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L’enfant autiste

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ISBN : 978-2-35327-307-2APPIMM

Johanne Bertrand

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L’enfant autisteApproche de l’immuabilité en psychomotricité

L’immuabilité, c’est-à-dire l’impossibilité à envisager sans angoisse le changement, est un des symptômes majeurs de l’autisme – l’un des plus envahissants également, autant pour l’enfant autiste que pour son entourage. À travers l’étude des théories historiques et actuelles, de témoignages et de cas cliniques observés au cours de séances de psychomotricité en institut médico-éducatif et en cabinet libéral, l’auteur passe en revue les effets positifs et délé-tères de cette recherche d’immuabilité.

Les prises en charge qu’elle décrit ont pour objectif de développer du mouvement au sein d’un monde qui semble �gé a�n de permettre une meilleure structuration de l’enfant, ainsi que son épanouis- sement. Les différentes approches concernant ce trouble sont complémentaires, elles peuvent et doivent donc donner le meilleur de leur essence et s’unir a�n qu’apprentissage, autonomie, déve-loppement personnel, épanouissement et structuration psychique soient en�n une unité d’action pour ces enfants.

La collection

La collection « Nouvelles perspectives en psychomotricité » est dirigée par Anne Gatecel, directrice de l’institut de formation de psychomotricité du CHU de la Pitié-Salpêtrière.

Public Psychomotriciens

Psychologues et neuropsychologues

Ergothérapeutes

Éducateurs spécialisés

NOUVELLES PERSPECTIVES EN PSYCHOMOTRICITÉ

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Collection Nouvelles perspectives en psychomotricité

L’enfant autiste

Approche de l’immuabilité en psychomotricité

Johanne Bertrand

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De Boeck-Solal4 rue de la Michodière75002 ParisTél. : 01.72.36.41.60

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web :

www.deboeck.fr

© De Boeck Supérieur SA, 2015Éditions De Boeck UniversitéFond Jean-Pâques 4, B1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits réservés pour tous pays.Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme ou de quelque manière que ce soit.

Imprimé en Belgique

Dépôt légal :Bibliothèque nationale, Paris : avril 2015ISBN : 978-2-35327-307-2

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À ma belle amie, SandraÀ mes enfants, Anis et Uliel

À Julien

« On écoute vraiment quelqu’un que si on a conscience d’être en présence d’un mystère vivant, c’est-à-dire si on a conscience

des limites de notre compréhension. »

Marie de Hennezel

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V

Préface

Dans le parcours de sa formation,  le futur psychomotricien est souvent confronté à la pathologie autistique. La complexité de son abord peut effrayer l’étudiant ou le jeune praticien.

Si nous avons voulu présenter le texte de Johanne Bertrand pour cette collection, c’est parce qu’il traduit ce que peut être la rencontre d’un jeune psychomotricien avec cette clinique si spécifique qui nous pose d’emblée la question de l’entrée en relation avec cet autre si différent.

L’auteur, dans sa visée intégrative, ne cherche pas à opposer les approches éducative, psychodynamique et comportementale. Elle cherche le point de rencontre possible avec ces enfants, en essayant d’entrer dans leur monde pour les sortir de leur enfermement, sans aucune autre ambition que de les accompagner vers un processus de subjectivation.

Nous pouvons voir à l’œuvre, ici, tous les fondements théoriques sur lesquels elle s’appuie, mais aussi sa créativité pour être juste là, comme elle dit à un moment  : «  Je tiens, je ne tombe pas. Une liaison est possible sans qu’il n’y ait de danger ». Elle nous fait également part de son hypothèse d’un tout-mouvant.

Ce travail est d’une grande qualité car il ne met aucune approche en com-pétition mais permet de mieux cerner l’approche psychomotrice des troubles autistiques, dans une co-construction perpétuelle à partir des petits signes cliniques qui nous sont donnés à voir, entendre, sentir, ... C’est avec notre propre corps que nous recevons ces signes, présymbolisations, que nous trans-formons en nouvelles expériences corporelles, en dessins, en langages, en jeux de plus en plus structurés. Le psychomotricien est cet « autre de suppléance » que l’auteur décrit si bien.

