424
  Almeras, Henri d'. Henri d'Almeras. Le Marquis de Sade, l'homme et l'écrivain, d'après des documents inédits. Avec une bibliographie de ses oeuvres. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisatio n commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fournitur e de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenair es. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothè que municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisat eur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisati on. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

h d Almeras-le Marquis de Sade l Homme l Ouvre

Embed Size (px)

Citation preview

Almeras, Henri d'. Henri d'Almeras. Le Marquis de Sade, l'homme et l'crivain, d'aprs des documents indits. Avec une bibliographie de ses oeuvres.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numriques d'oeuvres tombes dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur rutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n78-753 du 17 juillet 1978 : *La rutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la lgislation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La rutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par rutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits labors ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accder aux tarifs et la licence

2/ Les contenus de Gallica sont la proprit de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code gnral de la proprit des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis un rgime de rutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protgs par un droit d'auteur appartenant un tiers. Ces documents ne peuvent tre rutiliss, sauf dans le cadre de la copie prive, sans l'autorisation pralable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservs dans les bibliothques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signals par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invit s'informer auprs de ces bibliothques de leurs conditions de rutilisation.

4/ Gallica constitue une base de donnes, dont la BnF est le producteur, protge au sens des articles L341-1 et suivants du code de la proprit intellectuelle. 5/ Les prsentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont rgies par la loi franaise. En cas de rutilisation prvue dans un autre pays, il appartient chaque utilisateur de vrifier la conformit de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage respecter les prsentes conditions d'utilisation ainsi que la lgislation en vigueur, notamment en matire de proprit intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prvue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute dfinition, contacter [email protected].

, 1

\

t

HENRI

D'ALMERAS

!

Le

Vlarquis

de

Sade

+

L'HOMME KT L'eRIYHIN des {D'aprs documents indits.)

l'NK AVEC HIBUOGRAPIIIB DESESOEUVRES 16 HORS TEXTE *

PARIS ALBIN DITEUR MICHEL, des 5!) 59, Rue Mathnrins,

LE

MARQUIS

DE

SADE

DU

MME

AUTEUR et de Librairie

A la Socit Franaise

d'Imprimerie

Rue de Clunr, 4 S

LES ROMANS

DE L'HISTOIRE ...

: 1 vol. 1 vol. 1 vol. 1 vol.

Cagliostro Emilie de Sainte-Amarantlie Les Dvotes de Robespierre Fabre d'glantine

HENRI

D'ALMERAS

Le

MARQUIS L'HOMME (D'aprs ET

DE

SADE

L'CRIVAIN indits) DE SES OEUVRES

des documents

AVEC UNE BIBLIOGRAPHIE

PARIS ALBIN 59, DITEUR MICHEL, RUE DES MA.THURINS,5o,'

LE

MARQUIS

DE

SADE

UN OFFICIER

DU ROI

Au mois de mai de l'anne 1754, Nicolas-Pasneveu et successeur de son cal de Clairambault, homme de Clairambault, vers oncle, Pierre dans la connaissance des gnalogies, attesta par l'acte qu'on va lire la noblesse d'un jeune gentilhomme provenal demand entrer qui avait dans le corps trs aristocratique des Chevau-lgers de la garde du roi : Nous, gnalogiste des Ordres du Roy, certifions Monseigneur le Duc de Ghaulnes, Pair d et Commandeur des Ordres du Chevalier France, de la Compagnie ds ChevauRoy et Lieutenant ordinre de Sa Majest, lgers de la Garde que de Sade, n le 2 juin Donatien-lfonse-Franois I7/4O et batis le lendemain dans l'glise Parroissialle de S'-Sulpice Paris, est fils de Messire 1.

2 -"'-.

LE MARQUIS E SADE D

de Sade, apell le comte Jean-Batiste-Franois de Sade, chevalier seigr de Mazan et Lieutenant de Bresse, Bugey, Valrognerai des Provinces et Gex, capitaine ou Gouv 1' hrditaire des mey Yille et Chteau de Vaison, cy devant Ambassadeur en Russie, et Ministre du Roy auprs de l'Electeur de Cologne, et de Dc Marie-Eleonor de Maill de Carman, son pouse, Dame d'accompade Bourgnement de feue Madame la Duchesse bon ; que sa Maison dont le surnom se trouve galement crit de Sade et de Sado dans les litres est divise en plusieurs branoriginaire d'Avignon, ches tant en Provence qu'au Comt Yenaissin ; que leur filiation remonte plus de /|00 ans ; qu'on des emplois distingus y trouve anciennement dans les cours des Papes et des Comtes de Proun vence, des services militaires de considration, Evque de Marseille en iliOh, un autre de Vaison l'an 17i:5-, et deux autres de Cavaillon en 1660 et 1665, huit Chevaliers de l'ordre de S1 Jean de Jrusalem, dit de Malte, depuis environ 1/|50 jusqu'en 1716, dont un est mort Grand Prieur de alliances S' Gilles en 1719. Et que les principales do cette Maison sont avec celles de Forbin, de de Simiane de la. Coste, d'AsCambis-d'Orsan, de Grimaldi-d'Antibe, de BertonIraud-de-Murs, Grillon, de Porcelet, etc. D'o il resuite que mond:. Sr dc Sade prsent pour tre receu dans la d.

UN 0FEICIER DU ROI, des Chevaulegers de la Garde ordir Compagnie naire de Sa Majest a toutes les qualits requise s pour y tre admis : En foy de quoy nous avons et avons apos le cachet sign le prsent certificat de nos armes. A Paris, le 24 jour du mois de May, mil sept cent cinquante quatre (1). La famille, du marquis de Sade (2), dont les. taient de gueules une toile d'or armes et couroncharge d'une aigle de sable becque ne de gueules , passait pour une des plus ande la Provence ciennes et des plus illustres (3). dit-on, du petit village de Saze, prs Originaire, elle avait form plusieurs branches d'Avignon, de Saumane, de Poil, d'Aiguires, de Mazan, de de Romanil, de la Goy, de Goult, de Bracis, de Yauredonnc, etc. et s'tait Beauchamps, allie aux plus grandes familles de la rgion, les (i) Archiues adminislr. du Ministre de la Guerre. (2) C'est le litre qu'il portait comme fils an (quoique son pre et celui de comte). Nous le lui conserverons, pour simplifier, dans tout le cours de celle lude. (3) Le premier membre de celte famille dont l'hisloire fasse mention est Bertrand dc Sade, dont parle Csar de Noslre dame dans son Hisloirc el Chronique de Provence, cl qui, en 1216, assista une assemble tenue dans la ville d'Arles. Bertrand de Sade cul pour fds Hugues dc Sade, (lui pousa Raymonde Garnie!'. Un des fils dc Hugues Ier, Paul de Sade eut, dc sa premire femme, Jeanne Larlissal (qui appartenait, dit-on, la famille desMdicis), Hugues II, surnomm le vieux, pour l distinguer de son fils Hugues III, et qui pousa Laure de Noves.

4

L MARQUIS E SADE D

les les Fortin, les Barbentane, Remond-Modene, Simiarie, les Causatis, les Grimaldi sans compter les Mdicis et les Doria. d'insister un peu sur ces dIl est ncessaire en apparence, car assez tails, insignifiants l'homme dont nous allons raconter l'histoire ne les et ils eurent considra jamais comme ngligeables, une influence sur sa destine, sur son caractre, dcisive, prpondrante, que nous aurons plus Ses fautes vind'une fois l'occasion de constater. rent en grande partie de son orgueil, et cet orfut celui d'un fodal qui ne vougueil intraitable des lait subii aucun joug et se croyait au-dessus cl Vallois. Il a crit dans son roman Aline cour (1), qui peut passer pour une auto-biographie et auquel nous ferons de nombreux emprunts : de Alli par ma mre tout ce que la province ; n Languedoc pouvait avoir de plus distingu Paris, dans le sein du luxe et.de l'abondance, je crus, ds que je pus raisonner, que la nature et la fortune se runissaient pour me combler de leurs dons ; je le crus parce qu'on avait la sottise de me le dire, et ce prjug ridicule me rendit hautain, que tout dut me despote et colre ; il semblait (1) Aline el Valcourl (sic) ou le Iloman philosophique, crit la Bastille un an avant la Rvolution.Paris, Girouard, 1798. 8 vol. in-18. Nous nous sommes servi de la rimpression -faite Bruxelles en i833. .

UN OFFICIER DU ROI

5

entier dt flatter mes caprices cder, que l'univers et qu'il n'appartenait qu' moi seul d'en former et de les satisfaire. comte Son pre, Jean-Baptiste-Franois-Joseph, de Saumane et de la Coste, ande Sade, seigneur de Cond, de dragons au rgiment cien capitaine de Maill-CarMarie-Elonore avait pous de dame de comman (1), qui obtint la charge de Cond, charge qui suppagnie de la princesse posait une trs haute noblesse. auSur une partie de l'emplacement qu'occupe et qui fut jadis le Clos Brul'Odon jourd'hui de Pari., du parlement neau, un premier prsident au avait fait de Corbie, Arnaud construire, un htel qui, en 1610, passa sicle, quinzime du marchal Jrme de Gondi, entre les mains de duc de Retz. Henri 11 de Bourbon, prince et il le paya l'acheta deux ans aprs, Cond, (1) C'est elle probablement que fui adresse, le 25 dcembre 17G2(quoiqu'elle porte pour subscriplion : Mme la marquise de Sade), celte lettre du ministre de la maison du roi dont la copie se trouve aux Archives (o'/Jo/i) : Les loueurs de carrosses de remise n'ignorent pas, madame^ qu'il leur est deffendu de venir Versailles sans en avoir obtenu l'autorisation des fermiers des voilures de la cour, ainsi, la saisie a cl faite en rgle, et c'est un article qui ne doit regarder que le cocher. Cependant, je verrai si ces fermiers voudront se prter quelque arrangement. Je proffilerai toujours avec" beaucoup de plaisir des occasions o je pourrai vous marquer le respect avec lequel j'ai l'honneur d'tre, etc..

G

LE MARQUIS SADE DE

quarante mille cus, somme norme pour l'poque. t agrandi L'htel, qui avait dj par le marchal de Retz, fut restaur, rebti en grande et ses sucpartie par son nouveau propritaire leur nom deux voies cesseurs, qui donnrent nouvellement ouvertes dans les environs, la rue de Cond et la rue des Fosss-M.-le-Prince. De trs-belles ftes furent clbres dans cette demeure. A l'occasion du mariage du somptueuse duc d'Enghien avec la princesse Mopalatine, lire et sa troupe y jourent, le 11 dcembre 1663, sur une scne improvise, devant le Roi, la et Madame, deux de ses plus Reine, Monsieur rcentes des de l'Ecole oeuvres, la Critique Femmes et VImpromptu de Versailles. Jusque de dans les dernires du rgne, annes annes revers et de misre, les Cond se signalrent par : Il y eut hier soir, l'clat de leurs rceptions crivait le 16 fvrier 1680 Mme de Svign, une fte extrmement enchante l'htel de Cond. Un thtre bti par les fes, des enfoncements, des orangers tout chargs de fleurs et de fruits, des pilastres des festons, des perspectives, ; enfin toute cette petite soire cote plus de deux mille louis. C'est dans ce palais, qui avait t si long-temps consacr au plaisir, que naquit le marquis de Sade, le 2 juin 1740. Pour se rendre compte de ce qu'tait

