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UNIVERSITE PARIS 7 - DIDEROT
UFR Linguistique
Thèse de Doctorat en Linguistique Théorique, Descriptive et Automatique
Présentée par
Nor elhouda ARBAOUI
LES DIX FORMES DE L’ARABE CLASSIQUE A L’INTERFACE SYNTAXE / PNONOLOGIE
-POUR UNE DECONSTRUCTION DU GABARIT-
Dirigée par Jean LOWENSTAMM
Soutenue le 07 décembre 2010
Membres du jury Sabrina BENDJABALLAH Université Paris 7_CNRS Ali IDRISSI Université Emirats Arabes Unis (pré-rapporteur) Alain KIHM Université Paris 7_CNRS Jean LOWENSTAMM Université Paris 7-CNRS (directeur) Jamal OUHALLA Université Dublin (pré-rapporteur)
2
A la mémoire de mon père
A ma mère
3
J’ai un mot à dire…
On dit chez moi (au Maroc) : « lli 3ellm-ek melk-ek » (à celui qui t’as enseigné
quelque chose, tu seras redevable toute la vie). Il me faudra au moins sept vies
pour m’acquitter de ma dette envers mon directeur de recherche.
Jean Lowenstamm m’a initiée à la recherche et m’a transmis la passion
d’interroger les données et d’observer les mots sans relâche, jusqu’à ce qu’ils
révèlent leur secrets. Quand vous travaillez avec quelqu’un qui a l’esprit ouvert et
qui est toujours en quête de nouvelles découvertes, vous apprenez à
débroussailler votre propre chemin et à ne pas toujours suivre les sentiers battus.
Certes l’aventure est périlleuse car on ne sait jamais ce qu’on va trouver, et surtout,
si on va trouver quelques chose, mais la joie de voir à la fin ce qu’on a pu accomplir,
nous fait oublier les tourments du voyage.
Rien de ce que je pourrais dire, ne saurait exprimer combien je suis redevable
à Jean Lowenstamm pour m’avoir accompagné tout au long de cette aventure, qui a
été interminable, parce que j’avais commencé par travailler sur la morpho-
phonologie du berbère, puis sur le pluriel de l’arabe classique et après sur les
participes de l’arabe classique. J’ai mis du temps avant de trouver ma voie, et
aujourd’hui, je suis enchantée de voir que le travail que j’ai achevé, porte sur les
formes verbales de l’arabe classique. A vrai dire, la première fois que j’ai assisté au
séminaire de Jean Lowenstamm, où il parlait de sa théorie élaborée avec Guerssel
sur le gabarit, j’ai été tout de suite fascinée. Ma joie est immense d’avoir pu
accomplir un travail qui complète cette théorie, mais surtout, de l’avoir fait en
collaboration avec l’un de ses fondateurs même.
Je voudrais remercier jean Lowenstamm, aussi, pour ces qualités humaines,
car non seulement il s’est occupé de ma formation scientifique, mais il m’a
beaucoup soutenue dans les démarches administratives qui encombrent l’étudiant
étranger en France. Pour tout cela, je lui dis un grand MERCI et je réserve la
première page de cette thèse pour lui exprimer ma plus grande reconnaissance et
mon plus grand respect.
4
Notations q : occlusive uvulaire.
? : occlusive glottale.
T : occlusive dentale emphatique sourde.
D : occlusive dentale emphatique sonore.
θ : fricative dentale sourde.
S : fricative alvéolaire emphatique.
š : fricative post-alvéolaire sourde.
j : fricative post-alvéolaire sonore.
x : fricative vélaire sourde
H : fricative pharyngale sourde.
3 : fricative pharyngale sonore.
5
Table des matières J’ai un mot à dire… .......................................................................................................... 3
Notations ........................................................................................................................... 4
INTRODUCTION ............................................................................................................. 9
1. Les dix formes verbales : En quoi consistent-elles ? ................................................. 10
2. Les dix formes verbales : comment sont-elles formées ? .......................................... 13
3. La déconstruction du gabarit ...................................................................................... 16
4. La forme verbale : une affaire de syntaxe .................................................................. 18
5. La Racine : pour un rôle prépondérant ...................................................................... 20
6. Une organisation commandée non recommandée ..................................................... 24
7. Un lecteur avisé en vaut dix ....................................................................................... 27
8. Le label des formes verbales examinées .................................................................... 29
9. Un peu de théorie pour faciliter la lecture ................................................................. 30
9.1. Quelques notions de phonologie ......................................................................... 31
9.1.1. L’hypothèse « CVCV » ............................................................................... 31
9.1.2. Principe du Gouvernement Propre ............................................................... 32
9.1.3. Principe du Contour Obligatoire .................................................................. 33
9.1.4. L’apophonie ................................................................................................. 33
9.1.5. Système vocalique de l’arabe classique ....................................................... 34
9.2. Quelques notions de syntaxe ............................................................................... 34
9.2.1. La Théorie X-barre ...................................................................................... 34
9.2.2. La Thêta-Théorie ......................................................................................... 35
9.2.3. La Théorie du Liage ..................................................................................... 35
9.2.4. Une syntaxe simple pour une morphologie complexe ................................. 36
CHAPITRE 1 ANALYSE DE LA FORME I « fa3al » ........................................................................... 38
1. Introduction ................................................................................................................ 38
2. Que peut-on dire sur la voyelle lexicale ? .................................................................. 39
3. Que représente réellement la racine ? ........................................................................ 41
4. Que contient le domaine VP ? ................................................................................... 45
5. À propos de la voix active ......................................................................................... 48
6. À propos de la voix passive ....................................................................................... 49
7. Comment obtient-on une forme I ? ............................................................................ 53
8. Conclusion ................................................................................................................. 58
CHAPITRE 2 ANALYSE DE LA FORME VIII « fta3al » .................................................................... 60
1. Introduction ................................................................................................................ 60
2. Quel gabarit pour la forme VIII ? .............................................................................. 61
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VIII ....................................... 62
3.1. Le réflexif, point de départ de l’analyse de la forme VIII .................................. 63
3.1.1. Le morphème « t », quel statut et quelle place ?.......................................... 65
3.1.2. Comment le morphème « t » s’est-il retrouvé en position infixale ? ........... 72
6
3.2. Un morphème du réflexif et des formes non-réflexives ..................................... 75
3.2.1. Le réciproque, un réflexif avec un plus ....................................................... 76
3.2.2. Le passif, un réflexif avec un moins ............................................................ 79
4. Conclusion ................................................................................................................. 83
CHAPITRE 3 ANALYSE DE LA FORME II « fa33al » ....................................................................... 84
1. Introduction ................................................................................................................ 84
2. Quel gabarit pour la forme II ? .................................................................................. 86
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme II ........................................... 86
3.1. Le causatif, point de départ pour l’analyse de la forme II .................................. 87
3.1.1. L’entrée en scène d’une nouvelle projection : vP ........................................ 88
3.1.2. Comment produire une forme qui gémine la deuxième consonne de la racine ? .................................................................................................................... 94
3.2. Intensif et causatif, deux réalités grammaticales distinctes sous le même habit prosodique................................................................................................................... 99
3.2.1. L’intensif, une dégénérescence de la structure du causatif ........................ 100
3.2.2. Une même structure, une même forme, un même processus..................... 105
3.3. Structure du causatif sans causatif .................................................................... 107
3.3.1. Quand ‘faire’ devient ‘estimer’ .................................................................. 108
3.3.2. Du nom au verbe ........................................................................................ 110
4. Conclusion ............................................................................................................... 116
CHAPITRE 4 ANALYSE DE LA FORME V « ta-fa33al » ................................................................ 117
1. Introduction .............................................................................................................. 117
2. Quel gabarit pour la forme V ? ................................................................................ 118
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme V ......................................... 120
3.1. Une forme à double face : causatif et réflexif ................................................... 120
3.1.1. Une structure pour abriter deux emplois .................................................... 121
3.1.2. Comment obtient-on une forme V ............................................................. 125
3.2. Une structure de causatif et des emplois non-causatifs .................................... 129
3.2.1. D’où vient l’intensif et où est passé le réflexif ? ...................................... 130
3.2.2. Un faux causatif combiné à un réflexif ...................................................... 133
3.2.3. Du nom au verbe ........................................................................................ 135
4. Conclusion ............................................................................................................... 137
CHAPITRE 5 ANALYSE DE LA FORME IV « ?af3al » .................................................................. 138
1. Introduction .............................................................................................................. 138
2. Quel gabarit pour la forme IV ? ............................................................................... 140
3. A la recherche de la structure syntaxique d’une forme IV ...................................... 141
3.1. Le causatif : point de départ pour l’analyse d’une forme IV ............................ 141
3.1.1. Quelle structure pour la forme IV causative ? ........................................... 143
3.1.2. Comment générer une forme IV, à partir d’une structure qui produit une forme II ................................................................................................................. 146
7
3.2. Une structure du causatif qui n’engendre pas un causatif................................. 151
3.2.1. Quand « faire » laisse place à « estimer ».................................................. 152
3.2.2. Un verbe à partir d’un nom ........................................................................ 154
3.2.3. Une racine qui dénote un état et une forme IV qui indique une action ..... 156
3.2.4. Une racine qui dénote une action et une forme IV qui indique l’état : ...... 161
4. Conclusion ............................................................................................................... 164
CHAPITRE 6 ANALYSE DE LA FORME X « staf3al » ..................................................................... 166
1. Introduction .............................................................................................................. 166
2. Quel gabarit pour la forme X ? ................................................................................ 167
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme X ......................................... 168
3.1. Une forme à double face ................................................................................... 169
3.1.1. Une structure où coexistent causatif et réflexif ......................................... 170
3.1.2. Comment obtient-on la forme X ? ............................................................. 172
3.2. Une structure du causatif, un morphème du réflexif et des formes qui ne véhiculent ni l’un ni l’autre....................................................................................... 176
3.2.1. Quand « faire »+« se » donne « estimer » ................................................ 177
3.2.2. Quand « faire »+« se » permet de « s’approprier un état » ........................ 182
3.2.3. Quand « faire »+« se » permet d’exprimer « une requête » ...................... 184
3.2.4. Du nom au verbe ........................................................................................ 187
4. Conclusion ............................................................................................................... 188
CHAPITRE 7 ANALYSE DE LA FORME III « faa3al » .................................................................... 190
1. Introduction .............................................................................................................. 190
2. Quel gabarit pour la forme III ? ............................................................................... 191
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme III ....................................... 192
3.1. Le réciproque, point de départ pour l’analyse d’une forme III ......................... 193
3.1.1. Comment faire participer l’Objet à l’action du verbe ? ............................. 195
3.1.2. Comment obtient-on une forme III ? ......................................................... 206
3.2. Emplois non-réciproques de la forme III .......................................................... 210
3.2.1. De l’état à l’action...................................................................................... 211
3.2.2. Du nom au verbe ...................................................................................... 214
4. Conclusion ............................................................................................................... 218
CHAPITRE 8 ANALYSE DE LA FORME VI « ta-faa3al »................................................................ 219
1. Introduction .............................................................................................................. 219
2. Quel gabarit pour la forme VI ? ............................................................................... 220
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VI ........................................ 222
3.1. Le réciproque, point de départ pour l’analyse de la forme VI .......................... 222
3.1.1. Une structure où coexistent réciproque et réflexif ..................................... 224
3.1.2. Comment produit-on une forme doublement composée ? ......................... 230
3.2. Pourquoi une structure du réciproque ne produit-elle pas un réciproque ? ...... 233
3.2.1. De la coexistence à l’exclusion .................................................................. 233
8
3.2.2. Quand un événement est entre soi et soi-même ......................................... 236
4. Conclusion ............................................................................................................... 240
CHAPITRE 9 ANALYSE DE LA FORME VII « nfa3al » ................................................................... 242
1. Introduction .............................................................................................................. 242
2. Quel gabarit pour la forme VII ? .............................................................................. 244
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VII ...................................... 246
3.1. Une forme VII, pourquoi faire ? ....................................................................... 247
3.2. Comment réalise-t-on une forme VII ? ............................................................. 258
3.3. Cas particuliers de la forme VII ........................................................................ 261
3.3.1. La forme VII peut-elle apporter un verbe supplémentaire ? ...................... 262
3.3.2. Peut-il y avoir une relation entre une forme VII et une forme IV ? .......... 264
4. Conclusion ............................................................................................................... 274
CHAPITRE 10 ANALYSE DE LA FORME IX « f3all » ........................................................................ 275
1. Introduction .............................................................................................................. 275
2. Quel gabarit pour la forme IX ? ............................................................................... 276
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme IX ........................................ 277
3.1. La forme IX et la racine indiquant une couleur ................................................ 278
3.1.1. De quelle nature est la relation entre la forme IX et l’adjectif ? ................ 279
3.1.2. Comment obtient-on une forme IX ? ......................................................... 282
3.2. La forme IX et la racine indiquant un défaut .................................................... 285
4. Conclusion ............................................................................................................... 288
CONCLUSION .............................................................................................................. 289
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………….296
9
INTRODUCTION
INTRODUCTION
L’objectif essentiel de cette thèse est de comprendre les mécanismes qui
régissent la structuration des dix formes verbales de l’arabe classique. Une étude
morphophonologique complète de ces formes verbales a déjà été établie par
Guerssel et Lowenstamm (1991). Ce que nous proposons -et c’est ce qui fait la
particularité de ce travail -c’est d’aller au-delà des frontières de la
morphophonologie et de faire usage de la Syntaxe. Il sera question, ici, d’une étude
syntaxique des formes verbales de l’arabe classique. Cette étude apportera des
réponses d’ordre technique et d’autres d’ordre théorique.
Pour ce qui est du premier volet, il s’agira de répondre à certaines questions
classiques comme :
10
a. le nombre de ces formes verbales, à savoir pourquoi 10 formes (ou quinze si
on compte les formes tombées en désuétude) au lieu de trois ou vingt cinq
par exemple ;
b. l’existence de certaines incohérences apparentes pour une même forme, à
savoir qu’une même forme peut dénoter plusieurs significations disparates.
Pour ce qui est du volet théorique, il sera question de :
c. explorer l’idée que les mots sont analysables en syntaxe ;
d. voir si le modèle syntaxique permet d’expliquer certains problèmes que le
modèle morphophonologique ne permettait pas de résoudre ;
e. comprendre ce qu’est réellement un gabarit et en quoi il consiste ;
f. contribuer à l’identification de l’objet « racine ».
Commençons, d’abord, par expliquer au lecteur non-initié à la grammaire de
l’arabe classique, ce que sont ces dix formes verbales.
1. Les dix formes verbales : En quoi consiste-t-elles ?
Les verbes de l’arabe classique ont la particularité de marquer des notions
telles que le causatif, l’intensif, le réciproque…etc. Cette spécificité fait en sorte que
le verbe apparaît sous différentes formes suivant qu’il indique telle ou telle notion.
En effet, au moment où des langues comme le français, font appel à des verbes dits
« légers » ou créent de nouvelles entrées lexicales pour rendre compte d’un sens
proche, l’arabe classique rend compte de ces faits en apportant des modifications à
l’intérieur de la forme verbale elle-même. Par conséquent, le verbe, en arabe
classique apparaît sous une forme simple qui dénote le sens de la racine et sous
plusieurs formes complexes qui, elles, renferment des notions supplémentaires.
11
Pour mieux cerner cette caractéristique qui différencie les verbes de l’arabe
classique des verbes d’une langue comme le français, nous proposons de donner
quelques exemples et voir comment sont formés, entre autres, le causatif, le
réflexif et le réciproque dans chacune de ces deux langues.
Pour rendre compte du sens causatif, le français met un verbe dit léger
devant le verbe principal (2). Ce verbe n’est autre que le verbe « faire ». Pour avoir
le causatif du verbe « écrire », il suffit d’ajouter le verbe « faire » devant : « faire
écrire ». Ce changement est accompagné par un changement de la structure
syntaxique. En français, on ajoute un argument dans la structure causative :
(1) Pierre écrit une lettre.
(2) Pierre fait écrire à Marie une lettre.
L’arabe classique rend compte du causatif, non pas en ajoutant un verbe au
verbe principal, mais en modifiant la forme du verbe principal lui-même. En effet,
pour faire le causatif du verbe « katab » (écrire), il suffit de géminer la deuxième
consonne : « kattab » (faire écrire). Pareillement que le français, les arguments du
verbe de l’arabe classique sont modifiés quand la forme verbale est causative (4) :
(3) kataba aHmad-un risaalat-an
a écrit Ahmed-nominatif une lettre-accusatif ‘‘Ahmed a écrit une lettre.’’
(4) kattaba kariim-un aHmad-an risaalat-an
a fait écrire Karim-nominatif Ahmed-accusatif une lettre-accusatif ‘‘Karim a fait écrire Ahmed une lettre.’’
Regardons maintenant l’exemple du réflexif. En français, pour rendre
compte du sens réflexif, on emploi le pronom « se ». Pour avoir le réflexif du verbe
« laver », on met le pronom « se » devant : « se laver » (6). L’insertion de ce pronom
est accompagnée de la suppression d’un des arguments :
(5) Pierre lave la voiture
(6) Pierre se lave.
12
En arabe classique, le réflexif est rendu par l’infixation d’un morphème « t ».
Pour avoir le réflexif du verbe « Rasal » (laver), on insère le morphème « t » après
la première consonne : « Rtasal » (se laver) ; on obtient ainsi la forme VIII.
Pareillement qu’en français, l’insertion de ce morphème est accompagnée par la
suppression d’un argument (8) :
(7) Rasala aHmad-un as-sayyaarat-a
a lavé Ahmed-nominatif la voiture-accusatif ‘‘Ahmed a lavé la voiture.’’
(8) Rtasal aHmad-un
s’est lavé Ahmed-nominatif ‘‘Ahmed s’est lavé.’’
Une fois encore, ce qui est rendu en français par un élément qui se met à
côté du verbe principal est rendu en arabe par un élément qui se met à l’intérieur
du verbe principal. Il est vrai que l’arabe utilise un morphème du réflexif de la
même manière que le français mais c’est le fait qu’il soit réalisé à l’intérieur de la
forme verbale qui est à retenir. C’est la capacité qu’a le verbe de l’arabe classique à
contenir un maximum d’informations et de traits qui fait sa particularité et le
différencie du verbe français.
Prenons un dernier exemple où le français crée entièrement un nouveau
verbe au moment où l’arabe classique se contente de ce qu’on peut appeler la
modification interne de la forme verbale. Il s’agit du sens réciproque. En arabe
classique, il suffit d’allonger la voyelle « a », première voyelle de la forme verbale,
pour obtenir un sens réciproque. En effet, pour faire le réciproque du verbe
« katab » (écrire), on allonge la voyelle « a » et on obtient « kaatab »
(correspondre) ; ce qui correspond à la forme III.
Le français rend compte du sens réciproque en créant une nouvelle unité
lexicale. En effet, pour avoir le réciproque du verbe « écrire » (s’écrire les uns les
autres), on utilise le verbe « correspondre » ; qui ne partage pas le même radical
que « écrire » ; de même pour avoir le réciproque de « parler » (se parler les uns
13
les autres), on emploie le verbe « discuter ». Toutefois, on trouve quelques verbes
impliquant une action réciproque, et qui partagent le même radical que le verbe,
par exemple : « battre » et « combattre ».
Par ailleurs, le français peut avoir recours à un autre procédé pour signifier
le réciproque et ce en préfixant l’élément « s’entre », composé de la préposition
« entre » et du pronom réflexif « se » ; exemple : « s’entretuer » pour signifier « se
tuer les uns les autres ». Dans ce cas, le sujet est obligatoirement pluriel : « Pierre
et Jean se sont entretués ». Ce procédé englobe à la fois le sens réflexif et le sens
réciproque ; chose que l’arabe classique exprime avec une autre forme qui contient
à la fois le morphème « t » -que l’on retrouve dans toutes les formes réflexives- et
allonge la voyelle « a » (il s’agit de la forme VI « ta-faa3al).
De la sorte, la possibilité qu’a le verbe de l’arabe classique de changer de
forme à chaque fois qu’un sens supplémentaire lui est attribué fait en sorte qu’on
ait autant de formes que de sens possibles. Cependant, signalons que ce système
est plein d’incohérences apparentes dans la mesure où dans une même forme
peuvent coexister diverses significations qui semblent former des champs
sémantiques distincts et n’être régies par aucune logique. Seule une étude
approfondie -que nous avons menée- permet de trouver le lien entre tous ces
emplois et de comprendre comment ils ont été générés et la relation qu’ils
entretiennent avec la forme qui leur correspond.
2. Les dix formes verbales : comment sont-elles formées ?
En général, on compte dix formes verbales. La première forme est dite la
forme simple parce qu’elle indique uniquement le sens de la racine et parce qu’elle
est réalisé avec le gabarit le plus basique, CVCVCV. Les neufs autres formes sont
des formes qui apportent un changement au sens de la racine et à la taille du
gabarit du verbe, ce qui se traduit par une ou deux positions CV en plus.
14
Le tableau1 suivant récapitule les dix formes verbales de l’arabe classique : 2
(9) Forme I : fa3al
Forme II : fa33al
Forme III : faa3al
Forme IV : ?a-f3al
Forme V : ta-fa33al
Forme VI : ta-faa3al
Forme VII : in-fa3al
Forme VIII : ifta3al
Forme IX : if3all
Forme X : sta-f3al
Il existe d’autres formes et elles sont au nombre de cinq (XI-XV), mais elles
sont rarement utilisées et non productives ; seuls quelques verbes de forme I
peuvent avoir une des cinq formes suivantes :
(10) Forme XI: if3aall
Forme XII: if3aw3al
Forme XIII: if3awwal
Forme XIV: if3anlal
Forme XV : if3anlaa
1 Ce tableau, selon Silvestre De Sacy (1831) aurait été établi pour des raisons pédagogiques en prenant en considération le nombre d’augments : un seul augment pour les formes II, III et IV, deux augments pour les formes V, VI mais aussi VII, VIII et IX si l’on compte le segment épenthétique « i » inséré pour empêcher une suite de deux consonnes en début de mot et finalement, trois augments pour la forme X. La liste telle qu’elle est conçue ne nous apprend rien quand aux liens qui puissent exister entre les neufs formes. Ce que l’on sait c’est que ces formes sont en relation avec la forme I. Cependant, on voit bien que la forme II et la forme V sont liées (la forme V n’est autre que la forme II plus un morphème « t ») de même pour la forme III et la forme VI (la forme IV n’est autre que la forme III plus un morphème « t »). Aussi, d’un point de vue sémantique, la forme II et la forme IV sont à rapprocher ; puisque toutes les deux sont causatives. 2 Dans la tradition de la grammaire arabe, on représente les schèmes avec une racine √f3l, dont le sens est « faire » et qui sert aussi pour désigner le mot verbe : « fi3l ». Ainsi, au lieu de parler de C1, C2 et C3, nous préférons utiliser la racine √f3l et il suffit donc de considérer « f » comme C1, « 3 », comme C2 et « l » comme C3. Le recours à cette racine permettra de voir quelle allure aura le verbe en passant par tel ou tel schème. De ce fait au lieu de dire C1aC2 aC3, on dira « fa3al ». Il suffira après de remplacer ces consonnes par les consonnes de la racine qui nous intéresse.
15
Nous n’examinerons que les formes les plus usuelles voire les formes de I à
X. Les formes de X à XV (tombées en désuétude) ne seront pas traitées ici.
La variation de forme dont fait l’objet le verbe de l’arabe classique a suscité
l’intérêt des phonologues et morphologues. L’analyse morphophonologique la plus
complète et la plus intéressante est celle qui a été proposée par Guerssel et
Lowenstamm (1991). Cette théorie établit l’existence d’un gabarit CV-CV(CV)CVCV
qui permet d’engendrer les dix formes verbales. Ce gabarit contient une position
CV- préfixale qui peut être activée par le préfixe « n », ou « t » ou par la première
consonne de la racine et une position (CV) dérivationnelle qui peut être associée à
une consonne de la racine ou à la voyelle « a ».
Selon cette analyse, chacune des dix formes verbales fait appel à un procédé
distinct pour se réaliser. Cette différence peut se situer au niveau des positions du
gabarit : la forme II « fa33al » fait appel à la position dérivationnelle (CV) pour
propager la deuxième consonne de la racine :
(11) f 3 l
CV (CV)CVCV a
Tandis que la forme VII « n-fa3al » utilise la position (CV) préfixale pour
associer le préfixe « n » :
(12) n f 3 l
CV- CV CV CV a
Autrement, cette différence peut se situer au niveau de l’élément associé à
ces positions : la forme III « faa3al » utilise, pareillement que la forme II, la position
dérivationnelle (CV) pour se réaliser, mais contrairement à celle-ci, elle utilise la
position V de ce CV et allonge la première voyelle « a » :
16
(13) f 3 l
CV(CV)CVCV a
Ainsi, ce qui fait la différence entre les formes verbales c’est le fait qu’elles
représentent une utilisation particulière des ressources du gabarit. La différence
entre la forme I « fa3al », la forme II « fa33al » et la forme VII « nfa3al » réside dans
le fait que la première forme utilise un gabarit de base : CVCVCV, la deuxième
forme utilise un gabarit avec une position CV dérivationnelle : CV(CV) CVCV et la
troisième forme utilise un gabarit avec le CV préfixal CV-CVCVCV. Néanmoins, ce
critère nécessaire n’est pas suffisant car il faut générer dix formes alors qu’avec ce
système on en obtient que trois. Effectivement, en plus du nombre des positions CV
du gabarit, il faut prendre en considération la nature de l’élément qui s’associe à
chacune de ces positions. De la sorte, ce qui fait, par exemple, la différence entre la
forme II et la forme III, sachant que toutes les deux utilisent un même gabarit
CV(CV) CVCV, c’est que la forme II identifie la position C du (CV) dérivationnel pour
propager la deuxième consonne de la racine alors que la forme III identifie la
position V de ce même (CV) pour allonger la voyelle « a ».
3. La déconstruction du gabarit
L’analyse morphophonologique permet de connaître le gabarit de chacune
des dix formes verbales ainsi que le mode d’association entre les éléments d’une
forme verbale et le gabarit. Toutefois, si cette analyse renseigne sur le nombre de
positions CV, elle ne dit rien sur l’origine des ces positions et si elle explique le
mode d’association dont résulte la forme verbale, elle ne dit rien sur ce qui justifie
ces associations. En effet, si l’on sait qu’avec un gabarit du type CV(CV)CVCV et une
racine √f3l, on peut avoir soit une forme II « fa33al », ou une forme III « faa3al » ou
encore une forme IV « ?af3al » et ce, suivant trois différents processus
17
d’association des éléments à un même gabarit, on ignore la raison pour laquelle un
tel ou tel mode d’association a été adopté pour une telle ou une autre forme
verbale. Tout ce que l’on sait, ce sont les possibilités d’association que l’on peut
avoir avec un gabarit de quatre positions CV et une racine trilitère puis le
mécanisme dont résulte chacune de ces formes. De surcroit, rien dans cette théorie
ne prédit que telle forme indiquera le causatif ou l’intensif et que telle autre
indiquera le réciproque, plutôt que l’inverse.
En vue de toutes ces questions, il devient primordial de comprendre ce qui
régit le processus d’association des éléments aux positions du gabarit et
préalablement découvrir d’où proviennent les différentes positions CV qui
constituent le gabarit.
Etant donné que chacune de ces formes rend compte d’une réalité
grammaticale donnée : causatif pour la forme II, réciproque pour la forme III, …etc.,
et que ces formes modifient la structure de la phrase : à la forme II, un argument
est ajouté alors qu’à la forme VIII un argument est ôté, il nous est apparu évident
que les dix formes que revêt le verbe en arabe classique sont tributaires de la
structure syntaxique de celles-ci. Nous présumons, donc, que derrière chacune de
ces dix formes verbales, il y a une structure syntaxique différente. Dorénavant, ce
qui fera la différence entre les dix formes verbales sera la présence de projections
maximales distinctes, de positions têtes syntaxiques diverses et de mouvements
différents. Le gabarit tel que proposé par l’analyse morphophonologique de
Guerssel et Lowenstamm sera perçu comme étant le résultat d’opérations diverses
et non pas comme étant le lieu même de ces opérations.
Nous proposerons que chacune des positions CV, telles que nous les
retrouvons dans le gabarit conçu par Guerssel et Lowenstamm, est générée dans
une position syntaxique donnée. Ceci ne concerne pas seulement la position CV-
préfixale et la position CV dérivationnelle considérées comme étant des positions
« tête » du gabarit mais ça englobe aussi les trois positions CV restantes qui
18
constituent ce qu’on appelle le petit gabarit ou le gabarit de base et que l’on
retrouve dans la forme I. De la sorte, le gabarit CV-CV(CV)CVCV reflète une
structure qui engloberait autant de positions syntaxiques « tête » que de positions
CV ; hypothèse qui sera démontrée dans ce travail.
4. La forme verbale : une affaire de syntaxe
L’étude des dix formes verbales de l’arabe classique ne restera pas limitée à
une analyse morphophonologique mais fera l’objet d’une analyse syntaxique.
L’analyse syntaxique que nous entreprenons est différente de celles effectuées
jusqu’ici et qui s’intéressent à des problèmes tels que l’aspect, l’accord, la négation
…etc. Ce qui nous intéresse dans une forme comme « yu-kattib-uuna » (ils font
écrire), ce n’est pas la marque de l’imperfectif ou de la troisième personne ou du
masculin ou du pluriel mais c’est la partie « -kattab- ». Ce que nous voulons
montrer c’est que cette partie du verbe à laquelle les syntacticiens ne se sont pas
ou peu intéressés est elle aussi formée en syntaxe.
Certes, pendant longtemps les syntacticiens ne regardaient dans les mots
que les marques de la flexion, la dérivation étant le domaine des morphologues.
Cependant, avec d’une part, l’évolution de l’hypothèse lexicaliste3 où l’on
établissait des représentations et des règles lexicales4 pour former des mots qui,
désormais peuvent exister dans le lexique sous leurs différentes facettes, et d’autre
part, les partisans de la morphologie distribuée, pour qui les mots sont formés en
syntaxe, la séparation des domaines de la linguistique est remise en cause et les
frontières entre la morphologie et la syntaxe sont beaucoup moins claires qu’il y a
seulement dix ans.
3 Cf. Halle (1973), Bresnan (1982), Freidin (1975), Jackendoff (1975), Wasow (1977),Grimshaw (1990). 4 Cf. Jackendoff (1975), Wasow(1977), Williams (1981), DiSciullo and Williams (1987), Jackendoff (1990), Grimshaw(1990), Levin and Rappaport-Hovav (1986, 1992, 1995)
19
Effectivement, avec la théorie de la morphologie distribuée5 et les analyses
qui s’en sont inspirées6, ce qui faisait l’objet d’étude de la morphologie est perçu
dorénavant comme faisant partie du domaine de la syntaxe. Les éléments
considérés auparavant par la syntaxe comme des terminaux et dont l’analyse était
attribuée à la morphologie sont dors et déjà pris en charge par la syntaxe. Tout est
géré par la syntaxe :
« There is only one mechanism in grammar for combining
atomic units of structure and meaning, i.e the syntax». 7
De la sorte, la structure d’un seul mot est, désormais, à analyser de la même
manière, avec les mêmes traits et avec la même organisation hiérarchique qu’une
phrase :
« All composition is syntactic; the internal structure of words
is created by the same mechanisms of construction as the
internal structure of sentences». 8
Les formes verbales de l’arabe classique sont la preuve explicite que des
entités considérées comme étant du domaine de la morphologie trouvent leur
explication en syntaxe. Le fait que des éléments soient combinés à l’intérieur d’un
seul mot n’exclue pas que ces combinaisons soient d’ordre syntaxique. D’ailleurs,
les exemples que nous avons cités pour illustrer la capacité des verbes de l’arabe
classique à contenir des informations à l’intérieur même de la forme verbale tandis
que les verbes du français font appel à des structures syntaxiques bien explicites,
confirment cette hypothèse.
Ceci étant, nous ne nous inscrivons exactement pas dans le cadre théorique
de la Morphologie Distribuée. Nous nous inspirons de ce qui en fait l’essence
5 Initié par Halle and Marantz (1993) et élaboré dans Marantz (1997). 6 Cf. Borer (1994, 2005), Travis (1994, 2000), Ramchand (2006) Noyer (1997, 1998, 1999), Harley (1994, 1995, 1998), Embick (1995, 1996, 1997, 1998), Calabrese (1979a,b),Mcginnis (1995,1996,1998), 7 Marantz (2001 : 9) 8 ibidem
20
même, à savoir que les mots sont analysables en syntaxe. A partir de ce moment,
nous soumettons le mot à la même analyse que la phrase et nous suivrons, dans
cette perspective, les principes de la syntaxe générative. Néanmoins, nous ne nous
inscrirons pas, non plus, le cadre strict de cette théorie puisque, comme nous le
verrons par la suite, nous faisons intervenir des éléments morpho-phonologiques
dans des arbres syntaxiques et nous modifions, par exemple, le contenu de la
projection VP (dans le sens où il sera vidé de son contenu lequel sera attribué à
une nouvelle projection que nous proposerons, celle de la racine : √P).
5. La Racine : pour un rôle prépondérant
La notion de Racine joue un rôle primordial dans l’étude que nous
proposons pour les formes verbales de l’arabe classique. En effet, si l’on
fonctionnait avec la notion du radical, on aurait du mal à analyser toutes les
modifications internes de la forme verbale ; excepté la forme VII « n-fa3al » qu’on
peut décomposer en un préfixe « n » + forme verbale de base « fa3al ». La racine9 a
toujours eu un grand intérêt dans l’étude des langues sémitiques et a prouvé sa
pertinence. L’étude des dix formes verbales de l’arabe classique prouve que la
considération de la racine est indispensable et lance un défi à ceux qui renient
l’intérêt de la racine dans l’analyse des langues sémitiques.
Souvent, pour illustrer l’existence de la racine on apportait des exemples de
différentes catégories ayant toutes un sens en commun et réalisant les mêmes
consonnes et on montre que ces mots sont construits à partir d’une même racine.
Prenons l’exemple de la liste suivante :
9 En arabe classique, la racine est strictement consonantique et globalement trilitère. Toutes les combinaisons de trois consonnes ne sont pas utilisées et la langue évite la contiguïté de consonnes d'articulation proche. Le plus souvent, les consonnes d'une racine sont différentes par leur point et leur mode articulatoires. Cette suite consonantique reste apparente dans tous les mots formés sur une même racine et exprimant, plus au moins un même concept.
21
(14) katab kitaab kaatib
(Écrire) (Livre) (Écrivain)
maktab maktuub maktaba (Bureau) (Écrit) (Bibliothèque)
Comme on peut le voir dans les traductions proposées (écrire, livre, bureau,
bibliothèque), le français crée plusieurs unités lexicales au moment où l’arabe classique
discerne un sens commun entre tous ces mots et les construit tous à partir d’une même
racine : √ktb. Cette racine aura pour Signifié « ECRIRE ». Dans chacun des mots de
cette liste ce Signifié est présent. Une traduction plus exacte du mot « maktab » serait
« lieu où l’on écrit » de même, une traduction exacte de « kitaab » serait « un écrit », le
mot « maktaba » se traduira par « lieu contenant des écrits » et pour le mot « kaatib »,
une traduction plus exacte serait « écrivant ».
Désormais, on peut établir l’existence de la racine en restant dans le même
paradigme « Verbe » et en examinant les différentes formes verbales que l’on peut
obtenir avec une même racine (Cf. (14)). Les dix formes verbales de l’arabe classique
ont toutes un sens commun : celui dénoté par la racine, et réalisent de façon interne les
éléments qui leur permettent de rendre compte de différentes réalités grammaticales. Le
fait que ces éléments ne soient pas réalisés à la périphérie d’une forme de base, écarte
toute possibilité de traiter ces verbes sans avoir recours à la racine.
De ce fait, l’étude des dix formes verbales de l’arabe classique consolide et
confirme l’existence de la racine en tant que notion abstraite mais va bien au-delà
de cette considération et dévoile d’autres propriétés de la racine à savoir un
domaine et des arguments.
Il est communément admis qu’une racine désigne un concept et constitue un
élément exclusivement lexical qui ne comporte aucune information syntaxique. Ce
n’est que lorsque la racine est sélectionnée par un N qu’elle devient nominale, ou
par un V qu’elle devient verbale. Toutefois, on peut avancer que la matrice
22
sémantique de la racine prédit, en quelque sorte, la catégorie syntaxique qui va la
sélectionner.
En effet, si l’on observe les définitions les plus simples que l’on donne à chacune
des catégories du discours, on voit que la définition de chaque catégorie se base sur une
distribution syntaxique mais aussi sur une désignation sémantique. S’il est vrai qu’on
peut définir une catégorie telle que Verbe ou Nom en ne se basant que sur leur syntaxe,
il reste vrai qu’on peut le faire aussi en n’en indiquant que la sémantique. En définissant
un Verbe, on dira qu’il exprime l'action accomplie par le sujet, l’action subie par le sujet
ainsi que l’état du sujet. Quant au Nom, on dira qu’il sert à désigner un objet dans le
monde, et qu’il a le pouvoir d’être associé à un référent, c’est-à-dire à un objet de la
réalité extralinguistique.
Si l’on accepte que la racine possède ce genre d’informations sémantiques à
savoir « action », « état », « objet »…etc., il devient évident qu’une racine dont le
sens indique un objet du monde sera sélectionnée par un Nom et qu’une racine
dont le sens indique une action sera sélectionnée par un Verbe. De ce fait, même si
on considère qu’une racine n’a pas de propriétés syntaxiques en elle-même, les
propriétés sémantiques qu’elle renferme peuvent, à elles seules, indiquer la
catégorie.10
10 En principe, il devrait y avoir une correspondance entre ce qu’on pourrait appeler une catégorie sémantique et sa contrepartie syntaxique. Toutefois, ce n’est pas toujours le cas et cela est perceptible, souvent, dans la forme elle-même. En effet, la forme de certains noms diffère selon que la racine est « sémantiquement » verbale ou nominale. Des racines telles que √bHr, √klb dont le sens indique des objets du monde se contentent de mettre la racine dans un schème nominal (CaCC) et produisent les noms : « baHr » (mer), et « kalb » (chien) alors qu’une racine telle que √ktb dont le sens renvoie à une action produit le nom « kitaab » (livre) ou « maktab » (bureau). Le fait que certaines racines, lorsqu’elles sont sélectionnées par NP, ne subissent aucune modification alors que d’autres réalisent des modifications internes ou réalisent des préfixes confirme la dissimilitude entre les racines. En outre, le fait qu’un groupe de mots partagent la même racine ne signifie pas forcément qu’ils sont tous construits directement à partir de la racine. En dehors des verbes et des noms qui sélectionnent directement la racine, il y a des mots qui sélectionnent une catégorie intermédiaire. En effet, il existe des noms qui renferment des propriétés verbales, ce qui laisse penser qu’ils ne sélectionnent pas directement une racine mais une forme verbale. C’est le cas des participes actifs et qui correspondent, chacun, à une des dix formes verbales de l’arabe classique : « katab vs kaatib », « kattab vs mukattib », « kaatab vs mukaatib », « ta-kattab vs mutakattib », « nkatab vs munkatib », …etc.
23
Les informations sémantiques dont dispose la racine peuvent être soit confirmées
et agencées par la projection sélectionnante soit alors estompées. Une racine comme
√ktb comporte des traits tels que : [action], [mettre sur papier (ou autre support)],
[alphabet (ou autre système d’écriture)]. Lorsque cette racine est sélectionnée par un
VP, il en résulte la forme verbale « katab » qui signifie « action de mettre sur papier (ou
autre support) un alphabet (ou autre système d’écriture) ». Lorsque cette même racine
est sélectionnée par un NP, deux cas se présentent. Dans le premier cas, une voyelle
longue est réalisée en V2 formant ainsi le nom « kitaab ». Ce nom ne garde de la racine
que les deux derniers traits « support où l’on met un alphabet » et ne prend pas en
compte le trait [action]. Dans le deuxième cas, un morphème est ajouté, ici « m »,
formant le nom « maktab ». Dans ce nom, tous les traits de la racine sont conservés, à
savoir [action], [mettre sur papier (ou autre support)], [alphabet (ou autre système
d’écriture)], auxquels s’ajoute le sens apporté par le morphème « m » : [lieu]. Le nom
« maktab » englobe les traits : [lieu], [action], [mettre sur papier (ou autre support)],
[alphabet (ou autre système d’écriture)] : « lieu où l’on écrit ».
Le fait qu’une racine puisse s’adapter à la projection qui la sélectionne, quand
besoin il y a, révèle que la racine n’est pas un élément primitif ou terminal, comme on
le pense ordinairement, et qu’elle a son propre domaine et constitue un ensemble de
traits qu’on peut modifier, diminuer ou augmenter.
Maintenant que l’on admet que les propriétés sémantiques que l’on attribuait aux
verbes sont en réalité contenues dans la racine, il faudra se prononcer sur ce qu’on
appelle la grille thématique du verbe : le fait qu’un verbe ait un agent, un agent et un
patient, ou encore un agent, un patient et un bénéficiaire est-il tributaire du verbe ou de
la racine ?
Certes, le domaine VP prévoit des positions pour disposer les différents
arguments du verbe, mais il s’agit là de positions syntaxiques que doivent occuper des
NP. Il s’agit seulement de la réalisation syntaxique de la grille thématique. Ce qui est
lexical dans un verbe c’est la racine. Par conséquent, les informations lexicales -
24
responsables de la détermination du thêta rôle- du verbe sont contenues dans cette
dernière. Chaque racine dénote une action/événement qui, selon les cas, nécessite un ou
plusieurs participants. De ce fait, en plus des traits sémantiques, une racine qui indique
une action/événement détermine les participants à cette action/événement. Des termes
comme Agent, Patient, Thème, Bénéficiaire, Source seront considérés comme étant du
domaine de la racine et les termes comme Transitif, Ditransitif, Inergatif, Inaccusatif
seront attribués au verbe. La racine propose les informations lexicales et le verbe les
dispose : Transitif (Agent, Patient/Thème) ; Ditransitif / Bitransitif (Agent,
Patient/Thème, Bénéficiaire/ Source) ; Inergatif (Argument externe = Agent) ;
Inaccusatif (Argument externe = Thème).
Ainsi, à la place d’une arborescence qui instaure les arguments du verbe
directement dans VP, l’arborescence que nous utiliserons tout au long de ce travail
dispose les arguments dans le domaine de la racine puisqu’ils appartiennent à
celle-ci. La racine sera présentée comme une projection √P agençant ses propres
arguments.
6. Une organisation commandée non recommandée
L’organisation de cette thèse est dictée par la nature même du sujet. Nous
avons consacré un chapitre pour chaque forme verbale et chaque chapitre s’ouvre
sur un rappel de l’analyse morphophonologique donnée par Guerssel et
Lowenstamm, puisque l’analyse syntaxique que nous proposons vient la compléter
et apporter des réponses aux questions que cette dernière a posées. L’inconvénient
d’une telle disposition, est qu’elle donne un caractère répétitif à l’analyse, dans la
mesure où la même démarche est adoptée pour chaque forme et que, de surcroit,
chacune des dix formes possède au moins trois emplois.
Une organisation alternative à celle pour laquelle nous avons opté, ici, serait
d’établir des chapitres selon les notions linguistiques, à savoir un chapitre pour le
25
causatif, un autre pour l’intensif, un autre pour le réflexif et un quatrième pour le
réciproque. Cela aurait donné à cette thèse un caractère moins scolaire et moins
technique que ce que donne l’organisation actuelle qui laisse penser à une
démarche de grammaire et non pas de linguistique moderne. Cependant, une telle
organisation aurait apporté des chevauchements dans la mesure où certaines
formes verbales vont appartenir à deux classes différentes. Par exemple, la forme V
qui indique à la fois le réflexif et le causatif va apparaître dans le chapitre ‘causatif’
et dans le chapitre ‘réflexif’, de même, la forme VI qui indique conjointement le
réflexif et le réciproque va figurer dans le chapitre ‘réflexif’ et dans le chapitre
‘réciproque’. Sans oublier qu’une même forme II apparaîtra dans le chapitre sur
l’intensif et dans celui sur le causatif.
Conscient que des notions telles que forme I, forme II, forme III…etc. font
partie d’une organisation qui a été proposée par la grammaire, une autre
possibilité recommandée aurait été, tout en gardant les dix chapitres, de ne pas
parler de formes mais des notions qu’elles véhiculent. Par exemple, au lieu de
nommer un chapitre ‘forme II’ on aurait pu le nommer ‘forme causative’ et à la
place de ‘forme III’, on aurait pu mettre ‘forme réciproque’…etc. Cependant, comme
vous allez le voir par la suite, l’intensif et le causatif sont indiqués par une même
forme. Par ailleurs, le causatif est indiqué par deux formes différentes. Ajouté à
cela que chaque forme a plusieurs emplois qui ne correspondent pas à des notions
linguistiques claires (intensif, estimatif, etc.) et qui, comme on va le montrer
découle de la structure elle-même. En conséquence, ces emplois n’auraient pas
trouvé leur place dans ce type d’organisation.
Cette thèse n’a pas pour objectif de montrer comment l’arabe classique
procède pour indiquer telle ou telle notion (comme le causatif ou le réciproque ou
autre), mais de montrer comment une forme verbale, qui est connue pour indiquer
une notion donnée, est formée. Incontestablement, forme et notion sont liées et
c’est en se basant sur la notion qu’indique une forme que l’on va déterminer sa
26
structure syntaxique. Toutefois, tout dépend de l’angle sous lequel on envisage
d’aborder la question. Le point de départ de cette thèse est l’analyse
morphophonologique des dix formes verbales établies par Guerssel et
Lowenstamm, que nous avons voulu motiver par une analyse syntaxique. Notre
objectif est d’étudier chacune de ces formes verbales et montrer que le gabarit qui
la sous-tend est construit en syntaxe.
Une réorganisation est certes possible mais elle ne l’est qu’une fois que
l’analyse de chaque forme soit établie, l’une indépendamment de l’autre. Pour cette
raison, nous avons été contraints de commencer par faire ce travail de base.
L’énumération des chapitres ne suivra pas l’ordre de la numérotation :
forme I, forme II, forme III, forme IV...etc. Nous commencerons par la forme I car
c’est la forme simple qui n’a subi aucune dérivation et car sa structure sera
partagée par toutes les autres formes, comme nous allons l’établir. Ensuite, nous
traiterons la forme VIII car elle est tout simplement la version réflexive de la forme
I. D’autres formes entretiennent ce type de rapport. En effet, la forme V est la
forme réflexive de la forme II, la forme VI est la forme réflexive de la forme III et la
forme X est la forme réflexive de la forme IV. Chaque forme sera suivie de sa
version réflexive. Les formes II et IV indiquent toutes les deux le causatif, par
conséquent, elles seront étudiées successivement afin de permettre au lecteur de
se repérer dans l’analyse. L’organisation qui sera adoptée dans cette thèse est la
suivante :
- Chapitre 1 : Forme I ;
- Chapitre 2 : Forme VIII ;
- Chapitre 3 : Forme II ;
- Chapitre 4 : Forme V ;
- Chapitre 5 : Forme IV ;
- Chapitre 6 : Forme X ;
- Chapitre 7 : Forme III ;
- Chapitre 8 : Forme VI ;
27
- Chapitre 9 : Forme VII ;
- Chapitre 10 : Forme IX.
La forme IX est étudiée en dernier lieu car, comme on le verra par la suite,
sa structure est assez distincte de celle des neufs autres formes verbales.
7. Un lecteur avisé en vaut dix
Nous proposons, ici, d’expliquer la démarche que nous suivrons tout au long
de cette thèse, afin que le lecteur sache d’emblée comment sera agencé le contenu
de chaque chapitre.
Nous avons déjà annoncé qu’un même procédé d’analyse sera suivi dans
chacun des dix chapitres. Voyons, à présent, en quoi il consiste. Ce qu’il faut savoir
c’est que chaque forme présente diverses significations. Il y a toujours une
signification qui correspond au sens pour lequel la forme est la plus connue et qui
rend compte d’une notion linguistique et, à côté, subsistent d’autres significations
qu’on appellera « emplois annexes », qui sont de simples tours stylistiques voire
des effets de sens qui découlent de la structure elle-même ou du sens de la racine.
Nous commencerons, régulièrement, par examiner l’emploi principal que
l’on va appeler 'forme canonique’. C’est en se basant sur cet emploi que l’on va
établir la structure syntaxique de la forme en question.11 Ensuite, nous
examinerons chacun des emplois annexes pour :
a. vérifier que cette structure syntaxique couvre tous les emplois de cette
forme et, de la sorte, montrer que la divergence sémantique ne provient pas
d’une divergence de structures syntaxiques.
11 Il faut dire qu’avant d’opérer cette ségrégation, nous avons examiné l’ensemble des emplois, pour une forme donnée, et avons fait ressortir une structure syntaxique dont la forme canonique s’est révélée être le prototype.
28
b. discerner, justement, la source de ces interprétations sémantiques
différentes.
Nous saurons, ainsi, comment des formes qui partagent une même
morphologie et une même structure syntaxique puisse rendre compte de
significations diverses.
Lors de l’analyse d’une forme canonique complexe (ce sera le cas également
pour les emplois annexes), nous commencerons par présenter quelques exemples.
Aussitôt, et afin de faire surgir la particularité sémantique de la forme examinée,
nous donnerons des exemples avec la forme I correspondante ; la forme I étant la
forme simple. Dans certains cas, et précisément dans les formes verbales qui
manifestent deux variations morphologiques, la comparaison se fera avec une
autre forme complexe qui partage une de ces deux variations, exemple : « ta-
fa33al » qui, à la fois gémine la deuxième consonne et préfixe un morphème « t »
sera comparée à la forme II « fa33al » qui gémine la deuxième consonne de la
racine. Signalons que dans les cas où une forme verbale a un emploi dénominatif,
elle sera comparée à une forme nominale.
Ensuite, nous procéderons à une analyse des propriétés sémantiques et
syntaxiques de la forme verbale. Cette analyse prend en compte deux aspects : le
nombre des arguments que manifeste le verbe -comparé à ceux de la racine- et
l’apport sémantique. En effet, hormis la forme I qui n’apporte aucun changement
au sens de la racine (ce qui lui a valu le statut de ‘base de dérivation’), chacune des
formes verbales contient, en plus du sens de la racine, un sens qui lui est attribuée
par sa structure. Saisir l’apport sémantique reste le moyen incontournable pour
déterminer les projections qui sélectionnent la racine et découvrir, ainsi, la
structure qui engendre la forme examinée.
Une fois la structure syntaxique dévoilée, sous forme d’une représentation
arborescente qui révèle la structure de la racine et les projections qui la
29
sélectionnent, nous exposerons les différentes étapes que franchit une forme
verbale pour son exécution. Il s’agira des mouvements syntaxiques qui se
succèdent pour générer la forme en question ; ce qu’on va appeler « procédure de
formation » ou « exécution ».
Pour clore chacun des chapitres, nous terminerons par montrer la manière
dont la structure syntaxique et les mouvements opérés vont, respectivement,
déterminer le nombre de positions CV et le mode d’association des éléments au
gabarit.
8. Le label des formes verbales examinées
Afin d’avoir un aperçu des études faites jusqu’ici par les grammairiens
arabes et arabisants, nous avons choisi un représentant de chaque partie :
Sibawayh (8es [1938]), l’un des premiers fondateurs de la grammaire arabe et
Wright (1896), l’un des grammairiens arabisants les plus cités et des plus
consultés. Les différentes significations que dénotent chacune de ces formes
verbales ont été discutées par ces deux auteurs. À signaler qu’ils ne donnent pas
toujours les mêmes significations, d’où l’intérêt de comparer les données de
chacun d’eux.
Dans cette thèse, ne sera pas procédé à une étude du corpus suite à laquelle
seront découverts les différents emplois et significations de chacune des dix
formes verbales. Cette tâche a déjà été effectuée par les grammairiens. En effet, les
différentes significations de chaque forme verbale sont déjà répertoriées et une
simple lecture d’une grammaire de l’arabe permet de les identifier. Notre travail
consistera à trouver la structure syntaxique de ces formes et à outrepasser cette
floraison sémantique pour trouver, pour chaque forme, une certaine régularité.
Ainsi, les exemples des formes verbales qui sont cités dans cette thèse sont
pris soit chez Sibawayh ou chez Wright. Etant arabophone, nous avons pris le soin
30
de les mettre dans des phrases, aussi simples que possible. Ce que nous
considérerons comme l’emploi canonique d’une forme verbale c’est l’emploi que
nous avons trouvé en tête de liste chez ces deux grammairiens. C’est également
celui que l’on retrouve, en général, dans les écrits qui mentionnent les dix formes
verbales de l’arabe classique et qui ne font pas toujours allusion aux emplois
annexes.
Nous avons tenu à prendre en considération tous les emplois répertoriés
pour chacune de ces formes chez les deux grammairiens cités précédemment, car
c’est le seul moyen de garantir nos résultats. Certes, cela rend le travail plus
compliqué car devant une diversité d’emplois pour une forme donnée, il n’est pas
aisé, de prime abord, de discerner la structure syntaxique qui pourrait en rendre
compte. Néanmoins, l’hypothèse que nous avons émise concernant le statut de la
racine, à savoir qu’elle constitue un domaine et qu’elle peut avoir trois structures
différentes selon le nombre d’arguments qu’elle projette et leur position, nous a
permis d’entreprendre cette tâche. En effet, nous n’avions pas seulement le sens de
la racine pour justifier la diversité sémantique d’une forme donnée, nous
disposions également de la structure de la racine. Sans cette hypothèse, notre
travail n’aurait pas abouti.
9. Un peu de théorie pour faciliter la lecture
Afin de permettre au lecteur de suivre notre analyse, nous proposons de faire un
rappel de quelques principes d’ordre théorique. Le travail que nous entreprenons, se
situant à l’interaction de plusieurs domaines de la linguistique, enchevêtre des éléments
morphophonologiques à d’autres d’ordre syntaxique. Il s’ensuit une modification de la
considération de chacun de ces domaines quoiqu’en principe chacun garde ses
spécificités. Nous présenterons, ici, d’une manière sommaire, quelques principes de la
théorie morphophonologique ainsi que de la théorie syntaxique dont sera fait usage dans
ce travail.
31
9.1. Quelques notions de phonologie
9.1.1. L’hypothèse « CVCV »
Le cadre de la phonologie du gouvernement adopte l’hypothèse CVCV.12 Le
niveau squelettal consiste en une alternance systématique de positions C et de
positions V. Dans ce cadre théorique la seule syllabe possible est CV ou C est une
attaque et V est le noyau. Ce type de syllabe ne possède pas de coda.
Les types de syllabes traditionnellement reconnues se récriront alors de la
manière suivante :
(15) a. Syllabe ouverte b . Syllabe fermée
C V C V C V | | | | |
l a l a n
Dans ce cadre, proposé par Lowenstamm (1996), la représentation d’une
voyelle longue est la suivante :
(16) C V C V
\ / a
La représentation d’une géminée est la suivante :
(17) C V C V
\ / t
Et enfin la représentation d’une voyelle courte est la suivante :
(18) C V
a
12 Lowenstamm (1996)
32
L’hypothèse CVCV permet, entre autres, d’unifier la représentation des
verbes appartenant à un même paradigme. Soit les quatre verbes suivant au
perfectif :
(19) kataba jaraa maala madda
cvcvcv cvcvv cvvcv cvccv
Avec l’hypothèse CVCV, ces quatre verbes auront exactement le même
gabarit :
(20) k t b j r m l m d
| | | | | | | | / \ CVCVCV CVCVCV CVCVCV CVCVCV | | | | \ / \ / | | | a a a a a a a a a
La présence de positions vides devra toujours répondre aux critères du
Principe des Catégories Vides. Selon ce principe, une position V peut rester vide,
c’est-à-dire non interprétée phonétiquement, si et seulement si elle est
proprement gouvernée.
9.1.2. Principe du Gouvernement Propre
Une position V1 gouverne proprement une position V2 si et seulement si V1
n’est pas vide, V1 et V2 sont adjacentes (séparées par une seule position C) et V2
est à gauche de V1 (le gouvernement agit uniquement de droite à gauche). Par
exemple, la géminée dans « madda » peut se réaliser uniquement si le noyau vide
entre les deux parties de la géminée est proprement gouverné par la voyelle qui
suit, comme indiquée dans le schéma ci-dessous en (21)a. La structure en (21)b est
exclue par l’absence de Gouvernement Propre :
33
(21) a. C V C V C V b. * C V C V C V
| | \ / | | | \ / m a d a m a d ø
9.1.3. Principe du Contour Obligatoire
Le Principe du Contour Obligatoire (PCO) a été développé initialement par
Leben (1973) pour la phonologie tonale et repris ensuite par Goldsmith (1976). Ce
principe interdit l’adjacence de deux éléments identiques sur un même niveau
autosegmental. Une telle suite est remplacée par un segment simple doublement
lié.
9.1.4. L’apophonie
L’apophonie est « un phénomène de modification du timbre d’une voyelle,
indépendant de toute forme de conditionnement et exploité à des fins
grammaticales ».13 Le chemin apophonique présenté dans le système verbal de
l’arabe (Guerssel &Lowenstamm 1993), dans les pluriels brisés du Geez (Ségéral
1995) ou dans les langues germaniques (Scheer et Ségéral 1995) est :
∅∅∅∅ ⇒⇒⇒⇒ i ⇒⇒⇒⇒ a ⇒⇒⇒⇒ u ⇒⇒⇒⇒ u.
Ainsi :
- « i » est le correspondant apophonique de « ∅ »
- « a » est le correspondant apophonique de « i »
- « u » est le correspondant apophonique de « a »
- « u » est le correspondant apophonique de « u »
13 Ségéral (1995)
34
9.1.5. Système vocalique de l’arabe classique
Le système vocalique de l’arabe classique est constitué de trois voyelles
périphériques : « i », « a » et « u » :
i u
a
9.2. Quelques notions de syntaxe
Passons maintenant à la théorie syntaxique. L’analyse syntaxique à laquelle
nous procédons s’inscrit de manière très large dans le cadre de la Grammaire
Générative. Nous proposons de faire, ici, un rappel de quelques préceptes dont
nous avons fait usage dans cette analyse.