Anne Gatecel Directrice de l’Institut de formation en Psychomotricité Pitié-Salpêtrière,

faculté de Médecine Pierre et Marie Curie

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Introduction

L’autisme est un syndrome qui apparaît dès le plus jeune âge chez l’enfant. Ces enfants possèdent de nombreuses compétences et nous rappellent au quoti-dien l’essentiel : l’amour de l’autre, la patience, l’attention à porter sur ce qu’il y a de plus précieux, la relation humaine et la construction de soi au plus près de son « vrai Self »1.

Le syndrome autistique possède de nombreuses variantes dans l’intensité des troubles. Ces troubles sont avant tout relationnels et se caractérisent par une grande difficulté à prendre en compte une tierce personne, à la recon-naître, à se reconnaître soi-même ainsi qu’à considérer toutes les sortes de vie en terme de gestalt2.

Dans cet ouvrage, nous nous intéresserons à l’un des points qui semble faire barrage à leur bien-être et à leur processus d’évolution : leur recherche d’immuabilité, très souvent présente, qui les empêche d’avancer. La recherche d’immuabilité correspond à la mise en place de rituels pour certains, à une recherche de maîtrise de l’environnement pour d’autres, à un univers qui, par-fois, tourne en boucle sans qu’ils puissent l’élargir. C’est ce que Léo Kanner a nommé le « Sameness ». Le fait est que certains de ces enfants possèdent une remarquable mémoire quant à l’organisation des objets dans leur envi-ronnement. Ils paraissent ressentir le besoin de maintenir ou de restituer leur environnement. La permanence et la stabilité de celui-ci fait l’objet de vérifica-tions incessantes ; ils sont très sensibles aux changements. Des modifications

1 Terme de Winnicott D. Le Self désigne ce qu’il y a de plus spécifique à une personne, et de plus intime. Le self peut être identifié au « Moi ». Pour que le « vrai self » puisse se dévelop-per et s’exprimer, il est nécessaire que le tout premier environnement ait été « suffisamment bon », c’est-à-dire avec des repères suffisamment sécurisés pour qu’il puisse grandir serei-nement, suffisamment souples pour qu’il puisse développer sa propre personnalité. À défaut, se met en place un « faux self », certes protecteur et capable d’adaptation dans la vie cou-rante, mais qui ne permet pas au sujet de sentir réellement qu’il existe par lui-même.

2 Perception mentale des phénomènes et des objets comme des ensembles structurés et uni-fiés. Il s’agit ici de la difficulté de la personne autiste à reconnaître une forme en tant qu’unité : sa perception a tendance à être morcelée, composée d’éléments distincts qui ne font pas sens ensemble.

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mêmes minimes du milieu peuvent entraîner des crises intenses. Nous allons nous interroger sur la possibilité d’amener du mouvement et du changement dans leur environnement, en leur soumettant par exemple des modifications pour une meilleure structuration sans que cela ne déclenche trop d’angoisse.

Au travers de trois cas cliniques – Lilian, huit ans, Rajan, douze ans, et Ben-jamin, quinze ans – nous allons mettre en avant ce qui les bloque et émettre des hypothèses quant à leur fonctionnement individuel.

À l’aide des connaissances historiques et actuelles, nous tenterons de com-prendre au mieux ce trouble. Nous aborderons notamment les concepts d’im-muabilité spatiale, d’immuabilité temporelle et d’immuabilité relationnelle. Ils représentent les « processus bloquants » spécifiques à chaque enfant présenté dans cet écrit, selon leur stade de développement.

Nous émettrons des hypothèses quant à ce besoin d’immuabilité, par le ressenti d’un « tout-mouvant » qu’ils ont du mal à gérer sans être débordés. Le «  tout-mouvant » est la possibilité d’un être ressenti comme non stable, avec une dimension corporelle aux limites changeantes et des sensations ressenties différemment pour un même stimulus. Nous aborderons alors la question du corps, celle des sensations et des perceptions, ainsi que l’approche sensori-motrice.

