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FÉVRIERMARS LEADERSHIP La formule Ferguson C’est l’un des plus grands coachs de tous les temps. par Anita Elberse et Sir Alex Ferguson

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FÉVRIER!MARS "#$%

LEADERSHIP

La formule FergusonC’est l’un des plus grands coachs de tous les temps. par Anita Elberse et Sir Alex Ferguson

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C’est l’un des plus grands coachs de tous les temps.

La formule Fergusonpar Anita Elberse avec sir Alex Ferguson

Avant de prendre sa retraite, en mai 2013, sir Alex Ferguson a été durant vingt-six ans le manager du club de football Manchester United, une des équipes sportives qui ont le plus de valeur et alignent le plus de succès. Durant cette période, le club a gagné treize titres nationaux (Premier League), ainsi que vingt-cinq autres trophées nationaux et internationaux –!soit près du double de ce que le numéro"2 sur la liste des entraîneurs de football d’outre-Manche peut revendiquer. Ferguson a été en réalité bien plus qu’un coach. Il a joué un rôle central dans l’organisation de Manchester United, en dirigeant non seulement l’équipe première, mais le club tout entier!: «!Steve Jobs était Apple. Sir Alex est Manchester United!», a#rme David Gill, l’ancien président du club. En 2012, Anita Elberse, professeur à la Harvard Business School, a eu l’occasion exceptionnelle de se pencher sur l’approche du management de Ferguson. Elle a élaboré à partir de ses observations une étude de cas pour la Harvard Business School. C’est avec Ferguson lui-même qu’elle analyse aujourd’hui ses méthodes, couronnées de succès hors normes.1 !Harvard Business Review!Février-mars 2014

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!ANITA ELBERSE : Une réussite et une endurance telles que celles de sir Alex Ferguson exigent d’être étudiées de près, et pas seulement par les amateurs de football. Comment a-t-il fait ? Est-il possible d’identifier les constantes qui ont favorisé ses succès, ainsi que leurs principes directeurs ? Durant ce qui constitua son ul-time année d’études, mon ancien étudiant Tom Dye et moi-même avons mené une série d’entretiens en pro-fondeur avec Ferguson sur ses méthodes de direction. Nous l’avons également observé en pleine action, tant sur les terrains d’entraînement de Manchester United que dans le célèbre stade d’Old Trafford, à l’entrée duquel s’élève désormais une statue de 3!!mètres de haut de l’ancien coach. Nous avons parlé avec nombre de ses collaborateurs, de David Gill aux entraîneurs adjoints, en passant par le responsable des équipe-ments et les joueurs eux-mêmes. Nous avons aussi observé Ferguson lors de nombreuses rencontres et eu de courtes discussions avec ses joueurs ou les membres de son staff, aussi bien entre deux portes qu’à la cafétéria ou sur les terrains d’entraînement –!en fait où que ce soit, dès que l’occasion se présentait. Plus tard, Ferguson est venu nous rendre visite à la Harvard Business Review. Il a assisté au cours consa-cré à «!son!» étude de cas, donnant son avis et répon-dant aux questions des étudiants, ce qui a transformé la classe en une espèce de forum où on ne pouvait que se tenir debout, et a donné lieu à des échanges tout à!!fait captivants.

Ferguson et moi avons discuté des huit «!leçons de leadership!» qui renferment les points fondamentaux de sa méthode. Bien que j’aie pris soin de ne pas trop les extrapoler, il est clair que nombre d’entre elles peuvent s’appliquer à l’univers des a"aires, voire plus largement encore à la vie dans son ensemble. Dans l’article qui suit, je présente chacune de ces leçons comme un résultat de mes observations, avant de donner la parole à Ferguson.

Commencez par les fondationsDès son arrivée à Manchester, en 1986, Ferguson s’est employé à créer les bases d’une structure à long terme en modernisant le programme de formation des jeunes du club. Il mit en place deux «!centres d’excellence!» pour les joueurs prometteurs – dès l’âge de 9#ans – et a recruté dans cette optique plusieurs prospecteurs ayant pour mission de lui ramener les plus talentueux de ces footballeurs en herbe. La plus célèbre de ces pre-mières trouvailles fut David Beckham. Et la plus im-portante, Ryan Giggs, que Ferguson remarqua en 1986, alors qu’il n’était qu’un maigrichon âgé de 13!!ans, et qui est devenu depuis le footballeur britannique le plus

titré de tous les temps. A 40!!ans, Giggs est toujours membre de l’équipe de Manchester United. Les stars de longue date Paul Scholes et Gary Neville $rent de la même façon partie des premiers investissements réali-sés par Ferguson dans le cadre de son programme pour les jeunes. Ils ont formé, avec Giggs et Beckham, le cœur des grandes équipes de Manchester United de la $n des années 1990 et du début des années 2000. Des équipes qui ont, selon Ferguson, le mérite d’avoir façonné l’identité moderne du club.

C’était un immense pari que de miser sur des jeunes talents, quand l’idée dominante, exprimée ainsi par un commentateur de télévision respecté, était qu’«!on ne peut gagner quoi que ce soit avec des gamins!». Ferguson, pour sa part, avait opté pour une approche systémique de la question, en faisant la dis-tinction entre bâtir une équipe –!!!préoccupation exclu-sive de la plupart des entraîneurs – et bâtir un club.

