319
UNIVERSITE PARIS 7 - DIDEROT UFR Linguistique Thèse de Doctorat en Linguistique Théorique, Descriptive et Automatique Présentée par Nor elhouda ARBAOUI LES DIX FORMES DE L’ARABE CLASSIQUE A L’INTERFACE SYNTAXE / PNONOLOGIE -POUR UNE DECONSTRUCTION DU GABARIT- Dirigée par Jean LOWENSTAMM Soutenue le 07 décembre 2010 Membres du jury Sabrina BENDJABALLAH Université Paris 7_CNRS Ali IDRISSI Université Emirats Arabes Unis (pré-rapporteur) Alain KIHM Université Paris 7_CNRS Jean LOWENSTAMM Université Paris 7-CNRS (directeur) Jamal OUHALLA Université Dublin (pré-rapporteur)

Les 10 formes du verbe

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les 10 formes du verbe

UNIVERSITE PARIS 7 - DIDEROT

UFR Linguistique

Thèse de Doctorat en Linguistique Théorique, Descriptive et Automatique

Présentée par

Nor elhouda ARBAOUI

LES DIX FORMES DE L’ARABE CLASSIQUE A L’INTERFACE SYNTAXE / PNONOLOGIE

-POUR UNE DECONSTRUCTION DU GABARIT-

Dirigée par Jean LOWENSTAMM

Soutenue le 07 décembre 2010

Membres du jury Sabrina BENDJABALLAH Université Paris 7_CNRS Ali IDRISSI Université Emirats Arabes Unis (pré-rapporteur) Alain KIHM Université Paris 7_CNRS Jean LOWENSTAMM Université Paris 7-CNRS (directeur) Jamal OUHALLA Université Dublin (pré-rapporteur)

Page 2: Les 10 formes du verbe

2

A la mémoire de mon père

A ma mère

Page 3: Les 10 formes du verbe

3

J’ai un mot à dire…

On dit chez moi (au Maroc) : « lli 3ellm-ek melk-ek » (à celui qui t’as enseigné

quelque chose, tu seras redevable toute la vie). Il me faudra au moins sept vies

pour m’acquitter de ma dette envers mon directeur de recherche.

Jean Lowenstamm m’a initiée à la recherche et m’a transmis la passion

d’interroger les données et d’observer les mots sans relâche, jusqu’à ce qu’ils

révèlent leur secrets. Quand vous travaillez avec quelqu’un qui a l’esprit ouvert et

qui est toujours en quête de nouvelles découvertes, vous apprenez à

débroussailler votre propre chemin et à ne pas toujours suivre les sentiers battus.

Certes l’aventure est périlleuse car on ne sait jamais ce qu’on va trouver, et surtout,

si on va trouver quelques chose, mais la joie de voir à la fin ce qu’on a pu accomplir,

nous fait oublier les tourments du voyage.

Rien de ce que je pourrais dire, ne saurait exprimer combien je suis redevable

à Jean Lowenstamm pour m’avoir accompagné tout au long de cette aventure, qui a

été interminable, parce que j’avais commencé par travailler sur la morpho-

phonologie du berbère, puis sur le pluriel de l’arabe classique et après sur les

participes de l’arabe classique. J’ai mis du temps avant de trouver ma voie, et

aujourd’hui, je suis enchantée de voir que le travail que j’ai achevé, porte sur les

formes verbales de l’arabe classique. A vrai dire, la première fois que j’ai assisté au

séminaire de Jean Lowenstamm, où il parlait de sa théorie élaborée avec Guerssel

sur le gabarit, j’ai été tout de suite fascinée. Ma joie est immense d’avoir pu

accomplir un travail qui complète cette théorie, mais surtout, de l’avoir fait en

collaboration avec l’un de ses fondateurs même.

Je voudrais remercier jean Lowenstamm, aussi, pour ces qualités humaines,

car non seulement il s’est occupé de ma formation scientifique, mais il m’a

beaucoup soutenue dans les démarches administratives qui encombrent l’étudiant

étranger en France. Pour tout cela, je lui dis un grand MERCI et je réserve la

première page de cette thèse pour lui exprimer ma plus grande reconnaissance et

mon plus grand respect.

Page 4: Les 10 formes du verbe

4

Notations q : occlusive uvulaire.

? : occlusive glottale.

T : occlusive dentale emphatique sourde.

D : occlusive dentale emphatique sonore.

θ : fricative dentale sourde.

S : fricative alvéolaire emphatique.

š : fricative post-alvéolaire sourde.

j : fricative post-alvéolaire sonore.

x : fricative vélaire sourde

H : fricative pharyngale sourde.

3 : fricative pharyngale sonore.

Page 5: Les 10 formes du verbe

5

Table des matières J’ai un mot à dire… .......................................................................................................... 3

Notations ........................................................................................................................... 4

INTRODUCTION ............................................................................................................. 9

1. Les dix formes verbales : En quoi consistent-elles ? ................................................. 10

2. Les dix formes verbales : comment sont-elles formées ? .......................................... 13

3. La déconstruction du gabarit ...................................................................................... 16

4. La forme verbale : une affaire de syntaxe .................................................................. 18

5. La Racine : pour un rôle prépondérant ...................................................................... 20

6. Une organisation commandée non recommandée ..................................................... 24

7. Un lecteur avisé en vaut dix ....................................................................................... 27

8. Le label des formes verbales examinées .................................................................... 29

9. Un peu de théorie pour faciliter la lecture ................................................................. 30

9.1. Quelques notions de phonologie ......................................................................... 31

9.1.1. L’hypothèse « CVCV » ............................................................................... 31

9.1.2. Principe du Gouvernement Propre ............................................................... 32

9.1.3. Principe du Contour Obligatoire .................................................................. 33

9.1.4. L’apophonie ................................................................................................. 33

9.1.5. Système vocalique de l’arabe classique ....................................................... 34

9.2. Quelques notions de syntaxe ............................................................................... 34

9.2.1. La Théorie X-barre ...................................................................................... 34

9.2.2. La Thêta-Théorie ......................................................................................... 35

9.2.3. La Théorie du Liage ..................................................................................... 35

9.2.4. Une syntaxe simple pour une morphologie complexe ................................. 36

CHAPITRE 1 ANALYSE DE LA FORME I « fa3al » ........................................................................... 38

1. Introduction ................................................................................................................ 38

2. Que peut-on dire sur la voyelle lexicale ? .................................................................. 39

3. Que représente réellement la racine ? ........................................................................ 41

4. Que contient le domaine VP ? ................................................................................... 45

5. À propos de la voix active ......................................................................................... 48

6. À propos de la voix passive ....................................................................................... 49

7. Comment obtient-on une forme I ? ............................................................................ 53

8. Conclusion ................................................................................................................. 58

CHAPITRE 2 ANALYSE DE LA FORME VIII « fta3al » .................................................................... 60

1. Introduction ................................................................................................................ 60

2. Quel gabarit pour la forme VIII ? .............................................................................. 61

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VIII ....................................... 62

3.1. Le réflexif, point de départ de l’analyse de la forme VIII .................................. 63

3.1.1. Le morphème « t », quel statut et quelle place ?.......................................... 65

3.1.2. Comment le morphème « t » s’est-il retrouvé en position infixale ? ........... 72

Page 6: Les 10 formes du verbe

6

3.2. Un morphème du réflexif et des formes non-réflexives ..................................... 75

3.2.1. Le réciproque, un réflexif avec un plus ....................................................... 76

3.2.2. Le passif, un réflexif avec un moins ............................................................ 79

4. Conclusion ................................................................................................................. 83

CHAPITRE 3 ANALYSE DE LA FORME II « fa33al » ....................................................................... 84

1. Introduction ................................................................................................................ 84

2. Quel gabarit pour la forme II ? .................................................................................. 86

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme II ........................................... 86

3.1. Le causatif, point de départ pour l’analyse de la forme II .................................. 87

3.1.1. L’entrée en scène d’une nouvelle projection : vP ........................................ 88

3.1.2. Comment produire une forme qui gémine la deuxième consonne de la racine ? .................................................................................................................... 94

3.2. Intensif et causatif, deux réalités grammaticales distinctes sous le même habit prosodique................................................................................................................... 99

3.2.1. L’intensif, une dégénérescence de la structure du causatif ........................ 100

3.2.2. Une même structure, une même forme, un même processus..................... 105

3.3. Structure du causatif sans causatif .................................................................... 107

3.3.1. Quand ‘faire’ devient ‘estimer’ .................................................................. 108

3.3.2. Du nom au verbe ........................................................................................ 110

4. Conclusion ............................................................................................................... 116

CHAPITRE 4 ANALYSE DE LA FORME V « ta-fa33al » ................................................................ 117

1. Introduction .............................................................................................................. 117

2. Quel gabarit pour la forme V ? ................................................................................ 118

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme V ......................................... 120

3.1. Une forme à double face : causatif et réflexif ................................................... 120

3.1.1. Une structure pour abriter deux emplois .................................................... 121

3.1.2. Comment obtient-on une forme V ............................................................. 125

3.2. Une structure de causatif et des emplois non-causatifs .................................... 129

3.2.1. D’où vient l’intensif et où est passé le réflexif ? ...................................... 130

3.2.2. Un faux causatif combiné à un réflexif ...................................................... 133

3.2.3. Du nom au verbe ........................................................................................ 135

4. Conclusion ............................................................................................................... 137

CHAPITRE 5 ANALYSE DE LA FORME IV « ?af3al » .................................................................. 138

1. Introduction .............................................................................................................. 138

2. Quel gabarit pour la forme IV ? ............................................................................... 140

3. A la recherche de la structure syntaxique d’une forme IV ...................................... 141

3.1. Le causatif : point de départ pour l’analyse d’une forme IV ............................ 141

3.1.1. Quelle structure pour la forme IV causative ? ........................................... 143

3.1.2. Comment générer une forme IV, à partir d’une structure qui produit une forme II ................................................................................................................. 146

Page 7: Les 10 formes du verbe

7

3.2. Une structure du causatif qui n’engendre pas un causatif................................. 151

3.2.1. Quand « faire » laisse place à « estimer ».................................................. 152

3.2.2. Un verbe à partir d’un nom ........................................................................ 154

3.2.3. Une racine qui dénote un état et une forme IV qui indique une action ..... 156

3.2.4. Une racine qui dénote une action et une forme IV qui indique l’état : ...... 161

4. Conclusion ............................................................................................................... 164

CHAPITRE 6 ANALYSE DE LA FORME X « staf3al » ..................................................................... 166

1. Introduction .............................................................................................................. 166

2. Quel gabarit pour la forme X ? ................................................................................ 167

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme X ......................................... 168

3.1. Une forme à double face ................................................................................... 169

3.1.1. Une structure où coexistent causatif et réflexif ......................................... 170

3.1.2. Comment obtient-on la forme X ? ............................................................. 172

3.2. Une structure du causatif, un morphème du réflexif et des formes qui ne véhiculent ni l’un ni l’autre....................................................................................... 176

3.2.1. Quand « faire »+« se » donne « estimer » ................................................ 177

3.2.2. Quand « faire »+« se » permet de « s’approprier un état » ........................ 182

3.2.3. Quand « faire »+« se » permet d’exprimer « une requête » ...................... 184

3.2.4. Du nom au verbe ........................................................................................ 187

4. Conclusion ............................................................................................................... 188

CHAPITRE 7 ANALYSE DE LA FORME III « faa3al » .................................................................... 190

1. Introduction .............................................................................................................. 190

2. Quel gabarit pour la forme III ? ............................................................................... 191

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme III ....................................... 192

3.1. Le réciproque, point de départ pour l’analyse d’une forme III ......................... 193

3.1.1. Comment faire participer l’Objet à l’action du verbe ? ............................. 195

3.1.2. Comment obtient-on une forme III ? ......................................................... 206

3.2. Emplois non-réciproques de la forme III .......................................................... 210

3.2.1. De l’état à l’action...................................................................................... 211

3.2.2. Du nom au verbe ...................................................................................... 214

4. Conclusion ............................................................................................................... 218

CHAPITRE 8 ANALYSE DE LA FORME VI « ta-faa3al »................................................................ 219

1. Introduction .............................................................................................................. 219

2. Quel gabarit pour la forme VI ? ............................................................................... 220

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VI ........................................ 222

3.1. Le réciproque, point de départ pour l’analyse de la forme VI .......................... 222

3.1.1. Une structure où coexistent réciproque et réflexif ..................................... 224

3.1.2. Comment produit-on une forme doublement composée ? ......................... 230

3.2. Pourquoi une structure du réciproque ne produit-elle pas un réciproque ? ...... 233

3.2.1. De la coexistence à l’exclusion .................................................................. 233

Page 8: Les 10 formes du verbe

8

3.2.2. Quand un événement est entre soi et soi-même ......................................... 236

4. Conclusion ............................................................................................................... 240

CHAPITRE 9 ANALYSE DE LA FORME VII « nfa3al » ................................................................... 242

1. Introduction .............................................................................................................. 242

2. Quel gabarit pour la forme VII ? .............................................................................. 244

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VII ...................................... 246

3.1. Une forme VII, pourquoi faire ? ....................................................................... 247

3.2. Comment réalise-t-on une forme VII ? ............................................................. 258

3.3. Cas particuliers de la forme VII ........................................................................ 261

3.3.1. La forme VII peut-elle apporter un verbe supplémentaire ? ...................... 262

3.3.2. Peut-il y avoir une relation entre une forme VII et une forme IV ? .......... 264

4. Conclusion ............................................................................................................... 274

CHAPITRE 10 ANALYSE DE LA FORME IX « f3all » ........................................................................ 275

1. Introduction .............................................................................................................. 275

2. Quel gabarit pour la forme IX ? ............................................................................... 276

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme IX ........................................ 277

3.1. La forme IX et la racine indiquant une couleur ................................................ 278

3.1.1. De quelle nature est la relation entre la forme IX et l’adjectif ? ................ 279

3.1.2. Comment obtient-on une forme IX ? ......................................................... 282

3.2. La forme IX et la racine indiquant un défaut .................................................... 285

4. Conclusion ............................................................................................................... 288

CONCLUSION .............................................................................................................. 289

BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………….296

Page 9: Les 10 formes du verbe

9

INTRODUCTION

INTRODUCTION

L’objectif essentiel de cette thèse est de comprendre les mécanismes qui

régissent la structuration des dix formes verbales de l’arabe classique. Une étude

morphophonologique complète de ces formes verbales a déjà été établie par

Guerssel et Lowenstamm (1991). Ce que nous proposons -et c’est ce qui fait la

particularité de ce travail -c’est d’aller au-delà des frontières de la

morphophonologie et de faire usage de la Syntaxe. Il sera question, ici, d’une étude

syntaxique des formes verbales de l’arabe classique. Cette étude apportera des

réponses d’ordre technique et d’autres d’ordre théorique.

Pour ce qui est du premier volet, il s’agira de répondre à certaines questions

classiques comme :

Page 10: Les 10 formes du verbe

10

a. le nombre de ces formes verbales, à savoir pourquoi 10 formes (ou quinze si

on compte les formes tombées en désuétude) au lieu de trois ou vingt cinq

par exemple ;

b. l’existence de certaines incohérences apparentes pour une même forme, à

savoir qu’une même forme peut dénoter plusieurs significations disparates.

Pour ce qui est du volet théorique, il sera question de :

c. explorer l’idée que les mots sont analysables en syntaxe ;

d. voir si le modèle syntaxique permet d’expliquer certains problèmes que le

modèle morphophonologique ne permettait pas de résoudre ;

e. comprendre ce qu’est réellement un gabarit et en quoi il consiste ;

f. contribuer à l’identification de l’objet « racine ».

Commençons, d’abord, par expliquer au lecteur non-initié à la grammaire de

l’arabe classique, ce que sont ces dix formes verbales.

1. Les dix formes verbales : En quoi consiste-t-elles ?

Les verbes de l’arabe classique ont la particularité de marquer des notions

telles que le causatif, l’intensif, le réciproque…etc. Cette spécificité fait en sorte que

le verbe apparaît sous différentes formes suivant qu’il indique telle ou telle notion.

En effet, au moment où des langues comme le français, font appel à des verbes dits

« légers » ou créent de nouvelles entrées lexicales pour rendre compte d’un sens

proche, l’arabe classique rend compte de ces faits en apportant des modifications à

l’intérieur de la forme verbale elle-même. Par conséquent, le verbe, en arabe

classique apparaît sous une forme simple qui dénote le sens de la racine et sous

plusieurs formes complexes qui, elles, renferment des notions supplémentaires.

Page 11: Les 10 formes du verbe

11

Pour mieux cerner cette caractéristique qui différencie les verbes de l’arabe

classique des verbes d’une langue comme le français, nous proposons de donner

quelques exemples et voir comment sont formés, entre autres, le causatif, le

réflexif et le réciproque dans chacune de ces deux langues.

Pour rendre compte du sens causatif, le français met un verbe dit léger

devant le verbe principal (2). Ce verbe n’est autre que le verbe « faire ». Pour avoir

le causatif du verbe « écrire », il suffit d’ajouter le verbe « faire » devant : « faire

écrire ». Ce changement est accompagné par un changement de la structure

syntaxique. En français, on ajoute un argument dans la structure causative :

(1) Pierre écrit une lettre.

(2) Pierre fait écrire à Marie une lettre.

L’arabe classique rend compte du causatif, non pas en ajoutant un verbe au

verbe principal, mais en modifiant la forme du verbe principal lui-même. En effet,

pour faire le causatif du verbe « katab » (écrire), il suffit de géminer la deuxième

consonne : « kattab » (faire écrire). Pareillement que le français, les arguments du

verbe de l’arabe classique sont modifiés quand la forme verbale est causative (4) :

(3) kataba aHmad-un risaalat-an

a écrit Ahmed-nominatif une lettre-accusatif ‘‘Ahmed a écrit une lettre.’’

(4) kattaba kariim-un aHmad-an risaalat-an

a fait écrire Karim-nominatif Ahmed-accusatif une lettre-accusatif ‘‘Karim a fait écrire Ahmed une lettre.’’

Regardons maintenant l’exemple du réflexif. En français, pour rendre

compte du sens réflexif, on emploi le pronom « se ». Pour avoir le réflexif du verbe

« laver », on met le pronom « se » devant : « se laver » (6). L’insertion de ce pronom

est accompagnée de la suppression d’un des arguments :

(5) Pierre lave la voiture

(6) Pierre se lave.

Page 12: Les 10 formes du verbe

12

En arabe classique, le réflexif est rendu par l’infixation d’un morphème « t ».

Pour avoir le réflexif du verbe « Rasal » (laver), on insère le morphème « t » après

la première consonne : « Rtasal » (se laver) ; on obtient ainsi la forme VIII.

Pareillement qu’en français, l’insertion de ce morphème est accompagnée par la

suppression d’un argument (8) :

(7) Rasala aHmad-un as-sayyaarat-a

a lavé Ahmed-nominatif la voiture-accusatif ‘‘Ahmed a lavé la voiture.’’

(8) Rtasal aHmad-un

s’est lavé Ahmed-nominatif ‘‘Ahmed s’est lavé.’’

Une fois encore, ce qui est rendu en français par un élément qui se met à

côté du verbe principal est rendu en arabe par un élément qui se met à l’intérieur

du verbe principal. Il est vrai que l’arabe utilise un morphème du réflexif de la

même manière que le français mais c’est le fait qu’il soit réalisé à l’intérieur de la

forme verbale qui est à retenir. C’est la capacité qu’a le verbe de l’arabe classique à

contenir un maximum d’informations et de traits qui fait sa particularité et le

différencie du verbe français.

Prenons un dernier exemple où le français crée entièrement un nouveau

verbe au moment où l’arabe classique se contente de ce qu’on peut appeler la

modification interne de la forme verbale. Il s’agit du sens réciproque. En arabe

classique, il suffit d’allonger la voyelle « a », première voyelle de la forme verbale,

pour obtenir un sens réciproque. En effet, pour faire le réciproque du verbe

« katab » (écrire), on allonge la voyelle « a » et on obtient « kaatab »

(correspondre) ; ce qui correspond à la forme III.

Le français rend compte du sens réciproque en créant une nouvelle unité

lexicale. En effet, pour avoir le réciproque du verbe « écrire » (s’écrire les uns les

autres), on utilise le verbe « correspondre » ; qui ne partage pas le même radical

que « écrire » ; de même pour avoir le réciproque de « parler » (se parler les uns

Page 13: Les 10 formes du verbe

13

les autres), on emploie le verbe « discuter ». Toutefois, on trouve quelques verbes

impliquant une action réciproque, et qui partagent le même radical que le verbe,

par exemple : « battre » et « combattre ».

Par ailleurs, le français peut avoir recours à un autre procédé pour signifier

le réciproque et ce en préfixant l’élément « s’entre », composé de la préposition

« entre » et du pronom réflexif « se » ; exemple : « s’entretuer » pour signifier « se

tuer les uns les autres ». Dans ce cas, le sujet est obligatoirement pluriel : « Pierre

et Jean se sont entretués ». Ce procédé englobe à la fois le sens réflexif et le sens

réciproque ; chose que l’arabe classique exprime avec une autre forme qui contient

à la fois le morphème « t » -que l’on retrouve dans toutes les formes réflexives- et

allonge la voyelle « a » (il s’agit de la forme VI « ta-faa3al).

De la sorte, la possibilité qu’a le verbe de l’arabe classique de changer de

forme à chaque fois qu’un sens supplémentaire lui est attribué fait en sorte qu’on

ait autant de formes que de sens possibles. Cependant, signalons que ce système

est plein d’incohérences apparentes dans la mesure où dans une même forme

peuvent coexister diverses significations qui semblent former des champs

sémantiques distincts et n’être régies par aucune logique. Seule une étude

approfondie -que nous avons menée- permet de trouver le lien entre tous ces

emplois et de comprendre comment ils ont été générés et la relation qu’ils

entretiennent avec la forme qui leur correspond.

2. Les dix formes verbales : comment sont-elles formées ?

En général, on compte dix formes verbales. La première forme est dite la

forme simple parce qu’elle indique uniquement le sens de la racine et parce qu’elle

est réalisé avec le gabarit le plus basique, CVCVCV. Les neufs autres formes sont

des formes qui apportent un changement au sens de la racine et à la taille du

gabarit du verbe, ce qui se traduit par une ou deux positions CV en plus.

Page 14: Les 10 formes du verbe

14

Le tableau1 suivant récapitule les dix formes verbales de l’arabe classique : 2

(9) Forme I : fa3al

Forme II : fa33al

Forme III : faa3al

Forme IV : ?a-f3al

Forme V : ta-fa33al

Forme VI : ta-faa3al

Forme VII : in-fa3al

Forme VIII : ifta3al

Forme IX : if3all

Forme X : sta-f3al

Il existe d’autres formes et elles sont au nombre de cinq (XI-XV), mais elles

sont rarement utilisées et non productives ; seuls quelques verbes de forme I

peuvent avoir une des cinq formes suivantes :

(10) Forme XI: if3aall

Forme XII: if3aw3al

Forme XIII: if3awwal

Forme XIV: if3anlal

Forme XV : if3anlaa

1 Ce tableau, selon Silvestre De Sacy (1831) aurait été établi pour des raisons pédagogiques en prenant en considération le nombre d’augments : un seul augment pour les formes II, III et IV, deux augments pour les formes V, VI mais aussi VII, VIII et IX si l’on compte le segment épenthétique « i » inséré pour empêcher une suite de deux consonnes en début de mot et finalement, trois augments pour la forme X. La liste telle qu’elle est conçue ne nous apprend rien quand aux liens qui puissent exister entre les neufs formes. Ce que l’on sait c’est que ces formes sont en relation avec la forme I. Cependant, on voit bien que la forme II et la forme V sont liées (la forme V n’est autre que la forme II plus un morphème « t ») de même pour la forme III et la forme VI (la forme IV n’est autre que la forme III plus un morphème « t »). Aussi, d’un point de vue sémantique, la forme II et la forme IV sont à rapprocher ; puisque toutes les deux sont causatives. 2 Dans la tradition de la grammaire arabe, on représente les schèmes avec une racine √f3l, dont le sens est « faire » et qui sert aussi pour désigner le mot verbe : « fi3l ». Ainsi, au lieu de parler de C1, C2 et C3, nous préférons utiliser la racine √f3l et il suffit donc de considérer « f » comme C1, « 3 », comme C2 et « l » comme C3. Le recours à cette racine permettra de voir quelle allure aura le verbe en passant par tel ou tel schème. De ce fait au lieu de dire C1aC2 aC3, on dira « fa3al ». Il suffira après de remplacer ces consonnes par les consonnes de la racine qui nous intéresse.

Page 15: Les 10 formes du verbe

15

Nous n’examinerons que les formes les plus usuelles voire les formes de I à

X. Les formes de X à XV (tombées en désuétude) ne seront pas traitées ici.

La variation de forme dont fait l’objet le verbe de l’arabe classique a suscité

l’intérêt des phonologues et morphologues. L’analyse morphophonologique la plus

complète et la plus intéressante est celle qui a été proposée par Guerssel et

Lowenstamm (1991). Cette théorie établit l’existence d’un gabarit CV-CV(CV)CVCV

qui permet d’engendrer les dix formes verbales. Ce gabarit contient une position

CV- préfixale qui peut être activée par le préfixe « n », ou « t » ou par la première

consonne de la racine et une position (CV) dérivationnelle qui peut être associée à

une consonne de la racine ou à la voyelle « a ».

Selon cette analyse, chacune des dix formes verbales fait appel à un procédé

distinct pour se réaliser. Cette différence peut se situer au niveau des positions du

gabarit : la forme II « fa33al » fait appel à la position dérivationnelle (CV) pour

propager la deuxième consonne de la racine :

(11) f 3 l

CV (CV)CVCV a

Tandis que la forme VII « n-fa3al » utilise la position (CV) préfixale pour

associer le préfixe « n » :

(12) n f 3 l

CV- CV CV CV a

Autrement, cette différence peut se situer au niveau de l’élément associé à

ces positions : la forme III « faa3al » utilise, pareillement que la forme II, la position

dérivationnelle (CV) pour se réaliser, mais contrairement à celle-ci, elle utilise la

position V de ce CV et allonge la première voyelle « a » :

Page 16: Les 10 formes du verbe

16

(13) f 3 l

CV(CV)CVCV a

Ainsi, ce qui fait la différence entre les formes verbales c’est le fait qu’elles

représentent une utilisation particulière des ressources du gabarit. La différence

entre la forme I « fa3al », la forme II « fa33al » et la forme VII « nfa3al » réside dans

le fait que la première forme utilise un gabarit de base : CVCVCV, la deuxième

forme utilise un gabarit avec une position CV dérivationnelle : CV(CV) CVCV et la

troisième forme utilise un gabarit avec le CV préfixal CV-CVCVCV. Néanmoins, ce

critère nécessaire n’est pas suffisant car il faut générer dix formes alors qu’avec ce

système on en obtient que trois. Effectivement, en plus du nombre des positions CV

du gabarit, il faut prendre en considération la nature de l’élément qui s’associe à

chacune de ces positions. De la sorte, ce qui fait, par exemple, la différence entre la

forme II et la forme III, sachant que toutes les deux utilisent un même gabarit

CV(CV) CVCV, c’est que la forme II identifie la position C du (CV) dérivationnel pour

propager la deuxième consonne de la racine alors que la forme III identifie la

position V de ce même (CV) pour allonger la voyelle « a ».

3. La déconstruction du gabarit

L’analyse morphophonologique permet de connaître le gabarit de chacune

des dix formes verbales ainsi que le mode d’association entre les éléments d’une

forme verbale et le gabarit. Toutefois, si cette analyse renseigne sur le nombre de

positions CV, elle ne dit rien sur l’origine des ces positions et si elle explique le

mode d’association dont résulte la forme verbale, elle ne dit rien sur ce qui justifie

ces associations. En effet, si l’on sait qu’avec un gabarit du type CV(CV)CVCV et une

racine √f3l, on peut avoir soit une forme II « fa33al », ou une forme III « faa3al » ou

encore une forme IV « ?af3al » et ce, suivant trois différents processus

Page 17: Les 10 formes du verbe

17

d’association des éléments à un même gabarit, on ignore la raison pour laquelle un

tel ou tel mode d’association a été adopté pour une telle ou une autre forme

verbale. Tout ce que l’on sait, ce sont les possibilités d’association que l’on peut

avoir avec un gabarit de quatre positions CV et une racine trilitère puis le

mécanisme dont résulte chacune de ces formes. De surcroit, rien dans cette théorie

ne prédit que telle forme indiquera le causatif ou l’intensif et que telle autre

indiquera le réciproque, plutôt que l’inverse.

En vue de toutes ces questions, il devient primordial de comprendre ce qui

régit le processus d’association des éléments aux positions du gabarit et

préalablement découvrir d’où proviennent les différentes positions CV qui

constituent le gabarit.

Etant donné que chacune de ces formes rend compte d’une réalité

grammaticale donnée : causatif pour la forme II, réciproque pour la forme III, …etc.,

et que ces formes modifient la structure de la phrase : à la forme II, un argument

est ajouté alors qu’à la forme VIII un argument est ôté, il nous est apparu évident

que les dix formes que revêt le verbe en arabe classique sont tributaires de la

structure syntaxique de celles-ci. Nous présumons, donc, que derrière chacune de

ces dix formes verbales, il y a une structure syntaxique différente. Dorénavant, ce

qui fera la différence entre les dix formes verbales sera la présence de projections

maximales distinctes, de positions têtes syntaxiques diverses et de mouvements

différents. Le gabarit tel que proposé par l’analyse morphophonologique de

Guerssel et Lowenstamm sera perçu comme étant le résultat d’opérations diverses

et non pas comme étant le lieu même de ces opérations.

Nous proposerons que chacune des positions CV, telles que nous les

retrouvons dans le gabarit conçu par Guerssel et Lowenstamm, est générée dans

une position syntaxique donnée. Ceci ne concerne pas seulement la position CV-

préfixale et la position CV dérivationnelle considérées comme étant des positions

« tête » du gabarit mais ça englobe aussi les trois positions CV restantes qui

Page 18: Les 10 formes du verbe

18

constituent ce qu’on appelle le petit gabarit ou le gabarit de base et que l’on

retrouve dans la forme I. De la sorte, le gabarit CV-CV(CV)CVCV reflète une

structure qui engloberait autant de positions syntaxiques « tête » que de positions

CV ; hypothèse qui sera démontrée dans ce travail.

4. La forme verbale : une affaire de syntaxe

L’étude des dix formes verbales de l’arabe classique ne restera pas limitée à

une analyse morphophonologique mais fera l’objet d’une analyse syntaxique.

L’analyse syntaxique que nous entreprenons est différente de celles effectuées

jusqu’ici et qui s’intéressent à des problèmes tels que l’aspect, l’accord, la négation

…etc. Ce qui nous intéresse dans une forme comme « yu-kattib-uuna » (ils font

écrire), ce n’est pas la marque de l’imperfectif ou de la troisième personne ou du

masculin ou du pluriel mais c’est la partie « -kattab- ». Ce que nous voulons

montrer c’est que cette partie du verbe à laquelle les syntacticiens ne se sont pas

ou peu intéressés est elle aussi formée en syntaxe.

Certes, pendant longtemps les syntacticiens ne regardaient dans les mots

que les marques de la flexion, la dérivation étant le domaine des morphologues.

Cependant, avec d’une part, l’évolution de l’hypothèse lexicaliste3 où l’on

établissait des représentations et des règles lexicales4 pour former des mots qui,

désormais peuvent exister dans le lexique sous leurs différentes facettes, et d’autre

part, les partisans de la morphologie distribuée, pour qui les mots sont formés en

syntaxe, la séparation des domaines de la linguistique est remise en cause et les

frontières entre la morphologie et la syntaxe sont beaucoup moins claires qu’il y a

seulement dix ans.

3 Cf. Halle (1973), Bresnan (1982), Freidin (1975), Jackendoff (1975), Wasow (1977),Grimshaw (1990). 4 Cf. Jackendoff (1975), Wasow(1977), Williams (1981), DiSciullo and Williams (1987), Jackendoff (1990), Grimshaw(1990), Levin and Rappaport-Hovav (1986, 1992, 1995)

Page 19: Les 10 formes du verbe

19

Effectivement, avec la théorie de la morphologie distribuée5 et les analyses

qui s’en sont inspirées6, ce qui faisait l’objet d’étude de la morphologie est perçu

dorénavant comme faisant partie du domaine de la syntaxe. Les éléments

considérés auparavant par la syntaxe comme des terminaux et dont l’analyse était

attribuée à la morphologie sont dors et déjà pris en charge par la syntaxe. Tout est

géré par la syntaxe :

« There is only one mechanism in grammar for combining

atomic units of structure and meaning, i.e the syntax». 7

De la sorte, la structure d’un seul mot est, désormais, à analyser de la même

manière, avec les mêmes traits et avec la même organisation hiérarchique qu’une

phrase :

« All composition is syntactic; the internal structure of words

is created by the same mechanisms of construction as the

internal structure of sentences». 8

Les formes verbales de l’arabe classique sont la preuve explicite que des

entités considérées comme étant du domaine de la morphologie trouvent leur

explication en syntaxe. Le fait que des éléments soient combinés à l’intérieur d’un

seul mot n’exclue pas que ces combinaisons soient d’ordre syntaxique. D’ailleurs,

les exemples que nous avons cités pour illustrer la capacité des verbes de l’arabe

classique à contenir des informations à l’intérieur même de la forme verbale tandis

que les verbes du français font appel à des structures syntaxiques bien explicites,

confirment cette hypothèse.

Ceci étant, nous ne nous inscrivons exactement pas dans le cadre théorique

de la Morphologie Distribuée. Nous nous inspirons de ce qui en fait l’essence

5 Initié par Halle and Marantz (1993) et élaboré dans Marantz (1997). 6 Cf. Borer (1994, 2005), Travis (1994, 2000), Ramchand (2006) Noyer (1997, 1998, 1999), Harley (1994, 1995, 1998), Embick (1995, 1996, 1997, 1998), Calabrese (1979a,b),Mcginnis (1995,1996,1998), 7 Marantz (2001 : 9) 8 ibidem

Page 20: Les 10 formes du verbe

20

même, à savoir que les mots sont analysables en syntaxe. A partir de ce moment,

nous soumettons le mot à la même analyse que la phrase et nous suivrons, dans

cette perspective, les principes de la syntaxe générative. Néanmoins, nous ne nous

inscrirons pas, non plus, le cadre strict de cette théorie puisque, comme nous le

verrons par la suite, nous faisons intervenir des éléments morpho-phonologiques

dans des arbres syntaxiques et nous modifions, par exemple, le contenu de la

projection VP (dans le sens où il sera vidé de son contenu lequel sera attribué à

une nouvelle projection que nous proposerons, celle de la racine : √P).

5. La Racine : pour un rôle prépondérant

La notion de Racine joue un rôle primordial dans l’étude que nous

proposons pour les formes verbales de l’arabe classique. En effet, si l’on

fonctionnait avec la notion du radical, on aurait du mal à analyser toutes les

modifications internes de la forme verbale ; excepté la forme VII « n-fa3al » qu’on

peut décomposer en un préfixe « n » + forme verbale de base « fa3al ». La racine9 a

toujours eu un grand intérêt dans l’étude des langues sémitiques et a prouvé sa

pertinence. L’étude des dix formes verbales de l’arabe classique prouve que la

considération de la racine est indispensable et lance un défi à ceux qui renient

l’intérêt de la racine dans l’analyse des langues sémitiques.

Souvent, pour illustrer l’existence de la racine on apportait des exemples de

différentes catégories ayant toutes un sens en commun et réalisant les mêmes

consonnes et on montre que ces mots sont construits à partir d’une même racine.

Prenons l’exemple de la liste suivante :

9 En arabe classique, la racine est strictement consonantique et globalement trilitère. Toutes les combinaisons de trois consonnes ne sont pas utilisées et la langue évite la contiguïté de consonnes d'articulation proche. Le plus souvent, les consonnes d'une racine sont différentes par leur point et leur mode articulatoires. Cette suite consonantique reste apparente dans tous les mots formés sur une même racine et exprimant, plus au moins un même concept.

Page 21: Les 10 formes du verbe

21

(14) katab kitaab kaatib

(Écrire) (Livre) (Écrivain)

maktab maktuub maktaba (Bureau) (Écrit) (Bibliothèque)

Comme on peut le voir dans les traductions proposées (écrire, livre, bureau,

bibliothèque), le français crée plusieurs unités lexicales au moment où l’arabe classique

discerne un sens commun entre tous ces mots et les construit tous à partir d’une même

racine : √ktb. Cette racine aura pour Signifié « ECRIRE ». Dans chacun des mots de

cette liste ce Signifié est présent. Une traduction plus exacte du mot « maktab » serait

« lieu où l’on écrit » de même, une traduction exacte de « kitaab » serait « un écrit », le

mot « maktaba » se traduira par « lieu contenant des écrits » et pour le mot « kaatib »,

une traduction plus exacte serait « écrivant ».

Désormais, on peut établir l’existence de la racine en restant dans le même

paradigme « Verbe » et en examinant les différentes formes verbales que l’on peut

obtenir avec une même racine (Cf. (14)). Les dix formes verbales de l’arabe classique

ont toutes un sens commun : celui dénoté par la racine, et réalisent de façon interne les

éléments qui leur permettent de rendre compte de différentes réalités grammaticales. Le

fait que ces éléments ne soient pas réalisés à la périphérie d’une forme de base, écarte

toute possibilité de traiter ces verbes sans avoir recours à la racine.

De ce fait, l’étude des dix formes verbales de l’arabe classique consolide et

confirme l’existence de la racine en tant que notion abstraite mais va bien au-delà

de cette considération et dévoile d’autres propriétés de la racine à savoir un

domaine et des arguments.

Il est communément admis qu’une racine désigne un concept et constitue un

élément exclusivement lexical qui ne comporte aucune information syntaxique. Ce

n’est que lorsque la racine est sélectionnée par un N qu’elle devient nominale, ou

par un V qu’elle devient verbale. Toutefois, on peut avancer que la matrice

Page 22: Les 10 formes du verbe

22

sémantique de la racine prédit, en quelque sorte, la catégorie syntaxique qui va la

sélectionner.

En effet, si l’on observe les définitions les plus simples que l’on donne à chacune

des catégories du discours, on voit que la définition de chaque catégorie se base sur une

distribution syntaxique mais aussi sur une désignation sémantique. S’il est vrai qu’on

peut définir une catégorie telle que Verbe ou Nom en ne se basant que sur leur syntaxe,

il reste vrai qu’on peut le faire aussi en n’en indiquant que la sémantique. En définissant

un Verbe, on dira qu’il exprime l'action accomplie par le sujet, l’action subie par le sujet

ainsi que l’état du sujet. Quant au Nom, on dira qu’il sert à désigner un objet dans le

monde, et qu’il a le pouvoir d’être associé à un référent, c’est-à-dire à un objet de la

réalité extralinguistique.

Si l’on accepte que la racine possède ce genre d’informations sémantiques à

savoir « action », « état », « objet »…etc., il devient évident qu’une racine dont le

sens indique un objet du monde sera sélectionnée par un Nom et qu’une racine

dont le sens indique une action sera sélectionnée par un Verbe. De ce fait, même si

on considère qu’une racine n’a pas de propriétés syntaxiques en elle-même, les

propriétés sémantiques qu’elle renferme peuvent, à elles seules, indiquer la

catégorie.10

10 En principe, il devrait y avoir une correspondance entre ce qu’on pourrait appeler une catégorie sémantique et sa contrepartie syntaxique. Toutefois, ce n’est pas toujours le cas et cela est perceptible, souvent, dans la forme elle-même. En effet, la forme de certains noms diffère selon que la racine est « sémantiquement » verbale ou nominale. Des racines telles que √bHr, √klb dont le sens indique des objets du monde se contentent de mettre la racine dans un schème nominal (CaCC) et produisent les noms : « baHr » (mer), et « kalb » (chien) alors qu’une racine telle que √ktb dont le sens renvoie à une action produit le nom « kitaab » (livre) ou « maktab » (bureau). Le fait que certaines racines, lorsqu’elles sont sélectionnées par NP, ne subissent aucune modification alors que d’autres réalisent des modifications internes ou réalisent des préfixes confirme la dissimilitude entre les racines. En outre, le fait qu’un groupe de mots partagent la même racine ne signifie pas forcément qu’ils sont tous construits directement à partir de la racine. En dehors des verbes et des noms qui sélectionnent directement la racine, il y a des mots qui sélectionnent une catégorie intermédiaire. En effet, il existe des noms qui renferment des propriétés verbales, ce qui laisse penser qu’ils ne sélectionnent pas directement une racine mais une forme verbale. C’est le cas des participes actifs et qui correspondent, chacun, à une des dix formes verbales de l’arabe classique : « katab vs kaatib », « kattab vs mukattib », « kaatab vs mukaatib », « ta-kattab vs mutakattib », « nkatab vs munkatib », …etc.

Page 23: Les 10 formes du verbe

23

Les informations sémantiques dont dispose la racine peuvent être soit confirmées

et agencées par la projection sélectionnante soit alors estompées. Une racine comme

√ktb comporte des traits tels que : [action], [mettre sur papier (ou autre support)],

[alphabet (ou autre système d’écriture)]. Lorsque cette racine est sélectionnée par un

VP, il en résulte la forme verbale « katab » qui signifie « action de mettre sur papier (ou

autre support) un alphabet (ou autre système d’écriture) ». Lorsque cette même racine

est sélectionnée par un NP, deux cas se présentent. Dans le premier cas, une voyelle

longue est réalisée en V2 formant ainsi le nom « kitaab ». Ce nom ne garde de la racine

que les deux derniers traits « support où l’on met un alphabet » et ne prend pas en

compte le trait [action]. Dans le deuxième cas, un morphème est ajouté, ici « m »,

formant le nom « maktab ». Dans ce nom, tous les traits de la racine sont conservés, à

savoir [action], [mettre sur papier (ou autre support)], [alphabet (ou autre système

d’écriture)], auxquels s’ajoute le sens apporté par le morphème « m » : [lieu]. Le nom

« maktab » englobe les traits : [lieu], [action], [mettre sur papier (ou autre support)],

[alphabet (ou autre système d’écriture)] : « lieu où l’on écrit ».

Le fait qu’une racine puisse s’adapter à la projection qui la sélectionne, quand

besoin il y a, révèle que la racine n’est pas un élément primitif ou terminal, comme on

le pense ordinairement, et qu’elle a son propre domaine et constitue un ensemble de

traits qu’on peut modifier, diminuer ou augmenter.

Maintenant que l’on admet que les propriétés sémantiques que l’on attribuait aux

verbes sont en réalité contenues dans la racine, il faudra se prononcer sur ce qu’on

appelle la grille thématique du verbe : le fait qu’un verbe ait un agent, un agent et un

patient, ou encore un agent, un patient et un bénéficiaire est-il tributaire du verbe ou de

la racine ?

Certes, le domaine VP prévoit des positions pour disposer les différents

arguments du verbe, mais il s’agit là de positions syntaxiques que doivent occuper des

NP. Il s’agit seulement de la réalisation syntaxique de la grille thématique. Ce qui est

lexical dans un verbe c’est la racine. Par conséquent, les informations lexicales -

Page 24: Les 10 formes du verbe

24

responsables de la détermination du thêta rôle- du verbe sont contenues dans cette

dernière. Chaque racine dénote une action/événement qui, selon les cas, nécessite un ou

plusieurs participants. De ce fait, en plus des traits sémantiques, une racine qui indique

une action/événement détermine les participants à cette action/événement. Des termes

comme Agent, Patient, Thème, Bénéficiaire, Source seront considérés comme étant du

domaine de la racine et les termes comme Transitif, Ditransitif, Inergatif, Inaccusatif

seront attribués au verbe. La racine propose les informations lexicales et le verbe les

dispose : Transitif (Agent, Patient/Thème) ; Ditransitif / Bitransitif (Agent,

Patient/Thème, Bénéficiaire/ Source) ; Inergatif (Argument externe = Agent) ;

Inaccusatif (Argument externe = Thème).

Ainsi, à la place d’une arborescence qui instaure les arguments du verbe

directement dans VP, l’arborescence que nous utiliserons tout au long de ce travail

dispose les arguments dans le domaine de la racine puisqu’ils appartiennent à

celle-ci. La racine sera présentée comme une projection √P agençant ses propres

arguments.

6. Une organisation commandée non recommandée

L’organisation de cette thèse est dictée par la nature même du sujet. Nous

avons consacré un chapitre pour chaque forme verbale et chaque chapitre s’ouvre

sur un rappel de l’analyse morphophonologique donnée par Guerssel et

Lowenstamm, puisque l’analyse syntaxique que nous proposons vient la compléter

et apporter des réponses aux questions que cette dernière a posées. L’inconvénient

d’une telle disposition, est qu’elle donne un caractère répétitif à l’analyse, dans la

mesure où la même démarche est adoptée pour chaque forme et que, de surcroit,

chacune des dix formes possède au moins trois emplois.

Une organisation alternative à celle pour laquelle nous avons opté, ici, serait

d’établir des chapitres selon les notions linguistiques, à savoir un chapitre pour le

Page 25: Les 10 formes du verbe

25

causatif, un autre pour l’intensif, un autre pour le réflexif et un quatrième pour le

réciproque. Cela aurait donné à cette thèse un caractère moins scolaire et moins

technique que ce que donne l’organisation actuelle qui laisse penser à une

démarche de grammaire et non pas de linguistique moderne. Cependant, une telle

organisation aurait apporté des chevauchements dans la mesure où certaines

formes verbales vont appartenir à deux classes différentes. Par exemple, la forme V

qui indique à la fois le réflexif et le causatif va apparaître dans le chapitre ‘causatif’

et dans le chapitre ‘réflexif’, de même, la forme VI qui indique conjointement le

réflexif et le réciproque va figurer dans le chapitre ‘réflexif’ et dans le chapitre

‘réciproque’. Sans oublier qu’une même forme II apparaîtra dans le chapitre sur

l’intensif et dans celui sur le causatif.

Conscient que des notions telles que forme I, forme II, forme III…etc. font

partie d’une organisation qui a été proposée par la grammaire, une autre

possibilité recommandée aurait été, tout en gardant les dix chapitres, de ne pas

parler de formes mais des notions qu’elles véhiculent. Par exemple, au lieu de

nommer un chapitre ‘forme II’ on aurait pu le nommer ‘forme causative’ et à la

place de ‘forme III’, on aurait pu mettre ‘forme réciproque’…etc. Cependant, comme

vous allez le voir par la suite, l’intensif et le causatif sont indiqués par une même

forme. Par ailleurs, le causatif est indiqué par deux formes différentes. Ajouté à

cela que chaque forme a plusieurs emplois qui ne correspondent pas à des notions

linguistiques claires (intensif, estimatif, etc.) et qui, comme on va le montrer

découle de la structure elle-même. En conséquence, ces emplois n’auraient pas

trouvé leur place dans ce type d’organisation.

Cette thèse n’a pas pour objectif de montrer comment l’arabe classique

procède pour indiquer telle ou telle notion (comme le causatif ou le réciproque ou

autre), mais de montrer comment une forme verbale, qui est connue pour indiquer

une notion donnée, est formée. Incontestablement, forme et notion sont liées et

c’est en se basant sur la notion qu’indique une forme que l’on va déterminer sa

Page 26: Les 10 formes du verbe

26

structure syntaxique. Toutefois, tout dépend de l’angle sous lequel on envisage

d’aborder la question. Le point de départ de cette thèse est l’analyse

morphophonologique des dix formes verbales établies par Guerssel et

Lowenstamm, que nous avons voulu motiver par une analyse syntaxique. Notre

objectif est d’étudier chacune de ces formes verbales et montrer que le gabarit qui

la sous-tend est construit en syntaxe.

Une réorganisation est certes possible mais elle ne l’est qu’une fois que

l’analyse de chaque forme soit établie, l’une indépendamment de l’autre. Pour cette

raison, nous avons été contraints de commencer par faire ce travail de base.

L’énumération des chapitres ne suivra pas l’ordre de la numérotation :

forme I, forme II, forme III, forme IV...etc. Nous commencerons par la forme I car

c’est la forme simple qui n’a subi aucune dérivation et car sa structure sera

partagée par toutes les autres formes, comme nous allons l’établir. Ensuite, nous

traiterons la forme VIII car elle est tout simplement la version réflexive de la forme

I. D’autres formes entretiennent ce type de rapport. En effet, la forme V est la

forme réflexive de la forme II, la forme VI est la forme réflexive de la forme III et la

forme X est la forme réflexive de la forme IV. Chaque forme sera suivie de sa

version réflexive. Les formes II et IV indiquent toutes les deux le causatif, par

conséquent, elles seront étudiées successivement afin de permettre au lecteur de

se repérer dans l’analyse. L’organisation qui sera adoptée dans cette thèse est la

suivante :

- Chapitre 1 : Forme I ;

- Chapitre 2 : Forme VIII ;

- Chapitre 3 : Forme II ;

- Chapitre 4 : Forme V ;

- Chapitre 5 : Forme IV ;

- Chapitre 6 : Forme X ;

- Chapitre 7 : Forme III ;

- Chapitre 8 : Forme VI ;

Page 27: Les 10 formes du verbe

27

- Chapitre 9 : Forme VII ;

- Chapitre 10 : Forme IX.

La forme IX est étudiée en dernier lieu car, comme on le verra par la suite,

sa structure est assez distincte de celle des neufs autres formes verbales.

7. Un lecteur avisé en vaut dix

Nous proposons, ici, d’expliquer la démarche que nous suivrons tout au long

de cette thèse, afin que le lecteur sache d’emblée comment sera agencé le contenu

de chaque chapitre.

Nous avons déjà annoncé qu’un même procédé d’analyse sera suivi dans

chacun des dix chapitres. Voyons, à présent, en quoi il consiste. Ce qu’il faut savoir

c’est que chaque forme présente diverses significations. Il y a toujours une

signification qui correspond au sens pour lequel la forme est la plus connue et qui

rend compte d’une notion linguistique et, à côté, subsistent d’autres significations

qu’on appellera « emplois annexes », qui sont de simples tours stylistiques voire

des effets de sens qui découlent de la structure elle-même ou du sens de la racine.

Nous commencerons, régulièrement, par examiner l’emploi principal que

l’on va appeler 'forme canonique’. C’est en se basant sur cet emploi que l’on va

établir la structure syntaxique de la forme en question.11 Ensuite, nous

examinerons chacun des emplois annexes pour :

a. vérifier que cette structure syntaxique couvre tous les emplois de cette

forme et, de la sorte, montrer que la divergence sémantique ne provient pas

d’une divergence de structures syntaxiques.

11 Il faut dire qu’avant d’opérer cette ségrégation, nous avons examiné l’ensemble des emplois, pour une forme donnée, et avons fait ressortir une structure syntaxique dont la forme canonique s’est révélée être le prototype.

Page 28: Les 10 formes du verbe

28

b. discerner, justement, la source de ces interprétations sémantiques

différentes.

Nous saurons, ainsi, comment des formes qui partagent une même

morphologie et une même structure syntaxique puisse rendre compte de

significations diverses.

Lors de l’analyse d’une forme canonique complexe (ce sera le cas également

pour les emplois annexes), nous commencerons par présenter quelques exemples.

Aussitôt, et afin de faire surgir la particularité sémantique de la forme examinée,

nous donnerons des exemples avec la forme I correspondante ; la forme I étant la

forme simple. Dans certains cas, et précisément dans les formes verbales qui

manifestent deux variations morphologiques, la comparaison se fera avec une

autre forme complexe qui partage une de ces deux variations, exemple : « ta-

fa33al » qui, à la fois gémine la deuxième consonne et préfixe un morphème « t »

sera comparée à la forme II « fa33al » qui gémine la deuxième consonne de la

racine. Signalons que dans les cas où une forme verbale a un emploi dénominatif,

elle sera comparée à une forme nominale.

Ensuite, nous procéderons à une analyse des propriétés sémantiques et

syntaxiques de la forme verbale. Cette analyse prend en compte deux aspects : le

nombre des arguments que manifeste le verbe -comparé à ceux de la racine- et

l’apport sémantique. En effet, hormis la forme I qui n’apporte aucun changement

au sens de la racine (ce qui lui a valu le statut de ‘base de dérivation’), chacune des

formes verbales contient, en plus du sens de la racine, un sens qui lui est attribuée

par sa structure. Saisir l’apport sémantique reste le moyen incontournable pour

déterminer les projections qui sélectionnent la racine et découvrir, ainsi, la

structure qui engendre la forme examinée.

Une fois la structure syntaxique dévoilée, sous forme d’une représentation

arborescente qui révèle la structure de la racine et les projections qui la

Page 29: Les 10 formes du verbe

29

sélectionnent, nous exposerons les différentes étapes que franchit une forme

verbale pour son exécution. Il s’agira des mouvements syntaxiques qui se

succèdent pour générer la forme en question ; ce qu’on va appeler « procédure de

formation » ou « exécution ».

Pour clore chacun des chapitres, nous terminerons par montrer la manière

dont la structure syntaxique et les mouvements opérés vont, respectivement,

déterminer le nombre de positions CV et le mode d’association des éléments au

gabarit.