9.2.1. La Théorie X-barre
La théorie X-barre donne un formalisme qui permet de dégager de façon
claire et simple les relations de dépendance structurale qui existent entre des
éléments à l’intérieur du syntagme. Ce module de la Grammaire Générative rend
compte de l’architecture interne des syntagmes. Selon cette théorie, tout syntagme
est la projection maximale d’une tête. On désigne cette projection maximale par XP
(x étant une variable pouvant prendre la valeur N(om), V(erbe), Adj(ectif),
Adv(erbe), P(réposition), etc.
Soit la variable x, un constituant de niveau zéro ; en lui associant un
Complément, ce constituant se projette au niveau intermédiaire (ou niveau 1)
appelé X’ ou X-barre ; ce constituant de niveau 1 associé à un Spécifieur éventuel
atteint le niveau de la projection maximale appelée XP. Soit le schéma :
35
XP
X’
X Complément
Spécifieur
(22)
Il existe une relation structurale précise entre le Spécifieur et les autres
éléments dans la projection : le Spécifieur a une sorte de ‘portée’ sur tous les
autres éléments de la projection ; même chose entre la tête et le Complément.
9.2.2. La Thêta-Théorie
La Thêta-Théorie explique les relations sémantiques qui s’établissent entre
les constituants arguments et leur tête. La tête assigne un rôle sémantique appelé
ɵ-rôle à son ou ses arguments. Les rôles assignés par une tête font partie des
informations données dans le lexique en rapport avec l’item lexical. Cette théorie
repose sur une condition de bi-univocité entre NP et rôles sémantiques, le ɵ-critère
qui stipule que Tout NP argument doit porter un et un seul rôle sémantique et que
chaque rôle sémantique doit être assigné à un et un seul NP argument.
9.2.3. La Théorie du Liage
Ce module régit les relations structurales entre les Anaphores (Réfléchis et
Réciproques), les Pronoms (les Pronominaux) et leurs antécédents dans la phrase.
Les principes de la théorie du Liage ont été formulés par Chomsky comme suit :
Principe A : Les anaphores doivent être liées dans leur domaine de liage
Principe B : Les pronoms doivent être libres dans leur domaine de liage
Principe C : Les expressions-R doivent être libres
36
Ainsi, les Anaphores sont soumises à une coréférence obligatoire dans un
domaine syntaxique défini appelé Catégorie gouvernante. Les Pronoms sont libres
de toute coréférence dans leur Catégorie gouvernante. Les Expressions
Référentielles (constituées de mots sémantiquement autonomes) sont libres
partout. Chomsky propose plusieurs définitions du domaine local pertinent pour A
et B ; on peut donner la suivante :
« La Catégorie Gouvernante [CG] d’une Anaphore ou d’un Pronom α est la
plus petite catégorie syntaxique β contenant α, son gouverneur et un SUJET. »
La notion de Gouvernement peut être comprise comme la relation
qu’entretient une tête avec son complément :
« α gouverne β ssi α m-commande β et qu’aucune barrière n’intervient entre α et
β »
Le Liage se définit lui-même comme une relation de coindexation entre deux
constituants dont l’un c-commande l’autre :
« α c-commande β ssi le premier nœud branchant ϒ dominant α domine
aussi (directement ou non) β »
9.2.4. Une syntaxe simple pour une morphologie complexe
L’analyse syntaxique des dix formes verbales de l’arabe Classique, n’a pas
nécessité un mécanisme complexe. Nous avons utilisé les projections de base
qu’offre la syntaxe, à savoir VP, vP, AspectP et AgreementP. A part, proposer une
projection √P, nous n’avons pas eu besoin de modihier les projections existantes ou
d’user d’autres plus complexes. Toutes ces formes verbales on été générées par
une opération simple, il s’agit du mouvement de tête à tête. Ce mouvement
consiste tout simplement à déplacer la tête d’une projection maximale XP dans la
tête d’une autre projection maximale YP, ce qui aura comme conséquence de
37
XP
X’
t X
Complément
Spécifieur
YP
Y’
X Y
Spécifieur
placer la première tête X à gauche de la deuxième tête Y ; dans la position initiale
de X reste une trace de ce dernier, notée (t X) mais que nous avons noté tout au
long de la thèse en grisant l’élément déplacé :
(23)
Pour certaines formes, nous ferons appel à une deuxième opération, il s’agit
de la fusion. La fusion permet de combiner deux objets différents de façon à en
créer un seul. Elle s’opère entre une tête et son Complément [X-Complément] ou
entre une tête et son Spécifieur [Spécifieur-X]. Dans une proposition comme : [Le
garçon [a mangé][une pomme]]. La fusion [Tête-Complément] associe le verbe
[manger] à son Complément [une pomme] de façon à avoir : [manger une pomme].
La fusion [Spécifieur-Tête] associe le sujet [le garçon] au verbe [manger] de façon à
avoir [le garçon mange la pomme]. C’est l’opération qui permet de créer des
syntagmes et pare la suite, des propositions.
Dans l’étude de certaines formes verbales, cette opération est
morphologiquement visible et ce, dans les cas où les arguments en position
Spécifieur ou Complément se réalisent sous forme d’un pronom faible qui ne peut
pas exister à l’état libre. En effet, dans ces cas-là, le morphème en question se
réalise attaché au verbe qui est la tête de la projection maximale qui l’inclut. Selon
que ce morphème est en position Spécifieur ou Complément, sa position dans la
forme verbale sera différente.
38
CHAPITRE 1
ANALYSE DE LA FORME I « fa3al »
1. Introduction
La forme I est la forme verbale simple qui ne contient aucun augment. Elle
se contente de réaliser les trois consonnes de la racine et de les inclure dans une
structure verbale. On l’a souvent considérée comme étant la forme de base des
autres dérivations et on a toujours étudié les autres formes par rapport à elle.14 La
forme I, n’ajoute aucun trait sémantique à la racine, elle garde le même sens que
14 On considère que toutes les formes verbales sont dérivées de la forme I et ce en ajoutant un préfixe ou un infixe. De la sorte, la forme I était considérée comme base de la dérivation morphologique.
39
celle-ci et ne fait que donner une projection verbale, lui permettant ainsi de se
réaliser comme verbe et de répartir ses arguments.15
La forme I a une particularité qui la distingue des autres formes verbales ;
en dehors du fait qu’elle est simple et qu’elle ne contient aucun augment la
conduisant à changer les traits sémantiques ou les propriétés syntaxiques de la
racine. Il s’agit de la voyelle qu’elle réalise en position V2, dite voyelle lexicale.
2. Que peut-on dire sur la voyelle lexicale ?
La voyelle lexicale apparaît exclusivement dans la forme I de l’actif. En effet,
ni les neufs formes verbales restantes, ni la forme I du passif ne réalisent cette
voyelle. La voyelle lexicale, en V2, peut être soit un « i » ou un « a » ou enfin un
« u » ; ce sont là les seules voyelles que possède le système vocalique de l’arabe
classique. On considère que la voyelle lexicale se trouve dans la racine et on la
représente entre parenthèses : √ktb(a), √lbs(i), √kbr(u).
Néanmoins, si l’on place la voyelle lexicale dans la racine, il faudra expliquer
la raison pour laquelle la forme I du passif et les neufs autres formes verbales de
l’arabe classique, qui utilisent soit le CV dérivationnel soit le CV préfixal soit les
deux à la fois, ne contiennent pas cette voyelle.
En effet, sachant que le passif est dérivé par apophonie de l’actif, on
s’attendrait à avoir la forme « *kutub », partant de la forme de l’actif « katab », avec
un simple changement du timbre de la mélodie vocalique : « a → u ». Pourtant, ce
n’est pas la forme attestée dans l’arabe classique : la forme du passif est « kutib ».
Vu la mélodie vocalique de la forme du passif « u__i », on en déduit que la mélodie
15 Contrairement à ce que fait la forme II en ajoutant un sens « intensif » ou la forme IV en ajoutant un sens « causatif » ou encore la forme III « en ajoutant un sens « réciproque »…etc.
40
du départ de la dérivation est « a__ø» (katøb) et non pas « a_a » (katab). La chose a
été établie par Guerssel et Lowenstamm (1993,1996).
Le fait que la voyelle lexicale ne se maintient pas dans la forme I au passif
est la preuve que cette voyelle ne se trouve pas dans le domaine de la racine. De
même, le fait que cette voyelle ne se réalise pas non plus dans les autres neufs
formes de l’actif indique que la voyelle lexicale ne fait pas partie de la structure
syntaxique de l’actif.
Qui plus est, il existe des formes verbales, et elles sont nombreuses, qui ne
réalisent pas la voyelle lexicale à la forme I de l’actif, ce qui signifie que cette
dernière ne fait pas partie de la syntaxe d’une forme I. Ces formes verbales se
contentent de mettre une voyelle « a » copie de la voyelle en V1 à la position V2. On
le sait car les formes de l’imperfectif laissent apparaître une voyelle « i », comme
on peut le voir dans la liste suivante :
(24) Perfectif Imperfectif
- Darab ya-Drib (frapper) - Hamal ya-Hmil (porter) - saraq ya-sriq (voler)
Si l’on peut avoir un nombre de verbes à la forme I sans voyelle lexicale, cela
n’empêche pas que d’autres verbes, quant à eux, réalisent cette voyelle sous ces
trois timbres : « i », « a » et « u ». La structure argumentale d’un verbe contenant
une voyelle « i » peut être identique à celle d’un verbe contenant la voyelle «a »
comme elle peut être identique à celle d’un verbe contenant la voyelle « u ». En
effet, un verbe en « i » peut avoir deux arguments pareillement qu’un verbe en « a »
de même, il peut avoir un seul argument pareillement qu’un verbe en « u ».
De ce fait, le choix du timbre de la voyelle lexicale ne dépend pas de la
structure syntaxique. La différence entre les verbes réalisant la voyelle lexicale « i »
et les verbes réalisant la voyelle « a » ou la voyelle « u » est d’ordre sémantique. Les
verbes en « a » affectent l’objet alors que les verbes en « i » et en « u » affectent le
41
sujet ; la différence entre les verbes en « i » et les verbes en « u » est que les
premiers affectent le sujet temporairement alors que les seconds affectent le sujet
d’une manière permanente. De la sorte, lorsqu’un verbe a une structure simple, il a
la possibilité d’insérer une voyelle lexicale en V2. Selon que le verbe affecte son
objet ou selon qu’il affecte son sujet, d’une manière contingente ou permanente, la
voyelle lexicale insérée sera « i » ou « a » ou « u ».
La voyelle lexicale est entièrement différente des morphèmes du passif et du
causatif, entre autres, vu que ces derniers modifient les arguments du verbe alors
que la voyelle lexicale n’apporte aucun changement quant aux arguments ni même
au sens du verbe. La voyelle lexicale est l’élément qui reflète la structure du verbe
simple à l’actif : verbe simple par rapport au verbe contenant une position CV en
plus et verbe à l’actif par opposition au verbe au passif.
Etant donné que l’étude que nous proposons s’intéresse à la structure
syntaxique des dix formes verbales et qu’il sévère que la voyelle lexicale n’en fait
pas partie, nous ne proposons pas ici de résoudre le problème de savoir à quel
niveau elle intervient. Nous nous sommes contentés de donner quelques
arguments établissant qu’elle ne fait pas partie de la structure syntaxique de la
forme I et qu’elle est insérée bien tardivement.
3. Que représente réellement la racine ?
La racine contient un nombre de traits sémantiques incluant des éléments
tels que « objet », « qualité », « action », « état »…etc. Vu que notre étude porte
uniquement sur les formes verbales, nous ne nous intéressons qu’aux racines dont
la composition sémantique est celle d’un verbe. Les racines sémantiquement
verbales contiennent des traits tels que « action », « état » ainsi que les participants
à l’événement dénoté par la racine.
42
√P
√’
√ktb
Argument 1 (Agent)
Argument 2 (Thème)
Ce contenu sémantique se reflète dans la structure de la racine voire de √P.
En effet, selon le nombre des arguments que renferme une racine et selon le rôle
thématique de chacun d’eux, l’architecture de √P sera différente. Trois structures
sont à dénombrer.
Une racine telle que √ktb dont la matrice se présente de la façon suivante :
(25) √ktb
Ecrire Action
Agent (+humain)
Thème (-humain)
Aura la structure suivante :
(26)
L’argument « Agent » prend la position Spécifieur et l’argument « But »
prend la position Complément. Les racines qui ont deux arguments auront toutes
cette même structure. La position Spécifieur sera remplie par l’argument qui fait
l’action ou qui est la source de l’action que ce soit un « Agent » ou un « Thème » et
la position Complément sera remplie par l’argument qui subit l’action ou qui est
directement affectée par l’action que ce soit un « Patient » ou un « But ».
Ce même ordre sera conservé lorsque √P est sélectionnée par un VP qui
permettra de donner à l’argument en position Spécifieur la fonction Syntaxique
Sujet et à l’argument en position Complément la fonction Complément d’objet
respectant ainsi la relation entre fonction syntaxique et rôle thématique.
43
√P
√xrj Argument (Thème)
Argument (Patient)
√P
√ksr
Une racine telle que √xrj dont la matrice est :
(27) √xrj
Sortir
Action
Thème (+animé/-animé)
Aura la structure suivante :
(28)
Le seul argument que comporte la racine a le rôle thématique « Thème » et il
occupe donc la position Spécifieur de √P. Ce sera le cas pour toutes les racines qui
ont un seul argument dont le rôle thématique est « Agent » ou « Thème ». Ce genre
de racine donne à la forme I, une fois sélectionnée par VP, des verbes intransitifs
ou inaccusatifs tels que « sortir » mais aussi « tomber ». L’argument « Agent » ou
« Thème » occupera, une fois √P sélectionné par VP, la position Spécifieur de VP et
aura, par la suite, la fonction Sujet.
Une racine telle que √ksr dont la matrice est :
(29) √ksr
Casser
Expérience
Patient (-humain)
Aura la structure suivante :
(30)
44
Le seul argument que détient cette racine a le rôle thématique « Patient » et
il occupe donc la position Complément de √P. Ce sera le cas pour toutes les racines
dont le seul argument a le rôle thématique « Patient ». Cet argument, une fois √P
sélectionnée par VP, gardera sa position de Complément et aura la fonction
Complément d’objet. Il ne prendra pas la position Spécifieur de VP et ne sera pas le
Sujet dans une forme I « kasar » : « *kasar al-ka?s ». Il est intéressant de signaler
que ce genre de racines est le seul qui peut avoir une forme VII « n-fa3al » ; ce qui
permet de les distinguer des racines à un seul argument du type « √xrj ». De
surcroit, ces racines lorsqu’elles font une forme II, celle-ci dénote toujours
l’intensif et jamais le causatif comme c’est le cas pour les autres formes II.
Ainsi, lorsqu’une racine détient un seul argument, ce qui détermine si cet
argument prend la position Spécifieur ou Complément c’est son rôle thématique.
La différence entre la structure en (28) et en (30) provient de la différence entre
l’argument que détient une racine telle que √xrj et celui que détient une racine telle
que √ksr. Dans le premier cas, l’argument est celui qui fait l’action et a le rôle
thématique « Thème » alors que dans le deuxième cas l’argument est celui qui subit
l’action et a le rôle thématique « Patient ». De ce fait, dans (28) l’argument prend la
position Spécifieur (cet argument aura par la suite la fonction Sujet du verbe de la
forme I) alors que dans (30) l’argument prend la position Complément (cet
argument aura par la suite la fonction Complément d’objet du verbe de la forme I).
Si l’on admet aisément qu’une racine puisse avoir un seul argument quand
ce dernier a le rôle thématique « Agent » ou « Thème » dans la mesure où une
action ne nécessite pas obligatoirement la participation d’un autre argument, le cas
d’une racine dont le seul argument a le rôle thématique « Patient » nécessite une
explication. En effet, ce qui dit « Patient » dit un argument qui subit une action faite
par un autre argument. D’ailleurs à la forme I, le verbe « kasar » laisse apparaître
un sujet « Agent » : « 3ali kasar al-ka?s » (3ali a cassé le verre).
45
Considérer que la racine √ksr ne contient dans sa grille thématique que
l’argument « Patient » et que l’argument « Agent » est ajouté par une autre
projection est dicté par la relation qu’entretient ce dernier avec l’événement
dénoté par la racine. L’argument « Agent » qui apparaît dans une proposition telle
que: « 3ali kasar al-ka?s » (3ali a cassé le verre) et qui assure la fonction Sujet, ici
« 3ali », fait une action autre que « casser ». En effet, ce que fait le sujet est une
action du type « jeter », « laisser tomber », « taper »…etc., dont résulte l’événement
« casser ». C’est l’argument qui prend la position Complément, ici « ka?s », qui est
concerné par cet événement ; le français permet de rendre compte de ce sens et
admet une proposition du type : « le verre casse ».
Par ceci, la racine √ksr se distingue d’une racine telle que √ktb qui, elle,
détient dans sa grille thématique et l’argument « Agent » et l’argument « Patient ».
En effet, dans la proposition avec le verbe à la forme I « katab » : « 3ali kataba
risaalat-an » (3ali a écrit une lettre), l’argument « 3ali » fait l’action « écrire » et est
donc concerné par l’événement dénoté par la racine.
4. Que contient le domaine VP ?
En dehors de la voyelle lexicale qui est insérée tardivement, la forme I
« fa3al » contient uniquement la racine et la projection VP qui permet de réaliser
un verbe.16
On considère communément que la projection VP est constituée d’une tête V
qui renferme un verbe, d’un Spécifieur qui renferme un argument dont le rôle
thématique est « Agent » ou « Thème » et dont la fonction syntaxique est Sujet puis
d’un Complément qui renferme un argument dont le rôle thématique est
« Patient » et dont la fonction syntaxique est Objet. La tête V de VP comporte un
16 Bien entendu la forme I aura des projections d’Aspect et d’Accord mais ici nous parlons seulement du niveau le plus bas de la structure syntaxique.
46
√P
√’
√f3l Argument 2
Argument 1
verbe sous forme de radical pour les langues romanes et sous forme de racine pour
les langues sémitiques.
Avec l’hypothèse qui stipule qu’une racine vient avec ses arguments, la grille
thématique qu’on attribuait au verbe devient l’affaire de la racine et la projection
VP se voit ôter ses constituants. En effet, la racine ainsi que les arguments
prennent place non pas dans la projection VP mais dans la projection √P :
(31)
Le domaine √P contient la racine et ses arguments. La racine occupe la
position tête et les arguments, selon leurs traits sémantiques et le rôle thématique
qu’ils peuvent revêtir, occupent soit la position Spécifieur ou la position
Complément de √P. De la sorte, ce qui constitue la partie lexicale d’un verbe est
dorénavant accordé à √P et non plus à VP. Par conséquent, la notion de tête lexicale
qu’on attribuait à V n’est plus valable et c’est la tête √ qui assume à présent ce rôle.
Privé de sa propriété d’être une tête lexicale, V ne peut que devenir une tête
fonctionnelle. A vrai dire, malgré le fait qu’on considérait la tête V comme étant
une tête lexicale, elle n’en était pas moins un élément qui assumait quelques
fonctions syntaxiques telles qu’assigner l’accusatif. De ce fait, VP joignait à la fois
des propriétés syntaxiques et des propriétés lexicales du verbe.
Avec l’hypothèse d’une racine qui projette ses propres arguments, celle-ci
prend en charge le côté lexical du verbe et laisse à VP le côté fonctionnel. Ainsi, la
tête de VP devient fonctionnelle et se doit de contenir un élément qui constitue une
marque verbale et qui peut structurer les arguments de la racine.
47
V’
VP
V [CV] a
√P
√’
√f3l
Argument 2
Argument 1
Argument 1
Certes, la racine organise ses propres arguments et en place un dans la
position Spécifieur de √P et l’autre dans la position Complément de √P mais cette
répartition est basée sur le rôle thématique de chacun. Ce n’est que lorsque la
racine est sélectionnée par VP qu’elle reçoit ainsi que ces arguments une fonction
syntaxique. En montant dans la position V, la racine acquiert le trait syntaxique
[+verbe]. L’argument de la racine qui occupe la position Spécifieur de √P se
déplace dans la position Spécifieur de VP puis se déplacera dans la position
Spécifieur de IP, ce qui lui donnera le cas nominatif et la fonction Sujet. L’argument
qui occupe la position Complément de √P reste dans sa position de Complément
par rapport à V, ce qui lui attribue le cas accusatif et la fonction Complément
d’objet :
(32)
En tant que tête fonctionnelle, V disposera d’une position CV et si l’on
observe les formes verbales, on voit qu’elles réalisent toutes une voyelle « a » en
V1.17 Cette voyelle a été considérée tantôt comme une voyelle du perfectif tantôt
comme une voyelle de l’actif et ce, parce qu’elle servait de voyelle de départ pour la
dérivation de l’imperfectif et du passif. En effet, chacun du passif et de l’imperfectif
contenait une voyelle obtenue par apophonie à partir de la voyelle « a ». A signaler
que certaines formes de l’imperfectif ne répondaient pas à cette généralisation et
17 Rucart (2006), dans son étude de la flexion verbale en afar, avait proposé que toute tête fonctionnelle corresponde à une seule unité [CV]. Pour V, il considère que c’est une tête lexicale qui inclut une position [CV] plus le gabarit de base [CVCVCV]. Dans notre analyse, la racine n’est pas un nœud terminal de V, elle a sa propre projection. De ce fait, V fonctionne comme une tête fonctionnelle et disposera d’une seule unité [CV]. Par ailleurs, la racine est une tête lexicale qui ne dispose pas de positions CV. Ces dernières ne sont générées que dans des têtes syntaxiques et apportent le gabarit auquel s’associent les éléments lexicaux.
48
gardaient la voyelle « a » intacte tandis que toutes les formes du passif changent le
timbre vocalique de cette voyelle et réalisent un « u ». Etant donné que la voyelle
« a » apparait dans toutes les formes verbales mais aussi dans toutes les formes
déverbales (les formes participiales et le masdar), nous considérons qu’elle est
dans V. De la sorte, la tête V contient une position CV ainsi qu’une voyelle « a »:
« Ca ».18
5. À propos de la voix active
L’élément V agence les arguments de la racine en Sujet et Objet en respectant
l’ordre que leur donne la racine : mettre l’argument « Agent » dans la position
Spécifieur de VP de façon à ce qu’il soit, par la suite, Sujet et laisser le « Patient » dans
la position Complément de façon à ce qu’il ait la fonction Complément d’objet.
Lorsqu’on passe à la voix passive, s’opère un changement concernant la structuration
des arguments qui voient leur fonction syntaxique bouleversée : l’argument « Agent »
devient Objet et l’argument «Patient » devient Sujet. Le fait que le changement de voix
implique directement le changement de la position syntaxique des arguments indique
que la structuration initiale en Sujet et Objet qui s’effectue en VP dépend, en réalité, de
la voix active.
Ainsi, en dehors du fait de donner à la racine la catégorie syntaxique
« verbe », on attribue à V une fonction que l’on reconnaît d’habitude à la voix
active. La similitude entre ce que fait V et le rôle que l’on attribue à la voix active
peut être expliquée en postulant tout simplement que la voix active est contenue
dans V. La voix active n’est pas réalisée dans une projection VoixP mais est tout
simplement comprise dans V et c’est elle qui structure les arguments de la racine.
18 Nous postulons l’existence d’une position CV pour deux considérations : la première étant que toute tête fonctionnelle dispose d’une position CV, la deuxième étant que V réalise une voyelle « a » et nous concevons que toute position vocalique est précédée d’une position consonantique ; le niveau squelettal consiste en une alternance systématique de positions C et de positions V (phonologie du gouvernement).
49
Les dix formes verbales réalisent toutes, que ce soit dans le paradigme du
perfectif ou de l’imperfectif, le morphème « a » en position V1. Cette voyelle que l’on a
attribuée à V peut désormais être considérée comme étant la marque de la voix active.
De la sorte, la voyelle « a » qu’on a en V1 indique que l’on est en présence d’une forme
verbale active.
Présumer que la voix active est un trait inhérent à V signifie que toute forme qui
contient une projection VP renferme obligatoirement la voix active. Aussitôt cette
hypothèse formulée, la question se pose pour les formes du passif. Les formes verbales
du passif renferment, comme c’est le cas de toutes les formes verbales, une projection
VP mais marquent en plus la voix passive. Toute la question est de déterminer la
relation entre Voix active et Voix passive : s’agit-il de deux Voix qui s’excluent dans le
sens où la présence de l’une interdit la présence de l’autre ou de deux voix dont l’une
modifie l’autre ?
Nous avons déjà écarté la possibilité d’avoir une projection VoixP dans la
structure syntaxique d’un verbe actif puisque la voix active n’apporte rien ni à la
structure ni à la forme initiale du verbe. Par contre, un verbe au passif aura dans sa
structure syntaxique une projection VoixP qui permet à la fois de changer la
structure argumentale et de marquer morpho-phonologiquement le verbe.
6. À propos de la voix passive
Si l’on examine les formes du passif sans se soucier de la structure
argumentale, on observe que la forme du passif est obtenue par apophonie à partir
de la forme de l’actif.19 Soit le tableau suivant illustrant le passage de l’actif au
passif :
19 Toutes les formes verbales, sans exception, ont une forme de l’actif et une forme du passif. Le passif ne s’exclut pas avec tel ou tel préfixe ni avec l’utilisation du CV dérivationnel. Les dix formes verbales ont toutes une forme du passif.
50
(33) Perfectif actif Perfectif passif
Forme I fa3al fu3il
Forme II fa33al fu33il
Forme III faa3al fuu3il
Forme IV ?a-f3al ?u-f3il
Forme V ta-fa33al tu-fu33il
Forme VI ta-faa3al tu-fuu3il
Forme VII n-fa3al n-fu3il
Forme VIII fta3al ftu3il
Forme IX f3all f3ull
Forme X sta-f3al stu-f3il
Ce tableau montre que le passif se réalise avec une simple modification du
timbre vocalique de la forme active, suivant un chemin apophonique : « fa3al »
vs « fu3il ». La forme du passif ne contient que les trois consonnes de la racine et
une mélodie vocalique « u__i » obtenue par apophonie à partir de la mélodie de
l’actif « a__ø».20 En conséquence, pour former un passif il faut obligatoirement
avoir, d’abord, un actif puisque la mélodie de la forme du passif dépend de celle de
la forme de l’actif. De la sorte, supposer que V contient la voix active ne va pas à
l’encontre de la formation des verbes passifs. Tous les verbes ont la voix active
même les verbes passifs.
Les verbes passifs sont tout simplement des verbes dont le VP est
sélectionné par VoixP. Leur structure syntaxique jusqu’au niveau de VP est pareille
que celle des verbes actifs, comme on le voit en (34) :
20 Guerssel et Lowenstamm (1996)
51
V’
VP
V [CV] a
√P
√’
√f3l Argument 2 (Patient)
Argument 1 (Agent)
Voix’
VoixP
Argument 2 (Patient)
Voix
V’
VP
V [CV] a
√P
√’
√f3l Argument 2
Argument 1
Voix’
VoixP
Voix
(34)
Toutefois, le fait que VP soit dominé par VoixP modifie la structure
argumentale. La voix passive, par définition, modifie la relation entre fonction
syntaxique et rôle thématique et accorde la fonction Sujet à l’argument « Patient »
au lieu de l’argument « Agent » ou « Thème ». 21 De la sorte, en plus de modifier le
timbre vocalique du morphème de la voix active, VoixP modifie l’ordre agencé par
celle-ci :
(35)
Lorsque VP est dominé par Voix P, il ne prend pas en charge la structuration
des arguments de la racine, puisque le passif change l’ordre des arguments. Ainsi,
le passif prend en charge les arguments de la racine et est responsable de la
fonction syntaxique de chacun d’eux. L’argument patient en position Complément
21Chomsky (1981) propose que le passif s’explique par un mouvement entre la structure profonde et la structure de surface : la morphologie passive absorbe le rôle thématique du sujet (de l’argument externe) ainsi que l’assignation d’un cas accusatif ; cela provoque le mouvement de l’argument interne qui vient occuper la place restée vide.
52
V’
VP
V [CV] a
√P
√’
√f3l Argument 2 (Patient)
Argument 1 (Agent)
Voix’
VoixP
Argument 2 (Patient)
Voix’
PP Argument 1 (Agent)
Voix
de √P se déplace dans la position Spécifieur de Voix P et aura par la suite la
fonction Sujet.
L’argument « Agent » en position Spécifieur de √P ne pouvant plus monter
en position Spécifieur de VP et étant dans une position qui ne lui permet pas
d’avoir une fonction syntaxique, il ne se réalisera pas et on aura une proposition du
type :
(36) kutibat ar-risaalat-u
a été écrite la lettre-nominatif ‘‘La lettre a été écrite.’’
Néanmoins, il est possible de le réaliser en tant que complément d’agent et
ce, comme dans la proposition suivante :
(37) kutibat ar-risaalat-u min qibali kariim-in
a été écrite la lettre-nominatif de la part Karim-génitif ‘‘La lettre a été écrite par karim.’’
Dans ce cas, l’argument « Agent » se déplacera et sera réalisé dans une
position Adjoint de Voix P :
(38)
Ainsi, le passif et l’actif de l’arabe classique ne constituent pas deux facettes
d’un même objet. Il ne s’agit pas d’un domaine VoixP où la voix serait soit active ou
passive et on ne parlera pas d’un domaine où on a un cas marqué et un cas non
marqué. Le passif ne s’exclut pas avec l’actif mais s’ajoute à celui-ci. Autrement dit,
53
V’
VP
V [CV] a
√P
√’
√f3l
Argument 2
Argument 1
Argument 1
lorsqu’on forme un passif on commence d’abord par former un actif puis on lui
ajoute un autre niveau pour lui donner la voix passive.
Un verbe à l’actif n’a pas une projection Voix P. Le fait d’être verbe indique
ipso facto qu’on a la voix active. Par contre, un verbe passif a besoin, pour se
réaliser, d’une projection VoixP ; d’ailleurs il serait préférable de parler de Passif P
au lieu de Voix P. De la sorte, le passif constitue un niveau en plus vers quoi le
verbe doit monter, sa réalisation se traduira par une apophonie que laissera voir
tout verbe qui monte dans cette projection.
7. Comment obtient-on une forme I ?
La forme I est la forme la plus simple du système verbale de l’arabe
classique. Elle se contente d’attribuer une projection verbale à une racine, lui
permettant ainsi, de se réaliser en tant que ‘Verbe’. Rappelons, ici, la structure qui a
été donnée en (32), et voyons comment obtient-on une forme I :
(39)
Tout d’abord, la racine √f3l, occupant la position Tête de √P, se déplace dans
la position Tête de VP. Le mouvement Tête à Tête place l’élément qui se déplace à
gauche de l’élément qui accueille. Par conséquent, on aurait dû avoir la suite « f3l +
Ca ». Toutefois, ces deux têtes contiennent des éléments de classes différentes, le
premier étant un élément lexical et le second un élément squelettal. L’association
entre ces deux éléments se fera en phonologie et opérera sur deux niveaux :
(40) Niveau lexical f 3 l
Niveau squeletal C V
54
La dépendance entre la tête V et la Racine n’est pas seulement d’ordre
sémantico-syntaxique mais elle l’est également d’un point de vue morpho-
phonologique. 22 En effet, V se réalise sous forme d’une position CV dont la position
vocalique est occupée par une voyelle « a ». Ce segment « Ca » ne peut pas exister à
l’état libre et se doit de s’associer à une autre entité. De même, la racine √f3l a
besoin d’un gabarit pour prendre forme, chose que lui confère la tête V ; tout
d’abord en tant que contenant d’un CV mais aussi, en tant que position qui
permettra à la racine de monter vers d’autres têtes fonctionnelles contenant
également des positions CV.
La racine ne contient que les trois consonnes sans que celles-ci aient des
positions CV. Les positions CV auxquelles s’associent les trois consonnes de la
racine sont insérées au fur et à mesure que la forme se construit. Le premier CV qui
associe la première consonne de la racine est le CV qui se trouve dans V. En effet, V
comporte une position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle
« a » mais dont la position consonantique est libre.
La première consonne de la racine s’associe, donc, à la position
consonantique libre du CV de V; ce qu’on pourrait représenter comme suit :
(41) f a 3 l
[C V] V
Reste maintenant à déterminer l’origine des deux autres positions CV
auxquelles s’associent chacune de la deuxième et de la troisième consonne de la
racine. En effet, si l’on conçoit qu’un verbe trilitère à la forme I possède un gabarit
composé de trois positions CV, celles-ci ne sont pas tributaires de la racine mais de
la forme verbale elle-même. La racine n’apporte que les trois consonnes et c’est la
22 La tête V s’assure d’avoir une entité lexicale qui lui confère un contenu sémantique et lui accorde un Sujet et un objet et la racine acquiert une fonction syntaxique et peut projeter ses arguments.
55
V ’
Aspect
Aspect’
VP
V f 3l
[CV] a
√P
Aspect [CV] ø
√’
√f3l argument
argument
forme verbale qui apporte les positions CV qui constitue un gabarit. Chaque
consonne de la racine sera associée à une position CV et, par ailleurs, chaque tête
fonctionnelle renfermera une position CV. De la sorte, les trois consonnes de la
racine trouveront les positions CV auxquelles s’associer dans les têtes
fonctionnelles que renferme la structure de la forme verbale.
La structure d’un verbe à la forme I renferme, en plus de √P et de VP,
l’Aspect et les marques de Personne, de Genre et de Nombre. De ce fait, les deux
consonnes de la racine ont largement la possibilité de s’associer à une position
consonantique libre d’une de ces positions CV. Nous savons déjà que la première
consonne de la racine prend place dans la position CV de la première tête
fonctionnelle qui sélectionne √P à savoir V. La deuxième position CV constituant le
gabarit d’une forme I, sera apportée par la tête fonctionnelle qui sélectionne VP, à
savoir AspectP :
(42)
Le CV sous Aspect contient dans sa position vocalique un élément « ø »; ce
que nous montre la réalisation d’une voyelle « i » lors du passage du perfectif à
l’imperfectif, sachant que la forme de l’imperfectif est dérivée par apophonie de la
forme du perfectif. Ainsi, étant donné que le perfectif n’a pas une marque
consonantique, la position C du CV reste libre et peut donc être occupée par la
deuxième consonne de la racine, comme montré en (43) :
56
V ’
Aspect
Aspect’
VP
√P
√’
√f3l argument
Agr’
AgrP
Agr [CV]
argument
V f 3l
[CV] a
Aspect f 3l
[CV]+[CV] a
(43) fa 3 l
[C V] (AspectP)
Après l’Aspect, la forme verbale marque la personne, le genre et le nombre.
Chacun de ses traits constitue une tête fonctionnelle qui comporte une position CV
et il n’arrive jamais que ces traits aient tous une marque consonantique : lorsque la
marque de la personne est consonantique, la marque du genre, elle, est vocalique.
Ainsi, il y a toujours une position consonantique libre à laquelle sera associée la
troisième consonne de la racine. De ce fait, nous présenterons tous les trais
d’accord sous une même projection AgreementP avec une seule position CV dont la
position consonantique est libre.
Dans une analyse plus détaillée, chaque forme aura une analyse différente
selon la personne le genre et le nombre qu’elle dénote. Toutefois, ce qui nous
intéresse ici c’est qu’avec tous ces traits et donc toutes les positions CV qui seront
générées, une seule accueillera la troisième consonne de la racine.
De la sorte, nous ne nous attarderons pas sur chaque trait mais nous
donnerons une représentation globale ‘Agr.’ avec une seule position CV :
(44)
La position CV sous Agr. Accueille la troisième consonne de la racine :
57
V ’
Aspect
Aspect’
VP
√P
Aspect f 3 l
[CV]+[CV] a
√’
√f3l argument
Agr’
AgrP
V f 3l
[CV] a
Agr f 3 l
[CV][CV]+[CV] a
argument
argument
argument
argument
(45) fa3 ø l
[C V] (AgrP)
Ainsi, avec trois positions CV, les trois consonnes de la racine ont chacune
une position consonantique libre à laquelle s’associer. La première consonne de la
racine s’associe à la position CV sous V dont la position vocalique est occupée par
une voyelle « a », la deuxième consonne de la racine s’associe à la position CV sous
Aspect dont la position vocalique est occupée par un élément « ø » et enfin la
troisième consonne de la racine s’associe à la position CV sous Agreement.
L’argument apporté par la racine en position Spécifieur suit la racine dans son
déplacement et finit dans la position Spécifieur de AgreementP, il aura la fonction
Sujet. Quant à l’argument qui occupe la position Complément de √P reste dans sa
position et aura la fonction Objet :
(46)
C’est ainsi que l’on obtient le gabarit d’une forme I, qui correspond exactement à ce
qu’ont proposé Guerssel et Lowenstamm et qu’on appelle le gabarit de base,
comme montré en (47) :
58
(47) f a 3 l
[C V] [C V] [C V] V Asp Agr
C’est ainsi qu’avec une racine √f3l, on obtient la forme « fa3øl », forme
considérée comme étant la forme de base de toute dérivation.23 Etant donné que
l’élément « ø» n’a pas un contenu phonétique, cette position vocalique sera
occupée, à la forme I, par une voyelle lexicale. L’existence de la voyelle lexicale
implique que la structure syntaxique du verbe est celle d’une forme I et que les
arguments de la racine n’ont pas été changés. Le choix de la voyelle lexicale
dépendra du rôle thématique du Spécifieur de √P et de la relation sémantique qu’il
entretient avec la racine. Ainsi, selon les caractères sémantiques du verbe, la
voyelle insérée en position V2 est soit « i », ou « a » ou enfin « u ».
8. Conclusion
L’analyse de la forme I a permis de déceler la structure de celle-ci et de
comprendre son processus de formation. La forme I est constituée d’une projection
VP qui sélectionne une projection √P. La projection √P apporte une racine qui
constitue les traits sémantiques du verbe et des arguments qui seront le sujet et le
complément d’objet du verbe. La projection VP apporte une structure verbale qui
agence les arguments de la racine et leur donne une fonction syntaxique. La tête de
VP, responsable de la structuration des arguments de la racine, est constituée
d’une position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle « a » que
l’on peut considérer comme étant le morphème de la voix active.
23 C’est la forme qu’on retrouve dans l’analyse morphophonologique de Guerssel et Lowenstamm (1996).
59
L’argument de la racine qui se trouve en position Spécifieur de √P monte
vers la position Spécifieur de VP et devient par la suite Sujet. L’argument de la
racine en position de Complément reste dans sa position et aura la fonction de
Complément direct. La racine monte en V et acquiert ainsi la catégorie syntaxique
« verbe ». La première consonne de la racine se placera dans la position
consonantique libre du CV sous V. Les deux autres consonnes de la racine
prendront place dans les positions CV des autres têtes fonctionnelles : la deuxième
consonne de la racine occupera la position consonantique libre du CV sous Aspect
et la troisième consonne de la racine occupera la position consonantique libre du
CV sous Agreement.
Il résulte de ces opérations une forme « fa3øl ». Selon la racine et ses
arguments, une voyelle lexicale sera insérée à la place de l’élément « ø » et on aura
soit « fa3il » ou « fa3al » ou encore « fa3ul », sans oublier qu’une autre stratégie
peut être adoptée pour remplacer l’élément « ». En effet, il est possible de copier la
voyelle « a » réalisée en V1 pour combler la position V2 et avoir « fa3al ».
Ainsi, l’étude de la forme I a répondu aux questions concernant la structure
de la forme I, le statut de la voyelle lexicale et l’origine des positions CV constituant
le gabarit verbal.
60
CHAPITRE 2
ANALYSE DE LA FORME VIII « fta3al »
1. Introduction
La forme VIII « fta3al » a la particularité de réaliser un morphème « t », non
pas dans une position préfixale mais entre la première et la deuxième consonne de
la racine. Un segment prothétique « ?i » est ajouté pour empêcher la succession de
deux consonnes en début de mot, comme l’exige l’arabe classique : « (?i)fta3al ».
La forme VIII a pour principal rôle d’indiquer le réflexif. Elle est considérée comme
étant la forme réflexive de la forme I. Toutefois, dans certains cas, ce rôle
s’estompe et laisse apparaître à la place un réciproque ou un passif.
61
Nous proposons dans ce chapitre de déterminer la structure syntaxique de
la forme VIII. Il s’agira de :
a. dévoiler les projections qui constituent une forme VIII ;
b. révéler l’origine et le statut du morphème « t » qu’elle manifeste ;
c. apporter une réponse concernant la position infixale de ce morphème ;
d. comprendre l’origine du sens réflexif de la forme VIII ;
e. discerner la source des emplois annexes non-réflexifs liés à cette forme.
Nous commencerons par présenter l’analyse morphophonologique
attribuée par Guerssel et Lowenstamm à la forme VIII, pour voir en quoi consiste
son gabarit ainsi que le mode d’association qui la sous-tend. Ensuite, nous
examinerons la forme VIII canonique (la forme réflexive), afin d’établir sa
structure syntaxique et le processus qu’elle suit pour son exécution. Enfin, nous
nous intéresserons aux formes VIII réciproques et passives, pour voir ce qui les
distingue de la forme VIII réflexive et ce qui est à l’origine de ces différentes
interprétations.
2. Quel gabarit pour la forme VIII ?
Commençons, tout d’abord, par rappeler le gabarit unique qui sert à générer
les dix formes verbales de l’arabe classique, il s’agit de : CV-CV(CV)CVCV. En ce qui
concerne la forme VIII « fta3al », l’analyse morphophonologique donnée par
Guerssel et Lowenstamm, montre que celle-ci associe le morphème « t » à la
première position CV du gabarit de base (cf.(48)) :
62
(48) f t 3 l
CV- CV C V CV a
De la sorte, le morphème « t » n’est associé ni à la position (CV)
dérivationnelle, ni même à la position CV- préfixale, laquelle sera identifiée par la
première consonne de la racine.
Dans le cadre de cette théorie, on considère qu’une forme VIII utilise un
gabarit de réflexif qui renferme, au préalable, un morphème « t ». Lors de
l’association des consonnes de la racine à ce même gabarit, la position C qui
accueille, en principe, la première consonne de la racine est déjà occupée.24
L’analyse syntaxique que nous présenterons, permettra de déterminer
l’origine du CV supplémentaire que renferme la forme VIII « fta3al » (comparé à
une forme I), et apportera une réponse quant au mode d’association établi pour
cette forme.
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VIII
Cette section est répartie en deux sous-sections. Dans la première, nous
étudierons l’emploi principal d’une forme VIII, à savoir le « réflexif ». Nous
dévoilerons le type de projections et les mouvements syntaxique qui aboutissent à
une forme VIII laquelle infixe un morphème « t ». Le statut et l’origine de ce
morphème seront également discernés. Dans la deuxième sous-section, nous nous
intéresserons aux emplois annexes d’une forme VIII. Il s’agit des cas où cette forme
cesse de dénoter le sens que lui procure sa structure syntaxique et se voit
véhiculer d’autres valeurs telles que le passif ou le réciproque. Nous montrerons
24Selon McCarthy (McCarthy1979), on assiste à une sorte de métathèse, dans la mesure où le morphème « t » échange sa position avec la première consonne de la racine.
63
que ces emplois annexes ne sont que des effets de sens tributaires des propriétés
de la racine et qu’ils gardent la même structure syntaxique et suivent le même
processus de formation qu’une forme VIII canonique.
3.1. Le réflexif, point de départ de l’analyse de la forme VIII
La forme VIII est connue pour indiquer le réflexif. Elle est considérée comme
étant constituée d’une forme I et d’un morphème de réflexif « t » ; ce qui lui a valu
le statut de la forme réflexive d’une forme I.
Voici quelques exemples de la forme VIII réflexive :
(49) ntaHara karim-un
s’est suicidé Karim-nominatif ‘‘Karim s’est suicidé.’’
(50) imtana3a al-walad-u 3ani at-tadxiin-i
s’est interdit le garçon nominatif de fumer-génitif ‘‘Le garçon s’est interdit de fumer.’’
(51) Rtasala 3ali
s’est lavé Ali-nominatif ‘‘Ali s’est lavé.’’
Avec la forme I correspondante, on a :
(52) naHara kariim-un jamal-an
a sacrifié Karim-nominatif un chameau-accusatif ‘‘Karim a sacrifié un chameau.’’
(53) mana3a al-?ab-u ?ibn-a-hu min at-tadxiin-i
a interdit le père-nominatif fils-accusatif-à-lui de fumer ‘‘Le père a interdit à son fils de fumer.’’
(54) Rasala 3aliyy-un as-sayyaarat-a
a lavé Ali-nominatif la voiture-accusatif
‘‘Ali a lavé la voiture.’’
Comparez l’exemple contenant la forme I « naHar » (sacrifier), donné en
(52), à celui avec la forme VIII « ntaHar » (se sacrifier), donné en (49). De même,
comparez l’exemple contenant la forme I « mana3 » (interdire), donné en (53), à
64
celui avec la forme VIII « imtana3 » (s’interdire), donné en (50). Enfin, comparez
l’exemple contenant la forme I « Rasal » (laver), donné en (54), à celui avec la
forme VIII « Rtasal » (se laver), donné en (51). Vous remarquerez que les formes I,
dans ces exemples, réalisent un Objet direct, qui disparait avec les formes VIII
correspondantes.
De la sorte, l’apparition du morphème « t », chose qui distingue la forme VIII
de la forme I, est accompagnée simultanément de la disparition de l’Objet direct
que l’on avait à la forme I.
Selon Wright (1896 : 42), le morphème « t » peut référer également à un
Objet indirect. Observons ces deux exemples :
(55) štawaa kariim-un laHm-an
s’est grillé Karim-nominatif la viande-accusatif ‘‘Karim s’est grillé de la viande.’’
(56) iltamasa kariim-un al-3afw-a min 3aliyy-in
a demandé.pour.soi Karim-nominatif le pardon-accusatif de Ali-génitif ‘‘Karim a demandé pardon à Ali.’’
Avec la forme I correspondante on a :
(57) šawaa kariim-un laHm-an li Duyuufi-hi
a grillé Karim-nominatif la viande-accusatif pour invités-génitif à lui ‘‘Karim a grillé de la viande pour ses invités.’’
(58) lamasa kariim-un al-3afw-a min 3aliyy-in li ?axii-h
a demandé Karim-nominatif le pardon-accusatif de Ali-génitif pour frère-génitif à lui ‘‘Karim a demandé le pardon pour son frère à Ali.’’
Maintenant, comparez l’exemple contenant la forme I «šawaa » (griller),
donné en (57), à celui avec la forme VIII «štawaa » (se griller), donné en (55), et
comparez l’exemple contenant la forme I « lamas » (demander), donné en (58) à
celui avec forme VIII « ltamas » (demander pour soi), donné en (56). Vous
remarquerez que les formes I, dans ces exemples, réalisent un Objet direct ainsi
65
qu’un Objet indirect alors que les formes VIII correspondantes, ne réalisent qu’un
Objet direct.
De la sorte, là où la forme I réalise deux Objets, les verbes correspondants à
la forme VIII, lesquels manifestent un morphème « t », ne réaliseront qu’un seul
Objet.
3.1.1. Le morphème « t », quel statut et quelle place ?
D’après les exemples, cités ci-dessus, il s’avère, que l’apparition du
morphème « t » va toujours de pair avec la disparition d’un Objet. De ce fait, nous
présumons que le morphème « t » est généré, tout simplement, dans la position
Complément de la racine ; il agit comme un pronom.25
Le morphème « t » instaure une coréférence entre le Sujet et l’Objet, ce qui
donne à la forme VIII son sens réflexif. En effet, si l’on reprend un des exemples de
la forme VIII réflexive, soit :
(59) Rtasala 3aliyy-un
s’est lavé Ali-nominatif ‘‘Ali s’est lavé.’’
On peut reconstituer la coréférence qui existe entre le Sujet et l’Objet de la
manière suivante :
(60) Rasala 3aliyy-un 3aliyy-an
a lavé Ali-nominatif Ali-accusatif ‘‘Ali a lavé Ali.’’
De la sorte, la racine peut apporter des arguments nominaux ou
pronominaux. Ces derniers peuvent être co-référents ou non ; dans le premier cas
on a affaire à des anaphores et dans le second à des pronoms libres. Le morphème
25 Cf. Kayne (1975).
66
« t » sera considéré comme une anaphore26. Ce morphème fonctionne comme le
pronom réflexif « se » du français.27 En voici un exemple :
(61) Pierre se lave.
(62) Pierre lave Pierre.
Ainsi, une racine telle que √Rsl dénote une action et compte deux
arguments. Celui qui est réalisé en position Complément peut se manifester, soit
sous une forme nominale (exemple : kariim/sayyaara) soit alors, sous forme d’un
morphème « t ». Dans ce dernier cas, une coréférence est aussitôt installée entre
les deux arguments.
En principe, tous les arguments de la racine peuvent avoir une forme
nominale ou une forme pronominale. Cependant, si l’argument Spécifieur se réalise
sous une forme pronominale, la forme ne pourra pas aboutir car ce dernier n’aura
pas un antécédent qui le lie. Cette situation n’est possible que si la racine est
dominée par une projection qui apporte un argument supplémentaire, lequel
servira d’antécédent au pronom en position de Spécifieur de √P ; le cas se présente
avec les formes V, VI et X.
26 Cf. Postma (1995), Doborvie-Sorin (1993,1998) pour le SE anaphore. 27 Concernant le SE du français, Burzio (1981) a établi des tests pour montrer que les verbes avec SE se comportent comme des verbes intransitifs et non pas comme des verbes transitifs. Il a proposé donc que SE ne prend pas la place d’un Objet ((Par exemple : la possibilité d’avoir SE avec un verbe enchâssé dans une structure du causatif « faire » alors qu’avec un pronom clitique, cela est impossible ou encore le fait que les verbes avec SE n’acceptent pas, lorsqu’ils sont à l’infinitif et enchâssés dans une structure du causatif d’introduire un Objet avec « à » au moment où les verbes transitifs doivent le faire). Ceci étant dit, il a fallu décider si les verbes en SE, considérés désormais comme intransitifs, étaient des inaccusatifs ou des inergatifs. Pour plusieurs linguistes (Cf. Marantz (1984), Bouchard (1984), Burzio (1986), Kayne (1986), Grimshaw (1990), Pesetsky (1995), Spotiche (1998), le SE est inaccusatif, c’est-à-dire qu’il absorbe le thêta-rôle externe (Ils se basent sur le fait, par exemple, que l’Objet du transitif et le Sujet de l’inaccusatif ont un même comportement dans les constructions relatives en contraste avec le Sujet de l’inergatif et du transitif, ou sur le choix de l’auxiliaire pour distinguer les transitifs et les inergatifs d’une part et les inaccusatif de l’autre ; les premiers utilisant « avoir » et les derniers « être»). Reinhart et Siloni (2004) optent pour un SE inergatif, c’est-à-dire un SE qui absorbe le théta-rôle interne et proposent que les verbes en SE sont dérivés de leur alternative transitive par une opération de réduction qui dans des langues comme l’Hébreu se fait dans le lexique (Cf. Chierchia (1989), Reinhart (1997) et dans des langues romanes se fait en LF.
67
À la forme VIII, le morphème « t » est réalisé uniquement dans la position
Complément. Signalons que seules les racines dont la structure comporte deux
arguments ou un seul argument, en position Complément, peuvent avoir une forme
VIII. Les racines qui renferment un seul argument en position Spécifieur ne se
prêtent pas à cette forme. De la sorte, le morphème « t » est bel et bien une
anaphore qui a besoin d’avoir un antécédent et qui doit donc, se trouver dans une
position plus basse que ce dernier.
La même observation s’applique à la forme réflexive dont le morphème « t »
renvoie, selon Wright, à un Objet indirect : le morphème « t » prend la place de
l’Objet indirect et est également co-référent au Sujet. Reprenons un des exemples
cités ci-dessus :
(63) štawaa kariim-un laHm-an
s’est grillé Karim-nominatif la viande-accusatif ‘‘Karim s’est grillé de la viande.’’
La proposition en (63) peut être explicitée comme suit :
(64) šawaa kariim-un laHm-an li kariim-in
a gillé Karim-nominatif de la viande-accusatif pour Karim-génitif ‘‘Karim a grillé de la viande pour Karim.’’
Le morphème « t » semble indiquer une coréférence entre le Sujet et l’Objet
indirect. Nous verrons, par la suite, qu’il s’agit plutôt d’un deuxième Objet direct.
En français, la même situation se présente avec le pronom réflexif « se » :
(65) Pierre s’est grillé de la viande.
(66) Pierre a grillé de la viande pour Pierre.
Ainsi, le morphème « t » infixé au verbe semble prendre la place de
l’argument Objet direct ou indirect créant, ainsi, une coréférence avec l’argument
Sujet. Le fait que celui qui subit une action ou qui en bénéficie soit le même que
celui qui la fait, engendre le sens réflexif.
68
V’
VP
V [CV] a
√P
√’
√Rsl
SaHn
3ali
La forme VIII se contente de réaliser un morphème « t » à la place de
l’argument Objet. De ce fait, ce qui distingue la forme VIII de la forme I ne réside
pas dans sa structure syntaxique proprement dite, mais se limite à l’appareil
argumental de la racine.
Donnons ici la structure syntaxique de la forme I « Rasal » :
(67)
Lorsqu’on paraphrase une forme VIII, tout ce qui en ressort, c’est un
argument co-référent au Sujet :
(68) Argument fta3ala
(69) Argument i fa3ala Argument i
La proposition préalable à celle en (68) est :
(70) Argument fa3ala t
Manifestement, le morphème « t » se réalise à la place de l’argument
Complément, comme montré en (70). Ce morphème se greffe au verbe, comme
montré en(68), lui procurant ainsi le sens « réflexif » et une position CV
supplémentaire. En effet, bien que le morphème « t » ne soit pas dans une position
tête, il est considéré comme étant un morphème grammaticale et sera donc dotée
d’une position CV.
69
V’
VP
V [CV] a
√P
√’
√Rasal
t [CV]
3ali
De ce fait, la structure de la forme VIII « Rtasal » se présente comme suit :
(71)
Notre analyse du morphème « t » de l’arabe classique, se rapproche de celle
de Reinhart & Siloni (2004) dans le sens où nous considérons que « t » occupe une
position Objet et donc absorbe le téta-rôle interne. Cependant, nous ne parlons pas
de règles de réduction, que ce soit dans le lexique ou en LF. Nous proposons que,
dès le départ, la racine réalise un argument « t » à la place d’un argument nominal.
Cet argument bénéficie d’une position argumentale et d’un rôle thématique au sein
du domaine de la racine. Cependant, étant un pronom faible et n’ayant pas une
référence en soi, il ne pourra pas prétendre à une position syntaxique. Au-delà de
√P, il devra se greffer à une unité lexicale qui absorbera son rôle thématique.
De ce fait, le verbe à la forme VIII est, bien évidemment, un verbe intransitif
puisqu’il n’a pas une position syntaxique Objet mais il demeure un verbe avec deux
arguments. Rappelons-le, c’est la racine qui proposent les arguments et les rôles
thématiques et c’est V qui les dispose.28 Par conséquent, si un argument ne peut
pas avoir une position syntaxique, cela n’implique pas qu’il n’existe pas. La
structure que nous avons proposée pour la racine, nous permet de séparer entre
arguments et rôles thématiques d’une part, et fonction syntaxique d’autre part.
28 Cf. Analyse de la forme I, P : 45 .
70
V’
VP
V [CV] a
√P
√šwy
laHm
kariim
li t [CV]
Voyons maintenant comment se présente la forme VIII réflexive dont le
pronom, selon Wright, prend la position d’un Objet indirect. Rappelons un des
exemples cités antérieurement :
(72) štawaa kariim-un laHm-an
s’est grillé Karim-nominatif la viande-accusatif ‘‘Karim s’est grillé de la viande.’’
La proposition en (72) peut être explicitée comme suit :
(73) šawaa kariim-un laHm-an li kariim-in
a gillé Karim-nominatif de la viande-accusatif pour Karim-génitif ‘‘Karim a grillé de la viande pour Karim.’’
Dans cette structure, nous avons trois arguments : un « agent », un
« patient » et un « bénéficiaire ». C’est ce dernier argument qui assume la fonction
Objet indirect et donc, si l’on croit Wright, c’est lui qui sera réalisé sous forme d’un
morphème « t ». Ce troisième argument n’occupera pas la position Complément
mais sera plutôt en position Adjoint de √P :
(74)
Remarquez, ici, que la racine √šwy est une racine du type Racine-
Complément ; l’argument Sujet est apporté par VP. Dans une telle configuration, il est
difficile de concevoir un liage entre le pronom « t » en position Adjoint de √P et le
nom en position Spécifieur de VP, vu que les deux ne sont pas adjacents.
Pour cette raison, nous proposons que ce morphème prenne la place d’un
Objet direct. En effet, en arabe classique on peut introduire un troisième argument
soit au génitif soit alors à l’accusatif, comme dans l’exemple (75) :
71
V’
VP
V [CV] a
√P
√šwy
laHm
kariim
3ali
(75) kariim-un šawaa laHm-an li 3aliyy-in
Karim-nominatif a grillé de la viande-accusatif pour 3ali-génitif ‘‘Karim a grillé de la viande pour Ali.’’
(76) karim-un šawaa 3aliyy-an laHm-an
Karim-nominatif a grillé 3ali-accusatif de la viande-accusatif ‘‘Karim a grillé (pour) Ali de la viande .’’
La proposition en (75) manifeste un Objet indirect tandis que celle en (76)
manifeste un deuxième Objet direct. Il s’ensuit, dans ce dernier cas, une
proposition avec deux Objets directs et non pas avec un Objet direct et un Objet
indirect.
Voyons ce que cette rectification peut apporter à notre analyse de la forme
VIII « štawaa ». Tout d’abord, signalons que le fait d’avoir deux Objets directs
n’indique pas que la structure syntaxique aura recours à une autre position que
celle de Adjoint √P. Le troisième argument continuera d’occuper cette position. Ce
qui va changer, comme on peut le voir dans la proposition donnée en (76), c’est la
disposition du deuxième et du troisième argument. En effet, l’argument
« bénéficiaire » qui dans une construction indirecte occupait la troisième position,
occupera, désormais la deuxième position. De ce fait, il ne sera plus placé en
Adjoint de √P mais en Complement de √P :
(77)
De la sorte, le morphème « t » qui vient se réaliser à la place de l’argument
« bénéficiaire » occupera la position Complément de √P et non pas Adjoint de √P ;
position qui lui permet d’être lié à son antécédent :
72
V’
VP
V [CV] a
√P
√šwy
laHm
kariim
[CV] t
(78)
Ainsi, la structure de ce que Wright appelle ‘forme réflexive indirecte’ est en
réalité, une structure englobant deux Objets directs dont le premier est réalisé
sous forme d’un morphème « t ». La position de ce dernier reste inchangé. Le sens
de réflexivité indirect est tributaire de la présence d’un argument adjoint.
