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REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2013 - N°456 // 87 Le virus Mayaro : une virose guyanaise émergente Patrice Bourée a,b, *, Georges Fichet c , Didier Lepeytre d , Francine Bisaro e article reçu le 26 mars, accepté le 15 avril 2013. © 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. 1. Introduction La Guyane française, en zone équatoriale amazonienne, est une terre d’aventures qui attire chaque année de nom- breux touristes. Mais ils peuvent rapporter des pathologies tropicales dont le diagnostic est parfois difficile à établir, comme ce fut le cas des trois observations suivantes, concernant un groupe de 10 personnes ayant séjourné deux jours en forêt humide (figure 1), près de Kourou, ville côtière à l’embouchure du fleuve du même nom, située à 60 km au nord-ouest de Cayenne. 2. Observations 2.1. Cas 1 Une femme de 50 ans, demeurant à Cayenne, a consulté une semaine après son séjour en forêt pour une fièvre à 38,5 °C avec des frissons et des polyarthralgies qui persistaient depuis plusieurs jours malgré les traitements symptomatiques. Elle a été traitée par oracilline pendant 8 jours et par anti-inflammatoires non stéroïdiens pendant 2 mois. Sur le bilan biologique, on a constaté un hémo- gramme normal, une CRP < 5 mg/l et une VS à 16-33 mm. La recherche de paludisme et de dengue était négative. Son état général s’est amélioré mais elle a gardé des polyarthralgies distales pendant environ 6 mois. 2.2. Cas 2 Un garçon de 8 ans a présenté des céphalées, des fris- sons et une fièvre à 37,9 °C apparus dans les jours qui ont suivi son retour de forêt. Puis, une dizaine de jours après, sont apparus des arthralgies, un œdème des mains et des pieds et un exanthème morbilliforme sur le thorax. L’hémogramme était normal ainsi que la CRP, mais la VS était à 21-40 mm. a Consultation des maladies tropicales Institut Alfred-Fournier 25, bd Saint-Jacques 75014 Paris b Centre de santé – Maripasoula – Guyane c Cabinet médical – Cayenne – Guyane d Service des urgences – Hôpital de Chartres e Sciences du vivant – Université Paris VII * Correspondance [email protected] CLINIQUE Figure 1 – Forêt guyanaise. 2.3. Cas 3 Une fillette de 11 ans a présenté, quelques jours après son séjour en forêt, une fièvre à 38 °C, des céphalées des frissons et des rachialgies, puis, deux semaines plus tard, des arthralgies des mains et des pieds et un œdème des chevilles. L’hémogramme donnait un chiffre de 5 000 leucocytes/mm 3 et de 158 000 plaquettes/mm 3 . La CRP et la VS étaient normales. Chez ces trois patients, ayant présenté un syndrome dengue-like, le diagnostic a été apporté par la positivité en IgM du sérodiagnostic du virus Mayaro. Le traitement n’a été que symptomatique et les patients ont progressi- vement évolué vers la guérison. 3. Discussion 3.1. Un virus d’Amérique du Sud Les séjours aventureux en Guyane sont divers et pas- sionnants (remontée des fleuves en pirogue, marche en forêt, nuits en hamac sous des carbets rustiques) mais exposent aux vecteurs de diverses pathologies. En par- ticulier, la dengue est en recrudescence et le paludisme est devenu résistant à plusieurs antipaludiques. En outre, sont présents d’autres agents pathogènes, qui provoquent des syndromes dengue-like comme le virus Mayaro dans les zones forestières où se trouvent hôtes et vecteurs. Le virus Mayaro est un arbovirus à ARN, (famille des Togaviridae, genre alphavirus), émergent en Amérique du Sud, dont il existe 2 génotypes L (au Brésil) et D (Amazonie) [1]. Il a été isolé pour la première fois en 1954 à Trinidad [2].

Le virus Mayaro : une virose guyanaise émergente

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THÉMATIQUE À TAPER

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2013 - N°456 // 87

Le virus Mayaro : une virose guyanaise émergentePatrice Bouréea,b,*, Georges Fichetc, Didier Lepeytred, Francine Bisaroe

article reçu le 26 mars, accepté le 15 avril 2013.

