2
Urgences 1996;XV:99-100 © Elsevier, Paris I~ditorial L'enseignement de la mddecine de catastrophe menacd par une catastrophe P Huguenard Cr#teil, France Le concept de <<medecine de catastrophe >>est ne puis s'est d6veloppe en France & partir des ann~es 80, en cooperation avec le service de sante des Armees et de la direction de la S6curite civile. L'inter~t d'une cooperation entre medecins civils, sapeurs-pompiers et Armee s'est impose & I'occasion de catastrophes, comme le seisme de El Asnam (1982) et aussi Iors des manoeuvres de Securite civile (unite d'instruction n° 7, medecin en chef Pierre Chevalier), dans les Alpes, les Corbieres et surtout les Vosges (1983). L'insuffisance de formation et d'entrafnement des medecins << civils >>,y compris sapeurs-pom- piers, est apparue tres vite. Un premier enseignement s'est structure au sein de I'universit6 Paris Xll (1987) debouchant sur un dipl6me universitaire de medecine de ca- tastrophe (662 candidats de novembre 1987 & mai 1988 : 21% d'echecs). Des I'origine, est apparue la necessite de faire appel & des enseignants du service de sante des Arm6es et notamment de I'l~cole d'application du Val-de-Gr&ce et de la brigade des sapeurs-pom- piers de Paris. D'autres universites ont organise des dipl6mes de medecine de catastrophe. La diversite des programmes, des modalites d'enseignement et d'evaluation ont justifie la creation d'un modele national de formation, sous forme d'une capacite (1983) (Amiens, Bordeaux, Lyon Nord, Paris Xll, Paris V, Marseille II, Nancy I, Toulouse). Les UFR de medecine candidates ont rempli un dossier de demande d'habilitation pour ~tre auto- risees & delivrer la capacit& Un examen probatoire permettait de selection- ner les candidats, tous docteurs en medecine, fran(~ais ou etrangers, dont le nombre etait limite (une cinquantaine en moyenne). Apres 60 & 100 heures de cours, I'enseigne- ment etait sanctionne par un examen ecrit et un contr61e d'aptitudes au cours d'un exercice en vraie grandeur et en temps reel. Environ 10 % des candidats etaient elimines apres ces epreuves. Le m6me enseignement, & tres peu pres, etait delivre par une dizaine d'UFR au maximum. Ce nombre est tres suffisant, I'objectif etant de consti- tuer une reserve de cadres medicaux mobilisables en cas de catastrophe, et non pas de former toute une generation d'etudiants. Le coQt de ces enseignements n'est pas negli- geable : les enseignants exterieurs & I'universite (la majorite), et en particulier les militaires, doivent ~tre remuner6s & la vacation ; outre les frais divers (imprimes, photocopies, iconographie, videothe- que, etc) I'exercice revient & un prix eleve, car m6me si les figurants et les contr61eurs sont be- nevoles, il faut prevoir des frais de repas, de carburant, de location de tentes, de consomma- tion de materiel medical, de grimage, de pyrote- chnie (explosifs, fumigenes) qui font un budget de I'ordre de 70 000 F au moins. Par ailleurs, la formation continue est assuree par une societe savante (la Societe fran?aise de medecine de catastrophe cree en 1983). Elle compte 180 membres titulaires ; elle pa- tronne un congres national tousles 2 arts (A- miens, Blois, Bordeaux, Grenoble, Toulouse...) et elle fait paraftre six fois par an une revue de 48 pages Urgences M#dicales editee par les I~ditions Scientifiques et Medicales Elsevier, contenant des travaux de recherche, des textes d'enseigne- ment, des reportages detailles sur les cata- strophes recentes, des questions d'examens. Deux livres (Masson, Paris) sont consacres & la medecine de catastrophe : celui du medecin ge- neral Courbil et celui de Noto, Huguenard, Larcan. Un traite de medecine de catastrophe de 1 200 pages avec 70 auteurs est en cours de finition chez Elsevier. II n'existe de publications identiques qu'en

L'enseignement de la médecine de catastrophe menacé par une catastrophe

Embed Size (px)

Citation preview

Urgences 1996;XV:99-100 © Elsevier, Paris

I~ditorial

L'enseignement de la mddecine de catastrophe menacd par une catastrophe

P Huguenard

Cr#teil, France

Le concept de << medecine de catastrophe >> est ne puis s'est d6veloppe en France & partir des ann~es 80, en cooperation avec le service de sante des Armees et de la direction de la S6curite civile. L'inter~t d'une cooperation entre medecins civils, sapeurs-pompiers et Armee s'est impose & I'occasion de catastrophes, comme le seisme de El Asnam (1982) et aussi Iors des manoeuvres de Securite civile (unite d'instruction n ° 7, medecin en chef Pierre Chevalier), dans les Alpes, les Corbieres et surtout les Vosges (1983).