3.1.2. Comment le morphème « t » s’est-il retrouvé en position infixale ?
Dans cette section, nous proposons de voir comment on obtient la forme
VIII « fta3al », avec un infixe, à partir d’une structure renfermant une projection VP
et une projection √P dont l’argument en position Complement est un morphème
« t ».
Nous savons qu’à la forme I, la racine √f3l monte en V et s’associe à la
position consonantique du CV contenu dans ce dernier. Nous savons aussi qu’à la
forme VIII, l’argument Objet s’est réalisé sous forme d’un morphème « t » et que ce
dernier, étant un morphème faible, il ne pourra pas exister à l’état libre et doit
alors se greffer au verbe. La question qui se pose est de savoir à quel niveau le
morphème « t » s’associe à la forme verbale. Deux cas sont possibles :
a. soit le morphème « t » monte en V après le déplacement de la racine ;
b. soit, alors, il s’associe à la racine avant que celle-ci ne monte en V.
Dans le premier cas, le morphème s’ajouterait à une forme I voire à une
forme « fa3l » ; après l’association de la racine au CV sous V. La montée du
73
V’
VP
V [CV] a
√P
√’
√ Rsl | [CV] t
t [ CV]
3ali
morphème « t » en V le placerait à gauche de la forme « fa3l », ce qui donnerait une
forme « *tfa3al ».
(79) * t f a 3 l
[C V]+ [C V] t V
Cette forme n’étant pas la forme attestée, cette solution ne sera pas retenue.
Dans le deuxième cas, le morphème « t » est associé à la racine avant que
celle-ci ne monte en V. C’est cette solution qui aboutit à la forme VIII et qui donne
au morphème « t » sa position infixale. Nous allons montrer comment.
Le morphème « t » apporte une position CV, mais comme il ne peut pas
subsister à l’état libre, il doit s’associer à un élément lexical. Entant que
Complément de la racine, sa position lui permet de fusionner avec la tête qui le
sélectionne, à savoir la racine √Rsl :
(80)
Cette fusion aura pour conséquence d’associer la racine à la position C de ce
CV. En effet, la racine identifie toujours la position C du CV de l’élément auquel elle
a été associée en premier ; que ce soit par un mouvement de Tête à Tête ou pas
fusion de Tête-Complément.
74
V’
VP
V R sl | [CV]+[CV] | t a
√P
√’
t [CV]
3ali
3ali
√Rsl | [CV] t
V’
VP
√P
√’
t CV
3ali
3ali
Asp’
Asp P
Agr P
Agr’
Asp R s l | | [CV][CV]+[CV] | t a
3ali
√Rsl | [CV] t
V R sl | [CV]+[CV] | t a
Agr R s l | | |
[CV][CV][CV]+[CV] | t a
Ensuite, √ qui, à présent, contient et la racine √Rsl et le morphème « t », avec
son CV, monte vers V ; sans oublier que l’argument en position Spécifieur de √P
monte dans la position Spécifieur de VP :
(81)
Le déplacement de la racine en V placera le CV de « t », présentement occupé
par la racine, à gauche du CV contenu dans V.
Ensuite, pour acquérir les traits d’aspect et d’accord, V se déplace dans la
tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux positions CV qui associent la
deuxième et la troisième consonne de la racine. L’argument en position Spécifieur
de VP finit dans la position Spécifieur de AgrP :
(82)
Ainsi, on obtient sous la tête Arg, quatre positions CV, un morphème « t » et
une racine √Rsl. L’association au gabarit se fera comme suit :
75
� La racine s’associe à la position C du CV apporté par le morphème « t » ;
� Le morphème « t » s’associe à la position C du CV apporté par V ;
� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté
par AspectP ;
� La troisième consonne s'associe à la position C du CV apporté par
AgreementP.
On obtient ainsi le gabarit tel qu’élaboré par Guerssel et Lowenstamm :
(83) R t a s l
[C V][C V][C V][C V] t V Asp Agr
Il s’avère ainsi que la seule chose qui différencie la forme VIII « Rtasal » de la
forme I « Rasal » est le fait que l’argument en position Complément de la racine se
soit réalisé entant que morphème « t » au lieu d’un lexème. En conséquence, ce
morphème fera partie intégrante de la forme verbale et lui donnera le sens
« réflexif ».
3.2. Un morphème du réflexif et des formes non-réflexives
La forme VIII est une forme réflexive par excellence, puisqu’elle renferme un
morphème anaphorique qui crée une coréférence entre Sujet et Objet. Cependant,
il arrive que cette forme se détourne de cet emploi principal et dénote soit le passif
ou le réciproque. Nous proposons dans cette sous-section d’examiner ces deux cas
et de voir ce qui est à l’origine de cette différence d’interprétation.
76
3.2.1. Le réciproque, un réflexif avec un plus
Il existe des cas où, dans une forme VIII, le réflexif laisse place au
réciproque ; cf. Wright (1896 : 42) ; Sibawayh (1938 : 69). Observons ces deux
exemples :
(84) qtatala an-naas-u
se sont entretués les gens-nominatif ‘‘Les gens se sont entretués.’’
(85) xtaSama al-3ummaal-u
se sont contestés les ouvriers-nominatif ‘‘Les ouvriers se sont contestés.’’
Avec la forme I correspondante, on a :
(86) qatala al-mujrim-u an-naas-a
a tué le criminel-nominatif les gens-accusatif ‘‘Le criminel a tué des gens.’’
(87) xaSama al-3ummaal-a al-Hukumat-a
a contesté les ouvrier- nominatif le gouvernement-accusatif ‘‘Les ouvriers ont contesté le gouvernement.’’
Comme c’est le cas pour les formes VIII réflexives, les formes VIII données
dans ces exemples, en (84) et (85), réalisent un morphème « t » à la place de
l’argument nominal que l’on observe dans les formes I correspondantes, données
en (86) et (87). Remarquez que le Sujet des formes VIII est pluriel.
Le morphème « t » infixé au verbe indique une coréférence entre l’argument
Objet et l’argument Sujet. En effet, si l’on reprend l’exemple de la forme VIII
« qtatal », donné en (84), on peut expliciter la coréférence entre Sujet et Objet
comme suit :
(88) qatala an-naas-u an-naas-a
a tué les gens-nominatif les gens-accusatif ‘‘Les gens ont tué des gens.’’
77
Ainsi, l’opération est la même que dans les formes VIII réflexives mais le
résultat n’est pas le même : la forme VIII « qtatal » véhicule le réciproque au lieu du
réflexif. En effet, le verbe « qtatal » ne se traduit pas par (se sont tués) dans le sens
où « chacun a tué soi-même » mais se traduit par (se sont entretués) dans les sens
où « les uns ont tués les autres ».
Une des propriétés des formes VIII réciproques est qu’elles se réalisent
toujours avec un Sujet pluriel. Ceci nous amène à se demander si l’origine de cette
distinction entre les formes réflexives et les formes réciproques ne provient pas du
fait que le Sujet soit pluriel.
Pour le savoir, il suffit de mettre l’exemple de la forme VIII réflexive
« Rtasal » avec un Sujet pluriel :
(89) Rtasala an-naas-u
se sont lavés les gens-nominatif ‘‘Les gens se sont lavés.’’
Avec un Sujet pluriel, la forme VIII « Rtasal » n’indique pas que « les gens se
sont lavés les uns les autres » mais que « chacun d’eux a lavé soi-même ». De ce fait,
malgré le fait que les arguments co-référents soient pluriels, on n’obtient pas le
réciproque. Le réflexif reste présent, ce qui montre que le réciproque que l’on
obtient avec « qtatal » n’est pas dû seulement à la pluralité du Sujet.
Procédons maintenant à l’inverse, et mettons au singulier le Sujet qu’on a
avec la forme VIII réciproque, donnée en (84), pour voir si elle change en une
forme réflexive. On devrait pouvoir avoir :
(90) *qtatal kariim-un
s’est tué Karim-nominatif ‘‘Karim s’est tué.’’
78
Sachant que la co-référence entre Objet et Sujet est à expliciter comme suit :
(91) *qatala kariim-un kariim-an
a tué Karim-nominatif Karim-accusatif ‘‘Karim a tué Karim.’’
Pourtant, cette proposition n’est pas possible en arabe classique. Le verbe
qui rend compte de ce sens est « ntaHar » (se suicider). La racine √qtl exige que les
arguments impliqués dans cette action soient différents, chose que permet la
réalisation d’un sujet pluriel puisque la co-référence entre arguments pluriels
laisse place à une interprétation du type « les uns les autres ». En effet, la présence
de deux groupes identiques n’empêche pas que les actants impliqués dans le même
événement soient, quant à eux, distincts : chaque personne du groupe « les gens »
est en relation avec une autre « personne » du même groupe « les gens ».
Ainsi, le réciproque est généré à cause de la racine √qtl qui n’accepte
d’accueillir le morphème « t » que si l’argument Sujet est pluriel, auquel cas la
coréférence entre arguments n’est pas totale.
Toutefois, en dehors du sens de la racine qui semble apporter des
restrictions, sa structure nous interpelle. En effet, nous avons des raisons de
penser que cette racine est du type Racine-Complément et que le Sujet qui apparait
à la forme I et à la forme VIII est, en fait, apporté par VP.29 De ce fait, la coréférence
dont il est question dans cette forme est établie entre un argument apporté par VP
et un autre apporté par la racine. Nous pensons que cette configuration peut être à
l’origine du fait que cette coréférence ne soit pas totale, et qu’il en découle un
réciproque.
29 La structure de cette racine sera confirmée lors de l’étude de la forme II intensive. L’étude de chacune des formes VII et de la forme II apportera des indices de type structurel pour repérer les racines du type Racine-Complément. L’étude la forme VIII ne donne pas des éléments qui aboutissent à décider de l’existence de ce type de racines mais apporte un critère qui permet de le consolider. Apparemment, ces racines, même dans une structure du réflexif, refuse d’indiquer une coréférence totale et par conséquent, dénote un autre sens que le réflexif. C’est la preuve que ce verbe n’est pas un vrai transitif.
79
V’
VP
V [CV] a
√P
√qtl
t [CV]
naas
Ceci étant, si le fait que l’argument Sujet soit apporté par VP, et non pas par
la racine, a une incidence sur le sens de la forme verbale, il n’interfère en rien dans
sa structure ni dans le processus de formation qu’elle suivra pour sa réalisation. La
réciprocité qu’on attribue à la forme VIII « qtatal », n’est qu’un effet de sens généré
par le sens et la structure de la racine √qtl. Pour ce qui est de la structure
syntaxique de cette forme, elle reste conforme à celle d’une forme VIII canonique.
Ainsi, la structure d’une forme VIII réciproque est la suivante :
(92)
La forme VIII réciproque suivra le même processus de formation que la
forme VIII réflexive. Le lecteur peut se référer à la sous-section sur l’exécution de
cette dernière (cf.3.1.2). Le fait que le morphème « t » n’ait pas un antécédent dans
le domaine √P ne pose aucun problème, car dans la position qu’il occupe, il est
gouverné par VP et peut être lié par l’argument que ce dernier apporte ; vu
qu’aucune position argumentale ne les sépare.
3.2.2. Le passif, un réflexif avec un moins
Dans certaines formes VIII, le réflexif laisse place au passif, cf. Wright
(1896 : 42). Observons les deux exemples suivants :
(93) mtala?a al-ka?s-u
s’est rempli le verre-nominatif ‘‘Le verre s’est rempli.’’
(94) rtada3a al-3aduww-u
s’est replié l’ennemi-nominatif ‘‘L’ennemi s’est replié.’’
80
A la forme I correspondante, on a :
(95) mala?a kariim-un al-ka?s-a
a rempli Karim-nominatif le verre-accusatif ‘‘Karim a rempli le verre.’’
(96) rada3a al-jayš-u al-3aduww-a
a repoussé l’armée-nominatif l’ennemi-accusatif ‘‘L’armée a repoussé l’ennemi.’’
Les formes VIII données en (93) et en (94) réalisent un morphème « t » à la
place de l’Objet nominal que l’on peut percevoir avec les formes I données en (95)
et en (96). Elles se comportent de la même manière que les formes VIII réflexives.
Cependant, les formes VIII dont il est question, ici, ne dénotent pas le réflexif mais
le passif.
Il est intéressant de rappeler ici que l’arabe classique a le moyen de former
un passif syntaxique. Un verbe comme « mala? » s’y prête parfaitement :
(97) muli?a al-ka?s-u
est rempli le verre-nominatif ‘‘Le verre a été rempli.’’
Quoiqu’on puisse voir dans la forme VIII « mtala? » un sens passif, la réalité
dont elle rend compte est différente de celle de la forme I passive « muli? ». En
effet, dans cette dernière, un agent peut être explicité et introduit dans la
proposition par une préposition :
(98) muli?a al-ka?s-u min qibal kariim-in
le verre-nominatif a été rempli de la part de Karim-génitif ‘‘Le verre a été rempli par Karim.’’
Quant à la forme « mtala? » donnée en (93), elle indique que l’argument qui
fait l’action est lui-même celui qui la subit ; conséquence de la réalisation du
morphème anaphorique « t ». On devrait, donc, pouvoir reconstituer la proposition
donnée en (93) comme suit :
81
(99) *mala?a al-ka?s-u al-ka?sa
a rempli le verre-nominatif le verre-accusatif ‘‘Le verre a rempli le verre.’’
Ce qui laisse perplexe dans cet exemple c’est le fait que l’argument qui fait
l’action « mala? » ait le trait [-animé] ; c’est certainement ce qui explique que l’on
ait attribué un sens passif à la forme VIII « mtala? ». Pour avoir un réflexif, il faut
obligatoirement que le Sujet puisse faire une action (dont il sera également le
Patient), ce qui implique qu’il soit « agent » et qu’il ait le trait [+animé].
Une racine telle que √ml? indique une action et nécessite deux arguments :
un agent et un patient. Le premier doit avoir la propriété de «pouvoir remplir » et
le second celle de pouvoir « être rempli » ; soit « kariim » et « ka?s ».
Dans le cas présent, un des arguments de la racine s’est réalisé sous forme
d’un morphème « t » et l’argument qui s’est réalisé sous une forme nominal est
« ka?s » (verre). Il s’agit de l’argument que l’on retrouve, à la forme I, dans la
position Complément et qui a le trait [-animé]. Vu que cette forme VIII indique le
passif, on pourrait être tenté de penser que l’argument qui se réalise sous forme
pronominale n’est pas celui en position Complément, comme c’est le cas pour les
formes VIII réflexives, mais est celui qui est en position Spécifieur. Toutefois, nous
savons qu’une telle configuration n’est pas possible car un pronom « t » dans une
position où il n’aura pas d’antécédent ne pourra pas être lié et par conséquent la
formation du verbe échouera.
Ceci étant dit, si l’on a l’impression qu’avoir « ka?s » en position Sujet pose
un problème parce que ce dernier ne peut pas être agent, il ne faut pas ignorer qu’il
répond à la propriété « pouvoir remplir » dans le sens où l’on retient dans le mot
« ka?s » non pas le récipient ; comme c’est le cas pour ce même mot en position
complément d’Objet ; mais la capacité de contenance.
Ainsi, la présence du mot « ka?s » dans les deux positions Sujet et Objet, par
le biais de la coréférence, est envisageable. Néanmoins, vu que le Sujet réfère à un
82
Objet inanimé qui ne peut pas faire une action, la valeur du réflexif se perd laissant,
ainsi, place au passif. On peut retrouver cette valeur avec des Sujets [+animé]
auquel cas, le passif provient du fait que l’événement dénoté par le verbe ne
supporte pas d’être fait et subit par une même personne ; c’est ce qu’on avec la
forme VIII « rtada3 » donnée dans l’exemple (94). En tout cas, le réflexif laisse
place au passif, quant il y a une lacune soit dans les traits du Sujet soit dans ceux du
verbe.
Ceci étant dit, un autre critère est à prendre en considération car il peut
être à l’origine de l’absence du réflexif ; il s’agit de la structure de la racine √ml?.
Nous pensons que cette racine est, comme la forme précédente, du type Racine-
Complément ;30 ce qui implique que l’argument Sujet qui sert d’antécédent au
morphème « t » est apporté par VP.
Il paraît ainsi que le fait que les arguments co-référents ne soient pas, tous
les deux, apportés par la racine, empêche la réalisation du réflexif. Il s’ensuit soit
un réciproque, si le Sujet est pluriel, ou à un passif, si le Sujet est [-animé].
Ceci étant dit, si le fait que VP apporte l’argument Sujet semble avoir une
incidence sur le sens de la forme VIII, il n’en est pas de même pour ce qui est de sa
structure. La forme VIII « mtala? » renferme la même structure qu’une forme VIII
réflexive, à savoir un argument Complément qui se réalise sous forme d’un
morphème « t » et qui prend pour antécédent l’argument Sujet (cf. (100) ):
30Nous n’avons pas encore les moyens, à ce stade de l’analyse, de démontrer cette proposition. Les critères qui permettent de reconnaitre une racine du type Racine-Complément seront apportés lors de l’analyse de la forme II et de la forme VII. Nous anticipons, ici, en disant que la racine √ml? s’y prête. Cependant, que la forme VIII ne puisse pas indiquer le réflexif avec ce type de racine montre que ces verbes ne sont pas de vrais transitifs et apporte un test supplémentaire pour discerner les racines du type Racine-Complément.
83
V’
VP
V [CV] a
√P
√ml?
t [CV]
ka?s
(100)
Devant une même structure, le même processus est enclenché. En effet, la
forme VIII passive procédera aux mêmes mouvements et associations qu’une
forme VIII réflexive (cf. 3.1.2, sur l’exécution de la forme VIII réflexive).
4. Conclusion
Malgré les différentes interprétations que l’on attribue à la forme VIII, elle
reste la forme réflexive par excellence.
L’examen des différents emplois que l’on attribue à cette forme montre que
celle-ci instaure à chaque fois une coréférence entre les deux arguments dont
résulte, naturellement, le « réflexif ». Toutefois, le sens et la structure de la racine
ainsi que la nature ou le nombre de l’antécédent peuvent laisser interpréter cette
coréférence comme étant un réciproque ou un passif.
La forme VIII est produite lorsque l’argument Complément de la racine est
réalisé entant que morphème « t ». Ce morphème ne peut pas se maintenir à l’état
libre et fusionne avec la racine qui le sélectionne. Cette fusion est responsable de la
position qu’occupe « t » au sein de la forme VIII « fta3al ».
En effet, vu que la racine s’attache à la position C du premier CV auquel elle
est associée, elle va identifier le CV apporté par « t ». Lorsque la racine se déplace
en V, le CV auquel elle est associée prendra place à gauche du CV de V. Ce dernier
restant vide, accueille le morphème « t ». De la sorte la première position CV est
occupée par la première consonne de la racine et la deuxième position CV est
occupée par l’élément « t », d’où la position infixale du morphème « t » : « fta3al ».
84
CHAPITRE 3
ANALYSE DE LA FORME II « fa33al »
1. Introduction
La forme II « fa33al » se distingue morphologiquement de la forme I
« fa3al » par la gémination de la deuxième consonne de la racine. Nous
interprétons la réalisation d’une géminée comme un signe de l’existence d’une
position CV supplémentaire dans son gabarit, comparé à celui de la forme I.
Cette forme est connue pour véhiculer :
a. le causatif,
85
b. l’intensif,
c. l’estimatif,
d. un emploi dénominal.
Les diverses valeurs que l’on attribue à la forme II, soulèvent la question de
savoir s’il s’agit dans tous ces cas d’une même forme ou de plusieurs formes
homonymes. En effet, qu’une même forme puisse véhiculer deux réalités
grammaticales aussi disparates que le causatif et l’intensif, invite à discerner la
structure syntaxique qui se cache derrière.
L’analyse que nous proposons pour la forme II, permettra de :
a. élaborer une structure syntaxique unique ;
b. déterminer le statut et l’origine de la position CV dont émane la
gémination de la deuxième consonne radicale ;
c. saisir les différentes significations que peut dénoter la forme II « fa33al ».
Dans ce chapitre, nous commencerons d’abord par rappeler l’analyse
morphophonologique qui a été attribuée par Guerssel & Lowenstamm à la forme
II, pour voir en quoi consiste son gabarit ainsi que le mode d’association qui la
sous-tend. Ensuite, nous examinerons la forme II canonique, à savoir celle qui
véhicule le causatif, afin de cerner son environnement syntaxique et d’établir le
type de projections et de mouvements qui produisent une forme II. Enfin, nous
nous intéresserons aux emplois annexes, donnés en (b), (c) et (d) afin de s’assurer
qu’ils se soumettent à la même structure syntaxique et de découvrir la source des
différentes interprétations de cette forme.
86
2. Quel gabarit pour la forme II ?
Rappelons que le gabarit unique qui sert à générer les dix formes verbales
de l’arabe classique est : CV-CV(CV)CVCV. Selon l’analyse morphophonologique
proposée par Guerssel et Lowenstamm, la forme II utilise la position
dérivationnelle (CV) pour géminer la deuxième consonne de la racine :
(101) f 3 l
CV (CV) CVCV a
Ainsi, pour réaliser une forme II « fa33al », il suffit d’identifier la position
(CV), dite dérivationnelle, par la deuxième consonne de la racine. La gémination de
la deuxième consonne est considérée comme conduisant à l’activation d’une
position tête du gabarit.
Signalons que cette position (CV) dérivationnelle sert également à produire
la forme III. Dans cette dernière, c’est la voyelle « a » qui se propage sur la position
V de ce CV. Face à cette situation, la question de savoir laquelle de la voyelle « a »
ou de la deuxième consonne de la racine va occuper le (CV) dérivationnel, se pose
d’emblée. Une des réponses possibles serait de dire que les deux cas se présentent,
et que selon l’élément qui active cette position (CV), on obtiendra soit une forme II
ou une forme III. Néanmoins, il serait intéressant de pouvoir prévoir, à l’avance, le
mode d’association qui s’effectuera et de voir ce qui stimule tel ou tel choix ; chose
que permet l’analyse syntaxique que nous proposons pour la forme II (et
ultérieurement pour la forme III).
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme II
Dans cette section, nous commencerons par traiter l’emploi principal d’une
forme II, à savoir le causatif, qui servira de point de départ pour dévoiler les
87
projections qui constituent une forme II et le processus qu’elle suit dans sa
formation. Ensuite, nous nous intéresserons aux emplois annexes qui constituent
les différentes interprétations que peut avoir une forme II et qui sont tributaires,
comme nous le verrons par la suite, des propriétés de la racine. Signalons qu’un
des emplois annexe de la forme II, à savoir l’intensif, sera traité dans une sous
section indépendante et ce, pour l’importance qui est donnée à cet usage.
3.1. Le causatif, point de départ pour l’analyse de la forme II
Le causatif est l’emploi pour lequel la forme II est la plus connue. C’est en
étudiant la forme causative que l’on établira la structure syntaxique d’une forme II
« fa33al », après quoi elle servira de base de comparaison pour les autres usages
non-causatifs de la forme II.
Soit les exemples suivants d’une forme II causative :
(102) 3allama kariim-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a
a enseigné Karim-nominatif Ali-accusatif la natation-accusatif ‘‘Karim a enseigné la natation à Ali.’’
(103) Hammala kariim-un 3aliyy-an al-biDaa3at-a
a fait porter Karim-nominatif Ali-accusatif la marchandise-accusatif ‘‘Karim a fait porter la marchandise à Ali.’’
(104) farraHa al-?ab-u aT-Tifl-a
a rendu content le père-nominatif l’enfant-accusatif ‘‘Le père a rendu l’enfant content.’’
Voyons comment sont agencées les propositions avec la forme I
correspondante :
(105) 3alima 3aliyy-un al-Haqiiqata
a su Ali-nominatif la vérité-accusatif ‘‘Ali a su la vérité.’’
(106) Hamala 3aliyy-un al-biDaa3at-a
a porté Ali-nominatif la marchandise-accusatif
‘‘Ali a porté la marchandise.’’
88
(107) fariHa aT-Tiflu
est content l’enfant-nominatif ‘‘L’enfant est content.’’
Les exemples avec les formes II laissent apparaitre un argument
supplémentaire par rapport à ceux avec les formes I correspondantes.31 En effet, la
proposition en (106) avec la forme I « Hamal » contient deux arguments (celui qui
fait l’action et le but de l’action) alors que celle en (103) avec la forme II
« Hammal » renferme trois arguments (celui qui fait faire l’action, celui qui fait
l’action et le but de l’action).
De même, la proposition en (107) avec la forme I « fariHa » contient un
argument (celui qui est dans un état) tandis que celle en (104) avec la forme II
« farraHa » renferme deux arguments (celui qui fait être dans un état et celui qui
est dans un état).
De surcroit, les formes II citées ci-dessus, manifestent un prédicat
supplémentaire par rapport aux formes I correspondantes :
(108) 3alima --> 3allama
[X sait] [Y fait X sait]
(109) Hamala --> Hammala
[X porte] [Y fait X porte]
(110) fariHa --> farraHa
[X est content] [Y fait X est content]
3.1.1. L’entrée en scène d’une nouvelle projection : vP
Les différents exemples cités ci-dessus montrent que la forme II apporte un
prédicat du type « faire »/« rendre » et ajoute un argument externe (un agent
causateur). Ces deux propriétés font la structure d’une forme II causative.
31. Wright (1896 : 31) souligne qu’à la forme II au sens causatif ou factitif, les verbes qui étaient intransitifs, à la forme I, deviennent transitifs et les verbes qui étaient transitifs deviennent bi-transitifs.
89
Reprenons un de ces exemples :
(111) 3allama kariim-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a
a enseigné Karim-nominatif Ali la natation-accusatif ‘‘Karim a enseigné la natation à Ali.’’
La forme II « 3allam » peut être paraphrasée comme suit :
(112) ja3ala kariim-un 3aliyy-an ya-3lamu as-sibaaHat-a
a fait Karim-nominatif Ali- accusatif il sait la natation-accusatif ‘‘Karim a fait que Ali sache la natation.’’
Ainsi, la forme II « 3allama » qu’on traduit en français par « enseigner », se
laisse décomposer en [faire+savoir]. On peut reconstituer la proposition ci-dessus
comme suit :
(113) [Karim fait [3ali sait]]
Lorsqu’on passe d’une forme simple « 3alima » à une forme II « 3allam », on
indique que le Sujet, argument ajouté par la forme II, est l’Agent de « faire » et que
l’argument Objet, reste le Thème de « savoir ». Autrement dit, on garde la
proposition [3ali sait] et on lui ajoute une structure de causatif, de façon à indiquer
que cet événement a une cause extérieure :
[Karim fait] [3ali sait]
De la sorte, l’argument ajouté par la structure du causatif n’a pas un lien
direct avec l’événement « savoir ». Seul l’objet de « 3allam » qui est le thème de
« 3alim », est concerné par cet événement. Cette hypothèse est appuyée par le fait
qu’en arabe classique on dit :
(114) 3allam-tu-hu wa lam ya-ta3allam
J’ai enseigné-lui et ne pas il apprend ‘‘Je lui ai enseigné et il n’a pas appris.’’
90
V’
VP
V
[CV] a
√P
√’
√3lm
sibaaHa
3ali
Cela indique que l’agent de « faire » n’est pas concerné par « savoir », il fait
en sorte que l’objet « sache » mais ce dernier peut bien avoir acquis le savoir
comme il peut bien ne pas l’avoir acquis.
De ce fait, la forme II se contente d’ajouter un verbe et un argument à
l’expression de base sans changer le rôle thématique de l’argument de celle-ci.
Cette propriété est primordiale dans la construction d’une forme II car c’est ce qui
déterminera le type de mouvements impliqués dans la construction de cette forme,
c’est ce qui va la distinguer d’une autre forme verbale causative dans le système, à
savoir la forme IV.
La forme II, contient non seulement ce qui peut être rendu par un verbe
supplémentaire, comparé à la forme de base, mais elle renferme également un
argument supplémentaire. Nous en concluons que la forme II contient une
projection supplémentaire par rapport à la forme de base.
Rappelons la structure syntaxique d’une forme I :
(115)
A la forme I, le Spécifieur de √P se déplace en position Spécifieur de VP, et
sera ensuite Sujet. La racine se déplace en V et s’associe à la position CV que
renferme cette tête et on obtient « 3alm ». La forme I « 3alim » réalise, en plus, une
91
voyelle lexicale que la forme II ne contient pas, par conséquent, nous n’en
parlerons pas ici.32
Nous retrouvons cette partie de l’arbre syntaxique, telle qu’élaborée dans le
schéma (115), dans la structure de la forme II « 3allam ». Reste maintenant à
déterminer la partie qui fait la spécificité de la forme II, à savoir :
a. un verbe en plus
b. un argument en plus
c. la gémination de la deuxième consonne de la racine.
Etant donné que la forme II « 3allam » ajoute une projection qui comporte
un argument et un élément qui peut être rendu par un verbe du type
« faire »/ « rendre » qui n’est pas réalisé lexicalement et qui constitue un champ
sémantique très restreint, il va de soir qu’il ne sera pas question, dans cette forme,
de deux projections VP ayant chacune comme complément une projection √P.
De la sorte, si l’on accorde à la forme II la présence d’un verbe autre que
celui qui existe déjà à la forme I, il est certain que ces deux verbes ne sont pas de
même nature. En effet, la forme II « 3allam » contient un verbe construit à partir
d’une racine √3lm, qu’on appellera verbe lexical, et un autre, au sens de
« faire »/« rendre », établi par une structure syntaxique qu’on appellera verbe
fonctionnel.
Autrement dit, une forme II renferme un verbe que l’on retrouve à la forme
I, auquel elle ajoute une position verbale qui apporte un argument et une sorte de
verbe qui a une fonction syntaxique sans pour autant avoir un sens bien défini ou
un véritable contenu phonétique autonome (hormis la gémination de la deuxième
32. Cf. l’analyse syntaxique de la forme I, section sur la voyelle lexicale, P : 39.
92
V’
vP
v’
VP
V
[CV] a
√P
v
[CV]
√3lm
kariim
3ali
√’
sibaaHa
V’
VP
√P
√3lm
3ali
√’
sibaaHa
V
[CV] a
consonne de la racine qui résulte de l’existence de cette position verbale
supplémentaire).
Ce genre de verbes est à rapprocher des verbes légers du français, quoique
ces derniers ont un contenu phonétique bien établi et peuvent dans d’autres
structures fonctionner comme un vrai verbe lexical. Ce qui importe c’est que les
verbes qui ressortent lorsqu’on paraphrase une forme II ont la même fonction que
les verbes légers.
De ce fait, la projection ajoutée par un verbe de forme II et qui ajoute un
argument et un verbe à la forme de base n’est autre que la projection vP.33 Nous
proposons, donc, que la forme II « 3allam », tout en disposant de la même structure
qu’une forme I « 3alim », à savoir une projection VP et une projection √P (116)a,
possède en plus une projection vP (116)b :
(116) a. b.
La projection vP procure une position tête qui permet d’ajouter un prédicat
et une position Spécifieur qui permet d’ajouter un argument. Étant donné que le 33. Le terme petit vP a été introduit par Chomsky (1995) repris dans (Kratzer 1996) pour distinguer les verbes inaccusatifs de leur contrepartie causative, exemple : « The ice melt vs The radiator melt the ice ». Dans le premier cas, il est question d’une structure simple avec un VP et dans le deuxième cas, il s’agit d’une structure complexe où on a introduit un vP qui sélectionne VP. Avant l’introduction du terme petit-vP, la représentation de ce genre de construction se faisait avec deux VP (VP Shell) (Cf. Chomsky 1955,1975 et Larson 1988). L’approche syntaxique de la causativité (en tant que bi-propositionnelle) est bien représentée dans la littérature, Cf. Kuroda (1965) ; Kayne (1975) ; Aissen (1979) ; Marantz (1985) ; Baker (1988) ; Hung (1988) ; Li (1990) ; Travis (1991) ; Koopman (1992).
93
verbe sous v n’a pas un vrai contenu phonétique et vu que l’existence de cette
position a pour effet la gémination de la deuxième consonne de la racine, ce qui
s’explique en morphophonologie par l’existence d’une position (CV), nous
postulons que la position v contient une pure position CV.34
Ainsi, si le français réalise des verbes légers qui ont un contenu phonétique
bien établi mais un contenu sémantique quasi nul, l’arabe classique réalise dans
cette même position, une forme qui, en plus d’avoir un contenu sémantique limité,
a un contenu phonologique minimum représenté sous forme d’une seule position
CV.
Il ne faut pas voir dans cette discussion du parallèle avec les verbes légers
du français, que nous utilisons le français comme métalangage. Au contraire, nous
capitalisons sur le fait que l’arabe et le français disposent de ressources
différentes, pour mettre en valeur les stratégies propres de l’arabe. Comme montré
en (112), l’arabe peut recourir à des verbes légers de la même manière que le
français et réaliser lexicalement un verbe « faire » : « ja3al ». Cependant, l’arabe
dispose d’une autre stratégie que le français n’a pas : ‘la forme II’.
Cette forme II, quoique ne réalisant pas lexicalement un verbe du type
« ja3al » (faire), englobe, dans son sens même, ce qui peut être rendu par ce type
de verbes. N’oublions pas que cette forme manifeste une morphologie complexe
(comparée à une forme I), ce qui prédit l’existence d’une structure syntaxique plus
complexe (comparée à celle de la forme I) et dont va découler, certainement, un
sens complexe (comparé à celui de la forme I, plus précisément, de la racine).
De ce fait, pour rendre compte de ce sens supplémentaire qu’apporte une
forme II, nous serons amenés à le matérialiser et à le nommer ‘verbe léger’ parce
34. Nous parlons de CV au lieu de C car nous adoptons le cadre de l’hypothèse CVCV dans laquelle le niveau squelettal consiste en une alternance systématique de positions C et de positions V. Dans ce cadre théorique, la seule syllabe possible est CV.
94
V’
vP
v’
VP
V 3 lm | [CV] a
√P
v [CV]
√3lm
kariim
3ali
√’
sibaaHa
3ali
que, comme vous allez le voir, les verbes qui vont apparaître lorsqu’on procède à
une paraphrase se limitent à « ja3al » (faire), « wajad » (trouver/estimer), bref, à
des verbes qu’on appelle généralement « verbes légers ». Que le lecteur ne soit pas
surpris de voir qu’on utilise le mot « verbe faire » ou « verbe estimer » quand celui
n’existe pas lexicalement. Il s’agit uniquement de rendre compte du sens qu’ajoute
la forme II et de montrer, justement, comment un sens peut être véhiculé sans qu’il
ait un support lexical.
3.1.2. Comment produire une forme qui gémine la deuxième consonne de la
racine ?
Afin d’avoir la forme II « 3allam » à partir de la structure en (116)b, une
série de mouvements est effectuée. Ces derniers dépendront essentiellement de la
structure profonde qu’on a dégagée de l’étude de l’exemple avec la forme
« 3allam » : [Karim fait [3ali sait]].35 En effet, on tiendra compte du fait qu’on a
d’abord [3ali sait] à quoi on ajoute [Karim fait].
De la sorte, comme on le voit en (117), le premier mouvement consiste à
déplacer la racine dans la position V, de la même manière que dans la forme I
« 3alim ». L’argument « 3ali » initialement en position Spécifieur de √P, se retrouve
dans la position Spécifieur de VP :
(117)
35 Nous rappelons au lecteur que le verbe « faire » dont nous parlons, ici, n’est pas réalisé lexicalement, comme c’est le cas en français. Il est déduit du sens de la forme II « 3allam » : « ja3ala-hu ya-3lam » (il fait savoir) et apparaît, donc, lorsqu’on paraphrase cette dernière.
95
V’
vP
v’
VP
√P
v 3 lm | [CV]+[CV] a
√3lm
kariim
3ali
√’
sibaaHa
3ali V
3 lm | [CV] a
Ensuite, V monte dans v qui renferme également une position CV : 36
(118)
Suite à ce déplacement, V contenant une position CV, dont la position
vocalique est occupée par une voyelle « a » et dont la position consonantique est
présentement occupée par la première consonne de la racine, se retrouve à gauche
du CV sous v.
Ensuite, pour acquérir les traits d’aspect et d’accord, v se déplace, comme
montré en (119), dans la tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux
positions CV qui permettent l’association de la deuxième et la troisième consonne
de la racine. L’argument en position Spécifieur de vP finit dans la position
Spécifieur de AgrP :
36 Maintenant que VP est dominé par vP, c’est l’argument en position Spécifieur de vP qui acquerra le cas nominatif et aura la fonction Sujet. L’argument qui se trouve actuellement en position Spécifieur de VP aura le cas accusatif et la fonction Objet, ce qui explique la montée de V en v. Ajouté à cela que c’est le verbe sous v qui sera le verbe principal de la proposition, par conséquent, le morphème de la voix active contenu dans la position tête de VP doit se retrouver dans la position tête de vP.
96
V’
vP
v’
VP
√P
√’
√3lm sibaaHa
kariim
3ali
3ali
Asp’
AspP
Agr’
AgrP
Asp 3 l m | | [CV][CV]+[CV] a
Agr 3 l m | | | [CV][CV][CV]+[CV] a
kariim
kariim
V 3 lm | [CV] a
v 3 lm | [CV]+[CV] a
(119)
On obtient, ainsi, quatre positions et une racine √3lm sous la position Agr.
L’association au gabarit se fera comme suit :
� La racine √3lm s’associe à la première tête vers laquelle elle s’est
déplacée, à savoir au CV de V ;
� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté
par AspectP ;
� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté
par AgreementP ;
Ce qui donne le gabarit suivant :
(120) 3 a l m
[C V] [C V] [C V] [C V]
V v Asp Agr
La position (CV) apporté par v se retrouve entre celle apportée par V et celle
apportée par AspectP. N’ayant pas de morphème qui lui soit associé et n’étant pas
97
en première position, auquel cas il aurait été possible de la remplir avec une
consonne épenthétique, cette position sera remplie par l’une des consonnes de la
racine. Vu la place qu’elle occupe, le choix se fera entre la première et la deuxième
consonne de la racine. Cependant, la position V qui sépare la position C, accueillant
la première consonne de la racine, et la position C du (CV) en question n’est pas
vide37. Par conséquent, la première consonne de la racine ne pourra pas se
propager :
(121) * 3 l m
≠ C V (C V) C V C V a
C’est donc la deuxième consonne de la racine qui occupera la position CV
apporté par v. Avec une seule consonne attachée à deux positions consonantiques
on obtient une consonne géminée :
(122) 3 l m
C V (C V) C V C V a
Insistons, ici, sur le fait que nous proposons que la deuxième consonne de la
racine identifie la position CV de Aspect P. Sa propagation sur la position C du CV
apporté par v est effectuée, ultérieurement, pour des raisons purement
phonologiques. En aucun cas, la racine ne peut identifier à la fois la position V et la
position v, c’est soit l’une ou l’autre parce qu’il s’ensuit une différence
d’interprétation voire même une différence de forme. Une fois la première
consonne de la racine est associée à V, son association à la position v -par le biais
d’une autre consonne de la racine- devient exclue.
37 La représentation d’une géminée exige la présence de deux positions CV (CVCV) et exige que la position V qui sépare les deux C soit vide.
98
Il s’avère, ainsi, la forme II « fa33al » renferme une structure de causatif qui
apporte l’argument externe et rend compte d’un verbe sous-spécifié qui tiendra
son sens « faire »/rendre » de la structure syntaxique elle-même mais également
de la racine qui se prête à cette interprétation. Ce verbe n’a pas un contenu
phonétique mais uniquement une position CV, celle-ci est la position
dérivationnelle que l’on retrouve dans l’analyse morphophonologique de Guerssel
& Lowenstamm.
Maintenant que l’on a établi que la forme II « fa33al » est obtenue, tout
simplement, avec une structure de causatif, reste à comprendre comment sont
réalisées les autres formes II non-causatives.
Sachant qu’une forme II renferme une racine qui peut avoir diverses
structures, à savoir :
a. une racine avec deux arguments dont l’un en position Spécifieur et l'autre
en position Complément ;
b. une racine sélectionnant un seul argument en position Spécifieur ;
c. une racine sélectionnant un seul argument en position Complément ;
d. une racine n’ayant aucun argument,
Et que chacun de ses arguments peut avoir divers rôles thématiques,
ajouté à cela, les traits sémantiques qui la distinguent, on peut dors et déjà
s’attendre à avoir autant de formes II que de structures différentes de la racine.
La question de savoir si ces formes II partagent la même structure que la
forme II causative ou uniquement la même apparence prosodique, se pose
d’emblée. Il est donc primordial d’étudier chacun des emplois annexes de la forme
II, d’examiner leur comportement syntaxique et sémantique et voir s’ils répondent
à la structure établie pour la forme II causative et à quel point.
99
3.2. Intensif et causatif, deux réalités grammaticales distinctes sous le
même habit prosodique
La deuxième valeur pour laquelle est connue la forme II « fa33al » -après le
causatif- est l’intensif ; valeur qui lui est spécifique et qu’elle ne partage avec
aucune autre forme (contrairement au causatif que la forme II partage avec la
forme IV). Cette intensité, comme le note Wright (1896 :31), peut traduire soit la
violence de l’action (intensive), soit sa durée (temporally extensive), soit le
nombre de ses actants (numerically extensive), soit la fréquence ou la répétition de
l’action (iterative or frequentative).
Soit les exemples suivants d’une forme II intensive :
(123) kassara 3aliyy-un al-baab-a
a fracassé Ali-nominatif la porte-accusatif
‘‘Ali a fracassé la porte.’’
(124) farraqa 3aliyy-un al-jam3-a
a dispersé Ali-nominatif la foule-accusatif
‘‘Ali a dispersé la foule.’’
(125) qaTTa3a al-walad-u al-waraq-a
a découpé.en.petits.morceaux le garçon-nominatif le papier-accusatif ‘‘Le garçon a découpé le papier en petits morceaux.’’
Avec les formes I correspondantes, on a ce qui suit :
(126) kasara 3aliyy-un al-baab-a
a cassé Ali-nominatif la porte-accusatif ‘‘Ali a cassé la porte.’’
(127) faraqa 3aliyy-un al-jam3-a
a séparé Ali-nominatif la foule-accusatif ‘‘Ali a séparé la foule.’’
(128) qaTa3a al-walad-u al-waraq-a
a coupé le garçon-nominatif le papier-accusatif
‘‘Le garçon a coupé le papier.’’
Contrairement à la forme II véhiculant le causatif, la forme II intensive ne
provoque aucun changement quant au nombre des arguments. En effet, les forme
100
II, données dans les exemples ci-dessus, réalisent les mêmes arguments que les
formes I correspondantes et chacun d’eux conserve le même rôle thématique et la
même fonction syntaxique.
Si l’on prend l’exemple en (123) et celui en (126), on voit que « 3ali » qui est
‘agent’ et Sujet à la forme I « kasara » reste ‘agent’ et Sujet à la forme II « kassar ».
De même, « al-baab » qui est ‘patient’ et Objet à la forme I, reste ‘patient’ et Objet à
la forme II ; c’est aussi le cas dans les deux autres exemples.
Toutefois, les formes II citées ci-dessus, présentent toutes un sens
d’intensité qui les différencient des formes I correspondantes :
(129) kasar --> kassar
[X casse] [X casse plusieurs fois]
(130) faraq --> farraq
[X sépare] [X sépare en petits groupes/ plusieurs destinations]
(131) qaTa3 --> qaTTa3
[X coupe] [X coupe en petits morceaux]
Ce sens qu’ajoute la forme II intensive est comparable à celui qu’on aurait
avec un adverbe tel que « intensément », « abondamment »…etc., mais aussi à celui
qu’on aurait dans le cas d’une réduplication, comme si « kassar » (casser plusieurs
fois) était en réalité « kasar kasar » (casser casser).
3.2.1. L’intensif, une dégénérescence de la structure du causatif
Le fait que la forme II intensive n’apporte pas un argument externe ni un
prédicat qui peut être rendu par un verbe du type « faire », comme c’est le cas avec
la forme II causative, sème le doute quant à son appartenance à cette même classe.
Il est donc primordial d’examiner cette forme pour voir si elle partage la même
structure que la forme II causative ou au moins quelques propriétés dont
résulterait une prosodie identique.
101
Reprenons un des exemples que nous avons cités antérieurement :
(132) kassara 3aliyy-un al-baab-a
a fracassé Ali-nominatif la porte-accusatif
‘‘Ali a fracassé la porte.’’
Sachant qu’à la forme I on a la proposition suivante :
(133) kasara 3aliyy-un al-baab-a
a cassé Ali-nominatif la porte-accusatif
‘‘Ali a cassé la porte.’’
Le passage d’une forme I à une forme II, change la forme verbale elle-même
mais n’affecte pas le nombre d’arguments. Partant du principe que la structure
d’une forme II comporte une projection vP qui apporte le causatif et l’argument
supplémentaire, la forme II « kassar » ne semble pas répondre à ces critères.
D’abord, car elle ne contient pas un argument en plus par rapport à ce que
contenait la forme I, ensuite parce qu’elle ne dénote pas le causatif ou une
quelconque autre signification qui pourrait être rendue par un verbe léger et qui
serait tributaire du sens de la racine.
La forme II intensive « kassar » constitue un défi parce qu’à la fois elle
gémine la deuxième consonne de la racine et a exactement la même allure qu’une
forme II causative mais en même temps, elle ne semble pas avoir la même
structure syntaxique.
L’hypothèse que nous tenons tout au long de cette thèse est que les formes
verbales dépendent d’une structure syntaxique bien déterminée qui conditionne
leur morphologie. De ce point de vue, si deux formes ont exactement la même
forme, elles doivent avoir la même structure puisque c’est la structure syntaxique
qui conditionne la forme.
De la sorte, ou bien la forme II intensive représente un contre exemple et
montre que deux formes identiques morphophonologiquement puissent avoir
deux sources syntaxiques distinctes ou alors ce qui distingue la forme II intensive
102
V’
VP
V [CV] a
√P
baab
√ksr
3ali
de la forme II causative ne réside pas dans la partie de la structure qui engendre la
gémination de la deuxième consonne de la racine et trouve son explication ailleurs
Avant de déterminer la structure de la forme II « kassar », il convient de
revenir à la structure de la forme I « kasar » :
(134)
La racine √ksr fait partie de ces racines qui n’ont qu’un seul argument dont
le rôle thématique est ‘patient’ et dont la position est Complément38. A la forme I,
l’argument ‘patient’ de la racine reste dans sa position Complément de √P et aura
la fonction d’Objet direct. Vu que l’unique argument de la racine ne peut pas
monter à la position Spécifieur de VP et par la suite avoir la fonction Sujet -puisque
seul l’argument qui occupe la position Spécifieur de √P peut le faire- un argument
est directement sélectionné par V. De ce fait, à la forme I « kasar », un argument est
ajouté à la grille thématique de la racine en VP pour doter le verbe d’un sujet.
Proposer qu’une racine telle que √ksr possède un seul argument qu’elle
place en position Complément de √P -auquel cas l’argument Sujet qui apparait à la
forme I est en réalité ajouté par VP- permet d’élucider à la fois le problème de la
forme II intensive mais également celui de la forme VII « nkasar »39. Une relation
étroite existe entre ces deux formes dans le sens où les racines qui se prêtent à une
forme VII, lorsqu’elles forment une forme II, celle-ci indique l’intensif. Ceci n’est
évidemment pas dû au sens des racines en question mais à leur structure. Cette
dernière leur permet d’avoir une forme VII et leur procure un emploi intensif à la
forme II. 38Cf. chapitre sur l’analyse de la forme I, P 41. 39 Cf. chapitre sur l’analyse de la forme VII, P 246.
103
De ce fait, si l’on admet que la racine √ksr contient un seul argument, le
problème du nombre des arguments de la forme II « kassar » est résolu, puisque
cette dernière en réalise deux. Ainsi, la forme II intensive apporte bel et bien un
argument supplémentaire à la racine de la même manière qu’une forme II
causative. Ce problème résulte du fait que l’on compare la forme II à la forme I, tout
en ignorant que dans cette dernière un argument est ajouté en VP pour doter la
forme verbale d’un Sujet.
Sachant qu’à la forme II, vP apporte un argument Sujet, nul besoin d’en
ajouter un en VP. Nous poserons, ici, la contrainte suivante :
(135) ‘Ne pas ajouter plus d’un argument nominal à la grille thématique de la racine’.
Reste maintenant à expliquer la deuxième propriété qui distingue une forme
II intensive d’une forme II causative, à savoir la raison pour laquelle la forme
intensive ne véhicule pas le causatif alors qu’il s’avère qu’elle renferme une
position v et donc, une structure de causatif.
Rappelons, tout d’abord, que la forme II « kassar » ne dénote pas exactement
le même sens que la forme I « kasar », elle ajoute un trait sémantique par rapport à
la forme de base qui se trouve être ici « l’intensif ». Cet intensif, comme nous
l’avons signalé, peut être rendu par une réduplication du verbe : « kasar kasar »,40
ce qui renforce l’hypothèse de l’existence d’un niveau verbal supplémentaire. Bien
évidement, ici la réduplication n’est pas réalisée explicitement de la même manière
que le verbe léger « faire », que l’on fait ressortir dans les formes II causatif, n’est
pas réalisé.
Nous avons montré que dans une forme II « kassar », la racine n’apporte pas
un argument en position Spécifieur et contrairement à la forme I « kasar », aucun
argument ne sera apporté par VP. Par conséquent, aucun argument n’occupera la
40 Certaines langues bantous rédupliquent explicitement le verbe pour indiquer l’intensité.
104
V’
vP
v’
VP
baab
V [CV] a
√P
v [CV]
√ksr
3ali
position Spécifieur de VP. C’est cette propriété qui va distinguer une forme II
causative d’une forme II intensive. En effet, avec une forme II causative telle que
« 3allam », on avait la structure donnée en (136) alors qu’avec la forme II intensive,
on a la structure donnée en (137):
(136) [Karim v [3ali 3alima as-sibaaHa]]
(137) [3ali v [ø kasara al-baab]]
En l’absence d’un deuxième agent (Cf. (137)), la prédication qu’apporte v ne
peut pas être rendue par un verbe « faire ». La structure de la racine, voire
l’absence de deux agents dans cette structure (Cf. (137)), élimine d’emblée le sens
causatif ainsi que tout autre sens supposant l’existence d’un ‘agent’ qui agit, de
quelque manière que ce soit, sur un autre ‘agent’ ou ‘thème’. Le sens « intensité »
sera acquis après le déplacement de la racine de V en v car avec un niveau verbal
en plus, on obtient une sorte de réduplication « kasar kasar ».
Ainsi, si la forme II intensive n’indique pas le causatif c’est tout simplement
à cause de la structure de la racine qu’elle inclut. De la sorte, la forme II « kassar »
renferme la même structure syntaxique que la forme II causative, à savoir une
projection vP qui domine deux projections VP et √P :
(138)
La projection vP apporte l’argument Sujet de la même manière que dans une
forme II causative. Quant à la position Spécifieur VP, elle restera vide puisqu’il n’y a
pas un argument en position Spécifieur de √P qu’elle pourra accueillir et vu que VP
ne peut pas apporter son propre argument (Cf. postulat donné en (135)).
105
V’
vP
v’
VP
baab
V ksr | [CV] a
√P
v [CV]
√ksr
3ali
V’
vP
v’
VP
baab
√P
v ksr | [CV]+[CV] a
√ksr
3ali
V ksr | [CV] a
Maintenant que l’on a résolu le problème de l’absence prétendue d’un
argument supplémentaire et de l’inexistence du sens causatif dans les formes II
intensives, intéressons-nous au processus de formation du verbe « kassar ».
3.2.2. Une même structure, une même forme, un même processus
Comme la forme II causative, la forme II intensive réalise une géminée au
niveau de la deuxième consonne de la racine et réalise la voyelle « a » dans la
même position que la forme I. Par conséquent, la forme II intensive suivra le même
processus de formation que la forme II causative.
Il suffit que la racine √ksr monte en V et s’associe à la position C du CV
contenu dans ce dernier :
(139)
Que V monte en v et se mette à gauche de la position CV contenue dans ce
dernier :
(140)
106
V’
vP
v’
VP
√P
√ksr baab
3ali
Asp’
AspP
Agr’
AgrP
Asp k s r | | [CV][CV]+[CV] a
Agr k s r | | | [CV][CV][CV]+[CV] a
3ali
3ali
V k sr | [CV] a
v k sr | [CV]+[CV] a
Ensuite, v se déplace en Aspect puis en Agreement et acquiert deux
positions supplémentaires :
(141)
Suite à la montée de V, la position CV apportée par v se retrouve à
l’intérieur du gabarit, ce qui empêche la réalisation d’une consonne épenthétique
pour occuper la position consonantique de ce CV. De même, la réalisation de la
voyelle « a » après la première consonne de la racine empêche cette dernière de se
propager et remplir cette position. C’est la deuxième consonne de la racine qui,
initialement identifie le CV de Asp. qui se propagera et se réalisera comme
géminée :
(142) k a s r
[C V][C V][CV][CV] V v Asp Agr
Il s’avère ainsi que la forme II intensive a la même structure que la forme II
causative. C’est la structure argumentale de la racine qui est à l’origine de
l’interprétation intensive de la forme II. Le fait que cette racine ait pour seul
argument un patient qui occupe la position Complément de √P et le fait qu’il soit
107
impossible d’ajouter deux arguments externes à la grille thématique d’une racine
font que la forme II produite par cette structure se trouve dotée d’un sens
intensif41. L’absence de deux arguments ‘agent’ explique l’absence du causatif.
De la sorte, une forme II intensive n’est autre qu’une forme II causative
ayant sélectionné une racine dont la structure argumentale ne comporte qu’un
Complément dont le rôle thématique est ‘patient’.
3.3. Structure du causatif sans causatif
Dans cette sous-section seront traités deux emplois annexes de la forme II. Il
s’agit de la forme II dite estimative et de la forme II dénominale. Nous proposons
de voir de quoi découlent ces usages et, par la suite, découvrir ce qui fait barrage à
la réalisation du sens causatif. Nous nous assurerons que ces deux emplois
mobilisent la même structure syntaxique qu’une forme II causative quoique ne
véhiculant pas cette valeur.
41. Dire que toute forme II qui indique l’intensif est forcément construite à partir d’une racine à un seul argument en position Complément peut paraître comme une hypothèse forte. On pense tout de suite au verbe « tuer » qui est considéré en français comme un verbe transitif par excellence alors qu’en arabe, ce verbe indique l’intensif à la forme II « qattal ». Toutefois, si l’on sait qu’en arabe ce verbe n’accepte pas le sens réflexif, contrairement au français où on a facilement « se tuer », et qu’au réciproque ce verbe n’indique pas que l’un a tué l’autre mais que l’un a combattu l’autre, on se rend compte que « qatal » n’est pas équivalent à « tuer ». Le verbe « qatal » en arabe classique se comporte comme ces verbes à argument unique Complément dans le sens où le sujet reste externe à l’événement dénoté par le verbe : le sujet fait une action (telle que poignarder avec un couteau, tirer avec une arme ou autre) qui peut entraîner ou non la mort de l’Objet. C’est l’objet qui est étroitement lié à l’événement du verbe contrairement à ce qu’on a avec des racines à deux arguments où le sujet est l’argument apporté par la racine. De la sorte, nous ne considérons pas ce verbe comme un contre exemple et nous rappelons que le type de racine à argument Complément se réalise en tant que transitive à la forme I, grâce à un argument apporté par VP. Cependant, ce type de verbe a d’autres propriétés qui le distinguent des vrais transitifs. Malencontreusement, la racine √qtl ne se prête pas à une forme VII, test irréfutable pour consolider notre hypothèse, mais il faut ajouter qu’il ne suffit pas d’avoir la structure adéquate pour se prêter à une forme donnée, il faut également que le sens le permette. De la sorte, le verbe « qatal » reste un verbe complexe mais ne permet pas de mettre en cause la généralisation établie pour les formes intensives.
108
3.3.1. Quand ‘faire’ devient ‘estimer’
Wright (1896 : 31) reconnait à la forme II une valeur dite estimative ou
déclarative, dans le sens où on estime ou on déclare la personne comme ayant la
qualité relaté par le verbe. Voici quelques exemples :
(143) Saddaqa kariim-un 3aliyy-an
a donné raison Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a donné raison Ali.’’
(144) kaddaba kariim-un 3aliyy-an
a démenti karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a démenti Ali.’’
Avec les formes I correspondantes, on a :
(145) Sadaqa 3aliyy-un
a raison Ali-nominatif ‘‘Ali a raison.’’
(146) kadiba 3aliyy-un
a menti Ali-nominatif ‘‘Ali a menti.’’
Pareillement aux formes II indiquant le causatif, les formes II dites
estimatives réalisent un argument supplémentaire et ajoutent un élément
sémantique aux formes I.
En effet, la forme I « Sadaq » en (145) réalise un seul argument alors que la
forme II « Saddaq » en (143) en réalise deux. De même, la forme I « kadib » en
(146) réalise un seul argument tandis que la forme II « kaddab » en (144) en
réalise deux.
Ces formes II réalisent un prédicat supplémentaire par rapport aux formes
de base qui peut être rendu par un verbe [estimer]:42
42 Nous rappelons au lecteur que le verbe « estimer » dont nous parlons, ici, n’est pas réalisé lexicalement, comme c’est le cas en français. Il est déduit du sens de la forme II dite estimative et apparaît lorsqu’on paraphrase cette dernière.
109
V’
vP
v’
VP
3ali
V [CV] a
√P
v [CV]
√Sdq
kariim
(147) Sadaqa --> Saddaqa
[X a raison] [Y estime X a raison]
(148) kadiba --> kaddaba
[X ment] [Y estime X ment]
L’argument apporté par la forme II est l’agent du prédicat qui peut être
rendu par « estimer » et l’argument réalisé à la forme I reste lié au prédicat « avoir
raison/menti ». Cette interprétation « estimer » donnée au prédicat ajouté par la
forme II a fait en sorte que les grammairiens ne classent pas ces quelques verbes
parmi les formes II causatives, restreintes aux formes ajoutant des prédicats dont
le sens peut être rendu par « faire/rendre », et créent une nouvelle classe qu’ils
appellent « forme II à valeur estimative ou déclarative».