SIR ALEX FERGUSON : Dès l’instant où je suis arrivé à Manchester United, je n’ai plus pensé qu’à une chose!: bâtir un club de football, et le bâtir de A à Z. Avec pour objectif de créer une %uidité et une continuité des res-sources pour l’équipe première. Avec cette approche, les joueurs grandissent tous ensemble et développent des liens a"ectifs, qui, à leur tour, génèrent un état d’esprit. A mon arrivée, seul un joueur de l’équipe avait moins de 24!!ans. Vous imaginez cela, dans un club comme Manchester United!!? Je savais que le fait de concentrer notre attention sur les jeunes allait s’inscrire dans l’histoire du club. De plus, mon expé-rience antérieure en tant qu’entraîneur m’avait appris qu’il était possible de gagner avec de jeunes joueurs, et je savais comment bien travailler avec eux. J’avais donc con$ance et j’étais convaincu que, si Manchester United voulait revenir au premier plan, il était crucial de reconstruire cette structure «!jeunes!». On peut trouver cela audacieux, mais la fortune ne sourit-elle pas aux audacieux!!?

La première pensée de la quasi-totalité des entraî-neurs qui arrivent dans un nouveau club est de tout faire pour gagner –!a$n de survivre en tant que coach. C’est pourquoi ils amènent avec eux des joueurs expé-rimentés. Cette attitude est due au fait que nous évo-luons dans une industrie focalisée sur les résultats!: dans certains clubs, il suffit de perdre trois matchs d’affilée pour se faire remercier. Dans le monde du football actuel, où l’on voit arriver un nouveau genre de dirigeants et un nouveau genre d’actionnaires, je ne suis pas sûr qu’un club, quel qu’il soit, aurait en-core la patience d’accorder quatre ans à un entraîneur pour bâtir une équipe.

3 !Harvard Business Review!Février-mars 2014

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"Gagner un match n’apporte qu’un béné$ce à court

terme, car vous pouvez perdre le suivant. Construire un club est un gage de stabilité et de cohérence. Même s’il ne faut jamais quitter des yeux l’équipe première, nos efforts pour promouvoir les jeunes ont fini par déboucher sur nos nombreux succès des années 1990 et du début des années 2000. Les jeunes joueurs ont alors incarné l’esprit du club.

Je suis toujours fier d’assister à l’éclosion d’un jeune joueur. Le travail d’un entraîneur, tout comme celui d’un enseignant, est d’inciter les gens à s’amélio-rer, à développer leurs compétences techniques, à se battre pour gagner, à devenir meilleurs au plan hu-main, et à leur donner des bases solides pour pour-suivre leur vie. Quand vous o"rez leur chance à des jeunes, vous n’allongez pas seulement la durée de vie de l’équipe, vous fabriquez de la $délité. Ils n’oublie-ront jamais que vous êtes celui qui leur a donné leur première chance. Une fois qu’ils ont pris conscience que vous agissez pour leur bien, ils acceptent vos mé-thodes. Vous encouragez en fait le sentiment d’appar-tenir à une famille. Accordez à des jeunes votre atten-tion, donnez leur l’opportunité de réussir et ils vous étonneront au-delà de ce que vous pouvez imaginer.

Osez rebâtir votre équipeMême aux moments des plus grandes victoires, Fergu-son œuvrait pour reconstruire son équipe. Durant la

période où il a dirigé le club, il a ainsi composé cinq équipes distinctes qui ont gagné le Championnat an-glais, tout en continuant à remporter sans cesse des tro-phées. Ses décisions résultaient de la perception aiguë du stade précis où se trouvait son équipe dans le cycle de reconstruction, et d’une vision tout aussi fine des cycles de vie des joueurs –!à savoir l’état de leur contribu-tion au rendement global de l’équipe à tout moment. Le processus de développement des talents incluait inévi-tablement de se séparer à un moment donné de certains joueurs, y compris des vétérans $dèles auxquels Fergu-son était personnellement attaché. Sur ce sujet, Ryan Giggs nous a dit!: «!Il ne regarde jamais l’instant présent, il est toujours tourné vers l’avenir. Il a ce don de savoir ce qu’il faut renforcer et ce qu’il faut renouveler.!»

Nos analyses des données concernant les transferts de joueurs sur une décennie révèlent à quel point Ferguson excellait aussi dans le rôle de gestionnaire d’un portefeuille de talents. Il a été un stratège ration-nel et systématique. Au cours des dix dernières années, durant lesquelles Manchester United a gagné le titre national à cinq reprises, le club a dépensé moins que ses rivaux (Chelsea, Manchester City, Liverpool) pour acquérir des joueurs, en particulier grâce à sa politique de jeunes : les moins de 25 ans y représentaient en e"et une part beaucoup plus importante des achats de nou-veaux joueurs que chez ses concurrents. Et, dans la mesure où le club était disposé à vendre des joueurs

L’idée en bref LE BILAN Avant de prendre sa retraite en mai 2013, après avoir dirigé durant vingt-six ans le club de football Manchester United, sir Alex Ferguson a été l’un des entraîneurs les plus titrés, tous sports confondus. Avec lui, le club a gagné 13 fois la Premier League et remporté 25 autres trophées anglais et internationaux.

LA QUESTIONQuelles étaient les méthodes qui ont conduit Ferguson à une telle réussite, et peuvent-elles s’appliquer sur d’autres terrains ?

LES LEÇONS L’approche de Ferguson peut être décomposée en huit principes directeurs, qui vont de l’avantage de prendre ses distances pour observer jusqu’aux détails de la préparation menant à la victoire.

