchet, ce qui montre un rapport différencié des salariés à l’activité. Les trieurs travaillent avec « le déchet », « la poubelle », « la merde » ; les agents au sol traitent des « produits », des « apports », et de la « matière première secondaire » ; les agents de maintenance nettoient, contrôlent et mettent en place des actions préventives pour assurer le rythme productif, soit le fonctionnement continu de la chaîne et des machines.

« C’est des déchets, et des fois c’est des grosses poubelles parce que ce n’est pas spécialement propre. Ici on est vraiment au top pour trouver de la merde. Sinon c’est de la matière première il faut l’appeler comme ça mais pour nous c’est des déchets. » Trieuse_3 « Déjà ils n’ont pas la même matière, nous, on a énormément de sacs, eux, ils n’en ont pas, et c’est très important cette différence. Le vrac ne se trie pas comme du sac, sur les chaînes il n’y a pas la même quantité de bouteilles, de-ci de-là quand on est en sac, au niveau du crible c’est pas le même, l’apport de matière est plus régulier sur leurs tapis que sur le nôtre » Agent au sol_43

Photo 7 : Viscères d'un animal dans un sac plastique (C2)

Nos observations et notre immersion dans les centres de tri ont montré que les déchets présents sur la chaîne n’étaient pas seulement des emballages ménagers. On y retrouve de tout : de l’argent à l’excrémentiel. Ainsi, les agents ne trient pas seulement une collecte de propre et de sec. Aux déchets recyclables s’ajoutent toutes sortes d’objets allant du récupérable au plus répugnant : parfums, chaussures, vêtements, sous-vêtements, trousses, équipements

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ménagers, mobiles, batteries de voiture, chaises de jardin, carcasses de motos, cadavres d’animaux voire d’humains

13.

De plus, les trieurs sont constamment en contact direct avec le déchet, car le tri est un travail effectué sans instrument, seules les mains séparent l’agrégat. Plus que les autres corps de métiers de l’installation, ils encourent les risques liés au caractère dangereux de certains produits sur la chaîne. L’analyse qualitative permet de voir que pour les agents au sol et de maintenance, le rapport avec le déchet est plus lointain. Les outils utilisés dans leur travail permettent de limiter les risques, et le dégoût lié au déchet est donc moins présent dans cette catégorie. Cependant, travailler sur le déchet représente un aspect du travail des agents de maintenance. Bien qu’ils ne soient pas amenés à le toucher quotidiennement, ils sont aussi exposés au dégoût et aux dangers liés aux déchets répugnants lorsqu’ils interviennent ou nettoient l’intérieur des machines.

« Même si tous les jours ce n'est pas agréable. Il y a des choses il faut être accroché. J'ai été malade, il y a des choses, je vous dis honnêtement, on nettoyait des machines, des trucs qui me sont tombés dans la tête en décomposition et tout… ça va loin. J'ai été malade, des vomissements et tout… ça arrive parce qu'il n'y a pas que du sélectif, les animaux morts… » Agent de maintenance_36

On peut aussi penser que le poste de travail ainsi que les qualifications et compétences du métier exercé influent sur la manière de percevoir sa fonction en lien avec l’objet déchet. Les trieurs observent une dévalorisation par la société du travail avec le déchet, thème qui est peu présent chez les agents au sol ou de maintenance.

« Mais j’évite de dire où je travaille, c’est un métier comme un autre, je sais très bien qu’il n'y a pas de sous métier, mais je travaille dans les poubelles » Trieuse_3 « Au début j’ai eu honte, je me sentais nulle et dévalorisée […] Mais après c’est vrai qu’au début je disais que je travaillais dans la poubelle, et déjà à l’époque mon père il récupérait la ferraille à droite et à gauche, donc déjà ma famille on avait été catalogué à ce niveau-là « ton père il fouille dans les poubelles » alors que ce n’était pas le cas et je me suis dit « putain, s’il faut ils vont croire que je fais pareil que mon père » » Trieuse_8

Le travail au sol

Comme nous l’avons vu, le travail au sol et le travail de chaîne, bien que distribués différemment dans l’espace productif, sont étroitement liés. Au même titre que le travail de chaîne, le travail du sol est un lieu de production central du centre de tri, le bon ou le mauvais déroulement de l’un accentue ou amoindrit les difficultés de l’autre.

« Dès qu’on arrive on regarde les cages qui sont à presser, alors il n’y a pas d’ordre à respecter, alors on attaque les cages, après il faut ranger les balles, après on regarde s’il y a des arrivages, ou s’il y a des chargements à faire de papiers, ou de cartons ou de PET. Après il faut tenir la chaîne toujours pleine, il faut déstocker, et après il y a du nettoyage. » Agent au sol_42

Les agents au sol ont souvent des qualifications plus reconnues que le personnel de tri, bien que certains aient fait la passerelle entre les deux métiers. L’activité du travail au sol oblige d’utiliser des engins spéciaux de levage (tracteur, manitou), d’acquérir des certificats d’aptitude à la conduite en sécurité (CACES), de se former régulièrement au maniement de nouvelles machines (presse, nacelle) et d’avoir une aisance relationnelle dans la relation client avec les différents transporteurs de déchets. Les agents au sol décrivent et apprécient une autonomie de travail plus importante qu’au tri. En effet, les opérateurs de tri sont soumis au rythme du convoyeur, ils ne peuvent intervenir sur la quantité de matière à traiter. Cette organisation ne leur concède que peu de marges de manœuvre et d’autonomie.

13

Dans un centre de tri du Loir-et-Cher en décembre 2012 a été retrouvé le cadavre d’un nourrisson sur le tapis du pré-tri.

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Par nos observations, notamment à C3, le travail du sol est cadré par des objectifs de production et des quotas journaliers à respecter. Mais, à la différence du travail à la chaîne, les agents au sol apparaissent plus autonomes dans la manière de prendre des pauses et d’organiser leur travail qu’ils peuvent modifier. Ainsi l’organisation de leurs tâches se fait d’abord par des arrangements entre les travailleurs de l’équipe, et il reste possible de s’aménager des petites pauses, de prendre du temps pour discuter avec les chauffeurs, d’aller fumer une cigarette, etc.

« Au sol, on est 2, il y en a un qui s’occupe de presser les produits, et l’autre il s’occupe de charger les camions ou de les réceptionner, de vider les cages, mais ça c’est comme on veut. On s’entend entre nous, on peut changer dans la journée, enfin je peux faire le contraire si je veux. On s’arrange, on s’entend, s’il y a deux camions à charger. On en fait un chacun ou s’il n’a pas envie de charger aujourd’hui alors je le fais. » Trieur et agent au sol_15

Les agents au sol sont moins soumis à la cadence fixée par le convoyeur et moins sous le contrôle de leur hiérarchie (C3) que les trieurs. Ils affichent davantage de satisfaction et d’intérêt à leur travail. Il existe une part de relationnel dans leur travail puisqu’ils sont en contact avec les transporteurs qui viennent décharger les apports ou charger les produits. La possibilité d’échanges avec l’extérieur est souvent appréciée par les agents au sol et participe à l’instauration de petites formes de sociabilités. Ces dialogues contribuent à rompre la tâche relativement monotone du chargement de la chaîne. Par exemple, des agents nous diront avoir des liens amicaux et familiers avec des chauffeurs-transporteurs. Le travail au sol est considéré par la majorité des agents du centre de tri comme moins difficile physiquement et surtout moralement que le tri. Suivant les périodes et les besoins, quelques opérateurs de chaîne peuvent aller au sol remplacer ou aider leurs collègues, et inversement.

« Les deux me conviennent (agent au sol et trieur) mais à choisir je préfère l’agent au sol. Bon j’ai déjà travaillé à la chaîne pendant 1 an et demi et je fais les remplacements si besoin, mais c’est mieux le métier d’agent au sol parce qu’on est amené à conduire les engins, à avoir des contacts avec les gars, il y a un peu plus de responsabilité. En haut bon c’est le tapis, on trie, c’est 7 heures, nous, on est appelé à faire plusieurs choses, et on bouge plus aussi c’est important parce qu’en cabine de tri le mec il reste 2h15 fixé à son poste, et ça épuise moralement » Agent au sol_43

Photo 8 : Chargement des déchets sur le convoyeur (C1)

Le rôle majeur des machines Le quotidien des trieurs des déchets n’est pas représentatif de l’image d’Épinal de ces industries vertes ayant recours aux technologies les plus récentes. Si le tri en France reste encore aujourd’hui une activité avec un fort recours au travail manuel, les différents corps de métiers, à plus ou moins grande échelle, travaillent avec les machines. Qu’ils aient une action sur elles (les agents de maintenance), que leur travail soit cadré et rythmé par elles (les trieurs),

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qu’elles soient le gage d’une meilleure production tant en qualité qu’en quantité (agent au sol et encadrement), la place de la machine est centrale dans les centres de tri. L’activité mécanisée doit permettre de faciliter le travail des trieurs et d’améliorer le rendement et la qualité du tri.

Photo 9 : Machine de tri : le crible (C1)

Parmi les trois sites, il existe plusieurs types de machines et des degrés de mécanisation différenciés. Après que les agents au sol aient déposé les déchets sur les convoyeurs (ou fonds mouvants) à l’aide de tractopelles, en amont du pré-tri on retrouve :

- « l’ouvreur de sac » qui déchiquette les sacs plastiques permettant aux déchets de se déverser sur le tapis (C1 et C2) ;

- « l’overband » qui extrait les matières ferreuses (C1, C2, C3) ; - un « extracteur de cartons » qui collecte les plus gros et imposants cartons. (C1, C2) - un « régulateur » (C3)

À la suite de la cabine de pré-tri on trouve « le trommel », sorte de tamis cylindrique qui sépare les déchets en corps creux et corps plats (C3), ou un « crible » qui a la même fonction. Depuis 2011, les deux centres de tri en régie publique sont équipés de machines optiques à éjection pneumatique (C1, C2). Dans ces univers mécanisés, le travail manuel reste encore prépondérant. Il assure l’efficience du process, car les déchets sont acheminés dans les cabines de tri où l’homme ou la femme prendra le relais. Par la suite, le travail revient aux agents au sol qui auront pour mission de compacter les déchets (selon leur nature) à l’aide d’une « presse à balles », puis de charger les camions avec cette marchandise. Depuis plusieurs années, les centres de tri sont entrés dans une démarche d’automatisation. La machine y est donc de plus en plus présente, autant pour améliorer la production, s’adapter aux potentielles évolutions des collectes séparées que pour améliorer les conditions de travail.

Photo 10 : Machine de tri optique (vue de l'intérieur) (C1)

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À partir de l’analyse qualitative, nous avons observé des disparités sur la représentation et la perception des différentes machines par les trieurs. Elles peuvent être jugées comme ayant participé à une amélioration ou au contraire à une dégradation de leurs conditions et rythme de travail, ou comme n’ayant rien changé à leur activité. Par exemple, l’arrivée du trommel à Valori a été vécue par la majorité des trieurs comme un avantage, car il permettait une moindre sollicitation physique des membres supérieurs. En revanche, selon eux, le régulateur (machine qui par brassage des apports de déchets permet que l’alimentation du tapis soit régulière) a peu facilité ou changé l’activité, car ils notifient qu’il y a toujours autant d’irrégularité dans le chargement des déchets sur la chaîne. Ces variabilités sur la chaîne peuvent s’observer en quelques minutes : de 3 centimètres d’épaisseur de déchets ou de quelques déchets sur le tapis (photo à gauche), l’activité peut devenir très « chargée » (photo à droite) et l’épaisseur peut-être multipliée par 10. Les photos suivantes sont issues d’un enregistrement filmé d’une séquence de travail, d’une durée de 46 secondes, au pré-tri. Elles montrent la discontinuité du chargement sur quelques secondes.

Photo 11 : Tapis peu chargé Photo 12 : Tapis chargé

À Optitri, spécifiquement à C2, le fait de ne plus trier manuellement les bouteilles apparaît comme une chance. Cependant les agents de tri rapportent que sur les autres postes (pré-tri et chaîne des corps plats) le nombre de gestes effectué est toujours aussi important, voire aurait augmenté. En effet, la mécanisation dans les centres de tri entraîne souvent une augmentation de la production et des cadences. Ces dernières sont jugées comme « intenables ou infernales » par de nombreux opérateurs. Enfin, si les machines doivent pouvoir faciliter le travail des trieurs, leur efficacité au niveau de la qualité est remise en cause. Lorsque les agents regardent la qualité du flux des déchets triés par la machine, ils découvrent les erreurs et considèrent que le travail a été « bâclé ». On observe ainsi que les ouvriers du tri peuvent s’opposer aux nouvelles machines. C’est alors l’occasion pour eux de faire valoir le travail manuel, leur habileté et leurs propres capacités productives.

« Au début on pensait que la machine pourrait faire une erreur mais qu’en le remettant [en faisant un réglage] ça allait bien trier, mais non, elle refait la même erreur, parce que bon, c'est une machine » Trieur_34

Lorsque les machines sont décrites comme étant l’objet d’aliénation et de dégradation des conditions de travail c'est en référence à l’augmentation de la charge de travail qu’elles produisent ou du bruit et de la poussière qu’elles émettent. On peut voir par les observations que dans ce dernier cas, les agents de maintenance, responsables des réglages, sont aussi mis en cause par les trieurs.

« Je pense qu'il y a trop de débit. Les machines marcheraient bien si l'on avait un débit peut être un peu inférieur et un arrivage, parce que ce qui nous pose beaucoup de problèmes, c'est l'arrivage des bouteilles du centre de tri nord, parce qu'il y a énormément de cartons qui nous font de bouchons, c'est ce qui nous fait avoir une mauvaise qualité » Trieur_34 « J’ai deux fois plus de boulot, y’a deux fois plus de poussière. Y’a eu un comité de pilotage fait en complicité avec les trieurs, y’a rien qui va dans les cabines. Il faut que je modifie tout parce que les gestes de tri sont catastrophiques. » Agent de maintenance_33

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Pour les agents de maintenance, le rapport à la machine est très direct puisqu’ils y agissent au quotidien, soit par la mission d’entretien, soit par la réparation. La machine, son fonctionnement et son amélioration sont des éléments constitutifs de l’intérêt qu’ils portent à leur travail, et elle représente une source de compétences de ces agents.

« Après dans les améliorations me concernant et liées au balistique, quand on a créé ce nouveau système de machines, on a créé le système… bon le prototype que j’avais fait avec les trappes d’air comprimé ils l’ont adapté ici ce qui fait qu’il fait plus chaud » Agent de maintenance_33 « Et nous, c'est pareil, ils vont acheter un engin pour le sol en bas ou une machine, on n’est même pas consulté. C'est quand même dingue. Pour l'entretien et tout, pour aller la voir au moment de l'acheter, pour aller voir ta bécane, toi tu as des questions en tant que technicien, des vraies. Et combien ça coûte en pièces détachées ? Alors si la machine dans l'année elle te coûte trois fois le prix en entretien… à un moment donné il y a des trucs très intéressants par rapport à nous. On n'est pas consultés, on nous la livre, on nous la monte et après… » Agent de maintenance_36

Photo 13 : planning du suivi d'entretien (C1) Photo 14 : identification des tâches de maintenance

À travers ce dernier extrait d’entretien, on remarque ici que le fait de ne pas consulter les agents de maintenance lors de l’achat de machine est vécu comme une non-reconnaissance de leurs compétences. Il en est de même lorsqu’ils ne peuvent pas assurer l’entretien et la réparation des nouvelles machines. Certaines missions sont ici retirées aux agents de maintenance qui jugent cela comme une perte de temps et d’argent pour l’entreprise.

« Alors moi depuis peu je n’ai même pas le droit de toucher les machines, j’aurais besoin de tendre des courroies sur l’ouvre sac : « Non tu ne touches pas tu fais venir quelqu’un » ; l’autre jour y’avait une fuite sur le réducteur j’ai dit y’a que des joints à changer, « tu ne t’emmerdes pas t’appelles le constructeur », il y a un type qui est venu pour changer deux joints, il y a passé 2 heures, ça lui a fait plaisir le gars il était de Montpellier, il s’est pris la com, il s’est pris le déplacement. » Agent de maintenance_33

Nous avons vu que dans cet univers industriel le travail est organisé et agencé par les différents convoyeurs et les machines. Il se distribue autour du déchet qui ne cesse de circuler du bas vers le haut, puis du haut vers le bas pour devenir un produit. Chaque métier est dépendant du bon fonctionnement de ces organes mécaniques qui par leur ampleur et multitude donne l’image d’une industrie complexe. Ici, le travail ne consiste pas à fabriquer une pièce mais à démanteler une masse importante de déchets qui au fil des jours ne semble pas s’amoindrir. Les opérateurs rapportent la saleté de leur environnement de travail, la monotonie de la tâche du tri, la difficulté de plusieurs postes. On voit donc l’importance de pouvoir tourner sur tous les postes. Nous voyons avec ces quelques éléments, que pour un travail considéré (souvent à tort) comme « simple » et adapté pour des personnes en insertion professionnelle, il nécessite néanmoins de « bonnes dispositions » face à des conditions de travail difficilement soutenables.

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3.1.2 Des conditions de travail difficiles14

En effet, l’activité de travail présente des risques auxquels s’exposent quotidiennement les professionnels du tri. En les présentant ci-dessous, nous verrons qu’ils sont de natures diverses : certains recoupent des pathologies « classiques » dues à la répétition quotidienne des gestes (TroublesMusculosquelettiques - TMS) ; d’autres sont liés à l’exposition à certaines substances telles que les moisissures, agents microbiens, résidus de peintures, produits phytosanitaires ; il existe aussi des risques de piqûres par des seringues et de coupures par des objets tranchants ou des éclats de verres ; des risques d’écrasement par les engins (en particulier les agents au sol), des risques liés aux machines (bras happé entre les tapis). Aux risques physiques s’ajoutent ceux liés aux difficultés morales de l’activité du tri. La monotonie et le travail routinier en centre de tri mais aussi la dévalorisation sociale du métier sont des facteurs supplémentaires de mal-être au travail.

Les maladies et douleurs liées au travail de chaîne Comme nous l’avons vu précédemment, le travail des trieurs est guidé par la chaîne de par sa vitesse mais surtout de par les apports en déchets qui « approvisionnent » les trieurs. En fonction des apports journaliers, l’activité de travail peut s’intensifier, et se caractérise par « un tapis plus chargé » et/ou une cadence plus soutenue, et donc par un effort supplémentaire à déployer dans la rapidité du geste, la concentration pour repérer le produit, et la force pour soulever les papiers accumulés. Il est difficile pour le trieur de pouvoir se déplacer, cantonné dans un espace restreint, le travail ne s’arrête jamais (hormis lors des pannes). Les déchets ne cessent de défiler sur le tapis, les yeux sont toujours à la recherche du produit à retirer, et l’opérateur ne peut réguler la vitesse du tapis. La variable « santé, douleurs, fatigue physique » illustre les difficultés rencontrées par les trieurs et leurs conséquences : la majorité ressent des douleurs aux jambes, aux bras et au dos du fait de postures pénibles et exténuantes.

« J’ai des douleurs aux jambes, articulations des genoux et des chevilles, et les pieds et parfois les épaules enfin c'est plutôt régulier. On vit et on travaille avec la douleur. » Trieur_40

Les troubles musculosquelettiques

15 et les tendinites représentent les principales atteintes à la

santé.

« Rien de changé, maintenant la douleur s’est déplacée, elle est montée. Je me suis fait opérer des deux mains, et maintenant c’est monté, mais comme j’ai dit normalement je ne devrais plus être au tri, mais bon là j’ai la maison maintenant, 24 ans de crédit, donc 24 ans à faire, donc pour l’instant je reste là, et quand je pourrais plus et bien je m’arrêterais… j’ai une décalcification et je ne peux rien y faire, il n’y a rien à faire. » Trieuse_7

On observe que les trieurs parlent plus facilement de douleurs que de maladies professionnelles : peu réalisent la démarche de la recherche de reconnaissance de la maladie professionnelle du fait de la complexité de la procédure et de la peur de la perte d’emploi.

« Alors on en a parlé, y’a les TMS, mais d’abord personne n’en parle trop et encore moins les employeurs, les troubles musculosquelettiques c’est pas encore dans les mœurs quoi, c’est un sujet qu’on évite, et moi quand je me suis blessée en 2004 j’en ai

14 Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Santé, douleurs, fatigue physique ; conditions de travail

défavorables ; santé, troubles pathologiques ; qualificatifs négatifs des métiers du déchet ; conditions de travail : dégoûts et dangers ; équipements de protection individuels ». 15

« Les troubles musculosquelettiques (TMS) regroupent un ensemble d’affections douloureuses touchant

les tissus mouspéri articulaires (muscles, tendons, nerfs etc.) secondaires à l’hyper sollicitation des membres supérieurs et/ou inférieurs d’origine professionnelle. Les affections les plus fréquentes sont, d’une part des maladies bien codifiées comme le syndrome du canal carpien (SCC) ou compression du nerf médian au poignet, l’épicondylite à la face latérale du coude et les tendinopathies de la coiffe des rotateurs (TCR) de l’épaule et, d’autre part, des syndromes douloureux non spécifiques. » (Chiron E., et al 2008)

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discuté avec la médecine du travail mais la médecine du travail de suite allait me mettre inapte, j’ai dit non je ne vous en parle pas pour que vous me mettiez inapte, je vous en parle pour que vous nous aidiez à trouver des solutions » Trieuse_14

Pour les trieurs, ces conditions physiques difficiles sont aggravées par différents éléments comme le bruit, la poussière, les agents microbiens, l’odeur, la chaleur en été, le froid en hiver.

« Nous, on fait un métier à risques ne serait-ce que pour les seringues et les piqûres qui passent sur la chaîne, après il y a les microbes, mais normalement ils sont morts, mais bon c’est pas terrible d’avoir tout ça, il y a les odeurs, on ne sait pas ce qu’on respire en fait. » Trieuse_3 « C’est quand même à 85 décibels alors que c’est 80 autorisés. Oui c’est gênant (le bruit), alors là quand ça ne tourne pas trop vite il y a moins de bruit de suite. C’est pour cela que l’on ne peut pas faire toute la journée dans la même cabine au creux. C’est impossible. Moi au début j’avais des maux de tête. » Trieuse_44

Les opérateurs hors chaîne sont aussi exposés à ces conditions difficiles. Positionnés dans un lieu ouvert, ils sont fortement exposés aux conditions météorologiques, au fonctionnement des machines, à la poussière et au bruit des camions et des machines. Ajoutons que statistiquement (bien que peu de chiffres soient disponibles sur le sujet) les accidents les plus graves concernent le travail au sol et majoritairement les agents au sol.

« Sur les EPI (Equipements de protection individuelle) je suis attentif, je peux pas sortir sans mes bouchons, en 2003 je suis rentré ici avec mes bouchons de X, moulés, après ici ils nous en ont faits. Je ne peux pas travailler sans, c'est impossible. » Chef d’équipe_21 « Alors c'est vrai qu’on travaille en bas, et que donc on subit le temps, la météo quoi. Après ce qui est dur c’est le temps des fois l’hiver. Il fait plus froid dedans que dehors, et l’été c’est pareil mais le contraire, mais on est obligé de laisser ouvert pour les camions, l’hiver on essaie quand même de fermer mais ça réchauffera pas le bâtiment » Agent de maintenance_37

Cependant, on observe que ces conditions sont vécues plus difficilement par les opérateurs de chaîne. On peut faire l’hypothèse que l’accumulation de ces éléments aux douleurs, au travail de chaîne et aux contraintes morales, accentue les difficultés ressenties. De plus, les dangers qu’ils encourent du fait de la nature de certains produits sur la chaîne (aiguilles, produits toxiques, etc.) rajoutent au sentiment de subir des conditions de travail difficiles. Une majorité de trieurs abordent dans leurs discours les piqûres, les brûlures qui ont eu lieu sur la chaîne et leurs conséquences. Ils peuvent éprouver de la peur, de la colère envers les usagers qui déposent ces produits, mais aussi un sentiment d’injustice à l’idée de pouvoir se blesser ou contracter des maladies dans le cadre du travail.

Photo 15 : Boîtes de DASRI

4 trouvés sur la chaîne (C1) Photo 16 : intérieur d'une boîte de DASRI (C2)

« On se pique, ça m’est arrivé au début quand j’étais sur la chaîne, 15 jours après crac, je me suis fait piquer, donc on fait les examens, on a un suivi de 6 mois. Heureusement

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j’ai rien eu, parce qu’avoir sa vie de fichue comme ça, ça ne serait vraiment pas une récompense. » Trieur_11

Les opérateurs hors chaîne, et notamment les agents de maintenance sont aussi, dans une moindre mesure, exposés à ces risques. Lors des bourrages de la chaîne, ils sont en contact avec tous types de produits ce qui peut engendrer des accidents de travail. L’appréhension du danger est donc aussi présente chez ces opérateurs.

« Les bourrages de matière c’est l’enfer, donc là on est en contact direct avec les déchets quand ça arrive, après on est comme on est. On a juste des gants et on saute donc là aussi c’est dangereux, parce qu’on trouve des seringues, des couteaux, de tout, en sautant il peut y avoir un couteau, enfin voilà c’est dangereux. » Agent de maintenance_37

Les difficultés morales

À ces difficultés et risques physiques s’ajoutent pour les opérateurs des freins et contraintes d’ordres moraux. Comme nous l’avons vu, la dévalorisation sociale liée à une activité sur les déchets peut affecter les trieurs et la représentation qu’ils se font de leur travail. Le déchet est un objet/acteur qui aura une incidence, en somme, sur la représentation que les trieurs se font d’eux-mêmes. (Lhuillier, 2011, 2005)

« Quand vous dites à quelqu’un que vous travaillez à Optitri et au tri alors de suite c’est un boulot de con, c’est pas intéressant, ça pue, c’est sale. C’est surtout le regard des autres qui sont sur vous, vous le sentez qu’ils vous dévalorisent. » Trieur_16

La dévalorisation du statut peut conduire à la dépréciation de soi, perçue comme naturelle. Les entretiens montrent la prégnance de l’assignation au métier s’ajustant, selon eux, à ce qu’ils sont : « On est primaire, il faut le reconnaître, non mais c’est vrai, les trieurs on n’a pas inventé l’eau chaude, ni tiède … Pas tous … mais certains oui. » Trieur_1. D’autres trieurs, des femmes, nous expliqueront avoir caché ou travesti la nature de leur travail « pour ne pas avoir honte. ». Le regard ou les commentaires d’autrui qui se traduisent parfois par du mépris, le sentiment de faire un travail humiliant, constituent des atteintes morales supplémentaires. La variable « qualificatifs négatifs des métiers du déchet » nous montre l’image que les trieurs se font de leur travail au travers du vocabulaire employé pour le décrire. La notion de pénibilité est souvent employée ainsi que celles de dévalorisation ou du manque d’intéressement et d’utilité. Le manque de diversification des tâches conduirait les trieurs à éprouver un sentiment de monotonie et d’ennui au travail se traduisant par un manque d’intérêt, et qui parfois pourrait aboutir à des situations de retrait ou de freinage.

« Après le boulot moi je le trouve, enfin le travail en général je le trouve fatiguant, quoi. Pas très intéressant, ça, c'est sûr, c'est très monotone. Enfin, c'est mon avis personnel. » Trieuse_87 « Et puis après même, quand il en manque deux ou plus de personnes, normalement on devrait baisser soit la quantité ou la vitesse, mais là ça ne change rien, on est toujours à fond, donc on ne parle même plus de qualité, ça n’existe pas ou plus. Pour l’instant on dit c’est à fond, pesé et envoyé. On ne changera pas le mouvement que l’on soit plus ou moins, en bas ce sera toujours pareil. Alors à un moment les gens ils disent aussi bon et bien s’ils veulent faire comme ça, et ben nous aussi on va trouver une compensation et freiner en fait. » Trieuse_5

Les formes d’opposition, de résistance ou de freinage au travail tel que le degré d’implication du personnel de tri et les situations de retrait sont mis en cause par les agents de l’encadrement intermédiaire. Ils critiquent les opérateurs « qui viennent faire leurs 8 heures », ceux qui n’auraient pas ou plus de conscience professionnelle et qui ne « se donnent pas à fond ». À l’inverse, les agents jugés impliqués sont encouragés et soutenus dans les discours de cette catégorie d’acteurs.

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Ce constat diffère pour les agents au sol et de maintenance qui éprouvent un intérêt plus fort à leur activité. Les qualifications et compétences qu’ils développent, la diversité des tâches à effectuer dans une journée, les marges d’autonomie dont ils jouissent, sont autant d’éléments aidant à se « sentir bien » dans leur travail. Mais les aspects difficiles du travail de trieur peuvent aussi être contrebalancés dans les entretiens lorsqu’ils exposent la finalité environnementale du geste de tri. Certains se présentent comme étant les « pièces maitresses » du processus du recyclage, ou « comme le complément à l’incinération ». Plus finement, quelques trieurs argumentent l’utilité de leurs gestes et de leur activité. Le souci de préservation de l’environnement et de la nature apparaît comme une des justifications positives à effectuer ce travail.

« Comme je dis c'est un boulot qui n’est pas… qui est dur il faut le reconnaître, alors j’avais une petite expression qui disait le métier de trieur n’est pas enrichissant pour l’être humain mais valorisant pour la planète, donc je résume en gros. » Trieur_40

Ce sentiment d’œuvrer pour la protection de l’environnement bien qu’il ne soit pas une motivations pour effectuer ce travail, leur permet de « se sentir utile ». Les demandes de conseils de la part de leur entourage (ami, voisin, famille) sont par exemple l’occasion de se voir reconnaître des connaissances en matière de tri et recyclage des déchets. Mais, dans leur activité quotidienne de travail, le manque de qualité des matières recyclables, le chargement et la cadence de la chaîne qui compliquent la réalisation d’un tri de qualité sont des éléments participant au sentiment de se sentir inutile sur la chaîne.

« Même si j’ai mal aux épaules, le plus dur c’est de voir qu’on ne peut pas faire de la qualité, quand ça dégueule sur le côté, qu’il y en a trop et bien on ne sait plus à quoi on sert, je sais qu’on ne peut jamais vraiment tout attraper, mais il y a des jours on ne sait plus si on est là pour faire du tonnage ou pour trier. Le plus dur c'est de sentir qu’on ne sert à rien, et puis on finit par baisser les bras. » Trieuse_12

Ces derniers mettent en cause la finalité économique et non écologique mise en avant par leur hiérarchie et qui ne leur donnerait pas les moyens de réaliser un tri de qualité. L’analyse nous permet d’observer un décalage entre la perception de la qualité par les trieurs et celle de la direction.

« Ce n'est pas qu'il faut que l'on soit toujours en train de travailler, c'est qu'il y en a trop pour que l'on puisse bien trier, c'est ça qu'ils n'entendent pas, il me semble. Parce que nous, on voudrait de la qualité mais eux, ils s’en foutent de la qualité, ils veulent la quantité. Mais nous, ce que l'on pense c'est qu’en triant, enfin, moi ce que je pense et c'est ce que les autres pensent aussi, c'est que quand on est sur la chaîne on pense à ceux qui ont trié avant nous. Donc quand on voit tout ce qu'ils ont trié et que ça part au refus, on se dit mais c'est dommage. » Trieuse_44

En résumé, nos explorations montrent une triple charge que le métier fait peser sur les salariés : une charge physique qui, avec des conditions de travail difficiles, fait peser des menaces sur la santé des salariés (1) ; une charge mentale combinant l’appréhension des risques sur la chaîne et une gestion professionnelle qui prolonge l’espace domestique des consommateurs (2). Enfin, le métier de trieur constitue une charge morale qui fait porter au travailleur l’image que la société projette sur lui, traitant « les restes » des consommations dans des conditions d’une production taylorisée (3). Le travail du tri est pénible physiquement et moralement, le contenu de travail ennuyeux et fastidieux, dénigré, discrédité et peu reconnu. Pourtant ces salariés restent dans cet univers professionnel et s’engagent dans le travail. Ce travail dit « non qualifié » montre toutefois une réalité plus nuancée lorsqu’on s’attarde sur le mode de valorisation du travail qu’ils adoptent et sur les raisons de leur attachement à rester dans les centres de tri.

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3.1.3 Le travail de tri comme activité « choisie »16

Les conditions de travail sont rudes, le corps est mis à l’épreuve, le sens du travail et le sens au travail sont interrogés et parfois difficilement (ou peu) visible et concret. Pourtant, une majorité de trieurs s’emploie à rester. Depuis ces cinq dernières années, selon la direction et les équipes de tri, le turn-over est très faible alors que les atteintes à la santé sont visibles et endurées. Comment alors expliquer l’engagement durable dans cet emploi ? Pourquoi la volonté de partir est si faible ? Nous tenterons d’y répondre en prêtant attention au profil sociologique des agents et à leur parcours professionnel antérieurs, et en tenant compte également de la perception du marché de l’emploi et des choix opérés par les opérateurs.

Les difficultés rencontrées avant l’arrivée en centre de tri La sécurité de l’emploi est un élément fort dans le choix qui est fait de travailler en centre de tri. Avant d’y rentrer, le parcours des opérateurs est, de façon générale, ponctué de périodes plus ou moins longues de chômage dues en partie à la fermeture d’usines, ou de formes d’activité qui correspondent à la définition du travail précaire

17 (petits boulots, CDD, temps partiel subit).

Les trieurs, souvent caractérisés par leur manque de diplômes, ont éprouvé des difficultés à trouver un emploi stable et durable en période de crise et dans des zones géographiques où le marché de l’emploi semble relativement sinistré. Cette situation est aussi valable pour les agents au sol et de maintenance qui, malgré de nombreuses qualifications acquises sur de précédents postes, ont aussi souvent connu des périodes creuses au niveau de l’emploi.

« Alors j'ai fait beaucoup de choses, j'ai travaillé dans la biscuiterie, 10 ans, un licenciement économique, parce que bon ça ne marchait plus. Après j'ai fait de l'intérim, après j'ai travaillé à Hyper U mais à mi-temps, après j'ai travaillé là-haut, je ne sais pas si tu vois… bon, j'ai fait un peu de tout. J’ai travaillé chez X, salaisons à X, voilà, j'ai goûté un peu à tout. » Trieuse_87 « J’ai fait 20 ans de maroquinerie en tant qu’ouvrière en maroquinerie bagagerie, puis licenciement économique et quand on a 40 ans c’est pas facile de se recaser surtout quand on fait que de la maroquinerie, alors j’ai fait 8 ans d’intérim : femme de ménage, électronique, X les pièces automobiles » Trieuse_12

Bien que l’arrivée dans le centre de tri se caractérise souvent par des périodes d’intérim, de contrats courts, et que les difficultés liées au travail soient importantes, les acteurs ont une forte motivation à rester dans l’entreprise.

Les avantages du tri On peut donc considérer qu’avoir un métier représente pour un trieur une amélioration de son quotidien dans le contexte que nous avons décrit et à un âge pouvant être discriminant

18.

L’arrivée dans le centre de tri est souvent vécue comme « une chance » par les opérateurs du fait de leur manque de mobilité dans les départements ou régions alentours et de leur manque de qualifications qui entraîne un accès restreint au marché de l’emploi. Ce rapport instrumental à l’emploi permet d’accepter passivement les conditions de travail difficiles. Loin d’être un métier rêvé, la peur du chômage et la « chance » d’avoir un emploi à proximité de chez soi sont régulièrement évoquées dans les entretiens. Mais, le secteur des déchets apparaît comme un milieu protégé. Les entreprises du déchet et leurs emplois sont difficilement délocalisables. De plus, lors de changement de prestataire de contrat, les contrats des salariés sont maintenus et poursuivis. La sécurité de l’emploi représente donc l’avantage le plus fort lié au travail de tri, en opposition avec les situations de précarité passées.

« Ben moi, j’ai quand même privilégié la sécurité de l’emploi, c’est sûr qu’aujourd’hui à mon âge je ne sais pas si j’aurai retrouvé un emploi fixe. L’intérim, le problème c’est que

16 Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Gratifications, temps libre ; horaires de travail ; sécurité

de l’emploi ; chômage ; rémunérations ; contrats temporaires ; famille ». 17

On se réfère ici à la définition INSEE « les statuts d’emplois qui ne sont pas des contrats à durée indéterminée ». 18

Dans les trois centres de tri, la moyenne d’âge parmi la population des trieurs est de 45 ans.

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quand on est arrêté on ne sait pas pour combien de temps, quand on est intérimaire on sait jamais si le contrat va être renouvelé, il faut attendre la fin de semaine et encore. Bon moi j’ai fait 3 ans dans la même boîte, mais on pouvait m’arrêter à tout moment, alors pas de congé et puis on ne peut jamais rien envisager, alors à un moment donné on arrive à un stade où on dit stop. […] Vous savez aujourd’hui la sécurité de l’emploi c’est ça qui nous tient, quand on n’a pas de formation on reste. » Trieuse_12

Cet argument se retrouve aussi chez les agents au sol, de maintenance ou les chefs d’équipe. Bien que souvent plus diplômés que les trieurs, la sécurité de l’emploi (surtout pour les plus âgés) représente l’aspect le plus important du travail.

« Mais bon ce qui m’a poussé à signer ma titularisation c’est que comme je disais tout à l’heure j’ai 50 ans, et à 50 ans ce n’est pas facile d’avoir du travail. Donc j’ai signé au plus bas de l’échelle mais pour être sûr d’avoir la sécurité de l’emploi, c’est le seul truc qu’il y a dans la fonction publique. » Agent de maintenance_32 « Pour la sécurité de l’emploi, ah ouais la sécurité de l’emploi. Parce que bon à X on nous disait qu’un jour X allait fermer, et si X ferme dans ma ville, il n’y aura vraiment plus de boulot. Et pour trouver du boulot vers chez moi, avec un crédit sur le dos pour la maison, j’avais peur. » Chef d’équipe_21

Si les salaires proposés ne sont pas particulièrement élevés, la stabilité du CDI ou du statut de fonctionnaire et les mesures financières associées (mutuelle, prime d’intéressement, prime du bénéfice, 13e mois, chèque-vacances) sont des avantages non négligés par les salariés. Ils participent à la décision de ne pas quitter ce poste et d’y rester « si le physique le permet » jusqu’à la retraite. Les trieurs mettent en avant ces avantages (et non le salaire pour la majorité d’entre eux) par rapport aux emplois non qualifiés qu’ils pourraient occuper dans une autre entreprise.

« Et puis on a de bons avantages, la mutuelle est d’enfer, le 13e mois, prime d’intéressement, chèques vacances, les primes vacances, participation au bénéfice. Ce n’est pas mirobolant mais par rapport au boulot, il faut toujours prendre cela en compte, si tu es ingénieur c'est pas assez, mais par rapport à une caissière il n’y a pas de questions à se poser ici c'est bien. » Trieur_35

L’environnement familial et personnel pèse aussi lourd dans la décision de rester à la chaîne. L’éducation ou les études des enfants, le crédit de la maison, sont autant d’éléments qui poussent les agents de tri à ne pas renoncer à la stabilité et à la rémunération de cet emploi.

« Et bien CDI, un emploi, rien de plus, parce que maintenant on trouve rien, si j’avais trouvé autre chose il y aurait longtemps que je serai partie, mais maintenant que j’ai une maison, que j’ai un crédit et ben on peut pas partir comme ça… » Trieuse_7

Mais la conservation de cet emploi a tout autant d’importance qu’investir durablement, aujourd’hui, leur vie personnelle. Ici, la réalisation de soi n’est pas ou peu recherchée par le travail. C’est ailleurs qu’elle peut s’exprimer et qu’elle doit prendre place : il n’est plus question de donner sa vie au travail. Les horaires en journée et en 2X7 sont ici particulièrement appréciés par les trieurs. Les fins d’après-midi et les week-ends libres permettent de développer des activités annexes : prendre du temps auprès de sa famille, s’occuper de ses enfants, réaliser son hobby, bricoler, se balader dans la nature. La distance limitée entre la maison et le lieu de travail représente aussi un avantage important pour les opérateurs de tri du fait de la limitation des frais dus aux déplacements et du temps ainsi dégagé pour la vie privée. C’est un mode de vie mettant l’accent sur la qualité de la vie privée qui est promu, permettant ainsi de contrebalancer la monotonie et le manque d’intérêt porté au travail.

« Alors après il y a le service informatique en voie de développement qui m’intéresserait, mais pareil il faut voir les conditions. Parce que là dans ma condition, je privilégie ma vie de famille, et mon confort, c'est vrai que les horaires sont bien, maintenant en

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contrepartie le boulot n’est pas intéressant mais il faut savoir ce que l’on veut. » Trieur_40

Ainsi, les mutations en déchetterie ou sur d’autres installations ne sont pas désirées par plusieurs trieurs qui ne souhaitent pas perdre les avantages de ces horaires de travail au profit d’une activité jugée pourtant moins pénible physiquement et mentalement. Le caractère monotone et sans responsabilité du travail de tri peut aussi être appréciable car permettant une tranquillité de la vie personnelle.

« Ce qui me plaît dans mon travail… ce qui me plaît c’est d’avoir le travail à côté de la maison, d’avoir tous ces avantages, d’avoir au fil du temps… faire une équipe comment dirais-je, avoir une bonne entente dans l’équipe, ne pas venir avec le mal au ventre, même si de temps en temps il y a des petits trucs, nul n’est parfait mais bon. Ce qui me plaît moins c’est que ce n’est pas enrichissant quoi, j’apprends rien contrairement à mon ancien métier. Et par contre ce qui me plaît beaucoup c’est de travailler avec des papiers, avec des bouteilles, une fois que la journée est finie je rentre j’ai la tête vide, je n’ai pas à me poser de questions si j’ai laissé une bouteille là ou là, contrairement à quand je travaillais avec des êtres humains… » Trieuse_14

On remarque dans cette citation que le travail en équipe et la « bonne entente » entre collègues est un aspect du travail qui est valorisé par les trieurs. L’ambiance dans le centre de tri ou sur la chaîne semble favoriser le bien-être au travail lorsqu’elle est perçue comme « bonne », mais peut aussi être un élément de dégradation des conditions de travail dans la situation contraire.

3.1.4 Un travail collectif19 Avec ce dernier point, nous abordons l’importance du travail collectif dans le centre de tri de déchets. Comme nous l’avons déjà exposé précédemment, la situation de travail impose des coopérations entre les opérateurs du tri, entre les opérateurs du sol, mais aussi entre ces deux corps de métier. Dans les cabines de tri, les agents travaillent en face-à-face ainsi la plupart d’entre eux peuvent communiquer et s’adresser les uns aux autres. Puis, leurs tâches réclament un collectif. De plus, nos observations ont montré que les agents eux-mêmes expriment un rapport d’appartenance à leur équipe de travail, notamment chez les trieurs qui selon les équipes plaident pour une amélioration des conditions de travail ou défendent au niveau syndical la mise en place d’une prime « spéciale » pour le métier de trieur. Entre les équipes (maintenance, sol, tri) le collectif prend une place importante lors de dysfonctionnement ou de panne, lorsque le travail demande à être réorganisé, ou lorsqu’il faut remédier à d’autres complications productives.

Le travail d’équipe en centre de tri L’organisation du travail dans le centre de tri est répartie en équipes. Suivant les installations étudiées, il peut exister une ou deux équipes de trieurs et d’agents au sol. Pour les 3 catégories d’équipes (tri, sol, maintenance), le sentiment d’appartenance à l’équipe semble être fort, du moins plus important que l’attachement au site de production ou plus généralement au secteur des déchets. Ici, c’est la place occupée dans la division du travail du centre de tri qui prime sur ce dernier. On observe tout de même que les équipes de maintenance et du sol ont des rapports plus directs. Les relations semblent plus étroites entre ces deux équipes. Cela s’explique en partie par le partage d’un même lieu de travail, par des interventions parfois communes sur des machines ou lors de remplacements (les agents de maintenance aident au sol lorsqu’il manque du personnel). Sur la chaîne, la production se construit en équipe, et les conditions de travail peuvent être rendues plus ou moins difficiles par les opérateurs se situant en amont de la chaîne. Le travail de chaque trieur se répercute ensuite sur le suivant. Pour les opérateurs, l’égalité dans la quantité de travail et l’implication sur le poste représentent un aspect important du travail en

19

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Travail d’équipe ; mauvaise ambiance de travail ».

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équipe. On voit que la position et les dispositions de chacun sur la chaîne peuvent être sources de conflit entre personnel de tri.

« Bon, c'est sûr que l'on ne peut pas tout enlever, moi non plus, je n'enlève pas tout, je ne peux pas. Ce n'est pas que je ne veux pas, c'est que je ne peux pas. Mais je veux dire que si chacun fait son travail, enlève au maximum, je pense que ça soulagera le collègue. Bon, on ne fait pas tous pareil, mais bon, il y en a qui papotent mais pas tout le monde quand même et heureusement qu'il y en a pas mal qui sont comme moi. Parce que si tout le monde était comme ça… » Trieuse_18 « L’autre fois elle ne voulait pas tourner, elles se sont mis une flambée avec Laure qui lui a dit « tu ne veux pas y aller, alors moi je laisse tout passer, et je vais y aller » » Trieur_35 « Hélène elle a eu des problèmes au dos, ou je ne sais pas quoi, elle ne pouvait pas porter du poids pendant quelque temps. Guillaume il ne peut pas porter plus de 3,5 kg, et puis tu en as d’autres, Amandine elle n’est pas très costaud donc je ne leur tape pas dessus, alors Laurie qui est dessus c'est elle qui va se vider sans arrêt les poubelles. Et attends, elle touche la même paye que les autres ! Elle n’a pas à en faire autant, tout le monde doit être égal, ou alors qu’ils prennent un homme pour faire ça. » Trieur_35

L’équipe : facteur de satisfaction au travail ou source de conflit et de concurrence

Suivant le positionnement sur la chaîne, les interactions entre les trieurs pourront être plus ou moins importantes. Sur plusieurs postes, le dialogue reste limité voire inexistant pour quatre raisons majeures : le bruit, l’isolement, la cadence imposée par le tapis qui exige de la concentration, le chargement important de la chaîne. Dans les cabines, bien que les discussions en collectif soient difficiles voire impossibles, les interactions duelles entre voisins sont présentes. Ces postes sont préférés par les opérateurs qui trouvent dans les discussions entre collègues de quoi supporter un travail monotone et physiquement difficile. La bonne ou mauvaise ambiance sur la chaîne et plus largement dans le centre de tri revêt une importance particulière pour les opérateurs et constitue un élément fort de la perception positive ou négative du travail occupé. Suivant la nature et la qualité des relations entre opérateurs, le travail d’équipe pourra être :

- facteur de satisfaction au travail : mise en avant de la solidarité des trieurs, de la bonne ambiance sur la chaîne, mise en place de jeux collectifs.

- source de conflits et de concurrence : entre personnel du centre de tri mais aussi à l’intérieur des différentes équipes.

Ce constat est d’autant plus fort pour les trieurs. En effet, la définition d’une bonne journée prend fortement en compte l’ambiance sur la chaîne, les discussions entre collègues (Teiger, 1995), les jeux (Roy, 2006), permettant de « ne pas voir le temps passer ». Le travail d’équipe permettrait d’oublier un temps ou d’amoindrir les conditions de travail difficiles et de créer de la solidarité entre les membres. Des recherches en sociologie clinique ont montré l’importance du collectif de travail dans la construction du lien santé-travail (Clot et Caroly, 2004 ; Daveziès 2005 ; Dejours et Gernet, 2009). Le collectif contribue à la mise en place d’espaces de discussions entre les travailleurs, par son biais se constituent des liens de solidarité et d’échanges. Dans ce sens, le collectif de travail peut donc participer à la convivialité et au bien-être de ses membres. L’extrait de journal de terrain qui suit montre un arrangement qui se met en place sur la chaîne, souvent implicitement, pour favoriser les échanges. Mais rappelons aussi que cet arrangement peut-être compromis lorsque l’activité est trop dense ou que les contraintes s’accumulent.

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Vendredi, dernière journée de la semaine, à midi nous serons libérés. Souvent en fin de semaine, l’ambiance est meilleure dans les cabines de tri, l’équipe apparaît soudée : tout le monde parle, des blagues sont faites et circulent de poste en poste pour ceux qui sont trop éloignés. On se raconte le programme du week-end à venir, certaines filles reprennent à tue tête les refrains de leurs chansons préférées et parfois elles dansent, la chef de cabine laissant faire ou pouvant même participer à cet état « d’euphorie » éphémère. Sur la ligne du plat, du côté droit où sont placées trois trieuses statutaires sur chacun des trois postes, j’observe pendant près d’une heure que lorsqu’il y a peu d’apport de déchets sur le tapis, chacune à leur tour, seule une d’entre elles trie. Cela demande une certaine organisation. Prenons l’exemple du premier poste sur la chaîne du plat, où normalement l’agent de tri doit retirer les bouteilles et les cartons. Dans le cas présent j’observe que non seulement elle retire les bouteilles et les cartons, mais elle prépare aussi le travail du prochain poste en plaçant en évidence, et au bord du tapis, les tétras et le refus qui devra être retirer par l’agent du tri du second poste. Ce travail de préparation permet au second trieur de relâcher la pression continue et de pouvoir discuter plus aisément avec ses collègues. Notes de terrain C3

On voit bien ici que l’arrangement en cours mobilise davantage une personne sur son poste de travail pour qu’une ou deux autres puissent être déchargées de son service habituel pendant une petite période. Cela permet le développement d’autres activités « de travail » ou de « loisirs ». Cette sur-mobilisation volontaire crée un temps de « répit » pour l’autre personne. L’espoir que la personne qui a bénéficié de l’arrangement, rende ce service à un autre moment contribue à l’aménagement de rythmes collectifs sur la chaîne.

« Ce qui me plaît… le travail en équipe. Voilà, après le travail lui-même, ceux qui disent qu'ils adorent trier des poubelles, bon, je pense qu'ils mentent un peu » Trieur_34 « Une bonne journée c’est quand on a bien rigolé avec les collègues, qu’on a pu penser à autre chose, bon on a trié on a fait notre job, mais on a pu s’évader de ce qu’on fait, voilà c’est penser autre chose. » Trieur_11 « Et on a des rondelles, comment t'expliquer, tu as du cappuccino, tu as déjà vu les grosses boîtes cappuccino ? Tu as des rondelles en plastique dessus, et ben on les prend. Ce sont des couvercles en plastique, on les prend on se les jette comme des frisbees. On s'amuse à ça. Bon, c'est… pour emmerder celui qui est devant, pour le chahuter, le taquiner et puis ça fait passer 5 minutes, on rigole, voilà. Après c'est suivant aussi ce que l'on trouve sur la chaîne. Il y a des trucs rigolos, on se le montre, voilà. Sinon c'est triste. » Trieur_2

La mauvaise journée se définit aussi en rapport avec ce critère :

« Une mauvaise journée de travail c’est quand on est en face de quelqu’un qui parle pas, moi c’est ça qui m’emmerde quand je suis face à quelqu’un qui me parle pas, et 7 heures c’est long. Quand on peut pas rigoler ou discuter de tout et de rien avec quelqu’un c’est pas la peine qu’il soit en face » Trieuse_5

D’autres éléments comme l’aménagement des cabines de tri (ouvertes sur l’extérieur à C1 et C2) la présence de musique sur la chaîne (C1, C2, C3), la possibilité pour les trieurs d’utiliser des walkmans (C2), de laisser libre cours à sa pensée et à rêver contribuent à manifester de la satisfaction à ce travail routinier. Mais les conflits ne sont pas absents des centres de tri. La plupart du temps, ils sont jugés comme étant de « courte durée » et peuvent prendre plusieurs formes. Les plus abordés sont ceux présents entre les différentes équipes : les trieurs critiquent les attitudes des agents au sol et de maintenance et inversement.

« Après au niveau des autres il y a des histoires surtout de jalousie, quand on se balade rien que sur la passerelle, par exemple il y a une panne là-bas, donc on va chercher les outils on repasse devant eux 50 fois ils vont dire « tiens ceux-là ils font rien » c’est que des trucs comme ça, bon moi je laisse passer, moi je leur dis dès fois quand ça me prend « si vous êtes jaloux il fallait postuler quand il y avait le poste. Vous avez vous aussi les moyens d’évoluer alors pourquoi vous ne le faites pas », après moi je laisse passer, mais

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bon je le sais tous… pas les agents au sol parce qu’on travaille ensemble, y’a pas trop de jalousie, on travaille ensemble, on s’entraide au contraire ça se passe très bien avec eux. Mais c’est vraiment avec les trieurs, enfin moi je les comprends aussi, moi je ne pourrais pas le faire. » Agent de maintenance_37 « Il y a toujours une guerre entre le sol et le tri parce qu’on dit nous, c'est difficile, on a mal au dos et eux, ils nous disent « quoi tu crois que notre boulot est facile », mais comme on dit dès qu’il y a un poste de travail qui se libère en bas, les trieurs ils veulent y aller, mais en haut on a jamais vu des types venir. » Trieur_1

On voit ici que les agents au sol et de maintenance forment une équipe, un collectif qui s’oppose à celui des trieurs. Ces derniers représentent une catégorie à part de par leur absence de reconnaissance de leurs qualifications, la difficulté de leur travail mais aussi du fait du genre : on retrouve sur la chaîne une majorité de femmes alors que les autres postes du centre de tri sont occupés uniquement par des hommes. Plus généralement, l’activité des déchets est essentiellement masculine. Dans les centres de tri, on retrouve une proportion importante de femmes, mais celles-ci sont présentes uniquement sur les postes de tri donc avec des qualifications non reconnues. Sur les 17 trieurs de notre échantillon, 11 sont des femmes. Entre les trieurs et suivant les équipes de nombreux conflits sont aussi présents, et la question du genre est souvent mise en avant : les femmes seraient vectrices de conflit et de « mauvaise ambiance ». Cette idée provient aussi bien des discours des hommes que des femmes, des trieurs que de l’encadrement.

« Après sinon ça va, le boulot est toujours aussi dur, l’ambiance est bonne mais quand elle est mauvaise ça vient des filles, je n’ai rien contre elles, mais elles s’engueulent souvent entre elles je ne comprends pas pourquoi. Si c’est que les mecs ensemble ça va, on rigole, c'est bon mais alors avec les filles il y a toujours un problème. » Trieur_1 « Parce que quelques fois avec les femmes c’est plus mesquin, enfin moi je trouve, que de travailler avec les hommes où eux sont plus francs peut-être, plus directs, voyez ce que je veux dire » Chef de cabine_19

Sur la scène du travail, les activités de langage jouent un rôle important dans le bien-être des salariés, cette dynamique relationnelle portée par la langue, les jeux et la solidarité esquisse quelques traits des processus de construction à l’œuvre pour l’individu : son appartenance à un collectif, à un groupe.

**** A notre connaissance, le travail dans les centres de tri de déchets n’a pas encore fait l’objet d’une analyse en sociologie. Au terme de ce rapide éclairage, nous voudrions résumer les points forts des métiers du tri qui permettent de mieux comprendre le rôle de ces travailleurs qui sont en coulisse des enjeux du recyclage et du développement durable. Alors que certains travaux en sociologie montrent l’amélioration des conditions de vie des employés des industries « traditionnelles », nous avons vu que dans ces industries de la « modernité » et du développement durable (le premier centre de tri ouvre ces portes en 1993 en lien avec la loi de 1992), le métier de trieur reste soumis à des normes tayloriennes du travail. Les agents au sol et de la maintenance sont davantage sollicités pour organiser leur propre activité (vérification de l’état des machines, accueil des clients (transporteurs de déchets), auto-organisation du planning des interventions). En revanche, les tâches des trieurs sont parcellaires et élémentaires à l’instar du travail sur les chaînes de montage et d’assemblage des années 1970. Le manque d’autonomie, les pénibilités morales et physiques telles que les gestes répétitifs, les cadences élevées et incontrôlables, l’exposition aux déchets sales et dangereux peuvent causer de l’usure au travail et des problèmes de santé irrémédiables. Ils posent la question du bien-être de ces nouveaux ouvriers d’exécution. Nous constatons que la pénibilité dans ces métiers occupe une place essentielle, elle se constitue aussi à travers l’environnement sale des cabines de tri, la dévalorisation sociale du métier, la difficulté de faire de l’objet déchet son objet de travail : « travailler avec le déchet n’a pas bonne presse » et il est parfois difficile de trouver une finalité et un sens à cette activité.

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Pourtant, les salariés du tri s’accoutument aux tâches parcellaires et répétitives et énumèrent les avantages de leur situation de travail : le statut de fonctionnaire territorial, la proximité du lieu de travail à leur habitation, les horaires à la journée, la vie de famille, etc. La crainte du chômage, la chance de trouver un « boulot à notre âge » et la précarité de certaines situations sociales contraignent aussi à accepter des conditions de travail souvent difficiles. Enfin nous avons vu que la manière dont est distribué le travail dans les centres de tri implique de la coopération entre les trois corps de métier, dans la mesure où le processus du tri est dépendant des uns et des autres. Ainsi, en réponse aux conditions générales de travail, la qualité des relations humaines entre les équipes et au sein des équipes et l’entente entre les membres conduisent à une revalorisation de ce travail. Le sens du collectif, le plaisir de converser et de jouer sur la chaîne contribuent à manifester de la satisfaction et un intérêt au travail. Nous allons maintenant aborder le deuxième aspect de l’axe « Travail ». Si le déchet est l’objet du travail des agents du centre de tri (un travail d’exécution), il est aussi un problème public et l’objet à part entière d’une politique publique dans laquelle intervient une multiplicité d’acteurs de la conception. Pour rappel, nous verrons rapidement que ce travail de conception ne touche que très marginalement les ouvriers et les trieurs des installations, ou en tout cas, la structure des discours nous renvoie à une division du travail très marquée entre d’un côté l’organisation de la filière et du travail dans les déchets et de l’autre les opérations de travail d’exécution elles-mêmes. La problématique de la valorisation des compétences du trieur et de son implication dans le processus de décision reste entière.

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3.2 Le Travail de conception sur les déchets Problématique relevant du politique, la gestion des déchets ménagers intègre des composantes techniques, sociales, économiques et culturelles qui génèrent la mobilisation d’un faisceau d’acteurs ayant leur propre perception sur la réglementation du secteur des déchets, sur les liens qu’ils entretiennent et qui interviennent dans la gestion des déchets et sur l’économie des déchets. Les discours ici sont donc focalisés sur la thématique de la politique de la gestion des déchets et sur l’économie des déchets. Mais regardons de plus près comment s’effectue le travail de conception sur les déchets. Quelles sont les attentes des acteurs interrogés vis-à-vis des politiques étatiques ? Sur quels points sont-ils en désaccord ? Quels paradoxes ou contradictions relèvent-ils ? Dans quelles mesures les contraintes réglementaires peuvent-elles être un frein dans leur activité ? Comment la gestion des déchets peut-elle être un enjeu de pouvoir et cristallise des problèmes politiques, économiques et techniques ? Quel est l’état de la concurrence ? Comment le marché fonctionne t-il ? Quelles sont les recettes d’exploitation des industries du déchet ?