Examinons de près la forme II « Saddaq » donnée en (143). Cette forme dite
estimative ajoute un argument et un prédicat à la forme de base comme le fait la
forme causative. Cependant, la forme II, dont il est question ici, n’ajoute pas une
valeur causative à la forme I « Sadaq » qui peut être interprétée comme « faire +
Sadaq », mais ajoute un estimatif qui peut être interprété comme : « estimer +
Sadaq ».
En dépit de cette distinction, le fait d’ajouter un argument et un sens
supplémentaire pouvant être rendu par un verbe léger, plus le fait de réaliser une
géminée de la même manière qu’une forme causative, indique que la forme II
estimative englobe également une projection vP et suit le même processus de
formation qu’une forme II causative. Ainsi, la structure de la forme II « saddaq » se
présente comme suit :
(149)
110
Si la forme II estimative « Saddaq » a la même structure que la forme II
causative mais a une interprétation distincte, la cause ne peut résider que dans ce
qui fait la différence entre ces deux formes, à savoir la racine. Si on met la racine
√3lm dans une structure causative, on obtient un causatif, mais si l’on met la racine
√Sdq dans la même structure, on obtient un estimatif.
On sait que v n’a pas un contenu sémantique bien déterminé et représente
uniquement un niveau verbal avec une position CV. Tout ce qu’on a à ce niveau
c’est un deuxième prédicat qui apporte un argument externe ‘agent’. Le sens de ce
prédicat est établi voire résulte du sens de la racine. En effet, c’est la nature de la
racine, à savoir si elle dénote une action ou un état, et sa structure, à savoir si elle a
un seul argument ou si elle en a deux mais aussi le rôle thématique de ses
arguments, qui vont donner une interprétation à l’élément ‘verbe’ sous v.
Ainsi, si dans une construction du type [karim v [3ali 3alima as-sibaaHa], le
sens rendu par v est « faire », dans la construction du type [karim v [3ali Sadaq] le
sens rendu par v est « estimer ». La racine √Sdq denote un evenement qui ne peut
pas être provoqué par un tiers agent, par conséquent, son sens empêche
l’émergence d’un causatif et fait apparaître à la place un estimatif.
La forme II estimative suit le même processus de formation que la forme II
causative et effectue, donc, les mêmes mouvements syntaxiques que cette dernière.
Le lecteur pourra revenir à la sous-section 3.1.2 où l’exécution d’une forme II est
détaillée.
3.3.2. Du nom au verbe
Wright (1896 : 32) considère que la forme II sert aussi à dériver des verbes
à partir de noms ; ce qu’ils appellent une forme verbale dénominale. Cela
correspond dans notre hypothèse, aux verbes formés d’une racine qui renvoie à un
objet du monde et qui a la particularité de n’avoir aucun argument.
111
Voici quelques exemples avec la forme II :
(150) xayyama 3aliyy-un
a campé Ali-nominatif ‘‘Ali a campé.’’
(151) Rarraba 3aliyy-un
est parti à l’ouest Ali-nominatif ‘‘Ali est parti vers l’ouest.’’
(152) Qawwasa daHru kariim-in
est courbé dos-nominatif Karim-génitif
‘‘Le dos de Karim est courbé.’’
Et voici les formes nominales correspondantes, construites à partir de la
même racine :
(153) ?aqaama 3aliyy-un xaymat-an
a dressé Ali-nominatif une tente-accusatif ‘‘Ali a dressé une tente.’’
(154) dahaba 3aliyy-un ila al-Rarb-i
est parti Ali-nominatif à l’ouest-génitif ‘‘Ali est parti à l’ouest.’’
(155) Saara Dahru kariim-in ka al-qawsi
est devenu dos-nominatif Karim-génitif comme un arc-génitif
‘‘Le dos de Karim est devenu comme un arc.’’
La forme II « xayyam », donnée en (150), qui signifie ‘dresser une tente’
voire ‘camper’ est considérée comme étant dérivée du nom « xayma » (Tente), la
forme II « Rarrab », donnée en (151), qui signifie ‘partir à l’ouest’ est considérée
comme étant dérivée du nom « Rarb» (Ouest) et la forme II « qawwasa », donnée
en (152), qui signifie ‘prendre la forme d’un arc’ voire ‘courber’ est considérée
comme étant dérivée du nom « qaws » (arc).
Comme on peut le voir dans les exemples ci-dessus, la forme II dite
dénominale et donc, formée d’une racine n’ayant aucun argument, en manifeste un.
Ceci laisse penser qu’elle agit pareillement que la forme II causative et englobe
donc une structure qui lui confère un argument ‘agent'.
112
De surcroit, elle ajoute un élément verbal qui semble être assez hétérogène
et qui dépend d’une manière étroite du sens de la racine. En effet, si toutes les
formes II causatives peuvent être décomposées en [‘faire’+verbe] et les formes
dites estimatives en [‘estimer’+verbe], les formes II dénominales, quant à elles,
donnent au premier prédicat un sens qui semble être directement lié à la racine et
qui est difficile à regrouper dans un champ lexical donné.43
Signalons que la forme I permet également de dériver des verbes à partir de
racines qui ne projettent aucun argument. Rappelons-le, VP a la possibilité
d’apporter un argument. Pour comprendre ce qu’apporte un vP par rapport à un
VP dans le cas de la racine nominale voyons ce qui fait la différence entre la forme I
« Raruba »44 et la forme II « Rarrab », puisque cette racine réalise les deux formes
et permet donc de procéder à une comparaison.
Reprenons l’exemple avec la forme II « Rarrab » cité en (151) :
(156) Rarraba 3aliyy-un
est parti à l’ouest Ali-nominatif ‘‘Ali est parti vers l’ouest.’’
À la forme I, on a :
(157) Rarub-at aš-šams-u
est parti.à.l’ouest. le soleil-nominatif
‘‘Le soleil s’est couché.’’
La forme I « Rarub », donnée en (157), indique « être à l’ouest » alors que la
forme II « Rarrab », donnée en (156), indique « partir vers l’ouest ». Il semblerait
ainsi qu’avec une racine ‘nominale’, on obtient sous V un événement « être » et
sous v un événement « faire » ou « action » qui peut prendre diverses significations
43 Nous rappelons au lecteur que le verbe « faire » ou « estimer » dont nous parlons, ici, n’est pas réalisé lexicalement, comme c’est le cas en français. Il est déduit du sens de la forme II et apparaît lorsqu’on paraphrase cette dernière. 44 L’emploi de ce verbe « Rarub » va s’élargir et il ne s’appliquera pas uniquement pour indiquer le coucher du soleil mais pour indiquer aussi « disparaitre de la vue de quelqu’un».
113
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
v [CV]
√Rrb
3ali
selon la racine ; ici on a un verbe de mouvement puisque la racine indique une
destination.
Signalons que toutes les formes II dénominales n’ont pas toujours une forme
I correspondante. C’est le cas avec « xayyam » ; une forme I « *xayam » n’est pas
attestée dans la langue. En effet, une racine telle que √xym ne tolère pas un
événement « être » et ne peut former un verbe que si elle est enchâssée dans une
structure qui lui procure un événement « faire », chose que fait vP. Ceci prouve
qu’une forme II dénominale a bel et bien une projection vP.
Ainsi, la forme II dénominale se distingue des autres formes II qu’on a vues
jusqu’à présent, seulement, par le fait qu’elle est créée à partir d’une racine qui n’a
pas d’arguments.
De ce fait, la structure de la forme II dénominale «Rarrab » se présente
comme suit :
(158)
Le sens supplémentaire produit par la forme II dénominale est en relation
directe avec celui de la racine. Ici, comme cette dernière indique une direction
« Ouest », le sens qui découle de la présence de la projection vP, peut être rendu
par un verbe de mouvement « partir vers l’Ouest».
La forme II dénominale renferme plusieurs significations qu’on ne peut pas
limiter de la même manière que pour la forme causative ou la forme estimative.
Chaque forme dénominale a un sens différent qui dépend étroitement de la racine.
La structure de la forme II ne fournit que le niveau verbal, et vu que la racine n’a
114
pas d’arguments et ne dénote ni une action ni un état, le sens que la forme obtient
sous v est tout simplement « action », laquelle sera façonnée suivant le sens de la
racine.
Il existe un autre cas de forme II dénominale qui présente une particularité
par rapport aux autres exemples cités ci-dessus et qui, comme on va le montrer,
soulève quelques problèmes, le voici :
(159) Da33afa kariim-un al-marduud-a
a doublé Karim-nominatif le rendement-accusatif ‘‘Karim a doublé le rendement.’’
La forme II « Da33af » est considérée comme correspondant à une forme
nominale « Di3f » (double) :
(160) HaSSal Kariim-un Di3f-a al-marduud-i
a eu Karim-nominatif double-accusatif le rendement-génitif ‘‘Karim a eu le double du rendement.’’
Comme vous pouvez le constater, la forme « Da33afa » considérée comme
dénominale et donc, construite à partir d’une racine qui n’a aucun argument, en
réalise deux. Ceci nous conduit à se poser des questions quant à la nature de la
racine qu’on appelle ‘nominale’ et qu’on définit comme une racine qui ne projette
aucun argument, et à se demander si elle peut, dans certains cas, avoir un
argument Complément. Si ce n’est pas le cas, la deuxième possibilité qui reste à
envisager, est que la structure de la forme II a la possibilité d’ajouter deux
arguments au lieu d’un seul.
Admettre que deux arguments sont ajoutés à la racine par la structure
verbale va à l’encontre du postulat établi en (135), à savoir ne jamais ajouter plus
d’un argument à la grille thématique de la racine. En traitant le cas de la forme II
intensive, nous avons été amené à postuler que lorsqu’un argument est ajouté en
vP cela interdit à VP d’en apporter un.
115
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
marduud
v [CV]
√D3f
kariim
Néanmoins, si l’on s’attarde un moment sur le postulat en question, on voit
que ce que l’on dit c’est qu’en aucun cas, il ne faut ajouter plus d’un argument à la
grille thématique d’une racine.45 Et rappelons-le, une racine nominale n’a pas de
grille thématique. Les choses deviennent plus claires : lorsqu’une racine possède
un ou deux arguments, on ne peut ajouter qu’un seul argument mais si elle n’en a
aucun, la contrainte ne s’applique pas.
De ce fait, nous présumons qu’une racine qui n’a aucun argument ne se
soumet pas au postulat en (135) et peut alors avoir deux arguments lorsque la
structure le permet. Cet exemple ne constitue donc pas une contradiction mais
apporte une nouvelle information sur la structure des racines et montre un autre
point qui distingue ce qu’on peut appeler ‘une racine verbale’ d’une ‘racine
nominale’.
Ainsi, la forme « Da33af » recevra, en plus de l’argument Sujet apporté par
vP, un argument Objet apporté par VP :
(161)
Il s’avère ainsi que la forme II dénominale est tout simplement une forme II
qui renferme une racine ‘nominale’, c’est-à-dire, une racine qui ne possède aucun
argument. La projection vP apporte un argument Sujet mais le fait de ne pas avoir
deux arguments dans cette structure déjoue le sens ‘causatif ‘ mais procure à cette
forme le sens « action », sens qui sera par la suite précisé selon les traits
45 Cela revient à dire que lorsqu’un verbe est intransitif, il peut être enchâssé dans une structure qui le rend transitif. De même, lorsqu’un verbe est transitif, il peut être enchâssé dans une structure qui le rend bi-transitif. Le cas ne s’est jamais présenté qu’un verbe intransitif devient bi-transitif.
116
sémantique de la racine. Cependant, dans les cas où VP apporte également un
argument, le sens causatif refait surface, comme dans la forme II « Da33af ».
La forme II dénominale ayant la même structure qu’une forme II canonique
et la même morphologie, suivra le même processus de formation que cette
dernière. (Cf. section 3.1.2).
4. Conclusion
En dépit des différents emplois dans lesquels peut apparaître une forme II et
des diverses significations qu’on lui attribue, sa structure syntaxique est unique.
Toutes les formes II qui géminent la deuxième consonne de la racine ont une même
structure à savoir une projection vP, en plus de la projection VP et de la projection
√P, et suivent le même procédé de formation.
Ce qui change c’est la contribution de la racine qui, selon qu’elle apporte ou
non un argument en position Spécifieur, va avoir une incidence quand à la
sémantique de la forme II. En effet, selon l’un ou l’autre cas on se retrouve soit avec
une structure qui renferme deux agents, ce qui donnera un causatif ou un estimatif
ou alors avec une structure qui renferme un seul agent ce qui donnera l’intensif.
Pour ce qui est de l’élément v, il forme une structure verbale supplémentaire
et s’ajoute au verbe lexical, constitué par la racine et V. Il forge son sens en prenant
en compte celui de la racine et peut être glosé soit par « faire », « estimer » ou tout
simplement « action » et ce, dans le cas de la forme II dénominale, ou plus encore, il
peut se contenter de constituer juste une position supplémentaire et ce, dans le cas
de la forme II intensive. Ce verbe n’a pas un vrai contenu phonétique et se
manifeste sous forme d’une position minimale, à savoir un [CV].
117
CHAPITRE 4
ANALYSE DE LA FORME V « ta-fa33al »
1. Introduction
La forme V « ta-fa33al » fait partie de ces formes qui réalisent deux variations
par rapport à une forme I. En effet, cette forme manifeste un préfixe « ta- » et gémine la
deuxième consonne de la racine. Par sa première propriété, elle rejoint les formes qui
réalisent un morphème « t » et qui s’avèrent être réflexives, et par sa deuxième
propriété, elle est rapprochée de la forme II.
De la sorte, une forme V « ta-fa33al » renferme morphologiquement une
forme II « fa33al », à laquelle elle ajoute un morphème « t » : « ta+fa33al », ce qui
118
lui a valu d’être considérée comme étant la version réflexive de la forme II
« fa33al ». Sémantiquement également, cette forme est à rapprocher de la forme II.
En effet, la forme V peut rendre compte d’un :
a. causatif
b. intensif
c. une signification qu’on peut traduire par « se montrer »
d. un emploi dénominal
L’analyse que nous proposons pour la forme V « ta-fa33al » permettra de
déterminer sa structure syntaxique et fera ressortir la partie qu’elle a en commun
avec la forme II. Elle permettra également de comprendre la position préfixale du
morphème du réflexif « t » qui a le même statut et la même fonction que dans une
forme réflexive VIII « fta3al » où il est réalisé comme infixe.
Nous commençons par rappeler le gabarit qui sous-tend une forme V.
Ensuite, nous examinerons la forme V prototype, c’est-à-dire, celle qui indique le
réflexif du causatif, afin d’établir sa structure syntaxique et voir les projections
qu’elle renferme ainsi que le processus qu’elle suit dans sa formation. Enfin, nous
nous intéresserons aux emplois annexes d’une forme V pour vérifier qu’ils se
soumettent à la même structure et discerner ce qui est à l’origine de ces variations
d’interprétation dont ils font l’Objet.
2. Quel gabarit pour la forme V ?
Selon l’analyse morphophonologique proposée par Guerssel et
Lowenstamm, la forme V « ta-fa33al» utilise le CV- préfixal pour associer le
morphème « t », et le (CV) dérivationnel pour géminer la deuxième consonne de la
racine. Une autre façon de le dire est que la forme V est le résultat de la
concaténation du suffixe « t » à la forme II, comme montré en (162) :
119
(162) t f 3 l
CV- CV(CV) CV CV a a a
La voyelle « a » associée à la deuxième position CV est la même que l’on
retrouve à la forme I ; c’est la voyelle qui appartient à la tête V. Quant aux deux
autres voyelles, elles sont considérées comme étant des copies de cette voyelle
« a » :
(163) t f 3 l
CV- CV(CV) CV CV a
Leur existence est nécessaire pour des raisons phonologiques. En effet, la
première voyelle « a » est réalisée pour éviter la succession de deux consonnes en
début de mot « *tfa33al » (l’arabe classique exige que la position V du premier CV
d’un mot soit remplie). La dernière voyelle « a » que l’on retrouve, d’ailleurs, dans
toutes les formes verbales -à part la forme I où une voyelle lexicale est insérée
dans cette même position- est réalisée pour répondre au principe du
gouvernement propre : puisque la dernière position vocalique est vide, celle qui
précède n’est pas gouvernée et doit alors être remplie.
L’analyse syntaxique que nous proposons pour la forme V permettra de
déterminer l’origine de ces deux positions CV supplémentaires que renferme le
gabarit d’une forme V et de comprendre le mode d’association des éléments à ce
gabarit. On saura, par exemple, la raison pour laquelle « t » se réalise en position
préfixale alors qu’à la forme VIII « fta3al », ce même morphème se réalise en
position infixale.
120
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme V
Cette section sera divisée en deux sous-sections. Dans la première, sera
examiné l’emploi principal d’une forme V qui servira de base pour déterminer la
structure syntaxique d’une forme V et son processus de formation. Dans la
deuxième sous-section, seront traités les emplois annexes d’une forme V qui,
comme on va le voir par la suite, sont de simples effets de sens tributaires de la
structure et du sens de la racine.
3.1. Une forme à double face : causatif et réflexif
Il s’agit de l’emploi pour lequel la forme V est la plus connue. Le causatif
étant le prototype d’une forme II, il est tout à fait attendu qu’il en soit de même
pour une forme qui l’inclut morphologiquement et avec laquelle elle partage la
majorité de ses usages. Cet emploi sera, donc, le point de départ pour notre étude
de la forme V.
Observons quelques exemples :
(164) ta-3allama 3aliyy-un as-sibaaHat-a
réfl- a enseigné Ali-nominatif la natation-accusatif ‘‘Ali a appris la natation.’’
(165) ta-qallada aHmad-un as-sayf-a
réfl- a paré Ahmed -nominatif une épée-accusatif ‘‘Ahmed s’est paré d’une épée.’’
(166) ta-xawwafa aHmad-un
réfl- a.fait.peur Ahmed-nominatif ‘‘Ahmed s’est fait peur.’’
Ces formes sont étudiées par rapport à la forme II correspondante :
(167) 3allama kariim-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a
a enseigné Karim-nominatif Ali-accusatif la natation-accusatif ‘‘Karim a enseigné Ali la natation.’’
121
(168) qallada kariim-un aHmad-an as-sayf-a
a paré Karim-nominatif Ahmed une épée-accusatif ‘‘Karim a paré Ahmed d’une épée.’’
(169) xawwafa kariimu-un aHmad-an
a fait peur Karim-nominatif a Ahmed-accusatif ‘‘Karim a fait peur à Ahmed.’’
La première chose qui ressort de ces exemples est que les formes V réalisent
un argument en moins par rapport aux formes II correspondantes. En effet, les
exemples avec les formes II en (166) et (167) réalisent trois arguments, alors que
les exemples avec les formes V correspondantes en (163) et (164)n’en réalisent
que deux. De même, l’exemple avec la forme II en (168) réalise deux arguments
alors que l’exemple en (165) avec la forme V correspondante n’en réalise qu’un
seul.
En revanche, la forme V réalise un morphème « t ». On peut d’ores et déjà
présumer que ce morphème remplace l’argument manquant et qu’il est
responsable du sens réflexif qui ressort de la comparaison de chacune des formes
V avec sa correspondante de forme II.
3.1.1. Une structure pour abriter deux emplois
La forme V semble ainsi combiner le causatif et le réflexif. Il nous faut
découvrir la structure syntaxique qui permet la coexistence de ces deux emplois.
Examinons de près un des exemples de la forme V indiquant le réflexif du causatif :
(170) ta-3allama 3aliyy-un as-sibaaHat-a
réfl- a enseigné Ali-nominatif la natation-accusatif ‘‘Ali a appris la natation.’’
Comme nous venons de le voir, à la forme II correspondante, on a :
(171) 3allama kariim-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a
a enseigné Karim-nominatif Ali-accusatif la natation-accusatif ‘‘Karim a enseigné Ali la natation.’’
122
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]
√’
√3lm sibaaHa
3ali
karim
Sachant qu’à la forme I correspondante, on a :
(172) 3alima kariim-un as-sibaaHat-a
A su Karim-nominatif la natation-accusatif ‘‘Karim a su nager.’’
Si l’on compare la forme V à la forme II correspondante, il en sort un sens
réflexif. En effet, la forme II « 3allam » signifie « enseigner » tandis que la forme V
«ta-3allam » indique « apprendre » : « enseigner à soi-même ». Maintenant, si on la
compare à la forme I correspondante, il en sort à la fois un sens causatif et un sens
réflexif. En effet, la forme I « 3alim » signifie « savoir » tandis que la forme V
englobe le sens « enseigner » qu’on peut décomposer en « faire + savoir » plus un
sens réflexif : « faire savoir à soi-même ». De la sorte, la forme V « ta-3allam »
indique à la fois un causatif et un réflexif.
Morphologiquement, la forme V « ta-3allam » inclut une forme II « 3allam » :
« ta+3allam ». De même, sémantiquement, comme on vient de le voir, la forme V
inclut le sens qu’exprime la forme II. Partant du principe que ce qui donne à une
forme sa morphologie et son sens c’est sa structure syntaxique, nous concevons
que la forme V inclut la structure qui produit une forme II. Bien évidemment, à
cette structure sera ajouté ce qui distingue ces deux formes, à savoir un morphème
« t » responsable du sens « réflexif ».
Rappelons la structure d’une forme II « 3allam » :
(173)
123
La projection vP permet d’ajouter un argument à ceux de la racine, un verbe
« faire » ainsi qu’une position CV responsable de la gémination de la deuxième
consonne.46 On retrouve cette même structure dans une forme V avec les mêmes
effets. Reste maintenant à déterminer le statut du morphème « t » qui fait toute la
différence entre une forme II et une forme V et discerner ce qui lui donne sa
position préfixale.
Le morphème « t » est responsable du sens réflexif que renferme une forme
V.47 Il crée une coréférence entre le Sujet et l’Objet. En effet, la proposition avec la
forme V « ta3allam » en (169) peut être reconstituée comme suit :
(174) 3allam 3aliyy-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a
a enseigné Ali-nominatif Ali-accusatif la natation-accusatif ‘‘Ali a enseigné à Ali la natation.’’
Lors de l’étude de la forme VIII « fta3al » (forme réflexive de la forme I),
nous avons proposé que le morphème « t » se réalise dans une position
argumentale de la racine. Ce morphème est anaphorique et a besoin d’un
antécédent pour être lié. Dans cette forme, le morphème « t » est lié dans le
domaine de la racine. Autrement dit, c’est l’argument nominal apporté par la racine
en position Spécifieur de √P qui sert d’antecedent à ce morphème qui, lui, occupe
la position Complément de √P. Si ce morphème est l’unique argument de la racine,
son antécédent sera l’argument apporté par VP (rappelons-le lorsqu’une racine
apporte uniquement un argument Complément c’est VP qui apporte l’argument
Sujet). Ainsi, que l’argument qui sert d’antécédent soit dans le Spécifieur de √P ou
46 Cf. analyse de la forme II, P 94. 47 On peut être tenté de faire un rapprochement entre la forme du réflexif et la forme du passif et ce, parce que leur structure est, en apparence, similaire : un argument en moins que la forme correspondante. Toutefois, la forme II « 3allam » a une forme du passif qui est « 3ullim » :
- 3ullima 3aliyy-un as-sibaaHat-a a été enseigné Ali-nominatif la natation-accusatif Il est question, ici, de deux réalités différentes : la forme du passif « 3ullim » signifie que l’argument « 3ali » a subi une action « enseigner » alors que la forme du réflexif « ta-3allam » indique que l’argument « 3ali » est l’agent d’une action « apprendre ». Avec la forme V, on indique une coréférence entre le Sujet et l’Objet, ce qui n’est pas le cas avec le passif.
124
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]
√’
√3lm sibaaHa
3ali
t [CV]
de VP, le morphème « t » sera lié dans la position qu’il occupe, initialement, et où il
est adjacent à son antécédent.48
Nous concevons que le morphème « t » qui se réalise dans une forme V et
qui la dote d’un sens réflexif est de même nature que celui qui se manifeste dans
une forme VIII. Il s’agit de l’un des arguments de la racine qui se réalise sous une
forme pronominale ; c’est ce qui produit une forme V au lieu d’une forme II.
Dans une forme V « ta-3allam », la coréférence est établie entre le Sujet, qui
se trouve être l’argument apporté par vP, et le premier Objet, qui correspond à
l’argument apporté par la racine en position Spécifieur (Cf. exemple en (12)) ; le
deuxième Objet étant l’argument qui occupe la position Complément de √P. De la
sorte, le morphème « t » se réalise en position Spécifieur de √P et prend pour
antécédent l’argument apporté par vP.
Ainsi, la structure syntaxique de la forme V « ta-3allam » se présente comme
suit :
(175)
Il s’avère que la forme V « ta-3allam » n’est autre qu’une forme II « 3allam »
dont l’Objet se réalise sous forme d’un morphème « t ». Ce morphème n’ayant pas
le même antécédent que dans une forme VIII, il ne sera pas lié dans la même
position et par conséquent, il n’occupera pas la même place dans la forme verbale ;
c’est ce que nous verrons dans la sous-section suivante. 48 Cf. Exécution de la forme VIII, P72 .
125
V’
vP
v’
VP
V 3 lm | [CV] a
√P
v [CV]
√’
√3lm sibaaHa
3ali
t [CV]
3.1.2. Comment obtient-on une forme V
La forme V « ta-3allam » construit un causatif de la même manière qu’une
forme II « 3allam » ; c’est ce que nous montre sa morphologie puisqu’elle réalise
une géminée et c’est ce qu’on peut voir également en observant la manière dont le
verbe de base change de sens. En effet, à la forme V comme à la forme II, le causatif
se construit d’une manière additive : [faire + 3alim], autrement dit, on construit
d’abord un verbe de forme I puis, on l’associe à un verbe « faire ».
De la sorte, la forme V « ta-3allam » suit le même processus pour réaliser la
partie causative : la racine √3lm monte en V et s’associe à la position
consonantique du CV que ce dernier renferme, et dont la position vocalique est
occupée par une voyelle « a » :
(176)
Contrairement à la forme VIII, le morphème « t » ne s’associe pas à la racine
et ce, tout simplement, parce qu’il n’est pas lié dans la position qu’il occupe
présentement. En effet, ce qui détermine à quel moment le morphème « t » doit
s’associer, c’est la position qu’il occupe par rapport à l’argument qui lui sert
d’antécédent. La position de « t » au moment où il est lié est différente d’une forme
à une autre et par conséquent la tête à laquelle il va s’attacher l’est également. C’est
ce qui fait que dans une forme VI, ce morphème n’occupe pas la même place que
dans une forme VIII.
126
V’
vP
v’
VP
V 3lm | [CV] a
√P
v [CV]
√’
√3lm sibaaHa
3ali
t [CV]
t [CV]V
V’
vP
v’
VP
V 3 lm | [CV]+[CV] t a
√P
v [CV]
√’
√3lm sibaaHa
3ali
t [CV]
t [CV]
Dans une forme V, le morphème « t » qui se trouve en position Spécifieur de
√P prendra pour antécédent l’argument apporté par vP. La seule position qui lui
permette d’être visible par son antécédent est la position Spécifieur de VP. Par
conséquent, le morphème « t » monte en position Spécifieur de VP :
(177)
Comme il est question d’un morphème faible, il ne pourra pas rester seul et
doit obligatoirement s’attacher à une unité. Étant donné que le morphème « t » se
trouve dans la position Spécifieur de VP, la seule possibilité qui s’offre à lui c’est de
fusionner avec V’, ce qui lui vaut au final une position à gauche de V. C’est ce qui
explique que ce morphème se trouve à gauche du CV apporté par V, soit en
position préfixale :
(178)
127
V’
vP
v’
VP
V 3 lm | [CV]+[CV] t a
√P
√’
√3lm sibaaHa
3ali
t [CV]
t [CV]
v t 3 lm | | [CV][CV]+[CV] a
Asp’
AspP
Agr’
AgrP
Asp t 3 l m | | | [CV][CV][CV]+[CV] a
Agr t 3 l m | | | | [CV][CV][CV][CV]+[CV] a
3ali
3ali
V’
vP
v’
VP
V 3 lm | [CV]+[CV] t a
√P
v 3 lm | [CV][CV]+[CV] t a
√’
√3lm sibaaHa
3ali
t [CV]
t [CV]
Une fois cette fusion effectuée, V monte en v pour acquérir le trait
« causatif » et se met ainsi à gauche du CV contenu dans la tête de vP :
(179)
Ensuite, pour acquérir les traits d’aspect et d’accord, v se déplace, comme on
peut le voir en (179), dans la tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux
positions CV qui associent la deuxième et la troisième consonne de la racine.
L’argument en position Spécifieur de vP finit dans la position Spécifieur de AgrP :
(180)
128
Ainsi, on obtient sous la position Agr. cinq positions CV, un morphème « t »
et une racine √3lm. L’association au gabarit se fera comme suit :
� La racine √3lm s’associe à la première tête vers laquelle elle s’est déplacée, à
savoir au CV contenu sous V ;
� Le morphème « t » s’associe à la position C du CV qu’il apporte ;
� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté
par AspectP ;
� La troisième consonne de la racine s’associe à la position CV apportée par
AgreementP.
Ce qui donne le gabarit suivant :
(181) t 3 a l m
[C V][C V][CV][C V][C V] t V v Asp Agr
La position CV de v se trouve sans contenu phonétique. La deuxième
consonne de la racine ne peut pas identifier cette position, puisque la première
consonne de la racine a déjà identifié la position C du CV de V. Que la racine
identifie V ou v à une incidence quand à la manière dont le causatif est conçu (c’est
ce qui fait la différence entre la forme II et la forme V d’une part et la forme IV et la
forme X d’autre part). De ce fait, une racine ne peut pas identifier à la fois V et v.
Une position CV ne peut pas rester vide et la forme fait appel à des procédés
phonologiques pour la remplir, comme par exemple, insérer une consonne
épenthétique ou propager un segment déjà existant. Vu que CV ne se trouve pas en
début de mot, il n’est pas envisageable d’insérer une consonne épenthétique et
étant donné qu’il se trouve séparé du CV précédent par une voyelle « a », cela rend
impossible de propager la première consonne de la racine :
129
(182) * 3 l m
≠ C V C V(CV)C V C V t a
La seule possibilité est de propager la deuxième consonne de la racine qui
identifie la position C du CV qui suit :
(183) 3 l m
C V C V(CV)C V C V t a
C’est ainsi que l’on obtient la forme V causative réflexive « ta-3allam », qui
n’est d’autre qu’une forme II « 3allam » causative dont l’argument apporté par la
racine s’est réalisé sous forme d’un morphème « t ». Ce dernier, devant être lié à
l’argument Sujet, le réflexif émerge.
3.2. Une structure de causatif et des emplois non-causatifs
La forme V n’indique pas toujours le causatif-réflexif. Les grammairiens ont
repéré trois autres usages :
a. indiquer l’intensif (sens qu’elle partage avec la forme II) ;
b. rendre compte d’une signification qu’on peut traduire, en français, par « se
montrer » ;
c. un emploi dénominal.
Nous avons montré (dans la section précédente) que le sens causatif-réflexif
que dénote la forme V, considérée comme étant la forme canonique, provient d’une
structure de causatif combinée à un morphème du réflexif « t ». Admettant le
principe que ce qui donne à une forme verbale sa morphologie c’est sa structure
syntaxique, il faudra discerner les raisons qui font qu’une même structure puisse
130
donner lieu à différentes interprétations sémantiques. C’est ce que nous proposons
de faire dans la sous-section suivante.
3.2.1. D’où vient l’intensif et où est passé le réflexif ?
Il existe des cas où la forme V indique l’intensif au lieu d’indiquer le
causatif ; le même cas s’est présenté avec la forme II. De ce fait, on sait d’ores et
déjà que la structure du causatif peut, sous certaines conditions, engendrer un
intensif. A nous de vérifier que la forme V intensive se soumet à ces mêmes
conditions et de découvrir ce qu’il advient du sens réflexif que cette forme est
censée inclure.
Voici un exemple d’une forme V intensive :
(184) ta-farraqa al-jam3-u
a dispersé-réfl la foule-nominatif ‘‘La foule s’est dispersée.’’
Wright compare cette forme V à la forme VIII « ftaraq » :
(185) ftaraq al-jam3-u
a séparé-réfl la foule-nominatif ‘‘La foule s’est séparée.’’
En comparant la forme V « ta-farraq » à la forme VIII « ftaraq », sachant que
toutes les deux renferment un morphème du réflexif « t », Wright en conclut que la
spécificité de la forme V est qu’elle indique un intensif : la forme V indiquant « s’est
dispersée » et la forme I indiquant « s’est séparée ». On comprend dès lors
pourquoi le sens « réflexif » que renferme une forme V n’est pas soulevé du
moment où la comparaison s’est faite avec une autre forme réflexive. Ce que l’on
dit c’est que la forme V « ta-farraq » indique l’intensif par rapport à la forme VIII
« ftaraq ». Ce qui est tout à fait exact. Néanmoins, cela n’empêche pas qu’elle soit,
elle aussi, réflexive.
131
Pour s’en assurer, procédons de la même manière que pour une forme
causative réflexive et comparons la forme V à la forme II correspondante :
(186) farraqa kariim-un al-jam3-a
a dispersé Karim-nominatif la foule-accusatif ‘‘Karim a dispersé la foule.’’
La forme II « farraq » indique « disperser » et réalise deux arguments
nominaux. Quant à la forme V « ta-farraq », elle indique « se disperser » et réalise
un argument nominal et un autre pronominal « t ». Il ressort, de cette comparaison,
que la forme V « ta-farraq » est la forme réflexive de la forme II « farraq ».
De la sorte, si l’on étudie cette forme V par rapport à la forme VIII
correspondante, on dira que la forme V est une forme intensive mais si l’on étudie
la forme V par rapport à la forme II, on dira que la forme V est une forme réflexive.
Tout simplement, la forme V« ta-farraq » est une forme intensive réflexive.
Intéressons-nous, maintenant, au sens intensif que l’on accorde à la forme V
« ta-farraq ». Commençons par rappeler que la forme II « farraq » est également
une forme qui indique l’intensif au lieu d’indiquer le causatif. De ce fait, il n’est pas
surprenant qu’une forme V, supposée englober une forme II intensive, puisse à son
tour indiquer l’intensif au lieu du causatif. Le sens intensif que dénote la forme V
« ta-farraq » serait, donc, apporté par la partie « farraq » qu’elle inclut.
Pour prévaloir l’existence du sens intensif, nous proposons de comparer
cette forme V avec la forme I correspondante :
(187) faraqa kariim-un al-jam3-a
a séparé Karim-nominatif la foule-accusatif ‘‘Karim a séparé la foule.’’
La forme I « faraq » indique « séparer » et réalise deux arguments. La
formeV « ta-farraq » indique « disperser » et réalise également deux arguments ;
l’un des deux est réalisé sous une forme pronominale. On s’attend d’une structure
du causatif qu’elle apporte un argument supplémentaire et un sens qui peut être
132
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]
t [CV]
√frq m
jam3
rendu par « faire » ; chose que l’on n’a pas avec la forme V « ta-farraq ». L’absence
de « faire » et par la suite, du sens causatif est justement tributaire du fait qu’il
manque un argument dans cette structure. De cette conjoncture naît le sens
intensif.
Les raisons de cette situation ont été expliquées en détails lors de l’étude de la
forme II intensive. Nous nous contentons ici de présenter globalement le phénomène et
dirigeons le lecteur, pour plus de détails, vers chapitre sur la forme II (Cf : forme II
intensive P : 100).
Lorsqu’une racine qui ne projette qu’un seul argument, qu’elle place dans la
position Complément, est enchâssée dans une structure du causatif, elle ne peut
pas répondre au schéma : [Agent1 fait Agent2 verbe Patient]. Avec ce genre de
racine, on a la structure suivante : [Agent1 fait ø verbe Patient]. La forme verbale
qui en résulte, quoiqu’ayant une structure de causatif, ne peut pas dénoter le
causatif et se voit dotée d’un sens intensif.
De ce fait, la structure de la forme V intensive renferme (comme c’est le cas
pour la forme II intensive) une projection vP qui apporte l’argument Sujet et qui
est responsable de la réalisation d’une géminée et de la modification des traits
sémantiques de la racine, une projection VP et une racine dont la projection
contient uniquement un Complément.
Ainsi, la structure de la forme V « ta-farraq » se présente comme suit :
(188)
133
La forme V intensive suivra le même processus de formation que la forme V
causative. Pour voir les détails concernant les mouvements syntaxiques et le mode
d’association au gabarit qui en résulte afin de réaliser une forme V intensive, le
lecteur pourra se référer à l’exécution de la forme V causative (Cf. P : 125).
Le fait qu’il manque un argument dans cette structure a pour conséquence
de modifier l’interprétation sémantique de la forme verbale mais n’interfère en
rien pour ce qui est de son exécution. Que la forme soit causative ou intensive, du
moment où elle renferme la même structure et procède aux mêmes mouvements,
le résultat morphologique sera le même.
3.2.2. Un faux causatif combiné à un réflexif
Cet usage est cité par Sibawayh et il n’est pas repris par Wright. Dans ce cas,
la forme V dénote « se montrer dans un état donné »49 et non pas « faire être dans
un état donné», qui aurait été un causatif. La différence est très subtile et ce cas
aurait pu être assimilé à celui du causatif. Toutefois, puisqu’il est cité comme
indiquant un sens différent, il serait intéressant de l’examiner et de voir ce qui fait
sa particularité. Voici un exemple :
(189) ta-šajja3a 3aliyy-un
réfl- rendre courageux Ali-nominatif ‘‘Ali s’est montré courageux.’’
À la forme II correspondante on a :
(190) šajja3a kariim-un 3aliyy-an
a.rendu.courageux Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a encouragé Ali.’’
La forme II « šajja3 » indique que le Sujet « rend (faire être) l’Objet
courageux », ce qui fait que cette forme est une forme causative. On s’attendrait à
49 Sibawayh : « liyuriika annahu fi Haalin laysa fiihaa » (pour te montrer que l’état qu’il manifeste n’est pas l’état dans lequel il se trouve ». (1938 : 69)
134
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]
t [CV]
√ šj3 m
3ali
ce que la forme V « tašajja3 » qui renferme la même structure et ne fait que
réaliser un morphème « t » à la place de l’argument nominal Objet, garde ce sens
causatif et lui ajoute un réflexif. Dans ce cas, cette forme aurait signifié : « rendre
soi-même courageux ».
Toutefois, la présence du réflexif affaiblit le causatif et au lieu d’avoir le sens
« se rendre », on a le sens « se montrer ». Une forme V « « ta-šajja3 » indique que le
Sujet montre qu’il est courageux alors qu’il ne l’est pas au préalable. Il est vrai que
l’on peut penser que, pendant un moment donné, le Sujet « devient courageux », ce
qui nous ramène au causatif, mais le fait que ce soit la même personne qui se
trouve à la fois dans l’état « non courageux » et dans une action « de se rendre
courageux », conduit à l’interprétation « se montrer », selon Sibawayh.
De la sorte, le sens que donne Sibawayh à la forme V « ta-šajja3 » n’est
d’autre que le résultat d’un verbe « être courageux » soumis à une forme qui
combine le causatif et le réflexif.
Cette forme répond parfaitement à la structure canonique proposée pour la
forme V : elle apporte un argument supplémentaire, ajoute un verbe et réalise un
morphème « t ». Ainsi, la structure de la forme « ta-šajja3 » se présente comme
suit :
(191)
La forme « ta-šajja3 » renferme la même structure et réalise la même
morphologie que la forme V canonique, par conséquent, elle suivra le même
processus de formation que cette dernière. Le lecteur pourra se référer à la sous
135
section détaillant les étapes que suit une forme V causative pour son exécution (Cf.
P : 125).
3.2.3. Du nom au verbe
La forme V, comme plusieurs autres formes verbales, peut être dénominale.
Rappelons que ce terme est employé pour indiquer qu’un verbe est dérivé d’un
nom. Dans notre hypothèse de travail, cela correspond à un verbe formé d’une
racine qui ne projette aucun argument. Voici un exemple :
(192) ta-?assada al-muHaarib-u
réfl- a.rendu.comme.un.lion le guerrier-nominatif ‘‘le guerrier est devenu comme un lion.’’
Avec la forme nominale correspondante on a ce qui suit :
(193) Saara al-muHaarib-u ka al-?asad-i
est devenu le guerrier-nominatif comme un lion-génitif ‘‘Le guerrier est devenu comme un lion.’’
La forme V dénominale ne se distingue pas des autres formes V quant au
sens qu’elle véhicule. En effet, « ta-?assad » est une forme qui dénote à la fois un
sens réflexif et un sens causatif. Elle indique que le Sujet modifie lui-même son état
(d’où le sens réflexif) et « devient comme un lion » (d’où le sens causatif puisque) ;
« devenir » se laisse décomposer en (faire+être). Signalons qu’une forme II
« ?assad » indiquerait qu’un Sujet rend un Objet « comme un lion ».
La particularité d’une forme comme « ta-?assad » réside dans le fait qu’elle
soit formée d’une racine qui réfère à un Objet du monde et qui est donc destinée à
former un nom « ?asad » (lion). Cette racine ne dénote ni une action ni un état et
n’a aucun argument.
De la sorte, la forme V « ta-?assad » renferme une structure de causatif, à
savoir une projection vP, qui lui apporte un argument, une position (CV) dont
résulte la gémination de la deuxième consonne de la racine et un verbe « faire ».
136
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
v [CV]
√?sd
muHaarib
t [CV]
Cette forme contient également un sens « réflexif » et, comme on le sait, le réflexif
indique que deux arguments sont co-référents. Sachant que la racine dont il est
question ici n’apporte aucun argument et que la structure vP en apporte
uniquement un, la question de savoir d’où vient le deuxième argument se pose
nécessairement.
Hormis la racine et vP, VP a le pouvoir d’apporter un argument. Dans une
structure de causatif, vP apporte l’argument Sujet et VP se contente d’accueillir
celui en Spécifieur de √P. Lorsque ce dernier n’est pas realise, deux cas se
présentent : soit la racine possède un argument Complément et dans ce cas aucun
argument ne sera apporté par VP (il en résulte un intensif au lieu d’un causatif),
soit alors la racine ne possède aucun argument et dans ce cas VP peut en apporter
un (la forme qui en résulte indiquera le causatif). Le même cas s’est présenté avec
la forme II dénominale.
De ce fait, nous présumons que dans le cas de la forme V dénominale « ta-
?assad », vP apporte l’argument Sujet « al-muHaarib » et VP apporte comme
argument le morphème « t ». En principe, rien n’empêche VP d’apporter un
argument pronominal du moment où il est sélectionné par une projection qui, elle,
apporte l’argument qui lui servira d’antécédent.
Ainsi, la structure de la forme dénominale « ta-?assad » se présente comme
suit :
(194)
137
La forme V dénominale suit le même processus de formation qu’une forme V
canonique. Toutefois, la racine ne projette pas et donc son association avec le
premier V ne se fera pas un mouvement de tête à tête mais par une simple
association de tête à Complément, chose qui n’aura aucune incidence sur le
résultat morphologique.
Le fait que le morphème « t » soit l’argument sélectionné par VP et non pas
par la racine ne change rien à la structure, puisque même quand il est apporté par
la racine, il se déplace dans cette position pour être lié par son antécédent.
4. Conclusion
La forme V est la forme réflexive de la forme II. Elle a exactement la même
structure syntaxique que cette dernière : elle réalise un argument supplémentaire
par rapport à ceux de la racine ainsi qu’un verbe « faire » et gémine la deuxième
consonne de la racine. Cette structure qui résulte de l’ajout d’une projection vP
procure à la forme V le sens « causatif ». La structure de la racine ou son sens
peuvent moduler cet emploi principal et engendrer un intensif ou un sens « se
montrer » ou un emploi dénominal, mais ils ne changent en rien la structure
syntaxique d’un causatif-réflexif.
Ce qui distingue une forme V d’une forme II c’est le fait qu’à la forme V,
l’argument apporté par la racine (ou par VP dans le cas de la forme dénominale) ne
se réalise pas sous sa forme nominale mais sous une forme pronominale « t ». Ce
morphème prend pour antécédent l’argument apporté par v. De cette coréférence
nait le sens « réflexif ».
Le morphème « t » ne peut pas se réaliser seul et finit par s’attacher à V. La
place qu’il occupe dans la forme V « ta-fa33al » lui est accordée par la position qu’il
occupe au moment où il est lié par un antécédent, à savoir Spécifieur de VP (et
donc à gauche de du CV apporté par V).
138
CHAPITRE 5
ANALYSE DE LA FORME IV « ?af3al »
1. Introduction
La forme IV « ?af3al » a la particularité de réaliser une séquence « ?a » en
position préfixale. Cette séquence est considérée par certains grammairiens
comme étant un vrai préfixe donnant à la forme IV son sens et sa forme.
Cependant, le choix de la consonne « ? » sème le doute quant à son statut et laisse
139
présager une simple consonne épenthétique ; d’autant plus que celle-ci disparaît
dans les formes de l’imperfectif : « yu-f3il » et non pas « *yu- ?af3il ».
La forme IV « ?af3al » a divers emplois, elle peut indiquer :
a. le causatif (emploi pour lequel elle est plus connue),
b. indiquer l’estimatif,
c. avoir un emploi dénominal,
d. changer un état en une action,
e. changer une action en un état.
On retrouve les emplois cités en (a), (b) et (c) dans la forme II également.
Pour ce qui est des emplois cités en (d) et (e), ils sont spécifiques à la forme IV et
sont, par ailleurs problématiques. En effet, avec ces deux usages, la forme IV se
réalise intransitive alors que, comme nous allons le voir, les formes IV apportent
un argument supplémentaire à ceux de la racine et sont donc transitives.
L’analyse que nous proposons pour la forme IV permettra de discerner :
a. la structure syntaxique de la forme IV ;
b. le statut du « ?a » initial ;
c. la source des différentes significations que dénote la forme IV ;
d. la similitude et la dissimilitude à l'égard de la forme II, avec laquelle elle
partage la majorité de ces emplois.
Ce dernier point lance un vrai défi dans la mesure où nous devons faire face
à deux formes qui partagent les mêmes rôles (précisément le causatif) et qui, par
conséquent, doivent partager la même structure syntaxique mais qui n’aboutissent
pas la même morphologie.
140
Nous commencerons par rappeler le gabarit qui sous-tend une forme IV et le
mode d’association qu’elle adopte. Ensuite, nous établirons le type de projections
et de mouvements syntaxiques qui engendrent une forme IV « ?af3al » et ce, en se
basant sur l’étude de la forme IV causative. Enfin, nous examinerons chacun des
emplois annexes de la forme IV, attestés dans la langue, pour comprendre ce qui
engendre cette diversité d’interprétations sémantiques et s’assurer que cela ne
remet pas en cause l’analyse syntaxique proposée.
2. Quel gabarit pour la forme IV ?
Rappelons que le gabarit unique qui engendre les dix formes verbales est :
CV-CV(CV) CVCV ; le premier CV- est nommé ‘préfixal’, celui entre parenthèse est
dit dérivationnel et les trois CV restants constituent le gabarit de base. Dans cette
section, nous proposons de montrer :
a. Combien de positions CV sont activées pour réaliser une forme IV ;
b. Quel segment s’associe à quelle position.
L’analyse morphophonologique de la forme IV « ?a-f3al » présentée par
Lowenstamm et Guerssel propose que cette forme utilise la position
dérivationnelle (CV) pour se réaliser ; sans pour autant géminer une consonne ou
allonger une voyelle. C’est la première consonne de la racine qui occupe la position
C du (CV) dérivationnel et c’est la séquence « ?a » qui occupe la première position
CV du gabarit de base :
(195) f 3 l
C V (CV) C V C V ? a
141
Dans cette théorie, la séquence « ?a » qui apparaît au début de la forme n’est
pas considéré comme préfixe mais tout simplement comme consonne
épenthétique :
La forme IV « ?af3al » utilise le même gabarit qu’une forme II « fa33al » ;
avec laquelle elle partage le même emploi (le causatif). Cependant, l’association
des éléments au gabarit ne se fait pas de la même manière. Rappelons qu’à la forme
II, c’est la deuxième consonne de la racine qui identifie le (CV) dérivationnel (la
première consonne étant associée au premier CV du gabarit de base).
3. A la recherche de la structure syntaxique d’une forme IV
Dans cette section, nous examinerons, en premier, l’emploi principal d’une
forme IV -à savoir le causatif- afin de déterminer les projections syntaxiques que
renferme une forme IV et les mouvements qu’elle suit pour sa réalisation. Dans un
deuxième temps, nous nous intéresserons aux emplois annexes, qui s’écartent de
cet usage principal, pour vérifier qu’ils se soumettent à la même structure
syntaxique et pour discerner la source de cette différence d’interprétations
sémantiques.
3.1. Le causatif : point de départ pour l’analyse d’une forme IV
La forme IV « ?af3al » est connue pour indiquer le sens causatif. Soit les
exemples suivants d’une forme IV causative :
(196) ?axraja kariim-un 3aliyy-an
a fait sortir Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait sortir Ali.’’
(197) ?axaafa karim-un 3aliyy-an
a fait peur Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait peur à Ali.’’
142
(198) ?anjaa karim-un 3aliyy-an mina al-Raraq-i
a sauvé Karim-nominatif Ali-accusatif de la noyade-génitif ‘‘Karim a sauvé Ali de la noyade.’’
En vue de faire ressortir les propriétés d’une forme IV, celle-ci est comparée
à une forme I ; soit les formes I correspondant aux formes IV citées ci-dessus :
(199) xaraja 3aliyy-un
est sorti Ali-nominatif ‘‘Ali est sorti.’’
(200) xaafa-a 3aliyy-un
a eu peur Ali-nominatif ‘‘Ali a peur.’’
(201) najaa 3aliyy-un mina al-Raraqi
a échappé Ali-nominatif de la noyade-génitif ‘‘Ali a échappé à la noyade.’’
Si l’on compare l’exemple en (196) à celui en (199), l’exemple en (203) à
celui en (200) et l’exemple en (198) à celui en (201), on s’aperçoit que la forme IV
apporte un argument supplémentaire, par rapport à celui qu’on a avec la forme I.
En effet, les verbes à la forme I réalisent un seul argument tandis que les verbes à
la forme IV en réalisent deux.50
De surcroit, la glose de chacune de ces formes IV laisse entrevoir un verbe
« faire » qui ne se manifeste pas à la forme I correspondante. En effet, la forme I
« xaraj » signifie « sortir » alors que la forme IV « ?axraj » indique « faire sortir », la
forme I « xaaf » signifie « avoir peur » alors que la forme IV « ?axaf » indique « faire
peur » et enfin, la forme I « najaa » signifie « échapper » tandis que la forme IV
« ?anjaa » indique « faire échapper » (sauver).
50 La forme IV sélectionne en majorité les racines dont la structure se résume à [Spécifieur + racine]. Les racines qui ont un Complément prennent rarement une forme IV.
143
3.1.1. Quelle structure pour la forme IV causative ?
Le causatif qu’indique la forme IV est accompagné par un changement de la
structure syntaxique. En effet, en plus d’indiquer « faire », la forme IV ajoute un
argument à la structure de la forme simple et par la même occasion, ajoute un
morphème « ?a- ».
Reprenons un des exemples cités ci-dessus :
(202) ?axraja kariim-un 3aliyy-an
a fait sortir Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait sortir Ali.’’
Sachant qu’avec la forme I correspondante on a :
(203) xaraja 3aliyy-un
est sorti Ali-nominatif ‘‘Ali est sorti.’’
La forme IV « ?axraj » se distingue de la forme I « xaraj » par deux points.
Premièrement, elle renferme un autre verbe en dehors de celui qu’elle a en
commun avec la forme I, il s’agit de « faire ». Certes, ce verbe n’est pas de même
nature que le premier pour la simple raison qu’il n’a pas un contenu phonétique
bien établi et qu’il n’est pas formé avec une racine, mais il reste néanmoins un
élément donnant lieu à un prédicat au sens de « faire ». Deuxièmement, elle ajoute
un argument « Karim » à la structure initiale.
De le sorte, la forme IV « ?a-xraj » englobe la structure d’une forme I
« xaraj », que nous donnons en (204), à laquelle s’ajoute une autre structure
contenant un argument externe ainsi qu’un élément, que nous continuerons
d’appeler « verbe » même s’il n’a pas l’aspect d’un verbe vu qu’il a le comportement
syntaxique de celui-ci.
144
V’
v’
VP
V [CV] a
√P
v [ CV]
√xrj
karim
3ali
vP
V’
VP
V [CV] a
√P
√xrj
3ali
Rappelons ici la structure de la forme I « xaraj » :
(204)
La forme IV « ?axraj » comporte également une racine √xrj avec son
argument « 3ali », et réalise la voyelle « a ». Etant donné sa propriété d’ajouter un
verbe « faire » et un argument à la structure simple, nous présumons qu’elle
contient (comme c’est le cas pour la forme II causative), une projection vP dont la
position Spécifieur renferme l’argument supplémentaire « karim » et dont la tête
renferme une position « CV ». La présence de cette position supplémentaire
augmente le gabarit de base, ce qui aura pour effet la réalisation du morphème
« ?a ».
De ce fait, la structure de la forme IV « ?axraj » est la suivante :
(205)
Vous remarquerez que nous n’avons pas mis « ? » dans la position v et ce,
parce que nous présumons qu’il ne s’agit pas là d’un morphème du causatif mais
d’une simple consonne épenthétique ; signalons que la voyelle « a » dans « ?a » est
la voyelle que l’on retrouve dans V.
145
Etant une tête fonctionnelle, v disposera d’une position CV. L’étude de la
forme II causative illustre cette proposition, puisque cette dernière gémine la
deuxième consonne de la racine et l’on sait qu’une gémination est l’indice
phonologique de la présence d’une position CV vide. La forme IV implique un
deuxième argument, pour la présence d’une position CV sous v, puisque le résultat
morphologique montre qu’il y a eu nécessité de remplir par prothèse une position
C, vu le recours à la consonne épenthétique.
La structure syntaxique dégagée pour la forme IV est identique à celle que
l’on a élaborée pour la forme II. Pourtant, ces deux formes se distinguent par leur
morphologie. En effet, à la forme II, l’existence de v a pour effet la gémination de la
deuxième consonne de la racine tandis que la présence de ce même élément, a
pour effet, à la forme IV, l’insertion d’une consonne épenthétique.
Cette situation présente un défi majeur à notre hypothèse dans la mesure où
nous préconisons que deux formes morphologiquement différentes doivent avoir
deux structures syntaxiques différentes.
Néanmoins, la structure syntaxique d’une forme donnée ne se limite pas aux
projections qu’elle renferme. Nous avons pu voir que ce qui distingue une forme I
d’une forme II, c’est une différence au niveau du type de projections, mais nous
avons pu voir aussi que ce qui distingue une forme I d’une forme VIII (renfermant
tous les deux les mêmes projections), c’est la nature des arguments de la racine
(nominale ou pronominale). La forme IV nous offre un autre trait qui permet de
distinguer deux formes qui partagent les mêmes projections ; il s’agit du type des
mouvements syntaxiques effectués au sein d’une même structure.
146
3.1.2. Comment générer une forme IV, à partir d’une structure qui produit
une forme II
Maintenant que l’on connaît la structure d’une forme IV, il faut déterminer
les différents mouvements et déplacements qui permettent de produire une forme
IV « ?axraj ». C’est cette étape qui va différencier la forme IV de la forme II.
Ces deux formes indiquent le causatif, apportent un argument externe et un
verbe « faire », mais la manière dont ils construisent le sens causatif n’est pas la
même. En effet, la forme II se décompose d’une manière différente de la forme IV.
Nous donnons la structure d’une forme II en (206) et celle de la forme IV en (207) :
(206) [argument faire [argument verbe (argument)]]
(207) [argument faire verbe argument].
Pour mieux cerner la différence entre ces deux formes, citons une forme
verbale qui se prête à la fois à la forme II et à la forme IV. Soit la racine √3lm mise à
la forme I, puis à la forme II et enfin à la forme IV:
(208) 3alima 3aliyy-un al-Haqiiqa-ta
a su Ali-nominatif la vérité-accusatif ‘‘Ali a su la vérité.’’
(209) 3allama kariim-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a
a enseigné Karim-nominatif Ali-accusatif la natation-accusatif ‘‘Karim a enseigné la natation à Ali.’’
(210) ?a3lama kariim-un 3aliyy-an al-Haqiiqa-ta
a informé karim-nominatif Ali-accusatif la vérité-accusatif ‘‘Karim a informé Ali la vérité.’’
Ce qui distingue la forme II « 3allam » (enseigner) de la forme IV « ?a3lam »
(informer) est que dans le premier cas, le Sujet est responsable seulement de
l’action « faire » et non pas de « faire savoir ». A la forme II, on commence par
construire la proposition « 3ali sait » et après on ajoute le causatif « faire » :
[Karim fait [3ali sait]]. C’est ce qui fait qu’en arabe classique on peut dire :
147
(211) 3allam-tu-hu wa lam ya-ta3allam
j’ai enseigné-lui et ne pas il apprend ‘‘Je lui ai enseigné et il n’a pas appris.’’
Par contre, dans le deuxième cas, le Sujet est responsable du verbe « faire
savoir ». A la forme IV « ?a3lam », on crée un verbe causatif et ce en introduisant le
trait « faire » au verbe lexical : [karim fait savoir 3ali]. C’est la raison pour laquelle
en arabe classique on ne pourra pas dire :
(212) *?a3lam-tu-hu wa lam ya-3lam
j’ai informé-lui et ne pas il sait ‘‘Je l’ai informé et il n’a pas su.’’
Cette différence quant à la position du verbe lexical se traduit par une
différence au niveau de la position qui accueille la racine. En effet, ce qui va
distinguer une forme IV d’une forme II c’est le choix de la tête fonctionnelle à
laquelle sera associée la racine. A la forme II, la racine s’associe d’abord à V puis les
deux montent en v ; c’est ce qui fait que la forme « fa33al » est décomposée
en [argument faire [argument racine]]. Par contre, à la forme IV, nous proposons
que la racine se déplace directement en v ; c’est ce qui fait que la forme IV « ?af3al »
est décomposée en [argument faire racine argument].
