206
Volume 5 mathématiques L’enseignement de la géométrie préparé sous la direction de Robert Morris ~ _.,.. ~ -- A l 0.f _) aai i / ...< l........ I........ I,...... l.... > Unesco -. ____ -_ _“. - . . -

L'Enseignement de la géométrie

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L'Enseignement de la géométrie

Volume 5 mathématiques L’enseignement de la géométrie

préparé sous la direction de Robert Morris

~ _.,.... ~ -- A l 0.f

_) aai

i / ...< l........ I........ I,...... l.... >

Unesco -. ____ -_ _“. - . . -

Page 2: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement des sciences fondamentales

~.-.--- -.- _,--..

Page 3: L'Enseignement de la géométrie

Etudes sur l’enseignement des mathématiques

L’enseignement de la géométrie

Volume 5

préparé sous la direction de Robert Morris

Page 4: L'Enseignement de la géométrie

Publié en 1987 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture 7, place de Fontenoy, 75700 Paris

Composition : Solent Typesetting Ltd, Otterbourne, Royaume-Uni Impression : Imprimerie Floch, Mayenne, France

ISBN 92-3-202373-3

0 Unesco 1987

Page 5: L'Enseignement de la géométrie

Préface

Etudes sur 1 ‘enseignement des ma théma tiques, comme Tendances nouvelles de l’enseignement des mathématiques, est publié dans le cadre du programme de 1’Unesco visant à améliorer l’enseignement des mathématiques en fournissant des ressources documentaires aux responsables de cet enseignement. Les lecteurs des quatre premiers volumes des Etudes ont fait savoir combien la publication d’informa- tions en provenance de toutes les régions du monde leur paraissait utile.

Il n’y a pas de consensus sur le contenu des programmes scolaires de géométrie. En vue de faciliter les décisions à prendre dans ce domaine, le présent volume est donc consacré à l’enseignement de la géométrie à l’école. Il présente un panorama de la pratique actuelle dans le monde et suggère des orientations pour l’avenir. La question est abordée sous deux angles : certains chapitres traitent de cet enseignement aux divers niveaux et d’autres rendent compte de la situation dans diverses régions.

L’Unesco tient à remercier le directeur de la publication, Robert Morris, les nombreux spécialistes de pédagogie des mathématiques qui ont fourni des renseignements sur le programme de géométrie de leur pays, ainsi que les auteurs de ce volume des Etudes sur l’enseigne- ment des mathématiques. Les idées et les opinions exprimées dans cet ouvrage sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vue de 1’Unesco ou du directeur de la publication.

Page 6: L'Enseignement de la géométrie

Table des matières

Introduction

Evolution de l’enseignement de la géométrie dans trois Etats arabes Hicham Bannout et Mansour Hussain

9

13

La géométrie pour les enfants de 13 ans au Canada et aux Etats-Unis d’Amérique David F. Robitaille et Kennet?z J. Travers 23

L’enseignement de la géométrie en Amérique latine Emilio Lluis 33

La géométrie en Asie du Sud-Est Lee Peng-yee et Lim Chong-keang 45

La géométrie des transformations : rétrospective D. K. Sinha 49

La géométrie au niveau secondaire en Sierra-Leone Adonis F. Labor 53

La géométrie à l’école primaire : le possible et le souhaitable Jan de Lange Jzn 61

Quelques problèmes relatifs à l’enseignement de la géométrie aux élèves de dix à quatorze ans Milan Koman, FrantiSek h’urina et Marie Tichà

L’enseignement de la géométrie en Union soviétique L. Yu. Chernysheva, V. V. Firsov et S. A. Teljakovskii

La crise de l’éducation géométrique G. Glaeser

Analyse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni D. S. Fielker

83

101

113

129

Page 7: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles à l’apprentissage de la géométrie Alun J. Bishop 149

La formation des enseignants et l’enseignement de la géométrie Bruce E. Meserve et Dorothy T. Meserve 171

Les cours de géométrie plane sur micro-ordinateur au niveau du secondaire Max S. Bell 187

Notices biographiques 209

Page 8: L'Enseignement de la géométrie

Introduction

“De toutes les décisions à prendre dans le cadre d’un projet d’aménagement des programme scolaires quant au choix des contenus, la plus controversée et la plus difficile à défendre est généralement celle qui concerne la géométrie” ’ .

Ces mots ont été écrits en 1970. Ils figurent dans le rapport d’une conférence sur l’enseignement de la géométrie organisée par les membres de l’équipe responsable du Comprehensive School Mathematics Project (CSMP) - projet relatif à l’enseignement des mathématiques dans les écoles polyvalentes - aux Etats-Unis d’Amérique. Depuis lors, deux autres grandes conférences ont eu lieu sur le même thème : l’une à Bielefeld (République fédérale d’Allemagne) en 1974, et l’autre à Mons (Belgique) en 1982. Les conclusions de ces conférences et de diverses réunions tenues ces dernières années en Afrique, en Asie, en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud se recoupent, mais seulement de façon négative. Il n’y a pas de consensus sur ce que devrait être le contenu de l’enseignement scolaire de la géométrie et beaucoup de pédagogues accueilleraient favorablement une étude générale de la question.

C’est pourquoi il a été jugé bon de consacrer la totalité du présent volume des Etudes à la géométrie. Le projet a suscité des réactions extrêmement encourageantes et 1’Unesco renouvelle ses remerciements aux auteurs (originaires de plus de 20 pays différents) qui - on le constatera en lisant les pages ci-après - ont permis de brosser le tableau de la situation qui est actuellement celle de l’enseignement de la géométrie dans le monde, au niveau des établissements du premier et du second degrés ainsi que de la formation des maîtres.

Le volume commence par une étude de la pratique actuelle dans divers régions et pays du monde. Cette étude comprend six parties : quatre études régionales et deux études nationales. La première étude régionale rend compte des incidences qu’a eues le projet régional de réforme de l’enseignement des mathématiques lancé par 1’Unesco en

1. The CSMP staff, The CSMP development in geometry, Educational Studies in Mathematics @ordrecht/Boston), Vol. 3, No. 3/4, juin 1971, p. 281.

9

Page 9: L'Enseignement de la géométrie

Introduction

1967 sur l’enseignement de la géométrie dans trois Etats arabes. La deuxième, qui a trait à l’enseignement de la géométrie au Canada et aux Etats-Unis d’Amérique, est fondée sur les conclusions de la deuxième étude internationale sur les mathématiques réalisée sous les auspices de l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire (International Association for the Evaluation of Educational Achievement, IEA). Vient ensuite un résumé des tendances et des faits nouveaux enregistrés dans les pays d’Amérique latine depuis les bouleversements liés au mouvement de réforme des années 60. La quatrième étude régionale concerne le groupe de pays d’Asie du Sud-Est formé des membres de I’ANASE et de Hong Kong, pays qui ont des mathématiques des conceptions voisines, s’exprimant dans les activités de la Southeast Asian Mathematical Society (Société mathématique d’Asie du Sud-Est).

Les deux études nationales émanent de l’Inde et de la Sierra-Leone. Dans la première, le professeur Sinha jette un regard rétrospectif sur la géométrie des transformations et montre qu’on peut lui trouver des antécédents indéniables dans la géométrie euclidienne, dont il présente une défense brève mais éloquente. L’article d’Adonis Labor qui suit, sur la géométrie enseignée dans les écoles de la Sierra-Leone, indique quelles sont les connaissances exigées des candidats aux examens dans les pays anglophones de l’Afrique de l’ouest.

Après cet aperçu de la situation actuelle de l’enseignement de la géométrie, le professeur de Lange, des Pays-Bas, s’interroge dans sa contribution sur ce qu’il est possible et ce qu’il est souhaitable de faire en géométrie au niveau de l’école primaire. Pour l’auteur, les réponses résident dans la méthode plutôt que dans le contenu de l’enseignement. Et cette méthode devrait avoir pour but, en bref, d’aider les enfants à “percevoir l’espace”, idée qu’il expose de façon très vivante et illustre abondamment.

Les problèmes que soulève l’enseignement de la géométrie dans le cas d’enfants un peu plus âgés - ceux des grandes classes de l’école primaire ou du premier cycle du secondaire - sont évoqués par Milan Koman et ses collègues tchécoslovaques. Cet article passionnant repose sur un travail expérimental réalisé avec des élèves de 10 à 14 ans dans sept établissements scolaires de Prague. La géométrie enseignée à ces enfants est liée à leur environnement, est fondée sur la résolution de problèmes, fait appel à l’algorithmisation et au mouvement, inclut la démonstration mais rejette toute axiomatique. De nombreux exemples montrent comment ces principes sont appliqués.

La géométrie dans le second cycle de l’enseignement secondaire n’est pas abordée en tant que telle dans le présent volume, mais trois études de cas illustrent la pratique réelle en URSS, en France et au Royaume- Uni. La première de ces études traite avec objectivité du problème qui consiste à concilier un enseignement de conception logique avec

10

Page 10: L'Enseignement de la géométrie

Introduction

l’immaturité mentale des jeunes enfants et avec la nécessité, dans le monde moderne, de comprendre les transformations géométriques, les méthodes analytiques et l’algèbre vectorielle. L’auteur est ainsi amené à s’interroger sur le rôle des axiomes, des définitions, de l’heuristique, des théorèmes et des exercices d’application et à se demander si la géométrie doit faire l’objet d’un cours séparé ou si son enseignement doit être intégré à celui de l’algèbre. L’expérience soviétique reflète à bien des égards celle de beaucoup d’autres pays. Les solutions trouvées en URSS sont donc d’autant plus intéressantes.

L’expérience française est analysée en relation avec la crise de société qu’engendre l’évolution rapide des connaissances. En France, les mathématiques et la géométrie, en particulier, sont considérées comme étant d’une importance primordiale, localement inutiles et globalement indispensables. La géométrie joue, à l’égard de la société et de l’industrie, un quintuple rôle : elle est la science de l’espace ; elle est un modèle de précision et d’argumentation logique ; elle est un moyen de stimuler et de développer le raisonnement ; elle est un langage heuristique ; elle est l’art des transformations.

L’article du Royaume-Uni rend compte clairement d’une situation confuse. Il est rédigé sur le mode historique car, dans ce pays, l’enseigne- ment de la géométrie peut être décrit comme une guerre de 100 ans contre les Eléments d’Euclide. De cette guerre, qui s’est déroulée hors de la contrainte de tout programme scolaire arrêté de concert, s’est dégagé un consensus sur les “processus” plutôt que sur les “contenus”.

Les études de cas sont suivies d’une analyse des obstacles à l’appren- tissage de la géométrie, qui sont rangés sous trois grandes rubriques : apprentissage de l’espace, apprentissage de la mathématisation de l’espace (classement, description, établissement des relations) et appren- tissage de la géométrie proprement dite. L’analyse est particulièrement pénétrante et pose un certain nombre de questions importantes qui demandent à être étudiées de façon approfondie pour pouvoir ensuite être prises en considération dans la pratique de la formation des maîtres.

Vient ensuite un chapitre sur la formation des enseignants, rédigé par un couple de professeurs et fondé sur l’expérience acquise au cours de longues années de travail aux Etats-Unis d’Amérique dans le domaine de la formation pédagogique. Les auteurs y passent en revue les besoins des étudiants et les techniques qu’ils doivent apprendre à utiliser pour pouvoir adapter leur enseignement aux différents niveaux de développe- ment mental qu’ils rencontreront dans leur pratique enseignante. Les conséquences à tirer de cette analyse sont ensuite précisées et nombre d’approches utiles sont suggérées.

Le volume se termine par une incursion dans un avenir que nous vivons déjà. Il est question d’un cours de géométrie conçu par une entreprise commerciale, qui fait appel au micro-ordinateur et est destiné aux écoles secondaires des Etats-Unis d’Amérique. Ce cours vise à

11

Page 11: L'Enseignement de la géométrie

Introduction

inculquer aux élèves à la fois des notions intuitives de géométrie et la capacité de reproduire des démonstrations géométriques de type formel à la manière euclidienne. Le système s’articule autour de deux programmes fondamentaux, “Geodraw” et “Proofchecker”, aux noms évocateurs. L’auteur affirme qu’il permet d’atteindre les deux principaux objectifs visés et présente en outre l’avantage inestimable de préparer les élèves à la vie qui les attend en cette ère nouvelle de l’informatique.

12

Page 12: L'Enseignement de la géométrie

Hicham Bannout et Mansour Hussain

Evolution de l’enseignement de la géométrie dans trois Etats arabes

Dans cette brève étude nous allons relever les principaux caractères des processus de développement de l’enseignement de la géométrie dans trois Etats arabes : le Koweit, la Tunisie et le Liban. Notre étude traitera, d’une part, des changements des programmes des sections scientifiques qui ont eu lieu dans ces pays au cours des dernières décennies, et d’autre part, des idées pédagogiques qui ont accompagné ces changements et certains aspects de la pratique enseignante.

Première partie : Etude des programmes antérieurs au mouvement de réforme des années 60

Dans cette partie nous analysons les caractères de l’étape qui a précédé le mouvement international de réforme des années 60. En consul- tant les tableaux du nombre d’heures consacrées à l’enseignement des mathématiques (Unesco, 1969), nous constatons que cet enseignement venait au deuxième rang, après l’enseignement de la langue arabe, et qu’on lui accordait une place aussi importante que dans les pays développés. Quant aux contenus et aux méthodes d’enseignement utilisées, ils peuvent être qualifiés de classiques et traditionnels. 11 s’agissait d’un enseignement incapable de développer les capacités de l’élève à découvrir les mathématiques, car il s’intéressait à la résolution mécanique des problèmes, sans apporter une vraie compréhension de la notion mathématique sous-jacente ni une maîtrise valable du raisonne- ment utilisé. L’importance qui était accordée à l’enseignement de la géométrie variait d’un pays à l’autre.

Au Koweit, et dans les Etats du Golfe en général, on n’accordait pas beaucoup d’importance à cet enseignement, la matière dominante dans l’éducation mathématique étant l’algèbre. A l’école élémentaire (4 ans d’enseignement), on ne faisait pas de géométrie, et à l’école moyenne (4 ans) on s’intéressait peu à l’enseignement de cette matière. Au début de l’enseignement secondaire (4 ans), on enseignait, parfois d’une façon imprécise, certaines notions de la géométrie classique (droite, triangle, cercle). En première année, trois heures hebdomadaires sur six de l’en-

13

Page 13: L'Enseignement de la géométrie

Hicham Bannout et Mansour Hussain

seignement des mathématiques étaient consacrées à la géométrie, et deux heures sur cinq en deuxième année. Mais il semble que ces heures étaient en fait une perte de temps pour les élèves, et le rendement de l’enseignement était insatisfaisant. En troisième année, trois heures d’enseignement de géométrie sur sept heures hebdomadaires étaient insuffisantes pour l’étude d’une partie de la géométrie dans l’espace (plans et droites) et de quelques notions préliminaires de la géométrie analytique. En dernière année on faisait en trois heures, sur huit heb- domadaires, de la trigonométrie, de la géométrie dans l’espace (volumes de quelques solides), et de la géométrie analytique (équations de droite et de cercle, longueurs de segments de droite).

En Tunisie, on estimait que “la géométrie reste le stimulant par excellence de l’esprit de recherche et de l’intuition” (Tunisie, 1959, p. 3), mais on se référait à l’expérience pour conclure qu’elle était difficile. L’algèbre et l’analyse étaient considérées comme les “éléments de base dans la recherche mathématique moderne et sont plus facilement accessibles à la majorité des élèves” (ibid.). Aussi lisons-nous qu’on a jugé utile de réduire l’importance qu’on doit accorder à la géométrie, sans pour autant négliger sa valeur formative, et qu’on a mis l’accent sur l’algèbre et l’analyse (ibid. ).

Malgré ces déclarations, nous remarquons que les textes du pro- gramme (ibid.) réservaient une place importante à la partie géométrique, constituée essentiellement de notions de la géométrie classique. Sous le titre “travaux pratiques” le programme prescrivait la manipulation d’objets réels dans le but d’élaborer une définition, “de découvrir une relation entre certains faits ou certains êtres, de vérifier un résultat” (ibid., p. 6) et d’interpréter dans la réalité les schémas géométriques. Il s’agissait d’une conceptionfavorisant le développement de l’enseignement à travers une organisation concrète et conceptuelle de l’espace réel.

En première année de l’enseignement secondaire (six ans, après six ans d’enseignement primaire), la notion de mesure était la notion centrale du programme (mesure des longueurs, des aires, des volumes, des angles, des arcs de cercle, de poids et de temps). En deuxième année, nous trouvons les notions fondamentales de la géométrie euclidienne (droites, angles, triangles, quadrilatères, cercle, définitions et propriétés). En troisième année, on étudiait en géométrie plane : les triangles semblables, les relations métriques et trigonométriques dans le triangle rectangle, les polygones réguliers, les propriétés de cercles. De la géométrie dans l’espace on traitait les notions de droites et de plans dans l’espace. Le programme de la quatrième année contenait les titres suivants : vecteurs (somme vectorielle, produit scalaire), géométrie plane (relations métri- ques et trigonométriques dans les triangles, puissance d’un point par rapport à un cercle, lieux géométriques et faisceau harmonique) et géométrie dans l’espace (plans et droites). En cinquième année, il y avait les transformations ponctuelles, le reste de la géométrie dans

14

Page 14: L'Enseignement de la géométrie

Evolution de l’enseignement de la géométrie dans trois Etats arabes

l’espace (projection, trièdre, solides, aires et volumes de ces solides) et de la géométrie analytique (équations du cercle et lieux géométriques simples). En sixième année, l’élève étudiait pôle et polaire, les ponctuelles et les coniques. En géométrie vectorielle et analytique, on traitait : le produit vectoriel, les équations d’une droite, d’un cercle, d’un plan et d’une sphère, les coordonnées polaires.

Au Liban le contenu du programme de géométrie était en général ,_ __. 9 celui que nous avons décrit précédemment, avec quelques différences. Par exemple, on ne faisait pas de géométrie dans l’espace à l’école moyenne (4 ans, après cinq ans d’enseignement primaire) : son enseigne- ment était complètement réservé à la deuxième année de l’enseignement secondaire (3 ans). On étudiait la géométrie vectorielle et une partie de la géométrie analytique (les équations des coniques) en dernière année. Quelques notions préliminaires de géométrie descriptive figuraient dans les programmes des deux dernières années.

Dans la pratique enseignante, la géométrie avait un statut privilégié et un rôle dominant dans l’enseignement des mathématiques. Selon les tendances pédagogiques de l’époque, elle était considérée comme une matière mathématique de premier ordre : le vrai raisonnement mathé- matique se trouvait dans les belles démonstrations géométriques, qui étaient déductives et logiques ; l’algèbre était un domaine pour tout le monde mais la géométrie était l’affaire des gens brillants en mathémati- ques. Cette géométrie était une sorte d’organisation conceptuelle et locale de l’espace ; son enseignement se développait en liaison directe avec l’expérience dans le monde du concret, où l’on ne se préoccupait pas de distinguer les objets mathématiques des autres objets. Il n’apparaissait pas clairement si les énoncés géométriques (définitions et théorèmes) se développaient indépendamment du modèle physique ou s’ils décrivaient des objets et des relations préexistant à la démarche mathématique.

Deuxième partie : Etude des programmes de la réforme des annés 60

Au sein du mouvement de réforme des années 60,l’Unesco a collaboré avec des groupes nationaux dans certains Etats arabes à l’élaboration d’un “projet de réforme pour l’enseignement des mathématiques à l’école secondaire” (15 à 18 ans). Pour connaître le rôle de l’enseignement de la géométrie dans ce projet, nous relevons le passage qui suit de la description des travaux du groupe Bourbaki : “C’est cette structuration des mathématiques par Bourbaki que l’on appelle mathé- matiques contemporaines ou modernes.

De l’arithmétique la plus simple à l’algèbre, la géométrie ou l’analyse abstraite la plus avancée, les mathématiques contemporaines peuvent être

15

Page 15: L'Enseignement de la géométrie

Hicham Bannout et Mansour Hussain

décrites succinctement comme l’étude de la paire ordonnée (ensemble, structure) et de toutes les activités qui peuvent procéder de ce couple. Par exemple . . . la géométrie est l’étude de l’espace, c’est-à-dire d’un ensemble de points dont les droites et les plans constituent d’importants sous-ensembles; la structure de l’espace est décrite par des relations dénommées postulats, telles que les relations d’ordre linéaire, de parallé- lisme ou d’orthogonalité. Les activités consistent en des transformations telles que rotations, symétries axiales, translations ainsi crue dilations et relations d’isométrie et de similtude” (Unesco, 1969, p. 21). [Traa’uit de l’anglais].

Ainsi la géométrie se trouvait, comme les autres branches des mathé- matiques, dans le monde des structures algébriques où l’organisation du contenu est différente de celle de la géométrie traditionnelle. Le Koweit est l’un des Etats arabes qui adoptèrent le programme de I’Unesco. En 1970 on expérimenta le programme de la deuxième année du secondaire, dont la partie géométrique était constituée des thèmes de la géométrie affine et de la géométrie des transformations. Certaines difficultés rencontrées par les élèves lors de l’étude des notions géométriques furent signalées. Ces difficultés étaient dues en grande partie au mode de présentation des sujets dans les livres préparés par 1’Unesco et à un manque de maîtrise des nouvelles notions par les professeurs. La deuxième partie du projet, dont le contenu géométrique était de la géométrie vectorielle, fut mise en pratique en 1972. Les comités d’évalua- tion du projet réclamèrent la révision du projet tout entier, surtout de la partie géométrie, qui se trouvait pour la première fois dans les pro- grammes. Ainsi fut élaboré, en 1973, un programme pour les trois cycles (élémentaire, moyen et secondaire) de l’enseignement. On y utilisait le langage ensembliste et les opérations sur les ensembles pour l’enseignement de la géométrie, qu’on commençait dès la première année de l’école élémentaire. A ce niveau, on faisait des activités con- cernant quelques notions élémentaires (point, droite, angle, courbes et formes géométriques planes et spatiales, mesure d’aires et de volumes). A l’école moyenne, on traitait d’une manière plus précise les notions précédentes ainsi que d’autres notions. Les transformations étaient introduites pour la première fois dans le programme et utilisées dans l’étude des autres notions. On faisait de la géométrie vectorielle et on étudiait quelques notions préliminaires de géométrie analytique. Au cours des deux premières années de l’enseignement secondaire, on faisait de la géométrie des transformations. En troisième année, on faisait de la géométrie dans l’espace et de la géométrie vectorielle dans l’espace. En quatrième année, on ne faisait plus de géométrie. Notons que la géométrie affine a été éliminée du programme et qu’on n’étudie plus en première année les triangles et le cercle.

En Tunisie, nous détectons, dès les premières années de l’enseigne- ment secondaire, l’existence d’une nette tendance vers l’abstraction.

16

Page 16: L'Enseignement de la géométrie

Evolution de l’enseignement de la géométrie dans trois Etats arabes

On utilise la méthode axiomatique pour faire un enseignement de géo- métrie structuré. Le modèle géométrique, qui est abstrait, est com- plètement séparé du modèle physique. Les directives du programme remettent en question “les notions traditionnellement qualifiées de pratiques et de concrètes” (Tunisie, 1970, p. 5). Si elles reconnaissent que l’élève a besoin d’une référence pour identifier une notion, cette référence n’est pas nécessairement le concret vulgaire. Elles se demandent “quelle contribution un carton, une ficelle tendue on une paire de ciseaux peuvent, dans l’enseignement secondaire, apporter à la notion de plan, de droite, d’angle” (Tunisie, 1970, p. 5). (Ces matériaux semble-t-il, étaient utilisés dans l’enseignement de l’étape précédente.) La méthode proposée consiste à présenter la géométrie par une cons- truction axiomatique dont les éléments de base sont des ensembles appelés “ensembles de points”.

Il s’agit d’un “jeu”, où “l’on joue” avec des points et des ensembles de points donnés par définition. Les règles du jeu s’appellent “axiomes”. Jouer, c’est utiliser les définitions et les axiomes pour fabriquer ce que le mathématicien appelle des théorèmes (Fayala et al., p. 133). Nous notons que les différentes parties du programme des quatre premières années “sont étroitement interdépendantes et devront être traitées en liaison les unes avec les autres” (Tunisie, 1970, p. 10-l 2). Les notions de la partie du programme “ensembles et relations” sont utilisées dans l’étude de toutes les autres parties - en particulier la géométrie - qui en fournissent des motivations et des applications. Ainsi nous avons remarqué une utilisation fondamentale des transformations, qui sont définies comme des bijections, dans l’étude des notions géométriques, et une algébrisation de certaines situations. Sous la rubrique “Initiation géométrique et mesure”, nous trouvons des notions élémentaires (plan, droite, droites parallèles et perpendiculaires, secteurs angulaires, triangles, rectangle, parallélogramme, cercle) et la mesure expérimentale d’un segment et des surfaces. Et pour faire une initiation géométrique valable, on conseille de mettre en évidence les propriétés topologiques élémen- taires (frontières, intérieur, extérieur) et métriques des figures étudiées. En deuxième année, nous trouvons sous la même rubrique l’étude descriptive de l’espace, des droites et plans perpendiculaires, des solides, les aires et volumes de ces solides. Il y a aussi la rubrique “repérage et initiation aux translations et aux symétries dans un réseau cartésien”, où l’on estime que l’utilisation de réseaux peut initier l’élève à la composition des transformations par les deux procédés algébrique et géométrique qui se complètent. Le but de l’enseignement à ce stade est d’initier les élèves à préciser “les caractéristiques des objets géométriques familiers, à en définir de nouveaux, à les abstraire pour en faire des êtres mathématiques” (Tunisie, 1970, p. 9). Les enseignants peuvent profiter de toutes occassions “pour s’élever du niveau de l’expérience à celui de l’explication et éventuellement de la découverte” (Tunisie, 1970,

17

---- --.. -. .-- __ .-.-__ .-. . -. ._.._. - _---

Page 17: L'Enseignement de la géométrie

Hicham Bannout et Mansour Hussain

p. 6). En troisième année, nous trouvons “élaboration concrète et intui- tive du groupe des isométries du plan” et “utilisation des isométries”. On étudie les symétries axiales et centrales qui sont définies comme des bijections dans le plan et on les utilise dans l’étude de toutes les notions géométriques du plan. En bref, le contenu de la géométrie est soumis aux besoins des applications. En quatrième année, nous trouvons : notions de bipoint, vecteur, parallélisme de droites et de plans, projection sur une droite ou sur un plan, théorème de Thalès, groupe des translations et groupe additif des vecteurs, étude analytique de la droite dans le plan, produit scalaire de deux vecteurs, relations métriques dans le triangle et dans le cercle. Dans le programme de cinquième année, nous constatons que la géométrie est conçue comme un support pour l’élaboration des structures algébriques. Le but de l’étude de la partie du programme “géométrie et espaces vectoriels sur R” est “de permettre aux élèves de dégager l’idée de structure d’espace vectoriel à partir de concepts géométriques simples élaborés depuis la classe de 4e année” (Tunisie, 1970, p. 30). La notion de repère facilite une “description” algébrique des propriétés de la droite. On rappelle les concepts qui facilitent la même tâche pour le plan, en évitant l’introduction de toute métrique ; puis on parle de la droite géométrique, de l’espace vectoriel, de l’appli- cation Linéaire, de l’application affine, et du groupe de dilatations du plan vectoriel. En “géométrie métrique plane”, on trouve : inégalité de Cauchy-Schwarz, inégalités triangulaires et expression d’un produit scalaire dans un repère orthonormé. En sixième année, on trouve, sous la rubrique “géométrie vectorielle et géométrie affine” : bases d’un espace vectoriel, matrice d’une application linéaire, espace affine de dimension 2 ou 3, translations ; puis on parle du produit scalaire (espace vectoriel sur R dimensions 2 ou 3) et du groupe des rotations vectorielles. En géométrie métrique, on trouve : distance de deux points, projection orthogonale, plans perpendiculaires, sphère. En septième année il y a :

(1) “éléments de géométrie affine et euclidienne”, où l’on développe les notions précédentes et on trouve d’autres notions comme addition et composition des applications linéaires, groupe linéaire, homothéties vectorielles, barycentre, transformations linéaires de l’espace vectoriel euclidien, rsométries du plan affine euclidien et produit vectoriel de deux vecteurs de l’espace affine ; (2) “compléments de géométrie euclidienne plane”, où l’on trouve : groupe des angles de demi-droites vectorielles, groupe des similitudes et équations de coniques.

Au &r:b_,,, l’étude de la théorie des ensembles et des structures _-*.. ..- algébriques n’a pas eu une grande influence sur l’enseignement de la géométrie. A l’école moyenne, on utilise un langage ensembliste pour

18

Page 18: L'Enseignement de la géométrie

Evolution de l’enseignement de la géomthie dans trois Etats arabes

étudier un contenu géométrique retenu de la géométrie classique et dont l’organisation en général n’a pas varié. Après l’élimination de certaines notions et explications imprécises, un effort a été fait pour préciser d’autres notions et l’on a introduit des notions élémentaires de géométrie dans l’espace en quatrième année. La construction des figures géométriques est réclamée pour l’introduction des notions correspondantes, surtout dans les deux premières années. A l’école secondaire, on fait en première année de la géométrie vectorielle et analytique et on continue cette étude en troisième année, où l’on fait aussi les coniques par la méthode analytique et les transformations par la méthode vectorielle. sans jamais introduire la notion d’espace vectoriel. La géométrie dans l’espace se fait toujours en deuxième année. Parmi les aspects pédagogiques que nous pouvons noter il existe une tendance à préciser la nouvelle terminologie sans qu’il y ait vraiment, à part quelques essais timides, une tendance formelle à distinguer les objets mathématiques des autres objets. Dans les textes des manuels scolaires, nous trouvons des expressions de niveau mathématique à côté d’autres d’un autre niveau. Enfin, le rôle de la géométrie dans l’enseignement des mathématiques est en équilibre avec celui des autres matières.

Troisième partie : Etude de programmes postérieurs au mouvement de réforme des années 60

Dans cette étape, nous observons le rôle accru des centres pédagogiques nationaux dans l’élaboration des programmes et des manuels scolaires. On réclame la remise en question des programmes précédents qui ont été faits sous l’influence des mathématiciens universitaires. En 1981, lors d’un colloque parrainé par l’ALECS0, on a reproché au mouvement de réforme des années 60 d’avoir proposé un contenu théorique isolé, surchargé et dépourvu d’applications qui prennent en considération les autres domaines scientifiques et les capacités des élèves. L’enseignement de la géométrie insistait sur la construction formelle et rigoureuse, indépendamment de l’acquis de l’expérience dans le monde physique. La modernisation de cet enseignement s’est faite dans certains pays dans un esprit de rupture avec le contenu classique. Dans les programmes de l’étape actuelle, nous observons la présence d’une tendance qui accorde à l’enseignement de la géométrie une importance considérable, et qui veut profiter de l’utilisation des structures sans négliger l’apport du support matériel. Cette tendance, semble-t-il, va continuer dans l’avenir.

Au Koweit, le programme actuel de l’école élémentaire et de l’école moyenne est une réorganisation du contenu du programme précédent mettant l’accent sur les activités de construction des objets géométriques et de vérification de leurs propriétés. Dans les deux premières années de

19

Page 19: L'Enseignement de la géométrie

Hicham Bannout et Mansour Hussain

l’école secondaire, on étudie des notions de géométrie analytique, de géométrie des transformations et de géométrie euclidiene (triangles semblables, relations métriques dans les triangles rectangles, etc.). En troisième année, on fait de la géométrie dans l’espace et de la géométrie vectorielle dans le plan et dans l’espace. En quatrième année, on n’étudie pas la géométrie.

En Tunisie, les centres d’intérêt des commentaires du programme officiel (Tunisie, 1978 et 1982), cette fois, ne sont plus la notion d’ensembles et les structures algébriques, ce qui prouve qu’il y a un changement dans les idées pédagogiques dominantes. Les objectifs généraux se contentent de rappeler le rôle de l’enseignement des mathé- matiques dans la formation intellectuelle de l’élève et l’éveil de l’esprit scientifique. Certaines activités négligées par le programme UC l’étape précédente retrouvent à nouveau leur place dans les présentations des notions et dans les préoccupations des directives du programme. Les ensembles et les structures gardent encore leur place dans la présentation de la géométrie mais nous retrouvons aussi de nouveau l’idée qu’on avait de la géométrie de l’enseignement classique. On insiste sur les activités d’ordre pratique et on utilise des matériaux et des objets du monde physique pour faire apparaître et justifier les idées mathémati- ques. Une grande importance est accordée à l’observation et à la construction des figures géométriques dans l’étude des notions corres- pondantes. On écarte, dans la première année de l’enseignement secon- daire, toute présentation axiomatique et on propose à l’élève des activités susceptibles de consolider ses acquisitions antérieures, de l’aider à décrire les figures géométriques et organiser une suite cohérente des différentes étapes de leur construction. Le contenu du programme de l’école moyenne, qui est à peu près le même que celui de l’étape pré- cédente, est organisé cette fois sous des titres comme “étude d’objets géométriques et physiques donnant lieu à mesure” (lère année), “première étude concrète de l’espace” (2ème année), “géométrie de la droite”, “géométrie plane” (3ème année), “plan euclidien”, “géométrie plane euclidenne” (4ème année). En cinquième année, nous trouvons sous le titre “algèbre linéaire et ses applications” une introduction à la notion d’espace vectoriel sur R et applications linéaires, avec le nota bene suivant : “Dans toute cette partie, on s’attachera à montrer l’utilité des figures, soit que celles-ci représentent l’espace sensible dont on cherche à construire un modèle mathématique, soit qu’elles donnent une image suggestive d’une étude théorique. On indiquera notamment les conventions relatives à la représentation des vecteurs”. Les deux autres titres sont “géométrie plane” et “géométrie de l’espace”. Il s’agit en général dans le programme actuel d’une réorganisation de thèmes du programme de l’étape précédente, dans le but de tenir l’équilibre entre un enseignement de géométrie dans lequel le concret physique remplace parfois l’idée mathématique et un enseignement structuré

20

Page 20: L'Enseignement de la géométrie

Evolution de l’enseignement de la géométrie dans trois Etats arabes

dans lequel on s’intéresse moins à l’exploitation de l’idée intuitive qui pourrait être suggérée par le support physique. Dans les manuels scolaires, la présentation d’une notion est précédée par un ensemble d’activités pratiques pour préparer son arrivée. On utilise un langage ensembliste dans la rédaction des notions mais on y trouve la trace des activités pratiques manipulées à l’avance.

Au Liban, le projet (non encore mis en application) de réforme de l’enseignement secondaire apporte des changements remarquables. Le contenu du programme est présenté sous la forme de plusieurs unités d’enseignement, ce qui montre la présence d’une tendance essayant d’intégrer les différentes branches des mathématiques scolaires et d’assurer l’unité de l’enseignement. A coté des structures algébriques, nous trouvons dans le programme de la première année deux unités géométriques : dans la première on parle du plan affine, puis du plan vectoriel avec certaines applications (division harmonique, barycentre, équation d’une droite) et, dans la deuxième, on parle du plan euclidien (produit scalaire, orthogonalité). Les transformations (translation, symétries, rotation) sont introduites au niveau de ces deux unités. Dans le même esprit, on propose en deuxième année l’étude dans l’ordre de trois espaces : affine, vectoriel et euclidien. En troisième année, on introduit les espaces vectoriels réels au début de l’unité d’algèbre linéaire, mais on propose d’autres unités pour l’étude de la géométrie analytique dans les espaces affines et vectoriels, et des notions de géométrie descrip- tive. Enfin, on propose l’étude des coniques et des transformations dans le plan sous la forme analytique en mettant l’accent sur les groupes de ces transformations. Du point de vue pédagogique, l’état actuel de l’enseignement des mathématiques révèle une tendance à faire apparaître les objets et le langage mathématiques et à présenter le contenu dans un ordre qui ne prend pas nécessairement en considération la classifica- tion traditionnelle des différentes matières.

Conclusion

Sous l’influence des mathématiques universitaires et des mouvements de réforme internationaux, l’enseignement de la géométrie a connu dans les Etat arabes des changements considérables. Ces changements qui ont parfois été radicaux, varient d’un pays à l’autre. Ils ont fait l’objet d’une mise en question, le but étant de réaliser un équilibre entre un enseigne- ment de la géométrie classique et un enseignement de la géométrie sur la base de structures algébriques. L’enseignement de la géométrie va se développer dans cette perspective, en tenant compte de l’expérience nationale de chaque pays et de ses conditions culturelles, scientifiques et pédagogiques.

21

Page 21: L'Enseignement de la géométrie

Hicham Bannout et Mansour Hussain

Références

FAYALA ; PINCHINAT ; TREB~TSCH . Mathématiques-Z. Tunis. Société nationale d’édition et de diffusion.

TUNISIE. Minist&re de l’éducation, de la jeunesse et des sports. 1970. Programmes officiels de 1 ‘enseignement secondaire : Mathématiques, fascicule 12. Tunis.

. Minist&re de l’éducation nationale. 1978 ; 1982. Programmes officiels de l’enseignement secondaire ;Mathématiques. Tunis.

. Secrétariat d’Etat à l’éducation nationale. 1959. Programmes officiels de l’enseignement secondaire; Mathématiques, fascicule 7.

UNESCO. 1969. School Mathematics in Arab Countries. Paris, Unesco. (Unesco Mathematics Project for tbe Arab States.) [SC/WS/201.]

22

Page 22: L'Enseignement de la géométrie

David F. Robitaille et Kenneth J. Travers

La géométrie pour les enfants de 13 ans au Canada et aux Etats-Unis d’Amérique

Contrairement à ce qui se passe dans de nombreux pays, l’enseignement au Canada et aux Etats-Unis d’Amérique n’est pas soumis à un contrôle centralisé. Au Canada, chaque province contrôle indépendamment son système scolaire. Aux Etats-Unis, cette autorité s’exerce soit au niveau des Etats, soit au niveau de la circonscription scolaire locale. Il en résulte qu’il existe des différences importantes aussi bien à l’intérieur de ces deux pays qu’entre eux en ce qui concerne la structure des systèmes d’enseignement et des programmes scolaires. Cependant, malgré ces différences, il y a un grand nombre de points communs entre les programmes de mathématiques des deux pays. C’est en particulier le cas du programme de géométrie : dans les deux pays on traite souvent les mêmes sujets dans les classes de même niveau.

De 1980 à 1982, des élèves canadiens et américains et leurs pro- fesseurs de mathématiques ont participé à la Deuxième étude inter- nationale sur les mathématiques, avec le soutien de l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire (International Association for the Evaluation of Educational Achievement IEA). L’étude de I’IEA, qui s’est déroulée dans vingt pays, a porté sur deux groupes d’âge : les enfants de 13 ans (population A) et les élèves de dernière année du secondaire se spécialisant dans l’étude des mathé- matiques (population B). Dans cette étude, le Canada était représenté par des échantillons de professeurs et d’élèves provenant de deux provinces : la Colombie britannique et l’Ontario. Aux Etats-Unis, on a choisi un échantillon au niveau national.

Cette étude internationale comprenait un examen approfondi du programme de mathématiques à trois niveaux : le programme prévu, le programme appliqué, le programme effectivement réalisé. Au premier niveau, le programme prévu est celui que décrivent les guides des pro- grammes scolaires, les résumés de cours, les plans détaillés et les manuels adoptés au niveau du système scolaire. Au deuxième niveau, le pro- gramme appliqué est celui qui est mis en oeuve dans le cadre de la classe où le professeur enseigne son cours. Les professeurs exercent leur jugement professionnel et construisent, à partir des guides de pro-

23

Page 23: L'Enseignement de la géométrie

David F. Robitaille et Kenneth J. Travers

gramme et des manuels agréés, le programme qu’ils estiment convenir à leur classe, leur choix de sujets ou de centres d’intérêt ne coïncidant pas toujours exactement avec ce qui était prévu au niveau du système scolaire. Afin d’évaluer ce programme appliqué, on a demandé aux professeurs de remplir un certain nombre de questionnaires spécialement élaborés pour ce projet. Par exemple, pour chacun des items des tests utilisés dans le projet, on leur demandait d’indiquer s’ils avaient enseigné à leurs élèves les mathématiques permettant de répondre correctement à la question posée : cet élément mesurant les “occasions d’appren- tissage” (ODA). On leur demandait aussi de donner des informations détaillées sur les méthodes et les matériels qu’ils employaient pour enseigner un certain nombre de sujets mathématiques particuliers.

Au troisième niveau, le programme effectivement réalisé est le programme appris par les élèves. Pour l’étude internationale, on a évalué le programme effectivement réalisé à l’aide de tests de connaissances. Les élèves des vingt pays participants ont été soumis à ces tests, ainsi qu’à un certain nombre de tests d’attitude.

Pour la population A, la structure de l’étude internationale com- portait, sur le plan des contenus, cinq grandes composantes : arith- métique, algèbre, mesure, géométrie et statistique descriptive. Pour la population B, le contenu géométrique se limitait à la géométrie analy- tique. Dans ce chapitre, nous examinerons le programme de géométrie du premier cycle du secondaire (junior secondary ou middle schools) en Amérique du Nord, représenté par les échantillons de professeurs et d’élèves des Etats-Unis et des deux provinces canadiennes qui ont collaboré à l’étude de I’IEA.

La géométrie dans le programme prévu

Contrairement à ce qui est le cas pour l’algèbre et l’arithmétique, sujets à propos desquels l’accord est à peu près général sur ce qu’il convient d’enseigner, les pays de 1’IEA ont des positions très diverses en ce qui concerne la géométrie, du moins au niveau de la population A. Les données fournies par l’étude montrent qu’il existe en la matière un noyau de contenu commun, mais qu’il est très restreint, se limitant presque exclusivement au travail élémentaire sur les figures planes et l’utilisation des coordonnées. D’autres sujets de géométrie .plane, tels que figures égales et figures semblables, sont traités dans la plupart des pays mais non dans tous. La visualisation spatiale ou d’autres sujets de la géométrie du solide sont un peu moins souvent abordés.

Le tableau 1 indique, pour la Colombie britannique, l’Ontario et le Canada, la quantité relative de géométrie contenue dans le programme prévu. Les nombres figurant dans chaque colonne représentent, pour chaque sujet de géométrie inclus dans le pool d’items de l’IEA, le pour-

24

Page 24: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie pour les enfants de 13 ans au Canada et aux Etats-Unis d’Amérique

centage d’items jugés appropriés par les comités de spécialistes de l’enseignement mathématique de chaque pays.

Tableau 1 Indices de couverture des différents sujets de géométrie

dans les programmes scolaires

Sujet Nombre Colombie Ontario Etats-Unis Britannique % % %

Classification des figures planes 6 83 100 83 Propriétés des figures planes 8 63 100 75 Coordonnées 7 43 71 57 Egalité des figures planes 4 50 100 75 Déductions simples 4 50 100 25 Visualisation spatiale 3 67 100 100 Figures planes semblables 6 33 100 83 Transformations non formalisées 4 0 100 0 Triangles de Pythagore 3 67 100 33 Transformations formalisées 4 25 25 0

L’ordre des sujets dans le tableau est celui de leur fréquence d’apparition dans les programmes des pays de I’IEA. Ainsi, les items de la catégorie Classification des figures planes sont ceux qui, dans l’ensemble des vingt pays de I’IEA, étaient jugés le plus appropriés tandis que les sujets correspondant à une approche formalisée de la géométrie des transfor- mations étaient jugés les moins adéquats.

Les résultats montrent qu’au niveau du programme prévu, les pro- grammes scolaires de l’Ontario contiennent beaucoup plus de géométrie que ceux de la Colombie britannique ou des Etats-Unis. On remarquera la place apparemment importante accordée à la géométrie des transfor- mations.

L’enseignement de la géométrie

La grande majorité (environ 70 nour cent) des professeurs nord- américains définissent leur approche pédagogique de la géométrie comme une approche euclidienne non formalisée, fondée sur le raisonnement inductif, la mesure et un appel à l’intuition de l’élève. Peu d’entre eux utilisent une approche formalisée ou vectorielle, mais la plupart incluent dans leur enseignement certains travaux sur les transformations et la géométrie des coordonnées, comme le montre le paragraphe précédent.

L’orientation adoptée par les professeurs apparaît en outre dans leurs réactions à une série d’énoncés sur les pratiques d’enseignement en géométrie. Presque 70 pour cent d’entre eux sont d’accord sur le

2.5

Page 25: L'Enseignement de la géométrie

David F. Robitaille et Kenneth J. Travers

fait qu’une approche intuitive de la géométrie a plus de sens pour les enfants de 13 ans qu’une approche formalisée et 7.5 pour cent pensent que l’utilisation d’accessoires et de modèles concrets est essen- tielle dans l’enseignement de la géométrie. Inversement, seulement 9 pour cent pensent que la maîtrise des procédures de déduction doit être un objectif important pour la géométrie à ce niveau et juste 20 pour cent d’entre eux pensent que la présentation du contenu de la géométrie doit suivre un ordre déterminé par un système d’axiomes.

En ce qui concerne l’utilisation de matériels, d’équipements et d’autres accessoires audiovisuels ou de matériel de laboratoire, les seuls matériels qui apparaissent largement répandus sont les règles, les compas, les rapporteurs et le papier millimétré. Les autres matériels (géoplanches, découpages ou formes en papier, modèles de solides tri- dimensionnels, films et films fixes, pliages de papier) sont rarement utilisés, ou même pas du tout, ce qui semble en contradiction avec l’importance que les maîtres attachent à l’utilisation de ces matériels et signifie peut être qu’ils n’y ont pas accès ou qu’ils sont réticents à les utiliser eux-mêmes, pour une raison ou une autre.

Près de 75 pour cent des professeurs sont d’accord sur le fait que les élèves doivent être entraînés aux constructions géométriques à la règle et au compas, et ceci est confirmé par les réponses où ils indiquent qu’ils utilisent les règles et les compas plus que tout autre matériel. On ne comprend pas très bien, cependant, pourquoi les sujets couramment désignés par la rubrique “copie ou bissection d’un angle, construction d’une médiatrice ou d’une droite parallèle à une donnée, etc.” appa- raissent si souvent dans le programme à ce niveau, car ces techniques sont rarement exploitées par la suite.

Les méthodes qu’emploient les professeurs dans l’enseignement de la géométrie varient selon les sujets. Dans certains cas, les professeurs présentent les concepts par des moyens concrets, en demandant, par exemple, aux élèves de mesurer des objets ou de collecter des données. Dans d’autres cas, la présentation est plutôt didactique : on énonce des règles et des définitions. Comme exemple de la première méthode, la plupart des professeurs disent qu’ils demandent aux élèves de mesurer les angles d’un triangle et d’en faire la somme, pour établir que la somme de ces angles est égale à 180”. En revanche, la plupart des professeurs enseignent les propriétés des droites parallèles à partir de définitions et d’exemples illustratifs. Un quart d’entre eux seulement environ ont recours à des activités de mesure ou à des exemples tirés du monde physique. Pour trois autres sujets : triangles égaux, théorème de Pythagore et triangles semblables, les professeurs avaient des opinions diverses ; ils se partagaient à peu près également entre trois ou quatre options, les unes abstraites et les autres concrètes.

26

Page 26: L'Enseignement de la géométrie

La géométrk pour les enfants de 13 ans au Canada et aux Etats-Unis d’Amérique

Les résultats des élèves en géométrie

Sur les 157 questions du pool d’items destiné à l’étude de la population A, 39 concernaient la géométrie. Le tableau 2 présente certaines données de base sur le degré d’adéquation de ces questions aux programmes nord-américains et sur les résultats des élèves les concernant.

Tableau 2 Statistiques sommaires - Items de géométrie

Pourcentage moyen de réponses correctes Adéquation aux programmes (pourcentage) Occasions d’apprentissage (pourcentage)

42 43 38

44 77 59

48 48 44

Etats-Unis

La moyenne internationale en géométrie pour l’ensemble des vingt pays était de 4 1 pour cent, mais la comparaison des résultats entre l’Amérique du Nord et les autres pays est difficile à faire dans le cas de la géométrie parce que les items convenant à tous les pays étaient en nombre relative- ment limité. Par exemple, le fait que les élèves de Colombie britannique avaient eu en moyenne 42 pour cent de réponses correctes et que les élèves belges aient obtenu un résultat presque identique n’est pas directe- ment interprétable, car les programmes de géométrie de ces deux pays sont radicalement différents.

Les données des deuxième et troisième lignes du tableau 2 montrent que seulement 44 pour cent des items de géométrie ont été considérés comme se rapportant au programme de la Colombie britannique par le comité de spécialistes des mathématiques de cette province, ce qui recoupe le chiffre de 48 pour cent concernant I’ODA fourni par les professeurs dont les élèves ont répondu à ces questions. Ces données nous indiquent que moins de la moitié des items correspondaient à des questions de géométrie ayant effectivement été enseignées à ces élèves.

Pour l’Ontario et les Etats-Unis, l’écart entre ces deux ensembles de résultats est beaucoup plus important, et témoigne de la différence qui peut exister dans un pays entre le programme prévu et le programme appliqué.

11 n’y a que deux items pour lesquels les données ODA dépassaient 75 pour cent dans les trois régions nord-américaines. Ce sont ceux des figures 1 et 2.

27

Page 27: L'Enseignement de la géométrie

David F. Robitaille et Kenneth J. Travers

Quel est l’angle aigu parmi les angles suivants ?

A. LL

B. b

D. <

c. L--.-

E. f7

Colombie britannique

Ontario Etats-Unis

Pourcentage de réponses exactes 57 76 52 ODA (pour cent) 79 92 86

Figure 1

28

Page 28: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie pour les enfants de 13 ans au Canada et aux Etats-Unis d’Amérique

Pourcentage de réponses exactes ODA (pour cent)

x est égal à A. 75 B. 70 C. 65 D. 60 E. 40

Colombie britannique

Ontario

71 73 52 84 84 82

Etats-Unis

Figure 2

Le fait que deux items seulement, ne nécessitant tous deux que la remémoration d’une définition ou l’application immédiate du théorème sur la somme des angles d’un triangle, aient obtenu des chiffres d’ODA élevés, est une nouvelle preuve du manque d’accord sur ce que doit être le contenu de l’enseignement de la géométrie. Dans le contexte nord- américain, cela indique peut-être aussi qu’un certain nombre de professeurs, à ce niveau, ne font figurer aucun élément de géométrie dans leur enseignement.

Une autre aspect intéressant des items de géométrie inclus dans l’étude de 1’IEA était la présence d’un certain nombre de questions telles que celle qui est présentée dans la figure 3, portant sur la visualisation spatiale. En général, les élèves ont répondu à ces questions beaucoup mieux que ne s’y attendaient leurs professeurs, si on en juge par les faibles chiffres d’ODA indiqués à leur propos. Pour l’item de la figure 3, par exemple, l’écart entre les chiffres de performance des élèves et les chiffres d’ODA dépasse dans tous les cas 40 pour cent.

29

Page 29: L'Enseignement de la géométrie

David F. Robitaille et Kenneth J. Travers

La figure ci-dessus montre un cube de bois dont un coin a été coupé et figure en gris. Parmi les dessins suivants, quel est celui qui représente le cube vu directement de dessus ?

A

ca ‘17

D

D

B

Ld

Colombie britannique

Ontario Etats-Unis d’Amérique

Pourcentage de réponses exactes ODA (pour cent)

75 66 60 21 18 17

Figure 3

Conclusion

En ce qui concerne la partie géométrie du programme de mathématiques en Amérique du Nord au niveau du premier cycle du secondaire (‘junior secondary ou middle schools), le tableau qui se dégage de l’analyse des

30

Page 30: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie pour les enfants de 13 ans au Canada et aux Etats-Unis d’Amérique

données obtenues dans la Deuxième étude internationale sur les mathé- matiques n’est pas particulièrement encourageante. On en retire l’im- pression d’un manque d’orientation clairement définie ou de progres- sion vers un but précis. Il y a de la géométrie au programme, mais personne ne semble savoir exactement pourquoi elle y figure, combien de temps il faut lui consacrer, ni quelle est la meilleure manière de l’enseigner. En fait, plus de la moité des professeurs ayant participé à l’étude consacraient à l’enseignement de la géométrie moins de 10 pour cent du temps alloué aux mathématiques pendant l’année scolaire.

31

Page 31: L'Enseignement de la géométrie

Emilio Lluis

L’enseignement de la géométrie en Amérique latine

La diversité dans I’hétérognéité

Si l’on me demandait ce qui caractérise actuellement l’enseignement de la géométrie en Amérique latine, je répondrais sans hésiter : l’absence d’idées sur ce qu’il convient d’enseigner. J’ajouterais que ce n’est pas propre à l’Amérique latine. Il y a dans le monde des pays qui comptent parmi les plus avancés et où s’affrontent à cet égard des points de vue radicalement opposés. Dans certains, la géométrie en tant que telle n’est pratiquement plus enseignée du tout. Dans d’autres où l’on respecte la tradition et oh l’on croit à la vertu formatrice de la géométrie pure, elle est enseignée comme matière à part entière et sur plusieurs années. Ailleurs encore, on invoque la rigueur facile de l’algèbre pour enseigner une géométrie dépouillée de ce qui fait sa spécificité et au contenu généralement appauvri.