© 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

1. Introduction

La Guyane française, en zone équatoriale amazonienne, est une terre d’aventures qui attire chaque année de nom-breux touristes. Mais ils peuvent rapporter des pathologies tropicales dont le diagnostic est parfois difficile à établir, comme ce fut le cas des trois observations suivantes, concernant un groupe de 10 personnes ayant séjourné deux jours en forêt humide (figure 1), près de Kourou, ville côtière à l’embouchure du fleuve du même nom, située à 60 km au nord-ouest de Cayenne.

2. Observations

2.1. Cas 1Une femme de 50 ans, demeurant à Cayenne, a consulté une semaine après son séjour en forêt pour une fièvre à 38,5 °C avec des frissons et des polyarthralgies qui persistaient depuis plusieurs jours malgré les traitements symptomatiques. Elle a été traitée par oracilline pendant 8 jours et par anti-inflammatoires non stéroïdiens pendant 2 mois. Sur le bilan biologique, on a constaté un hémo-gramme normal, une CRP < 5 mg/l et une VS à 16-33 mm. La recherche de paludisme et de dengue était négative. Son état général s’est amélioré mais elle a gardé des polyarthralgies distales pendant environ 6 mois.

2.2. Cas 2Un garçon de 8 ans a présenté des céphalées, des fris-sons et une fièvre à 37,9 °C apparus dans les jours qui ont suivi son retour de forêt. Puis, une dizaine de jours après, sont apparus des arthralgies, un œdème des mains et des pieds et un exanthème morbilliforme sur le thorax. L’hémogramme était normal ainsi que la CRP, mais la VS était à 21-40 mm.

a Consultation des maladies tropicalesInstitut Alfred-Fournier25, bd Saint-Jacques75014 Paris b Centre de santé – Maripasoula – Guyane c Cabinet médical – Cayenne – Guyane d Service des urgences – Hôpital de Chartres e Sciences du vivant – Université Paris VII

* [email protected]

CLINIQUE

Figure 1 – Forêt guyanaise.

2.3. Cas 3Une fillette de 11 ans a présenté, quelques jours après son séjour en forêt, une fièvre à 38 °C, des céphalées des frissons et des rachialgies, puis, deux semaines plus tard, des arthralgies des mains et des pieds et un œdème des chevilles. L’hémogramme donnait un chiffre de 5 000 leucocytes/mm3 et de 158 000 plaquettes/mm3. La CRP et la VS étaient normales.Chez ces trois patients, ayant présenté un syndrome dengue-like, le diagnostic a été apporté par la positivité en IgM du sérodiagnostic du virus Mayaro. Le traitement n’a été que symptomatique et les patients ont progressi-vement évolué vers la guérison.

3. Discussion

3.1. Un virus d’Amérique du SudLes séjours aventureux en Guyane sont divers et pas-sionnants (remontée des fleuves en pirogue, marche en forêt, nuits en hamac sous des carbets rustiques) mais exposent aux vecteurs de diverses pathologies. En par-ticulier, la dengue est en recrudescence et le paludisme est devenu résistant à plusieurs antipaludiques. En outre, sont présents d’autres agents pathogènes, qui provoquent des syndromes dengue-like comme le virus Mayaro dans les zones forestières où se trouvent hôtes et vecteurs.Le virus Mayaro est un arbovirus à ARN, (famille des Togaviridae, genre alphavirus), émergent en Amérique du Sud, dont il existe 2 génotypes L (au Brésil) et D (Amazonie) [1]. Il a été isolé pour la première fois en 1954 à Trinidad [2].