UN OFFICIER DU ROI cette poque l'htel Cond, il suffit de se reporde Germain ter la description Brice, quoiqu'elle d'une trentaine d'annes : Le soit antrieure dit de quelque ct que Ton considre, btiment, n'a rien ce guide 1res sr dans son naf langage, ni qui puisse satisfaire la du tout d'extraordinaire curiosit il y a quelques moindre ; cependant, assez propres et assez rgulirement appartements distribus pour les dedans o il parat qu'on a fait Le plafond de la chambre et du de la dpense. ont t peints par cabinet de Madame la Princesse de Sve : mais en rcompense pour des meubles, il est difficile d'en voir dans aucun autre palais de On-y trouplus riches et en plus grande quantit. vera aussi des tableaux des matres du premier entre un Baptme de Notre-Seiautres, rang; au gneur, de l'Albano, qui a longtemps appartenu duc de Lesdiguirs, des tapisseries extraordide l'illustre maison de Montnaires, qui viennent morency, et des pierreries plus qu'en aucun autre endroit. On y conserve aussi une nombreuse de livres curieux et de bibliothque, compose cartes la main des plus rares. Il faut voir le jardin, lequel dans une tendue assez mdiocre, fait remarquer que l'art et la .nature joints ensemble de >trs produisent toujours "Il y a des cabinets de treillage grands agrments. a la manire d'Hollande, faits aveclieauGoup d'in-

8

LE MARQUIS E SADE D

dustrie. Il parat l'extrmit de chaque alle un petit arc de triomphe du mme ouvrage. En t ce jardin est rempli d'orangers et d'arbustes, qui en rendent la promenade agrable (1). L'htel Cond appartenait alors au fils du vainde Bourbon, qui queur de Rocroy, Henri-Jules mourut quelques annes plus tard, en 1709. Son le premier ministre de Louis-Henri, petit-fils, Louis XV aprs l rgence du duc d'Orlans, et l'ami de la marquise de Prie, laissait sa mort, en 1740 l'anne mme de la naissance du marde Sade comme hritier de son nom et de quis ses richesses assez mal acquises un enfant dc de Bourbon, n le ans, Louis-Joseph quatre 9 mars 1736. Le caractre du futur prince de Cond (2) se par bien des cts de celui du jeune rapprochait marquis de Sade. Ils taient, l'un et l'autre, vifs, Ils se ressemhautains, emports, querelleurs. blaient trop pour s'aimer beaucoup, mais le petit (i) Description nouvelle de la ville de Paris et Recherche des singularits les plus remarquables qui se trouvent prsent dans celle grande ville... 5 dition, Paris, 1706,t. II, p. 291. Les Princes de Cond occuprent cet htel jusqu'en 1778, poque o ils le vendirent 3.156.107livres, i5 sols pour servir de nouvelle saljc la Comdie-Franaise. Ils allrent alors habiter le Palais-Bourbon, qui tait situ l'extrmit du faubourg SainUGermain et qui estaujourd'hui laChambrc ; des dputs. (2) Le principal chef des armes migres en 1793.

UN OFFICIER DU ROI force de paserait arriv, peut-tre marquis s'attirer et de flatteries, tience, de concessions de jeux qui les bonnes grces de son compagnon et qui ne Toutait en mme temps son matre... mme pas, malgr les Il ne l'essaya illait jamais. Traitant en gal celui maternelles. exhortations se faire un dont on avait espr qu'il saurait au rle il ne voulut pas se rsigner protecteur, et dans les docile et de souffre-douleur, d'amuseur fois que se prbatailles chaque quotidiennes, il rendit coup pour coup. senta l'occasion, sur cette Bien des annes plus tard, en revenant qu'il avait t priode de sa vie, il reconnaissait fort peu habile, mais il ne le regrettait pas. N le palais du prince dans et lev, crivait-il, illustre auquel sa mre avait l'honneur d'appartenir peu prs de mon ge, on s'emet qui se trouvait de me runir lui, afin qu'en tant connu pressait son appui dans ds mon enfance je pusse retrouver du tous les instants de ma vie ; mais ma vanit encore rien ce calcul, moment qui n'entendait de s'offensant un jour dans nos jeux enfantins ce qu'il voulait chose et me disputer quelque titres, sans plus encore de ce qu' de trs grands autoris doute, il s'y croyait par son rang, je me de ses rsistances trs vengeais par des coups sans qu'aucune considration m'arrtt multiplis, et sans qu'autre chose que la force et la violence

10

LE MARQUIS SADE DE

me sparer de, mon adverpussent parvenir ' ' saire^). Pour l'en sparer plus srement et d'une manire dfinitive, puisqu'il ne savait pas s'accommoder son humeur et se plier ses caprices, on l'expdia en province, Avignon. a Je fus, dont la tenenvoy, dit-il, chez une grand'mre, dresse trop aveugle nourrit en moi tous les dfauts que je viens d'avouer la co(2) (l'orgueil, lre, etc.). Son pre avait t nomm, en 1774, ministre do France Cologne et ne pouvait plus de son ducation. gure s'occuper Aprs avoir annes chez sa grand'mre, dont pass quelques la faiblesse finit par paratre excessive, il fut confi un de ses oncles, l'abb de Sade, qui prparait alors, dans son abbaye en Au d'Ebreuil, 11 vergne, ses Mmoires sur la vie de Ptrarque. entra ensuite au collge Louis-le-Grand, o il se comme beaucoup de ses condisciples distingua, bien titrs, par une trs aristocratique 11 paresse. se jugeait de trop bonne famille pour faire avec les livres une connaissance srieuse. Cependant, ;il quand il quitta le collge, aprs sa troisime, savait un peu de latin, et son orthographe s'levait sensiblement au-dessus de la moyenne. (i) Aline et Valcour, t. I, p. 26. {2) Aline et Valcour, t. .1, p. 27.

UN OFFICIER DU ROI

_

11

au rudiEn 1754, lorsqu'il dit adieu, sansregret, aux Comptes faits de Barment de Despautre, ruslicum du pre Vaincre, et rme, au Prsedium du pre Juvenc3r, le au trait De Ds et Hcroibus marquis de;Sade avait quatorze ans. Sa famille le destinait la carrire militaire, la seule o il pt aussi jeune, avec quelque chance dbuter d'y russir. On demanda pour lui une place dans un et par consdes corps les plus aristocratiques de la quent les plus envis, les Chevau-lgers fut appuye, du roi. La requte garde ordinaire suivant l'usage, par le certificat du gnalogiste certificat officiel, Clairambault, que nous avons au commencement de ce chapitre. reproduit En 1498, Louis XII avait cr plusieurs compaon avait lgre gnies de cavalerie auxquelles donn le titre de Chevau-lgers. Un sicle plus les tard, en 1599, Henri IV, pour rcompenser du courage dont ils avaient fait Chevau-lgers preuve pendant les guerres d'Italie et les guerres de religion, les mit au nombre de ses gardes. Ils sous le rgne de Louis XIII, une comformaient, : le .plaspagnie qui avait pour armes dfensives tron, la calotte, et pour armes offensives : Tpe ou le sabre et les:pistolets. Jjouis XV leur.donna le fusil en 1745. dix-huitime Leur.uniforme.,.au sicle, tait .un et =un des plus des=plus riches de ^toute l'arme

12

_

LE MARQUIS SADE DE

carrs lgants (1). Ils avaient quatre tendards de talFetas blanc brod d'or et d'argent, et dont la hampe se terminait par une fleur de lis d'or. A chaque coin tait brode une foudre, et au centre on lisait cette fire devise : Sensere gigantes. Etendards et timbales, en dehors des prises d'armes et des parades ou revues, restaient dans la chambre du roi. Darts ce corps, comme dans tous ceux de la maison du roi, la prsentation des nouveaux officiers se faisait avec un crmonial o se particulier, combinaient l'esprit militaire et l'esprit de camaraderie. La compagnie sous les armes, le capitaine-lieutenant allait prendre les ordres du roi, qui assistait presque toujours cette prsentation, et se tournant ensuite vers les officiers et les soldats : Mes compagnons, disait-il, le roi vous donne Monsieur un tel. La compagnie des Chevau-lgers comprenait, en 1754, 19 officiers et 200 gardes (2). Leur ca(i) Habit carlale bord de soie blanche, avec parements blancs, poches en travers, boutonnires d'argent, boulons or et argent, galons en plein et brandebourgs d'or, ceinturon blanc brod d'or ; veste blanche avec galons et bordure d'or; culotte de soie blanche avec boutons d'argent et jarretire d'or ; chapeau galonn d'or, plumet et cocarde blancs ; bottes fortes. (2) Depuis Louis XIII, tout soldat qui avait servi pendant vingt ans dans les Chevau-lgers avait droit, lui et ses

UN OFFICIERDU ROI

13

tait Versailles, serne, l'Htel des Chevau-lgers, avenue de Sceaux (1). Le 24 niai 1754, le marquis de Sade fut admis dans ce corps d'lite (2). Il avait quinze ans, lorsque, le 14 dcembre 1755, il fut nomm, non pas cause de sa valeur militaire, mais cause de la prjuger ou de son nom, qui permettait sans appointequi en tenait lieu, sous-lieutenant du roi. (infanterie) ments au rgiment (3). Ce n'tait pas une exception que ce grade d'officier donn un enfant. On pourrait en citer d'assez nombreux exemples. Le vicomte de Noailles dbutait douze ans comme garde de corps dans la treize ans, tait compagnie cossaise. Wimpfen, en second. Saint-Maurin-Montbarey, lieutenant une illustre simplement parce qu'il appartenait ligne, recevait douze ans un brevet d'enseigne la compagnie colonnelle du rgiment de Lorraine. Pour qu'il pt terminer ses tudes-, son l'avait suivi l'arme. Il n'est que gouverneur juste d'ajouter que ces enfants avaient dans les descendants, au titre d'euyer. Les officiers appartenaient tous la plus haute noblesse. () Ils y avaient adjoint, depuis 1701,l'cole militaire des Chevau-lgers (dirige par M. Bongars), o la pension cotait 3.ooo livres par an et qui fut l'origine de l'cole militaire dc Paris. (2) Archives adminislr. du Ministre de la Guerre (dossier du marquis de Sade). (3) Id.

1-1: veines

LE MARQUIS E SADE D

du sang de soldat et qu'ils savaient, au se battre comme des hommes. De cela besoin, aussi on pourrait citer de nombreux exemples. En 1757, dans les premiers jours de janvier, Louis XV rtablit le grade de cornette (officier Un des premiers qui bnficia de porte-drapeau). cette mesure fut le marquis de Sade. Le 14 janvier, il obtint une commission de cornette au rgiment ds carabiniers. Les carabiniers formaient, on peut le dire sans aucune exagration, une lite dans l'lite (!). Nul corps, avant comme aprs la Rvolution, ne fournit autant de traits de bravoure ou de rsistance. Lancs d'un imptueux lan sur l'ennemi, ou ses chocs rpts, boulet rsistant, immobiles, vivant, fait de mille poitrines, dans l'offensive, et, ces gants (2), dans la dfensive, mur d'airain, plus d'une fois, dcidrent du sort des batailles. Louis XIV qui les jugeait leur valeur voulut tre leur premier mestre de camp. 11'dsigna enle duc du Maine, son suite, pour les commander, fils. En 1758, ils eurent encore comme chef un (i) En 1763,ils vinrent lenir garnison Saumur et s'y montrrent de si admirables soldais, que, de 1763 1771, chaque rgiment de cavalerie envoya Saumur, pour prendre modle sur eux, quelques-uns de ses hommes. (2) L'ordonnance du 20 mars 1751 prescrivait que, pour entrer dans ce corps, il fallait avoir au moins cinq pieds quatre pouces.

UN OFFICIERDU ROI membre de la famille royale;le comte de ' un et ils devinrent alors, c'est--dire l'entre du marquis de Sade dans leur le de Monsieur le Royal Carabiniers

15 Provence, an aprs rgiment, comte de

Provence. de soie bleue, qui portaient Sur leurs tendards au centre un Soleil d'or, ils avaient obtenu le glodevise du rieux privilge de broder la glorieuse impur. Ils la gardrent grand Roi : Necpluribus 17 septembre 1782. A cette poque, les jusqu'au des porter, au-dessous tendards commencrent armes de Monsieur, cette nouvelle devise, aussi au chemin digne d'eux que l'ancienne : Toujours de Vhonneur. Le marquis de Sade servit deux ans dans les Le 21 avril 1759 il fut propos comme carabiniers. de Bourgogne capitaine au rgiment (cavalerie), par cette note qui fait partie de son dossier et du roi : qui obtint l'approbation 21 avril 1759. Rgiment de cavalerie de

Bourgogne. Il y a une compagnie vacante par le changement du S. M's de Tocqueville a une dans le rgiment de cavalerie de Luzignem (1). Le prix'est de 10.000 fr. On propose au Roy (i) Luzignan.