Enfin, pour répondre à ces hypothèses, nous nous pencherons sur la recherche de stabilité qui semble être un compromis entre l’immuabilité et le trop-mouvant. Nous parlerons également de la stabilité de perception, du besoin d’ancrage et de points d’appuis, ainsi que de la stabilité au sein des interactions relationnelles.

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Chapitre 1 Immersion en terre inconnue

1. La terre d’accueil

1.1. Institut médico-éducatifBenjamin et Rajan font partie d’une même institution, un institut médico-éducatif (IME). Cet institut est né d’un projet associatif à l’initiative de parents qui ont constaté qu’aucune structure ne pouvait répondre aux besoins spéci-fiques d’éducation et de soins pour leurs enfants. Cette association, animée par des bénévoles et des professionnels, devient lieu d’accueil grâce aux crédits du premier Plan Autisme en 1995. C’est seulement en 2000 que cette structure innovante devient un IME. Depuis, l’association compte neuf établissements pour enfants et adultes.

Les projets personnalisés se font au sein d’un travail en réseau. Ces projets reposent sur ce qui peut être apporté à l’enfant au niveau éducatif, en pre-nant en considération sa singularité, l’avis des différents professionnels et les attentes parentales.

Cet IME se compose de quatre petits groupes. Deux groupes de huit enfants occupent un bâtiment, et deux groupes de huit adolescents un autre ; les deux villas se rejoignent par les cours de récréation. Le cadre est accueillant, les espaces sont bien délimités selon le type d’activité proposé aux enfants, ils sont lumineux et bien entretenus. L’IME est aussi directement en lien avec un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) se situant dans un troisième bâtiment, et travaille avec l’école primaire se situant de l’autre côté de la rue. Une institutrice spécialisée y accueille certains enfants quelques heures par semaine.

L’IME s’organise autour de salles de vie, de salles d’éducation, d’une pièce pour les arts plastiques et ateliers, d’un espace de bricolage où les jeunes res-taurent certains meubles, d’un salon télévision utilisé à bon escient, de deux salles de restauration, de deux cuisines, de deux grandes cours extérieures,

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d’une grande salle de motricité, d’une salle snoezelen3, d’une belle salle de psy-chomotricité, de bureaux pour les professionnels, et de plusieurs salles réser-vées au travail pluridisciplinaire. Il comprend :

− une équipe de direction (directeur et directeur adjoint) ; − des médecins pédopsychiatres et deux psychologues ; − une équipe éducative (des éducateurs spécialisés, des moniteurs éduca-

teurs, un éducateur technique spécialisé et des AMP4) ; − une équipe paramédicale (deux psychomotriciennes qui se partagent

un temps plein) ; − une infirmière ; − une équipe technique (une dame de maison et le personnel d’entretien).

Toutes ces personnes restent soucieuses au quotidien du bien-être des enfants et adolescents qu’elles accueillent  ; elles se questionnent sans cesse sur les besoins des personnes qu’elles soutiennent et remettent fréquemment en cause la place du professionnel et ses attitudes à l’égard des enfants. Ces remises en question font vivre et évoluer les projets de vie individuels de façon à permettre à chacun des enfants autistes ou déficients intellectuels et à leurs familles d’affirmer leurs choix de vie. Bien sûr, il n’est pas question de lieu idyllique : chaque endroit de société possède ses divergences, ses conflits, ses limites et ses désagréments.

Au sein de l’IME, les prises en charge en psychomotricité sont individuelles. Il existe également des groupes de travail. Je participe à celui du cirque, animé par un professionnel, sous un chapiteau, à l’extérieur de l’IME.