Figure 2 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d'importance

Dans ce régime de sens lié au travail de conception aucun ouvrier ou employé d’exécution des cinq installations de traitement des déchets étudiées n’est présent. Pourtant cette partie est constituée d’un ensemble d’acteurs hétérogènes. À la première lecture, on observe qu’elle englobe des cadres dirigeants des organisations liées au déchet représentant différents services, un acteur d’une institution représentant l’Etat (Préfecture), des élus locaux, et un délégué d’une fédération environnementale. Chacun d’entre eux contribue à la réflexion et à la conception de la politique des déchets et à un ou plusieurs intérêts à défendre pour influencer le processus décisionnel. Nous verrons dans cette partie, qu’ils ont chacun une stratégie ou une

Individus du regroupement Variables Mobilisées

Acteurs réglementaires

Collectivités territoriales

Recettes marchandes

Syndicat de collecte et /ou de traitement

Déchets

Dispositifs réglementaires des collectivités territoriales

Dispositifs réglementaires de l'Etat

Méthodes de traitement des déchets

Economie et marché des déchets

Société civile et associations environnementales

Centre d'enfouissement technique

Politiques environnementales

Valorisation énergétique

Services au public

Environnement

Acteurs du traitement des déchets

Contraintes

Incinérateur

Réunions

Communication

Sites villes et territoires

Carrière

Abréviations postes et fonctions : PREF : Agent de préfecture FEDENV : Représentant d’une fédération environnementale DRC : Directeur général des services Optitri DSO : Directeur sud-ouest groupe privé RE : Responsable d’exploitation centres de tri Optitri DRC : Directeur du site Valori BU : Membre du bureau Optitri OF = Responsable service Optimisation des filières Optitri PROPRET : Président du syndicat de traitement Propret RH = Responsable ressources humaines Optitri RE_BIO= Responsable d’exploitation du bioréacteur

PREF_70

FEDENV_69

DRC_OPTITRI_61

DSO_82

RE_63

DRC_VALORI_57

BU_66

OF_62

PROPRET_59

RH_OPTITRI_65

RE_BIO_72

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tactique spécifique pour faire valoir leurs intérêts, et que les décisions d’un acteur ou groupes d’acteurs dépendent aussi de celles des autres. On observera alors des jeux d’influence et des relations de pouvoir entre les différents acteurs ou parties prenantes. Leurs discours nous permettent dès lors d’apporter un regard relativement complet sur les différents aspects de la gestion des déchets : techniques, politiques, environnementaux et sociaux. Il nous semble important de noter que dans ce régime de sens et au travers des variables qui sont mobilisées dans les discours, l’aspect gestionnaire est central, autrement dit c'est le travail de coordination des décisions et des acteurs qui participent aux décisions qui est au cœur des discours. De plus, on retrouve une vision globale du secteur de traitement des déchets. Enfin, en proposant une radiographie du secteur, le discours des acteurs (hors FEDENV_69 et RH_Optitri_65) met en lumière la dynamique du marché des déchets. Dans un premier temps, nous proposons ici de rendre compte, tel qu’il a été rapporté par nos enquêtés, du rôle respectif des différents acteurs intervenant dans la gestion des déchets et leurs perceptions à l’égard des politiques sur la gestion des déchets. Dans un second temps, nous présenterons les aspects économiques de la gestion des déchets avec un resserrement sur le fonctionnement du marché des déchets.

3.2.1 Le secteur des déchets : des règles et des acteurs particuliers20

De nombreuses recherches ont montré l’évolution de la gestion des déchets ménagers (Buclet, 2005 ; Rumpala, 1999, 2006 ; Rocher, 2006 ; Lupton, 2011). La plupart d’entre elles s’accordent à dire qu’à partir de 1960, le déchet devient « un objet de politique publique » (Rocher, 2006). Sa gestion se caractérise par l’émergence de réglementations couplée au développement des entreprises privées (Defeuilley, Godart 1998). En 1975, les exigences réglementaires relatives à la protection de l’environnement se renforcent. La loi du 15 juillet 1975 stipule que la responsabilité et le coût de la gestion des déchets ménagers sont sous la responsabilité des autorités locales (qui peuvent déléguer ce service à des entreprises agréées). De plus, elle intègre le principe du pollueur-payeur et la notion de valorisation mais qui ne prendra corps que dans les années 1990. Cette même année, la première directive cadre européenne en matière de gestion des déchets est votée. Puis, un grand nombre de travaux rapporte le tournant institutionnel des années 1990. Dans un contexte où les polémiques sur les déchets sont grandissantes et médiatisées, la problématique du traitement des déchets nécessite une intervention urgente de l’action publique. Elle sera alors l’enjeu central de la politique des déchets. Aux acteurs politiques et administratifs, l’espace de conception se voit élargi aux professionnels du secteur, aux industriels de l’emballage, aux collectivités locales, aux experts et aux associations environnementales (Barbier, 2002). La loi du 13 juillet 1992 initie le principe de réduction des déchets, instaure le principe de proximité, affirme la notion de « valorisation », impulse le traitement des emballages ménagers et introduit des mesures pour informer le public. Cette section est destinée à examiner la réglementation du point de vue des acteurs enquêtés, en leur laissant la parole, à travers leurs visions des cadres juridiques et des autres acteurs du secteur (1 et 2). Les points qui suivront montrent d’une part des jeux d’influence et de stratégie entre les acteurs qui tentent de défendre leurs intérêts ou projets (3), et d’autre part reprennent par le discours de nos enquêtés, les contraintes que peuvent poser les grandes orientations de la loi de 1992, en particulier le principe de proximité du traitement des déchets (4). Le schéma ci-dessous a été élaboré, à partir des discours de nos enquêtés. Il présente les acteurs de la gestion et de la conception des déchets, ainsi que leurs liens réciproques. Cet espace d’interaction montre la multiplicité des acteurs, qui se traduit par l’articulation d’un niveau local, départemental, national et européen. Si la majorité de nos enquêtés s’accorde à

20

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Acteurs réglementaires ; collectivités territoriales ;

dispositifs réglementaires des collectivités territoriales ; dispositifs réglementaires de l’Etat ; Société civile et associations environnementales ; acteurs du traitement ; politiques environnementales ; syndicat de collecte et/ou de traitement ; service au public ; contraintes ; environnement ; sites, villes et territoires, réunions ».

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dire que l’Europe a une influence sur leur activité, notamment parce qu’elle fixe des directives, des objectifs et donne les orientations à mener, ils ne donnent pas pour autant leur avis ni ne font part de contraintes ou d’avantages particuliers à ce niveau. Tout au long de la présentation qui suit, nous verrons que ce schéma fait sens grâce aux extraits d’entretiens choisis.

Schéma 2 : Rôles et acteurs de la conception en lien avec nos enquêtés

Ce schéma illustre la complexité des intervenants de la conception du secteur. En même temps qu’il indique la multitude des acteurs qui participent aux choix décisionnels et de conception, nous comprenons les relations entre les différents acteurs.

Les visions des cadres réglementaires du secteur

OPERATEURS du secteur des

déchets

Lobbying Jeu d’influence

Organise le service de

gestion des déchets

Soutien financier et technique

Transposition en droit français

Fixe les objectifs nationaux

USAGERS et FEDERATION

ENVIRONNEMENTALE

DREAL

PDEDMA

COMMUNES et groupement de

communes

ECO-ORGANISMES

CONSEIL GENERAL

PREFECTURE

ADEME

ETAT Ministère de

l’environnement

Directives Objectifs

Orientations

EUROPE

Repreneurs (Industries du

recyclage, EDF etc.)

Finance le recyclage

INDUSTRIELS de

L’EMBALLAGE

FEDERATIONS PROFESSION-

NELLES

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La gestion des déchets est encadrée par un ensemble de réglementations qui s’accompagnent aussi d’instruments économiques. Ces derniers sont des incitations monétaires pour orienter les choix du mode de traitement des déchets ou pour modifier les comportements des usagers. Ici, nous proposons de présenter la perception des liens entre les acteurs du déchet et les représentations des différents dispositifs réglementaires. Concernant le contexte réglementaire, tous les acteurs s’accordent à le considérer comme « extrêmement changeant » et imprévisible. Il devient alors nécessaire pour les professionnels du déchet, mais aussi pour les acteurs étatiques (préfecture) d’ajuster leurs pratiques et leurs manières de travailler. Cette évolution de la réglementation est rapportée, jugée et vécue de manière différente selon les acteurs : comme un frein ou une contrainte au niveau économique, organisationnel ou environnemental avec une difficulté à coordonner ces trois domaines ; en décalage entre ce qui est attendu et ce que permet la réalité du terrain ; un avantage ou une entrave pour faire avancer ou passer un projet innovant. Les difficultés rencontrées ne pèsent pas sur un seul acteur, c'est l’ensemble du système d’acteurs qui est concerné. Ainsi chacun des acteurs de la conception est impacté d’une manière ou d’une autre. Ces changements réglementaires ne semblent pas faciliter leurs relations de travail, et les placent dans une zone d’incertitude quant à la gestion de leurs propres activités de travail.

«Par contre, la difficulté c’est qu’on est dans un environnement notamment réglementaire qui évolue à peu près en permanence, et ça, c’est toujours s’adapter » Directeur sud-ouest groupe privé_82 « On a une réglementation environnementale qui est extrêmement changeante, qui

évolue très rapidement sous la pression européenne … qui change les logiques, puisqu'on est passé d'une logique de provenance des déchets à maintenant une logique

de production des déchets. … elle galope et qui fait une classification, qui rechange la classification des déchets qui avait été modifiée il y a moins d'un an, et donc on réadapte

tout ça. … On a aussi une organisation des services de l'Etat qui n'est pas toujours extrêmement lisible pour un exploitant » Agent de Préfecture_70 « La politique sur les déchets à ce jour elle me déçoit, les grandes politiques sur les déchets ont été formalisées dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Or les engagements de 2007 avant même la loi de 2009, les objectifs qui paraissaient consensuels au niveau de traitement et de valorisation des déchets sont tous passés peu ou prou à la trappe. On assiste quand même à un ramollissement des politiques publiques dans le domaine des déchets » Directeur des services Optitri_61 « En revanche, la contrainte réglementaire impose des choix techniques ou des mises en œuvre techniques qui sont effectivement très coûteuses et c’est toujours la

réglementation environnementale …. La contrainte réglementaire est telle qu’elle s’oppose même parfois à l’efficacité du système, très souvent elle génère des coûts qui

sont infondés. … Mais voilà au niveau du déchet, il y a des contraintes réglementaires qui sont très fortes, et qui sont à la fois pénalisantes, qui quelquefois empêchent l’initiative et l’innovation, et quelquefois qui sont génératrices de coûts qui sont…, qui font gaspiller de l’argent, ça, c’est clair. Alors en plus on se heurte quelquefois à des …, les personnes qui font appliquer ces contraintes réglementaires sont des administrations qui sont pas du tout dans les mêmes…, vivent leurs métiers différemment et ne sont pas là pour adhérer à des mécaniques, à des perspectives, ils sont pas là pour ça, ils sont pour vérifier, contrôler la bonne application d’une démarche dans un instant T, c’est tout. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63 « Alors ça, c’est insupportable, c’est insupportable que les normes, qu’une réglementation vienne se substituer à une autre avant que la première n’ait été amortie. Ce qu’avait dit le premier ministre Jospin, « avant d’éditer des nouvelles normes, il faut s’assurer que les premières sont amorties », mais ça continue encore et ça, c’est insupportable parce qu’on ne parvient pas à maîtriser les coûts. » Président Propret_59

Le responsable d’exploitation du bioréacteur expose lui aussi des difficultés à mettre en œuvre certaines réglementations ou normes environnementales sur son installation. Mais ses propos sont plus modérés, et son discours rapporte le caractère « positif » de la réglementation. En

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effet, pour lui les contraintes existent mais permettraient en même temps de mieux intégrer le respect et la protection de l’environnement.

« On est parti de loin parce que si on revient 20 ans en arrière il n’y avait vraiment pas grand-chose au niveau de la réglementation environnementale sur les centres de stockage, donc déjà ce qui est très positif c’est que ça met des petites barrières, on a des objectifs sur l’étanchéité etc. Donc je trouve ça assez positif d’avoir cette base réglementaire et qu’elle évolue, c’est positif pour l’environnement et en général. Après c’est sûr ça reste quand même parfois compliqué de répondre aux réglementations environnementales, tout ce qu’on nous demande au niveau des analyses, les normes qu’on nous demande, mais bon même si c’est difficile je trouve ça assez positif. » Responsable d’exploitation bioréacteur_72

Le discours du représentant du syndicat national des activités du déchet est lui aussi largement orienté sur l’aspect réglementaire du secteur. Il reprend et explicite certaines directives les plus récentes, et en explique les répercussions. Son discours va à l’encontre de ceux des acteurs publics et de l’association environnementale, il ne décrie pas la politique environnementale française, sans pour autant l’encenser. Il relate la complexité des relations avec l’administration et les différents acteurs qui sont invités à participer en donnant leur avis sur l’évolution d’une norme environnementale ou dans la rédaction du Grenelle de l’environnement, notamment quand les intérêts des uns sont à l’opposé des autres.

« Par exemple le travail qui peut être fait avec les élus parlementaires qui travaillent dans ces sujets-là, en général ça se passe bien, ça se passe plutôt bien, il y a eu un rapport sénatorial par exemple qui a été fait qui était très équilibré entre notamment les intérêts

publics, privés, etc. … C’était pas trop mal parti si j’ose dire parce qu’il y avait cet enthousiasme du Grenelle, et puis progressivement chacun reprend son rôle, l’association fait de la surenchère en permanence, l’industriel est supposé ne pas donner les bonnes informations, bon chacun fait un truc dans son coin, ça a mis 3 ans à sortir et finalement ça prend plus de temps que ça en aurait mis auparavant mais voilà. Et l’administration a été un petit peu sclérosée au début parce qu’elle voulait satisfaire un peu tout le monde quoi, et on ne peut pas satisfaire tout le monde, il faut trancher quoi, bon ça s’est résolu » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Un dysfonctionnement des politiques est évoqué par différents acteurs entre ce qui est prescrit et ce qui est vraiment appliqué et réalisé sur le terrain au regard des normes et objectifs de la politique européenne et française sur les déchets. Bien qu’ils aient le « mérite d’exister » selon la fédération environnementale ils ne sont pas suffisamment portés ou contrôlés par les acteurs politiques et les objectifs « ne sont pas suffisamment élevés », nécessitant alors des actions menées par les associations environnementales et « une participation obligatoire de la société civile » pour les faire appliquer.

« On est assez loin des directives européennes … Mais on se rend compte quand même que ces cadres-là on les respecte pas souvent malgré tout, les lois, les directives européennes, les décrets c’est comme partout, dans toute la législation, il y en a très peu

et ils sont pas tous respectés. … Et aujourd’hui, on est en train de se rendre compte que les objectifs fixés par le Grenelle ne seront pas probablement atteints dans les 10 ans qui viennent, donc on se fait plaisir… Donc il faut bien sûr fixer des objectifs, aller vers des voies, ça oriente surtout les esprits, ça fait entrer dans les esprits des gens qu’il faut faire attention à telle ou telle chose, mais moi je ne considère pas ça comme un cadre très contraignant, parce que les gens de toute façon n’y rentrent pas. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63 « Il faut se tenir au courant des nouvelles réglementations environnementales pour qu’elles soient effectives sur le territoire parce que sinon… comme dit le sénateur, il y a 60 % des lois qui sont votées au Sénat qui ne sont pas en application parce que personne ne veut les mettre en application, personne ne veut faire jurisprudence etc. » FEDENV_69

Si les réglementations évoluent rapidement notamment en faveur du recyclage, il est nécessaire que le département s’adapte lui aussi et se recompose avec un essaimage

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d’installations de tri et de traitement des déchets plus ou moins importantes (multiplication des centres de tri et des déchetteries en l’espace de 20 ans). Les petits incinérateurs et la majorité des centres d’enfouissement et décharges présents sur un département étudié ont été fermés pour privilégier le mode du bioréacteur qui accueille 75 % des déchets du département auparavant dispatchés sur les anciennes installations.

« En 2008-2009/2010, on complète le panel des déchetteries présentes sur le territoire pour couvrir un peu les objectifs de maillage territorial qui sont dans le PDEDMA. En 2010 c'est aussi l'année où l'on a une fermeture des centres d’enfouissement techniques préexistants qui fait que l'on se retrouve avec un fort besoin en termes de tonnage d'enfouissement, et avec deux acteurs pour le faire, Optitri et un opérateur privé » Agent de Préfecture_70

Ces installations sont régulièrement rénovées pour respecter les normes environnementales en y ajoutant des nouveaux équipements ou de nouvelles techniques. Cela nécessite un travail administratif avec les acteurs de la conception et également un travail de négociation avec le donneur d’ordre.

« Il y a des installations qui ont été mises en service récemment, des nouveaux équipements installés ici pour anticiper les normes réglementaires sur les mesures de dioxine, on a installé des analyseurs de fumées qu’on n’était pas obligé d’installer maintenant, car la réglementation environnementale qui sera mise en vigueur est pour 2014, mais en accord avec Propret on a fait ça. Donc ces nouveaux équipements ont un coût de suivi et d’analyse, donc tout ça on doit l’intégrer dans la DSP. Donc c'est sans arrêt des évolutions, et donc des avenants, l’avenant 18 sera sûrement en lien avec le projet de chauffage des serres. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Enfin, les relations avec l’ADEME sont peu exposées, son nom apparaissant 30 fois sur les 147 pages du corpus d’entretien de ce groupe d’acteurs. Seul un acteur a une image plutôt négative de cette agence du fait d’un manque d’appui et de considération de sa part sur le mode de traitement du bioréacteur. Sinon, la majorité des acteurs s’y réfère lorsqu’ils abordent les politiques de prévention et de réduction des déchets ou lorsqu’elle assure un soutien financier dans des projets. Une critique lui est toutefois adressée par deux acteurs.

« Avec l’ADEME on n’est pas toujours d’accord sur tout avec eux, surtout dans le traitement du déchet résiduel eux, ils ont une vision complètement différente, ils sont plutôt partis sur une logique d’incinération forte que de la technique de la méthanisation. On souffre un peu on a l’impression du syndrome parisien, du gros équipement, de ce qui se fait à Paris et on regarde pas trop ce qui peut se faire à l’extérieur » Membre du bureau Optitri_66 « Eux [les grands groupes] ils sont plus armés que nous, parce qu’ils ont souvent une vision plus globale, car à eux seuls, ils ont un retour d’expériences à l’échelle nationale […] Alors les gens qui pourraient nous aider là-dedans, ce sont les gens comme l’ADEME et ils le font, c’est leur boulot, pour essayer de consolider des données. De plus en plus aujourd’hui elle intervient sur les territoires, pour consolider des données sur tous les métiers. Ils nous sollicitent souvent, il y a des questionnaires, jusqu’à maintenant, de mon point de vue, ils étaient très peu efficaces, pour une consolidation efficace, mais maintenant ils se donneraient un peu plus les moyens de faire des consolidations nationales qui nous permettent d’avoir un peu de recul. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63

En résumé, la vision des réglementations environnementales à un niveau global, montre un sentiment de lassitude face à un cadre qui oblige sans cesse à des réajustements et des adaptations. Les acteurs sont confrontés à plusieurs incertitudes et doivent articuler ces réglementations à la réalité du terrain. Nous allons voir que ce travail de conception exige un travail de négociation entre les parties prenantes notamment à l’échelle du département.

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Les acteurs de la conception Face au sentiment de la déshérence de l’Etat sur la gestion des déchets, ici, nous avons retracé ici ce travail de négociation entre les industriels du déchet, les services de la Préfecture et le Conseil général. Dans notre panel d’enquêtés, l’acteur qui représente le mieux cet axe est le chef de service du bureau de l’environnement de la Préfecture du département. C'est essentiellement autour des aspects réglementaires, du lien avec les collectivités territoriales et les syndicats de collecte ou de traitement (en particulier Optitri) que s’organise son discours. « Garant du bon suivi de la procédure administrative », il définit sa mission comme un « travail de mise en musique administratif » et comme « un travail de réponse du corps préfectoral qui eux, la partition administrative il faut qu'elle soit jouable ». Il s’agit ainsi d’opérer pour son service « une veille de ce qui se passe sur le territoire » et de « faire la synthèse des différentes positions, des différents services déconcentrés » afin de « faire rentrer ça dans un cadre unique ». Tout au long de son discours, il ne cesse de rappeler la complexité de ce secteur pour coordonner les contraintes économiques des prestataires de traitement des déchets avec les contraintes administratives et réglementaires. Soulignons que les aspects environnementaux ne sont pris en compte qu’au travers de son opinion sur les politiques environnementales. Il réitère son discours sur ce manque de coordination à plusieurs reprises pour mieux souligner son rôle de « congruence » en tant que responsable du bureau de l’environnement. Le problème étant d’être assuré de pouvoir mettre en œuvre une norme édictée par le « haut » sur laquelle il n’a « pas de prise directe », vers le bas, soit à l’échelon local dans lequel un ensemble d’intérêts divergents doivent être pris au compte et au mieux satisfaits.

« Mais avec des structures de pilotage en Préfecture pour qu'il y ait vraiment une coordination qui soit faite parce que ça manque et que l'on a des discours différents. La DREAL a le point de vue du Ministère de l'Environnement sur les déchets et la partie ordures ménagères, la partie financière on a un discours du Ministre des finances avec… On va exonérer mais on exonère le moins possible parce que l’on n’est pas en période florissante, donc il y a plusieurs discours qui sont menés et qu'il faut vraiment harmoniser. » Agent de Préfecture_70

De plus, son propos est articulé autour du fonctionnement d’Optitri, présenté comme un acteur important du département par son empreinte sur le territoire, la personne de son Président et le caractère innovant de la structure qui pose des contraintes supplémentaires. Il considère le syndicat comme un acteur du développement durable, mais surtout du développement local, notamment par les emplois qu’il a directement créé au sein des différentes installations et par l’activité qu’il génère en faisant appel à diverses entreprises qui interviennent sur ses sites.

« Après le vrai problème c'est qu'il y a un temps pour eux de l'innovation qui n'est pas notre temps administratif » Agent de Préfecture_70 « Il y a des relais départementaux, où l'on suit l'avis de nos entreprises économiques et où l'un de nos principaux acteurs économiques qui est aussi Optitri. » Agent de Préfecture_70

Au niveau local et du département étudié, certains discours des acteurs sont plutôt négatifs sur le rôle occupé par l’Etat dans le secteur des déchets. Ils critiquent en particulier les services de la Préfecture et de la DREAL. Jugés comme éloignés, ces services n’appliqueraient pas (ou pas bien) les missions qui leur sont déléguées. De plus, les acteurs pointent les failles des politiques et des dispositifs qui sont mis en œuvre par l’Etat.

« Sur l’Etat je n’ai que du mal à en dire, sur l’Etat nous assistons à un désengagement et

à une déshérence consternante des services de l’Etat dans le département. … il n’existe plus que des avatars assez difficiles à définir, de direction multisectorielle, multipolaire avec des définitions de conscience professionnelle très floues, dans la mesure où n’ayant plus de budget, n’ayant plus de conscience professionnelle, les

directions ne servent plus à rien. … Des services qui ne font rien et qui pour donner l’illusion aux gens qu’ils servent à quelque chose, prétendent exercer des missions de contrôle, souvent quand on contrôle c’est qu’on fait semblant d’agir, et c’est comme ça que nous avons quasi quotidiennement des bisbilles avec des gens de la Préfecture, bien

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qu’au plan personnel nous ayons des relations cordiales. Mais dans leur fonctionnement ces gens passent leur temps à prétendre éplucher le moindre de nos actes, de nos délibérations et demandent des décomptes sur nos moindres points-virgules, c’est épuisant et c’est exaspérant. L’Etat n’est plus pour des gens comme nous, n’est plus une ressource, l’Etat est un empêcheur de tourner en rond, l’Etat s’enferme dans des logiques de défiance et de contrôle totalement veines, alors qu’on attend plutôt de lui des logiques d’actions et des logiques de régulation » Directeur des services Optitri_61

La Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), sous l’autorité du Préfet de région et des préfets du département, et en particulier l’inspecteur des installations classées pour l’environnement (ICPE), assure le contrôle et la conformité des installations industrielles au regard des normes environnementales et techniques existantes. On constate que seuls les exploitants font ici référence à la DREAL. Plusieurs difficultés relationnelles et de compréhension avec la DREAL sont évoquées par les différents acteurs de ce régime de sens lié au travail de conception. Ils sont la conséquence, selon la personne rencontrée à la Préfecture, du caractère innovant de certains syndicats de traitement et au cadre serré de la réglementation.

« La contrepartie de cette innovation c'est que l'Etat derrière il a des règles qui sont immuables, y compris sur les projets innovants, et des fois la règle elle est stricte et il faut pouvoir réfléchir à comment l'adapter pour permettre de développer des projets qui sont intéressants par ailleurs, mais tout en restant dans le cadre. » Agent de Préfecture_70

Pour le responsable d’exploitation des installations de tri de déchets d’Optitri, la DREAL n’est pas neutre dans le contrôle des installations selon qu’elle ait affaire à un prestataire privé ou public. Ce même argument est repris par un élu local membre d’Optitri. Avec d’autres acteurs il lui semble ajouter de la lenteur dans les procédures de révision des arrêtés d’exploitations, et déplore que leur mission ne prenne pas en compte les disparités entre les territoires.

« Si je le vis, concrètement de ce cadre très lourd, c’est qu’on a un inspecteur qui nous impose de rentrer ligne à ligne dans ce qui est écrit. Et je ne m’en rendais pas compte avant, mais je m’en rends compte, aujourd’hui, que les cadres qui sont fixés sont extrêmement contraignants. Autrefois on n’y rentrait pas toujours, aujourd’hui on nous y oblige, je mesure le chemin qu’il faut faire et l’énergie qu’il faut dépenser pour y entrer, et je mesure l’absurdité d’y rentrer, euh, quelquefois par la réalisation d’études ou d’analyses qui ne servent à rien […] Mais si je devais répondre à la question : est ce que les administrations sont plus dures avec le public ou le privé, globalement, je dirai le public, oui. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63 « Les liens ne sont pas faciles parce qu’ils ont des directives nationales à faire appliquer qui ne prennent pas en considération les arguments qu’on peut avoir, qui sont légèrement différents et propres à une situation locale. C’est assez pénible, c’est beaucoup de négociation, pas mal de retard, c’est assez pénible, on a l’impression que ce sont des gens qui vont chercher le poil dans l’œuf, il manque toujours ou souvent un petit document pour le transmettre au Préfet, pour que l’arrêté apparaisse. » Membre du bureau Optitri_66 « Il y a toujours cet échange pendant la phase d'instruction entre la DREAL et les exploitants, donc ça prend du temps, et des fois le temps administratif est clairement perçu comme trop long par Optitri » Agent de Préfecture_70

Pour le responsable du bioréacteur, les contraintes administratives sont intégrées et « connues ». A l’inverse de ses collègues, il ne blâme pas la lenteur administrative bien que l’installation ait connu d’importantes transformations au niveau technique. Il importe pour lui de mener un « travail de collaboration » et de négociation en expliquant finement le fonctionnement de l’installation à l’inspecteur de la DREAL. Pour lui, il est impératif d’informer ce service sur l’installation du bioréacteur, car ce procédé de traitement est peu reconnu et pratiqué en France.

« Quand on fait les sites comme ça pour bien leur expliquer ce qu’on fait, si ça rentre dans un cadre réglementaire, donc c’est vraiment un travail en binôme on va dire, et

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après ils viennent nous inspecter régulièrement le site pour voir justement si on répond bien à nos arrêtés d’exploitation […] Ils viennent faire les inspections, c’est très carré, c’est quand même intéressant parce que c’est eux qui nous disent au niveau du curseur si on est bien, si on répond bien à ce qu’ils nous demandent. Au niveau réglementaire on appuie bien le fait que l’exploitation en centre de stockage classique ou en bioréacteur c’est différent, que le bioréacteur est vraiment maintenant un nouveau process de traitement des déchets, donc c’est ce qui a été le plus dur à intégrer et ça a été le cas, on a des arrêtés d’exploitation justement qui expliquent bien qu’on traite le déchet en tant que bioréacteur, donc ça a vraiment été intégré au niveau réglementation environnementale française et après dans le cadre des arrêtés d’exploitation. » Responsable d’exploitation bioréacteur_72

Enfin, pour le directeur du site Valori, les échanges avec la DREAL et la Préfecture sont jugées « normaux ». En revanche, les relations avec ces services semblent plus difficiles au sujet de l’élargissement du périmètre géographique de la zone de traitement des déchets pour en capter davantage à l’extérieur de la région.

« Bon, ça se passe normalement, après on a des relations avec eux, lorsqu’on demande des modifications, là on est en train de demander une modification de notre périmètre géographique, parce qu’il y a des départements dans l’est de région qui sont en manque d’outils de traitement du fait de la saisonnalité et du tourisme, et donc il y a un gros besoin en termes de traitement. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Le Conseil général est un autre acteur participant à la gestion des déchets. Il réalise un suivi et un accompagnement par le biais de l’élaboration du plan départemental d’élimination des déchets ménagers et assimilés (PDEDMA). Ils ont pour fonction de détailler les gisements de déchets du département et les modes de collecte, de faire un inventaire des installations existantes, prévues ou en voie de réalisation, de définir les priorités et les objectifs du plan, de présenter les modes de financements et d’investissement, et de prévoir les perspectives d’évolution tout en fixant des orientations. Son élaboration était à l’origine sous la responsabilité de l’Etat, puis cette compétence a été transférée en 2005 au Président du Conseil général. Cela a nécessité en 2007 un transfert de savoirs, et « des négociations serrées entre le Conseil général et la Préfecture pour que les services de l'Etat qui connaissaient à l'époque, qui avaient fait le premier plan, transfèrent les données qu'ils avaient en leur possession au Conseil général pour les aider à faire le diagnostique initial du PDEDMA. » Agent de Préfecture_70 Dans le cas de ce département du grand sud-ouest, le PDEDMA s’appuie sur l’expérience d’Optitri étant donné qu’il est considéré comme l’acteur incontournable pour assurer le traitement et la valorisation des déchets sur le territoire. Jouant un rôle clef dans l’élaboration du PDEDMA, nous constatons que, même si les intérêts sont multiples, les parties prenantes d’un projet collectif de développement durable et économique s’appuient sur des mécanismes de codécision et de négociation.

« Donc le Conseil général, quand il a élaboré son PDEDMA, il s'est appuyé sur divers documents, et notamment sur les études d’Optitri. Le modèle Optitri a servi à l'élaboration

du PDEDMA … mais il s'appuie beaucoup sur l'expérience, qui est quand même majeure dans le département, d’Optitri. » Agent de Préfecture_70

Dans le même temps, la construction de ce PDEDMA n’est pas exempte de relations interpersonnelles. Le lien entre le Conseil général et Optitri dépasse la simple relation de soutien, le mot employé pour le qualifier par l’un des acteurs du syndicat départemental étant celui de « pilier », car il apparaît comme absolument nécessaire au fonctionnement économique de la structure.

« Le département est un acteur majeur pour deux raisons : il fait partie des pères fondateurs d’Optitri, c’est rare, parce qu’il n’a pas dans ses compétences traitement déchets, mais lorsque nous avons à l’origine présenté le projet aux élus du département, ils ont dit - c’est un bon projet, c’est un projet d’intérêt public, nous voulons en être . Le département est donc fondateur et membre d’Optitri, nous avons 11 conseillers généraux dans notre comité syndical. Il finance 20 % de nos investissements et 15 %

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de notre fonctionnement, ce qui est également rarissime. » Directeur des services Optitri_61

Du côté des industriels privés, le représentant d’une filiale d’un groupe privé montre à son tour le rôle des acteurs et leurs relations dans la construction du PDEDMA. Il souligne les difficultés à trouver un équilibre entre les différentes parties prenantes, en particulier avec les associations environnementales, pour aboutir à un compromis permettant de conforter les stratégies et les intérêts des différents acteurs. La conception s’avère aussi être structurée par une division du travail entre les experts d’un côté et les décideurs de l’autre.

« On est quand même dans des schémas où on travaille ensemble, on travaille ensemble par exemple dans l’élaboration des PDEDMA, alors quand je dis on travaille ensemble c’est un peu comme le cheval et l’alouette c’est-à-dire qu’il y a ceux qui décident et ceux qui sont considérés comme des experts. Alors dans l’élaboration d’un PDEDMA, on met autour de la table à la fois les collectivités, les associations, les entreprises, donc en règle générale les associations sont contre les entreprises, j’allais dire réciproquement c’est pas toujours vrai mais enfin ça peut arriver. Disons que dans l’élaboration d’un PDEDMA les associations sont un peu l’aiguillon vis-à-vis des élus pour leur faire prendre des décisions plus publiques, donc les privés sont souvent là comme, d’abord ce sont souvent des industriels qui ont des installations qui existent, donc qui ont comme premier souci déjà que ces installations qui existent soient utilisées

correctement donc soient pérennisées le cas échéant, validées par les PDEDMA … Donc 1

er souci c’est de dire on a les outils, on pense qu’on les exploite correctement, on

est déjà en collaboration avec des collectivités pour travailler sur ces outils-là … Et là où il y a une difficulté c’est que quelque part les PDEDMA ne sont pas des plans directifs malgré tout, ils ne peuvent pas apporter de garanties, c’est-à-dire que j’ai une installation, le plan va éventuellement dire que mon installation existe, mais elle ne va pas me garantir qu’elle sera toujours remplie et que la collectivité ne va pas partir pour aller ailleurs, ou pour faire son propre outil. » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Ce même constat est repris par le directeur du site Valori qui y ajoute la longueur du processus de négociation entre les différentes parties prenantes. Il exprime au fil de l’entretien que bien que les opérateurs privés aient leurs visions à apporter, ce sont les enjeux et intérêts politiques défendus par les élus et les associations environnementales qui sont avantagés dans l’élaboration du PDEDMA. Il juge ces derniers comme « déconnectés » de la réalité au regard des problématiques existantes dans le traitement des déchets et de l’implantation des installations des déchets dans un territoire.

« Au travers du PDEDMA […] Il y a un décalage abyssal, entre la vision des élus qui composent ces PDEDMA, des élus et des associations, parce que la rédaction de ce PDEDMA c'est un peu l’armée mexicaine, les commissions qui sont chargées de rédiger ces PDEDMA, il y a beaucoup d’élus, il y a les professionnels, les associations… c'est donc une vision extrêmement théorique, politique, qui défini des schémas de traitement, qui déjà au plan de la région sont quasiment tous obsolètes, parce que ces PDEDMA ont été faits il y a plusieurs années et ils n’ont pas été réactualisés ou alors ils vont l’être, mais justement avec les associations c'est très long qui ont chacune leurs credo donc ils ne vont pas les froisser, il faut faire ça dans un souci de dialogue, de participation… participatif enfin bref c'est très long et peu productif. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Rapidement esquissé ci-dessus, nous voyons que le travail de concertation et de négociation sur la gestion des déchets n’est pas exempt de jeux de pouvoir dans lesquels la lutte et les stratégies se propagent dans cet espace. La concertation nuit-elle à l’efficacité du montage de la filière ? Nous verrons ensuite que le conflit et le compromis sont bien au fondement de cette activité de régulation.

Relations et stratégies des acteurs Comme vu précédemment, il y a des relations d’influence entre le Conseil général et les prestataires de traitement de déchets dans l’élaboration des PDEDMA. Les acteurs exposent

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aussi les relations entre les professionnels du déchet, la DREAL, et la Préfecture. Cette dernière représentante de l’Etat assume plusieurs casquettes (administration du territoire et économique, développement durable) et jongle avec les intérêts des uns et des autres, en tentant de les coordonner afin que « l'équilibre global puisse continuer à fonctionner ». Ce qui met en lumière d’une part que s’occuper du déchet est à l’interstice de plusieurs domaines (politique, économique et social), et d’autre part cela montre l’importance des jeux d’influence et de négociation à l’échelle départementale. Cela nous permet aussi de constater la difficile articulation des objectifs de chaque structure. En somme, les enjeux socio-économiques, politiques et les relations propres à un territoire dévoilent qu’il est difficile aujourd’hui d’avoir une gestion harmonisée des politiques en matière de déchets sur le territoire français.

« Et la Préfecture qui est dans son rôle de droit, qui va mettre du lien dans la Préfecture, qui va suivre les étapes administratives, mais le Préfet a une casquette de développement territorial, et qui va aider [le prestataire]. Donc qui va modérer un peu

l'ardeur de la DREAL sur le contrôle, sur certains contrôles … le Préfet va freiner certaines fois la longueur de la DREAL, aller jusqu'au bout des sanctions, mais va aussi booster certains projets et mettre un coup de pression sur l'instruction de certains dossiers pour qu’à certaines échéances qui ont été convenues ensemble devant tout le monde : la DREAL, Préfecture, exploitant, pour que ces dossiers puissent aboutir rapidement » Agent de Préfecture_70 « On a en plus un président du syndicat mixte qui est investi dans les relations publiques, donc on ne le regarde pas uniquement comme un simple exploitant en dépit de ce que dit, de ce qui est l'affichage de la DREAL quand ils disent, c'est comme n'importe quel autre exploitant. Ce n'est pas vrai, c’est-à-dire que l'on a un acteur institutionnel de notre territoire, donc on ne le traite pas comme on traite celui qui fait des déchets de bois dans un village dans les montagnes » Agent de Préfecture_70

Ce jeu d’influence est présent également dans le discours du représentant de la fédération environnementale du département. À travers la présentation et l’historique de la fédération puis de la création du collectif contre l’incinération, il montre à la fois comment la fédération peut être enrôlée politiquement, comment elle représente un enjeu politique et social, et comment à son tour elle peut influencer les décisions politiques en matière de traitement des déchets. Cette même idée est présente dans le discours du directeur des services d’Optitri.

« [La fédération environnementale], tellement proche des pouvoirs en place, ne s’était pas du tout élevée contre l’incinération et même voire n’était pas spécialement contre,

disons que c’était neutre bienveillant. Et donc 96 … on crée le collectif économie, emploi, environnement donc le C3E qui est dévolu à proposer une alternative au niveau des traitements des déchets puisque la seule solution qui était ressortie du PDEDMA

c’était l’incinération point … [La fédération environnementale] elle n’a pas bougé, y’en a assez, c’est pas normal, donc les associations fédérées dans le collectif ont pris le

pouvoir à l’intérieur de celle-ci … Ben on a fait un coup d’Etat … C’est là qu’on s’est aperçu que la fédération était un objet de pouvoir car on s’est retrouvé confronté à une tentative de prise de pouvoir du parti socialiste du département, alors il faut dire qu’à l’époque moi j’avais pris ma carte aux Verts, on était plus nombreux aux Verts et on avait

récupéré la fédération sans la verdir véritablement … Donc il y a eu pendant des

années une bataille là … effectivement à force de réunions à la Préfecture, Conseil général, partout, l’orientation a été prise de ne pas faire d’incinérateur, de refuser l’incinération et de créer ce qu’on appelle le bioréacteur » FEDENV_69 « [À propos des associations environnementales] Elles sont devenues les propagandistes d’Optitri et du bioréacteur, parce que ce sont elles qui ont contribuées à ce choix, et nous continuons de travailler avec elles, nous les réunissons régulièrement. Parfois nous discutons avec elles, certaines sont dures à convaincre, nous avons pris la peine de leur expliquer que nous avions de bonnes raisons de prendre le marché d’un autre département et de faire venir chez nous les 70 000 tonnes qu’ils génèrent, sur le coup les associations étaient très choquées par cette perspective, et ont dit « on n’a pas vocation à devenir la poubelle de toute la région ». Mais on leur a dit « oui vous avez raison mais si vous voulez qu’on continue dans de bonnes conditions il faut qu’on maîtrise des tonnages critiques, et bien ce marché c’est une bonne façon d’y arriver très rapidement et de faire du bon travail plus vite ». Directeur des services Optitri_61

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Traiter plus de déchets que le département ne produit, augmenter l’apport des matières premières, privilégier la rentabilité d’une installation est dans ce cas un objectif commun non seulement de la gestion publique, mais aussi de la fédération environnementale. Une fois que cette dernière a pu infléchir sur le choix de l’installation, elle se fait l’avocate d’une politique du « nombre » qui permet de sécuriser la structure. Les collectivités de traitement et de valorisation des déchets peuvent elles aussi influencer la politique en matière de gestion des déchets. C'est le cas pour Optitri qui, par des phénomènes d’aller-retour entre les pouvoirs locaux et nationaux et par le biais de son président, sénateur du département et membre du groupe d’étude sur les déchets au Sénat, a défendu dans plusieurs instances institutionnelles le principe selon lequel le bioréacteur est un intermédiaire entre la méthanisation et le stockage

21. L’un des enjeux était de le présenter comme une technique

vertueuse afin de bénéficier d’une exonération de la TGAP (taxe générale des activités polluantes). Structure innovante (cf. axe 2) de la même façon que les groupes privés, elle participerait à faire évoluer les techniques de traitement.

« Puis Optitri, c'est aussi de par son président une puissance politique au sens noble du terme, c’est-à-dire que c'est quelqu'un qui peut faire avancer la législation des déchets notamment sur l'amendement de la loi finances rectificatives de 2010 qui permettait une meilleure prise en compte dans l'exonération de la TGAP. Donc c'est quelqu'un qui fait avancer aussi le secteur des déchets au niveau législatif » Agent de Préfecture_70 « Donc X a tout misé là-dessus, comme il est sénateur il a pu faire passer des amendements, dans un premier temps parce qu’après ça a moins marché » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Lancer le débat et favoriser le respect et la protection de l’environnement pour le représentant de la fédération environnementale correspond à s’engager dans une action collective politiquement affichée, par exemple en adhérant à un parti politique ou en devenant élu Président d’un collectif ou d’une structure environnementale. C'est aussi agir sur le terrain par la mise en place de groupe de pression. À travers son discours on trouve les notions de bataille et de pression relativement récurrentes tout au long de l’entretien et utilisées sur tous les fronts : que ce soit contre les grands groupes, contre la Préfecture, ou pour promouvoir certaines directives de la politique environnementale.

« On peut agir en tant qu’association puisque tous ces nouveaux règlements et tout ça qui créent ces réunions de sensibilisation ben c’est à l’association aussi de les prendre en main et de le faire savoir, bon, c’est ce qu’il faudrait qu’on fasse en tant que fédération […] Il faut que nous-même de nouveau on remette un peu la pression parce que sinon… il faut le voir comme ça quoi, c’est pour ça que même s’il y a des protestations en disant ça n’a servi à rien et tout ça, c’est un peu inexact, ça dépend comment on peut le récupérer […] Il faut s’en accaparer, se l’approprier, pour faire monter les choses quoi, et ça, je pense qu’on va être obligé de la faire parce que ça ronronne » FEDENV_69 « [sur la mobilisation contre le projet de l’incinération] alors je me suis pris la carte aux Verts en disant il faut aussi une action politique parce que ce n’est pas suffisant et on le sent bien, il y a aussi les arcanes politiques donc je suis allé aux Verts, je suis rapidement devenu porte-parole départemental des Verts et c’est au nom des Verts qu’on a mené des manifestations de la fédération parce qu’à un moment donné j’étais responsable de la fédération, des Verts, et de l’association, donc j’avais les piliers politiques, administratifs et le collectif EEE où on pouvait faire des manifestations. » FEDENV_69

Pour le représentant du syndicat national des activités du déchet et d’une filiale d’un groupe privé, faire progresser les enjeux propres à ces deux unités de rattachement se joue sur deux plans : l’influence dans les décisions politiques et notamment réglementaires au niveau national et européen, et la défense de la profession par l’élaboration de la convention collective. Son discours dans ce régime de sens lié à la conception est largement porté sur le premier plan.

21

Se référer aux « comptes rendus de la mission commune d’information sur les déchets » dans le cadre des travaux parlementaires disponibles sur le site du Sénat.

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« Alors comme regroupement professionnel son objet c’est tout ce qui est défense de la profession, rassemblement de la profession, tout ce qui est les actions, la représentation vis-à-vis des pouvoirs publics, ce qu’on pourrait qualifier de lobbying le cas échéant, même si en France le terme n’est pas très apprécié, enfin dans tous les cas c’est un interlocuteur des pouvoirs publics, sur la question réglementaire en particulier, et c’est aussi la gestion évidemment de la convention collective, donc voilà

l’activité … Il y a une forte activité qui est liée à l’activité européenne parce qu’on a une profession qui est fortement impactée par l’activité européenne » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Le responsable d’exploitation du tri d’Optitri, en présentant les grands groupes comme des « organisations fédérées », ne récuse pas la démarche de lobbying, mais s’y appuie pour faire une distinction entre secteur public et secteur privé. Il expose d’une part que les élus politiques ont des difficultés à se regrouper sur le thème des déchets, et d’autre part, qu’à la différence des groupes privés, le secteur public ne parvient pas à développer un modèle économique et des perspectives stratégiques communes qui pourraient être portées à l’instar du privé dans les institutions nationales afin de défendre leurs intérêts.

« [Au sujet du centre d’enfouissement des déchets dangereux] c’était spectaculaire, le lobbying d’Alpha, d’une puissance à l’intérieur de la Commission européenne, la vache, on avait presque gagné et ils ont réussi… ils sont passés de 2 000 mètres de périmètre de sécurité à 200 mètres. » FEDENV_69 « je pense que le privé se met beaucoup plus dans des perspectives stratégiques que le public, puisque le privé a des intérêts économiques beaucoup plus forts derrière, et développe très souvent des stratégies, fait du lobbying pour développer, leurs stratégies, qui sont des stratégies d’implantation, de développement d’un process, voilà. Donc ils ont des stratégies, ils ciblent et à partir de là ils font du lobbying pour que les choses évoluent dans leur sens » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63

En résumé le fait d’avoir comme président un acteur qui peut mobiliser un réseau d’influence au niveau national (Optitri) ou d’appartenir à un grand groupe exerçant des activités de lobbying (Valori) permet de défendre des intérêts, de porter et de mener des stratégies de conception de la filière pour dépasser le cadre local. Le point suivant aborde des éléments de réflexion sur le territoire qui apparaît central dans les discours dans le choix d’un mode et d’équipement de traitement de déchets. La question du territoire est aussi posée en fonction de la taille des installations et de leurs positionnements géographiques dans le département. Il transparait alors des points de friction entre les services de la Préfecture et les industriels du déchet lorsque ces derniers demandent d’augmenter la capacité de traitement de certaines installations.

Le territoire et les niveaux de la régulation : le département est-il la bonne échelle pour traiter les déchets ? Dans les discours, la question des territoires et des liens entre les départements et la région est abordée pour interroger le « bon » niveau de régulation à adopter. Ce point est essentiellement représenté par les exploitants d’installations de déchets. Il y a des différences entre les départements dans la manière dont est organisée la gestion des déchets que ce soit au niveau législatif ou technique. Afin de répondre à des objectifs économiques et sociaux, le territoire et plus particulièrement sa géologie semble être ainsi un enjeu stratégique pour promouvoir et légitimer un mode de traitement des déchets.

« Un bioréacteur nécessite des emprises foncières très importantes, comment voulez-vous qu’une collectivité comme la communauté urbaine qui a des problèmes fonciers majeurs, à force de s’étaler sans densifier la population […] Comment voulez-vous qu’elle mobilise 100 hectares pour construire, il en faudrait même à l’échelle de cette communauté il en faudrait plus 300 hectares pour implanter un bioréacteur, même pour un process vertueux c’est pas possible » Directeur des services Optitri_61

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Si le travail d’exécution est peu abordé en tant que tel, l’enjeu principal qui apparaît concerne l’emploi. Le secteur des déchets est considéré comme un gisement d’emplois que tel ou tel mode de traitement peut favoriser ou freiner.

« Les alternatives permettent de créer et de maintenir les emplois, alors que l’option centrale [l’incinérateur] ça favorise les grands groupes mais ça défavorise le territoire, non seulement au niveau du transport, de la centralisation mais aussi au niveau de l’emploi. » Agent de Préfecture_70 « La contribution d’Optitri à l’économie du département se manifeste au travers d’un souci d’aménagement du territoire, nous avons opéré un maillage du territoire et nous essayons d’être présents sur tout le territoire de manière homogène. Pourquoi ? Parce qu’Optitri c’est de l’emploi, » Directeur des services Optitri_61 « Dans tous les cas moi je pense qu’on va continuer quand même à travailler dans une alternance entre les deux [incinération et enfouissement], et selon comme on disait, selon les endroits, selon les départements, y’a une histoire de territoire, de PDEDMA » Responsable d’exploitation bioréacteur_72

Les besoins sociaux du territoire sont aussi relayés pour à nouveau relever une démarcation entre une gestion du traitement par le secteur public en comparaison du privé. Ainsi, le responsable des installations de tri rapporte que le public prend en compte dans le choix du mode de traitement et d’implantation des infrastructures les intérêts de l’usager et ceux relatifs à l’emploi. À cela, le directeur des services d’Optitri ajoute que le découpage du territoire national est à image de l’état de la concurrence entre les groupes de traitement des déchets.

« Dans le secteur public, les décisions, leurs choix, leurs modes de réalisation, s’adaptent souvent à des problématiques territoriales, elles s’adaptent aux besoins du territoire, beaucoup plus. Le privé va faire des choix, des décisions qui sont totalement indépendants des besoins des territoires et qui ne prennent en compte le territoire que dans un cadre stratégique et économique, c’est tout […] Par exemple, au niveau transport, il est clair qu’en mutualisant les équipements sur les territoires, on les positionne de façon beaucoup plus cohérente car on a une vision globale du territoire, donc les installations de traitement sont positionnées de manière cohérente et on va limiter le coût du transport des déchets d’une installation à une autre. […] Et après on voit que pour nos coûts, il y a aussi le bioréacteur, c’est-à-dire que la politique publique a fait le choix d’un mode de traitement, qui a été innovant et avec lequel les élus ont pu faire la démonstration de son caractère vertueux pour l’environnement, et là du coup on a pu bénéficier d’une taxe réduite qui permet dans le coût global du déchet, puisque cette taxe elle est payée par des usagers qui amènent le déchet, et bien le coût global du déchet s’en trouve réduit. Et pour parler clair, aujourd’hui quand on compare les prix faits par Optitri pour ses adhérents et les prix que font les privés pour leurs clients, on est plutôt moins cher pour des mêmes métiers sur un territoire équivalent. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63 « Je peux vous dire qu’il y a un phénomène déterminant c’est l’état de la concurrence. Les opérateurs privés se sont partagés le territoire depuis longue date, et ils apportent un certain nombre de prestations de qualité plus ou moins variables qui les amènent à faire, à concentrer sur des infrastructures industrielles qu’ils ont amorties depuis longtemps, des gisements de déchets, des tonnages de déchets très importants. Donc c’est une question d’échelle, ils dégagent des marges considérables ». Directeur des services Optitri_61

Une problématique liée à l’échelle du département est posée par les professionnels du traitement du déchet que ce soit des opérateurs privés ou publics. Le PDEDMA a l’obligation de favoriser le traitement des déchets au plus près de leur lieu de production. Ce « principe de proximité »

22 défini dans le PDEDMA se couple avec l’obligation de préciser la quantité et

l’origine géographique des déchets dans l’arrêté d’autorisation de l’installation. Ces deux éléments s’avèrent être une contrainte pour les exploitants. En effet, limitant le périmètre du

22

« Il se comprendra comme un traitement à une échelle départementale en évitant les transferts interdépartementaux, mais sans que ces pratiques fassent l’objet d’interdiction ni d’un encadrement formel » (Rocher , 2006)

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transport des déchets entre les producteurs de déchets et ceux qui les traitent, ils imposent ainsi une « zone tampon périphérique » (Mtibaa, Méry, Torre, 2012). Or, aujourd'hui les petites installations de traitement ferment pour laisser place à des unités plus grandes, c’est-à-dire avec des capacités de traitement beaucoup plus importantes. Cela implique de plus en plus pour l’opérateur public ou privé d’aller capter des volumes de déchets souvent à l’extérieur du département. D’autre part, plusieurs territoires n’ont pas les équipements nécessaires pour traiter leurs déchets. C'est le cas d’un département limitrophe à celui de notre étude qui envoie une partie de ces apports dans le bioréacteur d’Optitri. À cet effet dans une logique industrielle proche du privé, la direction du syndicat souhaitait capter ce marché et a demandé aux services de l’Etat d’augmenter la capacité de traitement de l’installation.

« Il y a un premier problème qui est quelle est l’échelle à laquelle on raisonne ? … De plus en plus de gens disent que ce n’est pas forcément la bonne échelle, en particulier

pour les filières de traitement … Donc beaucoup, un certain nombre de gens je dirais, pensent, et c’est plutôt l’opinion au niveau de notre fédération, qu’il vaudrait mieux raisonner, au moins pour le traitement, au niveau régional. » Directeur sud-ouest groupe privé_82 « C'est le fossé entre la vision des PDEDMA et la réalité des déchets, la vraie vie des déchets qu’il faut bien traiter, et parfois les périmètres géographiques ne sont pas adaptés. Il y a une vision très administrative et politique inadaptée. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57 « Alors les PDEDMA ils étaient auparavant gérés par l’Etat au travers de la Préfecture, ils sont passés au Conseil général, alors ça a eu comme conséquence de rapprocher bien

sûr les collectivités … Mais ça a eu comme inconvénient entre guillemets de politiser un petit peu les choses, donc à la fois rendre les choses peut-être plus difficiles en termes de coopération interdépartementale, le département va résoudre son problème véritablement et il a beaucoup de mal à intégrer les contraintes ou les avantages des départements voisins » Directeur sud-ouest groupe privé_82 « Un opérateur public […] est astreint au principe de spécialité territoriale, moi j’ai pris le marché de l’autre département, et j’ai encore des courriers de la Préfète qui ne comprend pas comment on a fait, elle me dit « mais vous êtes sorti de votre territoire », « ben oui évidement je suis sorti de mon territoire », sauf que j’ai le droit de répondre à des marchés, la loi me reconnaît le droit de répondre à des marchés. Par définition, sur le périmètre d’Optitri, il n’y a pas lieu de passer des marchés puisque les collectivités membres ont délégué leur propre compétence à Optitri, et nous exerçons la compétence de traitement directement à leur place, si j’ai le droit en vertu de la loi de passer des marchés, c’est nécessairement en dehors de mon périmètre. » Directeur des services Optitri_61

Le directeur du site de Valori argumente aussi l’intérêt de mutualiser les outils de traitement à l’échelle de la région. Cependant en s’appuyant sur l’exemple de l’élaboration des PDEDMA, il relève une éventuelle difficulté sous jacente, celle de l’entente et de la mise en place de compromis entre les parties prenantes. Autrement dit, il exprime la crainte de voir les débats se politiser et « s’éterniser » alors qu’ils devraient être « techniques et raisonnés » comme il nous le dira plus tard.

« J’ai la crainte que ça devienne encore plus compliqué et déconnecté parce qu’on va multiplier les intervenants dans ces cercles de réflexion, on va multiplier les départements, toutes les parties prenantes, et ça sera encore plus complexe. Mais l’image du millefeuille est pas mal, et cette image française c'est une réalité. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Pour la Préfecture, les questions d’échelle dans le traitement des déchets devraient être résolues au niveau local et non régional, notamment en ce qui concerne le service de contrôle et de surveillance des installations (DREAL). Ce dernier étant de plus en plus régionalisé, ne peut être informé des particularités et des difficultés rencontrées par un prestataire. En filigrane, c’est le souci de coordonner les intérêts du prestataire de traitement et l’aspect réglementaire qui semble motiver cette argumentation.

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« C'est au niveau local qu'il faut que cette concertation soit faite. Et on a un problème de positionnement au niveau départemental, aussi. C’est-à-dire que l'on a des décisions qui

sont prises de plus en plus au niveau régional. … Les Préfets de département ont des difficultés à faire valoir leurs points de vue par rapport à un échelon régional » Agent de Préfecture_70

Pour les installations de tri, le questionnement du territoire n’est pas absent mais moins prégnant comparé aux discours portés sur les méthodes de l’enfouissement et l’incinération. Face aux objectifs européens de recyclage matière, aux nouvelles potentialités de l’activité (élargissement des consignes de tri) et à sa rentabilité économique, Eco-Emballages et l’ADEME tentent de « convaincre » les collectivités de remplacer les centres de tri de petite capacité par des centres plus automatisés, mécanisés et traitant des volumes de déchets plus importants. Les propos de nos enquêtés et notre étude montrent que la position des collectivités est plutôt de maintenir des petites installations en vue de limiter les coûts de transport et de garantir des emplois d’insertion et locaux. À ce titre, lors des travaux d’optimisation des deux centres de tri d’Optitri, l’une des conditions des élus et de la direction était de conserver les deux usines notamment pour sécuriser et pérenniser les emplois du tri. Cependant, les notions de performance économique, de rendement et d’amélioration de la qualité des produits n’ont pas été évincées, car les travaux entrepris ont intégré une part importante de mécanisation (tri optique, installations de nouvelles machines).

« Le petit centre de tri va correspondre à quelques emplois locaux etc., donc les

collectivités vont y tenir quelque part comme un outil d’intégration … Faut aussi se dire que la collecte sélective c’est quelque chose qui se transporte relativement mal parce

que c’est du volume, on a de très gros volumes, … Donc le combat entre guillemets des collectivités c’est plutôt d’avoir leur centre de tri, de s’assurer qu’ils ont des aides Eco-Emballages suffisantes pour maintenir l’activité que de faire une analyse économique performante, ce qui amène d’ailleurs des conflits entre les élus et Eco-Emballages parce qu’Eco-Emballages a tendance à dire il faut des centres de tri très performants et à bas coûts, et à la limite moi je n’ai pas de raison de payer quelque part, de subventionner un petit centre de tri pas performant, donc je dois donner ce qui est le vrai coût, enfin le coût optimisé » Directeur sud-ouest groupe privé_82

En résumé, le secteur des déchets est construit par de l’action collective. Il a connu de nombreux changements en termes processuels, en ce sens il est un « monde social » où « des représentants de ses micro-mondes débattent, négocient, se battent, exercent contraintes et manipulations à propos de questions diverses. Ces arènes sont le lieu d’activité politiques, mais pas nécessairement de la part des corps législatifs ou des cours de justice. De même, à l’intérieur des micro-mondes des questions sont âprement débattues entre les différents membres. (…) Les membres des divers micro-mondes ou des mondes sociaux ont des intérêts différentiels, cherchent des fins différentiels, s’engagent dans des contestations et font ou défont des alliances pour faire les choses qu’ils souhaitent. » (Strauss, 1992). En effet, le monde de l’action publique des déchets regroupe une multitude d’institutions et d’acteurs publics et privés sur les différentes échelles du territoire, qui participent aux décisions et à la conception du secteur, en tentant pour chacun d’entre eux d’imposer ses intérêts propres. Le secteur des déchets se construit autour de règles qui sont sans cesse négociées en fonction des interactions des acteurs qui sont sollicités de manière diachronique. Nous avons vu que les zones de pouvoir variaient entre les acteurs et que la prise en compte du territoire mène à des modes de coordination spécifiques aboutissant à une action publique territorialisée. Qu’en est-il de l’économie des déchets ? Le point qui suit s’articule autour des aspects économiques qui, imbriqués et encastrés dans ce contexte politique et réglementaire, influencent et orientent les choix et pratiques de nos enquêtés. L’aspect économique du travail de conception s’avère être primordial.