NOVEMBRE !"#$SON VOYAGE VERS LA GLOIRE

Alex Ferguson est nommé manager entraîneur de Manchester United, après avoir gagné dix titres avec le club d’Aberdeen, dont une Coupe européenne aux dépens du Real Madrid. Manchester United est alors classé 20e"(sur 22) de la Premier League et est menacé de relégation. Sous la houlette de Ferguson, le club termine finalement la saison à la 11e place.

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Février-mars 2014!Harvard Business Review!4

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#qui avaient encore de belles années devant eux, il ga-gnait, grâce à ces départs, plus d’argent que la plupart de ses rivaux –!ce qui lui a permis de continuer à miser sur de nouveaux talents. Nombre des paris de Fergu-son ont concerné de très jeunes joueurs sur le point d’accéder au statut de superstars (encore qu’il lui soit parfois arrivé de puiser dans sa tirelire pour faire venir une star établie, comme le buteur hollandais Robin van Persie, acheté à l’âge de 29 ans pour 35 millions de dol-lars, au début de la saison 2012-2013). Le club laissait du temps à ces jeunes en les mettant dans les meilleures conditions pour réussir. La majorité des joueurs plus âgés étaient vendus à d’autres clubs, alors qu’ils étaient encore très cotés, mais quelques vétérans de haut niveau étaient conservés pour assurer la continuité et projeter la culture de Manchester United vers l’avenir.

FERGUSON : Nous distinguions trois groupes de joueurs selon leur âge : les 30 ans et plus, les 23-30 ans et les plus jeunes. L’idée de base, c’était que les jeunes étaient en pleine phase de développement et qu’ils réussiraient à atteindre un jour le niveau de leurs aînés. Bien que j’aie toujours essayé de le réfuter, je crois que le cycle victorieux d’une équipe dure quatre ans, après quoi il faut changer certaines choses. Nous avons donc essayé de développer une vision de l’équipe à trois ou quatre ans, et de prendre des déci-sions en conséquence. Du fait que je suis resté à Manchester United très longtemps, je pouvais me permettre de planifier à l’avance –!car personne ne s’attendait à ce que je parte où que ce soit. De ce point de vue, j’ai été très chanceux.

!% MAI !""&Manchester United remporte son premier trophée de l’ère Ferguson, la Coupe d’Angleterre. Sous sa houlette, le club gagnera en tout 38 titres – nationaux et internatio-naux – ce qui fait de Ferguson le manager le plus titré de l’histoire du football anglais.

% MARS !""!Ryan Giggs fait ses débuts en Football League. Agé de 17 ans, Giggs est issu du centre de formation des jeunes de Manchester United, réorganisé par Ferguson dès son arrivée. Giggs est considéré comme un des joueurs les plus influents depuis la création du club, il y a 135 ans. Il a joué près de 1#000 matchs (un record) et gagné 35 trophées avec Manchester United.

COUPE DES VAINQUEURS DE COUPE

SUPERCOUPE DE L’UEFA

FA CUP

CHARITY SHIELD

L’analyse des transferts de joueurs révèle que Ferguson gérait son “portefeuille de talents” de façon stratégique, rationnelle et systématique.

L’objectif était d’évoluer graduellement, en retirant les joueurs les plus âgés de l’équipe et en y intégrant des jeunes. Cela soulevait deux questions. Première-ment, qui avions-nous comme joueurs en devenir et, selon nous, comment allaient-ils évoluer dans les trois ans à venir!? Deuxièmement, y avait-il des signes mon-trant que des joueurs se faisaient vieux!!? Certains peuvent continuer à jouer très longtemps, comme Rio Ferdinand, Ryan Giggs ou Paul Scholes, mais l’âge a son importance. La chose la plus dure, c’est de se sépa-rer d’un joueur qui a été un type formidable – mais la vérité est sur le terrain. Si vous voyez le changement, la détérioration, vous devez vous demander à quoi ressembleront les choses dans deux ans.

Placez la barre très haut et responsabilisez chacun pour atteindre l’objectif C’est avec des accents passionnés que Ferguson parle de sa volonté d’inspirer des valeurs à ses joueurs. Au-delà du développement de leurs compétences techniques, il a cherché à leur apprendre à s’améliorer et à ne jamais renoncer –!en d’autres termes, à devenir des gagnants.

Son intense désir de victoire vient pour partie de sa propre expérience en tant que joueur. Après avoir in-tégré avec succès plusieurs petits clubs écossais, il avait signé dans une grande équipe – les Rangers, dont il était supporter quand il était enfant. Mais il fut rapi-dement mis sur la touche par le nouvel entraîneur et il quitta le club au bout de trois saisons, avec pour tout trophée une médaille de $naliste de la coupe d’Ecosse.

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$#' JUIN !""!Le président Martin Edwards introduit Manchester United à la Bourse de Londres. Le club est alors estimé à 47 millions de livres sterling. Son entrée en Bourse rapporte 6,7 millions de livres.

LEAGUE CUPSUPERCOUPE DE L’UEFA

PREMIER LEAGUE

!" millions de livres

% MAI !""(Manchester United remporte le Championnat anglais pour la première fois depuis 26 ans. Ainsi se conclut la première saison de la Premier League (ex-Football League), formée par 22 clubs en 1992. Manchester remportera le titre encore 12 fois sous l’ère Ferguson.

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«!L’adversité a fait naître en moi un sens de la détermi-nation qui a structuré ma vie. Je me suis mis en tête que je ne renoncerai jamais!», nous a-t-il a&rmé.