L’IME est ouvert à une approche multidisciplinaire, et s’axe sur le pro-gramme Treatment and Education of Autistic and Communication Handi-capped Children (TEACCH)5. Issu de la thérapie comportementale et d’une approche développementale, il vise une intervention de nature développe-mentale et individualisée pour favoriser les apprentissages en partant des capacités existantes ou émergeantes de l’enfant. Ce programme intègre les parents en tant que « co-thérapeutes » de leur enfant : les parents demeurant

3 Le terme snoezelen provient de la contraction de deux mots néerlandais : snoeffelen et doeze-len. Le premier verbe, snoeffelen, signifie sentir, chercher et explorer. On invite la personne à explorer son environnement par les cinq sens : le toucher, la vue, l’odorat, le goût et l’audi-tion. Par exemple, pour stimuler la sensation du contact, le patient pourra bénéficier de divers types de massages avec différentes crèmes et huiles parfumées. Doezelen signifie se détendre, se relaxer et somnoler. Le patient est invité à se détendre dans des ambiances apaisantes et rassurantes. Le snoezelen est avant tout une philosophie qui se déroule princi-palement dans un espace aménagé et propice aux expériences sensorielles et corporelles. Une séance snoezelen dure environ trente minutes.

4 Aide médico-psychologique.5 Traitement et éducation des enfants autistes ou atteints de troubles de la communication

associés.

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Chapitre 1 – Immersion en terre inconnue

les meilleurs témoins des capacités et des faiblesses de leur enfant, ils font par-tie intégrante du projet personnalisé. Le programme comporte des moyens d’information visuelle concrets (mots, images, photos, objets). Il cherche principalement à favoriser l’autonomie de l’enfant dans son environnement et à transposer ses acquis dans un milieu plus normalisé, comme au domicile des parents.

1.2. Cabinet libéral

Lilian est scolarisé, et c’est au sein d’une autre structure que je le rencontre : un cabinet libéral. Cet enfant de huit ans vient une fois par semaine pour une prise en charge de 45  minutes. Ce cabinet libéral est composé d’un bureau dans lequel la psychomotricienne peut recevoir les parents et effectuer les bilans, ainsi que d’une grande salle qui représente son espace de travail avec les enfants.

Les prises en charge en psychomotricité sont individuelles. La psychomo-tricienne reçoit des enfants présentant tout type de pathologies.

2. Des enfants méconnusMalgré une grande médiatisation de la pathologie autistique ces dernières années, ces enfants demeurent méconnus auprès du grand public, voire de certaines institutions les accueillant. Il est étonnant de constater à quel point des écoles maternelles ou primaires ordinaires, par exemple, ne connaissent pas les traits pathologiques de ce syndrome, et donc les besoins de ces enfants. Il faut aussi prendre en considération le fait que l’autisme le plus connu est celui de Rain Man6 , spécifique au trouble Asperger. En effet, la médiatisation la plus courante présente des personnes dites Asperger, capables de témoigner sur leur vécu, car elles ont pu développer le langage. C’est ainsi que dans l’es-prit des gens, un amalgame se met en place. Le terme autiste renvoie dans l’in-conscient collectif à l’image de la personne Asperger. Cependant, les troubles du spectre autistique ne se limitent pas à cette pathologie caractéristique qui représente un tout petit nombre des personnes touchées par l’autisme. Mal-heureusement, la plupart des enfants ne parviennent pas à communiquer par le langage oral, ce qui ne facilite pas la compréhension de ce qu’ils vivent.

6 Film américain de Barry Levinson, 1988. Dustin Hoffman y incarne le rôle d’un autiste Asperger.

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2.1. Benjamin, quinze ansÀ l’âge de quatre  ans, Benjamin est diagnostiqué porteur d’un autisme infantile de type Kanner. « Léo Kanner, psychiatre autrichien émigré aux États-Unis, a utilisé le premier le terme d’autisme pour désigner un syn-drome spécifique de l’enfant qu’il nomme d’abord “perturbation autistique du contact affectif”, puis “autisme infantile”. Dans un article publié en 1943, il présente le profil clinique de onze enfants qui ont pour caractéris-tique commune de s’inscrire difficilement dans une dynamique relation-nelle et de communication. Depuis Kanner, le diagnostic d’autisme repose exclusivement sur des données cliniques  : c’est la présence d’une série de symptômes (encadré 1, p. 11) chez un individu qui conduit à poser le dia-gnostic, le recours à des investigations complémentaires ne visant qu’à pré-ciser certaines caractéristiques associées. […] La Haute Autorité de Santé (HAS) (2005) préconise en France d’utiliser comme référence la Classifica-tion internationale des maladies (CIM) dont la version “recherche” définit des critères de diagnostic d’autisme similaires à ceux retenus par le DSM7. […] DSM comme CIM ont repris la symptomatologie décrite par Kanner sous la forme d’une triade de critères : elle se compose des “troubles quali-ficatifs des interactions sociales réciproques”, des “troubles qualificatifs de la communication verbale et non verbale”, des “intérêts restreints et sté-réotypés”. Les comportements relevant de ces trois domaines doivent avoir été constatés avant l’âge de trente mois pour qu’un diagnostic d’autisme, considéré comme “d’expression précoce dans le développement”, puisse être validé. […] Pour Kanner à cette époque, le trouble apparaît inné et associe à “l’isolement autistique”, une tendance à la recherche de l’immua-bilité de l’environnement (sameness), des troubles du langage (“le langage n’a pas de valeur de communication”), avec en revanche des capacités mné-siques et perceptives remarquables. » (Perrin & Maffre, 2013)