8. Le label des formes verbales examinées

Afin d’avoir un aperçu des études faites jusqu’ici par les grammairiens

arabes et arabisants, nous avons choisi un représentant de chaque partie :

Sibawayh (8es [1938]), l’un des premiers fondateurs de la grammaire arabe et

Wright (1896), l’un des grammairiens arabisants les plus cités et des plus

consultés. Les différentes significations que dénotent chacune de ces formes

verbales ont été discutées par ces deux auteurs. À signaler qu’ils ne donnent pas

toujours les mêmes significations, d’où l’intérêt de comparer les données de

chacun d’eux.

Dans cette thèse, ne sera pas procédé à une étude du corpus suite à laquelle

seront découverts les différents emplois et significations de chacune des dix

formes verbales. Cette tâche a déjà été effectuée par les grammairiens. En effet, les

différentes significations de chaque forme verbale sont déjà répertoriées et une

simple lecture d’une grammaire de l’arabe permet de les identifier. Notre travail

consistera à trouver la structure syntaxique de ces formes et à outrepasser cette

floraison sémantique pour trouver, pour chaque forme, une certaine régularité.

Ainsi, les exemples des formes verbales qui sont cités dans cette thèse sont

pris soit chez Sibawayh ou chez Wright. Etant arabophone, nous avons pris le soin

Page 30: Les 10 formes du verbe

30

de les mettre dans des phrases, aussi simples que possible. Ce que nous

considérerons comme l’emploi canonique d’une forme verbale c’est l’emploi que

nous avons trouvé en tête de liste chez ces deux grammairiens. C’est également

celui que l’on retrouve, en général, dans les écrits qui mentionnent les dix formes

verbales de l’arabe classique et qui ne font pas toujours allusion aux emplois

annexes.

Nous avons tenu à prendre en considération tous les emplois répertoriés

pour chacune de ces formes chez les deux grammairiens cités précédemment, car

c’est le seul moyen de garantir nos résultats. Certes, cela rend le travail plus

compliqué car devant une diversité d’emplois pour une forme donnée, il n’est pas

aisé, de prime abord, de discerner la structure syntaxique qui pourrait en rendre

compte. Néanmoins, l’hypothèse que nous avons émise concernant le statut de la

racine, à savoir qu’elle constitue un domaine et qu’elle peut avoir trois structures

différentes selon le nombre d’arguments qu’elle projette et leur position, nous a

permis d’entreprendre cette tâche. En effet, nous n’avions pas seulement le sens de

la racine pour justifier la diversité sémantique d’une forme donnée, nous

disposions également de la structure de la racine. Sans cette hypothèse, notre

travail n’aurait pas abouti.

9. Un peu de théorie pour faciliter la lecture

Afin de permettre au lecteur de suivre notre analyse, nous proposons de faire un

rappel de quelques principes d’ordre théorique. Le travail que nous entreprenons, se

situant à l’interaction de plusieurs domaines de la linguistique, enchevêtre des éléments

morphophonologiques à d’autres d’ordre syntaxique. Il s’ensuit une modification de la

considération de chacun de ces domaines quoiqu’en principe chacun garde ses

spécificités. Nous présenterons, ici, d’une manière sommaire, quelques principes de la

théorie morphophonologique ainsi que de la théorie syntaxique dont sera fait usage dans

ce travail.

Page 31: Les 10 formes du verbe

31

9.1. Quelques notions de phonologie

9.1.1. L’hypothèse « CVCV »

Le cadre de la phonologie du gouvernement adopte l’hypothèse CVCV.12 Le

niveau squelettal consiste en une alternance systématique de positions C et de

positions V. Dans ce cadre théorique la seule syllabe possible est CV ou C est une

attaque et V est le noyau. Ce type de syllabe ne possède pas de coda.

Les types de syllabes traditionnellement reconnues se récriront alors de la

manière suivante :

(15) a. Syllabe ouverte b . Syllabe fermée

C V C V C V | | | | |

l a l a n

Dans ce cadre, proposé par Lowenstamm (1996), la représentation d’une

voyelle longue est la suivante :

(16) C V C V

\ / a

La représentation d’une géminée est la suivante :

(17) C V C V

\ / t

Et enfin la représentation d’une voyelle courte est la suivante :

(18) C V

a

12 Lowenstamm (1996)

Page 32: Les 10 formes du verbe

32

L’hypothèse CVCV permet, entre autres, d’unifier la représentation des

verbes appartenant à un même paradigme. Soit les quatre verbes suivant au

perfectif :

(19) kataba jaraa maala madda

cvcvcv cvcvv cvvcv cvccv

Avec l’hypothèse CVCV, ces quatre verbes auront exactement le même

gabarit :

(20) k t b j r m l m d

| | | | | | | | / \ CVCVCV CVCVCV CVCVCV CVCVCV | | | | \ / \ / | | | a a a a a a a a a

La présence de positions vides devra toujours répondre aux critères du

Principe des Catégories Vides. Selon ce principe, une position V peut rester vide,

c’est-à-dire non interprétée phonétiquement, si et seulement si elle est

proprement gouvernée.

9.1.2. Principe du Gouvernement Propre

Une position V1 gouverne proprement une position V2 si et seulement si V1

n’est pas vide, V1 et V2 sont adjacentes (séparées par une seule position C) et V2

est à gauche de V1 (le gouvernement agit uniquement de droite à gauche). Par

exemple, la géminée dans « madda » peut se réaliser uniquement si le noyau vide

entre les deux parties de la géminée est proprement gouverné par la voyelle qui

suit, comme indiquée dans le schéma ci-dessous en (21)a. La structure en (21)b est

exclue par l’absence de Gouvernement Propre :

Page 33: Les 10 formes du verbe

33

(21) a. C V C V C V b. * C V C V C V

| | \ / | | | \ / m a d a m a d ø

9.1.3. Principe du Contour Obligatoire

Le Principe du Contour Obligatoire (PCO) a été développé initialement par

Leben (1973) pour la phonologie tonale et repris ensuite par Goldsmith (1976). Ce

principe interdit l’adjacence de deux éléments identiques sur un même niveau

autosegmental. Une telle suite est remplacée par un segment simple doublement

lié.

9.1.4. L’apophonie

L’apophonie est « un phénomène de modification du timbre d’une voyelle,

indépendant de toute forme de conditionnement et exploité à des fins

grammaticales ».13 Le chemin apophonique présenté dans le système verbal de

l’arabe (Guerssel &Lowenstamm 1993), dans les pluriels brisés du Geez (Ségéral

1995) ou dans les langues germaniques (Scheer et Ségéral 1995) est :

∅∅∅∅ ⇒⇒⇒⇒ i ⇒⇒⇒⇒ a ⇒⇒⇒⇒ u ⇒⇒⇒⇒ u.

Ainsi :

- « i » est le correspondant apophonique de « ∅ »

- « a » est le correspondant apophonique de « i »

- « u » est le correspondant apophonique de « a »

- « u » est le correspondant apophonique de « u »

13 Ségéral (1995)

Page 34: Les 10 formes du verbe

34

9.1.5. Système vocalique de l’arabe classique

Le système vocalique de l’arabe classique est constitué de trois voyelles

périphériques : « i », « a » et « u » :

i u

a

9.2. Quelques notions de syntaxe

Passons maintenant à la théorie syntaxique. L’analyse syntaxique à laquelle

nous procédons s’inscrit de manière très large dans le cadre de la Grammaire

Générative. Nous proposons de faire, ici, un rappel de quelques préceptes dont

nous avons fait usage dans cette analyse.

9.2.1. La Théorie X-barre

La théorie X-barre donne un formalisme qui permet de dégager de façon

claire et simple les relations de dépendance structurale qui existent entre des

éléments à l’intérieur du syntagme. Ce module de la Grammaire Générative rend

compte de l’architecture interne des syntagmes. Selon cette théorie, tout syntagme

est la projection maximale d’une tête. On désigne cette projection maximale par XP

(x étant une variable pouvant prendre la valeur N(om), V(erbe), Adj(ectif),

Adv(erbe), P(réposition), etc.

Soit la variable x, un constituant de niveau zéro ; en lui associant un

Complément, ce constituant se projette au niveau intermédiaire (ou niveau 1)

appelé X’ ou X-barre ; ce constituant de niveau 1 associé à un Spécifieur éventuel

atteint le niveau de la projection maximale appelée XP. Soit le schéma :

Page 35: Les 10 formes du verbe

35

XP

X’

X Complément

Spécifieur

(22)

Il existe une relation structurale précise entre le Spécifieur et les autres

éléments dans la projection : le Spécifieur a une sorte de ‘portée’ sur tous les

autres éléments de la projection ; même chose entre la tête et le Complément.

9.2.2. La Thêta-Théorie

La Thêta-Théorie explique les relations sémantiques qui s’établissent entre

les constituants arguments et leur tête. La tête assigne un rôle sémantique appelé

ɵ-rôle à son ou ses arguments. Les rôles assignés par une tête font partie des

informations données dans le lexique en rapport avec l’item lexical. Cette théorie

repose sur une condition de bi-univocité entre NP et rôles sémantiques, le ɵ-critère

qui stipule que Tout NP argument doit porter un et un seul rôle sémantique et que

chaque rôle sémantique doit être assigné à un et un seul NP argument.

9.2.3. La Théorie du Liage

Ce module régit les relations structurales entre les Anaphores (Réfléchis et

Réciproques), les Pronoms (les Pronominaux) et leurs antécédents dans la phrase.

Les principes de la théorie du Liage ont été formulés par Chomsky comme suit :

Principe A : Les anaphores doivent être liées dans leur domaine de liage

Principe B : Les pronoms doivent être libres dans leur domaine de liage

Principe C : Les expressions-R doivent être libres

Page 36: Les 10 formes du verbe

36

Ainsi, les Anaphores sont soumises à une coréférence obligatoire dans un

domaine syntaxique défini appelé Catégorie gouvernante. Les Pronoms sont libres

de toute coréférence dans leur Catégorie gouvernante. Les Expressions

Référentielles (constituées de mots sémantiquement autonomes) sont libres

partout. Chomsky propose plusieurs définitions du domaine local pertinent pour A

et B ; on peut donner la suivante :

« La Catégorie Gouvernante [CG] d’une Anaphore ou d’un Pronom α est la

plus petite catégorie syntaxique β contenant α, son gouverneur et un SUJET. »

La notion de Gouvernement peut être comprise comme la relation

qu’entretient une tête avec son complément :

« α gouverne β ssi α m-commande β et qu’aucune barrière n’intervient entre α et

β »

Le Liage se définit lui-même comme une relation de coindexation entre deux

constituants dont l’un c-commande l’autre :

« α c-commande β ssi le premier nœud branchant ϒ dominant α domine

aussi (directement ou non) β »

9.2.4. Une syntaxe simple pour une morphologie complexe

L’analyse syntaxique des dix formes verbales de l’arabe Classique, n’a pas

nécessité un mécanisme complexe. Nous avons utilisé les projections de base

qu’offre la syntaxe, à savoir VP, vP, AspectP et AgreementP. A part, proposer une

projection √P, nous n’avons pas eu besoin de modihier les projections existantes ou

d’user d’autres plus complexes. Toutes ces formes verbales on été générées par

une opération simple, il s’agit du mouvement de tête à tête. Ce mouvement

consiste tout simplement à déplacer la tête d’une projection maximale XP dans la

tête d’une autre projection maximale YP, ce qui aura comme conséquence de

Page 37: Les 10 formes du verbe

37

XP

X’

t X

Complément

Spécifieur

YP

Y’

X Y

Spécifieur

placer la première tête X à gauche de la deuxième tête Y ; dans la position initiale

de X reste une trace de ce dernier, notée (t X) mais que nous avons noté tout au

long de la thèse en grisant l’élément déplacé :

(23)

Pour certaines formes, nous ferons appel à une deuxième opération, il s’agit

de la fusion. La fusion permet de combiner deux objets différents de façon à en

créer un seul. Elle s’opère entre une tête et son Complément [X-Complément] ou

entre une tête et son Spécifieur [Spécifieur-X]. Dans une proposition comme : [Le

garçon [a mangé][une pomme]]. La fusion [Tête-Complément] associe le verbe

[manger] à son Complément [une pomme] de façon à avoir : [manger une pomme].

La fusion [Spécifieur-Tête] associe le sujet [le garçon] au verbe [manger] de façon à

avoir [le garçon mange la pomme]. C’est l’opération qui permet de créer des

syntagmes et pare la suite, des propositions.

Dans l’étude de certaines formes verbales, cette opération est

morphologiquement visible et ce, dans les cas où les arguments en position

Spécifieur ou Complément se réalisent sous forme d’un pronom faible qui ne peut

pas exister à l’état libre. En effet, dans ces cas-là, le morphème en question se

réalise attaché au verbe qui est la tête de la projection maximale qui l’inclut. Selon

que ce morphème est en position Spécifieur ou Complément, sa position dans la

forme verbale sera différente.

Page 38: Les 10 formes du verbe

38

CHAPITRE 1

ANALYSE DE LA FORME I « fa3al »

1. Introduction

La forme I est la forme verbale simple qui ne contient aucun augment. Elle

se contente de réaliser les trois consonnes de la racine et de les inclure dans une

structure verbale. On l’a souvent considérée comme étant la forme de base des

autres dérivations et on a toujours étudié les autres formes par rapport à elle.14 La

forme I, n’ajoute aucun trait sémantique à la racine, elle garde le même sens que

14 On considère que toutes les formes verbales sont dérivées de la forme I et ce en ajoutant un préfixe ou un infixe. De la sorte, la forme I était considérée comme base de la dérivation morphologique.

Page 39: Les 10 formes du verbe

39

celle-ci et ne fait que donner une projection verbale, lui permettant ainsi de se

réaliser comme verbe et de répartir ses arguments.15

La forme I a une particularité qui la distingue des autres formes verbales ;

en dehors du fait qu’elle est simple et qu’elle ne contient aucun augment la

conduisant à changer les traits sémantiques ou les propriétés syntaxiques de la

racine. Il s’agit de la voyelle qu’elle réalise en position V2, dite voyelle lexicale.

2. Que peut-on dire sur la voyelle lexicale ?

La voyelle lexicale apparaît exclusivement dans la forme I de l’actif. En effet,

ni les neufs formes verbales restantes, ni la forme I du passif ne réalisent cette

voyelle. La voyelle lexicale, en V2, peut être soit un « i » ou un « a » ou enfin un

« u » ; ce sont là les seules voyelles que possède le système vocalique de l’arabe

classique. On considère que la voyelle lexicale se trouve dans la racine et on la

représente entre parenthèses : √ktb(a), √lbs(i), √kbr(u).

Néanmoins, si l’on place la voyelle lexicale dans la racine, il faudra expliquer

la raison pour laquelle la forme I du passif et les neufs autres formes verbales de

l’arabe classique, qui utilisent soit le CV dérivationnel soit le CV préfixal soit les

deux à la fois, ne contiennent pas cette voyelle.

En effet, sachant que le passif est dérivé par apophonie de l’actif, on

s’attendrait à avoir la forme « *kutub », partant de la forme de l’actif « katab », avec

un simple changement du timbre de la mélodie vocalique : « a → u ». Pourtant, ce

n’est pas la forme attestée dans l’arabe classique : la forme du passif est « kutib ».

Vu la mélodie vocalique de la forme du passif « u__i », on en déduit que la mélodie

15 Contrairement à ce que fait la forme II en ajoutant un sens « intensif » ou la forme IV en ajoutant un sens « causatif » ou encore la forme III « en ajoutant un sens « réciproque »…etc.

Page 40: Les 10 formes du verbe

40

du départ de la dérivation est « a__ø» (katøb) et non pas « a_a » (katab). La chose a

été établie par Guerssel et Lowenstamm (1993,1996).

Le fait que la voyelle lexicale ne se maintient pas dans la forme I au passif

est la preuve que cette voyelle ne se trouve pas dans le domaine de la racine. De

même, le fait que cette voyelle ne se réalise pas non plus dans les autres neufs

formes de l’actif indique que la voyelle lexicale ne fait pas partie de la structure

syntaxique de l’actif.

Qui plus est, il existe des formes verbales, et elles sont nombreuses, qui ne

réalisent pas la voyelle lexicale à la forme I de l’actif, ce qui signifie que cette

dernière ne fait pas partie de la syntaxe d’une forme I. Ces formes verbales se

contentent de mettre une voyelle « a » copie de la voyelle en V1 à la position V2. On

le sait car les formes de l’imperfectif laissent apparaître une voyelle « i », comme

on peut le voir dans la liste suivante :

(24) Perfectif Imperfectif

- Darab ya-Drib (frapper) - Hamal ya-Hmil (porter) - saraq ya-sriq (voler)

Si l’on peut avoir un nombre de verbes à la forme I sans voyelle lexicale, cela

n’empêche pas que d’autres verbes, quant à eux, réalisent cette voyelle sous ces

trois timbres : « i », « a » et « u ». La structure argumentale d’un verbe contenant

une voyelle « i » peut être identique à celle d’un verbe contenant la voyelle «a »

comme elle peut être identique à celle d’un verbe contenant la voyelle « u ». En

effet, un verbe en « i » peut avoir deux arguments pareillement qu’un verbe en « a »

de même, il peut avoir un seul argument pareillement qu’un verbe en « u ».

De ce fait, le choix du timbre de la voyelle lexicale ne dépend pas de la

structure syntaxique. La différence entre les verbes réalisant la voyelle lexicale « i »

et les verbes réalisant la voyelle « a » ou la voyelle « u » est d’ordre sémantique. Les

verbes en « a » affectent l’objet alors que les verbes en « i » et en « u » affectent le

Page 41: Les 10 formes du verbe

41

sujet ; la différence entre les verbes en « i » et les verbes en « u » est que les

premiers affectent le sujet temporairement alors que les seconds affectent le sujet

d’une manière permanente. De la sorte, lorsqu’un verbe a une structure simple, il a

la possibilité d’insérer une voyelle lexicale en V2. Selon que le verbe affecte son

objet ou selon qu’il affecte son sujet, d’une manière contingente ou permanente, la

voyelle lexicale insérée sera « i » ou « a » ou « u ».

La voyelle lexicale est entièrement différente des morphèmes du passif et du

causatif, entre autres, vu que ces derniers modifient les arguments du verbe alors

que la voyelle lexicale n’apporte aucun changement quant aux arguments ni même

au sens du verbe. La voyelle lexicale est l’élément qui reflète la structure du verbe

simple à l’actif : verbe simple par rapport au verbe contenant une position CV en

plus et verbe à l’actif par opposition au verbe au passif.

Etant donné que l’étude que nous proposons s’intéresse à la structure

syntaxique des dix formes verbales et qu’il sévère que la voyelle lexicale n’en fait

pas partie, nous ne proposons pas ici de résoudre le problème de savoir à quel

niveau elle intervient. Nous nous sommes contentés de donner quelques

arguments établissant qu’elle ne fait pas partie de la structure syntaxique de la

forme I et qu’elle est insérée bien tardivement.

3. Que représente réellement la racine ?

La racine contient un nombre de traits sémantiques incluant des éléments

tels que « objet », « qualité », « action », « état »…etc. Vu que notre étude porte

uniquement sur les formes verbales, nous ne nous intéressons qu’aux racines dont

la composition sémantique est celle d’un verbe. Les racines sémantiquement

verbales contiennent des traits tels que « action », « état » ainsi que les participants

à l’événement dénoté par la racine.

Page 42: Les 10 formes du verbe

42

√P

√’

√ktb

Argument 1 (Agent)

Argument 2 (Thème)

Ce contenu sémantique se reflète dans la structure de la racine voire de √P.

En effet, selon le nombre des arguments que renferme une racine et selon le rôle

thématique de chacun d’eux, l’architecture de √P sera différente. Trois structures

sont à dénombrer.

Une racine telle que √ktb dont la matrice se présente de la façon suivante :

(25) √ktb

Ecrire Action

Agent (+humain)

Thème (-humain)

Aura la structure suivante :

(26)

L’argument « Agent » prend la position Spécifieur et l’argument « But »

prend la position Complément. Les racines qui ont deux arguments auront toutes

cette même structure. La position Spécifieur sera remplie par l’argument qui fait

l’action ou qui est la source de l’action que ce soit un « Agent » ou un « Thème » et

la position Complément sera remplie par l’argument qui subit l’action ou qui est

directement affectée par l’action que ce soit un « Patient » ou un « But ».

Ce même ordre sera conservé lorsque √P est sélectionnée par un VP qui

permettra de donner à l’argument en position Spécifieur la fonction Syntaxique

Sujet et à l’argument en position Complément la fonction Complément d’objet

respectant ainsi la relation entre fonction syntaxique et rôle thématique.

Page 43: Les 10 formes du verbe

43

√P

√xrj Argument (Thème)

Argument (Patient)

√P

√ksr

Une racine telle que √xrj dont la matrice est :

(27) √xrj

Sortir

Action

Thème (+animé/-animé)

Aura la structure suivante :

(28)

Le seul argument que comporte la racine a le rôle thématique « Thème » et il

occupe donc la position Spécifieur de √P. Ce sera le cas pour toutes les racines qui

ont un seul argument dont le rôle thématique est « Agent » ou « Thème ». Ce genre

de racine donne à la forme I, une fois sélectionnée par VP, des verbes intransitifs

ou inaccusatifs tels que « sortir » mais aussi « tomber ». L’argument « Agent » ou

« Thème » occupera, une fois √P sélectionné par VP, la position Spécifieur de VP et

aura, par la suite, la fonction Sujet.

Une racine telle que √ksr dont la matrice est :

(29) √ksr

Casser

Expérience

Patient (-humain)

Aura la structure suivante :

(30)

Page 44: Les 10 formes du verbe

44

Le seul argument que détient cette racine a le rôle thématique « Patient » et

il occupe donc la position Complément de √P. Ce sera le cas pour toutes les racines

dont le seul argument a le rôle thématique « Patient ». Cet argument, une fois √P

sélectionnée par VP, gardera sa position de Complément et aura la fonction

Complément d’objet. Il ne prendra pas la position Spécifieur de VP et ne sera pas le

Sujet dans une forme I « kasar » : « *kasar al-ka?s ». Il est intéressant de signaler

que ce genre de racines est le seul qui peut avoir une forme VII « n-fa3al » ; ce qui

permet de les distinguer des racines à un seul argument du type « √xrj ». De

surcroit, ces racines lorsqu’elles font une forme II, celle-ci dénote toujours

l’intensif et jamais le causatif comme c’est le cas pour les autres formes II.

Ainsi, lorsqu’une racine détient un seul argument, ce qui détermine si cet

argument prend la position Spécifieur ou Complément c’est son rôle thématique.

La différence entre la structure en (28) et en (30) provient de la différence entre

l’argument que détient une racine telle que √xrj et celui que détient une racine telle

que √ksr. Dans le premier cas, l’argument est celui qui fait l’action et a le rôle

thématique « Thème » alors que dans le deuxième cas l’argument est celui qui subit

l’action et a le rôle thématique « Patient ». De ce fait, dans (28) l’argument prend la

position Spécifieur (cet argument aura par la suite la fonction Sujet du verbe de la

forme I) alors que dans (30) l’argument prend la position Complément (cet

argument aura par la suite la fonction Complément d’objet du verbe de la forme I).

Si l’on admet aisément qu’une racine puisse avoir un seul argument quand

ce dernier a le rôle thématique « Agent » ou « Thème » dans la mesure où une

action ne nécessite pas obligatoirement la participation d’un autre argument, le cas

d’une racine dont le seul argument a le rôle thématique « Patient » nécessite une

explication. En effet, ce qui dit « Patient » dit un argument qui subit une action faite

par un autre argument. D’ailleurs à la forme I, le verbe « kasar » laisse apparaître

un sujet « Agent » : « 3ali kasar al-ka?s » (3ali a cassé le verre).

Page 45: Les 10 formes du verbe

45

Considérer que la racine √ksr ne contient dans sa grille thématique que

l’argument « Patient » et que l’argument « Agent » est ajouté par une autre

projection est dicté par la relation qu’entretient ce dernier avec l’événement

dénoté par la racine. L’argument « Agent » qui apparaît dans une proposition telle

que: « 3ali kasar al-ka?s » (3ali a cassé le verre) et qui assure la fonction Sujet, ici

« 3ali », fait une action autre que « casser ». En effet, ce que fait le sujet est une

action du type « jeter », « laisser tomber », « taper »…etc., dont résulte l’événement

« casser ». C’est l’argument qui prend la position Complément, ici « ka?s », qui est

concerné par cet événement ; le français permet de rendre compte de ce sens et

admet une proposition du type : « le verre casse ».

Par ceci, la racine √ksr se distingue d’une racine telle que √ktb qui, elle,

détient dans sa grille thématique et l’argument « Agent » et l’argument « Patient ».

En effet, dans la proposition avec le verbe à la forme I « katab » : « 3ali kataba

risaalat-an » (3ali a écrit une lettre), l’argument « 3ali » fait l’action « écrire » et est

donc concerné par l’événement dénoté par la racine.

4. Que contient le domaine VP ?

En dehors de la voyelle lexicale qui est insérée tardivement, la forme I

« fa3al » contient uniquement la racine et la projection VP qui permet de réaliser

un verbe.16

On considère communément que la projection VP est constituée d’une tête V

qui renferme un verbe, d’un Spécifieur qui renferme un argument dont le rôle

thématique est « Agent » ou « Thème » et dont la fonction syntaxique est Sujet puis

d’un Complément qui renferme un argument dont le rôle thématique est

« Patient » et dont la fonction syntaxique est Objet. La tête V de VP comporte un

16 Bien entendu la forme I aura des projections d’Aspect et d’Accord mais ici nous parlons seulement du niveau le plus bas de la structure syntaxique.

Page 46: Les 10 formes du verbe

46

√P

√’

√f3l Argument 2

Argument 1

verbe sous forme de radical pour les langues romanes et sous forme de racine pour

les langues sémitiques.

Avec l’hypothèse qui stipule qu’une racine vient avec ses arguments, la grille

thématique qu’on attribuait au verbe devient l’affaire de la racine et la projection

VP se voit ôter ses constituants. En effet, la racine ainsi que les arguments

prennent place non pas dans la projection VP mais dans la projection √P :

(31)

Le domaine √P contient la racine et ses arguments. La racine occupe la

position tête et les arguments, selon leurs traits sémantiques et le rôle thématique

qu’ils peuvent revêtir, occupent soit la position Spécifieur ou la position

Complément de √P. De la sorte, ce qui constitue la partie lexicale d’un verbe est

dorénavant accordé à √P et non plus à VP. Par conséquent, la notion de tête lexicale

qu’on attribuait à V n’est plus valable et c’est la tête √ qui assume à présent ce rôle.

Privé de sa propriété d’être une tête lexicale, V ne peut que devenir une tête

fonctionnelle. A vrai dire, malgré le fait qu’on considérait la tête V comme étant

une tête lexicale, elle n’en était pas moins un élément qui assumait quelques

fonctions syntaxiques telles qu’assigner l’accusatif. De ce fait, VP joignait à la fois

des propriétés syntaxiques et des propriétés lexicales du verbe.

Avec l’hypothèse d’une racine qui projette ses propres arguments, celle-ci

prend en charge le côté lexical du verbe et laisse à VP le côté fonctionnel. Ainsi, la

tête de VP devient fonctionnelle et se doit de contenir un élément qui constitue une

marque verbale et qui peut structurer les arguments de la racine.

Page 47: Les 10 formes du verbe

47

V’

VP

V [CV] a

√P

√’

√f3l

Argument 2

Argument 1

Argument 1

Certes, la racine organise ses propres arguments et en place un dans la

position Spécifieur de √P et l’autre dans la position Complément de √P mais cette

répartition est basée sur le rôle thématique de chacun. Ce n’est que lorsque la

racine est sélectionnée par VP qu’elle reçoit ainsi que ces arguments une fonction

syntaxique. En montant dans la position V, la racine acquiert le trait syntaxique

[+verbe]. L’argument de la racine qui occupe la position Spécifieur de √P se

déplace dans la position Spécifieur de VP puis se déplacera dans la position

Spécifieur de IP, ce qui lui donnera le cas nominatif et la fonction Sujet. L’argument

qui occupe la position Complément de √P reste dans sa position de Complément

par rapport à V, ce qui lui attribue le cas accusatif et la fonction Complément

d’objet :

(32)

En tant que tête fonctionnelle, V disposera d’une position CV et si l’on

observe les formes verbales, on voit qu’elles réalisent toutes une voyelle « a » en

V1.17 Cette voyelle a été considérée tantôt comme une voyelle du perfectif tantôt

comme une voyelle de l’actif et ce, parce qu’elle servait de voyelle de départ pour la

dérivation de l’imperfectif et du passif. En effet, chacun du passif et de l’imperfectif

contenait une voyelle obtenue par apophonie à partir de la voyelle « a ». A signaler

que certaines formes de l’imperfectif ne répondaient pas à cette généralisation et

17 Rucart (2006), dans son étude de la flexion verbale en afar, avait proposé que toute tête fonctionnelle corresponde à une seule unité [CV]. Pour V, il considère que c’est une tête lexicale qui inclut une position [CV] plus le gabarit de base [CVCVCV]. Dans notre analyse, la racine n’est pas un nœud terminal de V, elle a sa propre projection. De ce fait, V fonctionne comme une tête fonctionnelle et disposera d’une seule unité [CV]. Par ailleurs, la racine est une tête lexicale qui ne dispose pas de positions CV. Ces dernières ne sont générées que dans des têtes syntaxiques et apportent le gabarit auquel s’associent les éléments lexicaux.

Page 48: Les 10 formes du verbe

48

gardaient la voyelle « a » intacte tandis que toutes les formes du passif changent le

timbre vocalique de cette voyelle et réalisent un « u ». Etant donné que la voyelle

« a » apparait dans toutes les formes verbales mais aussi dans toutes les formes

déverbales (les formes participiales et le masdar), nous considérons qu’elle est

dans V. De la sorte, la tête V contient une position CV ainsi qu’une voyelle « a »:

« Ca ».18

5. À propos de la voix active

L’élément V agence les arguments de la racine en Sujet et Objet en respectant

l’ordre que leur donne la racine : mettre l’argument « Agent » dans la position

Spécifieur de VP de façon à ce qu’il soit, par la suite, Sujet et laisser le « Patient » dans

la position Complément de façon à ce qu’il ait la fonction Complément d’objet.

Lorsqu’on passe à la voix passive, s’opère un changement concernant la structuration

des arguments qui voient leur fonction syntaxique bouleversée : l’argument « Agent »

devient Objet et l’argument «Patient » devient Sujet. Le fait que le changement de voix

implique directement le changement de la position syntaxique des arguments indique

que la structuration initiale en Sujet et Objet qui s’effectue en VP dépend, en réalité, de

la voix active.

Ainsi, en dehors du fait de donner à la racine la catégorie syntaxique

« verbe », on attribue à V une fonction que l’on reconnaît d’habitude à la voix

active. La similitude entre ce que fait V et le rôle que l’on attribue à la voix active

peut être expliquée en postulant tout simplement que la voix active est contenue

dans V. La voix active n’est pas réalisée dans une projection VoixP mais est tout

simplement comprise dans V et c’est elle qui structure les arguments de la racine.

18 Nous postulons l’existence d’une position CV pour deux considérations : la première étant que toute tête fonctionnelle dispose d’une position CV, la deuxième étant que V réalise une voyelle « a » et nous concevons que toute position vocalique est précédée d’une position consonantique ; le niveau squelettal consiste en une alternance systématique de positions C et de positions V (phonologie du gouvernement).

Page 49: Les 10 formes du verbe

49

Les dix formes verbales réalisent toutes, que ce soit dans le paradigme du

perfectif ou de l’imperfectif, le morphème « a » en position V1. Cette voyelle que l’on a

attribuée à V peut désormais être considérée comme étant la marque de la voix active.

De la sorte, la voyelle « a » qu’on a en V1 indique que l’on est en présence d’une forme

verbale active.

Présumer que la voix active est un trait inhérent à V signifie que toute forme qui

contient une projection VP renferme obligatoirement la voix active. Aussitôt cette

hypothèse formulée, la question se pose pour les formes du passif. Les formes verbales

du passif renferment, comme c’est le cas de toutes les formes verbales, une projection

VP mais marquent en plus la voix passive. Toute la question est de déterminer la

relation entre Voix active et Voix passive : s’agit-il de deux Voix qui s’excluent dans le

sens où la présence de l’une interdit la présence de l’autre ou de deux voix dont l’une

modifie l’autre ?

Nous avons déjà écarté la possibilité d’avoir une projection VoixP dans la

structure syntaxique d’un verbe actif puisque la voix active n’apporte rien ni à la

structure ni à la forme initiale du verbe. Par contre, un verbe au passif aura dans sa

structure syntaxique une projection VoixP qui permet à la fois de changer la

structure argumentale et de marquer morpho-phonologiquement le verbe.

6. À propos de la voix passive

Si l’on examine les formes du passif sans se soucier de la structure

argumentale, on observe que la forme du passif est obtenue par apophonie à partir

de la forme de l’actif.19 Soit le tableau suivant illustrant le passage de l’actif au

passif :

19 Toutes les formes verbales, sans exception, ont une forme de l’actif et une forme du passif. Le passif ne s’exclut pas avec tel ou tel préfixe ni avec l’utilisation du CV dérivationnel. Les dix formes verbales ont toutes une forme du passif.

Page 50: Les 10 formes du verbe

50

(33) Perfectif actif Perfectif passif

Forme I fa3al fu3il

Forme II fa33al fu33il

Forme III faa3al fuu3il

Forme IV ?a-f3al ?u-f3il

Forme V ta-fa33al tu-fu33il

Forme VI ta-faa3al tu-fuu3il

Forme VII n-fa3al n-fu3il

Forme VIII fta3al ftu3il

Forme IX f3all f3ull

Forme X sta-f3al stu-f3il

Ce tableau montre que le passif se réalise avec une simple modification du

timbre vocalique de la forme active, suivant un chemin apophonique : « fa3al »

vs « fu3il ». La forme du passif ne contient que les trois consonnes de la racine et

une mélodie vocalique « u__i » obtenue par apophonie à partir de la mélodie de

l’actif « a__ø».20 En conséquence, pour former un passif il faut obligatoirement

avoir, d’abord, un actif puisque la mélodie de la forme du passif dépend de celle de

la forme de l’actif. De la sorte, supposer que V contient la voix active ne va pas à

l’encontre de la formation des verbes passifs. Tous les verbes ont la voix active

même les verbes passifs.

Les verbes passifs sont tout simplement des verbes dont le VP est

sélectionné par VoixP. Leur structure syntaxique jusqu’au niveau de VP est pareille

que celle des verbes actifs, comme on le voit en (34) :

20 Guerssel et Lowenstamm (1996)

Page 51: Les 10 formes du verbe

51

V’

VP

V [CV] a

√P

√’

√f3l Argument 2 (Patient)

Argument 1 (Agent)

Voix’

VoixP

Argument 2 (Patient)

Voix

V’

VP

V [CV] a

√P

√’

√f3l Argument 2

Argument 1

Voix’

VoixP

Voix

(34)

Toutefois, le fait que VP soit dominé par VoixP modifie la structure

argumentale. La voix passive, par définition, modifie la relation entre fonction

syntaxique et rôle thématique et accorde la fonction Sujet à l’argument « Patient »

au lieu de l’argument « Agent » ou « Thème ». 21 De la sorte, en plus de modifier le

timbre vocalique du morphème de la voix active, VoixP modifie l’ordre agencé par

celle-ci :

(35)

Lorsque VP est dominé par Voix P, il ne prend pas en charge la structuration

des arguments de la racine, puisque le passif change l’ordre des arguments. Ainsi,

le passif prend en charge les arguments de la racine et est responsable de la

fonction syntaxique de chacun d’eux. L’argument patient en position Complément

21Chomsky (1981) propose que le passif s’explique par un mouvement entre la structure profonde et la structure de surface : la morphologie passive absorbe le rôle thématique du sujet (de l’argument externe) ainsi que l’assignation d’un cas accusatif ; cela provoque le mouvement de l’argument interne qui vient occuper la place restée vide.

Page 52: Les 10 formes du verbe

52

V’

VP

V [CV] a

√P

√’

√f3l Argument 2 (Patient)

Argument 1 (Agent)

Voix’

VoixP

Argument 2 (Patient)

Voix’

PP Argument 1 (Agent)

Voix

de √P se déplace dans la position Spécifieur de Voix P et aura par la suite la

fonction Sujet.

L’argument « Agent » en position Spécifieur de √P ne pouvant plus monter

en position Spécifieur de VP et étant dans une position qui ne lui permet pas

d’avoir une fonction syntaxique, il ne se réalisera pas et on aura une proposition du

type :

(36) kutibat ar-risaalat-u

a été écrite la lettre-nominatif ‘‘La lettre a été écrite.’’

Néanmoins, il est possible de le réaliser en tant que complément d’agent et

ce, comme dans la proposition suivante :

(37) kutibat ar-risaalat-u min qibali kariim-in

a été écrite la lettre-nominatif de la part Karim-génitif ‘‘La lettre a été écrite par karim.’’

Dans ce cas, l’argument « Agent » se déplacera et sera réalisé dans une

position Adjoint de Voix P :

(38)

Ainsi, le passif et l’actif de l’arabe classique ne constituent pas deux facettes

d’un même objet. Il ne s’agit pas d’un domaine VoixP où la voix serait soit active ou

passive et on ne parlera pas d’un domaine où on a un cas marqué et un cas non

marqué. Le passif ne s’exclut pas avec l’actif mais s’ajoute à celui-ci. Autrement dit,

Page 53: Les 10 formes du verbe

53

V’

VP

V [CV] a

√P

√’

√f3l

Argument 2

Argument 1

Argument 1

lorsqu’on forme un passif on commence d’abord par former un actif puis on lui

ajoute un autre niveau pour lui donner la voix passive.

Un verbe à l’actif n’a pas une projection Voix P. Le fait d’être verbe indique

ipso facto qu’on a la voix active. Par contre, un verbe passif a besoin, pour se

réaliser, d’une projection VoixP ; d’ailleurs il serait préférable de parler de Passif P

au lieu de Voix P. De la sorte, le passif constitue un niveau en plus vers quoi le

verbe doit monter, sa réalisation se traduira par une apophonie que laissera voir

tout verbe qui monte dans cette projection.

7. Comment obtient-on une forme I ?

La forme I est la forme la plus simple du système verbale de l’arabe

classique. Elle se contente d’attribuer une projection verbale à une racine, lui

permettant ainsi, de se réaliser en tant que ‘Verbe’. Rappelons, ici, la structure qui a

été donnée en (32), et voyons comment obtient-on une forme I :

(39)

Tout d’abord, la racine √f3l, occupant la position Tête de √P, se déplace dans

la position Tête de VP. Le mouvement Tête à Tête place l’élément qui se déplace à

gauche de l’élément qui accueille. Par conséquent, on aurait dû avoir la suite « f3l +

Ca ». Toutefois, ces deux têtes contiennent des éléments de classes différentes, le

premier étant un élément lexical et le second un élément squelettal. L’association

entre ces deux éléments se fera en phonologie et opérera sur deux niveaux :

(40) Niveau lexical f 3 l

Niveau squeletal C V

Page 54: Les 10 formes du verbe

54

La dépendance entre la tête V et la Racine n’est pas seulement d’ordre

sémantico-syntaxique mais elle l’est également d’un point de vue morpho-

phonologique. 22 En effet, V se réalise sous forme d’une position CV dont la position

vocalique est occupée par une voyelle « a ». Ce segment « Ca » ne peut pas exister à

l’état libre et se doit de s’associer à une autre entité. De même, la racine √f3l a

besoin d’un gabarit pour prendre forme, chose que lui confère la tête V ; tout

d’abord en tant que contenant d’un CV mais aussi, en tant que position qui

permettra à la racine de monter vers d’autres têtes fonctionnelles contenant

également des positions CV.

La racine ne contient que les trois consonnes sans que celles-ci aient des

positions CV. Les positions CV auxquelles s’associent les trois consonnes de la

racine sont insérées au fur et à mesure que la forme se construit. Le premier CV qui

associe la première consonne de la racine est le CV qui se trouve dans V. En effet, V

comporte une position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle

« a » mais dont la position consonantique est libre.

La première consonne de la racine s’associe, donc, à la position

consonantique libre du CV de V; ce qu’on pourrait représenter comme suit :

(41) f a 3 l

[C V] V

Reste maintenant à déterminer l’origine des deux autres positions CV

auxquelles s’associent chacune de la deuxième et de la troisième consonne de la

racine. En effet, si l’on conçoit qu’un verbe trilitère à la forme I possède un gabarit

composé de trois positions CV, celles-ci ne sont pas tributaires de la racine mais de

la forme verbale elle-même. La racine n’apporte que les trois consonnes et c’est la

22 La tête V s’assure d’avoir une entité lexicale qui lui confère un contenu sémantique et lui accorde un Sujet et un objet et la racine acquiert une fonction syntaxique et peut projeter ses arguments.

Page 55: Les 10 formes du verbe

55

V ’

Aspect

Aspect’

VP

V f 3l

[CV] a

√P

Aspect [CV] ø

√’

√f3l argument

argument

forme verbale qui apporte les positions CV qui constitue un gabarit. Chaque

consonne de la racine sera associée à une position CV et, par ailleurs, chaque tête

fonctionnelle renfermera une position CV. De la sorte, les trois consonnes de la

racine trouveront les positions CV auxquelles s’associer dans les têtes

fonctionnelles que renferme la structure de la forme verbale.

La structure d’un verbe à la forme I renferme, en plus de √P et de VP,

l’Aspect et les marques de Personne, de Genre et de Nombre. De ce fait, les deux

consonnes de la racine ont largement la possibilité de s’associer à une position

consonantique libre d’une de ces positions CV. Nous savons déjà que la première

consonne de la racine prend place dans la position CV de la première tête

fonctionnelle qui sélectionne √P à savoir V. La deuxième position CV constituant le

gabarit d’une forme I, sera apportée par la tête fonctionnelle qui sélectionne VP, à

savoir AspectP :

(42)

Le CV sous Aspect contient dans sa position vocalique un élément « ø »; ce

que nous montre la réalisation d’une voyelle « i » lors du passage du perfectif à

l’imperfectif, sachant que la forme de l’imperfectif est dérivée par apophonie de la

forme du perfectif. Ainsi, étant donné que le perfectif n’a pas une marque

consonantique, la position C du CV reste libre et peut donc être occupée par la

deuxième consonne de la racine, comme montré en (43) :

Page 56: Les 10 formes du verbe

56

V ’

Aspect

Aspect’

VP

√P

√’

√f3l argument

Agr’

AgrP

Agr [CV]

argument

V f 3l

[CV] a

Aspect f 3l

[CV]+[CV] a

(43) fa 3 l

[C V] (AspectP)

Après l’Aspect, la forme verbale marque la personne, le genre et le nombre.

Chacun de ses traits constitue une tête fonctionnelle qui comporte une position CV

et il n’arrive jamais que ces traits aient tous une marque consonantique : lorsque la

marque de la personne est consonantique, la marque du genre, elle, est vocalique.

Ainsi, il y a toujours une position consonantique libre à laquelle sera associée la

troisième consonne de la racine. De ce fait, nous présenterons tous les trais

d’accord sous une même projection AgreementP avec une seule position CV dont la

position consonantique est libre.

Dans une analyse plus détaillée, chaque forme aura une analyse différente

selon la personne le genre et le nombre qu’elle dénote. Toutefois, ce qui nous

intéresse ici c’est qu’avec tous ces traits et donc toutes les positions CV qui seront

générées, une seule accueillera la troisième consonne de la racine.

De la sorte, nous ne nous attarderons pas sur chaque trait mais nous

donnerons une représentation globale ‘Agr.’ avec une seule position CV :

(44)

La position CV sous Agr. Accueille la troisième consonne de la racine :

Page 57: Les 10 formes du verbe

57

V ’

Aspect

Aspect’

VP

√P

Aspect f 3 l

[CV]+[CV] a

√’

√f3l argument

Agr’

AgrP

V f 3l

[CV] a

Agr f 3 l

[CV][CV]+[CV] a

argument

argument

argument

argument

(45) fa3 ø l

[C V] (AgrP)

Ainsi, avec trois positions CV, les trois consonnes de la racine ont chacune

une position consonantique libre à laquelle s’associer. La première consonne de la

racine s’associe à la position CV sous V dont la position vocalique est occupée par

une voyelle « a », la deuxième consonne de la racine s’associe à la position CV sous

Aspect dont la position vocalique est occupée par un élément « ø » et enfin la

troisième consonne de la racine s’associe à la position CV sous Agreement.

L’argument apporté par la racine en position Spécifieur suit la racine dans son

déplacement et finit dans la position Spécifieur de AgreementP, il aura la fonction

Sujet. Quant à l’argument qui occupe la position Complément de √P reste dans sa

position et aura la fonction Objet :

(46)

C’est ainsi que l’on obtient le gabarit d’une forme I, qui correspond exactement à ce

qu’ont proposé Guerssel et Lowenstamm et qu’on appelle le gabarit de base,

comme montré en (47) :

Page 58: Les 10 formes du verbe

58

(47) f a 3 l

[C V] [C V] [C V] V Asp Agr

C’est ainsi qu’avec une racine √f3l, on obtient la forme « fa3øl », forme

considérée comme étant la forme de base de toute dérivation.23 Etant donné que

l’élément « ø» n’a pas un contenu phonétique, cette position vocalique sera

occupée, à la forme I, par une voyelle lexicale. L’existence de la voyelle lexicale

implique que la structure syntaxique du verbe est celle d’une forme I et que les

arguments de la racine n’ont pas été changés. Le choix de la voyelle lexicale

dépendra du rôle thématique du Spécifieur de √P et de la relation sémantique qu’il

entretient avec la racine. Ainsi, selon les caractères sémantiques du verbe, la

voyelle insérée en position V2 est soit « i », ou « a » ou enfin « u ».

8. Conclusion

L’analyse de la forme I a permis de déceler la structure de celle-ci et de

comprendre son processus de formation. La forme I est constituée d’une projection

VP qui sélectionne une projection √P. La projection √P apporte une racine qui

constitue les traits sémantiques du verbe et des arguments qui seront le sujet et le

complément d’objet du verbe. La projection VP apporte une structure verbale qui

agence les arguments de la racine et leur donne une fonction syntaxique. La tête de

VP, responsable de la structuration des arguments de la racine, est constituée

d’une position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle « a » que

l’on peut considérer comme étant le morphème de la voix active.

23 C’est la forme qu’on retrouve dans l’analyse morphophonologique de Guerssel et Lowenstamm (1996).

Page 59: Les 10 formes du verbe

59

L’argument de la racine qui se trouve en position Spécifieur de √P monte

vers la position Spécifieur de VP et devient par la suite Sujet. L’argument de la

racine en position de Complément reste dans sa position et aura la fonction de

Complément direct. La racine monte en V et acquiert ainsi la catégorie syntaxique

« verbe ». La première consonne de la racine se placera dans la position

consonantique libre du CV sous V. Les deux autres consonnes de la racine

prendront place dans les positions CV des autres têtes fonctionnelles : la deuxième

consonne de la racine occupera la position consonantique libre du CV sous Aspect

et la troisième consonne de la racine occupera la position consonantique libre du

CV sous Agreement.

Il résulte de ces opérations une forme « fa3øl ». Selon la racine et ses

arguments, une voyelle lexicale sera insérée à la place de l’élément « ø » et on aura

soit « fa3il » ou « fa3al » ou encore « fa3ul », sans oublier qu’une autre stratégie

peut être adoptée pour remplacer l’élément « ». En effet, il est possible de copier la

voyelle « a » réalisée en V1 pour combler la position V2 et avoir « fa3al ».

Ainsi, l’étude de la forme I a répondu aux questions concernant la structure

de la forme I, le statut de la voyelle lexicale et l’origine des positions CV constituant

le gabarit verbal.

Page 60: Les 10 formes du verbe

60

CHAPITRE 2

ANALYSE DE LA FORME VIII « fta3al »

1. Introduction

La forme VIII « fta3al » a la particularité de réaliser un morphème « t », non

pas dans une position préfixale mais entre la première et la deuxième consonne de

la racine. Un segment prothétique « ?i » est ajouté pour empêcher la succession de

deux consonnes en début de mot, comme l’exige l’arabe classique : « (?i)fta3al ».

La forme VIII a pour principal rôle d’indiquer le réflexif. Elle est considérée comme

étant la forme réflexive de la forme I. Toutefois, dans certains cas, ce rôle

s’estompe et laisse apparaître à la place un réciproque ou un passif.

Page 61: Les 10 formes du verbe

61

Nous proposons dans ce chapitre de déterminer la structure syntaxique de

la forme VIII. Il s’agira de :

a. dévoiler les projections qui constituent une forme VIII ;

b. révéler l’origine et le statut du morphème « t » qu’elle manifeste ;

c. apporter une réponse concernant la position infixale de ce morphème ;

d. comprendre l’origine du sens réflexif de la forme VIII ;

e. discerner la source des emplois annexes non-réflexifs liés à cette forme.

Nous commencerons par présenter l’analyse morphophonologique

attribuée par Guerssel et Lowenstamm à la forme VIII, pour voir en quoi consiste

son gabarit ainsi que le mode d’association qui la sous-tend. Ensuite, nous

examinerons la forme VIII canonique (la forme réflexive), afin d’établir sa

structure syntaxique et le processus qu’elle suit pour son exécution. Enfin, nous

nous intéresserons aux formes VIII réciproques et passives, pour voir ce qui les

distingue de la forme VIII réflexive et ce qui est à l’origine de ces différentes

interprétations.

2. Quel gabarit pour la forme VIII ?

Commençons, tout d’abord, par rappeler le gabarit unique qui sert à générer

les dix formes verbales de l’arabe classique, il s’agit de : CV-CV(CV)CVCV. En ce qui

concerne la forme VIII « fta3al », l’analyse morphophonologique donnée par

Guerssel et Lowenstamm, montre que celle-ci associe le morphème « t » à la

première position CV du gabarit de base (cf.(48)) :

Page 62: Les 10 formes du verbe

62

(48) f t 3 l

CV- CV C V CV a

De la sorte, le morphème « t » n’est associé ni à la position (CV)

dérivationnelle, ni même à la position CV- préfixale, laquelle sera identifiée par la

première consonne de la racine.

Dans le cadre de cette théorie, on considère qu’une forme VIII utilise un

gabarit de réflexif qui renferme, au préalable, un morphème « t ». Lors de

l’association des consonnes de la racine à ce même gabarit, la position C qui

accueille, en principe, la première consonne de la racine est déjà occupée.24

L’analyse syntaxique que nous présenterons, permettra de déterminer

l’origine du CV supplémentaire que renferme la forme VIII « fta3al » (comparé à

une forme I), et apportera une réponse quant au mode d’association établi pour

cette forme.

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VIII

Cette section est répartie en deux sous-sections. Dans la première, nous

étudierons l’emploi principal d’une forme VIII, à savoir le « réflexif ». Nous

dévoilerons le type de projections et les mouvements syntaxique qui aboutissent à

une forme VIII laquelle infixe un morphème « t ». Le statut et l’origine de ce

morphème seront également discernés. Dans la deuxième sous-section, nous nous

intéresserons aux emplois annexes d’une forme VIII. Il s’agit des cas où cette forme

cesse de dénoter le sens que lui procure sa structure syntaxique et se voit

véhiculer d’autres valeurs telles que le passif ou le réciproque. Nous montrerons

24Selon McCarthy (McCarthy1979), on assiste à une sorte de métathèse, dans la mesure où le morphème « t » échange sa position avec la première consonne de la racine.

Page 63: Les 10 formes du verbe

63

que ces emplois annexes ne sont que des effets de sens tributaires des propriétés

de la racine et qu’ils gardent la même structure syntaxique et suivent le même

processus de formation qu’une forme VIII canonique.

3.1. Le réflexif, point de départ de l’analyse de la forme VIII

La forme VIII est connue pour indiquer le réflexif. Elle est considérée comme

étant constituée d’une forme I et d’un morphème de réflexif « t » ; ce qui lui a valu

le statut de la forme réflexive d’une forme I.

Voici quelques exemples de la forme VIII réflexive :

(49) ntaHara karim-un

s’est suicidé Karim-nominatif ‘‘Karim s’est suicidé.’’

(50) imtana3a al-walad-u 3ani at-tadxiin-i

s’est interdit le garçon nominatif de fumer-génitif ‘‘Le garçon s’est interdit de fumer.’’

(51) Rtasala 3ali

s’est lavé Ali-nominatif ‘‘Ali s’est lavé.’’

Avec la forme I correspondante, on a :

(52) naHara kariim-un jamal-an

a sacrifié Karim-nominatif un chameau-accusatif ‘‘Karim a sacrifié un chameau.’’

(53) mana3a al-?ab-u ?ibn-a-hu min at-tadxiin-i

a interdit le père-nominatif fils-accusatif-à-lui de fumer ‘‘Le père a interdit à son fils de fumer.’’

(54) Rasala 3aliyy-un as-sayyaarat-a

a lavé Ali-nominatif la voiture-accusatif

‘‘Ali a lavé la voiture.’’