L’Amérique latine, sans atteindre de tels extrêmes, traverse elle aussi une période d’indécision, de désorientation. Il est donc relative- ment difficile de donner une vision d’ensemble de l’enseignement actuel de la géométrie. Ajoutons que l’Amérique latine n’est pas d’une homo- généité parfaite. Peut-être pourrait-on classer les pays d’Amérique latine en trois régions présentant chacune des caractéristiques communes. La première comprendrait quelques pays du nord de l’Amérique du Sud, les pays de l’Amérique centrale, le Mexique et certains pays des Caraïbes. La deuxième correspondrait au Brésil, vaste territoire aux caractéristiques tout à fait originales. La troisième enfin se composerait de pays comme l’Argentine, le Chili et l’Uruguay. Par conséquent, les descriptions, données et observations figurant dans ce qui suit s’appliquent à telle ou telle de ces régions, mais pas nécessairement à l’ensemble des pays d’Amérique latine.

Comme la définition des différents cycles ou degrés d’enseignement varie elle aussi, il convient de préciser le sens de certaines expressions employées ici. Nous parlerons d’école primaire ou élémentaire pour les six premières années de scolarité (enfants âgés d’environ 6 à 11 ans), d’enseignement secondaire ou moyen pour les cinq on six années

33

Page 32: L'Enseignement de la géométrie

Emilio Lluis

suivantes (élèves approximativement âgés de 12 à 17 ans) et d’enseigne- ment supérieur ou universitaire au-delà.

Historique

Etant donné que l’enseignement actuel de la géométrie en Amérique latine est l’aboutissement d’une longue série de changements, il n’est pas inutile de recommencer par un bref rappel historique.

Si l’enseignement de l’arithmétique et de l’algèbre a été marqué pendant la première moitié du siècle par toute une série de modifications, celui de la géométrie a offert un panorama relativement stable. On peut dire que, dans l’enseignement primaire comme dans l’enseignement secondaire, on a enseigné la même géométrie du début du siècle jusqu’aux années 50 et 60. Cela représente donc un demi-siècle de stabilité. Certains manuels, comme le vénérable Wentworth et Smith (dont le copyright remonte à 1915) ont été utilisés tout au long de ces décennies dans de vastes régions de l’Amérique latine. Dans les autres, les manuels de géométrie étaient du même style. Précisons que, durant cette période, les effectifs scolaires sont demeurés relativement stables et que la formation géométrique des enseignants du secondaire était assez solide. Par conséquent, un pourcentage élevé de lycéens possédaient, à la fin de leurs études secondaires, une bonne connaissance de la géométrie euclidienne.

Cependant la difficulté qu’il y a à présenter correctement la géo- métrie au niveau des premières années de l’enseignement secondaire, jointe à la croissance démesurée des effectifs scolaires dans un grand nombre de pays, ce qui impliquait une formation accélérée des enseignants, a entraîné en l’espace de quelques années une sérieuse dégradation de l’enseignement de la géométrie. En plus, le nombre de cours de géométrie enseignés a subi une réduction spectaculaire. En voici un exemple :

Enseignement secondaire (élèves âgés de 12 à 17 ans)

Ande (approximative) 1870 1910 1960

Durée des études secondaires (en années) 4 4 5-6 Nombre total de cours enseignés 29 36 64 Nombre de cours de mathématiques 5 4 6 Nombre de cours de geométrie 2 2 1

On le voit, la place tenue par l’enseignement de la géométrie est tombée de 7 % à 5 %, puis à 1,5 %. Celle de l’enseignement des mathé- matiques est passée dans le même temps de 17 % à 11 % et à 9 %. En outre, le seul cours de géométrie qui ait été conservé était un cours de

34

Page 33: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement de la géométrie en Amérique latine

géométrie analytique enseigné dans les dernières années du secondaire, dont le contenu géométrique était à peu près nul.

Cette diminution du nombre de cours de géométrie a eu pour résultat de ne laisser subsister dans les programmes de mathématiques que quelques sujets de géométrie euclidienne, dispersés dans les cours d’algèbre et ne présentant plus entre eux de liens apparents : les sujets intéressants disparaissaient peu à peu de l’enseignement de la géométrie, qui finissait par se limiter aux éléments “ne requiérant pas de connais- sances préalables” ; il s’agissait pour l’essentiel de descriptions, de classifications, de résultats presque totalement dépourvus d’intérêt et, bien entendu, de “définitions”. C’est ainsi qu’en beaucoup d’endroits l’enseignement de la géométrie dans le secondaire atteignit son niveau le plus bas, ce dont il est facile de se convaincre en jetant un simple coup d’oeil aux manuels de l’époque (encore que, nous y insistons, certains pays aient fait exception).

Le point géométrique est un élément qui n’a pas de dimension quantifiable.

On appelle plan une surface plane illimitée. Le plan est un ensemble de points qui forment une surface entièrement

plane. (L’ouvrage passait pour moderne, dès lors qu’il utilisait la “théorie des ensembles”).

Une demi-droite est un ensemble infini de points faisant suite à une origine (ou sommet).

Les extrémités d’une ligne s’appellent des points. Un ensemble est fini quand on peut le compter dans un laps de temps

raisonnable.

influence des “mathématiques modernes”

Cette sombre époque où, dans beaucoup de pays. l’enseignement de la géométrie atteignait de tels abîmes est précisément celle qui a vu soudain faire irruption le flot impétueux de ce qu’on a appelé la “new math ” ou les “mathématiques modernes” (selon l’origine) dans le sillage duquel l’on ne devait pas tarder à proclamer “A bas Euclide !“, slogan absurde, soit dit en passant, dans tous les pays où Euclide avait cessé d’exister.

Avant de poursuivre notre historique, il faut peut-être souligner l’influence que les pays exercent les uns sur les autres. Cette influence est généralement grande, plus grande qu’on ne le croit. Et il est évident que l’influence principale est celle qu’exercent les pays les plus avancés. Un exemple : dans les pays de basse latitude, qui sont les pays proches de l’Equateur, les enfants dessinent la lune comme ceci :

3.5

Page 34: L'Enseignement de la géométrie

Emilie Lluis

alors qu’ils la voient comme cela :

L’influence en question est flagrante. La plupart du temps ce genre de choses ne pose pas de problèmes majeurs. Il arrive cependant qu’une influence excessive crée un véritable casse-tête. On a vu comment l’enseignement de la géométrie était devenu incohérent, soumis qu’il était à l’influence des “mathématiques modernes” qui s’imposaient aux cris d”‘A bas Euclide !“.

Face à l’impérieuse nécessité de s’adapter aux idées nouvelles, on introduisit une série de changements dont les résultats furent parfois bons, parfois passables, et souvent désastreux. Les exemples évoqués plus haut ont déjà un petit air de “mathématiques modernes” puisqu’ils se réfèrent à la fameuse “théorie des ensembles”, quand on y affirme, par exemple, qu“‘un plan est un ensemble de points qui forment une surface entièrement plane” ou encore qu“‘un ensemble est fini quand on peut le compter dans un laps de temps raisonnable”.

Nous citerons ci-dessous deux autres exemples qui donnent une idée des résultats auxquels conduisent pareilles influences (enseignement secondaire) :

1. Quand deux lignes ont un ou plusieurs points en commun, l’ensemble de ces points s’appelle intersection. On distingue, selon la nature de l’intersection, quatre catégories de lignes :

36

Page 35: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement de la géométrie en Amérique latine

Sécantes : un point d’intersection.

Incidentes : l’intersection est une ligne.

Tangentes : un point d’inter- section sans que les lignes se coupent. Coïncidentes : l’intersection est coextensive aux lignes.

2. Pour étudier les solides, il faut distinguer quatre sortes d’ensembles : les points, les lignes, les surfaces, les solides. Les points sont des éléments indivisibles. Les lignes sont des ensembles de points qui se succèdent en un tracé continu. (Autrement dit, quelque absurde que fût la “définition”, il suffisait de mots magiques comme “ensemble”, “élément”, ou “intersection” pour faire des “mathématiques modernes” puisqu’on utilisait la “théorie des ensembles”).

Les causes du déclin

Face à cette situation, on mesure la justesse d’une observation formulée dans un rapport d’A. G. Howson (Actes du troisième Congrès intema- tional sur l’enseignement mathématique, p. 205) : “Pendant les années 60, les matériels des projets étaient traduits et transférés entre [je dirais aux] pays sans qu’on réfléchît suffisamment aux différences sociales, éducatives et culturelles en jeu” [Traduit de l’anglais]. Les mots entre crochets figurent dans le rapport.

Nous parlerons plus loin de certaines de ces différences, mais nous voudrions auparavant nous arrêter sur les trois causes principales qui, d’après nous, ont précipité le déclin de l’enseignement de la géométrie. En premier lieu, on a répandu et accepté l’idée que l’essentiel, le plus important, était la “théorie des ensembles”, à laquelle on s’est mis à consacrer une grande partie de l’enseignement dans le primaire comme dans le secondaire. Comme par ailleurs ces notions étaient absentes de la formation des maîtres, leur enseignement prenait tellement de temps qu’il fallut sacrifier d’autres parties du programme, et ce fut presque toujours la géométrie. En deuxième lieu, même les enseignants qui connaissaient bien la géométrie euclidienne ne savaient pas s’il convenait ou non de l’enseigner (d’abord Euclide n’était pas moderne, et puis il y

37

Page 36: L'Enseignement de la géométrie

Emilio Lluis

avait tous ceux qui criaient “A bas Euclide” !). Enfin, l’enseignant qui décidait malgré tout d’enseigner la géométrie euclidienne était assailli de doutes sur la manière de procéder. Devait-il enseigner comme avant ? par les transformations ? les coordonnées ? les vecteurs ?

Quelques problémes particuliers

Nous avons déjà dit quelques mots de ce qui peut arriver dans un pays donné quand certaines des idées nouvelles “en vogue” dans les milieux internationaux sont reçues, adaptées, et à l’occasion adoptées. Les résultats sont parfois excellents, parfois movens, parfois aussi exécrables (nous en avons déjà vu quelques exemples). Cela dépend en grande partie des différences sociales, culturelles et éducatives. Les résultats sont bons lorsque le contexte national est identique au contexte des pays qui jouent le rôle principal dans le développement de ces idées. Dans le cas contraire, les résultats sont généralement mauvais.

Or il y a souvent des différences considérables, beaucoup plus grandes qu’on ne le pense. Même entre pays d’Amérique latine il y a de grandes différences. On trouvera ci-après des chiffres correspondant aux effectifs scolaires (et universitaires) d’un système éducatif typique d’une des régions considérées. (Les aspects sociaux et culturels sont plus difficiles à quantifier.)

5

4

3

2

1

6

5

4

3

2

1

6

5 4

3 2

1

6

5

4

3

2

1

-

.-- 23

22

21

20

19

18

17

16 15

14

13

12

11

10

9

8

7

6 -

Total enseignement supkieur universitaire et postuniversitaire 825 000

\ Population totale 70 000 000

Total enseignement secondaire 4 226 000

Total enseignement primaire 15 596 000

3 106 000 1

Effectifs 3 980 000

1

38

Page 37: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement de la géométrie en Amérique latine

Cela donne, dans ce cas comme dans beaucoup d’autres pays d’Amérique latine, une courbe du type suivant :

Dans les pays très avancés, on a sans doute des courbes qui présentent l’allure suivante :

39

Page 38: L'Enseignement de la géométrie

Emilio Lluis

Voici, à titre d’exemple, un graphe représentant la situation au Japon il y a dix ou quinze ans :

Etablissement*

r”p6rie”rco”n

(Enseignsmentparcorrespondence)

(Dans certains pays d’Amérique latine, on a une situation approchante. Mais ce sont des exceptions.)

On pourrait penser que ce type de courbe formant une pointe s’explique par une forte croissance de la population. Or la croissance démographique n’intervient que dans une faible mesure. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les chiffres ci-après qui correspondent à l’évolution d’une cohorte (Castrejon Diéz, 1983, p. 5 1):

40

Page 39: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement de la géométrie en Amérique latine

Evolution d’une cohorte :

An&e An&e d’ktudes

Effectif Taux de Nombre scolarisation d’abandons

1959 60 61 62 63 64

3 007 013 1 834 696 1 459 643 1 140398

969 543 900 259

65 66 67 68 69 70

8 9

10 11 12

329 550 240 464 204 069 137 905 104 147

91 212

71 13 84 816 72 14 64 282 73 15 57 559 74 16 43 208 75 17 36 867

100% 61% 49,74 % 37,92 % 32,24 % 29,97 %

10,63 % 8% 6,79 % 4,59 % 3,46 % 3,03 %

2,82 % 2,14 % 1,91 % 1,44 % 1,23 %

1 172317 375 053 319 245 170 855 69 284

580 709

79 086 36 395 66 164 33 758 12 935

6 396

20 534 6 723

14 351 6 341

Il suffit de jeter un coup d’oeil à des données de ce genre (bien élémentaires puisqu’elles ne prennent en considération que le nombre d’élèves) pour se faire une idée de la multiplicité des problèmes, qui peuvent ne pas même se poser dans les systèmes plus avancés. Par exemple, lors du colloque de la Commission internationale de l’enseigne- ment mathématique (CIEM) tenu à Varsovie en 1983, une des questions posées était la suivante : “Quel type de mathématiques faut-il enseigner dans les établissements du secondaire lorsque ces établissements n’ont plus pour objectif fondamental de préparer à l’Université ?”

Dans nombre de pays d’Amérique latine, cette question en recouvre beaucoup d’autres. Dans le cas de la géométrie, par exemple, on pourrait poser les questions suivantes : “Quelle géométrie faut-il enseigner dans le primaire quand on sait que 90 % des élèves n’iront pas au-delà?” En outre, compte tenu du très faible pourcentage de ceux qui feront des études supérieures complètes (prenons par exemple le chiffre de 1,23 % de la cohorte entrée à l’école primaire), mais aussi du rôle fondamental que ce groupe restreint est appelé à jouer dans l’avenir du pays, quelle géométrie convient-il d’enseigner tout au long de la scolarité ? Simple- ment celle qui est nécessaire à l’étude des autres matières ? Celle dont les élèves auront peutêtre besoin ultérieurement dans l’exercice de leur profession ? Celle qui offre une meilleure formation intellectuelle ? Ou un mélange des trois, et dans quelles proportions ?

Tel est le genre de question que se posent les autorités éducatives de nombreux pays et beaucoup de groupes de mathématiciens conscients des réalités. Nombreux sont ceux qui se refusent à minimiser l’impor-

41

Page 40: L'Enseignement de la géométrie

Emilio Lluis

tance de l’étude de la géométrie, qui leur paraît offrir la formation la plus propre au développement du raisonnement logique. Mais ils ne savent généralement pas comment procéder, surtout dans les sociétés où le système éducatif et la situation générale sont caractérisés par les problèmes évoqués plus haut.

Les traits dominants

Les antécédents historiques, les influences exercées par l’environnement international et les particularités régionales ou nationales ont abouti, nous l’avons vu, à des situations très diverses. Nous indiquerons, dans ce qui suit, quelques-uns des éléments qui caractérisent peut-être le mieux l’enseignement de la géométrie en Amérique latine.

1. Toutes les approches sont utilisées : la méthode euclidienne tradi- tionnelle (qui tend à disparaître rapidement) ; les méthodes fondées sur l’axiomatique de Hilbert (de plus en plus rarement) ; les méthodes fondées sur l’axiomatique de Birkhoff (s’inspirant, par exemple, de travaux du Mathematical Study Group) ; les méthodes utilisant les transformations (parfois dès l’école primaire) ; les méthodes vectorielles soit seules, soit associées à l’une ou l’autre des méthodes précédentes ; et enfin les coordonnées.

Deux observations s’imposent. En premier lieu, la méthode varie souvent dans un même pays, lorsqu’on passe d’un cycle d’enseignement à l’autre, à l’intérieur du même cycle. On arrive parfois à des extrêmes de ce genre :

Un élève commence à étudier la géométrie à l’école primaire à l’aide des symétries. En première année de l’enseignement secondaire, il passe à une géométrie de type euclidien. En deuxième année, il revient aux transformations. En troisième année, il apprend une géo- métrie dérivée de l’axiomatique de Hilbert et, en quatrième, de l’axio- matique de Birkhoff. En cinquième année, enfin, il utilise les coordonnées. Deuxième observation : même si dans un grand nombre de pays on présente la notionde coordonnées dèsl’enseignement primaire, on ne l’utilise de façon systématique qu’à la fin de l’enseignement secondaire en géométrie analytique. En outre, il se passe quelque chose de curieux : on ne sait presque jamais si ce que l’on fait consiste à introduire les coordonnées dans le plan ou l’espace euclidien, que l’élève connaît déjà, ou bien si l’on construit le plan et l’espace à partir de nombres réels. 2. Si l’on analyse les résultats sur la base de données dont on dispose, on arrive à la conclusion que le succès de l’enseignement de la géométrie a été pratiquement indépendant du choix de telle ou telle des méthodes évoquées plus haut. Le facteur déterminant a été, comme on pouvait s’y attendre, la qualité des groupes qui ont pris l’initiative d’introduire des

42

Page 41: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement de la géométrie en Amérique latine

changements, de leurs travaux personnels et leur travail avec les enseignants. 3. Un aspect déja mentionné est le fait que, dans le secondaire, lénseignement de la géométrie en soi a quasiment disparu. Même l’enseignement de la géométrie analytique est parfois incorporé aux enseignements de calcul différentiel et intégral. 4. Dans la plupart des pays d’Amérique latine, en l’espace de quelques années l’enseignement de la géométrie a fait l’objet de trop de réformes. (Cette observation vaut pour beaucoup d’autres pays dans le monde). Avant même qu’une réforme soit assimilée, une autre survient. En général, les réformes sont mises en oeuvre sans expérimentation suffisante (voire sans la moindre expérimentation). Le temps manque pour faire des évaluations d’autant que l’on ne dispose pas de documentation adéquate. La rapidité avec laquelle les réformes succèdent aux réformes s’explique principalement par l’influence de l’environnement intema- tional. Elle est également induite par l’augmentation rapide des effectifs scolaires et la diversification des études. 5. Dans plusieurs pays, il existe des groupes de mathématiciens qui conduisent d’utiles réflexions sur l’enseignement des mathématiques et en particulier de la géométrie. Tous ces groupes ont un point commun : ils manquent de moyens financiers. Leurs travaux sont très peu diffusés, leur collaboration pratiquement nulle. Les travaux du School Mathe- matics Project, des IREM (Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques), du Mathematical Study Group, etc. sont connus partout, mais les gens ignorent ce qui se fait dans les autres pays d’Amérique latine, voire ce qui s’élabore dans leur propre pays. 6. On peut en dire autant, à peu de chose près, des groupes qui mènent de remarquables travaux d’évaluation de l’enseignement. 7. La formation des enseignants est très variée. On trouvera dans un même pays, des enseignants du secondaire qui ont une excellente formation géométrique et d’autres qui n’en ont aucune. 8. Il n’y a pratiquement pas de recherches sur le type de mathématiques (et encore moins de géométrie) qu’il conviendra d’enseigner dans les différents pays d’Amérique latine au cours des décennies à venir.

Une renaissance ?

Ce qui est curieux, en fin de compte, c’est qu’en dépit des problèmes très particuliers que connaissent de nombreux pays d’Amérique latine, l’enseignement de la géométrie y donne à peu près les mêmes résultats que partout ailleurs dans le monde. Et, comme dans les autres régions du monde, de nombreux groupes de mathématiciens manifestent le désir de voir la géométrie - la plus ancienne des théories mathématiques, celle qui pendant de nombreux siècles a constitué la meilleure méthode de formation de l’humanité à la pensée logique et qui, brusquement, en l’espace de quelques décennies, a pratiquement disparu de l’enseigne-

43

Page 42: L'Enseignement de la géométrie

Emilio Lluis

ment - retrouver le rôle qui lui revient. Ils veulent que l’on puisse à nouveau dire en paraphrasant Polya : Geometry promotes the mind, car nous savons quelle géométrie il convient d’enseigner et nous sommes capables de l’enseigner correctement.

Références

CASTREJON DIÉz, J. 1983. Perjïles Educatives [Profils éducatifs]. Mexico, Univer- sidad National Autonoma de México.

CONGRÈS INTERNATIONAL SUR L’ENSEIGNEMENT MATHÉMATIQUE, 3e, Karlsruhe, 1976.

. 1977, Proceedings of the Third International Congress on Mathematical Education. Karlsruhe, Université de Karlsruhe.

44

Page 43: L'Enseignement de la géométrie

Lee Peng-yee, Lim Chong-keang

La géométrie en Asie du Sud-Est

Cette courte étude couvre les pays appartenant à l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) (Brunéi, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour et Thaïlande) ainsi que Hong-Kong. On peut, en gros, les classer en deux groupes : les pays à forte influence bri- tannique et ceux où apparaît plutôt l’influence américaine. Le premier groupe comprend Brunéi, la Malaisie, Singapour et Hong-Kong, et le second les autres pays. Dans tous les pays cités ci-dessus, sauf les Philippines, l’enseignement primaire et secondaire s’étend sur onze ou douze ans ; aux Philippines il ne s’étend que sur dix ans.

La plupart de ces pays souffrent à des degrés divers d’une pénurie d’écoles et de professeurs de mathématiques qualifiés.

Les “mathématiques nouvelles” : avant et aprb

La géométrie enseignée jusqu’à l’avènement de ce qu’on a appelé les “mathématiques nouvelles” était la géométrie euclidienne classique. Cet enseignement était déjà en déclin avant la réforme mais il s’est encore réduit ensuite. On cessa d’exiger la démonstration des théorèmes. En revanche, la géométrie des transformations fit son apparition dans les programmes.

Bien que, plus tard, on ait assisté à un mouvement de “retour aux bases”, cette réaction n’eut pas pour effet de rétablir la géométrie auparavant abandonnée. Dans la plupart des cas, on a conservé un peu de géométrie des transformations.

Les programmes

A l’examen des programmes, il apparaît que les sujets enseignés dans les écoles sont les suivants :

a. Géométrie euclidienne : angles, parallèles, triangles, cercles, égalité et similitude. Les démonstrations se limitent à des résultats simples, sans aborder, par exemple, le théorème du cercle des neuf points.

b. Géométrie analytique : droites, cercles et lieux géométriques. c. Géométrie des transformations : translation, rotation, symétrie

45

Page 44: L'Enseignement de la géométrie

Lee Peng-yee et Lim Chong-keang

axiale, et les transformations simples définies par les matrices deux x deux. La symétrie-translation ne figure généralement pas au pro- gramme.

d. Sujets connexes : vecteurs et trigonométrie, avec des problèmes tridimensionnels simples, comme la détermination d’une distance orthogonale.

11 existe, bien sûr, des variantes locales de ce résumé de programme mais on peut remarquer qu’on enseigne très peu de géométrie tridi- mensionnelle dans les écoles.

Les influences

Il existe plusieurs facteurs importants (sociaux, technologiques et commerciaux) qui influent sur l’enseignement de la géométrie à l’école. Le plus direct est peut-être l’influence des universités. Qu’on le veuille ou non, l’enseignement de l’école subit d’une façon ou d’une autre l’influence des programmes universitaires. Les programmes universi- taires dépendent beaucoup de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Actuellement, l’analyse et l’algèbre prédominent dans les mathématiques universitaires, ce qui ne favorisera pas les souhaits de tous ceux qui voudraient qu’on enseigne plus de géométrie à l’école.

En outre, l’industrie et le commerce sont de plus en plus tributaires des techniques de la statistique, de la recherche opérationnelle et de l’analyse numérique, et ces domaines, qui dérivent des mathématiques, sont l’objet d’un intérêt croissant. Certains d’entre eux ont déjà fait leur entrée dans les programmes scolaires, en particulier la statistique. La place accordée à la statistique réduit la part de la mécanique en- seignée dans les écoles et les universités.

L’enseignement de la mécanique à l’école est une tradition bien britannique. Elle aide les élèves à acquérir les concepts spatiaux tout en fournissant un modèle pour l’application des mathématiques. Comme les modèles statistiques remplacent graduellement les modèles physiques, la bataille en faveur de la géométrie, comme celle pour la mécanique, semble perdue d’avance.

Cependant, la menace la plus grave provient de l’informatique. Cette discipline met l’accent sur le calcul numérique et les algorithmes. Elle exerce déjà une grande pression sur les mathématiques universitaires et elle atteindra, à terme, les écoles. On peut donc prédire pour l’avenir proche une évolution de l’enseignement mathématique vers le discret et l’algorithmique, ce qui va directement à l’encontre des développe- ment des aspects géométriques. Nous devons trouver le moyen de nous adapter à cette nouvelle évolution sans sacrifier davantage la géométrie.

La formation initiale des maîtres est un autre facteur en cause. Qu’ils soient ou non diplômés de l’Université, les maîtres n’ont généralement pas eu l’occasion d’étudier de façon approfondie la géométrie au cours

46

Page 45: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie en Asie du Sud-Est

de leur formation. A cela s’ajoute le fait qu’ils n’ont pas une idée claire de la direction dans laquelle est orienté l’enseignement de la géométrie. Il en résulte que divers domaines de la géométrie (euclidienne, analytique ou des transformations) ne sont pas actuellement enseignés de manière unifée. Il en sera ainsi tant que nous continuerons à essayer de ranimer l’enseignement de la géométrie en nous tournant vers le passé. A cet égard, la Southeast Asian Mathematical Society recommande qu’on introduise davantage de géométrie vectorielle en dimension trois dans les programmes scolaires, ce qui est faisable et sera bien accepté. Cette recommandation concorde avec la tendance universitaire à englober la géométrie tridimensionnelle dans l’algèbre linéaire. Cela conduira aussi à l’enseignement des notions d’analyse liées à ce sujet dans le deuxième cycle du secondaire ou en première année de l’Université et permettra d’établir un lien entre divers sujets de géométrie actuellement enseignés dans les écoles.

Conclusions

Notre étude reflète peut-être des vues subjectives, mais elle rend compte de la situation de l’enseignement de la géométrie dans la région d’Asie du Sud-Est considérée. De nombreux débats sur la renaissance de la géométrie ont eu lieu dans la région comme dans d’autres parties du monde. On a élaboré des plans ; la volonté d’agir existe, de même que le désir de changement. Cependant, aucune succès n’a été enregistré jusqu’à présent. A partir de là, nous devons admettre les faits suivants :

a.

b.

C.

d.

On enseigne déjà moins de géométrie à l’école actuellement qu’auparavant. L’évolution de la situation ne favorise pas la renaissance de la géo- métrie classique. De nombreuses tentatives visant à introduire plus de géométrie à l’école ont échoué. Toute réforme future devra donc être tournée vers l’avenir et non vers le passé. Tant que nous n’accorderons pas plus d’attention à la formation des maîtres dans ce domaine, l’enseignement de la géométrie à l’école demeurera déficient.

47

Page 46: L'Enseignement de la géométrie

D. K. Sinha

La géométrie des transformations : rét Fospect ive

Dans l’histoire contemporaine de l’aménagement des programmes scolaires de mathématiques, aucun aspect n’a suscité, dans les milieux de la pédagogie mathématique, plus de polémiques et de passion que la géométrie. On l’a souvent attribué à l’offensive qui a été menée pour déloger la géométrie euclidienne de sa place séculaire dans les programmes scolaires. Cette offensive, nourrie de slogans comme “A bas Euclide !” et conduite principalement par le mathématicien français Dieudonné a eu tôt fait de déclencher des contre-offensives, aux cris de “Ne touchez pas à Euclide !“, de la part de ses admirateurs qui se sont mobilisés pour restaurer Euclide à la place qu’il occupait auparavant dans les mathé- matiques scolaires.

Une des retombées de cette polémique est qu’on a vu certains péda- gogues s’engager dans des voies nouvelles d’un grand intérêt, en s’écartant des solutions prônées tant par les partisans que par les détracteurs d’Euclide. Le rapport de la conférence d’Aarhus en témoigne (Benhke, 1960). 11 semble bien qu’Aarhus ait engendré plus de passion que de lumière, si l’on considére les vifs échanges de vues et les prises de position de mathématiciens de la stature de Dieudonné, Behnke, Freudenthal, Choquet et d’autres. Ce qu’on appelle la géométrie des transformations semble avoir fait les frais de ce genre de polémique. En effet, on en est arrivé au point où commence à s’installer l’idée que la géométrie des transformations est à l’opposé de ce que représente la géométrie euclidienne. Le bref exposé qui va suivre a pour objet de montrer que ce n’est pas exact et de convertir les idées fausses qui ont cours sur la géométrie des transformations. Nous présenterons aussi les principes qui ont présidé à l’élaboration d’un programme raisonnable d’enseignement de la géométrie des transformations, qui a été expéri- menté dans le contexte indien.

Quand on considère l’histoire des mathématiques, on constate que le développement de la géométrie n’a cessé de donner lieu à des con- troverses. On dirait que dès le moment où les mathématiciens ont commencé à s’interroger sur les insuffisances logiques du système d’Euclide, ils se sont escrimés à en élaborer des versions différentes. Ce qu’on observe aujourd’hui dans le domaine de l’enseignement des

49

--.- --- --

Page 47: L'Enseignement de la géométrie

D. K. Sinha

mathématiques n’est guère que l’aboutissement des différends qui ont marqué l’évolution de la géométrie. Personne, de nos jours, ne paraît s’offusquer que l’on traite les “points”, les “droites” et les “plans” comme des entités non définies (contrairement à ce que fit Euclide dans ses Eléments). De nombreux partisans d’Euclide semblent admettre la notion d“‘ordre” des points, concept singulièrement absent de la théorie d’Euclide (et à propos duquel on a proféré tant d’inexactitudes). Mais le principal point en discussion paraît être celui de 1“‘égalité” des figures. Or Euclide, énoncant l’idée de “superposition”, voyait bien que la superposition nécessite une certaine forme de “déplacement”, même si les mathématiaues dont il disposait alors n’étaient pas suffisantes pour donner une base à ce qu’il entendait par “déplacement”. Le géomètre italien du 19ème siècle Mario Perrenio reprit cette notion, mais là encore sans les fondements mathématiques nécessaires. Ce fut Félix Klein, dans les années 1870, qui en donna une version consistante, et ainsi naquit la “géométrie des transformations”. Euclide avait eu l’intuition géniale que le “déplacement”, ou son synonyme la “trans- formation”, est inévitable pour l’égalité de figures, et le grand mathé- maticien contemporain David Hilbert a rendu hommage à la clair- voyance d’Euclide sur ce point.

On n’a malheureusement pas accordé assez d’attention à la définition de la géométrie donnée par Félix Klein. Si on se donne la peine de l’étudier, on peut dire que la géométrie euclidienne est l’étude des transformations euclidiennes qui laissent invariantes les propriétés des figures géométriques. Les transformations fondamentales dans le plan euclidien sont les symétries axiales, les translations et les rotations. On dit que deux figures sont “égales” si, pour parler naïvement, on peut les faire coïncider par le moyen d’une ou de plusieurs de ces trans- formations ou bien, dans un langage plus rigoureux, si elles se corres- pondent par des transformations euclidiennes, dites encore isométries ou préservant l’égalité. Il n’y a donc pas d’opposition entre ce que cherchait à faire Euclide en son temps et les travaux menés par Klein avec les outils mathématiques de son époque. L’approche de Klein permet de renforcer, de réorganiser et de remanier la théorie d’Euclide. La géométrie des transformations est donc de la géométrie euclidienne. Il n’y a pas la moindre différence, sauf quand on prétend qu’il y en a une, soit par nostalgie, soit peut-être par obscurantisme.

Après avoir établi les raisons pour lesquelles les tranformations viennent améliorer la géométrie euclidienne, il reste à dissiper diverses inquiétudes à ce sujet sur le plan pédagogique. La question a été abondamment étudiée. On continue à attacher une grande importance à la dimension logique de l’enseignement de la géométrie. 11 semble qu’on craigne qu’une approche par les transformations ne permette pas le traitement axiomatique de la géométrie auquel nous tenons tellement. Que peut-on faire, devant les lacunes logiques de la théorie euclidienne ?

50

Page 48: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie des transformations : rétrospective

Aux Etats-Unis d’Amérique, le Groupe d’études des mathématiques scolaires (School Mathematics Study Group - SMSG) s’efforce de combler ces lacunes, ce qui donne une sorte de théorie d’Euclide modifiée. Le Comité des mathématiques scolaires de l’Université de l’Illinois (University of Illinois Committee on School Mathematics - UICSM) préconise un mélange des deux approches, solution qu’ont adoptée les responsables de 1’Etude pour l’améloriation des programmes de mathématiques de l’enseignement secondaire (Secondai-y School Mathematics Curriculum Improvement Study - SSMCIS). En Union soviétique, la balance penche entièrement en faveur de l’approche transformationnelle (comme le montrent les manuels bien connus de Koutouzov et Yaglom). Les projets britanniques semblent divisés sur ce point. Le Projet de mathématiques scolaires (School Mathematics Project - SMP) et le Groupe de mathématiques écossais (Scottish Mathematics Group - SMG) semblent favorables à l’approche par les transformations. La conférence de Ditchley avait pour but de sérier les problèmes dans ce domaine. Les documents britanniques ne semblent pas pousser l’approche par les transformations jusqu’à la démonstration logique des théorèmes, encore qu’il existe des tentatives limitées dans cette direction. Les travaux belges sont imprégnés des idées trans- formationnistes. Il en va de même en France, en République fédérale d’Allemagne et dans les pays nordiques, dans le cas de certains travaux.

Il est désormais admis que les activités pratiques constituent un moyen de rendre l’apprentissage des mathématiques plus efficace, notamment au niveau élémentaire et au niveau postélémentaire, mais

présecondaire. Mettons donc à profit cet article de foi, et ce principe d’action, l’enseignement de la géométrie à l’école. Il devient alors possible d’imaginer de nombreuses activités permettant de faire com- prendre les notions de symétrie axiale, de translation et de rotation, qu’on utilisera pour établir certaines propriétés géométriques. On peut aussi traiter de cette façon la composition des transformations, et établir jusqu’au niveau moyen (enfants d’au moins 13 ans) la base de tous les autres résultats qu’on prendra ensuite comme postulats ou comme axiomes pour développer une étude axiomatique de la géométrie. On peut auparavant, et c’est ce qui est fait en Inde, donner aux élèves une idée de la nécessité des axiomes en démontrant des théorèmes comme les suivants : “les angles opposés par le sommet de deux droites con- courantes sont égaux”, “les angles correspondants de deux droites parallèles sont égaux”, etc., (théorèmes qu’on peut démontrer en utili- sant des translations ou des symétries axiales simples). Après avoir établi la base d’un traitement axiomatique, on peut passer à la démons- tration des théorèmes bien connus sur l’égalité des triangles (côté-angle- côté, angle-angle-côté, côté-côté-côté, etc.). On peut ensuite aborder, bien entendu de façon axiomatique, les transformations qui concernent la grandeur et la similitude, avec un intermède consacré à des activités

51

Page 49: L'Enseignement de la géométrie

D.K.Sinha

pratiques permettant une approche concrète de ces transformations et de leurs relations mutuelles. L’étude axiomatique formelle peut com- mencer chez les enfants de 14 ans.

Cette expérience a été très fructueuse. Elle a dû être précédée d’une action massive de recyclage et d’orientation des professeurs, de manière à dissiper l’idée que la géométrie des transformations n’est pas de la géométrie euclidienne et à faire admettre le fait que tous les éléments fondamentaux de la théorie euclidienne peuvent subsister dans le cadre d’une approche par les transformations. On a, bien sûr, pu convaincre les détracteurs de cette approche, en introduisant la même méthode dans le cours de compléments de mathématiques, avec un certain formalisme justifié par la maturité des élèves à ce nivelu. Les bons élèves ont de toute évidence tiré bénéfice de cette appoche et leur succès a, d’une certaine façon, contribué à en rendre l’introduction plus aisée dans les classes élémentaires et moyennes.

Les matériels pédagogiques, les manuels destinés aux élèves, les livres du maître de l’Association indienne pour l’amélioration de l’enseignement des mathématiques (Indian Association for the Improvement of Mathematics Teaching - AIMT) et les actions de formation organisées par 1’AIMT ont beaucoup facilité l’introduction de la géométrie des transformations à l’école. Pour persévérer dans cette voie, il faut non seulement mettre en place des actions de formation continue des professeurs, mais encore veiller à ce que ces notions soient traitées dans l’enseignement universitaire, dans les programmes de formation initiale des maîtres, etc. On s’y emploie aussi, non sans rencontrer une certaine opposition, dans le contexte indien. On peut donc espérer que l’enseignement de la géométrie prospérera grâce aux transformations sans qu’on en vienne à l’idée erronée que celles-ci ont enterré la géométrie euclidienne. Il s’agit au contraire d’une résurrection !

Références

BEHNKE, H. et al. 1960. Lectures on Modern Teaching of Geometry and Related Topics, Aarhus, Mathematisk Institut.

52

Page 50: L'Enseignement de la géométrie

Adonis F. Labor

La géométrie au niveau du secondaire en Sierra-Leone

Cet article a pour but d’exposer les caractéristiques actuelles de l’ensei- gnement de la géométrie au niveau secondaire en Sierra-Leone. On décrira d’abord dans ses grandes lignes le système scolaire de ce pays. On donnera ensuite un compte rendu de la tentative de réforme de l’enseignement des mathématiques (géométrie comprise) qui a eu lieu dans la seconde moitié des années 70. L’article se terminera par une brève analyse des efforts faits récemment pour normaliser le contenu des mathématiques (y compris la géométrie) enseignées au niveau du secondaire.

Le système scolaire en Sierra-Leone

Le système classique d’enseignement en Sierra-Leone est constitué d’un cycle primaire de sept ans, d’un cycle d’enseignement général secondaire de cinq à sept années et d’un cycle d’études universitaires d’une durée de trois à cinq ans. Les élèves passent le General Certificate of Educa- tion (GCE), niveau ordinaire (0), à la fin des cinq premières années de l’enseignement secondaire. Les candidats reçus peuvent alors soit poursuivre leurs études secondaires pendant deux ans (classe 6) en vue de se présenter aux examens du GCE, niveau avancé (A), soit entrer directement à l’Universté pour suivre un enseignement de quatre ans.

Tout le système éducatif, y compris au niveau universitaire, relève du Ministère de l’éducation. Aux niveaux primaire et secondaire, l’ad- ministration des systèmes scolaires se fait cependant dans une grande mesure en coopération avec les autorités employeuses, qui comprennent les institutions religieuses, les autorités municipales et locales et des groupes privés.

Au niveau du primaire, le Ministère délègue l’administration des écoles à ces autorités employeuses. Il existe trois types principaux d’écoles primaires. Premièrement, les écoles subventionnées, administrées par les autorités employeuses au nom de 1’Etat ; elles bénéficient d’une subvention fixe pour leurs dépenses de fonctionnement et du paiement de la totalité des traitements des professeurs de l’école. Deuxièmement,

53

Page 51: L'Enseignement de la géométrie

Adonis F. Labor

les écoles indépendantes dont la propriété et le fonctionnement échap- pent entièrement au Ministère de l’éducation, mais qui satisfont aux normes de qualité pédagogique minimales fixées par le Ministère de l’éducation. Elles sont également défrayées de la totalité des traitements des professeurs qualifiés. Troisièmement, les écoles privées, qui ne reçoivent aucune subvention de 1’Etat.

Les écoles secondaires sont administrées par des conseils d’adminis- tration nommés en concertation par le Ministère de l’éducation, sur proposition des propriétaires des écoles. Il existe quelques écoles secon- daires appartenant à 1’Etat et fonctionnant sous sa direction. Certaines écoles primaires et secondaires ont un système de classes alternées.

La structure générale des programmes scolaires au niveau secondaire

Au niveau du secondaire, l’enseignement a surtout un caractère général, étant axé en grande partie sur l’examen du GCE, niveau 0, qui se passe à la fin de la cinquième année. Sur les 130 écoles secondaires, rares sont celles qui proposent un enseignement technique, professionnel ou agricole, bien qu’un effort considérable soit fait pour diversifier les enseignements offerts.

Dans l’ensemble, les trois premières années (classes 1, II et III) sont consacrées à un programme d’études générales, après quoi les élèves peuvent se spécialiser dans différents domaines comme les sciences, les lettres et les études commerciales dans les classes IV et V.

Les écoles sont libres d’organiser le contenu des cours comme elles le désirent, à condition de rester dans le cadre des directives du pro- gramme du GCE, niveau 0, établis par le West African Examinations Council (WAEC). En outre, les écoles (c’est-à-dire le personnel - directeur et professeurs - de chaque école) ont à tous les niveaux une entière liberté pour fixer les objectifs et les méthodes pédagogiques dans les matières enseignées.

La tentative d’introduction des “mathématiques nouvelles” dans les écoles de la Sierra-Leone

Une enquête du comité des manuels en 1974 a montré qu’une réforme approfondie de l’enseignement des mathématiques, aussi bien sur le plan du contenu que des méthodes, était nécessaire. On disposait des manuels du Programme régional ouest-africain de mathématiques (West African Regional Mathematics Programme - WARMP), élaborés en commun par des participants du Ghana, du Libéria et de la Sierra- Leone. Le gouvernement de la Sierra-Leone s’étant auparavant engagé à

54

Page 52: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie au niveau secondaire en Sierra-Leone

utiliser les matériels du WARMP, le Sous-comité des programmes pour l’enseignement des mathématiques aux niveaux du primaire, du secondaire et de la formation des maîtres a été chargé d’étudier la possibilité d’utiliser les ouvrages de la collection du WARMP (avec ou sans modifications) afin d’essayer de mettre en oeuvre une réforme de l’enseignement des mathématiques.

Après une série de débats faisant suite à un important travail sur le terrain, ce sous-comité a indiqué que la série de manuels destinés à l’enseignement primaire pouvait être adoptée sans modification, mais qu’en ce qui concerne le secondaire et la formation des maîtres les manuels demandaient à être modifiés et adaptés avant de pouvoir être utilisés.

Le gouvernement de la Sierra-Leone a décidé de suivre les recom- mandations du sous-comité des mathématiques et a confié à l’Institut pédagogique le soin d’introduire dans l’enseignement les manuels du WARMP ainsi que le recyclage des professeurs en vue de l’utilisation de ces manuels. C’est la Section mathématique de l’Unité pour la réforme des programmes scolaires de l’Institut pédagogique qui a Ia responsabiiité pratique de cette tâche.

En gros, les ouvrages du WARMP correspondent à un changement d’orientation de l’enseignement. Ils visent en particulier à aider les élèves à découvrir par eux-mêmes les notions mathématiques. Ils impliquent donc qu’au lieu de dispenser un enseignement magistral on s’attache à créer une situation qui incite les enfants à chercher et découvrir par eux-mêmes. Le rôle du maître devient alors d’aider les élèves à devenir des participants actifs dans l’apprentissage et la décou- verte des mathématiques. Une autre caractéristique notable de la série de manuels du WARMP est que, dans certains cas, on adopte une approche concrète, consistant à présenter certains sujets en liaison avec des activités pratiques effectuées par les élèves.

L’introduction de ces manuels dans les établissements d’enseigne- ment primaire et secondaire s’est faite selon une approche verticale modifiée. Ainsi, dans le primaire, on a introduit les manuels du WARMP en 1975 pour la première cuvée d’études primaires, en 1976 pour la deuxième année et en 1977 pour la troisième, les autres manuels de la série devant être adoptés les années suivantes. Dans le secondaire, les textes destinés au niveau 1 ont été introduits en 1976, et en 1977 pour le niveau II et, comme pour la série destinée à l’école primaire, on devait introduire les autres manuels successivement au cours des années suivantes.

Cependant, en 1978, un certain nombre de facteurs commencèrent à freiner l’introduction des manuels du WARMP dans les écoles primaires et secondaires : le coût excessif du recyclage aux mathématiques “nouvelles” des professeurs formés aux mathématiques traditionnelles ; le non-approvisionnement des écoles en manuels en raison des difficultés

55

Page 53: L'Enseignement de la géométrie

Adonis F. Labor

économiques empêchant de se procurer le logiciel nécessaire pour con- tinuer à imprimer et éditer les manuels et de faire appel à des éditeurs extérieurs ; et les réactions des parents qui ne pouvaient plus, à la maison, aider leurs enfants dans l’étude de ces mathématiques “nouvelles”. En 1980, la plupart des écoles étaient revenues aux mathématiques tradi- tionnelles enseignées avant l’introduction des manuels du WARMP. Actuellement, très peu d’écoles continuent à enseigner les mathémati- ques du WARMP.

La place de la géométrie dans l’enseignement secondaire : vue d’ensemble de la situation actuelle

Comme on l’a vu plus haut, le choix des objectifs, le contenu enseigné et les méthodes d’enseignement à utiliser sont, en géométrie, laissés en grande partie à l’appréciation des écoles elles-mêmes, donc du personnel du Département de mathématiques, puisque la géométrie fait partie de cette matière. Il en résulte qu’il n’existe pas de programmes ou de manuels de géométrie uniformes au niveau du secondaire. Cela compli- que encore le problème de l’enseignement scolaire de la géométrie, qui se ressent déjà d’une pénurie de professeurs de mathématiques compétents et qualifiés.

Chaque école élabore et applique son propre programme de géo- métrie. Les programmes détaillés des petites classes du secondaire (classes 1, II et III) sont établis par les enseignants. Ceux des grandes classes (classes IV et V) sont en général tirés du programme de mathé- matiques établi par le WAEC pour l’examen du GCE, niveau 0.

La liste des sujets qui suit est extraite du programme de mathé- matiques d’une des écoles et constitue sans doute un exemple représentatif de la géométrie enseignée au cours des cinq années du cycle secondaire actuel.

Exemple de programme

Classe / : Présentation non formalisée des plans, droites, points, angles et leurs relations. Parallélisme et orthogonalité. Unités de mesure (métriques et britanniques). Segment de droite. Tracé et mesure des angles. Utilisation du rapporteur.

Classe Il : Tracé des triangles, étant connus : les longueurs des trois côtés ; deux côtés et l’angle inclus ; un côté et deux angles. Initiation non formalisée aux polygones.

56

Page 54: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie au niveau secondaire en Sicrra-Leone

Types de triangles : dénominations et propriétés. Quadrilatères, parallélogrammes, rectangles et carrés. Tracé de droites parallèles.

C/asse ll/ : Bissection de segments de droite et d’angles. Reproduction d’un angle. Construction de médiatrices. Etude formalisée des polygones. Initiation aux cercles. Définition formalisée des angles particuliers : 30”, 45”, 60”, 90”.

C/asse /V : Construction des angles obtus supplémentaires des angles particuliers : 150”, 135”, 120”. Bissection de ces angles. Construction de quadrilatères à partir de données suffisantes. Etude non formalisée de l’interprétation du cercle, des médiatrices, et des bissectrices comme lieux géométriques.

C/asse V : Autres lieux géométriques. Cercles : segments, secteurs, tangentes et propriétés des tangentes. Plans et projections. Triangles semblables. Longitude et latitude.

Orientations futures pour la normalisation du contenu des mathématiques

Le contenu de la géométrie enseignée dans les diverses écoles et aux différents niveaux est très variable et, comme on peut s’y attendre, il en est de même des méthodes d’enseignement. A cause de cette diversité des contenus, les professeurs de mathématiques du secondaire ont dans leur ensemble commencé à se préoccuper de normaliser le programme de mathématiques pour les petites classes, en laissant les écoles utiliser, pour les grandes classes, le programme du GCE, niveau 0, établi par le WAEC. En réponse à une demande de l’Association des professeurs de mathématiques, une série de séminaires hebdomadaires a été organisée pendant l’année scolaire 1983- 1984, sous les auspices de l’Unité pour la réforme des mathématiques de l’Institut pédagogique. Un des objectifs de ces séminaires était de commencer l’élaboration d’un programme de mathématiques destiné aux petites classes des écoles secondaires pour l’ensemble de la Sierra-Leone. Le projet de programme de géométrie issu de ces séminaires est reproduit ci-dessous. Il a, depuis, été soumis au Ministère de l’éducation, dont on attend encore la décision.

57

Page 55: L'Enseignement de la géométrie

Adonis F. Labor

Entre-temps, les écoles continuent à avoir chacune leur propre pro- gramme.

Le projet de programme propos6 en géomdtrie

Classe / : Figures planes : plans, droites, points, angles (approche non formalisée). Parallélisme et orthogonalité. Construction de segments de droite, tracé et mesure des angles, utilisation du rapporteur, tracé de triangles, étant connus : trois côtés, deux côtés et l’angle inclus, un côté et deux angles.

Classe Il : Figures planes : Initiation non formalisée aux polygones, types de triangles (propriétés et dénominations). Quadrilatères et rectangles. Constructions : bissection de segments de droite et d’angles, reproduction d’un angle, tracé de droites parallèles, cons- truction de médiatrices.

Classe /Il : Figures planes : polygones (étude formalisée). Définition formelle des figures planes, des cercles. Constructions : construction d’angles particuliers : 60”, 90”, 30”, 45”. Construction de quadrilatères.

C/asses lVet V : Programme du GCE (niveau 0) établi par le WAEC.

Comme le montre ce projet de programme, le contenu géométrique recommandé pour les petites classes du secondaire est essentiellement euclidien. Il met l’accent sur les figures planes et les constructions géométriques. Ce projet de programme a pour but de permettre une certaine souplesse dans la méthode d’enseignement.

En définitive, ce sont surtout, bien entendu, les exigences de l’examen du WAEC niveau 0 qui déterminent le contenu de la géométrie enseignée en Sierra-Leone au niveau du secondaire. Il paraît donc opportun de conclure ce bref compte rendu en exposant en détail ce programme du GCE.

Programme de géométrie 6tabli par le WAEC pour l’examen du GCE, niveau 0

GEOMETRIE PLANE

Angles en un point : (a) la somme des angles en un point est égale à 360” ; (b) Les angles adjacents d’une droite sont supplémentaires ;

58

Page 56: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie au niveau secondaire en Sierra-Leone

(c) Les angles opposés par le sommet sont égaux. Propriétés des droites parallèles : (a) Les angles alternes sont égaux ; (b) Les angles correspondants sont égaux ; (c) Les angles internes opposés sont supplémentaires ; (d) Théorème d’égalité des segments interceptés. Triangles et autres polygones : (a) La somme des angles d’un triangle est égale à 2 droits ; (b) L’angle extérieur d’un triangle est égal à la somme des deux angles intérieurs opposés ; (c) Triangles égaux ; (d) Pro- priétés des triangles particuliers (isocèles, équilatéraux, rectangles) ; (e) Propriétés des quadrilatères particuliers (parallélogramme, losange, rectangle, carré, trapèze) ; (f) Propriétés des triangles semblables ; (g) Somme des angles d’un polygone ; (h) Propriétés des angles exté- rieurs d’un polygone. Cercles : (a) Propriétés des cordes ; (b) L’angle au centre qui intercepte un arc de cercle est le double de l’angle inscrit qui intercepte cet arc en tout point du reste de la circonférence ; (c) Tout angle inscrit sous-tendu par un diamètre est un angle droit ; (d) Les angles inscrits qui intercep- tent le même arc sont égaux ; (e) Les angles inscrits qui interceptent des arcs opposés sont supplémentaires ; (f) L’angle d’une demi-tangente avec une corde issue du point de contact est égal à l’angle inscrit qui intercepte le même arc ; (g) Le point de contact de deux cercles tangents est situé sur la droite des centres ; (h) Les segments des tangentes à un cercle issues d’un point extérieur sont égaux.

TRIGONOMETRIE ET GEOMETRIE APPLIQUEE

Fonctions trigonométriques : (a) S inus, cosinus, tangente d’un angle ; (b) Angles de site positifs et négatifs ; (c) Relèvement des coordonnées, règles du sinus et du cosinus. Longueurs et périmètres : (a) Utilisation du théorème de Pythagore pour déterminer les longueurs des côtés, les altitudes et les distances ; (b) Périmètres des figures planes. Aires : (a) Triangles et quadrilatères particuliers ; (b) Cercles et secteurs d’un cercle ; (c) Aire de la surface des solides de section transversale uniforme ; (d) Relation entre les aires des figures semblables. Volumes : (a) Solides de section transversale uniforme ; (b) Sphères, pyramides et cônes ; (c) Relation entre les volumes des figures semblables. Géométrie tridimensionnelle : (a) Dessin des solides ; (b) Droites paral- lèles ; (c) Plans parallèles ; (d) Normale à un plan ; (e) Angle d’une droite et d’un plan ; (f) Angle de deux plans ; (g) Dessin des solides et de leurs sections planes ; (h) Développements des solides courants. Constructions : (a) Bissectrices et médiatrices ; (b) Droite parallèle ou perpendiculaire à une droite donnée ; (c) Construction des angles de 60”, 45”, 30” et d’un angle égal à un angle donné ; (d) Construction des triangles à partir de données suffisantes ; (e) Construction des

59

Page 57: L'Enseignement de la géométrie

Adonis F. Labor

quadrilatères à partir de données suffisantes ; (f) Division d’un segment de droite en un nombre donné de parties égales ou dans un rapport donné ; (g) Tangentes à un cercle issues d’un point extérieur ; (h) Segment de cercle capable d’un angle donné. Lieux géométriques : (a) Points à distance donnée d’un point donné ; (b) Points à distance donnée d’une droite donnée ; (c) Points équidistants de deux points donnés ; (d) Points où un segment de droite donné sous- tend un angle donné (lieu des angles constants).

60

Page 58: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

La géométrie à l’école primaire : le possible et le souhaitable

Déclin et renaissance

Dans la plupart des systèmes scolaires, l’enseignement formalisé de la géométrie semble commencer à l’âge de 12 ans environ, du moins lorsque la géométrie est enseignée. Cette dernière restriction n’est pas superflue, car l’intérêt porté à la géométrie a décliné au cours des dernières décennies. Dans l’enseignement secondaire en particulier, le manque d’intérêt est tel que ce sujet en est arrivé à disparaître complète- ment du programme de certaines écoles.