De surcroit, la voyelle « a », morphème de la voix active, n’est pas attachée
au verbe « xrj » mais plutôt au verbe causatif sous v. En effet, si on construisait
d’abord un verbe à la forme I puis on ajoutait le causatif, on aurait eu « *?xaraj ». Il
s’avère ainsi, que la voyelle de l’actif « a » au lieu de se joindre à la racine, comme
c’est le cas dans la forme I, se joint plutôt au verbe causatif sous v. Ainsi, le premier
mouvement à opérer pour obtenir une forme IV « ?axraj », est de déplacer V vers v
par un mouvement de tête à tête :
148
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]+[CV] a
√xrj
kariim
3ali
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v x r j | [CV]+[CV] a
√xrj
kariim
3ali
(213)
Ce premier mouvement produit une suite « Ca CV » puisque le CV de V, dont
la position vocalique est occupée par une voyelle « a », se retrouve à gauche du CV
apporté par v, suite au déplacement de V en v.
Ensuite, la racine √xrj monte en v et s’associe à la position C du CV contenu
dans ce dernier :
(214)
La racine a la possibilité de franchir une position tête qui la sépare de v
puisque celle-ci est vide suite au déplacement de V à v. De surcroit, on peut
supposer que vP et VP représentent un même domaine complexe auquel cas, le
déplacement de la racine directement en v ne constitue pas aucune violation.
Et enfin, pour acquérir les traits d’aspect et d’accord, v se déplace dans la
tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux positions CV qui associent la
deuxième et la troisième consonne de la racine. L’argument en position Spécifieur
de vP finit dans la position Spécifieur de AgrP :
149
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
√xrj
kariim
v x rj | [CV]+[CV] a
Asp’
AspP
Agr’
AgrP
Asp x r j | | [CV][CV]+[CV] a
3ali
Agr x r j | | | [CV][CV][CV]+[CV] a
(215)
Ainsi, on obtient sous la position Arg. quatre positions et une racine √xrj.
L’association au gabarit se fera comme suit :
� La racine √xrj s’associe à la première tête vers laquelle elle s’est déplacée,
à savoir au CV contenu sous v ;
� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté
par AspectP ;
� La troisième consonne de la racine s’associe à la position CV apportée par
AgreementP ;
Ce qui donne le gabarit suivant :
(216) a x r j
[C V][CV][C V][C V]
V v Asp Agr
La position consonantique du CV apportée par V se trouve en début de mot
dépourvu de tout contenu phonétique. Par conséquent, une consonne
épenthétique est insérée :
150
V’
vP
v’
VP
√P
√f3l
√’
V [CV] a
v [CV]
(1)
(2)
V’
vP
v’
VP
√P
√f3l
√’
(1)
(2)
V [CV] a
v [CV]
(217) x r j
C V (CV) C V C V
? a
Le fait que la consonne « ? » soit associée à la position CV de V et non pas à la
position CV de v, confirme que ce que les grammairiens considéraient comme étant
le morphème du causatif, n’est en réalité qu’une consonne épenthétique insérée
pour des raisons morphophonologiques.
Ainsi, la forme IV a la même structure syntaxique qu’une forme II, à savoir
une projection vP responsable du sens causatif que ces deux formes dénotent. Ce
qui va les distinguer ce sont les mouvements syntaxiques opérés au sein de cette
même structure.
Dans ces deux formes, la racine se trouve dominée par deux projections : la
projection VP qui produit le verbe lexical et apporte la voix active, et la projection
vP qui produit le verbe causatif et apporte un argument ‘agent’.
Il va de soi que, dans les cas où VP est dominé par vP, V monte dans la
position v. La racine qui ne constitue pas le contenu de V, mais qui a sa propre
projection, doit également monter en vP ; puisque c’est elle qui donne le contenu
lexical du verbe et que dans cette structure le verbe est v. Deux chemins sont
possibles : soit la racine monte d’abord en V (218)a soit alors, elle monte
directement en v (218)b :
(218) a. b.
151
Dans le premier cas, le résultat est un verbe lexical auquel on ajoute un
causatif : [faire [forme I]], tandis que dans le deuxième cas, le résultat est un verbe
causatif [faire racine].
De ces deux mouvements différents résultent deux formes différentes. Le
mouvement vers V associe la racine à la position C du CV de ce dernier et le
mouvement vers v associe la racine à la position C du CV de ce dernier. Du premier
mouvement résulte une forme II « fa33al » qui gémine la deuxième consonne de la
racine et du deuxième mouvement résulte une forme IV « ?af3al » qui insère une
consonne épenthétique.
Le fait de proposer l’existence d’une projection √P a permis la distinction
entre la forme II causative et la forme IV causative. Avec uniquement une
projection VP et une projection vP on n’aurait pas pu rendre compte de cette
différence de mouvement. De ce fait, l’analyse des formes II et IV consolide
l’hypothèse selon laquelle une racine projette et a son propre domaine et n’est pas
un élément terminal de V.
A présent que l’on a établi la structure syntaxique d’une forme IV et qu’on a
discerné son processus de formation, examinons les formes IV qui indiquent un
sens autre que le causatif. A priori, c’est le sens de la racine et sa structure qui ont
un impact sur le sens du verbe généré sous v. L’important est de montrer que
malgré la différence de nuances sémantiques entre des formes de type IV, cela
n’affecte pas la formation même du verbe et ne constitue pas un contre exemple à
au processus de formation qu’on vient d’établir.
3.2. Une structure du causatif qui n’engendre pas un causatif
Il existe des cas où la forme IV, dont la morphologie est produite par une
structure du causatif, a une interprétation sémantique différente de celle à laquelle
elle était destinée. Nous proposons de voir quels sont ces cas et quelle est la cause
152
de cette dissociation entre structure syntaxique et interprétation sémantique. La
morphologie, quant à elle, reste intacte.
3.2.1. Quand « faire » laisse place à « estimer »
La forme IV peut indiquer « l’estimatif ». Cette dénomination vient du fait
que cette forme apporte une prédication supplémentaire qui peut être rendue par
un verbe « estimer » au lieu d’un verbe « faire ». Observons les deux exemples
suivants :
(219) ?abxal-a kariim-un 3aliyy-an
a estimé.avare Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a estimé que Ali est avare.’’
(220) ?ajban-a kariim-un 3aliyy-an
a estimé.lâche Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a estimé que Ali est lâche.’’
Aves les formes I correspondantes, on a :
(221) baxil-a 3aliyy-un
est avare Ali-nominatif ‘‘Ali est avare.’’
(222) jabun-a 3aliyy-un
est lâche Ali-nominatif ‘‘Ali est lâche.’’
Les formes IV présentées dans les exemples ci-dessus apportent, comme
c’est le cas avec les formes IV à valeur causative, un argument supplémentaire
comparées aux formes I correspondantes.
Elles apportent également un prédicat supplémentaire. En effet, la forme I
« baxil » signifie « être avare » alors que la forme IV « ?abxal » signifie
« estimer que quelqu’un est avare » (au lieu de « faire que quelqu’un soit avare »).
De même, la forme I « jabun » signifie « être lâche » alors que la forme IV « ?ajban »
153
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]
√bxl
kariim
3ali
signifie « estimer que quelqu’un est lâche » (au lieu de « faire que quelqu’un soit
lâche »).
Ainsi, la forme IV estimative partage avec la forme IV causative, la propriété
d’ajouter un argument et un verbe supplémentaires.
De ce fait, une forme telle que « ?abxal » (donnée dans l’exemple (219))
renferme la même structure qu’une forme IV causative, à savoir une projection vP,
puisqu’elle ajoute un verbe et un argument à la structure du base.
Ainsi, la structure de la forme IV estimative se présente comme suit :
(223)
L’absence d’un verbe à contenu phonétique bien établi, et donc d’une
référence lexicale, sous v, fait de celui-ci une simple position syntaxique dont le
sens primaire et premier est « faire ». Cependant, la structure syntaxique causative
peut engendrer d’autres significations proches et ce, suivant le sens de la racine. En
effet, la structure de la racine, ses traits sémantiques, le rôle thématique de ses
arguments déterminent le sens qu’aura la prédication engendrée par v.
Une racine telle que √bxl denote une qualite, un trait intrinsèque d’une
personne, qui ne peut pas être acquis à la demande d’une tierce personne. Dans
cette perspective, lorsque le verbe « être avare » est enchâssé dans une structure
causative, le résultat n’est pas : [Sujet fait être avare Objet], car « être avare »
n’accepte pas « faire » dans son sens strict. Par conséquent, la stratégie adoptée
par la forme IV « ?abxal » est de passer de « accomplir une action » à « accomplir
154
un jugement », ce qui produit la structure : [Sujet estime être avare Objet] ;
« estimer » pouvant être traduite par « faire par la pensée ».
Ainsi, ce qui distingue la forme estimative « ?abxal » de la forme causative
« ?axraj » c’est le fait que dans cette dernière le sens obtenu sous le niveau v est
« faire » alors que dans la première, le sens obtenu sous le niveau v est « estimer ».
La différence entre les deux n’est pas une question de structure syntaxique mais il
s’agit tout simplement d’une affaire de sens de la racine.
Il est intéressant de rappeler que la forme IV et la forme II qui, toutes les
deux, indiquent le sens causatif partagent également le sens estimatif. De la sorte,
l’hypothèse selon laquelle une structure causative peut générer un estimatif à
cause de la racine qu’elle renferme est confirmée.
La forme « ?abxal » suit le même processus de formation que la forme IV
causative « ?axraj » et est obtenue suivant les mêmes mouvements que cette
dernière. Le lecteur peut se référer à la sous-section sur l’exécution de la forme IV
causative (cf.3.1.2).
3.2.2. Un verbe à partir d’un nom
La forme IV fait partie de ces formes qui permettent de dériver une forme
verbale à partir d’un nom :
(224) ?awraqa aš-šajar-u
a feuilli l’arbre-nominatif ‘‘L’arbre a feuilli.’’
(225) ?axTa?a 3aliyy-un
a fauté Ali-nominatif ‘‘Ali a commis une faute.’’
155
Ces formes IV sont comparées à des formes nominales :
(226) Saara li aš-šajar-i waraq-un
est devenu pour les arbres-génitif un feuillage-nominatif ‘‘Les arbres sont garnis de feuilles.’’
(227) fa3ala 3aliyy-un xaTa?-an
a fait Ali-nominatif une faute-accusatif ‘‘Ali a commis une faute.’’
On suppose que la forme IV « ?awraq » (feuillir) vient du nom « waraq »
(feuilles) et que la forme IV « ?axTa? » (fauter) vient du nom « xaTa? ». Dans notre
hypothèse, cela se traduit par des verbes formés à partir de racines qui réfèrent à
un Objet du monde et qui n’indiquent ni action ni état et, par la suite, ne possèdent
aucun argument.
Les exemples cités ci-dessus montrent que chacune de ces formes IV réalise
un argument. Sachant qu’aucune des racines, dont il est question ici, n’apporte son
propre argument, on en déduit que l’argument en question est ajouté par la
structure de la forme IV. De surcroit, chacune des formes IV citées, ici, manifestent
un verbe51 « faire » : dans « ?awraq » on retrouve le sens « faire des feuilles », dans
« ?axTa? » on retrouve le sens « faire une erreur ».
Ainsi, à partir d’une racine √wrq qui n’a aucun argument et qui est destinee
à former un nom, on construit une forme IV « ?awraq » qui comporte un verbe
« faire » et un argument. La forme « ?awraq » (donnée en (224)) possède, donc,
tous les ingrédients d’une forme IV canonique. Ce qui change, c’est la nature de la
racine sélectionnée.
De la sorte, la forme IV « ?awraq » dispose, pareillement qu’une forme IV
causative, d’une projection vP, mais contrairement à celle-ci, la racine sélectionnée
ne projette pas. 51 Nous rappelons au lecteur que le verbe « faire » dont nous parlons, ici, n’est pas réalisé lexicalement, comme c’est le cas en français. Il est déduit du sens de la forme IV et apparait lorsqu’on paraphrase cette dernière.
156
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√wrq
v [CV]
šajar
Voici la structure d’une forme IV « ?awraq » dite dénominale :
(228)
Le fait que la racine n’ait pas d’arguments, ne gêne en rien la formation
d’une forme IV « ?awraq » car ce dont on a besoin est présent dans la structure, à
savoir une racine, un V et un v ; en plus bien évidement, d’un argument Sujet qui
sera apporté par vP. De la sorte, la forme IV dénominale suit le même processus de
formation que la forme IV causative (cf. P : 146).
Les deux cas que nous allons à présent voir sont pour le moins qu’on puisse
dire intriguants et ce, parce qu’ils réalisent une forme IV intransitive alors que,
contrairement à la forme dénominale, les racines qui les forment projettent un
argument. Vu que, comme on vient de le montrer, la forme IV implique une
structure qui rajoute un argument, le fait de se retrouver avec une forme IV
intransitive est problématique.
3.2.3. Une racine qui dénote un état et une forme IV qui indique une action
Sibawayh soulève un emploi qui ne semble pas, à priori, répondre à la
généralisation établie pour les formes IV. En effet, dans ce cas, la forme IV
« ?af3al » semble rendre compte de la même signification que la forme I « fa3al » et
semble avoir la même structure syntaxique que celle-ci. Observons les exemples
suivants :
(229) ?asra3a 3aliyy-un
a fait vite Ali-nominatif ‘‘Ali a fait vite.’’
157
(230) ?abTa?a 3aliyy-un
a ralenti 3ali-nominatif ‘‘Ali a ralenti.’’
Avec les formes I correspondantes, on a :
(231) saru3a 3aliyy-un
est rapide Ali-nominatif ‘‘Ali est rapide.’’
(232) baTu?a 3aliyy-un
est lent Ali-nominatif ‘‘Ali est lent.’’
La proposition avec la forme IV « ?asra3 » en (229) a gardé les mêmes
arguments que celle avec la forme I « saru3 » en (231). De même la forme IV
« ?abTa? » en (230) a gardé les mêmes arguments que la forme I « baTu? » en
(232). De ce fait, la forme IV n’a pas changé la structure argumentale de la forme I.
Pour ce qui est de l’apport sémantique de ces formes IV, il n’est pas vrai
qu’elles indiquent exactement la même chose qu’une forme I. En effet, si la forme I
« saru3 » qu’on traduit par « être rapide » indique une qualité inhérente voire un
trait intrinsèque du Sujet, la forme IV « ?asra3 » qu’on peut traduire par « faire
vite », indique plutôt une action. De même, si la forme I « baTu? » indique l’état
« être lent », la forme IV « ?abTa? », quant à elle, indique l’action de « ralentir »
voire « faire être lent ». C’est ce qui permet d’avoir la proposition en (233) mais
pas celle en(234) :
(233) Ali est lent mais il a fait vite
(234) *Ali est lent mais il est rapide
De la sorte, les formes IV, présentées ici, ajoutent une prédication qui peut
être rendue par « faire » mais qui ne produit pas le même effet que dans une forme
IV causative ; elle semble changer un verbe d’état en un verbe d’action.
158
Ainsi, une racine telle que √sr3, qui indique un etat intrinsèque, accepte le
verbe « faire ».52 La forme IV « ?asra3 » qui en découle répond à la structure :
[argument faire être rapide]. Toutefois, et comme on peut le voir dans cette
structure- même, cette forme IV n’apporte pas un argument supplémentaire.53
Cette défaillance est problématique quant à la considération de la structure
syntaxique de cette forme IV. Pouvons-nous continuer à concevoir que la forme IV
« ?asra3 » a la même structure que la forme causative si cette dernière est basée
sur la présence d’un verbe et d’un argument supplémentaire ?
Nous savons que dans le cas présent, passer de la forme I à la forme IV
change la nature du verbe et le fait basculer d’un verbe d’état à un verbe d’action.
Ce changement est dû à la présence d’une prédication supplémentaire qui peut
être rendue par le verbe « faire » que laissent entrevoir ces formes IV. En dépit de
l’absence d’un argument supplémentaire, le fait que la structure de cette forme IV
lui fournit un verbe « faire », suggère qu’il s’agit d’une structure du causatif. Bien
évidemment, en l’absence de cet argument supplémentaire et, donc, en l’absence
d’une structure du type : [argument faire être rapide argument], l’émergence du
sens « causatif » est bloquée. De ce fait, quoique contenant un élément « faire », la
forme IV « ?asra3a » n’est pas considérée comme étant une forme qui dénote le
« causatif ». On attribuera à cette forme la propriété de changer un « état » en « une
action ».
Ainsi, la présence d’un verbe « faire » dans la forme IV « ?asra3 » implique la
présence d’une projection vP. Reste à découvrir la raison pour laquelle il manque
un argument dans cette structure et surtout lequel. Deux possibilités sont à
envisager :
52 Contrairement à la forme IV estimative dont la racine indiquait également un état mais qui excluait le verbe « faire ». 53 Contrairement à la forme IV estimative qui réalise un verbe du type « estimer », ajoute un argument en vP.
159
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
ø
v [CV]
√sr3 3ali
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]
√sr3
3ali
ø
a. soit c’est vP qui n’apporte pas un argument auquel cas, c’est l’argument
de la racine qui se déplacera pour occuper la position Spécifieur de vP.
b. soit alors, vP apporte un argument, comme d’habitude, auquel cas c’est
celui de la racine qui ne s’est pas réalisé.
De ce fait la structure d’une forme IV « ?asra3a » peut être une des deux
suivantes :
(235) a. b.
La racine √sr3 est du type Specihieur-Racine, c’est-à-dire, qu’elle apporte un
argument en position Spécifieur de √P. Cette racine indique un etat et realise un
verbe intransitif à la forme I. Lorsqu’elle est enchâssée dans une structure
causative qui lui attribue un trait « faire » : « faire être rapide », elle s’y prête mais
semble poser une condition : rester intransitive.
La propriété qu’a la forme IV d’ajouter un trait causatif à la racine, a pour
conséquence de convertir la nature du verbe qui indiquera une action au lieu
d’indiquer un état. Cependant, cela ne change en rien son incapacité d’affecter un
Objet. L’événement créé par la structure du causatif « faire être rapide » reste lié
au Sujet ; comme c’est le cas avec la forme I « être rapide». De surcroit, la racine
√sr3 semble ne pas tolerer un argument causateur externe : soit Ali est rapide, soit
il fait en sorte d’être rapide. En aucun cas, cet état ne peut être provoqué par un
tiers agent.
160
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]
√sr3
3ali
3ali
De la sorte, cette racine accepte l'élément « faire » et donc une structure de
causatif mais à condition que cette dernière n’apporte pas un argument externe :
d’abord parce que la racine ne tolère pas un agent causateur, ensuite, parce que ça
aurait comme conséquence de doter la forme verbale d’un Objet (l’argument
apporté par vP sera Sujet et celui apporté par la racine deviendra Objet). De ce fait,
ce genre de racines contraint vP à ne pas apporter un argument.
Pour sauvegarder la généralisation selon laquelle vP apporte toujours un
argument, il aurait fallu proposer que c’est l’argument en Spécifieur de √P qui ne
s’est pas réalisé. À part le passif, nous ne disposons pas de cas de dérivations qui
permettent de se débarrasser de l’argument Spécifieur. Par contre, vu que vP vient
plus tard dans la structure et que l’argument qu’il sélectionne prend en
considération le sens de la racine, nous pouvons postuler que dans les cas où la
racine n’admet pas d’agent causateur, vP n’en apporte pas.
De ce fait, nous optons pour la structure en (235)b et nous proposons que
vP n’apporte pas un argument à cause des restrictions qu’impose la racine. C’est
l’argument de cette dernière qui va se déplacer et occuper la position Spécifieur de
vP:
(236)
Nous avons eu l’occasion de voir dans les formes étudiées, jusqu’à présent,
que la place des arguments nominaux, leur présence ou absence dans une position
donnée n’altère pas la formation-même du verbe. Elle peut avoir une incidence sur
la sémantique de la forme mais jamais sur sa morphologie. De la sorte, la forme IV
« ?asra3 » suit le même processus pour son exécution que la forme IV canonique
(Pour les détails voir l’exécution de la forme IV causative, Page : 146).
161
3.2.4. Une racine qui dénote une action et une forme IV qui indique l’état :
La forme IV qui sera traitée dans ce qui suit produit l’effet inverse de ce que
nous venons d’observer. En effet, elle semble changer l’action en état. Observons
ces exemples :
(237) ?aHSada az-zar3-u
nécessite.moissonné les céréales-nominatif ‘‘Les céréales nécessitent d’être moissonnées.’’
(238) ?aSrama an-naxlu
nécessite.débarrassé de ses dattes les dattiers-nominatif ‘‘Les dattiers nécessitent qu’on cueille leurs fruits.’’
Avec les formes I correspondantes, on a :
(239) HaSada al-fallaaH-u az-zar3-a
a moissonné le paysan-nominatif les céréales-accusatif ‘‘Le paysan a moissonné les céréales.’’
(240) Sarama al-fallaaH-u an-naxl-a
a débarrassé de ses dattes le paysan-nominatif les dattiers-accusatif ‘‘Le paysan a cueilli les dattes des dattiers.’’
La forme I « HaSad » signifie « moissonner » tandis que la forme IV
« ?aHSad » signifie «nécessiter la moisson », ce que Sibawayh paraphrase par :
« istaHaqqa an yu-f3al bi-hi daalika » (a mérité qu’on lui fasse cela) ; ce qu’on
pourrait traduire par : « les céréales sont arrivées à maturité pour la moisson ».
Cette forme réalise un seul argument (voir l’exemple en (237)) alors que la
forme I correspondante en réalise deux (voir l’exemple en (239)). On s’attendait
plutôt à avoir trois arguments, au lieu d’un seul, puisque la structure du causatif
apporte un argument supplémentaire. Cependant, si l’on sait que la racine √HSd
est, en réalité, une racine du type Racine-Complément (auquel cas, l’argument
Sujet de la forme I « HaSad » est ajouté en VP), on en conclut qu’avec la forme IV
« ?aHSad » il manque seulement un argument et non pas deux.
162
Cette forme IV est semblable à celle qu’on vient juste de voir. Elle réalise un
argument de moins que ce qui est attendu, ce qui nous amène à se poser les mêmes
questions, à savoir pourquoi un argument ne s’est pas réalisé et surtout lequel ?
La forme IV « ?aHSad » ne dénote pas le causatif, chose plutôt attendue
puisque la structure ne réalise pas deux arguments. L’échec de cette structure à
remplir sa fonction revient au sens de la racine. Sa structure est épargnée et ce,
parce qu’il existe des racines du type Racine-Complément qui se prêtent à une
forme IV et qui réalisent un argument supplémentaire ainsi qu’un sens causatif.
Signalons au passage, que ce type de racines accepte, également, de réaliser un
argument supplémentaire à la forme II, toutefois, il en résulte un sens intensif.54
A la forme I, le verbe « HaSad » accepte d’affecter un Objet et est transitif. De
ce fait, ce qui pose problème dans une forme IV « ?aHSad », ce n’est pas son
incapacité à affecter un Objet mais plutôt son rejet d’un agent causateur externe. La
racine √HSd accepte un agent qui fait l’action « moissonner » (forme I) mais
n’accepte pas un agent causateur (qui cause l’action moissonner), par exemple :
(241) *?aHSada al-jafaaf-u az-zar3-a qabla ?awaani-hi
a.causé.moissonner la sécheresse-nomina les céréales-accusa avant terme-génitif-lui ‘‘La sécheresse a fait qu’on a moissonné les céréales avant qu’elles arrivent à
maturité.’’
Même si on garde le même argument que dans une forme I, la proposition
reste impossible :
(242) *?aHSada al-fallaaH-u az-zar3-a
a.causé.moissonné le paysan-nominatif les céréales-accusatif ‘‘Le paysan a fait qu’on moissonne les céréales.’’
54 Il n’y a pas de forme IV intensive et ce, tout simplement, à cause de la structure de celle-ci. En effet, le sens intensif de la forme II résulte de l’absence d’un argument en position Spécifieur de VP (dû au fait que la racine ne dispose pas d’un argument en Spécifieur √P). A la forme IV, la presence ou l’absence de cet argument est sans importance, vu que le causatif se construit autrement et ne nécessite pas un argument en position Spécifieur de VP.
163
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√HSd
v [CV]
√’
zar3
zar3
Comme si rien ne pouvait causer que « az-zar3 » (les céréales) subisse
l’action « ?aHSad » (faire moissonner) en dehors du « az-zar3 » lui-même. La racine
√HSd fait partie de ces racines qui sont etroitement liees à leur Complément dans
le sens où elles n’admettent qu’un seul argument (en dehors des emplois figurés).
Le verbe « HaSad » ne peut affecter que l’argument « zar3 » (céréales). D’ailleurs en
français, également, on n’emploie « moissonner » que pour les céréales ou
« vendanger » uniquement pour les raisins.
De ce fait, le seul argument Complément que peut avoir la racine √HSd se
trouve être le seul argument Sujet que peut avoir la forme IV « ?aHSad ». Cette
restriction au niveau de la nature de l’argument Sujet, ajoutée au fait que le Sujet
semble être affecté par l’événement du verbe au lieu d’en être l’agent, nous amène
à penser que l’argument qui ne s’est pas réalisé est celui qui devait être apporté
par vP. De la sorte, c’est l’argument Complément de la racine dont le rôle
thématique est « Patient » qui se déplace pour assumer la fonction Sujet ; d’où le
fait que le verbe sous v ne peut pas dénoter « faire » mais « nécessiter ».
La forme « ?aHSad » semble ne partager avec les formes IV qu’on a vues
jusqu’ici que l’apparence. Néanmoins, par rapport à la forme I « HaSad », la forme
IV « ?aHSad » détient un élément verbal supplémentaire qui dénote le sens
« nécessiter ». De ce fait, la forme « ?aHSad » contient deux parties, une qui détient
son sens de la racine et l’autre qui est générée par la structure ; ce qui justifie la
présence d’une projection vP.
Ainsi, la structure de la forme IV « ?aHSad » est la suivante :
(243)
164
La forme « ?aHSad » suit les mêmes étapes pour sa réalisation que la forme
IV causative (cf. P : 146), avec un mouvement supplémentaire : le déplacement de
l’argument en position Complément de la racine à la position Spécifieur de vP.
Ainsi, les deux exemples que nous avons examinés, montre que la forme IV
intransitive provient d’une restriction imposée par la racine. Celle-ci rejette tout
argument causateur externe ; d’où l’interdiction à vP d’apporter un argument. Il
s’en suit que le Complément de la racine occupe lui-même la position de l’agent
causateur.
4. Conclusion
L’analyse syntaxique de la forme IV « ?af3al » a dévoilé que celle-ci contient,
en plus des projections VP et √P, un élément qui a les mêmes propriétés
sémantiques et syntaxiques qu’un verbe léger et qui sélectionne son propre
argument. De ce fait, cette forme renferme une projection vP où l’élément verbal
tient la position tête v et se réalise sous forme d’une position (CV) et l’argument
supplémentaire occupe la position Spécifieur et tient la fonction Sujet.
Il s’avère ainsi que la forme IV a la même structure syntaxique que la forme
II. Cependant, tout en ayant exactement les mêmes projections, ces deux formes ne
vont pas suivre le même chemin pour leur exécution. En effet, contrairement à la
forme II où l’on forme d’abord un verbe simple et on ajoute ensuite un verbe
« causatif » : [argument faire [argument verbe]], ce qui se traduit par l’association
de la racine avec V, à la forme IV on produit directement un verbe causatif :
[argument faire verbe argument], ce qui se traduit par l’association de la racine
directement à v. C’est cette association qui fait la différence morphophonologique
entre une forme II et une forme IV mais également c’est ce qui produit la différence
de nuance sémantique entre les deux formes.
165
Le sens estimatif que dénote cette forme est dû au sens de la racine qui
n’accepte pas un verbe « faire » et qui produit à la place le verbe « estimer ». Quant
à l’emploi dénominal, il est la conséquence de la structure de la racine qui ne
projette aucun argument. En fin, pour ce qui est des formes IV intransitives, il s’est
avéré que le sens de la racine ou sa structure peuvent contraindre la structure du
causatif à ne pas apporter un argument supplémentaire.
166
CHAPITRE 6
ANALYSE DE LA FORME X « staf3al »
1. Introduction
La forme X « staf3al » a la particularité de réaliser un préfixe bi-
consonantique : « st- ». Dans cette forme, également, un segment prothétique « ?i »
est ajouté pour éviter la succession de deux consonnes en début de mot :
« ?istaf3al ».
La forme X « staf3al » est considérée comme étant la forme réflexive de la
forme IV. Cette forme est connue pour véhiculer conjointement le causatif et le
réflexif, mais elle peut avoir d’autres emplois. En effet, cette forme X est employée
pour :
167
a. véhiculer le causatif-réflexif,
b. véhiculer l’estimatif,
c. indiquer que le Sujet s’approprie un état ou une qualité,
d. exprimer une requête,
e. avoir un emploi dénominal.
On retrouve les emplois (a)(sans le réflexif), (b) et (e) dans la forme IV,
situation plutôt attendue puisque l’on conçoit que la forme X est la forme réflexive
de la forme IV. Reste à voir d’où découlent les emplois (c) et (d).
L’étude que nous proposons, dans ce chapitre, établira la structure
syntaxique de la forme X « staf3al » et expliquera la source du causatif que
renferme cette forme, ainsi que la raison pour laquelle elle est mise en relation
avec la forme IV et non pas avec la forme II. Elle apportera également des réponses
quant au statut et à la position de chacun des morphèmes « t » et « s ».
Nous commencerons par rappeler le gabarit et le mode d’association qui
sous-tend une forme X. Ensuite, nous examinerons la forme X canonique, à savoir
celle qui indique le causatif réflexif afin de déceler les projections et les
mouvements syntaxiques qu’elle opère pour se réaliser. Enfin, nous nous
intéresserons aux emplois annexes de la forme X, afin de vérifier qu’ils se
soumettent, tous, à une même structure syntaxique et afin de dévoiler l’origine de
ces différentes interprétations.
2. Quel gabarit pour la forme X ?
Selon l’analyse morphophonologique élaborée par Guerssel et
Lowenstamm, la forme X « staf3al » associe la première consonne de la racine à la
position (CV) dérivationnelle et le morphème « t » à la première position C du
168
gabarit de base. Quant à la consonne « s », elle est associée à la position C du CV-
préfixal :
(244) s t f 3 l
CV- CV (CV) CVCV a
La forme X réalise ainsi deux positions (CV) supplémentaires, comparé à
une forme I, et deux consonnes supplémentaires, par rapport à celles de la racine.
Le morphème « t » occupe la même position que dans la forme VIII.
Toutefois, dans cette forme, la racine identifie la position (CV) dérivationnelle, au
lieu de la position CV-préfixale. C’est une consonne « s », qui se manifeste
exclusivement dans une forme X, qui remplira cette position.
A la lumière de ce qu’on a pu voir jusqu’à présent, on sait que l’association
des éléments au gabarit dépend de la structure syntaxique et de l’ordre des
mouvements opérés dans cette structure. L’analyse que nous proposons permettra
de dévoiler la source des positions CV préfixale et dérivationnelle et de justifier le
mode d’association adopté.
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme X
Dans cette section, nous commencerons d’abord par examiner l’emploi
principal de la forme X, à savoir le causatif-réflexif. Nous dévoilerons le type de
projections et les mouvements syntaxiques qui aboutissent à une forme X, laquelle
réalise un morphème « t » et une consonne « s » en position préfixale. Nous avons
déjà eu l’occasion, lors de l’étude des deux formes réflexives précédentes à savoir
la forme VIII « fta3al » et la forme V « ta-fa33al », de déterminer le statut du
morphème « t » ; reste maintenant à déterminer ce à quoi renvoie la consonne
« s ».
169
Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux emplois annexes
d’une forme X. Il s’agit des cas où cette forme cesse de dénoter le sens que lui
procure sa structure syntaxique et se voit attribuer d’autres interprétations. Nous
montrerons que ces usages ne sont que des effets de sens, tributaires des
propriétés de la racine, et qu’ils gardent la même structure syntaxique et suivent le
même processus de formation qu’une forme X canonique.
3.1. Une forme à double face
Commençons par l’emploi prototype d’une forme X, à savoir véhiculer le
causatif réflexif. Rappelons que la forme X est étudiée en parallèle avec une forme
IV. Prenons un exemple :
(245) sta3adda al-jayš-u li al-Harb-i
s’est préparée l’armée-nominatif pour la guerre-génitif ‘‘L’armée s’est préparée pour la guerre.’’
A la forme IV on a :
(246) ?a3adda al-qaa?id-u al-jayš-a li al-Harb-i
a préparé le commandant-nominatif l’armée-accusatif pour la guerre-génitif
‘‘Le commandant a préparé l’armée pour la guerre.’’
La forme X, donnée en (245) réalise deux arguments tandis que la forme IV,
donnée en (246), en réalise trois. Toutefois, la forme X « sta3add » manifeste un
morphème « t » qui, comme on le sait, compte pour un argument.
La forme X « sta3add » se laisse traduire par « se préparer » ou « se tenir
prêt », tandis que la forme IV « ?a3add » se traduit par « rendre prêt » ou « tenir
prêt ». Par conséquent, la forme X a la même signification que la forme IV à laquelle
elle ajoute un réflexif. En effet, la proposition en (245) peut être explicitée comme
suit :
170
(247) ?a3adda al-jayšu al-jayša li al-Harb
a préparé l’armée-nominatif l’armée-accusatif pour la guerre-génitif ‘‘L’armée a préparé l’armée pour la guerre.’’
La forme X « sta3add » serait donc une forme IV « ?a3add » dont l’argument
Sujet et l’argument Objet sont co-référents ; ce qui lui a valu le statut de la version
réflexive de la forme IV causative.
3.1.1. Une structure où coexistent causatif et réflexif
La forme X « sta3add » réalise un morphème « t », ce qui indique que
l’argument apporté par la racine s’est réalisé sous sa forme pronominale. En effet,
comme on a pu le voir avec les autres formes réflexives (la forme VIII « fta3al » et
la forme V « ta-fa33al »), le morphème « t » est réalisé dans la grille thématique de
la racine. Sa place dans la forme verbale sera déterminée selon l’argument qui lui
sert d’antécédent et la position qu’il occupe lorsqu’il est lié.
En plus d’indiquer le réflexif, la forme X véhicule conjointement le causatif.
En effet, la racine √3dd denote « être prêt » alors que la forme X « sta3add » se
traduit par « se rendre prêt ». Le fait que cette forme se laisse paraphraser par un
verbe « rendre », révèle l’existence d’une structure du causatif. Cette structure
apporte un niveau verbal supplémentaire, le même que celui que l’on retrouve
dans la forme IV, ainsi qu’un argument supplémentaire.
De la sorte, la forme X « sta3add » renferme une structure du causatif de la
même manière que la forme IV « ?a33ad » à laquelle s’ajoute un sens réflexif,
résultant de la nature de l’argument apporté par la racine. Sa structure est
constituée donc d’une projection vP, une projection VP et une projection √P. La
seule différence entre la structure d’une forme IV « ?a3add », donnée en (248)a, et
celle d’une forme X « sta3add », donnée en (248)b, est que dans la première,
l’argument apporté par la racine se réalise sous sa forme nominale alors que dans
171
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]
√3dd
jayš
t [CV]
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]
√3dd
jayš
qaa?id
la deuxième, l’argument apporté par la racine se réalise sous sa forme pronominale
« t » :
(248) a. forme IV « ?a3add » b. forme X « sta3add »
Ainsi, pour avoir une forme X « sta3add » à partir de la racine √3dd, il faudra
répondre à deux conditions. D’abord, il faut avoir une projection vP qui apporte un
argument supplémentaire à celui de la racine ainsi qu’un niveau verbal qui donne à
la forme son rôle causatif. Ensuite, il faut obligatoirement que l’argument apporté
par √P se réalise sous forme d’un morphème « t », qui prendra pour antécédent
l’argument apporté par vP, ce qui dote la forme d’un sens réflexif et apportera une
position CV supplémentaire à la forme verbale.
La réalisation de l’argument de la racine sous forme pronominale « t » aura
des conséquences sur la forme verbale elle-même et ce parce que, d’abord, cet
élément ne peut pas rester à l’état libre et doit être inséré à la forme verbale mais
aussi parce que le morphème « t » apporte une position CV qui sera ajoutée au
gabarit du verbe. En effet, comme le montre l’analyse morphophonologique, la
forme X réalise deux CV supplémentaires par rapport à un gabarit de base. Le
premier est évidemment apporté par la projection vP, précisément par v, et le
second CV est apportée par le morphème « t ».
La forme X « staf3al » réalise un autre morphème : « s ». Ce dernier est
considéré par les grammairiens comme étant le morphème du causatif. Pourtant,
172
on ne retrouve cette consonne « s », ni dans la forme II causative qui remplit la
position CV apportée par v en propageant la deuxième consonne de la racine, ni
dans la forme IV causative qui, pour remplir une position CV vide du gabarit,
réalise une consonne épenthétique « ? ».55 Il est bien évident que si la structure du
causatif apportait une consonne « s », celle-ci aurait pris place dans la forme
verbale et on n’aurait pas eu recours à une consonne épenthétique. Il serait
intéressant de signaler qu’étymologiquement la forme IV « ?af3al » se réalisait
« saf3al ». Ceci indique que les formes verbales renfermant une structure du
causatif réalisent tantôt une consonne « s » tantôt une consonne épenthétique
« ? » ; reste à déterminer les conditions qui régissent ce choix. On y reviendra lors
de l’élaboration du processus de formation de cette forme X.
3.1.2. Comment obtient-on la forme X ?
Maintenant que l’on a établi la structure d’une forme X et que l’on a recensé
les différents composants de celle-ci, il faudra déterminer comment à partir de la
structure présentée en (248)b, on obtient une forme X « staf3al » : précisément,
qu’est ce qui justifie la position du morphème « t » et à quoi réfère le morphème
« s ».
Le rapprochement que l’on effectue entre la forme X et la forme IV n’est pas
dû seulement au fait qu’elle renferme une structure causative, mais il est dû au fait
que la forme X construit son causatif de la même manière que la forme IV, à savoir :
[Argument vRacine Argument] ; sauf qu’à la forme X la structure est, plus
exactement : [Argument vRacine t ]. De la sorte, la forme X suit le même processus
de formation que la forme IV. Rappelons-le, avec la forme IV, on construit
directement un verbe causatif (ce qui se traduit par le déplacement de la racine
55 Rappelons que la consonne « ? » que l’on retrouve dans la forme IV « ?af3al » était également perçue comme étant le morphème du causatif. Nous avons montré, lors de l’étude de cette forme, que ce n’était pas le cas et que cette consonne est une simple consonne épenthétique dénudée de toute fonction grammaticale.
173
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
v [CV]
√3dd
qaa?id
t [CV]
t [CV]
V’
vP
v’
VP
t V [CV]+[CV] a
√P
v [CV]
√3dd
qaa?id
t [CV]
t [CV]
directement à v et non pas à V) ; contrairement à la forme II où on construit
d’abord, une forme I puis on lui ajoute un causatif (ce qui se traduit par le
déplacement de la racine à V, puis le déplacement de V à v).
De la sorte, à la forme X, la racine se déplace en v et s’associe à ce dernier.
Auparavant, un déplacement doit s’effectuer pour permettre la montée de la
racine : il s’agit de la montée de V en v. Toutefois, ce ne sera pas le premier
mouvement que l’on effectue dans cette structure et ce, parce que dans une forme
X, l’argument de la racine se réalise sous sa forme pronominale « t » et devant être
lié à l’argument apporté par vP, il va monter dans la position Spécifieur de VP pour
être proche de son antécédent et respecter, ainsi, la contrainte de la localité. Etant
donné que le morphème « t » est un élément faible qui ne peut pas se maintenir
tout seul et qui doit forcément être attaché à un autre mot, il va fusionner avec V’ et
finit par s’attacher à V. De la sorte, on ne peut pas déplacer V avant que le
morphème « t » lui soit associé.
Ainsi, le morphème « t » se déplace en position Spécifieur de VP (249)a, et
fusionne avec V’. Il se retrouve, au final, attaché à V (249)b :
(249) a. b.
Une fois cette association effectuée, V monte en v (250)a, permettant ainsi la
montée de la racine √f3l en v (250)b :
174
V’
vP
v’
VP
t V [CV]+[CV] a
√P
t v [CV][CV]+[CV] a
√3dd
qaa?id
t CV
t [CV]
V’
vP
v’
VP
√P
v 3 dd t | [CV][CV]+[CV] a
√3dd
qaa?id
t [CV]
t [CV]
t V [CV]+[CV] a
V’
vP
v’
VP
√P
√3dd
Asp’
AspP
Agr’
AgrP
Asp 3 d d t | | [CV][CV][CV]+[CV] a
Agr 3 d d t | | | [CV][CV][CV][CV]+[CV] a
qaa?id
qaa?id
qaa?id
t V [CV]+[CV] a
v 3 dd t | [CV][CV]+[CV] a
t [CV]
t [CV]
(250) a. b.
Ensuite, comme montré en (251), pour acquérir les traits d’aspect et
d’accord, v se déplace dans la tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux
positions CV qui associent la deuxième et la troisième consonne de la racine.
L’argument en position Spécifieur de vP finit dans la position Spécifieur de AgrP :
(251)
Ainsi, on obtient sous la position Agr. cinq positions CV, un morphème « t »
et une racine √3dd. L’association au gabarit se fera comme suit :
� La première consonne de la racine s’associe à la première tête vers
laquelle la racine s’est déplacée, à savoir au CV contenu sous v ;
175
� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté
par AspectP ;
� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté
par AgreementP ;
On obtient ainsi, le gabarit suivant :
(252) t a 3 d
[CV][CV][CV][CV][CV] t V v Asp Agr
Au moment où le morphème « t » s’associe à V, la position consonantique du
CV de ce dernier est vide, vu que la racine ne se déplace pas en V. Par conséquent,
« t » peut s’associer soit au CV qu’il apporte soit alors au CV de la tête avec laquelle
il a fusionné. Si l’on associe « t » à la première position consonantique, elle se
propagera sur la deuxième position consonantique puisqu’elle est vide et que la
position vocalique qui les sépare l’est également :
(253) * t a 3 d
≠ C V C V C V CV CV
Cependant, en arabe classique, il y a une contrainte qui interdit une géminée
en début de mot, par conséquent, la stratégie montrée en (253), ne peut pas
aboutir. On pourrait alors supposer que c’est la première consonne de la racine qui
se propage à gauche pour remplir cette position C vide :
(254) * t a 3 d
C V C V C V CV CV
Toutefois, le fait que la position vocalique qui sépare ces deux positions
consonantiques soit occupée par une voyelle « a », empêche une telle propagation
puisque, rappelons-le, la réalisation d’une géminée exige que la position V à
l’intérieur soit vide. Le schéma donné en viole la contrainte de bonne formation
176
(cf. le principe de non croisement des lignes d’association, principe du contour
obligatoire).56De ce fait, la seule possibilité qui se présente est d’associer « t » à la
deuxième position consonantique et remplir la première position par une
consonne épenthétique ; la consonne qui apparaît dans cette position, à la forme X,
est « s » :
(255) t 3 d
C V C V C V CV CV s a
Considérer la consonne « s » comme étant une consonne épenthétique et
non pas un morphème du causatif est dicté par le fait que les deux autres formes
du causatif, à savoir la forme II et la forme IV, ne la réalisent pas et font appel à des
procédés phonologiques pour remplir la position CV que leur procure la structure
du causatif. À la forme IV où la structure oblige à réaliser également une consonne,
ce n’est pas un « s » qui est réalisé mais un « ? ». Maintenant, si la forme X
« ?istaf3al » insère une consonne épenthétique « s » là où la forme IV « ?af3al »
réalise une consonne épenthétique « ? », c’est probablement pour éviter une suite
de deux consonnes épenthétiques de même nature « *?i-?taf3al ».
A présent que l’on a établi la structure syntaxique d’une forme X canonique,
vérifions si les autres exemples, où l’indication « réflexif du causatif » ne semblait
pas explicite, se conforment à cette structure.
3.2. Une structure du causatif, un morphème du réflexif et des formes qui
ne véhiculent ni l’un ni l’autre
La forme X ne véhicule pas toujours le causatif-réflexif. Dans certains usages,
elle est sujette à différentes interprétations que voici :
56 Goldsmith (1976, 1990)
177
a. véhiculer l’estimatif,
b. rendre compte d’une signification qu’on peut traduire par « s’approprier
un état donné »,
c. exprimer une requête,
d. avoir un emploi dénominal.
Nous avons montré (dans la section précédente) que le sens causatif-réflexif
que dénote la forme X, provient d’une structure de causatif combinée à un
morphème du réflexif « t ». De la sorte, si l’on conçoit que toutes les formes X ont la
même structure, il faudra, alors, saisir comment une même structure peut donner
lieu à de différentes interprétations.
3.2.1. Quand « faire »+« se » donne « estimer »
Lors de l’étude de la forme IV, nous avons vu que celle-ci peut avoir un
emploi dit « estimatif ». De ce fait, il n’est pas étonnant que la forme X , qui se veut
en relation avec la forme IV, puisse également avoir cet emploi. Observons ces
deux exemples :
(256) staθqala kariim-un haadihi al-muhimmata
a.estimé.lourd Karim-nominatif cette mission-accusatif ‘‘Karim a estimé cette mission lourde.’’
(257) stajadda kariim-un haadaa al-3amal-a
a. estimé.sérieux Karim-nominatif ce travail-accusatif ‘‘Karim a estimé ce travail sérieux.’’
À la forme I, on a :
(258) θaqulat haadihi al-muhimmat-u
est.lourde cette mission-nominatif ‘‘Cette mission est lourde.’’
(259) jadda haadaa al-3amal-u
est.sérieux ce travail-nominatif ‘‘Ce travail est sérieux.’’
178
Les formes X « staθqal » et « stajadd » sont étudiées, respectivement, par
rapport aux formes I « θaqul » et « jadd », dans le sens où pour paraphraser une
forme X, c’est la forme I qui est utilisée et non pas la forme IV ; contrairement à la
forme X causative-réflexive.
La forme X « staθqal » dénote « estimer que c’est lourd » tandis que la forme I
« θaqul » signifie « être lourd ». De même, la forme X « stajadd » dénote « estimer
que c’est sérieux » tandis que la forme I « jadd », signifie « être sérieux ». De la
sorte, la forme X dont il est question ici, apporte un sens supplémentaire qui peut
être rendu par « estimer » et non pas un verbe « faire » ; contrairement à la forme X
qui indique un causatif-réflexif.
En comparant les propositions contenant une forme X à celles contenant
une forme I, on s’aperçoit qu’elles réalisent un argument nominal supplémentaire.
Cependant, la forme X manifeste un morphème « t » qui, comme nous le savons,
compte pour un argument. En conséquence, ces formes X réalisent deux arguments
supplémentaires par rapport à la forme I.
Rappelons qu’on considère que la forme X détient la même structure qu’une
forme IV, à la seule différence que l’argument apporté par la racine se réalise sous
une forme pronominale « t ». Rappelons aussi, que la structure de la forme IV lui
permet d’ajouter un argument supplémentaire par rapport à la forme I. Par
conséquent, en principe, la forme X devrait apporter un seul argument
supplémentaire par rapport à la forme I. Reconstituons la proposition en (256)
avec une forme IV pour mieux visualiser le problème :
(260) ?aθqala kariim-un haadihi al-muhimmat-a
a.rendu.lourd Karim-nominatif cette mission-accusatif ‘‘Karim a rendu cette mission lourde.’’
179
Rappelons qu’avec la forme I, on a :
(261) θaqulat haadihi al-muhimmat-u
est.lourde cette mission-nominatif ‘‘Cette mission est lourde.’’
Avec la forme IV on ajoute un argument supplémentaire et un sens
supplémentaire, qui peut être rendu par « rendre », tandis qu’avec la forme X on
ajoute deux arguments et un sens, qui peut être rendu par « estimer ». Il faudra
donc déterminer comment se présente la structure syntaxique de cette forme X -
qui lui permet d’ajouter deux arguments- et comment est généré ce sens
« estimatif » qui, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, n’est pas présent dans
la forme IV correspondante.
Commençons par chercher d’où vient le sens « estimer ». Partons du
principe qu’une forme X est une forme IV avec un argument pronominal dont le
rôle est d’indiquer le réflexif. Si la forme IV « ?aθqal » signifie « rendre lourd » la
forme X « staθqal » devrait, donc, signifier « rendre lourd pour soi ». Quel
rapprochement peut-on faire, s’il en existe un, entre cette signification et celle
d’indiquer « estimer que c’est lourd » ? Une analyse sémantique basique permet de
dire que « rendre lourd » consiste à changer réellement le poids de l’Objet en
question, alors que « estimer lourd » est une appréciation personnelle impliquant
que la réalité peut être autre. Autrement dit, « estimer lourd » est l’équivalent de
« faire en sorte que quelque chose qui n’est pas lourd le devienne pour la personne
qui en fait l’appréciation ». Cette explication rejoint, finalement, l’idée de « rendre
lourd pour soi ». En effet, si « rendre lourd » signifie changer le poids de quelque
chose, « rendre lourd pour soi » signifie changer son appréciation personnelle ;
d’où le sens « estimer ».
De la sorte, à la forme X, le sens estimatif est le résultat d’une racine qui ne
se prête pas à la coexistence « causatif-réflexif ». La preuve est qu’avec la forme IV
qui véhicule exclusivement un causatif, on peut faire ressortir un sens « rendre » ;
180
la racine √θql s’y prête. Ce n’est que lorsque le réflexif est mis en place, que ce sens
passe de « rendre » à « estimer ». De la sorte, une forme X estimative n’en est pas
moins une forme X qui dénote à la fois un causatif « rendre lourd » ainsi qu’un
réflexif « pour soi ».
Intéressons-nous, maintenant, au nombre d’arguments que réalise la forme
X qui, rappelons-le, est supérieur à ceux de la forme IV alors qu’en principe, ils
devraient être équivalents. En effet, la forme X a la même structure que la forme IV
et ne s’en distingue que par la nature de l’argument apporté par la racine : à la
forme X cet argument est pronominal alors qu’il est nominal à la forme IV.
Comment peut-on avoir un argument supplémentaire alors qu’on a la même
structure et en quoi la forme X estimative est différente de celle vu précédemment
et qui représente la forme canonique ?
Pour répondre à cette dernière question, comparons la forme X causative-
réflexive « sta3add » à la forme X estimative « staθqal ». La première, étudiée dans
la section précédente, indique « se rendre prêt » et la deuxième indique « rendre
lourd pour soi ».
Explicitons le sens réflexif dans ces deux formes et voyons ce qui les
distingue. Commençons par la forme X « sta3add »:
(262) sta3adda al-jayš-u
s’est.rendu.prêt l’armée-nominatif ‘‘L’armée s’est rendue prête.’’
Si l’on explicite le réflexif en reconstituant la coréférence entre Sujet et Objet
on obtient :
(263) ?a3adda al-jayš-u al-jayš-a
a.rendu.prêt l’armée-nominatif l’armée-accusatif ‘‘L’armée a rendu l’armée prête.’’
181
Passons maintenant à la forme X « staθqal » :
(264) staθqala kariim-un haadihi al-muhimmat-a
a.trouvé.lourd Karim-nominatif cette mission-accusatif ‘‘Karim a trouvé cette mission lourde.’’
En explicitant le réflexif, on obtient :
(265) ?aθqala kariim-un haadihi al-muhimmat-a li kariim-in
a.rendu.lourd Karim-nominatif cette mission-accusatif pour Karim-génitif ‘‘Karim a rendu cette mission lourde pour lui-même.’’
La première chose à remarquer est que dans le deuxième cas, à savoir la
forme X estimative, on a une construction indirecte. Ceci explique l’existence d’un
Complément supplémentaire. Nous présumons que ce dernier vient en position
Adjoint de la racine. Cependant, la proposition en (265) montre que l’argument co-
référent, autrement dit, l’argument qui se réalise sous forme d’un morphème « t »
est l’argument Objet indirect. Sachant que ce dernier prend pour antécédent
l’argument apporté par vP, il ne lui sera pas possible d’être lié, s’il se trouve dans la
position Adjoint de la racine.
Nous avons vu lors de l’étude de la forme VIII (Cf. P : 65) qu’en arabe
classique, on peut introduire un Complément d’une manière directe ou indirecte,
comme on peut intervertir la position des compléments lorsque ces derniers sont
nombreux. Le problème du réflexif indirect a été résolu en proposant que le
morphème « t » occupe la position Complément de la racine, qui lui permet d’être
adjacent à son antécédent, et c’est l’argument nominal qui occupe la position
Adjoint de √P.
Ainsi, la forme X « staθqala » contient une structure du causatif et donc, une
projection vP et renferme deux arguments co-référents : celui qui sert
d’antécédent, est apporté par v et l’autre, qui se réalise sous une forme
pronominale, est apporté par la racine ; en plus d’un argument nominal qui occupe
la position Adjoint de √P :
182
V’
vP
v’
VP
V [CV] a
√P
√θql
kariim
muhimmat
t [CV]
v [CV]
(266)
La forme X estimative suit le même processus de formation que la forme X
canonique (cf. P : 172)
3.2.2. Quand « faire »+« se » permet de « s’approprier un état »
Un des emplois non causatifs de la forme X consiste à indiquer que le Sujet
s’attribue un état, qu’il ne détient pas initialement.57 Cette forme est étudiée par
rapport à une forme I. Soit l’exemple suivant :
(267) stakbara kariim-un
s’est.considéré.grand Karim-nominatif ‘‘Karim s’enorgueillit.’’
A la forme I, on a ce qui suit :
(268) kabura kariim-un
a grandi Karim-nominatif ‘‘Karim a grandi.’’
Ce qui fait la différence entre la forme I « kabur » donnée en (268) et la
forme X « stakbar » donnée en (267), c’est qu’avec la première on décrit un état,
alors qu’avec la seconde on dit que le Sujet s’attribue l’état en question ; à prendre
au sens de « avoir une grande position sociale ou un statut élevé ». Cette forme ne
dénote pas le causatif dans le sens où le Sujet « ne rend pas soi-même grand ».
57 Dans ces cas, on emploi indifféremment soit la forme X « staf3al » ou la forme V « tafa33al ». Signalons que ce cas, également, est cité uniquement par Sibawayh et il n’est pas repris par Wright.
183
Autrement dit, il ne change pas son état de « ne pas être grand » à « être grand », il
se contente de donner une image mentale de lui-même.
Etant donné que la forme IV « ?akbar » est attestée dans la langue, voyons ce
que cette dernière véhicule :
(269) ?akbara karim-un haadaa al-3aalim-a
a.considéré.être.grand Karim-nominatif ce savant-accusatif ‘‘Karim considère que ce savant est grand.’’
La forme IV « ?akbar » n’est pas causative non plus, elle est plutôt
« estimative ». Le sens donné à « ?akbar » est « considérer être grand » voire
« estimer être grand », par conséquent, la forme X « stakbar » qu’on peut traduire
par « se considérer être grand » voire « s’estimer être grand » se contente
d’instaurer une coréférence entre Sujet et Objet.
Ainsi, cette forme X cité par Sibawayh comme permettant au Sujet de
s’attribuer un état n’est pas aussi éloignée de celle dite « estimative » qu’on a
traitée dans la section (3.2.1). La seule différence est que cette dernière affectait un
Objet et dénotait « estimer » alors que la forme « stakbar » est intransitive et
dénote « s’estimer ».
La forme X « stakbar » apporte un sens supplémentaire qui peut être rendu
par « estimer » et dénote le réflexif. Par conséquent, elle répond parfaitement à la
structure canonique d’une forme X. De ce fait, cette forme X renferme bel et bien
une projection v et réalise l’argument apporté par la racine sous sa forme
pronominale « t » ; ce dernier prend pour antécédent l’argument apporté par v.
184
V’
vP
v’
VP
√P
v [CV]
√kbr
kariim
V [CV] a
t [CV]
Ainsi, la structure de la forme « stakbar » est la suivante :
(270)
Cette forme X suit le même processus de formation que la forme X
canonique. Le lecteur peut se référer à la section 3.1.2 où sont donnés en détails les
mouvements auxquels procède une forme X pour son exécution.
3.2.3. Quand « faire »+« se » permet d’exprimer « une requête »
La forme X qui, rappelons-le, renferme une structure du causatif et un
morphème du réflexif, se retrouve dans certains cas utilisée pour exprimer une
demande ou une requête. Soit l’exemple suivant : 58
(271) istasqaa 3aliyy-un kariim-an
a demandé.à.être.irrigué59 Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Ali a demandé à Karim de lui donner à boire.’’
À la forme I, on a :
(272) saqaa kariim-un 3aliyy-an
a irrigué Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a donné à boire à Ali.’’
58 Voici d’autres exemples que l’on retrouve dans Wright (1896 :45) : « Rafar » signifie « pardonner » alors que « staRfar » signifie « demander pardon » ; « ?adina » signifie « permettre » alors que « ista?dan » signifie « demander la permission » ; « HaDar » signifie « être présent » alors « istaHDar » signifie « demander la présence »…etc. 59 Le verbe qui correspond en français à « saqaa » est « irriguer » et non pas exactement « donner à boire ». En arabe, on emploi ce même mot que l’objet soit [+Humain] ou [-Humain].
185
La forme X « stasqaa » dénote, en plus de « donner à boire » que recouvre la
forme I « saqaa », un verbe « demander » : « demander à donner à boire ». Si l’on
veut expliciter la proposition en (271), on dira :
(273) Talaba kariim-un min 3aliyy-in ?an ya-sqiya-hu
a demandé Karim-nominatif de Ali-génitif de donner.à.boire à lui ‘‘Karim a demandé à Ali de lui donner à boire.’’