L'insuffisance de formation et d'entrafnement des medecins << civils >>, y compris sapeurs-pom- piers, est apparue tres vite.

Un premier enseignement s'est structure au sein de I'universit6 Paris Xll (1987) debouchant sur un dipl6me universitaire de medecine de ca- tastrophe (662 candidats de novembre 1987 & mai 1988 : 21% d'echecs).

Des I'origine, est apparue la necessite de faire appel & des enseignants du service de sante des Arm6es et notamment de I'l~cole d'application du Val-de-Gr&ce et de la brigade des sapeurs-pom- piers de Paris.

D'autres universites ont organise des dipl6mes de medecine de catastrophe. La diversite des programmes, des modalites d'enseignement et d'evaluation ont justifie la creation d'un modele national de formation, sous forme d'une capacite (1983) (Amiens, Bordeaux, Lyon Nord, Paris Xll, Paris V, Marseille II, Nancy I, Toulouse).

Les UFR de medecine candidates ont rempli un dossier de demande d'habilitation pour ~tre auto- risees & delivrer la capacit&

Un examen probatoire permettait de selection- ner les candidats, tous docteurs en medecine, fran(~ais ou etrangers, dont le nombre etait limite (une cinquantaine en moyenne).

Apres 60 & 100 heures de cours, I'enseigne- ment etait sanctionne par un examen ecrit et un

contr61e d'aptitudes au cours d'un exercice en vraie grandeur et en temps reel. Environ 10 % des candidats etaient elimines apres ces epreuves.

Le m6me enseignement, & tres peu pres, etait delivre par une dizaine d'UFR au maximum. Ce nombre est tres suffisant, I'objectif etant de consti- tuer une reserve de cadres medicaux mobilisables en cas de catastrophe, et non pas de former toute une generation d'etudiants.

Le coQt de ces enseignements n'est pas negli- geable : les enseignants exterieurs & I'universite (la majorite), et en particulier les militaires, doivent ~tre remuner6s & la vacation ; outre les frais divers (imprimes, photocopies, iconographie, videothe- que, etc) I'exercice revient & un prix eleve, car m6me si les figurants et les contr61eurs sont be- nevoles, il faut prevoir des frais de repas, de carburant, de location de tentes, de consomma- tion de materiel medical, de grimage, de pyrote- chnie (explosifs, fumigenes) qui font un budget de I'ordre de 70 000 F au moins.

Par ailleurs, la formation continue est assuree par une societe savante (la Societe fran?aise de medecine de catastrophe cree en 1983).

Elle compte 180 membres titulaires ; elle pa- tronne un congres national tousles 2 arts (A- miens, Blois, Bordeaux, Grenoble, Toulouse...) et elle fait paraftre six fois par an une revue de 48 pages Urgences M#dicales editee par les I~ditions Scientifiques et Medicales Elsevier, contenant des travaux de recherche, des textes d'enseigne- ment, des reportages detailles sur les cata- strophes recentes, des questions d'examens.

Deux livres (Masson, Paris) sont consacres & la medecine de catastrophe : celui du medecin ge- neral Courbil et celui de Noto, Huguenard, Larcan. Un traite de medecine de catastrophe de 1 200 pages avec 70 auteurs est en cours de finition chez Elsevier.

II n'existe de publications identiques qu'en

100 P Huguenard

Grande-Bretagne (Basket), en Espagne (Pr Chu- lia) et en Italie (Pr Badiali).

Mais des enseignements fonctionnent sur le modele franQais en Espagne (Valencia) et en Italie (Bologne).

Des parties de cet enseignement ont et6 egale- ment presentees & Noumea & la demande du Docteur Richard, & Cayenne pour le docteur Roux, & Abidjan avec la formation organisee par le medecin en chef Fontaine...

