Le_Hadj Laroussi Belkacem

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  • EPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRER

    MINISTERE DE LENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET

    DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

    UNIVERSITE EL HADJ LAKHDAR BATNA-

    Facult des lettres et sciences sociales

    Dpartement de Franais

    Ecole doctorale Algro-Franaise

    Antenne de Batna

    Thme

    Mmoire labor en vue de lobtention du diplme de magistre Option : sciences du langage Sous la direction de : Prsent et soutenu par : Pr. Abdelhamid Samir Hadj laroussi Belkacem

    Membres du jury:

    Prsident : Pr.Bensalah Bachir universit de Biskra

    Rapporteur : Pr. Abdelhamid Samir universit de Batna

    Examinateur : Pr.Manaa Gaouaou universit de Batna

    Examinateur : Dr.Khenour Salah universit de Ouargla

    Anne Universitaire : 2011 / 2012

    Le jeu du je et du nous ou la multiplicit du

    sujet dans luvre de Mouloud Feraoun

    Le fils du pauvre

  • Certes, il ya des travaux pnibles ;

    mais la joie de la russite na-t-elle pas

    compenser nos douleurs ?

    Jean de la bruyre

  • Remerciements

    Je tiens remercier tout dabord mon directeur de recherches,

    Professeur SAMIR ABDELHAMID, pour sa patience, et surtout pour sa

    confiance, ses remarques et ses conseils, sa disponibilit et sa

    bienveillance.

    Quil trouve ici le tmoignage de ma profonde gratitude.

    Je voudrais galement remercier les membres du jury pour avoir

    accepter dvaluer ce travail et pour toutes leurs remarques et

    critiques, ainsi que le personnel et les enseignants de lannexe de

    Batna de lcole Doctorale sans oublier les enseignants trangers qui

    ont contribu ma formation.

    Je tiens aussi remercier monsieur le chef du dpartement de franais

    lUniversit de Msila : Dr Lakhdar Kherchi ainsi que tout le

    personnel et les enseignants du dpartement pour leur soutien

    inestimable.

    A tous mes enseignants qui mont initi aux valeurs authentiques, en

    signe d'un profond respect et d'un profond amour !!!

    Merci vous tous

  • Ddicace

    A la mmoire de mon dfunt pre.

    la plus belle crature que Dieu a cre sur terre ,,,

    cet source de tendresse, de patience et de gnrosit,,,

    ma mre !

    ma femme qui a toujours tait mes cots

    A mes chres filles : Sirine, Racha, Fatima Zohra

    mon grand frre et pre Djamel

    tous mes frres et surs, ainsi que leurs enfants

    mes beaux parents et toute ma famille

    tous mes amis et collgues

    tous les tudiants de la promotion 2009/2010

    Option : sciences du langage

    A tous ceux qui, par un mot, mont donn la force de continuer ..

  • 1

    Introduction gnrale et objectif de ltude :

    Je me voulais crivain sans en mesurer la souffrance et le vertige !

    En commenant par cette citation de lcrivain marocain A.Khatibi, nous

    voulions montrer la difficult du produit scriptural, mais ltude et/ou la critique de

    ce produit reste plus difficile encore.

    Lvolution des espces vivantes a suivi des voies qui peuvent nous paraitre

    bien mystrieuses. En ralit, chaque organisme vivant reprsente sa manire une

    incroyable russite, et il est difficile de dire ce que cette volution a fait de mieux,

    tant chacun de ses produits force en quelque sorte notre admiration !

    Il nen reste pas moins que cependant que le langage a toujours t considr

    comme un fruit trs particulier et fascinant de cette volution, comme sil sagissait

    dun inestimable cadeau quaurait reu lespce humaine !

    Dun animal intelligent ne dit-on pas : il ne lui manque que... , et cest

    sans doute ce qui fait dire au philosophe Alain1 : qui na point rflchi au langage

    na point rflchi du tout .

    Le langage humain est considr comme un objet la fois familier, trange et

    surtout merveilleuxcest le comportement symbolique humain le plus dvelopp !

    Les langues naturelles nimposent pas de limites lexpression : tout ce que

    nous percevons, concevons, imaginons, pensons, prvoyons peut trouver une

    expression langagire et, par consquent, se communiquer autrui.

    En ralit, alors que la communication animale se limite un rpertoire

    limit de messages relativement strotyps (appel, alerte, demande, menace,..) le

    langage humain nous rend capable dexprimer un nombre de significations quasi

    illimit. Outil de communication, il participe de laction de lhomme sur le monde.

    Lapplication de certaines mthodes linguistiques des textes littraires est

    fconde : elle permet den faire surgir certains aspects qui intressent les linguistes

    dune part et les spcialistes de lautre part. Et partir des annes 1980, ltude

    linguistique de la littrature sest renouvele grce aux acquis de lnonciation, de la

    linguistique textuelle et de lapragmatique.ces approches ont donn une grande 1 mile Chartier, dit : Alain, essayiste franais n Mortagne (1868-1951)

  • 2

    pousse pour ltude du texte littraires et ont permis laccs des phnomnes

    linguistiques dune grande finesse() o se mlent troitement la rfrence au

    monde et linscription des partenaires de lnonciation dans le discours 1.

    Ltude de ces phnomnes ouvre alors, plusieurs voies la lecture littraire,

    notamment des rflexions sur la construction de la rfrence et les figurations de la

    subjectivit.

    La structure de la langue est lie au sujet humain de lnonciation et la

    socit dont il appartient ; tout auteur qui crit une uvre sadresse un public, un

    ou des lecteur(s), do la situation doit se dterminer par la relation entre

    nonciateur(auteur) et un nonciataire (lecteur), () cest par le langage que

    lhomme se constitue comme "sujet"; parce que le langage seul fonde en ralit,

    dans sa ralit qui est celle de ltre, le concept d"go" 2

    En gnral, et dans toute production, crite soit-elle ou orale (notre tude

    sintresse la production scripturale), les pronoms personnels sont omniprsents ; et

    par consquent, personne ne peut sen passer de leur usage. Ce sont dailleurs la

    catgorie que nous rencontrons le plus dans tous les discours.

    Les pronoms personnels sont des formes linguistiques qui ont t toujours

    considres comme une seule et mme classe fonctionnelle et formelle :

    Les indicateurs je- et tu-, ne peuvent exister comme signes virtuels, ils

    nexistent quen tant quils sont actualiss dans linstance du discours o ils

    marquent par chacune de leur propre instance le procs dappropriation par le

    locuteur .3Mais, alors peut-on imaginer une langue sans pronoms ?jamais !

    Le problme des pronoms nest pas un problme de langue, mais plutt un problme

    de langage, et cela est du luniversalit de ces formes linguistiques.

    Problmatique :

    Les pronoms personnels ne sont distingus des autres pronoms, que

    seulement par leur dnomination.

    Dans la mesure o Toute manifestation verbale (...) a la facult (...) de

    communiquer ses intentions aux lments du langage intgrs dans ses vises

    smantiques et expressives, et de leur imposer des nuances de sens prcises, des tons

    1 D. Mainguenau,, pragmatique pour le texte littraire, Nathan universit, paris, 2001 2 E. Benveniste, problmes de linguistique gnrale I, Ed. Gallimard, Paris, 1966, p.256 3 Ibid. P.255

  • 3

    de valeur dfinie 1,luvre littraire est considrer, la fois, comme une uvre

    esthtique et comme un lieu de questionnements sur la langue, suggrs par les

    priorits syntaxiques, stylistiques et lexicales de lauteur dterminant ses vises ou

    ses intentions.

    Les pronoms personnels ou comme les appellent dautres linguistes

    embrayeurs ou dictiques , ont suscit un intrt majeur dans les tudes et

    recherches linguistiques rcentes linstar de celles de Dominique Mainguenau, et

    Catherine Karberat-Orecchioni.

    En langue franaise, lusage des pronoms personnels de la premire personne

    je et nous permet de se dfinir en tant qunonciateur, mais lalternance dans

    cet usage posera des problmes, ce qui nous oblige tre attentif et marquer du recul,

    afin de bien saisir lnonciateur.

    Notre objet dtude porte sur les deux pronoms personnels de la premire

    personne savoir je et nous dans le rcit autobiographique (dans la mesure o

    le roman de Mouloud Feraoun le fils du pauvre est purement une autobiographie

    de lauteur lui mme ),car nous savons que le nom du personnage central du rcit

    Fouroulou Menrad nest que lanagramme de lauteur ,ainsi que ce passage de

    Mouloud Feraoun son ami Robls dommage, car une prface de toi au fils du

    pauvre naurait fait de mal ni toi, ni moi, ni lcole.de toute faon, dis-moi ce

    quil faut faire :je suis prt parler de moi en 15lignes comme je lai fait en

    200pages 2, et dans une lettre Madame Landis-Benos,le 4fevrier

    1955: Fouroulou, ctait peu prs moi 3.

    Le rcit autobiographique est une narration la premire personne avec

    excellence, cest lhistoire de soi-mme, cest--dire narrer avec un je , mais ce

    je se mtamorphose souvent en nous , premire personne du pluriel. Lauteur

    change ainsi de statut, ce choix des pronoms nest pas innocent :

    Le choix dun pronom personnel entraine et inspire dautres choix ()

    touche la question fondamentale de la place o est situ un rcit donn dans les

    catgories des possibles narratifs 4.Lauteur cherche donc, se raconter par le

    1 M. Bakhtine, Esthtique de la cration verbale, Paris, Gallimard, 1984, P.112 2 Mouloud Feraoun, lettres ses amis, d. seuil, 1969, p.92 3 Ibid. P.93 4 Glowinski Michael, Sur le roman la premire personne, dans Esthtique et potique, textes runis et prsents par G. Genette, Ed. Seuil, Paris, 1992, p.229

  • 4

    truchement d'un personnage "fictif" ou "romanesque. Il suffit de chercher "hors du

    texte" les dtails autobiographiques pour s'assurer qu'il s'agit du personnage auteur.