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3.2.2 Les aspects économiques du travail de conception23

Les questions de coût, de prix, des produits et du marché des déchets, ainsi que son organisation ont été abordés par nos enquêtés. . Les modes de traitement sont abordés dans les discours et laissent entrevoir que les entreprises privées ou publiques des déchets intègrent dans leurs programmes des préoccupations environnementales. L’usage du terme « environnement » et la référence à la réglementation environnementale (1) influencent les choix du mode de traitement et orientent les investissements dans les filières d’avenir. Puis se pose la question de la rentabilité du traitement : quelles sont les recettes des différentes activités du traitement de déchets ? Comment sont-elles distribuées en fonction de nos deux sites étudiés (2) ? Nous verrons alors que le marché des déchets est incertain du fait de la fluctuation des prix des matières premières secondaires, de la baisse de la production des déchets et par la difficulté d’acquérir de nouveaux contrats (3). Le principe de réduction des déchets est acquis voire plébiscité, les acteurs soulèvent le paradoxe de la difficile conciliation des enjeux environnementaux édictés par le haut et des enjeux économiques des industriels (4). Pour finir, nous montrons que les intérêts des industriels privés et publics du déchet peuvent converger et aboutir à des partenariats sur des projets précis et délimités. (5)

Le mode de traitement des déchets

Depuis les années 90, les nouvelles réglementations et normes environnementales ont impulsé une diversification de méthodes de traitement. Les plus anciennes se sont complexifiées et professionnalisées et de nouvelles apparaissent avec plus ou moins de réussite et d’appui institutionnel. De nombreux débats ont aujourd'hui cours sur le traitement des déchets : quelles méthodes doivent être employées ? Quelles seront les conséquences au niveau environnemental ? Quel sera le coût économique ? Quelle gestion faut-il privilégier pour l’avenir ? Aujourd'hui, il existe plusieurs techniques pour traiter et éliminer le déchet. La réglementation française hiérarchise les modes de traitement et en privilégie en particulier trois : la valorisation matière (où est intégrée la gestion biologique), la valorisation énergétique et le stockage

24. À

travers la réglementation européenne l’accent est mis sur le recyclage. Les travaux de Yannick Rumpala (1999, 2003) montrent que le développement de la valorisation matière (déchets d’emballages ménagers) en France ne dépend pas seulement de raisons environnementales mais aussi d’intérêts économiques. Si les effectifs des centres de stockage et des incinérateurs depuis les 1990 sont en constante baisse, l’enfouissement, dans les discours a un statut de plus en plus incertain.

« La valorisation matière a vraiment creusé, c'est vraiment ce qui ce, c'est vraiment le pôle de pointe d’Optitri, c'est sa vitrine. Après de ce que me dit la DREAL, ce que l'on peut craindre c'est qu'il y a certaines formes de valorisation qui seront rentables et qui marcheront. Il y en a d'autres qui relèvent plus du gadget et de la vitrine, en fait. Donc il y a certaines formes de valorisation qui ne sont pas soutenables, quoi… Après ici […] il y a eu fermeture de tous les centres d'incinération. Il n'y a pas d'incinération ici. Il y en a à X je crois, donc on est sur un choix qui est binaire, soit on fait de l'enfouissement, soit on fait de la valorisation » Agent de Préfecture_70 « Mais la France a un modèle disons plus équilibré que beaucoup d’autres pays, on a

différentes filières qui font qu’on est à peu près à parité entre le recyclage … La France, contrairement à d’autres pays, n’a pas fait un vrai choix c’est-à-dire qu’elle n’a pas par exemple privilégié l’incinération par rapport au stockage contrairement à l’Allemagne ou à l’Angleterre, enfin un ensemble de pays maintenant. » Directeur sud-ouest groupe privé_82

23

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Recettes marchandes, économie et marché des

déchets, centre d’enfouissement, incinérateur, valorisation énergétique ; méthodes de traitement des déchets ». 24

37% des déchets ménagers et assimilés sont orientés vers le recyclage, 33% vers la valorisation énergétique, et près de 30% vers l’enfouissement.

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Par la promulgation de normes dans les années 90, l’incinération et l’enfouissement ont fait peau neuve, le recyclage s’est développé par le biais de la mise en place des déchetteries, des centres de tri et des plateformes de compostage. Dans le même temps, de nouvelles formes et projets de traitement et de valorisation sont testés voire adoptés et d’autres sont « rejetés » par les pouvoirs publics. Le discours des acteurs rapporte que certaines méthodes de traitement doivent être adossées à d’autres, en ce sens ils défendent l’idée de la complémentarité des filières. Ce qui est certain, c'est que le traitement, la valorisation et l’élimination des déchets sont confiés aux professionnels et industriels du déchet, en particulier au privé. L’ensemble des acteurs (hormis FEDENV_69) s’accorde à dire que le privé, notamment les groupes leaders sont particulièrement opérants et efficaces dans la maîtrise de leurs installations et qu’ils ont su développer des compétences professionnelles et techniques reconnues.

« La défense de la profession c’est la complémentarité des filières, c’est le grand credo français par rapport à peut-être d’autres pays européens, c’est nous estimons que les filières sont complémentaires, que des types de déchets vont vers certaines filières plutôt que vers d’autres, mais qu’il n’y a pas à moins privilégier une filière qu’une autre » Directeur sud-ouest groupe privé_82 « On ne gère plus les déchets comme on les gérait il y a dix ans et donc on confie vraiment ça à des professionnels […]. » Agent de préfecture_70 « Il faut affirmer que les opérateurs industriels du traitement des déchets ont développé une compétence et un savoir-faire qui doit servir de référence. Ça peut paraître paradoxal, mais même sur des process industriels comme l’incinération qui sont très impopulaires et peu acceptés dans l’opinion, les industriels, les privés, les grands groupes savent parfaitement bien traiter le problème. » Directeur des services Optitri_61 « Au niveau de la collecte on peut maîtriser facilement parce que ce n’est pas un univers inconnu, par contre je suis parti du principe que tout ce que je ne savais pas maîtriser, et pas bien traiter et bien je devais le faire faire par d’autres. Donc l’incinérateur et le centre de tri on a fait une consultation pour faire une DSP (Délégation de Service Public) avec des gens hautement performants pour qui c’était le métier. » Président Propret_59

Dans les discours des acteurs privés, l’incinération est défendue comme un mode respectueux de l’environnement et qui ne devrait pas ou plus susciter de polémiques sanitaires. En revanche l’enfouissement sans être fortement critiqué semble être mis à la marge. Il ne s’agit pas de le faire disparaître car il reste encore indispensable sur le territoire français et que la majorité des installations appartiennent aux groupes privés, mais il faudrait s’adapter et investir dans les technologies d’avenir et celles qui sont le plus valorisées au niveau réglementaire.

« Malgré tout la France maintenant a quand même admis l’idée que l’enfouissement sans aucun prétraitement c’est quand même pas une très très bonne solution […] Les grands groupes, en particulier, ont bien acté la contrainte d’aller vers des déchets valorisés au maximum c’est-à-dire que tout ce qui est commerce de base, qui est stockage et tout ça, du fait de ses coûts bas est plus rémunérateur si j’ose dire, tout le monde sent bien que ce n’est pas ce qui va durer éternellement. » Directeur sud-ouest groupe privé_82 « Les procédés que l’on a ici, que ce soit le tri ou l’incinération ils sont pas plus mauvais que d’autres, et je considère très partiellement qu’ils sont même bons, évidemment parce que si je n’étais pas convaincu je ne travaillerais pas là-dedans. Je considère que c'est mieux que de les mettre dans le trou. Même si dans les centres d’enfouissement technique maintenant on récupère du méthane pour faire de l’électricité, mais c'est 7 à 10 fois moins à tonnage égal que l’incinération, donc il faut quand même rester réaliste. […] Maintenant on a des nouvelles filières, et des nouveaux modes de traitement : la méthanisation, le TMB (Tri Mécano-Biologique), on a des combustibles de substitution c’est-à-dire faire des combustibles à partir du déchet. Donc on a des sociétés qui sont en train de s’implanter là-dedans, il faut que les groupes comme le nôtre sachent s’implanter dans ces nouveaux créneaux. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57 « Donc il y a un problème de réduction et à l’heure actuelle et jusqu’à preuve du contraire l’incinération est à mon sens et je crois que ça commence à être reconnu est un mode de traitement propre à partir du moment où l’on contrôle toutes les émissions et que ce soit la X [autre usine d’incinération] et encore plus l’usine Valori qui fonctionne depuis 2001, tous les contrôles les plus sévères pour tous les polluants qu’il peut y avoir, en particulier

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les dioxines et les furanes, on est au dixième des normes minimales qu’il faut, parce que les pollutions peuvent venir de bien d’autres choses. » Président Propret_59

Par contre, la fédération environnementale rejette vivement le procédé de l’incinération. Divers arguments sont mobilisés : l’aspect environnemental sur les rejets de polluants et les risques sanitaires, l’aspect économique en termes d’investissement pour la création d’une telle infrastructure, et celui du social avec la création d’emploi. Elle fait mention également des intérêts économiques et des rapports de force qui s’établissent entre les promoteurs de projets et les communes qui accueillent les installations de déchets.

« L’aspect environnemental bien sûr ça gêne, l’aspect dioxyne, et en tant que fédération on a fait la tournée de plusieurs villes pour expliquer les dangers de l’incinération mais aussi ce qui a été perçu et repris par le syndicat, c’est le coût, ça parle beaucoup plus le coût parce qu’effectivement ça allait coûter très cher et ça allait interdire tout développement du tri etc., toute la thématique autour de l’incinération, et le coût a été… » FEDENV_69

Si l’incinération continue de générer des craintes et des polémiques, un des acteurs formule l’obstacle de l’acceptabilité sociale des installations de déchets de la part des usagers mais aussi des élus politiques qui luttent contre l’implantation de ces infrastructures d’élimination et de valorisation des déchets.

« Vous avez 2 syndromes : le NIMBY [Not In My BackYard], faites ce que vous voulez mais pas chez moi et l’autre que j’appelle le syndrome BANANA [Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anyone] qui vient maintenant souvent des élus c'est de dire ne faites rien ni ici ni ailleurs ni auprès de personnes voilà, et tout ça ce sont des oppositions, des associations qui disent ça. Si vous traversez la France et bien vous voyez fleurir « Non à l’usine de ceci ; non à la décharge ; non à la ligne haute tension ; non à l’incinérateur ». N’importe quoi que vous fassiez qui est peu industrialisé, il y a de l’opposition sans savoir ce que c'est, c'est de suite vilipendé. Vous voulez faire une unité de valorisation de déchets verts c'est comme si vous assassiniez la moitié de la planète… voilà. » Président Propret_59

Le discours au sujet de l’incinération véhiculé par les représentants d’Optitri est beaucoup plus nuancé. Il n’y a pas de franche opposition à l’incinération par rapport aux enjeux environnementaux. Il semble que ce soit essentiellement des raisons politiques, économiques et idéologiques qui ont contrecarrées le projet de l’Etat et motivées l’alternative du bioréacteur, qui selon eux est une des solutions des plus vertueuses et des plus adaptées au contexte du département. En ce qui concerne ce mode de traitement, chacun d’entre eux use de la notion d’environnement et de développement durable pour légitimer ce mode de traitement en précisant qu’il ne doit pas être assimilé à de l’enfouissement classique.

«Ce qui nous a amené au sénateur qui était déjà mon président mais à un autre titre, et moi même à aller voir le Préfet de l’époque avec lequel nous avions d’excellentes relations pour lui dire « Ça peut pas marcher comme ça, on peut pas imposer une démarche aussi technocratique sans la moindre concertation et au final il nous paraît que les résultats économiques et environnementaux ne seront pas satisfaisants » […] Ce projet est justement de miser sur des process vertueux pour la préservation de l’environnement et pour le développement durable […] Cette technique c’est certainement pas de les enfouir sous la terre pour les oublier pendant des siècles, cette technique elle est vertueuse » Directeur des services Optitri_61 « Bon le bioréacteur est clairement inscrit dans le développement durable je dirais bon même si c'est pas facile qu’il soit reconnu, peu pratiqué, voire qu’il est sans être reconnu, mais si on cherche à appliquer une énergie qui soit validée ou reconnue pour pouvoir la vendre, donc le bioréacteur est vraiment un outil au service du développement durable » RH_Optitri_65 « L’exploitation d’un bioréacteur a des vertus quand même, des avantages, des inconvénients, mais c’est quand même différent d’un centre de stockage classique pour X raisons mais qu’il y a quand même des qualités au niveau environnemental. » Responsable d’exploitation bioréacteur_72

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Ainsi, faire le choix d’un mode de traitement revient à devoir intégrer des critères environnementaux, économiques et sociaux et à se confronter à une pléiade d’acteurs. Ce qui aboutit à la représentation de débats controversés et à des éventuelles oppositions (effet NIMBY) avec certains types d’acteurs comme les associations environnementales ou la société civile. Les discours montrent que l’intégration et la gestion de ces dynamiques ne sont pas sans risques pour les porteurs de projet ou pour les élus qui accueillent ces installations dans leur commune.

« Quand vous êtes l’élu qui défend la création d’une usine d’incinération ou d’une décharge bon vous pouvez ne pas être réélu la fois d’après. » Directeur sud-ouest groupe privé_82 « Au départ lorsque l’installation, en 96, quand le maire de X au grand soulagement de tout Propret a dit oui moi je prends l’installation, ben et bien l’année d’après le pauvre il n’a pas été réélu. Il y a eu une très forte opposition, il y a des élus qui sont toujours en place ici et qui se sont couchés devant les camions, je veux dire que ça a été dur. Il y a eu des assemblées de Propret qui ont été bloquées par des manifestants. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Bien que les critères environnementaux pèsent dans le choix d’un mode de traitement et de gestion (c’est-à-dire en régie publique ou dans la contractualisation avec un opérateur pour assurer le traitement des déchets), ce sont les coûts et enjeux économiques qui semblent primer. Par exemple, sur l’un des départements investigué, le refus de l’incinération a été motivé, en partie, par des arguments portés sur les coûts économiques du transport des déchets et les coûts de gestion des REFIOM (déchets ultimes) ; le rejet de la méthanisation par des coûts d’investissement jugés trop onéreux. En outre, la fiscalité environnementale sur les déchets qui donne des orientations sur les choix dans le mode de traitement est aussi fortement considérée lors des décisions. Cependant, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) reste encore peu incitative, car comme le précise l’un de nos enquêtés l’enfouissement reste « le moyen de traitement aujourd'hui le moins cher » Directeur sud ouest groupe privé_82.

« Les choix politiques doivent avoir une crédibilité économique sinon ce n’est pas la peine. Il y a des enjeux bien sûr aussi environnementaux […] [au sujet du bioréacteur] Ça coûte moins cher qu’un incinérateur, la question de la rentabilité pose la question du marché. Aujourd’hui là où on peut être le plus rentable c’est avec un centre d’enfouissement technique. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63 « Ce qui a été perçu et repris par le syndicat, c’est le coût, ça parle beaucoup plus le coût parce qu’effectivement ça allait coûter très cher […] Sinon le traitement des déchets par l’incinérateur la redevance rentrait dans l’escarcelle des grands groupes et c’était très cher, après il faut stocker les refiom, c’est très onéreux quoi, c’est très onéreux. » FEDENV_69 « Je choisis sur les critères que j’ai mis en base à la consultation, faut pas se faire d’illusions, dans 90 % des cas je prends le moins-disant, je prends le moins cher même si la règle c’est vraiment le mieux-disant faut quand même pas se faire d’illusions le plus souvent c’est… pourquoi, parce que les élus quand ils sont quand même observés sur leurs choix sauront toujours défendre celui qui est le moins cher et auront toujours plus de mal à défendre « ben j’ai choisi un tel il est un peu plus cher ou il est même le plus cher le cas échéant, mais la qualité est mieux » […] C’est souvent quand même quelque chose qui va vers l’offre la plus compétitive au plan économique, bon ce qui n’est pas toujours la meilleure solution, mais enfin bon c’est comme ça. » Directeur sud-ouest groupe privé_82 « Donc, lui [le président] il avait quand même une stratégie, même économique derrière ça, puisque l’objectif était de faire reconnaître la mécanique vertueuse, et du coup de bénéficier de taxe réduite, la fameuse TGAP […] Par exemple, au niveau transport, il est clair qu’en mutualisant les équipements sur les territoires, on les positionne de façon beaucoup plus cohérente car on a une vision globale du territoire, donc les installations de traitement sont positionnées de manière cohérente et on va limiter le coût du transport des déchets d’une installation à une autre. […] Et après on voit que pour nos coûts, il y a aussi le bioréacteur, c’est-à-dire que la politique publique a fait le choix d’un mode de traitement, qui a été innovant et qui, avec lequel les élus ont pu faire la démonstration de

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son caractère vertueux pour l’environnement, et là du coup on a pu bénéficier d’une taxe réduite qui permet une réduction dans le coût global du déchet, […]. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63 « [la TGAP] Elle a été décidée, tout le monde l’a subi, après il y a une différentiation selon les modes de traitement, les centres d’enfouissement technique paient une TGAP plus importante, et puis les usines d’incinération c'est en fonction de leur taux de valorisation, donc nous, on est au plus bas, en espérant qu’on le restera. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57 « […] La fiscalité si j’ose dire aujourd’hui elle est presque utilisée pour équilibrer plutôt que pour orienter, et ça, ça rend les choses un peu compliquées pour les élus, bon, alors en plus avec, aujourd’hui je dirais les élus sont quand même observés sur ce sujet-là par les associations, par le consommateur, par le citoyen, bon. » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Si le choix des procédés de traitement intègre des enjeux environnementaux et suscitent toujours des débats et des controverses, nous avons vu qu’ils cristallisent de forts objectifs économiques. L’environnement semble finalement mis de côté pour conforter et assurer la croissance économique, l’efficacité du service et la rentabilité des industries du déchet. Ainsi face aux réalités productives l’enfouissement reste encore un choix stratégique intéressant ; l’incinération à valorisation énergétique considérée comme un mode de traitement « propre » et à valeur ajoutée pour les industriels continue à conserver une image suspecte ; et les projets innovants tels que le bioréacteur nécessitent encore des retours d’expérience pour évaluer les impacts environnementaux. La valorisation des déchets permet l’économie des matières premières et génère des recettes d’exploitation pour chacune des installations étudiées que nous présentons ci-dessous.

Les recettes et les coûts d’exploitation selon le mode de traitement Comme l’indique l’un de nos enquêtés, la valorisation du déchet « a un coût, mais à la clé il a une valeur ajoutée » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57. Les déchets représentant aujourd'hui une ressource économique, ils nécessitent alors une gestion entrepreneuriale. Les exploitants privés ou publics de déchets doivent dégager des recettes afin que perdure l’activité voire qu’elle se développe. L’organisation du travail reste soumise à un impératif économique. Dans chacun des sites étudiés, les exploitants dégagent des recettes issues de la valorisation des déchets. Elles proviennent de la vente d’électricité (bioréacteur et incinérateur), des mâchefers (incinérateur) et des matériaux recyclables (centres de tri et déchetteries). De plus, chacun d’entre eux a proposé des projets innovants en faveur du développement des énergies renouvelables ou de la valorisation, ce qui leur a permis de bénéficier d’un soutien financier et de subventions de l’ADEME, représentant alors un renforcement de leurs revenus. Dans le cadre de la Délégation de Service Public (DSP) contractée entre Valori et le syndicat de traitement Propret, l’entreprise perçoit une redevance de ce dernier pour le service rendu durant plus de 20 ans. En retour ce dernier est rémunéré par les résultats de l’exploitation soit par les recettes de valorisation. Pendant cette période relativement longue, le prestataire connaît ses revenus futurs et a donc des risques économiques limités. Ainsi, hors problèmes techniques, l’exploitant est relativement protégé et en situation de monopole car d’une part son activité est assurée sur le long terme, et d’autre part économiquement, les frais de dépense sont supportés ici par le syndicat Propret. Enfin, dans le milieu de l’incinération le parc d’incinérateurs est essentiellement contrôlé par deux groupes de la gestion des déchets, et les contrats relativement longs les protègent ou limitent la concurrence.

« Les recettes c'est avant tout le service qu’on apporte à Propret et aux clients, que ce soit à l’usine ou au centre de tri. […] Pour la DSP les prix ont été fixés dès le départ en 94, tous les prix sont fixés en 94 avec des formules d’indexation bien sûr. C’est-à-dire qu’au départ on a défini, c'est assez compliqué la facturation, on a une part fixe qui est celle du loyer qui correspond à l’amortissement des installations, après il y a une part fixe d’exploitation qui correspond à la rémunération des frais fixes dans le fonctionnement de l’installation, le personnel et la maintenance, et après il y a des redevances dites proportionnelles pour couvrir nos dépenses qui dépendent du tonnage, parce que par

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exemple les dépenses de maintenance pour les fours et les chaînes de tri c'est à peu près forfaitaire, mais par contre les dépenses pour les réactifs pour traiter les fumées sont éminemment liées au tonnage, s’il n’y a pas de tonnage on ne met pas de réactif. Donc il y a cette redevance proportionnelle pour couvrir les frais proportionnels. […] C'est le même topo sur les quais de transfert où il y a une part fixe pour les loyers, et le fonctionnement du personnel, et une part variable liée au transport, et la redevance de transport elle est fixée pour chaque matière. C’est-à-dire qu’il y a un prix au km pour les OM, pour la collecte sélective, pour les déchets verts. Il y a une grille de facturation assez complexe. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57 « L’électricité en dehors de celle dont ils ont besoin ils la vendent à EDF, et Propret est intéressé parce qu’il a une part, une recette qui vient de la revente de cette électricité. » Président Propret_59

Au bioréacteur, le procédé permet de capter du biogaz issu de la fermentation des déchets, il est composé en grande partie de méthane qui après traitement fait tourner un moteur à explosion. Avec une turbine, de l’électricité est créée puis convertie par un transformateur pour être renvoyée dans les réseaux Électricité De France (EDF). Ce biogaz peut aussi être valorisé en le transformant en biométhane carburant. Par la combustion des déchets, l’incinérateur étudié produit lui aussi de l’électricité et a le projet de faire de la cogénération en produisant de la chaleur pour chauffer des serres maraîchères. En France, EDF a l’obligation de racheter l’électricité produite

25 pour une durée de 15 ans à

compter de la mise en service industrielle de l’installation. Le contrat d’achat passé entre EDF et le producteur précise les caractéristiques techniques de l’installation et définit les puissances garanties durant la période hivernale et estivale. Une prime en fonction de l’efficacité énergétique de l’installation peut être ajoutée. Dans le cas de nos deux installations, les contrats sont différents car il existe un cadre réglementaire et des tarifs de rachat spécifiques à la production d’électricité par le biogaz. Au niveau de leur fonctionnement, le bioréacteur achète de l’électricité pour son fonctionnement, l’incinérateur quant à lui est autonome en produisant sa propre électricité, le surplus étant revendu à EDF.

« On a un contrat avec eux de revente, donc pareil c’est un long processus pour arriver à avoir le contrat, on a une certaine puissance à revendre à EDF et dès qu’on modifie cette puissance en fait il faut relancer le processus, donc c’est un contrat de revente qu’on a avec eux qui nous lie, et nous derrière on rachète de l’électricité pour notre fonctionnement interne au site, on revend l’électricité qu’on produit et on rachète chez eux l’électricité pour faire fonctionner le site. Donc il y a des tarifs qui sont arrêtés par rapport à la puissance, si c’est une énergie qui arrive du biogaz ou par exemple d’un incinérateur c’est des tarifs différents, voilà. » Responsable d’exploitation bioréacteur_72 « Alors là par contre nous produisons un bien qui est de l’électricité ou du biogaz carburant, l’électricité nous sommes dans un marché captif parce qu’EDF a l’obligation réglementaire de racheter cette électricité et étant donné qu’ils ont l’obligation réglementaire, nous la vendons à personne d’autre qu’à EDF et le prix de vente du kilowatt est normé par un arrêté ministériel qui fixe ce prix d’achat. On n’est pas dans une logique de marché, au sens premier du terme, on est dans un marché captif. » Directeur des services Optitri_61 « Les produits que l’on vend c'est l’électricité à EDF, et puis après c'est les matières que l’on vend aux repreneurs. Non on différencie, pour l’usine c'est pareil on a une redevance pour Propret pour les tonnes traitées, ensuite on a la recette de l’électricité que l’on vend à EDF, et après on a la recette des métaux issus des mâchefers. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Le représentant d’une fédération professionnelle rapporte que ce tarif d’achat fixé par les pouvoirs publics n’est pas en adéquation avec le cours de l’électricité du marché. L’incinération des déchets ne serait donc pas en soi une activité rentable, et elle ne le deviendrait que par les conditions fixées dans la délégation de service public

26.

25

Cf. Arrêté du 2 octobre 2001 26

Or lors des entretiens lorsque nous abordions les conditions de négociation des contrats passés, chacun des enquêtés a esquivé la question ou n’a pas souhaité y répondre.

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« Il y a une compétitivité économique à produire de l’énergie à partir des déchets, plus forte qu’elle ne l’est en France, et en France avec une raison en particulier c’est que les tarifs d’une usine d’incinération qui fait de l’électricité elle bénéficie entre guillemets d’un tarif d’achat imposé par les pouvoirs publics et qui est aujourd’hui bas, qui est même pas au prix du marché limite, mais garanti, alors quand on travaille dans un contexte où on travaille pour des collectivités, en règle générale les collectivités préfèrent la sécurité dans le temps que les aléas du marché, enfin disons que ce prix il est devenu… il n’a pas évolué de la même façon que les prix du marché et le prix du marché l’a dépassé. » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Comparativement à l’incinération ou à l’enfouissement, les discours signalent que les coûts de collecte et de traitement des déchets recyclables sont dispendieux, bien que la réglementation et le mode de gestion économique contribuent à son développement et à son renforcement. C’est ainsi que le travail de tri est considéré comme une activité exigeante et particulièrement complexe. Son coût est élevé. D’autres activités sont considérées comme moins « chères ».

« Aujourd’hui là où on peut-être le plus rentable c’est avec un centre d’enfouissement technique, au centre de tri les coûts seront toujours très importants, s’il n’y avait pas les aides d’Eco-Emballages, pour vous donner une idée, l’enfouissement revient à 40 euros la tonne ou 50 euros, un centre de tri c’est 200 euros la tonne. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63 « Par contre sur des prestations très complexes comme le tri et le conditionnement des plastiques ou des papiers, là les coûts sont plus élevés et nous n’avons pas vocation à fonctionner à 100 % à perte. » Directeur des services Optitri_61 « Après vous avez tout ce qui sont les filières dites de recyclage et autres, où là c’est plus difficile parce que le coût du traitement est nettement plus élevé mais il y a des recettes. » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Dans les centres de tri, les recettes comprennent les soutiens économiques des éco-organismes et la revente des matériaux, qui est organisée de deux façons différentes selon les sites étudiés. Dans le cas d’Optitri, depuis 2005 le syndicat perçoit les soutiens financiers d’Eco-Emballages et ne les reverse pas aux collectivités adhérentes, en contrepartie leur coût de traitement est abaissé selon leur performance. Pour Valori, la vente et les recettes des emballages sont gérées et perçues par un service de Propret, mais le papier ou JRM (Journaux, Revues, Magasines) reste sa propriété.

« Mais de faire profiter à nos adhérents de prix de tri, de tarif de tri à la tonne entrante très compétitif. […] Une commune ou un groupement de communes, qui vient livrer ces déchets sur les installations d’Optitri paie le service qui lui est rendu par tonne, chaque année nous calculons le prix de revient de telle prestation sur telle nature de déchet à la tonne, nous réduisons ce prix de revient du montant des soutiens qui nous sont restitués par Eco-Emballages, et nous facturons à nos collectivités membres un tarif et un prix. » Directeur des services Optitri_61 « Il y en a qui paient un peu plus d’autres un peu moins selon leur performance, c’est là que j’interviens avec des bilans, qui est le bon ou le mauvais élève, et donc on a un jeu de majoration du tarif ou pas selon que l’on soit dans les bons ou les mauvais, mais bon la moyenne est de 38 euros pour l’année 2011 tonne entrante de collecte sélective. […] Donc c’est un prix très compétitif […]. » OF_TRI_62 « Donc les emballages restent la propriété de Propret, donc les recettes de ces matériaux c'est pour eux, c'est Propret qui négocie ces filières de reprise, par contre les JRM ça c'est nous qui les revendons à des repreneurs. Là on passe par une filiale du groupe, qui est un courtier, et qui revend au mieux ces matières-là. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Dans le cadre du tri, l’interlocuteur privilégié est Eco-Emballages qui a le monopole du recyclage des emballages ménagers. Après avoir perçu les contributions auprès des producteurs d’emballages, ce dernier distribue des aides aux collectivités locales ou syndicats qui mettent en place les collectes sélectives en fonction d’un barème tenant compte des performances. Ce dernier est jugé « complexe » voire « opaque ». En effet, un certain nombre d’acteurs révèlent un manque de confiance et plusieurs difficultés, suscitant alors des

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controverses et entraînant des relations complexes alors même qu’ils sont fortement interdépendants.

« Du fait qu’on ne s’est pas plongé dedans dans les coûts de revente, on trouve que c’est très opaque. […] C’est opaque, on ne sait jamais trop si les hausses sont bien répercutées, si les baisses ne sont pas très fortes, ça n’est pas très transparent, et comme ce sont souvent les mêmes qui font le traitement et qui ont aussi quelques unités de recyclage, donc on se permet d’y mettre des fois un doute, mais on va y mettre le nez. […] Voir d’autres collectivités qui fonctionnement autrement que nous et comparer s’il y a un intérêt ou pas, si le gain justifie qu’on développe une activité de vente de matériaux. » Membre du bureau Optitri_66 « En ce qui concerne les emballages et les producteurs d’emballages, eux aussi donnent une participation à Eco-Emballages, mais ce travail-là est opaque, car on ne connaît pas trop le barème appliqué aux producteurs d’emballages. » OF_TRI_62 « Eco-Emballages qui à l’heure actuelle doit théoriquement prendre 80 % du coût de collecte et de traitement et qui n’en prend réellement que 60 % […] En fait, on est très loin, parce que sur l’enveloppe normale pour atteindre ces 80 % il nous manque 140 millions, donc on est en pétard contre Eco-Emballages pour ce manque de résultat. » Directeur Propret_59 « Or Eco-Emballages fait tout sauf de la péréquation, de la répartition de moyens, ils font de la communication, ils placent même de l’argent public aux îles Caïmans qu’on a jamais vu revenir, ça a été un scandale majeur de ces dernières années sans que l’Etat fasse quoique ce soit. » Directeur des services Optitri_61

En résumé, une partie des recettes d’exploitation sont issues de la revente de l’énergie ou des matières de tri. Cadrés par des contrats, nous observons que les exploitants publics des industries et les collectivités locales signalent des difficultés avec Eco-Emballages sur les coûts de la collecte et du tri. Dans le point qui suit d’autres difficultés sont soulignées par nos enquêtés-industriels. Se pose alors la question de la rentabilité du secteur du traitement, en particulier celui du tri.

Les difficultés du marché : la volatilité des prix des matières et des contrats incertains Nous l’avons vu, le premier régime de sens se caractérise par la place singulière du travail d’exécution effectué au sein de l’activité de tri. Les discours étaient fortement orientés sur une mise en lumière des conditions de travail difficiles. Dans ce second régime de sens du travail de conception de la filière, on retrouve à nouveau une particularité de cette installation du tri. Nécessitant la mobilisation des acteurs de la branche professionnelle du recyclage

27, les

relations entre les professionnels du tri et les professionnels du recyclage sont étroites et indispensables pour le fonctionnement des deux secteurs.

« Quelque chose de plus diversifié au niveau du tri et du recyclage parce que vous avez à la fois les acteurs des déchets mais aussi les acteurs disons de l’industrie du recyclage et des papetiers, ou des gens qui travaillent pour des papetiers, des gens qui travaillent avec la sidérurgie etc. » Directeur sud-ouest groupe privé_82

Lors de la revente des matières premières de recyclage (MPR), l’une des contraintes les plus énoncée est celle de la variation de leurs cours et plus largement de l’imprévisibilité des marchés. Revendues aux repreneurs de l’industrie du recyclage, les MPR sont essentiellement commercialisées sur le territoire national et européen dans le cas d’Optitri, et pour les groupes privés elles peuvent être exportées à l’international. Inscrite dans une logique de marché mondialisé, jusqu’en 2005 dans un contexte d’accroissement de la demande de ces matières, notamment dans les pays émergents (Chine, Inde), la production de MPR était en constante augmentation et le prix de certaines matières a triplé en quelques années (exemple des métaux). Dès 2007 et jusqu’en 2010, face à la crise économique, on observe un ralentissement dans la demande mondiale qui a entraîné la fermeture de sites de production utilisant certaines

27

Elle a connu ces 20 dernières années une expansion et une profonde restructuration. Depuis 1999, le nombre d’emploi de la branche a augmenté de 20%. Source : Rapport annuel de Federec (2012)

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des MPR, et une baisse généralisée des prix de vente. L’instabilité des revenus est un risque important pour Optitri et pourrait, plus largement, enrayer le développement du secteur du recyclage et du tri des déchets. À la fluctuation, parfois brutale, du prix des MPR s’ajoutent les effets de stocks comme en témoigne l’un de nos enquêtés à propos du stock du verre qui est actuellement élevé et en retour son prix de vente a diminué. Les déséquilibres entre l’offre et la demande entraînent une exigence croissante de la qualité des produits triés de la part des repreneurs et des hausses ou baisses importantes des prix des MPR difficilement maîtrisables et nécessitant des ajustements constants notamment pour les opérateurs, en particulier ici Optitri.

« [Les cours de ces matières] ils peuvent naturellement connaître des fluctuations importantes et ça a été le cas en 2008 où les cours se sont totalement effondrés […]. » Directeur des services Optitri_61 « Il y a une telle différence entre des marchés hauts et bas que pour nous c’est une recette annuelle qui peut osciller entre 200 000 ou 1 million d’euros […]. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63 « […] Vous savez aujourd’hui l’équilibre c'est surtout la Chine et l’Inde, en lisant la revue spécialisée on se rend bien compte que ces deux pays font la pluie et le beau temps. On est vraiment, ce qui est inquiétant, on se rend compte que s’ils bloquent tout, on se casse la figure […]. » OF_TRI_62 « En 2009, on a plongé quand même on a perdu 850 000 euros sur Optitri. […] Ensuite, au niveau économique, il faut qu’on jongle, il faut accepter de créer des recettes spécifiques pour la fluctuation des cours pour temporiser ces mouvements de hausses et de baisses, et je pense qu’il faudra de plus en plus anticiper ces choses-là, aujourd’hui c’est reparti mais demain ça peut s’effondrer et on peut pas déséquilibrer nos budgets parce que rien n’a été prévu. » Membre du bureau Optitri_66 « Ben c'est un marché volatile pour les matières revendues et pour les DIB (Déchets Industriels Banals) surtout. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57 « Tout ce qui est emballages, tout ce qui est papiers, cartons, aluminium, enfin bon les déchets métalliques et tout ça, est sur un marché effectivement qui est européen voire mondial, il y a une exploitation en Chine, alors c’est pas sans difficultés parce que les marchés des fois sont un peu tendus, en particulier par exemple des papetiers y compris des papetiers extérieurs à la France se plaignent des fois qu’on aurait tendance à exporter les papiers à la Chine plutôt que de les traiter sur place, bon c’est un marché ouvert. » Directeur sud-ouest groupe privé_82 « Alors après effectivement, on obéit aux règles des marchés en général, plus il y a de la matière première, plus les prix vont être bas, plus les exigences des repreneurs vont être importantes. On est dans un cadre où les exigences des repreneurs qui reprennent les produits peuvent être importantes, c’est le cas aujourd’hui du verre parce qu’il y avait beaucoup de verre […], puisque dans tous les cas de toute façon la fourniture ils l’ont, donc ils peuvent refuser telles ou telles livraisons, parce que ça leur va pas, parce que le verre est trop petit… On rentre dans les lois du marché où les exigences et les prix du marché sont liés aux lois de l’offre et de la demande. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63

À cet effet, parmi les trois options de reprise des matériaux proposées par Eco-Emballages, depuis 2010, Optitri a fait stratégiquement le choix de l’option fédération pour la majorité de la vente de ces produits (sauf verre). Alors qu’une large majorité des collectivités adopte l’option filière sur les matériaux issus de la collecte sélective, les arguments avancés pour justifier le choix de l’option fédération semblent liés à l’autonomie de pouvoir établir un contrat de 3 ou 6 ans selon ces critères et avec le libre choix de son repreneur (labellisé par la Fnade et Federec) ; d’être mieux informé sur les prix du marché ; de négocier des prix de reprise et des prix planchers et révisables avec les repreneurs ; de se défaire d’un repreneur jugé défaillant. L’objectif in fine étant de trouver « les clients les plus rémunérateurs » et de « privilégier la souplesse et la réactivité ». Directeur des services Optitri_61

« Si on veut maîtriser nos prix […] on porte une grande attention à la manière dont on revend nos produits et on s’efforce de l’encadrer par des contrats qui garantissent notamment des prix planchers dans le cas où le marché s’effondre, on s’arrête à un certain niveau. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63

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« Ces repreneurs ont été retenus sur 3 critères : le prix, le partenariat c’est-à-dire l’engagement parce que ce qu’on souhaite avec ces repreneurs ce n’est pas que d’avoir des relations mercantiles, c’est-à-dire d’argent, bon oui on a établi des prix, avec des prix de reprise, et des révisions de prix. Donc on voulait un vrai partenariat et on voulait que ces repreneurs s’engagent aussi, donc on voulait des rencontres, un travail collaboratif, qu’ils nous apportent leurs expertises de professionnels, qu’ils nous aident à améliorer la qualité de nos produits […]. Enfin le troisième critère où le repreneur s’engage dans des démarches de développement durable, c’est-à-dire où il nous montrait qu’il intégrait bien cette dimension dans leurs prestations, que ce soit au niveau de l’optimisation de leurs transports, là aussi de rechercher l’optimisation maximum pour limiter les impacts environnementaux […] Mais après sur le prix de reprise, on a un prix avec une valeur de référence, par exemple pour mars 2011 il y a un prix de base et puis on s’entend sur quelle révision de ce prix, parce que le prix du carton, des plastiques, de l’acier ou de l’alu au niveau des marchés fluctuent beaucoup. Donc on s’entend sur des prix de référence que l’on trouve dans les revues spécialisées, et puis on dit qu’on appliquera les hausses ou les baisses et avec un prix plancher, qui a été négocié, de façon à nous garantir tout le temps et quoiqu’il arrive […] on nous garantit un prix minimum de recette sinon toute notre politique serait déstabilisée. » OF_TRI_62

Pour revendre les matériaux au prix le plus fort, s’informer du prix du cours des matériaux et détenir une capacité de stockage vaste sont deux éléments qui semblent nécessaires, mais qui sont péniblement réalisables pour les petits centres de tri d’Optitri. La stratégie de garder du stock est également utilisée chez Valori. Selon les propos du directeur du centre de tri, pour mettre la pression au papetier repreneur, ils ont conservé pendant des semaines le papier, puis menacé de le brûler à l’incinérateur s’il n’y avait pas un achat de ce stock à un prix intéressant. Le travail de tri dépend donc fortement des prix et des capacités de traitement. Il s’agit de ne pas devoir vendre au moment in opportun. Lors d’une visite d’un centre de tri dans l’ouest de la France, nous avions vu qu’un hangar avait été construit pour pouvoir stocker des balles de matières. Cet hangar permet de protéger les matières des intempéries et est aussi un lieu de stockage

28.

« Donc on peut dire au centre de tri, bon là stop vous ne livrez rien parce que le prix est catastrophique, donc il faut avoir les capacités de jouer avec les prix. Et quand les cours explosent on leur dit d’évacuer au maximum. Nous, ne sommes pas vraiment en capacité de pouvoir le faire, mais pour autant je peux indiquer au centre de tri que par exemple les prix du plastique sont bien en ce moment ils ont pris 30 ou 40 euros de plus que le mois dernier, donc essayez de déstocker. […] Après imaginons j’ai un produit qui subi une baisse depuis plus de 6 mois, je peux le stocker, je suis maître à bord, mais le problème c'est que l’on ne peut pas tout stocker. » OF_TRI_62

Un deuxième problème relaté est celui de l’approvisionnement des apports de la collecte sélective qui ont un impact sur la qualité du tri et sur le taux de refus. À cela, s’ajoute l’éventuel déclassement ou décote du prix de produits dû à un non-respect des standards matériaux et à l’influence des conditions climatiques lors de la collecte sur la qualité des produits.

«La performance technique d’un centre de tri elle est difficilement mesurable en tant que telle parce qu’elle dépend aussi de la qualité de la collecte, ce qui va faire la performance globale du système c’est plus la collecte que le centre de tri, si j’ai une collecte qui est de très mauvaise qualité je vais avoir beaucoup de refus. » Directeur sud-ouest groupe privé_82 « Dans les cahiers de charge il y a des pesées qui peuvent être contradictoires, c'est surtout sur les fibreux et les cartons que l’on peut avoir des déclassements et des décotes, mais parce que mettons il pleut, le carton mis en balle va être mouillé il aura un peu d’eau, et une fois qu’il arrive dans la papeterie il aura un peu séché donc on va avoir une différence de poids, donc le tonnage dans la papeterie ne sera pas tout à fait le même et ensuite il peut y avoir aussi quand le papetier va déliter ces balles il va se rendre compte que le carton n’est pas de très bonne qualité, mouillé etc. Donc il va pas pouvoir le travailler de la même façon, donc il peut y avoir des décotes, mais ça, c'est

28

Propos recueillis auprès du chef d’équipe de l’installation.

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également compris dans le cahier des charges et le contrat que nous avons passé sur les déclassements éventuels. » OF_TRI_62

Enfin, la dernière difficulté rapportée est celle des contrats avec les clients et les appels d’offres. Bien que chacun des industriels du déchet exprime l’importance de maintenir de bonnes relations avec ses clients, certains de ces acteurs soulignent les « mauvaises » pratiques d’entreprises clientes et/ou la complexité et la durée variable des contrats. Ceci requiert une gestion administrative et commerciale toujours plus poussée et préventive pour tenir les objectifs économiques, et une accentuation des partenariats plus stratégiques notamment dans l’élaboration des contrats.

« En termes de collectivités publiques, on a 8 clients, et après on a une bonne vingtaine de clients privés en DIB un peu plus éparpillés, mais sur des marchés beaucoup plus volatiles, c’est-à-dire que les contrats peuvent durer 6 mois ou un an, et l’année d’après c'est remplacé par un autre ou ils s’en vont. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57 « Nous avons des difficultés ponctuelles, ça, c’est inévitable, avec des entreprises clientes de nos prestations, un jour par exemple une entreprise a dissimulé dans des déchets très ordinaires des produits dangereux qui ne doivent jamais être mélangés, elle a fait ça pour éviter de payer très cher le traitement de ces déchets spéciaux. Malheureusement le camion benne dans lequel ont été déposés les déchets par l’entreprise, les déchets se sont mélangés et il y a eu une très grosse explosion, un incendie grave, et donc nous avons un problème majeur qui va aller au contentieux avec cette entreprise. Nous avons le même problème avec le bois de classe B, du bois de mauvaise qualité avec des revêtements, des colles, des choses comme ça, dans le sud du département où une entreprise n’a pas tenu ses engagements vis-à-vis de nous. » Directeur des services Optitri_61

Dans l’ensemble des sites étudiés, il s’agit de fidéliser les clients ou de concourir à la recherche de nouveaux marchés pour justifier la taille des équipements et s’assurer de tenir et d’augmenter les performances et les objectifs économiques. Gagner des appels d’offres est devenu un véritable enjeu, autant pour les acteurs privés que publics. Ainsi, cela réclame l’adoption de comportements stratégiques adossés à des enjeux économiques

29. Une mauvaise

journée de travail du côté de la conception est souvent causée par une mauvaise nouvelle économique pour l’entreprise.

« La mauvaise journée c'est les mauvaises nouvelles, on n’est pas retenu à un appel d’offres répondu […] Ici il y a tout un travail, bon on capte les déchets du principal syndicat Propret, mais on doit aller chercher d’autres clients et marchés, et on a d’autres clients, on a des centres de transfert et des installations périphériques, donc il y a tout un travail en amont de commerce lié à la recherche de déchets pour saturer l’outil industriel. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57 « Hier l’objet de la venue de mon chef c'était la présentation d’interlocuteurs sur la revalorisation des mâchefers, avec la société X qui exploite pour nous la plateforme de mâchefers, des industries du recyclage qui sont spécialisées dans le négoce des métaux que l’on récupère. Donc voilà c'était la présentation et la mise en relation de ces industriels-là avec qui peut-être plus tard on pourra envisager un contrat avec eux. Après on a abordé des appels d’offres en cours, pour savoir comment on se positionne, ce que l’on met en valeur […] » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57 « Nous, nous cherchons à gagner des tonnages et à gagner des marchés, c’est pour ces raisons qu’on est allé prendre le marché du [département limitrophe] parce que nous avons besoin de tonnage […] les recettes d’exploitation que nous dégageons, nous n’avons pas de marges financières à constituer, nous amortissons nos investissements comme il se doit mais nous redistribuons nos excédents à nos adhérents sous la forme

29

Dans le cas d’Optitri, depuis 2010, une importante partie des déchets de ce département est exportée pour être traitée dans le bioréacteur. Le marché conclu était pour une durée d’un an renouvelable trois fois,

permettant alors à ce territoire de se doter de nouveaux équipements pour le traitement de ses déchets. Depuis, un partenariat ou coopération interdépartementale a été crée entre eux, dans lequel Optitri « va aider à la conception de futurs centres de X » (Directeur des services Optitri_61).

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de tarifs qui sont en réduction permanente depuis 2006 » Directeur des services Optitri_61 « Le rôle d’Optitri est important, c’est que bien évidemment les apports financiers sont toujours un peu source de motivation et de stimulation, donc il faut quand même rester et créer un partenariat très fort avec nos collectivités adhérentes […] Alors pour que la collectivité n’oublie pas que justement ce tarif c’est grâce à eux aussi, c’est bien parce qu’on a beaucoup de tonnage, qu’on recycle beaucoup, que l’on a des soutiens très élevés qui nous permettent de mener cette politique. Donc il faut maintenir cette pression entre l’un et l’autre, et ça ne peut s’entendre qu’avec un partenariat très fort entre syndicats de collecte et syndicat de traitement. » OF_TRI_62

Pour terminer sur ces propos sur l’économie des déchets, l’enjeu de la réduction des déchets interroge le devenir de ces installations et sûrement de nouvelles orientations à prendre.

La réduction des déchets : un objectif politique contre des objectifs industriels ?

Sur les objectifs de réduction des déchets _priorités actuelles et réaffirmées dans la politique des déchets_ peu d’acteurs ont réagi à cette question. Mais la prévention de la production des déchets est tout de même mobilisé dans les discours. Ce sont les conséquences économiques de la mise en place de la redevance incitative, couplées aux conséquences sociales sur les ménages qui sont interrogées par les acteurs. Nous verrons que là aussi les avis et préoccupations des acteurs divergent sur ce principe de prévention. Pour la fédération environnementale les efforts en la matière ne sont pas suffisants, voire balbutiants. Les professionnels du déchet font état d’une contradiction entre d’un côté la construction d’équipements importants en termes de volume afin d’accueillir un maximum de déchets pour saturer l’installation ; et de l’autre les politiques de sensibilisation visant la réduction de la production des déchets. Ce paradoxe repose la question politique de la rentabilité des installations.

« Alors réduction des déchets à la source il y a des choses qui ont été faites c’est vrai, c’est très lent parce que c’est le système productif et le lobbying industriel qui n’est pas d’accord pour changer les choses, là le plan de sensibilisation que vont faire tous les départements parce que c’est associé à des subventions donc c’est une motivation importante, effectivement ça va dans le bon sens mais […] les objectifs sont très limités en fait, même pour le Grenelle 2 de l’environnement c’est pas exceptionnel » FEDENV_69 « On a des installations qui aujourd’hui tiennent économiquement, parce qu’on y met des produits, s’il y a des moments où l’on en met moins, les coûts vont être plus importants. On fonctionne, nous quand on fait un bioréacteur, on le dimensionne pour 180 000 tonnes, quand on en rentre 150 000 tonnes on gagne pas autant d’argent quand on en rentre 180. Sur les centres de tri, c’est la même chose, si du jour au lendemain, il rentre moins d’emballages qu’on avait prévu, et bien la rentabilité de l’outil va diminuer. […] il y a ce paradoxe où en même temps on développe une politique de prévention des déchets avec une personne qui va s’en occuper et en même temps on dit qu’il faut en prendre toujours plus. » Responsable d’exploitation centres de tri Optitri_63 « Donc il y a débat et puis le Grenelle a prévu de limiter le nombre d’ouverture d’installations pour justement inciter à la prévention des déchets, ce qui dans le principe est très bien, mais en attendant la réduction des déchets, on fait quoi, il faut bien les traiter les déchets existants. » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Du côté des politiques, à nouveau les coûts sont interrogés au regard de la réduction des déchets. Ainsi un des élus qui semble sensible et réceptif à cette politique montre la difficile conciliation autour des enjeux environnementaux et économiques. Le président du syndicat Propret en se référant à la redevance incitative comme moyen de baisse de production des déchets manifeste le rejet de ce dispositif en argumentant les effets pervers qu’il pourrait engendrer.

« On est confronté à un dilemme, c’est qu’une bonne partie des ressources d’Optitri se font par les tonnages, donc on a un plan ambitieux de l’ADEME sur la réduction des

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déchets auquel Optitri va participer, on va essayer de l’atteindre, on ne va pas faire une opposition à l’ADEME, on va essayer d’atteindre les objectifs de réduction des déchets. Les collectivités ont pas mal commencé déjà, je connais bien nombre de collectivités qui ont mis en place le compostage individuel. Après nous il faut savoir que nous, on s’attend à un afflux de population qui va augmenter donc sur notre site je vois pas comment on ne va pas baisser nos tonnages, mais on participera à tout ce qu’il faut mettre en place en termes de communication pour que l’individu réduise ses déchets, on rentrera dans la mécanique. Il faut faire quelque chose pour réduire les déchets, mais on risque de déséquilibrer, bon nous, on va le compenser par les augmentations de population, mais il ne faut pas que ça devienne un prétexte pour augmenter le prix de la prestation. » Membre du bureau Optitri_66 « Le maire se félicite d’avoir mis en place la redevance incitative […] il se félicite parce que la production des déchets incinérés est passée l’année où il était encore à la taxe traditionnelle de 300 kg par habitant et qu’en passant à la redevance incitative ça a chuté à 170 kg. Non mais vous croyez que du jour au lendemain on passe de 300 kg à 170 kg, et dans de telles proportions vous ne voyez pas ce qu’il s’est passé ? C'est comme ça que je suis allé à côté de X je suis allé me rendre compte au 31 août là-bas et je voyais des cheminées qui brûlaient alors qu’il faisait 30 ou 35C°, qu’est ce qu’ils font là ? Et on m’a dit ils brûlent les déchets c'est tellement cher qu’ils les brûlent… alors là oui ils ont eu la réduction des déchets mais pour le développement durable je vous garantis que ce n’est pas bon du tout car les dioxines et les furanes qui s’échappent c'est pas bon du tout. » Directeur Propret_59

Un dernier élément de nos terrains d’enquête relevant des stratégies économiques est apparu. Il s’agit de la coopération entre les industriels qu’ils soient privés ou publics. Bien que la mise en concurrence demeure dans le secteur, on constate que les arrangements et les relations sociales entre les entreprises concurrentes, au moins au niveau régional, semblent incontournables pour garantir l’équilibre productif, économique et social.

La coopération entre opérateurs industriels privés et publics : des intérêts économiques partagés Les liens entre prestataires privés et publics dans le territoire qu’il soit à l’échelle du département ou de la région sont importants. On constate des modes d’interactions entre les acteurs publics et privés et des partages sur des opérations particulières. Ces coopérations apparaissent nécessaires pour mener à bien des projets ou des actions environnementales, pour servir des enjeux stratégiques et économiques, ou encore pour remplir leurs obligations de traitement de déchets parfois stoppées lors de pannes techniques, de travaux d’optimisation

30,

d’aléas climatiques (envols de déchets lors de grands vents à proximité d’habitations sur le bioréacteur) et de grève. Ainsi, dans les cas exposés ci-dessous, un travail de collaboration a été mené pour un bénéfice mutuel.

« On a eu une convention de réciprocité de tonnage, c’est-à-dire que si on a un problème sur notre bioréacteur pour mettre les déchets et bien on les enverra à Valori, et si eux, ils ont un problème avec leurs fours ils viendront les mettre ici, des conventions pas de tarifs mais de tonnage. On n’a pas eu encore recours mais c’était une demande des deux parties, dans l’idée de sécuriser la filière. Ce ne sont pas des ennemis, ce ne sont pas des amis non plus. » Membre du bureau Optitri_66 « Alpha avec laquelle nous avons d’excellentes relations, des relations amicales de coopération personnelle, d’excellentes relations de coopération technique, nous faisons des choses ensemble, nous avons en particulier engagé une démarche de préservation de la biodiversité sur l’ensemble de nos sites, donc avec les entreprises nous n’avons pas de difficultés. » Directeur des services Optitri_61 « En cas de besoin on s’échange des tonnes, donc on est concurrents mais aussi collègues, par exemple quand il y a eu des grèves sur X […] on a traité leurs déchets, on

30

Valori a accueilli pendant plusieurs semaines, des équipes de tri d’un autre centre de tri, qui connaissait alors d’importants travaux d’optimisation. Ce centre de tri est une filiale d’un groupe privé et concurrent du groupe dont appartient Valori.

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pouvait pas tout prendre […] C'était une sorte de challenge de montrer au public que le privé c'est garantir la continuité du service » Directeur centre de tri incinérateur Valori_57

Bien que la défense de l’intérêt général, la spécificité du service public et le modèle Optitri soient constamment affirmés dans les entretiens des salariés et représentants de cette structure

31, certains services organisationnels font appel au retour d’expérience dont bénéficient

les groupes du secteur privé. Leur mode de gestion du personnel, leur organisation de travail, leurs outils peuvent servir d’appui ou d’exemple comme en témoigne la responsable ressource humaine d’Optitri. Les logiques et méthodes du privé sont ainsi examinées, sans pour autant être adoptées, pour gagner en efficacité et améliorer les performances économiques ou productives de l’entreprise publique. La question du travail des opérateurs est souvent abordée par ces échanges.

« Non mais il m’arrive d’aller les voir [les groupes privés], ou de les contacter quand je développe des projets. Par exemple, je travaille sur un projet sur le lavage des tenues vestimentaires, temps de douche et temps de change, j’ai pris contact avec toutes ces grandes boîtes pour savoir quelles sont leurs pratiques, bon le code du travail s’applique pour eux comme pour nous sur cette thématique, mais ils ont un recul que nous on n’a pas… ils ont testé plusieurs pratiques, ils ont changé plusieurs fois de pratiques, ils sont revenus sur les anciennes, bref aucun n’a la même vision des choses, ni les mêmes pratiques, ni la même culture d’entreprise, donc pour le coup j’essaie de plus en plus de les contacter, d’avoir des relais et d’échanger sur des thématiques qui me concernent. Je vais travailler aussi sur l’annualisation du temps de travail des chauffeurs, aujourd'hui ils ne sont pas annualisés mais notre objectif est d’y arriver et du coup je sais que je vais aller voir ce qui s’est fait, comment ils ont fait, comment ils y sont passés quels outils ils ont pris parce que c'est pas qu’on ne soit pas des spécialistes du déchet mais il y en a qui l’était bien avant nous, ça fonctionne de la même façon transporter des déchets que l’on soit dans le privé ou le public, après nous avons nos propres contraintes réglementaires mais au-delà de ça on est toujours sur du transport des déchets, donc j’en profite vraiment maintenant pour lever ma tête, sortir de mon petit bureau et de mon guidon et d’aller voir où il est nécessaire d’aller, comprendre où ils s’y sont arrivés, ce qui marche ou ce qui ne marche pas, anticiper certaines difficultés qu’ils ont pu rencontrer, donc dans le domaine RH c'est plutôt des partenaires, des supports, je les sollicite. » RH_Optitri_65

Enfin, les liens avec les groupes privés sont quasiment obligatoires dans un secteur contrôlé par ces derniers. Par exemple, dans le cadre de la collecte sélective et de la revente des matériaux, Optitri vend ses produits à des filiales de ces groupes, qui finalement assurent une part de la collecte, une majorité du traitement et qui bouclent la boucle soit en étant des intermédiaires entre le centre de tri et l’industrie du recyclage, soit en étant des opérateurs du recyclage.

« Ces multinationales peuvent être nos repreneurs, hormis l’alu où notre repreneur est du département, on travaille avec ces industriels-là, tous les autres produits ce sont des gros opérateurs industriels. En fait, ils ferment la boucle, ils ont leurs propres exutoires, ça veut dire qu’il n’y a pas de négociants entre, ils ont leurs propres usines, d’où le fait de pouvoir mieux négocier les prix, il n’y a pas d’intermédiaires. C'est la loi du marché. » OF_TRI_62

***

Au fur et à mesure de notre exposé sur « le travail de conception », nous avons tenté de mettre en lumière le travail de collaboration et de négociation, et les modes de coordination entre les différentes parties prenantes qui œuvrent au processus de régulation du secteur des déchets ménagers. Il s’agit d’un véritable travail d’organisation de la filière. Ce travail a des conséquences sur le travail d’exécution, ses conditions, le nombre d’emploi et le type d’activité. Nous avons explicité la multiplicité et la complexité des relations entre les acteurs. L’hétérogénéité des territoires porteurs de logiques différenciés, la diversité des enjeux et les

31

Cf. axe 2.

