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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article « Lectures de Sade » Jean-Claude Margolin Études françaises, vol. 3, n° 4, 1967, p. 410-413. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/036284ar DOI: 10.7202/036284ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 27 juin 2015 03:09

Lectures de Sade

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  • rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. rudit offre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    Lectures de Sade Jean-Claude Margolintudes franaises, vol. 3, n 4, 1967, p. 410-413.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/036284ar

    DOI: 10.7202/036284ar

    Note : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

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  • LECTURES DE SADE

    Depuis quelques annes, des dbats organiss au-tour du nouveau roman, de la nouvelle critique, de lalinguistique, du structuralisme ou de la pense de Sade,prennent le relais des articles qui se pressent dans lescolonnes des revues littraires et philosophiques. Sansvouloir encourir le reproche que Philippe Sollersadresse Sartre dans un numro rcent de Tel quel*,je suis convaincu que cette convergence d'intrts pourdes objets effectivement divers et mme disparates,que je note chez un grand nombre d'intellectuels fran-ais de gauche et gnralement d'une gauche noncommuniste n'est pas l'effet du hasard, et qu'ellerelve d'une explication sociologique: Franois Fureten a d'ailleurs donn une dmonstration magistraledans le numro de fvrier 1967 de Preuves. La bri-vet de cette note ne me permet pas de dvelopper maremarque. Je constate simplement qu'un commun d-nominateur de ces intrts divers rels ou affichs,profonds ou superficiels, ns de longue date ou del'avant-dernire livraison de telle revue la mode est le refus rel ou affich de l'humanisme (im-mdiatement assimil une idologie bourgeoise) etdu sujet humain personnel psychologique, thique,historique qui fait vritablement figure de g-neur , car on ne sait plus ou on ne veut plus lui assi-gner une place au milieu des choses, des signes, desmots ou des concepts. L'intrt pour Sade, qui s'estmanifest depuis dix quinze ans par les travaux deLly et de Klossowski, depuis moins d'annes par l'di-tion de ses uvres au Cercle du Livre Prcieux, enfvrier 1966 par le Congrs Sade organis Aix-en-Provence par le Cercle aixois d'tudes et de Recher-ches sur le XVIIIe sicle, pendant la saison thtrale de

    l.La Pense de Sade. Tel quel, n 28, hiver 1967, Paris,Editions du Seuil, 95 p., p. 84.

  • LECTUEES DE SADE 411

    l'automne dernier, par la reprsentation Paris deMarat-Sade (ou Marat-X), se traduit encore par cenumro de Tel quel, constitu par cinq articles critiquessur la pense de Sade : Sade ou le philosophe scl-rat , par Pierre Klossowski ; L'arbre du crime ,par Roland Barthes ; Sade dans le texte , par Phi-lippe Sollers ; L'criture sans mesures , par HubertDamisch ; L'effet Sade , par Michel Tort.

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    Ce qui me frappe dans ces diverses tudes, parailleurs suffisamment personnalises , c'est la vo-lont de voir dans l'uvre de Sade prcisment un objetd'tudes. Mon tonnement ne surprendra que les nafs vrais ou faux , car enfin les exgtes sadiens, toutcomme les lecteurs qui ont eu la possibilit de pntrerdans le monde imaginaire de Sade, ou les innombrablespersonnes qui ne connaissent cette uvre que par ou-dire . . . ou par le sadisme, savent, prsument ou sen-tent qu'il ne s'agit pas l d'un auteur comme lesautres , que les perversits ou les carts dont seshros sont la fois les agents et les patients ne s'inscri-vent pas dans un registre ordinaire. Autrement dit,la question que posait Jean-Marie Goulemot dans unarticle de la Revue des sciences humaines 2, me paratparfaitement justifie: Divin Marquis ou objetd'tudes ? Prcisons : aprs n'avoir vu chez Sade que legrand seigneur mchant homme ou aprs avoir jet surles turpitudes de Juliette ou des Cent vingt journes levoile du mpris silencieux, faut-il, par raction anti-bourgeoise et par fidlit un mythe rvolutionnaire,en rester l'affirmation d'Apollinaire : Sade, cetesprit le plus libre qui ait exist ! ? Il y aurait quelquenavet et quelque danger pour des dmocrates ou desesprits libraux de notre temps se satisfaire dumythe romantique et vieillot d'un Sade, aptre de lalibert et de la Rvolution.