    Cette tude s'intresse donc, la description de ce que nous avons appel le

    jeu du "je" et "nous" .Par le mot jeu , nous visons montrer la multiplicit du

    sujet nonciateur mme sil sagit dune autobiographie ou une criture de soi, et

    aussi nous visons par l ,le jeu de la langue, et les diffrentes situations

    nonciatives qui permettent ainsi un va-et-vient des deux pronoms dj mentionns

    et comment ce processus de mutation du je en nous prend place dans

    lcriture de Mouloud Feraoun .Ce va-et-vient entre ces pronoms ,donc ,relve dune

    stratgie adopte par lcrivain afin daccder un but dtermin :montrer son

    appartenance et sa relation avec son groupe social (son village),les deux pronoms

    seraient donc des marqueurs relationnels, une relation de solidarit surtout, et aussi

    celui dagir sur autrui et limpliquer tout en dnonant une situation de vie des plus

    misrable, car lcriture est une entreprise singulire et collective la fois, cest

    dire quon ncrit pas pour soi-mme seulement, mais aussi pour les

    autres ; lcriture est bien entendu une entreprise singulire, mais elle ne se

    dtache pas ici des proccupations collectives, quil sagisse de traduire une

    exprience linguistiquede traduire une exprience socioculturelle, daccepter ou

    de refuser tel aspect de lhistoire littraire occidentale 1.

    Notre hypothse est que lcriture de Mouloud Feraoun dans le fils du

    pauvre renferme des stratgies discursives mises au point par lauteur afin de

    construire et de dfendre une thmatique particulire : il ne sagit pas seulement

    dune autobiographie mais plutt dune biographie collective. Il sagit pour nous

    donc, de sintresser lusage altern des pronoms personnels de la premire

    personne je et nous , tout en prenant compte de la situation dnonciation et

    identifier qui renvoie lun et lautre et daborder les modalits dnonciation de ce

    jeu langagier et la diversit du sujet dans le roman le fils du pauvre .

    Nous montrons comment celui-ci sous-tend la dimension nonciative du discours de

    lauteur et ses intentions, de montrer aussi les degrs dimplication de lauteur dans

    son nonc et sa relation avec sa socit (le contexte de cette production artistique)

    do cette relation de solidarit , do surgit une relation dinterdpendance entre

    une identit personnelle et une identit collective, en cherchant associer son

    destinataire et par la suite linfluencer ! 1 Moura Jean-Marc, Littratures francophones et thories postcoloniale, PUF, Paris, 1999, P.43

  • 5

    Est-ce que cest sa voix quil veut nous faire entendre ?ou cest la voix collective

    de toute une population opprime ? Sagit-il dune biographie individuelle ou une

    biographie collective ?

    Aprs une introduction gnrale o nous avons essay de montrer lutilit de la

    langue en gnral chez le sujet humain et du langage en particulier, un aperu sur la

    littrature maghrbine dexpression franaise savre ncessaire (puisque le corpus

    dtude y est inscrit), nous avons divis le travail en trois chapitres.

    Dans le premier chapitre, nous procderons montrer lintrt qui a t donn

    la linguistique saussurienne c'est--dire tudier la langue comme les algorithmes ,

    et comment dautre linguistes ont pens que lnonc possde dautres niveaux

    dorganisation plus profonds do lapparition de la linguistique nonciative, et

    aussi sans oublier et ngliger lapport qua fourni la psychanalyse ; le sujet

    producteur de tout nonc est influenc par ce quil lentoure.

    Ainsi, la comprhension et lanalyse de lnonc ne peut se faire sans recourir

    lextratexte. Le langage humain est rgi par un contexte qui impose un choix de

    mots ; le rcit autobiographique que nous le prsenterons brivement en est une

    grande preuve avec surtout ces voix multiples qui accompagnent toujours linstance

    de la narration savoir je !

    Tout en sappuyant sur les travaux de Bakhtine et la notion de polyphonie, le fruit

    dune conception Lacanienne du sujet le je- nest quun autre

    Le deuxime chapitre sera consacr aux pronoms personnels dune faon

    gnrale et ceux de la premire personne je et nous plus particulirement.

    nous essayerons donc dans ce chapitre de faire une synthse aussi cohrente que

    possible des divers travaux dj effectus sur les pronoms personnels dune manire

    gnrale et plus particulirement ceux de la premire personne, ainsi que la place

    qu'ils occupent dans la pratique scripturale surtout. Nous parlerons aussi de

    lapproche nonciative dans laquelle sinscrit notre recherche et mettre en exergue le

    degr dimplication de lauteur avec ses lecteurs.

    Dans le troisime chapitre, nous commencerons par une brve prsentation

    de luvre et une analyse simple du titre de luvre en tant que paratexte et nous

    prsenterons par la suite des contenus choisis noncs , et leurs situations

  • 6

    dnonciation et montrer aussi les diffrentes stratgies et astuces adoptes par

    lauteur afin de bien manier cet usage des pronoms de la premire personne ; tantt

    parler avec je et tantt parler avec nous !

    Nous navions nullement lintention daborder tout ce qui concerne les

    pronoms personnels dans le discours littraire et faire une analyse approfondie, mais

    faire plutt de ce travail juste une initiation la recherche dans ce domaine et une

    tentative de description de ce jeu interminable de la production littraire !...car

    approcher la littrature cest approcher les rives dun ocan avec tous ces risques, la

    littrature restera sans profondeur puisque tout simplement : cest une cration de

    lhomme !!!

  • 7

    PREAMBULE

    Aperu sur la littrature algrienne

    Dexpression franaise

    Le rcit commence avec lhistoire mme de

    lhumanit ; Il nya pas, il nya jamais eu nulle

    part, aucun peuple sans rcit .

    Roland Barthes

    Introduction lanalyse structurale des rcits

  • 8

    Au demeurant, crire en franais est un choix douloureux mais cest un mal

    ncessaire Kateb Yacine.

    Ne dans un contexte colonial, la littrature algrienne dexpression franaise

    fut sans cesse interroge par les questions nationale et identitaire : elle se devait

    dtre lcho des mouvements de libration.

    La littrature se veut donc militante : crire en se rvoltant contre la socit

    coloniale et lordre ainsi instaur.

    Un grand nombre dcrivains algriens avaient un choix limit ds le dpart :les

    autres langues quils possdent ne sont en majorit quexclusivement orales (crire

    en arabe cest avoir un public restreint et la suite le message narrivera jamais

    lautre , lhexagone),le franais tant, de toute faon, dsign davance du fait quil

    tait la seule langue crite quils maitrisent ;quelques consquences en dcoulent par

    la suite, comme le signale lcrivain hongrois Arthur Koestler : ladoption dune

    nouvelle langue ,surtout par un crivain, entraine une transformation progressive

    inconsciente de ses modes de penser, de son style et de ses gouts, de son attitude et

    de ses ractions. Bref, il acquiert non seulement un nouveau moyen de

    communication, mais un nouveau fond culturel1.les crivains ayant choisi la

    langue de Molire furent svrement harcels et traits de non-patriotiques.

    Les Algriens se mettent alors crire aprs la premire guerre mondiale. Ils

    saventurent dans le journalisme, publient des essais et des tmoignages sur plusieurs

    sujets sociopolitiques. Certains critiquent linfluence ngative du colonialisme sur la

    vie des Algriens, dautres vantent la mission civilisatrice de la France. Tous ces

    romans sont exotiques et moralisants. Les crivains dcrivent la vie quotidienne,

    recourent souvent au folklore et sadressent toujours au lecteur franais. Leur critique

    retenue ne touche que certains aspects de la morale. Dune faon gnrale, les

    romans des annes 20 et 30 constituent, selon les chercheurs presque unanimes, la

    priode dassimilation, dacculturation ou de mimtisme dans lhistoire de la

    littrature algrienne. A cette poque, les Algriens matrisent suffisamment le

    franais pour pouvoir crer des uvres littraires en imitant leurs crivains prfrs.

    1 Koestler Arthur, hiroglyphes , 2, Calmann-Lvy, 1955, traduction D.Van Mops, p, 145

  • 9

    Une nouvelle tape du dveloppement de la littrature algrienne de langue franaise

    commence aprs la deuxime guerre mondiale.

    Elle est dabord caractrise par laccroissement de lactivit littraire des

    Algriens. Ils crent des cercles, des clubs, des associations littraires, travaillent

    dans les rdactions des journaux et des revues. Ils maintiennent galement des

    contacts plus ou moins troits avec lcole nord-africaine dont ils se sparent bientt.

    Bref, la deuxime moiti des annes 40 et le dbut des annes 50 est, pour les

    crivains algriens, un moment de scolarit , dinitiation active la littrature.

    En mme temps, cest le moment de rupture avec la littrature prcdente,

    puisque lpoque dassimilation est dpasse et les romanciers des annes 20 et 30

    ncrivent plus. Seul Jean Amrouche continue produire et simpose comme matre

    aux yeux de la nouvelle gnration des crivains algriens.

    La parution des romans Le Fils du Pauvre (1950) et La Terre et le Sang (1953)

    de Mouloud Feraoun, La Grande Maison (1952) de Mohammed Dib et La Colline

    oublie (1952) de Mouloud Mammeri est donc la consquence de laccroissement de

    lactivit littraire des Algriens aprs la deuxime guerre mondiale. Ces romans ont

    marqu le dbut dune littrature nouvelle que plusieurs chercheurs considrent

    comme authentiquement algrienne. Le trait commun de la nouvelle littrature est

    son caractre ethnographique.

    Les romans ethnographiques dcrivent la vie traditionnelle et dessinent le

    portrait collectif du peuple, en mme temps ils sont biographiques et rappellent le

    roman dapprentissage europen qui suit lvolution du hros depuis son enfance et

    adolescence. Mais par rapport au roman europen, le hros ne se rvolte pas contre la

    socit, tout au contraire, cest le milieu national qui forme son caractre et sa vision

    du monde. Cependant la perception du monde de hros est toujours subjective, par

    consquent, le roman ethnographique algrien est toujours psychologique, car la vie

    du peuple y est dcrite le plus souvent travers les sentiments du hros. Lmergence

    du psychologisme chez les romanciers algriens peut tre considre comme un

    vritable exploit parce que, comme tmoigne Dib, les Algriens levs dans un

    milieu musulman considrent lintrospection comme un peu malsaine 1.