1(5

LE MARQUIS SADE DE

d'en disposer en faveur du S. Ctu de Sade, cornette dans le brigade de Malvoisin (1) du rgiment des carabiniers de M. le C,c de Provence. Il a t fait sous-lieutenant dans le rg. d'infric du Roy le 5 Xro 1755, cornette dans la Brigade de carabiniers de S1 Andr du 14 janvier 1757, a pass dans celle cy par ordre du pr avril suivant. M. le M's de Poyaniie s'y intresse particulirement, et il observe qu'il a t trois ans l'cole et du des chx lgers, qu'il joint de la naissance bien beaucoup et qu'il a l'honneur d'esprit M. le Pcc de Cond par Madc sa d'apartenir mre qui est Maill-Brz (2). Fond en 1666, le rgiment de Bourgogne (cavalerie) avait d'abord port le nom de rgiment de et Bretagne (3). Les soldats qui le composaient, de l'arme, qui comptaient parmi les meilleurs l'habit bleu avec revers et parements portaient rouges, boutons blancs unis trois filets et galons mouchets de blanc. (i) Le corps des carabiniers formait cinq brigades. Chaque brigade tait compose dc qualre escadrons, cl chaque escadron dc cinq compagnies. La compagnie comprenait i.3oo hommes sur pied dc paix et .Go hommes sur pied de guerre. (2) Archives adminislr. du Ministre de la Guerre. (3'j Le rgiment dc Bourgogne linfcuUcrie) fut form deux ans plus tard.

UN OFFICIER DU ROI

17

a dix-neuf ans, c'tait pour le marCapitaine de Sade un assez bel avancement. Je ne sais quis pour quelle raison il ne s'en contenta pas. Il avait, et difficile sans doute, dj le caractre inquiet garda toute sa vie, et qui fut une des princiqu'il On peut supposer pales causes de ses malheurs. parmi ses camaqu'il s'tait fait son rgiment, Il essaya rades, un assez grand nombre d'ennemis. de corps, mme avec un grade bientt de changer infrieur : 11 avait obtenu en 1762, dit une note d'un guidon de gendarde son dossier, l'agrment le grade de porte-drapeau), merie (c'est--dire mais son peu dc fortune l'a empch de payer. En somme, sur sa carrire militaire nous ne connaissons La gure que ses tats de services. classe sociale laquelle il appartenait permet de croire et c'est d'ailleurs, dfaut de tmoidont on doit tenir gnages prcis, une tradition Bon soldat, compte qu'il se battit vaillamment. il dut tre un assez mauvais officier. Il exagra les dfauts dont il voyait autour de probablement lui tant d'exemples du mtier mili: l'ignorance des troupes, taire, l'indiffrence pour l'instruction le ddain de la hirarchie, la tendance l'indiscipline. On pensait alors que le courag-e, un courage hroque, pouvait avantageusement y supo les nobles, pler, et c'tait l'poque trop influencs de Franais et lev.r par leur vanit 2

18

LE MARQUIS E SADE D

orgueil d'aristocrates, croyaient tout savoir sans avoir rien appris. Frdric II, en plus d'une occasion, leur prouva qu'ils se trompaient.Officier de cour, le marquis de Sade dut mener, avec cette fougue et cet emballement qui toujours le caractrisrent, cette vie agite et un peu folle de trs qui faisait de la plupart des garnisons Il frquenta les assembles, agrables rsidences. les spectacles, o ses camarades et lui avaient des bien en vue, et des prix de places rserves, faveur. Il brilla dans les bals, o se donnait rendez-vous toute la noblesse de la ville, et parada dans les carrousels. Il joua la comdie et envoya dc France, sans les de petits vers au Mercure signer, pour ne pas avoir l'air d'un cuistre du Il eut et sans y attacher d'importance. Parnasse, des duels et s'en tira le mieux du monde. Il fit des dettes et ne paya pas son tailleur, car c'est a cela un vrai'gentilhomme. Favart, qu'on reconnaissait avait indiqu les deux dans un de ses refrains, principaux devoirs d'un bon officier. Servir le roi, servir les dames, Voil l'esprit du rgiment El r'ii et r'iaii Comme les autres, plus que les autres, le marquis de Sade dut servir les dames, au' moins autant que le roi. Il se vanta de ses bonnes for-

UN OFFICIER DU ROI

19

Il accrocha imaginaires. plus tunes, quelquefois d'un coeur la pointe de son pe. Les, coeurs de ne parle pas du ntre ne faice temps-l je saient pas grande rsistance quand un jeune offiIls se rendaient la premire cier les attaquait. et quelquefois avant. sommation, de Sade, pour suivre la mode, Le marquis et eut trs vite, sans doute, la s'effora d'avoir d'un mauvais sujet . Il la conserva rputation il a racont toute sa vie. Dans Aline et Valcour amours un de ses amours de garnison, qu'un bal ; et voyait natre, qu'un autre bal voyait mourir, sauf quand qui allaient trs vite au dnouement, tait le mariage. ce dnouement la plume et coutons ses confidences. Cdons-lui 11 n'est pas incapable de dire la vrit, quand elle ne le gne pas, et personne ne pourrait le peindre aussi bien que lui-mme : Notre rgiment, dit-il (1), fut envoy dans une ; c'est l que commence garnison en Normandie la premire partie de mes malheurs. Je venais d'atteindre ma vingt-deuxime anne ; entran jusqu'alors perptuellement par les travaux de~ mars, je n'avais ni connu mon coeur, ni (i) Aline cl Valcour, t. I, p. 28. Cet pisode, d'aprs ce que dit, quelques lignes plus loin, le marquis de Sade, doit se passer en 1762. Celui qui en fut le hros avait t iomm depuis trois ans capitaine du rgiment de Bourgogne.

20

LE MARQUIS E SADE D

de souponn qu'il pt tre sensible. Adlade Sainval, fille d'un ancien officier retir dans la ville o nous sjournions, sut bientt me convaincre embraser que tous les feux de l'amour devaient aisment une me telle que la mienne ; et que, s'ils c'est qu'aucun n'y avaient pas clat jusqu'alors, Je ne vous objet n'avait su fixer mes regards. peindrai point Adlade ; ce n'tait qu'un seul genre de beaut qui devait veiller l'amour en moi, c'tait toujours sous les mmes traits qu'il devait pntrer mon me, et ce qui m'enivra dans elle tait l'bauche des beauts et des vertus que en vous. Je l'aimai, parce que je devais j'idoltrai ncessairement adorer tout ce qui a des rapports avec vous ; mais cette raison qui lgitime ma dfaite, va faire le crime de mon inconstance. L'usage est assez dans les garnisons de se choisir chacun une matresse et de ne la regarder malheureusement que comme une divinit qu'on difie par dsoeuvrement, qu'on cultive par air, et qui se quitte ds que les drapeaux se dploient. Je crus, d'abord, de bonne foi que ce ne pourrait Adlade; la majamais tre ainsi que j'aimerais nire dont je l'en assurai la persuada ; elle exigea des serments, je lui.en fis ; elle voulait des crits, et je ne croyais pas la -tromper. j'en signai, A l'abri des reproches de son coeur, se croyant mme innocente, parce qu'elle couvrait peut-tre

UN OFFICIER DU ROI sa faiblesse

21

fait pour la' de tout ce qui semblait Adlade cda, et j'osai la rendre coulgitimer, pable, ne voulant que la trouver sensible. dans cette illusion, sans Six mois se passrent eussent altr notre amour ; que nos plaisirs de nos transports, un moment dans l'ivresse fuir ; incertains de la libert mme nous voulmes nous voulmes aller les former nos chanes, La raison serrer ensemble au bout de l'univers... et ds ce moAdlade, triompha ; je dterminai clair que je l'aimais ment fatal il tait moins. Adlade avait un frre capitaine d'infanterie, que mettre dans nos. intrts... nous esprions On il ne vint point. Le rgiment l'attendait, partit, nous nous finies nos adieux, des flots de larmes coulrent ; Adlade me rappela mes serments, je les renouvelai dans ses bras... et nous nous sparmes. Mon pre m'appela cet hiver Paris, j'y volai : il s'agissait d'un mariage ; sa sant chancelait, il dsirait me voir tabli avant de fermer les yeux ; ce projet, les plaisirs, enfin ! que vous dirai-je cette force irrsistible de la main du sort qui nous nous o ses lois veulent porte toujours malgr que nous soyons : tout effaa peu peu Adlade de mon coeur. Je parlai pourtant de cet arrangement ma famille ; l'honneur je le m'y engageait, fis ; mais les refus de mon pre lgitimrent bien-

22

LE MARQUIS E SADE D

tt mon inconstance ; mon coeur ne me fournit aucune objection, et je cdai, sans combattre, en touffant tous nies remords. Adlade ne fut pas 11 est difficile d'exprilongtemps l'apprendre... mer son chagrin ; son amour, sa sensibilit, sa grandeur, son innocence, tous ces sentiments qui venaient de faire mes dlices, arrivaient moi en traits de flamme, sans qu'aucun parvint mon coeur. Deux ans se passrent ainsi, fils pour moi par les mains des plaisirs, et marqus pour Adlade par le repentir et le dsespoir. Elle m'crivit un jour qu'elle me demandait pour unique faveur de lui assurer une place aux Carmlites ; de lui mander aussitt que j'aurais russi ; qu'elle s'chapperait de la maison de son toute vivante dans pre, et viendrait s'ensevelir ce cercueil qu'elle me priait de lui prparer. Parfaitement calme alors, j'osai rpondre cet affreux projet de la quelques plaisanteries douleur, et rompant enfin toutes mesures, j'exhortai Adlade oublier dans le sein de l'hymen les dlires de l'amour. Adlade ne m'crivit plus. Mais j'appris trois mois aprs qu'elle tait marie ; et dgag par l de tous mes liens, je ne songeai plus qu' l'imiter. Le trait de Paris, sign le 10 fvrier 1763, avait

UN OFFICIER DU ROI

23

la peu glorieusement de termin guerre de Sade fut Sept Ans. Le 15 mars, le marquis en profita pour le.marier. rform (1). Sa.famille lui donnerait le got Elle esprait que le mariage d'une vie plus rgulire. Elle devait et le besoin tre bien due. (i) Celle mesure lail prise aprs chaque trait de paix l'gard d'un assez grand nombre d'officiers cl de s'oldats Les rforms ne perdaient pas la qualit d'officier et leur carrire ne se trouvait pas absolument brise. Par la suite, ceux susceptibles de servir rentraient soit dans leur corps d'origine, soit dans d'autres rgiments, enfin les emplois dans la Milice leur taient presque exclusivement rservs. On les employait aussi dans des postes sdentaires : gouvernement des places, juridiction du poinl d'honneur, clc. Il n'y avait donc que ceux qui ne voulaient plus servir, qui demeuraient dfinitivement rforms ou ceux qu'une infirmit rendait impropres tout service. Intermdiaire des Chercheurs et des Curieux, N du 3o' novembre 190a(article dc M. Collrcau).

Il LE MARIAGE DU MARQUIS DE SADE LES DEUX FILLES DE M. DE MONTREUIL UN AMOUR CONTRARI

En 1763, M. Claude-Ren Cordier de Montreuil de la troisime tait, depuis vingt ans, prsident Chambre de la Cour des aides Paris. Il habitait rue Neuve-du-Luxembourg, dans un des quartiers les plus lgants de Paris. Il avait pous Marie-Madeleine de Masson Plissay, et il laissait cette femme nergique et autoritaire le gouvernement du mnage. 11 ne prsidait qu' la Cour des aides, chez lui il n'avait mme pas les pouvoirs d'un juge. Mme Cordier de Montreuil rendait des sentences, et le mari, dsireux avant tout d'tre tranquille, se contentait, dans la plupart des cas, d'opiner du bonnet.