Comparez l’exemple contenant la forme I « naHar » (sacrifier), donné en

(52), à celui avec la forme VIII « ntaHar » (se sacrifier), donné en (49). De même,

comparez l’exemple contenant la forme I « mana3 » (interdire), donné en (53), à

Page 64: Les 10 formes du verbe

64

celui avec la forme VIII « imtana3 » (s’interdire), donné en (50). Enfin, comparez

l’exemple contenant la forme I « Rasal » (laver), donné en (54), à celui avec la

forme VIII « Rtasal » (se laver), donné en (51). Vous remarquerez que les formes I,

dans ces exemples, réalisent un Objet direct, qui disparait avec les formes VIII

correspondantes.

De la sorte, l’apparition du morphème « t », chose qui distingue la forme VIII

de la forme I, est accompagnée simultanément de la disparition de l’Objet direct

que l’on avait à la forme I.

Selon Wright (1896 : 42), le morphème « t » peut référer également à un

Objet indirect. Observons ces deux exemples :

(55) štawaa kariim-un laHm-an

s’est grillé Karim-nominatif la viande-accusatif ‘‘Karim s’est grillé de la viande.’’

(56) iltamasa kariim-un al-3afw-a min 3aliyy-in

a demandé.pour.soi Karim-nominatif le pardon-accusatif de Ali-génitif ‘‘Karim a demandé pardon à Ali.’’

Avec la forme I correspondante on a :

(57) šawaa kariim-un laHm-an li Duyuufi-hi

a grillé Karim-nominatif la viande-accusatif pour invités-génitif à lui ‘‘Karim a grillé de la viande pour ses invités.’’

(58) lamasa kariim-un al-3afw-a min 3aliyy-in li ?axii-h

a demandé Karim-nominatif le pardon-accusatif de Ali-génitif pour frère-génitif à lui ‘‘Karim a demandé le pardon pour son frère à Ali.’’

Maintenant, comparez l’exemple contenant la forme I «šawaa » (griller),

donné en (57), à celui avec la forme VIII «štawaa » (se griller), donné en (55), et

comparez l’exemple contenant la forme I « lamas » (demander), donné en (58) à

celui avec forme VIII « ltamas » (demander pour soi), donné en (56). Vous

remarquerez que les formes I, dans ces exemples, réalisent un Objet direct ainsi

Page 65: Les 10 formes du verbe

65

qu’un Objet indirect alors que les formes VIII correspondantes, ne réalisent qu’un

Objet direct.

De la sorte, là où la forme I réalise deux Objets, les verbes correspondants à

la forme VIII, lesquels manifestent un morphème « t », ne réaliseront qu’un seul

Objet.

3.1.1. Le morphème « t », quel statut et quelle place ?

D’après les exemples, cités ci-dessus, il s’avère, que l’apparition du

morphème « t » va toujours de pair avec la disparition d’un Objet. De ce fait, nous

présumons que le morphème « t » est généré, tout simplement, dans la position

Complément de la racine ; il agit comme un pronom.25

Le morphème « t » instaure une coréférence entre le Sujet et l’Objet, ce qui

donne à la forme VIII son sens réflexif. En effet, si l’on reprend un des exemples de

la forme VIII réflexive, soit :

(59) Rtasala 3aliyy-un

s’est lavé Ali-nominatif ‘‘Ali s’est lavé.’’

On peut reconstituer la coréférence qui existe entre le Sujet et l’Objet de la

manière suivante :

(60) Rasala 3aliyy-un 3aliyy-an

a lavé Ali-nominatif Ali-accusatif ‘‘Ali a lavé Ali.’’

De la sorte, la racine peut apporter des arguments nominaux ou

pronominaux. Ces derniers peuvent être co-référents ou non ; dans le premier cas

on a affaire à des anaphores et dans le second à des pronoms libres. Le morphème

25 Cf. Kayne (1975).

Page 66: Les 10 formes du verbe

66

« t » sera considéré comme une anaphore26. Ce morphème fonctionne comme le

pronom réflexif « se » du français.27 En voici un exemple :

(61) Pierre se lave.

(62) Pierre lave Pierre.

Ainsi, une racine telle que √Rsl dénote une action et compte deux

arguments. Celui qui est réalisé en position Complément peut se manifester, soit

sous une forme nominale (exemple : kariim/sayyaara) soit alors, sous forme d’un

morphème « t ». Dans ce dernier cas, une coréférence est aussitôt installée entre

les deux arguments.

En principe, tous les arguments de la racine peuvent avoir une forme

nominale ou une forme pronominale. Cependant, si l’argument Spécifieur se réalise

sous une forme pronominale, la forme ne pourra pas aboutir car ce dernier n’aura

pas un antécédent qui le lie. Cette situation n’est possible que si la racine est

dominée par une projection qui apporte un argument supplémentaire, lequel

servira d’antécédent au pronom en position de Spécifieur de √P ; le cas se présente

avec les formes V, VI et X.

26 Cf. Postma (1995), Doborvie-Sorin (1993,1998) pour le SE anaphore. 27 Concernant le SE du français, Burzio (1981) a établi des tests pour montrer que les verbes avec SE se comportent comme des verbes intransitifs et non pas comme des verbes transitifs. Il a proposé donc que SE ne prend pas la place d’un Objet ((Par exemple : la possibilité d’avoir SE avec un verbe enchâssé dans une structure du causatif « faire » alors qu’avec un pronom clitique, cela est impossible ou encore le fait que les verbes avec SE n’acceptent pas, lorsqu’ils sont à l’infinitif et enchâssés dans une structure du causatif d’introduire un Objet avec « à » au moment où les verbes transitifs doivent le faire). Ceci étant dit, il a fallu décider si les verbes en SE, considérés désormais comme intransitifs, étaient des inaccusatifs ou des inergatifs. Pour plusieurs linguistes (Cf. Marantz (1984), Bouchard (1984), Burzio (1986), Kayne (1986), Grimshaw (1990), Pesetsky (1995), Spotiche (1998), le SE est inaccusatif, c’est-à-dire qu’il absorbe le thêta-rôle externe (Ils se basent sur le fait, par exemple, que l’Objet du transitif et le Sujet de l’inaccusatif ont un même comportement dans les constructions relatives en contraste avec le Sujet de l’inergatif et du transitif, ou sur le choix de l’auxiliaire pour distinguer les transitifs et les inergatifs d’une part et les inaccusatif de l’autre ; les premiers utilisant « avoir » et les derniers « être»). Reinhart et Siloni (2004) optent pour un SE inergatif, c’est-à-dire un SE qui absorbe le théta-rôle interne et proposent que les verbes en SE sont dérivés de leur alternative transitive par une opération de réduction qui dans des langues comme l’Hébreu se fait dans le lexique (Cf. Chierchia (1989), Reinhart (1997) et dans des langues romanes se fait en LF.

Page 67: Les 10 formes du verbe

67

À la forme VIII, le morphème « t » est réalisé uniquement dans la position

Complément. Signalons que seules les racines dont la structure comporte deux

arguments ou un seul argument, en position Complément, peuvent avoir une forme

VIII. Les racines qui renferment un seul argument en position Spécifieur ne se

prêtent pas à cette forme. De la sorte, le morphème « t » est bel et bien une

anaphore qui a besoin d’avoir un antécédent et qui doit donc, se trouver dans une

position plus basse que ce dernier.

La même observation s’applique à la forme réflexive dont le morphème « t »

renvoie, selon Wright, à un Objet indirect : le morphème « t » prend la place de

l’Objet indirect et est également co-référent au Sujet. Reprenons un des exemples

cités ci-dessus :

(63) štawaa kariim-un laHm-an

s’est grillé Karim-nominatif la viande-accusatif ‘‘Karim s’est grillé de la viande.’’

La proposition en (63) peut être explicitée comme suit :

(64) šawaa kariim-un laHm-an li kariim-in

a gillé Karim-nominatif de la viande-accusatif pour Karim-génitif ‘‘Karim a grillé de la viande pour Karim.’’

Le morphème « t » semble indiquer une coréférence entre le Sujet et l’Objet

indirect. Nous verrons, par la suite, qu’il s’agit plutôt d’un deuxième Objet direct.

En français, la même situation se présente avec le pronom réflexif « se » :

(65) Pierre s’est grillé de la viande.

(66) Pierre a grillé de la viande pour Pierre.

Ainsi, le morphème « t » infixé au verbe semble prendre la place de

l’argument Objet direct ou indirect créant, ainsi, une coréférence avec l’argument

Sujet. Le fait que celui qui subit une action ou qui en bénéficie soit le même que

celui qui la fait, engendre le sens réflexif.

Page 68: Les 10 formes du verbe

68

V’

VP

V [CV] a

√P

√’

√Rsl

SaHn

3ali

La forme VIII se contente de réaliser un morphème « t » à la place de

l’argument Objet. De ce fait, ce qui distingue la forme VIII de la forme I ne réside

pas dans sa structure syntaxique proprement dite, mais se limite à l’appareil

argumental de la racine.

Donnons ici la structure syntaxique de la forme I « Rasal » :

(67)

Lorsqu’on paraphrase une forme VIII, tout ce qui en ressort, c’est un

argument co-référent au Sujet :

(68) Argument fta3ala

(69) Argument i fa3ala Argument i

La proposition préalable à celle en (68) est :

(70) Argument fa3ala t

Manifestement, le morphème « t » se réalise à la place de l’argument

Complément, comme montré en (70). Ce morphème se greffe au verbe, comme

montré en(68), lui procurant ainsi le sens « réflexif » et une position CV

supplémentaire. En effet, bien que le morphème « t » ne soit pas dans une position

tête, il est considéré comme étant un morphème grammaticale et sera donc dotée

d’une position CV.

Page 69: Les 10 formes du verbe

69

V’

VP

V [CV] a

√P

√’

√Rasal

t [CV]

3ali

De ce fait, la structure de la forme VIII « Rtasal » se présente comme suit :

(71)

Notre analyse du morphème « t » de l’arabe classique, se rapproche de celle

de Reinhart & Siloni (2004) dans le sens où nous considérons que « t » occupe une

position Objet et donc absorbe le téta-rôle interne. Cependant, nous ne parlons pas

de règles de réduction, que ce soit dans le lexique ou en LF. Nous proposons que,

dès le départ, la racine réalise un argument « t » à la place d’un argument nominal.

Cet argument bénéficie d’une position argumentale et d’un rôle thématique au sein

du domaine de la racine. Cependant, étant un pronom faible et n’ayant pas une

référence en soi, il ne pourra pas prétendre à une position syntaxique. Au-delà de

√P, il devra se greffer à une unité lexicale qui absorbera son rôle thématique.

De ce fait, le verbe à la forme VIII est, bien évidemment, un verbe intransitif

puisqu’il n’a pas une position syntaxique Objet mais il demeure un verbe avec deux

arguments. Rappelons-le, c’est la racine qui proposent les arguments et les rôles

thématiques et c’est V qui les dispose.28 Par conséquent, si un argument ne peut

pas avoir une position syntaxique, cela n’implique pas qu’il n’existe pas. La

structure que nous avons proposée pour la racine, nous permet de séparer entre

arguments et rôles thématiques d’une part, et fonction syntaxique d’autre part.

28 Cf. Analyse de la forme I, P : 45 .

Page 70: Les 10 formes du verbe

70

V’

VP

V [CV] a

√P

√šwy

laHm

kariim

li t [CV]

Voyons maintenant comment se présente la forme VIII réflexive dont le

pronom, selon Wright, prend la position d’un Objet indirect. Rappelons un des

exemples cités antérieurement :

(72) štawaa kariim-un laHm-an

s’est grillé Karim-nominatif la viande-accusatif ‘‘Karim s’est grillé de la viande.’’

La proposition en (72) peut être explicitée comme suit :

(73) šawaa kariim-un laHm-an li kariim-in

a gillé Karim-nominatif de la viande-accusatif pour Karim-génitif ‘‘Karim a grillé de la viande pour Karim.’’

Dans cette structure, nous avons trois arguments : un « agent », un

« patient » et un « bénéficiaire ». C’est ce dernier argument qui assume la fonction

Objet indirect et donc, si l’on croit Wright, c’est lui qui sera réalisé sous forme d’un

morphème « t ». Ce troisième argument n’occupera pas la position Complément

mais sera plutôt en position Adjoint de √P :

(74)

Remarquez, ici, que la racine √šwy est une racine du type Racine-

Complément ; l’argument Sujet est apporté par VP. Dans une telle configuration, il est

difficile de concevoir un liage entre le pronom « t » en position Adjoint de √P et le

nom en position Spécifieur de VP, vu que les deux ne sont pas adjacents.

Pour cette raison, nous proposons que ce morphème prenne la place d’un

Objet direct. En effet, en arabe classique on peut introduire un troisième argument

soit au génitif soit alors à l’accusatif, comme dans l’exemple (75) :

Page 71: Les 10 formes du verbe

71

V’

VP

V [CV] a

√P

√šwy

laHm

kariim

3ali

(75) kariim-un šawaa laHm-an li 3aliyy-in

Karim-nominatif a grillé de la viande-accusatif pour 3ali-génitif ‘‘Karim a grillé de la viande pour Ali.’’

(76) karim-un šawaa 3aliyy-an laHm-an

Karim-nominatif a grillé 3ali-accusatif de la viande-accusatif ‘‘Karim a grillé (pour) Ali de la viande .’’

La proposition en (75) manifeste un Objet indirect tandis que celle en (76)

manifeste un deuxième Objet direct. Il s’ensuit, dans ce dernier cas, une

proposition avec deux Objets directs et non pas avec un Objet direct et un Objet

indirect.

Voyons ce que cette rectification peut apporter à notre analyse de la forme

VIII « štawaa ». Tout d’abord, signalons que le fait d’avoir deux Objets directs

n’indique pas que la structure syntaxique aura recours à une autre position que

celle de Adjoint √P. Le troisième argument continuera d’occuper cette position. Ce

qui va changer, comme on peut le voir dans la proposition donnée en (76), c’est la

disposition du deuxième et du troisième argument. En effet, l’argument

« bénéficiaire » qui dans une construction indirecte occupait la troisième position,

occupera, désormais la deuxième position. De ce fait, il ne sera plus placé en

Adjoint de √P mais en Complement de √P :

(77)

De la sorte, le morphème « t » qui vient se réaliser à la place de l’argument

« bénéficiaire » occupera la position Complément de √P et non pas Adjoint de √P ;

position qui lui permet d’être lié à son antécédent :

Page 72: Les 10 formes du verbe

72

V’

VP

V [CV] a

√P

√šwy

laHm

kariim

[CV] t

(78)

Ainsi, la structure de ce que Wright appelle ‘forme réflexive indirecte’ est en

réalité, une structure englobant deux Objets directs dont le premier est réalisé

sous forme d’un morphème « t ». La position de ce dernier reste inchangé. Le sens

de réflexivité indirect est tributaire de la présence d’un argument adjoint.

3.1.2. Comment le morphème « t » s’est-il retrouvé en position infixale ?

Dans cette section, nous proposons de voir comment on obtient la forme

VIII « fta3al », avec un infixe, à partir d’une structure renfermant une projection VP

et une projection √P dont l’argument en position Complement est un morphème

« t ».

Nous savons qu’à la forme I, la racine √f3l monte en V et s’associe à la

position consonantique du CV contenu dans ce dernier. Nous savons aussi qu’à la

forme VIII, l’argument Objet s’est réalisé sous forme d’un morphème « t » et que ce

dernier, étant un morphème faible, il ne pourra pas exister à l’état libre et doit

alors se greffer au verbe. La question qui se pose est de savoir à quel niveau le

morphème « t » s’associe à la forme verbale. Deux cas sont possibles :

a. soit le morphème « t » monte en V après le déplacement de la racine ;

b. soit, alors, il s’associe à la racine avant que celle-ci ne monte en V.

Dans le premier cas, le morphème s’ajouterait à une forme I voire à une

forme « fa3l » ; après l’association de la racine au CV sous V. La montée du

Page 73: Les 10 formes du verbe

73

V’

VP

V [CV] a

√P

√’

√ Rsl | [CV] t

t [ CV]

3ali

morphème « t » en V le placerait à gauche de la forme « fa3l », ce qui donnerait une

forme « *tfa3al ».

(79) * t f a 3 l

[C V]+ [C V] t V

Cette forme n’étant pas la forme attestée, cette solution ne sera pas retenue.

Dans le deuxième cas, le morphème « t » est associé à la racine avant que

celle-ci ne monte en V. C’est cette solution qui aboutit à la forme VIII et qui donne

au morphème « t » sa position infixale. Nous allons montrer comment.

Le morphème « t » apporte une position CV, mais comme il ne peut pas

subsister à l’état libre, il doit s’associer à un élément lexical. Entant que

Complément de la racine, sa position lui permet de fusionner avec la tête qui le

sélectionne, à savoir la racine √Rsl :

(80)

Cette fusion aura pour conséquence d’associer la racine à la position C de ce

CV. En effet, la racine identifie toujours la position C du CV de l’élément auquel elle

a été associée en premier ; que ce soit par un mouvement de Tête à Tête ou pas

fusion de Tête-Complément.

Page 74: Les 10 formes du verbe

74

V’

VP

V R sl | [CV]+[CV] | t a

√P

√’

t [CV]

3ali

3ali

√Rsl | [CV] t

V’

VP

√P

√’

t CV

3ali

3ali

Asp’

Asp P

Agr P

Agr’

Asp R s l | | [CV][CV]+[CV] | t a

3ali

√Rsl | [CV] t

V R sl | [CV]+[CV] | t a

Agr R s l | | |

[CV][CV][CV]+[CV] | t a

Ensuite, √ qui, à présent, contient et la racine √Rsl et le morphème « t », avec

son CV, monte vers V ; sans oublier que l’argument en position Spécifieur de √P

monte dans la position Spécifieur de VP :

(81)

Le déplacement de la racine en V placera le CV de « t », présentement occupé

par la racine, à gauche du CV contenu dans V.

Ensuite, pour acquérir les traits d’aspect et d’accord, V se déplace dans la

tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux positions CV qui associent la

deuxième et la troisième consonne de la racine. L’argument en position Spécifieur

de VP finit dans la position Spécifieur de AgrP :

(82)

Ainsi, on obtient sous la tête Arg, quatre positions CV, un morphème « t » et

une racine √Rsl. L’association au gabarit se fera comme suit :

Page 75: Les 10 formes du verbe

75

� La racine s’associe à la position C du CV apporté par le morphème « t » ;

� Le morphème « t » s’associe à la position C du CV apporté par V ;

� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté

par AspectP ;

� La troisième consonne s'associe à la position C du CV apporté par

AgreementP.

On obtient ainsi le gabarit tel qu’élaboré par Guerssel et Lowenstamm :

(83) R t a s l

[C V][C V][C V][C V] t V Asp Agr

Il s’avère ainsi que la seule chose qui différencie la forme VIII « Rtasal » de la

forme I « Rasal » est le fait que l’argument en position Complément de la racine se

soit réalisé entant que morphème « t » au lieu d’un lexème. En conséquence, ce

morphème fera partie intégrante de la forme verbale et lui donnera le sens

« réflexif ».

3.2. Un morphème du réflexif et des formes non-réflexives

La forme VIII est une forme réflexive par excellence, puisqu’elle renferme un

morphème anaphorique qui crée une coréférence entre Sujet et Objet. Cependant,

il arrive que cette forme se détourne de cet emploi principal et dénote soit le passif

ou le réciproque. Nous proposons dans cette sous-section d’examiner ces deux cas

et de voir ce qui est à l’origine de cette différence d’interprétation.

Page 76: Les 10 formes du verbe

76

3.2.1. Le réciproque, un réflexif avec un plus

Il existe des cas où, dans une forme VIII, le réflexif laisse place au

réciproque ; cf. Wright (1896 : 42) ; Sibawayh (1938 : 69). Observons ces deux

exemples :

(84) qtatala an-naas-u

se sont entretués les gens-nominatif ‘‘Les gens se sont entretués.’’

(85) xtaSama al-3ummaal-u

se sont contestés les ouvriers-nominatif ‘‘Les ouvriers se sont contestés.’’

Avec la forme I correspondante, on a :

(86) qatala al-mujrim-u an-naas-a

a tué le criminel-nominatif les gens-accusatif ‘‘Le criminel a tué des gens.’’

(87) xaSama al-3ummaal-a al-Hukumat-a

a contesté les ouvrier- nominatif le gouvernement-accusatif ‘‘Les ouvriers ont contesté le gouvernement.’’

Comme c’est le cas pour les formes VIII réflexives, les formes VIII données

dans ces exemples, en (84) et (85), réalisent un morphème « t » à la place de

l’argument nominal que l’on observe dans les formes I correspondantes, données

en (86) et (87). Remarquez que le Sujet des formes VIII est pluriel.

Le morphème « t » infixé au verbe indique une coréférence entre l’argument

Objet et l’argument Sujet. En effet, si l’on reprend l’exemple de la forme VIII

« qtatal », donné en (84), on peut expliciter la coréférence entre Sujet et Objet

comme suit :

(88) qatala an-naas-u an-naas-a

a tué les gens-nominatif les gens-accusatif ‘‘Les gens ont tué des gens.’’

Page 77: Les 10 formes du verbe

77

Ainsi, l’opération est la même que dans les formes VIII réflexives mais le

résultat n’est pas le même : la forme VIII « qtatal » véhicule le réciproque au lieu du

réflexif. En effet, le verbe « qtatal » ne se traduit pas par (se sont tués) dans le sens

où « chacun a tué soi-même » mais se traduit par (se sont entretués) dans les sens

où « les uns ont tués les autres ».

Une des propriétés des formes VIII réciproques est qu’elles se réalisent

toujours avec un Sujet pluriel. Ceci nous amène à se demander si l’origine de cette

distinction entre les formes réflexives et les formes réciproques ne provient pas du

fait que le Sujet soit pluriel.

Pour le savoir, il suffit de mettre l’exemple de la forme VIII réflexive

« Rtasal » avec un Sujet pluriel :

(89) Rtasala an-naas-u

se sont lavés les gens-nominatif ‘‘Les gens se sont lavés.’’

Avec un Sujet pluriel, la forme VIII « Rtasal » n’indique pas que « les gens se

sont lavés les uns les autres » mais que « chacun d’eux a lavé soi-même ». De ce fait,

malgré le fait que les arguments co-référents soient pluriels, on n’obtient pas le

réciproque. Le réflexif reste présent, ce qui montre que le réciproque que l’on

obtient avec « qtatal » n’est pas dû seulement à la pluralité du Sujet.

Procédons maintenant à l’inverse, et mettons au singulier le Sujet qu’on a

avec la forme VIII réciproque, donnée en (84), pour voir si elle change en une

forme réflexive. On devrait pouvoir avoir :

(90) *qtatal kariim-un

s’est tué Karim-nominatif ‘‘Karim s’est tué.’’

Page 78: Les 10 formes du verbe

78

Sachant que la co-référence entre Objet et Sujet est à expliciter comme suit :

(91) *qatala kariim-un kariim-an

a tué Karim-nominatif Karim-accusatif ‘‘Karim a tué Karim.’’

Pourtant, cette proposition n’est pas possible en arabe classique. Le verbe

qui rend compte de ce sens est « ntaHar » (se suicider). La racine √qtl exige que les

arguments impliqués dans cette action soient différents, chose que permet la

réalisation d’un sujet pluriel puisque la co-référence entre arguments pluriels

laisse place à une interprétation du type « les uns les autres ». En effet, la présence

de deux groupes identiques n’empêche pas que les actants impliqués dans le même

événement soient, quant à eux, distincts : chaque personne du groupe « les gens »

est en relation avec une autre « personne » du même groupe « les gens ».

Ainsi, le réciproque est généré à cause de la racine √qtl qui n’accepte

d’accueillir le morphème « t » que si l’argument Sujet est pluriel, auquel cas la

coréférence entre arguments n’est pas totale.

Toutefois, en dehors du sens de la racine qui semble apporter des

restrictions, sa structure nous interpelle. En effet, nous avons des raisons de

penser que cette racine est du type Racine-Complément et que le Sujet qui apparait

à la forme I et à la forme VIII est, en fait, apporté par VP.29 De ce fait, la coréférence

dont il est question dans cette forme est établie entre un argument apporté par VP

et un autre apporté par la racine. Nous pensons que cette configuration peut être à

l’origine du fait que cette coréférence ne soit pas totale, et qu’il en découle un

réciproque.

29 La structure de cette racine sera confirmée lors de l’étude de la forme II intensive. L’étude de chacune des formes VII et de la forme II apportera des indices de type structurel pour repérer les racines du type Racine-Complément. L’étude la forme VIII ne donne pas des éléments qui aboutissent à décider de l’existence de ce type de racines mais apporte un critère qui permet de le consolider. Apparemment, ces racines, même dans une structure du réflexif, refuse d’indiquer une coréférence totale et par conséquent, dénote un autre sens que le réflexif. C’est la preuve que ce verbe n’est pas un vrai transitif.

Page 79: Les 10 formes du verbe

79

V’

VP

V [CV] a

√P

√qtl

t [CV]

naas

Ceci étant, si le fait que l’argument Sujet soit apporté par VP, et non pas par

la racine, a une incidence sur le sens de la forme verbale, il n’interfère en rien dans

sa structure ni dans le processus de formation qu’elle suivra pour sa réalisation. La

réciprocité qu’on attribue à la forme VIII « qtatal », n’est qu’un effet de sens généré

par le sens et la structure de la racine √qtl. Pour ce qui est de la structure

syntaxique de cette forme, elle reste conforme à celle d’une forme VIII canonique.

Ainsi, la structure d’une forme VIII réciproque est la suivante :

(92)

La forme VIII réciproque suivra le même processus de formation que la

forme VIII réflexive. Le lecteur peut se référer à la sous-section sur l’exécution de

cette dernière (cf.3.1.2). Le fait que le morphème « t » n’ait pas un antécédent dans

le domaine √P ne pose aucun problème, car dans la position qu’il occupe, il est

gouverné par VP et peut être lié par l’argument que ce dernier apporte ; vu

qu’aucune position argumentale ne les sépare.

3.2.2. Le passif, un réflexif avec un moins

Dans certaines formes VIII, le réflexif laisse place au passif, cf. Wright

(1896 : 42). Observons les deux exemples suivants :

(93) mtala?a al-ka?s-u

s’est rempli le verre-nominatif ‘‘Le verre s’est rempli.’’

(94) rtada3a al-3aduww-u

s’est replié l’ennemi-nominatif ‘‘L’ennemi s’est replié.’’

Page 80: Les 10 formes du verbe

80

A la forme I correspondante, on a :

(95) mala?a kariim-un al-ka?s-a

a rempli Karim-nominatif le verre-accusatif ‘‘Karim a rempli le verre.’’

(96) rada3a al-jayš-u al-3aduww-a

a repoussé l’armée-nominatif l’ennemi-accusatif ‘‘L’armée a repoussé l’ennemi.’’

Les formes VIII données en (93) et en (94) réalisent un morphème « t » à la

place de l’Objet nominal que l’on peut percevoir avec les formes I données en (95)

et en (96). Elles se comportent de la même manière que les formes VIII réflexives.

Cependant, les formes VIII dont il est question, ici, ne dénotent pas le réflexif mais

le passif.

Il est intéressant de rappeler ici que l’arabe classique a le moyen de former

un passif syntaxique. Un verbe comme « mala? » s’y prête parfaitement :

(97) muli?a al-ka?s-u

est rempli le verre-nominatif ‘‘Le verre a été rempli.’’

Quoiqu’on puisse voir dans la forme VIII « mtala? » un sens passif, la réalité

dont elle rend compte est différente de celle de la forme I passive « muli? ». En

effet, dans cette dernière, un agent peut être explicité et introduit dans la

proposition par une préposition :

(98) muli?a al-ka?s-u min qibal kariim-in

le verre-nominatif a été rempli de la part de Karim-génitif ‘‘Le verre a été rempli par Karim.’’

Quant à la forme « mtala? » donnée en (93), elle indique que l’argument qui

fait l’action est lui-même celui qui la subit ; conséquence de la réalisation du

morphème anaphorique « t ». On devrait, donc, pouvoir reconstituer la proposition

donnée en (93) comme suit :

Page 81: Les 10 formes du verbe

81

(99) *mala?a al-ka?s-u al-ka?sa

a rempli le verre-nominatif le verre-accusatif ‘‘Le verre a rempli le verre.’’

Ce qui laisse perplexe dans cet exemple c’est le fait que l’argument qui fait

l’action « mala? » ait le trait [-animé] ; c’est certainement ce qui explique que l’on

ait attribué un sens passif à la forme VIII « mtala? ». Pour avoir un réflexif, il faut

obligatoirement que le Sujet puisse faire une action (dont il sera également le

Patient), ce qui implique qu’il soit « agent » et qu’il ait le trait [+animé].

Une racine telle que √ml? indique une action et nécessite deux arguments :

un agent et un patient. Le premier doit avoir la propriété de «pouvoir remplir » et

le second celle de pouvoir « être rempli » ; soit « kariim » et « ka?s ».

Dans le cas présent, un des arguments de la racine s’est réalisé sous forme

d’un morphème « t » et l’argument qui s’est réalisé sous une forme nominal est

« ka?s » (verre). Il s’agit de l’argument que l’on retrouve, à la forme I, dans la

position Complément et qui a le trait [-animé]. Vu que cette forme VIII indique le

passif, on pourrait être tenté de penser que l’argument qui se réalise sous forme

pronominale n’est pas celui en position Complément, comme c’est le cas pour les

formes VIII réflexives, mais est celui qui est en position Spécifieur. Toutefois, nous

savons qu’une telle configuration n’est pas possible car un pronom « t » dans une

position où il n’aura pas d’antécédent ne pourra pas être lié et par conséquent la

formation du verbe échouera.

Ceci étant dit, si l’on a l’impression qu’avoir « ka?s » en position Sujet pose

un problème parce que ce dernier ne peut pas être agent, il ne faut pas ignorer qu’il

répond à la propriété « pouvoir remplir » dans le sens où l’on retient dans le mot

« ka?s » non pas le récipient ; comme c’est le cas pour ce même mot en position

complément d’Objet ; mais la capacité de contenance.

Ainsi, la présence du mot « ka?s » dans les deux positions Sujet et Objet, par

le biais de la coréférence, est envisageable. Néanmoins, vu que le Sujet réfère à un

Page 82: Les 10 formes du verbe

82

Objet inanimé qui ne peut pas faire une action, la valeur du réflexif se perd laissant,

ainsi, place au passif. On peut retrouver cette valeur avec des Sujets [+animé]

auquel cas, le passif provient du fait que l’événement dénoté par le verbe ne

supporte pas d’être fait et subit par une même personne ; c’est ce qu’on avec la

forme VIII « rtada3 » donnée dans l’exemple (94). En tout cas, le réflexif laisse

place au passif, quant il y a une lacune soit dans les traits du Sujet soit dans ceux du

verbe.

Ceci étant dit, un autre critère est à prendre en considération car il peut

être à l’origine de l’absence du réflexif ; il s’agit de la structure de la racine √ml?.

Nous pensons que cette racine est, comme la forme précédente, du type Racine-

Complément ;30 ce qui implique que l’argument Sujet qui sert d’antécédent au

morphème « t » est apporté par VP.

Il paraît ainsi que le fait que les arguments co-référents ne soient pas, tous

les deux, apportés par la racine, empêche la réalisation du réflexif. Il s’ensuit soit

un réciproque, si le Sujet est pluriel, ou à un passif, si le Sujet est [-animé].

Ceci étant dit, si le fait que VP apporte l’argument Sujet semble avoir une

incidence sur le sens de la forme VIII, il n’en est pas de même pour ce qui est de sa

structure. La forme VIII « mtala? » renferme la même structure qu’une forme VIII

réflexive, à savoir un argument Complément qui se réalise sous forme d’un

morphème « t » et qui prend pour antécédent l’argument Sujet (cf. (100) ):

30Nous n’avons pas encore les moyens, à ce stade de l’analyse, de démontrer cette proposition. Les critères qui permettent de reconnaitre une racine du type Racine-Complément seront apportés lors de l’analyse de la forme II et de la forme VII. Nous anticipons, ici, en disant que la racine √ml? s’y prête. Cependant, que la forme VIII ne puisse pas indiquer le réflexif avec ce type de racine montre que ces verbes ne sont pas de vrais transitifs et apporte un test supplémentaire pour discerner les racines du type Racine-Complément.

Page 83: Les 10 formes du verbe

83

V’

VP

V [CV] a

√P

√ml?

t [CV]

ka?s

(100)

Devant une même structure, le même processus est enclenché. En effet, la

forme VIII passive procédera aux mêmes mouvements et associations qu’une

forme VIII réflexive (cf. 3.1.2, sur l’exécution de la forme VIII réflexive).

4. Conclusion

Malgré les différentes interprétations que l’on attribue à la forme VIII, elle

reste la forme réflexive par excellence.

L’examen des différents emplois que l’on attribue à cette forme montre que

celle-ci instaure à chaque fois une coréférence entre les deux arguments dont

résulte, naturellement, le « réflexif ». Toutefois, le sens et la structure de la racine

ainsi que la nature ou le nombre de l’antécédent peuvent laisser interpréter cette

coréférence comme étant un réciproque ou un passif.

La forme VIII est produite lorsque l’argument Complément de la racine est

réalisé entant que morphème « t ». Ce morphème ne peut pas se maintenir à l’état

libre et fusionne avec la racine qui le sélectionne. Cette fusion est responsable de la

position qu’occupe « t » au sein de la forme VIII « fta3al ».

En effet, vu que la racine s’attache à la position C du premier CV auquel elle

est associée, elle va identifier le CV apporté par « t ». Lorsque la racine se déplace

en V, le CV auquel elle est associée prendra place à gauche du CV de V. Ce dernier

restant vide, accueille le morphème « t ». De la sorte la première position CV est

occupée par la première consonne de la racine et la deuxième position CV est

occupée par l’élément « t », d’où la position infixale du morphème « t » : « fta3al ».

Page 84: Les 10 formes du verbe

84

CHAPITRE 3

ANALYSE DE LA FORME II « fa33al »

1. Introduction

La forme II « fa33al » se distingue morphologiquement de la forme I

« fa3al » par la gémination de la deuxième consonne de la racine. Nous

interprétons la réalisation d’une géminée comme un signe de l’existence d’une

position CV supplémentaire dans son gabarit, comparé à celui de la forme I.

Cette forme est connue pour véhiculer :

a. le causatif,

Page 85: Les 10 formes du verbe

85

b. l’intensif,

c. l’estimatif,

d. un emploi dénominal.

Les diverses valeurs que l’on attribue à la forme II, soulèvent la question de

savoir s’il s’agit dans tous ces cas d’une même forme ou de plusieurs formes

homonymes. En effet, qu’une même forme puisse véhiculer deux réalités

grammaticales aussi disparates que le causatif et l’intensif, invite à discerner la

structure syntaxique qui se cache derrière.

L’analyse que nous proposons pour la forme II, permettra de :

a. élaborer une structure syntaxique unique ;

b. déterminer le statut et l’origine de la position CV dont émane la

gémination de la deuxième consonne radicale ;

c. saisir les différentes significations que peut dénoter la forme II « fa33al ».

Dans ce chapitre, nous commencerons d’abord par rappeler l’analyse

morphophonologique qui a été attribuée par Guerssel & Lowenstamm à la forme

II, pour voir en quoi consiste son gabarit ainsi que le mode d’association qui la

sous-tend. Ensuite, nous examinerons la forme II canonique, à savoir celle qui

véhicule le causatif, afin de cerner son environnement syntaxique et d’établir le

type de projections et de mouvements qui produisent une forme II. Enfin, nous

nous intéresserons aux emplois annexes, donnés en (b), (c) et (d) afin de s’assurer

qu’ils se soumettent à la même structure syntaxique et de découvrir la source des

différentes interprétations de cette forme.

Page 86: Les 10 formes du verbe

86

2. Quel gabarit pour la forme II ?

Rappelons que le gabarit unique qui sert à générer les dix formes verbales

de l’arabe classique est : CV-CV(CV)CVCV. Selon l’analyse morphophonologique

proposée par Guerssel et Lowenstamm, la forme II utilise la position

dérivationnelle (CV) pour géminer la deuxième consonne de la racine :

(101) f 3 l

CV (CV) CVCV a

Ainsi, pour réaliser une forme II « fa33al », il suffit d’identifier la position

(CV), dite dérivationnelle, par la deuxième consonne de la racine. La gémination de

la deuxième consonne est considérée comme conduisant à l’activation d’une

position tête du gabarit.

Signalons que cette position (CV) dérivationnelle sert également à produire

la forme III. Dans cette dernière, c’est la voyelle « a » qui se propage sur la position

V de ce CV. Face à cette situation, la question de savoir laquelle de la voyelle « a »

ou de la deuxième consonne de la racine va occuper le (CV) dérivationnel, se pose

d’emblée. Une des réponses possibles serait de dire que les deux cas se présentent,

et que selon l’élément qui active cette position (CV), on obtiendra soit une forme II

ou une forme III. Néanmoins, il serait intéressant de pouvoir prévoir, à l’avance, le

mode d’association qui s’effectuera et de voir ce qui stimule tel ou tel choix ; chose

que permet l’analyse syntaxique que nous proposons pour la forme II (et

ultérieurement pour la forme III).

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme II

Dans cette section, nous commencerons par traiter l’emploi principal d’une

forme II, à savoir le causatif, qui servira de point de départ pour dévoiler les

Page 87: Les 10 formes du verbe

87

projections qui constituent une forme II et le processus qu’elle suit dans sa

formation. Ensuite, nous nous intéresserons aux emplois annexes qui constituent

les différentes interprétations que peut avoir une forme II et qui sont tributaires,

comme nous le verrons par la suite, des propriétés de la racine. Signalons qu’un

des emplois annexe de la forme II, à savoir l’intensif, sera traité dans une sous

section indépendante et ce, pour l’importance qui est donnée à cet usage.

3.1. Le causatif, point de départ pour l’analyse de la forme II

Le causatif est l’emploi pour lequel la forme II est la plus connue. C’est en

étudiant la forme causative que l’on établira la structure syntaxique d’une forme II

« fa33al », après quoi elle servira de base de comparaison pour les autres usages

non-causatifs de la forme II.

Soit les exemples suivants d’une forme II causative :

(102) 3allama kariim-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a

a enseigné Karim-nominatif Ali-accusatif la natation-accusatif ‘‘Karim a enseigné la natation à Ali.’’

(103) Hammala kariim-un 3aliyy-an al-biDaa3at-a

a fait porter Karim-nominatif Ali-accusatif la marchandise-accusatif ‘‘Karim a fait porter la marchandise à Ali.’’

(104) farraHa al-?ab-u aT-Tifl-a

a rendu content le père-nominatif l’enfant-accusatif ‘‘Le père a rendu l’enfant content.’’

Voyons comment sont agencées les propositions avec la forme I

correspondante :

(105) 3alima 3aliyy-un al-Haqiiqata

a su Ali-nominatif la vérité-accusatif ‘‘Ali a su la vérité.’’

(106) Hamala 3aliyy-un al-biDaa3at-a

a porté Ali-nominatif la marchandise-accusatif

‘‘Ali a porté la marchandise.’’

Page 88: Les 10 formes du verbe

88

(107) fariHa aT-Tiflu

est content l’enfant-nominatif ‘‘L’enfant est content.’’

Les exemples avec les formes II laissent apparaitre un argument

supplémentaire par rapport à ceux avec les formes I correspondantes.31 En effet, la

proposition en (106) avec la forme I « Hamal » contient deux arguments (celui qui

fait l’action et le but de l’action) alors que celle en (103) avec la forme II

« Hammal » renferme trois arguments (celui qui fait faire l’action, celui qui fait

l’action et le but de l’action).

De même, la proposition en (107) avec la forme I « fariHa » contient un

argument (celui qui est dans un état) tandis que celle en (104) avec la forme II

« farraHa » renferme deux arguments (celui qui fait être dans un état et celui qui

est dans un état).

De surcroit, les formes II citées ci-dessus, manifestent un prédicat

supplémentaire par rapport aux formes I correspondantes :

(108) 3alima --> 3allama

[X sait] [Y fait X sait]

(109) Hamala --> Hammala

[X porte] [Y fait X porte]

(110) fariHa --> farraHa

[X est content] [Y fait X est content]

3.1.1. L’entrée en scène d’une nouvelle projection : vP

Les différents exemples cités ci-dessus montrent que la forme II apporte un

prédicat du type « faire »/« rendre » et ajoute un argument externe (un agent

causateur). Ces deux propriétés font la structure d’une forme II causative.

31. Wright (1896 : 31) souligne qu’à la forme II au sens causatif ou factitif, les verbes qui étaient intransitifs, à la forme I, deviennent transitifs et les verbes qui étaient transitifs deviennent bi-transitifs.

Page 89: Les 10 formes du verbe

89

Reprenons un de ces exemples :

(111) 3allama kariim-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a

a enseigné Karim-nominatif Ali la natation-accusatif ‘‘Karim a enseigné la natation à Ali.’’

La forme II « 3allam » peut être paraphrasée comme suit :

(112) ja3ala kariim-un 3aliyy-an ya-3lamu as-sibaaHat-a

a fait Karim-nominatif Ali- accusatif il sait la natation-accusatif ‘‘Karim a fait que Ali sache la natation.’’

Ainsi, la forme II « 3allama » qu’on traduit en français par « enseigner », se

laisse décomposer en [faire+savoir]. On peut reconstituer la proposition ci-dessus

comme suit :

(113) [Karim fait [3ali sait]]

Lorsqu’on passe d’une forme simple « 3alima » à une forme II « 3allam », on

indique que le Sujet, argument ajouté par la forme II, est l’Agent de « faire » et que

l’argument Objet, reste le Thème de « savoir ». Autrement dit, on garde la

proposition [3ali sait] et on lui ajoute une structure de causatif, de façon à indiquer

que cet événement a une cause extérieure :

[Karim fait] [3ali sait]

De la sorte, l’argument ajouté par la structure du causatif n’a pas un lien

direct avec l’événement « savoir ». Seul l’objet de « 3allam » qui est le thème de

« 3alim », est concerné par cet événement. Cette hypothèse est appuyée par le fait

qu’en arabe classique on dit :

(114) 3allam-tu-hu wa lam ya-ta3allam

J’ai enseigné-lui et ne pas il apprend ‘‘Je lui ai enseigné et il n’a pas appris.’’

Page 90: Les 10 formes du verbe

90

V’

VP

V

[CV] a

√P

√’

√3lm

sibaaHa

3ali

Cela indique que l’agent de « faire » n’est pas concerné par « savoir », il fait

en sorte que l’objet « sache » mais ce dernier peut bien avoir acquis le savoir

comme il peut bien ne pas l’avoir acquis.

De ce fait, la forme II se contente d’ajouter un verbe et un argument à

l’expression de base sans changer le rôle thématique de l’argument de celle-ci.

Cette propriété est primordiale dans la construction d’une forme II car c’est ce qui

déterminera le type de mouvements impliqués dans la construction de cette forme,

c’est ce qui va la distinguer d’une autre forme verbale causative dans le système, à

savoir la forme IV.

La forme II, contient non seulement ce qui peut être rendu par un verbe

supplémentaire, comparé à la forme de base, mais elle renferme également un

argument supplémentaire. Nous en concluons que la forme II contient une

projection supplémentaire par rapport à la forme de base.

Rappelons la structure syntaxique d’une forme I :

(115)

A la forme I, le Spécifieur de √P se déplace en position Spécifieur de VP, et

sera ensuite Sujet. La racine se déplace en V et s’associe à la position CV que

renferme cette tête et on obtient « 3alm ». La forme I « 3alim » réalise, en plus, une

Page 91: Les 10 formes du verbe

91

voyelle lexicale que la forme II ne contient pas, par conséquent, nous n’en

parlerons pas ici.32

Nous retrouvons cette partie de l’arbre syntaxique, telle qu’élaborée dans le

schéma (115), dans la structure de la forme II « 3allam ». Reste maintenant à

déterminer la partie qui fait la spécificité de la forme II, à savoir :

a. un verbe en plus

b. un argument en plus

c. la gémination de la deuxième consonne de la racine.

Etant donné que la forme II « 3allam » ajoute une projection qui comporte

un argument et un élément qui peut être rendu par un verbe du type

« faire »/ « rendre » qui n’est pas réalisé lexicalement et qui constitue un champ

sémantique très restreint, il va de soir qu’il ne sera pas question, dans cette forme,

de deux projections VP ayant chacune comme complément une projection √P.

De la sorte, si l’on accorde à la forme II la présence d’un verbe autre que

celui qui existe déjà à la forme I, il est certain que ces deux verbes ne sont pas de

même nature. En effet, la forme II « 3allam » contient un verbe construit à partir

d’une racine √3lm, qu’on appellera verbe lexical, et un autre, au sens de

« faire »/« rendre », établi par une structure syntaxique qu’on appellera verbe

fonctionnel.

Autrement dit, une forme II renferme un verbe que l’on retrouve à la forme

I, auquel elle ajoute une position verbale qui apporte un argument et une sorte de

verbe qui a une fonction syntaxique sans pour autant avoir un sens bien défini ou

un véritable contenu phonétique autonome (hormis la gémination de la deuxième

32. Cf. l’analyse syntaxique de la forme I, section sur la voyelle lexicale, P : 39.

Page 92: Les 10 formes du verbe

92

V’

vP

v’

VP

V

[CV] a

√P

v

[CV]

√3lm

kariim

3ali

√’

sibaaHa

V’

VP

√P

√3lm

3ali

√’

sibaaHa

V

[CV] a

consonne de la racine qui résulte de l’existence de cette position verbale

supplémentaire).

Ce genre de verbes est à rapprocher des verbes légers du français, quoique

ces derniers ont un contenu phonétique bien établi et peuvent dans d’autres

structures fonctionner comme un vrai verbe lexical. Ce qui importe c’est que les

verbes qui ressortent lorsqu’on paraphrase une forme II ont la même fonction que

les verbes légers.

De ce fait, la projection ajoutée par un verbe de forme II et qui ajoute un

argument et un verbe à la forme de base n’est autre que la projection vP.33 Nous

proposons, donc, que la forme II « 3allam », tout en disposant de la même structure

qu’une forme I « 3alim », à savoir une projection VP et une projection √P (116)a,

possède en plus une projection vP (116)b :

(116) a. b.

La projection vP procure une position tête qui permet d’ajouter un prédicat

et une position Spécifieur qui permet d’ajouter un argument. Étant donné que le 33. Le terme petit vP a été introduit par Chomsky (1995) repris dans (Kratzer 1996) pour distinguer les verbes inaccusatifs de leur contrepartie causative, exemple : « The ice melt vs The radiator melt the ice ». Dans le premier cas, il est question d’une structure simple avec un VP et dans le deuxième cas, il s’agit d’une structure complexe où on a introduit un vP qui sélectionne VP. Avant l’introduction du terme petit-vP, la représentation de ce genre de construction se faisait avec deux VP (VP Shell) (Cf. Chomsky 1955,1975 et Larson 1988). L’approche syntaxique de la causativité (en tant que bi-propositionnelle) est bien représentée dans la littérature, Cf. Kuroda (1965) ; Kayne (1975) ; Aissen (1979) ; Marantz (1985) ; Baker (1988) ; Hung (1988) ; Li (1990) ; Travis (1991) ; Koopman (1992).

Page 93: Les 10 formes du verbe

93

verbe sous v n’a pas un vrai contenu phonétique et vu que l’existence de cette

position a pour effet la gémination de la deuxième consonne de la racine, ce qui

s’explique en morphophonologie par l’existence d’une position (CV), nous

postulons que la position v contient une pure position CV.34

Ainsi, si le français réalise des verbes légers qui ont un contenu phonétique

bien établi mais un contenu sémantique quasi nul, l’arabe classique réalise dans

cette même position, une forme qui, en plus d’avoir un contenu sémantique limité,

a un contenu phonologique minimum représenté sous forme d’une seule position

CV.

Il ne faut pas voir dans cette discussion du parallèle avec les verbes légers

du français, que nous utilisons le français comme métalangage. Au contraire, nous

capitalisons sur le fait que l’arabe et le français disposent de ressources

différentes, pour mettre en valeur les stratégies propres de l’arabe. Comme montré

en (112), l’arabe peut recourir à des verbes légers de la même manière que le

français et réaliser lexicalement un verbe « faire » : « ja3al ». Cependant, l’arabe

dispose d’une autre stratégie que le français n’a pas : ‘la forme II’.

Cette forme II, quoique ne réalisant pas lexicalement un verbe du type

« ja3al » (faire), englobe, dans son sens même, ce qui peut être rendu par ce type

de verbes. N’oublions pas que cette forme manifeste une morphologie complexe

(comparée à une forme I), ce qui prédit l’existence d’une structure syntaxique plus

complexe (comparée à celle de la forme I) et dont va découler, certainement, un

sens complexe (comparé à celui de la forme I, plus précisément, de la racine).

De ce fait, pour rendre compte de ce sens supplémentaire qu’apporte une

forme II, nous serons amenés à le matérialiser et à le nommer ‘verbe léger’ parce

34. Nous parlons de CV au lieu de C car nous adoptons le cadre de l’hypothèse CVCV dans laquelle le niveau squelettal consiste en une alternance systématique de positions C et de positions V. Dans ce cadre théorique, la seule syllabe possible est CV.

Page 94: Les 10 formes du verbe

94

V’

vP

v’

VP

V 3 lm | [CV] a

√P

v [CV]

√3lm

kariim

3ali

√’

sibaaHa

3ali

que, comme vous allez le voir, les verbes qui vont apparaître lorsqu’on procède à

une paraphrase se limitent à « ja3al » (faire), « wajad » (trouver/estimer), bref, à

des verbes qu’on appelle généralement « verbes légers ». Que le lecteur ne soit pas

surpris de voir qu’on utilise le mot « verbe faire » ou « verbe estimer » quand celui

n’existe pas lexicalement. Il s’agit uniquement de rendre compte du sens qu’ajoute

la forme II et de montrer, justement, comment un sens peut être véhiculé sans qu’il

ait un support lexical.

3.1.2. Comment produire une forme qui gémine la deuxième consonne de la

racine ?

Afin d’avoir la forme II « 3allam » à partir de la structure en (116)b, une

série de mouvements est effectuée. Ces derniers dépendront essentiellement de la

structure profonde qu’on a dégagée de l’étude de l’exemple avec la forme

« 3allam » : [Karim fait [3ali sait]].35 En effet, on tiendra compte du fait qu’on a

d’abord [3ali sait] à quoi on ajoute [Karim fait].

De la sorte, comme on le voit en (117), le premier mouvement consiste à

déplacer la racine dans la position V, de la même manière que dans la forme I

« 3alim ». L’argument « 3ali » initialement en position Spécifieur de √P, se retrouve

dans la position Spécifieur de VP :

(117)

35 Nous rappelons au lecteur que le verbe « faire » dont nous parlons, ici, n’est pas réalisé lexicalement, comme c’est le cas en français. Il est déduit du sens de la forme II « 3allam » : « ja3ala-hu ya-3lam » (il fait savoir) et apparaît, donc, lorsqu’on paraphrase cette dernière.

Page 95: Les 10 formes du verbe

95

V’

vP

v’

VP

√P

v 3 lm | [CV]+[CV] a

√3lm

kariim

3ali

√’

sibaaHa

3ali V

3 lm | [CV] a

Ensuite, V monte dans v qui renferme également une position CV : 36

(118)

Suite à ce déplacement, V contenant une position CV, dont la position

vocalique est occupée par une voyelle « a » et dont la position consonantique est

présentement occupée par la première consonne de la racine, se retrouve à gauche

du CV sous v.

Ensuite, pour acquérir les traits d’aspect et d’accord, v se déplace, comme

montré en (119), dans la tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux

positions CV qui permettent l’association de la deuxième et la troisième consonne

de la racine. L’argument en position Spécifieur de vP finit dans la position

Spécifieur de AgrP :

36 Maintenant que VP est dominé par vP, c’est l’argument en position Spécifieur de vP qui acquerra le cas nominatif et aura la fonction Sujet. L’argument qui se trouve actuellement en position Spécifieur de VP aura le cas accusatif et la fonction Objet, ce qui explique la montée de V en v. Ajouté à cela que c’est le verbe sous v qui sera le verbe principal de la proposition, par conséquent, le morphème de la voix active contenu dans la position tête de VP doit se retrouver dans la position tête de vP.

Page 96: Les 10 formes du verbe

96

V’

vP

v’

VP

√P

√’

√3lm sibaaHa

kariim

3ali

3ali

Asp’

AspP

Agr’

AgrP

Asp 3 l m | | [CV][CV]+[CV] a

Agr 3 l m | | | [CV][CV][CV]+[CV] a

kariim

kariim

V 3 lm | [CV] a

v 3 lm | [CV]+[CV] a

(119)

On obtient, ainsi, quatre positions et une racine √3lm sous la position Agr.