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interdépendances entre les acteurs conduisent à des ajustements et arrangements territorialisés. Les relations peuvent être tendues voire conflictuelles entre les services de l’Etat, les élus locaux des collectivités territoriales, la fédération environnementale et les industriels du déchet. Elles peuvent aussi êtres atténuées lorsqu’est trouvé un compromis. Notons que l’accord n’est pas toujours équilibré. Certains acteurs détiennent plus de ressources, de marges de manœuvre et de zones de pouvoir que d’autres. Bien que les visions réglementaires soient différentes au niveau économique, politique et technique, les difficultés rencontrées par nos terrains étudiés, qu’ils soient publics ou privés, sont les mêmes. La logique financière et économique s’exerce sur les professionnels des déchets et aide à la définition de choix et de pratiques et à l’élaboration de leurs propres stratégies. Les effets du marché des déchets, en particulier pour les emballages ménagers, sont peu maîtrisables et mènent à des incertitudes fortes qui pèsent sur les industries et contraignent l’activité de travail des opérateurs. Le travail de conception du secteur des déchets organise les filières de déchets. Le travail d’exécution s’occupe de sortir la production. A ce jour, la conception ne fait que commencer à porter attention et à s’interroger aux conditions de travail dans ces industries.

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4 Axe 2 : Les logiques d’action du traitement des déchets La gestion des déchets est une problématique complexe du fait de l’existence de points de vue, d’intérêts et de valeurs divergents et variés entre les différentes parties prenantes et de la multiplicité des dimensions qui sont en jeu (techniques, industrielles, économiques, environnementales et sociales). Dans la partie précédente, nous avons qualifié d’une part le travail dans les centres de tri de déchets tel qu’il a été rapporté par les opérateurs du tri et d’autre part nous avons qualifié le travail de conception avec le réseau d’acteurs intervenant dans la gestion des déchets. Cette deuxième partie questionne les logiques d’action mises en œuvre qui nous permettent de comprendre ce qui détermine leurs pratiques en périphérie et à l’intérieur de leurs installations, d’appréhender ce qui façonne leurs modes de gestion et schémas d’action et d’apprécier les valeurs qu’elles soutiennent et les intérêts qu’elles défendent. Il s’agit de s’intéresser la manière dont les acteurs se représentent leur « structure d’appartenance », comment ils la définissent et agissent dessus. Comme la première partie sur le travail, cette seconde partie sur les logiques d’action suit strictement les résultats de l’analyse factorielle des discours : nous suivons dans notre exposé les axes de l’analyse (logiques d’actions) proposons de qualifier les deux extrêmes (régime de sens) et mobilisons les extraits d’entretiens correspondants, voir des observation de terrain. Le deuxième résultat

32, important de notre étude est donc celui d’une tension qui oppose les

logiques d’action du secteur public à celles du secteur privé du traitement des déchets ménagers. Ce clivage est d’autant plus significatif de par la distribution des groupes d’acteurs appartenant au secteur public ou privé. Les discours sur « les logiques d’action publique » sont représentés par des contremaîtres des centres de tri et des élus politiques membres du bureau de la structure Optitri. Les discours sur les « logiques d’action du privé » sont composés essentiellement par des salariés de l’entreprise Valori, en particulier de l’incinérateur, mais aussi par quatre salariés du tri : un directeur d’exploitation d’un centre de tri en gestion privée

33,

le chef d’équipe, un responsable de presse et un agent maintenance du centre de tri Valori. Comme nous venons de le voir les deux logiques peuvent être complémentaires ou même collaboratives. Mais les résultats de notre démarche insistent ici sur leur opposition et contradiction. De plus et contre toute attente, on observe en général que les opérateurs des structures privées ont un discours plus syndical et focalisé, en partie, sur les négociations collectives sur des thèmes relevant de politique sociale et économique que ceux du public. Le travail d’exécution et de conception est ici situé dans son contexte : le service public et l’entreprise privée. Nous verrons ainsi que ce qui distingue sur cet axe les logiques d’action se rapportent :

- à une conception différenciée du service du traitement des déchets ménagers - à différentes entreprises (Valori et Optitri) - à la manière dont les professionnels du déchet estiment devoir rendre leur service : la

population locale ou les collectivités clientes - à la mise en place de choix et stratégies de groupe par Valori (filiale d’un grand groupe

privé) comparé à Optitri où les stratégies apparaissent plus indépendantes.

Cependant, nous verrons aussi que les logiques d’action du privé et du public sont analogues, d’une part car comme les entreprises privées, les installations en régie publique sont soumises à maintenir des objectifs de production et de rentabilité ; d’autre part parce que nous avons observé à l’intérieur des installations des méthodes modernes de gestion, d’organisation, et plus timidement de management similaires à celles du privé. Dans les deux cas, les acteurs mettent en avant leurs entreprises, en décrivant leurs mérites et l’efficacité quitte à déprécier des entreprises concurrentes.

32

Le deuxième axe est celui des « logiques d’action », il explique près de 8 % des informations de départ 33

Ce centre de tri ne fait pas parti de nos terrains d’investigations.

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Un ensemble de questions est posé dans cette partie : quels sont les arguments rapportés en faveur d’une gestion privée ou d’une gestion publique des traitements de déchets ? Quels sont les arguments qui légitiment le mode de gestion ? Vers qui est tourné le service ? Quels sont les intérêts et valeurs défendus ? Quelle place est faite à l’innovation dans le service ? Le plan de cette partie est structuré en deux sous-partie : la première s’attache à identifier les logiques d’action publique et la seconde celles du secteur privé.

4.1 Logiques d’action publique Cette première sous-partie mobilise les discours pour interpréter les valeurs et les représentations qu’ont chacun de nos enquêtés sur la gestion publique du secteur de traitement de déchets. Les discours sont focalisés essentiellement sur le « modèle d’Optitri », véhiculant des valeurs du service public ils sont orientés vers l’usager et la notion de service. Ils sont portés par des élus locaux membre du bureau d’Optitri, par une opératrice polyvalente

34, et les

deux contremaîtres d’exploitation des centres de tri interrogés lors de la première phase d’entretien. Nous verrons quelles sont les visions qu’une structure publique (Optitri) véhiculent sur elle-même. Comment légitiment-ils leurs activités ? Quelles valeurs défendent-ils ? Qu’est-ce qui les caractérisent ? Quelles critiques renvoient-ils à l’égard du privé ? Comment orientent-ils leur activité au regard de ces valeurs défendues ?

Afin d’analyser les groupes d’acteurs et les discours qui composent ce premier régime de sens, le plan de cet exposé est développé en trois points : la vision de la gestion des déchets au prisme du modèle Optitri (1), la confrontation du public au privé (2), la place de l’usager (3).

4.1.1 La figure du syndicat départemental Optitri : un modèle environnemental

et pour l’emploi ?35

Pour analyser les propos suivants, il importe de présenter brièvement la construction de la structure. En 1995, l’Etat envisageait la construction d’un incinérateur à valorisation énergétique dans le département. Mais face à un climat de contestation « généralisée » de ce mode de traitement, le Président actuel du syndicat propose au Préfet de travailler sur un projet alternatif pendant une période de 2 ans. Une démarche de concertation est entreprise, constituée de trois collèges associatifs : élus, société civile, associations riveraines et environnementales. Cette démarche de réflexion reposant sur la tenue de 257 réunions sur le département, selon un

34

Ancienne ambassadrice ; actuellement agent de déchetterie, agent de caractérisation et trieuse. De par son statut singulier, elle a pu être en contact quotidiennement avec les usagers et institutions locales (écoles) dans sa mission d’ambassadrice du tri, elle est en lien également avec les élus locaux des communautés locales lors des caractérisations de la collecte sélective. 35

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Optitri, acteurs politiques locaux ».

- Optitri

- Autres installations

- Acteurs politiques locaux - Usagers

- Culture d'entreprise

BU_67

BU_60

BU_68

TRC_46

RE_28

RE_24

Abréviations postes et fonctions : BU : Membre du bureau Optitri / élus locaux TRC : Trieuse polyvalente RE : Responsable d’exploitation centre de tri Optitri

Variables Mobilisées Individus du groupement

Figure 3 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d'importance

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quotidien régional (Édition du 04/10/2002), visait à définir collectivement un mode de gestion et de traitement en vue de l’acceptabilité du projet. En 1998 le plan départemental n’excluait pas le projet d’incinération, mais prévoyait la création d’un syndicat mixte départemental pour la valorisation des déchets ménagers et assimilés, confortant ainsi l’orientation préconisée par les élus et le porteur du projet d’Optitri. Le syndicat mixte départemental est donc créé en 1999 avec le soutien du Conseil général, il constitue l’outil de mutualisation du plan départemental d’élimination des déchets ménagers et assimilés. Il détient les compétences de valorisation et de traitement des déchets ménagers et assimilés

36,

et se trouve aujourd'hui en position de leadership sur le département en traitant 75 % des déchets du territoire, auxquels s’ajoutent les déchets de communes et collectivités de trois départements limitrophes. Deux communes, importantes du département, ont refusé l’adhésion au syndicat pour des raisons politiques (Bahers, J.B., 2012) et parce qu’elles avaient les moyens de traiter leurs déchets dans un centre d’enfouissement. Le syndicat Optitri, décrit comme « un modèle », cumule ainsi plusieurs volets : le financement des investissements, la maîtrise d’ouvrage et la régie d’exploitation et de traitement des déchets ménagers. La prise de position en faveur de la régie publique et de l’intérêt du regroupement en un syndicat mixte départemental a été une ressource argumentative pour, d’une part, légitimer le processus de départementalisation, et d’autre part, adhérer à la structure. Outre le développement local adossé à des enjeux économiques et politiques, on peut notifier des arguments en faveur d’une prise d’indépendance, d’autonomie et de contrôle envers des groupes privés, mais aussi des projets de l’Etat en excluant le projet initial qui privilégiait l’incinération. Le système du bioréacteur choisi dans le département est considéré comme plus vertueux et moins coûteux techniquement tant en investissement qu’en fonctionnement : le bioréacteur.

« Franchement moi je préfère le public, alors pourquoi je préfère le public… j’ai l’impression d’en décider un peu mieux, mais c’est peut-être parce que je suis ici […] mais je crois aussi que c’est moins cher quand même. […] à partir du moment où on nous rabâche qu’Optitri est le 1

er en France à avoir élaboré un système de ce style-là on

va se dire on s’est accroché au bon endroit, je ne sais pas, je ne sais pas, les autres ils brûlent là-bas à Valori, je suis assez contre finalement, le système d’ici me plaît davantage […]. Sinon Optitri qu’est-ce qu’il nous amène, déjà c’est notre exutoire pour le traitement, c’est déjà énorme, c’est déjà énorme quand même » Membre du bureau Optitri_67 « Il y a quelques entreprises privées qui travaillent avec nous notamment au niveau du transport ou sur des prestations bien particulières mais autrement je pense que 90 % du service est réalisé en interne, et c’est une volonté affirmée du Président, et il le revendique d’ailleurs. […] ça, c’était vraiment une volonté de la part Président de faire ça et de travailler qu’en régie » Contremaître d’exploitation_28 « Le bioréacteur relève de l’environnemental et de l’économique, car c’est un choix qui est lié aux deux, pourquoi on ne voulait pas de l’incinération parce qu’on n’est pas sûre de tous les rejets, qu’est ce que c’est, quels sont les risques ? Et deuxièmement quand vous faites un four c’est au moins pour 40 ans car ça coûte très cher, donc là justement vous avez intérêt à avoir une matière qui arrive tout le temps. Un bioréacteur même si on perd 10 000 tonnes, c'est pas grave, et puis c’est une méthode qui est réversible, on finit un casier, on le ferme et donc c'est une méthode qui est à peu près réversible et qui ne nécessite pas un investissement lourd c’est important c'est plusieurs millions d’euros mais c'est pas comme un incinérateur… » Membre du bureau Optitri_68

L’adhésion des collectivités au syndicat semble aussi avoir été facilitée par la personne du Président (membre fondateur de la structure). Exerçant de multiples responsabilités politiques à l’échelon national et local (communes, Conseil général), on observe que son implication dans la

36

Outre, la compétence des déchets, Optitri concourt au développement des énergies renouvelables par le biais d’un pôle de recherche sur l’hydrogène, la biomasse et le biocarburant. En 2013, le Président du syndicat à reçu une Marianne d’or (trophée qui récompensent les élus locaux pour une action particulière) dans la catégorie développement durable.

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problématique du déchet, sa popularité dans le département, et « ses accès » au niveau national, ont joué un rôle déterminant et influant sur l’engagement des élus locaux autour du projet Optitri au point où, dans les entretiens, sa personnalité se confond parfois avec la structure. Selon nos enquêtés, cet élu pilote, entouré d’alliés politiques et d’amis personnels, a initié ce projet et mené diverses actions au niveau départemental et national pour le mener à bien. Pour cela, il a construit des alliances et conduit un travail relationnel afin que son action soit légitimée et soit adoptée par un plus grand nombre d’acteurs et d’élus locaux du département.

« Puisque ce département est vraiment de sensibilité de gauche gauche et la chance qu’on a est qu’on a un Président qui est très actif, qui connaît son sujet, qui vit pour Optitri, et pour faire progresser Optitri en permanence. Au niveau des élus ils sont tirés par le Président, c’est vraiment lui qui fait avancer Optitri » Contremaître d’exploitation_28 « On est un peu une exception dans ce département, ça a été un peu le hasard, on aurait pu se retrouver avec des… bon ça tient à notre sénateur, s’il n’avait pas été un peu génial ça ne se serait pas fait comme ça, on aurait fait comme partout ailleurs, des fois c’est le destin, un gars il change tout. » Membre du bureau Optitri_60 « Ça, c’est l’esprit je dirais X [président du syndicat], c’est l’esprit de l’association des maires qui fait que certaines activités ça ne va pas se faire au niveau municipal ni intercommunal, il faut qu’il y ait une structure départementale quoi. Donc les ordures ménagères on ne savait pas s’en occuper, c’est l’association des maires qui a monté ça qui s’appelle Optitri » Membre du bureau Optitri_60 « Bon X au Sénat avait de bons relais avec le ministère quand Y était ministre. Bon apparemment maintenant c’est plus difficile avec Z parce qu’elle a moins le temps de s’y consacrer parce qu’elle a un ministère beaucoup plus large. » Membre du bureau Optitri_60

Les élus politiques et membres du bureau interrogés valorisent la régie publique. La manière dont s’est créée Optitri semble être l’illustration d’une volonté politique prônant des valeurs sociales et environnementales pour consolider une identité et une légitimation locale. À cela, un des fondements du service public est constamment énoncé dans les entretiens de ce groupe d’acteurs

37 : la notion d’égalité et d’équité territoriale entre villes et campagnes. Ce souci

d’intérêt général est justifié et promu par la question des territoires isolés dans laquelle sont pris en compte les coûts économiques du traitement des déchets. L’analyse du territoire faite par ces acteurs révèle à la fois la notion de solidarité entre les communes et constitue un facteur supplémentaire d’adhésion à la structure. Le dispositif Optitri se base ainsi sur le procédé de la péréquation des ressources et sur la mutualisation des équipements et du service, le coût du traitement des déchets ne variant pas selon la situation géographique de la collectivité adhérente.

« Parce que ce qui est extraordinaire à Optitri c’est que tout le monde a la même cotisation quel que soit le lieu du département. […] C’est ce qui fait que dans Optitri, les maires ruraux, plus les gens ils sont défavorisés plus ils sont pour Optitri, ceux qui sont moins dans Optitri c’est les gens des grandes villes. Les grandes villes à la rigueur ils pourraient s’en débrouiller tandis que les gars qui sont dans la montagne là-haut s’ils n’ont pas Optitri ils seront bien embêtés. » Membre du bureau Optitri_60

Les arguments d’adhésion et d’intérêt à être partenaire de la structure sont également mobilisés autour de la stratégie d’un développement local. La maîtrise du traitement des déchets s’avère être un levier stratégique pour la création d’emploi, ce qui profite à certaines communes. Les centres de tri sont situés dans d’anciens bassins d’emplois aujourd’hui sinistrés

38, où le taux de

chômage est relativement important (en 2009 : 17,2 % dans la commune de C1, 12,9 % dans la commune de C2 )

39 en comparaison avec celui du département cette même année qui est

estimé à 10,2 %. Ici, on retrouve une logique d’intérêt général défendu par le maire de la petite commune qui accueille le centre de tri. Si les considérations électoralistes ne sont pas

37

Mais aussi par l’ensemble des cadres et dirigeants de la structure. 38

Anciens bassins miniers et industries du textile auxquels s’ajoutent les fermetures et délocalisations d’entreprises. 39

Source Insee

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exprimées, adhérer à la structure était « une opportunité ». Il est également souligné la nécessité pour un service public de jouer un rôle social pour combattre l’exclusion de certaines populations.

« Mon prédécesseur a adhéré à cette structure et puis bon moi je m’y suis retrouvé automatiquement et puis avec cette opportunité de centre de tri, parce que centre de tri ça voulait dire des emplois donc ça nous intéressait énormément et c’est pour ça que je suis rentré, que je me suis impliqué dans Optitri au départ, ça a été un peu une aubaine quoi […] Mais moi je pense qu’il y a une centaine de personnes qui sont à Optitri, que ce soit au bioréacteur, que ce soit sur la déchetterie, que ce soit sur les chaînes de tri, s’ils n’étaient pas à Optitri ils seraient au chômage aujourd’hui » Membre du bureau Optitri_60 « Je pense que souvent on ne voit pas le social, alors qu’Optitri a 200 employés et la valorisation nous permet de créer des emplois » Membre du bureau Optitri_68

Ce rôle social, également relaté dans les entretiens des deux contremaîtres d’exploitation des centres de tri, fait état de la possibilité de proposer une embauche aux personnes vulnérables et peu qualifiées, de les maintenir en activité et de tenter de les former pour aller vers d’autres métiers.

« Optitri est fait pour ça, il y a deux ou trois personnes qui savent pas lire ou à peine, ils seraient au RSA des choses comme ça […] Après il y a tout je veux dire qu’Optitri donne les moyens aux gens de se former bon c’est sûr que le gars qui est trieur…, ils ont été même à leur payer des formations pour apprendre à écrire, à rédiger des courriers pour qu’ils s’en sortent, Optitri est quand même à l’écoute, ils font du social c’est l’image qu’on a et qu’Optitri veut avoir surtout. » Contremaître d’exploitation_28

Optitri désire aussi se distinguer sur le volet de l’innovation de ces activités, et souhaite développer de nouvelles activités, notamment par la création d’un pôle de recherche dans les énergies renouvelables. C'est autour du développement de nouvelles technologies et de procédés industriels dans le traitement et la valorisation des déchets que l’on retrouve de nombreux projets de recherche et/ou de développement.

« Mais effectivement on a fait des services différents puisqu’on va au-delà du traitement, c'est la valorisation des produits, c'est la vente d’électricité, le réseau de chaleur, la mise en place de biocarburant puisqu’on a un véhicule, mais c'est aussi la vente de bois pour les chaudières, enfin de plaquettes de bois ou de plaquettes forestières » Membre du bureau Optitri_68 « Quelque part Optitri est en avance car c’est récent et Optitri a progressé par rapport à d’autres collectivités qui existent par exemple comme Propret où ils n’ont pas bougé, ils ont fait un projet mais ils sont restés figés, rien n’a évolué tandis qu’Optitri évolue en permanence. Ils ont mis en place le bioréacteur, après ils ont mis en place l’électrique, là maintenant ils ont fait une voiture qui va tourner au méthane avec aussi un camion, l’hydrogène, ils essaient d’avancer en permanence » Contremaître d’exploitation_28

La logique de l’innovation notamment technologique dans le secteur des déchets est considérée souvent comme l’apanage des groupes industriels privés. Possédant des services de recherche et d’ingénierie, ils développent de nouvelles méthodes de traitement souvent testées dans les installations françaises ou étrangères, « tirant le secteur vers le haut » (Lorrain, 2002). On constate donc ici une similarité entre une gestion publique et une gestion privée. Les arguments pour soutenir ces projets innovants sont souvent liées à des considérations environnementales ou à l’enrichissement de la relation de service auprès des usagers et des collectivités adhérentes. Mais nous pouvons aussi en déduire que cela constitue un facteur stratégique et potentiellement un nouveau relais de croissance permettant de créer de la valeur. Cette dynamique tend à conjuguer missions de service public et rentabilité et adaptation voire anticipation aux réglementations environnementales.

Cet élargissement des compétences et ces projets innovants, ne correspondant pas à une demande des usagers ou du client. Ils dépassent le cadre conventionnel du traitement des déchets. L’un des élus et membre du bureau Optitri relate des inquiétudes et des questionnements à ce sujet. Son discours rapporte que ces craintes pourraient produire des

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désaccords. Certaines collectivités considèrent qu’Optitri outrepasse sa première et unique vocation qui est celle du traitement et valorisation des déchets. Il ne s’agit pas de critiquer ces projets en eux-mêmes, mais plutôt d’interroger leurs coûts économiques et les conséquences qui devront être assumées par les collectivités adhérentes.

« Deuxièmement quand on a fait le sentier pédagogique qui est très très lourd financièrement, là aussi on a eu de la part même du Conseil général, ou de certains élus qui disaient, attendez vous êtes là pour traiter les déchets et non pas pour avoir une image de marque et de qualité, donc j’ai eu ces réflexions. » Membre du bureau Optitri_68 « Si Optitri se met à faire de la prévention, ça veut dire si son projet aboutit qu’il va récolter moins de matière, donc il va perdre du tonnage en entrée du bioréacteur et donc il va perdre des recettes, c’est pas à Optitri de porter un projet comme ça, c’est aux collectivités de collecte […] Parce qu’il me semble qu’Optitri c’est traitement, eux, ils ont intérêt à ce qu’on en amène beaucoup des choses ici, et nous, on a intérêt à ne pas en donner beaucoup, ça ne va pas ensemble. […] Moi j’ai un peu peur de l’ampleur que prend Optitri, il devient à mon avis un peu trop gigantesque mais bon pour l’instant ça va aussi, ça va aussi, mais moi j’ai l’impression de me battre à chaque millimètre presque, je ne sais pas […] Moi je trouve que ce qui relève le moins de sa compétence c’est d’avoir fait des plaquettes bois et de s’occuper de réseaux de chaleur, ça, je trouve que là on va vraiment trop loin. […] Je pense qu’on ferait mieux de se recentrer sur le tri, éventuellement sur l’électricité et la chaleur là-bas dont on ne fait rien, je ne sais pas, trouver des moyens de valoriser déjà les ordures, le tri au maximum, en tirant au maximum pour que les usagers trient beaucoup, et sur les ordures en faisant de l’électricité et de la chaleur, déjà, et du gaz éventuellement pour une voiture ou deux, bon ça oui, mais c’est tout. » Membre du bureau Optitri_67

En résumé, les discours sont ici centrés sur des valeurs traditionnelles du service public : l’intérêt général et le rôle social continuent à s’imposer comme une rhétorique et fondent et justifient l’intervention des élus pour gérer la problématique des déchets et créer l’outil Optitri. A l’instar d’autres services publics la recherche de la performance dans un secteur concurrentiel n’est pas absente comme nous avons pu le voir rapidement. Bien que ce ne soit pas sans difficultés, les valeurs du service public et les stratégies productivistes et commerciales semblent ainsi être complémentaires et interdépendantes. Dans le point qui suit, nos enquêtés insistent sur les différences entre une gestion privée et une gestion publique, notamment en ce qui concerne le travail d’exécution.

4.1.2 Une vision publique du travail se distanciant du privé40

Les points de vue des élus locaux à l’égard du privé sont vivement exposés, et ce pour mieux valoriser le service public, et plus largement « le modèle Optitri ». Le secteur privé est accusé par les acteurs d’être à la recherche du gain et des bénéfices ; d’accorder une place mineure aux conditions de travail des salariés au profit de la productivité ; de ne pas permettre le contrôle des coûts économiques ; ou encore d’être responsable des défaillances du marché et de mettre en œuvre des pratiques douteuses. À l’inverse, Optitri est érigé comme un véritable acteur économique et social du département voire comme un « exemple » ou modèle à suivre.

« Je pense que les entreprises, ceux qui sont là pour faire du profit, ils ne doivent pas en tenir compte, ils font de façon à rentabiliser au maximum, mais nous, on est particulier aussi, on est un service public, on se doit de prendre en compte certaines choses. Alors au niveau national je n’en sais rien, je ne connais pas assez au niveau national mais ça m’étonnerait que les grands groupes… eux, ce qu’ils essaient c’est de gagner de l’argent c’est pas de faire le maximum d’emplois, même s’il y en a qui en font de l’emploi. […] C’est sûr que par rapport à ce qui se passe ici, on est dans le service public quoi, on n’est pas dans la recherche du profit. » Membre du bureau Optitri_60

40

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « culture d’entreprise ; techniques et méthodes de travail ».

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« Pour moi Optitri est un exemple, la différence se fait en allant plus loin dans certaines problématiques en les prenant plus en compte […] Parce que nous, on fait pas de bénéfice, on est égal à 0, les dirigeants ne sont pas payés […] Donc on vient là avec pour le bien public et on a un regard différent, on ne vient pas à la fin du mois, enfin qu’on travaille bien ou mal à la fin du mois on n’aura pas un plus ou un moins, donc avec un œil différent » Membre du bureau Optitri_68

De manière plus nuancée, on retrouve ce point de vue dans le discours des contremaîtres d’exploitation. L’organisation du travail dans le service public serait plus accommodante, conciliante et bienveillante, notamment à l’égard des salariés. Pour l’un d’entre eux présent quotidiennement sur le terrain, le public à l’inverse du privé, permettrait même une meilleure marge d’exploitation et l’existence de plus de marges de manœuvre. En effet, bien que le système des marchés publics soit jugé « lourd », le public permettrait une souplesse dans les budgets et dans le management, et plus largement, de meilleures conditions de travail. Lors de discussions informelles, il ajoutera qu’il a la possibilité de discuter et négocier les objectifs de production. Anciennement cadre dans le secteur privé d’un groupe de traitement de déchets, il nous explique que dans le public, les salariés ont la possibilité d’être écoutés, de justifier et expliquer un problème survenu, quelque soit le niveau hiérarchique.

« Chez Optitri, on a un budget qui est réparti sur l’ensemble des zones nord et sud, bon si on n’a pas d’argent, on va en chercher en zone sud, et si nous en manquons un peu on peut obtenir des rallonges. Tandis que dans le privé, moi j’ai vécu dans le privé, pour acheter un camion c’était la croix et la bannière, tandis qu’ici on a quand même la chance d’avoir les moyens de travailler tranquillement et sans stress, ça ne veut pas dire qu’on ne gère pas les budgets. » Contremaître d’exploitation_28 « Contrairement au privé où il y a toujours cette notion de résultat, moi j’étais confronté dans le privé, j’avais 70 personnes sous ma coupe, et il y avait cette obligation de résultat permanente, tandis qu’ici on a une obligation de résultat mais c’est pas la même pression et puis après ça vient aussi du responsable hiérarchique qu’on a au-dessus. » Contremaître d’exploitation_28 « Non Optitri a un budget confortable au niveau du fonctionnement, et on peut travailler à Optitri, il y a les moyens et il y a des priorités et on ne fait pas n’importe quoi. » Contremaître d’exploitation_24

Acteur économique, moteur dans la création d’emploi, la structure est pensée comme un acteur social qui vise l’amélioration du quotidien de ses agents. Dans l’extrait suivant, une définition du service public est donnée par un des élus qui cherche à montrer que l’entreprise publique se démarque une fois de plus des initiatives du privé. La structure privilégierait le bien-être des travailleurs (en particulier ici ceux des centres de tri) et de surcroît « l’intérêt général ». Des mesures sont prises pour optimiser les installations de déchets. Elles sont d’abord énoncées et justifiées en vue d’améliorer les conditions de travail des agents des centres de tri et de réduire les accidents professionnels et le risque de TMS (troubles musculosquelettiques). La question de l‘augmentation de la productivité et du rendement est donc passée sous silence dans un premier temps.

« Ça fait partie des choses que l’on doit mettre en avant dans le service public l’amélioration des conditions de travail de nos agents, pas la toute première puisqu’il faut avoir un service de qualité et de quantité correcte, mais c’est un plus par rapport au privé. Le travail que l’on va faire sur les deux centres de tri, je suis persuadé qu’une entreprise privée ne l’aurait pas fait, parce qu’il y a un gros investissement à faire […] Donc pour nous, le service public se doit aussi de prendre en compte les intérêts des agents, qui est aussi l’intérêt général parce que c’est des arrêts maladies [et] au-delà de la douleur des personnes, c’est aussi des frais pour la sécu, enfin pour tout le monde. » Membre du bureau Optitri_68 « Dans le public quand même la sécurité, la propreté étaient quand même plus pris en compte, les problèmes sociaux, le nombre de trieurs par exemple était aussi supérieur, y’avait moins la recherche… y’a pas que le rendement quoi, y’avait d’autres préoccupations. » Membre du bureau Optitri_60 « Mais le privé à mon avis ils sont là pour faire du rendement surtout, nous, on n’a pas cette notion qui prime, c’est d’abord qualité et conditions de travail. Le rendement, bon

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nous, on est dans un milieu industriel donc quelque part on est quand même en concurrence dans la valorisation mais on n’a pas l’esprit rendement intensif pour faire de l’argent. » Contremaître d’exploitation_24

Outil du développement local et du PDEDMA, le syndicat départemental apparaît aussi comme un bon moyen de gestion financier. Le regroupement, la mutualisation et le financement permettraient d’assurer un équilibre financier confortable et d’asseoir la pérennité de la structure. Si la mission de service et d’intérêt général est prégnante dans les discours, l’impératif de rentabilité et la notion d’efficacité n’en sont donc pas écartés. En effet, le syndicat est considéré comme efficace économiquement, permettant une latitude et une maîtrise face aux aléas du marché. La frontière secteur public/secteur privé (Teissier, 1997) peut apparaître floue, notamment lorsqu’Optitri est présenté comme une entreprise influencée par l’arène du marché ou lorsque la direction cherche à se développer commercialement par la création de nouvelles activités et l’acquisition de nouveaux contrats-clients. Dans le même temps cela nous permet d’observer la conciliation de l’efficacité industrielle et de la mission de service à l’usager.

« On n’est pas dans une collectivité traditionnelle, il y a du rendement à l’arrivée, donc on a essayé toujours de prendre les meilleurs sur le marché quoi […] Donc y’a à la fois l’envie d’être un service public, et puis quand même le côté économique qui n’est pas incompatible, on ne peut pas perdre de l’argent, il ne faut surtout pas perdre de l’argent, mais le but c’est pas que de gagner de l’argent, c’est aussi d’être un service public » Membre du bureau Optitri_60 « Baisse des coûts des matériaux c’est ce qui nous est arrivé en 2009 et heureusement qu’Optitri avait quand même eu la bonne idée de faire une réserve qui a pu un peu compenser […] là c’est remonté un peu et heureusement parce que sinon on y passerait toutes les économies d’Optitri, voilà c’est ça, sinon à ce moment-là ça va devoir être notre tarif de traitement qui va devoir grimper exagérément, donc ce côté-là d’Optitri est très positif, voilà » Membre du bureau_67 « Optitri c’est une collectivité qui a des similitudes avec le privé mais qui n’a pas une obligation de résultat, la différence entre Optitri et Valori, c’est que Valori ils ont une obligation de résultat financière. » Contremaître d’exploitation_28

Si la logique marchande n’apparaît qu’en filigrane dans le discours des élus politiques, la logique industrielle est présente dans celui des contremaîtres d’exploitation. En témoigne la nécessité pour les centres de tri de s’adapter aux potentiels élargissements des consignes de tri, et à gagner en qualité au niveau des produits sortants tout en améliorant les conditions de travail. (cf. axe 3). Les préoccupations sont de l’ordre de la cohésion économique, sociale et territoriale du département pour ne pas délaisser les petites communes rurales. L’essentiel du discours ne s’établit pas autour de la notion du développement durable ou en faveur de l’environnement. A partir de la critique des groupes privés, c'est finalement autour de la composante sociale centrée sur l’emploi et l’amélioration des conditions de travail. Puis, c’est sur la composante économique et sur les coûts pour les collectivités et l’usager que le consensus se construit. La notion de l’intérêt général reste une constante dans la définition des missions d’Optitri et sert à justifier et à donner un sens au fonctionnement et à l’organisation de la structure. Les termes « usager », « citoyen » ou « contribuable » sont fréquemment mentionnés par les acteurs de ce régime de sens. Nous allons voir que les recours à ces termes sont multiples.

4.1.3 L’usager (et son tri) placé au centre du traitement des déchets41

Les formes de discours sur l’usager montre qu’il est au centre des préoccupations des acteurs de ce régime de sens car il est le destinataire du service. Toutefois, il recouvre plusieurs significations (Boussard, Loriol, Caroly, 2006), sans être qualifié de client, il est à la fois celui qu’il faut satisfaire, qu’il faut éduquer, et qui complique la gestion des déchets. La dimension relationnelle avec ce dernier semble primordiale.

41

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « usagers » ; autres installations ».

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Signifiée en introduction de cet exposé, l’existence d’Optitri a été possible par la mobilisation de plusieurs élus du département qui ont souhaité intégrer une démarche de concertation dans le choix d’un mode de traitement des déchets. Suite aux rejets de l’incinération par les associations environnementales, des élus et la population environnante, un collège réunissant ces parties prenantes a été mis en place afin de choisir un mode de traitement. On retrouve ici les cadres de la démocratie participative (Lascoumes, 1990). L’extrait d’entretien suivant montre l’importance pour les élus de joindre les usagers à ce collège afin de s’assurer de l’acceptation du projet Optitri.

« Par contre ce qu’il faut absolument faire et qui a été fait à Optitri c’est associer tous les gens qui s’intéressent, toutes les associations écologistes et tout ça, pour qu’ils participent et c’est ce qui fait qu’Optitri n’a pas eu de contestation parce que tous les gens qui sont intéressés par l’environnement étaient associés au projet et ils l’ont soutenu » Membre du bureau Optitri_60

À l’égard de l’usager, la question économique du coût de la collecte et du traitement n’est pas évincée. Comme nous l’avons vu précédemment, le choix du mode de traitement par le bioréacteur et l’un des motifs d’adhésion à la structure relèvent de choix économiques. Ajoutons que la facture de l’usager est aussi prise en considération et ce de façon différente selon les acteurs. Collecter, valoriser et traiter les déchets a entraîné ces vingt dernières années une hausse généralisée de la taxe de l’enlèvement des ordures ménagères et du service de collecte et de traitement

42, mais de façon variable selon les territoires. Le manque de stimulation directe

(collecte en apport volontaire) peut être une des raisons des mécontentements des usagers concourant à de possibles répercussions sur leur performance de tri.

« Pour le contribuable il vaut mieux Optitri, franchement je peux vous le dire, c’est chaud au niveau des prix là ils ont pris 8 % de plus avec Propret. » Contremaître d’exploitation_28 « Donc au niveau du tri oui parce qu’on a présenté la chose en disant plus vous triez moins ça coûtera cher au niveau de la… parce qu’ils sont aussi sensibles au côté financier, donc on leur a présenté les choses en disant il faut trier, ça coûtera moins cher à la collectivité si on trie, donc le côté argent a fait qu’ils se sont mis quand même à trier, au niveau du tri ça s’est à peu près bien passé, comme partout quoi, ils ont été sensibles aux campagnes départementales, aux campagnes nationales aussi c’est pareil le tri est arrivé dans l’air du temps. » Membre du bureau_60 « Donc les usagers qui doivent faire la démarche d’aller apporter leur tri au container jaune, ils se trouvent défavorisés par rapport à ceux chez qui on passe en porte à porte, et on ne veut pas le mettre en place le porte-à-porte général pour le tri parce qu’en tri on ne ramasse pas beaucoup de poids, un peu de volume mais pas beaucoup de poids, et ça coûte très cher, c’est une question d’économie de gasoil aussi. » Membre du bureau Optitri_67

L’usager est ici objet d’attention et met en lumière les enjeux sociopolitiques du secteur des déchets. Partie prenante dans l’organisation et le fonctionnement du secteur, l’action publique locale doit pouvoir l’enrôler car elle est confrontée à la question de l’acceptabilité sociale des installations de déchets et de leurs problèmes attenants tels que la question des transports (les camions de collecte passant trop près des habitations), la question de la pollution (envols), ou plus largement de la représentation du secteur.

« Les ordures ménagères ça fait peur à tout le monde, les usagers dès qu’on parle d’ordures ménagères ils voient des décharges, donc c’est pas évident pour des élus » Membre du bureau Optitri_60 « Mais les gens ils sont restés encore sur des schémas, parce qu’il y a des images qui font mal, quand on voyait vers Marseille là les gens ils voient ça, ils ne font pas la différence entre une déchetterie et un centre de tri et un centre d’enfouissement, du moment qu’il y a des ordures ménagères, odeurs, envols etc. Donc ça c’est le souci n° 1. » Membre du bureau Optitri_60

42

Source : Les collectivités territoriales en chiffres 2013, Rapport de la Cour des Comptes (2011).

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Le manque de responsabilité dans les pratiques est regretté. Ils sont à la fois perçus comme peu regardants sur le service rendu, involontaires et indifférents dans leurs gestes de tri.

« De toute façon on trouve de tout, l’autre jour on a trouvé une moto. Les usagers s’en foutent et vu qu’il n’y a pas de répression, s’il y avait un peu de répression ça marcherait sûrement mieux. » Contremaître d’exploitation_28 « Les usagers de mon secteur s’ils habitent ici ils ont une idée de ce qu’est Optitri, s’ils habitent là ils n’en ont aucune idée, ça ne les intéressent pas, à partir du moment où la poubelle quand ils se lèvent le matin elle a disparu de devant la porte, ça leur suffit » Membre du bureau Optitri_67

Associer l’usager et le faire participer devient d’autant plus important qu’en tant que consommateur-jeteur il faut le mobiliser afin de répondre à l’impératif du recyclage (Barbier, 2002). Les discours mettent alors en exergue le devoir d’adopter une logique pédagogique pour transmettre des connaissances à visée éducatives pour que les usagers adoptent des façons d’être ou un comportement « éco-responsable ». Par des mesures incitatives envers les collectivités de collecte et par des campagnes de prévention

43 réalisées à l’échelon local et

national pour les usagers, leurs comportements doivent être modifiés et leurs habitudes transformées. Ces derniers doivent être informés et éduqués au geste du tri pour tenter d’atteindre les objectifs réglementaires du recyclage. Dans le même temps, ce travail d’éducation doit permettre de rénover les représentations des installations en précisant leur rôle et fonction, mais également de valoriser l’objet « déchet » : en expliquant le circuit de traitement on montre sa transformation et sa potentielle valeur.

« Donc il y a tout un travail de pédagogie pour leur dire qu’une déchetterie c’est pas du tout polluant, c’est juste un lieu de dépôt et tout, mais parce que les usagers mélangent un peu tout, dès qu’il s’agit d’une déchetterie ils ne la veulent pas devant chez eux quoi en fait, en clair, mais bon il suffit d’expliquer et ça c’est en principe, pour l’instant, passé pas trop mal » Membre du bureau Optitri_67 « Les usagers il faudrait presque leur tenir la main, mais la communication c’est quelque chose de fondamental, et c’est quelque chose qui fait avancer, il faut vraiment leur dire, leur dire, leur expliquer. » Membre du bureau Optitri_67

Mais ces campagnes nationales de sensibilisation au tri peuvent provoquer des mécontentements chez les industriels du traitement. Ce fut le cas notamment pour un des contremaîtres d’exploitation suite à une publicité diffusée à la télévision. Il nous explique les effets négatifs de ce message publicitaire ou tout au moins la manière dont il pourrait contraindre l’activité de travail dans le centre de tri. L’extrait suivant souligne ainsi les contradictions entre les effets d’affichage et la réalité de terrain.

« L’aberration qui a été pour moi la plus flagrante et qui me faisait bondir, c’était la publicité sur les bouteilles plastiques, où les usagers écrasaient la bouteille, ils mettaient le bouchon plastique pour gagner de la place sauf que quand ça passe sur un crible, ça passe sur la ligne des corps plats alors que les outils sont faits pour que les bouteilles ne soient pas écrasées. Et je me demande comment Eco-Emballages a pu accepter ça, moi ça me fait bondir, c’est des bêtises ou des détails mais quand on est vraiment dans un centre de tri et qu’on voit ça, c’est… et derrière on a des outils qui ne sont plus adaptés. » Contremaître d’exploitation_28

L’enjeu de la communication et de l’éducation au recyclage se retrouve également dans les installations de déchets en particulier dans les déchetteries, où les agents, par leur présence sur le terrain, sont des relais des campagnes de tri et de sensibilisation au recyclage. Ainsi, au nom de l’usager, leur mission ne relève pas seulement de tâches de manutention mais aussi de capacités relationnelles. Elles devraient toujours permettre de solliciter davantage l’usager-trieur. Il s’agit d’accompagner l’usager, de lui indiquer les bennes correspondantes aux déchets qu’il abandonne et de l’informer sur le devenir de ces déchets.

43

Campagnes publicitaires, ambassadeur du tri

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« Mais quand on leur dit ce que ça devient et quand on les aide, à la fin presque ils vous disent presque, une fois ça m’est arrivé, ils me disent « on vient s'excuser, on a été un peu agressif au début, mais bon, voilà… ». Il faut quand même savoir, il faut surtout expliquer ce que deviennent les produits et après… ça va tout seul. » Trieuse caractérisation_46

Dans les déchetteries comme le rapporte la trieuse « polyvalente », l’interaction avec l’usager peut tourner quelques fois à l’altercation lorsque celui-ci ne veut pas suivre les consignes, soit respecter la signalétique inscrite sur les conteneurs ou stalles de déchargement. Notons alors que la confrontation avec le public est un risque professionnel latent. Bien qu’il ne soit pas pour autant formulé en tant que tel par la trieuse polyvalente, il figure dans le document unique

44.

« Alors des fois ils sont un peu agressifs au début parce que l'on dit de trier puisqu'il faut quand même séparer les matières et des fois ils ne sont pas vraiment dans cette optique-là, eux, pour eux c'est une décharge, on jette tout et on s'en va. » Trieuse caractérisation_46

Les plateformes de compostage situées près des centres de tri de déchets sont gérées par les contremaîtres d’exploitation. L’interaction avec la population environnante n’est pas non plus sans heurts. Aux problèmes soulevés par les usagers, notamment au sujet des envols, du bruit ou des odeurs, ce sont dans les coulisses de ces installations que les salariés du déchet doivent apporter une partie des solutions. Cela n’est pas sans conséquences sur l’organisation du travail.

« On a eu quelques plaintes au départ concernant l’exploitation de la plateforme de compostage étant donné qu’on est exposé dans un couloir de vent, nos riverains les plus proches sont à 500 mètres et par temps de grand vent ils retrouvaient des poussières sur le balcon, sur les fenêtres, un sur la piscine qui après analyses ont bien révélé que ça venait de notre activité. Donc là dessus on a changé notre façon de travailler, on a changé d’orientation qui fait que depuis plus d’un an on a plus de problèmes d’envol et d’odeur. » Contremaître d’exploitation_28

Pour finir, nous voudrions éclairer la question de l’introduction de « dispositifs » marketing associée à des enjeux communicationnels élargis. A l’instar de d’autres services environnementaux, Optitri est entré dans une logique de communication/marketing pour renforcer son image et celle de ses installations auprès de la population et d’acteurs institutionnels. Il s’agit de construire une identité de marque ancrée dans un territoire, de maintenir une bonne réputation, d’afficher une image moderne et respectueuse de l’environnement et de ses salariés prenant en compte les enjeux du développement durable. Ces stratégies de valorisation de l’objet déchet (par la valeur qu’il produit), du territoire, de la structure et de ces hommes prennent corps au travers de multiples actions : l’ouverture à la visite du public des installations de déchets ; la création d’un profil sur un réseau social (2011) ; le parrainage ou la participation à des activités culturelles et ou sportives (Tour de France, tournoi de pétanque) ; le financement de campagnes publicitaires sur le tri des déchets ; ou encore en ayant régulièrement des dépêches dans la presse locale. Ainsi, il est proposé régulièrement de visiter les centres de tri lors de journées portes ouvertes, dans le cadre de tourisme industriel. Le site du bioréacteur s’est équipé d’un circuit pédagogique

45 ou éco-circuit

44

Le responsable du service hygiène et sécurité d’Optitri nous a raconté quelques « anecdotes » sur la confrontation entre agents de déchetterie et usagers, pouvant conduire a du « stress relationnel » (Weller, 2002). Il témoigne que certains d’entre eux ont eu des tensions relationnelles fortes pouvant aller jusqu’à des agressions verbales et physiques. 45

En 2013, durant les vacances scolaires une fois par semaine le circuit pédagogique était ouvert au

public : « L’éco-circuit de Optitri, Syndicat mixte départemental pour la valorisation des déchets ménagers, est conçu comme une balade d’environ une heure trente sur une boucle : en une dizaine d’espaces thématiques, il présente le monde des énergies et du recyclage. La promenade consiste à aborder des sujets aussi variés que l’effet de serre, la biodiversité, la transformation des déchets en énergies ou encore le devenir des matériaux recyclés. La visite s’effectue en compagnie d’un guide qui adapte ses explications aux différents publics. Grâce à toute une série de démonstrations et d’ateliers interactifs, grâce également à un pavillon multimédia (vidéos, table tactile, joysticks), le circuit de Optitri est à la

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dans lequel sont intégrés des éléments de biodiversité (ruches d’abeille). De plus, l’architecture des dernières installations industrielles se caractérisent par une image moderne. Le siège du syndicat (situé aux abords du bioréacteur) intègre une imagerie environnementale et a été entièrement construit en Haute Qualité Environnementale (HQE). Ces derniers éléments contribuent à esquisser un transfert des logiques du privées vers le public, même si elles ne sont pas autant relayées dans les discours.

*** Au terme de cette première sous-partie, nous avons souhaité montrer les logiques d’action publique. Les valeurs sur lesquelles s’appuient les discours reposent sur les principes généraux du service public à savoir : la solidarité, l’intérêt général et l’usager. Outre la défiance et la méfiance à l’égard des groupes privés, ces valeurs ont conditionné, dans une certaine mesure, le mode de fonctionnement et de financement de la structure. Les contremaîtres d’exploitation des centres de tri « apprécient » la souplesse d’organisation que permet Optitri, en particulier sur le plan managérial. Ils insistent aussi sur le rôle social du syndicat quand il donne la possibilité à des personnes dites « sous-qualifiés » d’avoir un emploi. A ce titre, dans les discours, la structure est érigée comme un modèle ou une vitrine sociale, économique et environnementale. Comme nous l’avons vu, cette vitrine est éclairée à l’aide d’importants dispositifs communicationnels et marketing et continue de se développer dans des activités innovantes sur les énergies renouvelables (hydrogène-énergie). Nous avons ainsi mis à jour plusieurs logiques qui s’imbriquent et donnent une justification à l’existence d’Optitri : une logique économique fondée sur la solidarité et la performance ; une logique pédagogique et éducative vis-à-vis usagers ; une logique d’innovation pour développer les projets d’avenir ; une logique commerciale pour maintenir la rentabilité du service ; une logique de communication pour faire connaître et légitimer l’existence d’Optitri en tant que spécificité et réussite industrielle gérée en régie publique. Dans le point qui suit, nous nous intéressons aux logiques d’action des groupes privés. Nous verrons que les discours peuvent s’appuyer sur les mêmes arguments déployés par les acteurs du premier régime de référence. On observe que ces deux discours s’écartent fortement par la suite. Nous verrons, paradoxalement, qu’ils portent, en partie, sur la culture syndicale et les négociations collectives.

portée de tous et permet d’apprendre en s’amusant. » (Source : Quotidien du grand Sud-Ouest, Edition juillet 2013)

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4.2 Logiques d’action privée Ici notre groupe d’individus est constitué de salariés d’installations de traitement de déchets (dirigées par des groupes privés) aux niveaux de qualifications différents. On retrouve des cadres, en majorité de l’entreprise Valori, ainsi que des opérateurs de l’incinérateur (personnel et chef de quart, agent de maintenance) et du personnel de centre de tri (chef d’équipe, responsable presse, agent de maintenance). Ces individus sont qualifiés et leurs compétences reconnues (contrairement aux trieurs), malgré une grande disparité du niveau de diplôme. Ce régime de sens du privé se constitue autour de discours portant sur les modalités de gestion d’une entreprise privée (en comparaison avec une gestion publique) ; le sentiment d’appartenance à un groupe leader du secteur des déchets fonctionnant au niveau national et international ; sur les négociations visant à établir des règles et à organiser les relations entre les différentes parties prenantes de la structure ; et sur des logiques de rationalisation sur les différents process des installations. De plus, trois des enquêtés sont syndiqués ce qui explique, en partie, que les discours soient orientés vers des questions syndicales. Elles sont liées aux augmentations de salaires et aux politiques de formation et d’évolution des carrières. A l’inverse des logiques d’action énoncées ci-dessus et concernant l’entreprise publique Optitri, les discours de ce régime de sens ne se caractérisent pas par un effort de distinction du mode de fonctionnement de leur structure et de valorisation de leur structure. Les enquêtés s’expriment davantage au nom de leur groupe et font état de différences générales entre une gestion privée et une gestion publique. Une autre distinction s’établit sur les aspects économiques et financiers. Ils sont prégnants dans les discours. Ils peuvent recouper la question des salaires comme ceux des logiques productives, ou encore être un argument pour justifier une bonne gestion des installations de déchets. Pour autant, les aspects sociaux sont aussi présents au travers notamment des questions et du travail syndical.

Cet exposé s’articule en trois sous-parties. Dans un premier temps, nous accorderons attention aux discours valorisant la gestion privée des installations. A l’instar d’Optitri, ce sont les compétences techniques, organisationnelles et économiques considérées comme étant plus « approfondies » et maitrisées qui sont allégués pour justifier une meilleure gestion (1). Nous

MA_INC_53

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- Groupes leaders du traitement des déchets

- Informatique

- Usine

- Syndicat et représentants du personnel

- Entreprise Valori

- Entreprise

- Formations

- Outil

- Négociations syndicales et salariales

- Automatisation : efficacité productive

- Compétences

- Risques

- Conflits

- Turn over

- Process

- Production

Variables Mobilisées Individus du regroupement

Abréviations postes et fonctions : MA_INC : Agent de maintenance Valori CGT : Représentant syndical CGT RM_INC : Responsable maintenance Incinérateur / Agent de quart DR : Directeur centre de tri (groupe privé) CQ_INC : Chef de quart Incinérateur RE_INC : Responsable exploitation Incinérateur DA_INC : Directeur adjoint site Valori QU_INC : Conducteur Pontier Incinérateur RP : Responsable presse centre de tri C3 MA : Agent de maintenance centre de tri C3 CE : Chef d’équipe centre de tri C3

Figure 4 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d'importance

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observerons par la suite que les discours se focalisent sur le dialogue social au sein du groupe et de ses filiales par l’élaboration de négociations et d’accords collectifs dans le domaine de la responsabilité sociale (2). Enfin et dans un troisième temps, nous verrons que les déclarations se structurent sur l’amélioration continue des process des installations, en particulier sur la nécessité de la recherche de l’efficacité productive.

4.2.1 Les avantages d’une gestion privée46

L’analyse des discours dans cette sous-partie fait essentiellement référence aux avantages que permet une gestion privée par rapport à une gestion publique. A la suite d’une brève exposition du mode de fonctionnement du groupe et de ses filiales, nous verrons que le secteur des déchets reste concurrentiel. Les professionnels font face à des difficultés diverses. Elles dépendent de la concurrence et des relations interpersonnelles avec les acteurs du déchet du territoire. Le mode d’organisation et les objectifs du groupe mais aussi la culture de l’entreprise impactent les logiques d’action des entreprises privées.

Stratégies du groupe

La gestion privée d’installations de valorisation énergétique des déchets (par le mode de l’incinération) est majoritaire en France. Elle représente plus de 90 % de la totalité du secteur du traitement des déchets. Les sites de production sont majoritairement détenus par de grands groupes privés leaders du secteur à l’échelle mondiale. L’économiste Gérard Bertolini (1990, p139) montrait que dès le milieu des années 1980 « la répartition public/privé est très sensiblement différente suivant le mode de traitement : l’exploitation d’installations faisant appel à une plus grande technicité est plutôt confiée à une entreprise privée (…). Inversement les installations de traitement plus rustiques sont exploitées en régie (…) . ». Cela s’explique par le recours à la gestion déléguée du service par des entreprises privées, en particulier, sur les installations les plus complexes. Selon la représentation d’un de nos enquêtés, les polémiques liées aux incinérateurs seraient aussi une des raisons au fait que les collectivités mandatent le secteur privé pour gérer ce type d’installation.

« C’est tellement sensible l’incinération que les collectivités préfèrent s’adresser au privé pour gérer ça » Représentant syndical régional_80

Organisés en différentes branches, ces groupes multiservices et multinationaux sont diversifiés dans plusieurs domaines comme l’eau, l’énergie, les télécommunications ou le transport. Ilssont présents dans plusieurs pays. Les déchets ne représentent pas l’essentiel de leur activité, bien qu’ils emploient un grand nombre de salariés.

« Dans le groupe BETA, les déchets ça représente à peu près 60 % des salariés. » Représentant syndical régional_80

Les premiers éléments de distinction majeurs entre Optitri et ces groupes privés tiennent donc au fait que la principale source de revenu pour Optitri dépend d’une bonne gestion de son activité principale. De plus, Optititri fonctionne au niveau départemental et contrairement au privé, il ne bénéficie pas de retours d’expérience et d’appui au niveau industriel. Un autre différence s’observent entre ces deux structures. En effet, les enquêtés de Valori soulignent que les collectivités clientes interviennent très peu sur les aspects organisationnels des installations : que ce soit au niveau des conditions de travail, de la formation ou encore dans l’évolution de carrière des travailleurs. La gestion de Valori se fait sur plusieurs échelles, articulant à la fois le niveau national, régional et local.

46

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Groupes leaders du traitement des déchets ; entreprise

Valori ; entreprise ; compétences ; Europe ; risques

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Le groupe est de longue date impliqué sur les marchés internationaux, avec plus ou moins de réussite (cf. les travaux de Florin B.). Selon le responsable syndical sa stratégie de développement ne se fait plus dans le territoire français, qui apparaît déjà découpé et occupé par les grands opérateurs du déchet. A partir de politiques dynamiques et de capacité d’adaptation, il s’agit d’investir durablement les pays en voie de développement et d’importer son savoir-faire dans ces nouvelles arènes économiques. En France, la concurrence entre les deux groupes privés leaders semble être fonction d’un monopole régionalisé, de l’histoire d’un territoire. Elle est marquée par des relations tissées entre les opérateurs industriels et les acteurs publics chargés de la mise en œuvre de la gestion des déchets. Du fait de cette « occupation territorialisée » la concurrence ne serait plus aussi active sur le marché français et/ou européen, mais elle se renforcerait à l’international.

« Il ne manque pas de l’argent mais l’objectif c’est le déploiement international. Le marché émergeant c’est là où ils se font les marges. C’est plus émergeant, c’est émargeant. C’est là où ça se fait, l’Asie, la plaque asiatique, l’Amérique du Sud et l’Australie. Enfin l’Océanie, l’Indonésie au passage. C’est là où ça vaut le coup, les déchets c’est là où ça se fait. […] L'investissement majoritaire se fait là-bas. Ils considèrent que tous les marchés européens, ce sont des marchés historiques, ça ramène énormément d'argent, et cet argent, ils savent que s'ils l'investissent en Europe ça ne ramènera pas plus, par contre ils vont à l'extérieur car les capitaux ramènent beaucoup plus gros à l'extérieur. Puis le contexte économique, il y a le poids des actionnaires. Dans le groupe ils ont toujours dit que les dividendes de l'année seraient toujours inférieurs aux dividendes de l'année suivante, donc il faut la faire tourner la machine. Il faut aller chercher les marges. […] De toute façon tout l'axe et la stratégie de BETA c'est de créer de nouvelles activités, de nouveaux métiers pour pouvoir y aller dessus, puisque bon après, le développement se fait également par là. » Responsable syndical_80 « On a les mêmes activités donc chacun se partage le territoire [français] en 2, en 3 voire en 4. Il y a quelques fois, j’imagine qu’il y a des frictions, mais je pense que la plus part du temps il y a une bonne entente [entre les groupes]. » Responsable exploitation Incinérateur « Ici [dans cette région] on considère que nous sommes des professionnels et puis dans d’autres régions on considère qu’on est des clowns. Par exemple, telle région de France c’est surtout tel groupe, pourquoi ? Je ne sais pas. Vous allez dans d’autres régions c’est surtout Alpha et Beta n’arrive pas à s’implanter » Directeur centre de tri_

Pourtant, ce même directeur explique la complexité de la reconduction des contrats d’exploitation entre l’opérateur initial et la collectivité cliente. Si les marchés de délégation du fait du monopole régionalisé semblent figés ou matures, l’assurance du renouvellement n’est pas automatique et dépend d’enjeux propres à la composante locale d’un territoire. Il faut alors non seulement proposer une offre compétitive au niveau du prix, mais développer aussi le « facteur humain » en menant un travail relationnel auprès des collectivités et acteurs publics de la gestion des déchets. Dans le choix d’un opérateur industriel, les élus intègrent ainsi des perspectives relationnelles et politiques à leur décision qui vont au-delà d’une simple comparaison financière entre les offres proposées par les exploitants.

« On ne sera pas compétitif de partout parce qu’il y a des compétences techniques, mais aussi votre capacité relationnelle. Des fois, vous choisissez les gens parce que vous aimez bien les gens, vous les appréciez, vous avez confiance en eux, même si leur

Groupe (maison mère) « Beta »

Filiale « Gamma

»

Filiale « Valori »

Schéma 3 : Schéma organisationnel de la gestion de l’entreprise Valori

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service est … [rotation des mains pour me faire comprendre que ce service peut être moyennement performant]. […] Je suis sûr qu’il y a des collectivités qui choisissent certains prestataires parce qu’ils ont confiance en leurs techniques commerciales ou au dirigeant. […] Il n’y a pas une seule raison. Il y a le technique, le chiffre d’affaire et après la composante humaine » Directeur centre de tri_31 « Des sites comme nous, on a des contrats de plus de 20 ans, donc la relation client c’est pas la même, nous faut que notre client soit tout le temps satisfait sur la durée, on a une installation qui est à lui et qui dans X années je dois lui rendre en état de marche et avec une gestion en bon père de famille complète. Donc elle est à moi, je fais comme si c’était à moi mais elle est à lui. J’ai une relation avec mon client qui n’est pas une relation où je sais que demain je vais lui redemander de passer un contrat, on est pas en train de dire je suis avec mon client là mais il faut que j’aille regarder l’autre côté parce que peut-être que c’est l’autre à côté qui sera mon prochain client, non moi mon client c’est lui. » Responsable maintenance Incinérateur_58

Pour les filiales de ces groupes privés, on peut observer que le reclassement des salariés après une perte de contrat peut être difficile et nécessite un long travail de négociation. Les syndicats doivent parvenir à des accords par de multiples discussions afin de conserver les emplois. Dans d’autres cas, le reclassement semble compromis. « Si c’est dans son activité il cède les salariés, puis il y a le repreneur qui reprend aux

mêmes conditions les salariés et normalement le contrat. Après vous avez des périodes de trois mois normalement de « stand by » sur les conditions salariales, après les trois mois il y a une période de négociation qui s’ouvre qui peut aller jusqu’à un an, 12 ou 13 mois où vous négociez un accord de substitution, c’est à dire tout ce qui est droits collectifs, tout ce qui était dans les conventions d’entreprises, tout ce qui dans les accords avec le nouvel employeur et vous vous mettez d’accord sur vos nouvelles conditions de travail collectives. » Responsable syndical_80 « Nous si le centre de tri il ferme on fera comme X a fait, on licencie toute le monde. Mais c’est la vie. C’est la règle du jeu. Elle doit être acceptée dès le départ. » Directeur centre de tri groupe privé_31

Au-delà des aspects économiques, des enjeux politiques sont donc pris en compte. D’une part, dans les appels d’offres, les élus peuvent demander qu’un certain nombre d’emplois locaux ou d’insertion soit présent ou sauvegardé, ou attendre implicitement que l’opérateur intègre et propose dans la réponse à l’appel d’offre des compétences nouvelles et le développement de projet ou d’action supplémentaires. D’autre part, lors d’un changement de majorité dans une collectivité, les élus peuvent choisir de changer de prestataire afin de se démarquer politiquement de leurs prédécesseurs.