La géométrie était autrefois la géométrie euclidienne, un bel exemple de science déductive. Ce n’est pas un hasard si la première leçon connue est la leçon expérimentale que Socrate a donnée à l’esclave de Ménon devant son maître. Elle se passa ainsi :

Socrate (à l’esclave) : Réponds-moi, toi. N’avons-nous pas ici un espace de quatre pieds. Sais-tu ? L’esclave : Oui. Socrate : Nous pouvons lui ajouter cet autre-ci, qui lui est égal. L’esclave : Oui. Socrate : Et ce troisième ici, égal à chacun des deux autres ? L’esclave : Oui. Socrate : Ne pouvons-nous pas compléter en ajoutant celui-ci dans le coin ? L’esclave : Nous le pouvons fort bien. Socrate : N’avons-nous pas ici à présent quatre espaces égaux ? L’esclave : Si. Socrate : Et tout cet espace-ci, de combien-est-il plus grand que celui-ci ? L’esclave : De quatre fois. Socrate : Or c’est un espace double qu’il nous fallait ; ne t’en souviens-tu pas ? L’esclave : Fort bien. Socrate : Cette ligne tirée d’un angle à l’autre ne coupe-t-elle pas en deux chacun de ces quatre espaces ?’

La plupart des mathématiciens pensent encore que la géométrie doit être enseignée selon un système déductif. Certains croient que la géométrie a 1. Platon. M&on. 85a. Traduction de Emile Chambry, Paris, Flammarion.

61

Page 59: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

échoué parce qu’elle n’était pas assez déductive. D’autres, comme Freudenthal (1973), pensent que la géométrie a échoué parce que son système déductif ne pouvait pas être réinventé par l’élève, mais seule- ment imposé par le professeur. A ce propos, nous devons admettre qu’il existe des gens qui ne construiront jamais un système déductif de leur crû et ne reconstruiront même pas le système de quelqu’un d’autre. Certains avanceront donc que les responsables du déclin de la géométrie dans l’enseignement des mathématiques sont ceux qui se sont opposés à l’innovation dans l’enseignement mathématique.

Cependant, il est surprenant de voir que, parallèlement à la désaffec- tion pour la géométrie au niveau du secondaire, ce sujet a suscité un intérêt croissant au niveau du primaire. Toutes sortes de propositions ont été émises. Pourtant, il n’existe pas encore de consensus sur ce qu’on doit enseigner aux écoliers du primaire. On admet cependant en général que la “perception de l’espace” doit y jouer un rôle essentiel.

Que signifie “perception de l’espace par des activités géométriques” ? Si elle commence par la perception de l’espace physique, la géométrie sera en prise directe sur la réalité quotidienne de l’environnement de l’enfant. Si on l’entend de cette façon, la géométrie peut être un excellent moyen d’enseigner des mathématiques riches de relations avec le réel. En fait, il n’est probablement pas d’expérience qui soit de nature à mieux former l’attitude mathématique que l’enseignement de la géométrie du réel.

La perception de l’espace

Aux Pays-Bas, Tatiana Ehrenfest a propagé cette approche dans une série d’articles (1931) et, vers les années 1920, par l’intermédiaire de groupes de travail. Aujourd’hui encore, certains lui opposent les objections suivantes :

“C’est de la physique expérimentale plus que des mathématiques”, et aussi : “Comment un professeur peut-il maintenir la discipline dans une classe où les enfants se déplacent un peu partout, comptent leurs pas, mesurent des distances, effectuent des visées et manipulent de la colle et des ciseaux ?”

Cette dernière objection demeure tout à fait valable, comme Alan Bishop (1982) l’a fait remarquer à la réunion de Mons sur l’enseigne- ment de la géométrie. 11 ne faut pas oublier que le professeur a affaire à trente enfants ou plus dans sa classe. Dans ces conditions, il lui est quasiment impossible de consacrer son attention aux différents élèves pris individuellement ou aux activités de petits groupes. Comment donc créer un environnement optimal pour l’enseignement de la géométrie ? La question n’a toujours pas trouvé de réponse.

62

Page 60: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie a l’école primaire : le possible et le souhaitable

La meilleure façon d’enseigner une activité est de la montrer, disait Comenius. Le reste de cet article sera consacré à la présentation d’exemples variés dont l’expérience a montré que ce sont des activités réalisables au niveau de l’école primaire.

Cultiver les dons d’observation

Point n’est besoin d’être psychologue pour observer comment un enfant apprend à se mouvoir dans son environnement au cours des premières années de sa vie. En regardant et en agissant, l’enfant découvre son environnement. Les premiers concepts intuitifs de forme, grandeur, intérieur et extérieur, horizontal et vertical, direction, distance, devant et derrière, se forment tous pendant cette période. Nous n’aborderons pas la façon dont cela se produit. Le fait est, en tout cas, que les enfants de quatre ans entrent à la maternelle avec l’expérience intuitive de l’espace tridimensionnel. Le moment est alors venu de développer leur perception de quelques concepts géométriques élémentaires. On ajoute le raisonnement à l’observation et à l’action.

Les enfants jouent avec des perles et des cubes. Ils font des construc- tions dans le bac de sable, ils s’essaient aux puzzles, font des mosaïques, dessinent, collent et découpent. Tout cela est de la géométrie. Afin de développer leur orientation dans l’espace, il existe diverses activités d’observation convenant à ce groupe d’âge, telles que les suivantes :

a. Regarde la figure de la maîtresse. Peux-tu la cacher avec le bout de ton doigt ?

b. Ce morceau de carton a un trou. Comment dois-tu le tenir et où dois-tu te placer pour voir à travers le tableau qui est au mur ?

c. Le camion que nous voyons du cinquième étage n’est pas plus long que mon doigt !

d. Les voies de chemin de fer semblent se rejoindre au loin. e. Dans quelle direction cet oiseau vole-t-il ? f. Pourquoi cet avion va-t-il si lentement ? g. Qu’est-ce qui est plus gros, le soleil ou la lune ?

63

Page 61: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

h. Est-ce que la lune nous suit ? * f :

Nous voyons le ramoneur sur le toit. Peut-il nous voir ? Que peut-on voir dans une pièce quand on regarde à l’intérieur de l’extérieur ?

k. D’où viennent les ombres ? 1. A quoi l’ombre de cette forme ressemblera-t-elle ?

Une activité qui peut être stimulante pour les enfants est de leur faire construire une “boîte-paysage” (IOWO, 1976 d, p. 198). La construction d’une scène dans une boîte à chaussures est une occupation très appréciée des enfants hollandais. On remplace le couvercle de la boîte par un papier transparent (parfois coloré). Dans un des petits côtés on perce un trou pour pouvoir regarder. On crée un paysage ou un intérieur en plaçant des objets dans la boîte. Le fait de regarder par le trou d’un seul oeil augmente l’impression de profondeur et de grandeur de la scène représentee. Nous appellerons ce jouet une boîte-paysage.

La construction d’une boîte-paysage fait apparaître plusieurs idées mathématiques importantes :

La grandeur : La hauteur de la boîte détermine la taille des figurines. On ne s’occupe pas de la proportion des figurines entre elles. L’emplacement : Quand on place les figurines, on se pose la question : seront-elles visibles ? Ce qui introduit divers concepts : près-loin ; devant-derrière ; petit-grand ; gauche-droite. Changement de point de vue : Les figurines sont placées verticalement, mais on regarde par le trou horizontalement. Emplacement des décors : En plaçant un “mur” dans la boîte, on peut déterminer ce qui est visible et ce qui ne l’est pas. On peut le faire manuellement ou visuellement. Déconnexion de la coordination oeil-main :“faire” et “voir” ne sont pas simultanés. La coordination oeil-main est donc rompue. On place les figurines manuellement mais, quand le tableau est terminé, on peut les voir à travers le trou. Structure : Si on divise le fond de la boîte en carrés d’herbe, de sable, de terre, de cailloux, etc., on peut les utiliser pour décrire la position d’une figurine. Si ces compartiments ne sont pas colorés, on peut employer des termes comme : “le carré de devant à gauche”, “le carré de derrière”, etc. C’est une initiation à la structure de treillis.

Tout cela est de la mathématique, bien qu’à divers niveaux de développe- ment.

Problémes d’observation

A partir d’un dessin représentant une île imaginaire, on pose toutes

64

Page 62: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie à l%cole primaire : le possible et le souhaitable

sortes de questions en rapport avec l’orientation spatiale (IOWO, 1976 a, p. 204,206-207) :

I I

D’OU cette vue a-t-elle été prise 7

Ou bien, avec un rétroprojecteur, on projette sur le mur l’image de la “montagne de cubes” :

65

Page 63: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

On pose ensuite des questions de ce type : Comment peut-on escalader la montagne ? Montre un bon itinéraire. Peux-tu construire cette montagne avec des cubes ? Combien de temps cela prendrait-il ? Combien faudrait-il de cubes ? Ou bien : regarde ces assemblages :

Lesquels pourrais-tu construire ? Peut-on utiliser de la colle ?

Ou bien ce problème d’escaliers :

Quel est le chemin qui mène au sommet 7

Si l’on pense que la car[e d’une île est une représentation trop difficile, on peut utiliser une maquette, comme l’ont fait les auteurs du projet OSM (Gravemeijer, 1983).

66

Page 64: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie à l’école primaire : le possible et le souhaitable

D’où ces vues ont-elles été prises ? On peut résoudre le problème de plusieurs façons différentes. On peut tourner autour de la maquette et la regarder sous de nombreux angles différents. On se forme alors une image mentale de la situation, et on peut réfléchir sur cette image mentale.

L’orientation spatiale constitue une source d’activités mathématiques nombreuses. On peut, par exemple, utiliser des concepts arithmétiques pour décrire une situation ; on peut présenter la rotation, la translation et la symétrie axiale des figures (dans le plan) ; on peut aussi employer des schémas et des cartes, et des photographies.

Voici un autre problème à base d’images. La carte représente la zone côtière de Wemelringe-sur-mer (IOWO, 1976 h, p. 2 16-217) :

Wemelringe aan Zee

lcm represente en réalite %km _

67

Page 65: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

Un remorqueur, le Bermuda, longe la côte près du village de Wemelringe. Au passage, le capitaine reconnaît un certains nombre d’amers : l’église, le moulin et le phare. 11 prend des photographies. Voici les photos que le capitaine du Bermuda a prises à son passage devant Wemelringe. Malheureusement, elles sont tombées par terre et se sont mélangées. Peut-on les remettre dans le bon ordre ?’

b

d

Dans quel ordre les photos on t-elles été prises 7

Les ombres

Les ombres constituent un thème fructueux pour toutes sortes d’activités mathématiques.

Le fait que la lumière se propage en ligne droite est pour beaucoup d’enfants une surprise. Une expérience simple le leur fera découvrir (Schoemaker et al., 198 1). On colle un petit morceau de papier sur une fenêtre. On essaie “d’attraper” son ombre quelque part entre la fenêtre

68

Page 66: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie a l’école primaire : le possible et le souhaitable

et le plancher. On suit alors l’ombre sur toute sa longueur jusqu’au plancher. Il s’avère que ce n’est pas facile du tout !

On peut utiliser le “modèle des ombres” pour une initiation aux proportions. Il y a plusieurs façons d’étudier le rapport entre la longueur réelle d’un objet et la longueur de son ombre. Voici une tâche possible : “Quelle est la hauteur de l’immeuble situé près de l’école ?”

Il y a plusieurs moyens de trouver la réponse. On peut comparer la longueur de l’ombre d’un bâton placé verticalement avec la longueur de l’ombre de l’immeuble. On obtient ainsi une assez bonne estimation de la hauteur de l’immeuble. On peut préparer les enfants à cette activité par des travaux où interviennent les rapports et les calculs sur les rapports. L’exemple suivant est tiré d’une feuille d’exercices (IOWO, 1976 c, p. 276) :

DESSINE L’OMBRE DE CHAQUE IMMEUBLE

69

Page 67: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

Goddijn (1983) donne un autre exemple : Il fait du soleil. On a déjà figuré sur l’image l’ombre d’un des poteaux. Dessine l’ombre de tous les autres poteaux. Dessine aussi l’ombre du réverbère.

La nuit, il n’y a pas de soleil, mais le réverbère est allumé. Dessine maintenant les ombres des petits poteaux éclairés par le réverbère.

Voici une autre situation : Tu marches dans la rue la nuit. Ton ombre te suit. Quand tu passes devant le réverbère, ton ombre te rattrape et passe ensuite devant toi. Elle finit par disparaître. Au réver- bère suivant, l’ombre te rattrape à nouveau. Voici quelques questions : Quand tu approches du réverbère, ton ombre devient-elle plus grande ou plus petite ? Et quand tu t’éloignes du réverbère ? Pourquoi ton ombre se déplace-t-elle plus vite que toi ?

Quelques problèmes

En voici un très intéressant : Quelle doit être la longueur d’un miroir pour que tu puisses t’y voir en entier ? Même au niveau des professeurs ce problème n’est pas très simple (Schoemaker, 1984). Citons deux réactions spontanées :

“Un très petit miroir suffit si on se recule suffisamment”. “Le miroir doit être aussi haut que moi, sinon je ne pourrai pas voir mes pieds.” Il va sans dire que les deux réponses sont fausses !

70

Page 68: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie a l’école primaire : le possible et le souhaitable

Autre problème : Plus on s’approche et moins on voit ! C’est le problème du gardien de phare (Schoemaker, 1979).

I

Il marche vers le phare. Derrière le phare, des lapins jouent dans l’herbe. De retour à la maison, il dit à ses enfants : “Quand j’approche du phare, je suis plus près des lapins. Bien qu’ils ne s’enfuient pas, plus je me rapproche des lapins et moins je les vois. Pourquoi ‘!

lapins

phare

Maintenant un problème de perspective.

71

Page 69: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

“La tour est-elle plus haute que le pont-levis ? Explique ta réponse.” Sans préparation adéquate, c’est un problème très difficile. Chacun connaît ce phénomène, mais rares sont les gens capables de l’expliquer. L’inventeur du problème espérait que les élèves construiraient plus ou moins spontanément une vue de profil (comme celle-ci), mais cela

PONT-LEVIS j7, TOUR 1!

n’a pas été le cas. Pourtant, dès qu’il eut suggéré une vue de profil, les élèves furent capables d’exprimer des idées judicieuses. Bien que pro- posés à des enfants de 12 et 13 ans, ces problèmes se sont avérés présenter de nombreuses difficultés.

Le forme de la Terre :

“Comment sais-tu que la Terre est une sphère ?” “Parce que, quand on est sur la plage et qu’un bateau approche de la côte, on en voit d’abord la partie supérieure, et c’est seulement plus tard qu’on voir le bateau tout entier”.

Cette réponse n’est peut-être pas tout à fait correcte, mais la suivante est très ingénieuse :

“Sur une photo de la Terre prise d’un satellite, on voit un cercle”. Le professeur : “Mais ce pourrait être un disque plat ?” “Non, parce que, quel que soit l’endroit où se trouve le satellite, c’est toujours un cercle”.

Classement des objets

Une des meilleures manières d’initier les enfants au monde des configu- rations et des formes est de leur faire collecter des emballages (boîtes en carton on en métal, boîtes de conserves, etc.) (Sweers, 1978). Une

72

Page 70: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie 1 l’école primaire : le possible et le souhaitable

question vient presque spontanément à l’esprit : comment classer ces objets ? Il y a, bien sür, plusieurs possibilités :

selon le contenu ; selon la taille (qu’est-ce que la taille ?> ; selon qu’il y a on non des arêtes ; selon le matériau (papier, métal, plastique) ; selon la forme. Après discussion, on peut choisir la dernière possibilité et classer les objets selon leur forme géométrique : cubes, cylindres, pyramides, prismes, etc. D’autres activités sont aussi possibles :

Comment construire une boîte ? Comment dessiner une boîte (ou un cylindre ou une pyramide) de la facon la plus réaliste possible ?

Rapport et proportion

On peut présenter les rapports et les proportions, ainsi que les angles, en utilisant les ombres, comme on l’a vu plus haut. Il y a bien sûr d’autres possibilités. L’une d’elles est une expérience reposant sur le vol d’avions en papier (Lange, 1984). Il existe de nombreuses façons de fabriquer rapidement un avion en papier capable de voler, et cette activité présente en soi certains aspects géométriques intéressants. Mais ces avions en papier peuvent aussi servir à diverses expériences. Il faut qu’ils puissent voler convenablement, c’est-à-dire à peu près en ligne droite. Une activité intéressante est la comparaison des performances des différents avions. On peut le faire en notant la distance de vol de chaque avion en fonction de la hauteur de départ.

La hauteur h sera bien sûr différente pour chaque élève (mais plus ou moins constante pour un élève donné) tandis que la distance parcourue sera variable. Comparons deux avions :

73

------- -..^. - .ll-

Page 71: L'Enseignement de la géométrie

Avion 2 : h 120

n d 600

Avion 1 : h 90 90 90 90

d 450 400 360 500 480

b;-,fl 120 120 120

550 620 550 580

En ce qui concerne l’avion ques essais supplémentaires sur lu distance de vol.

Jan de Lange Jzn

l? il semble nécessaire d’effectuer quel- pour pouvoir arriver à des conclusions

L’avion 2 fonctionne très correctement. On peut dire qu’il parcourt environ 5 80 cm quand on le lance d’une hauteur de 120 cm.

Après quelques autres essais avec l’avion 1, on peut raisonnablement affirmer qu’il parcourt environ 480 cm quand on le lance d’une hauteur de 90 cm.

La question se pose alors : “Quel est l’avion qui vole le mieux ?” Cela conduit directement à divers aspects des rapports, proportions, fractions, angles et pourcentages.

Une façon assez simple de résoudre le problème de façon géo- métrique consiste à faire des dessins à l’échelle, à les découper et à les superposer pour comparer les “angles de descente” :

C

--

/--

90 -- - - 480

Plus l’angle est petit, meilleur est l’avion ! Pourquoi ?

74

Page 72: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie a l’école primaire : le possible et le souhaitable

Aires

Il n’y a pas que les angles que l’on puisse comparer par des découpages, on peut aussi comparer les aires de façon analogue :

---

\-----\[ j[

Quel est le plus gros morceau de gâteau ?

L’étape suivante consiste à découper mentalement le papier. A la fin, on attribue une mesure à l’aire.

Un projet intitulé “jardins” fournit un grand nombre de problèmes (Dagger, 1982).

Un club dont les membres veulent cultiver toute sorte de légumes a acheté un terrain. Chacun veut avoir sa petite parcelle personnelle. Le terrain a la forme suivante :

75

Page 73: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

Quelle est l’aire totale du terrain ? Comment peut-on diviser le terrain en un grand nombre de petites parcelles ? Un des problèmes portait sur la parcelle suivante :

Son loyer est de 10 florins par an. Dessine d’autres parcelles dont le loyer est le même. Voici quelques réponses. Elles ne sont pas toutes exactes, mais toutes sont ingénieuses.

Autres problèmes sur les symétries axiales

Les “cartes à miroir” peuvent être très utiles (Walter, 1966 ; Spiegel, 1984). Voici une carte à miroir.

L’enfant doit placer un miroir sur cette carte (à angle droit) et essayer de trouver, parmi les images ci-dessous, celles que l’on peut obtenir et celles qui sont irréalisables de cette facon.

76

Page 74: L'Enseignement de la géométrie

A un niveau .l moins élevé, on donne aux enfants des autocollants

La géométrie a l’école primaire : le possible et le souhaitable

rouges et verts en forme de triangle (Gravemeijer, 1983) :

rouge vert

77

Page 75: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

Le problème est de déterminer la place où, dans la figure suivante, s’adapte l’autocollant vert :

On peut poursuivre cette activité avec une histoire de bateaux. Les bateaux ont des lanternes rouges et vertes. La lanterne verte est sur le côté droit et la lanterne rouge est sur le côté gauche, en regardant vers l’avant du bateau.

rouge vert

En regardant les lanternes, on peut donc savoir si le bateau s’approche ou s’éloigne, comme on le voit ici :

rouge vert vert vert rouge

le bateau s’eloigne le bateau passe en se dirigeant vers la droite

le bateau approche

Des autocollants de couleur représentent les lanternes du bateau :

78

Page 76: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie à l’école primaire : le possible et le souhaitable

On donne aux élèves un “bateau” dont ils peuvent se servir pour résoudre les problèmes :

Exemple de problème :

L’image montre les déplacements d’un bateau. Indique les lanternes que tu verrais du phare et du moulin au cours du voyage du bateau.

79

Page 77: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

Voici un autre exemple intéressant : Répare l’assiette cassée avec le miroir :

Assiette cassée

Essai

Réparation réussie

Cette activité donne lieu à une rétroaction intéressante. Au cours de l’expérience, l’enfant “sent” qu’il approche de la solution. Ce sentiment lui permet finalement d’expliquer pourquoi sa solution est la bonne.

Terminons avec un problème bien connu : Pourquoi un miroir échange-t-il la droite et la gauche et non le haut et le bas ? Que se passe-t-il si je ne suis pas debout, mais couché devant le miroir ?

80

Page 78: L'Enseignement de la géométrie

La géométrie à l’école primaire : le possible et le souhaitable

Remarques finales

“La géométrie à l’école primaire : le possible et le souhaitable”, tel est le titre de cet article. Ce que j’ai décrit n’est pas un projet de programme de géométrie pour le primaire. Il s’agit simplement d’un certain nombre d’activités de nature géométrique, principalement dans le contexte de la “perception de l’espace”. Il semble très souhaitable, pour le moins, de développer cet aspect. Cependant, il est évidemment nécessaire que cette action se poursuive aux niveaux secondaire et supérieur. Les exemples donnés ici ne sont pas imaginaires. Tous ont été expérimentés dans des écoles sur une assez grande échelle.

Il est.bon de remarquer le regain d’intérêt pour la géométrie. Comme on l’a dit précédemment, il est certain qu’on s’intéresse de plus en plus à la géométrie au niveau de l’enseignement primaire mais, dans certains pays, il existe aussi un mouvement de “retour à la géométrie” au niveau du secondaire. Cela va dans le bon sens. Comme l’a dit un Hollandais au 17ème siècle : “La connaissance de la géométrie est le premier pas pour devenir un homme sensé”.

Références

BISHOP, A. J. 1982. Towards Relevance in the Teaching of Geometry Teaching. Dans: G. Noel (dir. pub.), [Proceedings of the] Intemationnl Colloquium on Geometry Teaching, Mons, 1982, p. 71-82. Mons, Université de 1’Etat à Mons.

DOGGER, A. 1982. Oppervlakte bij Wiskobas en inzichtverwervend handelen [L’aire selon Wiskobas dans les manipulations d’initiation] . Utrecht, Vakgroep OW & OC [Groupe de recherche sur l’enseignement des mathématiques et Centre de calcul] , Université d’Utrecht.

EHRENFEST-AFANASSJEWA, T. 193 1. Uebungensammlung zu einer geometrischen Propüdeuse. La Haye, Nijhoff.

FREUDENTHAL, H. 1973. Muthematics as an Educational Tusk. Dordrecht, Reidel. GODDIJN, A. 1983. Shadow and Depth. Utrecht, Vakgroep OW & OC [Groupe de

recherche sur l’enseignement des mathématiques et Centre de calcul] , Univer- sité d’Utrecht.

GRAVEMEIJER, K. 1983. Ruimtelijke oriëntatie in het Programme Rekenen en Wiskunde [L’orientation spatiale en arithmétique et en mathématique] Dans : PANAMA cursus boek 1. Utrecht, Vakgroep OW & OC [Groupe de recherche surl’enseignement desmathématiqueset Centre de calcul] , Université d’Utrecht.

INSTITU~T ONTWIKKELING WISKUNDE ONDERWIJS (IOWO). 1976~. An Island of Geometry. Educational Studies in Mathematics (Dordrecht/Boston), Vol. 7, No. 3,1976, p. 203-210. (Numéro spécial : Cinq années d’IOW0.)

1976b. Ship Ahoy. EducationalStudiesin Mathematics (Dordrecht/Boston), vol. 7, No. 3,1976, p. 21 l-223. (Numéro spécial : Cinq années d’IOW0.)

. 1976~. Some Lessons in Ratio. Educational Studies in Mathematics

81

Page 79: L'Enseignement de la géométrie

Jan de Lange Jzn

(Dordrecht/Boston), Vol. 7, Nol 3, 1976, p. 259-317. (Numéro spécial : Cinq années d’IOW0.)

. 1976d. The View Box. Educational Studies in Mathematics (Dordrecht/ Boston), Vol. 7, No. 3, 1976, p. 197-203. (Numéro spécial : Cinq années d’IOW0 .)

LANGE, J. de. 1984. Mathematik mit Papierflieger [Mathématiques avec des avions en papier]. Mathematik lehren (Seelze, République fédérale d’Allemagne), No. 6.

SCHOEMAKER, G. 1979. Zie je wel [Maintenant, je vois!]. Utrecht, IOWO/Vakgroep OW & OC [Groupe de recherche sur l’enseignement des mathématiques et Centre de calcul] , Université d’Utrecht.

1984. Sieh dich ganz im Spiegel [Puis-je me voir en entier dans le miroir ?] . Mathematik Zehren (Seelze, République fédérale d’Allemagne), No. 3.

SCHOEMAKER, G. ; GODDLIN, A. ; LANGE, J. de ; KINDT, M. 1981. Neuer Geo- metrie-Unterricht auf der Sekundarstufe [Nouvel enseignement de la géométrie au niveau secondaire]. Dans : Fragen des Geometrieunterrichts [Questions sur l’enseignement de la géométrie] . Koln, Aulis Verlag Deubner & CO.

SPIEGEL, H. 1984. Entdeckungen mit Spiegelkarten [Découvertes avec les cartes à miroir]. Mathematik lehren (Seelze, République fédérale d’Allemagne), No. 3.

SWEERS, W. 1978. Verpakkingen [Les emballages]. Utrecht, IOWO/Vakgroep OW & OC [Groupe de recherche sur l’enseignement des mathématiques et Centre de calcul] , Université d’Utrecht.

WALTER, M. 1966. An Example of Informa1 Geometry : Mirror Cards. The Arithe- metic Teacher (Reston, Va., National Council of Teachers of Mathematics), Vol. 13, octobre, p. 448452.

82

Page 80: L'Enseignement de la géométrie

Milan Koman, Frantisek Kuiina, Marie Tichà

Quelques problèmes relatifs à l’enseignement de la géométrie aux élèves de dix à quatorze ans

Pour Jan VySiun (1908- 1983), pionnier tchécoslovaque de la didactique des mathématiques, la géométrie avait pour caractéristique d’unifier et de rendre plus précises toutes les approches objectives de la connaissance mathématique. Nous sommes convaincus que les praticiens de l’enseigne- ment des mathématiques ne sauraient négliger cet aspect et que la géométrie joue donc un rôle important dans les mathématiques scolaires. En outre, nous pensons que l’enseignement de la géométrie aux élèves de dix à quatorze ans doit reposer sur des considérations psychologiques, théoriques et pratiques. Nous en évoquerons quelques-unes dans les deux premières parties de notre article.

La psychologie de l’enseignement

On peut d’abord s’interroger sur l’origine de la nature objective de la géométrie. Nous considérons comme essentiel le fait qu’un élève apprenne les propriétés de l’espace où il vit et qu’il perçoit par ses sens, en parti- culier le toucher et la vue. La base de l’apprentissage doit donc être l’expérience tirée d’activités prémathématiques (jeux avec des modèles, constructions, etc.) ainsi que d’activités mathématiques (dessin, établisse- ment de plans, tris, etc.). De nombreuses situations importantes con- duisent naturellement à la modélisation de concepts géométriques et à leur illustration par des dessins et des diagrammes.

Il est nécessaire que les sujets présentés aux élèves leur plaisent et les intéressent. Nous considérons comme fondamental que les élèves accumulent une expérience mathématique par la pratique d’activités mathématiques. De ce point du vue, on peut distinguer deux phases. Dans la première, la phase préparatoire, les élèves travaillent sur les applications et les fonctions en tant qu’opérateurs. Il s’agit des activités où l’on applique les règles de construction d’applications et de fonctions données, par exemple, les applications (transformations) sur les points et les figures. Ensuite, dans une seconde phase, les élèves travaillent sur

83

Page 81: L'Enseignement de la géométrie

Milan Koman, FrantGek Kurina et Marie Tichà

les applications et les fonctions en tant qu’isomorphismes. Par exemple, ils explorent les propriétés (relations) géométriques invariantes par les applications données et ils les utilisent pour résoudre des problèmes.

Un enfant s’initie en fait très tôt à des activités importantes : remplissage de l’espace ou division de l’espace en parties. On peut aussi modéliser ces activités de faqon simple ou les étudier sous la forme de jeux didactiques géométriques intéressants. Dans ce cas, non seulement le résultat du jeu, mais aussi son déroulement quand l’activité s’effectue avec précision suivant les règles fixées, sont très importants.

Nous allons maintenant donner trois exemples de cette approche.

Exemple 1 (enfants de 9 ans)

Représenter la progression d’un serpent sur un papier quadrillé, selon les règles indiquées :

A = progression

B = progression

C = progression

!zl 141 IZJ

Figure 1

Un ensemble de jeux de ce type peut servir à introduire une série de concepts mathématiques : le concept de demi-droite (rayon) pour les enfants de 9 ans, de vecteur pour les enfants de 10 ans, d’algorithmisa- tion et de périodicité pour les élèves plus âgés.

Comme exemple de remplissage de l’espace, et, en même temps, d’opérateur de déplacement, nous présentons un problème qui conduit au concept de translation et de coordonnées dans l’espace.

Exemple 2 (enfants de 11 ans)

Construire un modèle de maison avec des cubes blancs. On doit le faire passer au niveau supérieur en utilisant trois translations : “3 longueurs à droite, 4 longueurs vers l’arrière et 1 longueur vers le haut”. A l’aide de cubes de couleur, montrer quelle sera la nouvelle position du modèle sur le palier supérieur. Remplir le tableau ci-dessous, qui indique le déplacement de chaque cube.

84

Page 82: L'Enseignement de la géométrie

Quelques problèmes relatifs à l’enseignement de la géométrie aux élthes de dix à quatorze ans

Figure 2

TRANSLATION D’UNE MAISON EN CUBES

Exemple 3 (enfants de 14 ans)

Tracer un polygone et marquer un point à l’intérieur (extérieur) à partir duquel aucun des côtés du polygone ne peut être vu en entier.

Après quelques essais, beaucoup d’élèves sont convaincus qu’il n’existe pas de solution. Cependant, certains d’entre eux poursuivent la recherche avec une attention croissante et leurs expérimentations les mènent finalement à la solution du problème. La figure 3 montre la progression d’un élève.

85

- _, _ . .._ ..-... I.. .

Page 83: L'Enseignement de la géométrie

Milan Koman. Frantiiek Kurina et Marie Tichà

Considérant comme essentiel de maximiser l’activité de l’élève pen- dant la classe, nous insistons sur l’importance des problèmes et de leur résolution, non seulement en géométrie, mais aussi dans l’ensemble des mathématiques enseignées à l’école. Il faut stimuler l’intérêt des enfants avec des problèmes qui les préparent à des connaissances, des méthodes et des concepts nouveaux. Une série de problèmes stimulants convenablement choisis représente par elle-même une forme d’appren- tissage programmé pour l’acquisition de nouveaux algorithmes de résolution de problèmes.

Influence de la pratique et de la théorie

On doit souligner que la géométrie a pour origine les stimuli et les besoins pratiques de la société. Cependant, on ne peut nier que, pour les élèves d’aujourd’hui, la nécessité de mesurer ou la nécessité de trouver son chemin dans l’espace ne sont plus des problèmes qui les attirent. Néanmoins, en particulier dans notre pays où l’enseignement est unifié pour tous les enfants jusqu’à quatorze ans, nous pensons qu’il faut mettre l’accent sur les questions de grandeur des figures géométriques et de problèmes de mesure, car ces notions sont impor- tantes pour la formation pratique des élèves.

Dans un certain sens, nous considérons ces besoins pratiques comme plus importants pour les élèves que la construction d’un système de connaissances dans un ordre logique, en particulier d’un système comme l’axiomatique euclidienne classique où, en fait, les nombres n’intervien- nent pas, Un cours de mathématiques influencé par l’axiomatique con- duit nécessairement à un trop-plein de concepts, ayant trop peu d’applications. La démonstration de théorèmes intuitivement évidents à partir d’hypothèses énoncées sous forme d’axiomes avait pour origine la nécessité d’ordonner en un système les éléments de connaissance. Nous pensons que ce genre de système ne convient pas aux élèves de cet âge. Quand les élèves manquent d’expérience, leurs connaissances ne peuvent être ordonnées en un système, et un système déjà tout construit leur paraît arbitraire et artificiel. Le contenu et les méthodes de l’enseignement de la géométrie doivent, bien sûr, répondre à cer- taines motivations pratiques, que l’axiomatique de la géométrie n’a prises en considération qu’aux 19ème et 20ème siècles. Nous nous intéressons spécialement ici au concept de mouvement en général et au concept de vecteur en particulier.

Dès leur plus jeune âge, les enfants se familiarisent avec le mouve- ment et avec le fait que le mouvement permet de nombreuses cons- tructions différentes. Nous pensons donc que le mouvement (le point de vue cinématique) doit jouer un rôle important dans la géométrie scolaire. Le mouvement doit être un sujet d’étude aussi bien qu’une

86

Page 84: L'Enseignement de la géométrie

Quelques problèmes relatifs à l’enseignement de la géométrie aux élèves de dix a quatorze ans

méthode de résolution pour un certain nombre de différents problèmes. Nous appelons “géométrie du mouvement” la partie de la géométrie élaborée de cette façon. La géométrie du mouvement devient très utile quand on étudie les transformations (géométriques). Cependant, on a également intérêt à étudier le raisonnement de la “géométrie du mouvement” appliqué à d’autres situations (par exemple, en résolvant les problèmes géométriques traditionnels reposant sur des constructions, ou sur la détermination d’ensembles de points vérifiant certaines propriétés (lieux géométriques)), ainsi qu’à beaucoup de situations non traditionnelles.

Exemple 4 (enfants de 12 ans)

(a) Situation concrète : Une passerelle s’approche de l’avion. Trouver, sur le dessin, l’endroit où la passerelle touchera l’avion. (b) Tâche mathématique : Tracer un segment de longueur donnée et de direction donnée dont les extrémités appartiennent à une droite et à un cercle donnés.

/ 0 + Figure 4

Exemple 5 (enfants de 11 ou 12 ans)

(a) Situation concrète : Un acrobate monté un fossé en roulant. Tracer sur un dessin la roue.

sur un monocycle traverse trajectoire du centre de la

(b) Tâche mathématique : Tracer un cercle deux demi-droites formant un angle donné.

de rayon donné tangent à

2Fig2 . 0 87

Page 85: L'Enseignement de la géométrie

Milan Koman, Frantiiek Kurina et Marie Tichà

Les élèves peuvent formuler eux-mêmes les tâches mathématiques. Ils apprennent ainsi à convertir les situations concrètes en situations mathématiques.

Utiliser le mouvement en géométrie implique que l’on se rapproche de la physique. L’intérêt porté à la mesure et l’introduction en géométrie du concept physique de “centre de gravité” témoignent aussi de cette accentuation de l’aspect “physique”.

Exemple 6 (enfants de 13 ans)

Les sommets d’un triangle ABC ont respectivement pour masse 1, 2 et 3. (a) Construire graphiquement le centre de masse des trois points A, B, C de trois façons différentes. (Si le tracé est précis on doit toujours obtenir le même résultat). (b) Vérifier le résultat par une expérience : en suspendant le modèle par un fil.

D(5) Figure 6

On peut utiliser ce problème pour théorème dit de Céva : les transversales sont concourantes si et seulement si

B(2)

démontrer “physiquement” le AD, BE, CF d’un triangle ABC

AF BD CE _ - - BF ’ CD . AE 1

Le point de vue cinématique de la géométrie conduit naturellement au concept de vecteur et à son application. Dans ce cas, l’approche arithmétique aussi bien que l’approche géométrique ont un rôle à jouer. Le point de vue arithmétique a pour base le mouvement dans un réseau de maille carré et implique l’utilisation intensive des coordonnées.

Exemple 7 (enfants de 11 ans)

Une voiture miniature doit partir du point S, passer par les “zones de contrôle” A et B et arriver finalement au point G. Au départ, l’élève choisit comme il veut le premier déplacement, les déplacements suivants

88

Page 86: L'Enseignement de la géométrie

Quelques problèmes relatifs 6 l’enseignement de la géométrie aux élèves de dix à quatorze ans

se font en appliquant soit la règle P (pas de changement de direction ni de vitesse) soit la règle Q (changement de direction et de vitesse). Les règles P et Q sont définies ainsi : Règle P : . . . “répéter le déplacement précédent” Règle Q : . . . “répéter le déplacement précédent puis compléter ce

déplacement en allant sur une case adjacente”. Par exemple :

Figure 7

Un autre avantage du point de vue cinématique apparaît quand on veut faire saisir aux enfants l’aspect fonctionnel de la géométrie. En employant le mouvement et l’étude des chemins (trajectoires) suivis par les points et les figures en mouvement, on fait clairement apparaître la notion de variable en géométrie, ainsi que la continuité.

L’utilisation de la géométrie du mouvement comme méthode de résolution dans diverses tâches valorise le rôle de l’expérimentation et, par conséquent, accroît la créativité des élèves pendant ces activités. Du même coup, l’intérêt que présente la modélisation mathématique systématique de situations concrètes (ou mathématiques) devient évident, ainsi que le caractère indispensable des applications. On doit considérer la géométrie sous un angle plus large qu’on ne le faisait traditionnellement. Beaucoup de situations, aussi bien concrètes qu’arithmétiques, peuvent être transformées en situations géométriques. Inversement, on doit étudier les situations géométriques du point de vue arithmétique et algébrique.

Exemple 8

Sur une route qui part de la ville, il y a trois carrefours A, B et C munis de feux automatiques. Les intervalles de temps où le feu est au vert sont représentés pour chaque carrefour par des traits épais sur Ie graphique. On y a aussi représenté le mouvement de deux véhicules circulant dans des directions opposées.

89

Page 87: L'Enseignement de la géométrie

Milan Koman, Frantigek Kurina et Marie Tichà

(a) Comparer le passage des deux véhicules dans les carrefours. (Pour les enfants de 1 1 ans.) (b) Si nous disons que les feux de carrefours successifs forment une “onde verte”, qu’est-ce-que cela signifie ? Les feux représentés sur le graphique forment-ils une onde verte ? Si c’est le cas, dessinez-la en couleur. (Pour les enfants de 12 ans.) (c) Synchroniser les feux des carrefours A, B et C pour obtenir une onde verte dans les deux directions (la vitesse des voitures est donnée). (Pour les enfants de 14 ans.)

2 4 6 8 10 12 14 16

Figure 8

Cette tâche est un exemple d’application non traditionnelle des problèmes de mouvement et de leur résolution. Pour résoudre la question (c), on utilise des triangles semblables pour déterminer la longueur commune des cycles des feux (vert + rouge) à tous les carrefours. Pour les carrefours A, B et C de notre problème, ces cycles ne doivent durer que 2 minutes (ou une fraction de 2 minutes).

Nous avons décrit brièvement quelques-uns des avantages de la conception cinématique de la géométrie. Nous ne prétendons pas cependant qu’on doive l’utiliser en toutes circonstances. Nous ne con- sidérons que les utilisations du mouvement répondant à un but et à une fonction.

Selon nous, une des caractéristiques de la géométrie scolaire issue des besoins de la pratique sociale doit être l’importance accordée à l’approche algorithmique des problèmes. Par exemple, on peut avoir avantage à présenter les constructions géométriques (même dans les petites classes) sous la forme d’organigrammes. Les élèves de 10 à 14 ans sont capables d’exécuter des programmes linéaires ou même arbo- rescents et même des programmes contenant des cycles. On peut aussi

90

Page 88: L'Enseignement de la géométrie

Quelques problèmes relatifs à l’enseignement de la géométrie aux &ves de dix 1 quatorze ans

utiliser les organigrammes dans d’autres situations. On initie, par exemple, les élèves aux définitions constructives de diverses applica- tions (transformations). On ne doit pas restreindre l’activité des élèves à la seule exécution de programmes tout faits, mais ils doivent aussi apprendre à écrire eux-même ces programmes.

Exemple 9 (enfants de 11 ans)

Tracer un quadrilatère Q 5 1 Marque;krcFtTacents ]

Compléter ces deux côtés pour former un parallélogramme P q

NON Marquer une autre paire

de côtés adjacents du 1 quadrilatère Q

OUI

v

Colorier le parallélogramme P

0 FIN

Nous pensons que le dessin est une méthode qui permet de résoudre des problèmes qui ne sont pas évidents à première vue. En utilisant des

91

Page 89: L'Enseignement de la géométrie

Milan Koman, Frantiiek Kurina et Marie Tichà

dessins ou des diagrammes on peut même résoudre des problèmes qui, à l’âge considéré, ne peuvent être résolus par d’autres méthodes (par le calcul, par exemple).

Exemple 10 (enfants de 12 ans)

Quand on construit un escalier, l’architecte le dessine habituellement de telle sorte que la hauteur v et la longueur II d’une marche vérifient l’équation

Q + 2~ = 60

(Q et v sont mesurés en centimètres et 60 cm correspond à peu près à la longueur du pas d’une personne). Dans les manuels d’architecture, on résoud quelquefois le problème graphiquement (Figure 9).

PENTE DE L’ESCALIER PENTE DE L’ESCALIER

CONSTRUCTION CONSTRUCTION DES MARCHES DES MARCHES

Figure 9

La déduction en géométrie

Comme nous ne pensons pas qu’un exposé déductif de la géométrie convienne au niveau du premier cycle du secondaire, on peut même se demander s’il y a lieu d’utiliser en géométrie cette importante com- posante de l’enseignement mathématique. A notre avis, la “démonstra- tion” n’a de place que quand une proposition nécessite une justification et qu’on ne peut l’obtenir par d’autres moyens (par exemple par l’expéri- mentation).

L’exemple suivant illuste cette situation.

92

Page 90: L'Enseignement de la géométrie

Quelques problèmes relatifs a l’enseignement de la géométrie aux élèves de dix à quatorze ans

Exemple 17 (enfants de 14 ans)

Tracer 8 segments de droite tels que chacun d’eux coupe exactement trois des autres segments. Résoudre le problème analogue pour sept segments.

Les élèves résolvent la première partie du problème après quelques essais. Ils ne peuvent effectuer la seconde tâche, même après de nom- breux essais. Ils conjecturent donc que, pour sept segments, le problème n’a pas de solution, et c’est là une bonne occasion d’employer le raisonnement logique.

La géométrie peut aussi contribuer au développement du raisonne- ment chez les élèves par les problèmes qui conduisent à la construction de figures vérifiant des propriétés données.

Exemple 12 (enfants de 14 ans)

Un prisme à quatre côtés a toutes ses faces égales. Est-ce qu’il en résulte que toutes ses arêtes sont égales ? Un prisme à quatre côtés a toutes ses arêtes égales. Est-ce qu’il en résulte que toutes ses faces sont égales ?

Les objectifs de l’enseignement de la géométrie

Examinons maintenant une question assez fondamentale. Quels buts poursuivons-nous en enseignant la géométrie aux enfants de dix à quatorze ans ? Nous pensons qu’il existe trois objectifs principaux :

Premièrement, initier les élèves aux principaux concepts et propriétés de l’espace euclidien et leur apprendre à les utiliser.

Pour atteindre cet objectif, nous organisons les activités des élèves autour de modèles physiques, graphiques et arithmétiques des objets géométriques ou nous leur proposons des activités sur les objets géo- métriques eux-mêmes. Parmi les modèles physiques, nous préférons les modèles mobiles aux modèles statiques. La manipulation des modèles mobiles mène à un certain nombre de relations, opérations ou applica- tions (transformations) mathématiques. On peut citer, en particulier, les activités suivantes : division de l’espace en parties (par exemple demi-plans, demi-espaces, angles, etc.) ; remplissage de l’espace (par exemple, construction de figures géométriques ayant des propriétés données, détermination de la taille de formes données, etc.) ; modélisa- tion de certaines relations géométriques dans l’espace (par exemple, objets présentant des propriétés de parallélisme ou d’orthogonalité) ; modélisation du mouvement (des figures géométriques) dans l’espace (par exemple, trajectoire des points et traces des figures se déplaçant de manière donnée, et application) ; transformations et projections des figures et des solides ; mesure de l’espace ; expérimentation géo-

93

Page 91: L'Enseignement de la géométrie

Milan Koman, FrantiSek Kurina et Marie Tichà

métrique ; raisonnement déductif dans des situations simples (pro- priétés d’un triangle équilatéral, etc.).

Le deuxième objectif principal, selon nous, est d’apprendre aux élèves des procédés permettant la résolution de problèmes géométri- ques simples et l’exécution de tâches pratiques simples de caractère géométrique. 11 s’agit en particulier des procédés suivants : modèle graphique de la géométrie euclidienne, procédés graphiques mais non géométriques de description et d’étude des propriétés des situations géométriques (organigrammes, arbres des options logiques, graphes et diagrammes, etc.) ; outils numériques pour la résolution des problèmes géométriques (formules de calcul de la taille des figures, théorème de Pythagore, trigonométrie du triangle rectangle) ; modèle “topographique” de la géométrie euclidienne (relevé d’une droite, d’un rectangle, etc., sur le terrain).

Le troisième objectif est de rendre les élèves capables d’utiliser certaines procédures et méthodes mathématiques simples. Les plus importantes sont, pour nous, les suivantes : établissement de dia- grammes pour les tâches géométriques et de croquis pour les situations géométriques ; résolution de problèmes géométriques par le calcul (y compris l’utilisation simple des coordonnées) ; résolution des problèmes par une “formule” (il s’agit d’une formule dans le sens le plus large du terme, c’est-à-dire, par exemple un algorithme connu des élèves, une construction, une description, etc.) ; la méthode cinématique ; l’expéri- mentation géométrique ; le raisonnement déductif ; les classifications ; la conversion de situations concrètes et de tâches arithmétiques en tâches géométriques.

Le développement systématique de l’imagination géométrique et de la créativité mathématique par la résolution de problèmes est une des composantes et un des objectifs essentiels de l’enseignement de la géométrie. Une nouvelle approche didactique et quelques sujets nou- veaux constituent les moyens essentiels d’y parvenir.

Pour illustrer ces considérations, nous décrivons ici le contenu du cours de géométrie qui, d’après nous, convient aux groupes d’âge considérés.

94

Page 92: L'Enseignement de la géométrie

Quelques problèmes relatifs a l’enseignement de la géométrie aux élèves de dix a quatorze ans

Applications transforma- ions) et onctions

vecteurs

Mesure

Symetrie dans E, (espace euclidien bidimensionnel) Translation dans E, et E, Symetrie dans E, Rotation dans E, et E, Isometries Homotheties

II

Fonctions sinus et tangente Similitude

Coordonnees dans E, et E, c Vecteurs geometriques Composantes des vecteurs Utilisation des vecteurs dans les transformations Utilisation des coordonnees

Perimétre et aire d’un polygone c Surface et volume d’un prisme et c d’une pyramide Grandeur d’un angle Circonference et aire d’un cercle et de ses parties Surface et volume d’un cyclindre et d’un cône Surface et volume d’une sphere Taches plus complexes (application du theorbme de Pythagore, etc.) Calcul de la mesure de quelques autres figures

rm

a c

c

AGE

11-12 12-13

-r

95

-- -.

Page 93: L'Enseignement de la géométrie

Milan Koman, FrantiSek Kurina et Marie Tichà

Propriétes des figures dans E2

Proprietes des figures dans ES

Problemes de construction

Reseaux de maille cahe

Application de la geometrie enseignee aux situations pratiques

Inegalite triangulaire Triangle et quadrilatere Position relative des droites et des cercles Triangles egaux, triangles sembables Thborèmes de Pythagore et de Thalès Trigonometrie du triangle rectangle

Parallelisme, droites non coplanaires Orthogonalite Proprietes metriques Les solides et leurs developpements Geometrie à la surface d’un solide

Construction d’un triangle u Constructions de cercles Ensembles de points engendres par le mouvement Autres ensembles de points Centre de gravite, centre de masses Constructions dans E, (par ex., distance de points) Developpements et projections des solides

Constructions simples dans un reseau c Reseaux appliques aux problemes combinatoires Reseaux appliques aux problemes de divisibilite

Geometrie du miroir plan Graphes de la circulation routiere L’onde verte des feux de carrefours Vitesse angulaire Les vecteurs en physique Les melanges (utilisation des vecteurs) Promenades aleatoires dans un reseau de maille carme Estimations en geometrie Courbes et surfaces de la technique Travaux topographiques sur le terrain

AGE

Données’ fournies par la pratique pédagogique

Nous pensons que les études théoriques ne peuvent à elles seules résoudre les problèmes pédagogiques et qu’il en est de même pour les

1. Le contenu de ce paragraphe repose sur des recherches que nous avons menees dans huit ecoles Clémentaires accueillant des enfants de sept à quatorze ans. Chaque groupe d’âge comprend environ 450 eleves.

96

Page 94: L'Enseignement de la géométrie

Quelques problèmes relatifs a l’enseignement de la géométrie aux élèves de dix a quatorze ans

programmes scolaires et les manuels. Les nouveaux contenus, ainsi que les méthodes employées pour les enseigner, doivent être expéri- mentés pratiquement à l’école. C’est pourquoi nous ajoutons à nos remarques sur l’enseignement de la géométrie deux échantillons tirés de la pratique scolaire.

Nous avons constaté que les élèves de 11 ans effectuaient facile- ment les tâches données sous forme de programmes (voir l’exemple 9). La plupart apprenaient à écrire eux-mêmes des programmes très simples. Parmi les méthodes employées pendant les leçons, on peut citer les jeux et les compétitions (souvent par groupes de deux à quatre élèves). On donne, par exemple, une figure géométrique au premier groupe. Il doit écrire le programme suivant lequel cette figure a été tracée. On donne ce programme au deuxième groupe. Ce groupe trace une nouvelle figure en exécutant le programme. A la fin, on compare la deuxième figure à celle qui a été donnée au premier groupe. Il s’est avéré nécessaire de vérifier les programmes écrits par les élèves en les utilisant pour tracer une figure, car les élèves ont tendance à écourter leurs programmes et il en résulte des erreurs.

Exemple (enfants de 11 ans) :

Avec la figure initiale ci-dessous, un élève a écrit le programme suivant :

Figure 10

D C Tracer un carré ABCD, AB = 5 cm

5 cm Tracer un cercle k = (S = B ; r = 5 cm)

A 5cm B Tracer un cercle II = (S = D ; r = 5 cm)

97

Page 95: L'Enseignement de la géométrie

Milan Koman, Frantiiek Kurina et Marie Tichà

La figure 11 montre la figure obtenue en appliquant le programme de l’élève :

Figure 11

On compare la deuxième figure avec la figure initiale, puis une discus- sion a lieu. Cela permet de corriger les erreurs commises par les élèves.

L’introduction de la “géométrie du mouvement” a très bien réussi dans notre expérience d’enseignement aux élèves de 11 ans. Les pro- fesseurs ont constaté que le sujet conçu de cette façon intéresse les élèves, les stimule et est compris même des élèves les moins doués. Cette expérience d’enseignement a confirmé notre hypothèse selon laquelle “l’approche par le mouvement” stimule l’activité des élèves dans le cadre de la résolution de problèmes, et contribue au développement de leur aptitude à construire des modèles mathématiques à partir de situa- tions concrètes. Par exemple, les élèves de 11 ans parviennent à résoudre des problèmes qui, dans l’enseignement traditionnel de la géométrie, ne sont habituellement résolus que par des enfants de 15 ans environ.

Exemple 13

Problème : Dans la figure 12, le plancher du grenier a 5 cm de large.

(a) Tracez-le sur la figure représentant 1 m).

(b)Trouvez la hauteur du

7m

plancher du grenier

Figure 12

(1 cm

grenier

98

Page 96: L'Enseignement de la géométrie

Quelques problèmes relatifs a l’enseignement de la géométrie aux &ves de dix 1 quatorze ans

Exemples de solutions d’élèves

(1) Une solution expérimentale (2) Une solution utilisant la trans- lation

I I

Figure 13a Figure 13b

Conclusion

Dans notre exposé, nous n’avons cité que quelques-uns des problèmes relatifs à l’enseignement de la géométrie aux élèves de 10 à 14 ans. Nos principales conclusions sur l’enseignement de la géométrie sont les suivantes :

Il est essentiel de partir de l’expérience des élèves. Il est nécessaire d’élaborer un système d’activités préparatoires servant “d’ossature” pour le futur enseignement de géométrie. La pensée abstraite doit être développée graduellement.

Certains problèmes restent posés :

Quelles doivent être les relations entre l’expérience (prémathématique et mathématique) et la pensée abstraite aux divers niveaux d’âge ? Il est évident que les applications doivent faire partie du contenu enseigné, mais il reste à résoudre le problème de l’élaboration d’un ensemble de thèmes appropriés. Quelles doivent être les relations entre les mathématiques et les autres matières scolaires ? Quelles doivent être le contenu et la conception de sujets comme les vecteurs, la trigonométrie, les problèmes de construction, etc. ? Quel est le rôle et quelle est l’importance de la “distance” dans la géométrie scolaire ? Et quels liens y a t-il entre la géométrie métrique et la géométrie affine ?