L’association au gabarit se fera comme suit :

� La racine √3lm s’associe à la première tête vers laquelle elle s’est

déplacée, à savoir au CV de V ;

� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté

par AspectP ;

� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté

par AgreementP ;

Ce qui donne le gabarit suivant :

(120) 3 a l m

[C V] [C V] [C V] [C V]

V v Asp Agr

La position (CV) apporté par v se retrouve entre celle apportée par V et celle

apportée par AspectP. N’ayant pas de morphème qui lui soit associé et n’étant pas

Page 97: Les 10 formes du verbe

97

en première position, auquel cas il aurait été possible de la remplir avec une

consonne épenthétique, cette position sera remplie par l’une des consonnes de la

racine. Vu la place qu’elle occupe, le choix se fera entre la première et la deuxième

consonne de la racine. Cependant, la position V qui sépare la position C, accueillant

la première consonne de la racine, et la position C du (CV) en question n’est pas

vide37. Par conséquent, la première consonne de la racine ne pourra pas se

propager :

(121) * 3 l m

≠ C V (C V) C V C V a

C’est donc la deuxième consonne de la racine qui occupera la position CV

apporté par v. Avec une seule consonne attachée à deux positions consonantiques

on obtient une consonne géminée :

(122) 3 l m

C V (C V) C V C V a

Insistons, ici, sur le fait que nous proposons que la deuxième consonne de la

racine identifie la position CV de Aspect P. Sa propagation sur la position C du CV

apporté par v est effectuée, ultérieurement, pour des raisons purement

phonologiques. En aucun cas, la racine ne peut identifier à la fois la position V et la

position v, c’est soit l’une ou l’autre parce qu’il s’ensuit une différence

d’interprétation voire même une différence de forme. Une fois la première

consonne de la racine est associée à V, son association à la position v -par le biais

d’une autre consonne de la racine- devient exclue.

37 La représentation d’une géminée exige la présence de deux positions CV (CVCV) et exige que la position V qui sépare les deux C soit vide.

Page 98: Les 10 formes du verbe

98

Il s’avère, ainsi, la forme II « fa33al » renferme une structure de causatif qui

apporte l’argument externe et rend compte d’un verbe sous-spécifié qui tiendra

son sens « faire »/rendre » de la structure syntaxique elle-même mais également

de la racine qui se prête à cette interprétation. Ce verbe n’a pas un contenu

phonétique mais uniquement une position CV, celle-ci est la position

dérivationnelle que l’on retrouve dans l’analyse morphophonologique de Guerssel

& Lowenstamm.

Maintenant que l’on a établi que la forme II « fa33al » est obtenue, tout

simplement, avec une structure de causatif, reste à comprendre comment sont

réalisées les autres formes II non-causatives.

Sachant qu’une forme II renferme une racine qui peut avoir diverses

structures, à savoir :

a. une racine avec deux arguments dont l’un en position Spécifieur et l'autre

en position Complément ;

b. une racine sélectionnant un seul argument en position Spécifieur ;

c. une racine sélectionnant un seul argument en position Complément ;

d. une racine n’ayant aucun argument,

Et que chacun de ses arguments peut avoir divers rôles thématiques,

ajouté à cela, les traits sémantiques qui la distinguent, on peut dors et déjà

s’attendre à avoir autant de formes II que de structures différentes de la racine.

La question de savoir si ces formes II partagent la même structure que la

forme II causative ou uniquement la même apparence prosodique, se pose

d’emblée. Il est donc primordial d’étudier chacun des emplois annexes de la forme

II, d’examiner leur comportement syntaxique et sémantique et voir s’ils répondent

à la structure établie pour la forme II causative et à quel point.

Page 99: Les 10 formes du verbe

99

3.2. Intensif et causatif, deux réalités grammaticales distinctes sous le

même habit prosodique

La deuxième valeur pour laquelle est connue la forme II « fa33al » -après le

causatif- est l’intensif ; valeur qui lui est spécifique et qu’elle ne partage avec

aucune autre forme (contrairement au causatif que la forme II partage avec la

forme IV). Cette intensité, comme le note Wright (1896 :31), peut traduire soit la

violence de l’action (intensive), soit sa durée (temporally extensive), soit le

nombre de ses actants (numerically extensive), soit la fréquence ou la répétition de

l’action (iterative or frequentative).

Soit les exemples suivants d’une forme II intensive :

(123) kassara 3aliyy-un al-baab-a

a fracassé Ali-nominatif la porte-accusatif

‘‘Ali a fracassé la porte.’’

(124) farraqa 3aliyy-un al-jam3-a

a dispersé Ali-nominatif la foule-accusatif

‘‘Ali a dispersé la foule.’’

(125) qaTTa3a al-walad-u al-waraq-a

a découpé.en.petits.morceaux le garçon-nominatif le papier-accusatif ‘‘Le garçon a découpé le papier en petits morceaux.’’

Avec les formes I correspondantes, on a ce qui suit :

(126) kasara 3aliyy-un al-baab-a

a cassé Ali-nominatif la porte-accusatif ‘‘Ali a cassé la porte.’’

(127) faraqa 3aliyy-un al-jam3-a

a séparé Ali-nominatif la foule-accusatif ‘‘Ali a séparé la foule.’’

(128) qaTa3a al-walad-u al-waraq-a

a coupé le garçon-nominatif le papier-accusatif

‘‘Le garçon a coupé le papier.’’

Contrairement à la forme II véhiculant le causatif, la forme II intensive ne

provoque aucun changement quant au nombre des arguments. En effet, les forme

Page 100: Les 10 formes du verbe

100

II, données dans les exemples ci-dessus, réalisent les mêmes arguments que les

formes I correspondantes et chacun d’eux conserve le même rôle thématique et la

même fonction syntaxique.

Si l’on prend l’exemple en (123) et celui en (126), on voit que « 3ali » qui est

‘agent’ et Sujet à la forme I « kasara » reste ‘agent’ et Sujet à la forme II « kassar ».

De même, « al-baab » qui est ‘patient’ et Objet à la forme I, reste ‘patient’ et Objet à

la forme II ; c’est aussi le cas dans les deux autres exemples.

Toutefois, les formes II citées ci-dessus, présentent toutes un sens

d’intensité qui les différencient des formes I correspondantes :

(129) kasar --> kassar

[X casse] [X casse plusieurs fois]

(130) faraq --> farraq

[X sépare] [X sépare en petits groupes/ plusieurs destinations]

(131) qaTa3 --> qaTTa3

[X coupe] [X coupe en petits morceaux]

Ce sens qu’ajoute la forme II intensive est comparable à celui qu’on aurait

avec un adverbe tel que « intensément », « abondamment »…etc., mais aussi à celui

qu’on aurait dans le cas d’une réduplication, comme si « kassar » (casser plusieurs

fois) était en réalité « kasar kasar » (casser casser).

3.2.1. L’intensif, une dégénérescence de la structure du causatif

Le fait que la forme II intensive n’apporte pas un argument externe ni un

prédicat qui peut être rendu par un verbe du type « faire », comme c’est le cas avec

la forme II causative, sème le doute quant à son appartenance à cette même classe.

Il est donc primordial d’examiner cette forme pour voir si elle partage la même

structure que la forme II causative ou au moins quelques propriétés dont

résulterait une prosodie identique.

Page 101: Les 10 formes du verbe

101

Reprenons un des exemples que nous avons cités antérieurement :

(132) kassara 3aliyy-un al-baab-a

a fracassé Ali-nominatif la porte-accusatif

‘‘Ali a fracassé la porte.’’

Sachant qu’à la forme I on a la proposition suivante :

(133) kasara 3aliyy-un al-baab-a

a cassé Ali-nominatif la porte-accusatif

‘‘Ali a cassé la porte.’’

Le passage d’une forme I à une forme II, change la forme verbale elle-même

mais n’affecte pas le nombre d’arguments. Partant du principe que la structure

d’une forme II comporte une projection vP qui apporte le causatif et l’argument

supplémentaire, la forme II « kassar » ne semble pas répondre à ces critères.

D’abord, car elle ne contient pas un argument en plus par rapport à ce que

contenait la forme I, ensuite parce qu’elle ne dénote pas le causatif ou une

quelconque autre signification qui pourrait être rendue par un verbe léger et qui

serait tributaire du sens de la racine.

La forme II intensive « kassar » constitue un défi parce qu’à la fois elle

gémine la deuxième consonne de la racine et a exactement la même allure qu’une

forme II causative mais en même temps, elle ne semble pas avoir la même

structure syntaxique.

L’hypothèse que nous tenons tout au long de cette thèse est que les formes

verbales dépendent d’une structure syntaxique bien déterminée qui conditionne

leur morphologie. De ce point de vue, si deux formes ont exactement la même

forme, elles doivent avoir la même structure puisque c’est la structure syntaxique

qui conditionne la forme.

De la sorte, ou bien la forme II intensive représente un contre exemple et

montre que deux formes identiques morphophonologiquement puissent avoir

deux sources syntaxiques distinctes ou alors ce qui distingue la forme II intensive

Page 102: Les 10 formes du verbe

102

V’

VP

V [CV] a

√P

baab

√ksr

3ali

de la forme II causative ne réside pas dans la partie de la structure qui engendre la

gémination de la deuxième consonne de la racine et trouve son explication ailleurs

Avant de déterminer la structure de la forme II « kassar », il convient de

revenir à la structure de la forme I « kasar » :

(134)

La racine √ksr fait partie de ces racines qui n’ont qu’un seul argument dont

le rôle thématique est ‘patient’ et dont la position est Complément38. A la forme I,

l’argument ‘patient’ de la racine reste dans sa position Complément de √P et aura

la fonction d’Objet direct. Vu que l’unique argument de la racine ne peut pas

monter à la position Spécifieur de VP et par la suite avoir la fonction Sujet -puisque

seul l’argument qui occupe la position Spécifieur de √P peut le faire- un argument

est directement sélectionné par V. De ce fait, à la forme I « kasar », un argument est

ajouté à la grille thématique de la racine en VP pour doter le verbe d’un sujet.

Proposer qu’une racine telle que √ksr possède un seul argument qu’elle

place en position Complément de √P -auquel cas l’argument Sujet qui apparait à la

forme I est en réalité ajouté par VP- permet d’élucider à la fois le problème de la

forme II intensive mais également celui de la forme VII « nkasar »39. Une relation

étroite existe entre ces deux formes dans le sens où les racines qui se prêtent à une

forme VII, lorsqu’elles forment une forme II, celle-ci indique l’intensif. Ceci n’est

évidemment pas dû au sens des racines en question mais à leur structure. Cette

dernière leur permet d’avoir une forme VII et leur procure un emploi intensif à la

forme II. 38Cf. chapitre sur l’analyse de la forme I, P 41. 39 Cf. chapitre sur l’analyse de la forme VII, P 246.

Page 103: Les 10 formes du verbe

103

De ce fait, si l’on admet que la racine √ksr contient un seul argument, le

problème du nombre des arguments de la forme II « kassar » est résolu, puisque

cette dernière en réalise deux. Ainsi, la forme II intensive apporte bel et bien un

argument supplémentaire à la racine de la même manière qu’une forme II

causative. Ce problème résulte du fait que l’on compare la forme II à la forme I, tout

en ignorant que dans cette dernière un argument est ajouté en VP pour doter la

forme verbale d’un Sujet.

Sachant qu’à la forme II, vP apporte un argument Sujet, nul besoin d’en

ajouter un en VP. Nous poserons, ici, la contrainte suivante :

(135) ‘Ne pas ajouter plus d’un argument nominal à la grille thématique de la racine’.

Reste maintenant à expliquer la deuxième propriété qui distingue une forme

II intensive d’une forme II causative, à savoir la raison pour laquelle la forme

intensive ne véhicule pas le causatif alors qu’il s’avère qu’elle renferme une

position v et donc, une structure de causatif.

Rappelons, tout d’abord, que la forme II « kassar » ne dénote pas exactement

le même sens que la forme I « kasar », elle ajoute un trait sémantique par rapport à

la forme de base qui se trouve être ici « l’intensif ». Cet intensif, comme nous

l’avons signalé, peut être rendu par une réduplication du verbe : « kasar kasar »,40

ce qui renforce l’hypothèse de l’existence d’un niveau verbal supplémentaire. Bien

évidement, ici la réduplication n’est pas réalisée explicitement de la même manière

que le verbe léger « faire », que l’on fait ressortir dans les formes II causatif, n’est

pas réalisé.

Nous avons montré que dans une forme II « kassar », la racine n’apporte pas

un argument en position Spécifieur et contrairement à la forme I « kasar », aucun

argument ne sera apporté par VP. Par conséquent, aucun argument n’occupera la

40 Certaines langues bantous rédupliquent explicitement le verbe pour indiquer l’intensité.

Page 104: Les 10 formes du verbe

104

V’

vP

v’

VP

baab

V [CV] a

√P

v [CV]

√ksr

3ali

position Spécifieur de VP. C’est cette propriété qui va distinguer une forme II

causative d’une forme II intensive. En effet, avec une forme II causative telle que

« 3allam », on avait la structure donnée en (136) alors qu’avec la forme II intensive,

on a la structure donnée en (137):

(136) [Karim v [3ali 3alima as-sibaaHa]]

(137) [3ali v [ø kasara al-baab]]

En l’absence d’un deuxième agent (Cf. (137)), la prédication qu’apporte v ne

peut pas être rendue par un verbe « faire ». La structure de la racine, voire

l’absence de deux agents dans cette structure (Cf. (137)), élimine d’emblée le sens

causatif ainsi que tout autre sens supposant l’existence d’un ‘agent’ qui agit, de

quelque manière que ce soit, sur un autre ‘agent’ ou ‘thème’. Le sens « intensité »

sera acquis après le déplacement de la racine de V en v car avec un niveau verbal

en plus, on obtient une sorte de réduplication « kasar kasar ».

Ainsi, si la forme II intensive n’indique pas le causatif c’est tout simplement

à cause de la structure de la racine qu’elle inclut. De la sorte, la forme II « kassar »

renferme la même structure syntaxique que la forme II causative, à savoir une

projection vP qui domine deux projections VP et √P :

(138)

La projection vP apporte l’argument Sujet de la même manière que dans une

forme II causative. Quant à la position Spécifieur VP, elle restera vide puisqu’il n’y a

pas un argument en position Spécifieur de √P qu’elle pourra accueillir et vu que VP

ne peut pas apporter son propre argument (Cf. postulat donné en (135)).

Page 105: Les 10 formes du verbe

105

V’

vP

v’

VP

baab

V ksr | [CV] a

√P

v [CV]

√ksr

3ali

V’

vP

v’

VP

baab

√P

v ksr | [CV]+[CV] a

√ksr

3ali

V ksr | [CV] a

Maintenant que l’on a résolu le problème de l’absence prétendue d’un

argument supplémentaire et de l’inexistence du sens causatif dans les formes II

intensives, intéressons-nous au processus de formation du verbe « kassar ».

3.2.2. Une même structure, une même forme, un même processus

Comme la forme II causative, la forme II intensive réalise une géminée au

niveau de la deuxième consonne de la racine et réalise la voyelle « a » dans la

même position que la forme I. Par conséquent, la forme II intensive suivra le même

processus de formation que la forme II causative.

Il suffit que la racine √ksr monte en V et s’associe à la position C du CV

contenu dans ce dernier :

(139)

Que V monte en v et se mette à gauche de la position CV contenue dans ce

dernier :

(140)

Page 106: Les 10 formes du verbe

106

V’

vP

v’

VP

√P

√ksr baab

3ali

Asp’

AspP

Agr’

AgrP

Asp k s r | | [CV][CV]+[CV] a

Agr k s r | | | [CV][CV][CV]+[CV] a

3ali

3ali

V k sr | [CV] a

v k sr | [CV]+[CV] a

Ensuite, v se déplace en Aspect puis en Agreement et acquiert deux

positions supplémentaires :

(141)

Suite à la montée de V, la position CV apportée par v se retrouve à

l’intérieur du gabarit, ce qui empêche la réalisation d’une consonne épenthétique

pour occuper la position consonantique de ce CV. De même, la réalisation de la

voyelle « a » après la première consonne de la racine empêche cette dernière de se

propager et remplir cette position. C’est la deuxième consonne de la racine qui,

initialement identifie le CV de Asp. qui se propagera et se réalisera comme

géminée :

(142) k a s r

[C V][C V][CV][CV] V v Asp Agr

Il s’avère ainsi que la forme II intensive a la même structure que la forme II

causative. C’est la structure argumentale de la racine qui est à l’origine de

l’interprétation intensive de la forme II. Le fait que cette racine ait pour seul

argument un patient qui occupe la position Complément de √P et le fait qu’il soit

Page 107: Les 10 formes du verbe

107

impossible d’ajouter deux arguments externes à la grille thématique d’une racine

font que la forme II produite par cette structure se trouve dotée d’un sens

intensif41. L’absence de deux arguments ‘agent’ explique l’absence du causatif.

De la sorte, une forme II intensive n’est autre qu’une forme II causative

ayant sélectionné une racine dont la structure argumentale ne comporte qu’un

Complément dont le rôle thématique est ‘patient’.

3.3. Structure du causatif sans causatif

Dans cette sous-section seront traités deux emplois annexes de la forme II. Il

s’agit de la forme II dite estimative et de la forme II dénominale. Nous proposons

de voir de quoi découlent ces usages et, par la suite, découvrir ce qui fait barrage à

la réalisation du sens causatif. Nous nous assurerons que ces deux emplois

mobilisent la même structure syntaxique qu’une forme II causative quoique ne

véhiculant pas cette valeur.

41. Dire que toute forme II qui indique l’intensif est forcément construite à partir d’une racine à un seul argument en position Complément peut paraître comme une hypothèse forte. On pense tout de suite au verbe « tuer » qui est considéré en français comme un verbe transitif par excellence alors qu’en arabe, ce verbe indique l’intensif à la forme II « qattal ». Toutefois, si l’on sait qu’en arabe ce verbe n’accepte pas le sens réflexif, contrairement au français où on a facilement « se tuer », et qu’au réciproque ce verbe n’indique pas que l’un a tué l’autre mais que l’un a combattu l’autre, on se rend compte que « qatal » n’est pas équivalent à « tuer ». Le verbe « qatal » en arabe classique se comporte comme ces verbes à argument unique Complément dans le sens où le sujet reste externe à l’événement dénoté par le verbe : le sujet fait une action (telle que poignarder avec un couteau, tirer avec une arme ou autre) qui peut entraîner ou non la mort de l’Objet. C’est l’objet qui est étroitement lié à l’événement du verbe contrairement à ce qu’on a avec des racines à deux arguments où le sujet est l’argument apporté par la racine. De la sorte, nous ne considérons pas ce verbe comme un contre exemple et nous rappelons que le type de racine à argument Complément se réalise en tant que transitive à la forme I, grâce à un argument apporté par VP. Cependant, ce type de verbe a d’autres propriétés qui le distinguent des vrais transitifs. Malencontreusement, la racine √qtl ne se prête pas à une forme VII, test irréfutable pour consolider notre hypothèse, mais il faut ajouter qu’il ne suffit pas d’avoir la structure adéquate pour se prêter à une forme donnée, il faut également que le sens le permette. De la sorte, le verbe « qatal » reste un verbe complexe mais ne permet pas de mettre en cause la généralisation établie pour les formes intensives.

Page 108: Les 10 formes du verbe

108

3.3.1. Quand ‘faire’ devient ‘estimer’

Wright (1896 : 31) reconnait à la forme II une valeur dite estimative ou

déclarative, dans le sens où on estime ou on déclare la personne comme ayant la

qualité relaté par le verbe. Voici quelques exemples :

(143) Saddaqa kariim-un 3aliyy-an

a donné raison Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a donné raison Ali.’’

(144) kaddaba kariim-un 3aliyy-an

a démenti karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a démenti Ali.’’

Avec les formes I correspondantes, on a :

(145) Sadaqa 3aliyy-un

a raison Ali-nominatif ‘‘Ali a raison.’’

(146) kadiba 3aliyy-un

a menti Ali-nominatif ‘‘Ali a menti.’’

Pareillement aux formes II indiquant le causatif, les formes II dites

estimatives réalisent un argument supplémentaire et ajoutent un élément

sémantique aux formes I.

En effet, la forme I « Sadaq » en (145) réalise un seul argument alors que la

forme II « Saddaq » en (143) en réalise deux. De même, la forme I « kadib » en

(146) réalise un seul argument tandis que la forme II « kaddab » en (144) en

réalise deux.

Ces formes II réalisent un prédicat supplémentaire par rapport aux formes

de base qui peut être rendu par un verbe [estimer]:42

42 Nous rappelons au lecteur que le verbe « estimer » dont nous parlons, ici, n’est pas réalisé lexicalement, comme c’est le cas en français. Il est déduit du sens de la forme II dite estimative et apparaît lorsqu’on paraphrase cette dernière.

Page 109: Les 10 formes du verbe

109

V’

vP

v’

VP

3ali

V [CV] a

√P

v [CV]

√Sdq

kariim

(147) Sadaqa --> Saddaqa

[X a raison] [Y estime X a raison]

(148) kadiba --> kaddaba

[X ment] [Y estime X ment]

L’argument apporté par la forme II est l’agent du prédicat qui peut être

rendu par « estimer » et l’argument réalisé à la forme I reste lié au prédicat « avoir

raison/menti ». Cette interprétation « estimer » donnée au prédicat ajouté par la

forme II a fait en sorte que les grammairiens ne classent pas ces quelques verbes

parmi les formes II causatives, restreintes aux formes ajoutant des prédicats dont

le sens peut être rendu par « faire/rendre », et créent une nouvelle classe qu’ils

appellent « forme II à valeur estimative ou déclarative».

Examinons de près la forme II « Saddaq » donnée en (143). Cette forme dite

estimative ajoute un argument et un prédicat à la forme de base comme le fait la

forme causative. Cependant, la forme II, dont il est question ici, n’ajoute pas une

valeur causative à la forme I « Sadaq » qui peut être interprétée comme « faire +

Sadaq », mais ajoute un estimatif qui peut être interprété comme : « estimer +

Sadaq ».

En dépit de cette distinction, le fait d’ajouter un argument et un sens

supplémentaire pouvant être rendu par un verbe léger, plus le fait de réaliser une

géminée de la même manière qu’une forme causative, indique que la forme II

estimative englobe également une projection vP et suit le même processus de

formation qu’une forme II causative. Ainsi, la structure de la forme II « saddaq » se

présente comme suit :

(149)

Page 110: Les 10 formes du verbe

110

Si la forme II estimative « Saddaq » a la même structure que la forme II

causative mais a une interprétation distincte, la cause ne peut résider que dans ce

qui fait la différence entre ces deux formes, à savoir la racine. Si on met la racine

√3lm dans une structure causative, on obtient un causatif, mais si l’on met la racine

√Sdq dans la même structure, on obtient un estimatif.

On sait que v n’a pas un contenu sémantique bien déterminé et représente

uniquement un niveau verbal avec une position CV. Tout ce qu’on a à ce niveau

c’est un deuxième prédicat qui apporte un argument externe ‘agent’. Le sens de ce

prédicat est établi voire résulte du sens de la racine. En effet, c’est la nature de la

racine, à savoir si elle dénote une action ou un état, et sa structure, à savoir si elle a

un seul argument ou si elle en a deux mais aussi le rôle thématique de ses

arguments, qui vont donner une interprétation à l’élément ‘verbe’ sous v.

Ainsi, si dans une construction du type [karim v [3ali 3alima as-sibaaHa], le

sens rendu par v est « faire », dans la construction du type [karim v [3ali Sadaq] le

sens rendu par v est « estimer ». La racine √Sdq denote un evenement qui ne peut

pas être provoqué par un tiers agent, par conséquent, son sens empêche

l’émergence d’un causatif et fait apparaître à la place un estimatif.

La forme II estimative suit le même processus de formation que la forme II

causative et effectue, donc, les mêmes mouvements syntaxiques que cette dernière.

Le lecteur pourra revenir à la sous-section 3.1.2 où l’exécution d’une forme II est

détaillée.

3.3.2. Du nom au verbe

Wright (1896 : 32) considère que la forme II sert aussi à dériver des verbes

à partir de noms ; ce qu’ils appellent une forme verbale dénominale. Cela

correspond dans notre hypothèse, aux verbes formés d’une racine qui renvoie à un

objet du monde et qui a la particularité de n’avoir aucun argument.

Page 111: Les 10 formes du verbe

111

Voici quelques exemples avec la forme II :

(150) xayyama 3aliyy-un

a campé Ali-nominatif ‘‘Ali a campé.’’

(151) Rarraba 3aliyy-un

est parti à l’ouest Ali-nominatif ‘‘Ali est parti vers l’ouest.’’

(152) Qawwasa daHru kariim-in

est courbé dos-nominatif Karim-génitif

‘‘Le dos de Karim est courbé.’’

Et voici les formes nominales correspondantes, construites à partir de la

même racine :

(153) ?aqaama 3aliyy-un xaymat-an

a dressé Ali-nominatif une tente-accusatif ‘‘Ali a dressé une tente.’’

(154) dahaba 3aliyy-un ila al-Rarb-i

est parti Ali-nominatif à l’ouest-génitif ‘‘Ali est parti à l’ouest.’’

(155) Saara Dahru kariim-in ka al-qawsi

est devenu dos-nominatif Karim-génitif comme un arc-génitif

‘‘Le dos de Karim est devenu comme un arc.’’

La forme II « xayyam », donnée en (150), qui signifie ‘dresser une tente’

voire ‘camper’ est considérée comme étant dérivée du nom « xayma » (Tente), la

forme II « Rarrab », donnée en (151), qui signifie ‘partir à l’ouest’ est considérée

comme étant dérivée du nom « Rarb» (Ouest) et la forme II « qawwasa », donnée

en (152), qui signifie ‘prendre la forme d’un arc’ voire ‘courber’ est considérée

comme étant dérivée du nom « qaws » (arc).

Comme on peut le voir dans les exemples ci-dessus, la forme II dite

dénominale et donc, formée d’une racine n’ayant aucun argument, en manifeste un.

Ceci laisse penser qu’elle agit pareillement que la forme II causative et englobe

donc une structure qui lui confère un argument ‘agent'.

Page 112: Les 10 formes du verbe

112

De surcroit, elle ajoute un élément verbal qui semble être assez hétérogène

et qui dépend d’une manière étroite du sens de la racine. En effet, si toutes les

formes II causatives peuvent être décomposées en [‘faire’+verbe] et les formes

dites estimatives en [‘estimer’+verbe], les formes II dénominales, quant à elles,

donnent au premier prédicat un sens qui semble être directement lié à la racine et

qui est difficile à regrouper dans un champ lexical donné.43

Signalons que la forme I permet également de dériver des verbes à partir de

racines qui ne projettent aucun argument. Rappelons-le, VP a la possibilité

d’apporter un argument. Pour comprendre ce qu’apporte un vP par rapport à un

VP dans le cas de la racine nominale voyons ce qui fait la différence entre la forme I

« Raruba »44 et la forme II « Rarrab », puisque cette racine réalise les deux formes

et permet donc de procéder à une comparaison.

Reprenons l’exemple avec la forme II « Rarrab » cité en (151) :

(156) Rarraba 3aliyy-un

est parti à l’ouest Ali-nominatif ‘‘Ali est parti vers l’ouest.’’

À la forme I, on a :

(157) Rarub-at aš-šams-u

est parti.à.l’ouest. le soleil-nominatif

‘‘Le soleil s’est couché.’’

La forme I « Rarub », donnée en (157), indique « être à l’ouest » alors que la

forme II « Rarrab », donnée en (156), indique « partir vers l’ouest ». Il semblerait

ainsi qu’avec une racine ‘nominale’, on obtient sous V un événement « être » et

sous v un événement « faire » ou « action » qui peut prendre diverses significations

43 Nous rappelons au lecteur que le verbe « faire » ou « estimer » dont nous parlons, ici, n’est pas réalisé lexicalement, comme c’est le cas en français. Il est déduit du sens de la forme II et apparaît lorsqu’on paraphrase cette dernière. 44 L’emploi de ce verbe « Rarub » va s’élargir et il ne s’appliquera pas uniquement pour indiquer le coucher du soleil mais pour indiquer aussi « disparaitre de la vue de quelqu’un».

Page 113: Les 10 formes du verbe

113

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

v [CV]

√Rrb

3ali

selon la racine ; ici on a un verbe de mouvement puisque la racine indique une

destination.

Signalons que toutes les formes II dénominales n’ont pas toujours une forme

I correspondante. C’est le cas avec « xayyam » ; une forme I « *xayam » n’est pas

attestée dans la langue. En effet, une racine telle que √xym ne tolère pas un

événement « être » et ne peut former un verbe que si elle est enchâssée dans une

structure qui lui procure un événement « faire », chose que fait vP. Ceci prouve

qu’une forme II dénominale a bel et bien une projection vP.

Ainsi, la forme II dénominale se distingue des autres formes II qu’on a vues

jusqu’à présent, seulement, par le fait qu’elle est créée à partir d’une racine qui n’a

pas d’arguments.

De ce fait, la structure de la forme II dénominale «Rarrab » se présente

comme suit :

(158)

Le sens supplémentaire produit par la forme II dénominale est en relation

directe avec celui de la racine. Ici, comme cette dernière indique une direction

« Ouest », le sens qui découle de la présence de la projection vP, peut être rendu

par un verbe de mouvement « partir vers l’Ouest».

La forme II dénominale renferme plusieurs significations qu’on ne peut pas

limiter de la même manière que pour la forme causative ou la forme estimative.

Chaque forme dénominale a un sens différent qui dépend étroitement de la racine.

La structure de la forme II ne fournit que le niveau verbal, et vu que la racine n’a

Page 114: Les 10 formes du verbe

114

pas d’arguments et ne dénote ni une action ni un état, le sens que la forme obtient

sous v est tout simplement « action », laquelle sera façonnée suivant le sens de la

racine.

Il existe un autre cas de forme II dénominale qui présente une particularité

par rapport aux autres exemples cités ci-dessus et qui, comme on va le montrer,

soulève quelques problèmes, le voici :

(159) Da33afa kariim-un al-marduud-a

a doublé Karim-nominatif le rendement-accusatif ‘‘Karim a doublé le rendement.’’

La forme II « Da33af » est considérée comme correspondant à une forme

nominale « Di3f » (double) :

(160) HaSSal Kariim-un Di3f-a al-marduud-i

a eu Karim-nominatif double-accusatif le rendement-génitif ‘‘Karim a eu le double du rendement.’’

Comme vous pouvez le constater, la forme « Da33afa » considérée comme

dénominale et donc, construite à partir d’une racine qui n’a aucun argument, en

réalise deux. Ceci nous conduit à se poser des questions quant à la nature de la

racine qu’on appelle ‘nominale’ et qu’on définit comme une racine qui ne projette

aucun argument, et à se demander si elle peut, dans certains cas, avoir un

argument Complément. Si ce n’est pas le cas, la deuxième possibilité qui reste à

envisager, est que la structure de la forme II a la possibilité d’ajouter deux

arguments au lieu d’un seul.

Admettre que deux arguments sont ajoutés à la racine par la structure

verbale va à l’encontre du postulat établi en (135), à savoir ne jamais ajouter plus

d’un argument à la grille thématique de la racine. En traitant le cas de la forme II

intensive, nous avons été amené à postuler que lorsqu’un argument est ajouté en

vP cela interdit à VP d’en apporter un.

Page 115: Les 10 formes du verbe

115

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

marduud

v [CV]

√D3f

kariim

Néanmoins, si l’on s’attarde un moment sur le postulat en question, on voit

que ce que l’on dit c’est qu’en aucun cas, il ne faut ajouter plus d’un argument à la

grille thématique d’une racine.45 Et rappelons-le, une racine nominale n’a pas de

grille thématique. Les choses deviennent plus claires : lorsqu’une racine possède

un ou deux arguments, on ne peut ajouter qu’un seul argument mais si elle n’en a

aucun, la contrainte ne s’applique pas.

De ce fait, nous présumons qu’une racine qui n’a aucun argument ne se

soumet pas au postulat en (135) et peut alors avoir deux arguments lorsque la

structure le permet. Cet exemple ne constitue donc pas une contradiction mais

apporte une nouvelle information sur la structure des racines et montre un autre

point qui distingue ce qu’on peut appeler ‘une racine verbale’ d’une ‘racine

nominale’.

Ainsi, la forme « Da33af » recevra, en plus de l’argument Sujet apporté par

vP, un argument Objet apporté par VP :

(161)

Il s’avère ainsi que la forme II dénominale est tout simplement une forme II

qui renferme une racine ‘nominale’, c’est-à-dire, une racine qui ne possède aucun

argument. La projection vP apporte un argument Sujet mais le fait de ne pas avoir

deux arguments dans cette structure déjoue le sens ‘causatif ‘ mais procure à cette

forme le sens « action », sens qui sera par la suite précisé selon les traits

45 Cela revient à dire que lorsqu’un verbe est intransitif, il peut être enchâssé dans une structure qui le rend transitif. De même, lorsqu’un verbe est transitif, il peut être enchâssé dans une structure qui le rend bi-transitif. Le cas ne s’est jamais présenté qu’un verbe intransitif devient bi-transitif.

Page 116: Les 10 formes du verbe

116

sémantique de la racine. Cependant, dans les cas où VP apporte également un

argument, le sens causatif refait surface, comme dans la forme II « Da33af ».

La forme II dénominale ayant la même structure qu’une forme II canonique

et la même morphologie, suivra le même processus de formation que cette

dernière. (Cf. section 3.1.2).

4. Conclusion

En dépit des différents emplois dans lesquels peut apparaître une forme II et

des diverses significations qu’on lui attribue, sa structure syntaxique est unique.

Toutes les formes II qui géminent la deuxième consonne de la racine ont une même

structure à savoir une projection vP, en plus de la projection VP et de la projection

√P, et suivent le même procédé de formation.

Ce qui change c’est la contribution de la racine qui, selon qu’elle apporte ou

non un argument en position Spécifieur, va avoir une incidence quand à la

sémantique de la forme II. En effet, selon l’un ou l’autre cas on se retrouve soit avec

une structure qui renferme deux agents, ce qui donnera un causatif ou un estimatif

ou alors avec une structure qui renferme un seul agent ce qui donnera l’intensif.

Pour ce qui est de l’élément v, il forme une structure verbale supplémentaire

et s’ajoute au verbe lexical, constitué par la racine et V. Il forge son sens en prenant

en compte celui de la racine et peut être glosé soit par « faire », « estimer » ou tout

simplement « action » et ce, dans le cas de la forme II dénominale, ou plus encore, il

peut se contenter de constituer juste une position supplémentaire et ce, dans le cas

de la forme II intensive. Ce verbe n’a pas un vrai contenu phonétique et se

manifeste sous forme d’une position minimale, à savoir un [CV].

Page 117: Les 10 formes du verbe

117

CHAPITRE 4

ANALYSE DE LA FORME V « ta-fa33al »

1. Introduction

La forme V « ta-fa33al » fait partie de ces formes qui réalisent deux variations

par rapport à une forme I. En effet, cette forme manifeste un préfixe « ta- » et gémine la

deuxième consonne de la racine. Par sa première propriété, elle rejoint les formes qui

réalisent un morphème « t » et qui s’avèrent être réflexives, et par sa deuxième

propriété, elle est rapprochée de la forme II.

De la sorte, une forme V « ta-fa33al » renferme morphologiquement une

forme II « fa33al », à laquelle elle ajoute un morphème « t » : « ta+fa33al », ce qui

Page 118: Les 10 formes du verbe

118

lui a valu d’être considérée comme étant la version réflexive de la forme II

« fa33al ». Sémantiquement également, cette forme est à rapprocher de la forme II.

En effet, la forme V peut rendre compte d’un :

a. causatif

b. intensif

c. une signification qu’on peut traduire par « se montrer »

d. un emploi dénominal

L’analyse que nous proposons pour la forme V « ta-fa33al » permettra de

déterminer sa structure syntaxique et fera ressortir la partie qu’elle a en commun

avec la forme II. Elle permettra également de comprendre la position préfixale du

morphème du réflexif « t » qui a le même statut et la même fonction que dans une

forme réflexive VIII « fta3al » où il est réalisé comme infixe.

Nous commençons par rappeler le gabarit qui sous-tend une forme V.

Ensuite, nous examinerons la forme V prototype, c’est-à-dire, celle qui indique le

réflexif du causatif, afin d’établir sa structure syntaxique et voir les projections

qu’elle renferme ainsi que le processus qu’elle suit dans sa formation. Enfin, nous

nous intéresserons aux emplois annexes d’une forme V pour vérifier qu’ils se

soumettent à la même structure et discerner ce qui est à l’origine de ces variations

d’interprétation dont ils font l’Objet.

2. Quel gabarit pour la forme V ?

Selon l’analyse morphophonologique proposée par Guerssel et

Lowenstamm, la forme V « ta-fa33al» utilise le CV- préfixal pour associer le

morphème « t », et le (CV) dérivationnel pour géminer la deuxième consonne de la

racine. Une autre façon de le dire est que la forme V est le résultat de la

concaténation du suffixe « t » à la forme II, comme montré en (162) :

Page 119: Les 10 formes du verbe

119

(162) t f 3 l

CV- CV(CV) CV CV a a a

La voyelle « a » associée à la deuxième position CV est la même que l’on

retrouve à la forme I ; c’est la voyelle qui appartient à la tête V. Quant aux deux

autres voyelles, elles sont considérées comme étant des copies de cette voyelle

« a » :

(163) t f 3 l

CV- CV(CV) CV CV a

Leur existence est nécessaire pour des raisons phonologiques. En effet, la

première voyelle « a » est réalisée pour éviter la succession de deux consonnes en

début de mot « *tfa33al » (l’arabe classique exige que la position V du premier CV

d’un mot soit remplie). La dernière voyelle « a » que l’on retrouve, d’ailleurs, dans

toutes les formes verbales -à part la forme I où une voyelle lexicale est insérée

dans cette même position- est réalisée pour répondre au principe du

gouvernement propre : puisque la dernière position vocalique est vide, celle qui

précède n’est pas gouvernée et doit alors être remplie.

L’analyse syntaxique que nous proposons pour la forme V permettra de

déterminer l’origine de ces deux positions CV supplémentaires que renferme le

gabarit d’une forme V et de comprendre le mode d’association des éléments à ce

gabarit. On saura, par exemple, la raison pour laquelle « t » se réalise en position

préfixale alors qu’à la forme VIII « fta3al », ce même morphème se réalise en

position infixale.

Page 120: Les 10 formes du verbe

120

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme V

Cette section sera divisée en deux sous-sections. Dans la première, sera

examiné l’emploi principal d’une forme V qui servira de base pour déterminer la

structure syntaxique d’une forme V et son processus de formation. Dans la

deuxième sous-section, seront traités les emplois annexes d’une forme V qui,

comme on va le voir par la suite, sont de simples effets de sens tributaires de la

structure et du sens de la racine.

3.1. Une forme à double face : causatif et réflexif

Il s’agit de l’emploi pour lequel la forme V est la plus connue. Le causatif

étant le prototype d’une forme II, il est tout à fait attendu qu’il en soit de même

pour une forme qui l’inclut morphologiquement et avec laquelle elle partage la

majorité de ses usages. Cet emploi sera, donc, le point de départ pour notre étude

de la forme V.

Observons quelques exemples :

(164) ta-3allama 3aliyy-un as-sibaaHat-a

réfl- a enseigné Ali-nominatif la natation-accusatif ‘‘Ali a appris la natation.’’

(165) ta-qallada aHmad-un as-sayf-a

réfl- a paré Ahmed -nominatif une épée-accusatif ‘‘Ahmed s’est paré d’une épée.’’

(166) ta-xawwafa aHmad-un

réfl- a.fait.peur Ahmed-nominatif ‘‘Ahmed s’est fait peur.’’

Ces formes sont étudiées par rapport à la forme II correspondante :

(167) 3allama kariim-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a

a enseigné Karim-nominatif Ali-accusatif la natation-accusatif ‘‘Karim a enseigné Ali la natation.’’

Page 121: Les 10 formes du verbe

121

(168) qallada kariim-un aHmad-an as-sayf-a

a paré Karim-nominatif Ahmed une épée-accusatif ‘‘Karim a paré Ahmed d’une épée.’’

(169) xawwafa kariimu-un aHmad-an

a fait peur Karim-nominatif a Ahmed-accusatif ‘‘Karim a fait peur à Ahmed.’’

La première chose qui ressort de ces exemples est que les formes V réalisent

un argument en moins par rapport aux formes II correspondantes. En effet, les

exemples avec les formes II en (166) et (167) réalisent trois arguments, alors que

les exemples avec les formes V correspondantes en (163) et (164)n’en réalisent

que deux. De même, l’exemple avec la forme II en (168) réalise deux arguments

alors que l’exemple en (165) avec la forme V correspondante n’en réalise qu’un

seul.

En revanche, la forme V réalise un morphème « t ». On peut d’ores et déjà

présumer que ce morphème remplace l’argument manquant et qu’il est

responsable du sens réflexif qui ressort de la comparaison de chacune des formes

V avec sa correspondante de forme II.

3.1.1. Une structure pour abriter deux emplois

La forme V semble ainsi combiner le causatif et le réflexif. Il nous faut

découvrir la structure syntaxique qui permet la coexistence de ces deux emplois.

Examinons de près un des exemples de la forme V indiquant le réflexif du causatif :

(170) ta-3allama 3aliyy-un as-sibaaHat-a

réfl- a enseigné Ali-nominatif la natation-accusatif ‘‘Ali a appris la natation.’’

Comme nous venons de le voir, à la forme II correspondante, on a :

(171) 3allama kariim-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a

a enseigné Karim-nominatif Ali-accusatif la natation-accusatif ‘‘Karim a enseigné Ali la natation.’’

Page 122: Les 10 formes du verbe

122

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]

√’

√3lm sibaaHa

3ali

karim

Sachant qu’à la forme I correspondante, on a :

(172) 3alima kariim-un as-sibaaHat-a

A su Karim-nominatif la natation-accusatif ‘‘Karim a su nager.’’

Si l’on compare la forme V à la forme II correspondante, il en sort un sens

réflexif. En effet, la forme II « 3allam » signifie « enseigner » tandis que la forme V

«ta-3allam » indique « apprendre » : « enseigner à soi-même ». Maintenant, si on la

compare à la forme I correspondante, il en sort à la fois un sens causatif et un sens

réflexif. En effet, la forme I « 3alim » signifie « savoir » tandis que la forme V

englobe le sens « enseigner » qu’on peut décomposer en « faire + savoir » plus un

sens réflexif : « faire savoir à soi-même ». De la sorte, la forme V « ta-3allam »

indique à la fois un causatif et un réflexif.

Morphologiquement, la forme V « ta-3allam » inclut une forme II « 3allam » :

« ta+3allam ». De même, sémantiquement, comme on vient de le voir, la forme V

inclut le sens qu’exprime la forme II. Partant du principe que ce qui donne à une

forme sa morphologie et son sens c’est sa structure syntaxique, nous concevons

que la forme V inclut la structure qui produit une forme II. Bien évidemment, à

cette structure sera ajouté ce qui distingue ces deux formes, à savoir un morphème

« t » responsable du sens « réflexif ».

Rappelons la structure d’une forme II « 3allam » :

(173)

Page 123: Les 10 formes du verbe

123

La projection vP permet d’ajouter un argument à ceux de la racine, un verbe

« faire » ainsi qu’une position CV responsable de la gémination de la deuxième

consonne.46 On retrouve cette même structure dans une forme V avec les mêmes

effets. Reste maintenant à déterminer le statut du morphème « t » qui fait toute la

différence entre une forme II et une forme V et discerner ce qui lui donne sa

position préfixale.

Le morphème « t » est responsable du sens réflexif que renferme une forme

V.47 Il crée une coréférence entre le Sujet et l’Objet. En effet, la proposition avec la

forme V « ta3allam » en (169) peut être reconstituée comme suit :

(174) 3allam 3aliyy-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a

a enseigné Ali-nominatif Ali-accusatif la natation-accusatif ‘‘Ali a enseigné à Ali la natation.’’

Lors de l’étude de la forme VIII « fta3al » (forme réflexive de la forme I),

nous avons proposé que le morphème « t » se réalise dans une position

argumentale de la racine. Ce morphème est anaphorique et a besoin d’un

antécédent pour être lié. Dans cette forme, le morphème « t » est lié dans le

domaine de la racine. Autrement dit, c’est l’argument nominal apporté par la racine

en position Spécifieur de √P qui sert d’antecedent à ce morphème qui, lui, occupe

la position Complément de √P. Si ce morphème est l’unique argument de la racine,

son antécédent sera l’argument apporté par VP (rappelons-le lorsqu’une racine

apporte uniquement un argument Complément c’est VP qui apporte l’argument

Sujet). Ainsi, que l’argument qui sert d’antécédent soit dans le Spécifieur de √P ou

46 Cf. analyse de la forme II, P 94. 47 On peut être tenté de faire un rapprochement entre la forme du réflexif et la forme du passif et ce, parce que leur structure est, en apparence, similaire : un argument en moins que la forme correspondante. Toutefois, la forme II « 3allam » a une forme du passif qui est « 3ullim » :

- 3ullima 3aliyy-un as-sibaaHat-a a été enseigné Ali-nominatif la natation-accusatif Il est question, ici, de deux réalités différentes : la forme du passif « 3ullim » signifie que l’argument « 3ali » a subi une action « enseigner » alors que la forme du réflexif « ta-3allam » indique que l’argument « 3ali » est l’agent d’une action « apprendre ». Avec la forme V, on indique une coréférence entre le Sujet et l’Objet, ce qui n’est pas le cas avec le passif.

Page 124: Les 10 formes du verbe

124

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]

√’

√3lm sibaaHa

3ali

t [CV]

de VP, le morphème « t » sera lié dans la position qu’il occupe, initialement, et où il

est adjacent à son antécédent.48

Nous concevons que le morphème « t » qui se réalise dans une forme V et

qui la dote d’un sens réflexif est de même nature que celui qui se manifeste dans

une forme VIII. Il s’agit de l’un des arguments de la racine qui se réalise sous une

forme pronominale ; c’est ce qui produit une forme V au lieu d’une forme II.

Dans une forme V « ta-3allam », la coréférence est établie entre le Sujet, qui

se trouve être l’argument apporté par vP, et le premier Objet, qui correspond à

l’argument apporté par la racine en position Spécifieur (Cf. exemple en (12)) ; le

deuxième Objet étant l’argument qui occupe la position Complément de √P. De la

sorte, le morphème « t » se réalise en position Spécifieur de √P et prend pour

antécédent l’argument apporté par vP.

Ainsi, la structure syntaxique de la forme V « ta-3allam » se présente comme

suit :

(175)

Il s’avère que la forme V « ta-3allam » n’est autre qu’une forme II « 3allam »

dont l’Objet se réalise sous forme d’un morphème « t ». Ce morphème n’ayant pas

le même antécédent que dans une forme VIII, il ne sera pas lié dans la même

position et par conséquent, il n’occupera pas la même place dans la forme verbale ;

c’est ce que nous verrons dans la sous-section suivante. 48 Cf. Exécution de la forme VIII, P72 .

Page 125: Les 10 formes du verbe

125

V’

vP

v’

VP

V 3 lm | [CV] a

√P

v [CV]

√’

√3lm sibaaHa

3ali

t [CV]

3.1.2. Comment obtient-on une forme V

La forme V « ta-3allam » construit un causatif de la même manière qu’une

forme II « 3allam » ; c’est ce que nous montre sa morphologie puisqu’elle réalise

une géminée et c’est ce qu’on peut voir également en observant la manière dont le

verbe de base change de sens. En effet, à la forme V comme à la forme II, le causatif

se construit d’une manière additive : [faire + 3alim], autrement dit, on construit

d’abord un verbe de forme I puis, on l’associe à un verbe « faire ».

De la sorte, la forme V « ta-3allam » suit le même processus pour réaliser la

partie causative : la racine √3lm monte en V et s’associe à la position

consonantique du CV que ce dernier renferme, et dont la position vocalique est

occupée par une voyelle « a » :

(176)

Contrairement à la forme VIII, le morphème « t » ne s’associe pas à la racine

et ce, tout simplement, parce qu’il n’est pas lié dans la position qu’il occupe

présentement. En effet, ce qui détermine à quel moment le morphème « t » doit

s’associer, c’est la position qu’il occupe par rapport à l’argument qui lui sert

d’antécédent. La position de « t » au moment où il est lié est différente d’une forme

à une autre et par conséquent la tête à laquelle il va s’attacher l’est également. C’est

ce qui fait que dans une forme VI, ce morphème n’occupe pas la même place que

dans une forme VIII.

Page 126: Les 10 formes du verbe

126

V’

vP

v’

VP

V 3lm | [CV] a

√P

v [CV]

√’

√3lm sibaaHa

3ali

t [CV]

t [CV]V

V’

vP

v’

VP

V 3 lm | [CV]+[CV] t a

√P

v [CV]

√’

√3lm sibaaHa

3ali

t [CV]

t [CV]

Dans une forme V, le morphème « t » qui se trouve en position Spécifieur de

√P prendra pour antécédent l’argument apporté par vP. La seule position qui lui

permette d’être visible par son antécédent est la position Spécifieur de VP. Par

conséquent, le morphème « t » monte en position Spécifieur de VP :

(177)

Comme il est question d’un morphème faible, il ne pourra pas rester seul et

doit obligatoirement s’attacher à une unité. Étant donné que le morphème « t » se

trouve dans la position Spécifieur de VP, la seule possibilité qui s’offre à lui c’est de

fusionner avec V’, ce qui lui vaut au final une position à gauche de V. C’est ce qui

explique que ce morphème se trouve à gauche du CV apporté par V, soit en

position préfixale :

(178)

Page 127: Les 10 formes du verbe

127

V’

vP

v’

VP

V 3 lm | [CV]+[CV] t a

√P

√’

√3lm sibaaHa

3ali

t [CV]

t [CV]

v t 3 lm | | [CV][CV]+[CV] a

Asp’

AspP

Agr’

AgrP

Asp t 3 l m | | | [CV][CV][CV]+[CV] a

Agr t 3 l m | | | | [CV][CV][CV][CV]+[CV] a

3ali

3ali

V’

vP

v’

VP

V 3 lm | [CV]+[CV] t a

√P

v 3 lm | [CV][CV]+[CV] t a

√’

√3lm sibaaHa

3ali

t [CV]

t [CV]

Une fois cette fusion effectuée, V monte en v pour acquérir le trait

« causatif » et se met ainsi à gauche du CV contenu dans la tête de vP :

(179)

Ensuite, pour acquérir les traits d’aspect et d’accord, v se déplace, comme on

peut le voir en (179), dans la tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux

positions CV qui associent la deuxième et la troisième consonne de la racine.

L’argument en position Spécifieur de vP finit dans la position Spécifieur de AgrP :

(180)

Page 128: Les 10 formes du verbe

128

Ainsi, on obtient sous la position Agr. cinq positions CV, un morphème « t »

et une racine √3lm. L’association au gabarit se fera comme suit :

� La racine √3lm s’associe à la première tête vers laquelle elle s’est déplacée, à

savoir au CV contenu sous V ;

� Le morphème « t » s’associe à la position C du CV qu’il apporte ;

� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté

par AspectP ;

� La troisième consonne de la racine s’associe à la position CV apportée par

AgreementP.

Ce qui donne le gabarit suivant :

(181) t 3 a l m

[C V][C V][CV][C V][C V] t V v Asp Agr

La position CV de v se trouve sans contenu phonétique. La deuxième

consonne de la racine ne peut pas identifier cette position, puisque la première

consonne de la racine a déjà identifié la position C du CV de V. Que la racine

identifie V ou v à une incidence quand à la manière dont le causatif est conçu (c’est

ce qui fait la différence entre la forme II et la forme V d’une part et la forme IV et la

forme X d’autre part). De ce fait, une racine ne peut pas identifier à la fois V et v.

Une position CV ne peut pas rester vide et la forme fait appel à des procédés

phonologiques pour la remplir, comme par exemple, insérer une consonne

épenthétique ou propager un segment déjà existant. Vu que CV ne se trouve pas en

début de mot, il n’est pas envisageable d’insérer une consonne épenthétique et

étant donné qu’il se trouve séparé du CV précédent par une voyelle « a », cela rend

impossible de propager la première consonne de la racine :

Page 129: Les 10 formes du verbe

129

(182) * 3 l m

≠ C V C V(CV)C V C V t a

La seule possibilité est de propager la deuxième consonne de la racine qui

identifie la position C du CV qui suit :

(183) 3 l m

C V C V(CV)C V C V t a

C’est ainsi que l’on obtient la forme V causative réflexive « ta-3allam », qui

n’est d’autre qu’une forme II « 3allam » causative dont l’argument apporté par la

racine s’est réalisé sous forme d’un morphème « t ». Ce dernier, devant être lié à

l’argument Sujet, le réflexif émerge.

3.2. Une structure de causatif et des emplois non-causatifs

La forme V n’indique pas toujours le causatif-réflexif. Les grammairiens ont

repéré trois autres usages :

a. indiquer l’intensif (sens qu’elle partage avec la forme II) ;

b. rendre compte d’une signification qu’on peut traduire, en français, par « se

montrer » ;

c. un emploi dénominal.

Nous avons montré (dans la section précédente) que le sens causatif-réflexif

que dénote la forme V, considérée comme étant la forme canonique, provient d’une

structure de causatif combinée à un morphème du réflexif « t ». Admettant le

principe que ce qui donne à une forme verbale sa morphologie c’est sa structure

syntaxique, il faudra discerner les raisons qui font qu’une même structure puisse

Page 130: Les 10 formes du verbe

130

donner lieu à différentes interprétations sémantiques. C’est ce que nous proposons

de faire dans la sous-section suivante.

3.2.1. D’où vient l’intensif et où est passé le réflexif ?

Il existe des cas où la forme V indique l’intensif au lieu d’indiquer le

causatif ; le même cas s’est présenté avec la forme II. De ce fait, on sait d’ores et

déjà que la structure du causatif peut, sous certaines conditions, engendrer un

intensif. A nous de vérifier que la forme V intensive se soumet à ces mêmes

conditions et de découvrir ce qu’il advient du sens réflexif que cette forme est

censée inclure.