« Je vous parlais tout à l’heure d’une collectivité qui nous aimait bien. Et bien cette cote d’amour, si on peut l’appeler comme ça, faisait que si on faisait payer un peu plus cher pour cette côte d’amour ils nous auraient quand même choisis. Mais c’est quoi être un petit peu plus cher, c’est 2 €, faut pas croire que sous prétexte qu’on vous aime bien faut prendre les gens pour des imbéciles ou pour des voleurs. » Directeur centre de tri_31 « La collectivité nous a dit que techniquement les deux offres étaient comparables, la collectivité nous a dit qu’économiquement notre offre était meilleure que celle de X, la collectivité a dit par contre que X proposait une extension du réseau que nous on ne proposait pas et que c’est là-dessus qu’elle a donné à X l’exploitation. A titre purement informatif, l’extension du réseau n’était pas un élément dans le cahier des charges […] Responsable Maintenance Incinérateur_58

Mode de fonctionnement groupe-filiale(s)

Les relations entre les filiales et le groupe sont très peu exposées, voire absentes dans les discours. Seul le responsable syndical, qui appartient à plusieurs groupes de travail au niveau de la maison mère et qui un mandat de représentant syndical au niveau national, retrace quelques liens de dépendance. Les discours rendent compte, dans une certaine mesure, de la

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dépendance avec la filiale « Gamma ». Les objectifs généraux, les indicateurs à fournir et les méthodes de travail sont par exemple transmis par la filiale Gamma à Valori. Le travail sociologique de Aurélie Catel Duet sur les groupes montre qu’il y a 6 niveaux d’engagements possibles entre la maison mère et ses filiales. Les sociétés filiales, selon le degré d’engagement, peuvent disposer d’une grande autonomie ou à l’autre extrémité être intégrées dans le groupe. Nos enquêtés rapportent que la filiale Gamma gère des systèmes d’information, maîtrise la production, ou tout au moins le contrôle. Dans le même temps, ils ajoutent que le fonctionnement, le contexte, le contrat d’exploitation des multiples entreprises appartenant à un groupe et à la filiale sont très différents. Les filiales jouissent donc d’une autonomie importante dans de nombreux domaines notamment pour l’organisation du travail. De plus, la recomposition des groupes par des effets de fusion et d’absorption ou par le rachat de petites et/ou grandes entreprises aboutissent à une difficile harmonisation des pratiques. Si des règles de fonctionnement, de management, des objectifs sont attribués à la filiale, il apparaît que chaque entreprise garde ses habitudes et aussi semblerait-il, son identité. Les directives qui sont données sont adaptées aux organisations et des « libertés » sont prises dans leur application à plusieurs niveaux, entre le national et le régional, puis entre le régional et le local.

« Gamma est configurée en 5 entités juridiques différentes. Chaque région est une entité juridique différente, donc chaque région à son patron qui a le pouvoir parce qu’il n'y a pas de Gamma France constituée. Il n'y a pas de Gamma France S.A. donc ils peuvent impulser des lignes, mais en fait sur le terrain chacun fait quelque part ce qu'il veut. Bon, je pense que ça va changer parce que ce n'est pas durable. Et chez Alpha c'était ça aussi. Chez Alpha, chaque activité de chaque région était autonome de chacun, c'était un grand conglomérat de x sociétés. » Représentant syndical régional_80 « Après au fur et à mesure c’est quand même un peu édulcoré, il y a les grandes directives qui arrivent, ça descend, ça descend, et puis il y a des applications qui sont plus ou moins faites, même si on suit toujours les directives groupe, et finalement au fur et à mesure il y a des tampons, mais tout évolue, on voit bien qu’on évolue, on était sur un management vraiment purement industriel, là il y a un management un peu plus global qui est fait. […] Je suis sur un groupe de travail actuellement de la GMAO [Gestion de maintenance assistée par ordinateur], la filiale Gamma a choisi d’uniformiser ses méthodes de maintenance sur l’ensemble de ses 200 sites […] » Responsable maintenance incinérateur_58 « Il y a eu les démarches méthodologiques qui ont été faites au niveau national […] Il y a eu « XX 2008 », qui ont été plus ou moins abouti, si on regarde les aspects généraux ça n’a pas abouti mais y’a quand même plusieurs modules qui ont été faits, la GMAO en a fait partie. […] Essayer de trouver une GMAO commune pour pouvoir gérer et mieux partager les expériences de chacun. » Agent de maintenance Incinérateur_53

Bien qu’elles soient amenées à partager les expériences et les méthodes déployées par chaque unité de traitement, les entreprises d’un même groupe auront donc leur propre fonctionnement au niveau technique, organisationnel et social. Par exemple, le recrutement est disparate selon les centres de tri. Certaines directions privilégient la mixité (Hommes/Femmes) des équipes de tri, d’autres l’emploi de personnes en insertion ou encore recherchent un profil professionnel particulier. On observe dans l’extrait d’entretien qui suit qu’au niveau des conditions de travail et de la prévention des risques professionnels, chacun des centres de tri (Cf.axe 3) ou incinérateurs pourra aussi prendre ses propres décisions. Suivant les sensibilités des dirigeants, différentes actions pourront être entreprises dans le but d’améliorer le quotidien des opérateurs.

« Je gère le centre de tri à mon image. Vous allez dans 10 centres de tri y’en a pas un seul qui est géré pareil. […] La qualité au travail, si vous voulez avoir un impact sur le bien-être de l’individu, sur sa motivation c’est ce qu’il y a de plus important. Je peux pas jouer sur l’argent, Alpha ne le permet pas. Les gens le savent, les augmentations on peut pas c’est pas moi qui décide, ou alors il faut que je triche, ça m’arrive parfois. Donc ça veut dire qu’il faut jouer sur autre chose. […] J’ai été interviewé par notre DRH région, DRH France, qui m’a dit [votre management] « c’est formidable ». Et y’a eu une réunion

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DRH France ici en disant « je veux développer ce modèle ». J’en ai plus jamais entendu parler. Par contre on me laisse faire. […] Il y a ici une assistante sociale, il y a un kiné qui vient masser les gens du tri, elle soigne les deux maux. Elle est adorable et les gens l’aiment beaucoup, donc y’en a qui viennent, ils n’ont rien, c’est pour parler. C’est nécessaire, c’est une échappatoire pour supporter. Et puis j’ai une psy, j’ai commencé l’expérience au 1

er janvier 2010. » Directeur centre de tri_31

« [Sur les méthodologies de travail] le groupe ne peut pas imposer [une méthodologie] parce qu’il y a différentes vitesses déjà, il y a différents types de fonctionnement, il y a des usines où ils sont une dizaine, il n’y a que des personnels de quart donc c’est le chef qui doit tout faire, le chef du site… ils n’ont pas les mêmes moyens […] » Agent de maintenance_53 « Avant la fusion avec Gamma, et pour l’instant on l’a conservé chez X on touche une participation, il y a plusieurs sites qui génèrent la participation et elle est redivisée au nombre des salariés. Chez Gamma ce n’est pas comme ça, il y a des régions où ils ont la participation et d’autres qui ne l’ont pas » Responsable syndical_80

Les arguments en faveur d’une gestion privée des installations portent essentiellement sur le coût du service, sur la modernité des installations et la complexité de gérer des installations très techniques et onéreuses. Leur capacité de contrôle technique est mis en avant et permet d’appuyer la comparaison public/privé et de légitimer une gestion des installations par les entreprises privées. Le public « manquerait » de professionnalisme, ce qui « nuirait » à l’efficacité et à l’efficience des process industriels. Ce point de vue est relaté notamment par les cadres. La gestion de l’argent public « pousserait » les dirigeants au « gaspillage », contrairement au secteur privé qui, dans une logique de recherche permanente de la rentabilité, aurait une gestion plus consciencieuse vis-à-vis des financements. De la même manière que les membres d’Optitri valorisent la gestion publique en citant la non-recherche de profit comme garantie de la vertu du système, le secteur privé expose les arguments inverses pour qualifier leur propre organisation qui serait plus pertinente économiquement et techniquement. Moins organisées, les structures publiques seraient moins qualifiées que le privé pour gérer ce service. La capacité d’investissement s’avère aussi être fondamentale. Les enquêtés en se référant au secteur de l’incinération expriment que le groupe privé a des capacités d’investissement dans la création de l’outil industriel beaucoup plus importantes qu’une entreprise publique. Ils se considèrent comme une force essentielle dans l’équilibre économique. Ici, c’est leur capacité de contrôle économique qui est revendiquée. Ce potentiel économique est à l’œuvre dans leurs capacités industrielles lorsqu’il devient pressant d’adapter leur activité aux nouvelles normes environnementales ou lorsqu’il faut remplacer des équipements fortement coûteux. En comparaison, selon eux, une collectivité ne pourrait pas supporter de telles charges financières. C’est un argument de plus dans la démonstration de la pertinence de leur fonctionnement.

« Le problème c’est que ça devient très compliqué à partir du moment où tu as les politiques qui s’en occupent puisque comme ça génère beaucoup d’argent, et les politiques sont vachement friands de fric, et comme ils gèrent ça n’importe comment parce que ce ne sont pas des financiers, enfin c’est ce que je pense, donc c’est du grand n’importe quoi. […] Il y a des pays où ce n’est que privé, en Suisse, en Allemagne, c’est que privé, les politiques ne rentrent pas dedans, absolument pas, et je crois que ça fonctionne très bien. […] On n’a pas un fonctionnement politique sain en France, c’est très nauséabond, ça pue, pas tous, y’en a dans le tas qui sont corrects et qui sont honnêtes mais je pense qu’il y en a très très peu. » Responsable d’exploitation incinérateur_54 « Le secteur public tu as une inertie qui paraît beaucoup plus grande, alors après plus tu vas sur un grand groupe plus tu as une inertie aussi mais pour prendre une décision, comme c’est très politique ça prend du temps, ça semble un peu moins carré que le secteur industriel. Donc ça gagnerait à… alors se professionnaliser c’est péjoratif et ce n’est pas ce que je veux dire mais d’avoir une liaison, que ça soit industriel au sens où si tu fais une erreur tu le payes, c’est ton argent quoi, le secteur public si tu fais une erreur ce n’est pas forcément ton argent, tu n’as pas le même rapport. » Responsable maintenance incinérateur_58 Sur les contrats, c’est souvent lié au prix à la tonne. C’est le facteur économique. […] Par contre dès qu’il s’agit de gros investissements, de construction de site, là par contre

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on est beaucoup plus fort, parce que bon on a le cash. » Représentant syndical régional_80 « Sur Valori on a cassé le turbo, il y a eu un problème technique, 1 an, 1 an et demi d’indisponibilité grosso modo, on a redémarré mais en bas régime, je ne sais plus combien de millions d’euros ça a coûté, la collectivité si ça lui arrive elle coule, enfin ça ne coule pas une collectivité mais… enfin nous, on a eu la surface financière pour faire face, on a eu l’expertise pour aller vite parce qu’on connaît les turbines, voilà. » Responsable maintenance incinérateur_58

La possibilité de dialogue sur les compétences entre les différentes structures serait aussi un avantage majeur au fonctionnement des entreprises privées. Le retour d’expérience, les échanges de matériel, de pièces en cas de panne, leur permettraient d’être plus efficace pour résoudre les problèmes liés au process de production.

« Parce que l’expérience permet de faire des économies et de mutualiser, on n’est pas encore bon, loin de là mais quelque part on pourrait se dire que les pièces de rechange on pourrait les mutualiser sur plusieurs sites, bon ça ne se fait pas complètement mais voilà on pourrait gagner de l’argent là-dessus alors que la collectivité elle ne pourra jamais le faire. Pourquoi on arrive à pallier un sinistre turbine, parce que derrière on arrive à récupérer des choses d’autres usines, parce qu’il y a une gestion des déchets qui est peut-être un peu plus simple dans certains cas, et on arrive à trouver des solutions, alors quand tu es tout seul tu es tout seul, donc les coûts sont exponentiels. » Responsable maintenance incinérateur_58 « [les journées organisées par Gamma

47] Il y a des sujets prédéfinis à l’avance et puis

on parle de ces sujets-là, en même temps s’il y a quelqu’un qui veut prendre la parole sur quelque chose qui n’a pas été prévu, sur quelque chose d’important, y’a aucun problème, c’est libre […] Ça permet un retour d’expérience des uns et des autres, ça permet de résoudre parfois quelques problèmes, et ça permet d’être au courant de ce qui se passe ailleurs tout simplement. Et puis le siège parfois met le doigt sur un problème quelconque, souvent un changement de règles, de législation, soit un problème de sécurité particulier sur lequel les gens n’ont pas percuté vraiment, attention sur telle usine il y a eu tel problème à cause de ça, ah tiens chez nous ça peut aussi arriver donc après ils font le nécessaire les autres pour que ça n’arrive pas dans leur usine. » Responsable d’exploitation incinérateur_54

Pour finir sur ce premier point, nous constatons qu’a l’instar des discours des « logiques d’action publique », les industriels privés évoquent la dimension service, des préoccupations sur la protection de l’environnement et sur la notion d’intérêt général. Ces derniers éléments, moins développés que dans ceux du premier régime de sens, concourent toujours à justifier et promouvoir une gestion privée. L’un de nos enquêtés affirme la prédominance des groupes industriels et leurs capacités à développer des projets innovants pour à la fois mieux valoriser les déchets et mieux intégrer les enjeux du développement durable. Il souligne alors le projet de chauffage des serres maraichères porté par Valori, soutenu par le syndicat Proret et par la ville sur laquelle est implanté le site. En outre, sur les aspects liés au travail, bien que moins prégnants en comparaison des discours portés par les acteurs d’Optitri, la question de la création d’emploi est aussi rapportée. Une critique a été formulée par un intervenant extérieur (fournisseur matériel) à Valori à l’encontre d’Optitri sur son mode de traitement du bioréacteur. Selon lui, ce procédé de traitement pourrait conduire à des pollutions sur les nappes phréatiques alors que l’incinérateur est « tellement » encadré réglementairement « qu’aujourd’hui on ne craint rien ». Le bioréacteur dans le secteur du déchet ne semble pas faire l’unanimité. Pour un bon nombre de professionnels que nous avons rencontré, du milieu de l’incinération en particulier, le bioréacteur n’est qu’une « décharge ».

« On respecte les lois, on respecte les arrêtés, on ne met pas le pied de travers, si tu mets le pied de travers tu peux être viré. [Dans le groupe] C’est d’abord l’employé et

47

Ces journées, organisées par la filiale au niveau régional, regroupent les directeurs adjoints, les responsables de maintenance et d’exploitation des incinérateurs. Elles ont pour objectif de faire partager les expériences et les difficultés rencontrées par chacun de ces acteurs sur leurs installations.

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l’environnement devant. Alors des erreurs, des transgressions ce sera fait partout, tout le monde le fait […] Les grandes lignes sont largement tenues et on a un code éthique écrit en termes d’environnement. […] Je pense honnêtement à l’heure actuelle repasser à quelque chose en régie ce n’est pas forcément pour le bien public, il vaut mieux que la collectivité fasse très attention aux marchés qu’elle passe, qu’elle ait un droit de regard sur les comptes ou des choses comme ça […] Qu’elle laisse après les techniciens des groupes gérer les usines, y’a moins de risques pour eux. » Responsable maintenance_53 « A terme il va y avoir 17 hectares de serres, donc on va leur fournir de la chaleur, tout au moins un début de chaleur, ce qui est très bien économiquement pour l’usine. » Responsable exploitation Incinérateur_54 « Personnellement l’idée c’est quand même pour la collectivité de faire quelque de chose de bien quoi, l’environnement merde, on est tous dedans […] C’est bien d’avoir un environnement comme on a actuellement. Donc les moyens d’action c’est 1 : l’industriel pour qu’on produise bien, 2 la collectivité pour veiller justement à ce que l’industriel se passe bien […] là on est un service public, le service public c’est de traiter et de valoriser le déchet et de le faire le mieux possible. » Responsable maintenance Incinérateur_53 « [comparé à la méthanisation] Le secteur de l’incinération c’est un secteur qui emploie beaucoup de gens, qui génère beaucoup d’heures de travail, que ce soit en interne ou en sous-traitance, donc c’est plutôt pour l’emploi quelque chose de positif, en restant en dessous des normes imposées de pollution évidemment, ça produit de l’électricité, […] donc l’incinération c’est plutôt pas mal oui » Responsable exploitation incinérateur_54

Dans le point qui suit, nous abordons le discours syndical qui est un aspect prégnant du discours de ce groupe d’individus. Les variables « syndicats et représentants du personnel », « négociations syndicales et salariales » et « conflits » occupent une place importante. Elles montrent que les individus (autant les opérateurs que la hiérarchie) sont en recherche de dialogue et d’accords sociaux. L’appartenance à un groupe leader du secteur des déchets différencie les opérateurs du privé à ceux du public (qui ont le statut de fonctionnaire). Les différences de statut (fonctionnaire territorial et salarié de droit privé) peuvent entraîner des niveaux de salaire, des avantages sociaux et un avancement dans les carrières différenciés.

4.2.2 Négociations collectives : sécurité au travail, formation professionnelle et

salaires48

Ce point s’appuie sur le travail syndical et le travail de négociation menés au sein du groupe et de ses filiales. Nous verrons que la recherche d’accords et de dialogue social dans l’entreprise emprunte plusieurs voies. Après une brève exposition des aspects sécuritaires et d’hygiène au santé du travail, ce sont les politiques de formations et de mobilité dans les carrières qui sont l’objet d’un travail syndical. Puis, nous montrons que la question salariale occupe une large partie des discours. En effet, estimant n’être pas suffisamment payés, les salariés de Valori portent essentiellement leurs revendications sur ce point là.

Le travail syndical sur la sécurité au travail

Les organisations privées telles que Alpha ou Beta sont depuis de nombreuses années implanté dans le territoire. Dans le secteur des déchets, elles emploient à eux deux le nombre le plus important de salariés dans ce domaine. Les relations entretenues entre les directions et les syndicats peuvent être qualifiées de construites, anciennes et négociées. Dans les groupes, il existe plusieurs fédérations syndicales rattachées aux différents domaines industriels (construction, énergie, déchets etc.). Selon le responsable syndical, la fédération la plus importante en terme d’effectif dans ce groupe privé est celle du transport. Ce dernier appartient étonnamment à celle de la construction. Il nous explique cette affiliation par le fait que « la construction c'est parce qu'on est lié historiquement à la chauffe, au bois et au chauffage, donc c'est construction bois et ameublement. ». Il cumule également d’autres mandats syndicaux : un au niveau de l’ancienne filiale qui a fusionné avec « Gamma », un second auprès du groupe

48

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Syndicat et représentants du personnel ; formations ;

négociations syndicales et salariales ; conflits ».

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dans le comité d’entreprise. Il anime également plusieurs groupes de travail sur les aspects de santé et sécurité au travail. De par leur ancienneté, ces sociétés ont aussi une assise sur le marché des déchets. Dégageant des profits importants et occupant une place forte dans le secteur, elles mènent une politique et mettent en place des stratégies devant leur permettre de conserver leurs parts de marché sur les territoires nationaux et internationaux. Ainsi, là où les acteurs du secteur public recherchent l’adhésion et la satisfaction des usagers, le secteur privé semble privilégier les relations tant avec ses clients dans le but de les fidéliser et donc d’être renouvelé pour les futurs contrats qu’avec ses salariés afin de préserver une « paix sociale » dans l’entreprise et ne pas perturber le cycle productif.

« Ce que veut une entreprise c’est pas de problèmes, pas de grève, pas de problèmes, pas d’accidents de travail, voilà, et que les sites fonctionnent le mieux possible en sachant qu’on est jamais à l’abri d’un problème technique. » Responsable d’exploitation incinérateur_54

Différentes instances de négociation ou de participation existent sur des sujets variés (conditions de travail, avantages sociaux etc.) et à différents niveaux (régionaux ou nationaux). Selon le responsable syndical, la politique en matière de santé et sécurité au travail est « dynamique ». Cet enjeu de la sécurité au travail est également relayé par les salariés. Il est évalué par la filiale. Lors de nos observations, sur le site de Valori, nous avons vu des panneaux d’affichage visibles par tous les visiteurs signalant le nombre de jours sans accidents de travail.

« Dans la partie déchets, c'est là où on a les plus mauvais taux d'accident. Même en accident mortel mais c'est dû au véhicule, c'est un accident routier donc c'est pas évident. Après il a y a une réelle dynamique, ils prennent les choses en main mais c'est très long, c'est très long. Dans les pays nordiques il y a des facteurs météo qui jouent, après il y a des facteurs culturels qui peuvent jouer aussi, c'est vraiment pas évident. » Responsable syndical_80 « On n’a personne derrière nous qui nous dit il faut bien faire ça, il faut que ce soit bien fait d’accord, faut que ce soit fait en sécurité mais de toutes façons notre mot à nous c’est la sécurité d’abord » Responsable presse centre de tri_48 « [les objectifs sont] Le maintien du centre de tri en marche, essayez d’avoir zéro accidents de travail avant tout aussi, d’améliorer un peu de sécurité, voilà. » Responsable maintenance centre de tri_38

Le Comité d’Hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) organisé à l’échelle régionale, le comité d’entreprise, les groupes de travail sur le document unique, sont mentionnés par les agents de l’incinérateur et du centre de tri. Ces instances sont plus ou moins investies par les représentants syndicaux ou délégués du personnel du site du fait d’un intérêt variable pour les questionnements abordés ; de la perception du dynamisme ou de l’immobilisme des groupes présents lors des réunions ; d’un manque de temps ou de candidats pour s’investir dans les multiples outils existants.

« J’avais pris les rôles du comité d’entreprise, ça fait 3 ans que je n’y suis pas aujourd’hui, j’y reviendrais sûrement. Délégué du personnel ça, je le suis encore. CHSCT non parce que je faisais déjà 3 choses, 3 mandats et ça faisait déjà beaucoup, et que CHSCT c’est un boulot à plein-temps. » Agent de maintenance incinérateur_53 « La difficulté... je crois que c'est que les gens qui y sont ne savent pas réellement le pouvoir des CHSCT qui est une instance, qui normalement, ça doit être costaud, quoi. Ça doit être costaud et les gens n'y vont pas pour ça. Ou alors ils y... Le CHSCT, après c'est dur... c'est un problème... quand vous devez faire quelque chose vous devez en être convaincu. […]... C'est pas qu'ils y sont pour une mauvaise raison, ce n'est pas ça, c'est que les gens ont une bonne volonté, mais ils n'ont pas la pleine mesure du pouvoir qu'ils ont et de l'influence qu'ils devraient avoir. C'est des gens qui s'y mettent parce que il y a une union qui ne marche pas, il y a un petit truc... et comme ils n'ont pas la perspective, alors qu'ils ont des formations. Bon, c'est pareil. La dernière formation qu'ils ont eu c'est la formation qui a été donnée par la direction. […] C'est pas des gens

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qui ont la condition de... ils sont là pour améliorer les choses pas pour les changer. Voilà... c'est comme ça. Ce n'est pas une question de compétence ou de professionnalisme, c'est des gens qui sont très bien... mais enfin déjà, quelqu'un qui essaye de faire quelque chose pour les autres c'est déjà très bien. C'est déjà louable. Mais après, est ce que l'on ce donne toujours les moyens... c'est pas évident.» Responsable syndical_80

Cependant, on constate des formes de négociation « locales » au niveau de la gestion de la vie quotidienne dans les installations. Ici, ce n’est plus un rapport syndicat-groupe-filiale mais salariés-hiérarchie directe qui s’opère :

« Et délégué du personnel c’est très peu de questions, c’est dur à gérer, parce qu’on n’a pas beaucoup de retours, ça se passe quand même assez bien, en règle générale. Y’a que pour les petites broutilles où on met 200 ans, c’était le cumulus à un moment qui faisait à peine 200 litres et il fallait expliquer que ce n’était pas suffisant pour une vingtaine de personnes qui se douchent au même moment, donc on n’avait plus d’eau chaude notamment l’hiver. Donc c’était des petites choses comme ça, des petites questions de sécurité, est-ce qu’on ne peut pas mettre des EPI à tel endroit, donc ça reste plutôt local. » Agent de maintenance incinérateur_53

Selon le responsable syndical, la difficile appréhension et manque de retour sur les aspects de santé et sécurité au travail par les salariés pourraient être en partie expliqués par la sécurité de l’emploi qui annihilerait tout « combat » ou défense des conditions d’emploi et de travail. L’appartenance à un groupe leader est rassurante car vectrice de sécurité de l’emploi. Les moyens financiers importants de groupe et de la filiale sont vécus comme des garants de l’emploi à long terme.

« Donc moi oui je suis complètement pour réduire les déchets, j’estime qu’on appartient à un grand groupe qui nous retrouvera un travail si l’incinérateur s’arrête pour une ou l’autre raison. J’ai vécu ça à X et ils ont retrouvé un travail pour tout le monde. » Chef de quart_83 « Par contre ici ils ont une sécurité d’emploi, tu as une qualité de travail qui est quand même importante, c’est un site qui est bien, mais si tu veux changer il faut bouger et c’est plus simple de faire le pas si tu te dis que tu n’es pas content du tout de ton travail ici, mais c’est relativement peu le cas. Même ceux qui râlent le plus, je suis sûr que c’est ceux qui, quand je partirais d’ici, seront toujours là, pas que dans l’équipe de maintenance, je les aime bien tous, ils sont très très bien, mais y’en a quelques-uns, tu les connais pour les avoir pratiqués, ça ne va pas, et ils vont partir machin mais ils sont toujours là, mais c’est normal c’est la nature humaine. » Responsable maintenance_53 « Mais je crois qu'ils se rendent compte que dans un autre groupe ça peut être pire. Les périphériques aux salaires ne sont pas mal. Ça suffit à être bien ou ça suffit à ne pas être mal. C'est plutôt dans ce sens là. »Responsable syndical_80

L’accès à la formation est aussi un des thèmes de la négociation collective, qui est à la fois centralisée au sein de l’entreprise et décentralisée. La question du développement des compétences professionnelles et des connaissances techniques, ainsi que l’anticipation à l’inaptitude professionnelle sont des thèmes dominants dans le discours du responsable syndical. Les problèmes de santé dans les centres de tri, les risques professionnels dans les incinérateurs et la technicisation des métiers imposent de mener un travail syndical sur les questions de formation et de mobilité professionnelle au sein du groupe.

Le travail syndical sur l’emploi, la formation et le salaire

Nos enquêtés évoquent deux manières de se former au sein de Valori. La première forme correspond aux formations nécessaires pour s’adapter aux évolutions du travail du poste occupé, la seconde, relayée essentiellement par le responsable syndical, fait référence au développement de compétences pour les salariés peu qualifiés et « coincés » sur un poste de travail générant de la souffrance.

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L’incinérateur est une installation à risque demandant de la part du personnel de quart et de maintenance des compétences particulières. Il existe deux types de formation : les « réglementaires » qui sont imposées et obligatoires pour les agents, concernant souvent des aspects de sécurité ; les « individuelles » demandées par les agents et dont l’accord dépend de la direction sont à choisir dans le catalogue de formations des différents groupes.

« Par exemple moi cette année, les formations de mes gars hormis les formations réglementaires, j’en ai eu un qui est parti sur une formation Axcess, […] parce que dans son rôle qui est un rôle de méthode, il gérait plusieurs tableaux Excel et il vaut mieux travailler sur une base de données donc je l’ai mis là-dessus, ça c’est vraiment spécifique au poste. J’ai une personne qu’on estime qu’elle peut évoluer donc lui j’ai accepté une formation de management alors qu’il ne fait pas du tout de management actuellement, voilà mais son plan de carrière lui c’est d’évoluer dans ce sens-là que ce soit ici ou ailleurs et le rôle du manager c’est de faire évoluer quand même son personnel, que ce soit dans l’entreprise ou ailleurs. Actuellement il y a une formation qui a lieu sur un appareil vibratoire, c’est pour aider la maintenance, voilà. On est actuellement dans les demandes de formation pour l’année prochaine, y’en a un qui veut utiliser Word, il ne l’utilise pas tous les jours, ça ne changera pas ma vie, enfin la vie de Valori, qu’il sache utiliser Word, mais je pense que pour lui c’est important et ça le valorise donc il va faire ça, j’en ai un autre je vais lui accorder, enfin je vais lui accorder ce n’est pas St Thomas c’est parce qu’on a un budget et il faut qu’on fasse dans le budget, donc il va partir en formation management, j’en ai un qui va apprendre à affuter les outils parce que là il y a une utilité pour Valori » Responsable maintenance_58

Les formations réglementaires sont nombreuses et récurrentes. Elles sont souvent dépréciées par les salariés qui les jugent inutiles au vu des connaissances qu’ils acquièrent sur le terrain. À l’inverse, les formations permettant de développer de nouvelles compétences ou de les approfondir sont valorisées par les opérateurs. Ils regrettent le refus de la direction des cursus qu’ils considèrent importants vis-à-vis de leur activité, jugement qui n’est pas partagé par la direction. Pour eux, cela s’assimile à un manque de reconnaissance des compétences qu’ils doivent acquérir dans leur travail, une négation de leurs qualifications en tant que professionnel du domaine.

« Là ils me sollicitent pour faire un truc je leur dis non, déjà ça va un peu plus loin que mes compétences, parce que ça reste quand même des compétences presque au niveau Siemens en Allemagne, ils veulent que je passe de l’anglais en français, oui d’accord mais je ne peux pas apprendre tout ce que ça veut dire… Il faut quand même que les gens s’y mettent un peu, moi je m’y suis mis, quoique la formation anglais je l’ai demandé, on me l’a refusé parce qu’un technicien n’a pas besoin de parler anglais, sauf qu’aujourd’hui la moindre documentation elle est en anglais puisqu’il n’y a plus d’obligation de l’avoir en français, donc le technique détaillé c’est en anglais, après oui mise en place t’as deux pages c’est en français mais ça ne sert à rien. Mais ça ils ne l’ont pas compris donc… » Agent de maintenance incinérateur_53

La recherche du développement de la formation et de la mobilité dans le secteur du déchet se pose pour toutes les activités, et s’élargit sur les différents domaine du groupe. Certains métiers dans le tri ou dans l’incinération ont non seulement des carrières limitées, mais ne nécessitent pas pour l’embauche une formation ou un diplôme propre. Dans ce cas là, les syndicats tentent de mener un travail de négociation pour créer des passerelles entre les métiers de la filiale et du groupe. Si le responsable de maintenance affirme qu’elles sont possibles, pour le responsable syndical elles restent peu pratiquées.

« Mettons pour être chef de quart ou dans une exploitation d'usine d'incinération il n’y a pas de filières. Il n'y a pas un cursus scolaire ou professionnel qui amène à ce métier là, donc c'est souvent... les chefs de quart en usine d'incinération c'est plutôt des BTS mécanique ou des BTS électro, après en maintenance c'est pareil. Par contre les centres de tri, c'est désolant à dire mais, pour se dépatouiller il suffit d'avoir deux mains et des yeux c'est... et un réel besoin d'emploi, il n'y a pas de formation. » Responsable syndical_80

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« Après ça dépend le poste que tu as, ça dépend, mais il y a des passerelles. Il y a certains postes c’est un peu compliqué, le poste de chef de quart, une des difficultés c’est qu’actuellement après chef de quart ils font quoi, la marche pour être responsable d’exploit sur un site comme Valori est dix fois trop grande, il faut une marche intermédiaire, mais il n’y en a pas quinze sur site donc le nombre de poste est vraiment limité par rapport aux chefs de quart, voilà. » Responsable maintenance Incinérateur_58 « Ça, c'est le problème. La passerelle… ça serait plutôt là ou ça baisserait, mais moi je suis très formation. Moi je prône plus, justement, d’impulser une vraie politique d'employabilité au niveau des salariés pour qu'au bout de 10 ou 15 ans, 20 ans, le gars il ait des compétences pour partir, mais pour partir sur d'autres métiers. Parce qu’au sein du groupe il y en a des métiers chez eux, mettons que quelqu’un qui travaille dans les déchets il y a énormément de difficultés à aller travailler dans l'eau, d'aller travailler dans le gaz ou dans l'électricité c'est très dur, les passerelles n’existent pas, même s’il a une réelle envie de mobilité, s'il veut bouger et tout, c'est très très dur, c'est très cloisonné, ça, c'est une question de mentalité. […] Il y a eu un accord qui a été signé ça va faire trois ans, c'est la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui normalement, la GPEC, qui normalement devrait pallier à ça. » Représentant syndical régional_80

Si le responsable maintenance pointe des difficultés de mobilité et d’évolution de carrière pour le métier de chef de quart, il en est de même pour les conducteurs pontiers et adjoints, mais aussi pour les techniciens de maintenance. En somme, le choix de rester sur un site implique d’accepter, autant pour la maintenance que pour l’exploitation, d’être bloqué dans l’avancement de carrière. Le responsable d’exploitation réaffirme l’idée que l’évolution reste possible, mais qu’elle nécessite un fort engagement de l’individu. Puis plus tard, il pondère ses propos en ajoutant que l’entreprise et le groupe ont changé de stratégie au niveau du recrutement ayant alors une incidence sur les possibilités pour évoluer.

« A partir du moment où on veut vraiment faire quelque chose, où on veut vraiment avancer c’est complètement perso, il ne faut absolument pas compter sur les autres, absolument pas, c’est un travail personnel, l’école c’est un travail personnel, il ne faut pas compter sur les parents, il ne faut pas compter sur les profs ni sur les copains, et encore moins sur son employeur, donc non faut se démerder tout seul. […] Donc là maintenant depuis de nombreuses années on donne de moins en moins l’opportunité aux anciens entre guillemets d’évoluer dans une entreprise et on préfère embaucher de jeunes diplômés. Pourquoi, à mon avis c’est parce qu’on les paie mal et… on les paie moins bien, au SMIC faut le savoir […] L’entreprise pense que d’embaucher un ingénieur c’est plus performant que de faire monter un vieux de la vieille et qu’un ingénieur s’en tirera beaucoup mieux, grosse erreur, mais bon… maintenant il faut un peu de tout » Responsable exploitation Incinérateur_54

Les difficultés s’accroissent du fait de la méconnaissance des métiers du secteur des déchets, notamment pour les conducteurs de l’usine (équipe de quart). En réponse, une partie de la direction de Valori estime qu’aujourd’hui il vaut mieux ne pas embaucher des salariés jugés « sur diplômés ». Des compétences acquises par un niveau Bac ou un CAP ou BEP technique seraient largement nécessaires et permettraient, sans doute, une meilleure évolution dans la carrière.

« Le problème des formations, c'est que vous avez des formations qui sont qualifiantes, qui augmentent votre compétences et employabilité... mais nous il y a une grande partie de tout ce qui est habilitation sécurité environnementale et compagnie qui nous prennent pas mal sur le budget de formation. C'est un gros problème quand on rentre dans un incinérateur, pour rentrer mettons, avec un BTS en électromécanique passé en 1970, en l'an 2000 vous allez sortir, vous allez avoir toujours votre BTS en électromécanique, bien, mais là vous ne connaissez plus rien d'électro-mécanisme. L'employeur devrait avoir l'obligation morale de vous maintenir au niveau auquel il vous a pris. Que ce soit sur nouveau process, soit sur un nouveau matériau, on le fait pas, on le fait pas. On avait perdu une usine à X, […] vous vous trouvez avec 26 personnes, 5 ou 6 chefs de quart, des gens qui sont en exploitation qui ne savent faire que ça et qui ne savent faire plus que ça. Parce que quand ils sont rentrés ils savaient faire d'autres choses, ils auraient pu aller ailleurs, et quand vous mettez sur un CV chef de quart, qu'est que ça veut dire? ça

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veut rien dire, ça veut rien dire. A la limite le gars il va vous demander si vous savez conduire un bus… » Responsable syndical_80 « Ils sont trois à avoir des BTS, et je trouve que c'est une erreur parce qu’à un certain moment ils font un travail qui n’est pas toujours en corrélation avec leurs diplômes, bon ça c'est pas trop grave, mais leur formation pourrait leur donner des ailes qu’ils n’ont pas [ici] et ça je l’ai dit si demain on refait une usine on ne prend pas les mêmes gens de quart. » Directeur adjoint Valori_50

Les difficultés du métier de trieur commencent à être un objet d’attention par les syndicats du secteur qui tentent de travailler sur les passerelles entre les métiers du déchet, sur les formations pour améliorer les conditions de travail et sur les problématiques de genre dans les centres de tri. Les inégalités dans l’avancement des carrières au regard du genre, notamment dans le milieu du tri, deviennent l’objet de négociations. Au centre de tri C3 et à l’incinérateur, on ne trouve aucune femme occupant un poste d’encadrement, de direction, ou de travail au sol (qui reste le domaine des hommes

49). De fait, les caractéristiques traditionnelles du travail

ouvrier féminin (Guilbert, 1966 ; Kergoat, 1982) semblent toujours d’actualité.

« Entre carrières hommes et femmes, on est en pleine négociation là dessus. Sur l'égalité professionnelle on se rend compte que les profils de carrière des hommes, on se rend compte qu'ils sortent des métiers de chaîne pour aller vers des métiers de cariste, responsable de presse ou quelque chose comme ça, par rapport à une carrière féminine où la seule perspective est chef de cabine ou… chef de… il n’y a rien. Mais on y travaille dessus, on est en train… on doit sortir un accord d'égalité professionnelle. On est en pleine négociation là dessus. » Représentant syndical régional_80 « Vous avez vu [dans les centres de tri] c’est souvent des jeunes filles ou des femmes âgés enfin, bon, c’est des accidentés de la vie souvent, il faut le dire comme ça. C’est le revenu principal donc il n’y a pas… Nous on s’axe plus sur les formations, sur l’employabilité pour que ces gens là puissent rebondir ailleurs, pour qu’il y ait des passerelles qui soient faites avec les autres centres de déchets, voir avec les autres métiers de Gamma, essayer de faire évoluer ces gens là […] on avait axé sur des formations de remise à niveau en français et en math, et après ça suffit pas quoi. Malheureusement ça suffit pas parce que c’est pas… alors nous on aimerait s’axer plus sur… ouvrir la perspective de carrière, sur les métiers du site […] Le groupe ne s’intéresse pas à ce qui se passe dans les autres entités du groupe qui sont très fermées. Chaque entité est très renfermée sur elle-même, elle ne va pas aller chercher les compétences. Il y a eu un accord qui a été signé, ça va faire trois ans, c’est la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui normalement, devrait pallier à ça » Responsable syndical_80

Si les carrières et la mobilité professionnelle des femmes dans les centres sont limitées

50 (de

trieuse à chef de cabine), cela peut être différent pour les hommes. Le responsable de presse et l’agent de maintenance d’un centre de tri relatent les possibilités d’évolution qui leur ont été permises par Valori.

« [Ce qui lui plaît] C’est la mentalité de l’entreprise, l’évolution au sein de l’entreprise, c’est pour ça que je vous dis moi évoluer, je sais que j’ai évolué, que j’ai encore évolué encore cette année parce qu’ils m’ont fait passer le poids lourd, que je sais que j’ai passé les nacelles, en 4 ans et demi on va dire j’ai évolué […] j’ai évolué oui, de agent trieur, conducteur d’engins, responsable presse » Responsable de presse centre de tri Valori_48 « Ils proposent des formations oui, formation au management et tout ça, j’ai commencé à en faire, j’en ai fait, et puis on va vers ça, j’essaye d’évoluer vers là. […] je pense qu’il faut aussi se déplacer et aller sur d’autres lieux pour pouvoir aussi se faire la main, dans le groupe c’est comme ça aussi et je pense qu’il faut se déplacer aussi. […] J’ai pas le niveau, je ne suis pas cadre, donc pour ça il faudrait que je change aussi de

49

Pourtant certaines des trieuses détiennent les CACES nécessaires à la conduite des engins. 50

Une trieuse est devenue conducteur pontier suite à des incapacités physiques. Une autre est devenue agent de pesée. A notre connaissance et depuis 2004 aucune des autres trieuses n’a changé de postes.

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centre, voilà, pour pouvoir… ou sinon avoir une autre vue sur l’incinérateur, voilà mes possibilités mais il faut que je bouge.» Agent de maintenance centre de tri_38

Nous avons vu que le dialogue social et la négociation collective souhaitaient intégrer la perspective d’un parcours professionnel. Aboutissant à des accords il semble que pour plusieurs métiers, la mise en pratique reste encore difficile, notamment pour passer d’un domaine industriel à l’autre. En outre, dans les discours, les conditions de travail apparaissent comme étant un thème peu abordé dans les négociations collectives. On remarque, du côté des salariés, que les revendications dans les deux installations Valori portent essentiellement sur les salaires. Chez les opérateurs de l’incinérateur les conditions de travail sont bien moins présentes et détaillées dans les discours que dans ceux des trieurs. L’absence de perspectives de carrière, la difficulté d’assumer une activité peu reconnue et aux conditions de travail difficiles font rarement parties des revendications sociales des salariés. Les revendications des salariés sont centrées sur les revenus Bien que les trieurs parlent en majorité de leurs conditions de travail lors des entretiens réalisés, les revendications qu’ils ont jusqu’à aujourd’hui conduites lors de mouvements de grève concernent exclusivement leur rémunération. Le niveau de qualification, l’installation, les conditions de travail de chacun, semblent donc avoir une influence sur les discours, mais pas sur les revendications. En ce qui concerne les revenus dans le milieu du déchet, les salariés estiment ne pas être bien payés. Etonnamment des responsables partagent ce même point de vue et emploient parfois des moyens détournés pour revaloriser le salaire comme en témoigne le dernier extrait d’entretien qui suit.

« [Le déchet] Il génère énormément d’argent et ça intéresse énormément de gens, en sachant que les salariés qui travaillent là-dedans sont mal payés […] on est tous mal payés, moi, mes équipes » Responsable exploitation Incinérateur_54 « Si on parle salaire c’est bas, c’est bas parce que les chefs de quart en travaillant en 3X8 ça doit être à peu près 2100 ou 2200 euros brut, avec le jeu des primes quand vous êtes à la fin de l’année, quand vous comptez tout, vous dépassez votre brut en net, il faut tout intégrer le 13

ème mois, la prime de vacances, tout le reste » Responsable

syndical_80 « Le problème c’est que je n’ai pas de référence pour te dire, si moi après je connais les salaires des autres usines donc oui je suis mal payé, par rapport aux autres usines je suis mal payé […] Ouais, ouais, à la X je crois qu’ils sont à 2500 euros pour les chefs de quart, 2500 euros minimum, l’adjoint chef de quart il touche comme moi à X » Chef de quart_83 « Mon responsable d’agence c’est un ancien technicien de maintenance, il est très bon. Je l’ai fait évoluer et je pense qu’il est à sa place. Mais il fallait que je lutte pour le salaire, il faut se battre. J’ai pu obtenir, là j’ai eu un coup, mais il m’aura fallut 6 mois. Y’a des postes il faut gravir quelques coefficients pour… « ah non c’est la règle, c’est comme ça. Aujourd’hui c’est comme ça, on n’évolue pas comme ça, faut attendre 3 ans ». Ça devient un marché de dupe. Il m’oblige à être malhonnête. Je suis obligé d’user d’artifices. » Directeur centre de tri_34

De plus, on observe aussi que les trieurs sont globalement moins syndiqués, moins porteurs de revendications et participent plus faiblement à des mouvements de grève que le personnel de l’incinération. La convention à laquelle ils sont rattachés ne mentionne pas non plus de dispositions particulières et des spécificités à leur égard et à leur activité. Cela peut en partie s’expliquer par le fait que les grèves dans les centres de tri ont moins d’incidence que dans les incinérateurs. En effet, ces derniers reçoivent un volume de déchets quotidien bien plus important que dans des centres de tri. L’accumulation de ces tonnes de déchets pose non seulement plus de problème d’hygiène et de sécurité dans les premiers que dans les seconds, mais met surtout en péril le fonctionnement des fours et donc la production d’électricité. Ce sont deux éléments qui leur confèrent donc plus de pouvoir ou de force de pression.

« NAO (Négociations annuelles obligatoires), pour les salaires. Après les centres de tri qui se sont mis en grève sur d'autres motifs, du côté régional non je ne crois pas, ça

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toujours était lié à la politique salariale. Et toujours dans un mouvement collectif jamais pour eux mêmes. » Responsable syndical_80

Au niveau des arguments en faveur d’une revalorisation salariale, l’analyse nous permet de constater qu’il existe des différences entre les trieurs et les opérateurs de l’incinérateur et techniciens du centre de tri. Pour les premiers, la demande d’augmentation est justifiée par la pénibilité de leur travail sur la chaîne ; pour les seconds la reconnaissance de leurs compétences, la difficulté des horaires en 3X8, mais aussi les écarts avec les autres entreprises ayant une activité similaire sont donnés comme arguments pour soutenir ces revendications.

« Qu’aujourd’hui on ne paye pas assez, j’en discutais même avec mon responsable qui est bien d’accord pour ça, et même il me dit les techniciens en France ne sont pas assez bien payés, ils ne sont pas assez bien payés […] Je trouve que ce métier il n’est pas assez bien… quand on est dans un grand groupe tout ça, c’est pas assez bien payé, en tant que technicien déjà je trouve que ce n’est pas assez bien payé dans ce métier » Agent de maintenance centre de tri_38

« C’était par rapport aux salaires, j’avais réussi à mettre en évidence auprès de la direction de la filiale régionale que Valori était sous-payé par rapport à une autre entreprise de la filiale, par rapport aux mêmes postes, et on avait obtenu 50 € sans faire grève » Agent de maintenance incinérateur_53

Ce deuxième point relate les principaux thèmes de la négociation collective et les revendications qui apparaissent focalisés sur les salaires. Le dernier point de cette sous-partie concerne la recherche de l’efficacité productive et de la performance, porté essentiellement par les cadres de deux installations (le centre de tri et l’incinérateur).

4.2.3 La recherche de l’efficacité productive51

L’outil de travail et la production sont ici au centre des discours, la prégnance des variables « usine », « process » et « automatisation : efficacité productive » nous le montre. On remarque aussi que la variable « informatique » est fortement représentée dans ce régime de référence. Cela s’explique par la nature du process utilisé dans les incinérateurs. En effet, une partie importante de l’activité de travail du personnel de quart s’effectue sur des écrans de contrôle. Bien que ce contrôle continu soit complété par des rondes effectuées par les opérateurs (cf. axe 3), les outils informatiques sont centraux pour permettre de limiter les risques environnementaux et les problèmes de production. De plus, l’un des techniciens de maintenance s’occupe de toute la partie automatique de l’usine, agissant sur les programmes des machines et les outils informatiques du personnel d’exploitation pour essayer d’améliorer en permanence les rendements et la sécurité environnementale de l’usine.

« Il y a beaucoup de choses ici qui font que si on ne regarde pas, tout peut partir comme ça, ça peut partir en vrille en un rien de temps. Encore une fois c’est ça qui fait la différence, c’est les ordinateurs quoi, c’est eux qui nous permettent de réagir parce que sinon il faudrait au minimum 40 bonhommes sur le terrain en train de tourner en permanence, c’est bête à dire mais c’est vrai, on en a besoin, ils font le plus gros du travail. » Agent de quart incinérateur_51

Ici, ce n’est pas la baisse de la facture de l’usager qui est recherchée contrairement au public, mais bien l’optimisation des outils et des équipements afin d’assurer la production, l’efficience et l’efficacité productive

52 et de maximiser les profits pour l’entreprise. Les discours sont ainsi

51

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Process ; production ; automatisation : efficacité

productive ; informatique ; outil ». 52

Nous empruntons ici, la définition du sociologue Jean Ruffier (1996) pour définir ces deux notions : « L’efficacité mesure la capacité d’utiliser des moyens pour parvenir à une fin donnée, un pilote est efficace en ce qu’il utilise au mieux les ressources de son véhicule pour gagner sa course. L’efficience porte sur le moyen terme, un moyen terme où les moyens et les buts sont appelés à évoluer […] l’efficience vise davantage la capacité d’un système productif à se maintenir dans la durée que celle à réaliser les meilleurs résultats immédiats possibles.

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agencés autour des enjeux de la rationalisation industrielle à travers l’optimisation, l’industrialisation, la modernisation et l’amélioration.

« Il y a des points où on peut toujours s’améliorer, il y a des points techniques comme ça où on peut toujours s’améliorer. » Responsable maintenance Incinérateur_58 « [Nos objectifs] D’être le plus performant possible en utilisant de toutes les innovations technologiques. » Directeur adjoint Valori_50 « Alors moi j’utilise la philosophie, alors chez eux ça s’appelle le Kaizen, ce qui veut dire l’amélioration continue et ici c’est affiché pour toute l’entreprise : ma bible, Kaizen. Et ça devient notre bible, c'est-à-dire les grands principes de fonctionnement. Tu ne tueras point, tu feras ceci… et bien là « rendre les problèmes insupportables, écouter l’avis de chacun… l’amélioration est continue, appliquer tout de suite une modification au lieu d’attendre d’avoir des résultats - vaut mieux avoir 10% tout de suite que 100% jamais ou d’attendre que ce soit au point ». C’est toute la philosophie. » Directeur Centre de tri_34 « Après si t’as quand même la partie importante qui est d’améliorer le process, il y a toujours des petits points qui sortent, l’usine commence à être vieille et on essaye toujours d’améliorer le process, on propose toujours des solutions pour améliorer le process, on en discute en réunions, on en discute souvent entre nous et on améliore le process. Et donc plus on l’améliore plus ça tourne bien, plus on a de temps voilà. » Chef de quart Incinérateur_58 « Alors mon activité première c’est d’avoir un bon fonctionnement d’exploitation, des équipements, donc il faut que ça tourne au mieux. Ensuite je m’occupe aussi de tout ce qui est travaux de sous-traitance, travaux aussi quand nous on va améliorer ou faire en préventif ou correctif dans les journées, nous travaillons sur GMAO, voilà, donc tout ce qui est préventif c’est déjà programmé… .» Agent maintenance centre de tri_38

Les coûts liés aux améliorations de process représentent une part très importante du budget des installations de déchets qui doivent gérer :

- les pannes, les fuites, les problèmes de la production (cf. axe 3), autant dans l’incinérateur que dans le centre de tri ;

- les évolutions réglementaires qui nécessitent des anticipations, des améliorations ou des adaptations de process tant au niveau des risques industriels et environnementaux que professionnels ;

- l’amélioration continue afin de rester compétitif sur les marchés et de limiter les coûts de production.

« En fait au niveau européen il y a une directive qui est apparue en 2002, qui a été transcrite en droit français, et cette transcription en droit français en 2002 fixait comme échéance une mise aux normes pour le 27 décembre 2005 […] Donc il y avait essentiellement un impact en termes d’oxyde d’azotes, puisque Valori n’avait à ce moment-là pas de normes puisque c’était le droit actuel, on a eu aussi un doublement des analyseurs puisqu’il y a une norme de disponibilité des analyseurs fumeurs qui était plus importante, on a eu une mise aux normes au niveau de traitement des effluents […] Je réfléchis mais voilà, donc pour Valori un chantier de l’ordre de 7 à 10 millions d’euros mais quand même relativement peu important par rapport à d’autres sites » Responsable maintenance incinérateur_58 « On a des usines qui consomment et produisent beaucoup d’argent, des usines comme Valori on va dépenser beaucoup parce que pour maintenir ce site en état il faut beaucoup investir parce que sinon l’appareil il s’use, il casse et c’est terrible, donc gros investissement et gros investissement parce que derrière il y a de grosses rentrées, donc des flux d’argent qui sont importants dans les deux sens » Responsable maintenance incinérateur_58

Les solutions pour améliorer et augmenter la production et le rendement des installations passent par la mise en œuvre de nouveaux moyens humains et financiers. L’amélioration continue par le biais de groupes de travail et par les innovations technologiques et organisationnelles sont au cœur de ces activités de déchets. Les agents de maintenance et les cadres sont en recherche constante de perfectionnements à opérer.

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« [Ma mission] C’est essayer de trouver ensemble comment on peut travailler mieux, comment on peut optimiser encore, comment on peut faire encore plus d’argent, comment on peut en économiser encore, c’est mener une réflexion sur les modifications de fonctionnement, de matériel pour essayer de produire encore plus et de façon plus fiable. » Responsable d’exploitation incinérateur_54

Les autres agents des différentes installations sont aussi impliqués sur cet aspect et mènent une réflexion pour permettre l’amélioration de leurs pratiques, et donc augmenter ou faciliter la production. La rationalisation se fait au sein du site mais peut être aussi une stratégie de la filiale.

« En tant que chef de quart c’est vrai que faire tourner l’usine c’est facile, d’accord, et donc ce n’est pas mon activité principale, enfin je considère moi que ce n’est pas mon activité principale, je me spécialise sur les pannes en fait donc je suis dépendant des pannes de l’installation parce que maintenant c’est vrai que l’installation tourne bien. Après si t’as quand même la partie importante qui est d’améliorer le process, y’a toujours des petits points qui sortent, l’usine commence à être vieille et on essaye toujours d’améliorer le process, on propose toujours des solutions pour améliorer le process, on en discute en réunions, on en discute souvent entre nous et on améliore le process. » Chef de quart incinérateur_83 « La GMAO ça permet d’industrialiser la maintenance […] dans la filiale, elle existe depuis une dizaine d’années, mais en fonction des usines à des niveaux plus ou moins développés, donc ils ont voulu mettre tout le monde à niveau en disant voilà il faut améliorer la maintenance. Comme ça en améliorant la maintenance on va améliorer la disponibilité de nos sites, on va améliorer nos coûts et on va arrêter sur certains sites de ne faire que du pompier, voilà c’est une évolution du métier.» Responsable Maintenance Incinérateur_58 « Il a fallu que j’apprenne à ralentir, et au niveau technique il faut que j’apprenne en permanence de nouvelles choses pour me donner de nouveaux outils qui me permettent d’avancer ou d’améliorer certains domaines. Alors en automatisme c’était la programmation basique, en fait il y a plusieurs façons de programmer, donc c’est apprendre d’autres façons de programmer qui sont plus complexes, moins simples pour justement améliorer et développer les propres modules d’un automate, c’est un peu compliqué, mais c’est aller de plus en plus loin dans la programmation de façon à permettre un éventail de possibilités à l’exploitation. » Agent maintenance Incinérateur_53 « Le début du mois qui est dédié au bilan mensuel de fonctionnement de l’usine, donc là c’est ce que je suis censé faire, donc je relève tous les paramètres de fonctionnement qui ont été accumulés pendant le mois, je fais des synthèses, je fais des calculs, et je regarde, je mets en forme toutes ces données sur des tableaux, tableaux Excel, donc ça va du tonnage poubelle reçu dans l’usine, tonnage vapeur produite, mégawatt vendu à l’EDF, produits chimiques utilisés dans les process de traitement, et le nombre d’heures de fonctionnement de différentes machines. Donc tout ça c’est analysé, mélangé, rationné, et je mets ça dans des tableaux qui nous servent à suivre et à optimiser l’usine et je remplis d’autres tableaux aussi pour l’entreprise, pour que les gens du siège puissent avoir les résultats de fonctionnement du site […] l’objectif… l’objectif c’est de fonctionner le mieux possible » Responsable Exploitation Incinérateur_54

Contrairement aux discours des acteurs du public, on remarque que l’amélioration des conditions de travail est peu présente, ce sont les machines, le process, les équipements, les méthodes de travail qui sont au centre des préoccupations. Les objectifs de production doivent être respectés et la recherche de l’optimisation maximale des coûts entraîne des logiques et des stratégies particulières chez les encadrants du privé.

« Donc ça veut dire c’est la performance au service du client pour baisser les prix, c’est une question de survie. En 2003, quand j’ai été recruté chez Alpha on traitait les collectes 200 euros la tonne. Aujourd’hui on les traite à 110, la moitié. Donc ça passe par quoi ? La productivité. Et malheureusement, j’en suis pas fier, la productivité elle se fait sur le dos des gens. » Directeur centre de tri_31

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On voit dans cette dernière citation que le rendement se fait parfois au détriment de l’humain, et que ce discours, bien que peu présent dans les entretiens, est assumé par les acteurs des groupes privés. La rationalisation doit permettre de s’adapter aux mutations de l’activité et de baisser les prix de traitement en accroissant la productivité des produits recyclables. Dans cet axe, les deux régimes de référence présentés opposent des logiques d’action publique ou privée du traitement des déchets. Ici, et contrairement aux discours des acteurs d’Optitri, la mise en avant des installations se fait du point de vue de l’efficacité et de l’efficience des outils. La qualité des conditions de travail, l’insertion de personnes vulnérables et le maintien d’activité sur des territoires sinistrés au niveau de l’emploi sont moins détaillés ou étoffés dans les discours. Le rendement est l’objectif premier fixé aux directeurs par leur groupe, mais aussi aux opérateurs par leur direction. Comme nous le verrons dans l’axe 3, le personnel de l’incinérateur centre ses discours sur les problèmes de la production et les risques liés à l’activité. Le service maintenance et la direction en particulier exposent l’exigence d’adopter une vision à long terme pour garantir le rendement et le « bon » fonctionnement de l’usine. Les cadres de ces entreprises oscillent en permanence entre la volonté d’automatiser de plus en plus (pour les centres de tri), et l’importance des coûts liés à ces améliorations. Ils tentent de trouver le bon compromis pour rester compétitifs tout en limitant les frais engendrés.