Ferguson en attendait tout autant de ses joueurs. Il a recruté en priorité ce qu’il appelait des «!mauvais perdants!», et a exigé d’eux qu’ils travaillent extrême-ment dur. Les années passant, cette attitude s’est propagée!: les joueurs n’acceptaient pas que leurs partenaires ne donnent pas le meilleur d’eux-mêmes, les plus grandes stars ne faisant pas exception.

FERGUSON : Tout ce que nous faisions tendait à péren-niser les standards que nous avions définis pour le club –!aussi bien pour bâtir l’équipe que pour la prépa-rer, la motiver ou parler tactique. Ainsi, nous n’avons jamais toléré une séance d’entraînement médiocre. Ce que vous voyez à l’entraînement se révèle les jours de match. C’est pourquoi chaque séance était axée sur la qualité!: nous n’autorisions aucun relâchement et nous mettions l’accent sur l’intensité, la concentra-tion, la vitesse – bref sur la performance de haut ni-veau. Grâce à quoi nous espérions voir nos joueurs s’améliorer à chaque séance.

Je devais placer la barre plus haut pour mes joueurs. Il fallait qu’ils ne renoncent jamais. Je ne cessais de leur répéter!: «!Si vous renoncez une fois, vous renoncerez une deuxième fois… !» Et mon éthique et mon énergie ont semblé contaminer le club!: j’étais le premier à arriver, à sept heures du ma-tin chaque jour, jusqu’à ce que, à la $n de mes années comme entraîneur, bon nombre des membres de mon staff soient là avant moi. Je crois qu’ils ont compris pourquoi je venais si tôt!: parce qu’il y avait du travail et qu’il fallait l’accomplir. Et ils devaient se!!dire quelque chose comme!: « S’il peut le faire, alors je peux le faire aussi.!»

Je n’ai cessé de répéter à mon équipe que travailler durement tout au long de sa vie est un talent. Mais j’en escomptais encore plus de la part des joueurs

stars. J’attendais d’eux qu’ils travaillent encore plus dur. Je leur disais!: «!Vous devez montrer que vous êtes les meilleurs.!» Et ils le faisaient, ce en quoi ils s’avé-raient e"ectivement être des stars –!des gens prêts à travailler plus dur que les autres. Les superstars à gros ego ne constituent pas un problème, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens. Ces joueurs-là ont besoin de gagner, car c’est la victoire qui caresse leur ego. Aussi, ils font tout ce qu’il faut pour y arriver.

J’ai souvent vu Cristiano Ronaldo, Beckham, Giggs, Scholes et d’autres s’entraîner des heures du-rant, et il me fallait les chasser du terrain. Je tapais sur la fenêtre en leur disant!: «!On a un match dimanche!!!» Mais ils voulaient encore du temps pour s’entraîner. Ils avaient compris qu’être titulaire à Manchester United n’est pas un boulot facile.

Ne cédez jamais, au grand jamais, le contrôle «!Vous ne pouvez jamais perdre le contrôle quand vous devez gérer trente professionnels aguerris qui sont tous millionnaires, nous a déclaré Ferguson. Et si un ou plusieurs d’entre eux cherchent à me prendre à parti, à contester mon autorité ou ma direction, je m’en occupe personnellement.!» Une raison essen-tielle de la pérennité des principes d’excellence à Manchester United tient à la très forte détermination de Ferguson et à sa manière implacable de répliquer aux joueurs qui ont violé ces principes. Si un joueur se conduisait mal, il était mis à l’amende. Et si ce joueur outrepassait la limite au risque de menacer la perfor-mance de l’équipe, Ferguson s’en séparait. Ainsi, en 2005, quand Roy Keane, le capitaine chevronné de l’équipe, critiqua ses coéquipiers, Ferguson mit $n à son contrat. Et l’année suivante, lorsque le meilleur buteur du club à l’époque, Ruud van Nistelrooy, afficha son mécontentement après avoir été à plu-sieurs reprises relégué sur le banc, il fut promptement transféré au Real Madrid.

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AOÛT !""# + MAI !"""Manchester United réalise le triplé Championnat – Coupe d’Angleterre!– Ligue des champions. C’est le seul club britannique à avoir jamais obtenu un tel résultat sur une saison. Alex Ferguson est anobli pour services rendus au sport. La cote d’amour du club monte en flèche.

!& SEPTEMBRE !""#Lancement de la chaîne payante MUTV, di$usant des talk-shows, des interviews de joueurs et de membres du sta$ et des redi$usions de matchs. En 2013, la chaîne est présente dans 57 pays et rapporte près de 9 millions de livres sterling par an à Manchester United.

!) AVRIL %&&!Ferguson devient le premier entraîneur depuis 1888 (création de la Football League) à remporter trois titres consécutifs de champion. Il réitérera en 2007-2008-2009.

!""' !""# !""" %&&& %&&!

LIGUE DES CHAMPIONS

COUPE INTERCONTINENTALE

Observer est crucial pour diriger. La capacité de voir les choses est primordiale, surtout celles que vous ne vous attendez pas à voir.

Dans ces histoires d’autorité, montrer sa force est nécessaire, mais pas su&sant. Il faut aussi agir sans délai, avant que la situation ne vous échappe!: en matière de contrôle, la rapidité de la réplique est tout aussi importante que sa force.