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CLINIQUE

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Les trois premières épidémies, ont touché, en 1955, 50 travailleurs forestiers à l’est de Bélem et 400 personnes en Bolivie puis 800 personnes en 1978, dans une plan-tation de caoutchouc dans l’état du Para (Brésil) [3]. Le virus Mayaro a été isolé en Guyane française en 1997 [4]. Il est très répandu dans les forêts d’Amérique du Sud, du Costa-Rica à la Bolivie (figure 2) et sa prévalence sérolo-gique atteint 50 % de la population dans les zones d’endé-mie, comme le Brésil, la Bolivie ou le Guyana. Au Brésil, parmi les 200 arboviroses présentes dans le pays, dont 40 atteignant l’homme, les quatre virus posant un problème de santé publique sont les virus de la dengue, de la fièvre jaune, ainsi que les virus Oropouche et Mayaro [5].Les réservoirs sont des rongeurs sauvages, dont le taux de prévalence peut atteindre 52 % dans certaines zones [6], des oiseaux et certains singes comme les ouistitis et les singes hurleurs (Alouatta seniculus) [7] (figure 3), nombreux en Ama-zonie. Les vecteurs sont essentiellement des moustiques à activité diurne (Haemagogus), fréquents dans la canopée. Mais d’autres insectes ont été trouvés porteurs du virus, comme des Aedes, des Culex et des Mansonia [8, 9]. L’homme est un

hôte accidentel qui risque de s’infester quand il s’aventure dans les forêts d’Amérique du Sud [10]. Une contamination dans un laboratoire travaillant sur ce virus a déjà été signalée [11].

3.2. Un syndrome dengue-likeLa physiopathologie de ce virus est mal connue. Les symp-tômes cliniques sont proches de ceux de la dengue et appa-raissent après une incubation d’environ une semaine : fièvre à 39 °C avec frissons et céphalées, myalgies, arthralgies symétriques [12] avec parfois des œdèmes des poignets, des doigts, des chevilles et des orteils et parfois des genoux et des coudes. Au bout d’une semaine, apparaît une érup-tion morbilliforme sur le thorax, les bras et les jambes mais respectant le visage. D’autres symptômes sont possibles (tableau I) [13]. Tous les âges peuvent être atteints, le cas le plus jeune étant une fillette de 2 ans [14]. L’hémo-gramme, pratiqué dans les premiers jours, peut révéler une leucopénie, une lymphocytose et une thrombopénie [15] qui vont disparaître en une à deux semaines environ.Le diagnostic ne peut être affirmé que par la positivité de la sérologie en IgM et IgG en Elisa [16], inhibition de l’hémag-glutination ou en immunofluorescence indirecte [17]. Ces taux vont régresser en quelques semaines. Le virus peut être recherché par RT-PCR [18] et éventuellement par ino-culation au souriceau nouveau-né [19]. Le traitement n’est que symptomatique, en évitant les salicylés. Les symp-tômes vont régresser progressivement, mais les arthral-gies peuvent persister plusieurs mois [20]. Aucun décès n’a été signalé avec ce virus. La prophylaxie est difficile, nécessitant essentiellement une protection antimoustique (vêtements longs, moustiquaires, répulsifs sur la peau et les vêtements). Il n’existe aucun vaccin contre ce virus.

4. Conclusion

Devant un patient présentant un syndrome de type dengue et revenant d’Amérique du Sud, il faut rechercher la dengue, fréquente dans cette zone, mais aussi les autres viroses tropi-cales locales, comme le virus Mayaro. Le résultat du sérodia-gnostic est peu utile pour le diagnostic, puisque le traitement se résume à du paracétamol, mais surtout important pour le pronostic, la dengue pouvant évoluer vers une forme grave, ce qui n’est pas le cas de l’infection par le virus Mayaro.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de

conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Tableau I – Principaux symptômes constatés chez

les patients infectés par le virus Mayaro.

Nombre de patients

Symptômes

22 [13]

%

33 [19]

%

FièvreCéphaléesMyalgiesDouleurs oculairesFrissonsArthralgiesRashNauséesTouxVomissementsDouleurs abdominales

100100776359503118181313

100574839

24

9

Figure 2 – Répartition des cas d’infection par le virus Mayaro

[d’après 17].

Figure 3 – Singe hurleur, réservoir du virus Mayaro.

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