« Moi j’ai vu des centres de tri en Italie, bien moi quand j’ai 20 personnes, en ce moment j’ai 20 personnes dans la salle de tri et bien eux, ils en avaient 6 pour les mêmes cadences. Alors les personnes elles devenaient des contrôleurs, elles ne foutaient rien. Bien sûr c’est bien et on y arrivera. Mais pour y arriver c’est de l’argent. J’ai besoin de 2,5 millions d’euros pour arriver à ce stade […] Alpha les donnera quand ? Quand il y aura le marché, en toute légitimité. En fait mon hiérarchique, il dit faut que je demande à Paris. Le PDG il dit : « moi j’ai une somme, mon entreprise a un niveau d’endettement, je la mets que quand j’ai un retour sur investissement ». Après c’est de l’économie. Donc il faut justifier par un marché. » Directeur centre de tri_31

***

La gestion du traitement des déchets est aux mains des entreprises privées qui, sur le territoire français, bénéficient d’une assise monopolistique territorialisée. Pourtant, nous avons vu que la concurrence entre les filiales de groupe est toujours à l’œuvre notamment lors de la potentielle reconduction des contrats avec les collectivités. Dans les discours, les logiques d’action d’une gestion privée des installations de déchets articulent à la fois la culture de l’entreprise, celle de la filiale, et celle du groupe. Les arguments en faveur d’une privatisation du secteur de traitement s’enracinent dans la valorisation des compétences et de la technicité reconnues des groupes, sur leur capacité à travailler en synergie avec d’autres installations similaires, mais aussi par leur capacité d’investissement dans des installations complexes et de pointe. La logique d’innovation bien que peu exposée se retrouve aussi sur le montage de projet ou sur certains équipements. Les discours publics et privés diffèrent sur le travail syndical mené au sein des entreprises, dans la filiale ou au niveau du groupe. Les questions de la formation professionnelle, de la sécurité au travail sont l’objet de négociations collectives entre les employeurs et les employés. Nous avons pu constater les difficultés des salariés pour leur avancement de carrière, notamment pour les trieurs. Malgré cela, les salariés semblent pour l’instant se mobiliser

53 essentiellement sur la revalorisation de leurs salaires. Pour terminer, et à

la différence des discours publics, les discours privés insistent sur la nécessité de rationaliser le process pour rester à la fois compétitif sur le marché, maîtriser les coûts, accroitre la productivité et anticiper les prochaines normes environnementales. La logique économique prévaut sur la logique sociale.

53

En 2012, 6 centres de tri d’un groupe privé étaient en grève durant plusieurs jours. La première raison de la grève est relative à la perte de la prime d’intéressement basée sur le résultat d’exploitation qui doit être au dessus de 3,5% du chiffre d’affaire pour l’ensemble des 6 sites. Etablie sous des critères techniques, de production et économiques, les 6 centres de tri semblaient ne pas recouvrir les items basés sur ces critères. Un des centres de tri a également protesté (presse, télévision) contre la dureté de leurs conditions de travail et « le manque de respect et de dignité de la part du management de proximité ».

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5 Axe 3 : Les risques : travail contre environnement Cette dernière partie réunie l’ensemble des installations que nous avons étudié sur la thématique des risques. En sociologie, le risque devient un thème central dès les années 1980 avec les travaux Ulrich Beck (1986) et d’Antony Giddens (1994). Le premier souligne que les risques contemporains des sociétés industrielles ne sont plus calculables et contrôlables du fait du surdéveloppement technologique. Le second partage cette même idée lorsqu’il montre « un nouveau profil de risque amené par l’avènement de la modernité », en ajoutant que « les menaces écologiques sont la conséquence d’un savoir socialement organisé, influant sur l’environnement matériel par l’intermédiaire de l’industrialisation »

54. Une situation à risque

convoque sa gestion par le biais de l’instauration de dispositifs sécuritaires ou de contrôle. La sécurité « est liée à la connaissance plus ou moins certaine que l’on a des évènements pouvant altérer le fonctionnement d’un système et aux significations que les acteurs élaborent à partir de connaissances, d’expériences, de calculs ou de croyances » (De Terssac, Gaillard, 2009). La maîtrise et la prévention des risques résultent ainsi de prises de décisions, d’un trava il de négociation et d’une coordination entre ce qui est acceptable techniquement, économiquement et socialement. Elles s’appuient sur la mobilisation d’acteurs variés et concernés (les travailleurs et leurs représentants, les professionnels de la sécurité, les institutions, l’Etat), en ce sens c’est une activité de co-production des normes. Mais avant de continuer de quels risques parlons-nous ? Le risque au sens de Beck, peut-être considéré comme une menace qui a été induite par l’activité humaine. Dans les deux cas, il questionne la relation santé et environnement mais de façon disparate : d’un côté il est exprimé au regard de la santé des trieurs par rapport à leur environnement de travail ; et de l’autre côté il prend corps sous le prisme de la santé publique et des impacts environnementaux que pourraient engendrer les incinérateurs et les centres d’enfouissement techniques. Nous verrons donc que le risque est à « géométrie sociale variable » (Duclos, 1991, p28). En effet, le troisième résultat

55 fort de notre étude est celui de l’opposition fondamentale entre

un discours porté sur l’amélioration des conditions de travail dans les centres de tri de déchets pour atténuer les risques professionnels et d’un discours centré sur la gestion des aléas techniques dans l’incinérateur et dans le bioréacteur pour réduire les incertitudes et le danger des impacts sanitaires et des risques sur l’environnement. Risque du travail et risque technologique

56 ne se pensent pas ensemble, alors qu’on aurait pu penser que les

discours soulignent que la bonne santé des salariés d’une entreprise contribue au bon fonctionnement d’une organisation production et vice versa. On observe aussi une autre opposition encore plus étonnante concernant les porte-paroles de ces discours. Les premiers sur les conditions de travail sont les experts en sécurité, un acteur du marché, et de cadres du secteur public et privé. Les deuxièmes sur les risques technologiques se constituent exclusivement d’opérateurs d’exécution à des niveaux de qualification variés. Les travailleurs s’occupent de risques technologiques et les experts des risques du travail. Beau paradoxe qu’il faudra aussi pouvoir expliquer. Dans les centres de tri de déchets, les menaces et les risques peuvent être caractérisés « d’internes » à l’installation, dans le sens où les discours se focalisent sur les atteintes à la santé des travailleurs. Dans l’incinérateur et le bioréacteur, nous qualifierons les risques comme étant « externes ». Dans ces installations, les discours s’attardent très peu sur des conditions de travail et des risques professionnels. La prégnance des risques industriels et environnementaux de ces installations, en comparaison avec les centres de tri, semble prendre le pas sur ces deux thématiques. Quelles explications et conclusions peut-on en tirer ? Socialement, ces installations sont clairement perçues comme des dangers à l’égard de l’environnement et des populations environnantes. Elles sont sujettes à des inquiétudes au sein de la société française. Le risque sanitaire et technologique, dit « contrôlé » ou au contraire

54

p.116 55

Le troisième axe est celui des risques, il explique près de 8 % des informations de départ. 56

Elle « consiste à prévenir des évènements dont la gravité pourrait être élevée, même si leur probabilité est a priori faible » (Daniellou, Simard, Boissières, 2010)

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« non maîtrisé », est tant relayé par les différentes parties prenantes (professionnels du déchets et associations environnementales) que les aspects relevant du travail des opérateurs semblent ainsi éludés. En somme, la menace technico-environnementale dans les centres de tri apparaît moindre, moins spectaculaire que dans les incinérateurs et le bioréacteur. En revanche, les risques professionnels sont manifestes et perceptibles. A l’inverse dans les usines d’incinération, les questions articulant santé et travail sont atténuées et l’essentiel de la problématique des risques se concentre sur la santé publique. Le terme de « sécurité » et la référence aux « risques » sont donc représentés et définis de différentes manières selon les installations et les acteurs. Cette partie est composée de deux sous-parties illustrant les deux régimes de référence de l’axe « risque » : le travail et l’environnement

- La première concerne la prise en compte des risques professionnels et les manières dont les conditions de travail des opérateurs du tri peuvent être améliorées. Nous verrons que seuls les acteurs de la conception les représentent et que le discours est fortement axé sur la mise en place de nouvelles technologies, de nouveaux équipements et d’aménagements matériels pour assurer la sécurité du personnel. On observe donc à nouveau un cloisonnement entre la conception et le travail de production. Nos entretiens montrent que nos enquêtés ont une bonne connaissance du terrain, mais les trieurs et les agents au sol ne sont que très rarement sollicités et associés par les services d’études ou lors de travaux de rationalisation. Bien que leurs paroles soient prises en compte et que les opérateurs peuvent être intégrés à des groupes de travail (C1 et C2), il semble que les directions cherchent davantage à ce que les agents coopèrent et acceptent les changements plutôt que de compter sur leur entière participation à ces instances. La technique semble être la solution privilégiée pour endiguer par exemple le risque de troubles musculosquelettiques. Dans les retours d’expérience la dimension organisationnelle des centres de tri n’est pas suffisamment prise en compte et rapportée.

- La deuxième sous-partie s’intéresse aux discours portés par les opérateurs de grands

systèmes socio-technique57

, ici ceux travaillant dans l’incinérateur et le bioréacteur. Dans ces installations et plus particulièrement dans l’incinérateur, ces systèmes se caractérisent par un processus complexe, évoluant en fonction de plusieurs facteurs, avec des opérateurs qui tentent d’influencer la dynamique du process pour leur bénéfice direct, ou pour les intérêts industriels qu’ils défendent. L’amélioration de la qualité de l’exploitation est dans les discours centrale et repose sur l’engagement de chacun et du collectif sur la connaissance des procédures et des règles et sur leur respect, afin de garantir le bon fonctionnement de leur usine. La question environnementale structure le déroulement du travail dans l’incinérateur et le bioréacteur. Néanmoins l’action sur l’environnement est ici un moyen et non une finalité. Autrement dit, il s’agit d’œuvrer pour la protection de l’environnement pour garantir le respect des obligations réglementaires pour continuer à produire. Nous verrons que dans ces univers organisés ou en voie de réorganisation (bioréacteur, centre de tri) les nouvelles technologies occupent une place de plus en plus importante et qu’elles sont les supports de nouvelles formes de rationalisation qui se sont développées en vue de limiter les risques. On observe donc une convergence à partir de la technique pour résoudre les risques auxquels font référence les acteurs de cet axe. Dans ce qui suit, nous traiterons ainsi de l’automatisation en tant que complexe de pratiques mises en œuvre par un ensemble d’acteurs qui visent la limitation des risques professionnels ou des risques environnementaux et industriels. Nous comprendrons ainsi que les innovations technologiques et l‘automatisation mêlent des dimensions techniques, sociales et économiques. Les choix techniques recoupent des contraintes et des problèmes de nature variée et interrogent le rapport homme-machine.

57

Soit des systèmes regroupant des éléments techniques et organisationnels en interaction et relativement standardisés autour de normes, de règles et de rôles.

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5.1 Les risques professionnels du tri Ce groupe d’individus est constitué d’experts (Agent de la Caisse Régionale d’Assurance Maladie-CRAM, responsable Eco-Emballages, ergonome) et de cadres du secteur public et privé qui cherchent à définir et à retravailler les normes et les règles du travail et à mettre en œuvre des actions et des mesures sur la prévention des risques professionnels. Ils exposent également leur propre définition de ce qu’est un métier à risque, commentent l’activité de tri et listent les risques professionnels des métiers du tri. On observe alors que tous n’ont pas les mêmes et représentations des risques. Il en est de même pour la définition et l’analyse des Troubles MuscoloSquelettiques (TMS). En outre, ce régime de sens se constitue autour d’acteurs dont le discours est axé sur les stratégies des centres de tri. Les défis qu’ils devront relever dans les années à venir au niveau des conditions de travail des trieurs ; de l’adaptation aux demandes des repreneurs du marché des déchets recyclables ; et des objectifs législatifs en matière de recyclage sont nommés. L’enjeu social « d’humanisation » du travail touche en même temps les objectifs de préservation de l’environnement et des emplois de ce secteur.

Notre exposé se structure autour de quatre points. Nous montrons que la réflexion sur les risques professionnels concerne essentiellement le métier de trieur (1) fédérant un ensemble d’acteurs hétérogènes (extérieurs pour la majorité d’entre eux à ce type installation) qui mettent en place des actions préventives ou mènent un travail d’accompagnement auprès des installations. Ces actions sont disparates et ne sont pas sans difficultés et sans conséquences sur le quotidien des trieurs. Cependant elles cherchent globalement à améliorer le « confort » du trieur qui recouvre plusieurs sens selon les acteurs (2). On observe alors une mouvance vers les technologies d’automatisation pour une performance globale, incluant l’amélioration des conditions de travail et la productivité (3).

Variables Mobilisées Individus du regroupement

Abréviations des postes et fonctions : EE : Eco-Emballages CO_64 : Coordinateur Optitri (service hygiène et sécurité) CRAM : Agent de la Cram DRC_84 : Direction Optitri ER_81 : Ergonome DR_30 : Directeur centre de tri Valori RE : Responsable exploitation centre de tri Optitri

EE_78

CO_64

CRAM_77

EE_79

DRC_84

ER_81

DR_30

RE_29

Centre de tri

Dispositifs et acteurs de prévention des risques professionnels

Elargissement des consignes de tri

Réglementation du travail

Opérateurs de chaîne

Eco-organismes

Santé accidents du travail

Automatisation

Qualité

Clients

Absentéisme

Gestes de tri

Instances participatives

Dispositifs de contrôle de la qualité des produits

Salle de tri (centre)

Tri

Technologies d'automatisation

Acteurs périphériques au secteur du déchet

Automatisation : conditions de travail

Chargement de la chaîne

Recrutements et embauches

Figure 5 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d’importance

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5.1.1 Le centre de tri et la mobilisation pour la prévention des risques professionnels58

Le centre de tri représente dans ce régime de sens la variable dominante, le discours des acteurs étant largement orienté sur cette installation. Cela s’explique par le fait qu’un certain nombre d’entre eux travaillent de très près avec les acteurs du centre de tri (exemple d’Eco-Emballages) ou qu’ils développent et analysent des problématiques particulières qui se posent à cette installation de traitement de déchets (Ergonome_81 ; Cram_77), ou qu’ils en sont des salariés (Coordinateur Optitri_64_64 ; Direction Optitri_84 ; Contremaître d’exploitation_29 ; Directeur centre de tri Valori_30). L’ensemble des installations que nous avons investigué pour ce projet de recherche valorise les déchets ménagers. Les centres de tri procèdent à une valorisation « matière » c’est-à-dire qu’ils revendent les produits triés. Les incinérateurs et le bioréacteur opèrent une valorisation « énergétique » des déchets. Les objectifs de production sont donc différents et les problèmes que ces installations traversent aussi. Comme nous avons pu l’observer sur le premier axe « Travail », les trieurs représentent une catégorie à part dans le secteur des déchets et dans le centre de tri, et ce dernier est aussi une installation singulière dans le secteur des déchets. Comment peut-on expliquer cet engouement et cet intérêt somme toute assez récent pour la santé au travail et les conditions de travail du personnel des centres de tri ? Bien que dès le milieu des années 1990, un ensemble de publications scientifiques soulignaient les principaux risques auxquels sont soumis les travailleurs du tri (Sisgaard et al., 1994 ; Marth et al., 1999 ; Poulsen et al., 1998 ; Lavoie, Guertin, 1999), en France, c’est seulement au milieu des années 2000 que les acteurs de la prévention commencent à se saisir de cette problématique. Il semble que la question de l’amélioration des conditions de travail se pose dans le même temps où les centres de tri sont techniquement en voie de devenir obsolètes

59. Ainsi, faire évoluer

techniquement un centre de tri devient l’occasion de (re)penser l’aspect humain et sécuritaire de ces installations et de porter attention à ces hommes et femmes qui y travaillent. En outre, il a certainement fallu attendre les premiers retours d’expérience, construire de la connaissance autour de cette activité de tri pour évaluer les risques à long terme et prêter attention aux statistiques et aux indicateurs de ce secteur, qui aujourd’hui restent encore peu formalisés.

« Dans la mesure où on est dans une phase de rénovation, donc les premiers centres de tri ont 15 ans à peu près donc là on arrive à une phase où ils sont plus ou moins obsolètes au point de vue des quantités, au point de vue de la technique. […] C’est-à-dire que l’activité arrive, nous, on s’en occupe maintenant mais c’est quand même un peu tard, mais on puise aussi ce que l’on fait aujourd’hui sur le vécu donc on a vu l’activité pendant 10 ou 15 ans, on voit à quoi elle expose les gens, et du coup les personnes qui s’occupent de prévention se disent bon on va quand même faire des choses, y’a des moments opportuns pour le faire c’est la rénovation et c’est notamment faire des documents qui puissent accompagner les entreprises. Donc je veux dire l’expérience du terrain aussi amène… parce que dès lors qu’une nouvelle activité arrive a priori on ne sait pas trop, on ne sait pas trop. » Cram_77

Les experts se sont ensuite de plus en plus intéressés aux centres de tri de par les risques qui sont encourus par les opérateurs dans ces lieux de production, pour mettre au point des recommandations et normes sur la profession, autant au niveau de la conception du centre de tri que des conditions de travail.

58

Variables mobilisées pour cette sous-partie : « Dispositifs et acteurs de prévention des risques ;

réglementation du travail ; opérateurs de chaîne ; santé, accidents du travail ; gestes de tri ; salle de tri ; tri ; acteurs périphériques au secteur du déchet ; éco-organisme ». 59

En 1993, les premiers centres de tri ont été créés, puis se sont largement multipliés, on en compte près de 300 dans le début des années 2000. Par la suite, leur effectif a légèrement diminué (270 en 2007 : 253 en 2011), pour aujourd'hui stagner. (Source : ADEME, « Etat des lieux du parc des centres de tri de recyclables secs ménagers en France », mars 2013)

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Photo 17 : Brochure éditée par l'INRS60

Photo 18: Brochure éditée par la CRAM Photo 19 : Projet de norme

AFNOR61

Les petits centres de tri où la part manuelle reste importante sont considérés comme « archaïques », ne favorisant pas de bonnes conditions de travail. Ainsi, comme dit précédemment, on constate que ces petits centres de tri sont en voie de disparition. Ils se sont reconstruits ou améliorés pour traiter davantage d’apport de déchets en incluant un plus gros degré de mécanisation. À cela s’ajoutent les objectifs de recyclage, le regroupement plus massif de collectivités locales et/ou communes et les évolutions technologiques qui influencent le redimensionnement des installations. Le secteur du tri des déchets semble toujours être dans une phase de construction et d’amélioration.

« On avait des collectivités locales qui étaient de plus petites tailles que ce qu’on peut avoir aujourd’hui, et dans chaque collectivité locale ben pour régler son problème de tri on était obligé de construire son centre de tri, et donc avec peu de moyens, peu de tonnage, donc ils ont fait des petits centres de tri très manuels, et puis il n’y avait pas beaucoup de machines qui existaient sur le marché donc au début voilà. Et les gens ont fait des centres de tri qui ne respectaient peut-être pas en totalité les exigences sociales nécessaires. Et au fur et à mesure on se rend compte qu’il peut y avoir des accidents de travail, des TMS commencent à arriver aujourd’hui, commencent à devenir un peu sérieux, et tout le monde même les élus se rendent compte que le centre de tri sans cabines, le centre de tri avec des conditions de travail pas terribles c’est pas jouable et il faut améliorer les conditions de travail. » Eco-Emballages_78 « Ce qu’il faut savoir c’est qu’un centre de tri ça vit toujours, aujourd’hui vous avez un centre de tri qui est au top, dans 2 ans il sera obsolète. » Contremaître d’exploitation_29

Les experts énoncent les risques professionnels d’autres catégories d’emplois du secteur (exemple des agents au sol, des agents de déchetterie ou des centres d’enfouissement). Mais, les discours se centrent sur l’activité du tri et sur les risques professionnels situés en cabine, en témoigne la prédominance de la variable « salle de tri »

62. Unanimement ce sont ceux liés au

nombre de gestes répétitifs et donc à la contraction de maladie ou d’inaptitude professionnelle (TMS) qui sont les plus rapportés. En revanche, les propos des directions des sites étudiés rapportent que les accidents de travail sont rares et légers pour les trieurs comparés à ceux des agents au sol ou d’autres métiers (collecte et déchetterie). Les agents au sol et de maintenance seraient donc moins exposés aux risques latents mais plus aux risques exceptionnels

63.

60

Institut National de la Recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles 61

Association française de normalisation 62

La salle de tri ou « cabine de tri » représente le lieu du travail et de la production des trieurs. 63

Nous entendons par risques latents ceux qui sont notamment liés au développement de troubles musculosquelettiques.

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« Après depuis 2004, on a des statistiques que l’on tient à jour, donc d’une façon globale on voyait le nombre d’accidents de travail augmentait à Optitri, chez les trieurs il y en a pas beaucoup, très très peu, là où il y en a plus si au niveau des agents de maintenance qui sont un peu plus confrontés aux risques professionnels. Les trieurs eux, c'est plus les maladies professionnelles puisqu’ils sont en gestes répétitifs et en accident de travail. Les risques c'est ceux (agents au sol) qui utilisent des engins, qui interviennent sur des machines en mouvement, c'est vraiment sur des équipements à risques professionnels. » Coordinateur Optitri_64

Depuis 2012, travailler dans le secteur des déchets impose de mettre en place une surveillance médicale renforcée, car les agents de collecte et de traitement des déchets peuvent être exposés à des agents biologiques (du groupe trois ou quatre)

64. De fait, réglementairement

c’est l’un des premiers risques professionnels identifiés. Mais dans les entretiens il est peu cité par les experts. Présent et pris en compte dans les analyses, il n’apparaît pas aussi prégnant que ceux qui relèvent de la souffrance des corps et des dangers avérés (piqûres).

« Je vous dirai oui parce qu’on est soumis, et là c'est réglementaire à la SMR, c'est la surveillance médicale renforcée, du fait que l’on soit en exposition avec les déchets. Donc c’est-à-dire qu’au lieu de passer une visite médicale tous les 2 ans, nos agents ont l’obligation de faire une visite une fois par an. » Coordinateur Optitri_64

Notre propre expérience de terrain au poste de trieur montre que le risque d’exposition aux agents biologiques n’est pas une exception ou un phénomène épisodique, mais au contraire il est bien régulier. En effet, il ne s’est pas passé une semaine sans que je ne sois souillée par des déchets ou que l’on me rapporte des risques d’exposition relativement graves à matières non recyclables (bris de verre, objets tranchants, seringues etc.).

Cas 1 : Aujourd’hui sur la ligne des creux, Elsa postée sur le premier poste trie le PEHD (bouteilles blanches) et le refus du flux des déchets. Le tapis est chargé et tout le monde va très vite pour opérer un tri propre. D’un coup, Elsa se met à crier et quitte précipitamment son poste de travail sans rien nous dire. Elle revient 10 minutes plus tard, et nous explique qu’elle a reçu un liquide blanc dans les yeux, elle nous dit qu’elle a eu peur et qu’elle n’osait pas rouvrir les yeux, d’autant qu’elle ne sait pas ce que c’est. Benjamin lui dit qu’elle a sûrement reçu du lait et qu’elle ne devrait pas s’inquiéter. La chef de cabine lui a donné la possibilité de se rincer l’œil à l’eau. Cet incident n’a pas été l’objet d’une remontée au niveau hiérarchique. Cas 2 : Je suis au pré-tri avec Édouard, alors que nous trions les cartons et le refus, en retirant un sac de la poussière bleue s’en échappe. La cabine de tri devient irrespirable, j’observe que la poussière laisse des traces sur les fenêtres, sur nos mains gantées et sur nos têtes. Nous décidons d’arrêter la ligne en urgence et de quitter le poste, le temps que la poussière retombe. Après une courte discussion avec Édouard et le chef d’équipe, nous estimons que cette poussière devait être de la bouillie bordelaise. Est-ce que l’on risque quelque chose ? Est-on sûr que c’est inoffensif ? Cas 3 : J’ai appris qu’une de mes collègues intérimaire de l’autre équipe a été brûlée aux bras par un liquide contenu dans une bouteille. La chef de cabine nous demande de faire attention aujourd’hui au chargement, de ne pas trop brasser le produit et qu’en cas de doute sur une bouteille de la mettre directement au refus. Notes de terrain

Le rapport à ce risque est particulier que ce soit pour les agents de tri ou pour la direction. Contrairement aux douleurs physiques qui peuvent être journalières et entêtantes ou au risque de piqûre, l’exposition aux agents biologiques est relativisée voire banalisée et ne semble pas être estimée comme un danger immédiat. Même si ce risque est vecteur d’inquiétudes il n’est pas celui sur lequel nos enquêtés experts s’attardent dans leurs propos. Comment comprendre la banalisation ou le déni de ce risque ? Il est reconnu et rapporté dans chacun de nos entretiens, mais il est considéré exceptionnel, car selon eux (et dans nos terrains) aucun salariés n’a encore été contaminé. La fréquence de piqure est dite « rare », enfin le risque de contamination jugé «minime ». Doit-on en déduire que le risque est maîtrisé ? La question reste ouverte. Ajoutons, la difficulté de pouvoir endiguer ce risque et de trouver des solutions pour

64

Article R4624-18

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que les déchets impropres et dangereux ne se retrouvent pas en centre de tri. En effet, que ce soit pour les professionnels du déchet ou pour les acteurs de la prévention, il est compliqué tant techniquement que socialement d’influer sur les pratiques de tri des usagers. Mais alors qu’est-ce qui est directement visible et reconnu par les salariés et les directions ? Quels sont les risques répertoriés et identifiés des agents de tri ?

65 Là aussi, nous voyons que

la question mérite d’être posée à chacun de nos acteurs car les réponses diffèrent. La définition du risque, les risques professionnels et la mise en maladie ne sont pas appréhendés ni reconnus de la même façon selon les acteurs. Pour certains l’activité du tri n’est pas plus risquée qu’un autre métier, pour d’autres les discours indiquent qu’elle comporte et recouvre de multiples aspects risqués. Ils peuvent être d’ordre physiques (gestes répétitifs, TMS, bruit, fatigue), psychosociaux (stress), ou relever des aspects techniques (les équipements et conception du centre). Il réside ici un enjeu fondamental de la reconnaissance du métier de trieur qui passe par la connaissance du fonctionnement de ces installations et de ces risques.

« Quels sont les risques dans les centres de tri ben y’a des risques que le personnel peut avoir de heurts avec les camions, avec les engins qui circulent à l’intérieur […] Y’a des risques aussi, y’a quand même un bon nombre de TMS, d’arrêts de travail pour ça […] Deuxième sujet on s’est dit aussi la qualité de l’air à l’intérieur des cabines de tri […]. » Eco-Emballages_78 « Les trieurs eux, c'est plus les maladies professionnelles puisqu’ils sont en gestes répétitifs et en accident du travail c'est ceux qui utilisent des engins, qui interviennent sur des machines en mouvement, c'est vraiment sur des équipements à risques. En accident de travail pour les trieurs c'est tout ce qui lié aux piqûres avec les seringues, des coupures avec du verre, des glissades quand ils sont amenés à se déplacer mais vu qu’ils bougent pas énormément, après ce que l’on peut avoir aussi c'est une fatigue visuelle du fait de suivre tout le temps la matière. » Coordinateur Optitri_64 « Au tri non, c'est pas un métier à risque le tri. C'est un métier à risque mais mineur effectivement nous les dangers majeurs c'est l’incendie, la piqûre, et après c'est l’écrasement par les engins qui circulent, et c'est la presse à balle qui est un outil très dangereux, qui presse à 200 tonnes, mais pas plus que d’autres. On a identifié les risques, on les maîtrise, on a mis des choses en place pour les limiter : des instructions, des procédures, des équipements, on n’est pas plus à risque que les métiers externes sur lesquels il n’y a pas grand-chose à faire. Et puis quand on regarde bien tous les métiers sont à risques. » Directeur centre de tri Valori_30

À travers notre analyse, les risques de TMS du fait des gestes répétitifs et les dangers de piqûre sont les plus cités et discutés. Ce sont aussi ceux sur lesquels il est le plus difficile d’agir. Dans les trois centres de tri étudiés, une procédure est appliquée lorsqu’un agent se fait piquer par une seringue. Elle consiste à être suivie médicalement à l’hôpital pendant plusieurs mois. Lorsqu’il y a des animaux morts sur la chaîne, là aussi une procédure de désinfection est mise en place. Mais nos observations montrent qu’elle n’est pas respectée « à la lettre » et qu’elle n’est pas toujours exécutée. De plus, elle reste dépendante de l’avis du chef d’équipe et est opérée en fonction de la taille et corpulence du cadavre.

65

En 2008, une fiche médico-professionnelle a été produite par un groupement de médecins du travail.

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Photo 20 : Procédures en cas d'accident d'exposition Photo 21 : Procédure de nettoyage à C2

Les expositions aux poussières, aux agents biologiques, au bruit et aux variations thermiques sont aussi mentionnées en particulier par les travailleurs du tri et par la Cram. Pour pallier à cela des solutions techniques se mettent en place avec plus ou moins de réussite, selon les projets d’amélioration ou de conception des centres de tri

66.

« Donc la problématique des trieurs c’est les problèmes de TMS, et après y’a le risque biologique, dit de biologie, c’est le fait de respirer des poussières, des moisissures, tout au long de la journée. » Cram_77 « On a travaillé sur la poussière en process de tri, on n’a pas fini parce qu’il y a eu des problèmes, donc là la collectivité doit réinvestir là-dessus. » Eco-Emballages_79 « On a fait fermer toutes les goulottes qu’il était possible de fermer pour éviter les remontées d’air froid ou de poussière.» Contremaître d’exploitation_29

Photo 22 : Accumulation de poussières sur des balles de produits

Les institutions et acteurs du déchet se sont donc aujourd’hui saisis de la question des conditions de travail dans les centres de tri, et les partenariats et recherches se multiplient. Les acteurs se regroupent et s’organisent pour créer des recommandations et les faire appliquer sur le terrain. Ainsi, des institutions, des représentants des installations et des concepteurs se fédèrent autour de l’élaboration d’une norme AFNOR

67. Un autre regroupement se joue à

l’intérieur des usines ou du groupe : le coordinateur sécurité d’Optitri met en place des groupes de travail ; à l’intérieur des CHSCT mais avec plus de difficultés dans le cas de Valori ; ou encore par l’intervention d’ergonomes et de bureau d’étude dans les sites.

66

Rapp. R., Fontain.J.R., Henry F., et al., « Diffusion de l’air dans les salles de tri des centres de traitement des ordures ménagères ? Quelle ventilation au poste de travail » Hygiène et sécurité du travail,

2eme trimestre 2009, 215, 12 pages 67

Trois groupes de travail ont été constitués réunissant sur le papier X partenaires pour l’écriture de la norme.

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« [le CHSCT] Il n’apporte pas grand-chose. […] Moi j’ai essayé de travailler avec le CHSCT, j’ai essayé de voir la personne qui est représentant ici pour lui dire de venir me voir avant qu’il parte en réunion, qu’on puisse discuter, mettre des choses en lumière ensemble enfin qu’on travaille ensemble, moi j’ai vu plein de choses lui en a vu d’autres, donc l’idée c'était de partager, et de voir ce qu’on pouvait faire déjà nous, par contre on peut avoir de manière commune si on a des intérêts communs, toi tu en parles au CHS moi de mon côté pour voir si on peut arriver à avoir des investissements pour atteindre un objectif commun, mais bon ça a fonctionné 3 mois. Dommage… » Directeur centre de tri Valori_30 « […] J’ai une collègue à la branche QSE (Qualité, Sécurité, Environnement) qui a dû y aller, et en fait on initiait le même travail, elle voulait qu’on initie exactement le même travail chez X mais je lui ai fait mais attends, ils font la même chose à l’AFNOR on va peut-être… donc on a cette démarche aussi en interne qui consiste à ben mettre plusieurs experts des domaines pour réfléchir à de nouvelles manières. » Ergonome_81 « Depuis le début avec l’INRS on s’est préoccupé des conditions de travail et ce depuis 2001 et je suis le seul rescapé du groupe de travail 2001 à être encore sur le sujet aujourd’hui […] Si ces recommandations étaient appliquées au top, au niveau haut des recommandations je pense que les conditions de travail dans les centres de tri seraient meilleures, et il s’avère que depuis 10 ans il s’améliore un certain nombre de centres de tri où les conditions de travail restent encore pas toujours terribles, et avec donc la personne de l’INRS qui pilotait la dernière rédaction de la brochure, je lui ai demandé comment on pouvait aller plus loin face à cet échec je dirais, y’a un document il n’est pas respecté, donc il me dit on peut aller un peu plus loin en travaillant, en demandant à l’AFNOR de travailler, en allant un peu plus loin avec l’AFNOR, d’où ce groupe de travail qui a été créé. » Eco-Emballages_78 « C’est aussi important pour nous parce que c’est l’image du métier, c’est-à-dire que si on a un métier, et c’est ce que je demandais, si on fait travailler des gens dans des conditions pas raisonnables, et c’est ce que je dis encore aujourd’hui, ça nous retombera dans la gueule, on voit l’amiante, on ne peut pas mettre en place une politique à long terme avec des salariés qui travaillent dans des conditions inacceptables, ce n’est pas possible. Et aujourd’hui chez nous je crois qu’on l’a compris, c’est pour ça que je continue de travailler avec l’INRS, on travaille avec l’AFNOR, et dès qu’on a un problème de conditions de travail, qui peut s’avérer de conditions de travail, on ne joue pas à l’autruche, on le prend et on regarde. » Eco-Emballages_78 «Y’a un groupe de travail au niveau de l’AFNOR qui a décidé, alors ça s’est fait à l’initiative d’Eco-Emballages, qui a demandé à ce qu’on normalise les cabines de tri. Donc participe à cette normalisation Eco-Emballages, les gens de l’AFNOR qui en assure le secrétariat, une personne de l’INRS qui est spécialiste du sujet et après des professionnels donc on a des bureaux d’étude, des installateurs, et on a des concepteurs de machines. Et donc dès lors que j’ai eu connaissance de ce groupe de travail j’ai demandé s’il y avait des services prévention qui étaient présents et y’en avait pas. Donc moi j’ai demandé ici à ma direction parce que je trouvais intéressant d’y participer, donc on a accepté que j’y aille. » Cram_77

Ici, nous pourrions nous étonner qu’une partie importante du discours d’Eco-Emballages porte sur les questions de conditions de travail dans les centres de tri. En effet, Eco-Emballages est une société privée. La plupart des industriels de l’emballage adhèrent à cette structure afin de répondre à l’obligation légale de valorisation des emballages. Le produit de leur contribution est utilisé pour soutenir financièrement les opérations de collecte sélective et de tri menées par les collectivités locales. De prime abord, l’étude et la prévention des risques professionnels ne font donc pas partie de leurs missions. Pourtant, on observe qu’en tant qu’acteur du secteur du tri, il pilote des études réalisées sur l’amélioration des conditions de travail par l’optimisation (rationalisation) des process. De plus, le nouveau barème E intègre des « cibles sociales » en prenant en compte l’effectif en nombre de poste de la collecte sélective par tonnes recyclées, et le nombre d’accidents de travail.

« On a mis en place dans notre dernier barème, on a un soutien qui s’appelle soutien au développement durable, avec une analyse de coût, les 3 piliers du développement durable, le coût, donc l’environnement c’est les tonnes, et les conditions de travail, et donc y’a une aide, un soutien, alors je ne sais pas les conditions de travail elles doivent

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peser 2 % donc le nombre de salariés et nombre d’arrêts de travail dû à la collecte, donc il y a un calcul un peu compliqué, enfin bref, mais même dans le barème on a inclus cette dimension. » Eco-Emballages_78

La question des risques est fortement présente dans les discours de ce groupe d’acteur experts en particulier ceux encourus par les opérateurs de chaîne. Cela peut s’expliquer par le fait que les réponses pour les risques exceptionnels des opérateurs hors chaîne sont mises en place depuis de nombreuses années par le biais des procédures et des formations déjà existantes dans d’autres secteurs pour limiter les accidents. Dans le cas des risques latents, la réponse à formuler pour les circonscrire semble plus complexe à trouver car le travail de chaîne et les gestes répétitifs sont deux éléments constitutifs de l’activité de tri. Du fait de l’apparition de maladies professionnelles, d’absentéisme important dans certaines installations, un ensemble d’actions se met en place pour remédier aux difficultés de l’activité du tri. Les solutions semblent donc devoir être multiples et complexes. Elles doivent intégrer à la fois des problématiques humaines (comment sensibiliser et changer les pratiques des travailleurs ?), le fonctionnement des machines (comment pourraient-elles améliorer les conditions de travail ?). Dans le point qui suit, nous constatons que les initiatives et les interventions sont hétérogènes et qu’elles sont orientées vers l’aménagement du poste du travail, vers le contrôle des conséquences des pathologies et finalement vers le travailleur lui-même.

5.1.2 Des actions variées qui visent l’amélioration du « confort »

68 du trieur :

contradictions, difficultés et conséquences incertaines69

Ainsi, on observe un ensemble d’acteurs qui se mobilise autour de cette nouvelle activité et de ces nouveaux métiers qui existent pourtant depuis une vingtaine d’années. Sans être concertées et partagées, les actions préventives et curatives sont diversifiées sur les sites de production : intervention de bureau d’étude, de cabinet d’ergonomie, de la médecine du travail, mise en place d’améliorations disparates au sein des usines portées par les agents de maintenance ou par les idées d’intervenants extérieurs, sensibilisation auprès des architectes et des concepteurs d’usine ou de process. Ce faisceau d’acteurs a sa propre culture de métier, ces propres visions du métier de trieur, et défend ses intérêts. Sans que cela mène à la confrontation, on n’observe pas de coordination poussée, voire d’uniformisation des pratiques pour améliorer le quotidien de ces travailleurs. Cela peut s’expliquer en partie par des différences notables au niveau technique, managérial et organisationnel entre les centres de tri, et par une difficile articulation et visibilité des retours d’expérience, notamment lorsqu’elles devraient prendre en compte le vécu de ces transformations par les trieurs. Le problème principal nous semble résidé dans le fait que le trieur est d’une part absent des instances qui visent l’amélioration des conditions de travail, et d’autre part qu’on ne les interroge pas, ou très peu sur leur propre ressenti et vécu à la suite de travaux de rationalisation ou d’amélioration. En outre, comme le confirme l’ergonome d’un groupe privé, chacun de ces acteurs œuvrant aux transformations et changements dans un centre de tri, a sa propre vision de ce qu’il convient d’améliorer. Or, cet expert montre parfois le fossé entre ce qui est recommandable et réalisable. Autrement dit, qu’est-ce que permet vraiment la réalité du terrain, est-il aisé de coordonner des objectifs de prévention et de sécurité aux objectifs et contraintes économiques ? De la même façon, l’un des enquêtés relate aussi parfois des contradictions dans les recommandations émanant de différents acteurs, la difficulté pour lui étant de savoir laquelle conserver voire adopter.

« On avait vu un document qui conseillait, ça devait être de l’INRS, une cadence gestuelle qui était irréalisable en fait, c’est ça que j’ai du mal à… donc voilà on fait c’est super bien, on a fait plein de calculs, y’avait un algorithme qui avait été fait pour

68

Nous reprenons le terme de « confort » car il est utilisé régulièrement dans les entretiens par ce groupe d’acteurs et par les trieurs. 69

Les variables mobilisées de cette sous-partie : « Automatisation ; instances participatives ; technologies

d’automatisation ; automatisation : conditions de travail ; chargement de la chaîne ».

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dimensionner le nombre d’opérateurs nécessaires en fonction du flux de déchets, très bien, l’exploitant il arrive il fait c’est génial mais là vous m’en enlevez 30 % parce que sinon je ne tiens pas les comptes d’exploitation, donc dimensionner on peut très bien le faire, c’est pas plus de 1 500 ou 2 000 gestes, faut le concevoir comme ça le centre etc., et derrière il y a la réalité de dire mais attendez je n’ai pas les sous, il faut un chausse-pied pour mettre ça dans un centre de tri, y’a pas la place etc. . » Ergonome_81 « Par exemple on a des médecins du travail qui ont des avis différents et qui disent par exemple qu’il vaut mieux ne pas faire tourner les agents. Aujourd'hui, il y a trois séquences de 2h15 de travail, et à chaque fois on change de poste. Et certains médecins qui disent non, il vaut mieux rester car le corps s’habitue plus facilement et il n’y a pas le stress de chaque changement de postes, et ils nous disent si vous respectez les recommandations de la Cram il vaut mieux ne pas les faire tourner… voilà ce qu’ils nous disent en tout cas moi je ne suis pas expert… » Direction Optitri_84

S’ajoutent des difficultés à trouver les bons dispositifs techniques correspondants à l’activité, sans aggraver la situation pour les trieurs comme en témoigne l’agent de la Cram.

« Donc l’INRS avait travaillé avec des ingénieurs sur les systèmes de ventilation […] En l’occurrence c’est de mettre l’opérateur dans un flux d’air laminaire c’est-à-dire que s’il est en contact avec des poussières, les poussières sont rabattues vers le sol. Donc il y a beaucoup de contraintes, c’est-à-dire que si on veut que ce soit accepté par l’opérateur il faut travailler sur la maîtrise de la température de l’air et sur la maîtrise de la vitesse de l’air. Dès lors que vous dépassez une certaine valeur, 0,3 ou 0,4 mètre/seconde, ça devient insupportable au niveau des épaules, des cervicales, donc c’est l’air trop froid ou trop chaud et une vitesse d’air excessive. Donc ça, c’était compliqué, d’autant plus que les gens qui installent ces dispositifs installent des climatisations, et le dispositif en question ce n’est pas un dispositif qui climatise la cabine, c’est un emplacement dans un flux d’air laminaire. Et donc là il a fallu travailler sur un cahier des charges pour faire en sorte que ce soit respecté, et donc les gens qui installaient le matériel ne savaient pas trop ce qu’on leur demandait et arrivaient avec ce qu’ils savaient faire c’est-à-dire des systèmes de clim. Sauf que quand vous voulez climatiser une journée d’août où il fait 35 vous envoyez de l’air à 16°, dans un bureau ça vous convient mais là au-dessus de la tête c’est insupportable, donc c’est ça la difficulté. » Cram_77

Enfin, il s’agit aussi d’observer et d’analyser les conséquences de ces transformations sur le travail des trieurs. Les propos de l’ergonome montrent la difficile cohésion entre les nouvelles transformations et le travail du tri tel qu’il est pensé et opéré par les trieurs.

« On fait une réunion d’information sur la techno qu’on va apporter et ça dérive sur les conditions de travail et sur la reconnaissance de la qualité du travail parce que c’est ça qui est le plus important pour eux… ce qu’ils cherchent à faire en tant qu’opérateur c’est de la qualité au-delà même de sa santé généralement il va trier plus que nécessaire, par exemple il faut atteindre 97 % de pureté donc 3 % de refus, souvent ce qui se passe c’est que les opérateurs vont atteindre plus, dès qu’ils peuvent, sauf que ça ne va pas être forcément un plus ou alors les directions vont essayer de leur dire essayer de faire un peu moins, après c’est difficile de calculer là je suis à 97 % mais ils vont demander de baisser un peu la cadence etc. pour justement se préserver, et c’est tout un travail très long pour pousser les opérateurs à dire ben finalement prenez moins, vous avez atteint votre niveau, ça n’a pas de sens pour les opérateurs, lui le but c’est de faire le maximum et donc ça défi la logique des ingénieurs, ils disent attendez, ils ont des problèmes de TMS, on leur demande d’en faire moins ils en font plus c’est quoi cette histoire s’ils ne veulent pas… oui mais y’a le sens du travail, ce qu’ils ne peuvent pas supporter c’est d’avoir des tonnes et là ils font « mais attendez à quoi ça sert, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse, le boulot ne sert à rien », c’est plus ces questions-là qui sont en fait vraiment… je ne sais pas comment dire, c’est ça qui va faire bondir les opérateurs en réunion, plus que généralement la nouvelle techno ils s’en foutent, ça ne leur parle pas vraiment, ça va plutôt directement se recentrer sur mais attendez, là nos résultats de qualité, les aménagements etc. » Ergonome_81

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Pour améliorer le confort des trieurs chez Optitri il s’agit d’abord de prendre en compte les revendications des trieurs. Le service hygiène et sécurité exprime qu’elles peuvent être diverses et concerner la température de la cabine, le changement d’équipement de protection individuelle (exemple des chaussures de sécurité et des gants), l’ajout de tapis anti-fatigue, l’amélioration des rehausseurs (poids et malléabilité). Autant d’éléments qui tendent à justifier que les trieurs souhaitent améliorer leur quotidien et leur situation de travail. À Valori, au fil des années on a observé également des changements visant à encourager le confort et la sécurité des trieurs : la rotation sur les postes, l’instauration dans les cabines de tri de rince-œil, l’établissement d’une boîte à idée, la demande de la participation des trieurs à l’élaboration d’un nouveau rehausseur, la mise en place de chaise ou tabouret pour certains postes (qui aujourd’hui n’existent plus). Ici, les actions préventives partent de l’existant, elles ne se traduisent pas par une profonde restructuration des cabines ou du centre de tri, en somme elles apportent des ajustements et des arrangements localisés. En ce qui concerne la prévention des risques latents elle passe aussi par la formalisation d’un plan de prévention chez Optitri, puis par la formation et la sensibilisation des agents. Dans cette structure, les agents ont été associés à l’identification des risques. Certains d’entre eux sont devenus des agents chargés de la mise en œuvre des règles d'hygiène et de sécurité (ACMO). Ils sont des interlocuteurs privilégiés pour le service hygiène et sécurité. Ils sont à la fois des relais et des appuis pour sensibiliser les travailleurs à leur propre sécurité, mais aussi leur propre expérience du terrain est prise en compte pour mettre en place des évolutions, discuter de leur problématique, faire remonter des dangers ou risques sous jacents etc.

« On avait des ACMO, ils étaient déjà là quand je suis arrivé étant donné que c'était réglementaire ils étaient là, ils avaient été formés, mais ils n’avaient jamais été sollicités, ils suivaient la formation continue mais ça s’arrêtait là. Trouvant cela dommage, ce sont des référents sécurité, ils sont formés sur la prévention et je trouvais dommage de ne pas les solliciter pour transmettre l’information sécurité, pour qu’il puisse communiquer dans la mesure où moi je ne peux pas être sur tous les sites, et tous les jours. […] Alors ils ont été engagés en 2009, pour former justement. Au-delà de mettre en place des actions de prévention des actions de sécurité, ils sont efficaces que si les agents ont la connaissance de ce qu’on met en place et notamment de la sécurité. Donc ce plan de prévention prend en compte aussi la formation à la conduite en sécurité de nos engins, des formations de sécurité au niveau des équipements, formation gestes et postures qui ont été réalisé également, des formations ACMO, formations SST (Santé, Sécurité au Travail) en cas d’accidents de travail où ils peuvent intervenir avec un aspect de secouriste au travail et avec un aspect prévention pour leur montrer également qu’ils sont acteurs de la prévention, des formations pour l’utilisation des EPI. Donc on a voilà de nombreuses formations, un panel très important, et on a recensé que plus de 80 % du personnel a été formé, a suivi une formation en sécurité. » Coordinateur Optitri_64

Cependant, on peut voir au travers de l’exemple de la formation « gestes et postures », réalisée dans deux des centres de tri étudiés, que les trieurs ont un jugement assez dur envers l’utilité de ce type de formation « pas adapté» au métier de trieur. On observe par l’analyse qualitative que dans ce cas les actions de prévention sur les risques professionnels des opérateurs semblent peu efficaces. Il existe ici un écart entre l’objectif des actions et leurs effets sur le quotidien des trieurs.

« Gestes et postures, mais ça ne servait absolument à rien, le mec il nous a fait… je l’ai dit à mon directeur euh… je ne sais plus comment il s’appelle… X, je lui ai dit, il n’a pas apprécié, je lui ai dit que la formation gestes et postures oui c’était bien, le mec nous a dit comment il fallait porter du poids en s’accroupissant, mais déjà ici on n’en a pas besoin de s’accroupir, on ne s’accroupit pas ici. Nous, ce que l’on demandait c’était au niveau des bras mais le mec n’a pas été foutu de nous dire quoi que ce soit, le seul truc qu’il nous a dit c’est qu’il fallait aller à Lourdes. » Trieuse_12 « Ils voulaient si tu veux que tous les agents puissent bénéficier de formation, c'est très louable, seulement une formation de trieur ça n’existe pas. Donc ils ont créé cette pseudo-formation gestes et postures, et donc ça faisait une formation pour les trieurs. Mais en fait ce qu’il nous a fait c’était plus pour les autres boulots, c'est vrai que trieur

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c'est un peu spécial, il ne connaissait pas le problème des gestes répétitifs, il n’avait jamais vu, alors il nous expliquait comment soulever un poids mais nous, on s’en fout. » Trieur_1

L’amélioration du confort pensée par la Cram ou par l’ergonome est plus orientée sur des transformations importantes, qui impliquent des changements techniques beaucoup plus poussés. Pour la Cram, cela n’impose pas forcément l’ajout de nouvelles machines, il s’agit de prêter attention au bâtiment et à la conception de chaque équipement (largeur des tapis, position de tri, éclairage naturel), et de laisser à l’opérateur la possibilité d’avoir la main sur la vitesse du tapis. Il s’agit donc d’associer les concepteurs de centres de tri à ces activités pour qu’ils participent à la sécurité des travailleurs. Pour l’ergonome l’amélioration du confort se conjugue par l’incorporation de nouvelles technologies et d’automatismes.

« Parce que parfois, et dans beaucoup de cas, le bâtiment conditionne l’activité qu’il y a autour et donc dans certains cas le bâtiment en lui-même peut améliorer les choses ou peut les compliquer. […] Avec nos recommandations, si on veut faire travailler les opérateurs dans des conditions dites de confort, il faut travailler dans un angle à 120°, donc j’ai le tapis, j’ai 120°, donc distribuer les goulottes pour que je sois à 120, et donc c’est pas simple ça, c’est pas avec une position face au tapis que vous pouvez […] Ils ont trouvé un système assez intéressant parce qu’on ne veut pas donner la main aux opérateurs pour régler la vitesse, ça dans l’esprit des gens c’est inconcevable, bon et pourtant dans certains cas où ça a été fait, ça marche mais ils ont la peur de perdre la main alors que les tonnages sont quand même réalisés à la fin de journée mais bon. Par contre ils ont trouvé une solution intermédiaire c’est dès lors qu’il y a un amoncellement de produits, l’opérateur a la possibilité de réduire la vitesse d’un seul coup, par contre ça la réduit pendant un certain temps c’est-à-dire 20 secondes, 30 secondes, donc du coup les personnes n’ont plus à s’agiter de la sorte, elles traitent le problème d’amoncellement mais du coup ont du temps, et au bout de 30 secondes le tapis revient à sa vitesse nominale. » Cram_77 «On avait soit des approches très innovantes, qui sont toujours en cours, enfin très innovantes, on fait de l’automatisation beaucoup […] Faire des nouvelles machines qui permettent soit de trier des déchets qu’on ne peut pas aller forcément chercher avec des opérateurs, soit trier davantage. » Ergonome_81

Comme nous l’avons vu au travers de l’analyse de l’axe 1 (le travail), l’activité de tri a encore un recours important aux activités manuelles et présente de nombreux problèmes en matière de sécurité, de santé, et de manque de perspectives professionnelles. Les problèmes sont d’abord liés aux formes d’organisation du travail, notamment le travail à la chaîne, qui impose un rythme aux collectifs de travail. L’opérateur, debout durant 7h, est amené à effectuer plus de 1 500 gestes à l’heure avec des pics à 3 000 voire 4 000 pour plusieurs postes. La tâche de l’agent de tri peut fortement se complexifier, notamment lorsque ce dernier doit retirer jusqu’à 6 produits différents

70. De plus,

dans le cas des centres de tri qui traitent des apports collectés en sacs, le travail des opérateurs est d’autant plus physique au niveau ergonomique, en raison de l’élévation des membres supérieurs (cf. photo ci-dessous) lorsqu’il faut secouer le sac plastique pour que les emballages ménagers tombent sur le tapis afin qu’ils soient triés. En vue de sensibiliser les collectivités à cette problématique, la direction d’Optitri a mis en place une majoration de 5 euros par tonnes pour les apports en sacs pour les inciter financièrement à changer de mode de collecte. Le geste de tri reste donc au centre des préoccupations de la problématique des risques professionnels car il est le premier facteur des lésions musculaires.

70

Ce résultat provient des observations réalisées dans un des centres de tri étudié. En bout de chaîne sur la ligne de plat, le dernier opérateur doit enlever : du refus (goulotte droite), du PEHD (goulotte gauche), des tétras (goulotte face à lui), bouteille (poubelle 1), alu et ferreux (poubelle 2).

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Photo 23 : Au pré-tri : secouer les sacs

Un autre problème récurrent est la variabilité des apports sur la chaîne. Lorsque le tapis est chargé, les gestes sont indubitablement multipliés, le stress est augmenté, l’attention continue est redoublée et le sens du travail est altéré du fait de l’incapacité de pouvoir faire de la qualité.

Photo 24 : Variabilité des apports et "tapis chargé"

Dans les discours, l’industrialisation et la rationalisation de ces usines de tri devraient permettre l’amélioration des conditions de travail, la diminution des gestes de tri et limiter des risques professionnels. Bien entendu, le coût financier des changements techniques à apporter est mis en avant dans les discours. Mais, nous allons voir que les changements techniques ne sont pas seulement pensés et adoptés en fonction de la sécurité des agents. L’adaptation au marché du déchet est aussi un des arguments énoncés dans la nécessité des améliorations à soutenir au centre de tri . Dans les discours, il n’y a pas toujours de référence directe aux conditions de travail et à la pénibilité du tri pour justifier des changements. La question du coût économique des transformations est également présente dans le discours d’Eco-Emballages et de l’ergonome. La manière dont elle est présentée sert à légitimer, à nouveau, la construction de centres de tri plus productifs et à plus haut rendement. Ainsi, améliorer les conditions de travail ne peut se faire qu’en concomitance avec des enjeux liés à la productivité de ces installations.

« Pour améliorer un process, vous comprenez bien que financièrement, c'est énorme, tout investissement doit avoir… il y a un temps de retour, et aujourd'hui mes tonnages n’augmentent plus donc il est mal de justifier des évolutions. J’en fais quand même pour énormément des raisons de sécurité, donc c'est sur l’amélioration de la sécurité que se font essentiellement les améliorations et sur également au niveau de l’anticipation des évolutions, pour qu’on ait des coups d’avance et pas des coups de retard. » Directeur centre de tri Valori_30

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« Quand j’ai commencé à travailler avec les gens de l’INRS sur les conditions de travail certaines personnes bien intentionnées on dit c’est pas possible, ça va coûter cher […] » Eco-Emballages_78 « Pour faire simple, dans un petit centre de tri, un ouvrier trie l’équivalent de 150 kg par heure de produits, si demain sur un centre de tri moderne il en trie 600 ou 800, il est économiquement plus facile de lui faire une ambiance de travail confortable, de lui faire quelque chose de confortable s’il traite 800 kg que s’il en traite 150 puisque la dépense qu’on va apporter pour lui faire un poste de travail, une table, une chaise, de l’éclairage, etc. confortable, ben ça va coûter 3 ou 4 fois moins cher parce qu’il va plus trier, donc on peut plus facilement lui offrir des conditions de travail normalement satisfaisantes. » Ergonome_81 « Si on avait voulu optimiser à fond on en mettait une de plus [tri optique], on gagnait 10 emplois pour 250 000 euros ça c'est sûr, on serait dans une logique de rentabilité beaucoup plus forte. Les coûts du personnel dans le centre de tri c'est 70 % donc pour une rentabilité meilleure il faut toucher à la main-d’œuvre. Nous, on a amélioré notre rentabilité mais il faut aller la chercher ailleurs, c'est dans la qualité. » Direction Optitri _84

On voit ici que les améliorations de process et de nouvelles machines peuvent renforcer la sécurité des agents ou tout du moins limiter les risques d’accidents de travail ou de maladies professionnelles. Nous avons vu qu’une première réponse aux risques professionnels dans les centres de tri pouvait être donnée par la formation et la sensibilisation des agents. La deuxième semble passer par une rationalisation des centres de tri, et donc par une modification et un potentiel allégement du caractère intensif du travail des trieurs, par la diminution des gestes de tri. Ainsi, ce nouveau contexte économique et technique favorise le redimensionnement et les transformations de nombreux centres de tri qui intègrent des systèmes mécaniques et automatiques, afin de se calquer sur les préconisations de l’INRS, des caisses d’assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) ou encore des éco-organismes ou de l’ADEME. Ces deux derniers organismes affirment la nécessité de construire des centres de tri conséquents (en termes de capacité de traitement), et mécanisés pour répondre aux nouvelles spécificités et attentes du tri. La rationalisation par le biais de la mécanisation est une solution défendue par un certain nombre d’acteurs qui organisent la gestion des déchets ménagers. Pour des raisons de santé et de dignité au travail, automatiser paraît plus simple pour « réparer ou prévenir » les dommages causés à ces travailleurs. L’automatisation est également présentée comme une solution pour valoriser et qualifier ces métiers.

Photo 25 : Plan d'un centre de tri "dernière génération"

Pour ces acteurs du secteur des déchets, réduire la charge de travail des trieurs se combine avec l’utilisation des machines. L’automatisation apparaît comme un moyen efficace pour « résoudre » la question de l’apparition des TMS, porteuse de technique et de progrès social, et permettant de limiter les risques professionnels.

« Donc beaucoup d’automatisation, faire des nouvelles machines qui permettent soit de trier des déchets qu’on ne peut pas aller forcément chercher avec des opérateurs, soit

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trier davantage. Donc ça j’en ai trois, on avait donc X qui est une super machine de tri optique, un système de régulation de flux de déchets qui permet d’éviter les variations de charge parce que c’est ce qui est le plus pénible, c’est aussi c’est ce qui va contraindre le débit en fait des machines, et donc là-dessus, moi par exemple j’avais travaillé… enfin ce qu’on fait en général c’est a minima évaluer l’impact des technologies sur les performances opérateurs et les impacts sur la santé, donc voilà, soit c’est étudier ça, soit c’est carrément concevoir par rapport aux capacités des opérateurs, là ça devient de l’ergonomie. » Ergonome_81 « Il y a des systèmes de tri automatique par des scanners ou des caméras qui permettent de trier le plastique ou autre, donc ce genre de choses commence à devenir opérationnel, ça n’existait pas dans les anciennes générations, donc maintenant dès lors qu’on refait un centre de tri on insère des tris optiques automatiques. […] Et donc on est plus avec du travail de contrôle au niveau des opérateurs. » Cram_77

Mais la volonté de rationalisation et d’automatisation dans les centres de tri n’a pas seulement comme objectif la réduction des risques professionnels. Il s’agit aussi d’améliorer la performance économique des centres de tri dans le but d’optimiser les coûts et de les maîtriser. Il devient nécessaire de trier davantage dans le détail, de faire baisser les taux de refus, d’améliorer la qualité du produit trié et de récupérer plus de matières valorisables.