99

^

Page 97: L'Enseignement de la géométrie

L. Yu Chernysheva, V. V. Firsov et S. A. Teljakovskii

L’enseignement de la géométrie en Union soviétique

Introduction

L’enseignement de la géométrie est probablement le domaine le plus intéressant et le plus controversé de l’enseignement des mathématiques. Là se côtoient les progrès frappants et les échecs de taille, les traditions les plus vétustes et l’expérimentation la plus effrénée. Cet enseignement a, pendant de nombreuses années, fait l’objet de débats qui ont débouché sur les prises de position les plus contradictoires. Certains auteurs jugent parfaitement inutile un enseignement systématique de la géométrie à l’école. D’autres proclament que la géométrie est la matière mathé- matique la plus importante du programme scolaire. Certains veulent qu’à l’école les cours de géométrie et d’algèbre soient amalgamés. D’autres voudraient les voir séparés par une cloison étanche. Ce qui est clair, c’est que la vague d’expérimentation à tout va qu’on a pu observer dans un grand nombre de pays du monde touche aujourd’hui à son terme. Le moment vient où il va falloir examiner, analyser et comparer les résultats obtenus, les points du vue et les idées.

Historique

Il est impossible d’analyser le système actuel d’enseignement de la géométrie en Union soviétique sans se référer aux travaux de Kiselev (1852-1940), mathématicien et enseignant de tout premier plan dont les manuels de géométrie ont été utilisés pendant des dizaines et des dizaines d’années. La première édition du cours de “Géométrie élémen- taire” de Kiselev a paru en 1893. En 1930, il avait déjà été réédité une quarantaine de fois. Amélioré à l’occasion de chaque réédition, c’était encore le manuel de géométrie le plus utilisé dans les écoles dans les années 60. Les lycéens de la promotion de 1976 sont les derniers à avoir appris la géométrie dans le manuel de Kiselev. L’oeuvre de Kiselev a indéniablement exercé une influence décisive sur le système d’enseigne- ment de la géométrie dans les écoles soviétiques. Tout nouveau cours, qu’il reprenne la démarche traditionnelle ou qu’il en propose de nouvelles,

101

Page 98: L'Enseignement de la géométrie

L. Yu. Chernysheva, V. V. Firsov et S. A. Teljakovskii

est inévitablement comparé au cours classique de Kiselev ( 1980). Les manuels de géométrie de Kiselev se signalent par le niveau scien-

tifique atteint dans la présentation du matériel - un niveau élévé pour l’époque - et par l’organisation parfaitement rigoureuse de ce matériel, qui en assure la bonne compréhension. Cela tient évidemment à la personnalité de l’auteur. Kiselev possédait les connaissances mathé- matiques les plus à jour et a toujours été intéressé par les idées nouvelles, en mathématiques comme en pédagogie. C’était tout à la fois un pro- fesseur de mathématiques très expérimenté et un travailleur infatigable. Il était loin de rejeter les tendances nouvelles. Aussi a-t-il, au fil des ans, utilisé dans ses livres toute la gamme des innovations qui se sont succédé (axiomatisation totale et axiomatisation partielle, utilisation privilégiée des transformations géométriques pour la démonstration des théorèmes, utilisations variées de l’algèbre, etc.). Son cours de géométrie est peu à peu devenu la norme, la référence constante pour tous les ouvrages qui allaient suivre. Que les autres auteurs aient ou non été d’accord avec lui, que ses thèses aient été acceptées ou rejetées, son manuel a toujours servi de cadre aux débats et aux développements ultérieurs. Les manuels de Kiselev ont été utilisés si longtemps dans les écoles que de nombreuses générations d’enseignants y ont appris la géométrie avant de l’enseigner à leur tour à leurs propres élèves. Cela a permis d’accumuler une expérience pédagogique considérable. Signalons deux atouts supplé- mentaires : l’efficacité des méthodes d’enseignement ; l’existence d’une riche et judicieuse collection de problèmes où Rybkin allait puiser plus tard pour compiler son célèbre recueil de problèmes (1973). Il fallait vraiment d’excellentes raisons pour s’écarter d’une telle tradition.

Le cours de géométrie exposé dans les manuels de Kiselev était une présentation systématique de la géométrie euclidienne traditionnelle. Il commençait par décrire les objets géométriques les plus simples puis définissait leurs propriétés avec plus ou moins de clarté. Pour établir l’égalité de triangles, il recourait à une opération de superposition dont la compréhension était intuitive. Cela servait de base aux développe- ments ultérieurs. L’égalité des triangles était au début du cours le principal outil de démonstration des théorèmes.

L’auteur introduisait ensuite les triangles, les parallèles, les quadri- latères, les théorèmes relatifs au cercle, la similitude, les éléments de trigonométrie, les polygones réguliers et le calcul de la circonférence du cercle. Le cours de géométrie plane s’achevait sur la mesure des aires.

Le cours de géométrie des solides était d’une plus grande rigueur logique. L’auteur exposait les axiomes du plan, puis établissait en détail les conséquences logiques de ces axiomes. Le cours de géométrie des solides commençait par l’étude des droites et des plans dans l’espace. Il abordait ensuite les polyèdres et les sphères. Les formules permettant

102

Page 99: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement de la geométrie en Union sovihique

de calculer les volumes et les aires étaient établies par déduction de façon aussi élémentaire que possible.

La présentation du contenu se caractérisait par sa clarté et son organisation géométrique, les notions étant introduites suivant une succession rigoureuse et de façon systématique. La variété et la pertinence des problèmes posés dans le cours aidaient les élèves à apprendre la théorie moins par l’étude des théorèmes que par la résolution de problèmes associés à ceux-ci. L’emploi du temps prévoyait le nombre d’heures nécessaires à cette tâche. Une telle démarche favorisait le développement de la créativité, de l’intuition géométrique et de l’imagination. Le caractère systématique de la présentation du contenu et le grand nombre de problèmes proposés aux élèves développaient leur aptitude à la pensée logique.

Les manuels de Kiselev n’étaient évidemment pas parfaits. Leurs défauts devinrent plus évidents au fur et à mesure que le nombre d’élèves allant jusqu’au bout de leurs études secondaires augmentait. Le problème dit “de la classe de sixième année” est apparemment celui qui a fait couler le plus d’encre. Les écoliers abordaient l’étude de la géométrie en sixième année d’études et l’expérience montrait que la plupart d’entre eux avaient de la difficulté à assimiler le début du cours. La solution consistait, pensait-on, à élaborer un cours d’initiation à la géométrie à l’intention des élèves des classes précédentes. On a également reproché aux manuels de Kiselev l’insuffisance de rapports avec les manuels d’algèbre des classes correspondantes et l’abus de méthodes élémentaires dans l’établissement des formules des volumes et des aires (à l’époque, les lycéens n’avaient aucune notion de calcul intégral). On a également fait valoir que la présentation quelque peu archaïque du contenu se traduisait par une grande abondance de théorèmes sans importance, cependant que beaucoup de notions importantes de la géométrie moderne, telles que les vecteurs, les coordonnées et les transformations, étaient soit laissées de côté, soit étudiées de façon insuffisamment appro- fondie. Des efforts furent faits par les rédacteurs scientifiques pour améliorer les manuels, mais sans succès.

Au milieu du siècle, l’accélération des progrès de la science et de la technologie, le rôle joué par la science en tant que force productive directe de la société, marquent le début de la révolution scientifique et technique. La politique de l’Union soviétique vise alors à améliorer sensiblement la qualité de l’enseignement universel, de manière qu’il réponde aux besoins de la société moderne. Cette tendance amène simultanément à rendre l’enseignement secondaire obligatoire et à améliorer le contenu scientifique de tous les programmes scolaires. Les années 60 ont vu s’amorcer le processus de réforme scolaire, avec l’introduction de nouveaux contenus d’enseignement adaptés aux impératifs d’une société socialiste avancée.

L’enseignement des mathématiques subit alors une réforme en

103

.--..I.i_

Page 100: L'Enseignement de la géométrie

L. Yu. Chernysheva, V. V. Firsov et S. A. Teljakovskii

profondeur. Le programme est actualisé. On en élimine tout ce qui est dépassé et l’on met en place un cours nouveau, parfaitement conforme aux besoins contemporains. Mais choisir et améliorer les contenus de l’enseignement des mathématiques est une entreprise de longue haleine, et l’on ne peut dire encore qu’elle ait été pleinement menée à bien.

Quant au cours de géométrie, il était nécessaire d’en améliorer sensiblement la composante scientifique et d’en actualiser le contenu, tout en préservant les aspects positifs du système traditionnel. Il fallait étoffer le contenu du cours d’initiation enseigné dans les petites classes pour faciliter la compréhension de l’enseignement dispensé au stade ultérieur.

Deux grandes tendances ont présidé à l’élaboration du nouveau cours de géométrie. La première est liée aux travaux de Kolmogorov, mathématicien soviétique éminent et membre de l’Académie des sciences, qui était responsable de la réforme. Le groupe d’auteurs qui travaillait sous la direction de Kolmogorov (1981) a fourni un travail impressionnant et s’est efforcé d’élaborer un cours de géométrie entière- ment nouveau, fondé sur les transformations. La deuxième tendance correspond aux travaux de Pogorelov, un des grands géomètres soviéti- ques, lui aussi membre de l’Académie des sciences. Pogorelov a pris pour point de départ de son manuel ( 1984) le cours classique de Kiselev. Il s’est délibérément conformé à la méthode de Kiselev mais en s’attachant à élaborer un système plus rigoureux et plus complet.

Le cours de Kolmogorov devait son niveau scientifique à la forma- lisation axiomatique, à l’analyse approfondie des notions non définies et des notions définies dès le début de l’enseignement de la géométrie, ainsi qu’à l’utilisation des transformations géométriques comme instru- ment principal de démonstration des théorèmes, surtout au début du cours, bien entendu. A mesure qu’étaient introduits les théorèmes classiques de géométrie métrique, la présentation du matériel devenait de plus en plus traditionnelle. Ajoutons que, dans le cours associé de géométrie des solides, les formules de mesure étaient établies déductive- ment par l’analyse mathématique.

Quand ce cours a été introduit dans les établissements scolaires, l’enthousiasme initial des mathématiciens et des enseignants (enchantés de la structure du cours, d’un grand intérêt mathématique, et inspirés par les idées neuves et élégantes qu’il contenait) a fait place au scepticisme. Au début, ce désenchantement a été interprété comme une simple réaction à l’égard de la nouvelle démarche utilisée et l’on a supposé que les difficultés auxquelles se heurtaient les enseignants disparaîtraient lorsque ceux-ci seraient plus familarisés avec le matériel nouveau et plus experts dans son utilisation. Or, les perfectionnements apportés au manuel durant une longue période et son utilisation dans les écoles pendant plus de dix ans, n’ont pas entraîné d’amélioration de la qualité de l’enseignement, contrairement à toute attente.

104

Page 101: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement de la g6omktrie en Union sovietique

Il semble que ce ne soit nullement un hasard si les choses ont pris cette tournure. Il semble que ce soit l’aboutissement inévitable d’une réforme consistant à introduire à l’école un cours systématique de géométrie fondé sur les transformations. Il est possible d’utiliser les transformations géométriques dès qu’on commence à enseigner la géométrie, mais à condition que des cours informels et fragmentaires aient familiarisé les élèves avec le langage géométrique et développé leur intuition géométrique et leur ait permis d’apprendre quelques théorèmes et quelques formules géométriques. Mais, s’il est par trop systématique, un cours fondé sur cette approche exige un niveau élevé de généralisation théorique qui dépasse la maturité et la capacité de compréhension d’écoliers.

Les méthodes traditionnelles de démonstration qui consistaient à construire des séries de triangles égaux ont souvent été jugées arbitraires. Comment un élève peut-il savoir quels sont les triangles dont il doit ensuite démontrer l’égalité ? Ces démonstrations supposent chez l’élève des repères qui lui font défaut. L’algèbre des transformations, elle, permet aux géomètres de calculer simplement les étapes nécessaires à la résolution d’un problème donné. Mais l’élève, qui ne possède pas les mêmes repères que le mathématicien, n’a d’autres ressources pour résoudre les problèmes que de procéder par tâtonnements, guidé par l’intuition, l’analogie et d’autres notions tout aussi vagues. Cette démarche est de nature à développer à la longue les capacités créatrices de son esprit mais ne lui dit pas “comment résoudre” chaque problème particulier.

Il est vrai que, dans son excellent ouvrage, Polya (1971) a depuis longtemps répondu à cette question et montré le rôle de l’heuristique dans la recherche de solutions. Qu’elle soit connue (par exemple : étant donné un cercle et une tangente, tracer le rayon qui joindra le centre du cercle au point de contact) ou tout à fait inconnue, l’heuristique forme le noyau invisible de toute une série classique de problèmes du cours de géométrie traditionnel. De façon empirique, pendant des dizaines et dizaines d’années, des générations de professeurs ont choisi les problèmes et les ont classés dans un ordre commode, créant ainsi les méthodes efficaces quoique invisibles de l’enseignement de la géométrie. C’est pour cela que l’enseignement traditionnel de la géométrie a donné de si bons résultats. Cependant, l’ensemble des vieux problèmes s’est révélé dépassé à partir du moment où l’on employait de nouvelles méthodes de démonstration des théorèmes : il fallait alors aussi de nouveaux problèmes, de nouveaux systèmes de problèmes et une nouvelle heuristique. L’élaboration d’une nouvelle collection de problèmes entreprise par les auteurs du cours s’est révélée une toute autre affaire. Il a fallu des années de travail et la longue expérience apportée par le perfectionnement des cours pour arriver à mettre au point un nouvel ensemble de problèmes du niveau requis.

105

Page 102: L'Enseignement de la géométrie

L. Yu. Chernysheva, V. V. Firsov et S. A. Teljakovskii

Il semble que ce ne soit pas seulement une question d’expérience et de temps. Elaborer un recueil de problèmes adéquats qui permette de dispenser un enseignement systématique et de qualité de la géométrie par les transformations est une tâche impossible. En effet, la quête heuristique de la démonstration n’est possible que si chaque étape de la démonstration est facile. L’effort de l’élève qui cherche la prochaine étape de sa démonstration ne sera imaginatif et réussi que si l’élève aperçoit sans peine cette étape. C’était la même chose avec le cours traditionnel où, à chaque stade de la démonstration, il fallait générale- ment considérer le triangle suivant, et où la figure à construire, le cas échéant, s’obtenait souvent en joignant simplement deux points par un segment de droite. Pareille démarche n’est pas trop difficile à prévoir ni à exécuter. En outre, il est toujours possible de revenir en arrière et de reprendre à zéro la recherche de la solution. C’est là aussi un trait important du cours traditionnel. Mais s’il faut, par exemple, opérer une transformation symétrique d’un triangle par rapport à un de ses points, il est très difficile, voire impossible à l’élève de se représenter mentalement le résultat de la transformation. La recherche de la démonstration devient dès lors difficile.

Il fallait dont s’attendre à ce que le début d’un cours systématique de ce genre, où l’on a recours pour la première fois à une transformation pour démontrer un théorème (et surtout pour résoudre un problème) soit un moment vraiment difficile pour des écoliers âgés de 12 à 13 ans. C’est ce que l’expérience a confirmé. Aussi, par souci d’efficacité péda- gogique, la géométrie scolaire a-t-elle remis à l’honneur le langage des triangles égaux et les problèmes éprouvés de longue date.

La pratique a également rejeté une autre innovation de méthode : la définition approfondie et rigoureuse des notions géométriques dès le début du cours systématique. Si l’on considère l’aspect visuel de la géométrie, l’analyse des définitions semble peu importante. Les élèves mémorisent facilement une figure et ses propriétés, alors qu’ils ont du mal à mémoriser la description verbale précise d’un objet quand elle fait référence à des règles qui ne sont pas encore bien claires dans leur esprit. L’analyse des définitions est relativement inefficace à ce stade du développement de l’élève. Il faut d’abord leur enseigner I’enchaîne- ment logique des énoncés, autrement dit le principe même de la démons- tration. En général “définir” est, on le sait, beaucoup plus difficile que “démontrer”. Il suffit de se rappeler l’exemple classique de la table : on peut parler d’une table parce qu’on en connaît les propriétés ; mais si l’on cherche à définir ce qu’est “une table” on se heurte vite à des difficultés.

106

Page 103: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement de la ghombtrie en Union sovietique

Les buts de l’enseignement de la géométrie

L’analyse qui précède porte sur l’enseignement d’une géométrie structurée de façon systématique et les auteurs partent du principe que le cours est un cours construit de façon systématique. Cependant, l’expérience montre que cela ne va pas de soi dans tous les pays. Or il s’agit, pour les auteurs, d’un élément capital qui intéresse directement le but et l’orientation de l’enseignement de la géométrie dans le secondaire.

La géométrie, en tant que science, comporte de nombreux aspects qui sont directement liés au programme scolaire. Les buts de son étude en découlent. Le langage de la géométrie et l’intuition géométrique jouent un rôle décisif dans la compréhension de nombreuses notions qui ne sont pas nécessairement des notions géométriques mais qui sont liées aux mathématiques et aux autres sciences. La géométrie joue un rôle important dans les sciences appliquées, la technologie et la pro- duction. Notre existence même est impossible si nous n’avons pas le sens de l’espace et si nous ne possédons pas un minimum de notions géométriques. Enfin, la théorie géométrique a toute chance de se révéler l’outil le plus utile au développement de la pensée logique de l’enfant. Tous ces éléments sont importants, pris isolément et dans leur ensemble ; chacun d’entre eux détermine certains des buts assignés à l’enseignement de la géométrie à l’école.

A propos de la géométrie et des finalités auxquelles répond son enseignement, Alexandrov (1980), géomètre soviétique éminent et membre de l’Académie des sciences, écrit : “La géométrie est par essence la combinaison d’une vive imagination et d’une logique rigoureuse qui s’organisent et se guident mutuellement . . . L’enseignement de la géométrie a par conséquent pour fonction de développer chez l’enfant trois qualités : l’imagination spatiale, la compréhension concrète et la pensée logique”.

Les deux premiers éléments de cette triade sont fondamentaux. Le troisième prend de nos jours de plus en plus d’importance. A une époque où la science, du fait de la révolution scientifique et technique, est devenue une force productive directe de la société, il est important que les élèves puissent se familiariser avec un exemple de la manière dont est construite une théorie scientifique et avec la méthode scienti- fique ; sinon, leur formation générale serait incomplète.

A cet égard, la géométrie constitue un système scientifique sans égal dans l’histoire du monde civilisé puisqu’à partir de bases claires et simples, et grâce à la méthode du raisonnement (comportant un nombre d’étapes déterminé), elle conduit progressivement à une série de conséquences non triviales qui possèdent un vaste champ d’applica- tion. L’enseignement de la géométrie aide donc les lycéens à acquérir une vision scientifique du monde. La géométrie initie les élèves à la

107

Page 104: L'Enseignement de la géométrie

L. Yu. Chernysheva, V. V. Firsov et S. A. Teljakovskii

méthode scientifique. Elle développe certaines idées sur ce qu’est idéalement la structure d’une science. L’enseignement de la géométrie à l’école en vient de la sorte à jouer un rôle fondamental dans le déve- loppement de la pensée théorique et scientifique de l’élève. Par con- séquent, dès l’instant où il est admis que favoriser le développement plein et harmonieux de l’élève c’est le préparer à vivre et à travailler dans les conditions qui sont celles de la production moderne, on est inévitablement amené à conclure que la géométrie doit être étudiée à l’école non seulement en tant que contenu utile, mais aussi et surtout en tant que système scientifique. Cette conclusion détermine les aspects les plus importants du système selon lequel la géométrie est enseignée. Ces éléments qui se trouvaient déjà en germe dans le cours de Kiselev, sont concrétisés aujourd’hui dans les écoles soviétiques par un enseigne- ment dont le niveau scientifique est adapté à notre époque.

Le premier de ces éléments est l’existence d’un cours de géométrie de caractère systématique. Ce cours doit naturellement être solidement fondé sur des notions géométriques claires acquises au stade de l’initation à la géométrie. Cependant, une fois que les élèves ont développé leurs facultés logiques et acquis suffisamment de notions géométriques, ils doivent passer à l’étude systématique de la géométrie.

Autrement dit, il est plus commode d’apprendre la géométrie comme matière à part que dans le cadre d’un cours unique comprenant aussi d’autres matières mathématiques. Ceux qui pensent que les élèves devraient étudier l’algèbre et la géométrie de façon intégrée dans le cadre d’un seul cours invoquent souvent l’unité de la science mathé- matique et la nécessité d’établir des liens entre différents domaines des mathématiques. Les auteurs sont pour leur part convaincus que l’unité de la mathématique réside essentiellement dans la méthode dont les élèves n’acquièrent qu’une idée rudimentaire. La présentation systématique et progressive du matériel géométrique est certainement beaucoup plus apte à aider les élèves à appréhender la méthode logique qu’une activation artificielle des liaisons entre disciplines. En d’autres termes, si le but est de mieux comprendre l’essence des mathématiques, les liens logiques internes du matériel géométrique lui-même jouent un rôle incomparablement plus important que des liens fragmentaires avec l’algèbre. Cela, bien entendu, ne signifie pas qu’il faille s’abstenir d’évoquer ces liens avec l’algèbre. Bien au contraire. Il peut être fort utile de s’y référer, à condition de respecter les priorités.

L’importance que nous attachons à la formation d’une vision scientifique nous amène à conclure qu’un cours systématique de géométrie doit se fonder sur une axiomatique. Qui plus est, la construc- tion axiomatique doit être complète et rigoureuse, tout au moins pour l’essentiel. S’il y a trop de lacunes et trop de principes qui ne sont ni définis ni démontrés, il n’y a plus de démonstration, et l’élève ne peut ni comprendre la démonstration ni saisir en quoi elle est nécessaire. En

108

Page 105: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement de la geometrie en Union sovihique

effet, si l’on peut s’abstenir de démontrer un nombre croissant de faits, à quoi bon en démontrer aucun ? Une présentation lacunaire n’est acceptable que si le but de l’enseignement est de permettre à l’élève de maîtriser des faits isolés. Si son but est au contraire de permettre la compréhension du système dans son ensemble, il n’est pas possible de tolérer dans les démonstrations des lacunes détruisant les liens qui unissent les différents éléments du système.

Une présentation systématique de la géométrie impose un ordre naturel : il est logique d’étudier la géométrie plane avant d’aborder la géométrie des solides. Il est bien entendu séduisant de fondre ces deux géométries en une seule et cette démarche présente même beaucoup d’avantages dans un cours d’initiation. Mais dans le cours systématique, la fusion de la géométrie dans le plan et de la géométrie dans l’espace n’est possible que lorsqu’elle n’est pas en contradiction avec l’enchaîne- ment logique.

La situation actuelle

A l’heure actuelle, en Union soviétique, la géométrie s’enseigne à tous les niveaux de l’enseignement secondaire général. Dans l’enseignement primaire (de la première à la troisième année de scolarité), les élèves se familiarisent avec les figures géométriques les plus simples : le point, le segment, le triangle, le rectangle, le cercle, etc. Ils apprennent à identifier ces éléments dans les objets réels, les modèles et les dessins. Ils apprennent aussi à dessiner les plus simples d’entre eux. Le cours d’initiation à la géométrie de 4ème et Sème années, propose aux élèVeS

des problèmes plus difficiles. Ils apprennent à identifier et à décrire des figures plus complexes et à se familariser avec leurs propriétés essentielles. Ils acquièrent ainsi les bases qui leur seront nécessaires lorsque le cours systématique introduira les axiomes. Ils acquièrent également une connaissance élémentaire du dessin et de la mesure de quantités géo- métriques telles que longueurs, aires et volumes simples.

Le cours systématique de géométrie commence en 6ème année et se poursuit jusqu’à la 1Oème. Il y a deux leçons de géométrie par semaine, de 45 minutes chacune. Le cours systématique occupe au total environ 350 leçons.

Dans le cadre de l’étude systématique de la géométrie plane (6ème, 7ème et 8ème années), les élèves acquièrent une connaissance, cons- truite de façon logique, des principales figures de la géométrie plane et de leurs principales propriétés ; ils se familarisent avec l’égalité et la similitude des figures avec les types fondamentaux de transformations géométriques et leurs applications à la géométrie ; ils apprennent à construire des figures géométriques, ce qui est nécessaire pour le travail graphique, ainsi qu’à mesurer et à calculer des longueurs, des angles et

109

Page 106: L'Enseignement de la géométrie

L. Yu. Chernysheva, V. V. Firsov et S. A. Teljakovskii

des aires, ce qu’ils ont besoin de savoir pour pouvoir résoudre divers problèmes tant géométriques que concrets ; enfin, ils apprennent à utiliser les outils analytiques (transformations algébriques et équations ; éléments de trigonométrie ; géométrie analytique ; algèbre vectorielle) pour résoudre des problèmes de géométrie.

En 9ème et 10ème années, les élèves acquièrent une connaissance systématique des principaux solides et de leurs propriétés. Ils apprennent à se servir des théorèmes pour représenter dans le plan des figures à trois dimensions et pour calculer les angles et les longueurs, les aires et les volumes. Ils apprennent également à utiliser les méthodes analytiques pour résoudre des problèmes de géométrie dans l’espace (Programme de mathématiques pour l’école de huit ans et pour l’école secondaire, 1984).

Depuis 1982-1983, le manuel mis au point par Pogorelov (1984) a été adopté dans les écoles soviétiques ou il est plus utilisé au niveau national pour l’enseignement de la géométrie. Ce manuel et le cours correspondant sont probablement uniques en leur genre. Le manuel est intéressant à la fois sur le plan mathématique et sur le plan pédagogique.

Sur le plan mathématique, le cours de Pogorelov se fonde sur un système d’axiomes original et complet. Il est intéressant de noter que le systèmes d’axiomes de Pogorelov est assez voisin de l’axiomatique bien connue de Birkhoff, bien qu’il ait été élaboré indépendamment de celle-ci. Pogorelov a construit son système axiomatique pour asseoir sur une base solide la présentation traditionnelle de la géométrie faite par Kiselev. La présentation ultérieure du contenu de base du cours (égalité des triangles, parallélisme, figures, propriétés, etc.) est tout à fait remarquable pour un manuel scolaire et frappe par sa rigueur logique et par le caractère complet des démonstrations. Pour les questions qui ne font pas partie du contenu de base, et pour l’étude des applications, la rigueur est naturellement moindre. Au début du cours, les indications d’égalité des triangles sont l’outil le plus utilisé dans les démonstrations. Ultérieurement, les coordonnées et les transformations sont introduites. L’auteur a réussi à trouver certaines solutions mathématiques intéres- santes qui simplifient considérablement le cours traditionnel et surtout permettent de l’abréger.

Sur le plan pédagogique, le manuel est conçu de façon à aider l’élève à travailler seul sur le matériel étudié en classe. Cela a permis à l’auteur d’alléger considérablement le manuel qui aujourd’hui compte moins de 300 pages. Le manuel est complété par un nombre suffisant de problèmes et par un système original de questions. Les élèves étudient le matériel traité dans le manuel et répondent ensuite aux questions dans l’ordre où elles sont posées.

Certains aspects strictement mathématiques semblent jouer un rôle pédagogique important. Les démonstrations complètes et d’une précision

110

Page 107: L'Enseignement de la géométrie

L’enseignement de la geometrie en Union sovietique

rigoureuse qui figurent au début du cours, fournissent des exemples de raisonnement logique. Une fois que les élèves ont assimilé ces exemples, ils n’ont plus besoin de démonstrations aussi complètes et peuvent travailler sur un matériel présenté de façon plus condensée. Le fait qu’au début du cours les démonstrations soient très complètes (qu’il s’agisse du contenu théorique ou de la résolution de problèmes) se révèle un puissant facteur psychologique de motivation des élèves qui les amène à comprendre la nécessité de la démonstration dans la suite du cours.

Cependant que les enseignants et les élèves se familiarisent avec le nouveau manuel, d’autres auteurs élaborent de leur côté des manuels répondant aux mêmes finalités, qui font appel aux mêmes principes d’organisation systématique et séquentielle pour présenter, de façon intelligible, un matériel scientifique, en même temps qu’ils établissent une relation entre l’éducation et la vie. Ces manuels seront adoptés si les recherches théoriques et expérimentales montrent qu’ils présentent des avantages appréciables par rapport au manuel de Pogorelov ou, en tout cas, sont aussi bons que celui-ci s’est avéré l’être au bout de cinq ans d’essai.

Références

ALEXANDRA~, A. D. 1980. ‘0 geometrii’ [De la géométrie]. Matematiku v shkole [Les mathématiques à l’école] , No. 3.

KISELEV, A.P. 1980. Elemenfamayageometriya [Géométrie élémentaire]. Moscou, Prosveshchenie.

KOLMOGOROV, A. N. et al. 1981. Geometriya, uchebnoe posobie dlya 6-8 klassou srednei shkoly [Géométrie : Manuel pour les élèves de l’école secondaire de 6e, 7e et 8e années]. Moscou, Prosveshchenie.

POGORELOV, A. V. 1984. Geometriya, uchebnoe posobie dlya 6-10 klassov srednei shkoly [Géométrie : Manuel pour les élèves de l’école secondaire de la 6e à la 1 Oe année] . Moscou, Prosveshchenie.

POLYA, Gyorgy. 1957. Comment poser et résoudre un problème (mathématiques, physique, jeux, philosophie). Paris, Dunod. Traduit par C. Mesnage.

Programmy vos5niletneiisredneishkoly (1984-85 uchebnyigod) Mathematihx [Programmes de mathématiques l’école secondaire (huit années) (année scolaire 1984-1985)]. Moscou, Prosveshchenie.

RYBKIN, N. A. 1973. Sbomik zadach po geometrii : planimettiya [Recueil de problèmes de géométrie : planimétrie]. Moscou, Prosveshchenie.

111

Page 108: L'Enseignement de la géométrie

G. Glaeser

La crise de l’éducation géométrique

Crise de société

La troisième révolution industrielle qui secoue actuellement l’humanité se caractérise par l’accélération des changements de techniques. Vers 1960, une innovation de fabrication, aux Etats-Unis d’Amérique, pouvait être périmée au bout de cinq ans ; ceux qui venaient de s’adapter à de nouvelles méthodes disposaient de quelques années de répit avant de se préparer à l’innovation suivante. Désormais le changement est continu. Nous sommes entrés dans l’ère de la formation permanente.

Les programmes scolaires ont actuellement une durée de vie moyenne de cinq ans. Dès que de nouveaux manuels sont hâtivement écrits, il est indispensable que les enseignants s’y adaptent. Après trois ans d’efforts, ils croient que l’heure du repos est venue. Hélas ! De nouveaux bouleversements sont en cours. Et en avant pour de nouveaux stages et des recyclages indispensables ! De même, la formation professionnelle ne porte que sur des connaissances provisoirement utiles.

Nous assistons à la faillite de l’instruction traditionnelle basée sur l’acquisition d’un stock de connaissances partielles répertoriées dans des programmes scolaires. Désormais chacun doit s’entraîner à s’informer et à se documenter, à apprendre individuellement certains savoir-faire, tout en sachant qu’ils ne lui serviront pas longtemps ! L’éducation (acquisition des habitudes) prend le pas sur l’enseignement (transmission de connaissances).

Un autre aspect de la crise actuelle a été décrit, dès 1970, par l’il- lustre physicien P. L. Kapitza (1894- 1984) qui posait clairement les problèmes pédagogiques de notre époque. Voici quelques extraits de sa conférence : “L’éducation du sens créateur de la jeunesse” :

Au siécle dernier, 80 à 90 % de la population vivait généralement à la campagne et produisait des aliments en quantité juste suffisante pour se nourrir elle-même et nourrir la population urbaine du pays ; actuellement au contraire, dans de nom- breux pays, 10 % au plus de la population est rurale et elle satisfait abondamment les besoins en aliments du pays. On peut constater sur un exemple le niveau excep- tionnellement élevé que le rendement du travail a atteint à présent dans l’industrie :

113

-__- --

Page 109: L'Enseignement de la géométrie

G. Glaeser

si on divise le nombre d’automobiles produites par une entreprise importante de nos jours par le nombre d’ouvriers qui y travaillent, on trouve que chaque ouvrier produit plus d’une automobile par mois.

Les économistes considèrent que, grâce au rendement actuel du travail, il suffit d’à peu près un tiers ou un quart de l’ensemble des travailleurs d’un pays industriellement développé pour ravitailler en abondance la population avec tout ce qui est nécessaire pour vivre : nourriture, vêtements, logements, moyens de transport, etc. Si à présent on trouve dans l’industrie beaucoup plus de travailleurs, c’est dû principalement à l’industrie de guerre, à l’aide économique aux pays moins développés, à la recherche scientifique, aux services publics, au tourisme, à la radio, à la télévision, au cinéma, aux sports, à la presse, etc. (Kapitza, 1977.)

Kapitza en déduisait que “la croissance actuelle des richesses sociales entraîne une croissanceextraordinaire durevenu par habitant”. “L’aisance de la population croît constamment” écrit-il (ibid. ).

Les nouveaux objectifs de l’école

En fait, chaque solution que l’on peut tenter d’apporter à notre crise comporte un aspect culturel. La modernisation de l’équipement tournera au fiasco si elle ne s’accompagne pas d’un développement intellectuel des producteurs.

Ce progrès ne s’accomplira que par un encouragement systématique au travail individuel extrascolaire : moins de leçons magistrales à apprendre par coeur, davantage de documentation collectée librement. Dans chaque classe - et plus particulièrement là où se trouvent des élèves en échec qui ne trouvent pas à domicile l’environnement culturel souhaitable - des ouvages de référence, et d’abord des dictionnaires ou encyclopédies, doivent être mis à la disposition des élèves. Et peu à peu, chaque école devra avoir un accès informatique à des banques de données.

Une éducation permanente familiarisera chacun avec l’emploi de ces instruments. Un plan d’urgence portera sur le sauvetage intellectuel de ceux qui à douze ans ne comprennent pas ce qu’ils lisent (parce qu’ils ne lisent pas assez). Ils doivent accéder au minimum vital intellectuel avant de quitter la scolarité obligatoire.

Dans ces conditions, la mathématique - science où il y a peu à apprendre et beaucoup à comprendre - est un domaine culturel de première nécessité. Elle doit devenir progressivement un instrument d’éducation, et perdre son caractère de catalogue d’objets d’enseigne- ment.

La liste des connaissances mathématiques que la société a intérêt à imposer à tous change d’année en année et se réduit à peu de chose. La mathématique est localement inutile et globalement indispensable. En

114

Page 110: L'Enseignement de la géométrie

La crise de l’éducation géomhique

revanche, il y a des méthodes - des outils de pensée - qui sont de plus en plus utiles.

Nos enfants ne doivent pas se sentir troublés comme l’étaient nos pères à la seule vue d’une formule mathématique. Chacun doit prendre conscience de l’économie de pensée et de la précision que représente une expression algébrique bien utilisée. En revanche l’abus de mémorisa- tion de nombreuses formules est nocif, surtout si l’on ne sait pas s’en servir, ou s’il est possible de les trouver dans un ouvrage de référence accessible.

Il est important de développer la maîtrise des dessins et des schémas pour résoudre beaucoup de difficultés quotidiennes : faire des plans, savoir les lire et les interpréter. Et puis, chacun doit être capable de tranférer des connaissances d’une discipline à l’autre. Au lieu de com- partimenter l’enseignement en matières cloisonnées, on encouragera des réinvestissements de connaissance (par exemple de géographie en mathématique et vice versa).

Insistons sur la priorité à donner à l’expression orale et écrite. Beaucoup d’échecs en mathématiques s’expliquent par l’incapacité à 4 lire et à comprendre l’énoncé d’un problème. Pour éviter tout malen- tendu, précisons que l’apprentissage centré sur l’éducation n’exclut pas l’acquisition indirecte de nombreuses connaissances. Lorsqu’un élève est surpris par un “événement mathématique” et qu’il en com- prend les ressorts, il s’en souviendra sans effort de mémorisation. Par exemple, l’importance de I’associativité est mieux perçue à la suite d’un exercice ad hoc, où l’on est confronté à la différence de signification de a(W et de (ab)c, que si l’on apprend par coeur la définition de l’associativité. De même, l’apprentissage précoce de la définition de la limite à la Cauchy (en E, 6) est inutile et même nocif s’il n’est pas précédé par une longue familiarisation avec la convergence, étendue sur une dizaine d’années (Glaeser, 1976).

Pour mettre en oeuvre la nouvelle pédagogie que notre avenir réclame, la géométrie est particulièrement efficace. Depuis ses origines, elle a assumé des rôles très différents. Le reste de cet article est consacré à la présentation de cinq de ces rôles. Beaucoup d’erreurs commises depuis trente ans par ceux qui fabriquent les programmes scolaires et planifient la formation des maîtres trouvent leur origine dans une méconnaissance des distinctions entre ces rôles.

On assiste actuellement à une dégradation universelle de l’enseigne- ment de la géométrie. Je la déplore. Mais plus préoccupant est le déclin de l’éducation géométrique.

115

Page 111: L'Enseignement de la géométrie

G. Ghewr

La géométrie, comme science de l’espace

Depuis les observations empiriques des arpenteurs, égyptiens ou autres, on a accumulé une profusion de renseignements sur les figures de l’espace. L’enseignement consistait principalement à faire retenir une partie de cette information disparate, en prétendant qu’elle était utile.

Est-il certain, par exemple, que l’expression de l’aire d’un triangle soit importante ? Nombreux sont ceux qui n’auront à l’utiliser qu’une fois (au plus) dans leur vie extrascolaire. Plus importante est l’aptitude à s’habituer à évaluer une étendue ou une masse, en décomposant un objet en morceaux plus simples, et en recomposant le puzzle autrement. Bien entendu, pour acquérir cette aptitude, les exercices les plus simples portent sur le parallélogramme et le triangle, et ceux qui ont été frappés par la simplicité du résultat le retiendront sans effort.

J’y pensais récemment lorsque je corrigeais des copies d’examen d’élèves-instituteurs. Au cours de la résolution du problème posé, il fallait calculer l’aire d’un certain trapèze. Je fus indigné de ne trouver dans aucune copie d’allusion à la formule classique. Or la plupart des candidats fournirent la réponse numérique exacte en partageant le trapèze en deux triangles . . . Mon indignation se calma après réflexion. A quoi rime mon exigence d’érudition, si le futur instituteur se débrouille vite et bien ? Le renseignement que les candidats avaient retenu n’était pas la recette toute faite, mais l’accès facile au résultat (et aussi à un grand nombre de résultats analogues, même dans des cas non classiques).

Ici l’éducation prend incontestablement le pas sur l’instruction. Imaginons maintenant qu’un élève aux prises avec un triangle se

pose la question naturelle : peut-on calculer son aire en connaissant les trois côtes ? L’enseignant l’encouragera à chercher ce renseignement dans un des ouvrages de référence dont toute classe devrait être dotée. Une saine pédagogie provoquera l’enthousiasme en signalant que la formule :

A=l/4 d(a+b+c)(a+b-c)(b+c-a)(c+ a-b)

attribuée à Héron, fut en réalité découverte par Archimède à une époque où le langage algébrique n’était pas encore inventé. Puis le maître - suivant en cela l’exemple de A. 1. Wittenberg (1963) fera découvrir à la classe que cette formule d’aspect providentiel est, en fait, la seule raisonnable (au coefficient près).

C’est ce que prouvent quelques arguments d’invariance ou d’homo- généité. Les élèves observés par Wittenberg comprirent eux-mêmes les raisons de la présence des facteurs tels que (a + b - c) sous le radical. Et l’on retrouve le 1/4 sur un cas particulier convenablement choisi (le triangle pythagoricien 3 - 4 - 5 fournit fort aisément la réponse).

116

Page 112: L'Enseignement de la géométrie

La crise de l’éducation géométrique

“Mais, demandera un béotien, a-t-on besoin de cette formule ?” La réponse est “non !” “ Mais alors ! A quoi ça sert ‘?” Nous rétorquerons “A quoi sert le concerto pour piano de Mozart No. 20, en ré mineur ?” L’éducation sert aussi à former le sens esthétique.

Il n’est guère de métier où l’on n’ait besoin d’être familiarisé avec des agrandissements ou des réductions. L’éducation commence très tôt, avec les poupées et les autos miniatures ; mais elle devrait se pour- suivre par une réflexion sur ces pratiques. A titre d’exemple, je recom- manderais les activités d’agrandissement d’un puzzle proposé par Guy Brousseau (198 1). Quant à la définition de l’homothétie, elle se retient aisément, à condition de savoir déjà depuis longtemps ce dont il s’agit.

La géométrie comme modèle de rigueur

La géométrie est restée longtemps la science déductive, par excellence. Lorsqu’un Spinoza exposait sa doctrine, en visant un haut niveau de rationalité, il rédigeait 1’Ethique en procédant “more geometrico”.

Cette prétention paraît bien naïve, aujourd’hui. En fait, ce n’est qu’en 1899, avec les Grundlugen der Geometrie de David Hilbert, que le vieux projet d’Euclide fut enfin réalisé correctement. Mais cette mise au point n’allait pas sans pédanterie ni lourdeur de style.

Bien qu’il s’agisse d’exposer des fondements (c’est-à-dire les débuts), le texte obtenu est inaccessible à des débutants. Pour comprendre la démarche axiomatique, une longue éducation préalable est indispensable : si Bourbaki” n’exige de ses lecteurs “aucune connaissance mathé- matique particulière”, il juge qu’ils doivent acquérir “une certaine habitude du raisonnement mathématique et un certain pouvoir d’abs- traction”. Pour développer ces habitudes et ce pouvoir, il faut avoir eu l’occasion de s’exercer sur des activités ad hoc. Et finalement, l’initiation à l’axiomatique de la géométrie ne réussit qu’avec des élèves qui connais- sent déjà la matière axiomatisée, et sont capables d’apprécier les incon- vénients d’une géométrie empirique. Actuellement, l’analyse et surtout l’algèbre fournissent un meilleur modèle de rigueur.

Lorsqu’on tente d’exposer la géométrie selon un système hypothético-déductif irréprochable, la géométrie élémentaire et l’axio- matique d’Hilbert ne constituent pas le point de départ le plus efficace. Au contraire, en accord avec Jean Dieudonné, il semble plus économique de partir d’un espace affine associé à Rn, muni d’un produit scalaire. Mais une telle présentation, satisfaisante pour le mathématicien pro- fessionnel, n’enrichit nullement l’intuition et la culture du débutant. S’adressant à des néophytes, cette voie a complètement échoué.

*En 1935, de jeunes mathdmaticiens français formerent un groupe qui se mit à publier sous le nom de Nicolas Bourbaki. Le groupe coopte de temps à autre de nouveaux membres. Les membres doivent se retirer lorsqu’ils atteignent l’âge de 50 ans.

117

Page 113: L'Enseignement de la géométrie

G. Glaeser

L’éveil au raisonnement

S’il est indispensable de préparer longuement nos jeunes élèves à prati- quer et à apprécier la démonstration mathématique, l’enseignant doit disposer d’un stock de situations et d’activités pédagogiques appropriées. C’est là où la géométrie joue un rôle décisif, non comme modèle d’une rigueur achevée, mais comme tremplin qui facilite l’accès à la déduction.

La génèse du raisonnement commence très tôt. On devrait rassembler une anthologie de prétextes à raisonnement qui seraient profitables dès les classes maternelles. Parmi les activités qui conviennent à des écoliers de moins de 8 ans, citons les rangements, les tris, les sériations, la répartition d’objets en classes d’équivalence diverses. La pratique des dénombrements utilisant des arbres, des tableaux à double entrée, des bijections ou des partitions prépare à la confection d’énumérations exhaustives. Ce sont là des activités intellectuelles qui gardent leur intérêt pédagogique en dépit du fiasco des mathématiques prétendument modernes. La confection de carrés magiques donne lieu à des efforts logiques et heuristiques.

Les pré-adolescents prennent plaisir à confectionner des “codes secrets” qu’ils essaient de décrypter. Ils aiment à comprendre les ressorts de certains tours de cartes ou de prestidigitation. De telles recherches apprennent à argumenter et à prouver.

Et voici maintenant une question, résolue par la découverte d’un contre-exemple, compréhensible par des élèves d’école primaire de 9-10 ans (IREM de Strasbourg, 1974). On demande à un jeune écolier ce qu’il pense des deux affirmations suivantes :

1 ère phrase :

“Je me trouve à l’intérieur d’un champ carré et je marche tout droit. Au milieu de mon trajet je rencontre la frontière du champ. Par consé- quent, je me retrouve à l’extérieur du champ”.

2ème phrase :

“Je me trouve à l’extérieur d’un champ carré et je marche tout droit. Au milieu de mon trajet je rencontre la frontière du champ. Par consé- quent, je me retrouve à l’intérieur du champ”.

En ce qui concerne la première phrase, l’enfant ne peut qu’affirmer sa conviction : un démonstration est hors de sa portée. Mais, à propos de la seconde, il serait intéressant d’observer, d’abord la conviction puis peut-être, l’apparition d’un doute, couronné par la découverte d’un contre-exemple. C’est ainsi qu’un élève comprend progressivement que tout ce qui est évident n’est pas forcément vrai, et qu’une règle n’est pas générale si elle admet une exception, fût-elle unique !

118

Page 114: L'Enseignement de la géométrie

La crise de l’éducation géométrique

Parmi les nombreuses démonstrations que l’on peut proposer à l’école primaire, figurent l’établissement de quelques formules sur l’aire des polygones et beaucoup de jeux. On trouvera aussi, parmi les nombreux travaux que Guy Brousseau a effectués à 1’IREM (Institut de recherche sur l’enseignement des mathématiques) de Bordeaux, une profusion d’exemples à utiliser.

Mais c’est surtout vers 12- 13 ans (selon les programmes en vigueur) que l’on commence à exiger systématiquement les premières démons- trations en géométrie.

J’évoquerai à ce propos un souvenir personnel ; comme cet incident est à l’origine de ma décision de devenir mathématicien, je ne suis pas prêt à l’oublier. J’avais tout juste 12 ans, et pour la première fois, mon professeur de 4ème nous demanda de faire un devoir où l’on deman- dait de faire une démonstration.

On donne un angle droit xÔy, ainsi que deux angles AÔB et CÔD, dont les nbissectrices respectives sont 0x et 0x. Démontrer que les angles AOC et BOD sont supplémentaires.

Après avoir longuement séché je compris qu’il y avait intérêt à coder la figure : j’adoptais alors (je m’en souviens) les notations maladroites 1, 2, 3, que je remplace ci-contre par a, /3, y, lettres grecques que je ne connaissais pas encore.

J’aboutis alors à la “solution” suivante :

AÔC=2â+fietBÔD=2q+b

Donc AÔC + BÔD = (2â + 8) + (2< + ii) = 2(â + fi + $> = 2 angles droits.

D

__-- . . . .._.. -.- ~

Page 115: L'Enseignement de la géométrie

G. Glaeser

J’ai discuté récemment de ce souvenir avec des amis mathématiciens. Il est clair que cette “démonstration” est loin d’être irréprochable, selon les canons de Hilbert. D’abord, bien que cette solution comporte un certain degré de généralité (car on peut modifier légèrement la figure sans nuire au raisonnement), elle est cependant subordonnée à des cas de figure particuliers. 11 suffirait, par exemple, d’échanger sur le dessin la place des lettres C et D pour que l’argument cité cesse littéralement d’être correct.

De plus, ma solution de débutant invoquait (sans que j’en sois conscient) 1 ‘associativité et la commutativité de l’addition des angles. J’étais hors d’état, à l’époque, d’avoir de telles exigences. Il m’a fallu plus de dix ans de pratique mathématique pour que je me heurte à suffisamment de situations où l’absence d’associativité conduisait à des erreurs grossières.

Si mon professeur de 4ème avait voulu m’expliquer la grave faute logique que comportait ainsi ma solution, je n’aurais pas compris. Mais aucun des amis mathématiciens consultés n’a prétendu que je n’avais pas compris, dès cette expérience, ce qu’était une démonstration. J’avais franchi un pas important dans la compréhension de la règle du jeu mathématique. Et c’est de cette façon que la pratique du problème de géométrie prépare progressivement l’élève à la perfection logique. C’est un instrument d’éducation exceptionnel pour faire apprécier l’utilité et la fécondité des démonstrations. Nombreux sont les ensei- gnants qui se plaignent de la difficulté qu’éprouvent leurs élèves à ima- giner eux-mêmes des démonstrations. En fait, la plupart des novices considèrent la démonstration comme une exigence gratuite et pédante de leur maître. On peut faciliter le processus de compréhension en proposant d’étudier des situations, où ce qui est évident est faux !

J’ai souvent utilisé l’exemple qui suit avec des élèves de 12 ans et plus, mais il est probable que l’on peut obtenir déjà de bons résultats un peu plus tôt. On demande si, sur la figure ci-contre, l’octogone tracé en traits renforcés est régulier ou non.

“C’est évident ! ” s’écrie la classe. A F “Ça se voit sur le dessin !”

B

G

C

120

Page 116: L'Enseignement de la géométrie

La crise de l’éducation géométrique

En de telles circonstances, Guy Brousseau conseille de semer quel- ques doutes, puis de provoquer un débat. Pour commencer, cherchons le mot “régulier” dans le Petit Larousse . . . “polygone régulier (Math.) : polygone ayant tous ses angles égaux et tous ses côtés égaux”.

Bientôt quelques élèves, toujours sceptiques, mesureront les côtés de mauvaise grâce. Premier débat : “ Les côtés sont-ils vraiment égaux ?“. Le professeur peut alors faire valoir des arguments de symétrie, plus convaincants pour lui, mais que ne troublent guère ses élèves. L’apparence leur semble une preuve plus forte.

Il faudrait passer aux angles, mais (heureusement) personne n’a un rapporteur sous la main. Et d’ailleurs, comme tout le monde ne sait pas bien s’en servir, la controverse rebondit. Finalement, on peut re- marquer que les angles AHB et FDG sont inégaux : les branches du compas FDG sont moins écartées que celles du même compas dans la position AHB, puisque FG est plus court que AB. (“Ça se voit sur le dessin !“) . . . Par la suite on trouvera une preuve moins empirique.

Ce qui me plaît dans cet exemple, c’est que les connaissances requises pour le comprendre n’exigent guère d’étalage d’érudition. Il permet de convaincre que les apparences peuvent être trompeuses, et participe ainsi à une motivation de la démonstration. Plus tard, cet exercice pourra servir de prétexte à une première démonstration par l’absurde. “Si l’octogone convexe était régulier, les sommets du poly- gone étoilé associé AGDFCEBHA devraient être inscrits dans un cercle et non dans un carré !“.

Dans les deux exemples que nous venons de donner, l’utilisation d’arguments non formalisés est intentionnelle. Il faudra encore une longue pratique pour que l’élève prenne conscience des inconvénients du bon sens géométrique, et consente à se soumettre au rituel du mathématicien et du logicien.

Finalement, je trouve naturel que le professeur qui pratique l’édu- cation du raisonnement consacre plusieurs heures (espacées) à cet exemple en sachant que le contenu cognitif du résultat ne présente aucun intérêt. Tant pis pour les programmes ! Un enseignant qui aurait fait comprendre à sa classe pourquoi les mathématiciens se livrent à des activités logiques n’aura pas perdu son temps !

La géométrie comme langage heuristique

“Mais”, rétorqueront certains mathématiciens professionnels, “pourquoi choisir la géométrie et les langues mortes comme objet de culture et comme incitateur au raisonnement ? Ne pourrait-on s’en tenir à des connaissances plus actuelles, moins vieillies ? ” Et, en fait, la pratique informatique incite puissamment à formaliser les raisonnements.

121

Page 117: L'Enseignement de la géométrie

G. Glaeser

L’ordinateur est dénué d’intuition, et “ne voit rien d’évident sur une figure !”

La géométrie élémentaire rassemble certes des connaissances tout à fait dépassées, à l’exception de celles qui ont été absorbées par l’algèbre (Dieudonné, 1964). Mais ce n’est pas à titre de corpus de connaissances qu’elle est importante. La géométrie est devenue aujourd’hui le langage heuristique le plus utilisé, et c’est à ce titre qu’il est indispensable d’en faire bénéficier les élèves. Chaque fois que l’on veut analyser une situa- tion un peu compliquée, on fait un croquis ou des schémas sur lesquels on raisonne de façon intuitive. Assurément, je ne connais aucune pro- fession où l’art d’utiliser un dessin (figuratif ou symbolique) ne soit primordial. Rien n’empêche d’ailleurs (dans l’argument du compas plus ou moins ouvert que nous avons utilisé plus haut) de nous référer à un théorème dûment démontré, dans les bons manuels. Par exemple :

Théorème

Si deux triangles AOB et A’O’B’ ont deux côtés égaux, chacun à chacun, comprenant des angles jnégaux, au plus grand angle est opposé le plus grand côté, et réciproquement.

Mais la mise en forme logique vient à la fin. Le langage de la géométrie est important parce qu’il suggère des métaphores qui déclencheront les associations d’idées fécondes.

.

Ce n’est pas un hasard si l’analyse fonctionnelle parle de distance, de boules, de cônes, de translation, d’homothétie. Certes, le mathé- maticien est conscient des limites de ces analogies éventuellement boiteuses. Mais c’est par rapport à quelques images prégnantes qu’il organise ses connaissances.

Aucun mathématicien n’est dupe de la fiction heuristique qui désigne deux droites parallèles, comme “des droites se coupant à l’infini”. D’ailleurs, cette façon de parler, bien commode, devient complètement justifiée à la suite d’une construction axiomatique du plan projectif. De même, l’usage du langage de la géométrie eucli- dienne réelle dans le domaine complexe permet des raccourcis heuristi- ques saisissants. Lorsqu’à propos de deux cercles réels disjoints on parle de leurs points d’intersection imaginaires, on ne fait qu’exprimer qu’une certaine équation algébrique a des racines complexes. Ces racines peuvent être calculées et invoquées au cours des raisonnements sans que l’on puisse les représenter sur le dessin.