    La parution des romans ethnographiques (beaucoup plus autobiographiques) a t

    dicte avant tout par la volont de sexprimer. Les crivains ont essay de raconter 1 Claudine Acs. In : LAfrique littraire et artistique, Paris, aot 1971, 18, p. 10

  • 10

    leur enfance et leur jeunesse, de parler de leurs problmes et de leurs sentiments, de

    dcrire la vie du peuple dont ils faisaient une partie intgrante. Cest alors que des

    uvres issues du Maghreb font leur entre sur la scne littraire franaise. La langue

    vient sinscrire alors comme une urgence, en raction contre la langue de bois de

    lpoque. Les conditions de lmergence de la littrature maghrbine de langue franaise

    furent plus que difficiles. En effet, cette littrature, dite francophone, posait le

    problme dacculturation de ces auteurs. Ceux-ci possdaient un double bagage

    culturel, de par leur scolarisation lcole franaise durant le colonialisme et leur

    hritage maghrebo-musulman.

    Les dbuts du roman algrien sont contemporains de la guerre dAlgrie ou de

    ses prmisses, et beaucoup de lecteurs franais ou algriens associent encore

    lmergence de cette littrature cet vnement politique capital pour la mutation

    des mentalits de toute une gnration. Pourtant, contrairement ce que lon pourrait

    attendre, il y a peu de romans algriens consacrs la guerre dAlgrie, mme si les

    blessures de celle-ci sont en filigrane dans un grand nombre dentre eux. On a par

    contre limpression que litinraire de lintellectuel vers cet engagement commence

    par une description de sa double culture et des contradictions de comportement

    quelle entrane dans la vie quotidienne, et que cette description dbouchera ensuite

    sur un cahier de dolances adress la culture humaniste franaise qui na pas tenu

    ses promesses, pour narriver que dans un troisime temps des rcits dengagement

    proprement dit dans la guerre elle-mme.

    La littrature algrienne dexpression franaise est donc une littrature

    hybride, au mme titre que ses crateurs (dans le sens o ils possdent un double

    fond culturel), qui vont prsenter au public une situation donne dans un langage

    hrit de limprialisme. Pourtant, grce la conqute du franais, ils dvoilrent

    enfin la ralit de leur monde dans toute sa vrit. Ils parvinrent se dire librement et

    imposrent une forme nouvelle : lautobiographie, le rcit du moi , qui saffirme

    dans toute sa singularit, libr des chanes de la tradition qui lont opprim jusqu

    prsent. Ainsi, les romanciers furent traits de parjures, dune part parce quils

    crivaient dans la langue du colonisateur, quils se rvoltaient contre leur milieu et

    dautre part parce que parler de soi la premire personne dans le but de raconter sa

    vie prsuppose que lon se dtache totalement du groupe social. Les auteurs ont

    donn leur hros le pouvoir dutiliser le je , ce qui a t rendu possible par leur

    accs lducation franaise, alors que chez eux, cest le nous qui domine.

  • CHAPITRE PREMIER

    De la phrase lnonc !

    Au del du signe saussurien

    ou lapproche nonciative du

    discours :

    Savoir danser avec les pieds, avec les ides,

    avec les mots : faut-il que je dise quil est ncessaire de le savoir avec la plume- quil

    faut apprendre crire

    Nietzche

    Le crpuscule des idoles

  • 12

    Introduction :

    La question du discours nest pas nonce dans le cours de linguistique de

    Ferdinand de Saussure qui circonscrit le domaine de la linguistique comme une

    tude de la langue, elle-mme dfinie comme un systme de signes. Sa thorie

    repose sur une opposition langue / parole qui recoupe lopposition socit /

    individu. La recherche en linguistique soriente ainsi vers ltude du systme de la

    langue par opposition aux manifestations individuelles de la parole. La

    sparation langue / parole prsuppose du coup une opposition entre ce qui est

    social et ce qui individuel. Par rapport cette opposition, le discours est le tiers-

    exclu. La premire mise en cause de lopposition saussurienne qui rhabilite la

    parole apparat en 1909 chez Charles Bally1, dans son trait de stylistique. Celui-

    ci expose les principes dune linguistique de la parole qui ouvre la voie de la

    recherche sur la relation entretenue par le sujet parlant, son discours et le contexte.

    Chez Guillaume2on trouve la notion de lacte de discours, qui tend

    apporter plus de prcisions sur la place du sujet parlant ; mais cette thorie ne

    dpasse pas celle de Saussure. Cest chez les formalistes russes, par contre, que se

    dveloppe partir de 1915 une recherche sur les structures narratives de la

    littrature orale et crite. En 1928, on dcouvre, dans La morphologie du conte

    russe de Propp, lambition de dpasser le principe de limmanence pour

    sintresser aux vastes ensembles discursifs que sont les textes, afin de rendre

    compte de lorganisation syntaxique et smantique dun texte. Benveniste qui

    effectue des recherches sur lnonciation et la smiologie de la langue, en partant

    de la philosophie analytique et en particulier de la thorie des actes de parole de

    1 Charles Bally, Trait de stylistique franaise, Ed. Leroux, Paris, 1909 2 Gustave Guillaume, Langage et sciences du langage, 1964

  • 13

    langlo-saxon Austin1, contribue introduire dans la linguistique franaise un

    thme nouveau, qui reprsente aujourdhui ce quon appelle communment

    lanalyse de discours.

    Une nouvelle voie sest ouverte pour aborder lanalyse des textes

    littraires ; celle de la pragmatique quun grand nombre de linguistes la

    dfinit comme lutilisation du langage, comme la description du langage en

    action, ou comme du langage en contexte. Elle relve non seulement de la

    linguistique, mais aussi de la sociologie, de la psychologie, de philosophie du

    langage, de lthique, etc.

    On ne peut aborder la pragmatique sans parler de la situation

    dnonciation .cette dernire concerne, outre que les aspects spatio-temporels, la

    connaissance quen ont les locuteurs ou lide quils en font, la reprsentation

    intersubjective de ceux-ci, et les intentions apparentes ou caches de chacun des

    participants et les buts quils poursuivent travers lnonciation.

    Nous ne pouvons ngliger le contexte proprement linguistique, savoir

    lensemble des phrases o baigne lnonc pris en considration et qui doit tre

    galement compris comme faisant partie de la situation dune nonciation.

    1 J-L Austin, Quand dire, cest faire, Ed. Seuil, Paris. (1re ed.How to do things with words Oxford 1962)

  • 14

    I. Le langage dans le(s)contexte(s) ; une nouvelle voie pour

    lanalyse textuelle :

    Le langage peut tre dcrit comme une activit humaine qui senracine dans une situation et permet une interaction. Cette conception soppose celle

    bien connue de la thorie de linformation qui envisage la communication comme

    un simple passage dinformations partir dun code unifi ou commun.

    La pragmatique en tant que discipline des sciences du langage, na que

    depuis peu reu un statut autonome. Cela est du essentiellement la dpendance

    troite de la pragmatique vis vis la linguistique. Lavnement et lessor de la

    pragmatique constituent en effet un des faits les plus saillants. On tudie et on

    examine trs attentivement tout ce qui relve de lutilisation langage dans des

    situations particulires (effet de facteurs contextuels sur linterprtation

    dnoncs, reconnaissances des intentions communicatives des locuteurs, etc..)

    La grammaire traditionnelle qui se prsente comme un bon usage des

    rapports systmatiques entre des squences de sons et le sens quelles expriment.

    Mais elle nest pas apparemment capable de fournir une dfinition prcise de ce

    quil faut entendre par le sens dun nonc .cette limite est videment plus

    accablante pour une grammaire qui se veut une description de la comptence du

    locuteur :plus un programme est ambitieux ,plus on peut lui tenir rigueur de ses

    insuffisances.

    Trois insuffisances des thories syntaxiques purement formelles, pourront tre cites : 1-le fait de ne tenir compte que des phrases.

    2-le fait de ngliger la situation dnonciation.

    3-le fait de ngliger la fonction communicative des noncs.

    I.1.La question du contexte :

    Les approches nonciatives, qui par del leur diversit ont en commun

    ltude des noncs rapports lacte dnonciation dont ils sont le produit, se

    sont naturellement poses cette question de la situation de communication .

  • 15

    linstar de lacte de communication lui-mme, la situation de communication est

    ncessairement unique, non ritrable, et par l mme difficilement observable.

    Mais fondes sur lhypothse que tout dans lnonciation nest pas

    individuel, mais quil existe un invariant travers la multiplicit des actes

    dnonciation.les approches nonciatives cherchent thoriser la situation

    dnonciation .elles vont ainsi laborder en termes de situation dnonciation,

    circonscrite en tant que systme de trois coordonns qui dfinit toute situation de

    communication : un temps, un lieu, et des actants.

    Catherine Kerbrat-Orecchioni1, en reformulant le schma de la

    communication quelle propose, revient sur ce point, en montrant que les donnes

    dites situationnelles ne sont pertinentes que sous la forme de reprsentations que

    les sujets nonciateurs sen construisent, et que ce sont ces reprsentations ou

    images , et non la situation en elle- mme, qui contraignent toute production.

    Elle dtaille ces images que se font les actants de lchange en ces termes : images

    deux-mmes, de leurs discours, du support de leur discours, de la langue quils

    utilisent, du destinataire, de la ralit sociale et physique.

    1 C.Kerbrat-Orecchioni, lnonciation, de la subjectivit dans le langage, Armand colin, Paris, 2006

  • 16

    Voici le schma propos par Orecchioni :

    I.2.nonciation, nonc et situation dnonciation : 2.a) nonciation et nonc :

    Lnonciation est lopration prsuppose par tout nonc qui en est le fruit. Traditionnellement on pose que linstance de lnonciation est lassociation

    du je , de ici et du maintenant ( ego , hic et munc ), tandis que

    RFRENT

    METTEUR encodage MESSAGE dcodage RCEPTEUR

    canal

    Modle de Production

    Contraintes de lunivers de discours

    Comptences Linguistique

    et para-linguistique

    Comptences Idologique et culturelle

    Dterminations psy-

    Modle D interprtation

    Contraintes de lunivers de discours

    Comptences Linguistique

    et para-linguistique

    Comptences Idologique et culturelle

    Dterminations psy-

  • 17

    lnonc (verbal ou non verbal) est comme leur ngation et correspond alors

    ces termes opposs que sont le il , lailleurs et lalors 1.