5.1.3 L’automatisation : gain économique versus amélioration du bien-être des

travailleurs71

Comme toutes entreprises, les industries du déchet, qu’elles soient publiques ou privées, doivent aujourd’hui savoir rester compétitives et améliorer leur productivité dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Pour cela il s’agit de s’adapter aux nouvelles potentialités de l’activité pour répondre à de nouveaux types de clients et de marchés, être plus flexibles, optimiser les flux et la valeur des matières premières recyclables. Nous verrons ainsi que l’automatisation est un moyen privilégié pour améliorer et augmenter les performances économiques et que la réduction des coûts de la main d’œuvre n’est pas absente comme justification au développement de ces nouvelles technologies.

L’enjeu de l’augmentation de la qualité du tri et de la quantité des apports :

incertitudes sur le bien-être des trieurs

La qualité des produits est prise en compte voire centrale dans le discours des experts (hors agent de la Cram) et des cadres des centres de tri. Elle représente le prix auquel les produits pourront par la suite être revendus ; c’est-à-dire plus la qualité sera bonne moins le prix sera diminué. Les rationalisations dans les centres de tri, et notamment sur deux terrains en phase d’optimisation, ont été pensées comme pouvant générer une plus ample productivité et souplesse d’organisation du travail, une meilleure qualité des produits sortants, et des améliorations des conditions de travail. On observe dans les entretiens menés avec les trieurs que seule la dernière justification concernant les conditions de travail leur a été exposée. Les deux autres objectifs ne sont pas mentionnés. L’automatisation est présentée par les acteurs comme la solution qui s’impose pour viabiliser le recyclage sur le plan économique, développer les nouvelles filières de valorisation, et répondre à des nouveaux marchés. L’objectif de qualité est d’abord réglementaire pour les centres de tri et lié aux conditions de reprise des matériaux triés fixés par les industries du recyclage.

« Les PTM sont réglementaires, les standards de matériaux, la qualité au niveau des standards de matériaux c’est une obligation pour recevoir les aides de la part d’Eco-Emballages, ça, c’est une obligation légale. Alors après que ce soit respecté, que ce soit contrôlé, c’est autre chose, mais y’a effectivement… Donc les centres de tri ont

71

Les variables mobilisées de cette sous-parties : « Elargissements des consignes de tri ; qualité ;clients ;

dispositifs de contrôle de la qualité des produits ; éco-organisme ».

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l’obligation de respecter les standards qualité fixés par Eco-Emballages. » Eco-Emballages_79

Nous avons vu sur l’axe 1 (le travail) que les opérateurs de tri souffrent de fournir « un travail sans qualité ». Cette notion de qualité est donc présente à tous les niveaux dans les centres de tri, contrairement aux autres installations (incinérateur et bioréacteur) qui ne revendent pas un produit en l’état mais transformé (électricité). La qualité est donc un élément permettant d’engendrer des recettes, mais elle serait aussi un facteur de satisfaction au travail pour les trieurs. Pourtant, on peut observer dans les deux centres de tri ayant connu des travaux d’optimisation que l’augmentation de la qualité des produits n’est pas tout à fait effective à ce jour. Les résultats escomptés et les rendements théoriques annoncés ne sont pas toujours atteints. Les travaux d’optimisation de 2011 à C1 et C2 sont l’aboutissement d’une longue réflexion qui a duré plus de deux ans. Les techniciens d’exploitation et leurs responsables ont visité plusieurs centres de tri pour se donner une idée des machines et des travaux qu’ils pouvaient envisager. Ils ont également fait appel à un ingénieur de procédés pour réaliser un audit. Il s’agissait de constater dans quelle mesure les machines auxquelles ils avaient pensé pouvaient s’intégrer facilement dans les centres de tri actuels. Sur un des centres de tri, la qualité souhaitée par la direction a été amenée par les travaux :

« Alors la qualité on n’est pas trop mal puisqu’on vend notre papier en 1.11, on a eu à l’heure actuelle qu’un seul déclassement et encore ponctuel, on a négocié et on est retombé sur nos pattes, on n’a pas eu un gros déclassement, sur un camion de 25 tonnes ils déclassent 3 ou 4 tonnes de produits donc c’est pas… La qualité elle-même elle est bonne, même si des fois c’est limite on joue avec ça aussi, c’est le rôle des exploitants de jouer au chat et à la souris avec les repreneurs » Responsable d’exploitation Optitri_29

En revanche pour le deuxième centre de tri, la mise en œuvre du nouveau process n’a pas eu encore les résultats attendus.

« La mise en place de l’optimisation a été plus facile dans le centre de tri au nord. Il y a eu beaucoup de souffrance dans le centre de tri du sud lors de la mise en service, ça a été très long et très pénible, ils imaginaient qu’ils allaient revenir sur le centre de tri et que ça allait marcher tout de suite, ils ne s’imaginaient pas que ce serait aussi long, ceux à quoi nous, on s’attendait. Et du coup aujourd’hui ils commencent tout juste à comprendre les impacts positifs à l’optimisation, mais pour eux l’optimisation des centres de tri a eu un impact négatif sur l’amélioration des conditions de travail parce qu’il y a eu beaucoup de souffrance pendant la mise en service industrielle, et pendant les mois qui ont suivi et c’est vrai que ça a été beaucoup plus de difficultés et de souffrances » Direction Optitri_84

L’originalité du projet d’optimisation réside dans le fait que ces nouvelles rationalisations ont été pensées sous le prisme de la complémentarité des deux installations. Ainsi, le centre de tri C1 trie l’ensemble des corps creux (bouteilles et flacons plastiques). Chaque jour, ce flux spécifique à C2 est extrait par une machine puis est dérouté à C1 où il sera trié selon 3 catégories. Si à C2 la part manuelle du tri de ces matières a disparu il n’en est rien à C1. Par exemple, suite aux travaux et à l’ajout d’une machine à tri optique à C2, il était prévu trois postes sur la ligne des creux (celle où les agents procèdent au tri des bouteilles selon les 3 catégories). Ces postes devaient initialement correspondre, en partie, à des tâches de contrôle et de surveillance, or en situation nous comptabilisons entre 6 et 8 agents. Nous constatons que le trieur n’est pas devenu un contrôleur comme il aurait dû l’être. La direction, l’encadrement et les équipes nous ont expliqué qu’il était nécessaire qu’il y ait autant d’agents, car le flux de C1 était « pollué » par de nombreux cartons et tétras suite à de mauvais réglages persistants de leur machine (Cf. photo ci-dessous). En conséquence, la machine de tri optique de C2 ne parvient pas à détecter les bouteilles, car elles sont masquées par ces matières. Il en résulte que les trieurs doivent non seulement trier les cartons et tétras, mais aussi réparer les « oublis » du tri optique. Le travailleur corrige le mauvais travail de la machine automatisée. L’opérateur devient le réparateur des ratés du processus de rationalisation.

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Il en résulte une colère manifeste dans le collectif des trieurs : « On a l'impression qu'ils se foutent de notre gueule. Voilà... Alors que bon, tout le monde le sait, ce n'est pas ... je ne sais pas très bien comment on leur a vendu l'affaire mais il y a des choses qui sont loin d’être... mais en fait ils ne font pas d'effort non plus. Je veux dire, il y a des choses, des réglages qui pourraient se faire et tout le monde laisse pisser et au bout d'un moment... ça fait un an que le tri optique est mal réglé. » Trieuse_17

Photo 26 : 6 Trieurs sur la chaîne de creux

On voit que l’automatisation n’entraîne pas dans tous les cas une amélioration effective des conditions de travail. Dans ce dernier cas, elle ne correspond pas aux attentes de ceux qui exécutent le travail du tri. Nos observations et les propos recueillis chez Optitri montrent qu’il y a eu des frictions, des mécontentements et de nouvelles revendications durant la période des travaux et lors de la mise en service du process, qui persistent encore aujourd’hui.

« Et je pense qu’il y a une méfiance des opérateurs parce qu’on leur a toujours vendu, je ne dis pas nous même si c’est arrivé finalement, mais quand on leur vend des automatisations des choses comme ça, généralement ce qu’on leur vend la direction c’est que finalement ils n’auront plus rien à faire derrière et que ça va être cool machin. Or c’est faux. Mais ce qui leur est vendu c’est le message des décideurs qui disent - mais attendez regardez ils vont trier moins de déchets, ils auront moins de matières à prendre donc forcément c’est beaucoup mieux -, or c’est pas vrai. Mais ce qui leur est vendu c’est regarder ça va être génial ce que vous allez faire, et derrière c’est souvent pire, enfin souvent pire… je ne sais pas si je dis que c’est souvent pire parce qu’en fait c’est pire à cause de l’attente qui était plutôt positive mais voilà y’a plusieurs cas… » Ergonome_81 « A la base un réel problème, un réel malaise, et comme le disait [le responsable d’exploitation] tout à l’heure, un certain nombre de choses qui étaient mal organisées, mal prévues, qui fonctionnaient mal, et pas mal de souffrances […] En gros ils remettent en cause la réelle volonté que nous avons eu en voulant améliorer les conditions de travail […] y’a eu des pics, y’a eu des crises, l’histoire du chauffage qui ne marchait pas, des choses comme ça, chaque fois c’était un orage qui passait sur l’usine, il y a eu des tensions, puis ça se calmait. » Direction Optitri _84

Ce sont les conditions de travail « attendues et réelles » qui sont ici pointées, mais les observations permettent aussi de voir que sur ce centre de tri, le papier n’est toujours pas vendu en qualité attendue. De l’avis des experts, ce cas ne semble pas être isolé.

« Depuis l’année dernière, on a lancé une grosse campagne de caractérisation sur je ne sais plus combien de centres de tri, de caractérisation des balles, pour voir si ça respectait ou non les PTM. On en a quand même un certain nombre qui sont très largement loin du contrôle de la qualité exigée, mais ça passe, ça passe. Pourquoi ça passe, parce que les gens ont aussi besoin de matières, donc quand on a besoin de matières, on est un peu plus laxiste. » Eco-Emballages_79

L’élargissement des consignes de tri s’intègre à ce processus d’automatisation. Trier et recycler plus permettrait de répondre aux exigences de la réglementation qui donne la priorité à la prévention et au recyclage par rapport à l’incinération et au stockage, mais aussi d’ouvrir de nouveaux marchés permettant de moderniser l’activité des centres de tri. Cependant, d’importantes incertitudes et risques professionnels persistent sur ce point. En effet, les experts

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sont aujourd’hui dans un processus d’étude de faisabilité : le coût estimé pour adapter les centres de tri étant élevé, le marché incertain pour la revente, et les modifications à apporter au travail des opérateurs et leurs conséquences méconnues.

« Quelle incidence [de l’élargissement des consignes de tri] sur les conditions de travail ? Et effectivement y’a un coût, aujourd’hui l’estimation est de 100 millions d’euros par an, c’est-à-dire que si on met sur la totalité du territoire français les pots de yaourts et les films plastiques dans la collecte sélective ça devrait, d’après l’étude mais ça risque de coûter plus, ça devrait coûter 100 millions d’euros par an à la France […] Et bien sûr il doit y en avoir 70 ou 60 % c’est du… ouais presque, ça doit être du personnel en plus à mettre en place dans les centres de tri, à la collecte etc., il y a une grosse part de personnel. On pense qu’il y a des incidences importantes, quels sont les risques professionnels dans les centres de tri ? […] Y’a quand même un bon nombre de TMS, d’arrêts de travail pour ça, là par contre y’a certainement… les objets vont être plus petits, ça va passer de cette taille-là à cette taille-là, y’a certainement un nombre de gestes plus importants qui va être donnés par les opérateurs, les problèmes de TMS risquent d’être importants, bon, et puis après on s’est dit… donc ça on s’est dit il faut regarder de près. » Eco-Emballages_78

Une récente étude

72 sur l’adaptabilité des centres de tri face aux évolutions potentielles des

collectes séparées, notamment à l’extension des films plastiques, pots de yaourt et barquettes, rapporte que « plus d’un tiers du parc ne pourrait pas, même avec des investissements, trier la totalité de son bassin versant actuel en respectant les standards matériaux des flux sortants. Si l’extension concerne uniquement les pots et barquettes, alors 22 % du parc serait dans cette situation, contre 18 % sans extension des consignes de tri. »

Une potentielle menace sur l’emploi

Au-delà des risques professionnels, l’automatisation dans les centres de tri pose la question de la préservation des emplois « non qualifiés ». Comme nous l’avons vu, les opérateurs sont en majorité une population vulnérable au regard de la reconnaissance de leur qualification et des risques qu’ils encourent (inaptitude professionnelle, carrière bloquée). L’automatisation des centres de tri pourrait soulager les opérateurs des tâches les plus pénibles au profit de tâches de contrôle, de gestion de la machine. Ceci nécessiterait un apport de formation pour le passage d’un emploi à l’autre. Mais quelle part faire entre la limitation des risques professionnels et la protection d’emplois occupés par des populations en situation de fragilité ? De nombreux débats ont cours sur le sujet.

« Alors y’a différentes approches. On avait soit des approches très innovantes, qui sont toujours en cours, enfin très innovantes, on fait de l’automatisation beaucoup, de l’automatisation parce que c’est un boulot qui est relativement… relativement chiant, et puis la masse salariale c’est ce qui coûte vraiment le plus cher en fait, de très loin, moi ce que me disaient les exploitants c’est que sur un compte, en opérateurs de tri, c’est pas énormément payé forcément, ça coûte 30 000 € sur un compte d’exploitation une personne. Nous quand on développe une machine, on avait développé une techno qui s’appelle X qui est une machine de tri optique qui, par un algorithme, permet d’en remplacer 5 ou 6 [emplois trieurs], je ne sais plus combien ça coûte mais ça devait coûter 100, 150 000 € donc c’est très rapidement rentabilisé en fait. Après ce qu’il faut voir c’est qu’Alpha fait aussi des emplois sociaux, dans les contrats il est marqué souvent qu’on doit garantir un nombre d’emplois. » Ergonome_81 « Ce que je veux dire c’est qu’en créant des centres de tri automatisés globalement on supprime des emplois, peut-être pas autant qu’on peut le voir dans un centre de tri parce qu’effectivement on va supprimer des emplois dans un centre de tri mais la société qui fabrique les machines de tri optique, y’a 10 ans ils étaient un ou deux et maintenant ils sont une centaine, donc ces gens-là ils travaillent peut-être qu’à 50 % sur la collecte sélective mais y’a 50 emplois qui ont été créés de techniciens et d’ingénieurs pour ça. Donc on déplace un peu les emplois, c’est pas les mêmes emplois dans les centres de tri

72

Etude de l’adaptabilité des centres de tri des déchets ménagers aux évolutions potentielles des collectes séparées.

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aussi, on industrialise, on a des emplois qui sont plus qualifiés, on a plus d’emplois de maintenance. […] Donc voilà, c’est une industrialisation, mais l’inconvénient c’est une perte des emplois directs inévitable sur le territoire français. » Eco-Emballages_79

On observe dans ces citations que c’est de par la nature de service public du tri des déchets que certains emplois sont conservés dans les centres de tri, mais aussi que ce sont bien les emplois des « non qualifiés », et donc destinés aux personnes en situation de fragilité, qui sont menacés par l’automatisation des centres de tri. Les acteurs politiques fixent dans leurs contrats avec les entreprises privées, des conditions sociales à l’attribution des marchés afin de préserver les emplois sur les territoires dont ils sont responsables. Faut-il supprimer ces emplois à forts risques professionnels en prenant le risque de plonger cette population dans une situation d’emploi incertaine ? La question n’est pas close entre les experts, les politiques et les gestionnaires privés.

Une deuxième menace à l’égard des trieurs est formulée par l’agent de la Cram qui mérite une attention particulière. À partir d’une simple comparaison entre le tri négatif et le tri positif ce dernier met au centre de son propos la question de la valeur du travail et de la reconnaissance. Le tri positif consiste à sélectionner du flux des déchets les matières recyclables (selon le poste occupé). Le tri négatif repose sur l’extraction des matières non valorisables (le refus). Les effets de l’automatisation sur les opérateurs de tri sont encore peu connus. « C’est en ce sens qu’au fur et à mesure où les centres de tri se sont modernisés on a enlevé de la valeur au travail. Auparavant l’opérateur triait le produit à recycler, donc du coup il y avait un geste positif, je prends le produit et je recycle, maintenant les choses se font en amont, maintenant on trie les indésirables c’est-à-dire qu’on trie ce dont on ne fera rien, on enlève le refus. Donc du coup le geste il n’est plus le même, ce n’est pas un geste positif. […] Voilà on a enlevé de la noblesse, et donc je pense que dans les esprits, dans les métiers c’est peut-être un élément fort qui a dû changer dans l’esprit des opérateurs. Donc je n’enlève plus ce dont on va faire des blousons ou des pulls, j’enlève ce qui partira à la poubelle, donc ça, ça a dû… donc c’est ce qu’on appelle la notion de tri positif ou de tri négatif. Donc ça a dû impacter le sentiment qu’on avait du métier. » Cram_77

On doit ici comprendre deux choses qui symboliquement ont une incidence négative sur le sens au travail et sur le sentiment de se sentir utile. Or, comme nous l’avons vu, on sait que ces deux éléments contribuent à évaluer positivement son travail. Premièrement, retirer le déchet « sale » de la chaîne est une tâche physiquement et moralement ingrate et dégoutante. Deuxièmement, la rhétorique sur sa contribution à l’environnement et sur son service pour l’intérêt général, soit pour reprendre les propos de notre enquêté « la noblesse » du métier, s’en trouve altérée. L’optimisation et la recherche de nouveaux outils de production ne sont pas sans effets sur le quotidien de ces travailleurs, sur la perception qu’ils en ont, et sur la manière dont ils vont appréhender leur activité à l’avenir. En outre, de nouvelles problématiques humaines et risques professionnels peuvent émerger en fonction des nouveaux changements techniques et organisationnels. À ce titre, il semble opportun de réaliser et de poursuivre de nouvelles études en sciences humaines et sociales sur les démarches d’industrialisation dans les centres de tri.

*** Dans les centres de tri, la question de la préservation de la santé des opérateurs est devenue actuelle du fait de l’émergence de maladies professionnelles, des risques professionnels et des conditions de travail difficiles. Au lieu des travailleurs, ce sont les experts qui occupent la place centrale dans la conduite d’actions préventives et qui sont susceptibles de jouer un rôle déterminant dans l’adoption de pratiques et d’innovations technologiques pour améliorer le « confort » des trieurs. Ainsi, l’amélioration du quotidien du trieur et la limitation des risques se mettent au service d’une logique économique qui vise d’une part à adapter le parc des centres de tri face aux nouvelles potentialités de l’activité et aux nouvelles technologies d’automatisation et d’autre part

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à accroitre le rendement et la productivité de ces installations. Stimulé par des impératifs économiques, le développement technologique et industriel qui a tendance à s’accélérer convoque un questionnement sur le devenir de ces travailleurs, souvent sans leur participation. Alors que de plus en plus de centres de tri se mécanisent et automatisent une partie de la production, se pose la question de la réduction de la main d’œuvre (notamment dans la population des trieurs) et/ou de l’apparition de « nouveaux métiers qualifiés ». Parmi les trois installations de tri étudiées, l’effectif est resté sensiblement le même parmi les statutaires trieurs, mais nous n’avons pas observer un changement de tâches ou un éloignement de leur « métier d’origine ». De plus aucun des opérateurs du tri ou du sol ne rapporte un développement de nouvelles compétences. La requalification des opérateurs du tri n’est donc pas encore en voie de réalisation et la question du devenir du métier de trieur reste entière. De surcroît, les études de terrain manquent pour apprécier les changements techniques et évaluer leurs conséquences sur le travail de chacun des agents dans les centres de tri. Dans la partie suivante nous remarquerons dans l’analyse factorielle des discours que les risques professionnels s’opposent aux risques environnementaux. Dans l’incinérateur et le bioréacteur la notion de « risque » est convoquée non pas au regard de la sécurité au travail ou de la gestion des risques professionnels, mais soit « vers le principe de réduction du potentiel de danger » (Suraud, Blin, De Terssac, 2010) soit vers la maîtrise du risque industriel et environnemental. Nous verrons que les configurations techniques et l’encadrement réglementaire de ces deux installations imposent de prendre en compte les problématiques environnementales. Nous constaterons que maîtriser les risques revient à gérer les aléas techniques, à résoudre les déficiences pour respecter les contraintes réglementaires, garantir la sécurité du process et à ne surtout pas contraindre ou arrêter la production.

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5.2 Les risques environnementaux : les ouvriers de l’incinérateur en première ligne

Ce régime de sens (risques environnementaux) est porté par les discours des opérateurs de l’incinérateur et du bioréacteur. On y retrouve plusieurs catégories d’ouvriers et de corps de métiers : agents de maintenance, conducteurs pontiers (agent de quart), adjoints et chefs de quart pour l’incinérateur ; chef de quai, ouvrier polyvalent et conducteurs d’engins pour le bioréacteur.

Les risques liés au travail sont l’affaire des experts. Les risques environnementaux sont l’affaire des travailleurs. On observe que ces individus centrent leur discours sur l’exposition des difficultés industrielles rencontrées lors de la réalisation de leurs tâches et des facteurs de risque au niveau environnemental. Précédemment les notions de « sécurité » et de « risque » étaient employées en référence aux risques professionnels. Ici, ce sont les risques industriels pouvant avoir des impacts négatifs sur l’environnement qui sont en correspondance avec ces notions. Pourquoi ces différences entre tri d’un côté incinérateur et bioréacteur de l’autre ? Ces deux activités du déchet (incinération et enfouissement) diffèrent fortement au niveau de leur gestion (publique/privée), de l’organisation du travail (notamment les horaires et le travail en équipe), du contenu du travail et des métiers. Mais, la cohésion des discours se base sur la mise en lumière des points communs de leur activité. La façon dont les travailleurs la définissent et les manières dont ils agissent sur les aléas techniques sont des caractéristiques qu’ils partagent. Après avoir présenté brièvement l’activité de travail et ses spécificités dans l’incinérateur et dans le bioréacteur, nous montrons, comme annoncé dans l’introduction de la présente partie, que la technique et les nouvelles technologies cadrent fortement ces activités professionnelles. Ces deux activités sont caractérisées par une mission de contrôle et de surveillance et par la gestion des aléas, qui sont effectuées par ces opérateurs (1). Puis à partir des entretiens, nous dressons les problèmes et difficultés rencontrés dans la gestion de l’imprévu et dans la « bonne » conduite de ces deux types d’installations (2).

Variables Mobilisées Individus du regroupement

CQ_INC_56

PO_BIO_76

QU_INC_49

QU_INC_74

CQ_BIO_71

MA_INC_52

CD_BIO_73

CD_BIO_75

QU_INC_85

QU_INC_55

- Risques industriels et environnementaux

- Dispositifs de contrôle des risques industriels et environne

- Problèmes de la production

- Agents de pollution

- Transport

- Filière de déchets

- Déchets non valorisables

- Direction d'entreprise

Abréviations postes et fonctions : CQ_INC : Chef de quart Incinérateur PO_BIO : Agent polyvalent Bioréacteur QU_INC : Conducteur pontier Incinérateur CQ_BIO : Chef de quai et agent suivi du réseau Bioréacteur MA_INC : Agent de maintenance Incinérateur CD_BIO : Conducteur engin Bioréacteur

Figure 6 : Regroupement des individus selon les variables, par ordre d'importance

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5.2.1 Caractériser le contexte du travail : prévenir les aléas techniques73

Les incinérateurs et les centres d’enfouissements sont des unités de traitement qui font polémique (Buclet, 2005 ; Barbier, 2005) et sur lesquels se cristallisent des enjeux d’acceptabilité sociale et d’enjeux pour la santé (Buclet et Salomon, 2008). Perçues comme des menaces, de fortes mobilisations sociales ont lieu autour de ces entreprises qu’il s’agisse de nuisances causées par les odeurs, des envols, par la couleur des fumées ou par les potentiels risques sanitaires et technologiques qui pourraient être fortement dommageables. Industries à risques, c’est notamment sur les émissions de dioxines, devenues « un symbole de l’atteinte à la santé humaine causée par les déchets » (Keck, 2012), que la réglementation européenne de 2000, transposée en 2002 en France, impose des normes d ‘émissions et une limite pour les poussières et le monoxyde de carbone. Ces changements réglementaires ont aboutit à des changements et mutations techniques importants dans les incinérateurs et imposant, semble t-il, une professionnalisation de l’activité et de ses membres. Nous analysons ici, la manière dont les travailleurs s’y prennent pour agir en sécurité face aux aléas et à l’événement fortuit. Commençons par comprendre comment ils qualifient leurs activités pour expliciter les différentes manières dont ils définissent les perturbations, puis comment ils agissent dessus pour maintenir la continuité de la production et éviter les risques. Les individus présents sur ces installations sont plus diplômés que les trieurs. Ils ont pour une large majorité d’entre eux des compétences reconnues dans le domaine mécanique et électrotechnique, en particulier ceux travaillant à l’incinérateur. Ces compétences ont été validées par des diplômes (du CAP au Bac+2) ou par des expériences professionnelles antérieures étudiées lors du recrutement. Au bioréacteur, le recrutement des agents se basent sur des compétences beaucoup plus hétérogènes, les parcours professionnels sont variés, mais la direction privilégie une expérience professionnelle dans le domaine des travaux publics et dans la conduite d’engins. A l’inverse des équipes de tri qui sont mixtes, dans ces deux installations, seul une femme est au poste de conducteur pontier

74 (l’incinérateur).

Environnement fortement masculin, la connaissance du terrain et la réclamation d’apporter des améliorations au process de l’usine sont deux compétences sollicitées et valorisées par les cadres et la direction de Valori. Industrie de process en continue, l’incinérateur à bien des égards partage des caractéristiques communes avec l’industrie nucléaire (Stoessel, 2010 ; Bourrier 1999). Comme les unités de production nucléaire, l’activité de l’incinérateur ne devrait jamais être complètement stoppée pour assurer un rendement optimal. L’objectif à respecter serait de fonctionner à 90 % du temps sur l’année. Dans cette installation les équipes de conduite travaillent en horaires postés

75,

assurant un roulement en « quart », en 3X8, toute l’année. Une équipe est composée de 4 personnes et supervisée par le responsable d’exploitation. Nos observations montrent que les ¾ du temps ils sont trois, parfois deux. Cela s’explique par le fait qu’ils sont souvent en formation, en récupération ou en congé. Sur ces quatre individus, deux d’entre eux sont conducteurs-pontiers ou rondiers, un est adjoint chef de quart et le dernier est chef de quart. Suivant les équipes, au nombre de 5 dans l’incinérateur étudié, un à trois des opérateurs sont sur le terrain pour vérifier et intervenir sur les différentes organes composant le process. Une ou deux personnes sont en permanence dans la salle de commande pour gérer la fosse de déchets, alimenter les fours, surveiller l’installation par le biais des postes de contrôle, intervenir sur le process informatiquement, et accueillir les intervenant extérieurs (les transporteurs de déchets ou les salariés d’entreprises en sous-traitance). L’organisation des tâches et des missions au sein de l’équipe est réalisée par le chef de quart suivant son appréciation qu’il a de chacun de ses conducteurs pontiers. Cela signifie que des

73 Les variables mobilisées dans cette sous-partie : « Risques industriels et environnementaux ; dispositifs

de contrôle des risques industriels et environnementaux ; transport, filière de déchets ». 74

Cette dernière était auparavant agent de tri à Valori, suite à une incapacité physique elle a été mutée sur l’incinérateur. 75

4h-12h / 12h-20h / 20h-4h. Le cycle est organisé de manière à ce que chaque opérateur soit en repos deux week-ends par mois. Sur cinq semaines le planning est établit comme suit : 2 matins, 1 après-midi, 2 nuits, 2 jours de repos / 2 jours de repos, 1 matin, 2 après-midi, 2 nuits / 3 jours de repos, 2 matins, 2 après-midi / 2 nuits, 3 jours de repos, 2 matins / 2 après-midi, 1 nuit, 4 jours de repos.

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chefs de quart confient plus de responsabilité à certains opérateurs, en fonction de l’évaluation de leurs compétences techniques et de leur capacité d’initiative. Selon les équipes, le chef de quart ou son adjoint assurent la conduite et le contrôle de l’usine en salle de commande ou au contraire naviguent entre le terrain et la salle de commande. Dans ce cas là, ils attachent une forte importance à former le conducteur pontier au process informatisé. Ce temps d’apprentissage est relativement long. Selon les propos des opérateurs il peut s’étaler sur une année, en sachant qu’ils nous diront aussi « qu’à l’incinérateur on n’arrête jamais d’apprendre ». De plus, cette formation au process ne peut se faire qu’après avoir acquis une connaissance approfondie des équipements sur le terrain. Dans cet incinérateur de déchets ménagers, deux personnes s’occupent du service du traitement des eaux. Leur mission consiste à effectuer des prélèvements journaliers et à assurer le bon déroulement du traitement des fumées. Ils travaillent en étroite collaboration avec les équipes de conduite ou de « quart » et les équipes de maintenance. A ce titre, ils sont régulièrement invité aux réunions de travail de ces deux service. A l’instar du service maintenance, ils travaillent à la semaine, de 8h à 16h. Le service maintenance a aussi un rôle fondamental : « [A propos de l’exploitation et de la maintenance] l’un n’allant pas sans l’autre ». Les agents de maintenance participent aussi au fonctionnement de l’usine, ils sont encadrés par un responsable ingénieur. L’équipe comptabilise 6 agents, chacun ayant des spécialités dans le domaine mécanique, électrique, hydraulique, de l’automatisme. Nos observations et les entretiens rapportent la variété des tâches à mener dans cette industrie complexe. Leur travail est organisé en fonction des demandes d’intervention (DI) formulées essentiellement par les équipes de conduite. Le « traitement » de ces DI, classées par ordre d’importance et de gravité selon le responsable et son service, peut être opéré dans la semaine qui suit ou plusieurs mois après. Il leur est aussi demandé d’apporter des éléments d’optimisation à l’installation.

Photo 27 : Gestion de la fosse par un conducteur pontier Photo 28 : Ecran de contrôle du bioréacteur

A Optitri, le bioréacteur est intégré au pôle des énergies renouvelables. Ce pôle est composé de trois services : le bioréacteur, le biogaz, et la plateforme bois-énergie. Notre travail d’enquête s’est porté sur la partie bioréacteur. Nous avons constaté qu’entre les travailleurs de ces trois services, les relations étaient étroites. Les travailleurs se croisent régulièrement sur le site. Les vestiaires et les salles de repas et de repos sont partagés. Pour le fonctionnement du bioréacteur, le rythme et les horaires de travail s’organise en deux postes

76 en 2X8.

Le bioréacteur est supervisé par le responsable d’exploitation. Les équipes productives se composent de trois individus : un chef de quai, et trois agents. Deux d’entre eux sont en continu dans des engins aux abords ou sur le casier d’exploitation. L’un s’occupe de vider et d’étaler les déchets, le second est sur un « compacteur » au niveau du casier pour tasser les apports de déchets. Le dernier des agents est à « l’exploitation ». C’est une activité de travail considérée comme « polyvalente » et périphérique au travail sur le déchet. Elle recoupe plusieurs tâches similaires à celles que nous pourrions observer dans les travaux publics. En effet, le travail

76

6h-13h / 12h-19h. Ils sont amenés à travailler également le samedi.

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s’effectue souvent sur d’imposants engins (tracteur) pour effectuer un travail de terrassement. Dans le cas présent, il s’agit de déplacer et de mettre de la terre sur les flancs du monticule des déchets afin d’éviter un incendie, de « taluter » la terre, ou encore de renforcer des voieries existantes. Ils sont aussi amenés à effectuer des tâches de nettoyage. En outre, l’agent peut être amené à se déplacer sur l’ensemble du site pour gérer des problèmes de voierie, en renfort sur la plateforme bois ou sur le quai de déchargement des déchets inertes, ou encore aider l’agent polyvalent mécanicien. Durant la semaine, au niveau du planning, les trois agents tournent sur ces différents postes. Pour finir, le chef de quai s’occupe de gérer les transporteurs, d’organiser le déchargement et réguler le trafic.

Techniquement et technologiquement le travail dans un incinérateur apparaît plus complexe. D’une part, les équipements et les machines sont beaucoup plus nombreux et articulés entre eux. En outre, l’activité des travailleurs est fortement dépendante de celle des machines, au point où ils sont eux mêmes associés à cet environnement technique (Dodier, 1995). D’autre part, les impératifs managériaux à prendre des initiatives, des décisions techniques, à prendre en compte les critères de rentabilité et de productivité imposent aux salariés de l’incinérateur d’avoir un avis sur chaque problème qui se présente. De plus, les rythmes de travail pour les équipes de quart (fins de semaine et quart de nuit) induisent aussi à ces salariés d’apprendre à gérer seuls des dysfonctionnements. Le renforcement des compétences relationnelles et techniques de ces opérateurs semblent ainsi être des exigences importantes dans cet univers professionnel. Mais, ajoutons que ces prises d’initiatives sont accordées aux agents en fonction de la représentation que le supérieur (N+1) a de son opérateur. A la différence de l’incinérateur, dans le bioréacteur, les problèmes techniques sont davantage gérés par les responsables-cadres et par l’agent en charge du suivi du réseau. Ces deux activités industrielles (incinérateur et bioréacteur) ont le point commun de devoir faire face à de nombreux aléas techniques. Les opérateurs doivent être en mesure de faire face à une variété de tâches et l’imprévu rythme leur activité. Gérer, apprendre à gérer, s’adapter aux nouvelles situations concourent à maintenir la sûreté environnementale, limiter les risques environnementaux et constituent des compétences communes à ces travailleurs. Ce travail complexe de gestion des aléas (faire face à l’imprévisible) mobilisent les opérateurs, impliquent leur responsabilité, demandent une attention continue et participent, selon eux, à valoriser leur métier.

« Moi je suis content quand j’arrive à tout faire, enfin quand j’arrive à tout faire ce qui est prévu mais bon comme il y a vachement d’imprévus, y’a beaucoup d’imprévus ici c’est normal, le fonctionnement y’a des pannes. » Agent Polyvalent Bioréacteur_76

L’expérience professionnelle sur ces sites de production est ici valorisée, car elle participe à la limitation des risques lorsqu’il faut agir sur la défaillance du système. Autant pour les agents de l’incinérateur que du bioréacteur, la connaissance du fonctionnement du process et les savoirs accumulés sur l’outil industriel agissent comme des repères et sont reconnus comme des facteurs aidant à limiter des risques industriels et donc les dommages à l’environnement. Ainsi,

Photo 29 : Conducteur du bioréacteur sur un engin compacteur

Photo 30 : Un travail de terrassement

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à de multiples reprises dans l’incinérateur, et pour certains agents du bioréacteur, les discours mettent en valeur la notion d’apprentissage. La nécessité de se repérer dans l’installation, de comprendre les informations sur les écrans de contrôle et l’ensemble des équipements sont des éléments indispensables. Ils permettent de conduire l’usine et de diagnostiquer l’état de fonctionnement de l’installation afin d’être en mesure de prendre en charge les aléas techniques tout en anticipant les conséquences.

« Ça m’a pas changé, c'est même intéressant, au départ c’était un petit peu dur parce que les débuts de l’usine étaient costauds et comme dans tout départ il y a toutes les subtilités à comprendre et à connaître puis à mettre en œuvre, mais ça se fait sur le long terme, quand on arrive dans un incinérateur le travail n’est pas simple c'est un long apprentissage que de comprendre quand on fait telle chose a une incidence sur une autre notamment quand on est en conduite. […] On s’aperçoit que aujourd'hui on conduit beaucoup mieux, qu’on a beaucoup plus de réactivité envers chaque problème qui peuvent se poser. » Chef de quart Incinérateur _56 « On évolue au fur et à mesure des techniques, c’est comme n’importe quoi, on commence on a des problèmes et plus on monte plus on résout les problèmes de par ce qu’il y avait avant on tire des expériences […] au fur et à mesure, moi en étant curieux, au fur et à mesure j’ai réussi justement à comprendre le système, en posant beaucoup de questions à mon chef et aux intervenants qui viennent notamment pour les moteurs, à apprendre le système, comment ça marche, les valeurs, ce que je relevais puisque je fais les relevés, à quoi ça correspondait. Donc j’ai appris sur le tas puisque c’est un métier nouveau on va dire donc on n’a pas de formation ni rien que ce soit avec le CNFPT, le centre de fonction publique territoriale, puisque c’est nouveau donc il faut apprendre tout le temps, poser des questions, être curieux, ne pas hésiter à aller voir comment ça marche donc non j’ai appris comme ça, c’est la meilleure école. » Chef de quai et agent suivi du réseau bioréacteur_ 71

La plupart des opérateurs jugent leur travail plutôt intéressant du fait du caractère « touche à tout » qu’impose leur activité. A cela certains d’entre eux ajoutent l’intérêt d’être en situation d’apprentissage. Dans le même temps, on constate la difficulté à gérer l’urgence, à devoir s’engager dans un nouvel aspect du travail lors de pannes et donc à être sur plusieurs « fronts ».

« Pour le travail vraiment technique ce qui est intéressant c'est que ça touche un peu à tout, l’automatisme, l’hydraulique, l’élec, combustion donc il y a beaucoup de choses à savoir et c'est vrai que pour celui qui est intéressé par ça et bien ça donne un éventail assez large, après c'est pas évident, parce que si on veut vraiment faire quelque chose de pointu il faut se spécialiser parce que c'est un peu trop large mais c'est vrai que c'est très intéressant, ça permet de toucher un peu. » Chef de quart Incinérateur _56 « Moi j’aime bien être polyvalent, on ne fait jamais pareil, y’a pas de routine. Des fois y’a des trucs de prévu et puis y’a un truc qui est en panne, une urgence, ça change complètement, c’est un peu la panique mais c’est bien. Ça change un peu quoi, moi j’ai tout le temps fait pareil, à force quand j’étais conducteur routier c’était tout le temps pareil et au bout d’un moment je m’en lassais quoi, là c’est bien, pour le moment ça me convient. » Agent Polyvalent bioréacteur_76 « Et après que tu ais appris quelque chose, voilà, en fait moi j’apprends tous les jours, voilà pour moi c’est ça, qu’il n’y ait pas de conflit et tout ça parce que c’est chiant, moi j’ai connu le goulag… » Conducteur Pontier Incinérateur_85 «C’est tout un travail avant les moteurs de réglage de réseau, de contrôle tout parce que c’est sur des ordures donc ça travaille toujours un petit peu donc il faut monter, redescendre les casiers. Donc c’est un boulot très très intéressant et vachement prenant pour ça, mais c’est un boulot qui demande un peu plus de temps. » Chef de quai et agent chargé du suivi du réseau_71

Ce jugement sur l’intérêt au travail est plus nuancé dans les discours des conducteurs du bioréacteur et de quelques conducteurs pontiers de l’installation. Ils peuvent trouver leur activité trop répétitive, monotone et relever qu’elle revêt des aspects peu appréciés tels que la saleté.

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« Quand on s’ennuie et que c’est long on peut dire que c’est une mauvaise [journée] ouais, non c’est toujours bien, et oui je ne suis pas compliqué… non la mauvaise c’est si on doit aller taper, comme ils ont eu ce matin, ils ont eu un bourrage d’extracteur avec des grosses boules de plumes je ne sais pas quoi, ça pue la mort, les pauvres ils n’ont pas dû apprécier, voilà. » Conducteur Pontier Incinérateur_55 « Les inconvénients y’a pas grand-chose, c'est que c'est sale déjà là où on travaille, l’odeur déjà mais nous on s’y fait donc on ne la sent plus […] T’arrives le matin tu sais ce que tu as à faire, y’a qu’avec l’exploit qu’on change c’est tout. Après voilà, les camions, on pousse, on pousse, tout travail c’est la routine en même temps. » Conducteur Bioréacteur_73

Cas 1 (au bioréacteur) : Je réalise aujourd’hui un entretien avec Louis qui est conducteur sur le bioréacteur. Un de ses collègues m’explique qu’il aura un peu de retard, car il est en train de nettoyer un engin. Quelques minutes plus tard, Louis entre dans le bureau et se présente en me disant : « Regardez comment je suis, désolé je suis recouvert de boues mais ça, c’est la réalité de mon boulot ». Dans le même temps qu’il me parle, il s’essuie avec du papier absorbant. En effet, Louis a de nombreuses tâches marron sur son habit de travail, ses bottes sont recouvertes de boues, ses cheveux et son visage en sont aussi parsemés. Cas 2 (à l’incinérateur) : Première observation dans un quart de nuit. Le chef de quart me propose d’accompagner Gilbert pour effectuer la ronde de l’installation. Lorsque nous revenons en salle de quart, l’équipe décide de me conduire derrière la baie vitrée c’est-à-dire dans la fosse de déchargement. L’un d’entre eux me dit « tu vas voir ce que c’est de travailler dans un incinérateur, nous, on n’est pas que sur nos ordinateurs ou sur les équipements, là tu vas comprendre pourquoi on n’aime pas aller nettoyer le grappin ». Une fois entrée dans la salle, l’odeur est pestilentielle, elle me prend à la gorge, nous revenons très rapidement dans la salle de quart. Un des opérateurs me dit « tu pues maintenant ». L’odeur s’est effectivement imprégnée sur mes vêtements, dans mes cheveux, sur mes mains. Je leur dis que je suis impressionnée et dégoûtée. L’un d’entre eux me dit « et encore ça c’est rien, quand tu dois aller enlever une charogne dans l’extracteur ou que tu passes ta journée à nettoyer de la merde ». Notes de terrain 2012

De plus, s’ajoute pour certains la fatigue physique liée au rythme du travail, à des travaux de manutention pénibles et à un environnement de travail difficile. Mais à la différence des trieurs, l’activité de travail étant soumise à davantage d’aléas, elle alterne entre des périodes de travail usantes et des périodes relativement « tranquilles ». Ces deux types d’industries ne fonctionnent pas sur le modèle de la répétition des opérations comme sur les chaînes du tri, l’événement, sa gestion et le changement dans les tâches qui en découlent sont ainsi jugés comme « profitables » pour les agents.

« Et puis bon y’a des cycles où ça roule très bien et y’a des cycles où tu n’arrêtes pas, c’est merde sur merde, bouffer de la poussière, de la chaleur, des fois c’est usant, y’a des cycles qui sont usants et d’autres ça va. » Conducteur Pontier Incinérateur_85 « Le rythme des 3X8 c’est vrai que c’est pas facile pour l’organisme, après non y’a pas tant de choses pour ma part, les pontiers oui un peu plus quand il y a des bourrages, des machins, des choses comme ça oui c’est un petit peu plus dur physiquement. Sinon après il n’y a pas trop de boulot de force on va dire. » Chef de quart Incinérateur _56

En outre, par comparaison, ces travailleurs considèrent leur travail moins pénible et épuisant que celui du trieur, d’autant qui leur confère des marges de manœuvre et de l’autonomie. Pour exemple, un des agents de l’incinérateur surnomme le centre de tri comme étant une « galère » et les trieurs comme des « galériens ».

« Par rapport aux mecs qui sont sur le centre de tri je trouve qu’ils n’ont pas la meilleure place, si y’a un poste qui se libère ce n’est pas un poste où on va me trouver quoi parce que c’est vraiment ingrat. Et puis t’es dedans, toujours à faire la même chose, tandis que nous on conduit un engin mais aujourd’hui on est sur le compacteur, demain on va à la pelle, vous voyez ce que je veux dire […] C’est plus polyvalent, on va aller dégager un tuyau, on va faire attention à ne pas accrocher un tuyau, enfin je veux dire c’est différent quoi. Tandis que là-bas c’est pareil, aujourd’hui t’es aux bouteilles, demain t’es aux cartons […] Le peu que j’ai fait sur la chaîne de tri c’est vraiment rude et je trouve que les

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gens du tri ne sont pas trop reconnus parce que c’est vrai que ce n’est pas un boulot facile, parce que le tapis il déboule et je trouve que les agents ne sont pas bien payés par rapport à ce qu’ils font parce que c’est physique et enfin c’est un travail ingrat. » Conducteur bioréacteur_75

A la gestion du fortuit et des aléas, le deuxième point commun de ces deux activités industrielles réside dans l’importance de mener un travail de surveillance et de contrôle. L’obligation d’être conforme aux normes environnementales et aux arrêtés d’exploitation et l’impératif d’être en capacité de prévenir ou anticiper l’événement (pour ne pas freiner la production) sont au cœur des logiques organisationnelles de l’activité de travail. La gestion de la surveillance est d’autant plus essentielle et indispensable, car ce sont des usines qui sont contrôlées « en bout de chaîne » par les services de la Préfecture et par d’autres entreprises spécialisées dans la gestion des risques techniques et environnementaux. Ce travail de surveillance a lieu sur le terrain auprès des différentes machines (faire des actions sur les matériels, relever des paramètres), mais aussi en salle de commande par le biais des écrans informatiques. Il doit être retranscrit par voie écrite ou orale selon les installations et les équipes. Lors de ces rondes, les agents mobilisent aussi leurs sensations auditives, olfactives, tactiles et visuelles comme des indicateurs pour repérer un dysfonctionnement ou un risque. Ils ne se limitent pas à vérifier les machines et les produits mais « sentent » pour repérer les odeurs suspectes, « regardent » et « écoutent » afin de discerner des éléments inhabituels.

« Et ben tu rondes, faut voir si y’a pas de petits soucis […] Au bruit, si y’a un drôle de bruit, si y’a un fonctionnement anormal, si tu as des fuites, ça regroupe tout en général ça » Conducteur Pontier incinérateur_55 « Mon activité principale c'est la conduite de l’usine, de la surveillance mais plus en supervision […] C'est sûr qu’on a un peu plus de surveillance qu’avant par rapport à la mise aux normes de 2005 donc tout ce qui est rejets gazeux donc Valérie tout ça qui est le logiciel qui récupère les données pour les transférer à la DRIRE enfin à la DREAL et donc c'est toutes ces choses-là qui sont arrivées et qui nous donnent une charge de travail en plus, avec quand même un peu plus de stress. » Chef de quart Incinérateur_56 « Je sais qu’on est hyper surveillé, il y a de la surveillance parce qu’il faut toujours faire attention qu’il y ait de l’air pur pour que les instruments puissent tourner, à la limite si l’instrument tombe en panne on est obligé de couper l’usine, c’est ce que j’ai compris, donc il y a toujours tout en double, le secours et le normal, donc il faut que les deux fonctionnent tout le temps, s’il y en a un qui tombe en panne il faut se dépêcher de le refaire au cas où. » Agent de maintenance Incinérateur_52 « On part en ronde, on fait les rondes, on contrôle tout ce qui peut se boucher, les caissons qu’il y a sous les grilles des fours, parce que des endroits restreints tu as beaucoup de trucs qui peuvent passer donc on contrôle ça, on enlève la ferraille sous le scalpeur, on contrôle les endroits où t’as des niveaux d’eau pour savoir si les niveaux sont bons, il ne faut pas qu’il y ait un manque d’eau » Adjoint chef de quart Incinérateur_49 « Moi le lundi normalement il faut que je fasse le tour du réseau quand je peux et contrôle tout ce qui est vannes tout ça, et contrôle notamment qu’il n’y ait pas de fuite, donc on le voit de suite, on voit que ça coule un petit peu bam on prévient nos supérieurs, voilà ça coule qu’est-ce qu’on fait ? » Agent chargé du suivi du réseau et Chef de quai Bioréacteur_71

Ce travail de contrôle est partagé. Il s’exerce en partie par les dispositifs techniques des installations mais aussi par les agents qui ont en charge de surveiller, inspecter, superviser l’organisation. Une autre dimension dans les entretiens relative à l’environnement et à la gestion du risque mérite d’être signalée. Il s’agit de la justification environnementale de la valorisation énergétique des déchets que les agents peuvent opposer au jugement de la société civile, quand cette dernière qualifie ces modes de traitement comme étant la cause de diverses pollutions. Dans les discours, les opérateurs défendent leurs installations en montrant leurs avantages tout en insistant sur le respect de l’environnement et sur les procédures mises en place. On constate que selon l’installation dans laquelle ils travaillent, ils hiérarchisent les modes de traitement,

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vantant alors les mérites de l’incinération par rapport à l’enfouissement ou le bioréacteur par rapport à l’incinérateur. A ce moment là, ce sont les facteurs de pollution et les polluants et les procédures mises en place pour les éviter qui sont mobilisés pour servir d’argument et de justification à prôner tel mode de traitement plutôt qu’un autre.

« Parce qu’indirectement on préserve l’environnement dans le sens ou en fait les casiers qui sont créés ici sont étanches de par en dessous et de par les membranes, donc en fait au lieu de jeter dans la nature et de voir des jus des ordures, le lixiviat et tout ça qui partent au gré comme les vieilles décharges, qui coulent dans le ruisseau du coin, papi il boit ça il a la chiasse pendant 3 jours, ici c’est structuré, c’est étanche donc indirectement on protège l’environnement parce qu’il n’y a rien qui sort, c’est un endroit confiné qui reste… donc on recycle, on recycle, maintenant dire ce que ça sera dans 20 ou 30 ans je ne sais pas mais on recycle ce qui peut être recyclé donc oui on protège l’environnement. » Chef de quai Bioréacteur_71 « C’est bien parce que les déchets plutôt que de les mettre dans la nature, des trucs ouverts de stockage, là c’est recycler à 100%, ça fourni de l’électricité et y’a une grosse demande actuellement, le reste après les ferrailles sont récupérées, les mâchefers ça sert, tout est réutilisé mais à cause de contrats on ne peut pas exploiter à fond.[…] On ne connait pas vraiment le bienfait de cette usine. » Agent de maintenance Incinérateur_52 « Mais nous on fait de l’énergie renouvelable dans un sens, on fait de la destruction de déchets qu’on valorise en faisant de l’électricité, c’est pas mal, on élimine les déchets, on produit un peu une infime partie en fin de compte quand tu vois le volume donc… » Agent de quart incinérateur_85 « Il faut bien les recycler, il faut bien recycler les déchets je ne sais pas, on fait attention à l’environnement quand même je trouve, même malgré que c’est de l’enfouissement mais c’est quand même traité et toutes les sécurités sont prises quand même. » Agent polyvalent bioréacteur _76

Dans le même temps, quelques enquêtés relatent des paradoxes en lien avec la préservation de l’environnement et les éventuelles pollutions qu’engendrent ces installations. Lors de notre présence sur le terrain et de discussions informelles avec les agents du quart et de la maintenance, ils énoncent de nombreuses fois : « nous ce que l’on rejette c’est de la vapeur d’eau ». Lorsque nous continuions à les interroger sur les aspects de pollution par ce mode de traitement ou s’ils n’avaient pas de craintes pour leur santé à travailler avec certains produits et substances, les propos apparaissaient plus réservés. La réponse à la question de savoir ce qu’ils risquent pour leur santé ou s’ils considèrent que c’est une activité polluante ou pouvant engendrer des atteintes à l’environnement est ambigüe. Ces paradoxes contribuent à montrer que les polémiques sanitaires autour des installations de déchets seront encore présentes, car malgré les contrôles et dispositifs de surveillance, les opérateurs restent parfois méfiants sur le caractère « sûr » de leur lieu de travail. Les préoccupations de la société civile sur les incinérateurs par exemple, ressurgissent en interne. Pour des agents, le respect de la norme et de la réglementation assure pleinement la protection des salariés ; pour d’autres, qui reconnaissent le respect de la réglementation, ce strict respect laisse des questions en suspend. Ils émettent des doutes du fait de la nouveauté de ces process et du manque de recul pour percevoir à long terme les risques sur la santé, autant pour eux que pour la société civile en général, et sur l’environnement.

« Le problème c’est qu’on n’a pas de recul derrière, on ne peut pas savoir, donc si on n’a pas un investissement personnel de par faire des analyses spontanées tous les ans on ne voit pas comment on dégénère malheureusement, le gaz on le sent on dit ça pue, mais le soir on rentre chez soi et on fait ce qu’on a à faire. Mais ça pendant plusieurs années, faire carrière là-dedans si on n’a pas un suivi un peu pointu entre guillemets, comment on peut savoir et comment on peut détecter les maladies. » Chef de quai bioréacteur_71 « Non jusqu’à maintenant non, y’a beaucoup de pénalités financières comme quoi l’environnement ils nous font tout un tas de trucs mais tant que tu payes […] Comme on disait tu peux polluer si tu payes, déjà pour moi ce n’est pas logique, on fait tout un truc que ce soit les voitures, l’incinération, tout ce que tu veux, ils te donnent des normes des machins mais si tu dépasses tu payes, donc quelque part je me dis c’est un peu du n’importe quoi, et que quelque part les pays riches s’en sortiront toujours par rapport aux

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pays pauvres […] Moi ce que je vois c’est les normes qu’on nous demande de plus en plus restreintes, des choses comme ça donc jusqu’où on va aller ? Parce qu’on sait très bien que de toute façon dès qu’on fait de la combustion on sort des polluants, on ne pollue pas on sort des polluants attention… [rires]… ça aussi c’est un jeu de mot. » Chef de quart Incinérateur _56 « Là non c’est un centre d’enfouissement, c’est un bioréacteur, c’est des énergies renouvelables, donc pas de pollution ou s’il y en a qu’on ne sait pas ça ne se voit pas, on ne sait pas, on ne peut jamais être à 100% sûr de tout. » Chef de quai et agent suivi du réseau_71 « [à propos du salaire] Je trouvais vraiment trop bas, c’était des broutilles, pour ça moi je trouve que pour un boulot de merde à se bouffer des toxines, de la poussière, même si t’as des protections c’est vraiment un boulot de merde et c’est dévalorisant en fin de compte, quand tu vois le grand groupe combien c’est côté tu te dis t’es vraiment pris… et chaque fois ils nous font un plan d’actionnariat gratuit, enfin ça me fait rire, ils peuvent bien. Comme d’un jour à l’autre il suffit que la branche ne soit plus rentable et puis voilà. » Conducteur Pontier Incinérateur _85

5.2.2 La gestion des déficiences techniques : assurer la continuité de la

production et éviter les risques environnementaux77

Le travail de conduite à l’incinérateur consiste d’une part à piloter le process pour qu’il produise de l’électricité en tenant compte des consignes et du rendement exigé. D’autre part il faut le surveiller pour éviter le dépassement des rejets dans l’atmosphère et contraindre alors l’arrêt des fours. De la même façon, l’objectif pour le service maintenance est de maintenir le fonctionnement en continu de l’usine et donc sans interruption. Au bioréacteur, l’objectif est d’assurer le déchargement des apports de déchets pour exploiter le casier et d’éviter les pannes et les fuites, notamment au niveau des tuyaux de gaz et des lixiviats. Une majorité des opérateurs définissent alors une bonne journée de travail par le respect de ces exigences.

« Une bonne journée de travail c’est quand on a déjà fait nos objectifs, brûler ce qu’on avait à brûler avec des rejets corrects » Chef de quart Incinérateur_56 « Tous les matins quand j’arrive je regarde les deux cheminées, c’est bon les deux fument c’est déjà bien. Je ne dirais pas que je les vois de chez moi parce que c’est quand même loin mais quand je passe je me retourne, je les regarde tourner, y’a les deux je suis soulagé. L’objectif c’est ça, enfin pour nous, je parle de la maintenance, c’est que ça tourne correctement, qu’il n’y ait pas de souci, pas d’interruption pour un truc qu’on aurait pu prévoir » Agent de maintenance Incinérateur_ 52 « La bonne journée c’est quand tout se passe bien, qu’il n’y a pas de souci, qu’on a réussi à résoudre les problèmes » Chef de quai et agent chargé du suivi du réseau_71

Que ce soit au bioréacteur ou à l’incinérateur la mauvaise journée est donc dépendante du fonctionnement des équipements des infrastructures. Les pannes, la perte de production, les défauts électriques, les difficultés à résoudre ou trouver les déficiences sont autant d’éléments qui vont contraindre l’activité des agents et définir la mauvaise journée.

« Après les mauvaises journées c’est vraiment quand il y a des gros soucis quoi, ça arrive un automatique plante un truc comme ça alors là oui tu stresses, là c’est pas bon, là je dirais c’est des très mauvaises journées parce que là tu risques vraiment de flamber tes chaudières et là c’est pas bon, un bourrage d’extracteur c’est de la perte de production etc … .» Chef de quart Incinérateur_56 « Aujourd’hui c’est une journée moyenne on va dire parce qu’il fallait arrêter et nettoyer le scalpeur pour 8h, il fallait arriver pour 8h » Adjoint chef de quart Incinérateur_49 « La mauvaise c’est l’inverse, quand tout va mal, on le sent déjà le lundi quand ça commence mal la semaine c’est comme ça, quand ça commence mal et qu’on n’arrive pas à résoudre et qu’on met du temps à résoudre les pannes, du moins quand on n’arrive

77

Les variables mobilisées dans cette sous-partie : « Problèmes de la production ; déchets non valorisables ; agents de pollution ; direction d’entreprise ».

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pas à trouver de solutions, ça c’est la mauvaise journée de travail. » Chef de quai et agent chargé du suivi du réseau _71

Les problèmes de production sont divers dans ces types d’installation. La difficulté à l’incinérateur est qu’un dysfonctionnement sur une partie de l’usine ou sur un équipement peut impacter et générer d’autres problèmes de gravité relativement important. Les pannes sur les machines du process (notamment sur l’incinérateur) représentent un des freins à la production et un risque pour l’environnement. Par exemple, l’un des problèmes récurrents est le bourrage d’extracteurs des mâchefers. Cela peut conduire à l’arrêt de la production. En outre, intervenir sur ces machines n’est pas sans dangers pour les opérateurs

78. Situées dans une zone fortement poussiéreuse et en hauteur,

accéder à ces machines est risqué car il faut sauter d’une machine à une autre. Par ailleurs, lors du « débourrage », les agents seront en contact direct avec des déchets volumineux et pouvant être coupants. Les fuites de vapeur et les pannes sur le traitement des fumées sont le deuxième facteur de problème dans la production. Une fuite peut engendrer un risque environnemental et mettre en danger la sécurité des agents. Suivant son emplacement et l’évaluation de sa gravité, elle nécessite une action décisionnelle et curative directe.