LE MARIAGE MARQUIS SADE DU DE De leur

25

taient nes deux filles. mariage en 1763, vingtavait, L'ane, Rene-Plagie, trois ans. Elle n'tait pas jolie, o du moins elle ne le paraissait pas au premier abord. La beaut, chez elle, s'tait rfugie dans les yeux, des yeux un peu voils de mlancolie, tendres, expressifs, comme si elle et devin sa destine, et qui caau repos, sous les paupires demi chaient, dans une attitude baisses, gauche et timide, la ferveur invincible d'une me. passionne. Cette mais d'un charme indcis jeune fille charmante, et un peu teint, n'avait et pas cette confiance cette vanit que la Providence, qui sait bien ce aux femmes, pour qu'elle fait, accorda largement leur permettre de ne pas trop souffrir de leurs ou mme de ne pas s'en apercevoir. imperfections Elle ne se croyait pas digne d'tre aime, d'inspirer une passion sincre et, dans le mari, de trouver l'amant. Son miroir ne lui disait pas ce qu'il dit tant d'autres. Elle n'y voyait pas la douceur de ses yeux et la grce de son sourire. Il la dcourageait d'esprer (1). Cette modestie excessive, cette dfiance de soi devaient avoir pour Rene-Plagie de Montreuil les plus funestes consquences. Au premier qui (0 II ne faut pas trop la juger par son portrait, singulirement embelli comme la plupart des portraits de femmes.

26

D LE MARQUIS E SADE

avait fait battre son coeur, elle allait, pleine de se livrer tout entire, corps et me, gratitude, sans dfense, sans recours. La plus jeune des filles de M. Cordier de Montreuil, Louise, ne ressemblait gure l'ane. Elle avait cet ge dlicieux, seize ans, qui de l'enfant fait natre la femme comme du bouton la fleur. Elle avait l'ge de Juliette et attendait Romo. C'tait dj, en 1763, une amoureuse latente, coquette, ardente, prise de tous les plaiSon caracsirs, plus sensuelle que sentimentale. troutre se lisait dans ses yeux singulirement blants, dans sa physionomie mutine et piquante, et de rouerie fmidans le mlange de candeur nine qui se dgageait de toute sa personne. Le marquis de Sade, qui tenait ne pas se laisser trop oublier par ses matresses, passait Paris la plus grande partie de ses congs. Les taient des amis de sa Cordier de Montreuil famille. Il allait souvent leur rendre visite. De plus en plus il tait attir chez eux par la beaut clatante de Louise, et ce blas prcoce s'tonnait avec tant de navet et d'ardeur, celle d'aimer, qu'il prenait pour une ingnue. l'emSa passion, qui chaque jour grandissait, pchait de voir celle qu'il avait inspire Reneil ne l'encourageait Il l'ignorait, en auPlagie. ce qui don-. cune manire et voil prcisment

LE MARIAGE MARQUIS SADE DE DU

27

nait plus d force cette inquite sitendresse, mconnue, toujours menace. Les deux soeurs taient mais l'une rivales, aimait plus que l'autre et c'tait celle qu'on ddaignait. Elle en prouvait un chagrin profond, mais n'en prouvait aucune surprise. Elle ne se plaignait pas. Elle ne croyait pas avoir le droit de se plaindre. Les quelques petites joies que lui laissait sa triste passion, elle les savourait avec dlices.' Un mot prononc avec plus de douceur, un regard moins indiffrent la rendaient heureuse toute une avoir confiance, et, du journe. Elle se reprenait fond de l'me, elle pardonnait sa soeur d'tre plus jeune qu'elle et plus belle. De la moindre marque de sympathie, du plus de courtoisie o elle vouinsignifiant tmoignage lait voir un peu d'amour, tait Rene-Plagie reconnaissante ce bel officier du roi, mince, dans aimable, et si irrsistible lgant, spirituel, son brillant uniforme de capitaine du rgiment de Il avait la rputation d'un homme Bourgogne. bonnes fortunes. C'est, de toutes les rputations, celle que les femmes apprcient le plus. autour de ces dsirs et de ces espCependant de ces amoureuses autour les . rances, intrigues, tissaient la toile matriparents prcautionmieux moniale. Ils avaient dcid, dans de mystrieux conciliabules, que le marquis de Sade pouserait

28

LE MARQUIS SADE DE

- .

Il ne semblait l'aimer qu'avec modRene-Plagie. ration, mais'c'tait suffisant pour en faire sa femme. On attendait et sans inquitude tranquillement qu'il se dclart, et le petit mange des tendres des furtives confidences, continuait. regards, Lorsque le fringant officier avoua officiellement que la plus jeune des deux filles avait fix son du ct des de Sade comme coeur, la stupfaction, du ct des Montreuil, fut grande. Cette fantaisie toutes les combinaisons. On imprvue drangeait rsolut de n'en pas tenir compte. La femme du prsident affirma qu'elle ne se rsignerait jamais marier la cadette avant l'ane. Il ne fallait pas esprer qu'elle changet d'avis. Le marquis de Sade rsista quelque temps, puis il s'inclina devant la volont de sa famille. C'tait un beau mariage qu'on lui imposait ainsi, un mariage riche. N'tait-ce pas agir trs sagement ? Dans les derniers jours du mois de mai 1763, le porte-claquette dposait chez tous les amis des deux familles ce billet imprim : M. le comte et Mme la comtesse de Sade sont venus pour avoir l'honneur de vous voir et vous faire part du mariage de M. le marquis de Sade, leur fils, avec Mlle de Montreuil (1). vi) Ce document a t reproduit par M. Paul Ginisly dans son intressant ouvrage la Marquise de Sade (Paris, Charpend tier, 1901), ont je me suis beaucoup servi dans ce chapitre.

LE MARIAGE MARQUIS SADE DU DE

29

Le mariage avait t clbr le 17 mai, dans la l'glise Saint-Roch. A dplus stricte intimit, faut de beaut, Rene-Plagie celui apportait qu'elle pousait, avec une joie mle" d'angoisse, forun coeur tout plein de lui et une assez grosse tune. Le marquis de Sade tait beaucoup moins riche. Il n'avait gure que ses appointements de de la haute et basse Bresse, lieutenant-gnral Bugey, Valromey et Gex. 11 tait devenu titulaire de cette charge le 4 mars 1760, la suite de la dmission de son pre en sa faveur. Le jeune mnage, si l'argent autant comptait aurait pu trs facilequ'on le dit dans le bonheur, ment tre heureux. La marquise, enivre par la ralisation de son rve, oubliait les heures de det se montrait aussi confiante couragement que dvoue. L'homme aimait lui appartequ'elle nait de par la loi. Elle saurait force de tendresse dsarmer ses prventions ou ses rancunes. Ce coeur qui s'tait vendu et non donn, et qu'elle sentait encore si loin du sien, elle esprait le conqurir, le garder pour toujours. Les affections les plus ardentes sont aussi les La marquise de Sade ne voulait plus aveugles. et pas ou ne pouvait pas se douter de l'irritation de l'amertume que laissait au fond de l'me de son mari cette union qu'il dtestait et laquelle on l'avait contraint. Entre sa femme et lui il voyait

30

LE MARQUIS SADE DE

le fin. visage, l'amoureux sourire de Louise. Le souvenir, le regret de l'absente lui rendait odieux la prsence et l'attachement, pourtant si humble, si soumis, si prt tous les sacrifices, de celle qui restait ses yeux l'intruse. Pour la fuir et pour la braver, pour oublier il se rejeta, avec une sorte de fureur, peut-tre, dans cette vie de plaisir qui lui semblait, dans la dtresse morale o il se trouvait, une vengeance Il se remit faire trs lgitime et une revanche. des dettes. Il eut des matresses et il les afficha Il essaya de s'tourdir et n'y russit ouvertement. pas. Ces amours de rencontre, qui ne lui laissaient que de l'ennui ou du dgot, il voulut les punir d leur sottise et de leur banalit. Il eut non seulement, comme les autres, du mpris, mais une vriniaisetable, haine. pour ces femmes vulgaires, ment vicieuses, incapables de gurir la plaie qu'il avait au coeur, courtisanes ou actrices qui taient souvent jolies, quelquefois aimables, mais qui il ne pardonna jamais de n'tre pas Louise de Montreuil. Ce qu'on a appel son sadisme n'a pas eu d'autre origine. Il se vengea sur l'amour du mal crue l'amour lui avait fait. Les souffrances qu'il imposa aux autres furent, au moins au dbut, un soulagement pour la sienne. Il avait gard, aprs son mariage, sa petite mai-

DE LE MARIAGEDU MARQUIS SADE Il y conduisait son d'Arcueil. dames de l'Opra orandes

31

non seulement ces et de la Comdie l'aristocratie du Franaise qui appartenaient moins lA'ice, mais des femmes moins clbres, dsireuses parisiennes gantes, petites bourgeoises de goter, tine fois par hasard, au fruit dfendu, dans la carrire de ou filles du monde qui dbutaient et n'y avaient encore aucun grade. la galanterie Ce furent les simples prostitues, celles qui le le client au coin des rues, qui sersoir attendaient sans l'avoir dsir, aux expriences virent, pasdu marquis sionnelles de Sade. Peu connues et aussi mprises trs mprises qu'elles taient difmprisables pour la plupart elles devaient intresser la police leurs' ficilement, croyait-il, En quoi consistaient les mauvais,traiteplaintes. ments qu'elles eurent subir dans la petite maison en 1763, aucun document ne nous l'apd'Arcueil, prend. On peut admettre qu'ils ressemblaient ceux, qui, quelques annes plus tard, en 1768, comme nous le verrons au chapitre excisuivant, teront tant de scandale. Sur les premires manifestations de cette folie erotique, le silence a t fait, trs rigoureusement. La plupart des victimes recevaient de leur bourreau une srieuse indemnit et s'en allaient trs consoles, heureuses. Ce singulier presque amoureux ne: les changeait des pas beaucoup

32 autres. traites

LE MARQUIS E SADE D

Quelques femmes cependant, trop malou d'un caractre moins conciliant, se du marquis, et, la grande surprise plaignirent, leurs plaintes furent entendues. Trs indulgent pour ses propres vices, Louis XV se montrait volontiers svre pour les vices de son prochain. Il fut avis des singuliers divertissements auxquels se livrait Arcueil, loin des profanes, le marquis de Sade, et, le 29 octobre, il donna l'ordre de conduire le coupable au chteau royal de Vincennes (1). A peine enferm Vincennes pour quelques sans importance peccadilles qui lui semblaient comme d'ailleurs toutes celles qu'il commit dans le cours de sa carrire monomane le marquis de Sade se hta de rclamer sa libert par cette lettre de police, adresse, le 2 novembre, au lieutenant et dans laquelle le jeune diable, pour apitoyer ses se fait ermite. geliers, Monsieur ". Dans trouve, (2),

la malheureuse situation o je me l'unique grce et la seule consolation que

(i) II y avait alors 1res peu dc prisonniers au chteau dc Vincennes.Le plus important lail le suisse Thorin,enferm en 1757pour avoir mal parl du roi, et qui fut transfr Charenlon en 177S.En 176/,,on y emprisonna l'aventurier Douceur, qui se disait comte de Saint-Ange, duc dc Jusliniani. (2) Cette lettre, adresse, 'croyons-nous, au lieutenant