En géométrie euclidienne réelle, deux droites perpendiculaires ne sont jamais parallèles. Mais on se permet de traduire, dans le domaine complexe, les propriétés des droites isotropes, en disant que ce sont des droites qui restent fixes, lorsqu’on les fait tourner autour d’un de leur point. Ceux qui redoutent ces évocations surréalistes ont la res- source de revenir à des calculs explicites, qui ne se réfèrent à aucune

122

Page 118: L'Enseignement de la géométrie

La crise de l’éducation géométrique

intuition. Mais le langage géométrique favorise les transferts d’un contexte à l’autre.

Exemple

Face au problème d’algèbre suivant :

“Décrire les matrices réelles inversibles M, telles que les coefficients de M et de MS1 soient tous positifs ou nuls”.

On peut raisonner ainsi :

M représente un isomorphisme d’un espace R”. Appelons “premier quadrant” la partie de R” formée des points dont toutes les coordonnées sont positives ou nulles.

Les hypothèses impliquent que M transforme le premier quadrant dans lui-même. Comme il en est de même pour M-’ , on en déduit que le premier quadrant est appliqué SUY lui-même et que, par conséquent, les axes de coordonnées sont conservés. On en conclut qu’un seul coeffi- cient, par ligne et par colonne, n’est pas nul (“matrices stochastiques”).

Il est possible de démontrer le résultat en ne recourant qu’au calcul. Mais le transfert dans le domaine géométrique fournit les intuitions qui permettent de trouver une telle preuve. Par ailleurs, un résultat obtenu à la suite d’un long calcul paraît souvent miraculeux. La recherche de causes simples et intuitives est plus convaincante.

Voici un exemple où l’intuition dans le domaine de l’optique géo- métrique nous en dit plus que l’application sèche d’une formule.

Problème

Trouver le centre de courbure d’une parabole en son sommet.

Le résultat devient évident lorsqu’on utilise l’approximation dite de Gauss d’un miroir parabolique par un miroir sphérique osculateur de faible ouverture. Pour ce dernier, on sait qu’il existe un foyer ap- proximatif, situé au mileu du segment qui joint le sommet au centre. En invoquant cette approximation, on aperçoit sans calcul la réponse à la question posée. “Le centre de courbure cherché est le symétrique du sommet de la parabole par rapport au foyer”. Un autre intérêt de cet exemple est d’inciter à utiliser dans une discipline les connaissances que l’on a acquises par ailleurs.

L’efficacité heuristique de la géométrie tient aussi aux possibilités qu’elle offre de représenter par des symboles concis et hautement significatifs des notions qui, écrites autrement, charrient des “bruits de fond” considérables. C’est là la source de l’efficacité des calculs vectoriels, à condition d’éviter de revenir sans cesse aux coordonnées

123

Page 119: L'Enseignement de la géométrie

G. Glaeser

cartésiennes des grandeurs invoquées. Et c’est pourquoi l’interprétation des résultats intermédiaires y est beaucoup plus accessible.

Voici, par exemple, un calcul évocateur, qui permet de montrer que, dans un triangle ABC, les trois hauteurs sont concourantes. Il s’agit d’abord d’écrire l’équation de la hauteur issue de A. On peut y parvenir péniblement en utilisant des coordonnées cartésiennes en axe rectangu- laire (après avoir indiqué les coordonnées des trois sommets). Mais le calcul devient plus suggestif si l’on remarque que l’ensemble des points X du plan euclidien satisfaisant à

IIXB II* - Ilxc II* = IIAB Il2 - IIAC Il2

(conséquence immédiate du théorème de Pythagore) est la perpendicu- laire menée de A sur BC.

En appelant D le point de rencontre des hauteurs issues de A et de B, on en conclut qu’il satisfait aux deux égalités suivantes :

IIDBl12 - IIDCl12 = IIABl12 - lIACIl* IIDCII* - IlDAlI* = IIBC Il2 - IlBAIl*

d’où l’on déduit, en ajoutant membre à membre, la conséquence :

IIDBll* - IlDAlI* = IIBCl12 - lIACIl

Elle exprime que D se trouve sur la troisième hauteur. En outre, les égalités écrites prouvent que :

IIABll* + IIDCII’ = IIBCII* + IlDAlI* = IICAll* + IIDBll*

Pour illustrer le triste déclin de la pensée géométrique, je signalerai l’exemple des copies que j’ai eu à corriger, en tant que membre du jury aux Olympiades internationales de mathématiques de 1973, à Moscou (Gerll et Gerard, 1976). Au cours de la solution du problème 4, on avait à déterminer le point 1, minimisant le triangle AI + IC dans la figure suivante, ou ABC est un triangle équilatéral.

On pouvait s’attendre, de la part de candidats brillants, à des argu- ments élémentaires et simples, s’inspirant des lois de la réflexion en optique de la symétrie, de l’inégalité du triangle, ou de l’intersection des ellipses de foyers A et C avec l’arc de cercle de centre B tracé sur la page précédente.

Or, un grand nombre de participants se lancèrent dans la recherche d’un minimum de fonction, tel que

f(t) =d (sin t - a)* + (COS t - b)2 +d (sin t - a)? + (COS t + b)2

à grand renfort de dérivées.

124

Page 120: L'Enseignement de la géométrie

La crise de l’éducation géométrique

Nos meilleurs élèves seraient-ils devenus aussi bêtes que des ordina- teurs ?

De même, pour résoudre un problème de géométrie élémentaire proposé aux Olympiades de 1983 (Paris), les candidats vietnamiens fournirent tous des solutions simples en cinq lignes au plus.

En revanche, on trouva (notamment parmi les copies soviétiques et françaises) des calculs allant jusqu’à 10 pages qui aboutissaient excep- tionnellement au résultat exact !

Il n’y a pas lieu d’être ébloui par de telles prestations. Bien meil- leurs sont les travaux d’élèves dont les auteurs savent où ils vont et pourquoi ils parviennent au but.

L’art des transformations

L’activité créatrice humaine ne fait rien surgir ex nihilo. Elle ne fait que transformer ce qui existait auparavant. Parfois, elle déplace, coupe, broie, écrase, recompose, assemble . . . ; dans d’autres cas, elle expose les objets aux agents naturels (chaleur, lumière, agents chimiques ou biologiques, phénomènes sociaux . . .). C’est dire que l’éducation des aptitudes à transformer prépare à des tâches que l’on accomplira toute sa vie. Mais la crise change l’ampleur du besoin d’éducation. Jadis, chacun accomplissait, jour après jour, les mêmes transformations au même poste de travail. On pouvait s’épargner l’effort d’une réflexion d’ensemble sur la généralité du phénomène. Désormais, nous entrons dans l’ère des transformations variées . . .

Beaucoup de transformations revêtent des aspects pluridisciplinaires. Ainsi, la traduction qui est une transformation de texte, paraît parfois comme une activité exclusivement littéraire. Mais, elle concerne le mathématicien lorsqu’il s’agit d’une “mise en équation” ou d’une pro-

125

Page 121: L'Enseignement de la géométrie

G. Glaeser

grammation destinée à un ordinateur. Mais depuis le milieu du 19ème siècle, c’est la géométrie qui est devenue la science des transformations par excellence. Elle étudie les modifications des objets géométriques ou des représentations de ceux-ci, avec les invariances qui les accompagnent. Le drapeau de la géométrie des transformations reste le célèbre “Pro- gramme d’Erlangen”, que Félix Klein proposa en 1872 dans sa leçon inaugurale.

Sous l’influence d’Emile Bore1 et de Jacques Hadamard, l’enseigne- ment de la géométrie s’organise en France autour des divers groupes de transformation dès le début du 20ème siècle. Ce fut longtemps un des points forts de l’enseignement mathématique français, avec un fâcheux reflux à partir des années 60. En revanche, cette tendance commence à se manifester au Royaume-Uni ou en URSS. L’aspect le plus élémentaire porte sur l’activité de transformation elle-même. Dès l’école primaire, on peut travailler sur des symétries (réalisées par exemple, à l’aide de pliages), et on peut agrandir une figure en se servant du pantographe (Brousseau, 1981). On habituera les élèves à translater, déplacer, dilater et même effectuer ces transformations affines diverses.

Voici, par exemple, une symétrie oblique, réalisée sur papier réticulé. Le manuel (IREM, Strasbourg, 1976) donne Sancho Pança. Et les élèves doivent obtenir Don Quichotte.

La pratique de la perspective, en classe de dessin, dès l’âge de 1 1 ans est fort instructive.

Mais beaucoup de figures géométriques peuvent se définir en termes de transformation. Un triangle isocèle est un triangle qui possède un axe de symétrie. Un parallélogramme est un parallélogramme ayant un

126

Page 122: L'Enseignement de la géométrie

La crise de l’éducation géomhique

centre de symétrie. Et, dans ces deux cas, toutes les propriétés usuelles, que l’on démontrait maladroitement jadis, s’obtiennent d’un seul coup. Les propriétés affines de l’ellipse s’obtiennent à partir de celles du cercle par projection, et peuvent donner lieu à une recherche de la part des élèves, vers 14 à 16 ans, indépendamment de toutes connaissances enseignées ex cathedra.

Beaucoup de propriétés géométriques s’obtiennent aisément en transformant une figure générale en une figure canonique. Par perspec- tive, on transforme un quadrilatère complet en carré ; une conique en cercle et bien d’autres choses encore. Enfin, il existe un niveau très efficace de réflexion géométrique où l’on raisonne sur la composition de transformation plutôt que sur les figures transformées. La tradition qui cultivait cette approche, florissante en France entre 1930 et 1950, semble s’être considérablement éteinte.

Exemple :

Lors des Olympiades de 1975 en Bulgarie, on posa le problème suivant (Greitzer, 1978) :

Dans le plan d’un triangle ABC quelconque, extérieurement à ce triangle, on construit les triangles BCP, CAQ, ABR tels que :

PBC = CÂQ = 45” BCP = QCA = 30” ABR= RÂB = 15”

Démontrer que QRP = 90” et que RQ = RP.

La solution est immédiate, si l’on songe à prouver que le composé de deux similitudes bien choisies est une rotation de 90”. Or, il ne se trouva qu’un seul candidat (un Hongrois) pour proposer cette solution, à laquelle les auteurs de la question n’avaient mème pas songé ! Et les membres du jury furent fort étonnés que l’on puisse utiliser cette approche, jugée très élégante, mais inhabituelle !

Conclusion

Voilà donc tout un stock de vertus pédagogiques que comporte la géométrie élémentaire. Cette science ne prend toute son importance que si on la considère comme un instrument éducatif. Bien entendu, un élève nourri à cette source acquerra beaucoup de connaissances qui le cultiveront. Mais l’effet escompté sera irrémédiablement perdu si l’on ne s’intéresse qu’à ces connaissances et si l’on néglige les activités mathématiques qui fortifient l’aptitude à la réflexion personnelle.

127

Page 123: L'Enseignement de la géométrie

G. Glaeser

Références

BROUSSEAU, Guy. 1981. Problèmes de didactique des décimaux. Recherches en didactique des mathématiques, Vol. 2, No. 1, p. 37-127. Grenoble, Editions de la Pensée sauvage.

DIEUDONNÉ, Jean. 1964. Algèbre linéaire et géométrie élémentaire. Paris, Hermann. GERLL, Denis et GIRARD, Georges. 1976. Les Olympiades internationales de

mathématiques. Paris, Classiques Hachette. GLAESER, Georges. 1976. La didactique de l’analyse. Bulletin de EAPMEP (Paris,

Association des Professeurs de mathématiques de l’enseignement public), NO. 302, février.

INSTITUT DE RECHERCHE SUR L’ENSEIGNEMENT DES MATHÉMATIQUES (IREM) DE STRASBOURG. 1974. Le livre du probltime. Fascicule 4 : La convexité. Paris, CEDIC.

. 1976. Mathématique - Classe de 3e. Paris, Istra. KAPITZA, P. L. 1971. “L’éducation du sens créateur de la jeunesse”, Communica-

tion au congrès international sur la formation des professeurs de physique, Eger (Hongrie), 1970. Traduit en français (avec le concours de l’IREM de Strasbourg) dans Le livre du probléme de physique, Paris, Cedic.

WI~ENBERG, A. et al. 1963. Redécouvtir les mathkmatiques. Neuchâtel,Delachaux & Niestlé.

128

Page 124: L'Enseignement de la géométrie

D. S. Fielker

Analyse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni

Contexte général

Hayter (1981, p. 102- 103) a décrit dans un volume antérieur de la présente série le contexte dans lequel sont élaborés les programmes scolaires au Royaume-Uni, mais il n’est pas inutile d’en rappeler ici les caractéristiques essentielles.

La responsabilité des programmes scolaires incombe aux écoles elles-mêmes et, même si elles reçoivent des indications et des conseils de l’extérieur c’est au conseil d’administration de l’école qu’il appartient de prendre les décisions et c’est le chef d’établissement qui en assure l’application. En réalité, beaucoup d’écoles primaires, et sans doute toutes les écoles secondaires, ont des professeurs responsables de l’enseignement des mathématiques et ce sont eux qui, dans la pratique, décident des programmes de mathématiques, en prenant habituellement des avis extérieurs et en concertation avec leurs collègues de cette discipline.

Il y a des différences essentielles entre le primaire et le secondaire. Même dans les circonscriptions scolaires locales où cette division tradi- tionnelle en deux degrés - l’entrée dans le second degré se faisant à l’âge de 11 ans (12 ans en Ecosse) - est remplacée par un système à trois niveaux ( “first “, “middle” et “upper” schools), un changement d’organisation du type primaire-secondaire intervient souvent dans les middle schools. Dans le primaire, les élèves de chaque classe, habi- tuellement de niveau non homogène, reçoivent en principe la plus grande partie de leur enseignement d’un maître unique. Dans le secondaire, les élèves ont des professeurs différents pour les différentes matières, l’organisation de l’enseignement présentant un degré de souplesse variable pour ce qui est de la constitution de groupes de niveau par matière, de groupes de niveau généraux ou de groupes non homogènes sur le plan des aptitudes. Les maîtres du primaire ont donc généralement une connaissance limitée des mathématiques, alors que les professeurs de mathématiques du secondaire sont théoriquement des mathématiciens bien que, dans la pratique, beaucoup d’élèves reçoivent

129

Page 125: L'Enseignement de la géométrie

D. S. Fielker

leur enseignement de non-mathématiciens du fait de la pénurie endémique d’enseignants.

Il existe aussi, dans le secondaire, des différences en ce qui concerne les cours de mathématiques destinés aux élèves les plus doués (environ 20 pour cent du total), aux élèves moyens (officiellement, la tranche située entre 20 pour cent et 60 pour cent) et aux moins aptes. Bien que, dans beaucoup d’écoles secondaires, on essaie de faire suivre aux enfants le même enseignement aussi longtemps que possible, il faut tôt ou tard prendre des décisions pour tenir compte des examens externes que les élèves passent à l’âge de 16 ans, c’est-à-dire décider de présenter et préparer les enfants soit au General Certificate of Education, niveau 0 (ordinaire), soit au Certificate of Secondary Education (CSE), soit à un CSE de “niveau limité”, ou même de ne les présenter à aucun examen. Le Secrétaire d’Etat à l’éducation et à la science a récemment (1984) approuvé un projet d’examen commun (à l’âge de 16 ans) pour rem- placer le GCE (niveau 0) et le CSE, mais il semble que les trois niveaux d’enseignement subsisteront néanmoins dans la nouvelle structure.

L’âge de fin de scolarité obligatoire est fixé à 16 ans, mais de plus en plus d’élèves poursuivent leurs études au-delà, dans les classes de sixième année (sixth fom). Environ 6 pour cent de l’ensemble des élèves suivent le cours de mathématiques jusqu’au niveau A (avancé) (âge 18-19 ans), mais le programme des classes de sixième année s’élargit et comporte désormais divers autres enseignements mathématiques.

Bien qu’en théorie les écoles jouissent d’une totale liberté et autonomie d’élaboration des programmes, dans la pratique les ensei- gnants du primaire manquant de connaissances et d’assurance, ont tendance à s’en remettre aux manuels publiés. Dans le secondaire, les professeurs se sentent prisonniers du programme et du style des examens externes ; il existe bien des options permettant de s’en écarter, mais peu d’écoles usent de cette faculté et celles qui le font éprouvent des difficultés à justifier des déviations trop importantes par rapport à la norme, face à un jury d’examen préoccupé surtout de comparer des niveaux d’aptitude.

Malgré les contraintes ainsi ressenties, les meilleures des réformes britanniques sont directement le fait de certains praticiens de I’enseigne- ment et ces réformes ont une influence sur les autres professeurs, soit par le biais des programmes de formation continue, soit par I’intermé- diaire des jurys d’examen, qui finissent toujours par s’aligner sur les réformes introduites par les enseignants dans leur pratique pédagogique. Il est cependant dans la nature des choses que la réforme des pro- grammes se fasse toujours lentement et par petits morceaux. Cela tient à l’autonomie des écoles, qui peuvent certes décider d’évoluer, mais aussi de conserver les choses en l’état! Du moins cela implique qu’elles ne sont pas obligées de s’adapter au changement avant d’y être prêtes,

130

Page 126: L'Enseignement de la géométrie

Analyse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni

et personne ne se voit imposer un programme scolaire nouveau qu’il se sent incapable d’assumer.

La géométrie à l’école primaire

On n’enseignait guère de géométrie dans les écoles primaires jusque vers 1960, époque où Edith Biggs et d’autres, par une vigoureuse action de formation continue, entreprit d’élargir le programme de mathématiques de l’école primaire. Edith Biggs a dirigé par la suite la publication d’un ouvrage du Schools Council (1965) dont un chapitre important intitulé “Children, Shapes and Space” [Les enfants, les figures et l’espace] traite de sujets tels que le plan et les solides, les réseaux, les angles, les parallèles, la symétrie et la similitude, reposant entièrement sur des travaux effectués réellement avec des enfants. Bien que le périmètre, l’aire et le volume y figurent aussi, les questions de mesure sont en général traitées dans les chapitres du livre consacrés aux sujets numériques. Cela contraste avec des livres publiés ultérieurement à l’intention des enseignants du primaire, où les chapitres sur “Shape and size” [La forme et la taille] ont surtout trait à la mesure et où, par conséquent, la véritable géométrie tient peu de place. Edith Biggs propose, quant à elle, une bonne part de géométrie, fondée sur des activités pratiques, avec une méthode d’exploration où l’on incite les enfants à “découvrir” eux- mêmes les notions et oh l’on établit des liens entre la géométrie et l’utilisation des nombres, de la mesure et des représentations graphiques.

Le Nuffield Mathematics Project a été lancé en 1964, sous la direc- tion de Geoffrey Matthew. Dans le cadre de ce projet, une série de guides de l’enseignant a été publiée au cours des années qui ont suivi. Les trois guides successifs sur la forme et la taille (Nuffield Mathematics Project, 1967, 1968, 1971) suivent la voie tracée par Biggs et sont comme son ouvrage, abondamment illustrés d’exemples de travaux d’élèves. La philosophie du projet Nuffield est très semblable à celle de Biggs, si ce n’est qu’il insiste davantage au départ sur “l’environnement” et, comme le projet concerne les enfants jusqu’à l’âge de 13 ans, le volume 1 contient un peu d’algèbre des structures ; le volume 2 s’étend longuement, d’abord, sur l’aire et le volume mais, entre cette partie et l’algèbre, l’ouvrage présente, en particulier dans le volume 3, quelques activités géométriques très bien choisies, concernant la symétrie, les angles, les pavages, les polygones, les polyèdres, etc.

Ces ouvrages d’Edith Biggs et du projet Nuffïeld apparaissent, en ce qui concerne la géométrie, bien supérieurs aux livres publiés ultérieure- ment à l’intention des enseignants du primaire. Dans la plupart de ces livres, on s’intéresse peu à l’étude de l’espace et, quand on le fait, c’est surtout du point de vue de la mesure. Un livre (Glenn, 1979) consacré

131

Page 127: L'Enseignement de la géométrie

D. S. Fielker

entièrement à la géométrie se caractérise en grande partie par son obsession du langage.

D’ailleurs, les manuels des vingt dernières années négligent aussi, en général, les orientations suggérées dans les années 60. Les éléments de géométrie qu’ils peuvent contenir se présentent sous la forme d’une collection bizarrement arbitraire de figures planes et solides, avec une importance exagérée donnée à la nomenclature, et un mélange d’activités diverses dont certaines sont proposées pour le plaisir et d’autres sont axées sur certains résultats, sans qu’on se préoccupe de favoriser l’esprit de découverte.

Aucun guide n’offre, pour la géométrie de l’école primaire, de structure explicite, qu’elle soit mathématique ou pédagogique, qui puisse aider les enseignants et même les auteurs de manuels à élaborer un cours cohérent. La structure d’Edith Biggs est reliée au reste des mathématiques ; celle du projet Nuftïeld semble orientée vers l’algèbre. Il n’existe qu’un article (Fielker, 1979) où l’on essaie de proposer des structures possibles concernant la géométrie proprement dite. Son contenu est probablement trop abondant pour que les enseignants du primaire puissent l’assimiler. Cependant, dans un article antérieur (Fielker, 1973 b) (dont le contenu est repris dans l’article suivant), l’auteur propose la structure unique d’ensemble, relation et opération ; dans les cours de formation continue, cette structure simple s’est avérée utile pour donner aux enseignants une idée de la façon dont les diverses activités géométriques s’articulent entre elles, ainsi que pour leur fournir les moyens d’élaborer d’autres activités géométriques.

Bref historique de la géométrie dans l’enseignement secondaire

Avant le 19ème siècle, on enseignait très peu de mathématiques dans les Public schools et les lycées (Grammar schools). Les normes des Universités d’Oxford et de Cambridge (selon lesquelles les étudiants entrant à l’Université commençaient par étudier les mathématiques) eurent probablement une influence sur les programmes scolaires et, au cours de la première moitié du 19ème siècle, on ajouta à l’arithmétique des cours de mathématiques scolaires un peu de trigonométrie, d’algèbre et de mécanique. “Pour ce qui est de la géométrie, il y avait Euclide. L’étude des Eléments d’Euclide avait la faveur des directeurs d’école traditionnels, en partie parce que ces livres constituent un chef-d’oeuvre classique et, en partie, sinon pour l’essentiel, parce qu’elle était censée développer les capacités de raisonnement logique. Cependant, on s’aperçut rapidement qu’on perdait beaucoup de temps et que les enfants n’apprenaient pas plus de géométrie qu’ils ne se formaient à la logique” (Ministry of Education 1958, p. 4).

132

Page 128: L'Enseignement de la géométrie

Analyse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni

Pendant les 150 années suivantes, la question débattue a été celle de savoir, non pas s’il convenait ou ne convenait pas d’enseigner la géométrie euclidienne, mais si, premièrement, les Eléments constituaient un manuel approprié et, deuxièmement, dans quelle mesure il fallait adhérer à l’ordre des propositions d’Euclide et à ses démonstrations formelles, aussi bien pour les épreuves internes aux écoles que pour les examens publics.

La Schools Inquiry Commission [Commission d’enquête scolaire] rapportait, en 1868 encore : “ Euclide est à peu près le seul manuel utilisé actuellement en Angleterre pour enseigner la géométrie. Il y a lieu de craindre que cette matière ne soit pas bien enseignée, qu’on fasse avancer les enfants trop vite et trop loin, sans qu’ils comprennent le début du traité, et qu’on consacre trop de temps au seul texte, sans illustrations ni applications. Il est évident que, si la géométrie est un instrument de discipline mentale très précieux quand l’élève en a une compréhension profonde, sa valeur est absolument nulle si l’élève n’en a qu’une compréhension floue ou imprécise. Nous pensons qu’il est très souhaitable de se demander si Euclide est le manuel adéquat pour des débutants et s’il ne vaudrait pas mieux que les enfants commencent par quelque chose de plus facile et de moins abstrait. M. Griffith, Secrétaire de la British Association [Association britannique] a affirmé qu’à son avis on consacre trop de temps à Euclide, et que beaucoup d’enfants qui ont lu six livres des Eléments ne connaissent rien de la géométrie. Le professeur Key est allé jusqu’à souhaiter qu’on se débarrasse complètement d’Euclide, dont il juge le traité parfaitement illogique”. (Le professeur Key devancait donc de près de 100 ans Dieudonné et son slogan (1961) : “ A base Euclide !“).

La Commission recommandait qu’on consacrât plus de temps au début du traité et qu’on fit précéder l’étude d’Euclide par des notions de mesure et de géométrie pratique, mais elle ne préconisait pas l’aban- don des Eléments. La première véritable initiative vint d’un enseignant, J. M. Wilson, professeur principal de mathématiques à l’école de Rugby, qui écrivit en 1867 un nouveau manuel de géométrie. Celui-ci se vendit bien et suscita un certain intérêt, mais il s’attira des critiques de la part des mathématiciens. La bataille avait commencé.

En 1870, une lettre de R. Levett, professeur à la King Edward’s School de Birmingham, publiée dans Nature, provoqua l’organisation à Londres, en 1871, d’une réunion où fut fondée l’Association for the Improvement of Geometry Teaching [Association pour l’amélioration de l’enseignement de la géométrie] (AIGT). Un grand nombre d’enseignants jusque-là isolés et de mathématiciens universitaires y adhérèrent. L’Association diffusa des brochures et des rapports et publia en 1884 un nouveau manuel. En 1888, les jurys d’examen d’Oxford et de Cambridge acceptaient des démonstrations autres que celles d’Euclide, à condition que l’ordre d’Euclide ne fût pas modifié.

133

Page 129: L'Enseignement de la géométrie

D. S. Fielker

La situation resta ensuite 15 ans sans évoluer ; au cours de cette période, 1’AIGT devint en 1897 la Mathematical Association [Association mathématique] (MA). Le comité pédagogique de la MA continua à réclamer des réformes et, en 1903, divers jurys d’examen étaient d’accord pour accepter “toute démonstration d’une proposition dont les examinateurs jugent qu’elle fait partie d’un traitement systématique du sujet”. Ces décisions furent suivies de la publication d’un certain nombre de nouveaux manuels, qui, à leur tour, provoquèrent chez les examinateurs des malentendus, des incohérences et des difficultés dans l’appréciation des candidats et la normalisation des résultats. Le Ministère de l’éducation résuma la situation succinctement : “Il existe, bien sûr, toujours une alliance inconsciente entre l’examinateur inexpérimenté et le professeur routinier ; ce qui est facile à contrôler à l’examen est aussi, d’habitude, facile à enseigner. Un examinateur compétent vérifie les connaissances sans poser de questions difficiles ou excessivement formelles et un bon professeur réussit à enseigner ce qui, selon lui, doit être enseigné, sans compromettre les chances de succès de ses élèves aux examens” (Ministry of Education, 1958, p. 68).

Il en résulta principalement que les Eléments ne constituèrent plus un manuel de référence pour les examens, et la voie se trouva libre pour d’autres réformes. Cependant, en 1957, certains examens exigeaient encore des démonstrations formelles pour certains théorèmes euclidiens.

Le rapport Spens (1938) et le rapport Norwood (1941) portaient notamment sur l’unification du programme de mathématiques. Le pro- gramme Jeffery de 1944 réalisa cette unification, ce qui entraîna l’instauration d’épreuves de “mathématiques”, pour remplacer les épreuves “d’algèbre”, “d’arithmétique” et de “géométrie”. Cela impli- quait par exemple que, dans une épreuve de “mathématiques”, on acceptait les démonstrations algébriques de propositions géométriques.

Il avait fallu beaucoup de temps pour en arriver là. Dès 1873, deux membres d’un comité établi par la British Association (BA), expri- mant un avis minoritaire, avaient souhaité l’introduction de sujets d’arithmétique et d’algèbre dans l’enseignement de la géométrie et la prise en considération de la géométrie technique.

Ce dernier point était l’enjeu d’une autre bataille, entre la géométrie en tant que discipline et la géométrie en tant qu’outil pratique. Les membres de la BA ne reçurent aucun soutien de 1’AIGT qui, d’après Howson (1982, p. 135) “ne tenta rien pour réunir les deux courants de l’enseignement mathématique en Grande-Bretagne : l’enseignement théorique et l’enseignement professionnel. Elle persistait à préconiser un programme scolaire élitiste et non appliqué qui avait peu de rapport avec le programme de géométrie, à orientation plus pratique, sur lequel portait l’examen du Department of Science and Art”. L’AIGT, qui était devenue la MA, se racheta en 1919 dans un rapport intitulé The Tea- ching of Ma thematics in Public and Secondary Schools, dont la première

134

Page 130: L'Enseignement de la géométrie

Analyse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni

recommandation était la suivante : “ L’enseignement que reçoit l’enfant à l’école doit le préparer à la vie sociale dans le sens le plus large du terme : à cette fin, on doit développer ses aptitudes morales, littéraires, scientifiques (y compris mathématiques), physiques et artistiques. En ce qui concerne les mathématiques, l’enseignement qu’il reçoit doit lui permettre non seulement d’appliquer ses mathématiques aux situations pratiques mais aussi d’avoir une idée des grands problèmes du monde dont la solution dépend des mathématiques et des sciences”. Le rapport Spens reprenait le même thème : “ Il est dommage que l’enseignement mathématique des Grammar schools ait toujours eu tendance à insister beaucoup plus sur l’articulation et le développement logique des idées mathématiques dans l’abstrait que sur l’utilité de ces idées dans la vie réelle” (Howson, 1982, p. 17).

En fait, cette bataille n’a jamais été gagnée en ce qui concerne les Grammar schools, et les aspects utilitaires de la géométrie ne furent pleinement exploités qu’à la création des écoles modernes secondaires, après la Deuxième guerre mondiale, comme on le verra ci-dessous.

On adopta finalement dans les Grammar schools. sinon une approche utilitaire, du moins une approche pratique, au moins dans les premiers stades. C’était naturellement difficile dans les premières années de I’AIGT, et une enquête de 1875 “montra que, même quand des approches différentes de celle d’Euclide étaient en usage dans les petites classes, les élèves revenaient à Euclide dans la perspective des examens” (Howson, 1982, p. 135). Depuis cette époque, une telle façon de procéder n’est pas inhabituelle, et beaucoup d’écoles qui ne jugent pas les examens satisfaisants mais n’y peuvent pas grand chose enseignent les mathématiques aussi longtemps qu’elles l’osent, pour enseigner ensuite la manière de réussir les examens de mathématiques !

En 1909, le Ministère de l’éducation publia la Circulaire 7 11, où il se félicitait des avantages qu’avait apportés depuis six ans l’affranchisse- ment du carcan euclidien, mais blâmait la majorité des professeurs de n’avoir pas “suffisamment mis à profit cette occasion de rompre avec les aspects critiquables de la tradition euclidienne” et certains de “penser que les travaux pratiques sont une panacée”. On proposa trois niveaux pour l’enseignement de la géométrie. “Le premier niveau concerne les concepts fondamentaux et est en général intitulé : travail pratique d’initiation. Le deuxième porte sur quelques propositions fondamentales et le troisième sur la composante principale de cette matière, le développement déductif d’ensemble” (Howson, 1982, p. 67). En 1914, la Circulaire 85 1 développait ces idées. “Certains pensent apparemment qu’il serait peu rigoureux, malsain ou dangereux pour la santé intellec- tuelle de l’enfant de lui laisser ainsi prendre comme hypothèses des énoncés qu’on avait l’habitude de ‘démontrer’. Cette idée repose sur une incompréhension soit des propositions présentées, soit de la nature des systèmes géométriques. La déduction implique nécessairement un

135

Page 131: L'Enseignement de la géométrie

D. S. Fielker

point de départ ou l’on considère comme admises deux propositions, ou davantage, pour les besoins du raisonnement. L’exactitude logique de la déduction ne dépend pas de la nature de ces hypothèses. On peut les considérer comme absolument vraies, ou comme de simples hypothèses de travail, ou comme des conventions, ou comme de purs jeux de l’esprit. Elles peuvent être redondantes, ou même contradictoires (comme dans la méthode bien connue de démonstration par l’absurde), la démarche déductive n’en restera pas moins absolument logique” (Howson, 1982, p. 67-68). On proposait là quelque chose comme le développement d’un système axiomatique ; cependant, comme la théorie d’Euclide était par trop imparfaite à cet égard, les écoles n’ont jamais réellement appliqué cette idée, même pour le niveau A, malgré un texte de la MA sur ce sujet (The Mathematical Association, 1966).

L’autre idée qui semble intervenir ici est ce que Cyril Hope appela par la suite les chaînes courtes de raisonnement déductif. Dans la Circulaire 7 11, le développement déductif général n’intervenait qu’à un troisième stade de haut niveau, mais pour s’y préparer, les élèves pouvaient s’exercer à un raisonnement logique limité à partir de prémisses quelconques. C’était le genre de raisonnement employé dans les exercices d’application plutôt qu’un développement axio- matique de la théorie.

Un rapport de la MA (1923) présente les trois niveaux de la Circulaire 7 11 de la façon suivante : le stade expérimental (A), le stade déductif (B), le stade de systématisation (C).

Cette terminologie persista pendant presque un demi-siècle. On parvenait rarement au stade C dans les écoles, même dans les classes de sixième année, mais les termes “stade A” et “stade B” devinrent des raccourcis courants pour désigner respectivement les activités pratiques intuitives et les études déductives plus formelles, même en dehors de la géométrie.

Si radicales qu’aient paru ces réformes à l’époque, leur réalisation fut très lente en comparaison avec les deux bouleversements d’après- guerre ; l’apparition, dans les années 50, d’un nouveau programme de mathématiques pour les écoles modernes secondaires destiné à des élèves non sélectionnés de 11 à 15 ans, et, dix ans plus tard, l’avènement des mathématiques “nouvelles”, ou “modernes”, comme on les a appelées au Royaume-Uni.

La géométrie pour tous

Nous avons vu que depuis 1800 la plupart des controverses sur la géo- métrie concernaient la tranche des 15 ou 20 pour cent des meilleurs élèves fréquentant les Public schools ou Grammar schools. On suggéra un enseignement de géométrie de type plus professionnel pour les élèves

136

Page 132: L'Enseignement de la géométrie

Analyse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni

qui suivaient des cours techniques, dans les écoles techniques ou commerciales. A l’école élémentaire, il n’y avait pas du tout de géométrie.

La Loi sur l’éducation de 1944 (1944 Education Act) institua “l’enseignement secondaire pour tous” et à l’âge de 11 ans la plupart des enfants quittaient les nouvelles écoles primaires pour aller soit dans les Grammar schools comme auparavant (mais dans des conditions financières différentes) soit dans les nouvelles “écoles modernes secondaires”.

Les écoles modernes secondaires fonctionnèrent pendant de nom- breuses années comme les grandes classes des écoles élémentaires. Il y avait peu de professeurs spécialisés, quasiment pas de diplômés de l’Université, et chaque classe avait un professeur principal qui, dans la plupart des cas, enseignait l’arithmétique et l’anglais.

En général, aucun examen n’était prévu mais, au cours des années 50, quelques écoles modernes secondaires découvrirent qu’elles pouvaient présenter certains de leurs élèves les plus brillants au GCE, niveau 0. Le nombre de professeurs de mathématiques (qui s’étaient spécialisés dans cette matière au cours de leurs études pédagogiques, s’ils n’avaient pas de diplôme universitaire de mathématiques) augmenta. Ils étaient désireux d’élaborer un programme de mathématiques plus large, davantage inspiré par l’environnement des élèves que par les cours abstraits des Grammar schools. Des articles publiés dans Mathematics Teaching, revue trimestrielle de l’Association of Teachers of Mathe- matics (ATM), certains manuels et un livre du maître de E. J. James (1958) (auteur qui a eu une influence dans les années 50), ainsi qu’un nouveau rapport de la MA (1959), présentèrent et prônèrent un programme de mathématiques élargi pour les écoles modernes secondaires. Les sujets de géométrie, ou liés à la géométrie, faisaient intervenir les constructions et les diagrammes, le dessin et la modéli- sation, la symétrie, les lieux et enveloppes, la topographie et la navigation.

La rapport de la MA (1959) écrivait en caractère gras : “La géo- métrie qu’il faut enseigner doit reposer sur l’expérience pratique de l’espace”. Il évoquait ensuite les trois aspects suivants : “( 1) La percep- tion des propriétés . . . qui se développe à partir de l’observation et de l’expérimentation et conduit à la reconnaissance des principes et à l’appréciation de l’harmonie et de la beauté formelle. (2) Les procédés de mesure et de calcul . . . qui reposent sur les propriétés spatiales. Cela permet d’approfondir la compréhension tout en servant à des fins pratiques. (3) Les situations conduisant à raisonner et à faire une série de déductions à partir des données de l’observation et de l’expérience”. Il y avait là une tentative courageuse pour concilier les aspirations nouvelles et les anciennes traditions de la Grammar school et, en fait, ce texte proposait, dans un paragraphe ultérieur consacré à la géométrie, des idées qui étaient hors de portée de presque tous les élèves des écoles secondaires modernes.

137

Page 133: L'Enseignement de la géométrie

D. S. Fielker

D’un autre côté, au cours d’une réunion à Londres en 1960 où l’on examina ce rapport, G. P. Beaumont qualifia l’ensemble de “monument à la mesure”. Il est vrai qu’une grande partie de la géométrie des écoles modernes secondaires était métrique et numérique, mais c’était une façon d’établir des liens avec les aspects utilitaires et pratiques de l’étude de l’espace. En outre, c’était une voie d’accès à certaines des parties les plus utiles de la théorie. Le théorème de Pythagore pouvait être induit, sinon encore déduit, à partir de quelques cas particuliers. Cette méthode n’était pas sans danger : ainsi, beaucoup d’élèves étaient persuadés d’avoir démontré que la somme des angles d’un triangle était égale à 179” ! Les professeurs imaginèrent cependant des pliages de papier et des constructions de modèles permettant aux élèves d’établir ces théorèmes dans leur généralité.

La géométrie des écoles modernes secondaires était pratique, utilitaire, applicable, et aussi purement récréative. Jusqu’en 1965, son enseignement échappait en grande partie à la contrainte de tout examen. Même plus tard, quand dans le cadre du projet “Mathematics for the Majority”, le Schools Council élabora des guides de l’enseignant pour les cours destinés aux élèves d’aptitude moyenne ou faible ; il trouva le moyen de publier deux livres proposant des philosophies complètement différentes pour l’enseignement de la géométrie. Machines, Mechanisms and Mathematics (Bolt et Hiscocks, 1970) adopte une approche utilitaire, axée sur les applications et l’environnement. Dans ce livre, on part des mécanismes de l’environnement quotidien pour en étudier les principes mathématiques sous-jacents, avec des activités appropriées pour les élèves. L’approche récréative apparaît dans Geometry for Enjoyment (Fielker, 1973a) où les bases de départ sont encore de nature pratique mais consistent en des situations structurées établies par le professeur, offrant aux élèves l’occasion d’organiser et de classer des données, ainsi que d’élaborer des conjectures, plutôt que d’acquérir telles ou telles connaissances géométriques fragmentaires.

Geometry for Enjoyment reposait sur une autre idée importante et presque hérétique, à savoir que les élèves d’aptitude moyenne ou faible peuvent s’intéresser ci la géométrie pour elle-même. Cela les plaçait dans la même situation que les élèves des Grammar schools, mais pour des raisons entièrement différentes, comme on le verra plus loin. Cependant, cette approche apparut comme contraire à la tradition des mathémati- ques utilitaires, caractérisée par l’affirmation qui suit extraite de Mathematics in Secondary Modern Schools (The Mathematical Associa- tion, 1959) : “il faudrait s’efforcer bien davantage de susciter l’intérêt de l’élève pour les mathématiques par le biais de ses autres centres d’intérêt” (souligné dans le texte).

Cependant, pour la plupart des professeurs, les écoles secondaires modernes avaient sécrété leur propre contenu et leur propre style de mathématiques, indépendamment des Grammar schools traditionnelles.

138

Page 134: L'Enseignement de la géométrie

Analyse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni

Trois facteurs commencèrent à menacer cette indépendance dans les années 60 : le création des écoles secondaires polyvalentes (Com- prehensive schools) qui, dans presque toutes les circonscriptions scolaires, réunissaient Grammar school et école moderne secondaire de telle sorte que les élèves de tous niveaux d’aptitude pussent recevoir un enseigne- ment commun ; l’émergence des mathématiques “modernes” et la refonte de l’ensemble du programme de mathématiques qui s’ensuivit ; enfin, la création du CSE (certificat d’études secondaires) qui impliquait que, désormais, 60 pour cent des élèves, ou davantage, relevaient d’un système d’examens externes.

La géométrie “moderne”

L’impulsion que reçurent les mathématiques “modernes” au début des années 60 peut être attribuée aux professeurs qui les expérimentèrent dans leurs propres classes, à l’apparition de plusieurs manuels nouveaux et à un programme massif de recyclage des professeurs du secondaire, unique en son genre.

Les cours de recyclage étaient organisés au niveau national par Her Majesty’s Inspectors (1’Inspection de l’éducation) et par les instituts pédagogiques, au niveau local par les instituts pédagogiques et les autorités scolaires locales, et aux deux niveaux par l’Association of Teachers of Mathematics [Association des professeurs de mathé- matiques] (ATM). Jusqu’en 1964,l’ATM était l’Association for Teaching Aids in Mathematics [Association pour les matériels d’enseignement mathématique], ce qui indique l’intérêt qu’elle portait depuis longtemps aux méthodes du “stade A”, mais ses membres figuraient aussi parmi les partisans les plus actifs des sujets nouveaux et vingt d’entre eux écrivirent en commun Some Lessons in Mathematics (L’apprentissage de le mathématique aujourd’hui, Fletcher, 1966). Les membres de l’équipe de rédaction qui étaient alors ou à une date récente des professeurs en exercice, avaient expérimenté les nouveaux matériels pédagogiques ; c’était aussi le cas de la plupart des formateurs des cours de recyclage et aussi des auteurs de manuels. Il existait aussi un certain nombre de projets locaux ou nationaux, subventionnés par divers moyens, avec pour objectifs l’élaboration d’un plan, la production de manuels et la mise en place d’un examen approprié avec le concours des comités compétents. Parmi ces projets, on peut citer le School Mathematics Project (SMP) et le Midlands Mathematics Experiment (MME) ainsi que quelques projets menés individuellement par des écoles. On avait découvert une nouvelle façon de rédiger les manuels : des professeurs élaboraient un contenu provisoire et l’expérimentaient dans leurs classes, puis le remaniaient en profondeur avant la publication finale.

139

Page 135: L'Enseignement de la géométrie

D. S. FielkeI

Le chapitre “Géométrie” de L’apprentissage de la mathématique aujourd’hui commence ainsi : “ En faisant de la géométrie, l’enfant découvre l’espace et apprend ainsi des mathématiques et la logique. L’enseignement traditionnel ignore souvent ces buts : l’élève étudie des figures planes sans pour autant acquérir une maîtrise totale du plan. Actuellement les mathématiciens pensent que les mathématiques tradi- tionnelles n’ont plus guère d’intérêt. On ne cherche pas à faire de l’axiomatique, bien que le mot “démonstration” soit souvent utilisé.

Notre enseignement doit avoir pour but de guider l’élève ; l’analyse des figures doit : (a) stimuler et développer sa connaissance de l’espace ; (b) lui permettre d’utiliser des méthodes cohérentes et un vocabulaire précis, essentiels à son activité mathématique future” (Fletcher, 1966, p. 275). La conception des trois stades est encore très prégnante. Mais quelques questions nouvelles surgissent implicitement dans les pages suivantes, ou l’on voit apparaître les symétries des polygones et des pavages, une approche dynamique du cercle, une géométrie des symétries développée en une algèbre, une approche par les vecteurs, et ailleurs, une introduction aux notions topologiques plus générale que toutes celles qui avaient jusque-là figuré dans les manuels.

Un des dangers était, si l’on essayait de traiter toutes les approches possibles de la géométrie, qu’il y eût trop à faire et que leurs relations mutuelles ne fussent pas toujours bien établies. Le SMP mettait surtout l’accent sur la géométrie des transformations, en particulier les transformations qui peuvent être représentées par des matrices. Les translations en faisaient partie, puisqu’on abordait les vecteurs d’abord sous forme de matrices-lignes ou de matrices-colonnes et plus tard, indépendamment, sous la forme de déplacements, Le MME était axé sur la géométrie vectorielle, par le biais des déplacements, et les matrices étaient traitées à part. Cependant, ces deux projets visaient à enseigner les propriétés des “figures planes” ainsi que la “maîtrise du plan”, le premier en passant par les symétries et les propriétés métriques traditionnelles des longueurs et des angles, et le second par les transformations, décrites sous forme de symboles, de vecteurs ou de matrices, en continuant à s’appuyer sur la géométrie analytique. Le SMP va même jusqu’à étudier les invariants et exposer la programme d’Erlangen de Klein, qui relie enfin la topologie au reste de le géométrie, car elle ne lui était jusque-là rattachée que par le lien ténu des matrices d’incidence.

La critique est facile. C’était une époque d’expérimentation, les écoles choisissaient librement le contenu et le mode de traitement de leurs programmes et les méthodes d’enseignement ; elles n’étaient soumises à aucune autorité supérieure et les premiers essais d’examens sur ces programmes nouveaux n’eurent pas lieu avant 1966. On avait raison d’essayer tout et n’importe quoi et il était bon que quelques professeurs le fissent, quand la majorité de leurs collègues restaient

140

Page 136: L'Enseignement de la géométrie

Analvse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni

inactifs en attendant de voir dans quel sens le vent allait tourner, car il n’était nullement acquis que les mathématiques “modernes” l’empor- teraient. Ce que certains élèves ont pu perdre à cause des erreurs mathématiques et pédagogiques qui ont été commises a été plus que compensé par l’enthousiasme de leurs professeurs et un style d’enseigne- ment plus vivant qu’ils n’en avaient jamais connu. Les pionniers ont dû réfléchir à ce qu’ils faisaient au lieu de se contenter de suivre le manuel rédigé par un autre.

D’ailleurs, les premiers projets menés en coopération produisirent les meilleurs matériels pédagogiques. Le SMP, en particulier, bien qu’institué à l’origine en vue de la production d’un manuel destiné à la préparation du GCE, niveau 0, et qui devait ensuite être dissous, continua à rédiger différentes sortes de manuels pour le niveau A, le CSE, et d’autres manuels encore, s’adressant aux élèves de 11 à 16 ans en général. Malheureusement, les éditeurs étant si impatients d’avoir leurs manuels “modernes” qu’on vit s’atteler à cette tâche de nombreux auteurs peu qualifiés (soit par inexpérience soit par incompétence), et les livres de mathématiques qui étaient censés offrir “un judicieux mélange d’ancien et de nouveau” s’avérèrent les pires. Il devint facile à certains de prétendre qu’il fallait “jeter le bébé avec l’eau du bain”.

La situation finit par se décanter, et d’autres considérations, relatives par exemple aux calculatrices et aux ordinateurs, prirent la relève. Ce- pendant, la géométrie ne s’est jamais réellement stabilisée et c’est bien la branche des mathématiques où l’on peut facilement adopter une perspective déformée, ou une présentation incohérente quand on essaie de donner tous les points de vue possibles.

La situation actuelle

Quand on considere les programmes d’examen, les textes d’examen ou les manuels actuels, on est dérouté et, dans une certaine mesure, déçu. A tous les niveaux, il existe encore des programmes qui ne contiennent pas du tout de mathématiques “modernes”. La Northem Examining Association, qui propose depuis 1974 un examen commun aux élèves âgés de 16 ans ou plus, présente un programme “traditionnel” pour 1985 sous prétexte que la majorité des candidats, à l’époque où le programme a été inauguré, se sont inscrits aux épreuves de mathé- matiques “traditionnelles”. La plupart des comités d’examen pour le GCE, niveau 0, ou le CSE offrent le choix entre des programmes de mathématiques “traditionnelles”, des programme de mathématiques “modernes” et des programmes “mixtes”.

Dans beaucoup de programmes, les questions de géométrie sont regroupés suivant des rubriques semblables à celles du nouveau pro- gramme commun de Londres, pour 1985, qui constitue un exemple

141

Page 137: L'Enseignement de la géométrie

D. S. Fielker

typique : figures géométriques et leurs propriétés, transformations et symétrie, coordonnées et vecteurs, matrices. Cette division peut sembler répondre aux objections présentées dans L’apprentissage de la mathématique aujourd’hui (Fletcher, 1966) à propos de l’apprentis- sage des figures planes sans maîtrise du plan, si ce n’est que, très souvent, les questions d’examen ne sont pas de nature à stimuler ou à développer l’imagination spatiale des élèves. A part le SMP, qui continue à poser les meilleurs questions, les examinateurs semblent avoir du mal à con- trôler autre chose que des faits et des techniques dans n’importe quelle situation de géométrie moderne, et il faut un raisonnement logique plus développé pour résoudre un problème typiquement euclidien comme le calcul d’un angle inconnu dans une configuration inscrite dans un cercle.

On peut juger surprenant qu’un texte d’examen du niveau 0 de- mande au candidat d’indiquer les centres et axes de symétrie de figures planes simples, et qu’un texte du CSE le conduise par la main pour l’amener à trouver la transformation équivalente au produit de deux autres, et qu’à ces deux niveaux les candidats puissent être interrogés sur les théorèmes relatifs au cercle, qui apparaissent difficiles, rébarbatifs, sans intérêt et superflus à la plupart des élèves.

Cela est typique de la persistance de vestiges euclidiens, qui se mani- feste de différentes façons. Dans certains cas, il existe un cours euclidien comme option de remplacement du cours moderne. L’on a beau adopter une démande du type “stade A et stade B”, les théorèmes sont les mêmes, principalement axés sur les angles, les triangles et les cercles, encore que le contenu géométrique soit moins abondant qu’à l’époque où la géométrie était une des trois épreuves de l’examen de mathé- matiques.

Les théorèmes ont tendance à subsister envers et contre tout. Le SMP a rapidement abandonné l’idée de démontrer les théorèmes relatifs au cercle en utilisant les transformations. C’est faisable, mais ce n’est pas le meilleur moyen. Il est faux d’affirmer que l’étude de la géo- métrie des transformations se justifie par le fait qu’elle permet de démontrer plus facilement, ou même de façon plus intéressante, les théorèmes euclidiens. Les théorèmes d’Euclide sont importants non pas parce qu’ils sont utiles, applicables, ou ont une valeur intrinsèque, mais parce qu’ils font partie du développement naturel d’un système déductif. Par conséquent, les théorèmes nécessaires sont ceux qui émergent naturellement d’un exposé moderne. Les théorèmes d’un exposé de la géométrie des transformations portent sur les trans- formations. Il est possible que la tradition euclidienne interdise aux professeurs de reconnaître les théorèmes qui ne concernent pas les objets dans l’espace. 11 est toujours admis implicitement, mais rarement affirmé explicitement, que ces deux sortes de géométrie coexistent.

Les descriptions ou les représentations des entités qui interviennent dans ces deux géométries compliquent encore la question. Les auteurs

142

Page 138: L'Enseignement de la géométrie

Analyse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni

parlent de la “géométrie matricielle” ou de la “géométrie vectorielle” comme s’il s’agissait de deux sortes de géométrie différentes et de “transformations matricielles” comme si les matrices étaient des trans- formations. Les matrices et les vecteurs ne sont que des descriptions des entités géométriques, de la même façon que les équations ou les paires ordonnées peuvent représenter les objets du plan cartésien.

Ce qui rend ces descriptions si efficaces, ce sont les isomorphismes que l’on peut établir entre les géométries et leurs algèbres respectives. On est habitué à l’isomorphisme entre le plan cartésien et l’algèbre traditionnelle, mais on y est peut-être trop habitué pour être conscient de l’existence de cet isomorphisme, et personne ne se pose de questions sur les hypothèses que l’on fait sur cet isomorphisme quand, par exemple, on détermine le point d’intersection de deux droites en résolvant un système de deux équations linéaires.

La situation est identique quand on représente les segments de droite orientés par des vecteurs, ou qu’on représente un certain ensemble de transformations par des matrices. On fait la navette entre les segments de droite et l’algèbre vectorielle, ou entre les transformations et l’algèbre matricielle, en utilisant continuellement les isomorphismes, sans pour- tant toujours savoir s’ils ont bien été établis.

Il existe un autre facteur de complication à propos des vecteurs. Dans le SMP, on les présente sous la forme de matrices-lignes ou de matrices-colonnes. Dans le MME, on les présente sous la forme de paires ordonnées représentant des déplacements. Dans d’autres exposés, on les présente comme les déplacements eux-mêmes. Dans tous les cas, on peut par la suite établir des isomorphismes, mais le principe général con- sistant à inclure les vecteurs dans l’algèbre matricielle et même à les appliquer à des systèmes autres que les déplacements (exactement comme on utilise les matrices pour d’autres systèmes que les transfor- mations du plan) présente des avantages pédagogiques particuliers. En premier lieu, on n’est pas alors obligé de rester en dimension deux ou trois. En outre, cette approche permet d’éviter les difficultés qu’entraîne la distinction entre les “vecteurs fixes” et les “vecteurs libres”, en montrant clairement que les paires ordonnées peuvent représenter quel- quefois des points et quelquefois des translations. Elle permet aussi d’utiliser le concept de translation transformant le plan entier, au lieu de la considérer comme un déplacement qui paraît n’opérer que sur un point.

Dans la pratique, les différents manuels résolvent toutes ces diffi- cultés à leur manière, de façon plus ou moins réussie et avec leurs propres partis pris. Ce sont en réalité les textes d’examen qui imposent des bornes à l’imagination car, on l’a vu, les examinateurs semblent n’en avoir guère pour poser les questions intéressantes qui permettraient de vérifier plus que la simple connaissance de faits et de techniques.