La preuve de I'utilite de ces enseignements a et6 fournie Iors de catastrophes majeures (et pas seulement << d'accidents catastrophiques >>) ou sont intervenues des equipes fran(~aises : seismes de Mexico (1985), de Colombie (1985) de Santiago (1985), du Salvador (1986), d'Arme- nie (1988), etc.

Cette efficacite a ete obtenue : - par une selection des candidats, tous ayant dej& exerce la medecine ; - par un enseignement theorique confie & des hommes de terrain chevronnes ; - par un contrOle d'aptitudes realis6 avec au moins un exercice complet, realiste, contrOle ;

- par un materiel pedagogique abondant (livres, revue, films) ; - et par une cooperation etroite (notamment pour les exercices) avec les unites d'intervention de la Securite civile (U7, U1), la brigade des sapeurs- pompiers de Paris, des ecoles du service de sante des Armees (comme I'ENSSOSSAT).

Ces dispositions sont rendues possibles par le fait que : - I'inscription est ouverte & tous les medecins ayant reussi les epreuves probatoires ;

- cette inscription est payante, permettant aux UFR de couvrir les frais de I'enseignement et de I'exercice ; - l a duree de I'enseignement (une centaine d'heures) est suffisante pour aborder un pro- gramme complet, qui ne pourrait tenir dans un << module >> trimestriel, partage avec la medecine humanitaire.

Enfin le contenu de ce programme est sans rapports avec celui de medecine d'urgence, puis- qu'il comporte : - de la strategie (tous les plans de secours) ; - de la cindynique (etude des risques et dangers), notamment darts les domaines du nucleaire, du chimique (gaz toxiques), des explosions (blast), des ecrasements (crush) ; - de la tactique (chafne medicale des secours) ; - de la Iogistique (transports, hebergements, stocks...) ; - d e I'hygiene ;

- de I'ethique collective ; - tandis que parmi les techniques, celle du triage de victimes en nombre, tient une place primor- diale.

La complexite et I'interet national du probleme pose par la formation en medecine de catastrophe justifieraient que soient consultees I'academie de Medecine puis la Societe fran£aise de medecine de catastrophe et reuni un groupe d'etude reelle- ment competent.

Au lieu de quoi, par hasard et par des voles detournees, nous avons appris la reunion d'un << groupe de travail >> ; nous en savons seulement qu'il est constitue autour de Madame Barrier, dont nous avons pub l i6 le rappor t (Urg M#d 1994;X111:252-6) afin que nos lecteurs en jugent.

Parmi les membres du groupe (que nous avons identifie) peu se sont fait connaftre par leur ensei- gnement, leurs recherches ou meme seulement par leur activite en medecine de catastrophe, sauf le medecin en chef Pierre Chevalier, directeur des etudes ,~ I'ecole d'application du Val de Gr&ce, pionnier dans le domaine de la catastrophe, mais qui reste, semble-t'il, temoin muet aux reunions du << groupe de travail >>.

II semble que de nouvelles dispositions sont dej& communiquees & certaines facultes de me- decine par la direction generale de I'Enseigne- ment superieur.

Pour ce que I'on sait, elles reduisent I'enseigne- ment de medecine de catastrophe & un module optionnel (60 heures) de 3 e cycle partage avec la medecine humanitaire. On ignore si un exercice est prevu dans ce module, mais cela est peu probable : le temps et I'argent manqueraient. Si chaque facuite devait organiser un exercice, les moyens seraient egalement insuffisants.

II serait en tout cas souhaitable que des me- sures transitoires soient prevues, ne serait-ce qu'en faveur des etudiants fran?ais et etrangers dej& inscrits pour une session 1997 de << I'an- cienne >> capacite, et qu'enfin les nouvelles dispo- sitions n'entrent en vigueur que darts quelques annees apres consultation de la Societe fran?aise de medecine de catastrophe et de I'academie de Medecine (puisqu'il s'agit de modifications pro- fondes interessant les paramedicaux associes la gestion des crises et d'une fa£on generale la population exposee).

En somme nous assistons, comme pour la dis- parition du College de prevention des risques technologiques, & une manoeuvre subreptice d'une politique en catimini (du grec katamenia : les periodes secretes de la femme).