Voici un exemple d’une forme V intensive :

(184) ta-farraqa al-jam3-u

a dispersé-réfl la foule-nominatif ‘‘La foule s’est dispersée.’’

Wright compare cette forme V à la forme VIII « ftaraq » :

(185) ftaraq al-jam3-u

a séparé-réfl la foule-nominatif ‘‘La foule s’est séparée.’’

En comparant la forme V « ta-farraq » à la forme VIII « ftaraq », sachant que

toutes les deux renferment un morphème du réflexif « t », Wright en conclut que la

spécificité de la forme V est qu’elle indique un intensif : la forme V indiquant « s’est

dispersée » et la forme I indiquant « s’est séparée ». On comprend dès lors

pourquoi le sens « réflexif » que renferme une forme V n’est pas soulevé du

moment où la comparaison s’est faite avec une autre forme réflexive. Ce que l’on

dit c’est que la forme V « ta-farraq » indique l’intensif par rapport à la forme VIII

« ftaraq ». Ce qui est tout à fait exact. Néanmoins, cela n’empêche pas qu’elle soit,

elle aussi, réflexive.

Page 131: Les 10 formes du verbe

131

Pour s’en assurer, procédons de la même manière que pour une forme

causative réflexive et comparons la forme V à la forme II correspondante :

(186) farraqa kariim-un al-jam3-a

a dispersé Karim-nominatif la foule-accusatif ‘‘Karim a dispersé la foule.’’

La forme II « farraq » indique « disperser » et réalise deux arguments

nominaux. Quant à la forme V « ta-farraq », elle indique « se disperser » et réalise

un argument nominal et un autre pronominal « t ». Il ressort, de cette comparaison,

que la forme V « ta-farraq » est la forme réflexive de la forme II « farraq ».

De la sorte, si l’on étudie cette forme V par rapport à la forme VIII

correspondante, on dira que la forme V est une forme intensive mais si l’on étudie

la forme V par rapport à la forme II, on dira que la forme V est une forme réflexive.

Tout simplement, la forme V« ta-farraq » est une forme intensive réflexive.

Intéressons-nous, maintenant, au sens intensif que l’on accorde à la forme V

« ta-farraq ». Commençons par rappeler que la forme II « farraq » est également

une forme qui indique l’intensif au lieu d’indiquer le causatif. De ce fait, il n’est pas

surprenant qu’une forme V, supposée englober une forme II intensive, puisse à son

tour indiquer l’intensif au lieu du causatif. Le sens intensif que dénote la forme V

« ta-farraq » serait, donc, apporté par la partie « farraq » qu’elle inclut.

Pour prévaloir l’existence du sens intensif, nous proposons de comparer

cette forme V avec la forme I correspondante :

(187) faraqa kariim-un al-jam3-a

a séparé Karim-nominatif la foule-accusatif ‘‘Karim a séparé la foule.’’

La forme I « faraq » indique « séparer » et réalise deux arguments. La

formeV « ta-farraq » indique « disperser » et réalise également deux arguments ;

l’un des deux est réalisé sous une forme pronominale. On s’attend d’une structure

du causatif qu’elle apporte un argument supplémentaire et un sens qui peut être

Page 132: Les 10 formes du verbe

132

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]

t [CV]

√frq m

jam3

rendu par « faire » ; chose que l’on n’a pas avec la forme V « ta-farraq ». L’absence

de « faire » et par la suite, du sens causatif est justement tributaire du fait qu’il

manque un argument dans cette structure. De cette conjoncture naît le sens

intensif.

Les raisons de cette situation ont été expliquées en détails lors de l’étude de la

forme II intensive. Nous nous contentons ici de présenter globalement le phénomène et

dirigeons le lecteur, pour plus de détails, vers chapitre sur la forme II (Cf : forme II

intensive P : 100).

Lorsqu’une racine qui ne projette qu’un seul argument, qu’elle place dans la

position Complément, est enchâssée dans une structure du causatif, elle ne peut

pas répondre au schéma : [Agent1 fait Agent2 verbe Patient]. Avec ce genre de

racine, on a la structure suivante : [Agent1 fait ø verbe Patient]. La forme verbale

qui en résulte, quoiqu’ayant une structure de causatif, ne peut pas dénoter le

causatif et se voit dotée d’un sens intensif.

De ce fait, la structure de la forme V intensive renferme (comme c’est le cas

pour la forme II intensive) une projection vP qui apporte l’argument Sujet et qui

est responsable de la réalisation d’une géminée et de la modification des traits

sémantiques de la racine, une projection VP et une racine dont la projection

contient uniquement un Complément.

Ainsi, la structure de la forme V « ta-farraq » se présente comme suit :

(188)

Page 133: Les 10 formes du verbe

133

La forme V intensive suivra le même processus de formation que la forme V

causative. Pour voir les détails concernant les mouvements syntaxiques et le mode

d’association au gabarit qui en résulte afin de réaliser une forme V intensive, le

lecteur pourra se référer à l’exécution de la forme V causative (Cf. P : 125).

Le fait qu’il manque un argument dans cette structure a pour conséquence

de modifier l’interprétation sémantique de la forme verbale mais n’interfère en

rien pour ce qui est de son exécution. Que la forme soit causative ou intensive, du

moment où elle renferme la même structure et procède aux mêmes mouvements,

le résultat morphologique sera le même.

3.2.2. Un faux causatif combiné à un réflexif

Cet usage est cité par Sibawayh et il n’est pas repris par Wright. Dans ce cas,

la forme V dénote « se montrer dans un état donné »49 et non pas « faire être dans

un état donné», qui aurait été un causatif. La différence est très subtile et ce cas

aurait pu être assimilé à celui du causatif. Toutefois, puisqu’il est cité comme

indiquant un sens différent, il serait intéressant de l’examiner et de voir ce qui fait

sa particularité. Voici un exemple :

(189) ta-šajja3a 3aliyy-un

réfl- rendre courageux Ali-nominatif ‘‘Ali s’est montré courageux.’’

À la forme II correspondante on a :

(190) šajja3a kariim-un 3aliyy-an

a.rendu.courageux Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a encouragé Ali.’’

La forme II « šajja3 » indique que le Sujet « rend (faire être) l’Objet

courageux », ce qui fait que cette forme est une forme causative. On s’attendrait à

49 Sibawayh : « liyuriika annahu fi Haalin laysa fiihaa » (pour te montrer que l’état qu’il manifeste n’est pas l’état dans lequel il se trouve ». (1938 : 69)

Page 134: Les 10 formes du verbe

134

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]

t [CV]

√ šj3 m

3ali

ce que la forme V « tašajja3 » qui renferme la même structure et ne fait que

réaliser un morphème « t » à la place de l’argument nominal Objet, garde ce sens

causatif et lui ajoute un réflexif. Dans ce cas, cette forme aurait signifié : « rendre

soi-même courageux ».

Toutefois, la présence du réflexif affaiblit le causatif et au lieu d’avoir le sens

« se rendre », on a le sens « se montrer ». Une forme V « « ta-šajja3 » indique que le

Sujet montre qu’il est courageux alors qu’il ne l’est pas au préalable. Il est vrai que

l’on peut penser que, pendant un moment donné, le Sujet « devient courageux », ce

qui nous ramène au causatif, mais le fait que ce soit la même personne qui se

trouve à la fois dans l’état « non courageux » et dans une action « de se rendre

courageux », conduit à l’interprétation « se montrer », selon Sibawayh.

De la sorte, le sens que donne Sibawayh à la forme V « ta-šajja3 » n’est

d’autre que le résultat d’un verbe « être courageux » soumis à une forme qui

combine le causatif et le réflexif.

Cette forme répond parfaitement à la structure canonique proposée pour la

forme V : elle apporte un argument supplémentaire, ajoute un verbe et réalise un

morphème « t ». Ainsi, la structure de la forme « ta-šajja3 » se présente comme

suit :

(191)

La forme « ta-šajja3 » renferme la même structure et réalise la même

morphologie que la forme V canonique, par conséquent, elle suivra le même

processus de formation que cette dernière. Le lecteur pourra se référer à la sous

Page 135: Les 10 formes du verbe

135

section détaillant les étapes que suit une forme V causative pour son exécution (Cf.

P : 125).

3.2.3. Du nom au verbe

La forme V, comme plusieurs autres formes verbales, peut être dénominale.

Rappelons que ce terme est employé pour indiquer qu’un verbe est dérivé d’un

nom. Dans notre hypothèse de travail, cela correspond à un verbe formé d’une

racine qui ne projette aucun argument. Voici un exemple :

(192) ta-?assada al-muHaarib-u

réfl- a.rendu.comme.un.lion le guerrier-nominatif ‘‘le guerrier est devenu comme un lion.’’

Avec la forme nominale correspondante on a ce qui suit :

(193) Saara al-muHaarib-u ka al-?asad-i

est devenu le guerrier-nominatif comme un lion-génitif ‘‘Le guerrier est devenu comme un lion.’’

La forme V dénominale ne se distingue pas des autres formes V quant au

sens qu’elle véhicule. En effet, « ta-?assad » est une forme qui dénote à la fois un

sens réflexif et un sens causatif. Elle indique que le Sujet modifie lui-même son état

(d’où le sens réflexif) et « devient comme un lion » (d’où le sens causatif puisque) ;

« devenir » se laisse décomposer en (faire+être). Signalons qu’une forme II

« ?assad » indiquerait qu’un Sujet rend un Objet « comme un lion ».

La particularité d’une forme comme « ta-?assad » réside dans le fait qu’elle

soit formée d’une racine qui réfère à un Objet du monde et qui est donc destinée à

former un nom « ?asad » (lion). Cette racine ne dénote ni une action ni un état et

n’a aucun argument.

De la sorte, la forme V « ta-?assad » renferme une structure de causatif, à

savoir une projection vP, qui lui apporte un argument, une position (CV) dont

résulte la gémination de la deuxième consonne de la racine et un verbe « faire ».

Page 136: Les 10 formes du verbe

136

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

v [CV]

√?sd

muHaarib

t [CV]

Cette forme contient également un sens « réflexif » et, comme on le sait, le réflexif

indique que deux arguments sont co-référents. Sachant que la racine dont il est

question ici n’apporte aucun argument et que la structure vP en apporte

uniquement un, la question de savoir d’où vient le deuxième argument se pose

nécessairement.

Hormis la racine et vP, VP a le pouvoir d’apporter un argument. Dans une

structure de causatif, vP apporte l’argument Sujet et VP se contente d’accueillir

celui en Spécifieur de √P. Lorsque ce dernier n’est pas realise, deux cas se

présentent : soit la racine possède un argument Complément et dans ce cas aucun

argument ne sera apporté par VP (il en résulte un intensif au lieu d’un causatif),

soit alors la racine ne possède aucun argument et dans ce cas VP peut en apporter

un (la forme qui en résulte indiquera le causatif). Le même cas s’est présenté avec

la forme II dénominale.

De ce fait, nous présumons que dans le cas de la forme V dénominale « ta-

?assad », vP apporte l’argument Sujet « al-muHaarib » et VP apporte comme

argument le morphème « t ». En principe, rien n’empêche VP d’apporter un

argument pronominal du moment où il est sélectionné par une projection qui, elle,

apporte l’argument qui lui servira d’antécédent.

Ainsi, la structure de la forme dénominale « ta-?assad » se présente comme

suit :

(194)

Page 137: Les 10 formes du verbe

137

La forme V dénominale suit le même processus de formation qu’une forme V

canonique. Toutefois, la racine ne projette pas et donc son association avec le

premier V ne se fera pas un mouvement de tête à tête mais par une simple

association de tête à Complément, chose qui n’aura aucune incidence sur le

résultat morphologique.

Le fait que le morphème « t » soit l’argument sélectionné par VP et non pas

par la racine ne change rien à la structure, puisque même quand il est apporté par

la racine, il se déplace dans cette position pour être lié par son antécédent.

4. Conclusion

La forme V est la forme réflexive de la forme II. Elle a exactement la même

structure syntaxique que cette dernière : elle réalise un argument supplémentaire

par rapport à ceux de la racine ainsi qu’un verbe « faire » et gémine la deuxième

consonne de la racine. Cette structure qui résulte de l’ajout d’une projection vP

procure à la forme V le sens « causatif ». La structure de la racine ou son sens

peuvent moduler cet emploi principal et engendrer un intensif ou un sens « se

montrer » ou un emploi dénominal, mais ils ne changent en rien la structure

syntaxique d’un causatif-réflexif.

Ce qui distingue une forme V d’une forme II c’est le fait qu’à la forme V,

l’argument apporté par la racine (ou par VP dans le cas de la forme dénominale) ne

se réalise pas sous sa forme nominale mais sous une forme pronominale « t ». Ce

morphème prend pour antécédent l’argument apporté par v. De cette coréférence

nait le sens « réflexif ».

Le morphème « t » ne peut pas se réaliser seul et finit par s’attacher à V. La

place qu’il occupe dans la forme V « ta-fa33al » lui est accordée par la position qu’il

occupe au moment où il est lié par un antécédent, à savoir Spécifieur de VP (et

donc à gauche de du CV apporté par V).

Page 138: Les 10 formes du verbe

138

CHAPITRE 5

ANALYSE DE LA FORME IV « ?af3al »

1. Introduction

La forme IV « ?af3al » a la particularité de réaliser une séquence « ?a » en

position préfixale. Cette séquence est considérée par certains grammairiens

comme étant un vrai préfixe donnant à la forme IV son sens et sa forme.

Cependant, le choix de la consonne « ? » sème le doute quant à son statut et laisse

Page 139: Les 10 formes du verbe

139

présager une simple consonne épenthétique ; d’autant plus que celle-ci disparaît

dans les formes de l’imperfectif : « yu-f3il » et non pas « *yu- ?af3il ».

La forme IV « ?af3al » a divers emplois, elle peut indiquer :

a. le causatif (emploi pour lequel elle est plus connue),

b. indiquer l’estimatif,

c. avoir un emploi dénominal,

d. changer un état en une action,

e. changer une action en un état.

On retrouve les emplois cités en (a), (b) et (c) dans la forme II également.

Pour ce qui est des emplois cités en (d) et (e), ils sont spécifiques à la forme IV et

sont, par ailleurs problématiques. En effet, avec ces deux usages, la forme IV se

réalise intransitive alors que, comme nous allons le voir, les formes IV apportent

un argument supplémentaire à ceux de la racine et sont donc transitives.

L’analyse que nous proposons pour la forme IV permettra de discerner :

a. la structure syntaxique de la forme IV ;

b. le statut du « ?a » initial ;

c. la source des différentes significations que dénote la forme IV ;

d. la similitude et la dissimilitude à l'égard de la forme II, avec laquelle elle

partage la majorité de ces emplois.

Ce dernier point lance un vrai défi dans la mesure où nous devons faire face

à deux formes qui partagent les mêmes rôles (précisément le causatif) et qui, par

conséquent, doivent partager la même structure syntaxique mais qui n’aboutissent

pas la même morphologie.

Page 140: Les 10 formes du verbe

140

Nous commencerons par rappeler le gabarit qui sous-tend une forme IV et le

mode d’association qu’elle adopte. Ensuite, nous établirons le type de projections

et de mouvements syntaxiques qui engendrent une forme IV « ?af3al » et ce, en se

basant sur l’étude de la forme IV causative. Enfin, nous examinerons chacun des

emplois annexes de la forme IV, attestés dans la langue, pour comprendre ce qui

engendre cette diversité d’interprétations sémantiques et s’assurer que cela ne

remet pas en cause l’analyse syntaxique proposée.

2. Quel gabarit pour la forme IV ?

Rappelons que le gabarit unique qui engendre les dix formes verbales est :

CV-CV(CV) CVCV ; le premier CV- est nommé ‘préfixal’, celui entre parenthèse est

dit dérivationnel et les trois CV restants constituent le gabarit de base. Dans cette

section, nous proposons de montrer :

a. Combien de positions CV sont activées pour réaliser une forme IV ;

b. Quel segment s’associe à quelle position.

L’analyse morphophonologique de la forme IV « ?a-f3al » présentée par

Lowenstamm et Guerssel propose que cette forme utilise la position

dérivationnelle (CV) pour se réaliser ; sans pour autant géminer une consonne ou

allonger une voyelle. C’est la première consonne de la racine qui occupe la position

C du (CV) dérivationnel et c’est la séquence « ?a » qui occupe la première position

CV du gabarit de base :

(195) f 3 l

C V (CV) C V C V ? a

Page 141: Les 10 formes du verbe

141

Dans cette théorie, la séquence « ?a » qui apparaît au début de la forme n’est

pas considéré comme préfixe mais tout simplement comme consonne

épenthétique :

La forme IV « ?af3al » utilise le même gabarit qu’une forme II « fa33al » ;

avec laquelle elle partage le même emploi (le causatif). Cependant, l’association

des éléments au gabarit ne se fait pas de la même manière. Rappelons qu’à la forme

II, c’est la deuxième consonne de la racine qui identifie le (CV) dérivationnel (la

première consonne étant associée au premier CV du gabarit de base).

3. A la recherche de la structure syntaxique d’une forme IV

Dans cette section, nous examinerons, en premier, l’emploi principal d’une

forme IV -à savoir le causatif- afin de déterminer les projections syntaxiques que

renferme une forme IV et les mouvements qu’elle suit pour sa réalisation. Dans un

deuxième temps, nous nous intéresserons aux emplois annexes, qui s’écartent de

cet usage principal, pour vérifier qu’ils se soumettent à la même structure

syntaxique et pour discerner la source de cette différence d’interprétations

sémantiques.

3.1. Le causatif : point de départ pour l’analyse d’une forme IV

La forme IV « ?af3al » est connue pour indiquer le sens causatif. Soit les

exemples suivants d’une forme IV causative :

(196) ?axraja kariim-un 3aliyy-an

a fait sortir Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait sortir Ali.’’

(197) ?axaafa karim-un 3aliyy-an

a fait peur Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait peur à Ali.’’

Page 142: Les 10 formes du verbe

142

(198) ?anjaa karim-un 3aliyy-an mina al-Raraq-i

a sauvé Karim-nominatif Ali-accusatif de la noyade-génitif ‘‘Karim a sauvé Ali de la noyade.’’

En vue de faire ressortir les propriétés d’une forme IV, celle-ci est comparée

à une forme I ; soit les formes I correspondant aux formes IV citées ci-dessus :

(199) xaraja 3aliyy-un

est sorti Ali-nominatif ‘‘Ali est sorti.’’

(200) xaafa-a 3aliyy-un

a eu peur Ali-nominatif ‘‘Ali a peur.’’

(201) najaa 3aliyy-un mina al-Raraqi

a échappé Ali-nominatif de la noyade-génitif ‘‘Ali a échappé à la noyade.’’

Si l’on compare l’exemple en (196) à celui en (199), l’exemple en (203) à

celui en (200) et l’exemple en (198) à celui en (201), on s’aperçoit que la forme IV

apporte un argument supplémentaire, par rapport à celui qu’on a avec la forme I.

En effet, les verbes à la forme I réalisent un seul argument tandis que les verbes à

la forme IV en réalisent deux.50

De surcroit, la glose de chacune de ces formes IV laisse entrevoir un verbe

« faire » qui ne se manifeste pas à la forme I correspondante. En effet, la forme I

« xaraj » signifie « sortir » alors que la forme IV « ?axraj » indique « faire sortir », la

forme I « xaaf » signifie « avoir peur » alors que la forme IV « ?axaf » indique « faire

peur » et enfin, la forme I « najaa » signifie « échapper » tandis que la forme IV

« ?anjaa » indique « faire échapper » (sauver).

50 La forme IV sélectionne en majorité les racines dont la structure se résume à [Spécifieur + racine]. Les racines qui ont un Complément prennent rarement une forme IV.

Page 143: Les 10 formes du verbe

143

3.1.1. Quelle structure pour la forme IV causative ?

Le causatif qu’indique la forme IV est accompagné par un changement de la

structure syntaxique. En effet, en plus d’indiquer « faire », la forme IV ajoute un

argument à la structure de la forme simple et par la même occasion, ajoute un

morphème « ?a- ».

Reprenons un des exemples cités ci-dessus :

(202) ?axraja kariim-un 3aliyy-an

a fait sortir Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait sortir Ali.’’

Sachant qu’avec la forme I correspondante on a :

(203) xaraja 3aliyy-un

est sorti Ali-nominatif ‘‘Ali est sorti.’’

La forme IV « ?axraj » se distingue de la forme I « xaraj » par deux points.

Premièrement, elle renferme un autre verbe en dehors de celui qu’elle a en

commun avec la forme I, il s’agit de « faire ». Certes, ce verbe n’est pas de même

nature que le premier pour la simple raison qu’il n’a pas un contenu phonétique

bien établi et qu’il n’est pas formé avec une racine, mais il reste néanmoins un

élément donnant lieu à un prédicat au sens de « faire ». Deuxièmement, elle ajoute

un argument « Karim » à la structure initiale.

De le sorte, la forme IV « ?a-xraj » englobe la structure d’une forme I

« xaraj », que nous donnons en (204), à laquelle s’ajoute une autre structure

contenant un argument externe ainsi qu’un élément, que nous continuerons

d’appeler « verbe » même s’il n’a pas l’aspect d’un verbe vu qu’il a le comportement

syntaxique de celui-ci.

Page 144: Les 10 formes du verbe

144

V’

v’

VP

V [CV] a

√P

v [ CV]

√xrj

karim

3ali

vP

V’

VP

V [CV] a

√P

√xrj

3ali

Rappelons ici la structure de la forme I « xaraj » :

(204)

La forme IV « ?axraj » comporte également une racine √xrj avec son

argument « 3ali », et réalise la voyelle « a ». Etant donné sa propriété d’ajouter un

verbe « faire » et un argument à la structure simple, nous présumons qu’elle

contient (comme c’est le cas pour la forme II causative), une projection vP dont la

position Spécifieur renferme l’argument supplémentaire « karim » et dont la tête

renferme une position « CV ». La présence de cette position supplémentaire

augmente le gabarit de base, ce qui aura pour effet la réalisation du morphème

« ?a ».

De ce fait, la structure de la forme IV « ?axraj » est la suivante :

(205)

Vous remarquerez que nous n’avons pas mis « ? » dans la position v et ce,

parce que nous présumons qu’il ne s’agit pas là d’un morphème du causatif mais

d’une simple consonne épenthétique ; signalons que la voyelle « a » dans « ?a » est

la voyelle que l’on retrouve dans V.

Page 145: Les 10 formes du verbe

145

Etant une tête fonctionnelle, v disposera d’une position CV. L’étude de la

forme II causative illustre cette proposition, puisque cette dernière gémine la

deuxième consonne de la racine et l’on sait qu’une gémination est l’indice

phonologique de la présence d’une position CV vide. La forme IV implique un

deuxième argument, pour la présence d’une position CV sous v, puisque le résultat

morphologique montre qu’il y a eu nécessité de remplir par prothèse une position

C, vu le recours à la consonne épenthétique.

La structure syntaxique dégagée pour la forme IV est identique à celle que

l’on a élaborée pour la forme II. Pourtant, ces deux formes se distinguent par leur

morphologie. En effet, à la forme II, l’existence de v a pour effet la gémination de la

deuxième consonne de la racine tandis que la présence de ce même élément, a

pour effet, à la forme IV, l’insertion d’une consonne épenthétique.

Cette situation présente un défi majeur à notre hypothèse dans la mesure où

nous préconisons que deux formes morphologiquement différentes doivent avoir

deux structures syntaxiques différentes.

Néanmoins, la structure syntaxique d’une forme donnée ne se limite pas aux

projections qu’elle renferme. Nous avons pu voir que ce qui distingue une forme I

d’une forme II, c’est une différence au niveau du type de projections, mais nous

avons pu voir aussi que ce qui distingue une forme I d’une forme VIII (renfermant

tous les deux les mêmes projections), c’est la nature des arguments de la racine

(nominale ou pronominale). La forme IV nous offre un autre trait qui permet de

distinguer deux formes qui partagent les mêmes projections ; il s’agit du type des

mouvements syntaxiques effectués au sein d’une même structure.

Page 146: Les 10 formes du verbe

146

3.1.2. Comment générer une forme IV, à partir d’une structure qui produit

une forme II

Maintenant que l’on connaît la structure d’une forme IV, il faut déterminer

les différents mouvements et déplacements qui permettent de produire une forme

IV « ?axraj ». C’est cette étape qui va différencier la forme IV de la forme II.

Ces deux formes indiquent le causatif, apportent un argument externe et un

verbe « faire », mais la manière dont ils construisent le sens causatif n’est pas la

même. En effet, la forme II se décompose d’une manière différente de la forme IV.

Nous donnons la structure d’une forme II en (206) et celle de la forme IV en (207) :

(206) [argument faire [argument verbe (argument)]]

(207) [argument faire verbe argument].

Pour mieux cerner la différence entre ces deux formes, citons une forme

verbale qui se prête à la fois à la forme II et à la forme IV. Soit la racine √3lm mise à

la forme I, puis à la forme II et enfin à la forme IV:

(208) 3alima 3aliyy-un al-Haqiiqa-ta

a su Ali-nominatif la vérité-accusatif ‘‘Ali a su la vérité.’’

(209) 3allama kariim-un 3aliyy-an as-sibaaHat-a

a enseigné Karim-nominatif Ali-accusatif la natation-accusatif ‘‘Karim a enseigné la natation à Ali.’’

(210) ?a3lama kariim-un 3aliyy-an al-Haqiiqa-ta

a informé karim-nominatif Ali-accusatif la vérité-accusatif ‘‘Karim a informé Ali la vérité.’’

Ce qui distingue la forme II « 3allam » (enseigner) de la forme IV « ?a3lam »

(informer) est que dans le premier cas, le Sujet est responsable seulement de

l’action « faire » et non pas de « faire savoir ». A la forme II, on commence par

construire la proposition « 3ali sait » et après on ajoute le causatif « faire » :

[Karim fait [3ali sait]]. C’est ce qui fait qu’en arabe classique on peut dire :

Page 147: Les 10 formes du verbe

147

(211) 3allam-tu-hu wa lam ya-ta3allam

j’ai enseigné-lui et ne pas il apprend ‘‘Je lui ai enseigné et il n’a pas appris.’’

Par contre, dans le deuxième cas, le Sujet est responsable du verbe « faire

savoir ». A la forme IV « ?a3lam », on crée un verbe causatif et ce en introduisant le

trait « faire » au verbe lexical : [karim fait savoir 3ali]. C’est la raison pour laquelle

en arabe classique on ne pourra pas dire :

(212) *?a3lam-tu-hu wa lam ya-3lam

j’ai informé-lui et ne pas il sait ‘‘Je l’ai informé et il n’a pas su.’’

Cette différence quant à la position du verbe lexical se traduit par une

différence au niveau de la position qui accueille la racine. En effet, ce qui va

distinguer une forme IV d’une forme II c’est le choix de la tête fonctionnelle à

laquelle sera associée la racine. A la forme II, la racine s’associe d’abord à V puis les

deux montent en v ; c’est ce qui fait que la forme « fa33al » est décomposée

en [argument faire [argument racine]]. Par contre, à la forme IV, nous proposons

que la racine se déplace directement en v ; c’est ce qui fait que la forme IV « ?af3al »

est décomposée en [argument faire racine argument].

De surcroit, la voyelle « a », morphème de la voix active, n’est pas attachée

au verbe « xrj » mais plutôt au verbe causatif sous v. En effet, si on construisait

d’abord un verbe à la forme I puis on ajoutait le causatif, on aurait eu « *?xaraj ». Il

s’avère ainsi, que la voyelle de l’actif « a » au lieu de se joindre à la racine, comme

c’est le cas dans la forme I, se joint plutôt au verbe causatif sous v. Ainsi, le premier

mouvement à opérer pour obtenir une forme IV « ?axraj », est de déplacer V vers v

par un mouvement de tête à tête :

Page 148: Les 10 formes du verbe

148

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]+[CV] a

√xrj

kariim

3ali

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v x r j | [CV]+[CV] a

√xrj

kariim

3ali

(213)

Ce premier mouvement produit une suite « Ca CV » puisque le CV de V, dont

la position vocalique est occupée par une voyelle « a », se retrouve à gauche du CV

apporté par v, suite au déplacement de V en v.

Ensuite, la racine √xrj monte en v et s’associe à la position C du CV contenu

dans ce dernier :

(214)

La racine a la possibilité de franchir une position tête qui la sépare de v

puisque celle-ci est vide suite au déplacement de V à v. De surcroit, on peut

supposer que vP et VP représentent un même domaine complexe auquel cas, le

déplacement de la racine directement en v ne constitue pas aucune violation.

Et enfin, pour acquérir les traits d’aspect et d’accord, v se déplace dans la

tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux positions CV qui associent la

deuxième et la troisième consonne de la racine. L’argument en position Spécifieur

de vP finit dans la position Spécifieur de AgrP :

Page 149: Les 10 formes du verbe

149

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

√xrj

kariim

v x rj | [CV]+[CV] a

Asp’

AspP

Agr’

AgrP

Asp x r j | | [CV][CV]+[CV] a

3ali

Agr x r j | | | [CV][CV][CV]+[CV] a

(215)

Ainsi, on obtient sous la position Arg. quatre positions et une racine √xrj.

L’association au gabarit se fera comme suit :

� La racine √xrj s’associe à la première tête vers laquelle elle s’est déplacée,

à savoir au CV contenu sous v ;

� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté

par AspectP ;

� La troisième consonne de la racine s’associe à la position CV apportée par

AgreementP ;

Ce qui donne le gabarit suivant :

(216) a x r j

[C V][CV][C V][C V]

V v Asp Agr

La position consonantique du CV apportée par V se trouve en début de mot

dépourvu de tout contenu phonétique. Par conséquent, une consonne

épenthétique est insérée :

Page 150: Les 10 formes du verbe

150

V’

vP

v’

VP

√P

√f3l

√’

V [CV] a

v [CV]

(1)

(2)

V’

vP

v’

VP

√P

√f3l

√’

(1)

(2)

V [CV] a

v [CV]

(217) x r j

C V (CV) C V C V

? a

Le fait que la consonne « ? » soit associée à la position CV de V et non pas à la

position CV de v, confirme que ce que les grammairiens considéraient comme étant

le morphème du causatif, n’est en réalité qu’une consonne épenthétique insérée

pour des raisons morphophonologiques.

Ainsi, la forme IV a la même structure syntaxique qu’une forme II, à savoir

une projection vP responsable du sens causatif que ces deux formes dénotent. Ce

qui va les distinguer ce sont les mouvements syntaxiques opérés au sein de cette

même structure.

Dans ces deux formes, la racine se trouve dominée par deux projections : la

projection VP qui produit le verbe lexical et apporte la voix active, et la projection

vP qui produit le verbe causatif et apporte un argument ‘agent’.

Il va de soi que, dans les cas où VP est dominé par vP, V monte dans la

position v. La racine qui ne constitue pas le contenu de V, mais qui a sa propre

projection, doit également monter en vP ; puisque c’est elle qui donne le contenu

lexical du verbe et que dans cette structure le verbe est v. Deux chemins sont

possibles : soit la racine monte d’abord en V (218)a soit alors, elle monte

directement en v (218)b :

(218) a. b.

Page 151: Les 10 formes du verbe

151

Dans le premier cas, le résultat est un verbe lexical auquel on ajoute un

causatif : [faire [forme I]], tandis que dans le deuxième cas, le résultat est un verbe

causatif [faire racine].

De ces deux mouvements différents résultent deux formes différentes. Le

mouvement vers V associe la racine à la position C du CV de ce dernier et le

mouvement vers v associe la racine à la position C du CV de ce dernier. Du premier

mouvement résulte une forme II « fa33al » qui gémine la deuxième consonne de la

racine et du deuxième mouvement résulte une forme IV « ?af3al » qui insère une

consonne épenthétique.

Le fait de proposer l’existence d’une projection √P a permis la distinction

entre la forme II causative et la forme IV causative. Avec uniquement une

projection VP et une projection vP on n’aurait pas pu rendre compte de cette

différence de mouvement. De ce fait, l’analyse des formes II et IV consolide

l’hypothèse selon laquelle une racine projette et a son propre domaine et n’est pas

un élément terminal de V.

A présent que l’on a établi la structure syntaxique d’une forme IV et qu’on a

discerné son processus de formation, examinons les formes IV qui indiquent un

sens autre que le causatif. A priori, c’est le sens de la racine et sa structure qui ont

un impact sur le sens du verbe généré sous v. L’important est de montrer que

malgré la différence de nuances sémantiques entre des formes de type IV, cela

n’affecte pas la formation même du verbe et ne constitue pas un contre exemple à

au processus de formation qu’on vient d’établir.

3.2. Une structure du causatif qui n’engendre pas un causatif

Il existe des cas où la forme IV, dont la morphologie est produite par une

structure du causatif, a une interprétation sémantique différente de celle à laquelle

elle était destinée. Nous proposons de voir quels sont ces cas et quelle est la cause

Page 152: Les 10 formes du verbe

152

de cette dissociation entre structure syntaxique et interprétation sémantique. La

morphologie, quant à elle, reste intacte.

3.2.1. Quand « faire » laisse place à « estimer »

La forme IV peut indiquer « l’estimatif ». Cette dénomination vient du fait

que cette forme apporte une prédication supplémentaire qui peut être rendue par

un verbe « estimer » au lieu d’un verbe « faire ». Observons les deux exemples

suivants :

(219) ?abxal-a kariim-un 3aliyy-an

a estimé.avare Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a estimé que Ali est avare.’’

(220) ?ajban-a kariim-un 3aliyy-an

a estimé.lâche Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a estimé que Ali est lâche.’’

Aves les formes I correspondantes, on a :

(221) baxil-a 3aliyy-un

est avare Ali-nominatif ‘‘Ali est avare.’’

(222) jabun-a 3aliyy-un

est lâche Ali-nominatif ‘‘Ali est lâche.’’

Les formes IV présentées dans les exemples ci-dessus apportent, comme

c’est le cas avec les formes IV à valeur causative, un argument supplémentaire

comparées aux formes I correspondantes.

Elles apportent également un prédicat supplémentaire. En effet, la forme I

« baxil » signifie « être avare » alors que la forme IV « ?abxal » signifie

« estimer que quelqu’un est avare » (au lieu de « faire que quelqu’un soit avare »).

De même, la forme I « jabun » signifie « être lâche » alors que la forme IV « ?ajban »

Page 153: Les 10 formes du verbe

153

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]

√bxl

kariim

3ali

signifie « estimer que quelqu’un est lâche » (au lieu de « faire que quelqu’un soit

lâche »).

Ainsi, la forme IV estimative partage avec la forme IV causative, la propriété

d’ajouter un argument et un verbe supplémentaires.

De ce fait, une forme telle que « ?abxal » (donnée dans l’exemple (219))

renferme la même structure qu’une forme IV causative, à savoir une projection vP,

puisqu’elle ajoute un verbe et un argument à la structure du base.

Ainsi, la structure de la forme IV estimative se présente comme suit :

(223)

L’absence d’un verbe à contenu phonétique bien établi, et donc d’une

référence lexicale, sous v, fait de celui-ci une simple position syntaxique dont le

sens primaire et premier est « faire ». Cependant, la structure syntaxique causative

peut engendrer d’autres significations proches et ce, suivant le sens de la racine. En

effet, la structure de la racine, ses traits sémantiques, le rôle thématique de ses

arguments déterminent le sens qu’aura la prédication engendrée par v.

Une racine telle que √bxl denote une qualite, un trait intrinsèque d’une

personne, qui ne peut pas être acquis à la demande d’une tierce personne. Dans

cette perspective, lorsque le verbe « être avare » est enchâssé dans une structure

causative, le résultat n’est pas : [Sujet fait être avare Objet], car « être avare »

n’accepte pas « faire » dans son sens strict. Par conséquent, la stratégie adoptée

par la forme IV « ?abxal » est de passer de « accomplir une action » à « accomplir

Page 154: Les 10 formes du verbe

154

un jugement », ce qui produit la structure : [Sujet estime être avare Objet] ;

« estimer » pouvant être traduite par « faire par la pensée ».

Ainsi, ce qui distingue la forme estimative « ?abxal » de la forme causative

« ?axraj » c’est le fait que dans cette dernière le sens obtenu sous le niveau v est

« faire » alors que dans la première, le sens obtenu sous le niveau v est « estimer ».

La différence entre les deux n’est pas une question de structure syntaxique mais il

s’agit tout simplement d’une affaire de sens de la racine.

Il est intéressant de rappeler que la forme IV et la forme II qui, toutes les

deux, indiquent le sens causatif partagent également le sens estimatif. De la sorte,

l’hypothèse selon laquelle une structure causative peut générer un estimatif à

cause de la racine qu’elle renferme est confirmée.

La forme « ?abxal » suit le même processus de formation que la forme IV

causative « ?axraj » et est obtenue suivant les mêmes mouvements que cette

dernière. Le lecteur peut se référer à la sous-section sur l’exécution de la forme IV

causative (cf.3.1.2).

3.2.2. Un verbe à partir d’un nom

La forme IV fait partie de ces formes qui permettent de dériver une forme

verbale à partir d’un nom :

(224) ?awraqa aš-šajar-u

a feuilli l’arbre-nominatif ‘‘L’arbre a feuilli.’’

(225) ?axTa?a 3aliyy-un

a fauté Ali-nominatif ‘‘Ali a commis une faute.’’

Page 155: Les 10 formes du verbe

155

Ces formes IV sont comparées à des formes nominales :

(226) Saara li aš-šajar-i waraq-un

est devenu pour les arbres-génitif un feuillage-nominatif ‘‘Les arbres sont garnis de feuilles.’’

(227) fa3ala 3aliyy-un xaTa?-an

a fait Ali-nominatif une faute-accusatif ‘‘Ali a commis une faute.’’

On suppose que la forme IV « ?awraq » (feuillir) vient du nom « waraq »

(feuilles) et que la forme IV « ?axTa? » (fauter) vient du nom « xaTa? ». Dans notre

hypothèse, cela se traduit par des verbes formés à partir de racines qui réfèrent à

un Objet du monde et qui n’indiquent ni action ni état et, par la suite, ne possèdent

aucun argument.

Les exemples cités ci-dessus montrent que chacune de ces formes IV réalise

un argument. Sachant qu’aucune des racines, dont il est question ici, n’apporte son

propre argument, on en déduit que l’argument en question est ajouté par la

structure de la forme IV. De surcroit, chacune des formes IV citées, ici, manifestent

un verbe51 « faire » : dans « ?awraq » on retrouve le sens « faire des feuilles », dans

« ?axTa? » on retrouve le sens « faire une erreur ».

Ainsi, à partir d’une racine √wrq qui n’a aucun argument et qui est destinee

à former un nom, on construit une forme IV « ?awraq » qui comporte un verbe

« faire » et un argument. La forme « ?awraq » (donnée en (224)) possède, donc,

tous les ingrédients d’une forme IV canonique. Ce qui change, c’est la nature de la

racine sélectionnée.

De la sorte, la forme IV « ?awraq » dispose, pareillement qu’une forme IV

causative, d’une projection vP, mais contrairement à celle-ci, la racine sélectionnée

ne projette pas. 51 Nous rappelons au lecteur que le verbe « faire » dont nous parlons, ici, n’est pas réalisé lexicalement, comme c’est le cas en français. Il est déduit du sens de la forme IV et apparait lorsqu’on paraphrase cette dernière.

Page 156: Les 10 formes du verbe

156

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√wrq

v [CV]

šajar

Voici la structure d’une forme IV « ?awraq » dite dénominale :

(228)

Le fait que la racine n’ait pas d’arguments, ne gêne en rien la formation

d’une forme IV « ?awraq » car ce dont on a besoin est présent dans la structure, à

savoir une racine, un V et un v ; en plus bien évidement, d’un argument Sujet qui

sera apporté par vP. De la sorte, la forme IV dénominale suit le même processus de

formation que la forme IV causative (cf. P : 146).

Les deux cas que nous allons à présent voir sont pour le moins qu’on puisse

dire intriguants et ce, parce qu’ils réalisent une forme IV intransitive alors que,

contrairement à la forme dénominale, les racines qui les forment projettent un

argument. Vu que, comme on vient de le montrer, la forme IV implique une

structure qui rajoute un argument, le fait de se retrouver avec une forme IV

intransitive est problématique.

3.2.3. Une racine qui dénote un état et une forme IV qui indique une action

Sibawayh soulève un emploi qui ne semble pas, à priori, répondre à la

généralisation établie pour les formes IV. En effet, dans ce cas, la forme IV

« ?af3al » semble rendre compte de la même signification que la forme I « fa3al » et

semble avoir la même structure syntaxique que celle-ci. Observons les exemples

suivants :

(229) ?asra3a 3aliyy-un

a fait vite Ali-nominatif ‘‘Ali a fait vite.’’

Page 157: Les 10 formes du verbe

157

(230) ?abTa?a 3aliyy-un

a ralenti 3ali-nominatif ‘‘Ali a ralenti.’’

Avec les formes I correspondantes, on a :

(231) saru3a 3aliyy-un

est rapide Ali-nominatif ‘‘Ali est rapide.’’

(232) baTu?a 3aliyy-un

est lent Ali-nominatif ‘‘Ali est lent.’’

La proposition avec la forme IV « ?asra3 » en (229) a gardé les mêmes

arguments que celle avec la forme I « saru3 » en (231). De même la forme IV

« ?abTa? » en (230) a gardé les mêmes arguments que la forme I « baTu? » en

(232). De ce fait, la forme IV n’a pas changé la structure argumentale de la forme I.

Pour ce qui est de l’apport sémantique de ces formes IV, il n’est pas vrai

qu’elles indiquent exactement la même chose qu’une forme I. En effet, si la forme I

« saru3 » qu’on traduit par « être rapide » indique une qualité inhérente voire un

trait intrinsèque du Sujet, la forme IV « ?asra3 » qu’on peut traduire par « faire

vite », indique plutôt une action. De même, si la forme I « baTu? » indique l’état

« être lent », la forme IV « ?abTa? », quant à elle, indique l’action de « ralentir »

voire « faire être lent ». C’est ce qui permet d’avoir la proposition en (233) mais

pas celle en(234) :

(233) Ali est lent mais il a fait vite

(234) *Ali est lent mais il est rapide

De la sorte, les formes IV, présentées ici, ajoutent une prédication qui peut

être rendue par « faire » mais qui ne produit pas le même effet que dans une forme

IV causative ; elle semble changer un verbe d’état en un verbe d’action.

Page 158: Les 10 formes du verbe

158

Ainsi, une racine telle que √sr3, qui indique un etat intrinsèque, accepte le

verbe « faire ».52 La forme IV « ?asra3 » qui en découle répond à la structure :

[argument faire être rapide]. Toutefois, et comme on peut le voir dans cette

structure- même, cette forme IV n’apporte pas un argument supplémentaire.53

Cette défaillance est problématique quant à la considération de la structure

syntaxique de cette forme IV. Pouvons-nous continuer à concevoir que la forme IV

« ?asra3 » a la même structure que la forme causative si cette dernière est basée

sur la présence d’un verbe et d’un argument supplémentaire ?

Nous savons que dans le cas présent, passer de la forme I à la forme IV

change la nature du verbe et le fait basculer d’un verbe d’état à un verbe d’action.

Ce changement est dû à la présence d’une prédication supplémentaire qui peut

être rendue par le verbe « faire » que laissent entrevoir ces formes IV. En dépit de

l’absence d’un argument supplémentaire, le fait que la structure de cette forme IV

lui fournit un verbe « faire », suggère qu’il s’agit d’une structure du causatif. Bien

évidemment, en l’absence de cet argument supplémentaire et, donc, en l’absence

d’une structure du type : [argument faire être rapide argument], l’émergence du

sens « causatif » est bloquée. De ce fait, quoique contenant un élément « faire », la

forme IV « ?asra3a » n’est pas considérée comme étant une forme qui dénote le

« causatif ». On attribuera à cette forme la propriété de changer un « état » en « une

action ».

Ainsi, la présence d’un verbe « faire » dans la forme IV « ?asra3 » implique la

présence d’une projection vP. Reste à découvrir la raison pour laquelle il manque

un argument dans cette structure et surtout lequel. Deux possibilités sont à

envisager :

52 Contrairement à la forme IV estimative dont la racine indiquait également un état mais qui excluait le verbe « faire ». 53 Contrairement à la forme IV estimative qui réalise un verbe du type « estimer », ajoute un argument en vP.

Page 159: Les 10 formes du verbe

159

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

ø

v [CV]

√sr3 3ali

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]

√sr3

3ali

ø

a. soit c’est vP qui n’apporte pas un argument auquel cas, c’est l’argument

de la racine qui se déplacera pour occuper la position Spécifieur de vP.

b. soit alors, vP apporte un argument, comme d’habitude, auquel cas c’est

celui de la racine qui ne s’est pas réalisé.

De ce fait la structure d’une forme IV « ?asra3a » peut être une des deux

suivantes :

(235) a. b.

La racine √sr3 est du type Specihieur-Racine, c’est-à-dire, qu’elle apporte un

argument en position Spécifieur de √P. Cette racine indique un etat et realise un

verbe intransitif à la forme I. Lorsqu’elle est enchâssée dans une structure

causative qui lui attribue un trait « faire » : « faire être rapide », elle s’y prête mais

semble poser une condition : rester intransitive.

La propriété qu’a la forme IV d’ajouter un trait causatif à la racine, a pour

conséquence de convertir la nature du verbe qui indiquera une action au lieu

d’indiquer un état. Cependant, cela ne change en rien son incapacité d’affecter un

Objet. L’événement créé par la structure du causatif « faire être rapide » reste lié

au Sujet ; comme c’est le cas avec la forme I « être rapide». De surcroit, la racine

√sr3 semble ne pas tolerer un argument causateur externe : soit Ali est rapide, soit

il fait en sorte d’être rapide. En aucun cas, cet état ne peut être provoqué par un

tiers agent.

Page 160: Les 10 formes du verbe

160

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]

√sr3

3ali

3ali

De la sorte, cette racine accepte l'élément « faire » et donc une structure de

causatif mais à condition que cette dernière n’apporte pas un argument externe :

d’abord parce que la racine ne tolère pas un agent causateur, ensuite, parce que ça

aurait comme conséquence de doter la forme verbale d’un Objet (l’argument

apporté par vP sera Sujet et celui apporté par la racine deviendra Objet). De ce fait,

ce genre de racines contraint vP à ne pas apporter un argument.

Pour sauvegarder la généralisation selon laquelle vP apporte toujours un

argument, il aurait fallu proposer que c’est l’argument en Spécifieur de √P qui ne

s’est pas réalisé. À part le passif, nous ne disposons pas de cas de dérivations qui

permettent de se débarrasser de l’argument Spécifieur. Par contre, vu que vP vient

plus tard dans la structure et que l’argument qu’il sélectionne prend en

considération le sens de la racine, nous pouvons postuler que dans les cas où la

racine n’admet pas d’agent causateur, vP n’en apporte pas.

De ce fait, nous optons pour la structure en (235)b et nous proposons que

vP n’apporte pas un argument à cause des restrictions qu’impose la racine. C’est

l’argument de cette dernière qui va se déplacer et occuper la position Spécifieur de

vP:

(236)

Nous avons eu l’occasion de voir dans les formes étudiées, jusqu’à présent,

que la place des arguments nominaux, leur présence ou absence dans une position

donnée n’altère pas la formation-même du verbe. Elle peut avoir une incidence sur

la sémantique de la forme mais jamais sur sa morphologie. De la sorte, la forme IV

« ?asra3 » suit le même processus pour son exécution que la forme IV canonique

(Pour les détails voir l’exécution de la forme IV causative, Page : 146).

Page 161: Les 10 formes du verbe

161

3.2.4. Une racine qui dénote une action et une forme IV qui indique l’état :

La forme IV qui sera traitée dans ce qui suit produit l’effet inverse de ce que

nous venons d’observer. En effet, elle semble changer l’action en état. Observons

ces exemples :

(237) ?aHSada az-zar3-u

nécessite.moissonné les céréales-nominatif ‘‘Les céréales nécessitent d’être moissonnées.’’

(238) ?aSrama an-naxlu

nécessite.débarrassé de ses dattes les dattiers-nominatif ‘‘Les dattiers nécessitent qu’on cueille leurs fruits.’’

Avec les formes I correspondantes, on a :

(239) HaSada al-fallaaH-u az-zar3-a

a moissonné le paysan-nominatif les céréales-accusatif ‘‘Le paysan a moissonné les céréales.’’

(240) Sarama al-fallaaH-u an-naxl-a

a débarrassé de ses dattes le paysan-nominatif les dattiers-accusatif ‘‘Le paysan a cueilli les dattes des dattiers.’’

La forme I « HaSad » signifie « moissonner » tandis que la forme IV

« ?aHSad » signifie «nécessiter la moisson », ce que Sibawayh paraphrase par :

« istaHaqqa an yu-f3al bi-hi daalika » (a mérité qu’on lui fasse cela) ; ce qu’on

pourrait traduire par : « les céréales sont arrivées à maturité pour la moisson ».

Cette forme réalise un seul argument (voir l’exemple en (237)) alors que la

forme I correspondante en réalise deux (voir l’exemple en (239)). On s’attendait

plutôt à avoir trois arguments, au lieu d’un seul, puisque la structure du causatif

apporte un argument supplémentaire. Cependant, si l’on sait que la racine √HSd

est, en réalité, une racine du type Racine-Complément (auquel cas, l’argument

Sujet de la forme I « HaSad » est ajouté en VP), on en conclut qu’avec la forme IV

« ?aHSad » il manque seulement un argument et non pas deux.

Page 162: Les 10 formes du verbe

162

Cette forme IV est semblable à celle qu’on vient juste de voir. Elle réalise un

argument de moins que ce qui est attendu, ce qui nous amène à se poser les mêmes

questions, à savoir pourquoi un argument ne s’est pas réalisé et surtout lequel ?

La forme IV « ?aHSad » ne dénote pas le causatif, chose plutôt attendue

puisque la structure ne réalise pas deux arguments. L’échec de cette structure à

remplir sa fonction revient au sens de la racine. Sa structure est épargnée et ce,

parce qu’il existe des racines du type Racine-Complément qui se prêtent à une

forme IV et qui réalisent un argument supplémentaire ainsi qu’un sens causatif.

Signalons au passage, que ce type de racines accepte, également, de réaliser un

argument supplémentaire à la forme II, toutefois, il en résulte un sens intensif.54

A la forme I, le verbe « HaSad » accepte d’affecter un Objet et est transitif. De

ce fait, ce qui pose problème dans une forme IV « ?aHSad », ce n’est pas son

incapacité à affecter un Objet mais plutôt son rejet d’un agent causateur externe. La

racine √HSd accepte un agent qui fait l’action « moissonner » (forme I) mais

n’accepte pas un agent causateur (qui cause l’action moissonner), par exemple :

(241) *?aHSada al-jafaaf-u az-zar3-a qabla ?awaani-hi

a.causé.moissonner la sécheresse-nomina les céréales-accusa avant terme-génitif-lui ‘‘La sécheresse a fait qu’on a moissonné les céréales avant qu’elles arrivent à

maturité.’’

Même si on garde le même argument que dans une forme I, la proposition

reste impossible :

(242) *?aHSada al-fallaaH-u az-zar3-a

a.causé.moissonné le paysan-nominatif les céréales-accusatif ‘‘Le paysan a fait qu’on moissonne les céréales.’’

54 Il n’y a pas de forme IV intensive et ce, tout simplement, à cause de la structure de celle-ci. En effet, le sens intensif de la forme II résulte de l’absence d’un argument en position Spécifieur de VP (dû au fait que la racine ne dispose pas d’un argument en Spécifieur √P). A la forme IV, la presence ou l’absence de cet argument est sans importance, vu que le causatif se construit autrement et ne nécessite pas un argument en position Spécifieur de VP.

Page 163: Les 10 formes du verbe

163

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√HSd

v [CV]

√’

zar3

zar3

Comme si rien ne pouvait causer que « az-zar3 » (les céréales) subisse

l’action « ?aHSad » (faire moissonner) en dehors du « az-zar3 » lui-même. La racine

√HSd fait partie de ces racines qui sont etroitement liees à leur Complément dans

le sens où elles n’admettent qu’un seul argument (en dehors des emplois figurés).

Le verbe « HaSad » ne peut affecter que l’argument « zar3 » (céréales). D’ailleurs en

français, également, on n’emploie « moissonner » que pour les céréales ou

« vendanger » uniquement pour les raisins.

De ce fait, le seul argument Complément que peut avoir la racine √HSd se

trouve être le seul argument Sujet que peut avoir la forme IV « ?aHSad ». Cette

restriction au niveau de la nature de l’argument Sujet, ajoutée au fait que le Sujet

semble être affecté par l’événement du verbe au lieu d’en être l’agent, nous amène

à penser que l’argument qui ne s’est pas réalisé est celui qui devait être apporté

par vP. De la sorte, c’est l’argument Complément de la racine dont le rôle

thématique est « Patient » qui se déplace pour assumer la fonction Sujet ; d’où le

fait que le verbe sous v ne peut pas dénoter « faire » mais « nécessiter ».