« Les problèmes c’est les problèmes de casses mécaniques, après je ne vois pas trop, ça peut être différents problèmes comme des trémies qui se bouchent, des trucs comme ça, des petits soucis de la vie quotidienne, il faut y faire attention pour ne pas qu’il y ait de problèmes. Des trucs qui peuvent nous gêner… il peut y en avoir plein de problèmes, un grappin qui tombe en panne, une trémie qui se bourre… des problèmes de process, des trucs qui tombent en panne et qui impliquent qu’on arrête certains mécanismes, si on est en sous-effectif en plus c’est un peu difficile. […] Mettons on passe un week-end ou une nuit qu’on a un dépassement sur des seuils […] Donc on explique on a eu ça, dépassement de ça, parce qu’on avait ça en fosse, voilà on est intervenu mais bon malgré l’intervention on n’a pas pu résoudre le problème. » Adjoint chef de quart Incinérateur_49 « [par rapport à un problème au traitement des eaux] Non j’ai déjà touché les pH je l’ai dit à Gabriel tu sais ce qu’il m’a répondu de toute façon ce soir à 4h, il m’a fait comme ça il m’a tapé sur l’épaule, « de toute façon tu sais quoi, à 4h, je suis 15 jours en vacances donc après », je lui dis « ouais mais tu penses pas au mec qui est là ce week-end et qui va s’emmerder tout le week-end, il me dit « je compatis, je compatis ». Ouais mais bon c’est bien gentil » […] Et ben le problème si t’as le pH qui est trop bas, t’arrives à la remise à pH t’as le pH trop bas, après je repasse au rejet final donc si le pH est trop bas ben boum je ne rejette plus » Adjoint chef de quart Incinérateur_49

Cet adjoint rapporte une difficulté technique qui implique pour lui une surcharge de travail et un risque d’arrêt de la production. Le pH est un facteur important dans le traitement de l’eau. Nous voyons ici que si « le pH est trop bas » (soit qu’il donne une indication trop basse sur la teneur de l’eau) il peut contraindre le rejet des eaux. Ici, il s’agit des eaux provenant du traitement des fumées qui avant leurs rejets doivent être traitées. La directive 2000/76/CE comporte un certain nombre de surveillance et de contrôle des effluents liquides dont la mesure du pH en continu. Sur le bioréacteur, le premier risque important énoncé est celui de l’incendie. L’un de nos enquêtés rapporte qu’en été il y a souvent des débuts de feu. Pour ne pas prendre de risque d’accidents professionnels, d’endommagement du matériel et éviter des externalités négatives sur l’environnement, l’aire d’exploitation sur le casier a été réduite.

« Au début ils étaient plus grands mais maintenant ils ont des interdictions d’exploitation au-delà de tant de m², je crois que c’est au-dessus de 5000m², on n’a pas le droit d’exploiter plus à cause des incendies et de la sécurité donc on les fait plus petits alors ils durent moins longtemps. […] Pour les risques d’incendies, on fait des petites zones c’est plus facile à maitriser donc sur un casier qui fait 5000m² on en utilise que la moitié au

78

Se rapporter au travail d’Isabelle Bazet (2004) « Analyse des représentations des risques chez les opérateurs d’exploitation et de maintenance d’installations industrielles du type UIOM (Usine d’incinération des Ordures Ménagères) Polysémie des représentations et distribution de la gestion des risques.

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départ, quand on a fini on est monté sur une moitié, on la couvre de terre, on la saupoudre pour ne pas que ça prenne feux et pour les odeurs. Et on travaille sur l’autre après jusqu’à temps qu’on monte au même niveau et après on travaille sur une autre, sur une autre et après on monte comme ça jusqu’en haut. Et à la fin on recouvre tout et on ferme tout. » Agent Polyvalent Bioréacteur_76

Photo 31 : Plan du bioréacteur (représentation de trois casiers d'exploitation)

Certains types de déchets représentent aussi un frein à la production et un obstacle dans la « bonne » conduite de l’incinérateur ou de l’exploitation des casiers du bioréacteur. Sur le bioréacteur, on observe que l’arrivée de matelas et d’encombrants, bien qu’habituelle, est facteur de ralentissement de l’activité et de contraintes supplémentaires pour les agents. De même, à l’incinérateur, l’élimination de certains déchets industriels banals (DIB), en particulier ce que les opérateurs appellent « le stérile », peut être difficilement maitrisable et traitable lors la conduite de l’installation. Ces déchets « indésirables » impactent les rejets, nécessitant alors une vigilance accrue et une concentration constante sur les indicateurs et des ajustements incessants pour le traitement des fumées et de l’eau.

« Les matelas c’est le pire, les matelas en plus y’en a qui les entourent de ficelle, nous, on arrive vroum, il ne s’écrase pas lui, bon à force on l’a mais voilà quoi, des matelas mais y’en a à la pelle, à la pelle, c’est impressionnant. » Conducteur bioréacteur_73 « Quand le gars il ouvre les portes du camion, quand on voit que ça commence à tomber que c’est pas… des frigos, des gazinières, une fois c’est arrivé et on a refusé le camion entier, on lui a remis dedans et il est reparti, ou une fois des pare-chocs de voiture aussi, que des pare-chocs en plastique. » Agent Polyvalent bioréacteur_76 « Alors le stérile, le vrai terme c'est le RBA (résidus de broyage automobile), c'est les plastiques automobiles des voitures, donc quand les voitures vont à la casse ils récupèrent les plastiques, ils les broient, et ça par exemple c'est très galère parce que déjà c'est très fin donc c'est très dur à attraper tu prends le grappin et souvent le temps que tu lèves t’en a partout d’éparpillés et après quand tu brûles là c'est pas facile, là il faut savoir jongler, c'est pas de tout repos, donc ça ouais c'est vraiment du plastique c'est de la mousse expansible essentiellement c'est tout ce qui est tableau de bord, garniture de porte et tout ça et ça c'est pas bon du tout à brûler. » Chef de quart incinérateur_56 « Un bon produit c’est des ordures ménagères, du papier, du bon combustible bien mélangé avec plein de molécules d’eau et tout ça pour avoir un bon pouvoir calorifique » Conducteur Pontier Incinérateur_55 « Il vaut mieux qu’il rentre du DIB tout le temps mais après tu as des problèmes de production […] Le problème du DIB c’est que déjà au niveau de tes rejets tu fais plus de rejets, donc tu consommes plus de réactifs, donc tu fais plus de soude donc donnant-donnant » Adjoint chef de quart Incinérateur_49 « Bon il faut savoir que par exemple dans l’après-midi on n’est pas tout seul, après y’a un poste de nuit s’il rentre du produit très mauvais c’est difficile après… après ce que ça

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importe c’est qu’il faut arrêter la ligne si on fait trop de polluants, par les textes de loi il faut arrêter la ligne, donc après c’est un truc pour s’emmerder et après il faut redémarrer la ligne, si ça arrive dans l’après-midi la ligne va être arrêtée on va être obligé de l’arrêter et après il faut la redémarrer à minuit, surtout quand on est en production d’électricité enfin en période hivernale. » Conducteur Pontier Incinérateur_85

D’autres éléments extérieurs à l’installation peuvent aussi intervenir comme le vent et les intempéries, en particulier sur le bioréacteur, et empêcher l’activité de déchargement des apports.

« Des fois il faut aller refaire un fossé parce qu’il y a des évacuations d’eau et tout ça avec les intempéries ils se bouchent […] Quand il y avait de grosse tempêtes de vent on ne pouvait pas accueillir les camions parce que ça s’envolait au fur et à mesure » Agent polyvalent Bioréacteur_76 « [A propos du bioréacteur] Le problème c’est que quand y’a du vent ils ne peuvent pas décharger parce que tout s’envole, et c’est vrai que y’a 3 semaines il y a eu la moitié d’une semaine où il a fait du vent, ils sont tous arrivés ici c’était la folie, y’avait des camions jusqu’à l’entrée du portail, ça arrivait plein pot le matin et comme il y avait du vent ils ne pouvaient pas vider là-bas donc ils viennent tous ici. » Adjoint chef de quart Incinérateur _49

L’intervention des entreprises en sous-traitance peut aussi présenter un risque pour la sécurité de l’usine et des hommes. Les individus extérieurs sont considérés comme des facteurs de risque et comme des éléments de perturbation. N’ayant pas une connaissance optimale du process, ces agents restent « sous surveillance » car leur comportement peut être imprévisible et parfois dangereux. Dans le même temps, les accueillir, les accompagner sur le terrain, répondre à leurs attentes, représentent des tâches supplémentaires peu reconnues et qui suscitent du stress.

« On savait les entreprises qui étaient là mais on ne savait pas où elles travaillaient exactement. Maintenant y’a le lieu de travail déjà donc ce qui nous permet en cas d’incendie, en cas de choses comme ça de savoir où aller chercher les gens. C’est vrai que c’est très bien parce qu’on l’a vu quand on avait eu le feu au-dessus là, c’était pendant les arrêts techniques donc on avait les entreprises qui étaient notées dans l’usine alors qu’elles étaient parties donc quand on a fait notre truc pour les faire sortir des fours et tout ça on a trouvé personne, là tu te dis ils sont là ou pas, t’as quand même un doute. » Chef de quart Incinérateur_56 « Mais comme y’a tout le temps des travaux donc… Des fois y’a une entreprise qui vient pour faire un regard, une autre pour vider un bassin, des entreprises de pompage donc il faut les accompagner, leur montrer le travail qu’il y a à faire […] » Agent Polyvalent Bioréacteur_76 « On est plus tranquille oui au niveau personnel parce qu’il y a moins de monde, il n’y a pas les entreprises extérieures qui viennent, y’a pas les camions qui viennent donc c’est déjà un souci en moins parce que comme là tu as beaucoup de camions à superviser aussi donc t’es obligé de venir et tu n’es pas là, t’as pas les entreprises et les gens qui viennent à ouvrir donc tu peux te consacrer qu’au pont la nuit, t’es tranquille la nuit, tu peux faire ton train-train tranquille, tu fais ton boulot tranquillement. Adjoint chef de quart_49 « Quand t’avais les deux lignes c’était infernal, t’avais peut-être 80 ou 100 personnes, oh lala, et puis des fois t’as des intérimaires qui arrivent « on m’a envoyé là pour travailler avec un monsieur mais je ne le connais pas il est où » ? Oh lala, l’un qui cherchait l’autre, l’autre qui cherchait l’un, ils couraient derrière les bons de consignation parce que quand il te faut arrêter un appareil il te faut le bon de consignation pour travailler dessus, ils cherchaient X ou ils cherchaient X à l’époque pour voir où c’est qu’ils étaient c’était pas évident. Ils s’appelaient au talkie, ils s’appelaient au téléphone, c’était folklorique. Ils t’appelaient « je cherche le responsable, il est où ? », « je ne sais pas », 10 minutes après t’avais le responsable « je cherche un tel tu ne sais pas où il est ? » Tu sortais de là t’avais la tronche comme ça, quand ça arrive à 8h à la barrière entreprise, entreprise, entreprise, toutes les 30 secondes il faut ouvrir la barrière, encore ils ont mis ça mais

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avant on ne l’avait pas alors il fallait te lever (Commande au niveau du fauteuil d’alimentation des fours). » Adjoint chef de quart_74

D’autres éléments de perturbation par les technologies d’information et de la communication ont été observés en salle de commande. Au cours des tâches de surveillance du process, de gestion de la fosse et des chauffeurs ou intervenants extérieurs (décris ci-dessus), l’opérateur doit aussi jongler : - avec les alarmes qui se déclenchent de manière incessante, - rester en contact via le talkie walkie avec son équipe qui est sur le terrain, - répondre à leurs demandes mais aussi à celles du service maintenance. Par exemple, pour intervenir sur différentes machines, il faut formuler une demande d’autorisation d’intervention pour que l’opérateur en salle de commande consigne certains équipements, - suivre l’évolution des travaux effectués par les équipes variées sur le terrain - tenir informer les travaux des uns et des autres, - retranscrire par écrit sur le cahier de quart le déroulement de la journée. Ainsi, engagé sur plusieurs tâches, l’opérateur doit pouvoir rester concentré, disposer d’une bonne disponibilité psychologique et savoir les gérer selon la nature et le rythme spécifique de chacune d’entre elles. Lors de notre présence en salle de quart, nous avions alors l’impression d’observer un chef d’orchestre qui coordonnait les interventions et ses collègues.

A cela, s’ajoute la saisonnalité de l’activité des déchets, soit la difficulté de prévoir la quantité des apports qui vont entrer dans les installations. Selon les jours, les semaines, les mois, les volumes sont variables, en contrepartie la charge de travail des opérateurs alternent entre des périodes calmes ou soutenues. Cette absence de prévision contraint parfois les opérateurs à s’organiser autrement et à être en retard dans des tâches préventives ou de nettoyage. Le rythme de travail peut donc être soutenu.

« Non, enfin si c’est l’été et qu’on a du tonnage, parce qu’on a beaucoup plus de tonnage l’été, là ils trouveront quelqu’un ou alors ils enlèveront… celui qui est venu avec moi tout à l’heure qui fait à la journée lui ils vont le mettre avec nous si vraiment y’a pas de… mais sinon d’habitude on prend un contractuel. […] Si vous voulez les camions qui viennent vider poubelles on en a beaucoup moins le mercredi et le jeudi, bon ben s’il manque un gars sur ces deux jours, à deux ça passe, c’est pas très grave, mais si c’est lundi, mardi ou vendredi si on ne peut pas nous remplacer… bon l’hiver on y arrive, ça passe à deux, mais si c’est l’été… » Conducteur bioréacteur_75 « Ah mais nous quand on se fait bombarder par contre comme le lundi ou le mardi là on n’a pas le choix, là on n’a même pas le temps de descendre du compacteur. Des fois pour boire le café on se relaye, c’est-à-dire que celui de l’exploitation il appelle il dit « allez va boire le café je te prends le compacteur », sinon on ne va pas le boire, y’a des fois c’est à fond à fond. Et puis on n’a pas le choix parce qu’il faut vider sinon après les camions ils ne peuvent pas vider. Si on fait attendre les camions là je ne vous dis pas, des portes de prison ces gens-là, ouais après ça remonte au bureau comme quoi machin ouh la, comme quoi ils ne peuvent pas vider parce que c’est plein, ça fait peur. » Conducteur Bioréacteur_73 « Pareil pour les déchets d’ailleurs, quand il y a eu un mois creux, au mois d’octobre, on avait arrêté carrément les lignes, personne n’était pressé de la remettre en marche, j’ai dit : « pourquoi ? », la réponse « Dans la réception des déchets on est déjà au-dessus [de l’arrêté d’exploitation] donc faut limiter. » » Agent de maintenance Incinérateur_52

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Photo 32 : Apport des déchets entrant au bioréacteur (à l’année)

Enfin, outre les aléas techniques qui peuvent survenir à tout instant, lorsque les incidents sont jugés « critiques », les marges de manœuvre des exploitants sont réduites car la résolution de l’incident implique de prendre en compte les avis du service maintenance, des cadres et de la direction. Dans l’usine d’incinération, les entretiens et les observations relatent des difficultés de coopération et de coordination entre le service maintenance et de l’exploitation. Deux cultures de travail semblent se confronter entre les exploitants et ceux qui assurent la maintenance. Cette difficile cohabitation n’est pas propre à cette usine (Bourrier, 2009), elle a pu être observée et analysée dans d’autres milieux industriels (nucléaire, automobile, chimique, aéronautique).

« On ne fait pas les mêmes choses, eux ils réparent et nous on exploite et c'est sûr qu’en exploitant nous on use le matériel et donc on fait de la casse, alors c'est vrai que quand il y en a de trop c'est normal qu’ils râlent mais après il y a l’usure normale et c'est vrai que ça leur file du boulot et donc ça ne plait pas toujours. » Chef de quart Incinérateur_56 « Voilà après ça manque de coordination beaucoup ici je trouve, y’a toujours la guerre entre l’exploitation et la maintenance » Agent de quart Incinérateur_85

Cependant, lors des pannes et des processus de décision pour les résoudre, on observe un travail de collaboration et de coopération qui n’est pas sans difficultés et sans accroches. Les interactions et les échanges sont nombreux car il existe un objectif commun. Les deux équipes sont à la recherche d’un compromis ou consensus pour réduire les risques et redémarrer la production. Cet espace de négociation passe par l’interdépendance entre exploitants et maintenance. Les dialogues et les conversations autour de la panne sont nombreux et sont parfois arbitrés par les responsables des deux services et la direction.

Arrivée à la salle de commande ou salle de conduite, je vois trois exploitants et quatre agents de maintenance en train de discuter entre eux. Attablés autour des postes de contrôle, ils discutent et réfléchissent sur la cause d’un dysfonctionnement du scalpeur (machine qui sépare les mâchefers en fonction de leurs tailles). Pendant une heure aucun d’entre eux ne m’adresse la parole. La discussion est difficile à suivre, d’une part elle est très technique et d’autre part elle est très animée : ils se coupent la parole, certains tentent d’imposer leur point de vue en parlant fort. Deux personnes de la maintenance tentent d’expliquer au chef de quart. Au bout d’une heure, deux agents maintenance décident de partir, « c’est la fin de journée » et la discussion « tourne en rond », l’un d’entre eux ajoute « on verra ça lundi en réunion, en espérant que ça tienne le coup et que ça tourne bien ce week-end, bon week-end les gars ». Notes de terrain 2011

Dans la gestion des pannes et des aléas productifs dans l’incinérateur, des opérateurs rapportent des différences dans la conception d’une bonne exploitation entre eux et les cadres, notamment lorsqu’il faut remettre en marche une partie de l’usine ou prendre une décision. On constate qu’à l’intérieur d’une même organisation industrielle, différents groupes d’acteurs qui défendent leur intérêt. Par exemple, les cadres souhaitent un redémarrage rapide pour répondre aux objectifs de production et de rentabilité alors que les opérateurs adoptent une

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posture plus réflexive. Ils veulent éviter tout débordement ou erreurs pouvant occasionner une surcharge de travail ou des dommages irréversibles tant au niveau humain qu’environnemental. Selon les personnalités, les visions divergent et vont mettre l’accent sur la production, ou sur les risques professionnels et accidents de travail, ou encore sur les risques environnementaux.

« Mais c’est vrai qu’on n’a pas les mêmes objectifs, nous on veut redémarrer tranquillement sans rien oublier, sans oublier quelqu’un dans un four, et c’est vrai qu’il y a d’autres personnes faut redémarrer vite vite parce que derrière c’est des enjeux financiers, des machins que nous on ne voit pas, donc on n’a pas les mêmes objectifs, donc y’en a c’est vite vite et nous on veut contrôler si ça c’est bien fermé, si ça machin etc. » Chef de quart Incinérateur_56 « C’est un peu comme aujourd’hui quand tu es obligé d’arrêter une ligne parce qu’il y a eu un souci quelconque, parce qu’il y a des bourrages d’extracteurs, qui dit bourrages d’extracteurs dit ben perte d’incinération, t’as du produit brûlé en moins, manque d’électricité et puis tu crées des risques autant pour le matériel que pour le personnel, à chaque fois qu’on débourre un extracteur y’a des risques professionnels d’accidents de travail même si tu prends toutes les précautions… .» Chef de quart Incinérateur _56 « Ils sont tous arrivés les chefs et les directeurs surexcités à 8h, y’avait quelques alarmes ils ont posé des questions de « pourquoi y’avait quelques alarmes » et des fois y’a des trucs on a beau leur expliquer ils ne comprennent pas, eux ils voient un truc, il faut que ça marche de suite, on dit mais non ça ne peut pas marcher de suite, ce n’est pas instantané, donc on essaye de leur expliquer mais ils ne comprennent pas tout des fois. Et comme ils ne sont pas tout le temps, parce qu’ils ne voient la supervision que par comment dire, par morceaux, donc il est venu il me dit t’as vu ça pourquoi tu ne fais pas ça, j’ai dit je l’ai fait y’a 1/2h, j’ai dit « ça n’a rien fait », alors j’ai dit « bien sûr toi tu vas le faire maintenant ça va jouer sur ton CO [rejet du monoxyde de carbone] sur les 10 premières minutes mais après dans le temps au bout d’une heure ça va redevenir comme c’était donc ça ne sert à rien ». Tout à l’heure j’étais à 1000 ici et il me dit « pourquoi tu n’augmentes pas le ventilateur d’air secondaire », j’ai dit « oui mais je l’ai fait », et au bout d’un certain temps tu passes quand même à des taux qui sont vraiment élevés quoi »… Adjoint chef de quart Incinérateur_49

Pour finir, ajoutons que contrairement aux opérateurs de centre de tri, ces agents ont connaissance de l’environnement institutionnel de leur activité et des dispositifs qui sont développés pour la normer, les contraintes réglementaires étant présentes à chaque étape du travail. On voit que l’incorporation du risque dans les pratiques est importante. Les agents définissent « une bonne journée de travail » en fonction des critères « risques environnementaux » qui leur sont fixés par les institutions.

« Une bonne journée de travail c’est quand on a déjà fait nos objectifs, brûler ce qu’on avait à brûler avec des rejets corrects » Chef de quart incinérateur_ 56 « Si tu veux tu as un quota journalier, si tu dépasses t’es obligé, regarde c’est marqué là, arrêter le processus suivant l’arrêté ministériel, c’est officiel, donc aucun dépassement autorisé, enclenchement du compteur, par exemple celui-là, c’est arrêt immédiat des déchets, vidange de la goulotte, grille, à partir du 8

e moyenne diminué

constaté du dépassement de la journée en cours redémarrage possible » Agent de quart incinérateur_85

Que ce soit dans l’incinérateur ou le bioréacteur, les procédures à suivre et les réponses à apporter aux problèmes sont connues et directement intégrées dans les pratiques des agents.

« Si y’a une fuite mettons sur une pompe qui se trouve sur les puits qu’on a, on a des pompes qui envoient les jus des ordures, les lixiviats dans le bassin, si je sais qu’il y a quelque chose de coupé boum je coupe ma pompe pour éviter, moi de m’en prendre dessus, et pour ne pas que ça pollue toute la terre qu’il y a autour, de là après je préviens mon chef et j’attends les ordres de mon chef. Donc si y’a ce genre de chose, y’a un protocole de choses à faire, ce genre de choses. » Chef de quai bioréacteur_71

L’arrivée de la pointeuse dans l’incinérateur est un élément de plus au niveau de la surveillance des risques industriels. Récemment mise en place dans l’installation étudiée, elle ne concerne

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que le personnel de conduite. À chaque quart, les conducteurs pontiers doivent parcourir l’ensemble de l’installation pour inspecter, surveiller et contrôler des équipements de l’usine. Sur certaines machines et à différents endroits de l’installation, sont collées des pastilles qu’ils ont l’obligation de biper à l’aide d’une pointeuse portative. Une autre forme de contrôle de l’installation et de l’équipe de quart s’est instituée : un temps minimal de 2 heures de ronde défini par les cadres de l’usine. Trois justifications sont données à son installation : le contrôle des personnels qui pouvaient parfois s’absenter les soirs et les week-ends ; la réduction des risques en cadrant plus fortement les pratiques des agents lors des rondes ; une sécurité plus importante au niveau d’un possible accident pour un remboursement optimal des assurances. Dans ces trois cas, la mise en sécurité du process est le principe sous-jacent de ce nouveau dispositif. Les agents concernés réagissent différemment à sa mise en place bien que tous s’accordent sur son inutilité, elle n’attesterait en rien de la qualité du travail effectué :

« Ça c’est pour la ronde apparemment c’est les assurances qui ont demandées ça parce que rien ne prouvait que la ronde était faite dans l’usine donc pour les assurances ils veulent des garanties mais c’est comme tout, c’est pas pour ça que ta ronde est bien faite. Après tu peux faire une ronde, tout pointer et ne pas surveiller, tu peux faire ta ronde en 2 heures sans avoir fait la surveillance et en pointant tout, mais après bon c’est vrai que si t’es consciencieux tu le feras, et puis si tu ne l’as pas fait tu le notes et tu dis pour telles et telles raisons. » Chef de quart incinérateur_ 56

*** Le bioréacteur et plus particulièrement l’incinérateur sont deux activités dans le secteur des déchets sur lesquelles se cristallisent des phénomènes de blocages et d’inquiétudes par rapport aux impacts sanitaires et environnementaux qu’elles pourraient engendrer. Représentants toutes deux des dangers, la gestion de la sécurité et des risques n’est organisée et rapportée dans ce régime de référence qu’en fonction des risques industriels et technologiques. La question des risques au travail, pourtant nombreux et qui pourraient s’avérer irréparables pour la santé de ces opérateurs, n’est pas relayée par ce groupe de travailleurs. Si l’effet sur le corps de l’agent est absente de la réflexion sur le risque, la composante organisationnelle est esquissée par le travail collectif des différents opérateurs qui œuvrent à la surveillance de ces installations. La brève description de la situation de travail de ces opérateurs a permis ainsi de mieux cerner une caractéristique commune à ces deux installations (incinérateur et bioréacteur). La gestion de l’imprévu pour maîtriser les risques mais aussi pour continuer à produire est au centre de l’activité. Le risque environnemental est abordé par cette nécessité de maintenir la production. Il ressurgit directement lorsque les opérateurs émettent des doutes par rapport à certaines pratiques et par rapport à la fiabilité des différents équipements et le risque d’exposition à certaines substances. Les aléas et les facteurs de risques inhérents dans ces deux installations sont nombreux. Ils associent le respect des normes environnementales et des objectifs économiques et de rentabilité. Ils donnent à voir la nécessaire coopération entre les acteurs et les machines et entre les groupes d’acteurs. Pour finir, ils ne partagent pas tous la même conception d’une bonne exploitation ni n’interprètent de la même façon la survenue d’une panne.

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6 Conclusion et Recommandations Cette étude sur le travail dans les industries de déchets avait pour objectif d’analyser le travail oublié dans les industries du déchet. En élargissant la question du travail productif à la prise en compte des aspects économiques et environnementaux du secteur, nous nous sommes intéressés aussi à d’autres acteurs. Les 87 entretiens ont fait l’objet d’un traitement statistique par deux logiciels. L’analyse factorielle issue des propos de nos enquêtés a mis en lumière trois résultats importants de cette recherche. Nous avons ainsi analysé six discours singuliers assumés par six groupes d’acteurs. Ainsi au terme de ce travail, quels enseignements sont à tirer de notre étude ? Nous voudrions dans un premier temps revenir sur les trois résultats forts qui ont structurés ce rapport. Puis, dans un second temps nous proposons des recommandations pour favoriser et penser conjointement la prise en compte des travailleurs et de leurs conditions de travail et le développement de la valorisation des déchets.

A) Une première tension et opposition entre le travail d’exécution dans les

centres de tri des déchets ménagers et le travail de conception du secteur A partir de l’analyse factorielle, sur l’axe « Travail », nous avons analysé cette première opposition. Le travail d’exécution du tri est essentiellement représenté par les propos des « salariés de la base » du tri (trieurs, agents au sol, maintenance, encadrement intermédiaire). Les porte-paroles du « travail de conception » sont principalement des acteurs de la conception, des élus, des cadres et directeurs des installations de déchets.

Le tri des déchets est effectué par trois catégories de professionnel. Les agents de maintenance, les agents au sol et les trieurs occupent une position tout à fait centrale dans le dispositif et dans le processus du tri. Bien que les machines coordonnent et organisent l’activité de travail, en particulier ceux des opérateurs de chaîne, nous avons vu la part importante du travail manuel. Sur leur poste, l’activité de travail des trieurs se caractérise par des conditions de travail difficiles et par une pénibilité tant sur le plan physique que moral. Si les agents au sol et de maintenance ont une plus grande autonomie, leur environnement de travail est insalubre, poussiéreux et bruyant. Les risques et les atteintes à la santé dans cette installation sont multiples : exposition aux déchets souillés provoquant du dégout, aux déchets dangereux (seringues, bris de verre, produits toxiques), apparition de maladies professionnelles et de douleurs chroniques. Sur le plan moral, les métiers stigmatisés du déchet, la dépréciation sociale et le manque de reconnaissance des qualifications de ces travailleurs contribuent à alimenter les difficultés initiales. Pourtant, dans les installations étudiées, le taux de turn-over est faible et les salariés s’attachent à rester dans ce milieu professionnel. La sécurité de l’emploi, le salaire et les avantages sociaux (prime, 13

ème mois, participation aux bénéfices etc.) participent à cet

attachement. Il dépend également du parcours professionnel de ces opérateurs souvent marqué par des évènements difficiles (perte d’emploi, accumulation de petits boulots, contrats temporaires etc.) et de l’absence de diplômes. C’est au sein des collectifs de travail et de la relation aux autres que le salarié peut se procurer une identité et une reconnaissance sociale. Les finalités « écologiques de la production peuvent aussi aider à (re)trouver un sens au travail. Mais, notre recherche a montré que les difficultés organisationnelles et techniques pouvaient séparer le travailleur de ces finalités, en particulier lorsqu’il a l’impression de faire un travail de moindre. Ce travail d’exécution s’oppose au travail de conception qui se caractérise par sa complexité. De nombreux acteurs et logiques sur les objectifs environnementaux, économiques et sociaux cohabitent, ce qui n’est pas sans heurts, sans contradictions et sans conflits. La vision des cadres réglementaires et leurs applications résultent d’un travail de concertation et de négociation entre les différentes parties prenantes. Les réglementations et normes environnementales construites par le haut, sont retravaillées au niveau du département et des

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collectivités locales. On observe ainsi des arrangements territorialisés. Pour nos interlocuteurs, les « nombreux » changements réglementaires peuvent aussi être des contraintes. Ils signalent en plus un manque d’appui de l’Etat et de ses services, une insuffisance d’informations ou de la difficile capacité à opérer ces changements. Les différents modes de traitement et de valorisation sont aussi discutés par nos interlocuteurs au regard des enjeux économiques. Si les industriels défendent la complémentarité des filières (enfouissement, incinération, valorisation matière), la question des coûts d’investissement et de fonctionnement des installations apparaît centrale dans le choix d’un mode de traitement. Les élus prêtent aussi attention aux enjeux sociaux, notamment, la création d’emplois. Ainsi, favoriser ou maintenir des petites installations, qui seraient moins rentables, est un paramètre important des décisions politiques. L’une des principales contradictions relatée par les industriels du déchet concerne la taille des installations et leur capacité de traitement. La zone de traitement établit dans le plan départemental est jugée « insuffisante ». Elle contraindrait alors les objectifs productifs et de rentabilité des industriels. Les aspects économiques et la question du marché sont aussi des préoccupations de ce groupe d’acteurs. Le marché du déchet est incertain. Les fluctuations des prix des matières premières (le tri) ou la potentielle non reconduction des contrats d’exploitation des installations contraignent l’activité de travail des dirigeants-industriels et des salariés. Les objectifs de réduction de déchets occupent là aussi une place centrale. En effet, les enjeux environnementaux pourraient, dans le cas présent, bouleverser les équilibres productifs, économiques et sociaux de ces installations.

B) Des logiques d’action publique différenciées des logiques d’action privée

Le deuxième résultat fort de notre étude issu de l’analyse factorielle, concerne l’existence de deux logiques différentes : celle du public et celle du privé. La première est exposée par les propos des élus membres d’Optitri et par les responsables d’exploitation des deux centres de tri (C1 et C2). Les discours sur les logiques du privé regroupent des salariés de l’entreprise Valori et des salariés de centres de tri privés.

Dans les discours, les logiques d’action publique privilégient l’intérêt général. Ce groupe d’acteurs (porte parole du syndicat de traitement et de valorisation des déchets ménagers) souligne les notions d’égalité et d’équité territoriale entre villes et campagnes. Le fonctionnement de ce syndicat se base sur le procédé de la péréquation des ressources et sur la mutualisation des équipements et du service. Le coût du traitement des déchets ne varie pas selon la situation géographique de la collectivité adhérente. Bien que les discours abordent peu la dimension environnementale, elle n’en est pas absente. C’est autour de l’explication du fonctionnement du bioréacteur et de la présentation du pôle de recherche sur les énergies que la caractéristique « verte » du syndicat est justifiée et promue. C’est également sur le volet social que s’organise le discours. La création et le maintien d’emploi pour une population « vulnérable », la politique salariale jugée intéressante et la souplesse managériale seraient des caractéristiques propres à la gestion publique. Pour finir, l’usager est aussi au centre du discours. Nos interlocuteurs s’y réfèrent en particulier pour exposer leur rapport au déchet et leurs pratiques de tri. A cet égard, ils nous montrent la nécessité, en tant que travailleur ou élu, d’assurer encore aujourd’hui, un rôle d’éducation auprès du grand public. Les discours sur les logiques d’actions privées se constituent d’une part autour des modalités de gestion et de fonctionnement d’une entreprise privée, et d’autre part sur le travail syndical et la négociation collective. De la même façon que dans les discours de la logique publique, les acteurs du privé souhaitent se démarquer du public. Les arguments portent sur leur capacité de « contrôle » de la concurrence et de leur gestion plus professionnelle. Les aspects techniques et financiers seraient des atouts permettant la « bonne » gérance de ces installations coûteuses en investissement et fonctionnement. Pour ces filiales, le fait d’appartenir à un grand groupe apparaît aussi comme un plus. Au niveau technique, les partages d’expériences entre les

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différents sites sont un avantage. Il en est de même pour les outils de centralisation tels que la GMAO. L’efficacité, la rentabilité, la productivité et la nécessité de rester compétitif et pérenne sur le marché sont au cœur des rationalisations à l’œuvre dans ces industries. Rappelons que les grands groupes ont souvent des pôles de recherche très développés avec de nombreux partenariats universitaires et industriels. L’action syndicale apparaît plus organisée et plus forte en comparaison du public. La négociation collective s’organise sur les aspects de santé et de sécurité au travail, sur la formation professionnelle et les politiques salariales. Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail d’une des entreprises étudiées est jugé peu efficace par les salariés. Mais le discours d’un responsable syndical rapporte au contraire un dynamisme et une volonté affichée sur le domaine de la santé. La formation professionnelle occupe aussi une place centrale. L’avancement de carrière et la mobilité entre les métiers du groupe est un objet du travail syndical. Selon nos interlocuteurs, mais aussi selon nos propres observations, le secteur du déchet au niveau des exécutants ne permet que très rarement le développement de la carrière et les passerelles entre les métiers, en particulier chez les femmes. Mais, comme nous l’avons vu les revendications des salariés se focalisent sur les revenus. Si les grèves dans le milieu de la collecte portent, en partie, sur l’amélioration des conditions de travail, elles restent sur ce sujet très rares dans le domaine du traitement.

C) Une opposition entre les risques professionnels et les risques environnementaux Le troisième résultat fort de notre recherche concerne le risque. Nous avons vu que le discours des experts, concerne les atteintes à la santé des trieurs de déchets et aux manières d’y remédier. Ce discours s’oppose à celui des salariés du bioréacteur et de l’incinérateur qui relatent les risques environnementaux de leurs installations et les manières dont ils ordonnent leurs activités de travail. Les centres de tri sont l’objet de réflexions et de mesures de prévention pour agir sur les risques professionnels, notamment sur le développement de troubles musculosquelettiques. Ces dernières années, différents organismes et experts se mobilisent autour de la santé des trieurs. Ils se regroupent et élaborent des préconisations, des recommandations et des normes. Dans les centres de tri, des efforts ont aussi été entrepris. Les formations en sécurité au travail, les rotations sur les postes, la venue d’ergonomes ou de bureaux d’études, le choix d’équipements de protection individuelle et des procédures ont été mis en place pour améliorer le quotidien des trieurs. Cependant, nous observons qu’aujourd’hui les rationalisations passent par la mécanisation du process de tri. Elles sont motivées par l’enjeu de la santé au travail, mais aussi par des intérêts économiques. En effet, la mécanisation et les innovations technologiques doivent permettre un meilleur rendement, une meilleure qualité des matières et l’adaptation aux nouvelles potentialités de l’activité. Les conséquences des changements techniques ne sont pas toujours évaluées, voire sous-estimées quant aux transformations sur les métiers du tri. Les nouvelles machines ne correspondent pas toujours aux attentes initiales, notamment au niveau de leur performance. Enfin, à terme, elles pourraient remettre en question l’existence du métier de trieur sous sa forme actuelle. Les risques professionnels s’opposent aux risques environnementaux. L’incinérateur et le bioréacteur sont perçus comme des menaces sur l’environnement et sur la santé publique. Elles cristallisent des enjeux sociaux forts. Bien que le contenu du travail et le niveau d’exigence technique soient différents, les salariés de ces deux installations doivent être en mesure de faire face à l’aléa technique et à l’événement imprévu. De plus, leur travail est beaucoup plus varié (hors conducteur d’engin du bioréacteur) que dans les centres de tri. A l’incinérateur, le temps d’apprentissage sur le fonctionnement de l’usine est long et les savoirs accumulés sur l’outil industriel agissent comme des repères. Ils sont d’ailleurs reconnus comme des facteurs aidant à limiter des risques industriels et les dommages à l’environnement. Le deuxième point commun de ces deux activités industrielles réside dans l’importance de mener un travail de surveillance et de contrôle. L’obligation d’être conforme aux normes

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environnementales et aux arrêtés d’exploitation et l’impératif d’être en capacité de prévenir ou d’anticiper l’événement (pour ne pas freiner la production) sont au cœur des logiques organisationnelles de l’activité de travail. En effet, dans ces deux installations de déchets, mais davantage à l’incinérateur, atteindre les objectifs de production tout en respectant les seuils réglementaires des mesures environnementales est essentiel. Une majorité des opérateurs définissent alors une bonne journée de travail par le respect de ces obligations.

Des leviers d’action

Associer étroitement les salariés lors de travaux de rationalisation. Valoriser, promouvoir et légitimer la parole des premiers concernés, en l’occurrence les travailleurs, leurs représentants et l’encadrement intermédiaire. Renforcer leur rôle dans le choix des nouveaux équipements et des travaux. Il s’agit de favoriser la coopération entre les concepteurs, les experts, les directions et les travailleurs.

La mécanisation des centres de tri et le remplacement des hommes par les machines doivent inclure une réflexion sur les transformations du métier de trieur.

Mieux prendre en compte les retours d’expériences des travaux de rationalisation et/ou d’amélioration, pour agir sur les conditions de travail des opérateurs du déchets. Mesurer les effets de l’automatisation des process du tri, de l’incinération et de l’enfouissement par des enquêtes salariés. Puis, les diffuser à un niveau national. Diffuser l’évaluation de « bonnes pratiques ».

Penser les modes de collecte en cohésion avec les modes de traitement. Les

dispositifs publics doivent intégrer les risques professionnels des salariés du déchet. Intensifier la collecte des DASRI et les informations auprès des usagers. Favoriser la collecte sans sac plastique par des mesures incitatives. Informer les membres des collectivités locales des risques professionnels pour les rendre visibles.

Informer et actualiser les consignes de tri auprès des travailleurs dans les

centres de tri.

Valoriser les formes de sociabilité au travail entre les équipes de travail. Nous

l’avons vu le collectif de travail contribue à la construction d’une identité et à la mise en place de solidarités au travail. Les études sur le travail dans les industries et sur l’amélioration des conditions de travail ne peuvent occulter les formes de management dans ces industries.

Adapter les formations en sécurité de travail à la réalité du métier et des

situations de travail.

Mettre en œuvre les passerelles entre les métiers du secteur des déchets voire

vers d’autres métiers. Favoriser la formation professionnelle.

Mettre en œuvre le développement des carrières des femmes. Le secteur des

déchets se féminise, en témoigne les équipes mixtes dans les centres de tri. Mais, le développement des carrières des femmes reste limité.

Agir sur les refus de déchet. On pourrait imaginer qu’à l’instar des clips de prévention

pour la sécurité routière, de créer des clips sur le tri en montrant les déchets non recyclables sur les chaînes de tri et les risques pour les travailleurs.

Renforcer l’image des métiers du déchet par le biais de visite des installations et de

campagnes montrant la réalité des situations de travail, en particulier les centres d’enfouissement et les incinérateurs.

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Redéfinir et élargir le périmètre d’actions des CHSCT, notamment dans les groupes privés et dans les installations complexes. Tous les métiers du secteur sont inégalement représentés dans les CHSCT, de plus quand ils fonctionnent à l’échelle de la région il semble plus difficile pour les représentants de s’y investir.

Mettre à jour ou créer des indicateurs sur les métiers du secteur des déchets.

Connaître les effectifs d’emploi de chaque métier, les accidents de travail, les maladies professionnelles etc.

Développer et coordonner les études en sciences humaines et sociales sur le travail dans les industries de déchets. Permettre une meilleure estimation et évaluation des risques (notamment sur les risques d’exposition aux substances dangereuses) dans la population des travailleurs.

Revoir la réglementation portant sur la cohésion entre le dimensionnement des

unités de traitement et leur capacité de traitement avec les plans départementaux.

Renforcer l’information sur le mode de fonctionnement d’Eco-Emballages auprès des

acteurs en charge de la gestion des déchets ménagers.

Renforcer l’accompagnement au niveau réglementaire et technique auprès des

acteurs en charge de la gestion des déchets ménagers.

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7 Annexes

Grille d’entretien commune à tous les acteurs p143

Organigramme des services d’OPTITRI p147

Organigramme Bioréacteur d’OPTITRI p148

Organigramme Centre de tri C1 et C2 Optitri p149

Organigramme Centre de tri C3 et Incinérateur Valori p150

Représentations graphiques des trois axes p150

Tableau des enquêtés p153

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7.1 Grille d’entretien commune à tous les acteurs Au carrefour de l’action publique, du marché et du travail, le secteur du déchet s’organise. Ces trois dimensions répondent et pallient aux réglementations, normes environnementales, et aux politiques nationales (voire européennes et internationales). Quelles sont les représentations communes ou différentes à ces trois dimensions, se reflètent chez chacun des acteurs œuvrant au fonctionnement du secteur des déchets ?

Objectifs : - Analyser le processus de production dans les centres de tri, et connaître comment il est appréhendé par les différents acteurs. - Mettre à jour la multiplicité des acteurs intervenants dans la structuration des décisions et dans le travail des éco-industries.

- Garder l’anonymat des personnes, de l’entreprise, et des données que les interlocuteurs jugent « confidentielles ».

Le travail

Organisation du travail et

conditions de travail

Caractéristiques de « l’employé » ou de l’acteur : 1) Type de contrat, qualification, trajectoire 2) Motivations. Pourquoi avoir choisi cet emploi, ou fonction ? 3) Fonction au sein de Trifyl, investissement dans Trifyl,

connaissance de son histoire etc…

Activités de travail : 4) Décrire votre activité de travail sur une journée, sur une semaine. 5) Quelles compétences et qualités doit-on mobiliser pour le métier

de trieur ? 6) Qu’est ce qu’une bonne/mauvaise journée de travail ? 7) Cadre temporel (horaires, temps de travail, pauses, congés) 8) Contraintes physiques/Préoccupation ergonomique 9) Comment envisagez-vous votre carrière ? Souhaiteriez-vous

vous impliquez davantage ? A quel niveau ? Vous en donne t-on la possibilité ?

Relations de travail : 10) Rapport avec les collègues 11) Rapport avec la hiérarchie 12) Evaluation du dialogue social 13) Rapport avec le voisinage de l’entreprise

Action publique et politique

publique

Les acteurs : 14) Quels sont les acteurs majeurs composant le secteur et l’action

publique ?

Les dispositifs : 15) Que savez-vous de la politique sur les déchets? Comment la

jugez-vous ? Qu’est ce qu’un « déchet », un « produit », ou un « produit recyclable » ?

16) Comment voyez-vous les relations, les liens entre l’Etat et les collectivités ?

17) Différents dispositifs et initiatives sont mis en place pour réduire les déchets (au niveau des taxes ou des redevances incitatives

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sur l’usager, les campagnes de sensibilisation au tri, les responsabilités élargies sur le producteur, le Grenelle…), qu’en pensez-vous ? Par quels dispositifs êtes-vous concerné ? Quels problèmes se posent ?

Les enjeux : 18) Quels sont les enjeux, les contraintes, les problèmes autour du

secteur des déchets ? 19) Les contraintes techniques et réglementaires entravant une

gestion publique du secteur ? 20) La coordination européenne influence t-elle votre activité ? 21) Quelles différences à observer entre une gestion publique et une

gestion privée ? 22) Comment combiner la recherche d’efficacité économique (en

conciliant le respect du service public) ? 23) En quoi les « communes » rattachées à X adopte une politique

de gestion innovante ou différente face à d’autres communes ? 24) Que pensez-vous du dispositif Eco-emballage ? et de la

polémique depuis ces derniers mois ?

Le marché/Econom

ie

25)Les modes de financements pour l’élimination des déchets municipaux (subventions, contrats, aides européennes etc.) ? A quelle hauteur pour chaque acteur « financeur » ? L’offre : 26) Quels sont les services et les produits de l’entreprise ? 27) Qui contribue à la définition de ces produits ? 28) Se développer ? comment ? par quels moyens ?

La demande : 29) Qui sont les clients ? les fournisseurs ? (les déchets des

ménages, des commerces, des administrations publiques et privées … ) Quels types d’accords ou de contrats ?

Articulation offre/demande 30) Comment est organisée la revente des produits triés et à

recycler ? 31) Sur quels critères sont établis les coûts économiques ? Différents

selon les « clients » ? Comment maîtriser ses coûts ? 32) Est-ce que le marché fonctionne ? Remplit-il son rôle ? 33) Quelles sont les principales contraintes, problèmes de la

production : l’aspect social (turn-over, absentéisme, AT … ), l’aspect économique (baisse du coûts des matières premières, problèmes d’approvisionnements) ? Quelles conséquences ?

34) Quelles sont les particularités de la rentabilité du secteur ? 35) Mettre en place une politique de prévention des déchets, ne

risque t-il pas de bouleverser la base de l’activité? 36) Quel est le rôle de la rationalisation de la production ?

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Valeurs environnementales,

Développement durable

et rapport au déchet

Le rôle de l’entreprise dans la protection de l’environnement : 1) La responsabilité sociale de l’entreprise ? 2) Comment concilier les trois piliers du développement durable (la

composante de l’économie, du social, et de l’environnemental) ? A votre avis, une de ces composantes est-elle plus valorisée ?

La santé : normes de sécurité au travail, prévention, accident : 3) La mise en place du CHSCT ? Depuis quand ? De qui est-il

composé ? Comment s’organise t-il ? 4) Dans les installations de déchets, est-on face à des métiers à

risques ? A quel niveau ? 5) Quels outils ou dispositifs sont mis en place pour prévenir la

notion de pénibilité au travail ? Relations clients et voisinage 6) Est ce qu’il y a eu des problèmes avec des associations ou des

acteurs (le voisinage, la concurrence, ou encore des associations « écologistes ») sur les lieux d’implantation des différents sites ? De quel ordre ? Comment ont-ils étaient réglés ? Est-il important de mettre en place des outils de communications importants ?

7) Le rôle des usagers et des associations riveraines : des réunions

publiques tenues lors des implantations des différents sites ? Des réunions publiques s’organisent-elles encore aujourd’hui ? Quels types de problèmes ont été soulevés ?

8) De quelles façons les attentes des uns et des autres (pouvoirs publics centraux et locaux, employés, environnementalistes et usagers …) coïncident ou pas ?

Le déchets : valeurs 9) Comment travailler avec le déchet (interroger les sentiments de

honte, de dégoût) ou au contraire voir le déchet comme une ressource économique, une matière première ?

10) Discours managérial, quel sens donner à l’activité des agents de tri (acteur de écologie et de la protection de notre environnement ?)

11) Est ce un métier pour préserver la planète ? 12) Faire le choix de la mise en place d’un centre de tri de déchets et

d’un bio-réacteur relève t-il de l’éthique ? Sur quels domaines (environnemental, social, économique) ?

Eléments biographiques

- homme/femme, Age ? - Etes-vous marié/célibataire/divorcé ? - Enfants ? - Profession des parents et/ou, du conjoint, et/ou des enfants ? - Formation scolaire (diplômes ?) - Activités ou métiers exercés avant celui-ci ?

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7.2 Organigramme des services d’Optitri

Présidents

Vice-Présidents

Direction Générale des

Services

Mission prospective et

Contrôles

Cellule Contrôle de Gestion et Prospective budgétaire

Système d'information

Optimisation filière

Affaires Juridiques

Direction du Pôle des Energies

renouvelables

Bioréacteur

Biogaz

Bois-Energie

Direction de l'exploitation et

de la logistiques

Transports

Exploitation et Logistique

Travaux, Maintenance et

Patrimoine

Direction des Ressources

Humaines et du Management

Durable

Paie

Hygiène et Sécurité

Carrière / Formation

Direction des affaires

financières

Budget

Comptabilité

Achat Public

Secrétariat Général

Recherche et Développement

Communications et Relations Extérieures

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7.3 Organigramme Bioréacteur d’Optitri

Direction du Pôle des Energies renouvelables

Bioréacteur

Technicien d'exploitation

7 agents bioréacteur

1 agent d'accueil et de Pesée

2 chefs de quai

1 agent de surveillance

Biogaz

Technicien Biogaz

1 agent chargé du suivi des réseaux

3 technicien Biogaz et des équipement de

valorisation énergétique

Bois-Energie

Ingénieur Bois Energie

2 agents

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7.4 Organigramme Centre de tri C1 Optitri

7.5 Organigramme centre de tri C2 Optitri

Directeur

Technicien d'exploitation

Centre de tri et Compostage

Agent d'accueil et de pesée

Agent de plateforme de Compostage

Chef d'équipe Centre de tri

17 trieurs 4 agents au sol 2 Techniciens

de Maintenance

Directeur

Technicien d'exploitation

Centre de tri et Compostage

Agent d'accueil et de pesée

Agent de plateforme de Compostage

Chef d'équipe Centre de tri

12 trieurs 4 agents au sol Technicien de Maintenance

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Le Travail dans les Industries de Déchets

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7.6 Organigramme centre de tri C3 Valori

Responsable centre de tri

Agent d'accueil et de pesée

Agents de Maintenance (2)

Chef d'équipe

Responsable poste

Responsable Presse (1) / Agents au sol (2) / Chef de

cabine (2)

11 Trieurs

Responsable Presse (1) / Agents au sol (2) / Chef de

cabine (3)

11 Trieurs

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Le Travail dans les Industries de Déchets

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7.7 Organigramme Incinérateur Valori (niveau productif)

7.8 Les représentations graphiques des trois axes

Directeur du site

Directeur adjoint

Responsable maintenance

Service maintenance ( 7

techniciens)

Assistant Méthode Responsable exploitation

Service d'exploitation (5

équipes de quart, 1 chef de quai)

Service traitement de l'eau

(1 responsable et 1 agent)

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Le travail du tri des déchets : un travail d’exécution

Le travail de conception sur les déchets

Axe 1. Le travail Le travail du tri des déchets : un travail d’exécution

Le travail de conception sur les déchets

Axe 1. Le travail

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Logiques d’action publique Logiques d’action privée

Axe 2. Les logiques d'action du traitement des déchets

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Les risques professionnels

Les risques environnementaux

Axe 3. Les risques : travail contre environnement.

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Le Travail dans les Industries de Déchets

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7.9 Tableau des enquêtés

N° d'entretien Fonction Age

Salariés Centres de tri

1 Trieur 40-50

2 Trieur 40-50

3 Trieuse 40-50

4 Trieuse 40-50

5 Trieuse 40-50

6 Trieuse 40-50

7 Trieuse 30-40

8 Trieuse 20-30

9 Trieuse 50-60

10 Trieuse 50-60

11 Trieur 30-40

12 Trieuse 40-50

13 Trieur 40-50

14 Trieuse 40-50

15 Trieur / agent au sol 40-50

16 Trieur 50-60

17 Trieuse 50-60

18 Trieuse 50-60

19 Chef de cabine 40-50

20 Chef d'équipe 50-60

21 Chef d'équipe 30-40

22 Chef d'équipe 30-40

23 Chef d'équipe 40-50

24 Contremaître d'exploitation 50-60

25 Contremaître d'exploitation 50-60

26 Chef d'équipe 40-50

27 Chef de cabine 50-60

28 Contremaître d'exploitation 50-60

29 Contremaître d'exploitation 50-60

30 Directeur centre de tri 50-60

32 Agent de maintenance 50-60

33 Agent de maintenance 50-60

34 Trieur 40-50

35 Trieur 50-60

36 Agent de maintenance 30-40

37 Agent de maintenance 20-30

38 Agent de maintenance 40-50

39 Trieur 50-60

40 Trieur 40-50

41 Agent au sol 50-60

42 Agent au sol 30-40

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43 Agent au sol 50-60

44 Remplaçante Trieuse (CDD) 30-40

45 Remplaçant Trieur (CDD) 20-30

46 Polyvalente 40-50

47 Agent au sol 40-50

48 Responsable presse / agent au sol 30-40

87 Trieuse 50-60

N° d'entretien Fonction Age

Salariés bioréacteur

71 Chef de quai et Agent chargé du suivi du réseau 20-30

72 Responsable d'exploitation 30-40

73 Conducteur 40-50

75 Conducteur 40-50

76 Polyvalent 40-50

N° d'entretien Fonction Age

Salariés Incinérateur

49 Adjoint chef de quart 30-40

50 Directeur Adjoint 50-60

51 Conducteur Pontier 20-30

52 Agent de maintenance 40-50

53 Agent de maintenance 30-40

54 Responsable d'exploitation 50-60

55 Conducteur Pontier 30-40

56 Chef de quart 40-50

58 Responsable maintenance 30-40

74 Adjoint chef de quart 30-40

83 Chef de quart 30-40

85 Adjoint chef de quart 30-40

86 Conducteur Pontier 50-60

57 Directeur de site 50-60

N° d'entretien Fonction Age

Salariés Siège Optitri

61 Directeur général des services 50-60

62 Responsable service optimisation des filières 50-60

63 Responsable d'exploitation des centres de tri (C1 et C2) 40-50

64 Coordinateur du service hygiène et sécurité 20-30

65 Responsable Ressources Humaines 30-40

84 Direction 50-60

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Le Travail dans les Industries de Déchets

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N° d'entretien

Fonction Age

Membre bureau Optitri

60 Membre bureau / élu politique

66 Membre bureau / élu politique

67 Membre bureau / élu politique

68 Membre bureau / élu politique

d'entretien Fonction Age

Acteurs périphériques

31 Directeur centre de tri 50-60

69 Représentant d'une fédération environnementale 50-60

70 Agent de la Préfecture 30-40

79 Eco-Emballages 50-60

82

Directeur régional Grand Groupe Privé / Président d'un syndicat professionnel 60-70

59 Président d'un syndicat de traitement 60-70

77 Agent de la Cram 40-50

78 Eco-Emballages 50-60

80 Responsable Syndical 40-50

81 Ergonome 20-30

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8 Bibliographie Ast D., Margontier S., 2012, « Les professions de l’économie verte : typologie et caractéristiques », Dares Analyse, n°18, mai Bahers J.B., 2012, Dynamiques des filières de récupération-recyclage et écologie territoriale : l’exemple de la filière de traitement des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) en Midi-Pyrénées, Thèse de doctorat en Géographie Aménagement, Toulouse Barbier R., 2002, « La fabrique de l’usager. Le cas de la collecte sélective des déchets », Flux, n°48-49 2005, « L’implantation conflictuelle des équipements collectifs. Réflexions à partir de la gestion des déchets », in Terreaux J-P., Economie des équipements pour l’eau et l’environnement, Paris, Cemagref, p129-144 Bazillier R, 2011, Travail, le grand oublié du développement durable, Paris, eDDen Beck U., 1986, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion Bertolini G., 1990, Le marché des ordures, Paris, L’Harmattan Beck G., 2012, « Déchets, toxiques et santé : des relations complexes », in Que faire des déchets ménagers, Le Bozec A., Barles S., Buclet N., Keck G., Versailles, Quae Bourrier M., 1999, Le nucléaire à l’épreuve de l’organisation, Paris, PUF 2009, « Maintenance, risque et fiabilité organisationnelle : une première exploration » in (dir.) De Terssac G., Boissières V., Gaillard I., La sécurité en action, Toulouse, Octarès Boussard V., Loriol M., Caroly S., 2006, « Catégorisation des usagers et rhétorique professionnelle : Le cas des policiers sur la voie publique », Sociologie du Travail, vol.48, p209-225 Braverman, H., 1974, Labor and Monopoly Capital : The Degradation of Work in the Twentieth Century., New York, Monthly Review Press Buclet N., 2005, « Gestion de crise environnementale et démocratie participative : le cas de l’incinération des déchets ménagers », Politiques et management public, vol. 23, n°2, p91-116 Buclet N., Salomon D., 2008, L’influence de la démocratie participative locale sur la représentation sociale des risques liés à la gestion des déchets, Rapport pour l’Afsset et l’ADEME. Caroly S., Clot Y., 2004, « Du travail collectif au collectif de travail développer des stratégies d’expérience », Formation Emploi, n°88, p43-55 Catel Duet A., 2007, « Etre ou ne pas être : le groupe comme firme unifiée ou comme ensemble de sociétés ? Une approche sociologique, Droit et Société, n°67, p615-629 Chiron E., Roquelaure Y., Ha C., Touranchet A., Chotard A., Bidron P., Ledenvic B., Leroux F., Mazoyer A., Goldberg M., Imbernon E., 2008, « Les TMS et le maintien en emploi des salariés de 50 ans et plus : un défi pour la santé au travail et la santé public », Santé Publique, vol.20, p19-28 Coninck De F., 1991, « Evolutions post-tayloriennes et nouveaux clivages sociaux », Travail et Emploi, n°49 Coriat B., 1990, « L’atelier et le robot », Paris, Christian Bourgeois

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Daniellou F., Simard M., Boissières I., 2010, « Facteurs humains et organisationnels de la sécurité industrielle : un état de l’art », Les cahiers de la sécurité industrielle, n°2010-02 Davezies P., 2005, « La santé au travail, une construction collective », Santé et Travail, n°52, p24-28 De Terssac G., 1992, Autonomie dans le travail, Paris, PUF 2002, Le Travail : une aventure collective. Recueil de textes, Toulouse, Octarès De Terssac G., Boissières V., Gaillard I., 2009, La sécurité en action, Toulouse, Octarès De Terssac G., Friedberg E., (dir.), 1996, Coopération et Conception , Toulouse, Octarès Dodier N., 1995, Les hommes et des machines. La conscience collective dans les sociétés technicisées, Paris, Métaillé Gernet I., Dejours C., 2009, « Evaluation du travail et reconnaissance », Nouvelle revue de psychosociologie, n°8, p27-36 Giddens A., 1994, Les conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan Godart O., Buclet N., 1997, « L’émergence négociée d’une norme économique commune au

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Fondation de la Maison des sciences de l’homme

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Cour des Comptes, 2011, « Les collectivités territoriales et la gestion des déchets ménagers et

assimilés », Rapport public thématique, Paris, 303p Groupement Terra SA – Trident Service, « Etude de l’adaptabilité des centres de tri des déchets ménagers aux évolutions potentielles des collectes séparées. », 2013, Etude réalisée pour le compte de l’ADEME, Eco-Emballages et EcoFolio, Mathieu C., Follet S., (TERRA S.A.), 2013, « Etat des lieux du parc des centres de tri de recyclables secs ménagers en France, mars 2013 », Etude réalisée pour le compte de l’ADEME

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Derrière de couverture Version Française

L’ADEME EN BREF

L'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de

l'Energie (ADEME) participe à la mise en œuvre des

politiques publiques dans les domaines de

l'environnement, de l'énergie et du développement

durable. Afin de leur permettre de progresser dans

leur démarche environnementale, l'agence met à

disposition des entreprises, des collectivités locales,

des pouvoirs publics et du grand public, ses

capacités d'expertise et de conseil. Elle aide en outre

au financement de projets, de la recherche à la mise

en œuvre et ce, dans les domaines suivants : la

gestion des déchets, la préservation des sols,

l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables,

la qualité de l'air et la lutte contre le bruit.

L’ADEME est un établissement public sous la tutelle

du ministère de l'écologie, du développement durable

et de l'énergie et du ministère de l'enseignement

supérieur et de la recherche. www.ademe.fr