    Dans son analyse de discours, mile Benveniste souligne l'importance du

    "sujet", le processus de lnonciation, et les deux faons de signification de langue

    (rcit/discours). Selon lui, ce qui est important, c'est de dsigner les conditions

    d'utilisation dune langue ; ainsi lnonciation est dfinie comme la mise en

    fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation 2.mais avant cela

    nous allons jeter un coup dil sur la dfinition de lnonciation chez certains

    linguistes.

    O .Ducrot considre que lnonciation est une suite de phrases, identifie

    sans rfrence telle apparition particulire de ces phrases ; soit comme un acte

    au cours duquel ces phrases s'actualisent, assumes par un locuteur particulier,

    dans des circonstances spatiales et temporelles prcises 3.

    Et pour Todorov, elle est comme l'acte individuel par lequel la langue

    devient nonc, est appel nonciation 4.ou encore chez D. Bernard acte

    d'noncer, de produire un ensemble de signes linguistiques 5.

    2.b) Situation dnonciation ou contexte effectif de lnonciation :

    Les approches nonciatives, qui par del leur diversit ont en commun ltude des noncs rapports lacte dnonciation dont ils sont le produit, se

    sont naturellement poses cette question de la situation de communication. A

    linstar de lacte dnonciation lui-mme, la situation de communication, cest--

    dire le contexte effectif de lacte dnonciation, est ncessairement unique, non

    ritrable, et par l mme difficilement observable Mais, fondes sur lhypothse

    que tout dans lnonciation nest pas individuel, chaotique, mais quil existe un

    invariant travers la multiplicit des actes dnonciation, les approches

    nonciatives cherchent thoriser la situation de communication. Elles vont ainsi

    laborder en termes de situation dnonciation, circonscrite en tant que systme de 1 Joseph Courts, la smiotique du langage, Ed. Armand colin, 2007, P.112 2 mile Benveniste, problmes de linguistique gnrale ll, Gallimard, Paris, 1974, p 3 O.Ducrot /T.Todorov, Dictionnaire encyclopdique des sciences du langage, 1972, p.405 4Ibid. 5 Dupriez Bernard, les procds littraires (dictionnaire), union gnrale ddition, 1984, p181

  • 18

    trois coordonnes qui dfinit toute situation de communication : un temps, un lieu

    et des actants.

    Dans la reformulation du schma de la communication quelle propose,

    Catherine Kerbrat-Orecchioni (1980) revient sur ces images en montrant que les

    donnes dites situationnelles ne sont pertinentes que sous la forme d images ,

    de reprsentations que les sujets nonciateurs sen construisent, et que ce sont ces

    images, et non la situation en elle-mme qui contraignent la production verbale.

    De son cot la sociolinguistique pose un problme : celle du mode de mise

    en relation de la dimension linguistique avec la dimension sociale constitue un

    problme pineux en linguistique. Ce problme, est celui du rapport entre la

    linguistique et ses extrieurs, ou entre le linguistique et lextralinguistique.

    Ainsi la linguistique a-t-elle d traiter la problmatique de lnonciation

    qui tient une grande place dans les recherches linguistiques modernes. Car, quand

    il s'agit de l'analyse du texte littraire, on ne peut prtendre que ni la linguistique

    structuraliste ni la grammaire gnrative-transformationnelle, compte tenu de

    leurs approches mthodologiques, napportaient des rponses satisfaisantes aux

    questions suivantes : "qui parle? O il parle ? Quand il parle ? Avec qui il parle ?

    De quoi il parle ?".

    I.3.La relation comme acte illocutoire :

    Le langage nest pas un phnomne surajout ltre- pour autrui, il est

    originellement ltre-pour-autrui, cest--dire le fait quune subjectivit sprouve

    comme sujet pour lautre. () Le surgissement de lautre en face de moi comme

    regard fait surgir le langage comme condition de mon tre 1.

    Le thoricien russe Bakhtine, la plusieurs fois soulign dans ses ouvrages,

    lnonciation du texte se fait toujours dans une situation dialogique : tout discours

    dpend dun autre qui on sadresse quil soit linterlocuteur du discours ou le

    narrataire dun texte littraire 2, et cette dialogicit est en effet une premire

    condition quun texte puisse tre nonc. Bakhtine, renvoie ainsi au principe

    1 J-P. Sartre, Ltre et le nant, Gallimard, Paris, 1943, pp.422-423. 2 M. Bakhtine, Le marxisme et la philosophie du langage, Ed. Minuit, Paris, 1977, P.189

  • 19

    dialogique du langage. De ce point de vue, la littrature maghrbine de langue

    franaise sinscrit indniablement dans le champ postcolonial, dans la mesure o

    la relation avec lAutre sera douloureusement marque par lexprience

    historique. Exprience qui, de son ct, marquera en mme temps la production

    textuelle en la dotant dune signification particulire de la situation postcoloniale.

    I.4.Llment linguistique seul, est-il suffisant pour linterprtation

    des noncs ?

    Lintention du locuteur associe la production dun nonc ou dun discours est trs dterminante afin dtudier le mcanisme dinterprtation de cette

    production. Si nous tenons compte de linterprtation d un nonc ou dun

    discours, cest--dire lacte accompli par le destinataire, il faudrait prendre en

    considration aussi un acte effectu par le locuteur, savoir la production dun

    nonc ou d un discours qui suppose l intention de ce dernier de produire

    suffisamment dfets contextuels chez son destinataire, Sperber & Wilson

    affirment ce propos que (...) la communication met en jeu la manifestation et

    la reconnaissance dintentions .1 Selon Sperber & Wilson, pour quun nonc

    soit correctement interprt et que la communication soit russie, il ne suffit pas

    que linterlocuteur connaisse le sens linguistique de lnonc : il faut quil infre

    en plus le vouloir-dire du locuteur, savoir quil rcupre l intention de ce

    dernier.

    Mais comment le destinataire procde t-il et quels sont les lments qui

    interviennent dans le processus de linterprtation ?

    Dans leur thorie de la pertinence, Sperber et Wilson ont suppos que la russite

    de la communication dpend de la manifestation et la reconnaissance

    dintentions 2. Le locuteur a Lintention de mettre une certaine information en

    vidence dans un nonc, intention que le destinataire cherche quant lui

    identifier. Le locuteur tente de faire connatre au destinataire par son nonc l

    1 Sperber D. & Wilson D. La Pertinence. Communication et cognition, Paris, Minuit1989, P.43 2 D .Sperber, D. Wilson, La Pertinence, Ed, Minuit, Paris, 1989.P.94

  • 20

    intention quil a de lui faire reconnatre une certaine information. De son ct, le

    destinataire fait des infrences pour reconnatre cette intention.

    I.5.L'importance du contexte dans lanalyse des noncs :

    Pour mieux lire et comprendre un discours littraire, il est utile de le mettre en perspective avec tout ce qui constitue son contexte.

    Tout en dpassant le cadre limit de son poque, un crivain appartient une

    priode historique, au cours de laquelle il a ragi. Il convient de savoir situer

    l'crivain dans son temps, surtout lorsque son uvre est devenue insparable d'un

    certain contexte politique, idologique et social.

    Situer les crivains chronologiquement les uns par rapport aux autres permet en

    outre de comprendre des filiations, les influences qu'ils ont pu exercer ou subir,

    leur rejet parfois de ce qui a prcd. Dautres paramtres ne peuvent tre ngligs

    (la situation actuelle ne peut permettre de les citer tous), do le contexte

    artistique et littraire pour mieux situer luvre dans les courants, et aussi

    identifier les rfrences culturelles qui sy trouvent.

    Une premire page de roman apporte les informations ncessaires la lecture

    (l'identification des personnages, le cadre spatio-temporel dans lequel l'action

    prendra place...). Ces incipits , annoncent souvent aussi les vnements venir,

    et cela de faon explicite, implicite ou symbolique.

  • 21

    II.Lcriture autobiographique : Une projection de la personnalit ?

    Que se passe t-il quand on dcide de raconter quelque chose ?comment sy prend-t-on et pourquoi ? La stratgie adopte dpend sans doute du genre dans

    lequel on dcide de dire ou decrire.la posture de lmetteur nest pas la mme

    selon que le rcit est fictif ou rel, selon que lauteur se raconte ou raconte le

    monde.

    On sait quen linguistique un acte de parole nest jamais totalement objectif

    entant quil est chaque fois la situation dans laquelle il est produit. Ainsi,

    mme quand il sagit dun rcit de vie (autobiographie), celui-ci peut comporter

    une part de fiction dans la mesure o son auteur peut tre tent, selon les

    situations, domettre, de dissimuler, de faire valoir, ou tout simplement doublier

    des dtails ou des lments personnels ,souvent trs ncessaires.

    II.1.Lautobiographie et le pacte autobiographique1 : 1.a) Difficult dune dfinition de lautobiographie :

    Le mot autobiographie apparat en France vers 1850 comme un synonyme du terme mmoires. Son allure composite (auto - bios - graphie, c'est--dire

    crire sa vie soi-mme) Par ailleurs, le terme d'autobiographie fait sens par

    l'opposition qu'il tablit avec celui de biographie, qui est le rcit de la vie de

    quelqu'un raconte par un autre que lui. Aucun critre purement linguistique ne

    semble pertinent. Rien ne distingue a priori autobiographie et roman la premire

    personne.

    Lautobiographie peut-tre dfinie selon Lejeune lautobiographie est un rcit

    rtrospectif en prose quune personne relle fait de sa propre existence,

    1 P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975

  • 22

    lorsquelle met laccent sur sa vie individuelle, en particulier sur lhistoire de sa

    personnalit 1.

    Donc, cest un rcit que lon fait de sa propre vie. Celui qui raconte, celui dont on

    parle et celui qui crit et signe le livre, sont une seule personne, une identit

    explicite entre le narrateur, lauteur et le personnage est alors dclare.