La forme « ?aHSad » semble ne partager avec les formes IV qu’on a vues

jusqu’ici que l’apparence. Néanmoins, par rapport à la forme I « HaSad », la forme

IV « ?aHSad » détient un élément verbal supplémentaire qui dénote le sens

« nécessiter ». De ce fait, la forme « ?aHSad » contient deux parties, une qui détient

son sens de la racine et l’autre qui est générée par la structure ; ce qui justifie la

présence d’une projection vP.

Ainsi, la structure de la forme IV « ?aHSad » est la suivante :

(243)

Page 164: Les 10 formes du verbe

164

La forme « ?aHSad » suit les mêmes étapes pour sa réalisation que la forme

IV causative (cf. P : 146), avec un mouvement supplémentaire : le déplacement de

l’argument en position Complément de la racine à la position Spécifieur de vP.

Ainsi, les deux exemples que nous avons examinés, montre que la forme IV

intransitive provient d’une restriction imposée par la racine. Celle-ci rejette tout

argument causateur externe ; d’où l’interdiction à vP d’apporter un argument. Il

s’en suit que le Complément de la racine occupe lui-même la position de l’agent

causateur.

4. Conclusion

L’analyse syntaxique de la forme IV « ?af3al » a dévoilé que celle-ci contient,

en plus des projections VP et √P, un élément qui a les mêmes propriétés

sémantiques et syntaxiques qu’un verbe léger et qui sélectionne son propre

argument. De ce fait, cette forme renferme une projection vP où l’élément verbal

tient la position tête v et se réalise sous forme d’une position (CV) et l’argument

supplémentaire occupe la position Spécifieur et tient la fonction Sujet.

Il s’avère ainsi que la forme IV a la même structure syntaxique que la forme

II. Cependant, tout en ayant exactement les mêmes projections, ces deux formes ne

vont pas suivre le même chemin pour leur exécution. En effet, contrairement à la

forme II où l’on forme d’abord un verbe simple et on ajoute ensuite un verbe

« causatif » : [argument faire [argument verbe]], ce qui se traduit par l’association

de la racine avec V, à la forme IV on produit directement un verbe causatif :

[argument faire verbe argument], ce qui se traduit par l’association de la racine

directement à v. C’est cette association qui fait la différence morphophonologique

entre une forme II et une forme IV mais également c’est ce qui produit la différence

de nuance sémantique entre les deux formes.

Page 165: Les 10 formes du verbe

165

Le sens estimatif que dénote cette forme est dû au sens de la racine qui

n’accepte pas un verbe « faire » et qui produit à la place le verbe « estimer ». Quant

à l’emploi dénominal, il est la conséquence de la structure de la racine qui ne

projette aucun argument. En fin, pour ce qui est des formes IV intransitives, il s’est

avéré que le sens de la racine ou sa structure peuvent contraindre la structure du

causatif à ne pas apporter un argument supplémentaire.

Page 166: Les 10 formes du verbe

166

CHAPITRE 6

ANALYSE DE LA FORME X « staf3al »

1. Introduction

La forme X « staf3al » a la particularité de réaliser un préfixe bi-

consonantique : « st- ». Dans cette forme, également, un segment prothétique « ?i »

est ajouté pour éviter la succession de deux consonnes en début de mot :

« ?istaf3al ».

La forme X « staf3al » est considérée comme étant la forme réflexive de la

forme IV. Cette forme est connue pour véhiculer conjointement le causatif et le

réflexif, mais elle peut avoir d’autres emplois. En effet, cette forme X est employée

pour :

Page 167: Les 10 formes du verbe

167

a. véhiculer le causatif-réflexif,

b. véhiculer l’estimatif,

c. indiquer que le Sujet s’approprie un état ou une qualité,

d. exprimer une requête,

e. avoir un emploi dénominal.

On retrouve les emplois (a)(sans le réflexif), (b) et (e) dans la forme IV,

situation plutôt attendue puisque l’on conçoit que la forme X est la forme réflexive

de la forme IV. Reste à voir d’où découlent les emplois (c) et (d).

L’étude que nous proposons, dans ce chapitre, établira la structure

syntaxique de la forme X « staf3al » et expliquera la source du causatif que

renferme cette forme, ainsi que la raison pour laquelle elle est mise en relation

avec la forme IV et non pas avec la forme II. Elle apportera également des réponses

quant au statut et à la position de chacun des morphèmes « t » et « s ».

Nous commencerons par rappeler le gabarit et le mode d’association qui

sous-tend une forme X. Ensuite, nous examinerons la forme X canonique, à savoir

celle qui indique le causatif réflexif afin de déceler les projections et les

mouvements syntaxiques qu’elle opère pour se réaliser. Enfin, nous nous

intéresserons aux emplois annexes de la forme X, afin de vérifier qu’ils se

soumettent, tous, à une même structure syntaxique et afin de dévoiler l’origine de

ces différentes interprétations.

2. Quel gabarit pour la forme X ?

Selon l’analyse morphophonologique élaborée par Guerssel et

Lowenstamm, la forme X « staf3al » associe la première consonne de la racine à la

position (CV) dérivationnelle et le morphème « t » à la première position C du

Page 168: Les 10 formes du verbe

168

gabarit de base. Quant à la consonne « s », elle est associée à la position C du CV-

préfixal :

(244) s t f 3 l

CV- CV (CV) CVCV a

La forme X réalise ainsi deux positions (CV) supplémentaires, comparé à

une forme I, et deux consonnes supplémentaires, par rapport à celles de la racine.

Le morphème « t » occupe la même position que dans la forme VIII.

Toutefois, dans cette forme, la racine identifie la position (CV) dérivationnelle, au

lieu de la position CV-préfixale. C’est une consonne « s », qui se manifeste

exclusivement dans une forme X, qui remplira cette position.

A la lumière de ce qu’on a pu voir jusqu’à présent, on sait que l’association

des éléments au gabarit dépend de la structure syntaxique et de l’ordre des

mouvements opérés dans cette structure. L’analyse que nous proposons permettra

de dévoiler la source des positions CV préfixale et dérivationnelle et de justifier le

mode d’association adopté.

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme X

Dans cette section, nous commencerons d’abord par examiner l’emploi

principal de la forme X, à savoir le causatif-réflexif. Nous dévoilerons le type de

projections et les mouvements syntaxiques qui aboutissent à une forme X, laquelle

réalise un morphème « t » et une consonne « s » en position préfixale. Nous avons

déjà eu l’occasion, lors de l’étude des deux formes réflexives précédentes à savoir

la forme VIII « fta3al » et la forme V « ta-fa33al », de déterminer le statut du

morphème « t » ; reste maintenant à déterminer ce à quoi renvoie la consonne

« s ».

Page 169: Les 10 formes du verbe

169

Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux emplois annexes

d’une forme X. Il s’agit des cas où cette forme cesse de dénoter le sens que lui

procure sa structure syntaxique et se voit attribuer d’autres interprétations. Nous

montrerons que ces usages ne sont que des effets de sens, tributaires des

propriétés de la racine, et qu’ils gardent la même structure syntaxique et suivent le

même processus de formation qu’une forme X canonique.

3.1. Une forme à double face

Commençons par l’emploi prototype d’une forme X, à savoir véhiculer le

causatif réflexif. Rappelons que la forme X est étudiée en parallèle avec une forme

IV. Prenons un exemple :

(245) sta3adda al-jayš-u li al-Harb-i

s’est préparée l’armée-nominatif pour la guerre-génitif ‘‘L’armée s’est préparée pour la guerre.’’

A la forme IV on a :

(246) ?a3adda al-qaa?id-u al-jayš-a li al-Harb-i

a préparé le commandant-nominatif l’armée-accusatif pour la guerre-génitif

‘‘Le commandant a préparé l’armée pour la guerre.’’

La forme X, donnée en (245) réalise deux arguments tandis que la forme IV,

donnée en (246), en réalise trois. Toutefois, la forme X « sta3add » manifeste un

morphème « t » qui, comme on le sait, compte pour un argument.

La forme X « sta3add » se laisse traduire par « se préparer » ou « se tenir

prêt », tandis que la forme IV « ?a3add » se traduit par « rendre prêt » ou « tenir

prêt ». Par conséquent, la forme X a la même signification que la forme IV à laquelle

elle ajoute un réflexif. En effet, la proposition en (245) peut être explicitée comme

suit :

Page 170: Les 10 formes du verbe

170

(247) ?a3adda al-jayšu al-jayša li al-Harb

a préparé l’armée-nominatif l’armée-accusatif pour la guerre-génitif ‘‘L’armée a préparé l’armée pour la guerre.’’

La forme X « sta3add » serait donc une forme IV « ?a3add » dont l’argument

Sujet et l’argument Objet sont co-référents ; ce qui lui a valu le statut de la version

réflexive de la forme IV causative.

3.1.1. Une structure où coexistent causatif et réflexif

La forme X « sta3add » réalise un morphème « t », ce qui indique que

l’argument apporté par la racine s’est réalisé sous sa forme pronominale. En effet,

comme on a pu le voir avec les autres formes réflexives (la forme VIII « fta3al » et

la forme V « ta-fa33al »), le morphème « t » est réalisé dans la grille thématique de

la racine. Sa place dans la forme verbale sera déterminée selon l’argument qui lui

sert d’antécédent et la position qu’il occupe lorsqu’il est lié.

En plus d’indiquer le réflexif, la forme X véhicule conjointement le causatif.

En effet, la racine √3dd denote « être prêt » alors que la forme X « sta3add » se

traduit par « se rendre prêt ». Le fait que cette forme se laisse paraphraser par un

verbe « rendre », révèle l’existence d’une structure du causatif. Cette structure

apporte un niveau verbal supplémentaire, le même que celui que l’on retrouve

dans la forme IV, ainsi qu’un argument supplémentaire.

De la sorte, la forme X « sta3add » renferme une structure du causatif de la

même manière que la forme IV « ?a33ad » à laquelle s’ajoute un sens réflexif,

résultant de la nature de l’argument apporté par la racine. Sa structure est

constituée donc d’une projection vP, une projection VP et une projection √P. La

seule différence entre la structure d’une forme IV « ?a3add », donnée en (248)a, et

celle d’une forme X « sta3add », donnée en (248)b, est que dans la première,

l’argument apporté par la racine se réalise sous sa forme nominale alors que dans

Page 171: Les 10 formes du verbe

171

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]

√3dd

jayš

t [CV]

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]

√3dd

jayš

qaa?id

la deuxième, l’argument apporté par la racine se réalise sous sa forme pronominale

« t » :

(248) a. forme IV « ?a3add » b. forme X « sta3add »

Ainsi, pour avoir une forme X « sta3add » à partir de la racine √3dd, il faudra

répondre à deux conditions. D’abord, il faut avoir une projection vP qui apporte un

argument supplémentaire à celui de la racine ainsi qu’un niveau verbal qui donne à

la forme son rôle causatif. Ensuite, il faut obligatoirement que l’argument apporté

par √P se réalise sous forme d’un morphème « t », qui prendra pour antécédent

l’argument apporté par vP, ce qui dote la forme d’un sens réflexif et apportera une

position CV supplémentaire à la forme verbale.

La réalisation de l’argument de la racine sous forme pronominale « t » aura

des conséquences sur la forme verbale elle-même et ce parce que, d’abord, cet

élément ne peut pas rester à l’état libre et doit être inséré à la forme verbale mais

aussi parce que le morphème « t » apporte une position CV qui sera ajoutée au

gabarit du verbe. En effet, comme le montre l’analyse morphophonologique, la

forme X réalise deux CV supplémentaires par rapport à un gabarit de base. Le

premier est évidemment apporté par la projection vP, précisément par v, et le

second CV est apportée par le morphème « t ».

La forme X « staf3al » réalise un autre morphème : « s ». Ce dernier est

considéré par les grammairiens comme étant le morphème du causatif. Pourtant,

Page 172: Les 10 formes du verbe

172

on ne retrouve cette consonne « s », ni dans la forme II causative qui remplit la

position CV apportée par v en propageant la deuxième consonne de la racine, ni

dans la forme IV causative qui, pour remplir une position CV vide du gabarit,

réalise une consonne épenthétique « ? ».55 Il est bien évident que si la structure du

causatif apportait une consonne « s », celle-ci aurait pris place dans la forme

verbale et on n’aurait pas eu recours à une consonne épenthétique. Il serait

intéressant de signaler qu’étymologiquement la forme IV « ?af3al » se réalisait

« saf3al ». Ceci indique que les formes verbales renfermant une structure du

causatif réalisent tantôt une consonne « s » tantôt une consonne épenthétique

« ? » ; reste à déterminer les conditions qui régissent ce choix. On y reviendra lors

de l’élaboration du processus de formation de cette forme X.

3.1.2. Comment obtient-on la forme X ?

Maintenant que l’on a établi la structure d’une forme X et que l’on a recensé

les différents composants de celle-ci, il faudra déterminer comment à partir de la

structure présentée en (248)b, on obtient une forme X « staf3al » : précisément,

qu’est ce qui justifie la position du morphème « t » et à quoi réfère le morphème

« s ».

Le rapprochement que l’on effectue entre la forme X et la forme IV n’est pas

dû seulement au fait qu’elle renferme une structure causative, mais il est dû au fait

que la forme X construit son causatif de la même manière que la forme IV, à savoir :

[Argument vRacine Argument] ; sauf qu’à la forme X la structure est, plus

exactement : [Argument vRacine t ]. De la sorte, la forme X suit le même processus

de formation que la forme IV. Rappelons-le, avec la forme IV, on construit

directement un verbe causatif (ce qui se traduit par le déplacement de la racine

55 Rappelons que la consonne « ? » que l’on retrouve dans la forme IV « ?af3al » était également perçue comme étant le morphème du causatif. Nous avons montré, lors de l’étude de cette forme, que ce n’était pas le cas et que cette consonne est une simple consonne épenthétique dénudée de toute fonction grammaticale.

Page 173: Les 10 formes du verbe

173

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

v [CV]

√3dd

qaa?id

t [CV]

t [CV]

V’

vP

v’

VP

t V [CV]+[CV] a

√P

v [CV]

√3dd

qaa?id

t [CV]

t [CV]

directement à v et non pas à V) ; contrairement à la forme II où on construit

d’abord, une forme I puis on lui ajoute un causatif (ce qui se traduit par le

déplacement de la racine à V, puis le déplacement de V à v).

De la sorte, à la forme X, la racine se déplace en v et s’associe à ce dernier.

Auparavant, un déplacement doit s’effectuer pour permettre la montée de la

racine : il s’agit de la montée de V en v. Toutefois, ce ne sera pas le premier

mouvement que l’on effectue dans cette structure et ce, parce que dans une forme

X, l’argument de la racine se réalise sous sa forme pronominale « t » et devant être

lié à l’argument apporté par vP, il va monter dans la position Spécifieur de VP pour

être proche de son antécédent et respecter, ainsi, la contrainte de la localité. Etant

donné que le morphème « t » est un élément faible qui ne peut pas se maintenir

tout seul et qui doit forcément être attaché à un autre mot, il va fusionner avec V’ et

finit par s’attacher à V. De la sorte, on ne peut pas déplacer V avant que le

morphème « t » lui soit associé.

Ainsi, le morphème « t » se déplace en position Spécifieur de VP (249)a, et

fusionne avec V’. Il se retrouve, au final, attaché à V (249)b :

(249) a. b.

Une fois cette association effectuée, V monte en v (250)a, permettant ainsi la

montée de la racine √f3l en v (250)b :

Page 174: Les 10 formes du verbe

174

V’

vP

v’

VP

t V [CV]+[CV] a

√P

t v [CV][CV]+[CV] a

√3dd

qaa?id

t CV

t [CV]

V’

vP

v’

VP

√P

v 3 dd t | [CV][CV]+[CV] a

√3dd

qaa?id

t [CV]

t [CV]

t V [CV]+[CV] a

V’

vP

v’

VP

√P

√3dd

Asp’

AspP

Agr’

AgrP

Asp 3 d d t | | [CV][CV][CV]+[CV] a

Agr 3 d d t | | | [CV][CV][CV][CV]+[CV] a

qaa?id

qaa?id

qaa?id

t V [CV]+[CV] a

v 3 dd t | [CV][CV]+[CV] a

t [CV]

t [CV]

(250) a. b.

Ensuite, comme montré en (251), pour acquérir les traits d’aspect et

d’accord, v se déplace dans la tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux

positions CV qui associent la deuxième et la troisième consonne de la racine.

L’argument en position Spécifieur de vP finit dans la position Spécifieur de AgrP :

(251)

Ainsi, on obtient sous la position Agr. cinq positions CV, un morphème « t »

et une racine √3dd. L’association au gabarit se fera comme suit :

� La première consonne de la racine s’associe à la première tête vers

laquelle la racine s’est déplacée, à savoir au CV contenu sous v ;

Page 175: Les 10 formes du verbe

175

� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté

par AspectP ;

� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV apporté

par AgreementP ;

On obtient ainsi, le gabarit suivant :

(252) t a 3 d

[CV][CV][CV][CV][CV] t V v Asp Agr

Au moment où le morphème « t » s’associe à V, la position consonantique du

CV de ce dernier est vide, vu que la racine ne se déplace pas en V. Par conséquent,

« t » peut s’associer soit au CV qu’il apporte soit alors au CV de la tête avec laquelle

il a fusionné. Si l’on associe « t » à la première position consonantique, elle se

propagera sur la deuxième position consonantique puisqu’elle est vide et que la

position vocalique qui les sépare l’est également :

(253) * t a 3 d

≠ C V C V C V CV CV

Cependant, en arabe classique, il y a une contrainte qui interdit une géminée

en début de mot, par conséquent, la stratégie montrée en (253), ne peut pas

aboutir. On pourrait alors supposer que c’est la première consonne de la racine qui

se propage à gauche pour remplir cette position C vide :

(254) * t a 3 d

C V C V C V CV CV

Toutefois, le fait que la position vocalique qui sépare ces deux positions

consonantiques soit occupée par une voyelle « a », empêche une telle propagation

puisque, rappelons-le, la réalisation d’une géminée exige que la position V à

l’intérieur soit vide. Le schéma donné en viole la contrainte de bonne formation

Page 176: Les 10 formes du verbe

176

(cf. le principe de non croisement des lignes d’association, principe du contour

obligatoire).56De ce fait, la seule possibilité qui se présente est d’associer « t » à la

deuxième position consonantique et remplir la première position par une

consonne épenthétique ; la consonne qui apparaît dans cette position, à la forme X,

est « s » :

(255) t 3 d

C V C V C V CV CV s a

Considérer la consonne « s » comme étant une consonne épenthétique et

non pas un morphème du causatif est dicté par le fait que les deux autres formes

du causatif, à savoir la forme II et la forme IV, ne la réalisent pas et font appel à des

procédés phonologiques pour remplir la position CV que leur procure la structure

du causatif. À la forme IV où la structure oblige à réaliser également une consonne,

ce n’est pas un « s » qui est réalisé mais un « ? ». Maintenant, si la forme X

« ?istaf3al » insère une consonne épenthétique « s » là où la forme IV « ?af3al »

réalise une consonne épenthétique « ? », c’est probablement pour éviter une suite

de deux consonnes épenthétiques de même nature « *?i-?taf3al ».

A présent que l’on a établi la structure syntaxique d’une forme X canonique,

vérifions si les autres exemples, où l’indication « réflexif du causatif » ne semblait

pas explicite, se conforment à cette structure.

3.2. Une structure du causatif, un morphème du réflexif et des formes qui

ne véhiculent ni l’un ni l’autre

La forme X ne véhicule pas toujours le causatif-réflexif. Dans certains usages,

elle est sujette à différentes interprétations que voici :

56 Goldsmith (1976, 1990)

Page 177: Les 10 formes du verbe

177

a. véhiculer l’estimatif,

b. rendre compte d’une signification qu’on peut traduire par « s’approprier

un état donné »,

c. exprimer une requête,

d. avoir un emploi dénominal.

Nous avons montré (dans la section précédente) que le sens causatif-réflexif

que dénote la forme X, provient d’une structure de causatif combinée à un

morphème du réflexif « t ». De la sorte, si l’on conçoit que toutes les formes X ont la

même structure, il faudra, alors, saisir comment une même structure peut donner

lieu à de différentes interprétations.

3.2.1. Quand « faire »+« se » donne « estimer »

Lors de l’étude de la forme IV, nous avons vu que celle-ci peut avoir un

emploi dit « estimatif ». De ce fait, il n’est pas étonnant que la forme X , qui se veut

en relation avec la forme IV, puisse également avoir cet emploi. Observons ces

deux exemples :

(256) staθqala kariim-un haadihi al-muhimmata

a.estimé.lourd Karim-nominatif cette mission-accusatif ‘‘Karim a estimé cette mission lourde.’’

(257) stajadda kariim-un haadaa al-3amal-a

a. estimé.sérieux Karim-nominatif ce travail-accusatif ‘‘Karim a estimé ce travail sérieux.’’

À la forme I, on a :

(258) θaqulat haadihi al-muhimmat-u

est.lourde cette mission-nominatif ‘‘Cette mission est lourde.’’

(259) jadda haadaa al-3amal-u

est.sérieux ce travail-nominatif ‘‘Ce travail est sérieux.’’

Page 178: Les 10 formes du verbe

178

Les formes X « staθqal » et « stajadd » sont étudiées, respectivement, par

rapport aux formes I « θaqul » et « jadd », dans le sens où pour paraphraser une

forme X, c’est la forme I qui est utilisée et non pas la forme IV ; contrairement à la

forme X causative-réflexive.

La forme X « staθqal » dénote « estimer que c’est lourd » tandis que la forme I

« θaqul » signifie « être lourd ». De même, la forme X « stajadd » dénote « estimer

que c’est sérieux » tandis que la forme I « jadd », signifie « être sérieux ». De la

sorte, la forme X dont il est question ici, apporte un sens supplémentaire qui peut

être rendu par « estimer » et non pas un verbe « faire » ; contrairement à la forme X

qui indique un causatif-réflexif.

En comparant les propositions contenant une forme X à celles contenant

une forme I, on s’aperçoit qu’elles réalisent un argument nominal supplémentaire.

Cependant, la forme X manifeste un morphème « t » qui, comme nous le savons,

compte pour un argument. En conséquence, ces formes X réalisent deux arguments

supplémentaires par rapport à la forme I.

Rappelons qu’on considère que la forme X détient la même structure qu’une

forme IV, à la seule différence que l’argument apporté par la racine se réalise sous

une forme pronominale « t ». Rappelons aussi, que la structure de la forme IV lui

permet d’ajouter un argument supplémentaire par rapport à la forme I. Par

conséquent, en principe, la forme X devrait apporter un seul argument

supplémentaire par rapport à la forme I. Reconstituons la proposition en (256)

avec une forme IV pour mieux visualiser le problème :

(260) ?aθqala kariim-un haadihi al-muhimmat-a

a.rendu.lourd Karim-nominatif cette mission-accusatif ‘‘Karim a rendu cette mission lourde.’’

Page 179: Les 10 formes du verbe

179

Rappelons qu’avec la forme I, on a :

(261) θaqulat haadihi al-muhimmat-u

est.lourde cette mission-nominatif ‘‘Cette mission est lourde.’’

Avec la forme IV on ajoute un argument supplémentaire et un sens

supplémentaire, qui peut être rendu par « rendre », tandis qu’avec la forme X on

ajoute deux arguments et un sens, qui peut être rendu par « estimer ». Il faudra

donc déterminer comment se présente la structure syntaxique de cette forme X -

qui lui permet d’ajouter deux arguments- et comment est généré ce sens

« estimatif » qui, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, n’est pas présent dans

la forme IV correspondante.

Commençons par chercher d’où vient le sens « estimer ». Partons du

principe qu’une forme X est une forme IV avec un argument pronominal dont le

rôle est d’indiquer le réflexif. Si la forme IV « ?aθqal » signifie « rendre lourd » la

forme X « staθqal » devrait, donc, signifier « rendre lourd pour soi ». Quel

rapprochement peut-on faire, s’il en existe un, entre cette signification et celle

d’indiquer « estimer que c’est lourd » ? Une analyse sémantique basique permet de

dire que « rendre lourd » consiste à changer réellement le poids de l’Objet en

question, alors que « estimer lourd » est une appréciation personnelle impliquant

que la réalité peut être autre. Autrement dit, « estimer lourd » est l’équivalent de

« faire en sorte que quelque chose qui n’est pas lourd le devienne pour la personne

qui en fait l’appréciation ». Cette explication rejoint, finalement, l’idée de « rendre

lourd pour soi ». En effet, si « rendre lourd » signifie changer le poids de quelque

chose, « rendre lourd pour soi » signifie changer son appréciation personnelle ;

d’où le sens « estimer ».

De la sorte, à la forme X, le sens estimatif est le résultat d’une racine qui ne

se prête pas à la coexistence « causatif-réflexif ». La preuve est qu’avec la forme IV

qui véhicule exclusivement un causatif, on peut faire ressortir un sens « rendre » ;

Page 180: Les 10 formes du verbe

180

la racine √θql s’y prête. Ce n’est que lorsque le réflexif est mis en place, que ce sens

passe de « rendre » à « estimer ». De la sorte, une forme X estimative n’en est pas

moins une forme X qui dénote à la fois un causatif « rendre lourd » ainsi qu’un

réflexif « pour soi ».

Intéressons-nous, maintenant, au nombre d’arguments que réalise la forme

X qui, rappelons-le, est supérieur à ceux de la forme IV alors qu’en principe, ils

devraient être équivalents. En effet, la forme X a la même structure que la forme IV

et ne s’en distingue que par la nature de l’argument apporté par la racine : à la

forme X cet argument est pronominal alors qu’il est nominal à la forme IV.

Comment peut-on avoir un argument supplémentaire alors qu’on a la même

structure et en quoi la forme X estimative est différente de celle vu précédemment

et qui représente la forme canonique ?

Pour répondre à cette dernière question, comparons la forme X causative-

réflexive « sta3add » à la forme X estimative « staθqal ». La première, étudiée dans

la section précédente, indique « se rendre prêt » et la deuxième indique « rendre

lourd pour soi ».

Explicitons le sens réflexif dans ces deux formes et voyons ce qui les

distingue. Commençons par la forme X « sta3add »:

(262) sta3adda al-jayš-u

s’est.rendu.prêt l’armée-nominatif ‘‘L’armée s’est rendue prête.’’

Si l’on explicite le réflexif en reconstituant la coréférence entre Sujet et Objet

on obtient :

(263) ?a3adda al-jayš-u al-jayš-a

a.rendu.prêt l’armée-nominatif l’armée-accusatif ‘‘L’armée a rendu l’armée prête.’’

Page 181: Les 10 formes du verbe

181

Passons maintenant à la forme X « staθqal » :

(264) staθqala kariim-un haadihi al-muhimmat-a

a.trouvé.lourd Karim-nominatif cette mission-accusatif ‘‘Karim a trouvé cette mission lourde.’’

En explicitant le réflexif, on obtient :

(265) ?aθqala kariim-un haadihi al-muhimmat-a li kariim-in

a.rendu.lourd Karim-nominatif cette mission-accusatif pour Karim-génitif ‘‘Karim a rendu cette mission lourde pour lui-même.’’

La première chose à remarquer est que dans le deuxième cas, à savoir la

forme X estimative, on a une construction indirecte. Ceci explique l’existence d’un

Complément supplémentaire. Nous présumons que ce dernier vient en position

Adjoint de la racine. Cependant, la proposition en (265) montre que l’argument co-

référent, autrement dit, l’argument qui se réalise sous forme d’un morphème « t »

est l’argument Objet indirect. Sachant que ce dernier prend pour antécédent

l’argument apporté par vP, il ne lui sera pas possible d’être lié, s’il se trouve dans la

position Adjoint de la racine.

Nous avons vu lors de l’étude de la forme VIII (Cf. P : 65) qu’en arabe

classique, on peut introduire un Complément d’une manière directe ou indirecte,

comme on peut intervertir la position des compléments lorsque ces derniers sont

nombreux. Le problème du réflexif indirect a été résolu en proposant que le

morphème « t » occupe la position Complément de la racine, qui lui permet d’être

adjacent à son antécédent, et c’est l’argument nominal qui occupe la position

Adjoint de √P.

Ainsi, la forme X « staθqala » contient une structure du causatif et donc, une

projection vP et renferme deux arguments co-référents : celui qui sert

d’antécédent, est apporté par v et l’autre, qui se réalise sous une forme

pronominale, est apporté par la racine ; en plus d’un argument nominal qui occupe

la position Adjoint de √P :

Page 182: Les 10 formes du verbe

182

V’

vP

v’

VP

V [CV] a

√P

√θql

kariim

muhimmat

t [CV]

v [CV]

(266)

La forme X estimative suit le même processus de formation que la forme X

canonique (cf. P : 172)

3.2.2. Quand « faire »+« se » permet de « s’approprier un état »

Un des emplois non causatifs de la forme X consiste à indiquer que le Sujet

s’attribue un état, qu’il ne détient pas initialement.57 Cette forme est étudiée par

rapport à une forme I. Soit l’exemple suivant :

(267) stakbara kariim-un

s’est.considéré.grand Karim-nominatif ‘‘Karim s’enorgueillit.’’

A la forme I, on a ce qui suit :

(268) kabura kariim-un

a grandi Karim-nominatif ‘‘Karim a grandi.’’

Ce qui fait la différence entre la forme I « kabur » donnée en (268) et la

forme X « stakbar » donnée en (267), c’est qu’avec la première on décrit un état,

alors qu’avec la seconde on dit que le Sujet s’attribue l’état en question ; à prendre

au sens de « avoir une grande position sociale ou un statut élevé ». Cette forme ne

dénote pas le causatif dans le sens où le Sujet « ne rend pas soi-même grand ».

57 Dans ces cas, on emploi indifféremment soit la forme X « staf3al » ou la forme V « tafa33al ». Signalons que ce cas, également, est cité uniquement par Sibawayh et il n’est pas repris par Wright.

Page 183: Les 10 formes du verbe

183

Autrement dit, il ne change pas son état de « ne pas être grand » à « être grand », il

se contente de donner une image mentale de lui-même.

Etant donné que la forme IV « ?akbar » est attestée dans la langue, voyons ce

que cette dernière véhicule :

(269) ?akbara karim-un haadaa al-3aalim-a

a.considéré.être.grand Karim-nominatif ce savant-accusatif ‘‘Karim considère que ce savant est grand.’’

La forme IV « ?akbar » n’est pas causative non plus, elle est plutôt

« estimative ». Le sens donné à « ?akbar » est « considérer être grand » voire

« estimer être grand », par conséquent, la forme X « stakbar » qu’on peut traduire

par « se considérer être grand » voire « s’estimer être grand » se contente

d’instaurer une coréférence entre Sujet et Objet.

Ainsi, cette forme X cité par Sibawayh comme permettant au Sujet de

s’attribuer un état n’est pas aussi éloignée de celle dite « estimative » qu’on a

traitée dans la section (3.2.1). La seule différence est que cette dernière affectait un

Objet et dénotait « estimer » alors que la forme « stakbar » est intransitive et

dénote « s’estimer ».

La forme X « stakbar » apporte un sens supplémentaire qui peut être rendu

par « estimer » et dénote le réflexif. Par conséquent, elle répond parfaitement à la

structure canonique d’une forme X. De ce fait, cette forme X renferme bel et bien

une projection v et réalise l’argument apporté par la racine sous sa forme

pronominale « t » ; ce dernier prend pour antécédent l’argument apporté par v.

Page 184: Les 10 formes du verbe

184

V’

vP

v’

VP

√P

v [CV]

√kbr

kariim

V [CV] a

t [CV]

Ainsi, la structure de la forme « stakbar » est la suivante :

(270)

Cette forme X suit le même processus de formation que la forme X

canonique. Le lecteur peut se référer à la section 3.1.2 où sont donnés en détails les

mouvements auxquels procède une forme X pour son exécution.

3.2.3. Quand « faire »+« se » permet d’exprimer « une requête »

La forme X qui, rappelons-le, renferme une structure du causatif et un

morphème du réflexif, se retrouve dans certains cas utilisée pour exprimer une

demande ou une requête. Soit l’exemple suivant : 58

(271) istasqaa 3aliyy-un kariim-an

a demandé.à.être.irrigué59 Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Ali a demandé à Karim de lui donner à boire.’’

À la forme I, on a :

(272) saqaa kariim-un 3aliyy-an

a irrigué Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a donné à boire à Ali.’’

58 Voici d’autres exemples que l’on retrouve dans Wright (1896 :45) : « Rafar » signifie « pardonner » alors que « staRfar » signifie « demander pardon » ; « ?adina » signifie « permettre » alors que « ista?dan » signifie « demander la permission » ; « HaDar » signifie « être présent » alors « istaHDar » signifie « demander la présence »…etc. 59 Le verbe qui correspond en français à « saqaa » est « irriguer » et non pas exactement « donner à boire ». En arabe, on emploi ce même mot que l’objet soit [+Humain] ou [-Humain].

Page 185: Les 10 formes du verbe

185

La forme X « stasqaa » dénote, en plus de « donner à boire » que recouvre la

forme I « saqaa », un verbe « demander » : « demander à donner à boire ». Si l’on

veut expliciter la proposition en (271), on dira :

(273) Talaba kariim-un min 3aliyy-in ?an ya-sqiya-hu

a demandé Karim-nominatif de Ali-génitif de donner.à.boire à lui ‘‘Karim a demandé à Ali de lui donner à boire.’’

On retrouve les mêmes arguments dans l’exemple avec la forme X en (271)

et dans l’exemple avec la forme I en (272). Toutefois, la forme X « stasqaa »

renferme un morphème « t » qui, comme on a eu l’occasion de le montrer lors de

l’étude des formes réflexives précédentes, compte pour un argument. Par

conséquent, la forme X « stasqaa » réalise un argument, en plus, comparée à la

forme I.60

Nous savons qu’une forme X renferme une structure du causatif, ce qui lui

permet d’apporter un argument supplémentaire à la forme I. Toutefois, la racine

√sqy est du type Racine-Complément, ce qui signifie que le Sujet que réalise la

forme I est apporté par VP et ne fait pas partie des arguments de la racine. Par

conséquent, cette forme X réalise un argument de trop, puisqu’elle réalise trois

arguments alors que la racine en apporte seulement un et que la structure du

causatif en ajoute un. 61

On le voit mieux si on compare la forme X « stasqaa » à la forme IV

« ?asqaa » qui est attestée dans la langue et qui, comme montré en (274) , indique

le causatif. Cette forme n’a pas été utilisée pour faire ressortir le sens de la forme X

correspondante et ce, tout simplement parce que cette dernière ne se contente pas

d’ajouter un réflexif à la première :

60 Rien d’étonnant puisque l’on reconnaît à cette forme un sens supplémentaire « demander » qui implique la présence de trois arguments : « celui qui demande qu’on donne à boire », « celui qui donne à boire » et « celui à qui on donne à boire ». 61 Rappelons que VP n’apporte pas un argument lorsqu’il est enchâssé dans une structure de causatif.

Page 186: Les 10 formes du verbe

186

(274) ?saqaa 3aliyy-un kariim-an

a.fait.irriguer Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Ali a fait boire Karim.’’

Vous remarquerez que la forme IV, en (274), réalise deux arguments alors

que la forme X donnée dans l’exemple en (271), en réalise trois (deux nominaux et

un, pronominal). En principe, la forme X remplace un argument nominal de la

forme IV par un argument pronominal. Par conséquent, la forme X réalise un

argument de trop.

La forme X « stasqaa », quoique contenant une structure du causatif, ne

dénote pas le sens « faire irriguer » voire même « se faire irriguer » (puisque la

forme X est sensée indiquer conjointement le réflexif). Cependant, le verbe

« demander » peut être traduit par « faire faire pour soi », ce qui renvoie à un

causatif et un réflexif indirect et peut être explicité comme suit :

(275) ?saqaa 3aliyy-un 3aliyy-an biwaasiTati kariim-in

a.fait.irriguer Ali-nominatif Ali-accusatif par Karim-génitif ‘‘Ali a fait boire Ali par Karim.’’

Le fait qu’il y ait un intermédiaire dans l’action de « faire boire » fait en sorte

que le sens généré par la présence de v, ne soit pas rendu par « faire » mais par

« demander ».

Dans cette forme X, la racine apporte un argument pronominal « t » en

position Complément et un deuxième argument, cette fois-ci nominal, en position

Adjoint ; ce qui dote le verbe d’un deuxième Objet. La structure renferme une

projection vP qui apporte un argument Sujet et un niveau verbal supplémentaire.

Page 187: Les 10 formes du verbe

187

V’

vP

v’

VP

√P

v [CV]

√sqy

3ali

t [CV]

kariim

V [CV] a

Ainsi, la structure de la forme X « staqaa » se présente comme suit :

(276)

La forme X « stasqaa » ; qui est en réalité une forme « stasqaya » dont la

semi-consonne « y » a subi une élision par le fait qu’elle soit en position

intervocalique ; suit le même processus pour sa formation que la forme X

canonique (cf. section 3.1.2).

3.2.4. Du nom au verbe

La forme X peut avoir un emploi dénominal, comme c’est le cas pour la

forme IV. Il s’agit de construire une forme X à partir d’une racine qui n’a aucun

argument. Soit l’exemple suivant :62

(277) istansara kariim-un

devenir.comme.un.aigle Karim-nominatif ‘‘Karim est devenu comme un aigle.’’

Avec une forme nominale, on aurait ce qui suit :

(278) Saara kariim-un ka an-nasr-i

est devenu Karim-nominatif comme un aigle-génitif ‘‘Karim est devenu comme un aigle.’’

La forme X « stansar » est mise en relation avec le nom « nasr » (aigle) et

signifie « devenir comme un aigle ». Partant du fait que la racine √nsr n’a aucun

62 On peut citer d’autres exemples que l’on retrouve dans Wright (1896 :45): « stawzar » qui signifie « nommer un ministre » vient du nom « waziir » (ministre) ; « istawlaa » qui signifie « se déclarer tuteur, chef » vient du nom « waliyy » (tuteur, gouverneur) ; « istaxlaf » qui signifie « se proclamer khalife » vient du nom « xaliifa » (khalife).

Page 188: Les 10 formes du verbe

188

V’

vP

v’

VP

t [CV]

√nsr

kariim

V [CV] a

v [CV]

argument, on présume que c’est la structure d’une forme X qui lui a apporté les

deux arguments qui se manifestent dans l’exemple (277) : l’argument nominal

« Karim » et l’argument pronominal « t ».

De surcroit, cette structure dote la forme X d’un sens qui peut être rendu par

« devenir » lequel peut être décomposé par : « rendre » + « soi-même ». Le premier

élément, à savoir « rendre », rappelle le sens causatif et le second élément, à savoir

« soi-même », rend compte du sens « réflexif ».

De ce fait, la structure de la forme X dénominale est analogue à celle d’une

forme X causative-réflexive :

(279)

La forme X dénominale suit le même processus de formation que les autres

formes X. Le lecteur peut se référer à la section 3.1.2 (P :172) où sont donnés en

détails les mouvements auxquels procède une forme X pour son exécution.

4. Conclusion

La forme X « staf3al » est une forme qui englobe la même structure

causative que la forme IV. Le seul point qui les distingue c’est la nature de

l’argument apporté par la racine : à la forme IV, l’argument de la racine se réalise

sous une forme nominale tandis qu’à la forme X, l’argument en question se réalise

sous une forme pronominale « t ». Devant être lié, ce morphème prend pour

antécédent l’argument Sujet apporté par la structure du causatif ; à savoir par vP.

La coréférence entre ces deux arguments génère un sens réflexif. C’est ainsi que la

Page 189: Les 10 formes du verbe

189

forme X tient son rôle principale d’indiquer à la fois le causatif et le réflexif, mieux

encore, être la forme réflexive de la forme causative IV.

Ce qui donne à une forme X « staf3al » sa morphologie, c’est la position

qu’occupe le morphème « t » au moment où il est lié par son antécédent. En effet,

ce morphème qui dote la forme verbale d’une position CV supplémentaire, ne

pouvant pas se réaliser à l’état libre, se retrouve associé à V. Vu que la racine

s’associe à la position CV contenu dans v et non pas dans V, on se retrouve avec

deux positions CV (celle de V et celle de « t ») en début de mot et un morphème

« t ». Afin d’éviter la réalisation d’une géminée, le morphème « t » s’associe à la

deuxième position CV et une consonne épenthétique « s » est insérée dans la

première position consonantique.

Page 190: Les 10 formes du verbe

190

CHAPITRE 7

ANALYSE DE LA FORME III « faa3al »

1. Introduction

La forme III « faa3al » a la propriété de réaliser une voyelle longue « aa » là

où les autres formes (hormis la forme VI « ta-kaatab ») réalisent une voyelle courte

« a ». En morphophonologie, la réalisation d’une voyelle longue est l’indice de

l’existence d’une position (CV) supplémentaire.

Cette forme est connue pour indiquer le réciproque. Toutefois, comme on le

verra par la suite, il existe des cas où cette réciprocité n’est pas présente ;

précisément lorsque la racine indique un état ou lorsqu’elle n’a aucun argument.

Page 191: Les 10 formes du verbe

191

L’analyse syntaxique que nous proposons permettra de :

a. déterminer l’origine ainsi que le statut du CV responsable de la réalisation

de la voyelle longue « aa » ;

b. comprendre la source du sens « réciproque » qu’on assigne à cette forme ;

c. comprendre pourquoi cette réciprocité n’est pas présente dans les deux

cas cités ci-dessus.

Nous commençons par exposer l’analyse morphophonologique qui montre

le gabarit qui sous-tend une forme III et le mode d’association qu’elle adopte.

Ensuite, nous examinons la forme III canonique, à savoir celle qui indique le

réciproque, afin d’établir le type de projections qu’elle renferme et le processus

qu’elle suit dans sa formation. Enfin, nous nous intéresserons aux emplois non-

réciproques de la forme III afin de vérifier qu’ils se soumettent à la même

structure.

2. Quel gabarit pour la forme III ?

Commençons par rappeler le gabarit unique qui génère les dix formes

verbales : [CV-CV(CV)CVCV]. L’analyse morphophonologique proposée par

Guerssel et Lowenstamm pour la forme III « faa3al », montre que cette dernière

utilise la position dérivationnelle (CV) pour se réaliser. Elle utilise la position V

pour allonger la première voyelle de la forme verbale :

(280) f 3 l

C V (CV) C V C V a

Rappelons que dans ce cadre théorique, la représentation d’une voyelle

longue est :

Page 192: Les 10 formes du verbe

192

(281) C V C V

a

Et la représentation d’une géminée est :

(282) C V C V

t

Dans l’analyse morphophonologique proposée par Guerssel et

Lowenstamm, la forme III et la forme II utiliseraient la même position (CV) pour se

réaliser, à part que la forme III utilise la position vocalique de ce (CV) pour réaliser

une voyelle longue tandis que la forme II utilise la position consonantique de ce

même (CV) pour réaliser une consonne géminée. On se demandera ce qui motive

l’une ou l’autre option.

L’analyse syntaxique que nous proposons permettra de vérifier si la position

(CV) qu’utilise la forme III est la même que celle qu’utilise la forme II, c’est-à-dire si

elle est générée dans la même position syntaxique ou s’il s’agit seulement d’une

même représentation linéaire, à savoir une position (CV) après C1, mais dont

l’origine serait différente dans chacune de ces deux formes.

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme III

Dans cette section, nous allons, dans un premier temps, examiner l’emploi

principal d’une forme III qui servira de point de départ pour déterminer la

structure syntaxique et le processus de formation de cette forme. Dans un

deuxième temps, nous nous intéresserons aux emplois annexes d’une forme III qui,

comme on va le voir par la suite, sont de simples effets de sens tributaires de la

structure et du sens de la racine.

Page 193: Les 10 formes du verbe

193

3.1. Le réciproque, point de départ pour l’analyse d’une forme III

La forme III indique principalement le sens de la réciprocité. Selon Wright

(1896 : 32-33), lorsque la racine dénote une action, la réciprocité sera explicite ou

implicite suivant que le verbe, à la forme I, affecte directement ou indirectement

son objet.

Soit un exemple de la forme III où la racine dénote une action et où le verbe

à la forme I affecte directement son objet :

(283) saabaqa kariim-un 3aliyy-an

a.fait.la.course Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait la course avec Ali.’’63

A la forme I, on a ce qui suit :

(284) sabaqa kariim-un 3aliyy-an

a dépassé Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a dépassé Ali.’’

La forme I « sabaq » (dépasser), donnée en (284), indique une action et

compte deux arguments : un agent dont la fonction syntaxique est Sujet et un

patient dont la fonction syntaxique est Objet direct. Les deux arguments ont la

particularité d’être [+ animé].

A la forme III, donnée en (283), le sens du verbe passe de « dépasser

quelqu’un » à « faire la course avec quelqu’un » et l’action qui, à la forme I, était

accomplie par le Sujet, ici « Karim », devient accomplie et par le Sujet « Karim » et

par l’objet « Ali ». En effet, le verbe « saabaq » (faire la course) implique la

participation de deux actants ou plus. Dans une structure telle que [Karim fait la

course avec Ali], chacun de « Karim » et de « Ali » participe à l’événement « faire la

course ».

63 Une meilleure traduction est possible avec l’anglais : « Karim raced Ali ».

Page 194: Les 10 formes du verbe

194

Si l’on veut retrouver le sens qu’on a avec la forme I à savoir « dépasser », on

dira que « Karim dépasse Ali » et « Ali dépasse Karim » ou, au moins, chacun essaye

de dépasser l’autre ; d’où le sens de réciprocité qu’on attribue à la forme III.

Ainsi, lorsqu’un verbe de la forme I affecte directement son objet, à la forme

III l’objet participe aussi à l’action et de ce fait, l’action qui partait du Sujet vers

l’objet devient réciproque et part aussi de l’objet vers le sujet.

Voyons comment se présente une forme III lorsque le verbe à la forme I

affecte indirectement son Objet. Soit l’exemple suivant :

(285) kaataba kariim-un al-mudiir-a

a correspondu Karim-nominatif le directeur-accusatif ‘‘Karim a correspondu avec le directeur.’’

A la forme I correspondante, on a ce qui suit :

(286) kataba kariim-un ila al-mudiir-i

a écrit Karim-nominatif à le directeur-génitif ‘‘Karim a écrit au directeur.’’

Le verbe à la forme I « katab » (286) affecte indirectement son objet et

indique une action dont le sujet est l’agent et l’objet indirect est le bénéficiaire.64

Ces deux arguments ont le trait [+animé]. A la forme III (285), le verbe « kaatab »

passe du sens « écrire » au sens « correspondre » et implique que les deux

arguments du verbe participent à l’action. En effet, si à la forme I « katab », seul le

sujet est concerné par l’action « écrire », à la forme III le sujet comme l’objet sont

impliqués dans cette action. La forme III « kaatab » qu’on traduit par

« correspondre » indique que le Sujet écrit à l’objet et que l’objet,

vraisemblablement, en fait autant.

64 Avec la forme I « katab », on peut avoir soit un objet direct « kataba 3ali risaala» (Ali a écrit une lettre), ou un objet direct et un objet indirect : « kataba 3ali risaala ila kariim » (Ali a écrit une lettre à Karim) ou encore, comme c’est le cas ici, seulement un objet indirect : « katab karim ila 3ali » (Karim a écrit à Ali).

Page 195: Les 10 formes du verbe

195

Il semblerait ainsi que l’argument dont le rôle thématique était

« bénéficiaire » à la forme I, devient « agent » à la forme III. En effet, avec le verbe à

la forme III « kaatab », on suppose que celui à qui on écrit régulièrement répond et

fasse, donc, lui aussi l’action « écrire ». Contrairement à « saabaq » qui implique la

participation immédiate de l’objet dans l’action, dans la mesure où le sujet ne peut

faire l’action « faire la course » que si l’objet la fait en même temps que lui, avec

« kaatab », l’action « écrire » n’est pas effectuée simultanément par le sujet et par

l’objet : le sujet écrit à l’objet puis l’objet écrit au sujet.

De la sorte, lorsqu’un verbe qui affecte indirectement son objet est mis à la

forme III, la participation de cet objet à l’action n’est pas immédiate mais supposée,

d’où la notion de réciprocité implicite de Wright.65 Nous ferons remarquer ici que

l’Objet indirect de la forme I « katab », donnée en (286), se transforme en Objet

direct à la forme III « kaatab » (285). Autrement dit, l’argument qui n’était pas

affecté directement par l’action « écrire », à la forme I, le devient à la forme III.

3.1.1. Comment faire participer l’Objet à l’action du verbe ?

On parle de réciproque lorsque l’Objet participe à l’action dénotée par le

verbe de la même manière que le Sujet. Dans cette sous section, nous nous

proposons de discerner la structure syntaxique qui permet de rendre compte de la

réciprocité et qui est responsable de la morphologie d’une forme III.

La forme III présente une position CV supplémentaire, par rapport au

gabarit de base, ce qui révèle l’existence d’un niveau syntaxique supplémentaire,

présumément, une tête syntaxique supplémentaire. Pour pouvoir la discerner, il

faudra saisir ce qu’apporte cette forme par rapport à la forme I. Cet apport

concerne les traits sémantiques qu’ajoute la forme III au verbe de base et les

65 Nous verrons dans ce qui suit que la cause réelle d’une réciprocité explicite ou implicite n’est pas due à la structure syntaxique car dans les deux cas celle-ci est identique. C’est dû exclusivement au sens de la racine.

Page 196: Les 10 formes du verbe

196

changements qu’elle effectue au niveau de la structure argumentale de la racine.

Reprenons les deux exemples de la forme II réciproque :

(287) saabaqa kariim-un 3aliyy-an

a.fait.la.course Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait la course avec Ali.’’

(288) kaataba kariim-un al-mudiir-a

a correspondu Karim-nominatif le directeur-accusatif ‘‘Karim a correspondu avec le directeur.’’

Sachant qu’à la forme I correspondante, on a :

(289) sabaqa kariim-un 3aliyy-an

a dépassé Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a dépassé Ali.’’

(290) kataba kariim-un ila al-mudiir-i

a écrit Karim-nominatif à le directeur-génitif ‘‘Karim a écrit au directeur.’’

La forme III « saabaq » garde les mêmes traits sémantiques que « sabaq », à

savoir « action de se déplacer plus vite que quelqu’un d’autre ». Ce qui change, c’est

la relation du verbe avec les arguments. Dans « saabaq kariim 3ali » (Karim a fait la

course (avec) Ali), l’événement « sabaq » concerne aussi bien le sujet

« kariim » que l’Objet «3ali » : « kariim sabaq » (Karim a dépassé) et « 3ali sabaq »

(Ali a dépassé).

De même, la forme III « kaatab » garde le sens de la forme I « katab », à

savoir « écrire », mais instaure une restriction quant à l’argument Objet qui doit

être [+animé] de façon à favoriser la participation de l’objet à l’action dénotée par

le verbe. Si avec la forme I « katab », on indique que l’action s’achemine de l’agent

vers le bénéficiaire, à la forme III « kaatab » on indique que l’action est

bidirectionnelle et va du sujet vers l’Objet mais aussi de l’Objet vers le sujet.

A première vue, on pense que la forme III « saabaq » garde les mêmes

arguments que la forme I et ne change que la forme du verbe. Cependant, lorsqu’on

Page 197: Les 10 formes du verbe

197

considère le deuxième exemple « kaatab » où la forme III semble changer l’Objet

indirect « ila al-mudiir-i » en un Objet direct « al-mudiira » et qu’on s’aperçoit qu’à

la forme III, l’argument Objet est toujours « agent » alors que l’argument de la

racine qui occupait la position Complément de √P était soit « patient » ou

« bénéficiaire », le doute s’installe quand à la véracité de cette observation. Le

statut de l’argument Objet de la forme III devient litigieux.

De surcroit, comme nous le verrons dans la sous-section suivante (cf.3.2),

les verbes d’état, dont la racine ne comporte qu’un seul argument, se trouvent

munis d’un argument supplémentaire lorsqu’ils sont à la forme III. De même, la

forme III dénominale dont la racine ne contient, en principe, aucun argument,

acquiert un argument Sujet. Ceci montre que la structure de la forme III peut

apporter son propre argument et nous amène à se poser des questions concernant

le statut de l’argument qui apparaît en tant qu’Objet dans les exemples de la forme

III réciproque.

Tout laisse donc penser que dans une forme III, l’argument Sujet est apporté

par la structure de celle-ci (et n’est donc pas le même argument Sujet que l’on

retrouve à la forme I) et que l’argument Objet est celui qui se trouve en position

Spécifieur de la racine et non pas celui qui est en position Complément de la racine

(et qui correspond donc à l’argument Sujet de la forme I). En conséquence, cela

indique que la forme III ne change pas l’Objet indirect en un Objet direct et prédit

que le deuxième argument apporté par la racine en position Complément et que

l’on retrouve à la forme I, n’est pas maintenu.

En admettant que la forme III ajoute un agent à la structure de base, on

présume que sa structure a la possibilité d’ajouter, en plus d’une position CV dont

résulte l’allongement de la voyelle « a », une position Spécifieur qui renferme

Page 198: Les 10 formes du verbe

198

l’argument « agent » en question.66 De ce fait, la structure que nous cherchons et

dont découle une forme III constitue une projection et non pas une position dans

une projection déjà existante.