DE LE MARIAGE MARQUIS SADE DU

33

ma j'ose demander est de vous supplier d'instruire femme de mon triste sort. Rien ne peut galer dans laquelle elle va tre, ne rer l'inquitude si A'OUS n'avez cevant plus de mes nouvelles; pas eu la bont de faire passer la lettre que pour ma j'eus l'honneur de vous faire remettre belle-mre, qu'elle en reoive au moins une de o vous ne vous, je vous en supplie, Monsieur, propos, marquerez que ce que vous jugerez qu'elle sache au moins que je suis arrt et que vous savez de mes nouvelles. Voil tout ce que je dsire-, en fesant partir la lettre demain jeudi, elle la recevra dimanche, et elles seront srement toutes deux plus tranquilles que ne sachant absolument ce que je suis devenu. Permettez que j'ai (sic) l'honneur de vous donner ici son adresse, en cas que vous soyez assez bon que de m'accorder cette grce : Mme la prsidente de Montreuil, au chteau d'Echaufour prs Cigai, par VAigle. A VAigle, en Normandie. Tout malheureux que je me trouve ici, Monsieur, je ne me plains point de mon sort; je mritais la vengeance de Dieu, je l'prouve ; pleurer mes fautes, dtester mes erreurs, est mon unique de police de Sartine, a t publie dans VAmateur d'Autographes, en 1866. Elle fit ensuite partie de la collection Emile Michelot, et la vente de celte collection, qui eut lieu les 7 et 8 mai 1SS0,un amateur la paya. 120,francs,: ' 3

31

D LE MARQUIS E SADE

Hlas! Dieu pouvait m'anantir proccupation. sans me donner le temps de ls reconnatre et de les sentir; que d'actions de gi*ce ne dois-je pas lui rendre de me permettre de rentrer en moi-mme, donns m'en les moyens, je vous en prie, Monsieur, en me permettant de voir un prtre. Par ses bonnes instructions et mon sincre repentir, j'espre tre mme bientt de m'approcher des sacrements divins, dont l'entire nodio-ence estait devenue la premire cause de ma perte. Quant un domestique, si vous avs la bont avs bien de m'en accorder un, ainsi que ATOUS voulu me le faire esprer, j'ose vous prier de permettre que ce soit mon valet de chambre, vous pouvez vous informer de ses moeurs, toute ma famille vous en rendra srement de bons tmoignages. Je puis d'ailleurs avoir l'honneur de vous assurer qu'il ne participait pour rien dans tout dans la conficeci ; aucun de mes gens n'estait dence, aucun n'a jamais su ni vu ce dont il taitcelui que je dsire question, et personnellement avoir n'a jamais mis les pieds dans la petite maison qu'une, fois depuis qu'elle estait meuble et encore n'est-ce que le jour, et aprs que tout fut entre vos mains. J'espre aussi, Monsieur, que vous voudrez bien ne point instruire ma famille du vritable sujet de ma dtention, je serais perdu sans ressources dans leur esprit.

LE MARIAGE MARQUIS SADE DU DE

35

J'ose encore vous faire une remarque, monlivre n'est que du sieur : la date du malheureux mois de juin, je me suis mari le 17 mai et je puis vous assurer que je n'ai mis les pieds dans la dite maison que dans le mois de juin. Sur cela j'ai t Il y a huit jours que trois mois la campagne. j'en estais arriv quand j'ai t arrest. Quelque court qu'ait t le temps de mes erreurs, je n'en suis pas moins coupable ; elles ont toujours t l'tre suprme assez longues dont^ pour irriter la juste colre ; je me repens presque j'prouve de vous avoir fait ces remarques, devrais-je songer m'excuser, quand je ne devrais plus m'occuper qu' me repentir. M. le commandant me dit de m'adresser de vous, Monsieur, pour obtenir la permission prendre l'air quelquefois ; si vous le jugez compatible avec ma punition, je la crois absolument ncessaire ma sant. J'ose esprer que vous . voudrez bien faire dire M. le commandant quoi je dois m'en tenir sur les articles de cette lettre (1). J'ai l'honneur d'tre, avec respect, monsieur, votre trs humble et trs obissant serviteur. Ce 2 novembre 1763. DE SADE.

(i) A celte pice lail jointe la minute ci-dessous d'une' lettre crite par le pre Griffet, et dont le destinataire nous est inconnu. Nous avons, M..., un nouveau prisonnier Vincennes

3G

LE MARQUIS E SADE D

Pendant ce temps, les familles de Sade et de Montreuil multipliaient les dmarches pour obtenir la mise en libert. Vivement sollicit, le lieuet reut du tenant gnral de police s'entremit ministre de la maison du roi-cette rponse peu : encourageante Monsieur, Les raisons qui ont dtermin le Roy donner des ordres pour mettre M. de Sades au chteau de Vincennes sont trop graves pour qu'il doive y avoir un traitement distingu ; aussi vous pouvez mander M. Guyonnet qu'il n'y sera qu' la pension ordinaire. A l'gard d'un domestique, il peut lui en donner un pour le servir, ne paraissant pas convenable de lui permettre d'avoir le sien prs de lui. D'ailleurs, de Sa Majest est l'intention qu'il ne reste pas longtemps Vincennes. Il faut mme que sa famille voye plus tt que plus tard o on pourra le faire transfrer pour y vivre ses qui demande parler au confesseur, et cerles il a grand besoin dc votre ministre quoi qu'il ne soit pas malade. C'est M.le marquis dc Sade, jeune homme dc vingt deux ans. Je vous prie dc l'aller voir le plutt que vous le pourrez, et lorsque vous lui aurez parl vous nie feres plaisir dc passer chez moi. Je suis, etc.. L. P. GRIFFET. 4 novembre1763.

DE LE MARIAGE MARQUIS SADE DU dpens, ne devant pas rester jest. Je suis, etc.. (1). la charge

37de Sa Ma-

Celte lettre est du 4 novembre. Quelques jours aprs, un ordre du roi, arrache par de pressantes de sa les portes ouvrait au marquis dmarches, prison. Il tait mis en libert, mais on l'obligeait aller se faire un peu oublier en province (2). 11 pendant pour Echauffour (3), o rsidait partit une grande partie de l'anne la famille de sa femme On esprait Louise de Montreuil. et o il retrouva par le mariage et aussi par la prison, il qu'assagi avait renonc son amour. C'tait bien mal le connatre. de sa jeune belle-soeur et son indifLa rsistance bientt frence plus apparente que relle rendirent au marquis de Sade ce chteau d'aspect intolrable de Mme o, sous la surveillance peu engageant, Cordier de Montreuil, plus dfiante encore que les il tait oblig de vivre de Vincennes, geliers comme un reclus. Paris lui manquait et il aspirait (i) Arch. Nal. o'/|05. (2) M. Paul Ginisty assure qu'on l'obligea rejoindre son rgiment. Son dossier militaire n'en fait aucune mention. ' (3) Echauffour, ainsi nomm des fours chaux qui y abondaient, est un village de l'Orne, arrondissement d'Ar- _' _ gentan.

38

LE MARQUIS SADE DE

y revenir. Il avait su persuader sa femme que son plus ardent dsir tait de venir vivre prs d'elle. Avec des phrases mues, il voquait cette existence familiale et ces joies de l'intimit dont le privait un cruel exil. En ralit, ce n'tait pas sa maison qu'il regrettait, mais sa petite maison. La marquise de Sade s'obstinait ne voir dans son mari qu'une victime. Il tait jeune et elle l'aimait. Elle croyait aux protestations dont il se . Son loignement la dsespmontrait prodigue. rait. Elle remuait ciel et terre pour faire cesser son exil. Pouss par ses plaintes continuelles, le prsident Cordier de Montreuil, qui tait un bon homme, rclama, en invoquant je ne sais quel du mari prtexte, le retour de l'enfant prodigue, in parlibus. Le gouvernement hsitait, il se dfiait du prtendu du marquis de Sade; 11 repentir n'avait que trop raison. Ce qu'on lui demandait, il ne l'accordait et le qu' la dernire extrmit moins possible. Le 3 avril 1764, le ministre de la Maison du roi crivait M. de Montreuil : Jay, Monsieur, reu les ordres du Roy, par rapport M. le comte de Sades et des motifs qui vous font dsirer qu'il puisse venir passer quelque tems Paris, o vous jugs que sa prsence est ncessaire. Sa Majest a bien voulu lui permettre d'y venir et d'y rester trois mois, mais seu-

LE MARIAGE DU MARQUIS. SADE DE

39

du 15 de celui-ci, aprs lement partir lequel o il est, conformment aux tems il retournera Ainsi vous vouordres de Sa Majest. premiers drs bien lui dire qu'il peut partir quand il le (1). jugera propos... On faisait intervenir Mme de Marsan, dont les sollicitations n'obtenaient trs mdiocre qu'un comme on pourra en juger par cette lettre" rsultat, de la Maison du roi la marquise du ministre de Sade (le 20 mai) : de Marsan a dj, Madame, prsent mmoires elle demande le plusieurs par lesquels rapel Paris de son mary. Il faut qu'il commence par prouver qui il est, ce qu'il n'a point fait jusqu' n'tant connu que par des traits qui conprsent, viennent trs peu aux qualits qu'il prend et au nom sous lequel il s'annonce... (2). (i) Arch.Nal. oV|oG.Le 4 ruai, le marquis obtenait l'autorisation d'aller Dijon : Sur ce que vous me faites l'honneur, Monsieur, de me communiquer qu'il est indispensable que M. de Sade set rende Dijon pour s'y faire recevoir au Parlement dans la charge de lieutenant gnral du dpartement dc Bresse, Bagey, etc., il pourra s'y rendre quand il voudra et revenir tout de suite, en ne restant Dijon que le temps indispensable pour sa rception. Ce n'est mme qu'avec beaucoup dc peine que Sa Majest se port lui accorder celte permission... Lettre du Ministre de la Maison du roi au prsident de Monlreud. , (2) Arch. Nal. 01406. Mme

40

DE LE MARQUIS SADE

Enfin le roi se laissa flchir. Il comprit qu'il ne pouA'ait continuer se montrer rigoureux pour un homme que rclamait cor et cri sa femme, et dont sa belle-mre elle-mme plaidait la cause. Le 11 septembre 1764, la prsidente de Montreuil qu'on avait fait donner la fin, comme dans les batailles de l'Empire la vieille garde, reut du ministre ce billet qui combla de joie, d'une joie qui ne devait pas durer longtemps, toute la famille : J'ay, Madame, l'honneur de vous envoyer l'ordre du Roy qui rvoque entirement celui que Sa Majest avait donn M. de Sades de se retirer au chteau de Chauflour (1)... Le marquis, dport pendant un an clans un chteau de Normandie, tait libre dsormais de venir vivre, comme il l'avait demand, prs de sa femme. Quel usage fit-il de cette libert rclame avec tant d'obstination et si difficilement obtenue? C'est un rapport de l'inspecteur de police Marais qui va nous rpondre : - 30 novembre 1674. M. le comte de Sade que, j j'ai conduit Vincennes, de l'ordre du Roi, il y a un an, a obtenu.la de venir cet t permission Paris o il est encore. J'ai trs fort recommand la Brissaut (2), sans m'expliquer daArantag, de (i) Arch. Nat. oi4oG. (2) Les Brissault (ou Brissaut) eurent, vers 1760,unegrande vogue dans le monde galant : car ils taient mari

LE MARIAGEDU MARQUIS DE SADE

41

de filles pour aller avec lui en ne pas lui fournir petites maisons (1). Si le bon Marais, ce jour-l, c'est tout simplene s'expliqua pas davantage, ment parce que son ancien client avait repris ses d'autrefois. Il continuait ensanglanter habitudes ses amours. Les dix ou douze mois qu'il venait de passer en province lui avaient permis de faire des conomies suiou plutt l'y avaient oblig. 11les dpensait, vant les jours et les occasions, en parties fines ou en g'rossires orgies. de ses faits L'opinion publique, qui s'occupait et gestes plus qu'il n'aurait voulu, lui attribuait cl femme pour diriger deux maisons : l'une la BarrireBlanche cl l'autre d'abord rue Tire-Boudin, puis rue Franaise. Brissault avait la rputation d'tre insinuant et d'une loquence persuasive auprs des jolies femmes ; il veillait aussi avec soin la sant dc ses pensionnaires, mme de passage, qu'il taisait toujours visiter par un mdecin attach rtablissement. Sa femme lui faisait honneur, puisqu'elle avait reu dc ses clientes le surnom de prsidente cl qu'elle tait, au dire dc Marais, une des femmes les plus dlies cl qui mil dans son mtier le plus do dcence. Trs apprci parmi les viveurs dc l'poque, le mnage Brissaull donnait frquemment des petits soupers,^auxquels assistaient le baron de "Wangen, M. de Villemur, M. de Bauze, M. de Clau/.el, le comte dc Charollais, le duede Grammont, la fleur de la noblesse. Raoul Vze, La Galanterie parisienne auXVHI^sicle.Paris, Daragon, 1905,p. 272. (1) V. L.i de Rochcforl, Souvenirs et Mlanges, Paris, 1826, t. II, p. 333. Les rapports de poUcc de l'inspecteur Marais ont t publis par M. Paul d'Estre dans la Revue (numro du 1" juillet 1900).