    Le je na de rfrence actuelle qu lintrieur du discours : il renvoie

    lnonciateur, que celui-ci soit fictif ou rel. Le je nest dailleurs nullement la

    marque exclusive de lautobiographie: le tu aussi bien que le il sont des figures

    dnonciation que lautobiographe utilise pour insister, par des effets de

    distanciation, sur la fiction du sujet, ou pour mettre en situation le discours de

    lautre dans celui du sujet .

    Dans le rcit autobiographique on pense donc trouver la vie de lauteur.

    Celui-ci se dfinit comme tant simultanment une personne relle socialement

    responsable, et le producteur dun discours. Pour le lecteur, qui ne connat pas la

    personne relle, tout en croyant son existence, lauteur se dfinit comme la

    personne capable de produire ce discours, et il limagine donc partir de ce

    quelle produit 2Dans ce sens, lautobiographie (rcit racontant la vie de

    lauteur) suppose quil y ait identit de nom entre lauteur (tel quil figure, par

    son nom, sur la couverture), le narrateur du rcit et le personnage dont on

    parle3.

    1.b) Le "pacte autobiographique" :

    Dans les annes soixante-dix, la rflexion sur l'autobiographie a t

    enrichie par les travaux de Philippe Lejeune. Sa dfinition, tant donne comme

    point de dpart dans la thorie du genre.

    Le mot pacte renvoie donc un contrat entre lauteur de lautobiographie et

    lecteur : dans lautobiographie, on suppose quil ya identit entre lauteur

    dune part et le narrateur et le protagoniste de lautre part. Cest dire que le

    je renvoie lauteur. Rien dans le texte ne peut le prouver. Lautobiographie 1 Ibid. p : 14 2 Ibid. P.23 3 Ibid. P.25

  • 23

    est un genre fond sur la confiance, un genre fiduciaire, si lon peut dire .do

    dailleurs, de la part des autobiographes, le souci de bien tablir au dbut de leur

    texte une sorte de pacte autobiographique , avec excuses, explications,

    pralables, dclaration dintention, tout un rituel destin tablir une

    communication directe .1

    Ce pacte se prsente comme la clef qui permet aux lecteurs douvrir la caverne

    magique et de contempler le trsor quil habite.

    Lidentit entre auteur, narrateur et personnage garantie par ce pacte, peut tre

    implicite ou concrte (concrte dans le cas o le narrateur-personnage porte le

    mme nom que lauteur, non signal sur la couverture du livre) ,implicite si

    luvre contient un indice : () o le narrateur prend des engagements vis-

    vis du lecteur en se comportant comme sil tait lauteur, de telle manire que le

    lecteur na aucun doute sur le fait que le je renvoie au nom port sur la

    couverture ,alors mme que le nom nest pas rpt dans la texte .2

    1.c) le pacte rfrentiel :

    Philippe Lejeune, et en abordant lautobiographie a cit diffrents pactes et se propose de daborder la question de la ressemblance ; cest--dire de

    ladquation des faits raconts la vrit relle : le rapport du texte son model,

    un rapport impossible .cette relation extrmement difficile rside dans ce jeu

    de lintriorit du texte et lextriorit de la ralit :

    Lidentit se dfinit partir des trois termes : auteurs, narrateur

    et personnage. Narrateur et personnage sont les figures auxquelles renvoient,

    lintrieur du texte, le sujet de lnonciation et le sujet de lnonc ; lauteur,

    reprsent la lisire du texte par son nom, est alors le rfrent auquel renvoie,

    de par le pacte autobiographique, le sujet de lnonciation 3.

    Philippe Lejeune, affirme de par l que le genre autobiographique est

    rfrentiel ,do il prsuppose un pacte rfrentiel qui doit inscrire le texte

    1 P. Lejeune, lautobiographie en France, Ed. Seuil, Paris, 1980, P : 24 2 Ibid., P : 27 3 P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975 .p.35

  • 24

    dans le champs de lexpression de la vrit ,c'est--dire une vrit du texte ,dite

    par le texte ,cest une question dauthenticit en tant quelle est limage du

    narrateur entrain de se peindre et de limage quil veut donner de ce quil tait

    telle ou telle poque de sa vie .le pacte rfrentiel est un contrat que conclut le

    lecteur avec le texte autobiographique quand il entreprend sa lecture.

    1.d) Traits distinctifs de l'autobiographie :

    La dfinition de Lejeune a le mrite d'attirer l'attention sur plusieurs

    dimensions importantes de l'acte autobiographique ; ainsi seule une personne

    relle - laquelle s'oppose la personne imaginaire de la fiction - peut l'assumer.

    Il faut donc un tre humain constitu en tant que personne psychologique, morale

    et sociale pour noncer une autobiographie. Ce sont aussi et beaucoup plus, les

    indices externes qui renseigneront mieux le lecteur, notamment le nom de l'auteur

    sur la couverture du livre.

    II.2.La psychanalyse une voie incontournable pour lanalyse

    biographique :

    Lapplication des acquis de la psychanalyse la linguistique a engendr des analyses trs intressantes.les structuralistes ne pouvaient pas concevoir un

    discours chappant au contrle du sujet crivant, ce qui fera distinguer entre

    sujet crivant et sujet de linconscient ; notion labore par J.Lacan :

    linconscient partir de Freud, est une chaine de signifiants qui quelque

    part(sur une autre scne ,crit-il)se rpte et insiste pour interfrer dans les

    coupures que lui offre le discours effectif et la cogitation quil informe.() la

    structure du langage, une fois reconnue dans linconscient quelle sorte de sujet

    pouvons-nous lui concevoir ?.On peut ici, tenter, dans un souci de mthode, de

    partir de la dfinition strictement linguistique du JE comme signifiant : o il

    nest rien que le schifter ou indicatif qui dans le sujet de lnonc dsigne le sujet

    en tant quil parle actuellement. Cest dire quil dsigne le sujet de lnonciation

    mais quil ne le signifie pas"1

    1 J.Lacan, crits, Ed. Du seuil, 1966, pp790-800

  • 25

    Dans la perspective psychanalytique, l autre qui intercde dans tout

    discours est considr comme autre-sujet de linconscient ou encore pour

    faire rfrence J. Lacan comme Autre .

    Et au moment o lautobiographe noncerait le constat de son imaginaire russite

    je parle et je dis cela de moi , la psychanalyse pourrait lui souffler : ce nest pas

    toi qui parles, ou bien : tu parles dautre chose que tu nnonces pas, ou encore :

    tu nonces une chose dont pourtant tu ne parles pas. lgard de

    lautobiographie, la psychanalyse est essentiellement suspicieuse. Dans Un

    souvenir denfance dans "Fiction et Vrit" de Goethe, Freud signale demble,

    citant Goethe, une des difficults de lautobiographie : Quand on cherche se

    rappeler ce qui nous est arriv dans la toute premire enfance, on est souvent

    amen confondre ce que dautres nous ont racont avec ce que nous possdons

    rellement de par notre propre exprience . La psychanalyse viendra donc

    couper le discours de lautobiographe, comme pour dmonter lobjet que le sujet a

    construit pour satisfaire ses "intentions imaginaires" selon les propos de Lacan. Il

    faut passer par la place vide o ne snonce pas le sujet pour reprer comment le

    "je", absent de la mmoire comme du rve, se donne forme imaginaire dans des

    piphanies qui manquent tout autant dorigine que dissue.

    Lutilisation des concepts et des processus heuristiques de la psychanalyse

    dans le rcit de (sa) vie signale du moins que toute autobiographie nest peut-tre

    son tour quun rcit-cran labor pour tre substitu un autre. La fonction

    protectrice de lcriture ne serait jamais aussi efficace que dans le cadre dramatis

    dune mise nu, sa fonction dilatoire jamais aussi prsente que lorsque tout

    semble avoir t dit. Par ailleurs, lcart not par Jean-Bertrand Pontalis "entre le

    rve mis en images et le rve mis en mots" (Entre le rve et la douleur) ne

    dsigne-t-il pas, de manire plus large, lincomptence du langage signifier autre

    chose que les empchements de la parole ? Dans les strotypes et les

    objectivations de discours sofficialisent davantage les clivages du sujet que ne

    sannonce le retour dun langage premier : au moins conviendra-t-il de ne pas

    sen tenir lide que le moi du sujet est identique la prsence qui vous

  • 26

    parle 1. En dfinissant la psychanalyse comme cette assomption par le sujet de

    son histoire, en tant quelle est constitue par la parole adresse lautre 2,

    Lacan rappelle avec force le caractre interlocutoire de lnonciation o le sujet

    sexpose une dpossession toujours plus grande de cet tre de lui-mme, jusqu

    reconnatre que cet tre na jamais t que son uvre dans limaginaire et que

    cette uvre doit en lui toute certitude. Car, dans ce travail quil fait de la

    reconstruire pour un autre, il retrouve lalination fondamentale qui la lui a fait

    construire comme une autre, et qui la toujours destine lui tre drob par un

    autre 3.

    II.3.Pour une approche nonciative du discours autobiographique :

    En tant qunonciation, lcriture est la fois, le reflet et le vhicule dune pense, ou plus exactement de plusieurs ordres de penses, qui

    sinterpntrent 4.

    Cette nouvelle approche signale un changement cardinal dans la lecture

    autobiographique des textes de plusieurs aspects.

    Lejeune relativise la valeur de la vrit , catgorie centrale, mais

    quelquefois tout aussi difficilement discernable et livre lautorit des critiques.

    Ensuite, en dfinissant le pacte comme une formule inhrente au texte, il limite

    la comptence du lecteur au devoir didentifier ce pacte, non moins difficile si on

    considre combien linterprtation de la notion de pacte est vague dans les

    diffrentes lectures 5. Enfin, Lejeune propose une analyse des conditions

    linguistiques de lidentit de la premire personne au niveau de lnonciation.