C’est en topologie que le problème est le plus grave. Cette discipline

143

Page 139: L'Enseignement de la géométrie

D. S. Fielker

est inévitablement traitée séparément du reste de la géométrie (sauf dans l’essai courageux de hiérarchie des géométries du SMP, déjà mentionné plus haut), mais au moins elle fournit un grand nombre de sujets, de situations et de problèmes intéressants. Pourtant, quand on en arrive à l’examen, on ne pose quasiment jamais d’autres questions que les trois suivantes : reconnaître des graphes topologiquement équivalents, recon- naître un graphe euclidien, construire la matrice d’incidence d’un graphe donné ou vice versa.

Par certains côtés, cela n’est pas surprenant, qu’il s’agisse de topo- logie ou de géométrie en général. Si l’apprentissage d’un sujet de géo- métrie implique une exploration intensive, suivie d’une systématisation d’une sorte ou d’une autre, que peut-on contrôler dans un examen écrit traditionnel ? Au bon vieux temps des Eléments, on interrogeait sur les théorèmes et quelques applications. Avec la géométrie moderne, qui manque apparemment d’applications, on ne peut interroger que sur les faits et les techniques. Dans tous les cas, on se contente de contrôler des bribes de théorie, car les questions d’examen traditionnelles ne per- mettent pas de faire davantage. Un des défauts de l’ensemble du système est donc le style d’examen ; la situation, cependant, a Iégère- ment évolué par endroits au cours des vingt dernières années.

Perspectives d’avenir

Il semble que peu à peu, à la manière britannique, l’intérêt pour les contenus qui caractérisait l’enseignement des mathématiques fasse place à un intérêt pour les processus. Dans les années 60, alors que tant d’écoles se contentaient de passer des sujets traditionnels aux sujets modernes, une école au moins (1’Abbey Wood School à Londres) élaborait, en outre, de nouveaux styles de pédagogie et se montrait capable, dans ses propres examens agréés pour le niveau 0 et le CSE, de poser des questions comme les suivantes :

“Rédiger une dissertation sur les dés”.

“Etudier l’ensemble des matrices 0 K >, c 1 K o .

“Etudier les triangles qui ont un périmètre de 24 unités”.

Dans cette école, et dans quelques autres, le style d’examen suivait le style d’enseignement et le style de l’enseignement reposait sur une philosophie de l’apprentissage des mathématiques selon laquelle les élèves devaient, au moins une partie du temps, créer leurs propres mathématiques. A cette fin, on encourageait les élèves à poser leurs propres questions, à prendre leurs propres décisions, à inventer leurs

144

Page 140: L'Enseignement de la géométrie

Analyse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni

propres algorithmes et à construire leurs propres structures mathé- ma tiques.

Dans les années 70, on donna à ces idées un cadre théorique plus structuré, de diverses façons ; les professeurs et les spécialistes de l’éducation employaient des mots comme “classer, associer, ordonner, transformer, . . . symboliser, conjecturer, démontrer, généraliser” (The Mathematics Curriculum Project). L’Unité d’évaluation du rendement scolaire du Department of Education and Science [Ministère de l’éducation et des sciences] étudiait des méthodes de contrôle des catégories “processus” aussi bien que des catégories “contenu”. Le South Nottinghamshire Project (Bell et al., 1978) produisit un programme “axé sur les processus”. L’Association of Teachers of Mathematics fit paraître dans Mathematics Teaching des articles sur les activités pédagogiques d’investigation et publia des brochures relatives à ces activités (Points of Departure, 1 et 2).

Dans les années 80 ces idées gagnèrent du terrain. Un groupe connu sous le nom de “Leapfrogs” publia’ divers matériels : brochures, affiches, diapositives, bandes sonores, jeux et photographies, qui étaient bien différents des manuels traditionnels. Marion Bird (1983) décrivit des moyens spécifiques d’engendrer l’activité mathématique qui laissaient aux élèves une grand part d’initiative. Beaucoup d’écoles et de groupes d’écoles travaillaient de leur côté de façon moins traditionnelle et expérimentaient, en mathématiques, de nouvelles méthodes d’examen, prenant souvent en considération le travail de classe (travaux effectués pendant les cours habituels, éventuellement sur de longues périodes) au lieu de se limiter à de simples épreuves écrites. L’idée d”‘investigation” issue de 1’Abbey Wood School, c’està-dire d’une situation où les élèves posent eux-mêmes les questions, se retrouvait au niveau des examens à la Wyndham School dans le comté de Cumbria, ainsi que dans de petits groupes d’écoles londoniennes, et cette idée a été reprise dans le projet SMILE (Secondai-y Mathematics Individualised Learning Experiment [Expérience d’apprentissage individualisé des mathématiques du secondaire]) auquel participent de nombreuses écoles de Londres, une cinquantaine d’entre elles préparant actuellement des candidats aux examens du GCE niveau 0 ou du CSE sur la base d’un programme spécial.

Pour la première fois, l’idée d’investigation reçut l’approbation du Gouvernement. Le rapport Cockroft se déclara en faveur d’une diversi- fication des styles d’enseignement, recommandant que “l’enseignement des mathématiques à tous les niveaux comporte successivement des séquences d’exposé du professeur, de discussion entre le professeur et les élèves et entre les élèves eux-mêmes, de travaux pratiques appropriés, de renforcement et de pratique des techniques et des automatismes

1. Tarquin Publications, Diss, Norfolk.

145

Page 141: L'Enseignement de la géométrie

D. S. Fielker

fondamentaux, de résolution de problèmes, y compris l’application des mathématiques à des situations de la vie quotidienne, et de travail d’investigation” (Crockroft, 1982, p. 7 1).

Une des caractéristiques de cette évolution fut qu’on enseigna davantage de géométrie. Depuis 20 ans, on eut presque dit que la géométrie avait disparu des programmes de mathématiques. Certains théorèmes euclidiens subsistaient, sous une forme moins rigide qu’autrefois, mais la géométrie “moderne” s’apparentait davantage à de l’algèbre. Cela faisait longtemps que l’élève moyen n’avait plus l’occasion d’être directement aux prises avec les éléments de l’espace.

On se rendait compte désormais, que les situations spatiales cons- tituaient un terrain fécond pour une approche des mathématiques fondée sur l’investigation, et les divers matériels que nous venons de mentionner invitent à l’exploration de sujets tels que les diagonales, les polyominos, les pavages, les courbes, les amas de cercles, les spirales, les réseaux, les ombres. Cette liste ne donne pas d’indication sur l’approche utilisée, mais fait bien ressortir qu’il s’agit d’une géométrie en grande partie synthétique et euclidienne, portant sur les configurations et leurs classifications et relations mutuelles. Euclide était enfin de retour, mais sous des traits entièrement nouveaux.

De nombreux auteurs ont décrit ou illustré par des exemples ce que recouvre, pour eux, cette approche “exploratoire”, mais il n’y en a sans doute que deux qui aient présenté un approche spécifique de la géométrie. Geoff Giles a élaboré un grand nombre d’activités et de matériels ingénieux’ qui permettent d’aborder d’une manière active et constructive des sujets comme les angles, les symétries, les pavages et la représentation des figures tridimensionnelles. Il a prôné (Giles, 1983, p. 37) une géométrie destinée à tous les élèves, et pas seulement à l’élite, de contenu limité et où les éléments importants sont “le plaisir et le succès”, “l’acquisition de techniques et de notions intuitives fondamentales qui seront assimilées pour toujours” et l’idée que “pour la majorité des enfants, les mathématiques scolaires devraient apparaître comme un prolongement du simple bon sens”. Il continue en ces termes : “Certains avanceront que la “géométrie” que je préconise n’a ni subs- tance ni consistance et ne peut donc être prise au sérieux ; mais, pour eux, les mathématiques représentent un contenu statique, et leur géométrie est morte et enterrée dans les manuels. Si l’on veut que la classe de mathématiques soit vivante, nous devons permettre aux élèves de faire eux-mêmes leurs propres mathématiques. Un premier pas dans ce sens consiste à organiser des activités par lesquelles on passe des problèmes à l’investigation. C’est faire qui est important, non ce qui est fait”.

L’auteur du présent chapitre reprend le même thème dans une série d’articles de Mathematics Teaching, reproduits sous forme de 1. DIME Projects, University of Stirling, Department of Education.

146

Page 142: L'Enseignement de la géométrie

Analyse de l’enseignement de la géométrie au Royaume-Uni

brochure (Fielker, 1983). On y trouvre une tentative de classification des activités géométriques, abondamment illustrée par des comptes rendus de travaux scolaires, sous des rubriques telles que : classement, prédiction, ordre et généralisation. L’idée que ce sont les élèves qui doivent prendre les décisions revient souvent, mais on indique aussi comment on peut organiser un programme avec des sujets structurés “en étoile”, par opposition à l’ordre linéaire, en insistant à nouveau sur les processus plus que sur le résultat.

L’ensemble des mathématiques paraît s’orienter dans cette direc- tion. En géométrie, où l’on a un choix si abondant d’espaces, de des- criptions et de modes de traitement, le contenu proprement dit paraît encore moins important. Il est donc possible d’utiliser un contexte spatial pour exercer et développer les aptitudes et les processus mathé- matiques identifiés au cours des dix dernières années, en s’appuyant sur la connaissance d’un contenu limité, afin de rendre la géométrie accessible aux élèves les plus faibles, tout en donnant aux meilleurs la possibilité de progresser.

Références

BIRD, M. 1983. Generating Mathematical Activity in the Classroom. Bognor Regis, West Sussex Institute of Higher Education.

BELL, A. et al. 1978. The South Nottinghamshire Project. Journey into Maths. Glasgow, Blackie.

BOLT, A. B. ; HISCOCKS, J. E. 1970. Mathematics for the Majority. Machines, Mechanisms and Mathematics. Londres, Chatto & Windus.

COCKCROFT, W. H. (président). 1982. Mathematics Counts. Londres, Her Majesty’s Stationery Office.

DIEUDONNÉ, J. 1961. Pour une conception nouvelle de l’enseignement des mathé- matiques. H. F. Fehr (dir. pub.). Mathématiques nouvelles, p. 31-50. Paris, Organisation européenne de coopération économique.

FIELKER, D. S. 1979. Strategies for Teaching Geometry to Younger Children. Educational Studies in Mathematics (Dordrecht), Vol. 10, No. 1, p. 85-133.

. 1973a. Mathematics for the Majority. Geometry for Enjoyment. Londres, Chatto & Windus.

1973b. A Structural Approach to Primary School Geometry. Mathematics ieaching (Nelson), NO. 63, p. 12-16.

. 1983. Removing the Shackles ofEuclid. Derby, The Association of Teachers of Mathematics.

FLETCHER, T. J. (dir. pub.). 1966. L irpprentissage de la mathématique auiou- d ‘hui. Adapté de l’anglais. Paris, OCDL. (Ed. originale : Some Lessons in Mathe- matics, Camoridge Universiry Press, 1964).

GILES, G. 1982. Geometry for All. Mathematics Teaching (Derby), No. 100, septembre, p. 30-37.

GLENN, J. A. (dir. pub.). 1979. Children Learning Geometry. Londres, Harper & Row.

147

Page 143: L'Enseignement de la géométrie

D. S. Fi&er

HA~TER, R. J. 1981. Le “Continuing Mathematics Project” au Rovaume-Uni. Dans : Robert Morris (dir. pub.). Etudes sur l’enseignement des mathématiques. Vol. 1, p. 101-122. Paris, Unesco.

HOWSON, G. 1982. A History of Mathematics Education in England. Cambridge, Cambridge University Press.

JAMES, E. J. 1958. The Teaching of Modem SchoolMathematics. Oxford, Oxford University Press.

THE MATHEMATICAL ASSOCIATION. 1923. The Teaching of Geomety in Schools. Londres, Bell.

. 1959. Mathematics in Secondary Modem Schools. Londres, Bell. 1966. The Use of the Axiomatic Method in Secondary Teaching. Londres.

THE MATHEMATKS CURRICULUM PROJE~T. AimsandObjectives. (non publié) MINISTRY OF EDUCATION. 1958. Teaching Mathematics in Secondary Schools.

Londres, Her Majesty’s Stationery Office. NUFFIELD MATHEMATICS PROJE~T. 1967, 1968 et 1971 .ShapeandSize. Vols. 1,

2 & 3. Londres, W. & R. Chambers/John Murray. Points of Departure 1. Points of Departure 2. Derby, The Association of Teachers

of Mathematics. SCHOOLS COUNCIL FOR THE CURRICUM AND EXAMINATIONS. 1965. Mathe-

matics in Primav Schools. Londres, Her Majesty’s Stationery Office. (Curri- culum bulletins, No. 1.)

148

Page 144: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

Quelques obstacles à l’apprentissage de la géométrie

Introduction

Dans ce chapitre, le terme de “géométrie” désigne les mathématiques de l’espace, d’où il découle que les obstacles dont nous parlerons ne sont pas seulement des obstacles mathématiques. Au cours des vingt dernières années, on a pris de plus en plus conscience du fait qu’une bonne partie des difficultés rencontrées par les enfants dans l’appren- tissage scolaire des notions mathématiques ont pour origine leur con- ceptualisation du monde spatial. Nous étudierons donc dans le présent chapitre les obstacles à cet apprentissage considéré dans ses trois composantes : apprentissage de l’espace, apprentissage de la mathé- matisation de l’espace et apprentissage de la géométrie.

Il s’agit d’ailleurs, dans une certaine mesure, d’un ordre chrono- logique aussi bien que logique. Dans la plupart des pays, l’enfant arrive à l’école en ayant une certaine connaissance de son environnement spatial, mais ne sachant pas grand chose des mathématiques. Un travail important doit être fait à l’école élémentaire pour développer ces notions spatiales et aussi pour initier l’enfant aux techniques fonda- mentales de la mathématisation (classement, description, établissement de relations), par différentes démarches : comprendre ce au’est une forme triangulaire, savoir nommer des quadrilatères différents, apprendre à construire une boîte avec six rectangles, etc. A l’école secondaire, on abordera en général un ensemble de sujets plus large : les coordonnées, les transformations, les vecteurs, la trigonométrie, et leurs caractéristiques mathématiques, en particulier leurs relations et applications. Dans l’enseignement supérieur, les systèmes géométriques seront complète- ment formalisés et fondés sur des bases axiomatiques. En fait, à ce niveau, la géométrie n’est souvent plus qu’une des branches de l’algèbre, tellement elle s’est éloignée de ses origines spatiales.

Cependant, cette chronologie générale ne doit pas masquer le fait que les trois “composantes” de ce chapitre jouent un rôle à tous les niveaux de l’enseignement. Au niveau élémentaire, divers autres con- cepts mathématiques interviennent dans les activités spatiales ; par exemple, une grande partie des activités de mesure consiste à utiliser

149

Page 145: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

les nombres dans un contexte spatial. Au niveau secondaire, l’élargisse- ment de l’éventail des sujets géométriques sollicite fortement la capacité de visualisation des élèves et leur connaissance du monde spatial. Enfin, si l’on veut, au niveau de l’enseignement supérieur, former convenable- ment les professeurs de mathématiques, il faut mettre l’accent avec insistance sur les bases spatiales et visuelles de la géométrie.

Nous pensons donc que les trois sections qui suivent renferment des idées importantes pour ceux qui enseignent à quelque niveau que ce soit, ainsi que pour les chercheurs. Toutes ces idées seront récapi- tulées dans le section finale.

Obstacles à l’apprentissage de l’espace

Dans la présente section, nous étudierons les divers facteurs, internes et externes à l’élève, qui peuvent engendrer des difficultés aux premiers stades de l’apprentissage de la géométrie. Je partage totalement l’opinion formulée par Clements (1985) dans son excellente analyse générale sur les causes des difficultés conceptuelles, selon laquelle la plupart des difficultés peuvent être attribuées à des facteurs externes. Quoi qu’il en soit, il est beaucoup plus facile d’agir sur ces facteurs externes que sur les autres.

Le premier facteur exerçant une influence manifeste est la priorité qui est donnée au niveau élémentaire à l’arithmétique, au détriment de la géométrie. Dans de nombreux pays, de tous niveaux de développe- ment, ce n’est qu’assez récemment que l’activité géométrique a fait son apparition dans les programmes de l’école élémentaire en liaison avec la tendance générale à un enseignement intégré des mathématiques au niveau du secondaire. Cependant, Colmez (1977) constate dans son étude générale des mathématiques du primaire que “l’arithmétique reste le sujet central de l’enseignement élémentaire”, ce que Fey (1979) confirme à propos de la situation aux Etats-Unis d’Amérique : “Une grande majorité des enseignants du niveau élémentaire pensent que leur seule tâche, en ce qui concerne l’enseignement des mathématiques, est de développer l’aptitude des élèves au calcul arithmétique”.

Un deuxième obstacle tient au fait que, même quand l’activité géométrique est prévue par les programmes scolaires, elle n’a, dans beaucoup d’entre eux et pour beaucoup d’enseignants, que peu de rapport avec l’environnement spatial extrascolaire. Ce problème à peutêtre pour origine une conception particulière des mathématiques, tant chez les enseignants que chez les responsables de l’élaboration des programmes. Par exemple, des conceptions inspirées par le forma- lisme, plutôt que par l’empirisme ou I’intuitionnisme, peuvent non seulement conduire à enseigner la géométrie en l’isolant de toute “réalité” mais aussi à donner aux élèves le sentiment que le reste des

150

Page 146: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles à l’apprentissage de la géométrie

mathématiques scolaires n’a pas non plus de rapport avec le monde extérieur. Dans ces conditions, ils ne seront guère motivés pour l’appren- tissage de la géométrie.

Au niveau de la culture, on doit remarquer que, pour beaucoup d’élèves dans le monde, les notions géométriques qu’on leur enseigne à l’école sont fondées sur une perception de l’espace totalement étrangère à celle de leur “culture familiale”. Il peut s’agir d’enfants d’immigrés récents ou d’enfants appartenant à une communauté autre que le groupe culturel dominant du pays. Les travaux de Harris (1980) sur les aborigènes d’Australie et ceux de Pinxten et al. (1983) sur les Navajos aux Etats-Unis d’Amérique mettent bien en lumière certains de ces problèmes. .Pinxten, en effet, dans son étude pénétrante et passionnante ne se contente pas de poser très clairement les problèmes ; il propose aussi une solution pédagogique spécifique consistant à objectiver, codifier et légitimer une géométrie navajo destinée à être enseignée aux enfants navajos avant leurs premiers contacts avec les concepts géométriques “occidentaux”. Le mot “occidentaux” entre guillemets appelle l’attention sur notre méconnaissance générale de ce phénomène d’hégémonie éducationnelle. Cette question dépasse le cadre du présent chapitre et a un caractère fortement politique (voir, par exemple, Gerdes, 1982). Soulignons simplement l’importance de ce problème en remarquant qu’il existe des millions d’enfants dans le monde qui apprennent les mathématiques dans une langue différente de leur langue maternelle ou de celle qu’ils parlent chez eux. Il est donc probable qu’une énorme proportion de ces enfants est confrontée à une perception du monde différente de celle de leur culture “familiale”. En outre, même s’ils parlent la même langue à la maison et à l’école, cela ne garantit toujours pas que les deux perceptions du monde soient identiques.

Ce problème illustre la discordance que l’on constrate, d’une manière plus générale, entre l’expérience (au sens le plus large) qu’a l’enfant du monde spatial et les notions et conceptions géométriques que lui incul- que l’école. Nous considérons comme admis que l’enseignement doit s’inspirer de l’expérience de l’enfant, l’exploiter et l’élargir, mais il faut bien se rendre compte aussi que cette expérience varie selon les enfants, et selon les régions, et même selon les pays, Cela apparaît à l’évidence si l’on considère le cas des enfants voyants ou non-voyants, et la question de savoir s’il vaut mieux enseigner une géométrie de l’en- vironnement urbain ou une géométrie de l’environnement rural peut se discuter (voir à ce sujet Serpell, 1976). D’autres auteurs, comme Mitchelmore, signalent certaines déficiences particulières que peut présenter l’environnement de l’enfant à cet égard : “A la Jamaïque, beaucoup de familles ne possèdent pas d’équipement spécialement destiné aux jeux des enfants. Ceux-ci ont moins de jouets [que les enfants européens]. Leurs livres sont moins raffinés et les émissions de

151

Page 147: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

télévision pour enfants sont moins variées” (Mitchelmore, 1986). Quelles que puissent être les causes de ces différences d”‘expérience” environnementale et spatiale, il importe de toute évidence que l’école ne considère pas l’expérience nécessaire comme acquise mais prévoie des activités spatiales appropriées pour initier les enfants aux notions géométriques. L’utilité de matériels concrets pour l’enseignement des concepts et des relations numériques est bien connue et largement mise en pratique mais certains enseignements d’initiation à la géométrie sont encore extrêmement “pauvres” à cet égard.

Etant ainsi passés peu à peu, dans les paragraphes qui précèdent, de l’examen des facteurs externes à celui de facteurs plus internes, nous en arrivons maintenant à l’enfant considéré dans son individualité. L’essentiel, du point de vue de l’apprentissage, est de voir dans quelle mesure l’enfant a intériorisé et “appréhendé” intellectuellement ses expériences spatiales. Est-il capable d’en parler ? Que connaît-il de la représentation des phénomènes spatiaux ? Sa culture familiale encourage-t-elle la peinture, la construction de maquettes, le dessin ? Peut-il se représenter et visualiser ses expériences spatiales de façon à être capable d’amorcer une réflexion à leur sujet ?

A ce stade, il vaut peut-être mieux que le maître considère ces facteurs comme individuels plutôt qu’internes, dans la mesure où il constatera qu’il s’agit davantage de différences entre les élèves que de particularités propres à tel ou tel l’élève. Il ne faut pas croire non plus que ces considérations n’ont d’intérêt que pour les enseignants du primaire. A tous les niveaux, les élèves diffèrent par leur utilisation du langage, leur capacité de visualisation et l’étendue de leur expérience des phénomènes spatiaux. A tous les niveaux, le professeur de géométrie doit enrichir et structurer l’expérience spatiale des élèves, développer leur vocabulaire del’espace et leur donner les moyens d’exploiter pleine- ment leur capacité de visualisation (voir, par exemple, Kent et Hedger, 1980).

Pour lever les obstacles à l’apprentissage de la géométrie, les premières étapes consistent donc en des activités destinées à améliorer la compré- hension qu’ont les élèves de leur environnement spatial. Si les professeurs de géométrie faisaient en sorte de préparer “spatialement” les élèves avant de mathématiser les notions, ils s’apercevraient que la suite de leur cours est beaucoup plus facile à enseigner sur la base de ces expériences, et les élèves auraient conscience d’avoir déjà des bases spatiales sur les- quelles asseoir leur compréhension des notions géométriques, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement.

152

Page 148: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles 1 l’apprentissage de la géométrie

Obstacles à l’apprentissage de la mathématisation de l’espace

L’apprentissage des notions géométriques ne se réduit pas à l’appren- tissage des mathématiques de l’espace. Il faut aussi apprendre à mathé- matiser cet espace. Alors que la section précédente traitait des bases spatiales de l’éducationgéométrique, nous nous intéresserons davantage, dans celle-ci, à que l’élève construit sur ces bases. Il est clair que les maîtres de dessin, de travaux manuels, de géographie, d’arts appliqués, d’éducation physique ou de danse doivent tous, d’une manière ou d’une autre, formaliser la perception qu’a l’élève du monde spatial et fonder leur enseignement sur des bases spatiales. Cependant, il est évident aussi que le mathématicien ne voit pas l’espace comme l’artiste ou le géographe. La présente section étudiera la début de ce processus de visualisation.

On peut, dans une certaine mesure, considérer les obstacles à l’apprentissage de la géométrie en termes de forme et de contenu. Cette dichotomie classique, qui s’applique aux mathématiques en général, est particulièrement importante dans l’enseignement de la géométrie car, pour de jeunes élèves, la forme et le contenu de la géométrie paraissent se confondre. Nous avons affaire à une représenta- tion de l’espace qui concerne à la fois la forme (la façon dont les concepts spatiaux sont représentés) et le contenu (ce qui est représenté). Il convient de s’arrêter sur ce point car c’est au moment où l’élève commence à mathématiser les notions spatiales que la confusion entre la forme et le contenu peut risquer se produire.

Par exemple :

Ce dessin AAC

représente-t-il un triangle ou est-il

lui-même un triangle ? Ces trois triangles sont-ils les mêmes ?

AL

A-4? c B

C 4 A

Et il y a aussi le problème classique “d’orientation”, qui fait que beau- coup d’enfants se refuseront à voir dans cette figure un triangle rectangle :

153

Page 149: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

Une autre source de confusion réside dans le fait qu’on ne peut pas tracer un “triangle quelconque” de la même façon qu’on représente un “nombre quelconque” par le symbole “x”, par exemple. Une fois tracé, le triangle quelconque devient dans l’esprit de l’enfant un triangle particulier. Il existe encore bien d’autres sources de confusion, mais nous nous en tiendrons là pour le moment.

Sur un plan général, on doit remarquer que les difficultés que rencontre un élève en géométrie ne sont pas, dans un sens, différentes de celles qu’il rencontre dans toute matière nouvelle : l’élève ne sait pas ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Cependant, nous pouvons aussi en tant qu’enseignants être responsables de grandes difficultés pour nos élèves comme pour nous-mêmes si nous ne somme pas attentifs à cette confusion entre forme et contenu.

Considérons un autre exemple. Dans beaucoup d’écoles élémen- taires, on trouve des formes découpées à l’usage des enfants, qui servent de “formes-types” pour les objets géométriques “les plus courants” :

cercle carré rectangle triangle

Examinons certains des problèmes didactiques qui peuvent résulter de ce genre de représentation et de dénomination. Y-a-t-il une différence entre un cercle et un disque ? Quel rapport y a-t-il entre un cercle tracé sur le papier et le cercle ci-dessus ? Le cercle tracé sur le papier est-il juste la “circonférence” d’un cercle ? Nous disons cependant : “la longueur de la circonférence d’un cercle est égale à T fois le diamètre du cercle”. Qu’est-ce donc que “le cercle” ? (Ou retrouvre évidemment les mêmes problèmes pour toutes les “formes”). Ou bien encore : Quel rapport y-a-til entre le “carré” et le “rectangle” ? Un rectangle est-il une espèce de carré particulière, ou l’inverse ? Certains professeurs qualifient “d’oblongs” tous les rectangles non carrés. Un rectangle a-t-il une “longueur” et une “largeur” ou une “hauteur” et une “largeur” ? Le lecteur pourra, j’en suis certain, déterminer facilement les problèmes analogues que pose le triangle particulier dessiné ci-dessus.

Quelle est donc l’origine de tous ces problèmes ? Est-ce l’utilisation de formes découpées ? Pourtant, elles plaisent aux jeunes enfants et le “sentiment” de la forme fournit à l’élève une image mentale importante : la “rondeur” du cercle est ressentie tout autrement que le caractère “pointu” du triangle. Les dénominations sont certainement correctes dans la mesure oh chaque forme est un exemple authentique correspon- dant bien à la dénomination choisie. Le problème réside dans le fait qu’on ne donne qu’une seule représentation pour chaque dénomination,

154

Page 150: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles a l’apprentissage de la géométrie

et tout se passe comme si la représentation devenait un symbole de la dénomination. La forme et le contenu sont alors indissociables.

A ce stade, nous nous trouvons donc en face de trois sources de difficultés potentielles pour l’élève : une notion insuffisante de ce qui est important ; une conception étroite de la représentation ; et une confusion entre forme et contenu.

La question de savoir ce qui est important dans le contexte de la géométrie est étroitement liée aux considérations de la section précé- dente. Si, comme on le pense de plus en plus, l’enseignement de la géométrie part des expériences spatiales de l’enfant, il faut, à ce stade, essayer de mathématiser ces expériences. Cela implique par exemple qu’au lieu d’apprendre la définition du cercle, du carré et du rectangle, l’enfant doit acquérir des idées sur la “circularité” (par exemple : elle permet aux objets de rouler ; il existe une uniformité de la courbure, qui est absente des formes ovales ; elle a plus de rapports, à l’origine, avec les sphères qu’avec les formes bidimensionnelles), sur “le caractère carré” (sentiment de quatre côtés symétriques, forme très “égale”, accompagnée d’une image des quatre point cardinaux et sur la “rec- tangularité”) (la forme de la “boîte”, comme dit Freudenthal (1983), possédant une certaine symétrie, mais fondamentalement déséquilibrée). Il sera évidemment plus facile de dégager ces propriétés d’objets “concrets” : récipients, emballages, etc. pris dans l’environnement de l’enfant.

Pourquoi cependant nous restreindre (et restreindre l’enfant) à la géométrie des petits objets ? Qu’en est-il de l’espace à plus grande échelle et du mouvement ? Les trajets, longs ou courts, aller et retour, avec toutes leurs indications (“tourner à gauche au second croisement”) ont de nombreuses propriétés importantes pour la suite de l’enseigne- ment de la géométrie. Les réflexions dans les miroirs et au cours de mouvements avec un partenaire, la disposition des couverts autour d’une table, les figures des danses folkloriques, tout cela peut être exploité. Les ombres, les miroirs déformants, les angles de vue bizarres peuvent initier l’élève à la distorsion qu’il rencontrera plus tard dans le cas de cer- taines transformations affines (affinités, cisaillements).

Mathématiser l’espace consiste à commencer à réfléchir aux carac- téristiques de l’espace auxquelles s’intéressent les mathématiciens. Nous devons donc faire en sorte que l’attention de l’enfant soit attirée sur autant de caractères pertinents de l’espace que possible : grand et petit, statique et dynamique, observé et éprouvé, ressenti et vu, fabri- qué et naturel, fait par l’enfant et fait par le maître. C’est là que le travail de classement doit commencer. Quelles sont les similitudes de deux situations ; quelles sont les différences ? Il faut distinguer entre forme et taille, entre forme et orientation, entre égal et semblable, etc.

Examinons maintenant les obstacles à la représentation de ces

155

Page 151: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

notions géométriques et la façon de les surmonter. Comme on l’a vu plus haut, le problème a pour origine une approche trop étroite de la repr&entation. Une aspect tout à fait fondamental et souvent méconnu de ce processus est la réduction d’échelle de l’environnement spatial, qui consiste à traduire un phénomène spatial à grande échelle sur une feuille de papier ou sous la forme d’un objet. L’idée de réduction d’échelle implique une simplification de l’original et aussi sa représen- tation d’un point de vue particulier. Des prouesses “d’imagination” sont évidemment nécessaires à l’enfant pour effectuer la représentation. Nussbaum et Novak (1976) l’ont clairement montré dans leur étude sur la conception que les enfants se font de la Terre. Certains enfants dessinaient une sphère placée dans un champ de gravité vertical, avec toutes les idées qui s’y attachent : les objets situés au-dessus de la Terre tombent sur elle et les autres “tombent en dehors de la Terre”.

Deux approches nous paraissent ici fécondes. La première fait appel aux cartes et à la cartographie, qui apparaissent comme des aspects fondamentaux de notre “espace cognitif’. Traditionnellement, bien sûr, les professeurs de géographie sont des experts dans le domaine du “développement de la cognition spatiale” (voir Hart et Moore, 1973) mais la cartographie n’a pas qu’un intérêt géographique. Les formes de représentation utilisées, les modélisations possibles et les échelles, tout cela peut être exploité avec profit aux fins de la mathématisation. Cette activité peut commencer très tôt, comme l’indique le titre surprenant d’un article de Blaut et Stea (1974) : “ Mapping at the Age of Three” [La cartographie à l’âge de trois ans]. La passion des enfants pour les modèles réduits de personnes (les poupées), de voitures ou d’autres objets peut très bien être exploitée à des fins géométriques, pour illustrer les notions de similitude et d’échelle et les différences de taille et de forme.

L’autre approche est liée à l’utilisation de photographies et de l’appareil photographique en général. Certains documents du projet IOWO (1978) exploitent l’intérêt de la photographie en tant que repré- sentation “intermédiaire”, c’est-à-dire intermédiaire entre la réalité et sa représentation dessinée. Le projet SCIS (Science Curriculum Improve- ment Study, 1978) utilise également des photographies dans ses matériels pédagogiques sur la position relative, les points de vue et le mouvement relatif. Les relations entre la position de l’appareil photo- graphique, la position de l’objet et la photographie qui en résulte peuvent constituer une source fructueuse d’activités géométriques, en particulier quand on l’étend aux caméras de cinéma et de vidéo.

Quant aux figures utilisées dans la pratique pour représenter les notions géométriques, il faut d’abord se rendre compte qu’elles peuvent elles aussi être à l’origine de beaucoup de difficultés. Voici quelques exemples :

156

Page 152: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles à l’apprentissage de la géométrie

1.

C A

2.

3.

L’angle B est plus grand

AL B que l’angle A (Kent, 1978), ou encore

ces droites sont tandis que celles-ci ne le sont pas (Kers- lake, 1979)

4. Dans le cas de schémas plus compliqués comme celui-ci,

certains élèves ne reconnaissent pas la nature tridimensionnelle de la figure (Bishop, 1983).

Il existe un vocabulaire visuel très complexe, avec de nombreux symboles et conventions, que l’élève doit comprendre pour pouvoir donner un sens aux figures géométriques, et il peut en résulter beaucoup de difficultés telles celles mentionnées ci-dessus. On peut considérer que ces difficultés sont liées en grande partie au problème que pose la “lecture” de symboles créés par d’autres et, comme pour l’apprentissage de la lecture des mots et des phrases, il est nécessaire de prévoir des activités qui amèneront l’élève à se livrer lui-même à la représentation des figures et pas seulement à leur interprétation. Cela implique qu’on encourage de nombreuses façons le dessin et la représentation. Le dessin, toutefois, n’est pas une activité simple (Goodnow, 1977), et Fuson et Murray (1978) ont montré que reconnaître des formes découpées est plus facile que de les construire avec des bâtons, activité qui est elle- même plus facile que de les dessiner avec exactitude. Il faut donc admettre que le dessin n’est pas le seul moyen de représenter les notions géométriques et l’on devrait peut-être en faire la dernière étape d’une série d’activités de représentation qui pourrait inclure l’usage de bâtons, de fil de fer et de ficelle, le dessin dans le sable, etc.

Le langage est un autre moyen de représentation des notions spatiales qui présente pour l’élève des difficultés particulières. Nous

157

Page 153: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

avons déjà vu les difficultés qu’entraîne l’utilisation trop précoce des appellations et des “noms” géométriques (cercle, carré, triangle) : il faudrait plutôt insister, dans les premiers stades, sur les adjectifs (circu- laire, plat, rectangulaire) qui caractérisent les propriétés géométriques des objets.

Plusieurs types de difficultés ont pour origine le fait que I’enseigne- ment n’a pas conscience de la façon dont il se sert lui-même du langage, notamment en liaison avec l’utilisation d’un tableau noir vertical. Le nord est “en haut”, on “abaisse” une perpendiculaire ; l’axe des y est “vertical”, les figures géométriques ont des “bases” et des “hauteurs”. Tout cela peut égarer l’élève qui, lui, est (en général) assis à une table horizontale. Le même phénomène est peut-être à l’origine des diffi- cultés de l’élève concernant l’orientation des figures. Sur un tableau vertical, on a tendance à dessiner les figures “debout”, autrement elles pourraient “tomber”. Au champ de gravité vertical est associée une idée de stabilité, sans rapport avec la question. Fisher (1978), dans un panorama des travaux de recherche, arrive à la conclusion que la préférence pour les figures “debout” est enracinée très profondément et ne semble pas modifiée par des types particuliers d’enseignement.

Nous reviendrons, dans la prochaine section, sur la question du langage mais, pour résumer les problèmes relatifs à la mathématisation de l’espace, il apparaît clairement qu’il est très dangereux d’affecter trop tôt des dénominations à des représentations trop “symboliques” des phénomènes spatiaux. Ce stade de l’apprentissage de la géométrie par l’enfant doit être rempli d’activités utilisant des récipients de formes diverses, des configurations de carrelages, des mosaïques, des pliages, des constructions de maquettes, et le dessin de croquis et de cartes. On doit structurer ces activités de façon à mettre en évidence les caracté- ristiques, les propriétés et les phénomènes géométriques. C’est par cette approche qu’on peut commencer à donner une forme objective au contenu de la géométrie.

En ce qui concerne la forme ou la représentation des notions géo- métriques, les élèves auront besoin à ce stade de se familiariser avec différentes sortes de représentations et avec la “traduction” d’une représentation en une autre. Le diagramme suivant indique la structure possible de ces activités :

Produits

Objets Figures Symboles

Objets

Apports Figures

Symboles

158

Page 154: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles à l’apprentissage de la géométrie

Avec les catégories “objets” (de l’espace réel, grands ou petits), “figures” (diagrammes, photographies) et “symboles” (mots, lettres et aussi nombres), on peut représenter puis réaliser les diverses sortes d’activités de “traduction” mettant en oeuvre les différents aspects de la représentation.

Voici trois exemples, se référant au diagramme ci-dessus :

Case A : L’enseignement donne à l’élève quelques figures, par exemple trois dessins différents d’un objet. A partir de là, l’élève doit construire l’objet lui-même, avec de l’argile ou de la pâte à modeler. Case B : L’enseignant a, par exemple, préparé des descriptions verbales de certaines figures ; à partir de ces descriptions l’élève doit construire la figure. Ce travail peut faire intervenir des constructions simples au crayon, à la règle ou à l’aide de formes courbes. Case C : On donne, par exemple, un objet à l’élève et on lui demande de le décrire de façon à ce qu’un camarade qui l’écoute de l’autre côté d’un écran soit capable de le trouver au milieu d’un ensemble d’objets.

Bien entendu, des confusions et des malentendus sont possibles mais, en discutant avec les enfants, l’enseignant commencera à développer chez eux non seulement les idées et concepts géométriques mais aussi la connaissance des tâches qu’implique la représentation de ces concepts. Les enfants acquièrent aussi une métaconnaissance de la géométrie, prenant conscience en particulier de la nécessité de défini- tions précises, de la nature relationnelle et de l’interconnexion des notions mathématiques et de la nature abstraite et générale de l’activité mathématique.

Je pense personnellement que si les spécialistes de la formation mathématique insistaient davantage sur les efforts à faire pour sur- monter les obstacles décrits dans la présente section, une grande partie des difficultés que rencontrent les enfants dans l’apprentissage de la géométrie proprement dit se trouveraient résolues. C’est la précipitation mise à aborder la géométrie formelle, en négligeant les nombreuses activités associées à la mathématisation du monde spatial, qui est, à notre avis responsable des difficultés qu’éprouvent les enfants face aux concepts et aux processus géométriques.

L’apprentissage de la géométrie

La présente section est consacrée à la description de certains obstacles particuliers que les enfants doivent surmonter dans l’apprentissage de la géométrie, compte tenu de ce qui a été dit dans les deux précédentes.

159

Page 155: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

Dès l’abord, on se heurte à un problème de description, du fait que, comme on peut le voir dans d’autres chapitres, il n’existe pas de con- sensus sur ce qui constitue ou devrait constituer la géométrie scolaire. En particulier, alors que dans certains systèmes scolaires la “géométrie” constitue encore, dans le programme, une matière distincte, avec des cours qui lui sont propres à différents niveaux, d’autres pays ont adopté une approche des mathématiques beaucoup plus intégrée. Dans ces derniers systèmes, on étudie des sujets tels que les suivants : vecteurs, réseaux, coordonnées, trigonométrie, transformations et géométrie tridimensionnelle, à de nombreux niveaux différents de la scolarité.

Comment doiton alors analyser les obstacles que rencontrent les élèves dans ces contextes très différents ? Nous adapterons le plan suivant : premièrement, les obstacles de nature “purement géométrique”, puis ceux qui concernent la géométrie en tant que structure mathé- matique, et enfin quelques problèmes spécifiques rencontrés par les élèves dans l’étude de différents sujets de géométrie.

Premièrement, le qualificatif “purement géométrique” s’applique ici aux concepts géométriques et à leurs relations mutuelles. Je pense aussi au caractère limité qu’ont ces concepts pour beaucoup d’enfants. Les difficultés semblent associées à deux facteurs qui, bien qu’on les considère ici séparément, sont certainement liés dans la réalité : le fait que la formation des concepts chez l’enfant est limitée d’abord par les schémas et les figures utilisés et ensuite par sa capacité d’imagina- tion. Nous avons déjà vu dans la section précédente comment la forme de la représentation utilisée peut gêner la compréhension de l’enfant, et l’on retrouve d’autres exemples de ce phénomène plus tard, quand les élèves étudient une géométrie plus formelle. Ainsi Hoz (1981) décrit de façon très détaillée plusieurs aspects de la “rigidité géométrique” qui, souvent, résulte de ce que les élèves sont incapables de “voir” un diagramme d’une manière différente. Dans l’exemple ci-dessous, ils peuvent être incapables d’utiliser le segment AD en tant que “côté” car

B D C

ils ne le voient que comme “hauteur” du triangle ABC. Cette rigidité est, bien sûr, exploitée dans des problèmes comme les suivants : “ com- bien y a-t-il de carrés sur un échiquier” ou “relier ces neufs points en ne traçant que quatre droites sans lever le crayon du papier”.

160

Page 156: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles à l’apprentissage de la géométrie

Cette rigidité est aussi mise en évidence par le test classique des “figures emboîtées” (qui figure souvent dans les batteries de tests spatiaux), où l’on doit identifier une figure simple, comme la figure A, à l’intérieur d’une figure plus complexe comme la figure B.

ESC! Figure B

Les psychologues associent l’aptitude à ce genre de tâche à un style cognitif appelé “indépendance du champ”, souvent lié aux aptitudes mathématiques.

Les figures géométriques complexes où interviennent des cercles, des tangentes, des cordes, des angles, etc. peuvent évidemment présenter de sérieuses difficultés pour les élèves s’ils n’ont pas la capacité mentale de démêler et de recomposer les différentes composantes géométriques afin de mettre en évidence ou de découvrir la propriété demandée.

La seconde entrave au développement des concepts chez les enfants est liée aux limites de leur imagination. A différents niveaux, on ren- contre des élèves opposant une grande résistance à l’idée de dessiner un triangle isocèle rectangle, un polygone concave ou un quadrilatère gauche, par exemple. Plus tard, les notions relatives aux espaces de dimension n peuvent causer de sévères traumatismes !

Paradoxalement, on peut exploiter la notion de “définition” (en- semble de mots servant à déterminer avec précision) pour élargir l’imagination et la compréhension. On peut, par exemple, donner aux élèves une “définition” du pentagone telle que “figure constituée par cinq droites” et leur faire explorer les formes qu’ils peuvent dessiner d’après cette “définition”. C’est eux qui commenceront ensuite à la restreindre en employant des mots comme “plat” et “fermé”, afin d’obtenir le résultat désiré. On peut penser qu’après une activité de ce type l’existence de polygones concaves et convexes ne leur posera plus tant de problèmes.

Fielker (1979) propose une activité judicieuse pour transmettre “l’essence de l’idée de ce qu’est un carré” :

Si l’on vous donne les éléments suivants d’un carré, comment, dans chaque cas, construisez-vous le carré, soit sur une géoplanche, soit sur

161

Page 157: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

une feuille de papier non réglé ? (avec un choix limité d’instruments tels que compas, règle, équerre, rapporteur, etc. ou uniquement par pliage)

(i) un côté (ii) une diagonale

(iii) les milieux de côtés opposés (iv) les milieux de côtés adjacents (v) un milieu de côté et le centre

(vi) un sommet et le centre

Les nombreux aspects de l’art géométrique constituent aussi une source fructueuse d’activités permettant de développer l’imagination géométrique des enfants (voir ATM, 1982).

En ce qui concerne maintenant les difficultés relatives à la géo- métrie en tant que structure mathématique, on se rappelle la polémique qui a fait rage (et qui continue dans certains milieux) sur le rôle de la géométrie euclidienne “déductive” dans les mathématiques scolaires. Sans vouloir rouvrir de vieilles plaies, ni même aborder en détail la question, l’important pour notre présent propos est le fait qu’en l’absence de “démonstration” et de “déduction” la géométrie n’est pas vraiment de la mathématique. Deux obstacles apparaissent alors : la difficulté de “démontrer” et la motivation pour le faire.

Que la géométrie d’Euclide ait traditionnellement mis l’accent sur la démonstration, cela va sans dire, mais qu’elle ait porté sur le processus de la démonstration est une autre histoire, comme l’a montré Robinson (1976). On peut avancer (comme cela a été fait) qu’on apprenait à “démontrer” essentiellement en “instrumentalisant” l’algorithme de démonstration, par une séquence telle que celle-ci : énoncer le donné, puis énoncer ce qu’on doit démontrer, puis chercher les constructions appropriées pour établir les liens et enfin développer complètement la démonstration”. Dans la plupart des cas, cependant, cette séquence dégénérait en un procédé mnémonique pour apprendre la démonstra- tion due à untel du théorème de quelqu’un d’autre. Le problème résidait essentiellement dans une formalisation prématurée. La “forme” de la démonstration était considérée, d’une certaine façon, comme représentative du processus sous-jacent et devenait donc le “modèle” supposé du raisonnement déductif.

Heureusement, nous savons maintenant que “démontrer” doit être considéré comme l’objectif final d’un parcours qui comporte des phases telles que deviner, conjecturer, argumenter et raisonner. Des analyses comme celle de Bell (1979) ont placé la démonstration dans une perspective qui non seulement la rend accessible à tous les élèves mais qui leur permet aussi de l’apprécier. Démontrer peut être con- sidéré comme une façon mathématiquement raffinée d’argumenter et qui garde un rapport avec les argumentations et les discussions concernant le “monde réel”.

162

Page 158: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles à l’apprentissage de la géométrie

Un obstacle important créé par l’ancienne notion de “démonstra- tion” était le manque de motivation, en ce sens qu’on pourrait se de- mander pourquoi une démonstration était nécessaire. Dans bien des cas, ce qu’on démontrait était intuitivement évident et n’avait donc pas besoin d’être démontré. On peut comparer cette situation avec celle où ‘un élève est confronté à la conjecture suivante : “Si l’on prend un triplet de Pythagore quelconque et qu’on mutiplie les trois nombres, le produit sera toujours un multiple de 60”. A première vue cette affirma- tion apparaît tout à fait déraisonnable et improbable. Cependant, quelques essais semblent en confirmer le validité et l’élève est alors très désireux de savoir si ce resultat est toujours vrai et pourquoi.

Il suffit d’un changement de conceptualisation de la part de l’en- seignant pour rendre les activités de “démonstration” beaucoup plus accessibles aux enfants. Cela implique essentiellement qu’on traite les théorèmes comme des généralisations que les enfants eux-mêmes peu- vent inférer. Considérons, par exemple, l’activité suivante :

Tracer deux points. En tracer un troisième situé de telle façon que, quand on le joint aux deux premiers, on obtienne un angle de 90 degrés. Essayer de tracer d’autres “troisièmes points”. Pouvez-vous voir une configuration apparaître ? Si vos deux premiers points étaient sur une ligne “horizontale” peut-on continuer la configuration de troisièmes points “au-dessous” de même “qu’au-dessus” de cette ligne ? Que se passe-t-il si l’on recommence avec un angle de 60” .(au lieu de 90”) ? La configuration change-telle ? De quelle façon ? Joindre les deux points fixes au centre du “cercle” et chercher ce qu’on peut dire des différents angles. Prendre d’autres valeurs pour l’angle de départ. Pensez-vous que ce type de configuration apparaîtra toujours ? Si non, pourquoi ? Pouvez-vous justifier par un raisonnement les configurations obtenues ?

La langage utilisé et la séquence des activités doivent évidemment être adaptés au groupe d’enfants considéré. L’exemple montre néanmoins comment les caractères généraux d’une configuration géométrique particulière peuvent être dégagés d’une façon stimulante et qui amène les élèves à comprendre comment ces caractères généraux dérivent d’autres caractères géométriques. On peut ainsi surmonter le côté rebutant et ardu de l’activité de démonstration, mais il faudra bien sûr attendre d’avoir déjà bien avancé dans ce type d’activité pour en donner une présentation axiomatique formelle.

Examinons maintenant quelques-uns des obstacles particuliers ren- contrés dans le cas de divers sujets de géométrie. Malgré les points communs et les redites qui apparaissent, inévitablement, certaines difficultés spécifiques se dégagent.

En géométrie des transformations, un type particulier de difficultés

163

Page 159: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

découle des représentations utilisées dans la pratique. En premier lieu, on ne peut montrer que le point de départ et le point d’arrivée d’une transformation (telle qu’une symétrie axiale), encore que les ordina- teurs permettent maintenant de présenter visuellement la transforma- tion de façon graduelle. Si l’on ne dispose pas de ce moyen, un dia- gramme comme le suivant exige de l’enfant une capacité considérable

de compréhension des conventions. La ligne pointillée représente ici le “miroir” ou l’axe de symétrie. L’élève doit imaginer la réflexion dans le “miroir” (Hart, 1981). La “rotation” est encore plus difficile à repré- senter. On entrevoit que la difficulté pour l’enfant découle du fait qu’on représente sur une surface bidimensionnelle une opération dynamique qui a lieu en dimension trois. Là encore, on peut à ce niveau affirmer ces difficultés en employant un système analogue à celui qui s’est avéré efficace pour la “mathématisation de l’espace”.

Un autre problème spécifique d’imagination se pose dans le cas des transformations obliques. Par exemple, des enfants qui n’éprouvent aucune difficulté à construire la symétrique d’une figure par rapport à l’axe des x ou des y peuvent être incapables de le faire par rapport à la droite y = x (Küchemann, 1980). Là encore, on peut s’attendre à ce que l’expérience et la pratique de la transformation d’un certain nombre d’objets concrets - en effectuant par exemple la symétrie par rapport à la “diagonale” - développe l’imagination nécessaire en géométrie analytique.

Le sujet de l’homothétie constitue une base très importante pour l’étude de la trigonométrie et pour la compréhension des rapports et proportions en général. C’est un sujet particulièrement adéquat pour montrer la différence entre les proportions internes (relatives à la forme de la figure) et les proportions externes (relatives aux tailles respectives de figures semblables). Malheureusement, on constate trop souvent que les aspects numériques des rapports et proportions prennent le pas sur les aspects géométriques. Il est pourtant crucial pour la compréhension de l’élève que les notions d’homothétie et de similitude reçoivent une base solide aussi bien sur le plan visuel que sur celui de l’imagination.

Le même danger existe dans le cas des géométries vectorielle et analytique car, dans le programme scolaire, l’une et l’autre peuvent devenir très rapidement “algébriques”. Le géométrie analytique, aussi

164

Page 160: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles à l’apprentissage de la géométrie

bien en coordonnées rectangulaires que polaires, présente peut-être moins de difficultés pour l’élève parce qu’elle concerne la représenta- tion de situations statiques. En outre, on peut montrer ses relations avec les cartes, les “réseaux” de rues à angle droit, la disposition des chaises dans la classe, etc. L’étude des coordonnées (en dimension deux) peut donc être abordée visuellement et concrètement assez tôt dans la scolarité de l’élève. Les coordonnées en dimension trois posent cependant à nouveau le problème lié à la difficulté de “saisir” l’espace tridimensionnel sous une forme bidimensionnelle.

Le cas de la géométrie vectorielle est très différent, car elle implique la représentation sur le papier du déplacement dynamique, par des segments et des angles qui suggèrent visuellement des distances et des directions plutôt que le mouvement et les forces. Si l’on veut que le principe de la combinaison des vecteurs soit compris en profondeur, il faudrait étayer ce concept par une expérimentation scientifique intensive. Cependant, comme pour les transformations, l’ordinateur vient maintenant à notre secours en produisant des séquences animées montrant les différents effets engendrés par des combinaisons diverses de vecteurs. Là encore, il semble que nos méthodes traditionnelles utilisant le crayon et le papier soient inadaptées à la représentation des notions de l’espace dynamique, par opposition à l’espace statique. Les modèles, l’expérimentation et l’animation sont nécessaires pour y remédier.