42

LE MARQUIS E SADE D

comme matresse Mlle Colette, vaguement attache la Comdie Italienne pour avoir un titre un peu moins humiliant que celui de courtisane. Il eut sans doute cette poque une intrigue pasmais sa matresse sagre avec cette demi-actrice, en titre tait une danseuse de l'Opra, la BeauVoisin, clbre par le cynisme de sa vie amoureuse. Il l'avait choisie comme professeur de vice, .-quoique, dans cet ordre d'ides, il fut beaucoup plus capable de donner des leons que d'en recevoir. La Beauvoisin a t souvent cite dans la chrodu dix-huitime sicle. Les Mnique galante moires secrets la reprsentent comme assez jolie mais sans taille, courte et ramasse . Elle commenait ne plus tre trs jeune, en 1764, et quelques annes plus tard un libelle dirig, sous ce titre anodin Annonces, A [fiches et Avis divers, contre les principales courtisanes du temps et recueilli par les continuateurs de soigneusement Bachumont lui consacrera cet article peu flatteur : Modle d'antique d'aprs MlleB. (Beauvoisin)... Cette figure a pu reprsenter autrefois une assez jolie nymphe, mais les outrages du temps et les pltres l'ont presque dfig-ure. La Beauvoisin qui connaissait les hommes, poulies avoir beaucoup frquents, remplaait avantageusement son dfaut de jeunesse par un excs de dpravation.

LE MARIAGE DU MARQUISDE SADE

43'

dcouverte Elle avait t lance et peut-tre ; par le marquis trs dlicat, du Barry, un amateur du Barry l rou. Puis, tombe dans le domaine public, elle avait-eu de nombreux amants, traitants ou commis, auxquels ou gentilshommes, princes en femme bien avise, elle ne demandait, que d'tre riches. Le rve de toutes ces marchandes d'amour tait au thtre, d'entrer leur pour mieux achalander avait pris des leons du commerce. La Beauvoisin danseur Lany (1) et peu de temps aprs elle avait de hautes protections, se faire russi, grce admettre comme danseuse surnumraire l'Opra. C'est ainsi qu'elle put figurer en mme temps, mais avec des titres bien ingaux, sur le Calendrier des et sur celui de Cythre. Elle dansait spectacles mais elle aimait beaucoup quelquefois, plus souvent. On se lasse de tout, mme d'tre danseuse surnumraire l'Opra. Un peu alourdie par l'ge et dgote des jets-battus et des entrechats, l'actrice intermittente changea de gots et de passions. Elle joua ou plutt elle fit jouer. Elle eut deux tripots dans ses deux maisons de la rue (1) Jean-Barthlmy Lany Matre et compositeur des Ballets de l'Acadmie Royale de . Musique et l'un des grands danseurs de l'opra pour la danse forte et lgre. Anecdotes dramaliqus: 1775, t. III.

44 Saint-IIonor

LE MARQUIS SADE DE et de la rue des Deux-cus ou apvisiteurs parfois, importuns qu'on avec politesse et qu'on voyait partir avec inspecteurs de police de M. de Sartine. d'ajouter que dans ces tripots on ne l, fournissait pas jouer. L'htesse, tout prt, tous les prix. Secourabl d'autrui, la catin vieillie se faisait entre-

paraissaient accueillait plaisir, les Il convient se bornait de l'amour aux vices metteuse. La Beauvoisin

pouvait tre utile au marquis de de ses dbauches, Sade, et, par l'exagration par son got trs connu pour les raffinements erotiques, elle lui plaisait, s'imposait sa sympathie. Ces deux mes choisies taient destines, de toute ternit, s'entendre et s'accoupler. Le marquis ne se contente pas d'exhiber Paris cette matresse un peu mre mais encore trs cote. Il l'emmena en Provence et lui fit les honneurs de son chteau de la Coste, prs de Marseille. Invits de la rgion par lui, la plupart des hobereaux vinrent avec empressement. Ils furent vite conet le bagout de cette Pariquis par l'enjouement sienne, qui apportait dans ce coin de province les modes de la veille et celles du lendemain. Ils la trouvrent un peu vapore, mais elle n'en avait leurs yeux que plus de charme. Le marquis recevait trs aimablement. 11 donnait des bals et des spectacles. Sous sa direction

DU DE LE MARIAGE MARQUIS SADE

45

o le moindre bout de rle une troupe d'amateurs, tait fort recherch, jouait la comdie d'aprs les Cet rotoman bonnes traditions. tait, faiblesses part, un gentilhomme trs lgant, passionnelles et ses brillantes quaplein de got, plein d'esprit, lits ne le rendaient que plus redoutable. se au plaisir, consacre .Sa A'ie, entirement tantt en Provence, tantt Paris, o passait Mme de Sade l'accueillait toujours avec la mme avec la mme indulgence. La ardente affection, : de Montreuil se montrait de moins prsidente Elle trouvait ce gendre un bonne composition. sans' doute et regrettait peu trop compromettant Pour la seconde de l'avoir fait sortir de Vincennes. et la suite de ses fois elle se dcida intervenir, le marquis fut rintgr dans l'arme. dmarches Le 16 avril 1767, il reut, avec l'ordre de partir de sans dlai, le grade de capitaine commandant la compagnie du Mestre de camp (1). Les officiers, au dix-huitime sicle, abusaient, hors de leur garnison des congs. Ils passaient (1) Archives adminislr. du Ministre de la Guerre. Il y avait deux rgiments du Mestre dc camp gnral, un de cavalerie, fond en i635, l'autre de dragons, corps mixte comme on sait, fond en 1674. Le rgiment Mestre de camp cavalerie (celui dont fit partie le marquis dc Sade) avait t form lors du premier essai d'organisation dc la cavalerie, sous Richelieu. Son premier chef fut le marquis de Sourdis, cause de sa charge dc mestre de camp gnral dc la cavalerie lgre. Il eut pour successeur le marquis de '

46 quatre venait

LE. MARQUISDE SADE

de Sade ou cinq mois par an. Le marquis Dans trs souvent un de ces ; Paris. il fit sa femme un entre deux parades, voyages, Il lui cadeau elle dut tre trs sensible. auquel donna un fils, qui ne fut pas, on peut le croire, un Le 27 aot 1767 naquit enfant de l'amour partag. Louis-Marie de Sade, qui eut un illustre parrain illustre le prince de et une non moins marraine, de.Conti. Cond et la princesse trs sujet L'ancien amant de la Beauvoisin, sous la surveilsans s'en douter, vivait, caution, lance de la police. Marais crivait dans son rapport du 16 octobre 1767 : On ne tardera pas entendre des horreurs de M. le comte de encore parler dterminer la 11 fait l'impossible Sades. pour vivre avec lui et de l'Opra, demoiselle Rivire, lui a offert vingt-cinq louis par mois, condition ne serait pas au spectacle, que les jours qu'elle avec lui sa petite maison elle irait les passer Cette demoiselle l refuse. d'Arcueil. ne se trompait Marais bientt pas. On entendit parler, comme nous allons le voir dans le chapitre des horreurs de Sade. du marquis suivant, Praslin, qui prit le commandement dc ce corps, lorsqu'on l'organisa dfinitivement en i038. Le grade dc capitaine commandant d'une compagnie du Mestre de camp gnral quivalait au grade dc colonel. C'tait un joli avancement, et aussi flatteur que peu mrit, pour un officier de vingtsept ans.

C Jardin de ond dvhotel

III LA PETITE MAISON D'ARCUEIL

L'AFFAIRE

ROSE KELLER

ARAMINTE Bonjour, mon cher ; n'est-ce appelle une Petite Maison ? MATIIUIUN C'est une maison qui n'est pas bien grande. ARAMINTE Oh ! non, je m'entends bien... Je me sens dans une joie d'tre dans une Petite Maison, et puis en mme temps j'ai une frayeur... On dit... MATIIURIN Et d.e quoi, diantre, vez-vous peur ? . pas ici ce qu'on

48

LE MARQUIS SADE DE ARAMINTE

tant entendu J'avais donc, m'y voil... Mais je parler de cela M. de la Grivoisire... de tous cts, il me parait que cela resregarde semble toutce que je connais : j'avais imagin... Enfin MATIIimiN Quoi ? qu'on y entrait par les fentres ?

ARAMINTE Je ne sais, mais je me figurais que ce devait de ces inventions tre toutes choses singulires, des des emblmes, l, des devises, galantes; des comme dans l'ancienne chevalerie, nains, fausses portes, des trapes, des guirlandes. MATIIURIN Eh! mon Dieu, .tout cela tiendrait? misricorde! Et o est-ce que

ARAMINTE Enfin, reuse. tout ce qui annonce la galanterie amou-

MATIIURIN Je ne sais pas comme cela tait du temps de feu M. de la Grivoisire; mais pour ce qui est quant prsent, je puis vous assurer qu'il n'y a pas plus de galanterie ici que dans mon oeil.

LA'PETITE MAISON D'ARCUEIL ARAMINTE

43-

Comment ! ce n'est point l'amour qui conduit ici de jeunes amants, que les recherches importunes des jaloux... MATIIURIN Si c'est l'amour qui les y conduit, remment qu'il les laisse la porte. ARAMINTE Vous m'tonnez. Et pourquoi MATIIURIN Pour voir si le changement de lieu ne remettra pas quelque petit grain d'amiti ; et je ne sais comment cela se fait, mais il arrive toujours tout le contraire. Tenez, Madame, depuis que je suis ici, je n'ai pas pass un jour sans entendre des cris et des querelles, comme si on s'gorgeait. Moi, j'tais comme vous d'abord et j'avais mme pour que cela ne donnt mauvais exemple notre mnagre; mais, tatigu, que j'ai t bien rassur ; je pourrions y envoyer Javotte l'cole. On prpare un bon souper et on n'y mange rien ; quelquefois mme le souper reste, et il n'en vient qu'un qui s'arrache les cheveux de ce que l'autre y manque. Ordinairement c'est la dame qui arrive la premire. Voyez quoi contre-pied. Et puis, quand le 4 donc y venir? il faut appa-

50 monsieur arrive,

LE MARQUISDE SADE

quelquefois je les claire ; je au col. Bon! sauter m'imaginais qu'ils s'allaient Ah ! Monsieur, vous voil ? Je ne croyais pas que vous vinssiez. Madame, voil vos fantaisies ; si mal propos, il n'y a qu' dire, je m'en j'arrive irai. Vous tes bien le matre. Hol, ho! que Non, Monsieur, l'on ti 1 mes chevaux! lepoint vous resterez Puis, aprs cela, ils pour enrager. ils marchent, entrentdansla chambre, ils marchent, ils marchent tous deux jusqu' ce qu'on apporte le qui sers ; ils souper ; c'est moi pour l'ordinaire sont plus tristes, plus tristes : ils m'adressions si c'tait la parole tous deux, comme toujours (1) . pour moi qu'ils fussions venus... ce comdie nous fait connatre Mail'envers des Petites qu'on pourrait appeler sons. 11 est certain que plus d'une fois un jeune se vit oblig trs pris de changement, seigneur, une matresse dont il tait excd et d'y recevoir le Cependant qui ne l'en aimait que davantage. me Malhurin tableau que nous en fait le jardinier au noir. Cet honnte servisemble un peu pouss teur n'a pas tout vu et ne dit pas tout. vint souvent s'abriter et replier ses L'Amour Cette scne de (i) La Petite Maison, comdie en trois actes, par le prsident llnault, 1770. Je ne crois pas que celle pice ail jamais cl reprsente sur un thtre public.