Benjamin est né d’une grossesse ayant été stimulée artificiellement. Toute la grossesse se passe sans encombre et il est allaité jusqu’à ses trois  mois. L’allaitement s’arrête brutalement car sa mère se fracture une jambe, ce qui conduit à une période difficile : le nourrissage par biberon est compliqué. Ben-jamin est atteint d’un strabisme à l’œil gauche visible dès ses trois mois. À ses quatorze mois, la famille déménage. Il marche à dix-sept mois. À deux ans, les premières difficultés commencent à apparaître : il est difficilement gérable au jardin d’éveil. À trois ans, Benjamin rentre en maternelle mais ne parle pas, il fait alors deux petites sections et est pris en charge en orthophonie et en psy-chomotricité. Durant l’enfance, Benjamin a plutôt un bon sommeil mais il se réveille très fréquemment à cinq heures du matin avec des terreurs nocturnes.

7 Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical of Mental Disorders)

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Chapitre 1 – Immersion en terre inconnue

Aujourd’hui, Benjamin fait environ un mètre  soixante. Il est très longi-ligne, et sa maigreur m’interpelle dès notre première rencontre  ; ses mains sont très maigres, laissant apparaître l’architecture de ses os et de ses articula-tions sous la peau. Durant son enfance, un bilan génétique est réalisé : il révèle une anomalie de type translocation sur un chromosome sexuel. Nous ne pos-sédons que très peu d’informations sur ce sujet, mais cela pourrait expliquer le type morphologique androgyne de Benjamin engendrant quelques problèmes hormonaux. Cependant, malgré cela, Benjamin a quelques poils sur les jambes et de l’acné au visage, comme n’importe quel adolescent.

Au niveau familial, Benjamin a un frère de trois ans son aîné qui va très bien, et est en avance au niveau scolaire. Ce frère de dix-huit ans a quitté le domicile familial pour un internat. Il a aussi une petite sœur de cinq ans qui se développe correctement. Du côté de la famille paternelle, une cousine a un enfant qui présente les mêmes symptômes que lui. Du côté de la mère, il existe deux cas de personnes ayant des troubles psychiques.

Au moment de son diagnostic, à l’âge de 4 ans, Benjamin s’isole mais pos-sède une bonne intelligence et est observateur. Il présente alors les caractéris-tiques suivantes :

− un retard de langage, − des phobies, − des stéréotypies, − des mutilations, − une immaturité, − une déficience psychique.

Aujourd’hui, malgré une très grande compréhension, Benjamin est consi-déré comme autiste sévère, avec un CARS8 (Schopler et coll.) évalué à environ 45 en score, score qui le place dans un critère de « sévèrement autistique ».

Son profil psycho-éducatif révisé (PEP-R)9 (Schopler et coll.) révèle un âge de développement de vingt-deux mois ; cependant, le psychologue précise que « les résultats ne sont pas représentatifs de ses réelles capacités » car Benjamin fait preuve de rigidité comme mécanisme de défense, avec une angoisse mar-quée, et refuse d’effectuer de nombreux items. Il existe de réelles performances constatables, notamment dans la performance cognitive, les coordinations oculo-manuelles, la perception et la motricité globale.