On retrouve les mêmes arguments dans l’exemple avec la forme X en (271)
et dans l’exemple avec la forme I en (272). Toutefois, la forme X « stasqaa »
renferme un morphème « t » qui, comme on a eu l’occasion de le montrer lors de
l’étude des formes réflexives précédentes, compte pour un argument. Par
conséquent, la forme X « stasqaa » réalise un argument, en plus, comparée à la
forme I.60
Nous savons qu’une forme X renferme une structure du causatif, ce qui lui
permet d’apporter un argument supplémentaire à la forme I. Toutefois, la racine
√sqy est du type Racine-Complément, ce qui signifie que le Sujet que réalise la
forme I est apporté par VP et ne fait pas partie des arguments de la racine. Par
conséquent, cette forme X réalise un argument de trop, puisqu’elle réalise trois
arguments alors que la racine en apporte seulement un et que la structure du
causatif en ajoute un. 61
On le voit mieux si on compare la forme X « stasqaa » à la forme IV
« ?asqaa » qui est attestée dans la langue et qui, comme montré en (274) , indique
le causatif. Cette forme n’a pas été utilisée pour faire ressortir le sens de la forme X
correspondante et ce, tout simplement parce que cette dernière ne se contente pas
d’ajouter un réflexif à la première :
60 Rien d’étonnant puisque l’on reconnaît à cette forme un sens supplémentaire « demander » qui implique la présence de trois arguments : « celui qui demande qu’on donne à boire », « celui qui donne à boire » et « celui à qui on donne à boire ». 61 Rappelons que VP n’apporte pas un argument lorsqu’il est enchâssé dans une structure de causatif.
186
(274) ?saqaa 3aliyy-un kariim-an
a.fait.irriguer Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Ali a fait boire Karim.’’
Vous remarquerez que la forme IV, en (274), réalise deux arguments alors
que la forme X donnée dans l’exemple en (271), en réalise trois (deux nominaux et
un, pronominal). En principe, la forme X remplace un argument nominal de la
forme IV par un argument pronominal. Par conséquent, la forme X réalise un
argument de trop.
La forme X « stasqaa », quoique contenant une structure du causatif, ne
dénote pas le sens « faire irriguer » voire même « se faire irriguer » (puisque la
forme X est sensée indiquer conjointement le réflexif). Cependant, le verbe
« demander » peut être traduit par « faire faire pour soi », ce qui renvoie à un
causatif et un réflexif indirect et peut être explicité comme suit :
(275) ?saqaa 3aliyy-un 3aliyy-an biwaasiTati kariim-in
a.fait.irriguer Ali-nominatif Ali-accusatif par Karim-génitif ‘‘Ali a fait boire Ali par Karim.’’
Le fait qu’il y ait un intermédiaire dans l’action de « faire boire » fait en sorte
que le sens généré par la présence de v, ne soit pas rendu par « faire » mais par
« demander ».
Dans cette forme X, la racine apporte un argument pronominal « t » en
position Complément et un deuxième argument, cette fois-ci nominal, en position
Adjoint ; ce qui dote le verbe d’un deuxième Objet. La structure renferme une
projection vP qui apporte un argument Sujet et un niveau verbal supplémentaire.
187
V’
vP
v’
VP
√P
v [CV]
√sqy
3ali
t [CV]
kariim
V [CV] a
Ainsi, la structure de la forme X « staqaa » se présente comme suit :
(276)
La forme X « stasqaa » ; qui est en réalité une forme « stasqaya » dont la
semi-consonne « y » a subi une élision par le fait qu’elle soit en position
intervocalique ; suit le même processus pour sa formation que la forme X
canonique (cf. section 3.1.2).
3.2.4. Du nom au verbe
La forme X peut avoir un emploi dénominal, comme c’est le cas pour la
forme IV. Il s’agit de construire une forme X à partir d’une racine qui n’a aucun
argument. Soit l’exemple suivant :62
(277) istansara kariim-un
devenir.comme.un.aigle Karim-nominatif ‘‘Karim est devenu comme un aigle.’’
Avec une forme nominale, on aurait ce qui suit :
(278) Saara kariim-un ka an-nasr-i
est devenu Karim-nominatif comme un aigle-génitif ‘‘Karim est devenu comme un aigle.’’
La forme X « stansar » est mise en relation avec le nom « nasr » (aigle) et
signifie « devenir comme un aigle ». Partant du fait que la racine √nsr n’a aucun
62 On peut citer d’autres exemples que l’on retrouve dans Wright (1896 :45): « stawzar » qui signifie « nommer un ministre » vient du nom « waziir » (ministre) ; « istawlaa » qui signifie « se déclarer tuteur, chef » vient du nom « waliyy » (tuteur, gouverneur) ; « istaxlaf » qui signifie « se proclamer khalife » vient du nom « xaliifa » (khalife).
188
V’
vP
v’
VP
t [CV]
√nsr
kariim
V [CV] a
v [CV]
argument, on présume que c’est la structure d’une forme X qui lui a apporté les
deux arguments qui se manifestent dans l’exemple (277) : l’argument nominal
« Karim » et l’argument pronominal « t ».
De surcroit, cette structure dote la forme X d’un sens qui peut être rendu par
« devenir » lequel peut être décomposé par : « rendre » + « soi-même ». Le premier
élément, à savoir « rendre », rappelle le sens causatif et le second élément, à savoir
« soi-même », rend compte du sens « réflexif ».
De ce fait, la structure de la forme X dénominale est analogue à celle d’une
forme X causative-réflexive :
(279)
La forme X dénominale suit le même processus de formation que les autres
formes X. Le lecteur peut se référer à la section 3.1.2 (P :172) où sont donnés en
détails les mouvements auxquels procède une forme X pour son exécution.
4. Conclusion
La forme X « staf3al » est une forme qui englobe la même structure
causative que la forme IV. Le seul point qui les distingue c’est la nature de
l’argument apporté par la racine : à la forme IV, l’argument de la racine se réalise
sous une forme nominale tandis qu’à la forme X, l’argument en question se réalise
sous une forme pronominale « t ». Devant être lié, ce morphème prend pour
antécédent l’argument Sujet apporté par la structure du causatif ; à savoir par vP.
La coréférence entre ces deux arguments génère un sens réflexif. C’est ainsi que la
189
forme X tient son rôle principale d’indiquer à la fois le causatif et le réflexif, mieux
encore, être la forme réflexive de la forme causative IV.
Ce qui donne à une forme X « staf3al » sa morphologie, c’est la position
qu’occupe le morphème « t » au moment où il est lié par son antécédent. En effet,
ce morphème qui dote la forme verbale d’une position CV supplémentaire, ne
pouvant pas se réaliser à l’état libre, se retrouve associé à V. Vu que la racine
s’associe à la position CV contenu dans v et non pas dans V, on se retrouve avec
deux positions CV (celle de V et celle de « t ») en début de mot et un morphème
« t ». Afin d’éviter la réalisation d’une géminée, le morphème « t » s’associe à la
deuxième position CV et une consonne épenthétique « s » est insérée dans la
première position consonantique.
190
CHAPITRE 7
ANALYSE DE LA FORME III « faa3al »
1. Introduction
La forme III « faa3al » a la propriété de réaliser une voyelle longue « aa » là
où les autres formes (hormis la forme VI « ta-kaatab ») réalisent une voyelle courte
« a ». En morphophonologie, la réalisation d’une voyelle longue est l’indice de
l’existence d’une position (CV) supplémentaire.
Cette forme est connue pour indiquer le réciproque. Toutefois, comme on le
verra par la suite, il existe des cas où cette réciprocité n’est pas présente ;
précisément lorsque la racine indique un état ou lorsqu’elle n’a aucun argument.
191
L’analyse syntaxique que nous proposons permettra de :
a. déterminer l’origine ainsi que le statut du CV responsable de la réalisation
de la voyelle longue « aa » ;
b. comprendre la source du sens « réciproque » qu’on assigne à cette forme ;
c. comprendre pourquoi cette réciprocité n’est pas présente dans les deux
cas cités ci-dessus.
Nous commençons par exposer l’analyse morphophonologique qui montre
le gabarit qui sous-tend une forme III et le mode d’association qu’elle adopte.
Ensuite, nous examinons la forme III canonique, à savoir celle qui indique le
réciproque, afin d’établir le type de projections qu’elle renferme et le processus
qu’elle suit dans sa formation. Enfin, nous nous intéresserons aux emplois non-
réciproques de la forme III afin de vérifier qu’ils se soumettent à la même
structure.
2. Quel gabarit pour la forme III ?
Commençons par rappeler le gabarit unique qui génère les dix formes
verbales : [CV-CV(CV)CVCV]. L’analyse morphophonologique proposée par
Guerssel et Lowenstamm pour la forme III « faa3al », montre que cette dernière
utilise la position dérivationnelle (CV) pour se réaliser. Elle utilise la position V
pour allonger la première voyelle de la forme verbale :
(280) f 3 l
C V (CV) C V C V a
Rappelons que dans ce cadre théorique, la représentation d’une voyelle
longue est :
192
(281) C V C V
a
Et la représentation d’une géminée est :
(282) C V C V
t
Dans l’analyse morphophonologique proposée par Guerssel et
Lowenstamm, la forme III et la forme II utiliseraient la même position (CV) pour se
réaliser, à part que la forme III utilise la position vocalique de ce (CV) pour réaliser
une voyelle longue tandis que la forme II utilise la position consonantique de ce
même (CV) pour réaliser une consonne géminée. On se demandera ce qui motive
l’une ou l’autre option.
L’analyse syntaxique que nous proposons permettra de vérifier si la position
(CV) qu’utilise la forme III est la même que celle qu’utilise la forme II, c’est-à-dire si
elle est générée dans la même position syntaxique ou s’il s’agit seulement d’une
même représentation linéaire, à savoir une position (CV) après C1, mais dont
l’origine serait différente dans chacune de ces deux formes.
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme III
Dans cette section, nous allons, dans un premier temps, examiner l’emploi
principal d’une forme III qui servira de point de départ pour déterminer la
structure syntaxique et le processus de formation de cette forme. Dans un
deuxième temps, nous nous intéresserons aux emplois annexes d’une forme III qui,
comme on va le voir par la suite, sont de simples effets de sens tributaires de la
structure et du sens de la racine.
193
3.1. Le réciproque, point de départ pour l’analyse d’une forme III
La forme III indique principalement le sens de la réciprocité. Selon Wright
(1896 : 32-33), lorsque la racine dénote une action, la réciprocité sera explicite ou
implicite suivant que le verbe, à la forme I, affecte directement ou indirectement
son objet.
Soit un exemple de la forme III où la racine dénote une action et où le verbe
à la forme I affecte directement son objet :
(283) saabaqa kariim-un 3aliyy-an
a.fait.la.course Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait la course avec Ali.’’63
A la forme I, on a ce qui suit :
(284) sabaqa kariim-un 3aliyy-an
a dépassé Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a dépassé Ali.’’
La forme I « sabaq » (dépasser), donnée en (284), indique une action et
compte deux arguments : un agent dont la fonction syntaxique est Sujet et un
patient dont la fonction syntaxique est Objet direct. Les deux arguments ont la
particularité d’être [+ animé].
A la forme III, donnée en (283), le sens du verbe passe de « dépasser
quelqu’un » à « faire la course avec quelqu’un » et l’action qui, à la forme I, était
accomplie par le Sujet, ici « Karim », devient accomplie et par le Sujet « Karim » et
par l’objet « Ali ». En effet, le verbe « saabaq » (faire la course) implique la
participation de deux actants ou plus. Dans une structure telle que [Karim fait la
course avec Ali], chacun de « Karim » et de « Ali » participe à l’événement « faire la
course ».
63 Une meilleure traduction est possible avec l’anglais : « Karim raced Ali ».
194
Si l’on veut retrouver le sens qu’on a avec la forme I à savoir « dépasser », on
dira que « Karim dépasse Ali » et « Ali dépasse Karim » ou, au moins, chacun essaye
de dépasser l’autre ; d’où le sens de réciprocité qu’on attribue à la forme III.
Ainsi, lorsqu’un verbe de la forme I affecte directement son objet, à la forme
III l’objet participe aussi à l’action et de ce fait, l’action qui partait du Sujet vers
l’objet devient réciproque et part aussi de l’objet vers le sujet.
Voyons comment se présente une forme III lorsque le verbe à la forme I
affecte indirectement son Objet. Soit l’exemple suivant :
(285) kaataba kariim-un al-mudiir-a
a correspondu Karim-nominatif le directeur-accusatif ‘‘Karim a correspondu avec le directeur.’’
A la forme I correspondante, on a ce qui suit :
(286) kataba kariim-un ila al-mudiir-i
a écrit Karim-nominatif à le directeur-génitif ‘‘Karim a écrit au directeur.’’
Le verbe à la forme I « katab » (286) affecte indirectement son objet et
indique une action dont le sujet est l’agent et l’objet indirect est le bénéficiaire.64
Ces deux arguments ont le trait [+animé]. A la forme III (285), le verbe « kaatab »
passe du sens « écrire » au sens « correspondre » et implique que les deux
arguments du verbe participent à l’action. En effet, si à la forme I « katab », seul le
sujet est concerné par l’action « écrire », à la forme III le sujet comme l’objet sont
impliqués dans cette action. La forme III « kaatab » qu’on traduit par
« correspondre » indique que le Sujet écrit à l’objet et que l’objet,
vraisemblablement, en fait autant.
64 Avec la forme I « katab », on peut avoir soit un objet direct « kataba 3ali risaala» (Ali a écrit une lettre), ou un objet direct et un objet indirect : « kataba 3ali risaala ila kariim » (Ali a écrit une lettre à Karim) ou encore, comme c’est le cas ici, seulement un objet indirect : « katab karim ila 3ali » (Karim a écrit à Ali).
195
Il semblerait ainsi que l’argument dont le rôle thématique était
« bénéficiaire » à la forme I, devient « agent » à la forme III. En effet, avec le verbe à
la forme III « kaatab », on suppose que celui à qui on écrit régulièrement répond et
fasse, donc, lui aussi l’action « écrire ». Contrairement à « saabaq » qui implique la
participation immédiate de l’objet dans l’action, dans la mesure où le sujet ne peut
faire l’action « faire la course » que si l’objet la fait en même temps que lui, avec
« kaatab », l’action « écrire » n’est pas effectuée simultanément par le sujet et par
l’objet : le sujet écrit à l’objet puis l’objet écrit au sujet.
De la sorte, lorsqu’un verbe qui affecte indirectement son objet est mis à la
forme III, la participation de cet objet à l’action n’est pas immédiate mais supposée,
d’où la notion de réciprocité implicite de Wright.65 Nous ferons remarquer ici que
l’Objet indirect de la forme I « katab », donnée en (286), se transforme en Objet
direct à la forme III « kaatab » (285). Autrement dit, l’argument qui n’était pas
affecté directement par l’action « écrire », à la forme I, le devient à la forme III.
3.1.1. Comment faire participer l’Objet à l’action du verbe ?
On parle de réciproque lorsque l’Objet participe à l’action dénotée par le
verbe de la même manière que le Sujet. Dans cette sous section, nous nous
proposons de discerner la structure syntaxique qui permet de rendre compte de la
réciprocité et qui est responsable de la morphologie d’une forme III.
La forme III présente une position CV supplémentaire, par rapport au
gabarit de base, ce qui révèle l’existence d’un niveau syntaxique supplémentaire,
présumément, une tête syntaxique supplémentaire. Pour pouvoir la discerner, il
faudra saisir ce qu’apporte cette forme par rapport à la forme I. Cet apport
concerne les traits sémantiques qu’ajoute la forme III au verbe de base et les
65 Nous verrons dans ce qui suit que la cause réelle d’une réciprocité explicite ou implicite n’est pas due à la structure syntaxique car dans les deux cas celle-ci est identique. C’est dû exclusivement au sens de la racine.
196
changements qu’elle effectue au niveau de la structure argumentale de la racine.
Reprenons les deux exemples de la forme II réciproque :
(287) saabaqa kariim-un 3aliyy-an
a.fait.la.course Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait la course avec Ali.’’
(288) kaataba kariim-un al-mudiir-a
a correspondu Karim-nominatif le directeur-accusatif ‘‘Karim a correspondu avec le directeur.’’
Sachant qu’à la forme I correspondante, on a :
(289) sabaqa kariim-un 3aliyy-an
a dépassé Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a dépassé Ali.’’
(290) kataba kariim-un ila al-mudiir-i
a écrit Karim-nominatif à le directeur-génitif ‘‘Karim a écrit au directeur.’’
La forme III « saabaq » garde les mêmes traits sémantiques que « sabaq », à
savoir « action de se déplacer plus vite que quelqu’un d’autre ». Ce qui change, c’est
la relation du verbe avec les arguments. Dans « saabaq kariim 3ali » (Karim a fait la
course (avec) Ali), l’événement « sabaq » concerne aussi bien le sujet
« kariim » que l’Objet «3ali » : « kariim sabaq » (Karim a dépassé) et « 3ali sabaq »
(Ali a dépassé).
De même, la forme III « kaatab » garde le sens de la forme I « katab », à
savoir « écrire », mais instaure une restriction quant à l’argument Objet qui doit
être [+animé] de façon à favoriser la participation de l’objet à l’action dénotée par
le verbe. Si avec la forme I « katab », on indique que l’action s’achemine de l’agent
vers le bénéficiaire, à la forme III « kaatab » on indique que l’action est
bidirectionnelle et va du sujet vers l’Objet mais aussi de l’Objet vers le sujet.
A première vue, on pense que la forme III « saabaq » garde les mêmes
arguments que la forme I et ne change que la forme du verbe. Cependant, lorsqu’on
197
considère le deuxième exemple « kaatab » où la forme III semble changer l’Objet
indirect « ila al-mudiir-i » en un Objet direct « al-mudiira » et qu’on s’aperçoit qu’à
la forme III, l’argument Objet est toujours « agent » alors que l’argument de la
racine qui occupait la position Complément de √P était soit « patient » ou
« bénéficiaire », le doute s’installe quand à la véracité de cette observation. Le
statut de l’argument Objet de la forme III devient litigieux.
De surcroit, comme nous le verrons dans la sous-section suivante (cf.3.2),
les verbes d’état, dont la racine ne comporte qu’un seul argument, se trouvent
munis d’un argument supplémentaire lorsqu’ils sont à la forme III. De même, la
forme III dénominale dont la racine ne contient, en principe, aucun argument,
acquiert un argument Sujet. Ceci montre que la structure de la forme III peut
apporter son propre argument et nous amène à se poser des questions concernant
le statut de l’argument qui apparaît en tant qu’Objet dans les exemples de la forme
III réciproque.
Tout laisse donc penser que dans une forme III, l’argument Sujet est apporté
par la structure de celle-ci (et n’est donc pas le même argument Sujet que l’on
retrouve à la forme I) et que l’argument Objet est celui qui se trouve en position
Spécifieur de la racine et non pas celui qui est en position Complément de la racine
(et qui correspond donc à l’argument Sujet de la forme I). En conséquence, cela
indique que la forme III ne change pas l’Objet indirect en un Objet direct et prédit
que le deuxième argument apporté par la racine en position Complément et que
l’on retrouve à la forme I, n’est pas maintenu.
En admettant que la forme III ajoute un agent à la structure de base, on
présume que sa structure a la possibilité d’ajouter, en plus d’une position CV dont
résulte l’allongement de la voyelle « a », une position Spécifieur qui renferme
198
l’argument « agent » en question.66 De ce fait, la structure que nous cherchons et
dont découle une forme III constitue une projection et non pas une position dans
une projection déjà existante.
La forme III réciproque n’ajoute pas un élément qui pourrait être rendu par
un verbe léger, comme c’est le cas à la forme II. En effet, les formes III « saabaq » ou
« kaatab » ne se laissent pas décomposer en [faire/estimer+ sabaq/katab]. Par
conséquent, il n’est pas envisageable de proposer l’existence d’une projection vP ;
comme on l’a fait pour la forme II.
Avec la forme III, on a un seul verbe qui correspond au verbe de base, le
même qu’on retrouve à la forme I, mais on a deux structures qu’on pourrait
représenter comme suit :
(291) [X [sabaq/katab] Y [sabaq/katab]]
A ce stade, on a deux agents et un événement, ce qui implique que chacun
des deux agents participe à l’action. Étant donné qu’on reste dans une structure
simple : [Sujet verbe Objet], l’un des arguments « agent » aura la fonction
syntaxique Sujet et l’autre aura la fonction syntaxique Objet. Le fait que les deux
arguments soient « agent » et qu’ils participent tous les deux au même événement
et à l’intérieur d’une même structure simple « Sujet verbe Objet » produit le sens
« réciprocité ».
Il n’existe pas une tête syntaxique qui représenterait le « réciproque ». Le
réciproque appartient au domaine sémantique et non pas au domaine syntaxique.
Certes, il y a une structure qui rend compte du réciproque de la même manière que
la projection vP rend compte du causatif, le tout est de savoir laquelle.
66 Cette hypothèse sera confirmée lors de l’étude de l’emploi suivant, à savoir à la forme III dont la racine indique un état, et qui projette un seul argument.
199
V’
VP
V [CV] a
√P
√’
√sbq 3ali
karim
A la forme III, le verbe assigne l’accusatif à son complément, comme à la
forme I, mais la situation est telle que l’Objet change de rôle thématique et devient
« agent » impliqué dans l’accomplissement de l’action dénotée par la racine. Les
changements que manifeste l’argument Objet indiquent que ce dernier n’occupe
pas la même position qu’à la forme I.
Commençons par donner la structure de la forme I « sabaq » :
(292)
Etant donné que la forme III ne touche pas au verbe lui-même et qu’elle ne
modifie pas ses traits sémantiques mais s’intéresse plutôt à la relation entre Verbe
et Objet, cela indique qu’elle manipule la partie qui structure le verbe et ses
arguments.
Manipuler la structure du verbe et sa relation avec les arguments implique
manier le domaine de V et donc toucher à la projection VP. En effet, comme on a eu
l’occasion de le voir, lors de l’analyse de la forme I, la racine apporte la partie
lexicale du verbe ainsi que les arguments et V contenant la voix active, agence les
arguments de la racine et leur donne une fonction syntaxique : Sujet pour
l’argument qui occupe la position Spécifieur de √P et Objet pour le deuxième
argument qui occupe la position Complément de √P. C’est au niveau de VP qu’est
déterminée la relation entre le verbe et les arguments.
Ainsi, si la forme III modifie la relation du verbe avec l’un de ses arguments,
en l’occurrence ici l’objet, c’est qu’elle doit intervenir au niveau de VP. Néanmoins,
étant donné que la forme III ne touche ni au verbe ni au sujet ni à la relation Sujet/
200
V’
VP
√P
√’
√sbq
karim ET 3ali
3ali
karim
V [CV] a
verbe, la partie VP telle que présentée dans le schéma (292) reste intacte ; c’est-à-
dire avec en position tête V un CV contenant une voyelle « a », et une position
Spécifieur accueillant l’argument qui se trouve dans la position Spécifieur √P.
Pour pouvoir rendre compte de cette nouvelle relation entre le verbe et
l’objet qu’instaure la forme III et à la fois garder intacte la structure qui gère la
relation entre le verbe et son sujet, il faudra maintenir la structure de VP telle
qu’elle est à la forme I et lui ajouter un élément qui n’affecte pas cette partie
principale.
Une coordination aurait pu permettre ceci et garantir la participation des
deux agents à l’action dénotée par le verbe, mais elle aurait mis les deux arguments
dans la position Sujet : [Argument 1 et Argument 2 Verbe], privant ainsi le verbe
d’un Objet. Encore faudrait-il qu’il y ait un mécanisme permettant de déplacer, à la
fois, l’argument en position Spécifieur de √P et l’argument en position Complément
de √P dans la position Specihieur de VP :
(293) *
Un dénouement qui donnerait le même résultat que la coordination, à savoir
faire participer l’argument Objet à l’action dénotée par le verbe, sans donner le
même effet, à savoir changer cet argument en Sujet, serait de répéter le verbe. En
effet, puisque la forme III nous dit que l’objet participe au verbe de la même
manière que le sujet, en répétant le verbe, on assurerait ce résultat. Dans ce cas, la
forme III reflèterait exactement la structure [karim sabaq] + [3ali sabaq].
201
Néanmoins, la forme III n’est manifestement pas une forme rédupliquée.
Pourtant, si l’on regarde ce qu’est véritablement le verbe et précisément de quoi
est constituée la position tête V, on se rend compte que la forme III est une forme
qui duplique V. En effet, V est constitué d’une position CV dont la position
vocalique est occupée par la voyelle « a » et la forme III réalise une voyelle longue
« a ». Cette voyelle longue qui a été interprétée, auparavant, comme résultant de la
nécessité de remplir une position CV vide qui se trouve à sa droite, peut être
perçue, dorénavant, comme étant, en réalité, deux voyelles « a » : la voyelle « a »
que contient V1 plus la voyelle « a » que contient V2.
Nous postulons, donc, que si la forme III réalise une voyelle longue c’est
parce qu’il y a deux têtes V contenant chacune une position CV dont la position
vocalique est occupée par une voyelle « a ».
Admettant que la forme III renferme deux positions V, il reste à voir
comment celles-ci s’agencent. La forme III ajoute un argument, en plus de la
position V responsable de la réalisation d’une voyelle longue « aa ». Il devient
évident, donc, que la structure supplémentaire que renferme la forme III est une
structure contenant une tête V et une position Spécifieur qui renferme l’argument
sélectionné par V. De la sorte, la forme III aurait deux projections VP (VP1 ; VP2).67
Une telle situation oblige une configuration dans laquelle la projection VP1 domine
la projection VP2 qui, elle, domine la projection √P (cf.(294)) :
67 Il est tout à fait concevable de supposer l’existence de deux projections VP voire de supposer qu’une projection VP puisse en sélectionner une autre. Le cas se présente avec les verbes sériels que l’on retrouve dans certaines langues africaines ainsi que dans certaines langues asiatiques (cf. Larson 1991, Paul 2004). Nous ne tentons pas de comparer la forme III réciproque à la construction sérielle, nous voulons juste attirer l’attention sur la possibilité d’une configuration avec deux projections VP. Sans oublier qu’avant l’introduction du petit-vP, on présentait des structures avec deux VP.
202
V2’
VP2
√sbq
karim V1’
VP1
V1 [CV] a
3ali
√P V2 [CV] a
V2’
VP2
√f3l
V1’
VP1
argument
√’ argument
√P V2 [CV] a
V1 [CV] a
argument
(294)
Étant donné que le VP supplémentaire de la forme III a la possibilité
d’ajouter un argument, nous stipulons que c’est le cas en permanence. Autrement
dit, ce VP ajoute toujours un argument dans sa position Spécifieur et c’est la raison
pour laquelle cet argument est toujours « agent ». Par conséquent, l’agent qui
assume la fonction Sujet d’une forme III est l’agent apporté par VP1 et l’agent qui
assume la fonction Objet est l’agent apporté par la racine et qui occupe la position
Spécifieur de √P.
Quant à l’argument « Patient » qui devait normalement occuper la position
Complément de √P, il est tout simplement éliminé de la structure. Ceci nous amène
à concevoir que pour certaines racines, l’argument Complément est optionnel et
peut donc se réaliser comme il peut être omis.
Ainsi la structure d’une forme III « Saabaq » se présente comme suit :
(295)
203
V2’
VP2
√P
√sbq
3ali
3ali
V1’
VP1
kariim
V1 [CV] a
V2 [CV] a
C’est dans cette configuration que nait la propriété qu’a la forme III de faire
participer l’objet à l’action dénotée par le verbe. Une telle structure donne deux
agents pour un même événement, dénoté par une même racine. En effet,
l’argument agent de la racine se déplace dans la position Spécifieur de VP2 qui
sélectionne √P et est donc l’agent de V1 (296), et la deuxième projection VP
apporte son propre argument qui sera l’agent de V2 :
(296)
Les deux verbes, liés soit au Sujet soit à l’Objet, sont de même nature et sont
constitués par les mêmes éléments (une position CV dont la position vocalique est
occupée par une voyelle « a »), c’est ce qui fait que la relation qu’entretient l’Objet
avec son verbe est de même nature que celle qu’entretient le Sujet avec son verbe.
Néanmoins, vu que VP2 est en position de Complément par rapport à VP1, les deux
arguments n’auront pas la même fonction syntaxique. L’argument « kariim » qui se
trouve en position Spécifieur de VP1 aura la fonction Sujet et l’argument « 3ali »
qui, lui, occupe la position Spécifieur de VP2, aura la fonction Objet.
Passons maintenant à la forme III « kaatab » que Wright distingue de la
forme « saabaq » en supposant qu’elle transforme l’objet indirect, que l’on retrouve
à la forme I « katab », en un objet direct et où l’auteur parle d’un réciproque
implicite.68 Commençons par donner la structure de la forme I « katab » (cf.(297) :
68 En réalité, la seule chose qui différencie ces deux formes c’est que l’Objet de la forme III « saabaq » est de même nature que celui de la forme I « sabaq » : « kariim sabaq 3ali » (Karim a dépassé Ali)VS « kariim saabaq 3ali » (Karim a fait la course avec Ali) alors qu’avec la forme III
204
V’
VP
√P √’
√ktb risaala
karim √’ ila mudiir
V [CV] a
(297)
Dans une forme I, la racine apporte un argument « agent », un argument
« patient » et un argument « bénéficiaire ».
A la forme III « kaatab », nous pouvons avancer, à la lumière de ce que nous
avons vu lors de l’analyse de la forme III « saabaq, que la racine ne projette ni son
argument Complément ni son argument Adjoint. Elle se contente de projeter
l’argument « agent ». De ce fait, le deuxième argument que possède la forme III
« kaatab » est apporté par le deuxième VP que sa structure renferme. Ainsi, dans la
proposition donnée en (288), que nous reprenons ci-dessous, le Sujet « kariim » est
l’argument apporté par VP1 et l’objet « al-mudiir » est l’argument apporté par la
racine, en position Spécifieur :
(298) kaataba kariim-un al-mudiir-a
a correspondu karim-nominatif le directeur-accusatif ‘‘Karim a correspondu avec le directeur.’’
De ce fait, l’argument « al-mudiir » n’est pas déplacé d’une position Adjoint
vers une position Complément, il est tout simplement l’argument réalisé en
position Spécifieur de la racine.
De cette manière, la forme verbale a deux arguments dont le rôle
thématique est « agent », ce qui fait que les deux ont la capacité de participer à
l’action dénotée par le verbe. Etant donné que les deux arguments « agent »
apparaissent dans une structure simple du type : [Sujet verbe Objet] : [kariim
« kaatab », on retrouve un Objet [+animé] que l’on ne peut pas avoir avec la forme I « katab » : « kariim kataba risaalat-an » ( Karim a écrit une lettre)/ « karim kaataba 3ali » (Karim a correspondu avec Ali).
205
V2’
VP2
√P
√ktb
mudiir
V1’
VP1
kariim
V2 [CV] a
V1 [CV] a
kaatab al-mudiir ] (Karim a correspondu avec le directeur), la participation de
chacun des deux arguments à une même action donne le sens de « réciprocité».
Ainsi, la structure de la forme III « kaatab », se présente comme suit :
(299)
Ainsi, au niveau de la structure syntaxique, rien ne distingue la forme III
« kaatab » de la forme III « saabaq ». Comme on vient de le montrer, il ne s’agit
aucunement, dans le cas de la forme III « kaatab », de changer l’Objet indirect en un
Objet direct. Dans les deux cas, la structure de la forme III ajoute un argument
« agent » et dans les deux cas, la racine sélectionnée ne projette pas son argument
Complément. De la sorte, si Wright reconnait un sens réciproque explicite à
« saabaq » et non pas à « kaatab » (où il parle de réciproque implicite), cela ne
provient pas de leur structure syntaxique, puisqu’elle est identique, mais tout
simplement, des traits sémantiques de la racine.
En effet, une racine comme √sbq denote l’action de « dépasser quelqu’un »,
cette action n’a de sens que par rapport à un autre actant : si on est seul à se
déplacer vers un endroit ou à effectuer une quelconque tâche, on ne peut pas
parler de « dépasser ». La forme III « saabaq » (faire la course avec) implique les
deux arguments dans cette même action et, par conséquent, ces derniers se
trouvent dans la même relation l’un avec l’autre.
En revanche, une racine telle que √ktb (qui a comme Complement un Objet
[-animé] mais peut avoir un Bénéficiaire qui, lui, sera [+animé]), indique une action
qui peut avoir lieu indépendamment de toute autre action. On peut écrire quelque
206
V2’
VP2
V2 sbq |
[CV] a
√P
√sbq
3ali
3ali
V1’
VP1
kariim
V1 [CV] a
chose sans que ça soit lu, comme on peut écrire à quelqu’un sans que cette
personne ne réponde (tout dépend du sujet de l’écrit). Toutefois, mise à la forme
III, « kaatab » implique que les deux arguments font la même action « écrire » et
entretiennent la même relation l’un avec l’autre. De ce fait, la forme III « kaatab »
indique également une réciprocité explicite.
3.1.2. Comment obtient-on une forme III ?
Maintenant que l’on connaît la structure de la forme III réciproque et que
l’on sait comment elle permet la participation de l’objet à l’action dénotée par le
verbe, il nous reste à déterminer le processus de formation qu’elle suit pour se
réaliser. En effet, si l’on sait que la forme III est constituée d’une projection VP1,
une projection VP2 et une projection √P, il faudra comprendre comment on arrive
au résultat final « faa3al ».
Etant donné que la structure de la forme III renferme deux positions têtes V
mais qu’une seule projection √P est sélectionnée (et donc une seule racine est mise
à disposition), les deux têtes V devront alors se partager la même racine. Nous
avons vu qu’à la forme I, la racine se déplace en V et s’associe à la position
consonantique du CV de ce dernier, sauf qu’ici il y a deux V et les deux V doivent
être associés à la racine.
La forme verbale « saabaq » est obtenue suite au déplacement de la racine
√sbq à V2 :
(300)
207
V2’
VP2
√P
√sbq
3ali
3ali
V1’
VP1
V1 s b q | [CV]+[CV] a a
kariim
V2 sbq | [C V] a
V2’
VP2
√P
√sbq
karim V1’
VP1
V2 s b q | [CV] a
3ali
V1 s b q | [CV]+[CV] a a
Asp’
AspP
AgrP
Agr’
Agr s b q | | | [CV][CV][CV]+[CV] a a
Asp s b q | | [CV][CV]+[CV] a a
karim
karim
3ali
Puis du déplacement de V2 en V1 :
(301)
Sachant que chacun de V1 et V2 contient une position « CV » dont la position
vocalique est occupée par une voyelle « a », le déplacement de V2 en V1 crée la
suite « CaCa » dont résulte la voyelle longue que réalise la forme III.
Ensuite, comme montré en (302) pour acquérir les traits d’aspect et
d’accord, V1 se déplace dans la tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux
positions CV qui associent la deuxième et la troisième consonne de la racine.
L’argument en position Spécifieur de VP1 finit dans la position Spécifieur de AgrP :
(302)
208
Ainsi, on obtient sous la tête Arg, quatre positions CV dont deux apporte
chacun une voyelle « a » et une racine √sbq. L’association au gabarit se fera comme
suit :
� La racine s’associe à la position C du CV de la tête qui l’a accueillie en
premier à savoir V2 ;
� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de
Asp. ;
� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Agr.
Ce qui donne le gabarit suivant, qui correspond exactement à celui élaboré
par Guerssel et Lowenstamm :
(303) s a b q
/ \ [C V] [C V][CV][CV] V1 V2 Asp Agr
La question qui se pose aussitôt est de savoir la raison pour laquelle la
deuxième consonne de la racine ne s’associe pas à la position C du deuxième CV. La
réponse réside dans le Principe du contour obligatoire. En effet, si la structure
syntaxique n’interdit pas l’existence de deux V, au niveau PF une contrainte
interdit toute séquence consécutive de deux syntagmes homophones. Ce qui
stipule que deux auto-segments adjacents ne peuvent pas avoir la même valeur
(Principe du contour obligatoire).69
De ce fait, au niveau morphophonologique, la représentation des deux V ne
sera pas indiquée comme suit :
(304) * C V C V
| | a a
69 Leben (1973) ; McCarthy (1986) ; Goldsmith(1976).
209
Mais plutôt par une suite « CVCV » et une voyelle « a » qui branche sur les
deux positions :
(305) C V C V
a
Ainsi, étant donné que la voyelle « a » branche sur les deux positions
vocaliques des deux CV, la position consonantique qui se retrouve à l’intérieur
devient inaccessible et ne peut être associée à aucun élément. En effet, le Principe
du Contour Obligatoire impose des contraintes de bonne formation auxquelles est
soumise l’association du gabarit aux segments. Il s’agit du principe du non
croisement des lignes d’association :
(306) * s a b q
| | | | C V C V C V C V
Pour ce qui est de la forme III « kaatab », nous avons montré qu’elle a
exactement la même structure que la forme III « saabaq ». En conséquence, elle
suivra exactement le même processus de formation que cette dernière, procédera
aux mêmes mouvements et s’associera au gabarit de la même manière.
Nous savons à présent comment obtient-on une forme III « faa3al » qui
indique que le Sujet et l’objet participent à l’action. La forme III a pour ainsi dire un
seul sujet mais deux agents. C’est une forme qui implique à chaque fois deux
actants et est d’un point de vue sémantique pluriel ; la pluralité est ici une pluralité
d’actants.
Il s’avère ainsi que le (CV) qui permet la réalisation d’une voyelle longue à la
forme III est complètement différent de celui qui permet la réalisation d’une
consonne géminée dans la forme II. Tout d’abord parce que dans la forme II, la
position CV est obtenue grâce à une projection vP alors que dans la forme III, la
position CV est obtenue grâce à une projection VP. Ensuite, parce que le CV apporté
210
par la forme II est privé de tout contenu segmental, alors que le CV apportée par la
forme III contient une voyelle « a ». Maintenant que l’on sait que la voyelle longue
« aa » qui se réalise dans la forme III est en réalité deux voyelles « a » appartenant
à deux positions CV, la question de savoir pourquoi c’est la position vocalique du
CV supplémentaire qui a été activée et non pas la position consonantique comme à
la forme II, ne se pose plus.
3.2. Emplois non-réciproques de la forme III
Le sens réciproque n’est pas, en soi, ce qui donne à une forme III sa
structure. Il n’est qu’une conséquence de la structure syntaxique de cette dernière.
De ce fait, il est tout à fait envisageable d’avoir des formes III non-réciproques. Il
faut garder en vue que ce qu’on appelle ‘réciproque’ désigne avant tout la
participation de chacun du Sujet et de l’Objet à l’événement dénoté par le verbe.
Cette participation ne s’effectuera certainement pas de la même manière s’il s’agit
d’une racine qui dénote une action ou d’une racine qui dénote un état.
Nous verrons dans cette sous-section deux emplois non-réciproques de la
forme III. Le premier concerne les racines qui dénotent un état et le second
concerne les racines qui n’ont aucun argument, c’est-à-dire celles destinées
initialement à former des noms. Nous partons du principe que si ces formes
partagent la même morphologie que la forme III canonique c’est qu’elles ont la
même structure syntaxique. En dépit du fait que ces deux formes ne dénotent pas
le réciproque, nous nous intéressons à leurs propriétés syntaxiques pour prévaloir
les traits qu’elles ont en commun avec les formes III réciproques, et qui
justifieraient qu’elles aient la même structure, et par la suite, comprendre ce qui
les empêche, à leur tour, de rendre compte de ce sens.
211
3.2.1. De l’état à l’action
Lorsqu’une racine qui dénote un état ou une qualité est mise à la forme III,
cette dernière indique une action ; d’où le titre donné à cette sous-section.
Observons quelques exemples :
(307) Hasuna 3aliyy-un
être bon Ali-nominatif ‘‘Ali est bon.’’
(308) xašun 3aliyy-un
être rude Ali-nominatif ‘‘Ali est rude.’’
A la forme III, on a ce qui suit :
(309) Haasana 3aliyy-un kariim-an
a.agi.avec.bonté Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Ali a agi avec bonté envers Karim.’’
(310) xaašana 3aliyy-un kariim-an
a.agi.avec.rudesse Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Ali a agi avec rudesse envers Karim.’’
Le verbe à la forme I « Hasun », donné en (307), indique une qualité « être
bon » et possède un seul argument dont le rôle thématique est « Thème ». Ce verbe
est intransitif et n’affecte donc pas un Objet. C’est le cas également pour le verbe à
la forme I «xašun », donné en (308).
A la forme III « Haasan », donnée en (309), le verbe indique « agir avec
bonté envers quelqu’un ». De même pour la forme III « xaašan », donnée en (310),
où le verbe indique « agir avec rudesse envers quelqu’un ». Le verbe à la forme III
devient transitif et acquière un deuxième argument qui a la propriété [+ animé].
Examinons de près la forme « Haasan », donnée en (309). Cet exemple
prouve que la structure de la forme III, ajoute bel et bien un argument à la grille
thématique de la racine. En effet, la forme I « Hasun », donnée en (307), manifeste
un seul argument, « 3ali», et le verbe indique un état voire une qualité « être bon ».
212
Par conséquent, l’argument « Karim » qui se manifeste à la forme III « Haasan » est
ajouté ultérieurement ; ce qui confirme que la forme III renferme une structure qui
lui procure un argument, en plus de lui permettre de réaliser une voyelle longue.
Cependant, cette forme ne dénote pas le réciproque alors que c’est,
précisément, ce qui nous avait permis de discerner la structure d’une forme III. De
ce fait, la question de savoir ce qui justifie qu’on affecte la structure établie pour les
formes réciproques à une forme comme « Haasan » se pose nécessairement.
Nous partons, toujours, du principe que deux formes qui partagent la même
morphologie partagent forcément la même structure syntaxique. De ce fait, nous
partons du principe que la forme « Haasan » a la même structure que la forme
« saabaq » et renferme deux projections VP. Il nous faut, néanmoins, justifier un tel
postulat et ce, en discernant dans la forme III « Haasan » ce qui permet de
confirmer l’existence de cette structure, et qui expliquerait, également, l’absence
du sens réciproque. En d’autres termes, il faudra que les propriétés d’une forme
« Haasan » puissent correspondre à la structure qu’on lui a attribuée et que ce
qu’elle dénote trouve son explication dans celle-ci.
La première chose à faire remarquer est que, dans le cas présent, la racine
indique un état ; contrairement aux formes III réciproques où la racine indiquait
une action. Cette propriété est très importante, dans la mesure où la réciprocité ne
peut se produire que s’il y a une action à partager. De la sorte, il est évident qu’une
racine indiquant un état ne pourra pas produire une forme réciproque, même si
elle est enchâssée dans la même structure qu’une forme III réciproque.
Maintenant, reste à savoir ce qu’apporte une forme III à une racine telle que √Hsn.
La forme I « Hasun » indique un état « être bon » et renferme un argument
« Thème ». À la forme III « Haasan », trois changements vont se succéder :
a. un argument « agent » est ajouté,
b. la forme se trouve dotée d’un Objet,
213
V2’
VP2
√P
√Hsn
3ali
V1’
VP1
kariim
V1 [CV] a
V2 [CV] a
c. le verbe devient un verbe d’action.
L’ajout d’un argument confirme que la forme « Haasan » renferme une
deuxième projection VP (on exclut que ça soit une projection vP puisque sa
présence produirait un résultat morphologique et sémantique différent). Cette
opération aura pour conséquence de doter le verbe d’un Objet : l’argument de la
racine qui est Sujet à la forme I devient un Objet direct au moment où une nouvelle
projection, plus haute, apporte un argument. Cette nouvelle donnée aura pour
conséquence de changer la nature du verbe qui passe d’un verbe d’état « être bon »
à un verbe d’action « agir avec bonté ».
La qualité « être bon » qui concernait l’argument Thème de la racine, devient
une action qui concerne l’argument apporté par le deuxième VP. Toutefois, elle ne
devient pas, pour autant, une qualité du Sujet mais une qualité de la relation qui lie
le Sujet à l’Objet : lorsqu’on dit que « Karim » agit avec bonté envers « Ali », cela ne
signifie pas que « Karim » est bon mais que la relation qu’il a avec « Ali » est bonne.
De la sorte, en l’absence d’une action qui va du Sujet vers l’Objet et de l’Objet vers
le Sujet, avec des racines indiquant un état, la forme III décrit la relation entre le
Sujet et l’Objet. Cette configuration, même si elle ne fait pas ressortir explicitement
le sens de la réciprocité, elle justifie le recours à une structure du réciproque et fait
prévaloir l’existence d’une deuxième projection VP ; comme c’est le cas pour les
formes III réciproques.
Ainsi, la structure de la forme « Haasan » se présente comme suit :
(311)
214
En dépit du fait que cette forme ne dénote pas le réciproque, elle a les
mêmes propriétés syntaxiques et la même structure qu’une forme III réciproque,
et c’est ce qui lui donne sa morphologie. La forme III « Haasan » suit le même
processus de formation que la forme III réciproque (cf. section 3.1.2)
3.2.2. Du nom au verbe
La forme III peut être dénominale. Voici quelques exemples :
(312) saafara 3aliyy-un
a voyagé Ali-nominatif ‘‘Ali a voyagé.’’
(313) Daa3afa aT-Taalib-u al-majhud-a
a redoublé l’étudiant-nominatif l’effort-accusatif ‘‘L’étudiant a redoublé l’effort.’’
Les raisons pour lesquelles ces verbes de forme III sont considérées comme
étant dérivés de noms, c’est l’existence de noms formés à partir de la même racine,
comme ce qu’on peut observer dans ce qui suit :
(314) qaama 3aliyy-un bi s-safar-in Tawiil-in
a effectué Ali-nominatif avec un voyage -génitif long –génitif ‘‘Ali a effectué un long voyage.’’
(315) qaama aT-Taalib-u bi Di3f-i al-majhud-i
a effectué l’étudiant-nominatif avec double-génitif l’effort-génitif ‘‘a effectué l’étudiant le double de d’effort.’’
Wright (1896 : 34) considère qu’un verbe comme « saafar » (voyager) vient
du nom « safar » (voyage) et qu’un verbe comme « Daa3af » (redoubler) vient du
nom « Di3f » (double). Ce qu’on appelle ‘forme dénominale’, est une forme verbale
qu’on suppose être dérivée d’un nom. Dans notre analyse cela correspond à une
forme verbale construite à partir d’une racine qui, en principe, n’a aucun argument
(une racine destinée à former un nom). De la sorte, la forme III peut donc donner
une structure argumentale à une racine qui, à priori, n’en a pas.
215
V2’
VP2
√sfr
V1’
VP1
V1 [CV] a
3ali
V2 [CV] a
La forme « saafar » ne manifeste qu’un seul argument que l’on suppose être
apporté par la structure de la forme III. La forme « Daa3af », quant à elle, en réalise
deux. On verra, par la suite, la position du deuxième argument ; le premier étant
également apporté par la structure de la forme III.
Il est évident que le sens « réciproque » ne peut pas être présent dans une
proposition qui ne compte qu’un seul argument comme c’est le cas pour « saafar ».
De même, dans le cas de « Daa3af » où l’on compte deux arguments, on remarque
que l’objet réalisé a le trait [-animé], ce qui rend impossible la présence du sens
« réciproque ».
Etant donné que ces formes dénominales n’indiquent d’aucune manière la
participation de l’objet à l’événement dénoté par le verbe et, même dans le cas où
la forme dispose de deux arguments et vu que le sens du verbe ne subit aucun
changement, on ne saurait, à vrai dire, établir leur structure indépendamment de
ce que l’on sait sur une forme III. Pour ce faire, nous partons du fait que ces formes
qui, par leur morphologie, ressemblent aux formes III réciproques, doivent
forcément avoir la même structure. Nous appliquons, en quelque sorte, la structure
établie au préalable aux formes dénominales et nous essayerons, seulement, de
comprendre la raison pour laquelle ces formes existent.
Nous présumons donc que La structure de la forme III « saafar » se présente
comme suit :
(316)
La racine √sfr n’a aucun argument, le verbe se trouve dote d’un argument
Sujet par VP1 de la même manière que les autres formes III qu’on a étudiées.
216
V’
VP
3ali
√sfr V [CV] a
Toutefois, face à la structure en (316), on ne peut pas s’empêcher de se demander
pourquoi l’argument en question n’est pas ajouté dès VP2. Rappelons que dans les
autres formes III, la racine avait un argument qui occupait cette place, alors qu’ici
celle-ci reste vide.
Tout d’abord, rappelons qu’avec une forme I, on peut avoir des formes
dénominales. En général, ça donne le sens « être + racine ». Par conséquent, si on
ajoutait un argument au niveau du premier VP, comme montré en (317) , on
obtiendrait le sens « être voyage » :
(317)
Une forme I, avec ce genre de racine, s’avère impossible d’où la nécessité
d’avoir recours à une structure plus complexe. Cependant, la question de savoir
pourquoi la forme III est désignée et non pas la forme II se pose d’emblée.
Le fait de choisir la forme III au lieu de la forme II revient à choisir V au lieu
de v. Sachant que v rend compte d’un causatif et que V comporte uniquement la
voix active, le fait de choisir v aura pour conséquence la modification des traits
sémantiques de la racine tandis que le choix de V garantit de garder intact le sens
de celle-ci. En effet, un vP donnerait, pour cette racine, un sens causatif : « faire
voyager » alors que le sens cherché est tout simplement « voyager ».
Sachant que chacun de VP et de vP peut apporter un argument et sachant
que le premier n’affecte pas le sens de la racine alors que le second le modifie, c’est
la projection VP qui, dans ce cas, est préférable pour apporter un argument à la
forme dénominale. En effet, les verbes dénominaux, à la forme III, doivent acquérir
un argument et doivent donc être sélectionnés par des projections qui leur
permettent de le faire, mais doivent aussi garder le même sens que la racine :
217
V2’
VP2
V [C V] a
√D3f
V1’
VP1
V [CV] a
kariim
3dd
« safar » (voyage) VS « saafar » (voyager) ; chose que leur procure la structure de la
forme III avec ces deux projections VP.
Examinons maintenant la forme III « Daa3af ». Cette forme est considérée
comme étant dérivée du nom « Di3f ». Dans notre analyse, cela correspond à un
verbe dérivé d’une racine qui n’a aucun argument. Pourtant, la forme III « Daa3f »
réalise deux arguments, l’argument Sujet est forcément apporté par VP1, comme
c’est le cas pour toutes les formes III, reste alors à déterminer d’où vient
l’argument Objet.
La structure qui réalise une forme III contient deux projections VP et l’on
sait que VP a le pouvoir d’ajouter un argument. De ce fait, théoriquement on peut
avoir deux arguments par le biais de cette structure. Le même cas s’est présenté
avec la forme II dénominale où un argument est ajouté en VP et un autre est ajouté
en vP.
Ainsi, la structure de la forme III « Daa3af » se présente comme suit :
(318)
La première projection VP apporte un argument et la deuxième projection
VP en apporte un deuxième. Signalons, tout de même, que si l’on force un peu le
sémantisme de ce verbe on peut retrouver, non pas la réciprocité, mais au moins
l’idée de la participation des deux arguments à l’événement dénoté par le verbe. En
effet, le verbe « redoubler » implique que le sujet redouble son action et que le
patient subisse cette action d’une manière double.
218
La forme III dénominale suit le même processus de formation que la forme
III canonique et s’associe au gabarit de la même manière que cette dernière (cf.
section 3.1.2). Toutefois, la racine ne projette pas et donc son association avec le
premier V ne se fera pas un mouvement de tête à tête mais par une simple fusion
Tête-Complément, chose qui n’aura aucune incidence sur le résultat
morphologique.
4. Conclusion
L’étude des différents emplois de la forme III a montré que celle-ci réitère la
structure VP. On se retrouve ainsi avec deux projections VP (VP1 et VP2). La
projection VP2 sélectionne la racine et accueille dans sa position Spécifieur
l’argument « agent » ou « thème » apporté par celle-ci. Quant à la projection VP1,
elle apporte son propre argument.
Les deux projections VP renferment, chacune, une tête V constituée d’une
position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle « a ». C’est ce qui
donne à la forme III sa spécificité morphologique, à savoir la réalisation d’une
voyelle longue « aa ».
Avoir une structure VP supplémentaire est responsable également du sens
de la réciprocité que dénote la forme III. En effet, le fait de répéter VP tout en ne
gardant qu’une seule racine fait en sorte que les deux arguments participent au
même événement. Chacun des deux arguments occupe la position Spécifieur d’un
VP et est alors en relation avec son propre V et vu que la racine se déplace dans ces
deux positions V, ceci se traduit par la participation des deux arguments à l’action
et procure un sens de réciprocité. Ce sens est vite estompé quand le sens de la
racine elle-même ne s’y prête pas, c’est ce qu’on a avec les racines qui indiquent un
état et avec celles qui n’ont aucun argument.
219
CHAPITRE 8
ANALYSE DE LA FORME VI « ta-faa3al »
1. Introduction
La forme VI « ta-faa3al » fait partie de ces formes qui sont doublement
composées et qui manifestent deux éléments supplémentaires par rapport à une
forme de base. En effet, la forme VI réalise une voyelle longue « aa » en plus d’un
préfixe « ta». D’un point de vue morphologique, une forme VI englobe une forme III
« faa3al ». De même, d’un point de vue sémantique, elle partage avec cette dernière
le « réciproque ». Toutefois, elle s’en distingue par la réalisation d’un morphème
« t » qui lui apporte un sens supplémentaire : le « réflexif ».
220
De ce fait, la forme VI est considérée comme étant la forme réflexive de la
forme III ; de la même manière que la forme V est considérée comme étant la forme
réflexive de la forme II. Néanmoins, sachant que la forme III indique le réciproque,
il n’est pas aisé de parler d’un ‘réflexif du réciproque’, alors qu’on parle aisément
d’un ‘réflexif du causatif’. En effet, le réflexif indique que les deux arguments du
verbe sont co-référents alors que le réciproque exige que le Sujet et l’Objet sont
distincts. Le fait de regrouper à la fois le réflexif et le réciproque dans une même
forme peut sembler problématique voire contradictoire.
La forme VI véhicule principalement le réciproque mais dans certains cas,
laisse place au réflexif ou à un sens qui se traduit par « prétendre ». L’étude que
nous proposons pour cette forme permettra de :
a. déterminer sa structure syntaxique ;
b. discerner comment elle gère la coexistence entre le « réciproque » et le
« réflexif » ;
c. comprendre le statut du morphème « t » et sa position préfixale.
Nous commencerons, tout d’abord, par rappeler le gabarit utilisé par cette
forme et le mode d’association qu’elle adopte. Ensuite, nous examinerons la forme
canonique, à savoir celle qui véhicule le réciproque, afin d’établir la structure
syntaxique d’une forme VI et de déterminer les projections qui la constituent et le
processus de formation qu’elle suit. Enfin, nous nous intéresserons aux emplois
annexes pour d’une part, vérifier qu’ils se soumettent à la structure établie et,
d’autre part, expliquer l’origine de ces différentes interprétations.
2. Quel gabarit pour la forme VI ?
Selon l’analyse morphophonologique que proposent Guerssel et
Lowenstamm pour la forme VI « ta-faa3al », celle-ci utilise le CV- préfixal pour
221
associer le morphème « t » et le (CV) dérivationnel pour allonger la voyelle « a ».
Autrement dit, c’est le résultat de la concaténation du suffixe « ta » à la forme III :
(319) t f 3 l
CV- CV (CV)CV CV a a a
De la sorte, la forme VI « ta-faa3al » renferme le gabarit d’une forme III
« faa3al » et utilise, en plus, le CV préfixal pour réaliser le morphème « ta ».
La forme VI « ta-faa3al » réalise une voyelle longue « aa ». Son statut sera
déterminé lors de l’analyse syntaxique que nous proposons dans ce qui suit. Pour
ce qui est de la première et de la dernière voyelle « a », elles sont considérées
comme des copies de la voyelle « a », présente dans la forme :
(320) t f 3 l
CV- CV (CV) CV CV a
Ces deux voyelles sont réalisées pour des raisons phonologiques. En effet, la
première voyelle « a » est réalisée pour éviter la succession de deux consonnes en
début de mot (situation interdite en arabe classique) et la dernière voyelle « a » est
réalisée pour répondre au principe du gouvernement propre : puisque la dernière
position vocalique est vide celle qui précède n’est pas gouvernée et doit alors être
remplie.
L’analyse syntaxique que nous établirons, dans la section suivante, dévoilera
l’origine de deux positions CV, celle qui permet d’associer le morphème « t » et
celle qui permet d’allonger la voyelle « a », ainsi que le mode d’association des
éléments au gabarit suivi pour obtenir une forme VI.
222
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VI
Dans cette section, l’accent sera mis sur ce qui fait la particularité d’une
forme VI et qui la distingue d’une forme III. Les détails concernant la structure du
réciproque, à savoir l’existence de deux projections VP, et les raisons qui justifient
cette proposition ont été élaborés lors de l’étude de la forme III (Voir le chapitre
précédent).
Dans un premier temps, nous allons examiner la forme réciproque.
S’agissant de l’emploi principal d’une forme VI, il servira de point de départ pour
déterminer la structure syntaxique et le processus de formation de cette dernière.
Dans un deuxième temps seront analysés les emplois annexes d’une forme VI qui,
comme on le verra par la suite, sont de simples effets de sens tributaires de la
structure et du sens de la racine.
3.1. Le réciproque, point de départ pour l’analyse de la forme VI
Il s’agit de l’emploi pour lequel la forme VI est la plus connue. On verra,
ultérieurement, la raison pour laquelle on a exclusivement un ‘réciproque’ et non
pas un ‘réciproque réflexif’.
Voici quelques exemples d’une forme VI réciproque :
(321) ta-saabaqa kariim-un wa 3aliyy-un
réfl-a.fait.la.course Karim-nominatif et Ali-nominatif ‘‘Karim et Ali se sont fait la course.’’
(322) ta-qaatala kariim-un wa aHmad-un
réfl-a.battu.à.mort Karim-nominatif et Ahmed-nominatif ‘‘Karim et Ahmed se sont battus à mort.’’
(323) ta-jaadaba kariim-un wa aHmad-un at-tawba
réfl-a.tiré Karim-nominatif et Ahmed-nominatif le tissus-accusatif ‘‘Karim et Ahmed ont tiré le tissu (chacun de son côté).’’
223
Avec les formes III correspondantes, on a :
(324) saabaqa kariim-un 3aliyy-an
a.fait.la course Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait la course avec Ali.’’
(325) qaatala kariim-un aHmad-an
a.battu.à.mort. Karim-nominatif Ahmed-accusatif ‘‘Karim a battu à mort Ahmed.’’
(326) jaadaba kariim-un aHmad-an at-tawb-a
a tiré (vers-soi) Karim-nominatif Ahmed-accusatif le tissu-accusatif ‘‘Karim a tiré le tissu de son côté et Ahmed a tiré le tissu de son côté.’’