D LA PETITE MAISON ARCUEIL ailes

51

dans ces asiles discrets o rien n'avait t ne ft-ce qu'une nuit, de ce qui pouvait, nglig et le retenir. On ne ft-ce qu'une heure, l'attirer des charmilles, construisait pour lui, l'ombre Il dt en profiter des nids de verdure et de marbre. largement. Les Petites Maisons sont nes de la corruption raffine et lgante du dix-huitime sicle. Sous le grand roi, amants et amantes du beau monde, allaient quand ils avaient envie de s'encanailler, tout simplement dans quelque guinguette ctoye par la Seine et loigne du centre, au Moulin de ou au Gros-Caillou. Javelle, au Port l'Anglais des cabaretiers Ils trouvaient l de vrais paysans, sans faon, des cabinets le vin du cru rustiques, et d'excellentes fritures. Le voisinage, le savoureux argot d'un garde franaise, d'une grisette ou d'un clerc de procureur, les amusaient, les chandes attitudes et geaient agrablement gourmes des exigences de l'tiquette. Ils s'vertuaient eux paratre nafs et simples mmes, bien dguiss, et parler la langue du peuple. On affectait de les en bonne forprendre pour de petits bourgeois tout le tune, mais sous leur costume d'emprunt monde les devinait. Pour plus de sret, un grand seigneur, un riche de la ville ou financier, louait parfois l'extrmit dans les faubourgs, la Grange-Batelire, la

52

LE MARQUISDE SADE

une maison de paysan, dont on Ville-l'Evque, tant bien que mal deux ou trois pices. meublait Tant que durait leur passion pour la femme, titre avoir sans ou non, riche ou pauvre, qu'ils voulaient cette maison ils gardaient trop la compromettre, cache aux regards Il leur arrivait rareprofanes. ment de la garder plus de six mois. et Ces logis provisoires d'lgance manquaient au dix-huitime de confortable. L'amour, sicle, trs cher voulut tre chez lui. Ceux qui payaient d'incommodes cabanes, pour ne les avoir que peu intrt faire de temps, comprirent qu'ils auraient btir ou acheter toutes prtes de jolies maisons qui seraient bien eux. Quelques grands seigneurs, le duc dc Richelieu, le prince le comte d'Evreux, de Soubise, le comte de Noce, donnrent l'exemple. Il fut bientt suivi par tout ce qui avait un nom ou et robins adoptrent de l'argent. Nobles, financiers amoucette mode si favorable leurs intrigues reuses. dans les quartiers Un peu partout, peu frl'aspect dc la camquents et qui avaient conserve s'levrent des Folies. On les dsigna pagne, ainsi parce qu'elles se cachaient sous les d'abord ou plutt parce que le luxe qui. sub foliis, arbres, ruina plus d'une fois leur propriy tait dploy taire. Plus tard on les appela des Petites Maisons. Maisons On avait des Petites pour y donner

D LA PETITE MAISON ARCUEIL

53

d'un jour, pour se drober asile des matresses d'un mari jaloux, on en aux curiosits indiscrtes avait aussi par vanit et elles taient alors aussi Dans la comdie que possible. peu mystrieuses que je citais tout l'heure, le laquais La Montagne, valet dc confiance de Yalre, la souexplique bien brette Frozine le rle jou par l'amour-propre dans l'achat de ces volupplus que par l'amour tueuses retraites trs coteuses, mais qui craient d'aimable rou : ou maintenaient une rputation FROZINE ( LA MONTAGNE) Il est vrai que ton mtier exige une grande et que discrtion ; que tu us beaucoup t'observer, cela ne laisse pas dc gner. Par exemple, quand tu viens dans cette Petite Maison, il faut prendre pour qu'on ne garde qu'on ne t'y A'oie entrer, sache pas dans le quartier qu'elle appartient ton matre. LA MONTAGNE Je Que veux-tu donc dire avec ta discrtion? crois que tu le moqius de nous. Ah ! ma pauvre Frozine, tu t'es bien rouille pendant deux ans de province. Et pourquoi du mystre? FROZINE Apparemment bonnes fortunes que ? ton matre en met ses

54

LE MARQUIS DE SADE LA MONTAGNE Lui ? Point du tout. FROZINE

Et son?

quoi lui sert-il donc Il me semble qu'elles la drobe pour y venir sonnes l'on ne pourrait que consquence. Cela

d'avoir une Petite Main'ont t inventes que et y attendre les pervoir chez elles sans

LA MONTAGNE tait du temps bon du roi Guillemot. Auune Petite Maison n'est indiscrjourd'hui qu'une tion de plus : on sait qui elle appartient, ce qui les comme s'y passe, personnes qui y viennent, dans une maison de ville a ; et except qu'il n'y la porte, en lettres Htel de Valre, d'or, pas sur d'ailleurs c'est tout la mme chose. Encore je ne n'en vienne dsespre point que la mode (1). aux Consacres vices coteux d'un arand seid'un traitant de haut vol , beaucoup de gneur, ces Petites modestes et rustiques, Maisons, quand on les voyait du dehors, taient l'intrieur des merveilles de luxe et d'lgance. Une barrire claire une porte voie, vermoulue, donnait accs une entre deux murs mal alle, (1) La Petite Maison, scne I.

LA PETITE

MAISON D ARGUEIL

55

murs on apercevait un de ces Au-dessus crpis. d'une ferme habtiment propre l'aspect qui avait leur aise. des paysans bien On entrait bite par un de ces palais dans et on se trouvait transport d'un enchanteur faisait de rve que la baguette sortir du sol. les plus clbres archiCes palais minuscules, les avaient construits ou amnags. Pour tectes les orner, on s'adressait aux artistes les plus connus. Boucher, ou Fragonard Pierre, Halle, Doyen des nymphes et des amours. Pirot, y dessinaient l'infini le caprice sur les lambris, variait de ses du plafond, Sur les corniches Bachearabesques. lier ses et ses de semait bouquets guirlandes fleurs. Les pices taient mais admirablement petites, elles diIntimes, confortables, proportionnes. saient le plaisir de vivre et invitaient l'amour. Elles consemblaient faites pour les mystrieuses les Elles mois les fidences, passionns. pour et les rendaient durables et provoquaient plus doux. plus Les sous toutes les formes, tasujets erotiques bronzes ou porcelaines, dans abondaient bleaux, le salon lumicirculaire tendu d'toffes fraches, ou bleu souffre tendre neuses, lilas, turquoise, le jardin, Sur de larges fentres, jonquille. par s'ouvrait la salle manger, avec ses murs rev-

56 tus de

LE MARQUIS

DE SADE

de stuc ornes de toiles ou par Clrici, d'Oudry des tableaux des fruits, reprsentaient qui des parties dc chasse. Elle tait ileurs, soigneusement la curiosit des valets interdite qui aurait les inscrits dans prvus, pu gner panchements de ces l'tes Par une oule programme galantes. dans le descendait verture plancher pratique dans les cuisines et remontait la table charge avec en bois Le boudoir, son parquet d'argenterie. de dans une fine de rose, tait tapiss glaces, en bordure d'or. ottomane Une occupait large tout un ct. de marbre Un revtement augmenla salle de la tait la fracheur dc bain, o, dans sur un rocher facpose baignoire, conque d'onyx tte de cygne versaient une eau des robinets tice, La chambre toile de soie drape'd'une inpuisable. le dans une rose cachait, alcve, d'argent glace de glaces lit monumental entour mouvantes. tables d'aventurinc ou vernies Fauteuils dors, consoles sur lesquelles par Martin, marquetteries, de Caffieri un bronze ou une terre cuite reposaient Gerde Clodion, toilettes ciseles par d'argent contourns avec une escadres dlicatement main, ou de clavecin de Gravelot Cochin, peint tampe lustres de cristal ou de Walteau, cuivre, par des satyres et des sur lesquelles jouaient pendules si souvent et qui sonnrent l'heure du berdryades et ou chiffonniers guridons, ger, girandoles

LA PETITE chaises Allantes, semblaient tous

MAISON D ARCUEIL les meubles, avaient

-

57

sourire, mants, de l'esprit. la maison d'amour. Un petit jardin ombrageait les bosquets, les berceaux On y avait prodigu de marbre, Des statues et les grottes. nymphes des corbeilles de fleurs, Cupidons qui portaient toutes blanches de carquois, arms s'rigeaient ternellement le sur le vertdes rptaient pelouses, et ne s'animaient mme geste qu' la nuit tombante de lune. Une eau limpide sous un rayon jaillissait un Apollon. D'une casdominait du bassin que de lierre un ruisseau cade s'chappait tapisse mlait murmure bruit des son baisers, qui, au ironique. de Sade n'tait assez Le marquis riche, pas de tout son entourer mme aprs mariage, pour maice luxe ses amours Sur sa petite passagres. nous On sait son les renseignements manquent. tait Arcueil et s'apsitue qu'elle simplement sauf le nom, n'en a surVA timonerie. Rien, pelait tre trs et dissimule vcu. Elle devait simple le plus possible aux car celui regards, qui en faidc ses orgies intrt sait le thtre n'avait aucun veiller l'attention. dans ses gots, le marquis de Trs clectique Sade des grandes des actrices dames, y amenait au hasard et de vulgaires ramasses courtisanes,

charlgers, de la grce et

5S

LE MARQUIS DE SADE

des rencontres, sur le pav de Paris. 11 tait de ceux qui neselaissentpas blouir, dans leurs poursuites amoureuses, d'un titre ou par l'importance l'clat d'une toilette, et pour qui toute femme est femme. Il aimait ce brusquer le dnouement, se prtaient de de ses conqutes quoi la plupart la meilleure et ne demandait grce du monde, celles qu'il avait remarques et choisies que la la beaut, et un caractre trs accommojeunesse, dant. Tous les gibiers taient bons ce chasseur, qui une grande passait partie de son temps poursuivre, avec une bourse bien pleine en guise de la taille fine et au frais fusil, quelque grisette minois. Le 3 avril 1768, qui tait le samedi saint, il se trouvait sur la place des Victoires, dans la femme lui demanda l'aumne. soire, lorsqu'une Elle tait jeune, jolie. 11 l'interrogea. Elle lui apRose Relier et qu'elle tait prit qu'elle s'appelait la veuve d'un garon ptissier, nomm Yalentin, qui l'avait laisse sans un sou. mais la femme tait L'histoire tait banale, charmante. Son motion, sa voix douce et un peu plaintive, pour un blas et un rou comme le marOn lui donnaient quis de Sade, plus de piquant. aurait pu croire que sa pudeur, soumise de trop rudes preuves, et qui avait d'abord hsit devant une profession coradshonorante mais lucrative,

LA PETITE MAISON DARCUEIL

59

la metmenait se lasser. La misre, semblait-il, tait sur le chemin du vice o d'autres taient alles tout naturellement, et, pousse par la ncessit,elle se rsignait faire de l'amour, tantt offert, tantt subi, son gagne-pain. Toutcela,le marquis de Sade le crut ou feignit de" le croire. Cette comdie l'amusait. Apitoy et souriant,il affecta de s'tonner qu'avec de si beaux yeux une femme qui n'avait qu' le vouloir pour tre heureuse fit un aussi triste mtier. Il lui parlait avec Elle l'coutait, convaindouceur, avec tendresse. cue d'avance. Quand il lui parla de sa petite maison d'Arcueil, o elle trouverait un bon souper, un peu d'amour et quelques louis, dont elle aArait si grand besoin, quand il lui offrit de l'y conduire, elle accepta sans hsiter. Un fiacre qui les guettait s'approcha sur un signe du marquis, et ils partirent. Voil, je crois, comment les choses durent se passer, parce que le plus souvent elles se passaient ainsi; mais, avant de continuer notre rcit, il faut recueillir les bruits qui coururent sur cet pisode de bouche en bouche. grossi dmesurment coiitons d'abord la marquise du Deffant. Elle crivait le 12 avril Horace Walpole, en racontant sa manire l'histoire de Rose Keller, dont s'entretenaient les salons du beau monde mous: 11 (le martills par un scandale retentissant

co

LE MARQUIS SADE DE

d'abord dans toutes les quis de. Sade) la conduisit chambres de la maison, puis il la mena dans le avec elle, lui orArriv l, il s'enferma grenier. donna, le pistolet sur la gorge, de se mettre toute cruellement. nue, lui -lia les mains et la fustigea Quand elle fut toute en sang, il tira un pot d'onguent de sa poche, en pansa ses plaies et la laissa. Je ne sais s'il la fit boire et manger ; mais il ne la revit que le lendemain. Ce jour-l, ajoute la. du Deffant, aprs avoir donn quelques marquise dtails manifestement errons, cette femme dses sespre se dmena tellement qu'elle rompit liens et se jeta par la fentre qui donnait sur la rue... Tout le peuple s'attroupa autour d'elle. Le de police (1) a t inform de ce fait. lieutenant On a arrt M. de Sade. Il est, dit-on, dans le chteau de Saumur. On ne sait ce que deviendra cette affaire, et si l'on se bornera cette punition ; ce qui pourrait tre parce qu'il appartient des srens assez considrables en crdit. Dans une lettre crite le lendemain, la marquise du Deffant Horace Walpole de nouenvoyait Areaux renseignements : Depuis hier j'ai appris la suite de M. de Sade. Le village o est sa petite maison est Arcueil ; il fouetta et dchiqueta la malheureuse le mme jour (le 3 avril) et tout de ~(i) De Sarline.