FERGUSON ,: S’il advenait un jour que les joueurs contrôlent l’entraîneur de Manchester United –!en d’autres termes, si les joueurs se mettaient à décider du contenu des entraînements, des jours de repos, des règles disciplinaires ou des choix tactiques!– alors Manchester United cesserait d’être le club que nous connaissons. Avant d’arriver à Manchester, je me suis dit que je ne laisserai personne avoir plus de poids que moi. Votre personnalité doit être plus trempée que celles des joueurs, c’est vital.

A certains moments, vous devez vous demander si tel ou tel joueur a"ecte l’atmosphère du vestiaire, la performance de l’équipe, ou encore votre autorité sur l’équipe ou le sta". Si c’est le cas, il vous faut couper les ponts, il n’y a pas d’autre solution. Peu importe si cela concerne le meilleur joueur du monde. Le projet à long terme d’un club est plus important que n’im-porte quel individu, et le manager doit être le person-nage le plus important du club.

Certains clubs anglais ont si souvent changé d’entraîneur que le pouvoir est revenu aux joueurs dans le vestiaire. C’est extrêmement dangereux. Si un coach n’a pas le pouvoir, il ne durera pas. A ce poste, vous devez arriver à tout contrôler, et les joueurs doivent admettre qu’en tant qu’entraîneur vous avez le pouvoir de changer le cours des événements. Vous!! pouvez vous compliquer la vie –!sur bien des

plans!– en vous posant la question : «!Est-ce que les joueurs m’apprécient!?!» Mais si vous faites bien votre métier, les joueurs vous respectent, et c’est tout ce dont vous avez besoin.

J’avais tendance à agir vite lorsque je m’apercevais qu’un joueur commençait à développer une in%uence néfaste. Certains diraient peut-être que j’agissais sur un coup de tête, mais je crois pour ma part qu’il était essentiel que je prenne mes décisions rapidement. Pourquoi aurais-je dû aller me coucher en étant assailli par le doute!? Dès mon réveil le matin suivant, je prenais les mesures nécessaires pour maintenir la discipline. Il est important d’avoir confiance en soi pour prendre une décision et ensuite aller de l’avant. Il ne s’agit pas de rechercher l’affrontement, ni des occasions de manifester son pouvoir!: il s’agit d’avoir le contrôle de la situation et d’exercer son autorité quand un problème survient.

Faites passer le bon message au bon moment Quand il s’agissait de communiquer des décisions à ses joueurs, Ferguson –!et cela peut paraître surpre-nant compte tenu de sa réputation de fermeté et de grande exigence!– travaillait beaucoup pour adapter son discours à la situation.

Quand il lui fallait annoncer à un joueur qu’il ne serait pas dans le onze de départ (alors que le joueur s’attendait à en faire partie), il remplissait cette mission avec délicatesse. «!En tête-à-tête, car ce n’est pas simple. Je lui disais!: “Je commets peut-être une grosse erreur (je commençais toujours par cette phrase), mais pour aujourd’hui, je considère que c’est

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%!ER AOÛT %&&%Un contrat de sponsoring est signé avec Nike pour 13 ans. Il rapporte 23,3"millions de livres par an –!un record absolu dans l’univers du football anglais.

%&&% %&&( %&&) %&&* %&&$

!% AOÛT %&&(Le club achète le Portugais Cristiano Ronaldo au Sporting de Lisbonne pour 12,2 millions de livres sterling. Six ans plus tard, il le revendra 80 millions au Real Madrid, une somme record pour un transfert.

*AUPARAVANT DÉNOMMÉ CHARITY SHIELD

COMMUNITY SHIELD*

la meilleure équipe possible.” J’essayais de leur insuf-%er de la con$ance, en leur expliquant qu’il ne s’agis-sait que d’un choix tactique et que des matchs plus importants s’annonçaient.!»

Pendant les entraînements qui précédaient les rencontres, Ferguson et ses adjoints mettaient l’ac-cent sur les aspects positifs. Et bien que les médias l’aient souvent dépeint comme l’auteur de discours féroces à la mi-temps ou lors des discussions d’après match, en réalité, il modulait son approche. «!Vous ne pouvez pas toujours arriver en criant et en hurlant. Cela ne marche pas!», nous a-t-il déclaré. L’ancien joueur Andy Cole exprime les choses ainsi!: «!Si vous avez perdu, mais que sir Alex considère que vous avez tout donné, pas de problème. Mais si vous perdez après vous être traîné sur le terrain… alors attention les oreilles!!!»

FERGUSON : Personne n’aime être critiqué. Et peu de gens s’améliorent grâce à la critique. A l’inverse, la plupart réagissent positivement à des encourage-ments. C’est pourquoi j’essayais d’en adresser quand je le pouvais. Pour un joueur, comme pour tout être humain, rien ne vaut mieux que d’entendre!: «!Bien joué!!!» Ces deux mots, les plus beaux jamais inventés, sont supérieurs à bien des superlatifs.

En même temps, dans le vestiaire, il est nécessaire de pointer les erreurs lorsque les joueurs ne répon-dent pas à vos attentes. C’est à cet instant que les cri-tiques sont importantes. Je les formulais juste après le match, pas question d’attendre le lundi. Après quoi c’était $ni, j’étais déjà dans le match d’après : cela n’a pas de sens de critiquer un joueur sans arrêt.