    La dfinition de Lejeune, la fois incontournable mais aussi incommode

    pour ses opposants, a un avantage incontestable : dune part, elle prouve quil

    existe des conditions formelles quune autobiographie doit remplir, dautre part,

    par lintgration des lments linguistiques (plus prcisment ceux de la

    1 J. Lacan, Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse , crits I, Seuil, coll., Points 1953.P.136, 2 Ibid. P.155 3 Ibid. P.160 4 Francis Berthelot, Du rve au roman, Ed. Universitaire de Dijon, Paris ,1998.P.80 5 -Philippe Lejeune, je est un autre, Ed, seuil, Paris, 1980, p32

  • 27

    pragmatique), elle suggre que la rception des textes est insparable des

    conditions de son nonciation. Comme nous allons voir, ce dernier aspect, jug

    maintes fois trs importante pour nos analyses, offre, mme si un peu malgr elle,

    une occasion excellente pour confronter les prsupposs dune lecture

    autobiographique aux modes et aux codes de fonctionnement de la rception des

    textes maghrbins.

    Parmi ces aspects un des plus remarquables serait le problme de linstance

    narrative je qui, pour la critique maghrbine, demeure insoluble, voire une

    obsession principale, (comme la dcouverte du pluriel, de sa part, (elle) une

    grande nouveaut) jusqu ce quil ne soit objet dune rflexion pragmatique.

    Dans son tude sur lautobiographie la troisime personne, Lejeune1 a fait un

    premier pas en explorant certains fonctionnements rhtoriques des textes de

    caractre autobiographique, mais apparemment sans instance je . Mais dans

    lespace postcolonial, le fonctionnement figuratif des instances narratives des

    textes nest pas un phnomne indit non plus.

    II.4. Analyse de lnonciation autobiographique :

    Pour Kte Hamburger, parat-il, la sparation entre nonc et nonciation et

    leur analyse sera pertinente ce sujet. Elle entend par le rcit la premire

    personne dans son sens propre , comme une forme autobiographique qui

    rapporte des vnements vcus, mis en relation avec un narrateur qui dit je 2,

    cest lanalyse du sujet de lnonciation (oppose celle du sujet de lnonc) des

    textes littraires qui sera dcisive dans des questions de genre du rcit la

    premire personne. En revanche, mme si la diffrenciation quelle fait entre les

    diffrentes modalits de lnonc lui permet de traiter le je de lautobiographie

    en tant que sujet dnonciation historique ; elle semble ignorer le risque quelle

    court en basant tout sur la seule vrit du sujet et le vcu que celui-ci

    thmatise dans son rcit.

    Lexistence dun pacte autobiographique au sens pragmatique, stipule une

    coopration entre lmetteur du texte (serait dans ce cas lauteur ou, plus

    1 P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975 2Kte Hamburger, Logique des genres littraires, Ed. Seuil, Paris, 1986, P. 274

  • 28

    prcisment, le narrateur qui il prte sa voix) et son narrataire. Or, la

    coopration devient ainsi ncessairement un acte unilatral, face lautorit du

    lecteur. Comme Bruss affirme : un auteur ne peut lgitimement conclure un

    contrat quavec des lecteurs qui comprennent et acceptent les rgles qui

    gouvernent son acte littraire .1

    II.5. Le statut de narration dans lautobiographie :

    La question qui parle? mrite bon droit l'attention qu'on lui prte dans les analyses des textes littraires, en particulier de la prose narrative. Le problme

    du point de vue n'est pas un problme marginal Le point de vue n'est pas

    seulement un problme purement technique ; plusieurs tudes rcentes sur la

    prose narrative ont prouv que l'analyse de la perspective narrative peut clairer

    certains aspects du message humain vhicul par l'uvre littraire aussi bien que

    la valeur esthtique de celle-ci.

    La prsence du locuteur dans un discours, quel quil soit, se fait sentir des

    degrs diffrents, selon des besoins communicatifs spcifiques, selon des

    conditions particulires imposes par le co(n)texte. La communication est assure

    par la proprit qua le langage de constituer lhomme en tant que sujet.

    Ainsi, Paul Ricur a voqu la question de limportance du langage dans le

    processus dindividuation, et par la suite, a forg ce quil a appel lidentit

    narrative :

    On nindividualise que si on a conceptualis et individualis en vue de

    dcrire davantage. Cest parce que nous pensons et parlons par concepts que le

    langage doit en quelque manire rparer la perte que consomme la

    conceptualisation. [] Logiciens et pistmologues regroupent sous le titre

    commun doprateurs dindividualisation des procdures aussi diffrentes que les

    descriptions dfinies Le premier homme qui a march sur la Lune, Linventeur

    1 BRUSS, lisabeth W., Lautobiographie considre comme acte littraire, in Potique, N 17, janvier 1974.

  • 29

    de limprimerie, etc. , Les noms propres Socrate, Paris, la Lune , les

    indicateurs Je, Tu, Ceci, Ici, Maintenant 1.

    Dans la deuxime partie du roman le fils du pauvre , le narrateur

    nintervient pas dans le rcit comme personnage-narrateur. Il reste dans lombre la

    plupart du temps, discret et anonyme. Il est, selon la terminologie de Grard

    Genette, un narrateur htrodigetique : Le choix du romancier [se fait] entre

    deux attitudes narratives [] : faire raconter lhistoire par lun de ses

    personnages , ou par un narrateur tranger a cette histoire []. Je nomme le

    premier type, pour des raisons videntes, homodigtique, et le second htro

    digtique .2

    a) Le je dans le texte autobiographique :

    Nous sommes donc en prsence dun texte autobiographique qui exige du lecteur,

    une fois de plus, des connaissances sur la vie et la personnalit de lauteur que le

    texte, lui seul, ne livre pas.

    Ainsi, le narrateur-personnage principal conduit son nonciation sur le mode du

    je. Ce mode dnonciation rpond parfaitement aux propos de Ph. Lejeune qui dit

    que lautobiographie doit tre un rcit () quune personne relle fait de sa

    propre existence, (mettant) laccent sur sa vie individuelle () 3 .Cette citation

    fait office de premire condition dfinitoire de lautobiographie. Le je, ici, rpond

    cette dfinition, toujours selon Lejeune : Le pronom personnel - je - renvoie

    lnonciateur de linstance de discours o figure le je- ; mais cet nonciateur est

    lui-mme susceptible dtre dsign par un nom (quil sagisse dun nom

    commun, dtermin de diffrentes manires, ou dun nom propre) 4.

    b) Le nous inclus dans le je ou la voix de la socit dans le texte autobiographique :

    Raconter sa socit au dtriment de son individualit est une fonction cardinale

    dans un texte auto-bio-sociographique. Si lintention strictement autobiographique

    est clairement affiche, elle est en apparence subvertie quand le Je qui snonce 1 P. Ricur, Soi-mme comme un autre, p. 40. 2 G.Genette, Figures III, op. Cit. p. 262. 3 P. Lejeune, Le pacte autobiographique, Ed. Seuil, Paris, 1975, p : 36 4 Ibid.

  • 30

    devient prtexte lnonciation du tableau social. Ainsi je figure part entire

    dans une auto-bio-sociographie .derrire le je sinscrit une double instance

    narrative qui permet lauteur doccuper au plan narratologique des points de

    vue diffrents. Cest ce qui apparat dans le texte de Mouloud Feraoun.

    En effet, il existe une relation constante entre luvre, en tant que matriau

    littraire, le rfrent individuel ayant pour principal intrt le Moi de lcrivain et

    la dimension sociohistorique que peut communiquer lauteur, tant en premier

    lieu, un tre-acteur social, et en second lieu, un tmoin privilgi de son poque.

    Luvre de Mouloud Feraoun le fils du pauvre , propose un rcit o

    domine lide que lhistoire personnelle de lauteur est lie celle de sa

    communaut. C'est--dire que Mouloud Feraoun inscrit son histoire, son vcu, au

    sein mme de son tmoignage sur lHistoire de sa socit, Cest de limbrication

    de la voix dominante du je avec les autres voix. Cette transcendance dsigne la

    pluralit des voix nonciatives dans le texte en question, et se traduit par lusage

    du Nous communautaire supplantant le je individuel. Lauteur glisse sur

    limportance de sa propre instance narrative, porteuse de son individualit, au

    profit de la narration collective.

    III.Le rcit autobiograpgique ou le jeu de lambiguit:

    L'autobiographie propose un thtre dans le thtre, thtre d'ombres o l'auteur joue la fois les rles de l'auteur, du metteur en scne et des

    acteurs.1 crire sa vie ncessite une vritable mise en scne o un seul acteur

    s'expose et joue (avec) son destin. Et comme nous lavons dja mentionn, Le

    rcit autobiographique est un rcit rtrospectif . Le narrateur de ce rcit est

    identifi par le pronom personnel je : lidentit du narrateur et du

    personnage principal se marque le plus souvent par lemploi de la premire

    personne 2.Ce rcit est suppos tre vraisemblable. Le lecteur le conoit comme

    tel, la diffrence dun rcit fictif, il sattend ce que le premier soit, au moins en

    partie vridique , et envisage le second comme une ralit fictive . Il peut

    cependant sy reconnatre.

    1 G.GUSDORF, Les critures du moi : lignes de vie I, op. Cit, p. 311 2 Ibid. P.15

  • 31

    Le rcit autobiographique renvoie lexprience de la vie de lauteur,

    raconte par lui. Dans le rcit autobiographique on pense donc trouver la vie de

    lauteur. Celui-ci se dfinit comme tant simultanment une personne relle

    socialement responsable, et le producteur dun discours. Pour le lecteur, qui ne

    connat pas la personne relle, tout en croyant son existence, lauteur se dfinit

    comme la personne capable de produire ce discours, et il limagine donc partir

    de ce quelle produit () lautobiographie (rcit racontant la vie de lauteur)

    suppose quil y ait identit de nom entre lauteur (tel quil figure, par son nom,

    sur la couverture), le narrateur du rcit et le personnage dont on parle 1. Mais

    cette identit est toujours en instance de reconstruction, une dialectique

    permanente entre le je , le tu , le il , lAutre, celui dont lidentit semble

    identique ou diffrente. Lusage voudrait que celui qui parle dit je . Mais la

    fiction peut utiliser un il ce qui permet lauteur dcrire plus ou moins sa

    guise. Car celui qui crit imagine un rcepteur comme dans la communication

    ordinaire. Mme si la communication nest pas immdiate, il conoit toujours un

    retour. Le lecteur de son cot nest pas entirement passif, il intervient sur luvre

    en la lisant. Il la remodle selon sa propre exprience.