La forme III réciproque n’ajoute pas un élément qui pourrait être rendu par

un verbe léger, comme c’est le cas à la forme II. En effet, les formes III « saabaq » ou

« kaatab » ne se laissent pas décomposer en [faire/estimer+ sabaq/katab]. Par

conséquent, il n’est pas envisageable de proposer l’existence d’une projection vP ;

comme on l’a fait pour la forme II.

Avec la forme III, on a un seul verbe qui correspond au verbe de base, le

même qu’on retrouve à la forme I, mais on a deux structures qu’on pourrait

représenter comme suit :

(291) [X [sabaq/katab] Y [sabaq/katab]]

A ce stade, on a deux agents et un événement, ce qui implique que chacun

des deux agents participe à l’action. Étant donné qu’on reste dans une structure

simple : [Sujet verbe Objet], l’un des arguments « agent » aura la fonction

syntaxique Sujet et l’autre aura la fonction syntaxique Objet. Le fait que les deux

arguments soient « agent » et qu’ils participent tous les deux au même événement

et à l’intérieur d’une même structure simple « Sujet verbe Objet » produit le sens

« réciprocité ».

Il n’existe pas une tête syntaxique qui représenterait le « réciproque ». Le

réciproque appartient au domaine sémantique et non pas au domaine syntaxique.

Certes, il y a une structure qui rend compte du réciproque de la même manière que

la projection vP rend compte du causatif, le tout est de savoir laquelle.

66 Cette hypothèse sera confirmée lors de l’étude de l’emploi suivant, à savoir à la forme III dont la racine indique un état, et qui projette un seul argument.

Page 199: Les 10 formes du verbe

199

V’

VP

V [CV] a

√P

√’

√sbq 3ali

karim

A la forme III, le verbe assigne l’accusatif à son complément, comme à la

forme I, mais la situation est telle que l’Objet change de rôle thématique et devient

« agent » impliqué dans l’accomplissement de l’action dénotée par la racine. Les

changements que manifeste l’argument Objet indiquent que ce dernier n’occupe

pas la même position qu’à la forme I.

Commençons par donner la structure de la forme I « sabaq » :

(292)

Etant donné que la forme III ne touche pas au verbe lui-même et qu’elle ne

modifie pas ses traits sémantiques mais s’intéresse plutôt à la relation entre Verbe

et Objet, cela indique qu’elle manipule la partie qui structure le verbe et ses

arguments.

Manipuler la structure du verbe et sa relation avec les arguments implique

manier le domaine de V et donc toucher à la projection VP. En effet, comme on a eu

l’occasion de le voir, lors de l’analyse de la forme I, la racine apporte la partie

lexicale du verbe ainsi que les arguments et V contenant la voix active, agence les

arguments de la racine et leur donne une fonction syntaxique : Sujet pour

l’argument qui occupe la position Spécifieur de √P et Objet pour le deuxième

argument qui occupe la position Complément de √P. C’est au niveau de VP qu’est

déterminée la relation entre le verbe et les arguments.

Ainsi, si la forme III modifie la relation du verbe avec l’un de ses arguments,

en l’occurrence ici l’objet, c’est qu’elle doit intervenir au niveau de VP. Néanmoins,

étant donné que la forme III ne touche ni au verbe ni au sujet ni à la relation Sujet/

Page 200: Les 10 formes du verbe

200

V’

VP

√P

√’

√sbq

karim ET 3ali

3ali

karim

V [CV] a

verbe, la partie VP telle que présentée dans le schéma (292) reste intacte ; c’est-à-

dire avec en position tête V un CV contenant une voyelle « a », et une position

Spécifieur accueillant l’argument qui se trouve dans la position Spécifieur √P.

Pour pouvoir rendre compte de cette nouvelle relation entre le verbe et

l’objet qu’instaure la forme III et à la fois garder intacte la structure qui gère la

relation entre le verbe et son sujet, il faudra maintenir la structure de VP telle

qu’elle est à la forme I et lui ajouter un élément qui n’affecte pas cette partie

principale.

Une coordination aurait pu permettre ceci et garantir la participation des

deux agents à l’action dénotée par le verbe, mais elle aurait mis les deux arguments

dans la position Sujet : [Argument 1 et Argument 2 Verbe], privant ainsi le verbe

d’un Objet. Encore faudrait-il qu’il y ait un mécanisme permettant de déplacer, à la

fois, l’argument en position Spécifieur de √P et l’argument en position Complément

de √P dans la position Specihieur de VP :

(293) *

Un dénouement qui donnerait le même résultat que la coordination, à savoir

faire participer l’argument Objet à l’action dénotée par le verbe, sans donner le

même effet, à savoir changer cet argument en Sujet, serait de répéter le verbe. En

effet, puisque la forme III nous dit que l’objet participe au verbe de la même

manière que le sujet, en répétant le verbe, on assurerait ce résultat. Dans ce cas, la

forme III reflèterait exactement la structure [karim sabaq] + [3ali sabaq].

Page 201: Les 10 formes du verbe

201

Néanmoins, la forme III n’est manifestement pas une forme rédupliquée.

Pourtant, si l’on regarde ce qu’est véritablement le verbe et précisément de quoi

est constituée la position tête V, on se rend compte que la forme III est une forme

qui duplique V. En effet, V est constitué d’une position CV dont la position

vocalique est occupée par la voyelle « a » et la forme III réalise une voyelle longue

« a ». Cette voyelle longue qui a été interprétée, auparavant, comme résultant de la

nécessité de remplir une position CV vide qui se trouve à sa droite, peut être

perçue, dorénavant, comme étant, en réalité, deux voyelles « a » : la voyelle « a »

que contient V1 plus la voyelle « a » que contient V2.

Nous postulons, donc, que si la forme III réalise une voyelle longue c’est

parce qu’il y a deux têtes V contenant chacune une position CV dont la position

vocalique est occupée par une voyelle « a ».

Admettant que la forme III renferme deux positions V, il reste à voir

comment celles-ci s’agencent. La forme III ajoute un argument, en plus de la

position V responsable de la réalisation d’une voyelle longue « aa ». Il devient

évident, donc, que la structure supplémentaire que renferme la forme III est une

structure contenant une tête V et une position Spécifieur qui renferme l’argument

sélectionné par V. De la sorte, la forme III aurait deux projections VP (VP1 ; VP2).67

Une telle situation oblige une configuration dans laquelle la projection VP1 domine

la projection VP2 qui, elle, domine la projection √P (cf.(294)) :

67 Il est tout à fait concevable de supposer l’existence de deux projections VP voire de supposer qu’une projection VP puisse en sélectionner une autre. Le cas se présente avec les verbes sériels que l’on retrouve dans certaines langues africaines ainsi que dans certaines langues asiatiques (cf. Larson 1991, Paul 2004). Nous ne tentons pas de comparer la forme III réciproque à la construction sérielle, nous voulons juste attirer l’attention sur la possibilité d’une configuration avec deux projections VP. Sans oublier qu’avant l’introduction du petit-vP, on présentait des structures avec deux VP.

Page 202: Les 10 formes du verbe

202

V2’

VP2

√sbq

karim V1’

VP1

V1 [CV] a

3ali

√P V2 [CV] a

V2’

VP2

√f3l

V1’

VP1

argument

√’ argument

√P V2 [CV] a

V1 [CV] a

argument

(294)

Étant donné que le VP supplémentaire de la forme III a la possibilité

d’ajouter un argument, nous stipulons que c’est le cas en permanence. Autrement

dit, ce VP ajoute toujours un argument dans sa position Spécifieur et c’est la raison

pour laquelle cet argument est toujours « agent ». Par conséquent, l’agent qui

assume la fonction Sujet d’une forme III est l’agent apporté par VP1 et l’agent qui

assume la fonction Objet est l’agent apporté par la racine et qui occupe la position

Spécifieur de √P.

Quant à l’argument « Patient » qui devait normalement occuper la position

Complément de √P, il est tout simplement éliminé de la structure. Ceci nous amène

à concevoir que pour certaines racines, l’argument Complément est optionnel et

peut donc se réaliser comme il peut être omis.

Ainsi la structure d’une forme III « Saabaq » se présente comme suit :

(295)

Page 203: Les 10 formes du verbe

203

V2’

VP2

√P

√sbq

3ali

3ali

V1’

VP1

kariim

V1 [CV] a

V2 [CV] a

C’est dans cette configuration que nait la propriété qu’a la forme III de faire

participer l’objet à l’action dénotée par le verbe. Une telle structure donne deux

agents pour un même événement, dénoté par une même racine. En effet,

l’argument agent de la racine se déplace dans la position Spécifieur de VP2 qui

sélectionne √P et est donc l’agent de V1 (296), et la deuxième projection VP

apporte son propre argument qui sera l’agent de V2 :

(296)

Les deux verbes, liés soit au Sujet soit à l’Objet, sont de même nature et sont

constitués par les mêmes éléments (une position CV dont la position vocalique est

occupée par une voyelle « a »), c’est ce qui fait que la relation qu’entretient l’Objet

avec son verbe est de même nature que celle qu’entretient le Sujet avec son verbe.

Néanmoins, vu que VP2 est en position de Complément par rapport à VP1, les deux

arguments n’auront pas la même fonction syntaxique. L’argument « kariim » qui se

trouve en position Spécifieur de VP1 aura la fonction Sujet et l’argument « 3ali »

qui, lui, occupe la position Spécifieur de VP2, aura la fonction Objet.

Passons maintenant à la forme III « kaatab » que Wright distingue de la

forme « saabaq » en supposant qu’elle transforme l’objet indirect, que l’on retrouve

à la forme I « katab », en un objet direct et où l’auteur parle d’un réciproque

implicite.68 Commençons par donner la structure de la forme I « katab » (cf.(297) :

68 En réalité, la seule chose qui différencie ces deux formes c’est que l’Objet de la forme III « saabaq » est de même nature que celui de la forme I « sabaq » : « kariim sabaq 3ali » (Karim a dépassé Ali)VS « kariim saabaq 3ali » (Karim a fait la course avec Ali) alors qu’avec la forme III

Page 204: Les 10 formes du verbe

204

V’

VP

√P √’

√ktb risaala

karim √’ ila mudiir

V [CV] a

(297)

Dans une forme I, la racine apporte un argument « agent », un argument

« patient » et un argument « bénéficiaire ».

A la forme III « kaatab », nous pouvons avancer, à la lumière de ce que nous

avons vu lors de l’analyse de la forme III « saabaq, que la racine ne projette ni son

argument Complément ni son argument Adjoint. Elle se contente de projeter

l’argument « agent ». De ce fait, le deuxième argument que possède la forme III

« kaatab » est apporté par le deuxième VP que sa structure renferme. Ainsi, dans la

proposition donnée en (288), que nous reprenons ci-dessous, le Sujet « kariim » est

l’argument apporté par VP1 et l’objet « al-mudiir » est l’argument apporté par la

racine, en position Spécifieur :

(298) kaataba kariim-un al-mudiir-a

a correspondu karim-nominatif le directeur-accusatif ‘‘Karim a correspondu avec le directeur.’’

De ce fait, l’argument « al-mudiir » n’est pas déplacé d’une position Adjoint

vers une position Complément, il est tout simplement l’argument réalisé en

position Spécifieur de la racine.

De cette manière, la forme verbale a deux arguments dont le rôle

thématique est « agent », ce qui fait que les deux ont la capacité de participer à

l’action dénotée par le verbe. Etant donné que les deux arguments « agent »

apparaissent dans une structure simple du type : [Sujet verbe Objet] : [kariim

« kaatab », on retrouve un Objet [+animé] que l’on ne peut pas avoir avec la forme I « katab » : « kariim kataba risaalat-an » ( Karim a écrit une lettre)/ « karim kaataba 3ali » (Karim a correspondu avec Ali).

Page 205: Les 10 formes du verbe

205

V2’

VP2

√P

√ktb

mudiir

V1’

VP1

kariim

V2 [CV] a

V1 [CV] a

kaatab al-mudiir ] (Karim a correspondu avec le directeur), la participation de

chacun des deux arguments à une même action donne le sens de « réciprocité».

Ainsi, la structure de la forme III « kaatab », se présente comme suit :

(299)

Ainsi, au niveau de la structure syntaxique, rien ne distingue la forme III

« kaatab » de la forme III « saabaq ». Comme on vient de le montrer, il ne s’agit

aucunement, dans le cas de la forme III « kaatab », de changer l’Objet indirect en un

Objet direct. Dans les deux cas, la structure de la forme III ajoute un argument

« agent » et dans les deux cas, la racine sélectionnée ne projette pas son argument

Complément. De la sorte, si Wright reconnait un sens réciproque explicite à

« saabaq » et non pas à « kaatab » (où il parle de réciproque implicite), cela ne

provient pas de leur structure syntaxique, puisqu’elle est identique, mais tout

simplement, des traits sémantiques de la racine.

En effet, une racine comme √sbq denote l’action de « dépasser quelqu’un »,

cette action n’a de sens que par rapport à un autre actant : si on est seul à se

déplacer vers un endroit ou à effectuer une quelconque tâche, on ne peut pas

parler de « dépasser ». La forme III « saabaq » (faire la course avec) implique les

deux arguments dans cette même action et, par conséquent, ces derniers se

trouvent dans la même relation l’un avec l’autre.

En revanche, une racine telle que √ktb (qui a comme Complement un Objet

[-animé] mais peut avoir un Bénéficiaire qui, lui, sera [+animé]), indique une action

qui peut avoir lieu indépendamment de toute autre action. On peut écrire quelque

Page 206: Les 10 formes du verbe

206

V2’

VP2

V2 sbq |

[CV] a

√P

√sbq

3ali

3ali

V1’

VP1

kariim

V1 [CV] a

chose sans que ça soit lu, comme on peut écrire à quelqu’un sans que cette

personne ne réponde (tout dépend du sujet de l’écrit). Toutefois, mise à la forme

III, « kaatab » implique que les deux arguments font la même action « écrire » et

entretiennent la même relation l’un avec l’autre. De ce fait, la forme III « kaatab »

indique également une réciprocité explicite.

3.1.2. Comment obtient-on une forme III ?

Maintenant que l’on connaît la structure de la forme III réciproque et que

l’on sait comment elle permet la participation de l’objet à l’action dénotée par le

verbe, il nous reste à déterminer le processus de formation qu’elle suit pour se

réaliser. En effet, si l’on sait que la forme III est constituée d’une projection VP1,

une projection VP2 et une projection √P, il faudra comprendre comment on arrive

au résultat final « faa3al ».

Etant donné que la structure de la forme III renferme deux positions têtes V

mais qu’une seule projection √P est sélectionnée (et donc une seule racine est mise

à disposition), les deux têtes V devront alors se partager la même racine. Nous

avons vu qu’à la forme I, la racine se déplace en V et s’associe à la position

consonantique du CV de ce dernier, sauf qu’ici il y a deux V et les deux V doivent

être associés à la racine.

La forme verbale « saabaq » est obtenue suite au déplacement de la racine

√sbq à V2 :

(300)

Page 207: Les 10 formes du verbe

207

V2’

VP2

√P

√sbq

3ali

3ali

V1’

VP1

V1 s b q | [CV]+[CV] a a

kariim

V2 sbq | [C V] a

V2’

VP2

√P

√sbq

karim V1’

VP1

V2 s b q | [CV] a

3ali

V1 s b q | [CV]+[CV] a a

Asp’

AspP

AgrP

Agr’

Agr s b q | | | [CV][CV][CV]+[CV] a a

Asp s b q | | [CV][CV]+[CV] a a

karim

karim

3ali

Puis du déplacement de V2 en V1 :

(301)

Sachant que chacun de V1 et V2 contient une position « CV » dont la position

vocalique est occupée par une voyelle « a », le déplacement de V2 en V1 crée la

suite « CaCa » dont résulte la voyelle longue que réalise la forme III.

Ensuite, comme montré en (302) pour acquérir les traits d’aspect et

d’accord, V1 se déplace dans la tête de AspP. puis de AgrP qui apporteront les deux

positions CV qui associent la deuxième et la troisième consonne de la racine.

L’argument en position Spécifieur de VP1 finit dans la position Spécifieur de AgrP :

(302)

Page 208: Les 10 formes du verbe

208

Ainsi, on obtient sous la tête Arg, quatre positions CV dont deux apporte

chacun une voyelle « a » et une racine √sbq. L’association au gabarit se fera comme

suit :

� La racine s’associe à la position C du CV de la tête qui l’a accueillie en

premier à savoir V2 ;

� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de

Asp. ;

� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Agr.

Ce qui donne le gabarit suivant, qui correspond exactement à celui élaboré

par Guerssel et Lowenstamm :

(303) s a b q

/ \ [C V] [C V][CV][CV] V1 V2 Asp Agr

La question qui se pose aussitôt est de savoir la raison pour laquelle la

deuxième consonne de la racine ne s’associe pas à la position C du deuxième CV. La

réponse réside dans le Principe du contour obligatoire. En effet, si la structure

syntaxique n’interdit pas l’existence de deux V, au niveau PF une contrainte

interdit toute séquence consécutive de deux syntagmes homophones. Ce qui

stipule que deux auto-segments adjacents ne peuvent pas avoir la même valeur

(Principe du contour obligatoire).69

De ce fait, au niveau morphophonologique, la représentation des deux V ne

sera pas indiquée comme suit :

(304) * C V C V

| | a a

69 Leben (1973) ; McCarthy (1986) ; Goldsmith(1976).

Page 209: Les 10 formes du verbe

209

Mais plutôt par une suite « CVCV » et une voyelle « a » qui branche sur les

deux positions :

(305) C V C V

a

Ainsi, étant donné que la voyelle « a » branche sur les deux positions

vocaliques des deux CV, la position consonantique qui se retrouve à l’intérieur

devient inaccessible et ne peut être associée à aucun élément. En effet, le Principe

du Contour Obligatoire impose des contraintes de bonne formation auxquelles est

soumise l’association du gabarit aux segments. Il s’agit du principe du non

croisement des lignes d’association :

(306) * s a b q

| | | | C V C V C V C V

Pour ce qui est de la forme III « kaatab », nous avons montré qu’elle a

exactement la même structure que la forme III « saabaq ». En conséquence, elle

suivra exactement le même processus de formation que cette dernière, procédera

aux mêmes mouvements et s’associera au gabarit de la même manière.

Nous savons à présent comment obtient-on une forme III « faa3al » qui

indique que le Sujet et l’objet participent à l’action. La forme III a pour ainsi dire un

seul sujet mais deux agents. C’est une forme qui implique à chaque fois deux

actants et est d’un point de vue sémantique pluriel ; la pluralité est ici une pluralité

d’actants.

Il s’avère ainsi que le (CV) qui permet la réalisation d’une voyelle longue à la

forme III est complètement différent de celui qui permet la réalisation d’une

consonne géminée dans la forme II. Tout d’abord parce que dans la forme II, la

position CV est obtenue grâce à une projection vP alors que dans la forme III, la

position CV est obtenue grâce à une projection VP. Ensuite, parce que le CV apporté

Page 210: Les 10 formes du verbe

210

par la forme II est privé de tout contenu segmental, alors que le CV apportée par la

forme III contient une voyelle « a ». Maintenant que l’on sait que la voyelle longue

« aa » qui se réalise dans la forme III est en réalité deux voyelles « a » appartenant

à deux positions CV, la question de savoir pourquoi c’est la position vocalique du

CV supplémentaire qui a été activée et non pas la position consonantique comme à

la forme II, ne se pose plus.

3.2. Emplois non-réciproques de la forme III

Le sens réciproque n’est pas, en soi, ce qui donne à une forme III sa

structure. Il n’est qu’une conséquence de la structure syntaxique de cette dernière.

De ce fait, il est tout à fait envisageable d’avoir des formes III non-réciproques. Il

faut garder en vue que ce qu’on appelle ‘réciproque’ désigne avant tout la

participation de chacun du Sujet et de l’Objet à l’événement dénoté par le verbe.

Cette participation ne s’effectuera certainement pas de la même manière s’il s’agit

d’une racine qui dénote une action ou d’une racine qui dénote un état.

Nous verrons dans cette sous-section deux emplois non-réciproques de la

forme III. Le premier concerne les racines qui dénotent un état et le second

concerne les racines qui n’ont aucun argument, c’est-à-dire celles destinées

initialement à former des noms. Nous partons du principe que si ces formes

partagent la même morphologie que la forme III canonique c’est qu’elles ont la

même structure syntaxique. En dépit du fait que ces deux formes ne dénotent pas

le réciproque, nous nous intéressons à leurs propriétés syntaxiques pour prévaloir

les traits qu’elles ont en commun avec les formes III réciproques, et qui

justifieraient qu’elles aient la même structure, et par la suite, comprendre ce qui

les empêche, à leur tour, de rendre compte de ce sens.

Page 211: Les 10 formes du verbe

211

3.2.1. De l’état à l’action

Lorsqu’une racine qui dénote un état ou une qualité est mise à la forme III,

cette dernière indique une action ; d’où le titre donné à cette sous-section.

Observons quelques exemples :

(307) Hasuna 3aliyy-un

être bon Ali-nominatif ‘‘Ali est bon.’’

(308) xašun 3aliyy-un

être rude Ali-nominatif ‘‘Ali est rude.’’

A la forme III, on a ce qui suit :

(309) Haasana 3aliyy-un kariim-an

a.agi.avec.bonté Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Ali a agi avec bonté envers Karim.’’

(310) xaašana 3aliyy-un kariim-an

a.agi.avec.rudesse Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Ali a agi avec rudesse envers Karim.’’

Le verbe à la forme I « Hasun », donné en (307), indique une qualité « être

bon » et possède un seul argument dont le rôle thématique est « Thème ». Ce verbe

est intransitif et n’affecte donc pas un Objet. C’est le cas également pour le verbe à

la forme I «xašun », donné en (308).

A la forme III « Haasan », donnée en (309), le verbe indique « agir avec

bonté envers quelqu’un ». De même pour la forme III « xaašan », donnée en (310),

où le verbe indique « agir avec rudesse envers quelqu’un ». Le verbe à la forme III

devient transitif et acquière un deuxième argument qui a la propriété [+ animé].

Examinons de près la forme « Haasan », donnée en (309). Cet exemple

prouve que la structure de la forme III, ajoute bel et bien un argument à la grille

thématique de la racine. En effet, la forme I « Hasun », donnée en (307), manifeste

un seul argument, « 3ali», et le verbe indique un état voire une qualité « être bon ».

Page 212: Les 10 formes du verbe

212

Par conséquent, l’argument « Karim » qui se manifeste à la forme III « Haasan » est

ajouté ultérieurement ; ce qui confirme que la forme III renferme une structure qui

lui procure un argument, en plus de lui permettre de réaliser une voyelle longue.

Cependant, cette forme ne dénote pas le réciproque alors que c’est,

précisément, ce qui nous avait permis de discerner la structure d’une forme III. De

ce fait, la question de savoir ce qui justifie qu’on affecte la structure établie pour les

formes réciproques à une forme comme « Haasan » se pose nécessairement.

Nous partons, toujours, du principe que deux formes qui partagent la même

morphologie partagent forcément la même structure syntaxique. De ce fait, nous

partons du principe que la forme « Haasan » a la même structure que la forme

« saabaq » et renferme deux projections VP. Il nous faut, néanmoins, justifier un tel

postulat et ce, en discernant dans la forme III « Haasan » ce qui permet de

confirmer l’existence de cette structure, et qui expliquerait, également, l’absence

du sens réciproque. En d’autres termes, il faudra que les propriétés d’une forme

« Haasan » puissent correspondre à la structure qu’on lui a attribuée et que ce

qu’elle dénote trouve son explication dans celle-ci.

La première chose à faire remarquer est que, dans le cas présent, la racine

indique un état ; contrairement aux formes III réciproques où la racine indiquait

une action. Cette propriété est très importante, dans la mesure où la réciprocité ne

peut se produire que s’il y a une action à partager. De la sorte, il est évident qu’une

racine indiquant un état ne pourra pas produire une forme réciproque, même si

elle est enchâssée dans la même structure qu’une forme III réciproque.

Maintenant, reste à savoir ce qu’apporte une forme III à une racine telle que √Hsn.

La forme I « Hasun » indique un état « être bon » et renferme un argument

« Thème ». À la forme III « Haasan », trois changements vont se succéder :

a. un argument « agent » est ajouté,

b. la forme se trouve dotée d’un Objet,

Page 213: Les 10 formes du verbe

213

V2’

VP2

√P

√Hsn

3ali

V1’

VP1

kariim

V1 [CV] a

V2 [CV] a

c. le verbe devient un verbe d’action.

L’ajout d’un argument confirme que la forme « Haasan » renferme une

deuxième projection VP (on exclut que ça soit une projection vP puisque sa

présence produirait un résultat morphologique et sémantique différent). Cette

opération aura pour conséquence de doter le verbe d’un Objet : l’argument de la

racine qui est Sujet à la forme I devient un Objet direct au moment où une nouvelle

projection, plus haute, apporte un argument. Cette nouvelle donnée aura pour

conséquence de changer la nature du verbe qui passe d’un verbe d’état « être bon »

à un verbe d’action « agir avec bonté ».

La qualité « être bon » qui concernait l’argument Thème de la racine, devient

une action qui concerne l’argument apporté par le deuxième VP. Toutefois, elle ne

devient pas, pour autant, une qualité du Sujet mais une qualité de la relation qui lie

le Sujet à l’Objet : lorsqu’on dit que « Karim » agit avec bonté envers « Ali », cela ne

signifie pas que « Karim » est bon mais que la relation qu’il a avec « Ali » est bonne.

De la sorte, en l’absence d’une action qui va du Sujet vers l’Objet et de l’Objet vers

le Sujet, avec des racines indiquant un état, la forme III décrit la relation entre le

Sujet et l’Objet. Cette configuration, même si elle ne fait pas ressortir explicitement

le sens de la réciprocité, elle justifie le recours à une structure du réciproque et fait

prévaloir l’existence d’une deuxième projection VP ; comme c’est le cas pour les

formes III réciproques.

Ainsi, la structure de la forme « Haasan » se présente comme suit :

(311)

Page 214: Les 10 formes du verbe

214

En dépit du fait que cette forme ne dénote pas le réciproque, elle a les

mêmes propriétés syntaxiques et la même structure qu’une forme III réciproque,

et c’est ce qui lui donne sa morphologie. La forme III « Haasan » suit le même

processus de formation que la forme III réciproque (cf. section 3.1.2)

3.2.2. Du nom au verbe

La forme III peut être dénominale. Voici quelques exemples :

(312) saafara 3aliyy-un

a voyagé Ali-nominatif ‘‘Ali a voyagé.’’

(313) Daa3afa aT-Taalib-u al-majhud-a

a redoublé l’étudiant-nominatif l’effort-accusatif ‘‘L’étudiant a redoublé l’effort.’’

Les raisons pour lesquelles ces verbes de forme III sont considérées comme

étant dérivés de noms, c’est l’existence de noms formés à partir de la même racine,

comme ce qu’on peut observer dans ce qui suit :

(314) qaama 3aliyy-un bi s-safar-in Tawiil-in

a effectué Ali-nominatif avec un voyage -génitif long –génitif ‘‘Ali a effectué un long voyage.’’

(315) qaama aT-Taalib-u bi Di3f-i al-majhud-i

a effectué l’étudiant-nominatif avec double-génitif l’effort-génitif ‘‘a effectué l’étudiant le double de d’effort.’’

Wright (1896 : 34) considère qu’un verbe comme « saafar » (voyager) vient

du nom « safar » (voyage) et qu’un verbe comme « Daa3af » (redoubler) vient du

nom « Di3f » (double). Ce qu’on appelle ‘forme dénominale’, est une forme verbale

qu’on suppose être dérivée d’un nom. Dans notre analyse cela correspond à une

forme verbale construite à partir d’une racine qui, en principe, n’a aucun argument

(une racine destinée à former un nom). De la sorte, la forme III peut donc donner

une structure argumentale à une racine qui, à priori, n’en a pas.

Page 215: Les 10 formes du verbe

215

V2’

VP2

√sfr

V1’

VP1

V1 [CV] a

3ali

V2 [CV] a

La forme « saafar » ne manifeste qu’un seul argument que l’on suppose être

apporté par la structure de la forme III. La forme « Daa3af », quant à elle, en réalise

deux. On verra, par la suite, la position du deuxième argument ; le premier étant

également apporté par la structure de la forme III.

Il est évident que le sens « réciproque » ne peut pas être présent dans une

proposition qui ne compte qu’un seul argument comme c’est le cas pour « saafar ».

De même, dans le cas de « Daa3af » où l’on compte deux arguments, on remarque

que l’objet réalisé a le trait [-animé], ce qui rend impossible la présence du sens

« réciproque ».

Etant donné que ces formes dénominales n’indiquent d’aucune manière la

participation de l’objet à l’événement dénoté par le verbe et, même dans le cas où

la forme dispose de deux arguments et vu que le sens du verbe ne subit aucun

changement, on ne saurait, à vrai dire, établir leur structure indépendamment de

ce que l’on sait sur une forme III. Pour ce faire, nous partons du fait que ces formes

qui, par leur morphologie, ressemblent aux formes III réciproques, doivent

forcément avoir la même structure. Nous appliquons, en quelque sorte, la structure

établie au préalable aux formes dénominales et nous essayerons, seulement, de

comprendre la raison pour laquelle ces formes existent.

Nous présumons donc que La structure de la forme III « saafar » se présente

comme suit :

(316)

La racine √sfr n’a aucun argument, le verbe se trouve dote d’un argument

Sujet par VP1 de la même manière que les autres formes III qu’on a étudiées.

Page 216: Les 10 formes du verbe

216

V’

VP

3ali

√sfr V [CV] a

Toutefois, face à la structure en (316), on ne peut pas s’empêcher de se demander

pourquoi l’argument en question n’est pas ajouté dès VP2. Rappelons que dans les

autres formes III, la racine avait un argument qui occupait cette place, alors qu’ici

celle-ci reste vide.

Tout d’abord, rappelons qu’avec une forme I, on peut avoir des formes

dénominales. En général, ça donne le sens « être + racine ». Par conséquent, si on

ajoutait un argument au niveau du premier VP, comme montré en (317) , on

obtiendrait le sens « être voyage » :

(317)

Une forme I, avec ce genre de racine, s’avère impossible d’où la nécessité

d’avoir recours à une structure plus complexe. Cependant, la question de savoir

pourquoi la forme III est désignée et non pas la forme II se pose d’emblée.

Le fait de choisir la forme III au lieu de la forme II revient à choisir V au lieu

de v. Sachant que v rend compte d’un causatif et que V comporte uniquement la

voix active, le fait de choisir v aura pour conséquence la modification des traits

sémantiques de la racine tandis que le choix de V garantit de garder intact le sens

de celle-ci. En effet, un vP donnerait, pour cette racine, un sens causatif : « faire

voyager » alors que le sens cherché est tout simplement « voyager ».

Sachant que chacun de VP et de vP peut apporter un argument et sachant

que le premier n’affecte pas le sens de la racine alors que le second le modifie, c’est

la projection VP qui, dans ce cas, est préférable pour apporter un argument à la

forme dénominale. En effet, les verbes dénominaux, à la forme III, doivent acquérir

un argument et doivent donc être sélectionnés par des projections qui leur

permettent de le faire, mais doivent aussi garder le même sens que la racine :

Page 217: Les 10 formes du verbe

217

V2’

VP2

V [C V] a

√D3f

V1’

VP1

V [CV] a

kariim

3dd

« safar » (voyage) VS « saafar » (voyager) ; chose que leur procure la structure de la

forme III avec ces deux projections VP.

Examinons maintenant la forme III « Daa3af ». Cette forme est considérée

comme étant dérivée du nom « Di3f ». Dans notre analyse, cela correspond à un

verbe dérivé d’une racine qui n’a aucun argument. Pourtant, la forme III « Daa3f »

réalise deux arguments, l’argument Sujet est forcément apporté par VP1, comme

c’est le cas pour toutes les formes III, reste alors à déterminer d’où vient

l’argument Objet.

La structure qui réalise une forme III contient deux projections VP et l’on

sait que VP a le pouvoir d’ajouter un argument. De ce fait, théoriquement on peut

avoir deux arguments par le biais de cette structure. Le même cas s’est présenté

avec la forme II dénominale où un argument est ajouté en VP et un autre est ajouté

en vP.

Ainsi, la structure de la forme III « Daa3af » se présente comme suit :

(318)

La première projection VP apporte un argument et la deuxième projection

VP en apporte un deuxième. Signalons, tout de même, que si l’on force un peu le

sémantisme de ce verbe on peut retrouver, non pas la réciprocité, mais au moins

l’idée de la participation des deux arguments à l’événement dénoté par le verbe. En

effet, le verbe « redoubler » implique que le sujet redouble son action et que le

patient subisse cette action d’une manière double.

Page 218: Les 10 formes du verbe

218

La forme III dénominale suit le même processus de formation que la forme

III canonique et s’associe au gabarit de la même manière que cette dernière (cf.

section 3.1.2). Toutefois, la racine ne projette pas et donc son association avec le

premier V ne se fera pas un mouvement de tête à tête mais par une simple fusion

Tête-Complément, chose qui n’aura aucune incidence sur le résultat

morphologique.

4. Conclusion

L’étude des différents emplois de la forme III a montré que celle-ci réitère la

structure VP. On se retrouve ainsi avec deux projections VP (VP1 et VP2). La

projection VP2 sélectionne la racine et accueille dans sa position Spécifieur

l’argument « agent » ou « thème » apporté par celle-ci. Quant à la projection VP1,

elle apporte son propre argument.

Les deux projections VP renferment, chacune, une tête V constituée d’une

position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle « a ». C’est ce qui

donne à la forme III sa spécificité morphologique, à savoir la réalisation d’une

voyelle longue « aa ».

Avoir une structure VP supplémentaire est responsable également du sens

de la réciprocité que dénote la forme III. En effet, le fait de répéter VP tout en ne

gardant qu’une seule racine fait en sorte que les deux arguments participent au

même événement. Chacun des deux arguments occupe la position Spécifieur d’un

VP et est alors en relation avec son propre V et vu que la racine se déplace dans ces

deux positions V, ceci se traduit par la participation des deux arguments à l’action

et procure un sens de réciprocité. Ce sens est vite estompé quand le sens de la

racine elle-même ne s’y prête pas, c’est ce qu’on a avec les racines qui indiquent un

état et avec celles qui n’ont aucun argument.

Page 219: Les 10 formes du verbe

219

CHAPITRE 8

ANALYSE DE LA FORME VI « ta-faa3al »

1. Introduction

La forme VI « ta-faa3al » fait partie de ces formes qui sont doublement

composées et qui manifestent deux éléments supplémentaires par rapport à une

forme de base. En effet, la forme VI réalise une voyelle longue « aa » en plus d’un

préfixe « ta». D’un point de vue morphologique, une forme VI englobe une forme III

« faa3al ». De même, d’un point de vue sémantique, elle partage avec cette dernière

le « réciproque ». Toutefois, elle s’en distingue par la réalisation d’un morphème

« t » qui lui apporte un sens supplémentaire : le « réflexif ».

Page 220: Les 10 formes du verbe

220

De ce fait, la forme VI est considérée comme étant la forme réflexive de la

forme III ; de la même manière que la forme V est considérée comme étant la forme

réflexive de la forme II. Néanmoins, sachant que la forme III indique le réciproque,

il n’est pas aisé de parler d’un ‘réflexif du réciproque’, alors qu’on parle aisément

d’un ‘réflexif du causatif’. En effet, le réflexif indique que les deux arguments du

verbe sont co-référents alors que le réciproque exige que le Sujet et l’Objet sont

distincts. Le fait de regrouper à la fois le réflexif et le réciproque dans une même

forme peut sembler problématique voire contradictoire.

La forme VI véhicule principalement le réciproque mais dans certains cas,

laisse place au réflexif ou à un sens qui se traduit par « prétendre ». L’étude que

nous proposons pour cette forme permettra de :

a. déterminer sa structure syntaxique ;

b. discerner comment elle gère la coexistence entre le « réciproque » et le

« réflexif » ;

c. comprendre le statut du morphème « t » et sa position préfixale.

Nous commencerons, tout d’abord, par rappeler le gabarit utilisé par cette

forme et le mode d’association qu’elle adopte. Ensuite, nous examinerons la forme

canonique, à savoir celle qui véhicule le réciproque, afin d’établir la structure

syntaxique d’une forme VI et de déterminer les projections qui la constituent et le

processus de formation qu’elle suit. Enfin, nous nous intéresserons aux emplois

annexes pour d’une part, vérifier qu’ils se soumettent à la structure établie et,

d’autre part, expliquer l’origine de ces différentes interprétations.

2. Quel gabarit pour la forme VI ?

Selon l’analyse morphophonologique que proposent Guerssel et

Lowenstamm pour la forme VI « ta-faa3al », celle-ci utilise le CV- préfixal pour

Page 221: Les 10 formes du verbe

221

associer le morphème « t » et le (CV) dérivationnel pour allonger la voyelle « a ».

Autrement dit, c’est le résultat de la concaténation du suffixe « ta » à la forme III :

(319) t f 3 l

CV- CV (CV)CV CV a a a

De la sorte, la forme VI « ta-faa3al » renferme le gabarit d’une forme III

« faa3al » et utilise, en plus, le CV préfixal pour réaliser le morphème « ta ».

La forme VI « ta-faa3al » réalise une voyelle longue « aa ». Son statut sera

déterminé lors de l’analyse syntaxique que nous proposons dans ce qui suit. Pour

ce qui est de la première et de la dernière voyelle « a », elles sont considérées

comme des copies de la voyelle « a », présente dans la forme :

(320) t f 3 l

CV- CV (CV) CV CV a

Ces deux voyelles sont réalisées pour des raisons phonologiques. En effet, la

première voyelle « a » est réalisée pour éviter la succession de deux consonnes en

début de mot (situation interdite en arabe classique) et la dernière voyelle « a » est

réalisée pour répondre au principe du gouvernement propre : puisque la dernière

position vocalique est vide celle qui précède n’est pas gouvernée et doit alors être

remplie.

L’analyse syntaxique que nous établirons, dans la section suivante, dévoilera

l’origine de deux positions CV, celle qui permet d’associer le morphème « t » et

celle qui permet d’allonger la voyelle « a », ainsi que le mode d’association des

éléments au gabarit suivi pour obtenir une forme VI.

Page 222: Les 10 formes du verbe

222

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VI

Dans cette section, l’accent sera mis sur ce qui fait la particularité d’une

forme VI et qui la distingue d’une forme III. Les détails concernant la structure du

réciproque, à savoir l’existence de deux projections VP, et les raisons qui justifient

cette proposition ont été élaborés lors de l’étude de la forme III (Voir le chapitre

précédent).

Dans un premier temps, nous allons examiner la forme réciproque.

S’agissant de l’emploi principal d’une forme VI, il servira de point de départ pour

déterminer la structure syntaxique et le processus de formation de cette dernière.

Dans un deuxième temps seront analysés les emplois annexes d’une forme VI qui,

comme on le verra par la suite, sont de simples effets de sens tributaires de la

structure et du sens de la racine.

3.1. Le réciproque, point de départ pour l’analyse de la forme VI

Il s’agit de l’emploi pour lequel la forme VI est la plus connue. On verra,

ultérieurement, la raison pour laquelle on a exclusivement un ‘réciproque’ et non

pas un ‘réciproque réflexif’.

Voici quelques exemples d’une forme VI réciproque :

(321) ta-saabaqa kariim-un wa 3aliyy-un

réfl-a.fait.la.course Karim-nominatif et Ali-nominatif ‘‘Karim et Ali se sont fait la course.’’

(322) ta-qaatala kariim-un wa aHmad-un

réfl-a.battu.à.mort Karim-nominatif et Ahmed-nominatif ‘‘Karim et Ahmed se sont battus à mort.’’

(323) ta-jaadaba kariim-un wa aHmad-un at-tawba

réfl-a.tiré Karim-nominatif et Ahmed-nominatif le tissus-accusatif ‘‘Karim et Ahmed ont tiré le tissu (chacun de son côté).’’

Page 223: Les 10 formes du verbe

223

Avec les formes III correspondantes, on a :

(324) saabaqa kariim-un 3aliyy-an

a.fait.la course Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait la course avec Ali.’’

(325) qaatala kariim-un aHmad-an

a.battu.à.mort. Karim-nominatif Ahmed-accusatif ‘‘Karim a battu à mort Ahmed.’’

(326) jaadaba kariim-un aHmad-an at-tawb-a

a tiré (vers-soi) Karim-nominatif Ahmed-accusatif le tissu-accusatif ‘‘Karim a tiré le tissu de son côté et Ahmed a tiré le tissu de son côté.’’

La forme VI est étudiée par rapport à la forme III parce qu’elle partage une

propriété morphologique avec cette dernière, à savoir la réalisation d’une voyelle

longue « aa », et par la même occasion, elle partage une propriété sémantique :

indiquer le réciproque. Confronter une forme VI à une forme III est sensé

permettre de dégager la spécificité sémantique d’une forme VI et, par la suite,

discerner la particularité de sa structure syntaxique. Il en résulte, de cette

comparaison, que la forme VI indique le réflexif ; quoiqu’il ne soit pas aisé d’isoler

ce sens.

Si l’on veut s’assurer que la forme VI « ta-saabaq » indique le sens

réciproque, il faudra la comparer à une forme I « sabaq » :

(327) sabaqa kariim-un 3aliyy-an

a dépassé Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a dépassé Ali.’’

Sachant que la première indique « se faire la course » et que la seconde

indique « dépasser », il devient évident que la forme VI indique bel et bien le

réciproque (de la même manière qu’une forme III « saabaq » (faire la course)) ; en

plus bien évidemment du réflexif.

Intéressons-nous, à présent, à la structure argumentale de la forme VI.

Comparez l’exemple en (321) à celui en (324) et l’exemple en (322) à celui en

Page 224: Les 10 formes du verbe

224

(325). Vous apercevrez que les formes III réalisent deux arguments (un Sujet et un

Objet) et que les formes VI correspondantes réalisent un seul argument (Sujet).

Maintenant comparez l’exemple en (323) à celui en (326), vous percevrez que la

forme III réalise trois arguments (un Sujet et deux Objets) et que la forme VI en

réalise deux (un Sujet et un Objet).

De la sorte, la forme VI réalise toujours un argument en moins par rapport à

la forme III correspondante. En revanche, la forme VI réalise un morphème « t ».

On peut d’ores et déjà supposer que ce morphème se réalise à la place de

l’argument manquant.

Une dernière chose à faire remarquer dans les exemples contenant une

forme VI, donnés en (321), (322) et (323), et qui, comme on le verra par la suite,

aura une grande importance dans l’analyse de cette dernière est que tous les Sujets

sont pluriels.

3.1.1. Une structure où coexistent réciproque et réflexif

La propriété qu’a la forme VI d’englober morphologiquement une forme III

mais aussi de véhiculer le réciproque, nous amène à supposer qu’elle a également

la même structure syntaxique que cette dernière. Le réflexif par lequel se distingue

une forme VI d’une forme III ne provient pas d’une structure particulière, il résulte

tout simplement ; comme on a eu l’occasion de le voir avec les autres formes

réflexives ; de la réalisation de l’argument de la racine sous forme d’un morphème

« t ».

On pourrait, d’ores et déjà, prédire que la structure syntaxique de la forme

VI est identique à celle de la forme III, avec pour seule différence un « t » réalisé en

position Spécifieur de √P. Toutefois, cette hypothèse demande à être confirmée et

il nous faut découvrir comment la forme VI peut-elle gérer la coexistence du

réciproque qui, par définition, indique que le Sujet et l’Objet sont deux entités

Page 225: Les 10 formes du verbe

225

distinctes et le réflexif qui, lui, par définition oblige une coréférence entre le Sujet

et l’Objet.

Examinons de près un des exemples cités ci-dessus :

(328) ta-saabaqa kariim-un wa 3aliyy-un

réfl-a.fait.la.course Karim-nominatif et Ali-nominatif ‘‘Karim et Ali se sont fait la course.’’

(329) saabaqa kariim-un 3aliyy-an

a.fait.la course Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a fait la course avec Ali.’’

En comparant la forme VI « ta-saabaq » à la forme III « saabaq », on devrait

pouvoir faire ressortir le sens réflexif. Toutefois, la tâche semble irréalisable car

avoir un réflexif implique perdre le réciproque. En effet, le réflexif indique que le

deuxième argument se réalise sous forme d’un morphème « t », ce qui a pour

conséquence la non réalisation d’un argument Objet. Dans ces conditions, il est

impossible d’avoir un réciproque, car qui dit réciproque, dit un Objet nominal qui

participe à l’événement dénoté par le verbe. Autrement dit, un verbe réciproque

est obligatoirement un verbe transitif.

Ceci étant, si l’on examine de près la proposition avec la forme VI « ta-

saabaq » donnée en (328), on constate qu’elle ne consiste pas seulement à

remplacer l’Objet qui se réalise avec la forme III en (329) par un morphème « t » ;

procéder à cette opération donnerait une proposition impossible :

(330) *tasaabaqa karim-un

a fait la course Karim-nominatif ‘‘Karim a fait la course.’’

Si la proposition en (330) était possible, elle aurait certainement produit un

réflexif, mais en aucun cas, le réciproque n’aurait pu être présent (même pas d’une

manière implicite).

Page 226: Les 10 formes du verbe

226

Comparez maintenant, cet exemple donné en (330), qui ne peut pas exister

dans la langue, avec celui donné en (328) qui, lui, est attesté. Vous allez, tout de

suite, comprendre comment la forme VI procède pour sauvegarder le réciproque.

La forme VI « ta-saabaq » en (328) ne se contente pas de réaliser un morphème

« t » à la place de l’argument Objet, que l’on retrouve à la forme III « saabaq » Cf.

(329), mais elle réalise un Sujet pluriel coordonné : « Karim et Ali ». De ce fait, le

morphème « t » prend pour antécédent un Sujet pluriel ; ce qu’on peut reconstituer

comme suit :

(331) [Argument 1 et Argument 2] faa3al [Argument1ᵢ et Argument2 ᵢ]

C’est cette configuration qui va sauvegarder le sens réciproque. En effet, le

fait d’avoir un Sujet pluriel et un Objet co-référent permet d’avoir le réciproque et

ce, en prenant dans chacun du Sujet et de l’Objet une partie distincte (vu que le

réciproque exige que les deux éléments mis en relation soient différents) et permet

également d’avoir le réflexif et ce, en prenant chacun du Sujet et de l’Objet dans sa

totalité (vu que le réflexif exige que les deux éléments mis en relation soient

identiques) ; c’est ce que nous schématisons dans le diagramme en (332) :

(332) Réflexif

Sujet Objet

Argument 1 Argument 1ᵢ

Argument 2 Réciproque Argument 2ᵢ

Il s’ensuit qu’avec la forme VI, il n’y a pas de cas de réciprocité implicite

comme ce qu’on avait avec la forme III. En effet, si la forme III « kaatab » est

considérée comme indiquant un sens de réciprocité implicite :

(333) kaatab-a kariim-un al-mudiir-a

a.correspondu karim-nominatif le directeur-accusatif ‘‘Karim a correspondu avec le directeur.’’

Page 227: Les 10 formes du verbe

227

À la forme VI « ta-kaatab », cette réciprocité devient explicite :

(334) ta-kaatab-a kariim-un wa al-mudiir-u

réfl-a.correspondu Karim-nominatif et le directeur-nominatif ‘‘Karim et le directeur ont correspondu (l’un avec l’autre).’’

Un éclaircissement s’impose, ici, concernant le statut des arguments que

réalise une forme VI car la situation peut prêter à confusion. En effet, si l’on

compare la structure de la forme III « saabaq » donnée en (335) et celle de la forme

VI « ta-saabaq » donnée en (336) :

(335) [Argument 1 saabaq Argument 2]

(336) [Argument 1 et Argument 2 ta-saabaq]

On pourrait être tenté de penser que ‘l’argument 1’ et ‘l’argument 2’ qui se

réalisent en position Sujet dans une forme VI (Cf. (336)) sont ‘l’argument 1’ Sujet et

‘l’argument 2’ Objet que l’on retrouve dans la forme III correspondante (Cf. (335));

ce qui est totalement inexact.

En effet, si l’on envisage un processus qui fasse monter l’argument Objet

dans une position où il sera coordonné à l’argument Sujet, un tel mouvement

permettra d’avoir les deux arguments en position Sujet mais privera la forme d’un

Objet. Ce qu’on obtiendra c’est un Sujet pluriel avec un verbe intransitif à la forme

III. Sans oublier que la spécificité de la forme VI est que l’argument apporté par la

racine se réalise sous sa forme pronominale « t », auquel cas on ne dispose pas, de

toute manière, d’un argument nominal en position Objet.

Donnons un exemple de forme VI avec un Sujet pluriel sans coordination

pour lever l’ambigüité :

(337) ta-saabaqa al-?aTfaal-u

se.sont.fait.la.course les enfants ‘‘Les enfants se sont fait la course.’’

Page 228: Les 10 formes du verbe

228

V2’

VP2

V2 [CV] a

√P

√sbq

V1’

VP1

V1 [CV] a

karim

3ali

Avec une forme III, on peut avoir :

(338) Saabaqa al-?aTfaal-u al-mudarrib-a

ont.fait.la.course les enfants l’entraineur ‘‘Les enfants ont fait la course avec l’entraîneur.’’

On voit bien dans ces exemples que le Sujet de la forme VI « ta-saabaq » ne

résulte pas de l’addition du Sujet et de l’Objet de la forme III. En effet, le Sujet

pluriel que l’on retrouve dans la forme VI n’est pas une conséquence de la

structure de la forme VI mais une condition pour garder le sens réciproque

apporté par la structure de la forme III.

Ainsi, pour avoir une forme VI qui indique le réciproque, il est nécessaire

d’avoir la structure syntaxique de la forme III et de pouvoir répondre à deux

conditions : la première est que l’Objet doit être co-référent au Sujet mais le plus

important, c’est que ce dernier doit être pluriel. C’est la raison pour laquelle le

réciproque qu’on a avec une forme III se perd si l’on construit une forme VI avec un

Sujet singulier (on aura l’occasion de voir ce cas avec les deux emplois annexes de

la forme VI).

Rappelons ici la structure syntaxique d’une forme III réciproque « saabaq » :

(339)

Étant donné que la forme VI « ta-saabaq » indique le réciproque, elle aura la

même structure que celle établie dans le schéma (339). Pour ce qui est du réflexif,

rappelons qu’il est produit à cause de la réalisation de l’argument apporté par la

racine sous forme pronominal « t ». Par conséquent, il suffit de mettre « t » dans la

Page 229: Les 10 formes du verbe

229

V2’

VP2

V2 [CV] a

√P

√sbq

V1’

VP1

V1 [CV] a

karim wa 3ali

t [CV]

position Spécifieur de √P ; de cette façon on répond à la question concernant la

source du réflexif et le statut de « t ».

Ainsi, la structure de la forme VI « ta-saabaq » se présente comme suit :

(340)

La projection VP1 apporte un argument pluriel « karim et Ali ». La présence

de deux têtes V implique la participation de chacun des arguments (l’argument

apporté par VP1 et celui apporté par la racine) à l’action dénotée par le verbe, et la

présence d’un pronom du réflexif « t » co-référent à un Sujet pluriel, consolide le

sens réciproque.

Il est important de signaler que ce qui génère le réciproque dans une forme

VI n’est pas uniquement le fait d’avoir un Sujet pluriel coordonné et un morphème

du réflexif « t » ; le cas se présente avec la forme VIII (forme réflexive de la forme

I) où le morphème du réflexif, avec certaines racines, a tendance à indiquer le

réciproque lorsque le Sujet est pluriel. En effet, le réciproque que véhicule une

forme VI « ta-saabaq » provient de la partie « saabaq » qu’elle renferme et qui

correspond à une forme III réciproque ; le morphème « t » qu’elle contient, ne fait

que consolider ce rôle.

Ceci étant dit, une question se pose d’emblée : pour quelle raison l’arabe

classique prévoit deux formes pour indiquer le réciproque ? La réponse est qu’en

réalité, cette langue prévoit une seule structure syntaxique pour le réciproque, il

s’agit de celle qui produit une forme III. La forme VI découle de la structure de la

Page 230: Les 10 formes du verbe

230

V2’

VP2

√P

√sbq

karim et 3ali V1’

VP1

V1 [CV] a

V2 s bq | [CV] a

t [CV]

racine. En effet, vu que cette dernière peut sélectionner un argument pronominal

« t », au lieu d’aboutir à une forme III, le système produit une forme VI. Et c’est

pour sauvegarder le réciproque produit par la structure syntaxique, que la forme

VI doit réaliser un Sujet pluriel.

3.1.2. Comment produit-on une forme doublement composée ?

Maintenant que l’on a établi la structure d’une forme VI « ta-saabaq »,

voyons les mouvements et les procédés qui sont mis en œuvre pour permettre son

exécution.