8 Échelle d’évaluation de l’autisme infantile9 Outil d’évaluation du processus d’apprentissage destiné à tout professionnel (en particulier

psychologue, psychopédagogue, orthopédagogue, enseignant ou éducateur). C’est un outil d’aide à l’élaboration d’un programme éducatif.

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2.2. Rajan, douze ansLes parents de Rajan ont eu beaucoup de mal à avoir un enfant. Les traitements qui stimulent la conception ne fonctionnent pas, et ils finissent par renoncer au désir d’enfant. Peu de temps après, la mère de Rajan tombe enceinte. La grossesse se passe bien et Rajan est allaité durant deux mois. Ce bébé a tant été attendu que sa mère a besoin d’aller voir s’il respire toutes les nuits. Son développement se passe correctement jusqu’à ses dix-huit mois. Il marche à quatorze mois, dit « papa », « maman » et fait le signe de la main pour dire au revoir. Petit, il chante notamment l’air de Frère Jacques. De ses quatre mois à ses trois ans, il est confié à une nourrice chez laquelle tout se passe bien, cependant, la maman dit qu’avec elle, il pleure énormément. Lors d’un changement de nourrice suite à un déménagement, la garde se passe mal ; les parents emploient alors une personne à domicile et font le même constat : la garde est impossible.

À deux  ans, il est suivi dans un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP). Il entre à l’école maternelle à trois ans avec une assistante de vie scolaire (AVS). Durant cette période, il est également suivi en hôpital de jour et son état semble se dégrader. À cinq ans, il est renvoyé de l’école pour de nombreuses crises, et entre alors à l’IME. Le père de Rajan a du mal à accep-ter le trouble de son enfant jusqu’à ses quatre ans, même s’il signale notam-ment des problèmes de sommeil très importants. C’est un enfant que l’on décrit alors comme « instable » : il bouge beaucoup, il est difficile, il a beau-coup de mal à se concentrer, il touche à tout. Il parle très peu. Cependant, il possède quelques mots dans son vocabulaire  : « bobo », « non », «  ra », « maman ». C’est un enfant que l’on qualifie également de craintif, anxieux, méfiant, surtout dans les relations à l’autre. À six ans, son CARS-T est plutôt bon, et conclue à un autisme léger. L’item imitation est, lui, très mauvais. Il est suivi par une orthophoniste, et celle-ci signale de nombreuses colères, de l’énervement et des mouvements de violence. Rajan n’a pas acquis la pro-preté mais il accepte d’aller aux toilettes quand on lui demande. Petit, il ne se tourne pas vers les enfants de son âge, il préfère les plus grands. Il a des difficultés avec la nourriture. Au vu de son anamnèse et de son état actuel, nous pouvons penser que Rajan est plutôt sur un versant déficitaire, dégé-nératif ou variable. Aujourd’hui, il ne parle plus, il est incapable de se poser, rien ne semble éveiller son intérêt. Du côté familial, il est fils unique. Nous pouvons noter que la mère a fait face à une difficulté de type anorexie dans sa jeunesse. Elle travaille aujourd’hui à mi-temps. À la maison, les parents de Rajan ont adopté l’approche Applied Behaviour Analysis10 (ABA).

10 Analyse appliquée du comportement

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Bibliographie

Les ouvragesBullinger, A. (2011). Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses avatars.

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Table des matières

Préface ............................................................................................... V

Introduction ....................................................................................... 1

Chapitre 1. Immersion en terre inconnue ................................31. La terre d’accueil .................................................................................3

1.1. Institut médico-éducatif ................................................................. 31.2. Cabinet libéral ................................................................................. 5

2. Des enfants méconnus .......................................................................52.1. Benjamin, quinze ans ..................................................................... 62.2. Rajan, douze ans .............................................................................. 82.3. Lilian, huit ans ................................................................................. 9

Chapitre 2. Les connaissances actuelles sur l’autisme ............131. Changement de dénomination .......................................................132. Approche intégrative ........................................................................15

2.1. Psychologie, psychopathologie du développement, pédopsychiatrie et neurosciences................................................... 15