La forme VI est étudiée par rapport à la forme III parce qu’elle partage une
propriété morphologique avec cette dernière, à savoir la réalisation d’une voyelle
longue « aa », et par la même occasion, elle partage une propriété sémantique :
indiquer le réciproque. Confronter une forme VI à une forme III est sensé
permettre de dégager la spécificité sémantique d’une forme VI et, par la suite,
discerner la particularité de sa structure syntaxique. Il en résulte, de cette
comparaison, que la forme VI indique le réflexif ; quoiqu’il ne soit pas aisé d’isoler
ce sens.
Si l’on veut s’assurer que la forme VI « ta-saabaq » indique le sens
réciproque, il faudra la comparer à une forme I « sabaq » :
(327) sabaqa kariim-un 3aliyy-an
a dépassé Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a dépassé Ali.’’
Sachant que la première indique « se faire la course » et que la seconde
indique « dépasser », il devient évident que la forme VI indique bel et bien le
réciproque (de la même manière qu’une forme III « saabaq » (faire la course)) ; en
plus bien évidemment du réflexif.
Intéressons-nous, à présent, à la structure argumentale de la forme VI.
Comparez l’exemple en (321) à celui en (324) et l’exemple en (322) à celui en
224
(325). Vous apercevrez que les formes III réalisent deux arguments (un Sujet et un
Objet) et que les formes VI correspondantes réalisent un seul argument (Sujet).
Maintenant comparez l’exemple en (323) à celui en (326), vous percevrez que la
forme III réalise trois arguments (un Sujet et deux Objets) et que la forme VI en
réalise deux (un Sujet et un Objet).
De la sorte, la forme VI réalise toujours un argument en moins par rapport à
la forme III correspondante. En revanche, la forme VI réalise un morphème « t ».
On peut d’ores et déjà supposer que ce morphème se réalise à la place de
l’argument manquant.
Une dernière chose à faire remarquer dans les exemples contenant une
forme VI, donnés en (321), (322) et (323), et qui, comme on le verra par la suite,
aura une grande importance dans l’analyse de cette dernière est que tous les Sujets
sont pluriels.
3.1.1. Une structure où coexistent réciproque et réflexif
La propriété qu’a la forme VI d’englober morphologiquement une forme III
mais aussi de véhiculer le réciproque, nous amène à supposer qu’elle a également
la même structure syntaxique que cette dernière. Le réflexif par lequel se distingue
une forme VI d’une forme III ne provient pas d’une structure particulière, il résulte
tout simplement ; comme on a eu l’occasion de le voir avec les autres formes
réflexives ; de la réalisation de l’argument de la racine sous forme d’un morphème
« t ».
On pourrait, d’ores et déjà, prédire que la structure syntaxique de la forme
VI est identique à celle de la forme III, avec pour seule différence un « t » réalisé en
position Spécifieur de √P. Toutefois, cette hypothèse demande à être confirmée et
il nous faut découvrir comment la forme VI peut-elle gérer la coexistence du
réciproque qui, par définition, indique que le Sujet et l’Objet sont deux entités
225
distinctes et le réflexif qui, lui, par définition oblige une coréférence entre le Sujet
et l’Objet.
Examinons de près un des exemples cités ci-dessus :
(328) ta-saabaqa kariim-un wa 3aliyy-un
réfl-a.fait.la.course Karim-nominatif et Ali-nominatif ‘‘Karim et Ali se sont fait la course.’’
(329) saabaqa kariim-un 3aliyy-an
a.fait.la course Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait la course avec Ali.’’
En comparant la forme VI « ta-saabaq » à la forme III « saabaq », on devrait
pouvoir faire ressortir le sens réflexif. Toutefois, la tâche semble irréalisable car
avoir un réflexif implique perdre le réciproque. En effet, le réflexif indique que le
deuxième argument se réalise sous forme d’un morphème « t », ce qui a pour
conséquence la non réalisation d’un argument Objet. Dans ces conditions, il est
impossible d’avoir un réciproque, car qui dit réciproque, dit un Objet nominal qui
participe à l’événement dénoté par le verbe. Autrement dit, un verbe réciproque
est obligatoirement un verbe transitif.
Ceci étant, si l’on examine de près la proposition avec la forme VI « ta-
saabaq » donnée en (328), on constate qu’elle ne consiste pas seulement à
remplacer l’Objet qui se réalise avec la forme III en (329) par un morphème « t » ;
procéder à cette opération donnerait une proposition impossible :
(330) *tasaabaqa karim-un
a fait la course Karim-nominatif ‘‘Karim a fait la course.’’
Si la proposition en (330) était possible, elle aurait certainement produit un
réflexif, mais en aucun cas, le réciproque n’aurait pu être présent (même pas d’une
manière implicite).
226
Comparez maintenant, cet exemple donné en (330), qui ne peut pas exister
dans la langue, avec celui donné en (328) qui, lui, est attesté. Vous allez, tout de
suite, comprendre comment la forme VI procède pour sauvegarder le réciproque.
La forme VI « ta-saabaq » en (328) ne se contente pas de réaliser un morphème
« t » à la place de l’argument Objet, que l’on retrouve à la forme III « saabaq » Cf.
(329), mais elle réalise un Sujet pluriel coordonné : « Karim et Ali ». De ce fait, le
morphème « t » prend pour antécédent un Sujet pluriel ; ce qu’on peut reconstituer
comme suit :
(331) [Argument 1 et Argument 2] faa3al [Argument1ᵢ et Argument2 ᵢ]
C’est cette configuration qui va sauvegarder le sens réciproque. En effet, le
fait d’avoir un Sujet pluriel et un Objet co-référent permet d’avoir le réciproque et
ce, en prenant dans chacun du Sujet et de l’Objet une partie distincte (vu que le
réciproque exige que les deux éléments mis en relation soient différents) et permet
également d’avoir le réflexif et ce, en prenant chacun du Sujet et de l’Objet dans sa
totalité (vu que le réflexif exige que les deux éléments mis en relation soient
identiques) ; c’est ce que nous schématisons dans le diagramme en (332) :
(332) Réflexif
Sujet Objet
Argument 1 Argument 1ᵢ
Argument 2 Réciproque Argument 2ᵢ
Il s’ensuit qu’avec la forme VI, il n’y a pas de cas de réciprocité implicite
comme ce qu’on avait avec la forme III. En effet, si la forme III « kaatab » est
considérée comme indiquant un sens de réciprocité implicite :
(333) kaatab-a kariim-un al-mudiir-a
a.correspondu karim-nominatif le directeur-accusatif ‘‘Karim a correspondu avec le directeur.’’
227
À la forme VI « ta-kaatab », cette réciprocité devient explicite :
(334) ta-kaatab-a kariim-un wa al-mudiir-u
réfl-a.correspondu Karim-nominatif et le directeur-nominatif ‘‘Karim et le directeur ont correspondu (l’un avec l’autre).’’
Un éclaircissement s’impose, ici, concernant le statut des arguments que
réalise une forme VI car la situation peut prêter à confusion. En effet, si l’on
compare la structure de la forme III « saabaq » donnée en (335) et celle de la forme
VI « ta-saabaq » donnée en (336) :
(335) [Argument 1 saabaq Argument 2]
(336) [Argument 1 et Argument 2 ta-saabaq]
On pourrait être tenté de penser que ‘l’argument 1’ et ‘l’argument 2’ qui se
réalisent en position Sujet dans une forme VI (Cf. (336)) sont ‘l’argument 1’ Sujet et
‘l’argument 2’ Objet que l’on retrouve dans la forme III correspondante (Cf. (335));
ce qui est totalement inexact.
En effet, si l’on envisage un processus qui fasse monter l’argument Objet
dans une position où il sera coordonné à l’argument Sujet, un tel mouvement
permettra d’avoir les deux arguments en position Sujet mais privera la forme d’un
Objet. Ce qu’on obtiendra c’est un Sujet pluriel avec un verbe intransitif à la forme
III. Sans oublier que la spécificité de la forme VI est que l’argument apporté par la
racine se réalise sous sa forme pronominale « t », auquel cas on ne dispose pas, de
toute manière, d’un argument nominal en position Objet.
Donnons un exemple de forme VI avec un Sujet pluriel sans coordination
pour lever l’ambigüité :
(337) ta-saabaqa al-?aTfaal-u
se.sont.fait.la.course les enfants ‘‘Les enfants se sont fait la course.’’
228
V2’
VP2
V2 [CV] a
√P
√sbq
V1’
VP1
V1 [CV] a
karim
3ali
Avec une forme III, on peut avoir :
(338) Saabaqa al-?aTfaal-u al-mudarrib-a
ont.fait.la.course les enfants l’entraineur ‘‘Les enfants ont fait la course avec l’entraîneur.’’
On voit bien dans ces exemples que le Sujet de la forme VI « ta-saabaq » ne
résulte pas de l’addition du Sujet et de l’Objet de la forme III. En effet, le Sujet
pluriel que l’on retrouve dans la forme VI n’est pas une conséquence de la
structure de la forme VI mais une condition pour garder le sens réciproque
apporté par la structure de la forme III.
Ainsi, pour avoir une forme VI qui indique le réciproque, il est nécessaire
d’avoir la structure syntaxique de la forme III et de pouvoir répondre à deux
conditions : la première est que l’Objet doit être co-référent au Sujet mais le plus
important, c’est que ce dernier doit être pluriel. C’est la raison pour laquelle le
réciproque qu’on a avec une forme III se perd si l’on construit une forme VI avec un
Sujet singulier (on aura l’occasion de voir ce cas avec les deux emplois annexes de
la forme VI).
Rappelons ici la structure syntaxique d’une forme III réciproque « saabaq » :
(339)
Étant donné que la forme VI « ta-saabaq » indique le réciproque, elle aura la
même structure que celle établie dans le schéma (339). Pour ce qui est du réflexif,
rappelons qu’il est produit à cause de la réalisation de l’argument apporté par la
racine sous forme pronominal « t ». Par conséquent, il suffit de mettre « t » dans la
229
V2’
VP2
V2 [CV] a
√P
√sbq
V1’
VP1
V1 [CV] a
karim wa 3ali
t [CV]
position Spécifieur de √P ; de cette façon on répond à la question concernant la
source du réflexif et le statut de « t ».
Ainsi, la structure de la forme VI « ta-saabaq » se présente comme suit :
(340)
La projection VP1 apporte un argument pluriel « karim et Ali ». La présence
de deux têtes V implique la participation de chacun des arguments (l’argument
apporté par VP1 et celui apporté par la racine) à l’action dénotée par le verbe, et la
présence d’un pronom du réflexif « t » co-référent à un Sujet pluriel, consolide le
sens réciproque.
Il est important de signaler que ce qui génère le réciproque dans une forme
VI n’est pas uniquement le fait d’avoir un Sujet pluriel coordonné et un morphème
du réflexif « t » ; le cas se présente avec la forme VIII (forme réflexive de la forme
I) où le morphème du réflexif, avec certaines racines, a tendance à indiquer le
réciproque lorsque le Sujet est pluriel. En effet, le réciproque que véhicule une
forme VI « ta-saabaq » provient de la partie « saabaq » qu’elle renferme et qui
correspond à une forme III réciproque ; le morphème « t » qu’elle contient, ne fait
que consolider ce rôle.
Ceci étant dit, une question se pose d’emblée : pour quelle raison l’arabe
classique prévoit deux formes pour indiquer le réciproque ? La réponse est qu’en
réalité, cette langue prévoit une seule structure syntaxique pour le réciproque, il
s’agit de celle qui produit une forme III. La forme VI découle de la structure de la
230
V2’
VP2
√P
√sbq
karim et 3ali V1’
VP1
V1 [CV] a
V2 s bq | [CV] a
t [CV]
racine. En effet, vu que cette dernière peut sélectionner un argument pronominal
« t », au lieu d’aboutir à une forme III, le système produit une forme VI. Et c’est
pour sauvegarder le réciproque produit par la structure syntaxique, que la forme
VI doit réaliser un Sujet pluriel.
3.1.2. Comment produit-on une forme doublement composée ?
Maintenant que l’on a établi la structure d’une forme VI « ta-saabaq »,
voyons les mouvements et les procédés qui sont mis en œuvre pour permettre son
exécution.
Pour obtenir la forme VI « ta-saabaq », la racine se déplace dans la position
V de VP2 et s’associe à la position consonantique du CV que cette tête renferme :
(341)
Le morphème « t », qui se trouve en position Spécifieur de √P, se déplace
dans la position Spécifieur de VP2, comme montré en(342), pour pouvoir être lié
par l’argument apporté par VP1 qui lui sert d’antécédent :
231
V2’
VP2
√P
√sbq
t [CV]
karim et 3ali V1’
VP1
t [CV]
V1 t s bq | | [CV][CV]+[CV] a a
V2 s bq t | [CV]+[CV] a
V2’
VP2
√P
√sbq
karim et 3ali V1’
VP1
V1 [CV] a
V2 s bq | [CV] a
t [CV]
t [CV]
V2’
VP2
√P
√sbq
karim et 3ali V1’
VP1
V1 [CV] a
V2 s bq t | [CV]+[CV] a
t [CV]
t [CV]
(342)
La nature pronominale de « t » l’empêche d’exister seul et le contraint à
s’attacher à une autre unité lexicale. Vu la position qu’il occupe -à savoir Spécifieur
de VP2- la seule possibilité qui s’offre à lui est de fusionner avec V’2 (fusion
Spécifieur-Tête) ; ce qui lui vaut finalement une position à gauche de V2, soit à
gauche de la position CV de V2 :
(343)
Une fois cette association effectuée, V2 peut se déplacer en V1 :
(344)
232
V2’
VP2
√P
√sbq
t [CV]
karim et 3ali V1’
VP1
t [CV]
Asp’
AspP
AgrP
Agr’
Asp t s b q | | | [CV][CV][CV]+[CV] a a
karim et 3ali
karim et 3ali
V2 t s bq | | [CV]+[CV] a
V1 t s bq | | [CV][CV]+[CV] a a
Agr t s b q | | | | [CV][CV][CV][CV]+[CV] a a
Ensuite, pour acquérir les traits d’aspect et d’accord, V1 se déplace dans la
tête de AspP. puis de AgrP. qui apporteront les deux positions CV qui associent la
deuxième et la troisième consonne de la racine. L’argument en position Spécifieur
de VP1 se retrouve dans la position Spécifieur de AgrP :
(345)
Ainsi, on obtient sous la tête Agr, cinq positions CV, un morphème « t » et
une racine √sbq. L’association au gabarit se fera comme suit :
� La racine s’associe à la position C du CV de la tête qui l’a accueillie en
premier à savoir V2 ;
� Le morphème « t » s’associe à la position C de son propre CV ;
� La position consonantique du CV apporté par V1 se retrouve entre deux
segments identiques (aa), ce qui la rend inaccessible70. Par conséquent,
elle reste vide ;
� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Asp ;
� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Agr.
70 Cf. Principe du Contour Obligatoire.
233
Ce qui donne le gabarit suivant, qui correspond exactement à celui élaboré
par Guerssel et Lowenstamm :
(346) t s a b q
/ \ [CV][CV][CV][CV][CV]
3.2. Pourquoi une structure du réciproque ne produit-elle pas un
réciproque ?
Il existe deux emplois où la forme VI ne semble pas répondre à la forme
canonique établie dans ce qui précède et qui nécessitent, donc, d’être examinés.
Dans le premier cas, la forme VI indique exclusivement le réflexif et dans le second,
elle indique un sens qui se traduit par « prétendre » voire « faire semblant d’être
dans un état donné ». Nous proposons dans cette sous section de découvrir la
source de cette différence d’interprétation et de s’assurer que ces deux emplois
partagent la même structure syntaxique que celle élaborée pour la forme VI
réciproque.
3.2.1. De la coexistence à l’exclusion
Alors que la forme VI garantit la coexistence du réciproque et du réflexif, il
arrive des cas où le réciproque est exclu et que seul le réflexif reste présent.
Il faut rappeler que la forme VI canonique combine réciproque et réflexif
même si au final, seul le réciproque surgit. Le réflexif ne pouvant pas faire surface
auprès du réciproque, est absorbé par ce dernier. Supposons que pour une raison
donnée, une forme ne peut pas dénoter le réciproque, dans ce cas, il est normal de
voir le réflexif faire surface. De ce fait, qu’une forme VI puisse indiquer le réflexif
est chose attendue puisque c’est inclu dans sa structure, reste à découvrir ce qui l’a
empêchée de réaliser le réciproque.
234
Voici un exemple où la forme VI indique exclusivement le réflexif :
(347) ta-baa3ada aHmad-un
réfl-a.tenu.éloigné Ahmed-nominatif ‘‘Ahmed s’est tenu éloigné.’’
Sachant qu’à la forme III correspondante, on a :
(348) baa3ada kariim-un aHmad-an
a.tenu.éloigné Karim-nominatif Ahmed-accusatif ‘‘Karim a tenu Ahmed éloigné.’’
La première remarque qui s’impose est que le Sujet de la forme VI est
singulier, ce qui prédit que le réciproque ne sera pas présent. Avec une forme qui
englobe à la fois la structure du réciproque et un morphème du réflexif, en
l’absence d’un Sujet pluriel, le réciproque ne pourra pas exister et seul le réflexif
persistera.
Néanmoins, il ne s’agit pas simplement d’ajouter un sens réflexif à une
racine √b3d. En effet, la forme VI « ta-baa3ad » ne se traduit par « s’éloigner » mais
par « se tenir éloigné », ce qui signifie qu’elle a gardé le sens que dénote la forme III
« baa3ad » (tenir éloigné) ; auquel elle a ajouté le sens réflexif71.
De ce fait, la forme « ta-baa3ad » conserve la structure du réciproque même
si elle ne véhicule par le réciproque. L’absence de ce rôle est dû exclusivement au
fait que le Sujet est singulier. Pour vérifier ce postulat, nous mettons la forme VI
« ta-baa3ad » avec un Sujet pluriel :
(349) ta-baa3ada aHmad-un wa kariim-un
réfl.a.tenu éloigné Ahmed-nominatif et Karim-accusatif ‘‘Ahmed et Karim se sont tenus éloignés.’’
71 Le verbe à la forme I « ba3ud », est intransitif et indique que le Sujet est dans un état « être loin ». À la forme II, le verbe devient transitif et indique que le Sujet fait une action qui est « tenir éloigné ». Cette action implique également l’Objet : pour que X soit loin de Y, il faut que Y soit loin de X (X étant le Sujet et Y étant l’Objet). Avec un Sujet singulier et un morphème du réflexif qui implique que le Sujet et l’Objet ont une même référence, la forme VI « ta-baa3ad » indiquera que le Sujet « tient soi-même loin ».
235
V’
VP2
√P
√b3d
aHmad
V’
VP1
V1 [CV] a
t [CV]
V2 [CV] a
Il s’avère qu’avec un Sujet pluriel, on récupère le réciproque. Cette
réciprocité est explicite et peut être reconstituée comme suit :
(350) baa3ada aHmad-un kariim-an wa baa3ada kariim-un aHmad-an
a.tenu.éloigné Ahmed-nomin Karim-accus et a.tenu.éloigné Karim-nomin Ahmed-accus ‘‘Ahmed a tenu Karim éloigné et Karim a tenu Ahmed éloigné.’’
Ainsi, la forme VI « ta-baa3ad » peut prendre soit un Sujet pluriel et, dans ce
cas, elle indique le réciproque, ou alors prendre un Sujet singulier et, dans ce cas,
elle indique uniquement le réflexif. Cette forme illustre le fait que le sens
réciproque disparaît avec un Sujet singulier.72
De la sorte, la forme VI « ta-baa3ad » a la même structure syntaxique que la
forme VI canonique :
(351)
La projection VP1 apporte l’argument Sujet qui servira d’antécédent au
morphème « t », qui n’est d’autre que l’argument apporté par la racine en position
Spécifieur √P. La presence de cette deuxième projection est également responsable
de la réalisation de la voyelle longue « aa ».
Vu qu’une forme VI qui indique exclusivement le réflexif, a la même
structure syntaxique et la même morphologie qu’une forme VI réciproque, elle
suivra le même processus de formation que cette dernière. Le lecteur pourra
72Notons que si cette forme peut se réaliser avec un Sujet singulier alors que cela était impossible avec la forme « ta-saabaq » c’est tout simplement parce que cette forme indique un état et que l’autre indique une action.
236
revenir à l’exécution de la forme VI réciproque (Cf. section3.1.2). Ce qui fait la
différence d’interprétation sémantique entre ces deux formes, à savoir le fait de
réalise un Sujet singulier, n’entre pas en jeu dans l’exécution-même de la forme
verbale.
3.2.2. Quand un événement est entre soi et soi-même
Certaines formes VI n’indiquent ni le réciproque ni le réflexif et se laissent
traduire par « prétendre », autrement dit, « faire semblant d’être dans un état
donné73». Il s’agit sans doute d’une interprétation qui résulte du sens ou de la
structure de la racine. A nous de le découvrir et de comprendre comment un sens
« prétendre » peut-il émaner d’une structure qui combine Réciproque et Réflexif.
Observons cet exemple :
(352) ta-jaahala kariim-un al-qawaaniin-a
réfl- a ignoré Karim-nominatif les lois-accusatif. ‘‘Karim a prétendu ignorer les lois.’’
À forme I correspondante, on a ce qui suit :
(353) jahila kariim-un al-qawaaniin-a
a ignoré Karim-nominatif les lois-accusatif ‘‘Karim a ignoré les lois.’’
La forme VI « ta-jaahal » signifie « prétendre ignorer », sachant que la formeI
« jahil » signifie « ignorer ». La question qui se pose est de savoir la raison pour
laquelle cette forme n’indique pas le réciproque et par la suite, vérifier si elle
partage, réellement, la même structure que celle de la forme VI canonique.
La première chose qu’on peut remarquer, en observant l’exemple donnée en
(352), c’est que le Sujet réalisé avec cette forme VI est au singulier ; ce qui par
73 Ce que Sibawayh définit comme suit : « li yuriya-ka anna-hu fi Haal-in laysa fiihaa » (pour qu’il te montre qu’il est dans un état alors qu’il n’y est pas réellement).
237
principe annule le sens réciproque. Commençons par mettre cette forme avec un
Sujet pluriel et voyons si le réciproque réapparaît :
(354) ta-jaahala kariim-un wa 3aliyy-un al-qawaaniin-a
réfl- a ignoré Karim-nominatif et Ali- nominatif les lois-accusatif. ‘‘Karim et Ali ont fait semblant d’ignorer les lois.’’
Manifestement, avec un Sujet pluriel, on obtient la même interprétation
qu’avec un Sujet singulier ; contrairement à la forme VI réflexive « ta-baa3ad » où
le sens réciproque est récupéré dès que le Sujet est pluriel.
Une deuxième remarque à faire à propos de la forme VI « ta-jaahal », est
qu’elle est étudiée par rapport à une forme I (exemple donné en 34) et non pas, par
rapport à une forme III « jaahal ». Pourtant, cette forme est attestée dans la langue :
(355) jaahala kariim-un 3aliyy-an
a.traité.avec.ignorance Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a insulté Ali.’’
La forme III « jaahal » n’indique pas le réciproque non plus. Avec cette forme
on obtient le sens : « traiter avec ignorance » ce qui se traduit par « insulter » ou
« avoir des propos déplacés envers quelqu’un ». Nous avons vu lors de l’étude de la
forme III, que lorsque la racine indique un état, la structure ne produit pas le sens
réciproque mais a tendance à changer la nature du verbe qui passe d’un verbe
d’état à un verbe d’action.74 L’exemple donné était « Haasan » (agir avec bonté
envers quelqu’un) par rapport à « Hasun » (être bon).
Le sens que dénote la forme VI « ta-jaahal » (faire semblant d’ignorer) n’est
pas lié à celui dénoté par la forme III « jaahal » (agir avec ignorance). D’ailleurs, on
remarque qu’elles n’ont pas, non plus, la même structure argumentale. En effet, on
ne peut pas avoir la proposition donnée en (356) :
74 Cf. l’analyse de la forme III changeant l’état en action, P 211.
238
(356) *jaahala kariim-un 3aliyy-an al-qawaaniin-a
a ignoré (l’un l’autre) Karim-nominatif Ali-accusatif les lois-accusatif ‘‘Karim a ignoré Ali les lois.’’
De façon à avoir deux Objets directs avec une forme III « jaahal » (comme
c’est le cas avec la forme « ta-jaahal » ; « t » comptant pour un argument (cf.
exemple en 33)). Par ailleurs, on ne peut pas avoir :
(357) *ta-jaahal kariim-un wa 3aliyy-un
se.sont.traités.avec.ignorance Karim-nominatif et Ali-nominatif ‘‘Karim et Ali se sont traités avec ignorance.’’
De façon à ce que « ta-jaahal » apparaît sans Objet direct et qu’elle se
contente de réaliser un « t » à la place de l’Objet réalisé avec « jaahal » (Cf. exemple
en (355)).
Ainsi, la forme VI « ta-jaahal » n’est pas comparée à la forme III « jaahal » car
dans cette dernière le Complément de la racine (que l’on voit à la forme I en (34))
n’est pas réalisé alors qu’il réapparait à la forme VI. À supposer que la forme III
« jaahal » ne peut pas affecter un argument Thème ou qu’elle ne peut pas avoir
deux Objets accusatifs, cette interdiction est levée dès le moment où l’un des
arguments Objet s’est réalisé sous une forme pronominale. En effet, ce dernier sera
contraint à s’attacher au verbe, par conséquent, la forme verbale n’aura qu’un seul
Objet accusatif.
La propriété qu’a la forme VI « ta-jaahal » d’avoir un Objet accusatif
(nominal), implique que l’événement dénoté par le verbe ne concernera pas
uniquement le Sujet et l’Objet co-référent (pronominal) mais affectera également
un deuxième Objet (nominal). Une telle configuration avec un verbe d’état a pour
conséquence d’empêcher la réalisation du réciproque.
239
De ce fait, l’absence du réciproque dans la forme VI « ta-jaahl » est due
d’abord à la nature de sa racine qui indique un état mais aussi et surtout au fait
qu’elle affecte un Objet.75
Reste maintenant à comprendre comment avec une structure du réciproque,
un morphème du réflexif et une racine qui indique un état, on obtient
l’interprétation sémantique : « prétendre » voire « faire semblant d’être dans un
état donné ».
Dans l’idée de « faire semblant » qui ressort dans une forme VI « ta-jaahal »,
une même personne se trouve dans deux états : un état réel qui est « savoir » et un
état fictif qui est « ignorer ». Cette dualité dans une même personne est rendue par
la forme VI qui se trouve être la seule forme qui englobe à la fois le sens réflexif qui
indique l’existence d’une seule et même personne et le sens réciproque qui lui,
indique l’existence de deux personnes différentes. Il y aurait une sorte
d’interaction entre deux parties qui forment la même personne.
La structure du réciproque implique que chacun des arguments participe à
l’événement dénoté par le verbe mais vu que ce dernier indique un état, le résultat
serait que le Sujet fasse subir l’état « ignorer » à l’Objet. Toutefois, puisque le Sujet
et l’Objet sont une même personne, le sens qui découle de cette conjoncture est :
« faire en sorte d’amener soi-même à ignorer quelque chose » ce qui équivaut à
« faire semblant de » ou « prétendre ».
La forme VI « ta-jaahal », quoique ne réalisant pas un sens réciproque, ni
même un sens réflexif, réalise une voyelle longue « aa » et apporte un argument
supplémentaire à la structure argumentale de la racine. De surcroit, le sens qu’elle
dénote trouve son explication dans une structure qui combine réciproque et
75 En effet, avec la forme VI « ta-Haasan », dont la racine indique également un état mais qui n’affecte pas un Objet, on peut avoir le réciproque ; rappelons que la forme III « Haasan » partage le même sens avec la forme III « jaahal ». De la sorte, si la forme VI « ta-jaahal » n’a pas pu récupérer le sens réciproque, comme le fait « ta-Haasan », c’est parce qu’elle affecte un Objet.
240
V2’
VP2
V2 [CV] a
√P
√jhl
kariim
V1’
VP1
V1 [CV] a
t [CV]
√’
qawaaniin
réflexif. De ce fait, la forme VI « ta-jaahal » renferme la même structure syntaxique
que la forme VI réciproque :
(358)
Pour ce qui est de l’exécution même de la forme « ta-jaahal », elle se fera de
la même manière que pour une forme VI réciproque. En effet, le processus de
formation dépend de la structure syntaxique et du résultat obtenu, et puisqu’on
vient de montrer que « ta-jaahal» qui a la même morphologie qu’une forme VI
canonique a également la même structure, il va de soi qu’elle suivra les mêmes
étapes pour son exécution. Le lecteur peut se référer à la sous-section 3.1.2 sur
l’exécution de la forme VI réciproque.
4. Conclusion
La forme VI « ta-faa3al » n’est rien d’autre qu’une forme III « faa3al » dont la
racine a sélectionné, comme argument, le morphème du réflexif « t ». Afin de
permettre la coexistence du réciproque et du réflexif, la forme VI exige que le Sujet
soit pluriel. En effet, avec un Sujet pluriel, le morphème du réflexif garantit
l’émergence du réciproque au lieu de l’estomper et la réciprocité qui était implicite
dans certaines formes III devient explicite avec la forme VI. Ceci étant, la forme VI
peut exister avec des Sujets singuliers auquel cas elle dénote uniquement le
réflexif.
241
La structure syntaxique de la forme VI « ta-faa3al » est identique à celle de la
forme III « faa3al » à savoir, une structure qui englobe une projection √P et deux
projections VP (VP1, VP2). La projection VP1 apporte un argument supplémentaire
à ceux de la racine ainsi qu’une position CV dont la position vocalique est occupée
par une voyelle « a », d’où la réalisation d’une voyelle longue « aa » à la forme VI.
Ce qui distingue une forme VI « ta-faa3al » d’une forme III « faa3al » c’est la
nature de l’argument apporté par la racine. En effet, ce dernier se réalise sous
forme d’un morphème « t » et ne pouvant pas rester seul, il finit par être attaché à
la tête du domaine qui l’inclut, à savoir V2. La position préfixale du morphème « t »
lui est accordée suite à la position qu’il occupe lorsqu’il est lié à son antécédent, à
savoir Spécifieur de V2.
242
CHAPITRE 9
ANALYSE DE LA FORME VII « nfa3al »
1. Introduction
La forme VII « nfa3al » se distingue de la forme I par la réalisation d’un
préfixe « n ». Pour éviter la succession de deux consonnes au début de mot (chose
que l’arabe classique ne tolère pas), une séquence prothétique « ?i » est insérée :
« ?infa3al ». Sur le plan sémantique, Wright (1896 : 41-41) note que la forme VII
« nfa3al » est tantôt décrite comme passive, tantôt comme réflexive et quand il
devient difficile de distinguer les deux, on lui attribue le rôle réflexif passif.76
76 Larcher (2003 :101) maintient que si l’on veut conserver le sens réflexif, il faudra parler de réflexif passif.
243
Cependant, les formes avérées réflexives et elles sont au nombre de quatre :
la forme VIII « fta3al », la forme V « ta-fa33al », la forme VI ta-faa3al » et la forme X
« staf3al », réalisent toutes le morphème « t ». Par conséquent, il est exclut de
considérer le morphème « n » comme étant un morphème de réflexif. Par ailleurs,
le passif en arabe classique est rendu par un changement du timbre des voyelles de
la forme de l’actif par apophonie. Par conséquent, il est exclut de supposer que le
morphème « n » soit la marque du passif.
Signalons que Sibawayh (8es [1939]: 65) ne propose pas une signification à
cette forme, il se contente de la présenter comme étant le correspondant de la
forme I et donne comme exemple :
(359) Kasar-tu-hu fa n-kasar
J’ai cassé le et il n- a cassé ‘‘Je l’ai cassé et il a cassé.’’
Cela montre que les différentes significations que les grammairiens
occidentaux attribuent à la forme VII reposent sur des similitudes avec des langues
indo-européennes que ces derniers ont relevées.
L’étude de la forme VII montrera que cette dernière n’indique, réellement, ni
l’un ni l’autre. Pour ce faire, il serait inadapté de la traiter sous une section
« passif » ou « réflexif » ou même « passif/réflexif ». Vu qu’on ne peut pas établir un
rôle de base pour la forme VII, contrairement aux formes étudiées précédemment,
celle-ci sera étudiée sous le nom de « forme VII ». L’analyse que nous proposons
pour la forme VII « nfa3al » permettra de :
a. établir la structure syntaxique de la forme VII ;
b. discerner la raison pour laquelle on attribue à la forme VII un rôle réflexif
et/ou passif ;
c. rendre compte de ce qui distingue le morphème « n » du morphème « t » ;
d. déterminer le statut du morphème « n » ;
244
e. saisir ce qui donne au morphème « n » sa position préfixale.
Nous commençons d’abord par rappeler le gabarit qu’utilise une forme VII
et le mode d’association qu’elle adopte. Puis, nous examinerons cette forme dans
son environnement syntaxique afin d’établir sa structure et son mode de
formation. Enfin, nous nous intéresserons à deux cas particuliers, soulevés par
Wright (1896 : 41) : dans le premier, la forme VII véhicule un sens « se laisser » et
dans le second, elle est dite en relation avec une forme IV.
2. Quel gabarit pour la forme VII ?
Rappelons que le gabarit unique qui permet de générer les dix formes
verbales est :
CV-CV(CV)CVCV. Selon l’analyse morphophonologique proposée par
Guerssel et Lowenstamm, la forme VII « n-fa3al » associe le morphème « n » à la
position CV préfixale et associe les consonnes de la racine au gabarit de base :
(360) n f 3 l
C V- C V C V C V a
Dans cette théorie, seul le morphème « n » est considéré comme étant un
préfixe qui identifie une position tête du gabarit. Rappelons-le, à la forme VIII
« fta3al », c’est la première consonne de la racine qui assure cette fonction et qui
s’associe à la position CV- préfixale, le morphème « t » est associé à la première
position C du gabarit de base :
(361) f 3 l
C V- C V C V C V t a
245
Aux formes V « tafa33al » et VI « tafaa3al », le morphème « t » est certes
associé à la position CV préfixale mais celle-ci n’est pas considérée comme étant la
position tête du gabarit. En effet, dans ces deux cas, la position (CV) dérivationnelle
est activée et c’est cette dernière qui assume cette fonction :
(362) a. t f 3 l
C V- C V (CV) C V C V a
b. t f 3 l
C V- C V (CV) C V C V a
Le fait de considérer le morphème « n » comme identifiant une position tête
du gabarit élimine, d’emblée, la possibilité de produire une forme telle que
« *nkassar » ou « *nkaasar ». En effet, puisque la réalisation d’une consonne
géminée ou d’une voyelle longue résulte également de l’identification d’une
position tête du gabarit, il est impossible -dans le cadre de cette hypothèse-
d’identifier deux positions tête dans un même gabarit.
Ce que l’on retient de cette analyse c’est que le seul élément préfixal dans les
dix formes verbale de l’arabe classique, c’est-à-dire le seul morphème qui n’est pas
interne au verbe et qui n’implique pas une opération sur la racine, est le
morphème « n ». Nous verrons ce que l’analyse syntaxique permet de dire à ce
propos et comment est établie la différence entre le préfixe « n » et le préfixe
« t ».77 Nous saurons l’origine du CV auquel le morphème « n » est associé, mais
aussi la raison pour laquelle il occupe cette position préfixale.
77 Une comparaison se fera régulièrement entre le morphème « n » et le morphème « t » vu que ce sont les seuls morphèmes qui se manifestent dans les dix formes verbales.
246
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VII
Contrairement aux formes verbales que l’on a vues jusqu’à présent, il n’est
pas aisé de déterminer un emploi principal à la forme VII, qui correspondrait à une
notion linguistique. Le rôle de cette forme peut être assimilé à un inchoatif ou à un
passif ou même à un réflexif. La meilleure façon de savoir ce qu’est réellement une
forme VII et comment elle est formée, reste de déterminer sa structure syntaxique.
Examinons quelques exemples de la forme VII :
(363) nkasara al-ka?s-u
n- a cassé le verre-nominatif ‘‘Le verre s’est cassé.’’
(364) nšaqqa al-Haa?iT-u
n- a fissuré le mur-nominatif ‘‘Le mur s’est fissuré.’’
(365) nqaTa3a al-xaTT-u
n- a coupé la ligne-nominatif ‘‘La ligne s’est coupée.’’
(366) nkašafa as-sirr-u
n- a dévoilé le secret-nominatif ‘‘Le secret s’est dévoilé.’’
(367) nHaTama al-bayt-u
n- a écroulé la maison-nominatif ‘‘La maison s’est écroulée.’’
À la forme I correspondante, on a ce qui suit :
(368) kasara kariim-un al-ka?s-a
a cassé Karim-nominatif le verre-accusatif ‘‘Karim a cassé le verre.’’
(369) šaqqa az-zilzaal-u al-Haa?iT-a
a fissuré le tremblement de terre-nominatif le mur-accusatif ‘‘Le tremblement de terre a fissuré le mur.’’
(370) qaTa3a kariim-un al-xaTT-a
a coupé Karim-nominatif la ligne-accusatif ‘‘Karim a coupé la ligne.’’
247
(371) kašafa al-SaHaafiyy-u as-sirr-a
a révélé le journaliste-nominatif le secret-accusatif ‘‘Le journaliste a révélé le secret.’’
(372) HaTama kariim-un al-bayt-a
a détruit Karim-nominatif la maison-accusatif ‘‘Karim a détruit la maison.’’
Une simple lecture de ces exemples permet de constater que les formes VII
n’ont pas la même structure argumentale que les formes I correspondantes. En
effet, si l’on compare (363) à (368), (364) à (369), (365) à (370), (366) à (371) et
(367) à (372), on s’aperçoit que l’argument « patient » qui occupe la position Objet
à la forme I se retrouve en position Sujet à la forme VII et que l’argument « agent »
qui occupait la position Sujet à la forme I est supprimé à la forme VII. Par ailleurs,
cette dernière acquiert un préfixe « n » : « nfa3al ».
3.1. Une forme VII, pourquoi faire ?
D’après les exemples qu’on vient de voir, il y aurait un lien entre l’apparition
du morphème « n », que réalise la forme VII, et la disparition simultanée d’un des
arguments qui se réalisent à la forme I. Comme nous le montrent ces exemples, la
forme VII n’ajoute pas un quelconque élément à une forme I, mais bien au
contraire, elle la prive d’un de ces arguments. Il faut, donc, découvrir la raison pour
laquelle cette réduction est opérée et, par la suite, discerner le statut et le rôle du
morphème « n » qui fait la particularité d’une forme VII.
Examinons de près un des exemples de la forme VII cités ci-dessus :
(373) nkasara al-ka?s-u
n- a cassé le verre-nominatif ‘‘Le verre s’est cassé.’’
248
Sachant qu’à la forme I correspondante, on a :
(374) kasara kariim-un al-ka?s-a
a cassé Karim-nominatif le verre-accusatif ‘‘Karim a cassé le verre.’’
Comme nous avons pu le voir avec l’ensemble des exemples cités ci-dessus,
la forme VII « nkasar » ne réalise pas l’argument Agent de la forme I « kasar » et
réalise l’argument Patient en position Sujet.
Il existe deux structures qui ont la propriété de réduire le nombre
d’arguments du verbe et de réaliser l’argument Patient en position Sujet. Il s’agit
du passif et du réflexif.78 C’est probablement cette propriété qui a poussé les
grammairiens occidentaux à attribuer un sens réflexif ou passif à la forme VII.
Toutefois, si la forme VII « nkasar » indiquait un sens réflexif, on devrait
pouvoir reconstruire une proposition avec la forme I « kasar » de façon à expliciter
une coréférence entre Sujet et Objet ; de la même manière qu’on faisait avec les
formes réflexives VIII. Pourtant, il est impossible d’avoir :
(375) *kasara al-ka?s-u al ka?s-a
a cassé le verre-nominatif le verre-accusatif ‘‘Le verre a cassé le verre.’’
Le morphème « n » n’indique pas que l’action est réfléchie dans le sens où
l’argument qui fait l’action est lui-même celui qui la subit. Il n’est pas l’un des
termes d’une coréférence entre Sujet et Objet et ne peut donc pas être considéré
comme étant un pronom réflexif. L’invalidité de la proposition en (375) n’est pas
due au fait que le sujet soit [-animé]. Nous aurons l’occasion de voir, lors de
l’examen des formes VII indiquant « se laisser » (cf. sous-section 3.3.1), des
exemples avec des sujets [+humain].
78 Pour le réflexif les théories varient selon que l’on suppose que le morphème du réflexif est nominatif ou accusatif, qu’il absorbe l’argument externe ou interne.
249
Pour ce qui est du sens passif que l’on attribue à la forme VII, il faut rappeler
que l’arabe classique permet aux formes I de construire une forme passive et ce,
par changement du timbre des voyelles de la forme de l’actif par apophonie ; la
forme « kasar » s’y prête aisément :
(376) kusir-a al-ka?s-u
a été cassé le verre-nominatif ‘‘Le verre a été cassé.’’
De ce fait, nul besoin de recourir à une forme VII pour indiquer le passif du
moment où ce dernier est produit syntaxiquement et est productif. De surcroit,
avec un passif on peut introduire un agent, comme le montre l’exemple en (377)
alors que cela est impossible avec la forme VII, comme le montre l’exemple en
(378) :
(377) kusir-a al-ka?s-u min qibal kariim-in
a été cassé le verre-nominatif par Karim-génitif ‘‘Le verre a été cassé par Karim.’’
(378) *naksar-a al-ka?s-u min qibal kariim-in
a été cassé le verre-nominatif par Karim-génitif ‘‘Le verre a été cassé par Karim.’’
De la sorte, le morphème « n » ne constitue pas la marque du passif en
l’arabe classique et ne peut en aucun cas être considéré comme occupant une
position tête de VoixP.
Cette propriété qu’a le passif de ne réaliser qu’un argument là où la forme
correspondante à l’actif en réalise deux et de placer l’argument Objet en position
Sujet de la même manière que ce que l’on observe avec la forme VII, amène à un
rapprochement entre les deux. Toutefois, que la forme VII se rapproche du passif
ou du réflexif par des propriétés, qu’elles a en commun avec ces derniers, ne
signifie pas qu’elle indique nécessairement soit l’un ou l’autre. Il est donc
primordial de discerner la structure syntaxique de la forme VII « nkasar » et saisir
250
ce qu’elle indique réellement pour éviter de lui attribuer des significations avec
lesquelles elle n’a que des parentés.
Commençons par nous intéresser aux types de racines qui se prêtent à une
forme VII. Observons les exemples contenant des formes I, donnés en (368), (369),
(370), (371) et (372). Chacune de ces propositions réalise deux arguments, ce qui,
à première vue, laisse supposer qu’on a affaire à des verbes transitifs et donc à des
racines qui projettent deux arguments.
Cependant, deux remarques s’imposent ici. Premièrement, il faut signaler
que toutes les racines qui manifestent deux arguments à la forme I, ne font pas une
forme VII, ce qui prouve qu’à l’intérieur des verbes transitifs, on a, au moins, deux
classes distinctes. En effet, des racines telles que √ktb, √Drb et √srq realisent à la
forme I deux arguments :
(379) kataba 3aliyy-un r-risaalat-an
a écrit Ali-nominatif une lettre-accusatif ‘‘Ali a écrit une lettre.’’
(380) Daraba 3aliyy-un kariim-an
a frappé Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Karim a frappé Ali.’’
(381) saraqa al-liSS-u al-lawHat-a
a volé le cambrioleur-nominatif le tableau-accusatif ‘‘Le cambrioleur a volé le tableau.’’
Mais ne se prêtent pas à une forme VII :
(382) *nkatabat ar-risaalat-u
n-a écrit la lettre-nominatif ‘‘La lettre s’est écrite.’’
(383) *nDaraba kariim-un
n-a frappé Karim-nominatif ‘‘Karim s’est frappé.’’
(384) *nsaraqat al-lawHat-u
n-a volé le tableau-nominatif ‘‘Le tableau s’est volé.’’
251
Deuxièmement, il faut faire remarquer que les racines qui se prêtent à une
forme VII, lorsqu’elles font une forme II, cette dernière n’indique pas un causatif
mais un intensif :
(385) kassara kariim-un al-ka?s-a
a cassé (intensif) Karim-nominatif le verre-accusatif ‘‘Karim a fracassé le verre.’’
(386) HaTTama kariim-un al-bayt-a
a détruit (intensif) Karim-nominatif la maison-accusatif ‘‘Karim a saccagé la maison.’’
En revanche, un verbe comme « katab » indique le causatif à la forme II :
(387) kattaba kariim-un 3aliyy-an r-risaalat-an
a fait.écrire Karim-nominatif Ali-accusatif une lettre-accusatif ‘‘Karim a fait écrire Ali une lettre.’’
Il s’avère ainsi que parmi les racines qui semblent générer des verbes
transitifs à la forme I, on a :
a. des racines qui ne se prêtent pas à une forme VII et qui lorsqu’elles font
une forme II, celle-ci indique le causatif ;
b. des racines qui se prêtent à une forme VII et qui lorsqu’elles font une
forme II, celle-ci indique un intensif.
L’étude de la forme II intensive nous a permis de conclure que les racines
qui s’y prêtent n’ont pas, comme on tend à le croire, deux arguments mais en ont
uniquement un. Ceci implique que les verbes transitifs à la forme I n’ont pas tous la
même structure et qu’il faut y distinguer deux classes : dans la première, ce sont les
racines qui, au départ, apportent deux arguments, tandis que dans la deuxième, la
transitivité est due à VP qui apporte un argument supplémentaire.
Nous présumons que les racines qui se prêtent à une forme VII
appartiennent à cette deuxième classe. De ce fait, une racine comme √ksr ne
252
V’
VP
V [CV] a
√P
√ksr
karim
ka?s
ka?s
√ksr
√P
contient dans sa grille thématique qu’un seul argument ; celui-ci occupe la position
Complément :
(388)
Par conséquent, à la forme I, c’est VP qui procure au verbe l’argument Sujet.
L’argument Complément de la racine reste dans sa position et aura la fonction
Objet :
(389)
Maintenant que l’on a des informations sur la structure de la racine qui se
prête à une forme VII, voyons comment cette dernière est construite. Trois
observations sont à prendre en compte :
1. la forme VII « nkasar » n’acquiert pas un sens qui justifierait la présence
d’une projection autre que celles qu’on a avec une forme I ;79 à savoir une
projection VP qui domine une projection √P dont le seul argument occupe la
position Complément ;
2. le morphème « n » que renferme cette forme n’a pas une quelconque fonction
syntaxique et ne correspond donc pas à une tête qui aurait sa propre
projection ;
3. l’apparition de ce préfixe « n » est en distribution complémentaire avec
l’apparition d’un argument nominal.
79 La forme VII ne renferme pas une structure de causatif, par conséquent, on ne peut pas envisager l’existence d’une projection vP. De même, cette forme, ne réalise pas une voyelle longue « a », par conséquent, on ne peut pas envisager l’existence d’une deuxième projection VP comme c’est le cas pour la forme III.
253
V’
VP
V [CV] a
√P
√ksr
n [CV]
ka?s
V’
VP
V [CV] a
√P
√ksr n [CV]
ka?s
On peut en conclure que la structure de la forme VII se limite à une
projection VP qui sélectionne une projection √P, et que le morphème « n » se
réalise dans une position argumentale.80
En admettant que la structure syntaxique d’une forme VII « nkasar » est la
même que celle d’une forme I « kasar » (cf.(389)) et sachant que dans cette
dernière, un argument est apporté par la racine et un autre est apporté par VP, les
seules positions argumentales où pourrait résider le morphème « n », sont la
position Spécifieur de VP et la position Complément de √P. Ces deux possibilites
sont représentées en (390) :
(390) a. b.
Trois éléments sont à prendre en considération pour discerner laquelle de
ces deux positions accueille le morphème « n » :
1. le morphème « n » n’est pas anaphorique et n’a donc pas besoin d’être lié à
un autre argument. De ce fait, rien ne le contraint à être dans une position
plus basse que l’argument Sujet, puisqu’il n’est pas co-référent à celui-ci.
2. le seul argument qui se réalise à la forme VII « nkasar » n’est pas l’agent de
l’action dénotée par le verbe mais est l’argument dont le rôle thématique est
« patient » ; il s’agit du rôle thématique de l’argument qui occupe la position
Complément de la racine.
80 On observe la même chose avec le morphème réflexif « t », qui est lui aussi, en distribution complémentaire avec un argument nominal.
254
V’
VP
V [CV] a
√P
n [CV]
√ksr ka?s
3. si le morphème « n » s’était réalisé dans la position Complément √P, il se
serait réalisé en position infixale : « *fna3al » ; comme c’est le cas dans la
forme VIII « fta3al ».
De la sorte, la possibilité que le morphème « n » soit réalisé dans la position
Complément de la racine est écartée. Tout laisse donc penser que c’est l’argument
apporté par VP qui se réalise sous forme d’un morphème « n ».
Ainsi, la structure d’une forme VII « nkasar » se présente comme suit :
(391)
La position attribuée au morphème « n » dans la structure d’une forme VII
coïncide avec la position qu’il va occuper au sein de la forme verbale ; à savoir à
gauche du verbe. Remarquez que ce morphème vient avec une position CV. Reste à
savoir ce que ce morphème apporte à la forme verbale VII et en quoi consiste son
rôle.
Le morphème « n » ne réfère pas et n’est pas non plus anaphorique. Sa
présence n’ajoute pas un sens particulier au verbe, il ne fait que remplir une
position sans apporter un contenu, permettant ainsi à l’argument Patient
d’occuper la position Sujet.81 En effet, en réalisant un morphème « n » en position
Spécifieur de VP, on oblige l’argument en position Complément de la racine dont le
rôle thématique est « patient » de monter et d’assurer la fonction Sujet. En privant
81 Ce morphème qui a été décrit par Wright comme ayant un sens réflexif ou passif est à rapprocher plutôt du « se » inchoatif. Voir Zribi-Hertz (1986) et (1987), Labelle (1992) où est établi que les inchoatifs construits avec « se » se comportent comme des inaccusatifs tandis que ceux sans « se » se comportent comme des inergatifs. Rothemberg (1974), Burston (1979), Forest (1988) établissent la distinction sémantique entre ces deux inchoatifs : avec ou sans « se ».
255
la prédication d’un « agent » et en donnant à l’argument « patient » la fonction
Sujet, la forme verbale indique le résultat de l’action plutôt que l’action elle-même.
La forme VII fonctionne comme un générateur de verbes inaccusatifs non
pas dans le sens où elle absorbe un argument « agent » et transforme le verbe
transitif en un inaccusatif mais dans le sens où elle permet aux vrais inaccusatifs de
se réaliser en tant que tels. Les racines qui se prêtent à une forme VII sont celles
qui ne comportent dans leur grille thématique qu’un Complément et n’ont donc
pas d’agent.
Dans une langue comme le français on peut dire, indifféremment, la
proposition en (392) ou celle en (393) :
(392) Le verre se casse
(393) Le verre casse
En anglais, on peut dire :
(394) The glass broke
En arabe classique, la proposition suivante, qui correspond à l’exemple du
français donné en (393) et à celui de l’anglais donné en (394), n’est pas possible :
(395) *kasara al-ka?s-u
a cassé le verre-nominatif ‘‘Le verre a cassé.’’
L’argument « patient » (occupant la position Complément de √P) ne peut
être Sujet qu’à la forme VII :
(396) nkasara al-ka?s-u
n-cassé le verre-nominatif ‘‘Le verre s’est cassé.’’
Il s’avère que l’argument en position Complément ne peut monter en
position Sujet que si la position Spécifieur de VP qui fournit un argument Sujet est
256
bloquée. Le morphème « n » opère ce blocage en remplissant cette position sans,
pour autant, remplir la fonction Sujet.
Autrement, si l’on veut avoir une forme I avec ce type de racines, on doit
faire appel à un argument causateur :
(397) kasara 3aliyy-un al-ka?s-a
a cassé Ali-nominatif le verre-accusatif ‘‘Ali a cassé le verre.’’
Faisons remarquer qu’en français et en anglais les verbes donnés en (393)
et en (394) peuvent avoir un pendant transitif :
(398) Pierre a cassé le verre
(399) Pierre broke the glass
Dans le cas du français, deux hypothèses sont émises pour rendre compte de
cette double réalité que peut avoir un même verbe, à savoir apparaître tantôt
comme inaccusatif et tantôt comme transitif. La première, celle qui était répandue
avant les années quatre-vingt-dix, propose que les verbes inaccusatifs
représentent l’entrée lexicale de base et sont listés tels quels dans le lexique. Leur
alternative transitive, perçue comme causative, est considérée comme étant
dérivée de cette base lexicale. Cette dérivation consiste en l’ajout d’un argument
par une structure syntaxique. La deuxième hypothèse propose que la base soit le
verbe transitif. 82 Dans ce cas, les verbes inaccusatifs sont dérivés de leurs
correspondants transitifs par une opération de réduction qui a lieu dans le lexique.
Ce que nous proposons pour l’arabe classique va à l’encontre de l’hypothèse
lexicaliste vu que nous proposons que la grille thématique de la racine ne
comprenne qu’un seul argument, ce qui signifie que dans le lexique, cette racine n’a
pas subi une opération de réduction.
82 Cf. Chierchia (1989) ; Levin & Rappaport (1992) ; Reinhart & Siloni (2004) et (2005).
257
Ainsi, en arabe classique les vrais inaccusatifs sont ceux dont la racine n’a
qu’un seul argument, qu’elle place en position Complément. Avec ce type de
racines, VP apporte instantanément un agent, ce qui fait que ces verbes se réalisent
en tant que transitifs. Pour pouvoir se réaliser en tant qu’inaccusatifs, il faut que la
position Spécifieur de VP soit bloquée de façon à ce que ce dernier n’apporte pas
un agent ; chose qui permettra à l’argument « patient » de la racine d’avoir la
fonction Sujet. Pour ce faire, le morphème « n » est sélectionné par V, vu qu’il n’est
pas anaphorique, qu’il est faible et qu’il ne peut donc pas exister seul et fonctionner
comme Sujet.
Dans le reste de cette section, nous développons deux prédictions découlant
de l’analyse qui vient d’être proposée. Il s’agit de l’impossibilité d’avoir une forme
telle que « *nkassar », qui englobe le morphème « n » plus la forme II causative,83 et
une forme telle que « *nktasar », qui combine le morphème « n » et le morphème
« t ».
Commençons par le premier cas. La forme VII « nkasar » ne peut pas
coexister avec une forme II « kassar » de façon à obtenir « *nkassar » :
(400) * nkassara 3aliyy-un al-ka?s-a
n- a cassé Ali-nominatif le verre-accusatif ‘‘Ali s’est cassé un verre.’’
Une telle proposition impliquerait que la racine apporte un argument
nominal, que VP apporte le morphème « n », comme c’est le cas dans une forme VII,
et que vP apporte un argument nominal Sujet. Ceci correspondrait à enchâsser une
forme VII dans une structure causative.
Ce qui rend la proposition en (400) impossible, c’est la contrainte sur le
nombre d’arguments qu’une structure syntaxique peut ajouter à la grille
thématique de la racine. Nous avons eu l’occasion, lors de l’étude de la forme II 83 Contrairement à la forme « ta-kassar » englobant le morphème « t » plus la forme II causative qui, elle, est attestée dans la langue : « ta-kassar al-ka?s » (s’est fracassé le verre).
258
intensive, de faire un postulat ayant pour effet d’interdire l’ajout de plus d’un
argument à ceux de la racine. De ce fait, on ne peut pas à la fois ajouter un
argument en VP (que ce soit un nom ou le morphème « n »), et un argument en
vP.84
Par conséquent, lorsque VP est sélectionné par vP, il cesse d’apporter un
argument (comme c’est le cas avec la forme II « kassar ») et ainsi, il devient
impossible d’avoir un « n » dans une structure de causatif. Cela confirme que le
morphème « n » ne fait pas partie de la grille thématique de la racine et qu’il est bel
bien ajouté en VP.
La deuxième prédiction concerne l’impossibilité d’un hybride entre les
formes VII et VIII : « *ktasar » .85 En effet, vu que le morphème « n » est l’argument
apporté par VP et sachant que le morphème « t » est l’argument apporté par la
racine, avoir ces deux morphèmes dans une même forme produirait un verbe sans
argument.
De surcroit, le morphème « t » est un morphème anaphorique et a toujours
besoin d’avoir un antécédent qui doit, obligatoirement, être référentiel et donc,
nominal. Si l’argument réalisé par la racine apparaît sous une forme pronominale
« t » et que l’argument apporté par VP apparaît sous une forme pronominale « n »,
ce dernier ne pourra pas lui servir d’antécédent et donc la forme n’aboutira pas.
3.2. Comment réalise-t-on une forme VII ?
Rappelons, ici, la structure que nous avons établie pour la forme VII
« nkasar » :
84 Dans le cas de « ta-kassar », le sujet est apporté par vP et le morphème « t » est l’argument pronominal apporté par la racine. 85 Guerssel et Lowenstamm (manuscrit) proposent que l’incompatibilité entre « t » et « n » vient du fait que la racine peut sélectionner une base qui est soit réflexive ou non-réflexive tandis que « n » sélectionne toujours une base non-réflexive.
259
V’
VP
V k sr | [C V] a
√P
n [CV]
√ksr
ka?s
V’
VP
V [CV] a
√P
n [CV]
√ksr ka?s
(401)
Cette forme réalise un préfixe « n », ce qui concorde parfaitement avec la
position qu’on a accordé à ce morphème, à savoir la position Spécifieur de VP.
Le premier mouvement qui va s’opérer dans cette structure est la montée de
la racine √ksr en V ; le même mouvement que l’on retrouve à la forme I. Il en
résulte l’association de la racine à la position C du CV de V :
(402)
L’argument apporté par VP s’est réalisé sous une forme pronominale « n »,
ce qui l’empêche d’assumer la fonction Sujet. Par conséquent, c’est le deuxième
argument de cette structure, initialement destiné à être Objet, qui va se déplacer
vers la position Spécifieur de AgrP et assurer la fonction Sujet, comme on le voit en
(402).