LA PETITE MAISON ARCUEIL D

Cl

suite il lui versa du baume dans ses plaies et sur ses corchures ; il lui dlia les mains, l'enveloppa dans beaucoup de linges et la coucha dans un bon lit. A peine fut-elle seule qu'elle se servit de ses bas et de ses couvertures pour se sauver par la fentre ; le juge d'Arcueil lui dit d porter plainte au procureur et au lieutenant de police. gnral Ce dernier envoya chercher M. de Sade, qui, loin de dsavouer et de rougir de son crime, prtendit avoir fait une trs belle action et avoir rendu un d'un grand service au public par la dcouverte baume qui gurissait sur le champ les blessures ; il est vrai qu'il a produit cet effet sur cette femme. Elle s'est dsiste de poursuivre son assassin, moyennant quelque argent ; ainsi il apparemment y a tout lieu dc croire qu'il en sera quitte pour la prison. Restif de la Bretonne, un des tmoins charge du marquis de Sade dans cette affaire, tait un de ses ennemis personnels. Tout ce qui pouvait lui sans exanuire, il devait, ce titre, l'accueillir men et l'exagrer de son mieux. Sa relation, donne dans la 194 des Nuits de Paris, fourmille des erreurs vod'erreurs, qui sont probablement lontaires. Il raconte que le marquis avait propos Rose Relier de devenir concierge de sa maison d'Arcueil. Elle avait avec reconnaisaccept sance. C'tait pour la pauvre femme, sur laquelle

62

LE MARQUIS SADE DE

le vertueux la Aie assure. romancier, s'apitoie A peine arriArs destination, de Sade a\'ait conduit sa victime dans une salle d'anatomi , comme on ne devait pas en trouver souvent dans les Petites Maisons. L se tenaient plusieurs personnes qui paraissaient attendre le marquis. 11 leur aArait prsent la jeune femme, louant sa beaut, la finesse de ses traits, la perfection de ses formes, au nom de la science laet, trs srieusement, il sacrifiait il l'amour, quelle, sans hsitation, aA'ait manifest l'intention de la dissquer Ayante. Les assistants Rose Relier, terril'approuvaient. fie par la grande table de marbre bianc, par les de chirurgie tals deA^ant elle, treminstruments blait comme une feuille. Heureusement le marA'oulu sans doute que l'efquis de Sade n'avait lise contenta del taillader . coups de frayer, canif. Un rcit du temps, 5 reproduit (et arrang') par \ Brierre de Boismont, mais dont il n'indique pas 11 l'origine (1), est particulirement dramatique. i mane d'un metteur en scne de premier ordre : Peu d'annes avant la Rvolution, raconte ce (i) Gazelle mdicale de Paris, numro du 21 juillet iS/|> DUSAULX, De l'insurrection parisienne el de la prise de la Bastille. Paris, ^go, p. 99.

212

LE MARQUIS SADE DE

effets, doit en brler quelqu'un, qu'il est, d'aprs cela, superflu de dcrire il ne s'agit pas d'un il n'est question que d'une remise. inventaire, Au reste, vous tes bon et sage, Monsieur, et je suis bien sr que vous 'vous conduirez sur cet objet avec toute la prudence qu'exige votre place, et les recommandations faites par particulires ceux pour lesquels vous allez oprer. Je joins cette lettre, Monsieur, un crit important de ma part, qui trouvera sa place en temps et lieu et que je vous prie de conserver, attendu dans qu'il viendra une poque o je le rclamerai vos mains, et o je relaterai juridiquement l'instant o il fut consign. J'ai sieur , l'honneur d'tre trs sincrement, Mon-

. Votre trs humble

et trs obissant

serviteur,

LE COMTEDE SADE. Ce 9 juillet Je vous178 (9).

donne galement avis, Monsieur, et porte plainte envers vous qu'un des alguasils - envoys de la violence qui vepour l'excution vous nait de m'tre faite la Bastille quand partes dans la nuit du 3 au 4 juillet 1789 m'a vol deux louis dans ma poche; vous voudrez bien les faire rendre Mme de Sade et assurer

LE MARQUIS DE SADEA LA BASTILLE ledit exempt qu'il sera poursuivi minel aussitt que je serai libre.

213

par moi au cri, .'

DE SADE (1).

La marquise de Sade dut probablement craindre de dplaire son mari, ou de se compromettre, ou de faire quelque pnible dcouverte; en se charcar elle crivit, le 19 juillet, geant de ces papiers, ' . au commissaire Chnon : J'ai rflchi, Monsieur, la lettre que j'ai eu l'honneur de vous crire dans un moment o j'tais Si trop trouble pour en peser les consquences. vous n'aArez pas encore fait usage de ma lettre pour retirer del Bastille les effets de M. de.Sade, sans observer les formalits usites en pareil cas, je vous prie de disposer les choses de manire que je ne puisse pas tre regarde comme responsable des papiers et effets de M. de Sade, ayant des raisons de n'en tre personnelles pour dsirer pas charge. J'entends trop peu les affaires pour vous proposer cet gard un parti que votre prudence vous suggrera mieux qu' moy, mais il me semble qu'un moyen qui concilierait tout, et qui en mme (1) Arch. Nal., ol5g6. Au dos de cette lettre le marquis a crit : Mme de Sade voudra bien faire remettre les papiers ci-joints M. le commissaire Chnon.

214 temps serait effets

DE LE MARQUIS SADE

avec le dsir de mon mary. s'accorderait bien en retirant ces que vous voulussiez le souhaite, les sans description, puisqu'il dposer sous cachet dans un autre dpt sur, o il ce qu'il ait dtermin resterait l'usage jusqu' qu'il en veut faire. Tout ce que je demande encore une fois est de et c'est pour cela, n'en pas demeurer charge, Monsieur, que je vous demande vos bons offices. Je suis, Monsieur, avec autant de considration que de confiance, votre trs humble et trs obissante servante. MONTUEUIL DE SADE. Ce 19 juillet 1789, des Dames de Sainte-Aure, Communaut rue Neuve-Sainle-Genevive (1).

la

avaient t trs Les vainqueurs de la Bastille surpris d'y trouver si peu de dtenus (2). Le peuple, qui aime se sentir mu, supposait qu'il en restait dans de mystrieux enferms cachots, plusieurs (i) Arch. Nal., o'5gG. En tte celle annotation : 19juillet 1789. Rep. le 27. (2) Ces prisonniers taient au nombre de sept : La Barle, Bernard Laroche, Jean La Corrze et Jean Antoine Pujade, enferms en 1787,pour avoir fabriqu de fausses lettres de change ; Claude Tavernier, pour complot contre la vie du roi. Devenu fou, il fut conduit Charenton; le comte de With de Maleville, fou galement ; le comte de Solange, emprisonn sur la demande de son pre pour dissipation.

LE MARQUIS DE SADEA LA BASTILLE ,.

215

d'affreuses lis par des chanes de fer, condamns Le petit nombre tortures. de ces prtendues vicet le droutait. times l'humiliait Il ne voulait pas ^ du district de Saint-Louisv croire; Neuf habitants s'tait mis un certain en-1'Isle, la tte desquels rsolurent de tirer la chose au clair* M. Lamarre, Ils se dlgurent eux-mmes comit auprs.du du district (1) et lui exposrent leurs soupons. Cerdes malheureux restaient tainement, emprisonns la Bastille dans des oubliettes que seuls connaissaient les geliers. Avec quelle impatience et quelle angoisse ils devaient attendre qu'on les dlivrt ! 11 fallait, pour ne pas les exposer mourir de faim ou de dsespoir, se hter, ne pas perdre un instant. Ainsi parla la dlgation des neuf citoyens, conduits et elle se retira, aussi par M. Lamarre, gravement qu'elle tait venue, convaincue qu'une fois de plus, elle avait sauv la patrie. Le comit envoya un de ses membres, escort de quelques notables du district, pour visiter, trs toutes les chambres et tous les soigneusement, cachots. On ne trouva rien. Pour plus de sret, le comit manda les quatre (1) Les comits de district, qui sigaient jour et nuit, recevraient les plaintes ou les dnonciations des citoyens, faisaient la police du quartier, ouvraient les ordres adresss par le maire ou le commandant gnral de la garde nationale et veillaient leur excution.

216

*:':-

: LE' MARQUIS SADE" " DE

del Bastille, Trcourf, Lossinole (1), porte-clefs Ils se prsentrent le 17 juillet Gyon et Fnfart. onze heures d matiu. ils donnrent, Interrogs sparment, aprs avoir jur de dire foute la vrit, les renseignements les plus prcis sur les tours, les chambres, les cachots et les prisonniers qui y avaient t en--ferms. Trcourt dclara qu'il y avait un cachot la un la Comt," un la Bertaudire, -Basinire, deux la Libert, un au Coin, un au Puits ; mais que depuis plus de quinze ans aucun dtenu n'y avait t mis. sur les deux tours Lossinote, qu'on interrogea dont il avait la garde, rpondit entre autres choses que le dernier prisonnier qui a t dans la tour de la Libert a t le comte de Sade, transfr dedans la maison des puis environ trois semaines de Charenton; religieux que lors de la translation, il a t appos des scells par le commissaire Chnon, sur la porte de la chambre, pour la conservation des diffrents objets qui y ont t lais. ss (2) . . (i) Pierre Lossinote, porte-clefs depuis 1781, tait charg de la tour de la Libert et de celle de la Chapelle. Il logeait, en 1789,aprs la prise de la Bastile, rue Saint-Antoine, chez le sieur Pstien, marchand papetier. (2) Arh. Nat., C. i34, doss. 5. Ce procs-verbal fut imprim et envoy tous les districts de Paris. ;

DE SADE.A LA BASTILLE LE" MARQUIS

217

ainsi de-lui, indirecteTaudis qu'on s'occupait de Sade faisait ses dbuts dans ment, l marquis o sa place tait de Charenton cet asile-prison le les immenses caves, tout indique. Malgr vaste jardin et la charmante vue, signals et admirs par tous les guides de Paris (1), il n'apprciait dont le rsidence pas sa valeur cette nouvelle bien plus rgime et la discipline taient cependant faciles supporter que ceux de la Bastille. Latude n'hqui y avait vcu quelques annes auparavant dans ses MIl racon