En général, mes causeries d’avant match portaient sur nos attentes, sur la confiance que les joueurs avaient en eux-mêmes et les uns envers les autres. J’aimais faire référence aux traditions de la classe ou-vrière. Tous les joueurs n’en sont pas issus, mais peut-être était-ce le cas de leur père, ou de leur grand-père,

et je trouvais utile de leur rappeler tout le chemin qu’ils avaient parcouru. Je leur expliquais à quel point il était important d’avoir une éthique de travail, ce qui semblait sublimer leur $erté. Et je leur rappelais que ce qui cimente la personnalité d’une équipe, c’est la con$ance entre ses membres et le fait de ne pas laisser tomber les autres.

A la mi-temps d’un match, vous avez environ huit minutes pour délivrer votre message, aussi il est vital de bien utiliser le temps imparti. Tout est plus facile lorsque vous gagnez!: vous pouvez parler aux joueurs de la nécessité d’être concentré, leur dire de ne pas céder à l’autosatisfaction et recti$er quelques détails. Mais lorsque l’équipe perd, il faut créer un choc. Même si j’aimais focaliser mon discours sur notre équipe et sur ses forces propres, je devais corriger ce qui nous faisait perdre.

Dans nos séances d’entraînement, nous cherchions à bâtir une équipe de super athlètes capables d’intelli-gence tactique. Il est impossible de parvenir à ce résul-tat avec une méthode trop douce. Il faut instiller de la peur, mais sans pour autant se montrer trop dur!: si les joueurs vivent perpétuellement dans la crainte, leurs performances en sont a"ectées. L’âge aidant, j’ai pris conscience qu’a&cher sans arrêt sa colère ne marchait pas. Il faut choisir ses moments!: l’entraîneur est quelqu’un qui, selon l’instant, joue des rôles di"érents. Il lui faut parfois agir comme un médecin, d’autres fois comme un professeur ou un père de famille.

Préparez-vous à vaincreLes équipes de Ferguson avaient un truc pour arracher la victoire dans les derniers instants d’un match. Notre analyse des résultats de Manchester United sur dix saisons récentes révèle que, durant la période, le club a été le plus performant de la Premier League lorsqu’il y avait match nul à la mi-temps, et même à quinze minutes de la fin. Les discours inspirés de Ferguson à la mi-temps et ses ajustements tactiques

#$,$ millions de livres

Février-mars 2014!Harvard Business Review!8

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&!# AOÛT %&&#Saudi Telecom Company signe un accord de 5"ans avec Manchester United, qui lui donne accès à des extraits des matchs et à d’autres contenus pour les téléphones portables. Les recettes extrasportives représentent une part croissante des revenus du club. Elles atteignent 118 millions de livres en 2012 et 28% du chi$re d’a$aires sur les neuf premiers mois de 2013.

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!$ MAI %&&*L’Américain Malcom Glazer acquiert la majorité des actions de Manchester United et retire le titre de la Bourse de Londres. Puis il prend le contrôle de la totalité du capital. Durant les quatorze ans où il a été coté en Bourse, la valeur du club a été multipliée par 17.

COUPE DU MONDE DES CLUBS FIFA

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judicieux ont certes eu leur part dans ces victoires à!!l’arraché, mais ils n’expliquent pas tout.

Quand leur équipe est menée au score et que les minutes s’égrènent, beaucoup d’entraîneurs exhor-tent leurs joueurs à se projeter vers l’avant et à atta-quer. Ferguson avait pour sa part une double ap-proche, à la fois très agressive et très systématique. Il préparait son équipe pour la victoire en lui faisant répéter à l’entraînement des schémas de jeu selon qu’elle aurait besoin de marquer à dix, cinq ou trois minutes de la fin d’un match!: «!Les entraînements visent à reproduire des situations de matchs di&ciles. Cela nous permet de comprendre ce qui est exigé pour gagner dans de tels moments!», nous a expliqué un des entraîneurs adjoints de Manchester United.

Les séances d’entraînement insistaient sur la répé-tition de thèmes techniques et tactiques!: «!Nous considérons les entraînements comme des occasions d’apprendre et de progresser, dit Ferguson. Les joueurs pensent sans doute parfois “voilà que ça recommence”, mais c’est cela qui nous aide à gagner.!» Il!!semble que cette approche ne se limite pas à la croyance, somme toute banale, selon laquelle les équipes qui gagnent doivent leurs succès à des habi-tudes bien ancrées –!elles peuvent éxécuter certains schémas de jeu de manière quasi automatique. On perçoit en e"et autre chose dans le cas de Manchester United!: la marque sous-jacente d’une insatisfaction permanente et la recherche constante de manières de s’améliorer. Ce que Ferguson résume par ces mots!: «!Le message est simple!: dans ce club, l’immobilisme n’est pas de mise.!»

FERGUSON : Gagner est dans ma nature. J’ai dé$ni mes propres critères au cours d’une si longue période qu’il n’y a pour moi plus aucune autre option : je dois gagner. A chaque fois que nous entrions sur le terrain, je comptais vaincre. Même avec cinq joueurs majeurs blessés, je m’attendais à vaincre. Dans certaines

équipes, les joueurs se blottissent les uns contre les autres avant le coup d’envoi. Pas les miens. Dès que nous posions le pied sur la pelouse, j’étais con$ant. Je savais les joueurs préparés et prêts à jouer, car tout avait été fait pour cela avant que l’équipe ne pénètre dans l’enceinte du stade.