    Lauteur du rcit pratique le jeu de lambigut en oscillant entre le

    vridique et le fictif : quen fin de compte le lecteur ne puisse pas

    rduire ou fixer la position de lauteur, malgr le dsir quil aura invitablement

    de le faire, tant donn le problme que posent presque toutes ses uvres. Cette

    ambigut sera implicite ou explicit, selon que lauteur se cache ou se

    manifeste.2

    III.1.Lautobiographie : le point de vue ou le regard du narrateur

    Le problme des visions ou des points de vue, n'a cess de proccuper

    jusqu' nos jours les thoriciens littraires et les crivains eux-mmes.

    Dans un rcit autobiographique ou de vie, la transmission de l'information,

    des vnements se fait de la faon suivante : un regard tmoin ; celui de l'enfant-

    1 Ibid. P.23 2 Ibid. P.167

  • 32

    hros, qui enregistre la scne et la voix-adulte quand il la transmet (on parle ici du

    rcit denfance). A ce sujet, une dfinition est propose par Philippe Lejeune :

    Dans le rcit d'enfance classique, c'est la voix du narrateur adulte qui

    domine et organise le texte : s'il met en scne la perspective de l'enfant, il ne lui

    laisse gure la parole. (...). Il ne s'agira plus de se souvenir mais de fabriquer une

    voix enfantine, cela en fonction des effets qu'une telle voix peut produire sur un

    lecteur .1

    Il y a des moments o la voix du narrateur-adulte domine la voix de l'enfant

    marquant ainsi la supriorit du point de vue du narrateur au dtriment de celui de

    l'enfant.

    A d'autres moments, les deux voix, du narrateur et de l'enfant,

    s'entremlent et s'entrelacent, ralisant une sorte de "fondu" de ces deux voix, afin

    de "fabriquer" cette voix enfantine. Dans ce cas l'effet produit est galement celui

    d'une superposition de deux voix, mais aussi de deux points de vue ; ainsi

    l'explique Dominique Maingueneau :

    De deux "voix" inextricablement mles, celle du narrateur et celle du

    personnage. (...). On peroit deux "noncia-teurs" mises en scne, dans la parole

    du narrateur, lequel s'identifie l'une de ces deux "voix". Ce ne sont pas deux

    vritables locuteurs, qui prendraient en charge des nonciations, des paroles,

    mais deux "voix", deux "points de vue" auxquels on ne peut attribuer aucun

    fragment dlimit du discours rapport. Le lecteur ne

    repre cette dualit que par la discordance qu'il peroit entre les deux "voix",

    discordance qui lui interdit de tout rapporter une seule instance nonciative. 2

    Si le but de la technique du point de vue est de prsenter une histoire en

    fonction de la conscience d'un personnage et vue travers cette conscience, le pas

    dcisif et le plus consquent, a t fait par l'adoption du narrateur la1re

    personne. Dans le roman racont du point de vue d'un personnage la 3eme

    1 P. Lejeune : Je est un Autre, op.cit., p. 10. 2 D.Mainguenau : lments de linguistique pour le texte littraire, Paris, Bordas, 1986, p.96.

  • 33

    personne, il existe toujours implicitement un sujet, qui occupe la place d'un

    narrateur omniscient qui sait tout sur ce personnage :

    Au moment o le narrateur devient grammaticalement le je de

    l'nonc, la situation narrative de base se complique. Entre le sujet de

    renonciation (l'auteur) d'une part et les personnages et les vnements de l'autre,

    un nouvel lment narratif est intercal, celui du je narrateur qui est le sujet de

    l'nonc et qui, dans la plupart des cas, n'est pas identique au je qui crit le

    livre 1 .

    Le je narrateur est un phnomne technique et formel et il est charg

    d'augmenter l'authenticit du rcit, la vraisemblance ou l'effet de celui-ci, donc des

    aspects extrieurs l'uvre littraire.

    Le pronom je dsigne la personne qui nonce la prsente instance de

    discours contenant Je 2. Donc je na dexistence que par et dans le discours

    qui lemploie. Il est dans un changement continuel car il acquiert chaque fois une

    instance discursive particulire, il ne peut tre identifi que par linstance de

    discours qui le contient et par l seulement. Il ne vaut que dans linstance o il est

    produit () ; la forme je na dexistence linguistique que dans lacte de

    parole qui la profre. 3.

    Genette constate que le narrateur est toujours prsent dans son crit ou

    lhistoire quil narre, il dclare donc : Je ne puis aucun instant ngliger la

    prsence du narrateur dans l'histoire qu'il raconte 4.ceci nous conduit donc

    dfinir la notion du point de vue (pdv).

    Selon Paul Ricur, le point de vue :

    Dsigne dans un rcit la troisime ou la premire personne

    l'orientation du regard du narrateur vers ses personnages, les uns vers les autres

    (...). Ds lors que la possibilit d'adopter des points de vue variables - proprit

    inhrente la notion mme de point de vue - donne l'artiste l'occasion

    1 T.Todorov, Potique, in Quest-ce que le structuralisme ? Ed. Seuil, Paris, 1968, P.166 2 mile Benveniste, problmes de linguistique gnrale 1, Paris, Gallimard 1966, p.233 3 Ibid. 4 G. Genette, Figures III, Ed .Seuil, Paris, 1972, p.225.

  • 34

    systmatiquement exploite par lui, de varier les points de vue l'intrieur de la

    mme uvre, de multiplier et d'en incorporer les combinaisons la configuration

    de l'uvre 1.

    Il s'agit de voir non seulement comment le narrateur voit ses personnages,

    comment voit-il le monde (durant son enfance) et se voit, mais surtout de quelle

    manire l'criture reflte cette vision.

    Le rcit de Mouloud Feraoun le fils du pauvre convoque une

    reprsentation du monde. Il aura donc faire le choix d'un narrateur - une voix

    pour le profrer - et aussi d'un "regard" par la mdiation duquel le monde sera

    "vu". L'auteur peut ainsi choisir de jeter sur les vnements, les lieux, les

    personnages, le regard sans limites d'un dieu omniscient, le regard - restreint et

    singulier - d'un personnage de la digse, enfin le regard extrieur objectif, et

    cest-ce qui se passe dans la deuxime partie du rcit quand le narrateur-hro-

    cde la parole un ami qui connait tout de lui !Ne serait-il pas entrain de prendre

    la distance pour mieux voir ?

    III.2.Lautobiographie en il ou lcriture objective !

    Le concept de la distance correspond le plus souvent une tension

    objectivisante et peut dans certaines conditions servir emphatiser un tat

    subjectif ;

    Il ne suffit pas dcrire : je suis malheureux ; tant que je ncris rien

    dautre, je suis trop prs de moi, trop prs de mon malheur, pour que ce malheur

    devienne vraiment le mieux sur le mode du langage : je ne suis pas encore

    vraiment malheureux .ce nest qu partir du moment o jen arrive cette

    substitution trange : il est malheureux, que le langage commence se constituer

    en langage. Malheureux pour moi, esquisser et projeter lentement le monde

    du malheur tel quil se ralise en lui 2.

    1 P.Ricoeur : Temps et Rcit II : La configuration dans le rcit de fiction, Ed. Seuil, Paris, 1984, p.140. 2 M. Blanchot, la part du feu, Ed, Gallimard, Paris, 1949, P.28-29

  • 35

    Contrairement la littrature franaise du dix-huitime sicle o le je de

    lauteur se masquait, la substitution de la troisime personne la premire

    personne dans la deuxime partie de luvre de Mouloud Feraoun, se prsente

    alors comme une chappe la structure personnelle et suggre une exploitation

    psychanalytique comparable celle dont est passible le je est un autre de

    Rimbaud.

    Si le discours subjectif porte de nombreuses marques de cette personnalisation du

    message, le discours objectif tend effacer toute trace de jugement personnel.

    IV. Le discours autobiographique e(s)t les voix multiples !

    IV.1.La notion de polyphonie chez Bakhtine :

    labore par Bakhtine pour dcrire certains caractres des romans de

    Dostoevski, elle a connu par la suite de nombreux emplois, notamment en

    linguistique de l'nonciation o elle dsigne un discours o s'exprime une

    pluralit de voix 1.la polyphonie est, d'abord une marque distinctive du roman

    dostoevskien, par opposition au roman traditionnel, devient bientt une

    caractristique du roman en gnral, puis du langage un certain stade de son

    dveloppement (..) et enfin de tout langage.

    Inspire dune vision de Lacan qui supposera une division complte de

    lidentit en soulignant le clivage du sujet et la prsence de lextriorit au sein du

    mme, la polyphonie donc, au sens de Bakhtine, peut tre sommairement dcrite

    comme une pluralit de voix et de consciences autonomes dans la reprsentation

    romanesque. Bakhtine conclut que l'tre humain est toujours en communication

    avec autrui.

    La notion de polyphonie dsigne, d'une manire gnrale, la prsence dans

    l'nonc et dans le discours des "voix" distinctes de celle de l'auteur de l'nonc.

    Le postulat de l'unicit du sujet parlant est ainsi mis en cause. Un nonc

    n'quivaut plus un seul sujet parlant, responsable la fois des activits psycho-

    physiologiques dont dpend la production de l'nonc et des points de vues 1 Moeschler, Jacques & Reboul, Anne, Polyphonie et nonciation, Dictionnaire encyclopdique de pragmatique, Ed. Seuil., Paris, 1994, P : 326

  • 36

    exprims par celui-ci. Il s'agit de mettre au jour la pluralit constitutive du sujet,

    vu que Ducrot conteste le principe selon lequel un nonc correspond un sujet

    de conscience. On insiste sur la prsence de voix diffrentes travers une mme

    nonciation, sur la pluralit des nonciateurs accomplissant des actes illocutoires,

    sur les diverses attitudes du locuteur vis--vis de ces nonciateurs,

    Pour Bakhtine, le langage n'est pas un systme abstrait de formes, mais une

    opinion multilingue sur le monde. Son systme thorique procde une

    valorisation de la relation interlocutive : l'orientation dialogique du discours est

    (...) un phnomne propre tout discours (...) Sur toutes les voies vers l'objet,

    dans toutes les direction, le discours en rencontre un autre, tranger, et ne peut

    viter une action vive et intense avec lui. Seul Adam mythique abordant avec sa

    premire parole un monde pas encore mis en question, vierge, seul Adam - le

    solitaire - pouvait viter totalement cette orientation dialogique sur l'objet avec la

    parole d'autrui 1.