Le morphème « n » ne peut pas se maintenir seul et doit, alors, s’associer à
une unité lexicale. Vu la position qu’il occupe à savoir Spécifieur de VP, la seule
possibilité qu’il a, est de fusionner avec V’ (fusion Spécifieur-Tête), ce qui a pour
260
conséquence de le placer à gauche de V: [n+kasar] ; il finit par s’agglutiner à ce
dernier : 86
(403)
Ensuite VP sera enchâssé dans une structure AspectP puis AgreementP qui
apporteront chacune une position CV :
(404)
Ainsi, on obtient sous la tête ArgP, quatre positions CV, un morphème « n »
et une racine √ksr. L’association au gabarit se fera comme suit :
� La racine s’associe à la position C du CV de la tête qui l’a accueillie en
premier à savoir V ;
� Le morphème « n » est associé à la position C du CV qu’il apporte lui-même ;
� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Asp ;
� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Agr.
86 Nous avons la même opération avec les formes V « ta-fa33al » et VI « ta-faa3al » où le morphème « t » est en position Spécifieur et non pas en position Complément (auquel cas il se réalise en infixe).
V’
VP
V n k sr | | [CV]+[CV] a
√P
n [CV]
√ksr ka?s
V’
VP
V n k sr | | [CV]+[CV] a
√P
n [CV]
√ksr ka?s
Asp’
AspP
Agr’
AgrP
Asp n k s r | | | [CV][CV]+[CV] a
Agr n k s r | | | | [CV][CV][CV]+[CV] a
ka?s
261
Ce qui donne le gabarit suivant, qui correspond exactement à celui élaboré
par Guerssel et Lowenstamm pour une forme VII :
(405) n k a s r
[C V] [C V] [C V] [C V] n V Asp Agr
C’est ainsi que l’on obtient la forme VII « nkasar ». La réalisation de
l’argument apporté par VP sous une forme pronominale n’a pas une incidence
uniquement sur la structure de la phrase, dans le sens où elle la prive d’un Objet
direct, mais cela affecte également la forme verbale elle-même, dans la mesure où
celle-ci se trouve augmentée d’une position CV et d’un morphème « n ».
3.3. Cas particuliers de la forme VII
La forme VII a deux manifestations (Wright 1896 : 41) qui ne semblent pas
répondre aux critères d’une forme VII canonique. Dans le premier cas, elle indique
« se laisser » (dans le sens où une personne se laisse volontairement subir une
action donnée ou se laisse affecter par un état donné) et dans le second cas, elle
constitue le réflexif passif d’une forme IV.
Il est primordial d’examiner ces deux cas parce que le premier fait penser
aux verbes légers qu’on a vus lors de l’étude de la forme II, ce qui impliquerait une
structure plus complexe que celle que l’on a proposée pour la forme VII ; le
deuxième, lui, met explicitement la forme VII en relation avec une structure du
causatif.
Il nous faut donc découvrir de quoi découlent ces emplois et s’ils affectent,
d’une manière ou d’une autre, la structure que nous avons établie pour la forme
VII.
262
3.3.1. La forme VII peut-elle apporter un verbe supplémentaire ?
Wright (1896 : 41) soulève des cas de forme VII où celle-ci indique que le
sujet se laisse volontairement affecter par une action. Regardons quelques
exemples :
(406) nhazama 3aliy-un
n- a battu Ali-nominatif ‘‘Ali s’est laissé battre.’’
(407) nqaada al-jayš-u
n- a guidé l’armée-nominatif ‘‘L’armée s’est laissée guider.’’
(408) nxada3a al-muštariy-u
n- a dupé l’acheteur-nominatif ‘‘L’acheteur s’est laissé duper.’’
À la forme I correspondante, on a :
(409) hazama kariim-un 3aliy-an
a battu Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a battu Ali.’’
(410) qaada al-qaa?id-u al-jayš-a
a guidé le commandant-nominatif l’armée accusatif ‘‘Le commandant a guidé l’armée.’’
(411) xada3a at-taajir-u al-muštariyy-a
a dupé le commerçant-nominatif l’acheteur-accusatif ‘‘Le commerçant a trompé l’acheteur.’’
Ces cas ne sont pas classés, par Wright, dans la classe des réflexifs ou des
passifs mais ils sont considérés comme rendant compte d’un sens bien précis : « se
laisser » (ce verbe apparaît effectivement dans chacune des traductions proposées
pour la forme VII). Nous avons déjà montré que la forme VII n’indique ni le passif
ni le réflexif, mais ce qui nous interpelle dans la glose supposée de cet usage, c’est
la présence du verbe « laisser ». Rappelons-le, la présence d’un verbe
supplémentaire, par rapport au verbe de base, est révélatrice de la présence d’une
263
projection supplémentaire. De ce fait, ces cas posent problème, dans la mesure où
ils suggèrent qu’une forme VII aurait une projection autre que VP et √P.
Toutefois, ces formes VII, étudiées par rapport à une forme I, ont la même
structure argumentale que les formes VII étudiées précédemment. En effet,
l’argument « agent » qui apparaît avec les formes I disparaît à la forme VII
correspondante (Comme on le voit lorsque l’on compare (409) à (406), (410) à
(407) et (411)à (408)), et c’est l’argument « patient » qui occupe la position Sujet.
Par conséquent, il n’y a rien qui justifierait qu’elles aient une structure syntaxique
différente.
La seule chose qui distingue les formes VII, citées ci-dessus, et une forme VII
comme « nkasar », c’est que cette dernière a pour Sujet un argument [-animé] alors
que les premières ont un sujet [+animé]. C’est ce qui fait qu’on leur attribue le sens
de « se laisser volontairement », chose que l’on ne pourrait pas faire avec un sujet
[-animé].
Ainsi, le fait que le verbe « nhazam » laisse apparaître un sens « se laisser »
ne signifie pas que cette forme VII à une projection en plus qui justifierait une glose
impliquant « laisser ». Le sens « se laisser » est ce que l’on obtient lorsqu’on prive
le verbe de son Agent et que l’on met l’argument Patient [+animé], qui subit
l’action dénotée par la racine, en position Sujet.
De surcroit, toute projection supplémentaire aura pour conséquence de
générer une position CV supplémentaire, ce qui n’est pas le cas ici. La forme
« nhazam » présente les mêmes positions CV et la même morphologie que la forme
« nkasar ».
De la sorte, la forme « nhazam » ne contient pas une projection de plus que
celles que l’on retrouve dans une forme I, à savoir une racine avec un complément
et un VP. Bien au contraire, l’argument que V apporte ne se réalise pas sous une
forme nominale mais sous une forme pronominale, ce qui prive la structure d’un
264
V’
VP
V [CV] a
√P
n [CV]
√hzm 3ali
deuxième argument et fait assumer à l’argument Patient, destiné à être Objet, la
fonction Sujet.
Ainsi, la structure de la forme VII « nhazam » est analogue à celle de la forme
VII « nkasar » :
(412)
Cet emploi, considéré comme présentant un usage particulier de la forme
VII, est à intégrer dans le cadre de la forme canonique puisqu’il s’agit de la même
structure. La seule différence est que dans le cas présent, on a un sujet [+animé].
La forme VII « nhazam » suivra le même processus, dans sa formation, que la
forme VII « nkasar » (cf. 3.2).
3.3.2. Peut-il y avoir une relation entre une forme VII et une forme IV ?
Certaines formes VII sont considérées comme étant des formes réflexives
passives d’une forme IV (Wright 1896 : 41). Ce qui nous interpelle dans ce cas
(sachant que la forme VII n’est ni réflexive ni passive) c’est qu’elle soit mise en
relation avec la forme IV.87 Nous avons établi que la forme VII garde les mêmes
projections que la forme I et se contente de réaliser un morphème « n » là où la
forme I réalise un argument nominal. De ce fait, qu’une forme VII soit considérée
comme étant liée à la forme IV qui, comme nous le savons, renferme une structure
87 Faisons remarquer qu’on ne retrouve pas cette forme dans la grammaire élaborée par Sibawayh (décédé en 205h), ni dans la grammaire de Al-Mubarrad (décédé en 285h). C’est chez az-zamarchari (décédé en 538h) qu’on va trouver ces exemples de forme VII en relation avec la formeIV.
265
baab √Rlq
√P
plus complexe que celle d’une forme I (présence d’une projection vP), s’avère
problématique.
Observons les exemples suivants :
(413) nRalaqa al-baab-u
n- a fermé la porte-nominatif ‘‘La porte s’est fermée.’’
(414) nTafa?at an-naar-u
n- a éteint le feu-nominatif ‘‘Le feu s’est éteint.’’
À la forme IV correspondante, on a :
(415) ?aRlaqa kariim-un al-baab-a
a fait.fermer Karim-nominatif la porte-accusatif ‘‘Karim a fermé la porte.’’
(416) ?aTfa?a kariim-un an-naar-a
a fait.éteindre Karim-nominatif le feu-accusatif ‘‘Karim a éteint le feu.’’
Les formes VII données en (413) et (414), suppriment, respectivement,
l’agent réalisé dans les formes IV correspondantes données en (415)et (416), et
réalisent l’argument Patient en position Sujet ; comme le font les formes VII mises
en relation avec une forme I. Cependant, dans le cas présent, cela voudrait dire que
le morphème « n » se serait réalisé à la place de l’argument apporté par la
structure d’une forme IV, à savoir en position Spécifieur de vP.
Regardons de près un des exemples cités ci-dessus, soit la forme VII
« nRalaq » en (413), et voyons ce qui justifie le rapprochement avec une forme IV.
La racine √Rlq se prête à une forme VII et indique un intensif à la forme II au lieu
d’un causatif. Elle présente, donc, les propriétés d’une racine à argument unique en
position Complément. Sa structure est la suivante :
(417)
266
V’
VP
V [CV] a
√P
v’
√Rlq
baab
3ali
v [CV]
vP
Cette racine se prête à une forme I « Ralaq ». L’argument Sujet est alors
apporté par VP :
(418) Ralaqa kariim-un al-baab-a
a fermé Karim-nominatif la porte-accusatif ‘‘Karim a fermé la porte.’’
Ceci étant, et en dépit de l’existence d’une forme I « Ralaq », la forme VII
« nRalaq » est discutée en rapport à la forme IV « ?aRlaq » par ceux qui croient voir
une connexion.
Donnons la structure d’une forme IV « ?aRlaq » :
(419)
La projection vP apporte l’argument sujet et l’argument apporté par la
racine aura la fonction Objet.
Avant de continuer notre analyse, il est important de commenter, ici, le fait
qu’une racine comme √Rlq puisse avoir une forme IV causative. Nous avions
indiqué lors de l’étude des formes II, que celles qui sont construites à partir de
racines dont l’unique argument occupe la position Complément de √P, indiquent
l’intensif au lieu du causatif. Ceci s’applique uniquement à une forme II et non pas à
une forme IV et ce, à cause de ce qui fait la différence entre ces deux formes.
267
Rappelons que ce qui fait qu’une forme II indique l’intensif c’est l’absence
d’un argument en position Spécifieur de √P, auquel cas le verbe n’a pas son propre
argument agent : [argument faire [ø verbe (argument)]].88 À la forme IV, puisqu’on
construit directement un verbe causatif en v : [argument faire verbe argument
(argument)], la présence ou l’absence d’un agent en position Spécifieur de √P n’a
aucune incidence sur la valeur causative du verbe. C’est ainsi que le verbe
« ?aRlaq » garde le sens causatif même si la racine qui le forme est une racine du
type « Racine + Complément ». De la sorte, la structure des racines du type √Rlq ne
les empêche pas d’être enchâssées dans une structure de causatif. Les incidences
que peut avoir cette structure sur la forme obtenue sont d’ordre sémantique.
Ceci étant dit, quoiqu’en principe une forme IV soit compatible avec des
racines du type √Rlq, elle reste, tout de même, non productive. La raison en est
qu’avec ce type de racines, la forme IV engendre le même effet qu’une forme I. En
effet, à la forme I, c’est VP qui apporte à la racine l’argument Sujet dont le rôle
thématique est souvent « causateur ». Par cette propriété, la forme I est pour ce
type de racines ce que la forme IV l’est pour les autres ; à savoir apporter un
argument qui cause l’événement de la prédication. De ce fait, rares sont les racines
à argument unique Complément qui font une forme IV, vu que la forme I permet
d’obtenir le même résultat.
Revenons à la forme IV « ?aRlaq ». Dans cette dernière, l’argument Sujet est
apporté par vP (comme montré dans (419)). Etant donné que la forme VII
« nRalaq » est étudiée par rapport à la forme IV, la question de savoir si le
morphème « n » est apporté par vP et non pas par VP se pose d’emblée.
Toutefois, comme on le sait, la projection vP n’apporte pas uniquement un
argument Sujet, mais apporte également une position CV qui augmente le gabarit
88Cf. l’analyse de la forme II intensive (P : 100).
268
de base.89 Chose que l’on n’a pas avec la forme VII « nRalaq ». Cette forme VII
compte les mêmes positions CV que la forme « nkasar » et est morphologiquement
identique à cette dernière.
Si le morphème « n » était apporté par vP, on aurait eu le gabarit donné en
(420) ; le premier CV est celui apporté par « n », le deuxième est celui de V, le
troisième est celui de v, le quatrième est celui de Asp et le dernier est celui de
Agr :90
(420) * n R l q
CV C V C V C V C V a
La première consonne de la racine se serait associée à la position CV de v et
le morphème « n » à la position C du CV qu’il apporte. La position C qui,
ordinairement, est occupée par la consonne épenthétique « ?», dans « ?aRlaq »,
restera vide puisqu’elle n’est pas en début de mot. Face à cette situation, l’une des
solutions aurait été de propager la première consonne ; ce qui aurait donné
«*nnaRlaq » :
(421) * n R l q
CV C V C V C V C V a
Toutefois, il y a une contrainte en arabe classique qui interdit une
gémination au début de mot. Une deuxième solution aurait été d’associer « n » à la
deuxième position C et d’insérer une consonne épenthétique « ? » dans la première
position C ; ce qui aurait donné « *?naRlaq » cf. (422):
89 Cf. le chapitre sur la forme IV (P : 143). 90 Cf. la structure de la forme IV et le mode d’association au gabarit(P :146).
269
V’
VP
V [CV] a
√P
n [CV]
√Rlq
baab
(422) * n R l q
CV C V C V C V C V ? a
Ou tout simplement « *naRlaq », auquel cas le premier CV chute :
(423) * n R l q
CV C V C V C V C V a
Dans tous les cas on aurait eu la voyelle « a » derrière « n » et avant la racine,
ce qui n’est pas le cas.
De la sorte, vouloir lier la forme VII « nRalaq » à la forme IV « ?aRlaq » est
dépourvu de justification grammaticale. Le morphème « n » dans « nRalaq » ne
peut pas être l’argument apporté par vP. Il est assurément apporté par VP comme
c’est le cas pour « nkasar ».
Si la forme « nRalaq » est discutée en rapport à la forme « ?aRlaq », c’est tout
simplement parce que l’existence de cette forme IV a tendance à estomper
l’utilisation de la forme I « Ralaq ».
Ainsi, la structure de la forme VII « nRalaq » se présente comme suit :
(424)
270
Maintenant que l’on a établi que la forme VII « nRalaq » ne partage
aucunement la même structure syntaxique qu’une forme IV et qu’elle a la même
structure que la forme VII canonique, il va de soi qu’elle suivra le même processus
de formation que cette dernière (Voir la section 3.2 )
Ceci étant dit, en étudiant ces formes VII mises en relation avec des formes
VI, nous avons décelé un cas problématique qui nécessite d’être examiné. Il s’agit
de la forme VII « nTafa? » donnée en (414). Cette forme ne met pas en cause
l’analyse que nous venons de proposer pour la forme VII « nRalaq », à savoir que
« n » n’est pas apporté par vP. Toutefois, elle semble présenter un contre-exemple
à la structure que nous avons établie pour la forme VII.
En effet, cette racine donne à la forme I un verbe intransitif alors qu’en
principe, les racines qui se prêtent à une forme VII font des verbes transitifs à la
forme I :
(425) Tafi?at an-naar-u
s’est éteint le feu-nominatif ‘‘Le feu s’est éteint.’’
Nous avons montré que le Complément de la racine ne peut monter dans
une position Sujet que si VP apporte un morphème « n » ; c’est-à-dire uniquement
dans une forme VII.
La racine √Tf? a des proprietes contradictoires que l’on trouve dans deux
classes différentes. En effet, elle agit comme les racines du type Racine-
Complément et se prête à une forme VII. En même temps, elle agit comme les
racines du type Spécifieur-Racine et fait une forme I intransitive. Dans le premier
cas, cette racine contredit la généralisation selon laquelle le Complément ne monte
jamais en position Sujet sans la présence d’un morphème « n » qui bloque la
position Spécifieur de VP et dans le deuxième cas, elle contredit la généralisation
selon laquelle seules les racines à argument unique Complément font une forme
VII.
271
Afin de discerner si la racine √Tf? est du type Specihieur-Racine ou Racine-
Complément, nous proposons de considérer chacun des deux cas et de voir les
problèmes qu’il pose et les réponses qu’on peut apporter.
Commençons par supposer que la racine √Tf? est du type Specifieur-Racine.
Si c’est bien le cas, il faudra donc expliquer comment une racine à argument
Spécifieur peut avoir un argument pronominal « n » sous VP.
Commençons par indiquer que dans certains cas, les racines à argument
unique en position Spécifieur ont une contrepartie transitive véhiculant un sens
« causatif » :91
(426) fariHa kariim-un
est.content Karim-nominatif ‘‘Karim est content.’’
(427) faraHa 3aliyy-un karim-an
rendu.content Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Ali a rendu Karim content.’’
Nous considérons que ce type de « causatif » exprimé par un ablaut
(réalisation d’une voyelle « a » en V2 à la place de la voyelle « i ») n’est pas généré
par une structure du causatif mais résulte de l’ajout d’un argument en VP. De ce
fait, il existe des cas où VP apporte un argument à des racines qui réalisent un
argument en position Spécifieur, ce qui laisse, théoriquement, une possibilité de
réaliser un morphème « n » dans cette position. Cependant, la racine √Tf? ne se
soumet pas à ce genre de formation causative et donc ne manifeste pas un cas où
un argument est ajouté pas VP (par ailleurs, la racine √frH, ne se prête pas, non
plus, à une forme VII « nfaraH ») :
(428) * Tafa?a kariim-un an-naar-a
a éteint Karim-nominatif le feu-accusatif
‘‘Karim a éteint le feu.’’
91 Fassi El-Fehri (1987), Hallman (2006), pour les formes causatives avec la voyelle « a ».
272
Ceci étant, maintenant que l’on sait que la structure permet à ce type de
racine d’ajouter un argument en VP, la question qui se pose est la suivante : si la
racine √Tf ? accepte un morphème « n » dans cette position pourquoi n’accepte-t-
elle pas un argument nominal?
La seule réponse possible à cette question serait que cette racine n’accepte
pas un argument causateur. Le morphème « n » n’étant pas référentiel ne comptera
pas pour un argument causateur. De surcroît, il va laisser l’argument de la racine
être le Sujet ; ce qui n’est pas le cas si on avait un argument nominal. Pourtant, la
seule réponse à cette situation est infirmée par la forme IV « ?aTfa? » qui montre
que cette racine accepte bel et bien une structure du causatif qui apporte un agent
causateur.
Par conséquent, si la racine √Tf ? est du type Spécifieur-Racine, rien ne
justifie le recours à « n » puisqu’il ne sert ni à permettre à l’argument de la racine
de se réaliser en tant que Sujet qui est déjà dans une position qui lui permet de le
faire et qu’il n’est pas là pour bloquer la réalisation d’un argument référentiel
causateur puisque la racine admet ce genre d’argument. Tout compte fait, rien ne
justifie l’existence d’une forme VII « nTafa? ».
Passons maintenant à la deuxième proposition, à savoir que la racine √Tf?
est une racine du type Racine-Complément. Dans ce cas, la présence d’une forme
VII « nTafa? » est tout à fait attendue et la place du morphème « n » ne demande
pas une explication. Le problème qui se pose ici, c’est que cette racine réalise un
verbe intransitif alors que, selon la règle générale, le Complément de √P ne peut
pas monter dans la position Spécifieur de VP.
La seule chose qui expliquerait la possibilité d’opérer ce mouvement et de
transgresser la règle, serait le fait que cette racine soit étroitement liée à son
Complément ; dans la mesure où on ne peut avoir dans cette position que « feu »
ou « lumière » (et par extension, tous les appareils électriques).
273
Toutefois, si c’est le cas, et qu’on peut justifier le fait que cette racine fasse
monter le Complément en position Sujet sans avoir besoin que la position
Spécifieur de VP soit bloquée par « n », pourquoi y aurait-il besoin de le faire et de
réaliser une forme VII « nTafa? » ?
Pour mieux comprendre cette situation, il faudra saisir la différence de sens
entre « Tafi?at an-naar » et « nTafa?at an-naar ». Dans le premier cas on peut
traduire par « le feu a cessé d’être en combustion » et dans le second, on peut
traduire par « le feu s’est éteint ». De la sorte, avec la forme I « Tafi? » on
n’implique pas un agent alors qu’à la forme VII « nTafa? », on dit que l’événement
« nTafa? » est le résultat d’un agent.
En introduisant « n » en Spécifieur de VP, on déclenche une position
« agent ». Toutefois, vu que « n » n’est ni référentiel ni coréférentiel, il ne pourra
pas supporter ce rôle. C’est ce qui donne à la forme VII « nRalaq » cette propriété
de résulter de l’action d’un agent (puisque la position Spécifieur VP est activée),
sans pour autant en avoir un (puisque cette même position est bloquée par « n »).
Ainsi, que la racine √Tf? realise une forme VII « nTafa?», découle de sa
structure. En effet, avec ce type de racines, la position Spécifieur en VP est bloquée
pour permettre de réaliser l’argument position Complément de la racine en tant
que Sujet. Que cette même racine n’accepte pas qu’à la forme I, un argument soit
apporté par VP, découle du fait qu’elle n’accepte pas un agent externe.92 Cette
restriction est la conséquence de sa relation étroite avec son Complément ; relation
qui permet à ce Complément de se réaliser en tant que Sujet produisant, ainsi, un
verbe intransitive à la forme I.
92 La racine √Tf? n’accepte pas qu’un agent externe soit le Sujet sauf si cet agent est un causateur ; ce qui explique qu’elle se prête à une forme IV. On est en présence d’un cas contraire de ce que nous avions vu avec la forme IV intransitive « ?aHSad », où la racine acceptait un agent externe mais pas un agent causateur. Rappelons que dans ce dernier cas, le Complément de la racine s’est déplacé en position Spécifieur vP, de la même manière qu’à la forme I « Tafi? », la racine n’acceptant pas un agent externe, le Complément se déplace en position Spécifieur de VP. Dans les deux cas, cette restriction de la racine a produit un verbe intransitif là où s’attendait à avoir un verbe transitif.
274
De ce fait, la proposition Racine-Complément paraît plus crédible que celle
de Spécifieur-Racine. Ceci étant dit, ce cas étant très restreint, il ne nous permet
pas de remettre en cause la généralisation établie pour la forme VII.
4. Conclusion
La forme VII « nfa3al » est une forme spéciale par la nature de la racine
qu’elle renferme. Les racines qui se prêtent à une forme VII sont, principalement,
celles dont l’unique argument occupe la position Complément de √P. Ce genre de
structures ne permet pas à l’argument de prendre naturellement la position Sujet.
Pour avoir n’importe quelle forme verbale, il est indispensable que la racine
soit sélectionnée par VP qui, lui, a le pouvoir d’apporter un argument Sujet et qui le
fait instantanément lorsque le domaine de la racine n’est pas doté d’un argument
en position Spécifieur. Lorsque cet argument se réalise sous une forme nominale, il
occupe la fonction Sujet ; il en résulte une forme I. Par contre, lorsque l’argument
apporté par VP se réalise sous une forme pronominale « n », il en résulte une forme
VII. Le morphème « n », ne peut pas assurer la fonction Sujet, en conséquence, c’est
l’unique argument nominal de la structure, qui se trouve être le Complément de √P,
qui s’en charge.
Quant à la forme verbale elle-même « nfa3al », elle est obtenue suite à
l’association de la racine à la position C du CV de V, puisque c’est la première tête
vers laquelle elle s’est déplacée, et à l’association du morphème « n » à la position C
du CV qu’il apporte. Ce morphème se retrouve en position préfixale tout
simplement parce qu’il occupait initialement la position Spécifieur de VP, ce qui le
place ainsi que son CV à gauche du CV apporté par V.
275
CHAPITRE 10
ANALYSE DE LA FORME IX « f3all »
1. Introduction
La forme IX « f3all » se distingue des autres formes verbales par le
dédoublement de la troisième consonne de la racine. Dans ce qui suit, nous
appelons ce dédoublement ‘gémination’. Dans cette frome, également, une
séquence prothétique « ?i » est insérée pour éviter la succession de deux
consonnes au début de mot : « ?if3all ». Comme on a pu le voir avec la forme II, la
gémination d’une consonne révèle l’existence d’une position CV supplémentaire
par rapport au gabarit de base.
276
La forme IX est formée exclusivement avec des racines qui expriment soit
des couleurs ou des défauts physiques des choses ou des personnes. Cette forme
est à chaque fois paraphrasée par une forme adjectivale et jamais par une forme
verbale ; que ce soit la forme I ou autre comme ce fut le cas par exemple pour la
forme X qui est analysée par rapport à la forme IV, ou la forme V qui est analysée
par rapport à la forme II. En effet, la forme IX est toujours définie par « devenir +
Adjectif ».
L’étude que nous proposons pour la forme IX « f3all » déterminera l’origine
et le statut de la position CV qui permet de réaliser une géminée mais aussi la
position de celle-ci, à savoir la raison pour laquelle c’est la troisième consonne de
la racine qui gémine. Elle permettra également de comprendre ce qui fait que la
forme IX est toujours étudiée par rapport à un adjectif, à part le fait que les racines
qu’elle renferme indiquent une qualité.
Nous commencerons d’abord par présenter le gabarit qui sous-tend une
forme IX et le mode d’association qu’elle adopte. Ensuite, nous examinerons les
emplois restreints dans lesquels elle apparait afin de déterminer sa structure
syntaxique et de discerner les projections qu’elle renferme et le processus de
formation qu’elle suit.
2. Quel gabarit pour la forme IX ?
Commençons par rappeler le gabarit unique qui sert à générer les dix
formes verbales : [CV-CV(CV)CVCV]. Selon l’analyse morphophonologique
proposée par Guerssel et Lowenstamm pour la forme IX « f3all », l’association au
gabarit se fait comme indiqué en (429) :
277
(429) f 3 l
CV- CV CV CV a
La position (CV) dérivationnelle qui permettait, dans le cadre de cette
théorie, de géminer la consonne dans la forme II et d’allonger la voyelle dans la
forme III, n’est pas activée. Le fait que la forme IX gémine la troisième consonne
indique ipso facto qu’elle ne se contente pas du gabarit de base et qu’elle utilise un
quatrième CV. C’est la position préfixale CV- qui sera activée et elle sera identifiée
par la première consonne de la racine. La deuxième consonne de la racine, quant à
elle, sera associée à la première position CV du gabarit de base. Restera, alors, deux
positions CV auxquelles sera attachée la troisième consonne de la racine, se
réalisant ainsi, géminée.
Si l’on sait, à présent, le gabarit que prend une forme IX, il reste à découvrir
l’origine du CV- préfixal qui ajoute une position CV au gabarit de base et dont
découle la réalisation de la géminée. De même, il faut comprendre le mode
d’association opéré dans ce gabarit et la raison pour laquelle le CV ajouté est
identifié par la première consonne de la racine et non pas par la consonne géminée
qui fait la particularité d’une forme IX.
3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme IX
Comme je viens de l’indiquer, les racines qui se prêtent à la forme IX sont
exclusivement celles qui indiquent soit une couleur soit un défaut matériel ou physique.
Comme nous l’avons annoncé dans l’introduction, les formes IX ne sont pas étudiées
par rapport à une forme verbale (que ce soit la forme I ou autre) mais plutôt par rapport
à une forme adjectivale. Pour cette raison, nous présenterons les exemples de formes IX
en parallèle avec des formes adjectivales. Nous verrons, dans ce qui suit, les raisons et
les répercussions d’un tel rapprochement.
278
3.1. La forme IX et la racine indiquant une couleur
Le fait de choisir de commencer par la racine indiquant une couleur est tout
à fait arbitraire. Aucune hiérarchie n’est à établir entre la forme IX dont la racine
indique une couleur et celle dont la racine indique un défaut matériel ou physique.
Soit l’exemple d’une forme IX indiquant une couleur :
(430) xDarr al-mar3aa
a verdoyé le pâturage-nominatif ‘‘Le pâturage a verdoyé.’’
Avec une forme adjectivale on aura :
(431) al-mar3aa ?axDar-un
le pâturage-nominatif vert-nominatif ‘‘Le pâturage est vert.’’
La forme IX « xDarr » (a verdoyé) est étudiée par rapport à l’adjectif
« ?axDar » (vert). La seule manière de décrire la forme IX, donnée en (430), est de
le faire avec « devenir + un adjectif » :
(432) Saara al-mar3aa ?axDar-an
est.devenu le pâturage-nominatif vert-accusatif ‘‘Le pâturage est devenu vert.’’
Contrairement à l’adjectif qui indique la qualité actuelle de l’objet qu’il
qualifie, les verbes de forme IX sont employés lorsqu’on veut rendre compte du
processus d’acquisition de la qualité en question. En effet, si l’adjectif « ?axDar »
indique l’état « vert », la forme verbale IX « xDarr » indique que le Sujet, ici
« mar3aa » (pâturage), passe de l’état « aride » à l’état « verdoyant ».
Signalons qu’avec la racine √xDr dont le sens indique « couleur verte », on
peut construire une forme I « xaDir » qu’on dit avoir la même signification que la
forme IX :
279
(433) xaDira al-mar3aa
a verdi le pâturage-nominatif ‘‘Le pâturage a verdi.’’
Cependant, quoiqu’on puisse lire dans un dictionnaire une synonymie entre
ces deux formes, une nuance sémantique les distingue. La forme « xaDir » est plus
proche de l’adjectif « ?axDar » dans le sens où elle indique le résultat du processus
de passer de « l’état non vert » à « l’état vert » alors que la forme « xDarr » rend
compte de ce processus même.
En dépit du fait que la forme I « xaDir » existe, il est impossible de
paraphraser la forme XI « xDarr » par [verbe + xaDir] de la même manière que
pour une forme II où l’on peut avoir [faire + verbe à la forme I].
3.1.1. De quelle nature est la relation entre la forme IX et l’adjectif ?
L’étude des formes verbales que l’on a examinées dans les chapitres
précédents, a démontré qu’à chaque fois qu’une forme manifeste une position CV
en plus, par rapport aux trois positions CV du gabarit de base, elle renferme
soit une position tête fonctionnelle supplémentaire, par rapport à la structure
syntaxique d’un verbe à la forme I ou alors un morphème apportant son propre CV
(c’est le cas du morphème « n » dans la forme VII et du morphème « t » dans les
formes V, VI,VIII et X).
La forme IX réalise une géminée, ce qui indique qu’elle renferme, dans sa
structure, un niveau supplémentaire qui lui permet d’ajouter une position CV.
Toutefois, cette forme n’est pas analysable par rapport à une forme I. De ce fait, elle
ne peut pas être décomposée en un quelconque élément syntaxique plus la forme I,
auquel cas, il aurait suffi de déterminer cet élément pour trouver la structure de la
forme IX. De la sorte, la forme IX « f3all » renferme une structure particulière et
distincte de celles des formes verbales étudiées jusqu’à présent. Le tout est de
savoir laquelle.
280
V’
V [CV] a
√xDr
mar3aa
VP
La forme IX que nous avons examinée est à expliciter par [devenir+ adjectif].
On pourrait expliquer qu’une forme verbale comme « xDarr » soit mise en relation
avec l’adjectif « ?axDar » par le fait qu’elle partage la même racine √xDr. Toutefois,
le fait qu’il y ait une forme I « xaDir », indique que nous sommes en présence de
deux processus de formation distincts. Ce qui relie une forme IX à une forme
adjectivale va au-delà du fait de partager la même racine, car cela aurait donné une
forme I.
En effet, la forme I « xaDir » est formée directement à partir de la racine
√xDr puisqu’elle ne manifeste que les trois consonnes de la racine et répond
parfaitement à la structure d’une forme I. Signalons que la racine √xDr n’a aucun
argument ; l’argument Sujet qui se manifeste à la forme I est apporté par VP :
(434)
De la sorte, les formes I indiquant une couleur sont mises en relation avec
un adjectif parce qu’elles sont construites à partir de racines destinées
naturellement à former des adjectifs. Autrement dit, c’est parce que la racine
indique une « couleur », que la forme I qui la renferme est rapprochée d’un adjectif
de couleur.
La forme IX, quant à elle, doit certainement avoir une autre propriété qui la
relie à l’adjectif ; en plus bien évidemment du fait de partager la même racine avec
une forme adjectivale.
Jusqu’à maintenant, nous avons réussi à analyser les formes verbales avec la
structure syntaxique que l’on reconnait à un verbe. A part proposer une projection
√P, nous n’avons pas eu besoin de faire appel à d’autres structures que celles qui
existent déjà et qui constituent ou sélectionnent le verbe. Les possibilités qu’offre
281
AdjP
V’
Adj [CV]
√xDr
mar3aa
V [CV] a
VP
cette structure se limitent à neufs. Quatre sont d’ordre structurel : selon qu’on a
une projection VP, deux projections VP ou alors une projection vP et une projection
VP ; sachant que dans ce dernier cas deux opérations sont possibles dont résultent
deux formes différentes. Ajouté à cela, la possibilité de réaliser l’un des arguments
sous forme d’un pronom « t » ou « n », ce qui aboutit, au final, aux neufs formes
verbales.
La forme IX semble ne pas rentrer dans ce cadre parce que la manière dont
elle se laisse analyser, ne permet pas de la traiter avec les éléments que met à
disposition la structure syntaxique du verbe et que, à vrai dire, toutes les
possibilités sont épuisées. De ce fait, la structure de la forme IX fait appel à un
élément extérieur pour se réaliser. Le tout est de savoir lequel.
Etant donné que la forme IX « xDarr » indique « devenir adjectif » et qu’elle
réalise une position CV supplémentaire, ce qui présuppose l’existence d’un niveau
supplémentaire, nous proposons d’y voir littéralement une structure du type
[Verbe + Adjectif]. Il s’agirait donc de construire une forme verbale, non pas
directement à partir d’une racine qui relate une « couleur », mais à partir d’un
adjectif qui, lui, est constitué de la racine en question. Dans ce cas, ce sera la
position Adj qui apportera, à la forme IX, la position CV supplémentaire dont
résulte la gémination de la troisième consonne.
De la sorte, la projection VP ne sélectionne pas directement √P mais
sélectionne une projection AdjP qui, elle, sélectionne une projection √P. En se
déplaçant en V, Adj, ne donnera pas lieu à un adjectif mais à une forme verbale :
(435)
282
AdjP
Adj [CV] | x Dr
√xDr
V’
VP
V [CV] a
mar3aa
Ainsi, si la forme IX se laisse décomposer en [verbe + adjectif] c’est parce
qu’on construit d’abord un adjectif, ensuite on l’enchâsse dans une structure
verbale. Si la structure donnée en (435) engendre une forme IX et une proposition
du type [Sujet forme IX] au lieu d’une proposition du type [Sujet verbe Adjectif],
c’est parce que l’adjectif est sélectionné directement par VP sans qu’il y ait une
racine intermédiaire. La racine servant à former l’adjectif occupe, elle-même, la
position V faisant en sorte que l’adjectif se transforme en forme verbale.
De la sorte, la forme IX « xDarr » qu’on peut décomposer en
« devenir ?axDar » est en fait une forme qui résulte d’un adjectif qui prend une
position verbale.
On pourrait supposer que dans le cas où un tel mouvement ne s’effectue pas,
il en résulte une proposition du type [Nom+Adjectif] : « al-mar3aa ?axdar » (le
pâturage vert). La position V, restant sans contenu lexical donne ce qu’on peut
rapprocher de la copule nulle.
3.1.2. Comment obtient-on une forme IX ?
Pour obtenir une forme IX « xDarr », le premier mouvement consiste à
associer la racine à Adj., par simple fusion Tête-Complément :
(436)
Ensuite, Adj. monte en position tête de VP. L’argument Sujet est apporté par
V dans la position Spécifieur de VP :
283
AdjP
√xDr
V’
VP
V x D r | | [CV]+[CV] a
mar3aa
Adj [CV] | x Dr
(437)
La position Adj. génère une position CV et la tête de VP renferme une
position CV, dont la position vocalique est occupée par une voyelle « a ». Etant
donné que la racine s’associe d'abord à Adj., elle occupera la position
consonantique du CV de cette tête. Le deuxième mouvement (Cf.(437)) place la
position CV de Adj. à gauche de celle de V, ce qui donne la situation suivante :
(438) x D r
C V C V a
La première consonne de la racine, étant associée à la position
consonantique du premier CV (qui se trouve être celui apporté par Adj.) ne peut
pas se propager sur la deuxième position C, comme montré en (439), puisque
l’arabe n’admet pas une géminée en début de mot :
(439) * x D r
≠ C V C V a
284
AdjP
Adj [CV] xDr
√xDr
V’
VP
V x D r | | [CV]+[CV] a
mar3aa
Asp’
AspP
Agr’
AgrP
mar3aa
mar3aa
Asp x D r | | | [CV][CV]+[CV] a
Agr x D r | | | [CV][CV][CV]+[CV] a
C’est la deuxième consonne de la racine qui va s’associer à la position
consonantique du CV, contenu sous V :
(440) x D r
C V C V a
Nous sommes en présence du premier cas où la deuxième consonne de la
racine s’associe à la position C du CV apporté par V. Si cette association est possible
c’est tout simplement parce que la première consonne de la racine est associée à la
position C du CV de Adj. Rappelez-vous, à la forme II, cette consonne remplit la
position C du CV apporté par v, par une simple propagation ; à l’initial elle identifie
la position C du CV apporté par Aspect P. L’explication que nous avions donnée lors
de l’étude de la forme II est la suivante : puisque la première consonne de la racine
identifie une position V, il est interdit à une autre consonne de la racine d’identifier
une position v (v et V étant des têtes verbales). Ainsi, cette contrainte ne s’applique
pas ici et la deuxième consonne peut identifier la première position C vide, qui se
trouve être celle du CV de V.
Une fois VP est sélectionné par Aspect P puis Agreement P, ces projections
apporteront deux positions CV :
(441)
285
Ordinairement, les deux positions CV apportées par AspectP et AgreementP,
associent la deuxième et la troisième consonne de la racine. Cependant, puisque la
deuxième consonne est déjà associée au CV de V, c’est la troisième consonne qui
prendra sa place puis se propagera sur la position CV qui reste.
Récapitulons le mode d’association au gabarit :
� La première consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Adj ;
� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de V ;
� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Aspect,
et se propage sur la position C du CV de Agreement.
C’est ainsi que l’on obtient le gabarit et le mode d’association qui
correspondent exactement à ce qu’avaient prédit Guerssel et Lowenstamm :
(442) x D a r
[CV][C V][C V][C V] Adj V Asp Agr
3.2. La forme IX et la racine indiquant un défaut
La deuxième classe sémantique de racines qui se prêtent à une forme IX est
celle qui dénote un défaut matériel ou physique. Commençons par examiner un
exemple indiquant un défaut matériel :
(443) 3wajja al-3uud-u
s’est.tordu le bâton-nominatif ‘‘Le bâton s’est tordu.’’
Avec une forme adjectivale on aurait :
(444) al-3uud-u ?a3waj-un
le bâton-nominatif tordu-nominatif ‘‘Le bâton est tordu.’’
286
La forme IX « 3wajj » peut être traduite par « se tordre ». Il est possible de
définir cette forme verbale sans passer par un adjectif, contrairement aux formes
indiquant une couleur où aucun synonyme n’est possible. On peut donc définir la
forme XI « 3wajj » par un verbe synonyme tel que « maala » (se pencher).
Toutefois, comme c’est le cas pour les formes IX indiquant une couleur, la
forme IX « 3wajj » ne peut pas être décomposée en [verbe + 3awij], même si la
forme I « 3awij » est attestée dans la langue. Si l’on veut définir la forme IX
« 3wajj » (se tordre) par une autre forme contenant la même racine, la seule façon
de le faire est d’employer l’adjectif « ?a3waj » : « Saara ?a3waj » (est devenu tordu).
La forme IX « 3wajj » est employée pour rendre compte du processus qui consiste
à passer de l’état « non tordu » à l’état « tordu ».
Ainsi, la forme IX indiquant un défaut matériel est, elle aussi, définie par un
adjectif et indique [devenir + adjectif].
Citons maintenant un exemple de forme IX dénotant un défaut physique des
personnes :
(445) 3warra kariim-un
est.devenu.borgne Karim-nominatif ‘‘Karim est devenu borgne.’’
Avec une forme adjectivale, on aurait :
(446) kariim-un ?a3war-un
Karim-nominatif borgne-nominatif ‘‘Karim est borgne.’’
La forme IX « 3warr » signifie « devenir borgne ». Cette forme est également
définie par rapport à la forme adjectivale « ?a3war » et non pas par rapport à la
forme I « 3awir » qui est attestée dans la langue. Il est possible de mettre la
formeIX et la forme I en relation mais uniquement dans le cadre d’une synonymie.
En aucun cas, la forme IX ne sera considérée comme étant une forme I à la quelle
on ajouterait un quelconque trait syntaxique ou sémantique.
287
AdjP
V’
Adj [CV]
√3wj
3uud
V [CV] a
VP
AdjP
V’
Adj [CV]
√3wr
karim
V [CV] a
VP
La forme IX « 3warr » est employée pour indiquer que le Sujet passe d’un
état « non borgne » à un état « borgne ».
Ainsi les forme IX qui désignent des défauts physiques de personnes sont
également mises en relation avec un adjectif et non pas avec la forme I de même
racine.
De la sorte, les formes IX dont la racine indique un défaut que ce soit des
choses ou des personnes, présentent exactement les mêmes propriétés que la
forme IX indiquant une couleur. De ce fait, elles ont la même structure à savoir, une
projection AdjP qui sélectionne la racine et qui est, elle-même, sélectionnée par un
VP. La structure de la forme IX « 3wajj » est donnée en (447)a, et celle de la forme
IX « 3warr » est donnée en (447)b :
(447) a. b.
Les formes IX « 3wajj » et « 3warr » suivront le même processus de
formation que la forme IX « xDarr » (cf. section 3.1.2).
La forme IX est donc la seule forme qui n’est pas mise en relation avec la
forme I ou avec une autre forme verbale, même lorsque celles-ci sont attestées. En
effet, à aucun moment, la forme IX ne peut être décomposée en forme I, ou autre
forme verbale, plus un autre élément. La forme IX est formée exclusivement à
partir des racines désignant une couleur ou un défaut physique. Ce genre de
racines est précisément celui qui est sélectionné naturellement par « Adjectif ». Par
ce fait, la forme IX ainsi que la forme I, de même racine, sont automatiquement
mise en relation avec un Adjectif.
288
Ce qui distingue une proposition [X ?af3al] d’une proposition [X f3all], c’est
qu’avec la forme adjectivale, on qualifie un Sujet en lui attribuant une propriété
donnée et on dit qu’il a « la qualité & » alors qu’avec la forme verbale IX on dit que
le sujet a acquis la propriété en question et qu’il passe de « qualité non& » à
« qualité & ». De ce fait, la forme IX « f3all » est à expliciter par « devenir Adjectif ».
Quant à la forme I, il faut y voir un verbe d’état qui indique que le sujet se trouve
ayant la qualité dénotée par la racine.
4. Conclusion
L’étude de la forme IX « f3all » a montré que le rapprochement fait avec
l’adjectif ne se limite pas au fait de partager une même racine mais va bien au-delà.
La forme IX que l’on traduit par « devenir Adjectif » est effectivement une forme
dont la structure syntaxique est [verbe +Adjectif]. Cette forme verbale est produite
lorsqu’on ne veut pas se contenter d’attribuer une qualité à un Argument mais
qu’on veut rendre compte du processus d’acquisition de la qualité en question.
L’adjectif est dominé par une projection VP sans qu’il y ait une autre racine
pour occuper la position V. C’est la tête Adj., apportant une position CV, qui
accueille la racine puis monte en V. C’est ainsi, que l’on obtient une forme IX
« f3all » que seules les racines qui dénotent une couleur ou un défaut physique et
qui n’ont aucun argument peuvent avoir.
La forme IX « f3all » partage avec la forme VII « nfa3al » la propriété de ne
pas avoir une alternative réflexive. Cela confirme que la racine qui la constitue
n’apporte pas un argument et que seul VP en apporte un. Rappelons-le, pour avoir
une forme réflexive, il faut qu’un des arguments de la racine se réalise sous forme
d’un pronom « t ». Ce dernier prend pour antécédent le deuxième argument de la
racine ou l’argument apporté soit par VP ou par vP.
289
CONCLUSION
CONCLUSION
Le pari de faire une analyse syntaxique des dix formes verbales a été tenu et
toutes les formes s’y sont prêtées. Il s’est avéré que chacune d’elles se distinguait
des autres soit par sa structure syntaxique, ce qui se traduit par la nature ou le
nombre des projections, ou alors, par la nature de ses arguments et leurs positions.
Guerssel et Lowenstamm avaient proposé un gabarit unique que voici :
[CV-CV(CV) CVCV], qui permet de générer les dix formes verbales et rien que ces
dix formes. L’analyse syntaxique que nous avons présentée aboutit au même
résultat et explique la raison pour laquelle on a dix et seulement dix formes
verbales. En effet, les dix formes verbales de l’arabe classique correspondent aux
290
seules possibilités qu’offre la structure syntaxique du verbe, à savoir une
projection √P, une projection VP et une projection vP ; auxquelles s’ajoute la
projection AdjP spécifique à la forme IX.
La forme dite de base, à savoir la forme I, renferme une projection √P plus
une projection VP (deux projections que l’on retrouve dans toutes les formes
verbales). Hormis la forme IX qui fait appel à la projection AdjP, les autres formes
renferment soit une deuxième projection VP soit une projection vP. Ce qui fait que
l’on se retrouve, au final, avec dix formes verbales, c’est le fait qu’à ces trois
structures syntaxiques, s’additionne la nature des arguments qui peuvent être soit
pronominaux soit nominaux, ainsi qu’une différence de mouvements syntaxiques
au sein d’une même structure.
Rappelons, sommairement, la structure de chacune des les dix formes
verbales.
Pour avoir une forme I « fa3al », il suffit que la racine soit sélectionnée par
VP. Cette projection apporte une structure verbale qui agence les arguments de la
racine et leur donne une fonction syntaxique. La tête de VP est constituée d’une
position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle « a » que l’on
peut considérer comme étant le morphème de la voix active. La racine monte en V
et s’associe à la position C du CV contenu dans ce dernier. Une fois VP sélectionné
par Aspect P et Agreement P qui apportent chacun une position CV, la deuxième et
troisième consonne de la racine s’y associeront.
Si l’argument de la racine, en position Complément, se réalise sous forme
d’un morphème « t », on obtient une Forme VIII « fta3al » au lieu d’une forme I
« fa3al ». Ce morphème apporte une position CV à laquelle sera associée la racine.
Quand à lui, il s’associe à la position C du CV apporté par V ; d’où sa position
infixale. La forme VIII est la forme réflexive de la forme I, cependant, il arrive que le
291
sens de la racine ou la nature et le nombre de l’antécédent laisse interpréter ce
réflexif comme un réciproque ou un passif.
Pour avoir une forme II « fa33al », on ajoute une projection vP aux deux
autres que l’on retrouve dans une forme I, à savoir la projection VP et la projection
√P. La racine monte d’abord en V et s’associe, donc, à la position consonantique du
CV de ce dernier, avant que V ne monte en v et se retrouve à gauche du (CV)
contenu dans ce dernier. Puisque la première consonne de la racine est séparée du
(CV) de v par une voyelle « a », elle ne pourra pas se propager pour remplir cette
position et c’est la deuxième consonne de la racine qui s’en charge se réalisant
ainsi géminée. C’est cette structure du causatif qui lui donne à la forme II, son sens.
Dans le cas où un élément de la chaîne causative est interrompu, comme pour les
racines qui n’ont pas un argument en position Spécifieur et qui donc ne présente
pas un agent, il en résulte un intensif.
Si l’argument en position Spécifieur de √P (ou Complement au cas où c’est le
seul argument de la racine) se réalise sous forme d’un morphème « t », on obtient
la forme V « ta-fa33al » au lieu de la forme II. Le morphème « t » prend pour
antécédent l’argument apporté par vP, et se met dans la position Spécifieur de VP,
ce qui lui vaut sa position préfixale. Par sa structure du causatif et son pronom du
réflexif, cette forme indique le causatif réflexif ; elle est la forme réflexive de la
forme II.
Pour avoir une forme IV « ?af3al », il faut avoir la même structure du
causatif que celle pour la forme II, à savoir une projection vP qui sélectionne une
projection VP qui, elle, sélectionne une projection √P. Cependant, cette fois-ci, la
racine monte directement en v et s’associe au CV apporté par ce dernier ; la
consonne « ? » qui apparait en début de mot n’est pas le morphème du causatif,
c’est une simple consonne épenthétique.
292
Si l’argument en position Spécifieur de √P (ou Complement au cas où c’est le
seul argument de la racine) se réalise sous forme d’un morphème « t », on obtient
la forme X « staf3al » au lieu de la forme IV « ?f3al ». Par sa structure du causatif et
son pronom du réflexif, cette forme indique le causatif réflexif, elle est la forme
réflexive de la forme IV. La consonne « s » qui se manifeste dans cette forme est
une consonne épenthétique au même titre que la consonne « ? » qui se manifeste
dans la forme IV.
Pour avoir la forme III « faa3al », il faut avoir une deuxième projection VP
(VP1;VP2). L’existence de ces deux projections VP, renfermant chacune une
position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle « a », est
responsable de la voyelle longue que réalise cette forme ainsi que du réciproque
qu’elle véhicule.
Si l’argument en position Spécifieur de √P (ou Complement au cas où c’est le
seul argument de la racine) se réalise sous forme d’un morphème « t », on obtient
la forme VI « ta-faa3al » qui n’est d’autre que la version réflexive de la forme III
« faa3al ». Afin de permettre la coexistence du réciproque et du réflexif, la forme VI
exige que le sujet soit pluriel. Ceci étant, la forme VI peut exister avec des sujets
singuliers auquel cas elle ne véhicule pas le réciproque mais uniquement le réflexif.
Pour avoir une forme VII « nfa3al », il suffit d’avoir une projection VP et une
projection √P, de la même manière qu’une forme I. Cependant, on ne doit prendre
que des racines ayant pour seul argument un Complément auquel cas, VP est
contraint d’apporter un argument. Dans le cas d’une forme 1, VP apporte un
argument nominal tandis que dans cette forme, l’argument apporté par VP est un
morphème « n ». Cette forme n’a pas une version réflexive.
Pour avoir une forme IX « f3all », forme très singulière qui se distingue du
reste des formes verbales, il faudra faire intervenir une projection AdjP entre la
projection VP et la projection √P. Ceci etant, une classe bien limitee de racines s’y
293
prête. Il s’agit des racines qui indiquent une couleur ou un défaut lesquelles sont
prédestinées à former les adjectifs authentiques. Cette forme n’a pas une version
réflexive.
Chacune de ces formes verbales détient un emploi principal qui correspond
exactement à sa structure syntaxique. A côté, subsistent deux ou trois emplois
annexes qui se sont avérées être tributaires au sens de la racine et/ou à sa
structure. L’étude des différents cas a montré que les verbes d’une même forme
avaient, tous, la même structure syntaxique dont découlait un sens prototype, que
viennent modifier certains éléments tels que les propriétés de la racine ou des
arguments.
Cette étude a alloué une grande importance à la racine. Il a été démontré
que cette dernière fonctionne comme une tête lexicale ayant sa propre grille
thématique et sa propre projection. La racine, constituée uniquement d’éléments
consonantiques, possède selon les cas un ou deux arguments qui occupent soit la
position Spécifieur ou la position Complément de √P. Lorsque la racine a un seul
argument, la position de ce dernier dans la projection √P est très révélatrice car en
dépend le type de forme verbale auquel elle pourra se prêter. De même la nature
de l’argument, à savoir si c’est une unité lexicale ou un morphème, est responsable
de la forme finale que vêtira le verbe. De la sorte, certaines formes verbales ont
trouvé leur explication dans la structure même de la racine.
Au-delà de la projection √P, l’analyse syntaxique que nous avons menée a
montré que les dix formes verbales contenaient, toutes, une projection VP qui
apporte une position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle
« a ». Certaines formes contenaient, en plus, une projection vP. Sachant que la
racine n’apporte que les trois consonnes, celles-ci trouvent les positions CV
auxquelles elles seront attachées dans la structure syntaxique qui les englobe. En
effet, en plus de VP dont le CV accueille -dans certains cas- la première consonne
de la racine, chacun de Aspect P et Agreement P apportent une position CV qui
294
accueilleront la deuxième et la troisième consonne de la racine. Le morphème « t »
que l’on retrouve dans les formes dites réflexives et le morphème « n » que l’on
retrouve dans la forme VII apportent également une position CV.
De la sorte, les positions CV du gabarit élaboré par Guerssel et Lowenstamm
trouvent leur origine dans la structure syntaxique des formes verbales et sont
structurées comme suit : Les positions CV du gabarit de base CVCVCV sont
apportées respectivement par VP, Aspect P et Agreement P, le CV- préfixale est
apporté soit par le morphème « t » ou le morphème « n », quant au (CV)
dérivationnel, il est apporté par vP ou par un deuxième VP.
Conjointement aux projections que peuvent contenir les formes verbales et
qui leur procurent les positions CV, les mouvements effectués au sein de la
structure syntaxique jouent un rôle imminent quant à la détermination de la forme
à constituer. Ce sont eux qui déterminent le mode d’association des éléments au
gabarit. L’exemple le plus saillant reste celui de la paire Forme II/ Forme IV. Ces
deux formes ont exactement la même structure syntaxique, à savoir une projection
√P, une projection VP et une projection vP dont résulte un gabarit identique :
[CV(CV)CVCV]. Ce qui fera la différence entre ces deux formes c’est le mouvement
de la racine qui dans la forme II se déplace d’abord en V et s’associe donc au CV
apporté par ce dernier tandis que dans la forme IV, elle se déplace directement en
v et s’associe au CV contenu dans ce dernier. Le premier cas engendre une forme
« fa33al » et le deuxième cas une forme « ?af3al ».
De la sorte, ce qui fait la différence entre les dix formes verbales c’est à la
fois leur structure syntaxique ainsi que les mouvements opérés à l’intérieur de
cette structure. S’ajoute à cela la nature des éléments. En effet, ce qui fait la
différence entre la forme II « fa33al » et la forme V « ta-fa33al » c’est le fait que
dans cette dernière un des arguments de la racine s’est réalisé sous sa forme
pronominale ; chose qui dote le verbe d’un morphème « t » et d’une position CV
supplémentaire. Le même cas se présente avec les paires : Forme I « fa3al » vs
295
Forme VIII « fta3al » ; Forme III « faa3al » vs Forme VI « ta-faa3al » ; Forme IV
« ?af3al » vs Forme X « staf3al ». Chaque forme renfermant le morphème « t »
partage la même structure avec une autre forme et est considérée comme étant sa
version réflexive. De la sorte, quatre formes verbales sont engendrées à cause de la
nature pronominale de l’argument de la racine.
L’objectif d’établir la structure syntaxique des dix formes verbale a été
atteint dans cette thèse. A part, proposer une nouvelle projection : √P, nous
n’avons pas eu besoin de créer d’autres mécanismes et nous avons pu nous limiter
à ce qu’offre déjà la syntaxe générative. Avec seulement la projection √P, la
projection VP et la projection vP, nous obtenons les dix formes verbales de l’arabe
classique. Nous avons montré que la syntaxe peut expliquer et apporter des
réponses quant à la formation de mots. Par ce faire, cette thèse contribue à la
consolidation des théories qui estiment que toute composition se fait en syntaxe.
L’étude que nous avons menée dans cette thèse, n’a pas permis seulement de
motiver syntaxiquement le gabarit proposé par Guerssel et Lowenstamm, mais a
également permis de mieux comprendre le comportement des verbes en arabe classique
et d’apporter quelques généralisations. En effet, il s’est avéré que les verbes transitifs
forment, en réalité, deux classes distinctes. Les verbes de la première classe se prêtent à
une forme VIII réflexive mais ne se prêtent pas à une forme VII et à la forme II, ils
véhiculent un causatif. Les verbes de la deuxième classe, ne se prêtent pas à une forme
VIII réflexive (ils peuvent avoir une forme VIII mais celle-ci indiquera soit le passif ou
le réciproque), se prêtent à une forme VII et véhiculent l’intensif à la forme II.
Nous pouvons schématiser ses résultats sous forme d’un tableau, que voici :
(1)
Forme II forme VIII
réflexive
forme VII
causatif intensif
Verbes transitifs 1 + - + -
Verbes transitifs 2 - + - +
296
Cette séparation qui s’opère au sein de la classe des verbes transitifs résulte
de la structure de la Racine qui, dans la première classe, apporte deux arguments
alors que dans la deuxième classe, elle en apporte uniquement un, qu’elle place en
position Complément. Ce type de racine n’est pas détectable à l’œil nu, puisqu’à la
forme I, VP apporte un argument et le verbe se réalise transitif. C’est l’étude de la
forme VII, de la forme II intensive et de la forme VIII non réflexive, qui ont permis
de détecter ce type de racine. A présent, nous disposons des tests qui permettent
de les reconnaitre, lesquels sont donnés dans le tableau ci-dessus.
Cette étude ne s’arrête pas aux formes verbales de l’arabe classique et peut
aider à dévoiler le mécanisme de formation des formes participiales qui sont au
nombre de dix, et qui correspondent voire englobent les dix formes verbales. Elle
peut également aider à comprendre le système verbal d’autres langues sémitiques,
telle que l’hébreu, ou afro-asiatiques, telle que le berbère par exemple.
Le fait de motiver le gabarit proposé par Guerssel et Lowenstamm, par une
structure syntaxique, permet, en principe, de présenter une analyse syntaxique à
toutes les langues qui se sont prêtées à une analyse morphophonologique basée
sur ce modèle gabaritique. La tâche peut paraître ambitieuse mais le seul moyen
de le vérifier, c’est de commencer à le faire.
297
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