2.2. Psychanalyse : pulsion de vie et pulsion de mort ..................... 153. Les avancées neurologiques .............................................................174. Les avancées génétiques ...................................................................19

Chapitre 3. La recherche d’immuabilité dans l’autisme ........211. Immuabilité spatiale : exemple de Benjamin, pris au piège

de ses rituels .......................................................................................221.1. Tout doit demeurer identique ..................................................... 221.2. Une recherche de repères et de sécurité ..................................... 241.3. Dans une toile d’araignée ............................................................. 27

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L’enfant autiste – Approche de l’immuabilité en psychomotricité

2. Immuabilité temporelle ...................................................................282.1. Rajan, pris dans un constant infini ............................................. 282.2. Pas de limite, ni de volume .......................................................... 282.3. Temps circulaire ............................................................................ 302.4. Bidimensionnalité ......................................................................... 32

3. Immuabilité relationnelle ................................................................333.1. Lilian, et la difficulté d’être avec l’Autre .................................... 333.2. La théorie de l’esprit ..................................................................... 34

Chapitre 4. Le « tout-mouvant » dans l’autisme ....................371. Corps mouvant..................................................................................37

1.1. Perception corporelle ................................................................... 371.2. Identification adhésive et « démantèlement » ........................... 38

2. Sensations hyper-cinétiques ............................................................402.1. Informations et sensations perçues ............................................ 40

2.1.1. Anomalies sensorielles ............................................................402.1.2. La faiblesse de la cohérence centrale .....................................42

2.2. Surcharges et décharges motrices ............................................... 433. Approche sensori-motrice : Lilian et la contenance ....................44

3.1. L’équilibre sensori-tonique .......................................................... 453.1.1. Déroulement des séances .......................................................453.1.2. Se sentir en sécurité .................................................................463.1.3. Travail sur le bassin et les pieds .............................................473.1.4. Travail sur l’enroulement .......................................................48

3.2. L’oralité ........................................................................................... 493.3. Intérioriser ses connaissances ..................................................... 50

Chapitre 5. La recherche de stabilité ......................................511. De perception : surfonctionnement perceptif

et ralentissement des flux .................................................................512. D’ancrage et de points d’appuis : répétition et sécurité ...............52

2.1. Benjamin, les lignes visibles et invisibles ................................... 532.2. Rajan, la notion du vide et du plein ............................................ 56

3. De relation .........................................................................................583.1. Lilian et la confiance ..................................................................... 583.2. Benjamin et sa construction avec un Autre ............................... 593.3. Un pont à construire .................................................................... 60

Conclusion et perspectives ............................................................... 63

Bibliographie .................................................................................... 67

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ISBN : 978-2-35327-307-2APPIMM

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L’enfant autisteApproche de l’immuabilité en psychomotricité

L’immuabilité, c’est-à-dire l’impossibilité à envisager sans angoisse le changement, est un des symptômes majeurs de l’autisme – l’un des plus envahissants également, autant pour l’enfant autiste que pour son entourage. À travers l’étude des théories historiques et actuelles, de témoignages et de cas cliniques observés au cours de séances de psychomotricité en institut médico-éducatif et en cabinet libéral, l’auteur passe en revue les effets positifs et délé-tères de cette recherche d’immuabilité.

Les prises en charge qu’elle décrit ont pour objectif de développer du mouvement au sein d’un monde qui semble �gé a�n de permettre une meilleure structuration de l’enfant, ainsi que son épanouis- sement. Les différentes approches concernant ce trouble sont complémentaires, elles peuvent et doivent donc donner le meilleur de leur essence et s’unir a�n qu’apprentissage, autonomie, déve-loppement personnel, épanouissement et structuration psychique soient en�n une unité d’action pour ces enfants.

La collection

La collection « Nouvelles perspectives en psychomotricité » est dirigée par Anne Gatecel, directrice de l’institut de formation de psychomotricité du CHU de la Pitié-Salpêtrière.

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Psychologues et neuropsychologues

Ergothérapeutes

Éducateurs spécialisés

NOUVELLES PERSPECTIVES EN PSYCHOMOTRICITÉ