Je suis un joueur –!j’aime prendre des risques!– et vous pouvez vous en rendre compte en observant comment nous jouions à la $n de nos matchs. Quand nous étions menés à la mi-temps, mon message était simple!: «!Pas de panique, concentrez-vous sur votre tâche, et faites-la bien.!» Et si nous étions toujours me-nés –!disons 1-2!– à un quart d’heure de la $n, j’étais prêt à prendre plus de risques. Je pouvais me satisfaire d’une défaite par 1 but à 3 si nous nous étions donnés une bonne chance d’égaliser ou de gagner. C’est pour-quoi, dans ces dernières quinze minutes, nous y allions à fond. On faisait entrer un attaquant sup-plémentaire et on se préoccupait un peu moins de défendre. Nous savions que si nous finissions par l’emporter par 3 buts à 2, nous éprouverions des sensa-tions fantastiques. Et si nous perdions 1-3, ce n’était pas grave, puisque nous aurions perdu de toute façon.

C’était cela notre style!: être positif, audacieux, et prendre des risques. Nous étions là pour gagner. Nos supporters le comprenaient et ils étaient derrière nous. C’était grisant, vous savez, de voir l’équipe par-tir à l’abordage dans le dernier quart d’heure!! Le bom-bardement du but adverse, des types qui courent dans tous les sens, des joueurs en plein combat. Bien sûr, vous pouvez perdre sur une contre-attaque, mais rien ne vaut le fantastique bonheur de l’emporter après avoir pensé que vous étiez battu.

Je pense qu’en chacune de mes équipes, il y avait de l’obstination –!elles ne baissaient jamais les bras. Je n’avais pas réellement besoin de leur faire passer ce message. L’obstination est une très belle qualité, et c’est incroyable de voir ce qui peut parfois survenir dans les ultimes secondes d’un match de football.

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& '!& AOÛT %&!%La famille Glazer introduit le titre Manchester United à la Bourse de New York. Valorisation!: 2,3 milliards de dollars. C’est le club sportif dont la valeur est la plus élevée dans le monde.

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Misez sur le pouvoir de l’observationFerguson a débuté sa carrière d’entraîneur en 1974 dans le petit club écossais d’East Stirlingshire, alors qu’il avait 32 ans. Il n’était donc pas plus âgé que cer-tains de ses joueurs et s’occupait lui-même de tout. Au cours de son ascension – !à St Mirren, puis à Aberdeen, en Ecosse (où il a remporté un succès spec-taculaire), jusqu’à Manchester United!– il a de plus en plus délégué les séances d’entraînement à ses assis-tants. Mais il était toujours présent. Et il observait. Le passage de l’entraînement proprement dit à l’observa-tion lui a permis alors, explique-t-il, de mieux juger les performances des joueurs et les joueurs eux-mêmes!: «!En position d’entraîneur sur le terrain, vous ne voyez pas tout!», fait-il remarquer. Un observateur assidu peut, par contre, repérer les changements dans les habitudes d’entraînement, le niveau d’énergie et l’assiduité au travail des joueurs.

La clé consiste donc à déléguer à d’autres la super-vision directe et à leur faire con$ance pour réaliser ce travail, afin de se rendre disponible pour observer vraiment les choses. FERGUSON,: L’observation est la dernière pierre de ma méthode de management. Au début de ma carrière d’entraîneur, je m’attachais à remplir certaines condi-tions de base!: pouvoir bien jouer le jeu, comprendre les compétences techniques nécessaires pour gagner au plus haut niveau, coacher les joueurs et prendre des décisions. Un jour, à Aberdeen, tandis que je par-tageais une tasse de thé avec un de mes adjoints, il me dit!: «!Je ne sais pas pourquoi tu m’as fait venir ici.!» «!Qu’est-ce que tu racontes!?!», répondis-je. Il me répli-qua!: «!Je ne fais rien, si ce n’est faire travailler l’équipe des jeunes, alors qu’en théorie je suis ici pour t’assis-ter dans l’entraînement de l’équipe et sa composition. C’est censé être ça, le boulot d’entraîneur adjoint.!» Un autre adjoint ajouta!: «!Je pense qu’il a raison, patron!», et me $t remarquer que je pourrais tirer avantage de

ne pas diriger moi-même systématiquement tous les entraînements de l’équipe. Sur le coup, ma réponse fut!:«!Non, non, non!», mais après avoir ré%échi pen-dant quelques jours, j’ai ensuite dit!: «!Je veux bien essayer, mais je ne promets rien.!» Pourtant, au fond de moi, je savais qu’il avait raison. J’ai donc $ni par lui déléguer les entraînements, et ce fut la meilleure décision que j’aie jamais prise.

Je n’en ai pas moins gardé la mainmise sur le club!: ma présence et ma capacité de superviser ont per-duré, et je me suis alors aperçu que ce qu’on peut saisir par l’observation est incroyablement précieux. Une fois la tête sortie du guidon, je suis devenu conscient d’une foule de détails et mon niveau d’expertise s’est beaucoup amélioré. Voir un changement dans les ha-bitudes d’un joueur, ou bien la soudaine baisse de son enthousiasme, me permettait d’approfondir le sujet avec lui !: s’agissait-il de problèmes familiaux !? d’argent!? de fatigue physique!? quid de son moral ?… Parfois je pouvais même sentir qu’un joueur était blessé alors qu’il s’estimait en pleine forme.

Je crois que peu de gens comprennent vraiment la valeur de l’observation. J’en suis venu à la considérer comme une part essentielle de mes compétences managériales. Pour moi, la capacité à voir les choses, en particulier celles qu’on ne s’attend pas à voir, est un élément clé.