Conclusions

En conclusion, nous considérons comme fondamentaux les aspects suivants de la géométrie, aussi bien sur le plan de l’enseignement que sur celui la recherche :

Il faut exploiter bien davantage l’environnement spatial de l’enfant. Les enseignants doivent donc avoir connaissance de cet environnement pour pouvoir en tirer parti dans l’apprentissage de la géométrie. Les effets des différents environnements sur la compréhension des notions géométriques et spatiales chez l’enfant devraient aussi faire l’objet de nouvelles recherches. Il faut accroître le rôle et l’importance donnés à la géométrie, en par- ticulier à l’école élémentaire. Des travaux de recherche ont mis en évidence les bases spatiales et géométriques de nombreuses notions mathématiques (les rapports et proportions, par exemple) et de nouvelles recherches pourraient identifier les problèmes qui surgissent quand on ne développe pas les concepts sur ces bases. Les activités spatiales effectuées par les jeunes enfants ne sont pas en elles-mêmes suffisantes. 11 faut inciter les enfants à réfléchir sur ces

165

Page 161: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

activités. Le travail en petits groupes est propice aux discussions entre les enfants, et des activités bien choisies peuvent attirer leur attention sur les caractéristiques de l’espace que le mathématicien considère comme importantes. Ces activités par petits groupes et les discussions qui s’ensuivent ne sont pas très répandues dans les classes de mathé- matiques et il faut que les chercheurs mettent en lumière l’utilité qu’elles peuvent avoir pour la compréhension des mathématiques. Il faut familiariser les jeunes élèves à diverses représentations, ainsi qu’à diverses tâches de représentation. Par ces diverses activités de représen- tation, les enfants commenceront à assimiler la distinction entre la forme et le contenu. Là encore, la réflexion et la discussion sur ces activités seront profitables. Il faut approfondir les recherches sur les liens qui unissent les activités de représentation et la compréhension de la géométrie. Les enseignants doivent exploiter davantage les activités de “réduction d’échelle” de l’environnement. Les chercheurs aussi doivent approfondir cette question. Nous avons peu de données sur cet aspect de la géométrie et nos idées sont encore relativement rudimentaires. Néanmoins, nous en savons déjà assez pour comprendre qu’il y a là une direction de recherche très prometteuse. Le langage est un des principaux supports de la “représentation” et le langage de l’espace constitue pour l’enseignant comme pour le chercheur un champ fertile à exploiter. En incitant les élèves à parler de leurs activités spatiales et géométriques, le professeur créera d’excellentes occasions de former leur langage mathématique. Selon nous, il faut aussi, dans les premiers stades, donner la priorité à la description des propriétés géométriques et aux opérations, déplacements et changements (transformations) géométriques plutôt qu’à la dénomination des objets géométriques (cercles, etc.) eux-mêmes. Une dénomination prématurée peut gêner la compréhension de l’enfant et on doit l’éviter. La recherche peut, là encore, nous informer sur les types de signification et de con- ception associés à certains aspects particuliers du langage géométrique. Les enseignants doivent encourager et exploiter davantage l’utilisation de l’imagerie visuelle chez les élèves. Nous savons que cette imagerie visuelle est largement accessible à de nombreux élèves, mais ce potentiel n’est pas assez exploité. La géométrie en est un domaine d’application évident, en particulier en ce qui concerne les aspects dynamiques des lieux géométriques, des transformations et de la géométrie vectorielle. La question principale posée aux chercheurs est de savoir si l’on peut développer l’imagerie visuelle chez l’élève et comment cette imagerie peut être partagée par l’enseignant et l’élève. Bien que les divers sujets de la géométrie mettent l’accent sur des aspects différents de l’analyse spatiale, l’enseignant doit exposer leurs relations mutuelles. Il peut très bien arriver, par exemple, qu’un pro- fesseur enseigne les caractéristiques particulières des coordonnées

166

Page 162: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles à l’apprentissage de la géométrie

rectangulaires, des coordonnées polaires et de la longitude et la latitude sans que les enfants aient pleinement conscience du fait que toutes ces notions ont trait à la localisation d’un point dans l’espace. La recherche pourrait s’attacher plus spécifiquement à déterminer les concepts unificateurs de la géométrie. Nous voulons parler ici non pas de l’algèbre des transformations par exemple, mais des concepts unificateurs géo- métriques. Abe (1980) nous en donne un excellent exemple quand il met en lumière le rôle central du parallélogramme aussi bien dans la géométrie traditionnelle qu’en géométrie vectorielle. Pour lui, “cette propriété est considérée comme la propriété unificatrice du projet” (qui a pour objectif l’amélioration de l’enseignement de la géométrie dans les écoles élémentaires japonaises). Il s’agit, selon nous, d’une voie d’avenir très prometteuse.

En conclusion, les considérations qui précèdent montrent bien qu’il existe de nombreux aspects de la géométrie qui méritent d’être explorés. On constate également que l’enseignement et l’apprentissage de la géo- métrie pourraient être beaucoup plus efficaces qu’ils ne le sont appa- remment aujourd’hui. A notre avis, les chercheurs devraient s’intéresser beaucoup plus sérieusement à l’apprentissage de la géométrie, et les enseignants, ainsi que les responsables de l’élaboration des programmes scolaires, devraient lui accorder une priorité bien supérieure. En outre, la volonté de surmonter les principaux obstacles à l’apprentissage de la géométrie par les enfants pourrait conduire à l’élaboration de pro- grammes et d’innovations pédagogiques passionnants qui, à leur tour, pourraient avoir une influence importante sur l’enseignement des mathématiques en général.

Références

ABE, K. 1980. Geometric Activities in the Elementary School.Dans : M. Zwenget al. (dirs. pub.), Proceedings of the Fourth International Congress on Mathematical Education, p. 161-162. Cambridge, Mass., Birkhaüser Boston, Inc.

ASSOCIATION OF TEACHERS OF MATHEMATICS (ATM). 1982. Geometric Images. ATM, King’s Chambers, Queen Street, Derby (Royaume-Uni).

BELL, A. W. 1979. The Leaming of Process Aspects of Mathematics. Educational Studies in Mathematics, Vol. 10, p. 361-387.

BISHOP, A. J. 1983. SpaceandGeometry.Dans: R. Lesh et M. Landau(dirs. pub.), Acquisition of Mathematics Concepts and Processes, p. 175-203. New York, Academic Press.

BLAUT, J. M. ; STEA, D. 1974. Mapping at the Age of Three. The Journal of Geography, Vol. 73, p. 5-9.

CLEMENTS, M. A. (Ken). 1985. Les causes des difficultés conceptuelles en mathé- matiques pour les jeunes élèves. Dans : R. Morris (dir. pub.), Etudes sur Iénseignement des mathématiques. Vol. 3 : La formation des maîtres de 1 énseignement primaire. Paris, Unesco.

167

Page 163: L'Enseignement de la géométrie

Alan J. Bishop

COLMEZ, F. 1977. Mathematics Education at Pre-school and Primary Level. Dans : H. Athen et H. Kunle (dirs. pub.), Proceedings of the Third International Congress on Mathematical Education, p. 142-154. Karlsruhe, Université de Karlsruhe.

DEREGOWSKI, J. B. 1974. Teaching African Children Pictorial Depth Perception : In Search of a Method. Perception, Vol. 3, p. 309-312.

FEY, J. 1979. Mathematics Teaching Today : Perspectives from Three National Surveys. Mathematics Teacher, Vol. 72 p. 490-504.

FIELKER, D. S. 1979. Strategies for Teaching Geometry to Younger Children. Education& Studies in Mathematics, Vol. 10, p. 85-133.

FISHER, N. 1978. Visual Influences of Figure Orientation on Concept Formation in Geometry. Dans : R. Lesh (dir. pub.), Recent Research Concerning the Development of Spatial and Geometric Concepts, p. 307-321. Ohio State University, Centre for Science and Mathematics Education (ERIC).

FREUDENTHAL, H. 1983. Didactical Phenomenology of Mathematical Structures. Dordrecht, Reidel.

FUSON, K. ; MURRAY, C. 1978. The Haptic-visual Perception, Construction, and Drawing of Geometric Shapes by Children Aged Two to Five : a Piagetian Extension. Dans : R. Lesh (dir.pub.), RecentResearch Concerning the Develop- ment of Spatial and Geometric Concepts, p. 49-83. Ohio State University, Centre for Science and Mathematics Education (ERIC).

GERDES, P. 1982. Mathematics for the Benefit of the People. Communication présentée à la Caribbean Conference on Mathematics, Paramaribo (Suriname), octobre 1982.

GOODNOW, J. 1977. Children’s Drawing. Londres, Fontana. HARRIS, P. 1980. Measurement in Tribal Aboriginal Communities. Australie,

Northern Territory Department of Education. HART, K. M. (dir. pub.) 1981. Children’s Understanding of Mathematics Il-16

Londres, John Murray. HART, R. A. ; MOORE, G. T. 1973. The Development of Spatial Cognition : A

Review. Dans : R. M. Downs et D. Stea (dirs. pub.), Image and Environment. Londres, Arnold.

HOZ, R. 1981. The Effects of Rigidity in School Geometry Learning. Educational Studies in Mathematics, Vol. 12, p. 171-190.

10~0. 1978. Zie Je Wie,! Instituut Ontwikkeling Wiskunde Onderwijs (IOWO), Tiberdreef 4, Utrecht (Pays-Bas).

KENT, D. 1978. The Dynamic of Put. Mathematics Teaching, Vol. 82, p. 32-36. KENT, D. ; HEDGER, K. 1980. Growing Tall. Educational Studies in Mathematics,

Vol. 11, p. 136-179. KERSLAKE, D. 1979. VisualMathematics.Mathematicsin School, Vol. 8, p. 34-35. KÜCHEMANN, D. 1980. Children’s Diffculties with Single Reflections and Rota-

tions. Mathematics in School, Vol. 9, NO. 2, p. 12-13. MITCHELMORE, M. 1986. Aptitude spatiale et enseignement de la géométrie à la

Jamaïque. Dans : R. Morris (dir. pub.), Etudes sur Iénseignement des mathé- matiques. Vol. 3 : La formation des maîtres de l’enseignement primaire. Paris, Unesco.

NUSSBAUM , J. ; NOVAK, J. D. 1976. An Assessment of Children’s Concept of the Earth Utilizing Structured Interviews. Science Education, Vol. 60, p. 535-550.

168

Page 164: L'Enseignement de la géométrie

Quelques obstacles 4 l’apprentissage de la géométrie

PINXTEN, R. ; van DOOREN, 1. ; HARVEY, F. 1983. Anthropology of Space. Philadelphia, Penn., University of Pennsylvania Press.

ROBINSON, E. 1976. Mathematical Foundations of the Development of Spatial and Geometrical Concepts.Dans : J. L. Martin (dir. pub.), Space and Geometry. Ohio State University, Centre for Science and Mathematics Education (ERIC).

SCIENCE CURRICULUM IMPROVEMENT STUDY (SCIS). 1978. Relative Motion and Position ; (Teacher’s Guide). Chicago, Ill., Rand McNally.

SERPELL, R. 1976. Cultures Influence on Behaviour. Londres, Methuen.

169

“--- _,_,.. -. _-_-II_

Page 165: L'Enseignement de la géométrie

Bruce E. Meserve et Dorothy T. Meserve

La formation des enseignants et l’enseignement de la géométrie

Introduction

Tout enseignant de mathématiques, à n’importe quel niveau, doit se sentir complètement à l’aise dans sa discipline. Cette aisance n’est possible que si l’enseignant connaît assez intimement la matière qu’il enseigne pour pouvoir : présenter chaque sujet de plusieurs façons différentes ; montrer comment un sujet s’insère dans une structure existante ou conduit à une structure plus large ; situer un sujet dans l’histoire.

Si nous admettons que c’est de la géométrie que relèvent toutes les considérations sur les points et les figures, il est évident qu’un ensei- gnant de mathématiques ne peut être efficace que s’il enseigne aussi la géométrie. Les aspects visuels et conceptuels de la géométrie fournissent des voies d’approche des mathématiques particulièrement accessibles, à tous les niveaux de la scolarité.

En outre, les futurs professeurs de mathématiques doivent dévelop- per leur savoir-faire en géométrie non seulement en vue de l’enseigne- ment qu’ils dispenseront mais aussi comme outil pour leurs propres études de mathématiques. Il est particulièrement important qu’ils comprennent et sachent exploiter les relations mutuelles entre les divers domaines des mathématiques. Aussi est il essentiel qu’au niveau de l’enseignement supérieur, les concepts géométriques interviennent dans presque tous les cours de mathématiques et que soient mises en évidence et fréquemment utilisées, dans ces cours, les applications des techniques de la géométrie.

Avant d’étudier en détail la formation mathématique des enseignants, nous évoquerons le contexte général dans lequel cette formation doit se dérouler. La formation initiale des enseignants doit leur permettre d’avoir une vue globale du cursus scolaire de mathématiques, l’accent étant mis sur la nécessité de configuer une approche unifiée des objectifs, des contenus et des méthodes avec les contraintes de temps et de lieu liées à l’environnement socio-culturel de leurs élèves. Pour communiquer efficacement avec les élèves et les motiver, il faut comprendre leurs espérances, leurs craintes et leurs points de vue. Chaque élève doit

171

Page 166: L'Enseignement de la géométrie

Bruce E. Meserve et Dorothy T. Meserve

rencontrer les concepts sous une forme qui les rattache de façon reconnaissable à son expérience antérieure, à ses connaissances et à ses modes de pensée. Si l’élève est habitué à un mode de pensée fondé sur les objets physiques ou leurs représentations mentales, il faudra peut-être lui transmettre les concepts mathématiques en ayant recours à ces objets ou à leurs représentations. La communication ainsi établie, il sera sans doute alors plus facile à l’élève d’acquérir aussi les aptitudes logiques et analytiques qui lui permettront d’approfondir sa compréhension du concept en cause. Les enseignants s’efforcent, dans l’idéal, de développer toutes les aptitudes de chaque enfant jusqu’à un niveau optimal et doivent pour cela, à tous les niveaux de la scolarité, combiner différentes approches : géométrique, numérique et symbolique. La situation actuelle de la géométrie fait apparaître quelques succès, mais aussi des échecs en ce qui concerne l’exploitation de la géométrie en tant qu’aspect fondamental et voie d’approche des mathématiques, la présentation de concepts géométriques qui soient à la fois utiles et intéressants, la mise à profit de l’expérience et des centres d’intérêt des élèves et l’utilisation de problèmes qui parlent à l’imagination de l’élève.

Les professeurs doivent être capables de persuader chaque élève que les mathématiques, et en particulier la géométrie, sont souvent un jeu amusant autant qu’un outil précieux.

Aptitudes de base et niveaux de développement mental

Le futur enseignant est amené à étudier de nombreux domaines des mathématiques. Dans presque tous les cas cette étude devrait avoir pour effet de renforcer une ou plusieurs de ses aptitudes géométriques. Alan Hoffer (1981) a classé ces aptitudes en cinq catégories :

1. Aptitudes visuelles : reconnaître diverses figures du plan et de l’espace ; reconnaître les composantes d’une figure donnée et leurs relations mutuelles ; identifier les centres, axes et plans de symétrie d’une figure donnée ; classer des figures données suivant leurs caracté- ristiques observables ; tirer des informations supplémentaires de l’obser- vation visuelle ; visualiser des représentations géométriques (des modèles) ou des contreexemples à partir de données dans un système mathé- matique déductif déterminé. 2. Aptitudes verbales : identifier diverses figures par leur nom ; visualiser des figures à partir de leurs descriptions verbales ; décrire des figures données et leurs propriétés ; formuler des définitions correctes des termes utilisés ; décrire les relations entre des figures données ; saisir la structure logique des problèmes verbaux ; formuler les énoncés de généralisations et d’abstractions. 3. Aptitudes graphiques : dessiner des figures données et marquer des

172

Page 167: L'Enseignement de la géométrie

La formation des enseignants et l’enseignement de la géométrie

points spécifiés ; dessiner des figures à partir de leurs descriptions verbales ; tracer ou construire des figures ayant des propriétes données ; construire des figures en relation donnée avec des figures données ; dessiner les sections planes et les intersections de figures données ; ajouter des éléments auxiliaires utiles à une figure ; connaître le rôle (et les limites) des dessins et des figures construites ; dessiner ou cons- truire des modèles ou contre-exemples géométriques. 4. Aptitudes logiques : identifier les différences et les similitudes de figures données ; savoir que les figures peuvent être classées selon leurs propriétés ; déterminer si une figure donnée appartient ou non à une catégorie donnée ; connaître les caractéristiques souhaitables des définitions et mettre cette connaissance en pratique ; déterminer les conséquences logiques de certaines données ; élaborer des démonstra- tions logiques ; connaître le rôle et les limites des méthodes déductives. 5. Aptitudes aux applications : identifier les modèles physiques de figures géométriques ; dessiner ou construire des modèles géométriques d’objets physiques ; utiliser les propriétés de modèles géométriques pour conjecturer les propriétés d’objets physiques ou d’ensembles d’objets physiques ; connaître l’utilité de modèles géométriques appli- qués à des objets ou situations physiques ; élaborer des modèles géo- métriques de phénomènes naturels et d’ensembles d’éléments des sciences physiques ou des sciences sociales ; utiliser des modèles géo- métriques pour la résolution de problèmes.

Chaque aptitude de base énumérée dans la liste correspond aussi, selon un ordre croissant, aux niveaux de développement mental qui, en géométrie, ont été identifiés par P. H. van Hiele et sa femme (1959 et 1973) et décrits par Izaak Witszup (1976) et Alan Hoffer (1981). Ces niveaux sont les suivants :

Reconnaissance : aptitude à identifier une forme (globalement), en utilisant un certain vocabulaire. Analyse : distinguer certaines propriétés des figures élémentaires. Mise en ordre : donner des cas particuliers, établir des relations, formuler des définitions correctes. Déduction : discerner les éléments et la nature de la démonstration dans un système mathématique. Rigueur : saisir la nature des systèmes mathématiques et de leurs fonde- ments (niveau d’abstraction rarement atteint à l’école secondaire).

Les enseignants de l’école primaire

Les enseignants de l’école primaire doivent développer chacune des cinq aptitudes de base, aux niveaux non formalisés de la reconnaissance, de la perception des relations et propriétés, de la classification et de

173

Page 168: L'Enseignement de la géométrie

Bruce E. Meserve et Dorothy T. Meserve

l’implication. La formation géométrique que doit recevoir le futur instituteur pendant ses études supérieures dépend de ses acquisitions dans le primaire et le secondaire et du contenu géométrique des autres cours qu’il suit au niveau supérieur. Par exemple, la géométrie analyti- que (des coordonnées) intervient dans plusieurs cours aux niveaux secondaire et supérieur. Le moment venu, le futur instituteur devra saisir et comprendre en profondeur les diverses procédures permettant : d’affecter des coordonnées aux droites, aux plans et aux espaces tridi- mensionnels ; de représenter des figures dans des espaces munis de coordonnées ; d’utiliser les coordonnées pour l’étude des conjectures et la démonstration de théorèmes ; de guider les élèves dans l’emploi des coordonnées.

Les nombreux problèmes associés, dans le primaire, à la nécessité d’interpréter les concepts mathématiques en fonction de l’expérience des élèves demandent une attention particulière. L’enseignant s’efforcera essentiellement d’étendre le langage de ses élèves pour y inclure le langage des mathématiques de l’école primaire. La formation mathé- matique des instituteurs (Committee on the Undergraduate Program in Mathematics, 1983, p. 4, 7-21) doit, dans le cadre du langage, des expériences et de l’environnement des élèves, les rendre capables : d’identifier des formes géométriques simples et leurs propriétés ; d’illustrer et d’exposer les relations spatiales fondamentales ; d’identifier, d’exposer et de résoudre les problèmes géométriques ou interviennent les concepts mathématiques du programme scolaire ; d’illustrer et d’exposer des relations fondamentales comme l’égalité, la similitude, le parallélisme, l’orthogonalité et l’incidence entre les figures géométriques du plan ; d’illustrer et d’exposer les notions de périmètre, d’aire et de volume des figures géométriques ; d’illustrer et d’exposer les transforma- tions fondamentales du plan telles que glissements (translations), change- ments de direction (rotations) et retournements (symétries axiales). En outre, la formation mathématique des enseignants du primaire doit comporter suffisamment d’activités pour les rendre capables : d’utiliser des unités conventionnelles ou non conventionnelles (trombones, gommes, mesures corporelles, etc.) pour mesurer les longueurs, les périmétres, les aires, les capacités, les volumes, les mesures, les poids, les angles, le temps et la température ; de concevoir des activités péda- gogiques illustrant les concepts de la géométrie et de la mesure, qui soient adaptées aux différents niveaux de la scolarité ; de déterminer et de construire des raisonnements cohérents et logiques, associés aux énoncés géométriques, qui conviennent au niveau des élèves ; de réaliser des modèles de figures simples, planes ou tridimensionnelles ; d’utiliser convenablement la terminologie et le symbolisme mathématiques, en s’adressant à des élèves du primaire ; d’appliquer aux figures planes et aux figures de l’espace le processus de découverte mathématique par conjecture et expérimentation ; de comprendre les relations de la

174

Page 169: L'Enseignement de la géométrie

La formation des enseignants et l’enseignement de la géomhie

géométrie avec les autres composantes du programme scolaire ; d’expliquer le rôle de la géométrie dans la culture de l’élève.

On peut s’attendre à de grandes variations dans les méthodes adoptées pour atteindre ces objectifs, selon l’expérience antérieure du futur instituteur. Il faut s’appuyer sur les bases suivantes : la con- naissance complète du contenu géométrique par le futur enseignant, les méthodes permettant d’exprimer les concepts géométriques d’une façon adaptée à l’expérienc e des élèves et les moyens permettant de stimuler l’élève dans ses investigations, ses conjectures et ses découvertes. Il est en général souhaitable de porter une attention particulière au moins aux trois domaines suivants (Committee on the Undergraduate Program in Mathematics, 1983, p. 12, 17- 18) :

1. Les propriétés des éléments et des relations de base dans l’espace de dimension trois et dans le plan

La connaissance des figures et solides fondamentaux et l’assimilation de concepts comme le point, la droite, le segment de droite, l’ordre linéaire, le plan, les régions usuelles (triangulaires, carrées, circulaires, etc.), la similitude et l’égalité (en tant que relation) sont indispensables. A cette fin, on a intérêt à utiliser des objets physiques comme les blocs, les géoplanches (planches à pointes) et les pliages pour repré- senter les éléments et les relations et pour stimuler le travail d’explora- tion de leurs propriétés. 2. La mesure Le processus de mesure consiste à choisir une unité, à couvrir par des unités l’objet à mesurer et à compter le nombre d’unités nécessaire. On doit encourager l’estimation des mesures, et la mesure proprement dite à l’aide d’unités de longueur, d’aire et de volume non conventionnelles aussi bien que conventionnelles. 3. Terminologie et notations Les futurs maîtres doivent connaître l’usage mathématique correct des termes et symboles de telle façon qu’il y ait cohérence entre leur emploi en classe et l’emploi qu’en feront leurs élèves ultérieurement. Il est souvent souhaitable d’interpréter (traduire) les termes mathématiques dans le langage habituel des élèves. Par exemple, la “rotation” doit être associée au “changement de direction”, la “translation” au “glissement” et “la symétrie axiale” au “retournement”. On peut réduire les risques de confusion dans l’esprit des élèves en évitant les ambiguïtés terminolo- giques telles que l’emploi du mot “triangle” dans différents sens, comme dans les directives suivantes :

“Tracer un triangle” “Colorier le triangle”

175

Page 170: L'Enseignement de la géométrie

Bruce E. Meserve et Dorothy T. Meserve

Le terme de “triangle” doit désigner un type spécifique de figure. Pour éviter les confusions, il vaut mieux dire :

“Tracer un triangle” “Colorier la région triangulaire”

On peut éviter beaucoup de difficultés aus élèves en établissant une distinction entre les descriptions et les détïnitions. Considérons par exemple le rectangle. On peut décrire un rectangle en disant que c’est un quadrilatère dont les quatre angles sont égaux, un quadrilatère dont les quatre angles sont droits, un parallélogramme ayant au moins un angle droit, un parallélogramme dont les quatre angles sont droits, un parallélogramme dont les diagonales sont égales, un parallélogramme dont les quatre angles sont droits et les diagonales sont égales, etc., mais on peut choisir une définition du rectangle telle que “un parallélogramme ayant au moins un angle droit”, de telle façon qu’on puisse facilement déterminer si une figure particulière est ou non un rectangle. En insistant, au niveau du primaire, sur les différentes descrip- tions possibles d’une figure particulière, on établit une base permettant de choisir, un peu plus tard, une définition qui n’obligera plus l’élève à modifier un concept déjà établi ou un énoncé déjà mémorisé.

Les enseignants au niveau du premier cycle du secondaire

Les enseignants du premier cycle du secondaire (ou du primaire supérieur) doivent développer chacune de leurs cinq aptitudes fondamentales en géométrie non seulement aux niveaux non formalisés (requis d’ensei- gnants du primaire) mais aussi aux niveauxmentaux supérieurs relatifs à la mise en ordre et à la déduction, qui conviennent aux classes du premier cycle du secondaire. La formation mathématique des enseignants du premier cycle du secondaire (Committee on the Undergraduate Programs in Mathematics, 1983) doit donc comporter des activités analogues à celles qui sont prévues pour les enseignants du primaire et, en outre, les rendre capables : d’utiliser efficacement des figures géométriques pour exposer des concepts arithmétiques ; de classer les figures usuelles du plan et de l’espace ; d’explorer les propriétés des figures usuelles ; d’utiliser des pliages et des constructions à la règle et au compas pour introduire les conjectures associées à de nombreux théorèmes usuels ; d’explorer les configurations numériques qui interviennent en géométrie, comme le nombre de diagonales ou la somme des angles de divers polygones ; d’explorer les configurations composées de figures géométriques comme les frises, les pavages du plan, les pavages de l’espace, les solides platoniciens et les configurations géométriques naturelles (nids d’abeilles, cristaux, etc.) ; d’explorer les

176

Page 171: L'Enseignement de la géométrie

La formation des enseignants et l’enseignement de la gkomthie

propriétés des transformations géométriques, des figures semblables dans le plan et l’espace et les formules relatives à la mesure des figures usuelles du plan et de l’espace ; d’exposer et de résoudre les problèmes de géométrie plane et de géométrie tridimensionnelle qui ont un sens et un intérêt pour les élèves du premier cycle du secondaire ; d’exposer l’histoire de la géométrie, l’existence de plusieurs géométries, le rôle de la géométrie dans les mathématiques récréatives et le rôle de la géométrie dans notre culture (du point du vue scientifique et du point de vue esthétique).

Comme dans le cas des enseignants du primaire, on doit s’attendre à de grandes variations dans les méthodes utilisées pour atteindre ces objectifs, dans le cas d’enseignants du premier cycle du secondaire. 11 faut approndir les sujets mentionnés à propos des enseignants du primaire, auquels s’ajoutent les objectifs décrits ci-dessus. Comme les enseignants du premier cycle du secondaire assurent la transition entre l’école primaire et le second cycle du secondaire, il faut inclure dans leur formation aussi bien des approches analogues à celles qui sont proposées pour les enseignants du primaire que des approches analo- gues à celles qui sont proposées pour les enseignants du second cycle du secondaire.

Les enseignants du second cycle du secondaire

Les enseignants du second cycle du secondaire doivent développer chacune de leurs cinq aptitudes de base en géométrie (visuelle, verbale, graphique, logique, applications) à chacun des cinq niveaux de dévelop- pement mental (reconnaissance, analyse, mise en ordre, déduction, rigueur). Au niveau des études supérieures la formation géométrique nécessaire à un futur enseignant du second cycle du secondaire dépend fortement des acquis de sa scolarité primaire et secondaire et du contenu géométrique des autres cours qu’il suit. Les vecteurs, par exemple, figurent dans plusieurs cours des enseignements secondaire et supérieur. Le moment venu, le futur enseignant devra saisir et comprendre en pro- fondeur les procédures permettant : de présenter les espaces vectoriels ; d’utiliser les vecteurs pour la représentation des figures ; d’utiliser les vecteurs dans l’exposé des conjectures et la démonstration des théorèmes ; et d’aider les élèves du second cycle du secondaire à recon- naître l’existence d’une base axiomatique pour les géométries utilisant les vecteurs.

La formation mathématique des futurs professeurs de géométrie du second cycle du secondaire (Committee on the Undergraduate Program in Mathematics, 1983, p. 24-26) doit leur apporter une expérience du plan et de l’espace tridimensionnel suffisante pour leur permettre :

177

Page 172: L'Enseignement de la géométrie

Bruce E. Meserve et Dorothy T. Meserve

d’utiliser leur connaissance de l’évolution historique et de la structure de la géométrie pour réaliser des exposés introductifs aux concepts de la géométrie scolaire ; d’exposer diverses géométries de telle façon que leurs élèves reconnaissent et admettent l’existence d’au moins cinq géométries différentes comme la géométrie euclidienne, la géométrie sphérique, la géométrie hyperbolique (de Lobatchevski), la géométrie elliptique (de Riemann), la géométrie affine, la géométrie projective, la topologie et les géométries finies ; d’enseigner la géométrie euclidienne, envisagée comme une approche non formalisée de l’univers physique, comme une des approches inhérentes à presque toutes les branches des mathématiques, comme un des moyens de base permettant de résoudre les problèmes très divers, d’ordre pratique, mathématique ou, plus généralement scientifique comme un sujet pouvant être abordé selon diverses approches non formalisées (pliages, géoplanches, miroirs, constructions à la règle et au compas), comme un système déductif, comme un sujet que l’on peut développer, au moins en partie, à partir de points de vue très divers, tels ceux qu’impliquent les expressions de géométrie synthétique, géométrie des coordonnées (analytique), géométrie vectorielle, géométrie des transformations, géométrie descriptive, géométrie différentielle, théorie des graphes, géométrie combinatoire, géométrie linéaire et géométrie algébrique, et enfin comme un système mathématique ; de démontrer des énoncés par toutes sortes de méthodes et d’accepter des énoncés ainsi démontrés, en particulier pour les types de démonstration suivants : démonstration synthétique directe, démonstration synthétique indirecte, démonstration fondée sur l’emploi des coordonnées ou des vecteurs, démonstration fondée sur l’induction mathématique, démonstration fondée sur les transformations (translations, symétries axiales, rotations, homothéties (agrandissements ou rétrécissements), symétries ou projectivités) ; de comprendre et de pouvoir faire comprendre aux élèves du second cycle du secondaire les relations entre la géométrie et les autres disciplines ainsi que les applications de la géométrie dans divers domaines des ma théma tiques ; de décrire l’incidence de nombreuses notions géométriques en dehors des mathématiques, en citant en particulier des exemples convaincants de pensée géométrique dans des domaines comme les arts, l’architecture, la biologie, la cartographie, la physique, l’exploration de l’espace, les sports, la technologie et l’urbanisme.

La meilleure façon de faire comprendre l’évolution historique des géométries consiste généralement à la présenter comme une compo- sante essentielle de l’histoire des mathématiques. Tout exposé historique doit rappeler les origines empiriques de la géométrie, le fondement géométrique de presque toutes les mathématiques des Grecs anciens, ainsi que le développement et l’importance de la géométrie synthétique euclidienne. Vient ensuite naturellement la présentation des deux géométries non euclidiennes et de la façon dont ces géométries ont

178

Page 173: L'Enseignement de la géométrie

La formation des enseignants et l’enseignement de la géométrie

contribué à affranchir les mathématiques des contraintes de l’univers physique, ouvrant ainsi la voie aux systèmes mathématiques abstraits. On aborde ensuite le rôle de la géométrie dans le développement d’autres branches des mathématiques (en particulier l’algèbre, la trigonométrie et l’analyse) et, inversement, le rôle joué par d’autres branches mathé- matiques dans l’évolution de la géométrie, ainsi que les interactions analogues entre lagéométrie et les arts (appliqués ou non), et les diverses sciences, appliquées ou théoriques.

Une connaissance formalisée des concepts mathématiques sous- jacents est nécessaire au futur enseignant, mais non suffisante. Il peut par exemple comprendre le programme d’Erlangen de Félix Klein sans être capable d’appréhender les transformations et de les utiliser efficace- ment au niveau du secondaire. Les futurs professeurs du second cycle du secondaire doivent, au cours de leur formation, être confrontés à suffisamment d’expériences analogues (mais pas nécessairement identi- ques) à celles qui sont considérées comme souhaitables dans la pratique enseignante à ce niveau pour acquérir la capacité : d’employer avec aisance, pour l’exploration des problèmes géométriques, les méthodes arithmétiques, les méthodes algébriques, les contre-exemples formalisés ou non, les coordonnées, les vecteurs, les transformations et les méthodes déductives synthétiques de la géométrie axiomatique , d’exposer dans le langage d’élèves du second cycle du secondaire les hypothèses sur lesquelles reposent les procédures utilisées dans la résolution de tout problème de géométrie scolaire ; de travailler efficacement dans un système mathématique même si l’on n’y a étudié en détail que de petits sous-systèmes ; de présenter les géométries en tant que systèmes mathé- matiques en s’appuyant de façon non formalisée sur l’expérience des élèves.

La formation spécialisée en géométrie des futurs enseignants de géométrie au niveau du second cycle du secondaire doit inclure l’étude des sujets suivants :

Investigations non formalisées en géomdtrie

Les approches non formalisées de la géométrie au niveau du primaire et du premier cycle du secondaire fournissent d’excellentes bases pour l’introduction des concepts et l’élaboration des structures concernant l’investigation et la résolution de problème dans le second cycle du secondaire. On peut utiliser, par exemple, la représentation des figures géométriques sur une géoplanche carrée (réseau de pointes) comme introduction à la représentation des figures dans un plan cartésien. On peut déterminer les distances entre points (longueurs des segments) par le théorème de Pythagore. On peut établir la colinéarité en utilisant les pentes. On peut déterminer les droites parallèles et les droites perpendi- culaires.

179

Page 174: L'Enseignement de la géométrie

Bruce E. Meserve et Dorothy T. Meserve

Sur une géoplanche donnée, comme la géoplanche 5 x 5 de 36 pointes, on peut se familiariser avec les configurations à l’occasion des activités suivantes : déterminer l’ensemble de toutes les longueurs possibles des segments ayant pour extrémités deux pointes de la géo- planche ; déterminer l’ensemble de toutes les aires possibles des carrés dont les sommets sont des pointes de la planche ; déterminer l’ensemble de toutes les aires possibles des triangles dont les sommets sont des pointes de la planche.

On peut ensuite élaborer des généralisations en considérant les (n + 1)2 pointes d’une géoplanche n x n. On peut identifier, décrire par leurs propriétés observables, définir et classer de nombreuses figures usuelles. On peut illustrer de nombreux théorèmes. On peut donner des exemples (ou des contreexemples) relatifs à des conjectures sur les figures. On peut présenter la formule de Pick (A = (b/2) + i - l), où b est le nombre de pointes sur la frontière (les côtés) et i est le nombre de pointes à l’intérieur, et l’utiliser pour déterminer l’aire de tout polygone dont les sommets sont des pointes de la géoplanche. Les élèves peuvent alors comparer les aires des triangles ayant une base commune et dont le troisième sommet est situé sur une parallèle à la base. La conjecture qui en résulte peut être généralisée au cas où les triangles ont des bases égales situées sur une même droite, etc.

On peut mettre en oeuvre une autre approche non formalisée de la géométrie plane en utilisant les constructions à la règle et au compas. On peut construire de cette façon la plupart des figures élémentaires de la géométrie plane. La construction d’un grand nombre de figures d’un type donné différentes (par exemple de triangles avec leurs trois médianes) fournit une base pour l’élaboration de conjectures fondées sur les propriétés observées. La construction de configurations et de motifs géométriques illustre les liens étroits entre l’art et la géométrie. On peut aussi construire un modèle de la géométrie hyperbolique.

On peut utiliser les pliages pour représenter de nombreuses figures géométriques, pour susciter l’élaboration de conjectures et, d’une manière générale, pour réaliser de nombreuses activités destinées à justifier et à étayer des concepts géométriques très divers. D’autres approches non formalisées comme l’utilisation des miroirs, des trajec- toires de boules de billard et de la graphique informatique peuvent aussi aider les enseignants à établir un lien entre les modèles physiques de la géométrie dont l’élève a l’expérience et les relations et concepts géométriques abstraits étudiés en classe.

Comparaison des différentes géométries bidimensionnelles

L’identification et la comparaison des théorèmes qui se correspondent dans les différentes géométries est un moyen très efficace pour faire admettre aux élèves l’existence de plusieurs géométries. Il est nécessaire que les élèves se familiarisent avec les “points” et les “droites” d’au

180

Page 175: L'Enseignement de la géométrie

La formation des enseignants et l’enseignement de la géométrie

moins une représentation (modèle) de chaque géométrie. Considérons la géométrie plane euclidienne usuelle, la géométrie sphérique des points et des grands cercles (droites sphériques) sur une sphère, la géométrie elliptique des droites diamétrales (points elliptiques) et des plans diamé- traux (droites elliptiques), et la géométrie hyperbolique des points intérieurs (points hyperboliques) d’un cercle donné et des cercles orthogonaux au cercle donné (droites hyperboliques). On peut utiliser les propriétés observées sur ces représentations pour comparer les quatre géométries en ce qui concerne les aspects suivants : nombre de droites passant par deux points distincts donnés, nombre de droites passant par un point donné et parallèles à une droite donnée, nombre de droites passant par un point donné et ne coupant pas une droite donnée, somme des mesures des angles d’un triangle, existence apparente d’une relation entre l’aire d’un triangle et la somme des mesures de ses angles. Par ces comparaisons, le futur enseignant acquiert une expérience personnelle de l’utilisation de propriétés observées de façon non forma- lisée et du travail dans chacune de ces différentes géométries.

Terminologie et no ta tions

Pour établir une communication efficace, il faut employer correctement les éléments du langage - quel que soit ce langage. Il convient en particulier, quand les élèves commencent à constituer leur vocabulaire, d’établir une distinction entre triangle et région triangulaire chaque fois qu’une confusion est possible. De même, il est souvent nécessaire de distinguer entre droite et segment de droite, entre segment de droite et segment de droite orienté (vecteur), entre cercle et région circulaire, etc.

Beaucoup de figures géométriques peuvent être décrites de plusieurs façons très différentes. Les définitions choisies doivent être claires pour le lecteur et faciles à appliquer. Pour cela, il faut : que l’entité définie soit rangée dans sa classe la plus restreinte et que ses caractéristiques essentielles (spécifiques) soient indiquées ; que l’énoncé de la définition soit réversible, c’est-à-dire que la réciproque soit également vraie ; que la définition ne soit pas “surchargée” de conditions superflues. Une définition peut souvent avoir différentes formes équivalentes. Par exemple, on définit habituellement l’angle droit comme l’angle dont la mesure est de 90” mais Euclide le définissait comme l’angle de deux droites formant au moins deux angles adjacents égaux.

La signification des mots et des symboles continue à évoluer. Au cours des trente dernières années, le mot de “fonction” a été restreint au sens de “fonction univoque”, le symbole ‘Y, comme dans A ABC ?ARST,aétérestreintausensdeLAZLR,LBZLSetLCZLT. En outre, aussi bien en algèbre qu’en géométrie, il semble que le sens du symbole “=” ait tendance à se restreindre et à identifier “deux dénominations d’une même quantité (nombre, figure, etc.)” au lieu

181

Page 176: L'Enseignement de la géométrie

Bruce E. Meserve et Dorothy T. Meserve

d’indiquer de façon plus large une égalité de mesure, d’aire par exemple. Les futurs enseignants doivent acquérir une solide expérience leur per- mettant de formuler diverses descriptions d’une figure particulière, de choisir une définition utilisable pour une figure ou un symbole et d’utiliser correctement la terminologie et les notations.

Le raisonnement mathématique et les méthodes de démonstration

On utilise les méthodes déductives en arithmétique, en algèbre, en géométrie, dans les mathématiques discrètes et dans bien d’autres branches des mathématiques. Les différentes approches de la géo- métrie - synthétique, analytique, vectorielle, transformationnelle - peuvent reposer sur différents ensembles d’axiomes et sur différentes représentations (interprétations) du “point” et de la “droite”. Il n’est pas nécessaire de présenter chaque ensemble d’axiomes, mais il faut souvent reconnaître l’existence d’un ensemble d’axiomes pour pouvoir accepter une démonstration procédant d’une approche particulière. Les futurs enseignants doivent : apprendre à formuler, pour divers théorèmes, des démonstrations empruntant chacune de ces approches ; avoir une compréhension suffisante des mathématiques sous-jacentes pour pouvoir accepter une démonstration reposant sur n’importe laquelle de ces approches ; admettre que, même pour la géométrie plane euclidienne synthétique, il existe plusieurs ensembles d’hypo- thèses (axiomes, postulats) possibles, tels ceux d’Euclide, de Hilbert, de Veblen et de Birkhoff ; savoir démontrer de plusieurs manières diffé- rentes chacun des théorèmes d’un ensemble choisi ; comprendre (et être capable d’exploiter) les avantages respectifs de différentes approches pour différents types de théorèmes et de problèmes.

Ces acquis devraient en particulier permettre aux enseignants de choisir à bon escient les exemples qu’ils utiliseront en classe et de reconnaître la validité d’une quelconque des multiples démonstrations possibles d’un théorème.

Certains enseignants aiment à fonder chaque étape d’une démons- tration synthétique sur un syllogisme : ils ne doivent accepter que les démonstrations dont chaque étape présente une structure logique correcte, pouvant être identifiée, si nécessaire. A l’autre extrême, quelques enseignants donnent à leurs élèves l’impression de “démontrer” les théorèmes par des mesures : or les futurs professeurs doivent bien comprendre que, si l’énumération d’objets discrets est exacte, toute mesure lue sur une échelle (comme la longueur d’un segment de droite, ou la mesure d’un angle en degrés) est une approximation ; on ne peut pas utiliser des mesures approchées pour démontrer une égalité comme celle qui concerne la somme des angles d’un triangle.

182

Page 177: L'Enseignement de la géométrie

La formation des enseignants et l’enseignement de la géométrie

Les géométries finies

Afin d’élargir leur conception de la géométrie et de pouvoir disposer d’une source de théorèmes assez simples à démontrer, les futurs ensei- gnants doivent avoir une certaine expérience d’au moins une géométrie finie. Il est particulièrement souhaitable qu’ils en connaissent diverses représentations, fondées sur différentes interprétations des éléments des postulats.

Une hiérarchie des géométries

Topologie

1 Géométrie projective

Géométrie /)!Ttf affïne

équiaréolaire similitudes / I

Géométrie - Géométrie euclidienne elliptique

Géométrie hyperbolique

Géométrie sphérique

Les futurs enseignants doivent non seulement connaître l’existence d’autres géométries mais aussi comprendre les relations entre la géo- métrie plane euclidienne et plusieurs autres géométries bidimension- nelles. Le rôle précoce de la géométrie euclidienne en tant que géométrie apparente de notre univers physique et le rôle de la généralisation et de l’abstraction en tant qu’éléments importants du développement des mathématiques sont en général connus, au moins superficiellement. Ces points de vue constituent une base de discussion non formalisée sur les relations entre les géométries de cette hiérarchie et sur les conséquences qu’entraîne l’assouplissement des hypothèses de la géométrie euclidienne. La construction de la géométrie euclidienne, en ajoutant des hypothèses restrictives successives aux axiomes de la géométrie projective, permet aussi de comprendre de façon beaucoup plus profonde la nature de la géométrie euclidienne et de la géométrie en général.

La géométrie dans la vie

Les enseignants de géométrie doivent avoir conscience des nombreux exemples de figures et de relations géométriques qu’offre leur environ-

183

Page 178: L'Enseignement de la géométrie

Bruce E. Meserve et Dorothy T. Meserve

nement. Ils doivent aussi être capables d’en indiquer à leurs élèves un choix assez varié pour stimuler leur attention et leur intérêt. Les exemples suivants sont particulièrement intéressants : l’attrait esthétique du nombre d’or et son utilisation généralisée dans les arts et l’architecture ; le rôle des sections planes dans l’étude de la biologie ; la science de la perspective et son utilisation pour attirer l’attention du spectateur sur l’élément principal d’un tableau ou pour peindre des scènes de la nature, ou bien encore son altération délibérée chez certains artistes modernes pour produire un effet discordant ; la forme hexagonale des alvéoles des nids d’abeilles ; l’utilisation des principes de la géométrie dans la concep- tion de divers types de cartes géographiques, routes, ponts, etc. ; les solides géométriques que l’on abserve en cristallographie ; les applica- tions de la géométrie à la photographie, y compris le tirage des épreuves ; les divers principes de géométrie utilisés dans l’exploration de l’espace, les sports et l’urbanisme ; les liens respectifs des géométries euclidienne, elliptique et hyperbolique avec les trois théories fondamentales sur l’avenir de notre univers.

Conclusions

La formation géométrique complète indispensable aux enseignants ne saurait être confinée dans les limites d’un seul cours de l’Institut péda- gogique ou de l’Université. Les futurs enseignants doivent, au contraire, prendre conscience du contenu géométrique et des applications géomé- triques potentielles de chacun des cours qu’ils suivent pendant leurs études supérieures. L’utilisation des procédés, des représentations et des interprétations géométriques dans l’étude de l’analyse, de l’algèbre linéaire, des probabilitiés, de la statistique, de l’histoire et des fonde- ments des mathématiques ainsi que d’autres sujets (pas nécessairement mathématiques) constitue une préparation inestimable aux cours spécialisés de géométrie.

Il n’existe pas encore de cours ou de groupe de cours qui, de l’avis général, offre aux futurs enseignants de géométrie une formation adéquate. Nous avons exposé brièvement certains des sujets effective- ment abordés dans le cadre de la formation des enseignants de géo- métrie. Notre choix de sujets reflète l’importance que nous attachons à un traitement non formalisé aussi bien que formalisé de la géométrie scolaire et à l’utilisation d’approches de la géométrie très diverses pour l’enseignement de cette matière.

184

Page 179: L'Enseignement de la géométrie

La formation des enseignants et l’enseignement de la géométrie

Références

COMMITTEE ON THE UNDERGRADUATE PROGRAM IN MATHEMATICS (CUPM). Pane1 on Teacher Training. 1983. Recommendations on the Mathematical Preparation of Teachers. Washington, D.C., Mathematical Association of America. (MAA Notes, No. 2.)

H~ELE, P. M. van. 1959. La pensée de l’enfant et la géométrie. Bulletin de Z’APMP (Paris, Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public), No. 198, p. 199-205.

. 1973. Begrip en Znzicht [Concept et intuition]. Purmerend (Pays-Bas), Muusses.

HOFFER, Alan. 1981. Geometry is More Than Proof. Mathematics Teacher, No. 74, janvier, p. 11-l 8.

WIRSZUP, Izaak. 1976. Breakthroughs in the Psychology of Learning and Teaching Geometry. Space and Geometly. Columbus, Ohio, ERIC Cerner.

185

Page 180: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

Les cours de géométrie plane sur micro-ordinateur au niveau du secondaire

Introduction

La révolution engendrée depuis 1950 environ dans les sociétés indus- trielles par l’avancement des grands ordinateurs à usage général est bien connue. Comme l’ont prédit il y a plusieurs dizaines d’années Hamming et d’autres, leurs effets ont largement dépassé la simple possibilité de traiter plus d’informations plus rapidement (Hamming, 1963). Jusqu’à présent, cependant, les grands ordinateurs ont eu peu d’incidences directes sur l’enseignement des mathématiques scolaires.

Beaucoup de gens pensent actuellement que les micro-ordinateurs, puissants et relativement bon marché, qui deviennent de plus en plus accessibles, produiront dans le monde extrascolaire des effets aussi révolutionnaires que les grands ordinateurs à usage général. Je pense que les micro-ordinateurs ont en effet la capacité de révolutionner la vie scolaire, en particulier l’enseignement des mathématiques. Mais, à l’exception de quelques programmes généraux puissants (le LOGO, par exemple) et de quelques activités de type ludique de portée limitée, les “logiciels” utiles à l’enseignement des mathématiques scolaires sont rares ; ils portent surtout sur les techniques de calcul et sont générale- ment de qualité mediocre. Bien entendu, on fait un grand usage des micro-ordinateurs dans les écoles pour “l’initiation à l’informatique” ou l’enseignement de la programmation en BASIC ou en PASCAL, mais ces applications ne concernent que marginalement l’enseignement des mathématiques. Si l’on s’en tient là, la révolution du micro-ordinateur connaîtra certainement le sort d’autres innovations technologiques comme le cinéma, la télévision, les grands ordinateurs et les calcula- trices, qui sont toutes restées sans grande influence sur l’écoles, que celle-ci a même complétement ignorées, alors qu’elles envahissaient la vie extrascolaire.

Pendant vingt mois environ, j’ai dirigé une petite équipe de pro- fesseurs, de programmeurs et de spécialistes de la pédagogie des mathé- matiques qui a élaboré un cours complet de géométrie plane sur micro-

187

Page 181: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

ordinateur à l’intention des établissements d’enseignement secondaire’. Cette équipe a aussi participaté à la réalisation d’une importante com- posante géométrique d’un programme de mathématiques sur micro- ordinateur destiné à l’école élémentaire. Comme il s’agit d’un des premiers cours complets sur micro-ordinateur élaborés pour les écoles, il me paraît instructif d’exposer nos résultats et le processus par lequel ils ont été obtenus. Dans les pages qui suivent, j’indiquerai donc cer- tains des principes qui ont guidé nos travaux et les situerai dans leur contexte, en présentant la situation actuelle de l’enseignement de la géométrie dans les écoles secondaires des Etats-Unis d’Amérique. J’exposerai ensuite le contenu et les caractéristiques du logiciel de notre cours de géométrie sur micro-ordinateur. Ces programmes montrent, me semble-t-il, qu’un logiciel relativement peu coûteux, fonctionnant sur des micro-ordinateurs relativement bon marché peut en fait contribuer puissamment à l’apprentissage de la géométrie au niveau élémentaire et secondaire, dans le cadre d’un programme scolaire complet de géométrie.

Quelques principes d’dlaboration

Les sept principes généraux ci-après, concernant les outils informatiques d’enseignement des mathématiques, ont guidé nos travaux :

Les spécialistes de la pédagogie mathématique que nous sommes doivent s’efforcer de transférer aux ordinateurs les fonctions que ceux-ci sont le mieux à même d’assurer, mais nous devons aussi continuer à améliorer les manuels et à aider les professeurs à devenir plus efficaces. Nous devons donc adhérer à de stricts critères de “technologie appropriée”, en n’utilisant les ordinateurs que pour des applications pédagogique- ment efficaces et économiquement rentables. C’est ainsi que l’ordina- teurs remplace mal la calculatrice de poche et coûte beaucoup plus cher, que le texte imprimé demeure plus efficace sur la papier qu’affiché sur un écran de télévision et que divers matériels bon marché permettent d’entraîner les élèves aux “apprentissages de base” au moins aussi efficacement que des micro-ordinateurs plus coûteux.

Tout outil micro-informatique d’apprentissage doit être conçu à la lumière de l’avis des meilleurs spécialistes sur ce qu’il est important d’apprendre dans le domaine des mathématiques et de leurs applica- tions. Ils doit, à tout le moins, servir à enseigner de solides concepts mathématiques et non de simples recettes permettant d’obtenir tel ou tel résultat.

Les outils micro-informatiques d’apprentissage doivent apporter aux élèves une information en retour appropriée, le sentiment confiant d’être les maîtres de leur propre apprentissage et la maîtrise réelle de nombre 1. Ce cours, ses programmes et les noms “Geodraw” et Proofchecker” sont la propri& de

WICAT Systems, à Orem, Utah (Etats-Unis d’Am&ique), où les recherches et la rbalisation ont eu lieu.

188

Page 182: L'Enseignement de la géométrie

Les cours de géométrie plane SUT micro-ordinateur au niveau du secondaire

des difficultés inhérentes aux manipulations mathématiques. Cela implique notamment qu’une grande part de l’enseignement par micro- ordinateur soit véritablement interactive et une faible part seulement purement directive ou expositive.

Il est essentiel de consacrer au moins autant d’efforts à la mise en oeuvre effective des matériels pédagogiques micro-informatiques au niveau des écoles elles-mêmes qu’à la conception des ordinateurs et des didacticiels eux-mêmes.

Tout en continuant à améliorer autant que possible l’enseignement des mathématiques à l’école, nous devons aussi examiner quelle part de l’apprentissage des mathématiques pourrait desormais se dérouler, grâce aux micro-ordinateurs, à domicile, sur les lieux de travail et en d’autres endroits. Cela est capital pour la formation continue de ceux qui ont quitté l’école, mais ce peut être aussi important pour de nom- breux écoliers ou étudiants. En fait, notre cours de géométrie est conçu pour être utilisé aussi bien à la maison qu’à l’école.

Les ordinateurs sont eux-mêmes des systèmes soumis à des con- traintes et à des règles, de façon comparable aux systèmes mathémati- ques que nous enseignons aux élèves. Je pense, par exemple, que l’utili- sation de nos programmes Geodraw et Proofchecker en apprendra autant aux élèves sur la façon de travailler dans le cadre de contraintes essentiellement axiomatiques que le contenu des cours de géométrie eux-mêmes. Cet aspect de l’enseignement par l’ordinateur doit être exploité chaque fois que cela est possible.

Bien que nos cours de géométrie ne soient pas destinés à I’enseigne- ment “professionnel”, le programme Geodraw n’est pas sans rappeler certaines utilisations industrielles de l’infographie en conception assistée par ordinateur (CAO). Les biens entre l’enseignement par ordinateur et le monde réel doivent, une fois encore, être relevés et être exploités chaque fois que c’est possible.

La géométrie scolaire aux Etats-Unis d’Am6rique

Depuis 1965 environ, le “cours standard” de géométrie aux Etats-Unis d’Amérique est un cours de géométrie euclidienne plane, oh l’accent est mis sur les démonstrations synthétiques fondées sur des postulats “métriques” concernant la mesure des longueurs et des angles. Ce cours standard a pour origine le cours de géométrie conçu en 1960 par le School Mathematics Study Group (Moise, 1960), qui repose sur les postulats métriques introduits par G. D. Birkhoff dans les années 1930 (Birkhoff et Beatley, 1940). Aux Etats-Unis d’Amérique, les manuels des cours de géométrie plane ont tous le même contenu de base, avec des définitions précises et des postulats métriques énoncés explicitement, et font grand usage de la démonstration en deux colonnes. La plupart de ces livres contiennent aussi une brève introduction à la géométrie

189

Page 183: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

analytique et, depuis une date plus récente, un chapitre sur les transformations. La plupart des manuels qui s’écartaient de cette norme ont disparu du marché. Ce cours commence normalement en dixième année d’études (second cycle du secondaire).

Dans l’ensemble, moins de la moitié des élèves de lycée aux Etats- Unis d’Amérique suivent un cours axé sur la démonstration et, parmi ceux-ci, moins de la moitié apprennent à effectuer des démonstrations géométriques non triviales. Un rapport récent indique que, sur l’ensemble des élèves de lycée aux Etats-Unis d’Amérique : 47 pour cent ne font pas de géométrie ; 6 pour cent choisissent ce cours mais abandonnent avant la fin ; 7 pour cent suivent des cours de géométrie “sans démonstrations” ; 11 pour cent étudient les démonstrations mais sont incapables de s’en servir ; 9 pour cent ne peuvent faire que des démonstrations triviales ; 7 pour cent réussissent moyennement sur le plan de la démonstration ; 13 pour cent réussissent bien dans ce domaine (Usiskin, 1982).