    Pour O. Ducrot2, il faut cependant distinguer entre le sujet parlant, sujet

    empirique, producteur matriel de l'nonc, et le locuteur, tre de discours,

    prsent comme source de l'nonc et "responsable de l'nonciation", dune part,

    De lautre part, il introduit une distinction fondamentale, en insistant sur la

    diffrence entre le locuteur et l'nonciateur, ce dernier tant dfini comme

    "l'origine des points de vue exprims". Tout nonc consiste donc dans la mise en

    scne de quelques instances nonciatives distinctes, auxquels le locuteur peut se

    prsenter comme associ ou non. Pour saisir la signification d'un nonc, on doit

    saisir les diffrentes voix (les nonciateurs) et les instructions concernant la

    manire dont ces nonciateurs sont pris en charge par le locuteur (l'tre que

    l'nonc prsente comme auteur)

    1.a) Polyphonie littraire et polyphonie linguistique :

    Il est bien connu que les textes vhiculent, dans la plupart des cas, beaucoup de

    points de vue diffrents et provenant de diffrents cts. La situation normale est

    que plusieurs voix se font entendre dans le mme texte : les textes sont 1 Mikhal Bakhtine, Esthtique et thorie du roman, Ed, Gallimard, Paris, 1978, p. 102 2 Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire, Ed, Hermann, Paris, 1972

  • 37

    polyphoniques. Avec l'intrt croissant en linguistique pour des aspects

    pragmatiques et textuels qui s'est manifest durant la dernire vingtaine d'annes.

    On commence ds lors distinguer deux types de polyphonie : lune littraire et

    lautre linguistique (cest cette dernire qui nous intresse) ; ce propos, deux

    questions se prsentent immdiatement :

    -l'analyse polyphonique linguistique pourra-t-elle appuyer l'analyse littraire ?

    - lanalyse littraire pourra-t-elle enrichir l'analyse linguistique ?

    Ce qui caractrise la polyphonie en tant que thorie linguistique est qu'elle

    s'occupe principalement de la cration du sens au niveau de l'nonc. Que l'nonc

    renferme des traces de ses protagonistes est bien connu. Et cela de multiples

    faons. On peut songer aux pronoms personnels, aux adjectifs connotatifs, aux

    modalits, etc. Cette prsence des participants du discours est un phnomne

    profondment intgr dans la langue naturelle. Celle-ci renvoie en effet

    constamment son propre emploi : elle est sui-rfrentielle. On verra que d'autres

    points de vue que ceux de l'metteur et du rcepteur peuvent tre vhiculs

    travers l'nonc.

    La structure polyphonique se situe au niveau de la langue (ou de la phrase), elle

    fournit des instructions relatives l'interprtation de l'nonc de la phrase, ou plus

    prcisment aux interprtations possibles de celui-ci.

    1.b) Polyphonie en linguistique de lnonciation :

    La voix humaine oscille dsormais entre deux vies, tantt textualise, tantt

    rincarne. Cest dans ce sens, que la thorie Lacanienne du sujet tre du langage

    met en vidence le sujet divis, qui se fait dans le langage et non faisant le

    langage ; dans cet environnement, la parole dautrui est la fois invitablement

    prsente dans sa propre parole (cest lhtrognit constitutive du langage), mais

    qui demande tre circonscrite en quelque sorte, pour quil reste un espace pour

    lidentit, laffirmation didentit du sujet parlant. Ce dernier en montrant les

    zones dhtrognit de son discours svertue en dsignant lautre, et

    revendique en quelque sorte la paternit du reste de son propos. le sujet parlant

  • 38

    alors, use de plusieurs formes pour marquer cette htrognit du discours, et

    cela en utilisant par exemple le style indirect libre.

    Toutefois, le style indirect libre produit sur le lecteur un effet de confusion ,

    car il ne reconnait plus si ce sont les rflexions du personnage ou bien celle de

    lauteur comme lexplique Dominique Maingueneau :

    il sagit de deux voix inextricablement mles ,celle du narrateur et

    celle du personnage ().on peroit deux nonciateurs mis en scne dans la

    parole du narrateur, lequel sidentifie lune de ces deux voix .ce ne sont pas

    deux vritables locuteurs, qui prendraient en charge des nonciations, des paroles

    ,mais deux voix ,deux points de vue auxquels on ne peut attribuer aucun

    fragment dlimit du discours rapport. Le lecteur ne repre cette dualit que par

    la discordance quil peroit entre les deux voix , discordance qui lui interdit de

    tout rapporter une seule instance narrative 1.

    IV.2.La polyphonie dans le discours autobiographique :

    La catgorie narrative de la voix a t dveloppe pour la premire fois

    par M. Bakhtine en 1929 lors de son analyse des textes de Dostoevski. Pour

    Bakhtine la voix est une catgorie idelle plutt que narrative : il entend par

    voix la position idologique, lopinion dun personnage, et naccorde pas

    dimportance la faon narrative par laquelle la voix est exprime dans le

    texte 2.

    Alors que pour Genette, il entend par voix la fonction du texte produisant

    le rcit dans lacte de la narration. Linstance narrative (= la voix) nest pas

    invariable mais peut changer dans un mme rcit, ce qui implique lide dun

    texte polyphonique. Cependant, dans la conception de Genette : tout

    changement de voix implique un changement du niveau narratif : une deuxime

    voix produit son rcit au niveau intradigtique, une troisime au niveau

    mtadigtique etc. 3. Linconvnient de la conception de Genette est quelle

    ne distingue pas clairement le rcit intradigtique du simple discours direct dun 1 D .Maingueneau, lments de linguistique pour le texte littraire, Bordas, Paris, 1986, P : 96 2 -M. Bakhtine, Problmes de la potique de Dostoevski, lAge dhomme ( slavica ), Paris, 1970(1red.1929) 3 -G. Genette, Figures III, Ed. Seuil, Paris, 1972, P.

  • 39

    personnage (cest--dire la dlgation de la voix principale un personnage de

    son texte).

    Dans le discours autobiographique, comme dans tout autre discours, la question

    de lintelligibilit se pose lnonciateur : il sait quil ne peut exprimer par des

    mots tout ce qui se passe dans sa tte. Il sait quil faut matriser la parole pour

    tre compris, quil faut chercher exprimer par une voix plus ou moins claire et

    nette ce monologue intrieur plusieurs voix qui se droule dans sa tte au

    moment de lcriture. Pourtant, un discours autobiographique net et clair o il ny

    aurait quune voix qui sexprime laisserait les lecteurs attentifs sur leur faim

    malgr lintelligibilit apparente : nous ne lisons gure pour comprendre les

    paroles au premier degr mais pour comprendre ce qui se cache derrire elles. Par

    consquent, la question de la matrise de la parole dans le discours

    autobiographique nous mne droit au centre dintrt de lanalyse de ce genre

    littraire : le conflit permanent ou plutt le dialogue intrieur permanent entre

    nonciateur et nonc, la tension entre ce qui ce passe dans une conscience et ce

    qui se laisse exprimer de faon plus ou moins intelligible par des paroles.

    Afin de pouvoir reprer ces voix de narrateur - indpendantes ou non - dans le

    discours autobiographique, tablissons une distinction entre deux je du narrateur

    autodigtique: le je narrant et le je narr. Le je narrant, cest celui qui narre, qui

    raconte : cest lautobiographe en train dcrire lhistoire de son pass, tandis que

    le je narr, cest le protagoniste de cette histoire raconte, de ce vcu. Dans Les

    Mots, le je narrant est donc lcrivain Jean-Paul Sartre en train de rdiger le rcit

    de son enfance, tandis que le je narr est la fois Sartre, adulte, jusquau moment

    de la rdaction en cours, et le petit Jean-Paul, nomm Poulou, lenfant que fut

    Sartre jusqu lge de douze ans environ. Au niveau de la perspective du

    narrateur, le cas normal dune autobiographie est en principe celui que lon trouve

    dans Les Mots : la dominance apparemment complte du je narrant sur le je narr,

    de celui qui crit sur celui qui est dcrit, notamment sur lenfant reprsent par le

    je narr. Les ractions et rflexions du petit Jean-Paul, appel Poulou, sont

    clairement formules par lcrivain adulte : elles sont choisies par ladulte pour

    tre revcues travers ses yeux.

    IV.3.Le style indirect libre ; une forme de la polyphonie linguistique :

  • 40

    Le style indirect libre, comme le dcrit Maingueneau, est : un mode

    dnonciation original, qui sappuie crucialement sur la polyphonie 1

    Le style indirect libre devrait essentiellement servir dans le pass rapporter des

    paroles, alors que certains crivains se sont mis lutiliser pour reprsenter des

    penses, ce qui impliquait forcment un narrateur aux pouvoirs tout fait excessif

    (omniscient, omniprsent), capable de tout, comme le dieu lui-mme, de lire et de

    savoir ce qui se passe dans lme de ses cratures sans aucun peine !

    Du point de vue smantique, le discours indirect(DI) est strictement oppos

    au discours direct(DD) ; ce dernier est fidle et textuel, alors que le premier (DI)

    est infidle et non textuel. Alors que le discours direct(DD) est la juxtaposition de

    deux nonciations, le discours indirect(DI) est linsertion ou lenchssement qui

    rduit les deux nonciations en une seule.

    Le discours indirect(DI) opre une transposition des temps, des personnes, et

    des dictiques ; il traduit lnonciation quil rapporte.

    Une ralit linguistique dont il ne faut pas nier et que lon doit reconnaitre :

    les frontires entre le discours direct(DD) et le discours indirect(DI) existent !

    Une rduction des frontires entre les deux discours au profit de lactualisation de

    lnonciation permet de dfinir le discours indirect : cest la notion de libert.

    Cette dernire se rpercute sur lambigut nonciative : on ne sait pas