Ne cessez jamais de vous adapterPendant le quart de siècle passé par Ferguson à Man-chester United, le monde du football a radicalement changé, tant du point de vue des enjeux financiers (avec les conséquences aussi bien positives que néga-tives que cela a entraîné) que de la connaissance de ce qui peut améliorer le jeu et les joueurs. S’adapter au changement n’est jamais facile, et c’est peut-être en-core plus ardu pour ceux qui se trouvent au sommet depuis très longtemps. Et pourtant, Ferguson a instillé partout son désir de changement. David Gill me l’a

!' AOÛT %&!%L’international néerlandais Robin van Persie, qui jouait pour Arsenal, signe un contrat de quatre ans avec Manchester United. Ce transfert, qui coûte 25 millions d’euros au club, est l’un des derniers décidés par Ferguson. C’est aussi le plus cher jamais réalisé par Manchester United. #,$ milliards

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con$rmé!: «!Il a fait preuve d’une fantastique capacité d’adaptation face à l’évolution de ce sport.!»

Au milieu des années 1990, Ferguson fut le premier à mettre sur le terrain des équipes composées d’un nombre important de jeunes joueurs dans le cadre de la peu prestigieuse League Cup –!une pratique qui $t d’abord scandale, avant de se banaliser au sein des clubs de Premier League (soit les vingt meilleurs clubs du pays). De même, il fut le premier à laisser quatre avants-centres se disputer deux places pendant toute une saison, une stratégie que beaucoup d’observa-teurs estimèrent à l’époque ingérable, mais qui débou-cha pourtant sur le triplé de la saison 1998-1999!: Championnat, Coupe d’Angleterre et Coupe de l’UEFA.

Hors terrain, Ferguson n’a cessé de développer son staff, recrutant une équipe de scientifiques spécia-listes du sport pour aider les entraîneurs de United. Suivant leur suggestion, il a fait installer des stands de distribution de vitamine!!D dans les vestiaires, a$n de compenser le dé$cit de soleil à Manchester. De même, il a défendu l’usage de gilets à capteurs GPS, qui per-mettent d’analyser les performances des joueurs vingt minutes après un entraînement. Il fut aussi le premier entraîneur à salarier un optométriste et à en-gager un professeur de yoga pour travailler deux fois par semaine avec ses joueurs. Il a enfin inauguré récemment une clinique médicale dernier cri sur le site même du terrain d’entraînement, a$n de pouvoir traiter sur place toutes les a"ections des joueurs (hors chirurgie), assurant ainsi un niveau de con$dentialité impossible à obtenir dans un hôpital public, où les!! détails sur la santé de tel ou tel joueur fuitent immanquablement dans les médias.

FERGUSON : Quand j’ai débuté, il n’y avait pas d’agents, et, bien que les matchs aient été télévisés, les médias n’élevaient pas les joueurs au rang de stars d’Hol-lywood et ne cherchaient pas sans cesse à débusquer de nouvelles histoires les concernant. Les stades se

sont améliorés, les terrains sont maintenant en parfait état, tandis que la médecine sportive in%ue largement sur la manière dont nous préparons la saison. Des proprié-taires venus de Russie, du Moyen-Orient ou d’autres ré-gions du monde ont déversé énormément d’argent dans le football, et ils mettent la pression sur les managers des clubs. Quant aux joueurs, leurs vies sont bien plus proté-gées qu’autrefois, ce qui les rend bien plus fragiles que ceux qui jouaient il y a vingt-cinq ans.

Une des choses que j’ai le mieux réussies au cours de toutes ces années, c’est la gestion du changement. Je crois que, pour le maîtriser, il faut l’accepter. Ce qui signi$e aussi faire confiance aux gens que vous embauchez. Dès que vous engagez quelqu’un, vous devez lui faire con$ance. Si vous «!micromanagez!» en disant aux gens ce qu’ils doivent faire, ce n’est pas la peine de les recruter. L’essentiel est de ne pas stagner. Il y a quelques années, j’ai dit à David Gill!: «!La seule façon de conserver des joueurs à Manchester United, c’est d’avoir le meilleur centre d’entraînement en Europe.!» C’est alors que nous avons lancé la construction du centre médical. Il ne faut jamais rester immobile.

La plupart des gens ayant mon type de parcours ne cherchent pas à changer. Pour ma part, j’ai toujours consi-déré que je ne pouvais pas m’o"rir le luxe de ne pas chan-ger. Il nous fallait gagner –!c’était pour moi la seule option possible!– et j’ai exploré tous les moyens d’améliorer nos performances. Je n’ai cessé de travailler dur. J’ai traité chaque succès comme s’il s’agissait du premier. Mon job consistait à maximiser nos chances de gagner. C’est ce qui m’a tou-jours guidé.#

# MAI %&!(Sir Alex quitte Manchester United et prend sa retraite. Lors de sa dernière saison, le club remporte son 20e"Championnat, soit plus qu’aucun autre club anglais. Son chi$re d’a$aires annuel dépasse désormais 320"millions de livres, soit treize fois plus que vingt ans auparavant, lors du 1er titre de champion d’Angleterre de Ferguson.

Anita Elberse est professeur d’administration des a$aires à la Harvard Business School (chaire Lincoln Filene). Elle a publié l’ouvrage Blockbusters!: Hit-making, Risk-taking, and the Big Business of Entertainment (Henry Holt, 2013).

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