Les recherches de Usiskin et Sharon Senk (à paraître) montrent aussi que la majorité des élèves qui choisissent le cours standard de géométrie débutent avec une faible connaissance des concepts géo- métriques de base. Ils n’ont donc même pas une base minimale per- mettant de suivre un cours axé sur la démonstration. Si l’on ajoute à cela la pénurie croissante, aux Etats-Unis d’Amérique, de professeurs ayant une formation convenable en géométrie, il n’est pas étonnant de constater la tendance à un quasi-abandon de l’enseignement de la démonstration dans les cours de géométrie proposés.

En l’absence d’initiatives nouvelles, les enseignements scolaires de géométrie axés sur la démonstration sont certainement appelés à devenir très rares aux Etats-Unis d’Amérique au cours des dix prochaines années. D’ailleurs, depuis le début des années 60, certains éducateurs se déclarent fortement partisans de cet abandon, estimant que la priorité donnée jusque-là aux démonstrations devrait céder la place à d’autres modes d’approche de la géométrie, fondés sur les coordonnées, les transformations et les vecteurs.

Or, c’est l’importance attachée, dans l’enseignement classique de la géométrie, à la démonstration et aux définitions précises qui fait que cet enseignement est, pour beaucoup d’élèves, la première expérience véritablement “mathématique”. Beaucoup de mathématiciens profes- sionnels et d’utilisateurs des mathématiques ont remarqué que la géométrie avait été à l’origine de leur éveil aux mathématiques et à ses possibilités, ce qui confère évidemment à cet enseignement un rôle très important. A ceux qui le suivent avec succès, le cours de géo- métrie apporte des bases essentielles pour leurs études futures de mathématiques : intuition spatiale, logique, démonstration, résolution de problèmes originale et, pour certains, géométrie analytique et trans- formations,

190

Page 184: L'Enseignement de la géométrie

Les cours de géométrie plane sur micro-ordinateur au niveau du secondaire

Il est sans doute hors de la portée de la plupart des professeurs de l’enseignement secondaire qui enseignent le cours de géométrie “stan- dard” de remédier à l’inadéquation de celui-ci. Aux Etats-Unis d’Amérique en effet, l’enseignement mathématique dispensé dans les écoles élémentaires ne fait presque aucune place à la géométrie. Beaucoup d’élèves n’ont donc pas acquis l’intuition géométrique indispensable pour pouvoir construire une structure de définitions, d’axiomes et de théorèmes. La grande disparité de formation et d’aptitudes que l’on observe le plus souvent chez les élèves qui suivent les cours de géo- métrie est aussi une grave source de difficultés pour les professeurs. Alors que la plupart des élèves ont besoin d’un grand retour d’infor- mations de la part du professeur dans leur apprentissage de la démons- tration, un simple calcul arithmétique suffit à montrer que ce feedback doit être rare. Considérons, par exemple, un professeur n’ayant pas plus de 60 élèves de géométrie et qui voudrait passer en moyenne trois minutes par jour et par élève, en dehors des heures de classe, à la correction de démonstrations. Il lui faudrait consacrer à cette tâche trois heures parjour,ce qui, pour la plupart des professeurs, est purement et simplement impossible. En outre, la géométrie est une matière très visuelle ; or, il est difficile de fournir une illustration graphique suffisamment riche et précise quand on ne dispose que d’un tableau noir ou de documents reproduits au moindre coût. Sans matériels graphiques appropriés, les élèves ont du mal à “voir” les éléments déterminants sur lesquels leur attention doit se concentrer. Voila comment l’insuffisance de la préparation des élèves et la médiocrité des moyens technologiques se conjuguent pour aboutir à des cours médiocres, même quand les enseignants sont compétents.

Bref, l’enseignement de la géométrie au lycée traverse, aux Etats- Unis d’Amérique, une mauvaise passe. Et, cependant, il vaut assurément la peine de redéfinir cet enseignement et de le rendre accessible à beaucoup plus d’élèves que ce n’est le cas actuellement. Pour cela il faut : de nouvelles technologies pédagogiques produisant une graphique plus précise et plus dynamique, sous la dépendance de l’utilisateur ; une initiation plus graduelle à l’art de la démonstration ; un meilleur entraînement à la démonstration, avec des corrections et des informations en retour ; un contenu et des modes d’approche de la géométrie plus variés ; des mécanismes d’apprentissage laissant plus de temps aux élèves qui en ont besoin. Notre but était de voir si un cours de géométrie sur ordinateur pouvait rendre possible ces innovations pédagogiques.

Description d’ensemble du cours de géométrie de WICAT

On trouvera dans la section qui suit une description détaillée des deux principaux programmes de service et de leur mode d’utilisation pour les leçons. En bref, le cours se divise en deux parties, représentant

191

Page 185: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

chacune plusieurs mois d’étude ; chaque partie comprend deux sous- thèmes et s’accompagne d’un manuel imprimé. Voici un résumé du cours :

Géométrie 1 : Concepts de base et construction de systèmes.

Première partie : Cours succint de géométrie intuitive. Les activités prévues couvrent, pour l’essentiel, l’ensemble du contenu classique de la géométrie plane enseignée au lycée. L’approche est non formalisée et exploite la riche graphique interactive de Geodraw. L’ob- jectif principal est de rendre les cours de géométrie des lycées accessibles aux élèves mal préparés. On y a inclus des investigations et des problèmes qui sont intéressants même pour les élèves bien préparés. Deuxième partie : Construction de microsystèmes géométriques. Cette partie de Géométrie 1 porte sur des activités de raisonnement géométrique qui consistent pour les élèves à construire et à utiliser des “microsystèmes” à partir des divers sous-systèmes de notre programme Geodraw. La facilité d’accès aux transformations (translations, rotations, symétries axiales) permet d’établir des séquences de démonstration “localement rigoureuses”, ce qui assure la transition vers les démonstra- tions synthétiques classiques qui font l’objet de Géométrie 2.

Géométrie 2 : Démonstrations et extensions.

Première partie : Démonstrations synthétiques en géométrie plane. Cette partie du cours couvre le contenu des programmes scolaires relatif à la “démonstration synthétique”, d’une façon que nous espérons beaucoup plus efficace que ce qui se fait habituellement. Elle exerce les élèves à la logique classique sur laquelle reposent les démonstrations déductives. Le manuel indique les heuristiques permettant de trouver les démonstrations. Deuxième partie : Extensions et autres points de vue. Cette partie développe les concepts de base de la géométrie analytique. Le chapitre “Problèmes et amusements” du manuel fournit des sugges- tions pour continuer l’exploration des transformations et d’autres sujets.

On peut utiliser nos programmes de géométrie avec la mémoire de 128 K (kilo-octets) des IBM PC Junior (et autres micro-ordinateurs compatibles IBM) en occupant presque totalement la mémoire. Géométrie 1 et Géométrie 2 sont chacune stockées sur deux disquettes de 360 K (quatre disquettes pour l’ensemble du cours) ; le code du programme occupe le tiers de l’espace mémoire et le reste est rempli par les données qui permettent de réaliser les nombreuses activités du cours. C’est une structure d’une économie assez remarquable, due à des programmeurs de talent ; il n’en demeure pas moins qu’aux questions que pourrait se poser le lecteur sur l’absence de telle ou telle fonction supplémentaire, le réponse serait dans presque tous les cas que nous

192

Page 186: L'Enseignement de la géométrie

Les cours de géométrie plane sur micro-ordinateur au niveau du secondaire

n’avions pas assez de place. Ces contraintes liées à l’espace mémoire sont appelées à disparaitre bientôt et l’on peut s’attendre à disposer de programmes encore plus puissants sur des micro-ordinateurs qui coûteront probablement moins cher que les 700 dollars US tels que demandés en janvier 1985pour le systèmecomplet,avecunitéde disques et moniteur couleur, sur lequel nos programmes Géométrie sont implantés.

Les programmes principaux : Geodraw et Proofchecker

Les innovations pédagogiques des cours de géométrie de WICAT sont rendus possibles par les deux programmes suivants :

1. Geodraw donne à l’utilisateur une grande maîtrise de la construction et de la transformation des figures géométriques. Il existe d’autres pro- grammes pour micro-ordinateur d’une grande richesse graphique, mais Geodraw est peut-être le seul à modéliser aussi explicitement les approches contemporaines classiques de la géométrie, grâce à ses sous- systèmes Construct, Transform et V-Draw, ainsi que Measure et Axes. Geodraw est utilisé pour diverses activités d’un bout à l’autre du cours ; ce programme est toujours à la disposition de l’utilisateur pour des investigations spontanées et il sert d’appui à une importante composante géométrique dans le programme de mathématiques de WICAT destiné à l’école élémentaire. 2. Proofchecker vérifie l’exactitude logique et syntaxique des démons- trations entrées par les utilisateurs. A notre connaissance, cela n’a été réalisé nulle part ailleurs ; sans cette caractéristique, notre cours de Géométrie 2 serait très différent de sa version actuelle.

Il est plus facile d’utiliser les programmes que de les décrire mais, dans les sections qui suivent, j’exposerai bon nombre de leurs caracté- ristiques et indiquerai comment elles sont exploitées pour des activités sur écran.

Le programme Geodraw

Les touches de fonctions spéciales de Geodraw

Les touches situées sur la rangée supérieure (la rangée des chiffres) du clavier du micro-ordinateur sont affectées à des fonctions spéciales, actives dans tous les sous-systèmes de Geodraw. Un bande de carton imprimée est placée au-dessus de la rangée supérieure pour identifier chacune de ces fonctions spéciales. Ce jeu de fonctions “d’intendance” est toujours actif dans Geodraw. Leurs noms de code figurent ci-après en majuscules. L’utilisateur peut déplacer le curseur “vite” (FAST), à “vitesse moyenne” (MEDIUM) ou “lentement” (SLOW) au moyen

193

Page 187: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

des touches marquées d’une flèche, “effacer” (CLEAR) l’écran, “remplir” (FILL) des figures fermées en utilisant l’une ou l’autre des quatre couleurs, “étiqueter” les points (LABELS) par des lettres ou des coordonnées, “mesurer” (MEASURE) tout segment ou angle visible et “annuler” (UNDO) ce qu’il vient de faire. La fontion UNDO favorise une approche expérimentale des constructions ; si l’utilisateur s’est trompé de touche ou si ce qu’il vient d’ajouter à une construction lui semble faux, UNDO lui permet de revenir à l’étape précédente et d’essayer à nouveau.

Si on actionne la touche REFERENCE FRAMES (“repères de référence”), un “menu” apparaît au bas de l’écran, comme le montre la figure 1.

Figure 1. Geodraw : le menu REFERENCE FRAMES et un exemple d’axes

Si l’utilisateur appuie ensuite, par exemple, sur la touche S, de “Square-lattice” (treillis carré), l’ordinateur lui demande l’écartement qu’il désire entre les points ; un intervalle de 30 “pixels” est affiché pour donner l’échelle (un “pixel”, abréviation de “picture element” (élément d’image), est la plus petite partie de l’écran du moniteur que l’ordinateur puisse commander ; dans nos programmes, par exemple, c’est le 1/320 de la largeur de l’écran). Quand l’utilisateur a fourni cette information, un quadrillage de points apparaît sur l’écran et l’utilisateur a le choix entre limiter le déplacement du curseur à ces seuls points ou laisser au curseur la possibilité d’atteindre un point quelconque de l’écran. Quand ou appuie sur “Circle lattice” (treillis

1. N.D.T. : Les figures 1 à 9 sont extraites de la version originale anglaise des programmes Geodraw et Proofchecker. Le lecteur trouvera à la fin du prbent chapitre la traduction en français des termes utilisbs.

194

Page 188: L'Enseignement de la géométrie

Les cours de géométrie plane sur micro-ordinateur au niveau du secondaire

circulaire), l’ordinateur demande le nombre de points équidistants à placer dans une configuration circulaire, quand on appuie sur “Grid” (quadrillage), il demande l’espacement d’un réseau de droites de maille carrée, et quand on appuie sur “Iso-1attice” (réseau hexagonal), il demande l’espacement de points équidistants (répartis sur les sommets de triangles équilatéraux). En actionnant “Axes”, on obtient deux effets : un système orthogonal de coordonnées apparaît sur l’écran, l’unité demandée étant représentée sur les axes, et toutes les mesures ou coordonnées affichées sont évaluées dans l’unité de mesure et non en “pixels” comme d’habitude. La figure 1 en donne un exemple.

La figure 1 illustre aussi la solution que nous avons adoptée pour offrir des possibilités graphiques complexes sans obliquer l’utilisateur à mémoriser des dizaines de séquences spéciales d’actionnement de touches. Nous espérions disposer d’un clavier spécial comptant de nombreuses touches que nous aurions pu étiqueter et affecter à notre guise. Cela s’étant avéré irréalisable, nous avons emprunté au langage de programmation PASCAL l’idée d’affecter chaque fonction spéciale à une touche-lettre du clavier normal ; nous avons ensuite franchi une étape supplémentaire en affichant en permanence sur l’écran un “menu” où les lettres appropriées sont présentées sur fond clair. Cela rend apparemment nos programmes très faciles à utiliser.

La dernière ligne en bas de l’écran sur la figure 1 rappelle à l’utili- sateur les fonctions disponibles du système général.

Vue d’ensemble du programme Geodraw

Geodraw est constitué de trois sous-systèmes principaux, avec les fonc- tions spéciales que nous venons de décrire et la possibilité d’afficher sur l’écran les repères de référence énumérés sur la Figure 1. Geodraw a été conçu pour représenter les diverses façons dont on peut organiser la géométrie plane :

1. “CONSTRUCT” représente la géométrie euclidienne classique que nous connaissons depuis des siècles ; utilisé avec “MEASURE”, il représente la géométrie euclidienne modernisée au 20ème siècle. 2. “V-DRAW” donne un autre moyen de construire les polygones, on peut aussi l’utiliser pour représenter l’approche vectorielle de la géo- métrie. 3. “TRANSFORM” correspond à l’approche de la géométrie par les transformations. 4. “CONSTRUCT” employé avec “AXES”, correspond aux méthodes de la géométrie analytique.

195

Page 189: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

Le sous-système CONSTRUCT

Figure 2. Menu et exemples de figures du sous-système CONSTRUCT de Geodraw

La figure 2 montre une image-écran typique du sous-système “CONS- TRUCT” de Geodraw. On active chacune des fonctions de dessin en appuyant sur la touche voulue du clavier qui correspond à une lettre majuscule sur fond clair dans le “menu” figurant en bas de l’écran. Par exemple, si on actionne la touche P, pour “Point”, un point s’affiche à l’endroit de l’écran où se trouve le curseur et il est désigné par la première lettre de l’alphabet non encore utilisée ; on peut ainsi étiqueter cinquante-deux points au total, en utilisant les majuscules et les minus- cules. Les points une fois étiquetés sur l’écran, l’utilisateur peut tracer les autres figures indiquées en répondant aux “messages guide-opérateur” qui apparaissent quand il actionne la touche-lettre correspondante. Par exemple, si on actionne la touche Y, pour “TaY” (demi-droite), l’ordina- teur affiche le message “Demi-droite issue du point ~_ et passant par le point _._ “, et trace cette demi-droite quand les parties laissées en blanc dans ce message ont été remplies car enablement par l’utilisateur.

Pour “N-gon” (côté N), l’ordinateur demande le nombre de côtés du polygone. Quand l’utilisateur a répondu, l’ordinateur trace un polygone régulier ayant pour centre le point de l’écran où se trouve le curseur et un “rayon” de 40 pixels ; ce polygone est également étiqueté par les premières lettres de l’alphabet disponibles. Pour “Circle” (cercle), l’ordinateur demande le centre et le rayon, pour “Midpoint” (milieu), il demande les extrémités du segment, et pour “anGle” le rayon de départ et la mesure de l’angle. Pour “aRc”, il simule un compas en demandant d’abord le centre, le rayon et la direction de départ ; il indique ensuite à l’utilisateur d’actionner les touches-flèches pour tracer la longueur d’arc

196

Page 190: L'Enseignement de la géométrie

Les cours de géométrie plane sur micro-ordinateur au niveau du secondaire

désirée. Le fonction “Line” (droite) offre deux options : la première demande deux points, la seconde un point et la pente. L’option point- pente, quand on l’utilise avec “Axes” du menu REFERENCE FRAMES, a des applications évidentes pour l’exploration de la géométrie analyti- que. Si on actionne la touche A, qui correspond à “pAralle1” (parallèle), l’ordinateur affiche le message “Parallèle à la droite __ passant par le point __ ” ; de même pour la touche El, qui correspond à “pErpendicular” (perpendiculaire).

Le sous-système Transform

La figure 3 montre une image-écran typique du sous-système de trans- formations. Si l’on actionne les touches-lettres correspondant aux majuscules sur fond clair, l’ordinateur affiche les messages guide-opéra- teur correspondant aux fonctions désignées.

Figure 3. Menu et exemples de figures du sous-système TRANSFORM de Geodraw

Ce sous-système est conçu pour enseigner les paramètres essentiels de diverses transformations en demandant dans les messages guide- opérateur de préciser ces paramètres. Par exemple, le message de “Translate” (translation) demande à l’utilisateur de désigner les extré- mités d’un vecteur de translation, celui de “Scale” (homothétie) demande le centre et le rapport d’homothétie, celui de “Rotate” (rotation) demande le centre et l’angle de rotation et celui de “rEflect” (symétrie axiale) demande de désigner deux points de l’axe de symétrie. Le message de “pull” (affinité orthogonale) indique à l’utilisateur que la droite des points fixes passe par le point où se trouve le curseur ; il demande ensuite si la direction de l’affinité est horizontale ou verticale, puis demande le rapport d’affinité. Comme les effets des paramètres de “sHear” (transformation affine de cisaillement) sont assez complexes,

197

--.-._ - _... -- -l__.._l_ --_--

-~II

Page 191: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

le message indique à l’utilisateur que la droite des points fixes passe par le curseur et qu’on réalise le cisaillement (dans une direction horizon- tale) en actionnant les touches-flèches.

Si plusieurs figures sont représentées sur l’écran, il est essentiel de préciser laquelle doit être transformée, ce qui se fait à l’aide de la fonction “Define” (définir) : on demande à l’utilisateur d’énumérer les lettres désignant les divers points de la figure qu’il souhaite transformer ; un nombre est alors affecté à la figure. L’utilisateur peut, s’il le veut, utiliser le sous-système Construct pour construire une figure, puis passer au sous-système Transform, définir (Define) la figure qu’il a construite et enfin la transformer.

Si on actionne la touche K, correspondant à “Keep” (garder), l’ordinateur affiche un message demandant à l’utilisateur s’il désire que les figures initiales (avant transformation) soient conservées. Cette con- servation des figures initiales permet, par exemple, d’observer facile- ment les effets de la composition de transformations successives.

Les fonctions “Point”, “N-gon” et “Circle” répondent à peu très comme dans le sous-système Construct. Elles ont pour objet principal, ici, de permettre à l’utilisateur de construire rapidement des figures à transformer, sans être obligé de retourner au sous-système Construct. Dans un grand nombre de nos leçons, on demande à l’utilisateur de partir de tel ou tel N-gon et d’utiliser ensuite les transformations pour construire d’autres tïgures déterminées. Par exemple, la parallélogramme EFGH de la figure 3 a été obtenu à partir d’un carré qui a été transformé par Pull et Shear, sans conservation des figures initiales.

Les fonctions du système général sont disponibles. L’utilisateur peut, par exemple, choisir Axes dans le même REFERENCE FRAMES, puis explorer les effets de diverses transformations sur les coordonnées de points en choisissant l’option Coordinates (coordonnées) de la fonction LABELS.

Le sous-système V-Draw

V-Draw ressemble à ce qu’on appelle souvent une “géométrie de la tortue”, par référence à la “tortue” des programmes LOGO ; aussi les effets des fonctions montrées dans la figure 4 paraîtront-ils sans doute évidents au lecteur à qui les réalisations du LOGO sont familières. Nous avons choisi le nom de “V’‘-Draw d’abord à cause de la forme en V de notre curseur de dessin (que nous voulions très directionnel) et ensuite pour bien marquer le fait que les éléments de base sont les vecteurs. On trace ces vecteurs en déterminant la direction avec “Left” (gauche) ou “Right” (droite) et la distance avec “Go” (avancer). Chaque figure dessinée par V-Draw est composée de ces vecteurs, ou segments. “Point” étiquette le point où se trouve le curseur ; “pEn” (crayon) est un basculeur qui détermine si le déplacement du curseur laissera ou non

198

Page 192: L'Enseignement de la géométrie

Les cours de géométrie plane SUI micro-ordinateur au niveau du secondaire

Figure 4. Le menu et des exemples de figures pour le sous-système V-DRAW de Geodraw

une trace sur l’écran ; “Send” (envoyer) demande l’étiquette d’un point, puis envoie le curseur sur ce point ; “Hide” (cacher) est un autre bascu- leur qui rend le curseur visible ou invisible ; “Flip” (retournement) tourne le curseur de 180 degrés, pour le diriger dans le sens apposé. Go et Flip équivalent donc aux ordres “avant” et “arrière” de la plupart des versions du LOGO.

Dans beaucoup de réalisations du LOGO la métrique des distances n’est pas clairement indiquée. En outre, il est souvent difficile de distinguer l’orientation du curseur et des essais peuvent être nécessaires pour déterminer si le curseur (“crayon”) laisse ou non une trace sur l’écran. Ici, l’information sur l’état du curseur affichée en bas à droite de l’écran (Figure 4) permet de remédier à ces défauts. Elle indique l’angle du curseur avec l’horizontale dans le sens trigonométrique, donne l’échelle (longueur de 30 pixels sur l’écran du moniteur) et précise si le curseur laisse ou non une trace et s’il est ou non visible (état de Hide).

En actionnant la touche D, “Defer” (différer), l’utilisateur peut définir une procédure constituée d’une liste d’instructions de V-Draw et faire exécuter cette liste autant de fois qu’il le désire. Par exemple, la liste “Go 80, Left 90, eXecute 4 times” (avancer 80, à gauche 90 degrés, exécuter 4 fois) produisait un carré de 80 pixels de côté. La figure 4 présente une liste différente et ses résultats. Comme pour les autres exemples de géométrie de la tortue, cette caractéristique est en grande partie à l’origine de l’intérêt de V-Draw et du plaisir que procure son utilisation et elle offre un moyen d’initiation aux langages simples de programmation qui en vaut sans doute bien un autre.

Les fonctions du système général sont disponibles dans V-Draw.

199

-I.-- _.--- -- ,-- - .

Page 193: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

Par exemple, en utilisant Axes de REFERENCE FRAMES et Coordi- nates de LABELS, on peut explorer certaines propriétés classiques des vecteurs, comme la somme vectorielle.

Activités de Géométrie 1 utilisant Geodraw

Il existe au moins deux façons d’utiliser des programmes puissants comme Geodraw pour enseigner la géométrie. La première consiste à mettre les programmes à la disposition de l’élève comme outils, avec des documents imprimés (instruments, fiches de travail, livre d’exercices) proposant des activités d’apprentissage qui exploitent les capacités des programmes. Une autre possibilité consiste à présenter sur l’écran des leçons relatives à des concepts particuliers destinées à des catégories particulières d’élèves, l’ordinateur prenant lui-même en charge la plus grande partie possible du cours. C’est cette dernière option qui a été choisie pour les cours de géométrie de WICAT.

Nos programmeurs ont réalisé un programme créateur, exploitant les possibilités de Geodraw pour toute une série d’activités interactives sur écran : séquences d’exposé, illustrées de figures ; séquences de questions à choix multiple ou de propositions à compléter ; séquences de travail dirigé où l’utilisateur doit actionner certaines touches dans un ordre donné ; une séquence ingénieusement programmée qui explore l’écran pour vérifier si les figures réalisées par l’utilisateur sont bien celles que demande l’activité ; enfin, des séquences d’exploration où l’utilisateur a toutes les possibilités de Geodraw à sa disposition, sans contrôle des résultats finals par le programme. Même avec un système aussi puissant, le stockage d’un cours entier de géométrie sur disquettes est une tâche longue et difficile ; il en est de même du travail de révision et d’édition.

Comme on l’a vu au début de ce chapitre, aux Etats-Unis d’Amérique, la plupart des élèves de lycée qui s’inscrivent à un cours de géométrie ont une expérience insuffisante de la construction intuitive des concepts géométriques. C’est pourquoi les deux premiers tiers de Géométrie 1 sont consacrés à un traitement complet des faits et relations de la géométrie classique. Nous voulions que les utilisateurs puissent acquérir une notion intuitive de presque tous les axiomes et théorèmes qui com- posent une séquence de géométrie formelle axée sur la démonstration (notre Géométrie 2) avant de s’attaquer à une telle séquence.

Le dernier tiers de Géométrie 1 constitue une transition entre l’approche non formalisée de la géométrie qui précède et les démons- trations synthétiques formelles de Géométrie 2. Il s’agit de passer de la connaissance de nombreux faits géométriques isolés à l’organisation de ces faits en un système mathématique cohérent. 11 a été fait état précédemment dans ce chapitre des “microsystèmes” utilises à cette fin.

200

Page 194: L'Enseignement de la géométrie

Les cours de géométrie plane sur micro-ordinateur au niveau du secondaire

Activités de Gt+om&rie 2 utilisant Geodraw

La plus grande partie de Géométrie 2 est constituée d’activités au cours desquelles l’utilisateur démontre un grand nombre des théorèmes classi- ques de la géométrie plane, après quoi le programme Proofchecker vérifie l’exactitude logique de ces démonstrations. Geodraw est utilisé pour des activités de soutien. Il permet par exemple de tester les prérequis de chaque unité de démonstration et offre des applications à la fin de chacune d’elles. Geodraw contribue aussi à une unité de géométrie analytique et permet de réaliser les investigations complémentaires indiquées par le manuel (par exemple, la vérification du fait que toute isométrie peut être réalisée par la composition de symétries axiales). Le système Geodraw assure aussi, dans Géométrie 2, des activités d’entraîne- ment sur écran à l’emploi de Proofchecker : on y présente une simula- tion de la vérification des démonstrations par Proofchecker, l’utilisateur devant compléter des cases vides dans la démonstration proposée, au lieu d’essayer de réaliser lui-même la démonstration entière.

Le programme Proofchecker

Vue d’ensemble de Proofchecker

Proofchecker permet une vérification intelligente des démonstrations entrées par l’utilisateur. Il n’y a pas de “corrigé” interne pour I’exacti- tude des démonstrations : toute suite d’étapes qui a été entrée est, si elle est exacte, déclarée telle par Proofchecker. Si le diagramme donné pour une démonstration nécessite des “droites auxiliaires” supplémen- taires, celles-ci peuvent être tracées dans le cadre du programme Proof- checker et leurs propriétés deviennent automatiquement des éléments supplémentaires utilisables dans la démonstration. Proofchecker effectue aussi une vérification intelligente de la syntaxe des entrées. Par exemple, si plusieurs points sont étiquetés sur chaque côté d’un angle, de telle sorte qu’il existe plusieurs façons possibles de désigner l’angle par l’énumération de trois points, Proofchecker acceptera toutes les désigna- tions possibles de l’angle du moment qu’elles sont exactes.

La présentation en trois colonnes de Proofchecker : proposition, référence, règle

Dans la quasi-totalité des manuels de géométrie d’es lycées aux Etats- Unis d’Amérique, les démonstrations synthétiques doivent être présentées en deux colonnes : “proposition, justification”. La première colonne contient les propositions successives et la seconde contient les axiomes, théorèmes ou définitions cités comme justifications logiques de chaque proposition. Nous avons d’abord essayé d’imiter cette

201

__-. . . ^ , - -~ . . --___” __..

Page 195: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

présentation en deux colonnes, mais pour valider les liens logiques entre les “propositions” et les “justifications”, Proofchecker devait souvent rechercher toutes les étapes précédentes. Par exemple, si la proposition était l’égalité de deux triangles et si la justification en était le théorème d’égalité “côté-angle-côté”, Proofchecker devait retrouver les étapes antérieures de la démonstration qui avaient établi l’égalité des côtés et angles respectifs. Cela impliquait souvent un énorme travail de recherche et de vérification. Pour le simplifier, nous avons décidé de demander aux utilisateurs d’identifier les principales étapes antérieures, ce qui nous a conduit à la présentation en trois colonnes “proposition, référence, règle” utilisée dans Proofchecker. Nous pensons maintenant que cette innovation consistant à introduire une étape intermédiaire qui oblige l’utilisateur à fournir des références précises pour étayer les liens entre la proposition et la justification devrait devenir un élément normal de l’enseignement scolaire, même quand on n’utilise pas notre Proofchecker. Il est ainsi arrivé, dans un certain nombre de cas, que nos recherches sur les conditions d’un bon enseignement par ordinateur nous conduisent à des découvertes pédagogiques plus générales.

L’utilisation du programme Proofchecker

Comme pour Geodraw, il est plus facile d’utiliser Proofchecker que d’expliquer comment il s’utilise ; nous nous y essaierons cependant, à l’aide d’une série d’images-écran typiques qui peuvent se présenter dans la pratique. La figure 5, par exemple, montre l’énoncé de problème

PROBLEH STCITEHENT

Given: Isosceles 4BC with CIC=BC

Prove : .dXB=LCBR

Figure 5. L’énoncé d’un problème sur l’écran dans Proofchecker

qui apparaît sur l’écran quand l’utilisateur a choisi, dans le “menu” du cours, le problème consistant à démontrer le théorème classique d’égalité de deux des angles d’un triangle isocèle. La figure 6 représente l’écran

202

Page 196: L'Enseignement de la géométrie

Les cours de géométrie plane sur micro-ordinateur au niveau du secondaire

pendant l’entrée de la démonstration par l’utilisateur, avec une étape déjà enregistrée et vérifiée ; “ G” signale qu’on se réfère à un fait donné (“given”) et “C” indique que la proposition a été “copiée” directement et ne nécessite pas d’être justifiée par une règle.

Figure 6. L’écran de démonstration dans Proofchecker

La Ligne de “sollicitation” au bas de l’écran signale à l’utilisateur l’existence de deux aides possibles. S’il actionne la touche HELP (“aide”), un “plan” succint indiquant une façon d’effectuer la démonstration est affiché (en l’occurrence, on conseille à l’utilisateur de tracer la médiane de la base et de démontrer l’égalité de deux triangles). Si l’utilisateur actionne la touche DRAW (“dessin”), une figure est affichée sur l’écran (comme on le voit sur la Figure 7) et l’utilisateur peut suivre le conseil

Figure 7. L’écran de DRAW dans Proofchecker

203

Page 197: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

qui lui a été donné, en traçant une médiane à l’aide de Midpoint et de Segment. Quand on retourne à la démonstration (Figure S), le dia- gramme utilisé dans la démonstration comprend alors cette médiane. Proofchecker affichera AD = DB comme étape de la démonstration, et ajoutera cette information à ses sous-programmes internes qui vérifient la validité des étapes de la démonstration. La figure 8 montre aussi une démonstration complète du théorème.

Given: Isosceles 4BC with CIC=BC

Prove : LCCIB=LCBCI

Figure 8. Exemple de démonstration achevée dans Proofchecker

Chaque “règle” est entrée sous forme codée. Cela est indispensable, car il serait évidemment très difficile d’entrer et de vérifier des énoncés entiers. L’utilisateur a toujours devant lui un “carton de référence” imprimé où sont énoncées les règles qui peuvent servir de justification, avec leurs codes respectifs. Sur la figure 8, AL1 est le code de la règle ALgébrique suivant laquelle tout nombre (mesure) est égal à lui-même, et LA1 1 le code de la définition du milieu d’un segment.

La figure 9 illustre une des caractéristiques les plus importantes de Proofchecker, à savoir que toute étape exacte est acceptée. On peut donc construire n’importe laquelle des multiples démonstrations pos- sibles. C’est ainsi que les étapes affichées sur la figure 9 correspondent à deux autres démonstrations du théorème dont il s’agit. Quand une démonstration est terminée, Proofchecker n’entreprend pas de la vérifier avant que l’utilisateur ait entré END (“fin”) dans la colonne des propositions et qu’il ait fourni la référence d’une étape qu’il estime équivalente au résultat qu’il fallait démontrer. Si tout cela est correct, Proofchecker répond par une quelconque des variantes prévues de CQFD. Dans l’exemple montré ici, l’utilisateur aurait pu également

204

Page 198: L'Enseignement de la géométrie

Les cours de géométrie plane sur micro-ordinateur au niveau du secondaire

Figure 9. Autres démonstrations du théorème dans Proofchecker

citer l’étape 7 comme référence pour la proposition END. DFNC (étape 5) et CG30 (étape 7) sont deux codes différents de la défini- tion de l’égalité des triangles qui figurent sur le carton de référence.

La figure 9 fait aussi apparaître l’existence de deux options supplé- mentaires qui sont offertes à l’utilisateur : imprimer la démonstration, si l’ordinateur est connecté à une imprimante, et n’afficher que les étapes réellement nécessaires de la démonstration, si l’utilisateur y a inclus des étapes superflues.

Les utilisations de Proofchecker dans Géométrie 2

Les unités du cours de Géométrie 2 de WICAT consacrées à la démons- tration couvrent le contenu classique des cours de géométrie plane, axés sur la démonstration des lycées américains : propositions fonda- mentales sur les points et les angles, droites parallèles et perpendiculaires, triangles égaux, triangles semblables, quadrilatères et cercles. Comme on l’a vu ci-dessus, certaines des premières démonstrations sont enseignées par les sous-programmes de “remplissage des cases vides” et “commen- taires” du système Geodraw. La plupart des autres démonstrations se font avec Proofchecker.

La version actuelle de Proofchecker ne peut traiter que les démons- trations directes et ses capacités de vérification algébrique sont encore insuffisantes. Nou avons recours au “remplissage des cases vides” pour les démonstrations que Proofchecker ne peut vérifier. A la différence de Geodraw, c’est un programme relativement difficile à utiliser. Comme pour Geodraw, en revanche, les règles d’entrée à respecter constituent en fait un nouveau système logique que l’utilisateur apprend en même temps sur le système de la géométrie plane. Comme on l’a vu précédem-

205

Page 199: L'Enseignement de la géométrie

Max S. Bell

ment, nous pensons que le fait de manipuler ces programmes et d’exploiter leurs possibilités peut en apprendre autant sur la construc- tion de systèmes que le COUTS de géométrie lui-même, mais il s’agit là d’une autre question, qui demande à faire l’objet de recherches et non de simples conjectures.

Références

BIRKHOFF, G. D. ; BEATLEY, R. 1940. Basic Geometry. Chicago, Ill., Scott, Foresman & CO.

HAMMING, R. W. 1963. Intellectual Implications of the Computer Revolution. The American MathematicalMonthly (Washington, D. C.), Vol. 70, p. 4-l 1.

MOISE, E. et al. 1960. Geometry. Stanford, Calif., The School Mathematics Study Group .

SENK, S. L. (à paraître) How Well Do Students Write Geometrical Proofs ? The Mathematics Teacher (Reston, Va.).

USISKIN, Z. 1982. Van Hiele Levels and Achievement in Secondary School Geo- metïy ; Final Report of the Cognitive Development and Achievement in Secondary School Geometry Project. L’auteur, University of Chicago, ou ERIC Document Reproduction Service No. SE 038 8 13.

Figures

Figure 1. Explorer : quand c’est terminé, appuyer sur la touche skip (sauter) ; treillis carré ; treillis circulaire ; quadrillage ; réseau hexagonal ; axes ; fin ; sauter ; annuler.

Figure 2. Explorer : quand c’est terminé, appuyer sur la touche skip (sauter) ; point ; segment ; ligne ; demi-droite ; arc ; côté N ; angle ; cercle ; milieu ; parallèle ; perpendiculaire ; sautér ; annuler ; effacer.

Figure 3. Explorer : quand c’est terminé, appuyer sur la touche skip (sauter) ; translation ; rotation ; symmétrie axiale ; homothétie ; transformation affine de cisaillement ; affinité orthogonale ; point ; côté N ; cercle ; définir ; garder ; sauter ; annuler ; effacer.

Figure 4. Explorer : quand c’est terminé, appuyer sur la touche skip (sauter) ; avancer ; gauche, droite ; retournement ; crayon ; point ; envoyer ; cacher ; différer ; sauter ; annuler ; effacer.

Figure 5. Enoncé du problème ; En usilisant les hypothèses et les théorèmes des unités et leçons précédentes, réaliser la démonstration du théorème CG36 ; CG36 ; Si deux côtés d’un triangle sont égaux, les deux angles opposés à ceAcôtésEnt égaux ; Etant donné le triangle ABC, où AC = BC, démontrer CAB = CBA ; Pour commencer la démonstration, appuyer sur. . . .

206

Page 200: L'Enseignement de la géométrie

Figure 6. CorrigerAEtant donné le triangle isocèle ABC, où AC = BC, démontrer CB = CBA ; réponse ; référence ; dessin ; règle.

Figure 7. Dessin ; point ; segment ; demi-droite ; ligne ; parallèle ; perpendiculaire ; milieu ; effacer le nouveau dessin ; retourner à la démonstration ; segment du point. . . au point. . .

Figure 8. Etant donné le triangle isocèle ABC, où AB = BC, dkmontrer CÂB = CBÀ ; dessin ; CQFD ; Pour effacer les étapes inutiles, appuyer sur D ; Pour imprimer la démonstration, appuyer sur P.

Figure 9. Etant donné le triangle isocèle ABC, où AB = BC, démontrer C%È = C%À ; CQFD ; Pour effacer les étapes inutiles, appuyer sur D ; Pour imprimer la démonstration, appuyer sur P.

207

--

Page 201: L'Enseignement de la géométrie

Notices biographiques

HICHAM BANNOUT est titulaire d’un doctorat de didactique des mathématiques de l’Université de Paris VII (Jussieu). A la Faculté de pédagogie de l’Université libanaise, il est responsable de l’enseignement des mathématiques et de la formation des futurs professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire.

MAX S. BELL est professeur associé de pédagogie des mathématiques à l’Université de Chicago, Chicago, Illinois (Etats-Unis d’Amérique). Il a enseigné à des enfants, à des adolescents et à des adultes et ses centres d’interêt concernent l’amélioration de l’enseignement des mathématiques à tous les niveaux. Ses travaux de recherche et de développement et ses publications ont été axés sur les moyens de rendre les mathématiques accessibles au plus grand nombre, d’accroître de façon viable la place faite aux applications des mathématiques dans l’enseignement scolaire et de mettre en valeur les aptitudes inexploitées des élèves de l’école primaire. Il est actuellement directeur du projet de géométrie à WICAT Systems, Inc., et directeur du projet relatif à l’école primaire du programme de l’Université de Chicago concernant les mathématiques scolaires (UCSMP).

ALAN BISHOP a passé sa licence de mathématiques et de physique à l’Université de Southampton en 1961. Il a reçu sa formation d’enseignant à Loughborough College ; il est ensuite allé poursuivre ses études à la Graduate School of Education de l’Université Harvard, aux Etats-Unis d’Amérique, où il a obtenu le grade de Master of Arts in Teaching. Après avoir enseigné et fait de la recherche dans les écoles américaines, il est retourné au Royaume-Uni où il a pris un poste de chargé de recherche à l’lnstitute of Education de l’Université de Hull. C’est là qu’il a obtenu son doctorat. Il est ensuite entré à l’Université de Cambridge, où il enseigne depuis 1969 la didactique des mathématiques. Il a prêté son concours pour des activités de développement dans plusieurs pays, dont l’Iran, l’Ouganda et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il s’intéresse particulièrement à la formation des enseignants dans le domaine des mathématiques et est depuis 1979 rédacteur en chef d’Educationa1 Studies in Mathematics.

L. YU. CHERNYSHEVA, candidate ès sciences pédagogiques et maître de recher- che à l’Institut de recherche scientifique sur le contenu et les méthodes de l’en-

209

Page 202: L'Enseignement de la géométrie

Notices biographiques

seignement de l’Académie des sciences pédagogiques d’URSS. Ses recherches portent sur les méthodes d’enseignement des mathématiques.

JAN DE LANGE JZN est coordonnateur du Groupe de recherche sur l’enseignement des mathématiques et du Centre d’informatique appliquée à l’enseignement (OW & OC) à l’Université d’Etat d’Utrecht (Pays-Bas). Après avoir achevé ses études de mathématiques à l’Université de Leyde, il a enseigné les mathématiques pendant dix ans dans l’enseignement secondaire et à l’Université, puis il a travaillé à I’IOWO (Institut de développement de l’enseignement des mathématiques). C’est lorsque I’IOWO a cessé ses activités, en 1980, qu’il a accédé à ses fonctions actuelles. Il s’intéresse principalement aux mathématiques pour tous et aux mathématiques appliquées. Il est secrétaire de la Commission internationale pour l’étude et l’amélioration de l’enseignement des mathématiques (CIEAEM) et rédacteur en chef de Nieuwe Wiskraut, magazine consacré à l’enseignement des mathématiques.

DAVID S. FIELKER a enseigné les mathématiques dans des établissements secon- daires de 1954 à 1968, participant aux réformes du programme et des méthodes d’enseignement et d’examen. Depuis 1967, il est directeur d’un centre de mathé- matiques qui s’occupe de la formation continue des enseignants de tous niveaux. De 1972 à 1983, il a été rédacteur en chef de Mathematics Teaching et a écrit des articles sur divers thèmes, dans cette revue et dans d’autres. Il a obtenu son M.Ed. (maîtrise de sciences de l’éducation) à l’Université d’Exeter en 1976 pour ses travaux sur l’enseignement de la géométrie aux jeunes enfants ; il prépare actuelle- ment une thèse sur les mathématiques dans l’enseignement secondaire. Ses travaux récents contiennent des suggestions relatives à la réforme de l’enseignement de la géométrie dans le secondaire et la prise en considération de calculatrices électroniques dans les programmes de mathématiques de l’enseignement primaire et secondaire.

V. V. FIRSOV, candidat ès sciences pédagogiques, est chef du laboratoire d’enseigne- ment des mathématiques de l’Institut de recherche scientifique sur le contenu et les méthodes d’enseignement de l’Académie des sciences pédagogiques d’URSS. Il est l’auteur de près d’une centaine de travaux sur des problèmes relatifs auxméthodes d’enseignement des mathématiques.

MANSOUR GHULAM HUSSAIN a obtenu un B.Sc. de mathématiques en 1966. Après six années d’enseignement, il est devenu conseiller pour les mathématiques auprès de 1’Etat du Koweït. A ce titre, il a représenté son pays à divers congrès internationaux et participé aux travaux de nombreux comités et commissions chargés de définir les buts et objectifs des mathématiques, d’organiser des cours de formation des enseignants et d’entreprendre des réformes des programmes scolaires. Il est l’auteur de 17 manuels destinés à l’enseignement intermédiaire et à l’enseignement secondaire au Koweït.

210

Page 203: L'Enseignement de la géométrie

Notices biographiques

GEORGES GLAESER est professeur honoraire de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg (France). Ancien directeur de l’Institut de recherche sur l’enseignement des mathématiques (IREM) de Strasbourg, il y a dirigé des thèses de troisième cycle en didactique. Ses propres recherches ont porté sur l’analyse et en particulier sur les fonctions différentiables à plusieurs variables. Auteur de nombreuses publi- cations de mathématiques et de didactique, il a notamment écrit “Mathématiques pour l’élève-professeur” (Paris, 1971 - Hermann) qui a été traduit en italien, en espagnol et en allemand. 11 a également dirigé une collection de brochures pour I’IREM. Citons notamment “Le livre du problème” (Paris, 1973 - CEDIC), qui a été partiellement traduit en allemand (Vieweg).

MILAN KOMAN est, depuis 1984, directeur de recherche en didactique des mathé- matiques à l’Institut de mathématiques de l’Académie des sciences de Tchécoslo- vaquie. De 1956 à 1983, il a Bté maître de conférences en formation des enseignants a la Faculté pédagogique de l’Université Charles de Prague. Pendant de nombreuses années, il a travaillé à divers projets nationaux concernant la refonte des pro- grammes de mathématiques pour les élèves de 9 à 14 ans. 11 s’intéresse principale- ment à la didactique des mathématiques, notamment à la résolution de problèmes, à la conception de la combinatoire et de la géométrie scolaires, aux mathématiques appliquées, à l’enseignement destiné aux élèves particulièrement doués ainsi qu’à l’algèbre, particulièrement à la théorie des graphes. En 1968, il a reçu le grade de RNDr. et de CSc. (Candidat ès sciences) pour ses travaux sur la théorie des graphes.

FRANKISEK KUkNA, RNDr., C%c., a enseigné dans divers établissements secon- daires après avoir achevé sa formation d’enseignant au Collège de mathématiques et de physique de l’llniversitt? Charles de Prague. Depuis 1960, il exerce les fonctions de maître de conférences au Collège pédagogique de Hradec Kràlové. Ses recherches portent sur la géométrie élémentaire et la méthodologie de l’enseignement des mathématiques. 11 a publié de nombreux travaux en Tchécoslovaquie, en RDA et en Union soviétique.

ADONIS F. LABOR est maître de conférences auDépartement de l’éducation du Fourah Bay College, Université de Sierra-Leone. Il a été chargé de cours de mathé- matiques au Collège universitaire de Njala, à l’Université de Sierra-Leone, et con- seiller pour le programme de mathematiques à l’Institut d’éducation, Freetown (Sierra-Leone). Il est l’auteur de divers programmes de mathématiques et d’articles sur la pédagogie des mathématiques. Ses principaux centres d’intérêt sont la péda- gogie des mathématiques, l’elaboration des programmes scolaires de mathématiques, et la mesure et l’évaluation, notamment en ce qui concerne l’enseignement des mathématiques.

LEE PENGYEE est professeur associé de mathématiques à l’Université nationale de Singapour. Après ses etudes à l’Université Nanyang de Singapour, il a obtenu un doctorat à la Queen’s University de Belfast. Avant de retourner à Singapour, il a enseigne les mathématiques pendant plusieurs années à l’Université du Malawi et à

211

Page 204: L'Enseignement de la géométrie

Notices biographiques

l’Université d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. Il a été Président de la Société mathé- matique d’Asie du Sud-Est en 1981 et 1982. Jl a joué un rôle très actif dans la promotion des activités mathématiques en Asie du Sud-Est et a beaucoup voyagé dans la région. 11 s’intéresse essentiellement à l’analyse et à la pédagogie des mathé- matiques.

LJM CHONG-KEANG est professeur associé de mathématiques à l’Université de Malaisie, à Kuala Lumpur (Malaisie). Après avoir obtenu un BSc. de mathématiques à l’Université Nanyang de Singapour, il est allé faire des études postuniversitaires au Canada. Il a une maîtrise de sciences de l’Université du Saskatchewan et un doctorat de l’Université McGill. Il a exercé pendant plusieurs mandats successifs des fonctions de président de la Société mathématique malaisienne. Il est actuellement Président de la Société mathématique d’Asie du Sud-Est. Jl s’intéresse principalement à la théorie des graphes, à l’enseignement/apprentissage assisté par ordinateur et à la pédagogie des mathématiques.

EMILIO LLUIS est directeur de recherche à l’Institut de mathématiques de l’univer- sité nationale autonome du Mexique (UNAM). I1 a obtenu son doctorat de mathé- matiques à la Faculté des sciences de I’UNAM, ayant présenté des travaux de recherche sur la géométrie algébrique et l’homologie des groupes. Il a une grande expérience de la formation des enseignants dans le domaine des mathématiques. 11 est l’auteur de plusieurs manuels de mathématiques destinés à l’enseignement secondaire et universitaire ainsi qu’à l’école secondaire “ouverte”. Entre autres fonctions honorifiques, il a été président de la Société mathématique mexicaine (1960-1962) de l’Association nationale des professeurs de mathématiques (1970- 1972) et du département de mathématiques de la Faculté des sciences de I’UNAM (1967-1970). Jl est actuellement Vice-Président du Comité interaméricain de l’enseignement des mathématiques. Jl a été invité comme conférencier à diverses réunions internationales relatives aux mathématiques et à l’enseignement des mathématiques.

BRUCE E. MESERVE est professeur honoraire de l’Université du Vermont. JJ a enseigné à la Moses Brown School (1938-1941) à l’Université de l’Illinois (1946-1954) au Montclair State College (1954-l 964) et à l’Université du Vermont (1964-1983). Ses centres d’intêrét particuliers sont la formation mathématique des enseignants, la géométrie et l’exploitation pédagogique de l’histoire des mathématiques. 11 a été président du Conseil national des professeurs de mathématiques (1964-1966), et du CUPM Teacher Training Pane1 de la Mathematical Association of America (1979-1983) et il est l’auteur ou le coauteur de nombreux livres et articles de sa spécialité.

DOROTHY T. MESERVE, elle aussi retraitée, a enseigné à la West Orange High School (1955-1960), au Montclair State College (1962-1963) au Johnson State College (1964-1972) et, de façon intermittente, à l’Université du Vermont (1972- 1983). Ses centres d’intérêt particuliers sont l’enseignement des mathématiques

212

Page 205: L'Enseignement de la géométrie

Notices biographiques

au niveau des collèges universitaires et la préparation mathématique des lycéens à l’entrée dans l’enseignement supérieur. Elle a été Présidente du Conseil des professeurs de mathématiques du Vermont (1976-1977), rédactrice en chef et fondatrice de la Vermont Council’s Newsletter (1969-74), et rédactrice en chef et fondatrice de la Newsletter de la Northeast Section de la MathematicaI Associa- tion of America (1979-1982). Elle est coauteur d’un livre et auteur de plusieurs articles relevant de sa spécialité.

DAVID ROBITAILLE est professeur de didactique des mathématiques et chef du département de pédagogie des mathématiques et des sciences à l’Université de Colombie britannique, Vancouver (Canada). Il est titulaire d’une licence de l’uni- versité de Montréal, d’une maîtrise de mathématiques de l’Université de Detroit et d’un doctorat de pédagogie des mathématiques de l’Université de Detroit et d’un doctorat de pédagogie des mathématiques de l’Université d’Etat de l’Ohio. Avant d’occuper ses fonctions actuelles, il a enseigné pendant plusieurs années dans le primaire et le secondaire à Montréal, où il a également fait fonction de coordina- teur pour les mathématiques. Coauteur de manuels de mathématiques destinés aux établissements primaires et secondaires, il a également publié des articles dans diverses revues pédagogiques. 11 travaille actuellement à la préparation des rapports internationaux relatifs à le deuxième enquête internationale sur les mathémati- ques (Second International Mathematics Study).

D. K. SINHA est professeur de mathématiques à l’Université Jadavpur de Calcutta (Inde). Il participe activement à l’aménagement des programmes scolaires de mathé- matiques, en particulier des programmes de géométrie. Président de l’Association pour l’amélioration de l’enseignement des mathématiques, il a participé à tous les Congrès internationaux sur l’enseignement mathématique (CIEM), à l’exception du premier. Il est auteur de plusieurs articles sur la pédagogie des mathématiques ; il a dirigé plusieurs thèses de doctorat portant sur divers domaines de l’enseignement des mathématiques : il a également dirigé un certain nombre de cours d’été de mathématiques ainsi qu’un groupe d’étude sur les mathématiques scolaires, sous l’égide du NCERT. Il a, en qualité de consultant de l’Unesco, contribué à l’élabora- tion du rapport du Groupe d’étude des mathématiques qui s’est réuni sous les auspices du Bureau régional de 1’Unesco de Bangkok ; il a également fait fonction de resource person lors d’un atelier de 1’Unesco qui s’est tenu à l’Institut national de recherche en éducation de Tokyo (Japon).

S. A. TELJAKOVSKII, docteur ès sciences physico-mathématiques, est professeur et maître de recherche à l’Institut de mathématiques Steklov de l’Académie des sciences d’URSS. Il est spécialiste de la théorie des fonctions. Depuis 1978, il est secrétaire scientifique de la Commission de l’enseignement scolaire des mathé- matiques du Conseil mathématique de l’Académie des sciences de l’URSS.

MARIE TICHA est chercheur au Département de didactique des mathématiques de l’Institut mathématique de l’Académie des sciences de Tchécoslovaquie, à Prague.

213

Page 206: L'Enseignement de la géométrie

Notices biographiques

Elle est diplômée de l’Universit6 Charles (1970). Elle a enseigné aux élèves des classes supérieures du primaire dans une école expérimentale. Après avoir obtenu le titre de CSc. (candidat ès sciences), elle s’est orientée vers la recherche. Ses princi- paux centres d’intérêt sont les stratégies de la résolution de problèmes et l’élabo- ration des programmes scolaires.

KENNETH J. TRAVERS est professeur de didactique des mathématiques à l’Université de l’Illinois à Urbana, Champaign (Etats-Unis d’Amérique). Il a obtenu les grades de B.A. et M.Ed. à l’Université de Colombie britannique, à Vancouver (Canada), et un doctorat de didactique des mathématiques à l’Université de l’Illinois. Il a ensuite été chargé de recherche post-doctorat à l’Université de Stanford et s’est spécialisé dans les recherches sur les programmes et la méthodologie de l’évaluation. Il a enseigné les mathématiques à divers niveaux en Colombie britannique ; il dirige maintenant des recherches universitaires sur les programmes scolaires et la formation à l’enseignement des mathématiques. Il préside la Commission internationale de mathématiques pour la deuxième étude internationale sur les mathématiques.

214