    Aucun de nos cinq auteurs ne tombe dans ce tra-vers, mais c'est peut-tre au prix d'une conversion oud'une rduction de l'uvre, que favorisent chez eux

    2. Octobre-dcembre 1966, pp. 413-421.

  • 412 TUDES FEANAISES III, 4

    leurs proccupations bien connues des problmes delangage et d'criture. Ne jugeons pas Sade, analysonsles signes et les figures du discours sadique. En trans-posant sur le plan de l'criture les transgressions del'ordre thique, faisons une smiologie de l'cart ouune typologie de la perversion: du coup, nous seronsdispenss de tout jugement de valeur. La tendance estsurtout nette chez Barthes et chez Tort (mais pour-quoi chez celui-ci ce parti pris d'obscurit, qui obligele lecteur le plus attentif relire au moins une foischaque phrase?). Il n'est plus question de sujet humain psychologique, thique, historique, source ou rcep-tacle de valeurs quand on a affaire une combina-toire de postures, de figures, d'pisodes et que toutes lesscnes d'un tableau comme celui des Cent vingt journessont interprtes ou plutt transposes, en rgles gram-maticales et syntaxiques. Mais en dpouillant les scnessadiques (ou sadiennes: on notera la nuance)de leur contenu pour les transformer en un jeu defigures logico-grammaticales, en transposant aussi surle plan esthtique et sur celui d'une imagination lucideles oprations du libertinage le plus raffin ou leplus dvergond, le critique se donne la libert de trai-ter, selon les termes d'une analyse structurale et dansun systme parfaitement cod aux relais remarquable-ment organiss, ce que j'appellerai l'ethnographie duvillage sadien.

    De son ct, Pierre Klossowski s'intresse au sys-tme d'criture de Sade, et, de mme que Barthes con-centrait sur le titre de son article son unique jugementaxiologique, il ne sera question ici de sclratesse quepour opposer une sclratesse en acte, justiciabled'une prise de position thique, la description littrairede la sclratesse, justiciable du seul regard critique.L'athisme intgral du personnage sadien (il fut untemps o la mythologie sadienne faisait volontiers deSade un chrtien angoiss) devient un systme logiquedont les postulats abolissent le principe d'identit, etla monstruosit intgrale constitue, par limination dusensible, un espace des esprits. Mme propos, chezHubert Damisch, de dcrire les figures du systmelinguistique et smiologique de la Philosophie dans le

  • LECTUEES DE SADE 413

    boudoir ou des Cent vingt journes (qui reprsentent lemodle du genre) ou chez Sollers d'analyser Y crituredu dsir et de rduire un jeu de signes les actions etles passions de personnages, eux-mmes rduits depar la volont de Sade des tres de fiction. Quant l'effet Sade , analys par Michel Tort, il se rduiten dfinitive, par le jeu de la parole libertine, unedsubjectivation intgrale du sujet-lecteur, comme ladisposition du tableau orgiaque dans un espace fonc-tionnel dshumanise intgralement les tres figurehumaine qui en occupent les points stratgiques.

    Dans le projet, parfaitement valable, d'une tudethmatique de l'uvre de Sade conforme aux canonsde la nouvelle critique , des tudes comme celles queje viens d'voquer sont certainement enrichissantes.Mais, pour qui ne spare pas l'analyse des textes del'histoire des ides, et qui ne ddaigne pas non plus lesdonnes de l'histoire gnrale et mme celles des bio-graphies particulires, comprendre, c'est aussi juger,et juger avec tout le recul ncessaire: pour cette tche,non seulement l'hagiographie ou l'excommunication nesont pas de mise, mais peut-tre aussi qu'un certainparti pris d'objectivit manque son projet. Car enfin,si les scnes dcrites et agences par Sade, sont imm-diatement transposables en figures de style, et si lesactes auxquels se livrent ses personnages sont rduc-tibles aux oprations de l'analyse combinatoire, pour-quoi ne pas se contenter de faire de la logique math-matique ou de l'analyse linguistique, sans recourir la mdiation sadienne? Il est vrai que la problmatique laquelle la revue Tel quel consacre ordinairement sescolonnes, ainsi que la personnalit de ses principauxcollaborateurs, favorisent tout spcialement cette lec-ture de Sade. Pour ma part, j'estime que des recher-ches, comme celles qui furent entreprises en commun l'occasion du Colloque aixois dont je parlais en com-menant, donnent la pense de Sade puisque c'estbien d'elle qu'il s'agit, en dfinitive une assise lafois plus large et plus sre.

    JEAN-CLAUDE MARGOLIN