Pour obtenir la forme VI « ta-saabaq », la racine se déplace dans la position

V de VP2 et s’associe à la position consonantique du CV que cette tête renferme :

(341)

Le morphème « t », qui se trouve en position Spécifieur de √P, se déplace

dans la position Spécifieur de VP2, comme montré en(342), pour pouvoir être lié

par l’argument apporté par VP1 qui lui sert d’antécédent :

Page 231: Les 10 formes du verbe

231

V2’

VP2

√P

√sbq

t [CV]

karim et 3ali V1’

VP1

t [CV]

V1 t s bq | | [CV][CV]+[CV] a a

V2 s bq t | [CV]+[CV] a

V2’

VP2

√P

√sbq

karim et 3ali V1’

VP1

V1 [CV] a

V2 s bq | [CV] a

t [CV]

t [CV]

V2’

VP2

√P

√sbq

karim et 3ali V1’

VP1

V1 [CV] a

V2 s bq t | [CV]+[CV] a

t [CV]

t [CV]

(342)

La nature pronominale de « t » l’empêche d’exister seul et le contraint à

s’attacher à une autre unité lexicale. Vu la position qu’il occupe -à savoir Spécifieur

de VP2- la seule possibilité qui s’offre à lui est de fusionner avec V’2 (fusion

Spécifieur-Tête) ; ce qui lui vaut finalement une position à gauche de V2, soit à

gauche de la position CV de V2 :

(343)

Une fois cette association effectuée, V2 peut se déplacer en V1 :

(344)

Page 232: Les 10 formes du verbe

232

V2’

VP2

√P

√sbq

t [CV]

karim et 3ali V1’

VP1

t [CV]

Asp’

AspP

AgrP

Agr’

Asp t s b q | | | [CV][CV][CV]+[CV] a a

karim et 3ali

karim et 3ali

V2 t s bq | | [CV]+[CV] a

V1 t s bq | | [CV][CV]+[CV] a a

Agr t s b q | | | | [CV][CV][CV][CV]+[CV] a a

Ensuite, pour acquérir les traits d’aspect et d’accord, V1 se déplace dans la

tête de AspP. puis de AgrP. qui apporteront les deux positions CV qui associent la

deuxième et la troisième consonne de la racine. L’argument en position Spécifieur

de VP1 se retrouve dans la position Spécifieur de AgrP :

(345)

Ainsi, on obtient sous la tête Agr, cinq positions CV, un morphème « t » et

une racine √sbq. L’association au gabarit se fera comme suit :

� La racine s’associe à la position C du CV de la tête qui l’a accueillie en

premier à savoir V2 ;

� Le morphème « t » s’associe à la position C de son propre CV ;

� La position consonantique du CV apporté par V1 se retrouve entre deux

segments identiques (aa), ce qui la rend inaccessible70. Par conséquent,

elle reste vide ;

� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Asp ;

� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Agr.

70 Cf. Principe du Contour Obligatoire.

Page 233: Les 10 formes du verbe

233

Ce qui donne le gabarit suivant, qui correspond exactement à celui élaboré

par Guerssel et Lowenstamm :

(346) t s a b q

/ \ [CV][CV][CV][CV][CV]

3.2. Pourquoi une structure du réciproque ne produit-elle pas un

réciproque ?

Il existe deux emplois où la forme VI ne semble pas répondre à la forme

canonique établie dans ce qui précède et qui nécessitent, donc, d’être examinés.

Dans le premier cas, la forme VI indique exclusivement le réflexif et dans le second,

elle indique un sens qui se traduit par « prétendre » voire « faire semblant d’être

dans un état donné ». Nous proposons dans cette sous section de découvrir la

source de cette différence d’interprétation et de s’assurer que ces deux emplois

partagent la même structure syntaxique que celle élaborée pour la forme VI

réciproque.

3.2.1. De la coexistence à l’exclusion

Alors que la forme VI garantit la coexistence du réciproque et du réflexif, il

arrive des cas où le réciproque est exclu et que seul le réflexif reste présent.

Il faut rappeler que la forme VI canonique combine réciproque et réflexif

même si au final, seul le réciproque surgit. Le réflexif ne pouvant pas faire surface

auprès du réciproque, est absorbé par ce dernier. Supposons que pour une raison

donnée, une forme ne peut pas dénoter le réciproque, dans ce cas, il est normal de

voir le réflexif faire surface. De ce fait, qu’une forme VI puisse indiquer le réflexif

est chose attendue puisque c’est inclu dans sa structure, reste à découvrir ce qui l’a

empêchée de réaliser le réciproque.

Page 234: Les 10 formes du verbe

234

Voici un exemple où la forme VI indique exclusivement le réflexif :

(347) ta-baa3ada aHmad-un

réfl-a.tenu.éloigné Ahmed-nominatif ‘‘Ahmed s’est tenu éloigné.’’

Sachant qu’à la forme III correspondante, on a :

(348) baa3ada kariim-un aHmad-an

a.tenu.éloigné Karim-nominatif Ahmed-accusatif ‘‘Karim a tenu Ahmed éloigné.’’

La première remarque qui s’impose est que le Sujet de la forme VI est

singulier, ce qui prédit que le réciproque ne sera pas présent. Avec une forme qui

englobe à la fois la structure du réciproque et un morphème du réflexif, en

l’absence d’un Sujet pluriel, le réciproque ne pourra pas exister et seul le réflexif

persistera.

Néanmoins, il ne s’agit pas simplement d’ajouter un sens réflexif à une

racine √b3d. En effet, la forme VI « ta-baa3ad » ne se traduit par « s’éloigner » mais

par « se tenir éloigné », ce qui signifie qu’elle a gardé le sens que dénote la forme III

« baa3ad » (tenir éloigné) ; auquel elle a ajouté le sens réflexif71.

De ce fait, la forme « ta-baa3ad » conserve la structure du réciproque même

si elle ne véhicule par le réciproque. L’absence de ce rôle est dû exclusivement au

fait que le Sujet est singulier. Pour vérifier ce postulat, nous mettons la forme VI

« ta-baa3ad » avec un Sujet pluriel :

(349) ta-baa3ada aHmad-un wa kariim-un

réfl.a.tenu éloigné Ahmed-nominatif et Karim-accusatif ‘‘Ahmed et Karim se sont tenus éloignés.’’

71 Le verbe à la forme I « ba3ud », est intransitif et indique que le Sujet est dans un état « être loin ». À la forme II, le verbe devient transitif et indique que le Sujet fait une action qui est « tenir éloigné ». Cette action implique également l’Objet : pour que X soit loin de Y, il faut que Y soit loin de X (X étant le Sujet et Y étant l’Objet). Avec un Sujet singulier et un morphème du réflexif qui implique que le Sujet et l’Objet ont une même référence, la forme VI « ta-baa3ad » indiquera que le Sujet « tient soi-même loin ».

Page 235: Les 10 formes du verbe

235

V’

VP2

√P

√b3d

aHmad

V’

VP1

V1 [CV] a

t [CV]

V2 [CV] a

Il s’avère qu’avec un Sujet pluriel, on récupère le réciproque. Cette

réciprocité est explicite et peut être reconstituée comme suit :

(350) baa3ada aHmad-un kariim-an wa baa3ada kariim-un aHmad-an

a.tenu.éloigné Ahmed-nomin Karim-accus et a.tenu.éloigné Karim-nomin Ahmed-accus ‘‘Ahmed a tenu Karim éloigné et Karim a tenu Ahmed éloigné.’’

Ainsi, la forme VI « ta-baa3ad » peut prendre soit un Sujet pluriel et, dans ce

cas, elle indique le réciproque, ou alors prendre un Sujet singulier et, dans ce cas,

elle indique uniquement le réflexif. Cette forme illustre le fait que le sens

réciproque disparaît avec un Sujet singulier.72

De la sorte, la forme VI « ta-baa3ad » a la même structure syntaxique que la

forme VI canonique :

(351)

La projection VP1 apporte l’argument Sujet qui servira d’antécédent au

morphème « t », qui n’est d’autre que l’argument apporté par la racine en position

Spécifieur √P. La presence de cette deuxième projection est également responsable

de la réalisation de la voyelle longue « aa ».

Vu qu’une forme VI qui indique exclusivement le réflexif, a la même

structure syntaxique et la même morphologie qu’une forme VI réciproque, elle

suivra le même processus de formation que cette dernière. Le lecteur pourra

72Notons que si cette forme peut se réaliser avec un Sujet singulier alors que cela était impossible avec la forme « ta-saabaq » c’est tout simplement parce que cette forme indique un état et que l’autre indique une action.

Page 236: Les 10 formes du verbe

236

revenir à l’exécution de la forme VI réciproque (Cf. section3.1.2). Ce qui fait la

différence d’interprétation sémantique entre ces deux formes, à savoir le fait de

réalise un Sujet singulier, n’entre pas en jeu dans l’exécution-même de la forme

verbale.

3.2.2. Quand un événement est entre soi et soi-même

Certaines formes VI n’indiquent ni le réciproque ni le réflexif et se laissent

traduire par « prétendre », autrement dit, « faire semblant d’être dans un état

donné73». Il s’agit sans doute d’une interprétation qui résulte du sens ou de la

structure de la racine. A nous de le découvrir et de comprendre comment un sens

« prétendre » peut-il émaner d’une structure qui combine Réciproque et Réflexif.

Observons cet exemple :

(352) ta-jaahala kariim-un al-qawaaniin-a

réfl- a ignoré Karim-nominatif les lois-accusatif. ‘‘Karim a prétendu ignorer les lois.’’

À forme I correspondante, on a ce qui suit :

(353) jahila kariim-un al-qawaaniin-a

a ignoré Karim-nominatif les lois-accusatif ‘‘Karim a ignoré les lois.’’

La forme VI « ta-jaahal » signifie « prétendre ignorer », sachant que la formeI

« jahil » signifie « ignorer ». La question qui se pose est de savoir la raison pour

laquelle cette forme n’indique pas le réciproque et par la suite, vérifier si elle

partage, réellement, la même structure que celle de la forme VI canonique.

La première chose qu’on peut remarquer, en observant l’exemple donnée en

(352), c’est que le Sujet réalisé avec cette forme VI est au singulier ; ce qui par

73 Ce que Sibawayh définit comme suit : « li yuriya-ka anna-hu fi Haal-in laysa fiihaa » (pour qu’il te montre qu’il est dans un état alors qu’il n’y est pas réellement).

Page 237: Les 10 formes du verbe

237

principe annule le sens réciproque. Commençons par mettre cette forme avec un

Sujet pluriel et voyons si le réciproque réapparaît :

(354) ta-jaahala kariim-un wa 3aliyy-un al-qawaaniin-a

réfl- a ignoré Karim-nominatif et Ali- nominatif les lois-accusatif. ‘‘Karim et Ali ont fait semblant d’ignorer les lois.’’

Manifestement, avec un Sujet pluriel, on obtient la même interprétation

qu’avec un Sujet singulier ; contrairement à la forme VI réflexive « ta-baa3ad » où

le sens réciproque est récupéré dès que le Sujet est pluriel.

Une deuxième remarque à faire à propos de la forme VI « ta-jaahal », est

qu’elle est étudiée par rapport à une forme I (exemple donné en 34) et non pas, par

rapport à une forme III « jaahal ». Pourtant, cette forme est attestée dans la langue :

(355) jaahala kariim-un 3aliyy-an

a.traité.avec.ignorance Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a insulté Ali.’’

La forme III « jaahal » n’indique pas le réciproque non plus. Avec cette forme

on obtient le sens : « traiter avec ignorance » ce qui se traduit par « insulter » ou

« avoir des propos déplacés envers quelqu’un ». Nous avons vu lors de l’étude de la

forme III, que lorsque la racine indique un état, la structure ne produit pas le sens

réciproque mais a tendance à changer la nature du verbe qui passe d’un verbe

d’état à un verbe d’action.74 L’exemple donné était « Haasan » (agir avec bonté

envers quelqu’un) par rapport à « Hasun » (être bon).

Le sens que dénote la forme VI « ta-jaahal » (faire semblant d’ignorer) n’est

pas lié à celui dénoté par la forme III « jaahal » (agir avec ignorance). D’ailleurs, on

remarque qu’elles n’ont pas, non plus, la même structure argumentale. En effet, on

ne peut pas avoir la proposition donnée en (356) :

74 Cf. l’analyse de la forme III changeant l’état en action, P 211.

Page 238: Les 10 formes du verbe

238

(356) *jaahala kariim-un 3aliyy-an al-qawaaniin-a

a ignoré (l’un l’autre) Karim-nominatif Ali-accusatif les lois-accusatif ‘‘Karim a ignoré Ali les lois.’’

De façon à avoir deux Objets directs avec une forme III « jaahal » (comme

c’est le cas avec la forme « ta-jaahal » ; « t » comptant pour un argument (cf.

exemple en 33)). Par ailleurs, on ne peut pas avoir :

(357) *ta-jaahal kariim-un wa 3aliyy-un

se.sont.traités.avec.ignorance Karim-nominatif et Ali-nominatif ‘‘Karim et Ali se sont traités avec ignorance.’’

De façon à ce que « ta-jaahal » apparaît sans Objet direct et qu’elle se

contente de réaliser un « t » à la place de l’Objet réalisé avec « jaahal » (Cf. exemple

en (355)).

Ainsi, la forme VI « ta-jaahal » n’est pas comparée à la forme III « jaahal » car

dans cette dernière le Complément de la racine (que l’on voit à la forme I en (34))

n’est pas réalisé alors qu’il réapparait à la forme VI. À supposer que la forme III

« jaahal » ne peut pas affecter un argument Thème ou qu’elle ne peut pas avoir

deux Objets accusatifs, cette interdiction est levée dès le moment où l’un des

arguments Objet s’est réalisé sous une forme pronominale. En effet, ce dernier sera

contraint à s’attacher au verbe, par conséquent, la forme verbale n’aura qu’un seul

Objet accusatif.

La propriété qu’a la forme VI « ta-jaahal » d’avoir un Objet accusatif

(nominal), implique que l’événement dénoté par le verbe ne concernera pas

uniquement le Sujet et l’Objet co-référent (pronominal) mais affectera également

un deuxième Objet (nominal). Une telle configuration avec un verbe d’état a pour

conséquence d’empêcher la réalisation du réciproque.

Page 239: Les 10 formes du verbe

239

De ce fait, l’absence du réciproque dans la forme VI « ta-jaahl » est due

d’abord à la nature de sa racine qui indique un état mais aussi et surtout au fait

qu’elle affecte un Objet.75

Reste maintenant à comprendre comment avec une structure du réciproque,

un morphème du réflexif et une racine qui indique un état, on obtient

l’interprétation sémantique : « prétendre » voire « faire semblant d’être dans un

état donné ».

Dans l’idée de « faire semblant » qui ressort dans une forme VI « ta-jaahal »,

une même personne se trouve dans deux états : un état réel qui est « savoir » et un

état fictif qui est « ignorer ». Cette dualité dans une même personne est rendue par

la forme VI qui se trouve être la seule forme qui englobe à la fois le sens réflexif qui

indique l’existence d’une seule et même personne et le sens réciproque qui lui,

indique l’existence de deux personnes différentes. Il y aurait une sorte

d’interaction entre deux parties qui forment la même personne.

La structure du réciproque implique que chacun des arguments participe à

l’événement dénoté par le verbe mais vu que ce dernier indique un état, le résultat

serait que le Sujet fasse subir l’état « ignorer » à l’Objet. Toutefois, puisque le Sujet

et l’Objet sont une même personne, le sens qui découle de cette conjoncture est :

« faire en sorte d’amener soi-même à ignorer quelque chose » ce qui équivaut à

« faire semblant de » ou « prétendre ».

La forme VI « ta-jaahal », quoique ne réalisant pas un sens réciproque, ni

même un sens réflexif, réalise une voyelle longue « aa » et apporte un argument

supplémentaire à la structure argumentale de la racine. De surcroit, le sens qu’elle

dénote trouve son explication dans une structure qui combine réciproque et

75 En effet, avec la forme VI « ta-Haasan », dont la racine indique également un état mais qui n’affecte pas un Objet, on peut avoir le réciproque ; rappelons que la forme III « Haasan » partage le même sens avec la forme III « jaahal ». De la sorte, si la forme VI « ta-jaahal » n’a pas pu récupérer le sens réciproque, comme le fait « ta-Haasan », c’est parce qu’elle affecte un Objet.

Page 240: Les 10 formes du verbe

240

V2’

VP2

V2 [CV] a

√P

√jhl

kariim

V1’

VP1

V1 [CV] a

t [CV]

√’

qawaaniin

réflexif. De ce fait, la forme VI « ta-jaahal » renferme la même structure syntaxique

que la forme VI réciproque :

(358)

Pour ce qui est de l’exécution même de la forme « ta-jaahal », elle se fera de

la même manière que pour une forme VI réciproque. En effet, le processus de

formation dépend de la structure syntaxique et du résultat obtenu, et puisqu’on

vient de montrer que « ta-jaahal» qui a la même morphologie qu’une forme VI

canonique a également la même structure, il va de soi qu’elle suivra les mêmes

étapes pour son exécution. Le lecteur peut se référer à la sous-section 3.1.2 sur

l’exécution de la forme VI réciproque.

4. Conclusion

La forme VI « ta-faa3al » n’est rien d’autre qu’une forme III « faa3al » dont la

racine a sélectionné, comme argument, le morphème du réflexif « t ». Afin de

permettre la coexistence du réciproque et du réflexif, la forme VI exige que le Sujet

soit pluriel. En effet, avec un Sujet pluriel, le morphème du réflexif garantit

l’émergence du réciproque au lieu de l’estomper et la réciprocité qui était implicite

dans certaines formes III devient explicite avec la forme VI. Ceci étant, la forme VI

peut exister avec des Sujets singuliers auquel cas elle dénote uniquement le

réflexif.

Page 241: Les 10 formes du verbe

241

La structure syntaxique de la forme VI « ta-faa3al » est identique à celle de la

forme III « faa3al » à savoir, une structure qui englobe une projection √P et deux

projections VP (VP1, VP2). La projection VP1 apporte un argument supplémentaire

à ceux de la racine ainsi qu’une position CV dont la position vocalique est occupée

par une voyelle « a », d’où la réalisation d’une voyelle longue « aa » à la forme VI.

Ce qui distingue une forme VI « ta-faa3al » d’une forme III « faa3al » c’est la

nature de l’argument apporté par la racine. En effet, ce dernier se réalise sous

forme d’un morphème « t » et ne pouvant pas rester seul, il finit par être attaché à

la tête du domaine qui l’inclut, à savoir V2. La position préfixale du morphème « t »

lui est accordée suite à la position qu’il occupe lorsqu’il est lié à son antécédent, à

savoir Spécifieur de V2.

Page 242: Les 10 formes du verbe

242

CHAPITRE 9

ANALYSE DE LA FORME VII « nfa3al »

1. Introduction

La forme VII « nfa3al » se distingue de la forme I par la réalisation d’un

préfixe « n ». Pour éviter la succession de deux consonnes au début de mot (chose

que l’arabe classique ne tolère pas), une séquence prothétique « ?i » est insérée :

« ?infa3al ». Sur le plan sémantique, Wright (1896 : 41-41) note que la forme VII

« nfa3al » est tantôt décrite comme passive, tantôt comme réflexive et quand il

devient difficile de distinguer les deux, on lui attribue le rôle réflexif passif.76

76 Larcher (2003 :101) maintient que si l’on veut conserver le sens réflexif, il faudra parler de réflexif passif.

Page 243: Les 10 formes du verbe

243

Cependant, les formes avérées réflexives et elles sont au nombre de quatre :

la forme VIII « fta3al », la forme V « ta-fa33al », la forme VI ta-faa3al » et la forme X

« staf3al », réalisent toutes le morphème « t ». Par conséquent, il est exclut de

considérer le morphème « n » comme étant un morphème de réflexif. Par ailleurs,

le passif en arabe classique est rendu par un changement du timbre des voyelles de

la forme de l’actif par apophonie. Par conséquent, il est exclut de supposer que le

morphème « n » soit la marque du passif.

Signalons que Sibawayh (8es [1939]: 65) ne propose pas une signification à

cette forme, il se contente de la présenter comme étant le correspondant de la

forme I et donne comme exemple :

(359) Kasar-tu-hu fa n-kasar

J’ai cassé le et il n- a cassé ‘‘Je l’ai cassé et il a cassé.’’

Cela montre que les différentes significations que les grammairiens

occidentaux attribuent à la forme VII reposent sur des similitudes avec des langues

indo-européennes que ces derniers ont relevées.

L’étude de la forme VII montrera que cette dernière n’indique, réellement, ni

l’un ni l’autre. Pour ce faire, il serait inadapté de la traiter sous une section

« passif » ou « réflexif » ou même « passif/réflexif ». Vu qu’on ne peut pas établir un

rôle de base pour la forme VII, contrairement aux formes étudiées précédemment,

celle-ci sera étudiée sous le nom de « forme VII ». L’analyse que nous proposons

pour la forme VII « nfa3al » permettra de :

a. établir la structure syntaxique de la forme VII ;

b. discerner la raison pour laquelle on attribue à la forme VII un rôle réflexif

et/ou passif ;

c. rendre compte de ce qui distingue le morphème « n » du morphème « t » ;

d. déterminer le statut du morphème « n » ;

Page 244: Les 10 formes du verbe

244

e. saisir ce qui donne au morphème « n » sa position préfixale.

Nous commençons d’abord par rappeler le gabarit qu’utilise une forme VII

et le mode d’association qu’elle adopte. Puis, nous examinerons cette forme dans

son environnement syntaxique afin d’établir sa structure et son mode de

formation. Enfin, nous nous intéresserons à deux cas particuliers, soulevés par

Wright (1896 : 41) : dans le premier, la forme VII véhicule un sens « se laisser » et

dans le second, elle est dite en relation avec une forme IV.

2. Quel gabarit pour la forme VII ?

Rappelons que le gabarit unique qui permet de générer les dix formes

verbales est :

CV-CV(CV)CVCV. Selon l’analyse morphophonologique proposée par

Guerssel et Lowenstamm, la forme VII « n-fa3al » associe le morphème « n » à la

position CV préfixale et associe les consonnes de la racine au gabarit de base :

(360) n f 3 l

C V- C V C V C V a

Dans cette théorie, seul le morphème « n » est considéré comme étant un

préfixe qui identifie une position tête du gabarit. Rappelons-le, à la forme VIII

« fta3al », c’est la première consonne de la racine qui assure cette fonction et qui

s’associe à la position CV- préfixale, le morphème « t » est associé à la première

position C du gabarit de base :

(361) f 3 l

C V- C V C V C V t a

Page 245: Les 10 formes du verbe

245

Aux formes V « tafa33al » et VI « tafaa3al », le morphème « t » est certes

associé à la position CV préfixale mais celle-ci n’est pas considérée comme étant la

position tête du gabarit. En effet, dans ces deux cas, la position (CV) dérivationnelle

est activée et c’est cette dernière qui assume cette fonction :

(362) a. t f 3 l

C V- C V (CV) C V C V a

b. t f 3 l

C V- C V (CV) C V C V a

Le fait de considérer le morphème « n » comme identifiant une position tête

du gabarit élimine, d’emblée, la possibilité de produire une forme telle que

« *nkassar » ou « *nkaasar ». En effet, puisque la réalisation d’une consonne

géminée ou d’une voyelle longue résulte également de l’identification d’une

position tête du gabarit, il est impossible -dans le cadre de cette hypothèse-

d’identifier deux positions tête dans un même gabarit.

Ce que l’on retient de cette analyse c’est que le seul élément préfixal dans les

dix formes verbale de l’arabe classique, c’est-à-dire le seul morphème qui n’est pas

interne au verbe et qui n’implique pas une opération sur la racine, est le

morphème « n ». Nous verrons ce que l’analyse syntaxique permet de dire à ce

propos et comment est établie la différence entre le préfixe « n » et le préfixe

« t ».77 Nous saurons l’origine du CV auquel le morphème « n » est associé, mais

aussi la raison pour laquelle il occupe cette position préfixale.

77 Une comparaison se fera régulièrement entre le morphème « n » et le morphème « t » vu que ce sont les seuls morphèmes qui se manifestent dans les dix formes verbales.

Page 246: Les 10 formes du verbe

246

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme VII

Contrairement aux formes verbales que l’on a vues jusqu’à présent, il n’est

pas aisé de déterminer un emploi principal à la forme VII, qui correspondrait à une

notion linguistique. Le rôle de cette forme peut être assimilé à un inchoatif ou à un

passif ou même à un réflexif. La meilleure façon de savoir ce qu’est réellement une

forme VII et comment elle est formée, reste de déterminer sa structure syntaxique.

Examinons quelques exemples de la forme VII :

(363) nkasara al-ka?s-u

n- a cassé le verre-nominatif ‘‘Le verre s’est cassé.’’

(364) nšaqqa al-Haa?iT-u

n- a fissuré le mur-nominatif ‘‘Le mur s’est fissuré.’’

(365) nqaTa3a al-xaTT-u

n- a coupé la ligne-nominatif ‘‘La ligne s’est coupée.’’

(366) nkašafa as-sirr-u

n- a dévoilé le secret-nominatif ‘‘Le secret s’est dévoilé.’’

(367) nHaTama al-bayt-u

n- a écroulé la maison-nominatif ‘‘La maison s’est écroulée.’’

À la forme I correspondante, on a ce qui suit :

(368) kasara kariim-un al-ka?s-a

a cassé Karim-nominatif le verre-accusatif ‘‘Karim a cassé le verre.’’

(369) šaqqa az-zilzaal-u al-Haa?iT-a

a fissuré le tremblement de terre-nominatif le mur-accusatif ‘‘Le tremblement de terre a fissuré le mur.’’

(370) qaTa3a kariim-un al-xaTT-a

a coupé Karim-nominatif la ligne-accusatif ‘‘Karim a coupé la ligne.’’

Page 247: Les 10 formes du verbe

247

(371) kašafa al-SaHaafiyy-u as-sirr-a

a révélé le journaliste-nominatif le secret-accusatif ‘‘Le journaliste a révélé le secret.’’

(372) HaTama kariim-un al-bayt-a

a détruit Karim-nominatif la maison-accusatif ‘‘Karim a détruit la maison.’’

Une simple lecture de ces exemples permet de constater que les formes VII

n’ont pas la même structure argumentale que les formes I correspondantes. En

effet, si l’on compare (363) à (368), (364) à (369), (365) à (370), (366) à (371) et

(367) à (372), on s’aperçoit que l’argument « patient » qui occupe la position Objet

à la forme I se retrouve en position Sujet à la forme VII et que l’argument « agent »

qui occupait la position Sujet à la forme I est supprimé à la forme VII. Par ailleurs,

cette dernière acquiert un préfixe « n » : « nfa3al ».

3.1. Une forme VII, pourquoi faire ?

D’après les exemples qu’on vient de voir, il y aurait un lien entre l’apparition

du morphème « n », que réalise la forme VII, et la disparition simultanée d’un des

arguments qui se réalisent à la forme I. Comme nous le montrent ces exemples, la

forme VII n’ajoute pas un quelconque élément à une forme I, mais bien au

contraire, elle la prive d’un de ces arguments. Il faut, donc, découvrir la raison pour

laquelle cette réduction est opérée et, par la suite, discerner le statut et le rôle du

morphème « n » qui fait la particularité d’une forme VII.

Examinons de près un des exemples de la forme VII cités ci-dessus :

(373) nkasara al-ka?s-u

n- a cassé le verre-nominatif ‘‘Le verre s’est cassé.’’

Page 248: Les 10 formes du verbe

248

Sachant qu’à la forme I correspondante, on a :

(374) kasara kariim-un al-ka?s-a

a cassé Karim-nominatif le verre-accusatif ‘‘Karim a cassé le verre.’’

Comme nous avons pu le voir avec l’ensemble des exemples cités ci-dessus,

la forme VII « nkasar » ne réalise pas l’argument Agent de la forme I « kasar » et

réalise l’argument Patient en position Sujet.

Il existe deux structures qui ont la propriété de réduire le nombre

d’arguments du verbe et de réaliser l’argument Patient en position Sujet. Il s’agit

du passif et du réflexif.78 C’est probablement cette propriété qui a poussé les

grammairiens occidentaux à attribuer un sens réflexif ou passif à la forme VII.

Toutefois, si la forme VII « nkasar » indiquait un sens réflexif, on devrait

pouvoir reconstruire une proposition avec la forme I « kasar » de façon à expliciter

une coréférence entre Sujet et Objet ; de la même manière qu’on faisait avec les

formes réflexives VIII. Pourtant, il est impossible d’avoir :

(375) *kasara al-ka?s-u al ka?s-a

a cassé le verre-nominatif le verre-accusatif ‘‘Le verre a cassé le verre.’’

Le morphème « n » n’indique pas que l’action est réfléchie dans le sens où

l’argument qui fait l’action est lui-même celui qui la subit. Il n’est pas l’un des

termes d’une coréférence entre Sujet et Objet et ne peut donc pas être considéré

comme étant un pronom réflexif. L’invalidité de la proposition en (375) n’est pas

due au fait que le sujet soit [-animé]. Nous aurons l’occasion de voir, lors de

l’examen des formes VII indiquant « se laisser » (cf. sous-section 3.3.1), des

exemples avec des sujets [+humain].

78 Pour le réflexif les théories varient selon que l’on suppose que le morphème du réflexif est nominatif ou accusatif, qu’il absorbe l’argument externe ou interne.

Page 249: Les 10 formes du verbe

249

Pour ce qui est du sens passif que l’on attribue à la forme VII, il faut rappeler

que l’arabe classique permet aux formes I de construire une forme passive et ce,

par changement du timbre des voyelles de la forme de l’actif par apophonie ; la

forme « kasar » s’y prête aisément :

(376) kusir-a al-ka?s-u

a été cassé le verre-nominatif ‘‘Le verre a été cassé.’’

De ce fait, nul besoin de recourir à une forme VII pour indiquer le passif du

moment où ce dernier est produit syntaxiquement et est productif. De surcroit,

avec un passif on peut introduire un agent, comme le montre l’exemple en (377)

alors que cela est impossible avec la forme VII, comme le montre l’exemple en

(378) :

(377) kusir-a al-ka?s-u min qibal kariim-in

a été cassé le verre-nominatif par Karim-génitif ‘‘Le verre a été cassé par Karim.’’

(378) *naksar-a al-ka?s-u min qibal kariim-in

a été cassé le verre-nominatif par Karim-génitif ‘‘Le verre a été cassé par Karim.’’

De la sorte, le morphème « n » ne constitue pas la marque du passif en

l’arabe classique et ne peut en aucun cas être considéré comme occupant une

position tête de VoixP.

Cette propriété qu’a le passif de ne réaliser qu’un argument là où la forme

correspondante à l’actif en réalise deux et de placer l’argument Objet en position

Sujet de la même manière que ce que l’on observe avec la forme VII, amène à un

rapprochement entre les deux. Toutefois, que la forme VII se rapproche du passif

ou du réflexif par des propriétés, qu’elles a en commun avec ces derniers, ne

signifie pas qu’elle indique nécessairement soit l’un ou l’autre. Il est donc

primordial de discerner la structure syntaxique de la forme VII « nkasar » et saisir

Page 250: Les 10 formes du verbe

250

ce qu’elle indique réellement pour éviter de lui attribuer des significations avec

lesquelles elle n’a que des parentés.

Commençons par nous intéresser aux types de racines qui se prêtent à une

forme VII. Observons les exemples contenant des formes I, donnés en (368), (369),

(370), (371) et (372). Chacune de ces propositions réalise deux arguments, ce qui,

à première vue, laisse supposer qu’on a affaire à des verbes transitifs et donc à des

racines qui projettent deux arguments.

Cependant, deux remarques s’imposent ici. Premièrement, il faut signaler

que toutes les racines qui manifestent deux arguments à la forme I, ne font pas une

forme VII, ce qui prouve qu’à l’intérieur des verbes transitifs, on a, au moins, deux

classes distinctes. En effet, des racines telles que √ktb, √Drb et √srq realisent à la

forme I deux arguments :

(379) kataba 3aliyy-un r-risaalat-an

a écrit Ali-nominatif une lettre-accusatif ‘‘Ali a écrit une lettre.’’

(380) Daraba 3aliyy-un kariim-an

a frappé Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Karim a frappé Ali.’’

(381) saraqa al-liSS-u al-lawHat-a

a volé le cambrioleur-nominatif le tableau-accusatif ‘‘Le cambrioleur a volé le tableau.’’

Mais ne se prêtent pas à une forme VII :

(382) *nkatabat ar-risaalat-u

n-a écrit la lettre-nominatif ‘‘La lettre s’est écrite.’’

(383) *nDaraba kariim-un

n-a frappé Karim-nominatif ‘‘Karim s’est frappé.’’

(384) *nsaraqat al-lawHat-u

n-a volé le tableau-nominatif ‘‘Le tableau s’est volé.’’

Page 251: Les 10 formes du verbe

251

Deuxièmement, il faut faire remarquer que les racines qui se prêtent à une

forme VII, lorsqu’elles font une forme II, cette dernière n’indique pas un causatif

mais un intensif :

(385) kassara kariim-un al-ka?s-a

a cassé (intensif) Karim-nominatif le verre-accusatif ‘‘Karim a fracassé le verre.’’

(386) HaTTama kariim-un al-bayt-a

a détruit (intensif) Karim-nominatif la maison-accusatif ‘‘Karim a saccagé la maison.’’

En revanche, un verbe comme « katab » indique le causatif à la forme II :

(387) kattaba kariim-un 3aliyy-an r-risaalat-an

a fait.écrire Karim-nominatif Ali-accusatif une lettre-accusatif ‘‘Karim a fait écrire Ali une lettre.’’

Il s’avère ainsi que parmi les racines qui semblent générer des verbes

transitifs à la forme I, on a :

a. des racines qui ne se prêtent pas à une forme VII et qui lorsqu’elles font

une forme II, celle-ci indique le causatif ;

b. des racines qui se prêtent à une forme VII et qui lorsqu’elles font une

forme II, celle-ci indique un intensif.

L’étude de la forme II intensive nous a permis de conclure que les racines

qui s’y prêtent n’ont pas, comme on tend à le croire, deux arguments mais en ont

uniquement un. Ceci implique que les verbes transitifs à la forme I n’ont pas tous la

même structure et qu’il faut y distinguer deux classes : dans la première, ce sont les

racines qui, au départ, apportent deux arguments, tandis que dans la deuxième, la

transitivité est due à VP qui apporte un argument supplémentaire.

Nous présumons que les racines qui se prêtent à une forme VII

appartiennent à cette deuxième classe. De ce fait, une racine comme √ksr ne

Page 252: Les 10 formes du verbe

252

V’

VP

V [CV] a

√P

√ksr

karim

ka?s

ka?s

√ksr

√P

contient dans sa grille thématique qu’un seul argument ; celui-ci occupe la position

Complément :

(388)

Par conséquent, à la forme I, c’est VP qui procure au verbe l’argument Sujet.

L’argument Complément de la racine reste dans sa position et aura la fonction

Objet :

(389)

Maintenant que l’on a des informations sur la structure de la racine qui se

prête à une forme VII, voyons comment cette dernière est construite. Trois

observations sont à prendre en compte :

1. la forme VII « nkasar » n’acquiert pas un sens qui justifierait la présence

d’une projection autre que celles qu’on a avec une forme I ;79 à savoir une

projection VP qui domine une projection √P dont le seul argument occupe la

position Complément ;

2. le morphème « n » que renferme cette forme n’a pas une quelconque fonction

syntaxique et ne correspond donc pas à une tête qui aurait sa propre

projection ;

3. l’apparition de ce préfixe « n » est en distribution complémentaire avec

l’apparition d’un argument nominal.

79 La forme VII ne renferme pas une structure de causatif, par conséquent, on ne peut pas envisager l’existence d’une projection vP. De même, cette forme, ne réalise pas une voyelle longue « a », par conséquent, on ne peut pas envisager l’existence d’une deuxième projection VP comme c’est le cas pour la forme III.

Page 253: Les 10 formes du verbe

253

V’

VP

V [CV] a

√P

√ksr

n [CV]

ka?s

V’

VP

V [CV] a

√P

√ksr n [CV]

ka?s

On peut en conclure que la structure de la forme VII se limite à une

projection VP qui sélectionne une projection √P, et que le morphème « n » se

réalise dans une position argumentale.80

En admettant que la structure syntaxique d’une forme VII « nkasar » est la

même que celle d’une forme I « kasar » (cf.(389)) et sachant que dans cette

dernière, un argument est apporté par la racine et un autre est apporté par VP, les

seules positions argumentales où pourrait résider le morphème « n », sont la

position Spécifieur de VP et la position Complément de √P. Ces deux possibilites

sont représentées en (390) :

(390) a. b.

Trois éléments sont à prendre en considération pour discerner laquelle de

ces deux positions accueille le morphème « n » :

1. le morphème « n » n’est pas anaphorique et n’a donc pas besoin d’être lié à

un autre argument. De ce fait, rien ne le contraint à être dans une position

plus basse que l’argument Sujet, puisqu’il n’est pas co-référent à celui-ci.

2. le seul argument qui se réalise à la forme VII « nkasar » n’est pas l’agent de

l’action dénotée par le verbe mais est l’argument dont le rôle thématique est

« patient » ; il s’agit du rôle thématique de l’argument qui occupe la position

Complément de la racine.

80 On observe la même chose avec le morphème réflexif « t », qui est lui aussi, en distribution complémentaire avec un argument nominal.

Page 254: Les 10 formes du verbe

254

V’

VP

V [CV] a

√P

n [CV]

√ksr ka?s

3. si le morphème « n » s’était réalisé dans la position Complément √P, il se

serait réalisé en position infixale : « *fna3al » ; comme c’est le cas dans la

forme VIII « fta3al ».

De la sorte, la possibilité que le morphème « n » soit réalisé dans la position

Complément de la racine est écartée. Tout laisse donc penser que c’est l’argument

apporté par VP qui se réalise sous forme d’un morphème « n ».

Ainsi, la structure d’une forme VII « nkasar » se présente comme suit :

(391)

La position attribuée au morphème « n » dans la structure d’une forme VII

coïncide avec la position qu’il va occuper au sein de la forme verbale ; à savoir à

gauche du verbe. Remarquez que ce morphème vient avec une position CV. Reste à

savoir ce que ce morphème apporte à la forme verbale VII et en quoi consiste son

rôle.

Le morphème « n » ne réfère pas et n’est pas non plus anaphorique. Sa

présence n’ajoute pas un sens particulier au verbe, il ne fait que remplir une

position sans apporter un contenu, permettant ainsi à l’argument Patient

d’occuper la position Sujet.81 En effet, en réalisant un morphème « n » en position

Spécifieur de VP, on oblige l’argument en position Complément de la racine dont le

rôle thématique est « patient » de monter et d’assurer la fonction Sujet. En privant

81 Ce morphème qui a été décrit par Wright comme ayant un sens réflexif ou passif est à rapprocher plutôt du « se » inchoatif. Voir Zribi-Hertz (1986) et (1987), Labelle (1992) où est établi que les inchoatifs construits avec « se » se comportent comme des inaccusatifs tandis que ceux sans « se » se comportent comme des inergatifs. Rothemberg (1974), Burston (1979), Forest (1988) établissent la distinction sémantique entre ces deux inchoatifs : avec ou sans « se ».

Page 255: Les 10 formes du verbe

255

la prédication d’un « agent » et en donnant à l’argument « patient » la fonction

Sujet, la forme verbale indique le résultat de l’action plutôt que l’action elle-même.

La forme VII fonctionne comme un générateur de verbes inaccusatifs non

pas dans le sens où elle absorbe un argument « agent » et transforme le verbe

transitif en un inaccusatif mais dans le sens où elle permet aux vrais inaccusatifs de

se réaliser en tant que tels. Les racines qui se prêtent à une forme VII sont celles

qui ne comportent dans leur grille thématique qu’un Complément et n’ont donc

pas d’agent.

Dans une langue comme le français on peut dire, indifféremment, la

proposition en (392) ou celle en (393) :

(392) Le verre se casse

(393) Le verre casse

En anglais, on peut dire :

(394) The glass broke

En arabe classique, la proposition suivante, qui correspond à l’exemple du

français donné en (393) et à celui de l’anglais donné en (394), n’est pas possible :

(395) *kasara al-ka?s-u

a cassé le verre-nominatif ‘‘Le verre a cassé.’’

L’argument « patient » (occupant la position Complément de √P) ne peut

être Sujet qu’à la forme VII :

(396) nkasara al-ka?s-u

n-cassé le verre-nominatif ‘‘Le verre s’est cassé.’’

Il s’avère que l’argument en position Complément ne peut monter en

position Sujet que si la position Spécifieur de VP qui fournit un argument Sujet est

Page 256: Les 10 formes du verbe

256

bloquée. Le morphème « n » opère ce blocage en remplissant cette position sans,

pour autant, remplir la fonction Sujet.

Autrement, si l’on veut avoir une forme I avec ce type de racines, on doit

faire appel à un argument causateur :

(397) kasara 3aliyy-un al-ka?s-a

a cassé Ali-nominatif le verre-accusatif ‘‘Ali a cassé le verre.’’

Faisons remarquer qu’en français et en anglais les verbes donnés en (393)

et en (394) peuvent avoir un pendant transitif :

(398) Pierre a cassé le verre

(399) Pierre broke the glass

Dans le cas du français, deux hypothèses sont émises pour rendre compte de

cette double réalité que peut avoir un même verbe, à savoir apparaître tantôt

comme inaccusatif et tantôt comme transitif. La première, celle qui était répandue

avant les années quatre-vingt-dix, propose que les verbes inaccusatifs

représentent l’entrée lexicale de base et sont listés tels quels dans le lexique. Leur

alternative transitive, perçue comme causative, est considérée comme étant

dérivée de cette base lexicale. Cette dérivation consiste en l’ajout d’un argument

par une structure syntaxique. La deuxième hypothèse propose que la base soit le

verbe transitif. 82 Dans ce cas, les verbes inaccusatifs sont dérivés de leurs

correspondants transitifs par une opération de réduction qui a lieu dans le lexique.

Ce que nous proposons pour l’arabe classique va à l’encontre de l’hypothèse

lexicaliste vu que nous proposons que la grille thématique de la racine ne

comprenne qu’un seul argument, ce qui signifie que dans le lexique, cette racine n’a

pas subi une opération de réduction.

82 Cf. Chierchia (1989) ; Levin & Rappaport (1992) ; Reinhart & Siloni (2004) et (2005).

Page 257: Les 10 formes du verbe

257

Ainsi, en arabe classique les vrais inaccusatifs sont ceux dont la racine n’a

qu’un seul argument, qu’elle place en position Complément. Avec ce type de

racines, VP apporte instantanément un agent, ce qui fait que ces verbes se réalisent

en tant que transitifs. Pour pouvoir se réaliser en tant qu’inaccusatifs, il faut que la

position Spécifieur de VP soit bloquée de façon à ce que ce dernier n’apporte pas

un agent ; chose qui permettra à l’argument « patient » de la racine d’avoir la

fonction Sujet. Pour ce faire, le morphème « n » est sélectionné par V, vu qu’il n’est

pas anaphorique, qu’il est faible et qu’il ne peut donc pas exister seul et fonctionner

comme Sujet.

Dans le reste de cette section, nous développons deux prédictions découlant

de l’analyse qui vient d’être proposée. Il s’agit de l’impossibilité d’avoir une forme

telle que « *nkassar », qui englobe le morphème « n » plus la forme II causative,83 et

une forme telle que « *nktasar », qui combine le morphème « n » et le morphème

« t ».

Commençons par le premier cas. La forme VII « nkasar » ne peut pas

coexister avec une forme II « kassar » de façon à obtenir « *nkassar » :

(400) * nkassara 3aliyy-un al-ka?s-a

n- a cassé Ali-nominatif le verre-accusatif ‘‘Ali s’est cassé un verre.’’

Une telle proposition impliquerait que la racine apporte un argument

nominal, que VP apporte le morphème « n », comme c’est le cas dans une forme VII,

et que vP apporte un argument nominal Sujet. Ceci correspondrait à enchâsser une

forme VII dans une structure causative.

Ce qui rend la proposition en (400) impossible, c’est la contrainte sur le

nombre d’arguments qu’une structure syntaxique peut ajouter à la grille

thématique de la racine. Nous avons eu l’occasion, lors de l’étude de la forme II 83 Contrairement à la forme « ta-kassar » englobant le morphème « t » plus la forme II causative qui, elle, est attestée dans la langue : « ta-kassar al-ka?s » (s’est fracassé le verre).

Page 258: Les 10 formes du verbe

258

intensive, de faire un postulat ayant pour effet d’interdire l’ajout de plus d’un

argument à ceux de la racine. De ce fait, on ne peut pas à la fois ajouter un

argument en VP (que ce soit un nom ou le morphème « n »), et un argument en

vP.84

Par conséquent, lorsque VP est sélectionné par vP, il cesse d’apporter un

argument (comme c’est le cas avec la forme II « kassar ») et ainsi, il devient

impossible d’avoir un « n » dans une structure de causatif. Cela confirme que le

morphème « n » ne fait pas partie de la grille thématique de la racine et qu’il est bel

bien ajouté en VP.

La deuxième prédiction concerne l’impossibilité d’un hybride entre les

formes VII et VIII : « *ktasar » .85 En effet, vu que le morphème « n » est l’argument

apporté par VP et sachant que le morphème « t » est l’argument apporté par la

racine, avoir ces deux morphèmes dans une même forme produirait un verbe sans

argument.

De surcroit, le morphème « t » est un morphème anaphorique et a toujours

besoin d’avoir un antécédent qui doit, obligatoirement, être référentiel et donc,

nominal. Si l’argument réalisé par la racine apparaît sous une forme pronominale

« t » et que l’argument apporté par VP apparaît sous une forme pronominale « n »,

ce dernier ne pourra pas lui servir d’antécédent et donc la forme n’aboutira pas.

3.2. Comment réalise-t-on une forme VII ?

Rappelons, ici, la structure que nous avons établie pour la forme VII

« nkasar » :

84 Dans le cas de « ta-kassar », le sujet est apporté par vP et le morphème « t » est l’argument pronominal apporté par la racine. 85 Guerssel et Lowenstamm (manuscrit) proposent que l’incompatibilité entre « t » et « n » vient du fait que la racine peut sélectionner une base qui est soit réflexive ou non-réflexive tandis que « n » sélectionne toujours une base non-réflexive.

Page 259: Les 10 formes du verbe

259

V’

VP

V k sr | [C V] a

√P

n [CV]

√ksr

ka?s

V’

VP

V [CV] a

√P

n [CV]

√ksr ka?s

(401)

Cette forme réalise un préfixe « n », ce qui concorde parfaitement avec la

position qu’on a accordé à ce morphème, à savoir la position Spécifieur de VP.

Le premier mouvement qui va s’opérer dans cette structure est la montée de

la racine √ksr en V ; le même mouvement que l’on retrouve à la forme I. Il en

résulte l’association de la racine à la position C du CV de V :

(402)

L’argument apporté par VP s’est réalisé sous une forme pronominale « n »,

ce qui l’empêche d’assumer la fonction Sujet. Par conséquent, c’est le deuxième

argument de cette structure, initialement destiné à être Objet, qui va se déplacer

vers la position Spécifieur de AgrP et assurer la fonction Sujet, comme on le voit en

(402).

Le morphème « n » ne peut pas se maintenir seul et doit, alors, s’associer à

une unité lexicale. Vu la position qu’il occupe à savoir Spécifieur de VP, la seule

possibilité qu’il a, est de fusionner avec V’ (fusion Spécifieur-Tête), ce qui a pour

Page 260: Les 10 formes du verbe

260

conséquence de le placer à gauche de V: [n+kasar] ; il finit par s’agglutiner à ce

dernier : 86

(403)

Ensuite VP sera enchâssé dans une structure AspectP puis AgreementP qui

apporteront chacune une position CV :

(404)

Ainsi, on obtient sous la tête ArgP, quatre positions CV, un morphème « n »

et une racine √ksr. L’association au gabarit se fera comme suit :

� La racine s’associe à la position C du CV de la tête qui l’a accueillie en

premier à savoir V ;

� Le morphème « n » est associé à la position C du CV qu’il apporte lui-même ;

� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Asp ;

� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Agr.

86 Nous avons la même opération avec les formes V « ta-fa33al » et VI « ta-faa3al » où le morphème « t » est en position Spécifieur et non pas en position Complément (auquel cas il se réalise en infixe).

V’

VP

V n k sr | | [CV]+[CV] a

√P

n [CV]

√ksr ka?s

V’

VP

V n k sr | | [CV]+[CV] a

√P

n [CV]

√ksr ka?s

Asp’

AspP

Agr’

AgrP

Asp n k s r | | | [CV][CV]+[CV] a

Agr n k s r | | | | [CV][CV][CV]+[CV] a

ka?s

Page 261: Les 10 formes du verbe

261

Ce qui donne le gabarit suivant, qui correspond exactement à celui élaboré

par Guerssel et Lowenstamm pour une forme VII :

(405) n k a s r

[C V] [C V] [C V] [C V] n V Asp Agr

C’est ainsi que l’on obtient la forme VII « nkasar ». La réalisation de

l’argument apporté par VP sous une forme pronominale n’a pas une incidence

uniquement sur la structure de la phrase, dans le sens où elle la prive d’un Objet

direct, mais cela affecte également la forme verbale elle-même, dans la mesure où

celle-ci se trouve augmentée d’une position CV et d’un morphème « n ».

3.3. Cas particuliers de la forme VII

La forme VII a deux manifestations (Wright 1896 : 41) qui ne semblent pas

répondre aux critères d’une forme VII canonique. Dans le premier cas, elle indique

« se laisser » (dans le sens où une personne se laisse volontairement subir une

action donnée ou se laisse affecter par un état donné) et dans le second cas, elle

constitue le réflexif passif d’une forme IV.

Il est primordial d’examiner ces deux cas parce que le premier fait penser

aux verbes légers qu’on a vus lors de l’étude de la forme II, ce qui impliquerait une

structure plus complexe que celle que l’on a proposée pour la forme VII ; le

deuxième, lui, met explicitement la forme VII en relation avec une structure du

causatif.

Il nous faut donc découvrir de quoi découlent ces emplois et s’ils affectent,

d’une manière ou d’une autre, la structure que nous avons établie pour la forme

VII.

Page 262: Les 10 formes du verbe

262

3.3.1. La forme VII peut-elle apporter un verbe supplémentaire ?

Wright (1896 : 41) soulève des cas de forme VII où celle-ci indique que le

sujet se laisse volontairement affecter par une action. Regardons quelques

exemples :

(406) nhazama 3aliy-un

n- a battu Ali-nominatif ‘‘Ali s’est laissé battre.’’

(407) nqaada al-jayš-u

n- a guidé l’armée-nominatif ‘‘L’armée s’est laissée guider.’’

(408) nxada3a al-muštariy-u

n- a dupé l’acheteur-nominatif ‘‘L’acheteur s’est laissé duper.’’

À la forme I correspondante, on a :

(409) hazama kariim-un 3aliy-an

a battu Karim-nominatif Ali-accusatif ‘‘Karim a battu Ali.’’

(410) qaada al-qaa?id-u al-jayš-a

a guidé le commandant-nominatif l’armée accusatif ‘‘Le commandant a guidé l’armée.’’

(411) xada3a at-taajir-u al-muštariyy-a

a dupé le commerçant-nominatif l’acheteur-accusatif ‘‘Le commerçant a trompé l’acheteur.’’

Ces cas ne sont pas classés, par Wright, dans la classe des réflexifs ou des

passifs mais ils sont considérés comme rendant compte d’un sens bien précis : « se

laisser » (ce verbe apparaît effectivement dans chacune des traductions proposées

pour la forme VII). Nous avons déjà montré que la forme VII n’indique ni le passif

ni le réflexif, mais ce qui nous interpelle dans la glose supposée de cet usage, c’est

la présence du verbe « laisser ». Rappelons-le, la présence d’un verbe

supplémentaire, par rapport au verbe de base, est révélatrice de la présence d’une

Page 263: Les 10 formes du verbe

263

projection supplémentaire. De ce fait, ces cas posent problème, dans la mesure où

ils suggèrent qu’une forme VII aurait une projection autre que VP et √P.

Toutefois, ces formes VII, étudiées par rapport à une forme I, ont la même

structure argumentale que les formes VII étudiées précédemment. En effet,

l’argument « agent » qui apparaît avec les formes I disparaît à la forme VII

correspondante (Comme on le voit lorsque l’on compare (409) à (406), (410) à

(407) et (411)à (408)), et c’est l’argument « patient » qui occupe la position Sujet.

Par conséquent, il n’y a rien qui justifierait qu’elles aient une structure syntaxique

différente.

La seule chose qui distingue les formes VII, citées ci-dessus, et une forme VII

comme « nkasar », c’est que cette dernière a pour Sujet un argument [-animé] alors

que les premières ont un sujet [+animé]. C’est ce qui fait qu’on leur attribue le sens

de « se laisser volontairement », chose que l’on ne pourrait pas faire avec un sujet

[-animé].

Ainsi, le fait que le verbe « nhazam » laisse apparaître un sens « se laisser »

ne signifie pas que cette forme VII à une projection en plus qui justifierait une glose

impliquant « laisser ». Le sens « se laisser » est ce que l’on obtient lorsqu’on prive

le verbe de son Agent et que l’on met l’argument Patient [+animé], qui subit

l’action dénotée par la racine, en position Sujet.

De surcroit, toute projection supplémentaire aura pour conséquence de

générer une position CV supplémentaire, ce qui n’est pas le cas ici. La forme

« nhazam » présente les mêmes positions CV et la même morphologie que la forme

« nkasar ».

De la sorte, la forme « nhazam » ne contient pas une projection de plus que

celles que l’on retrouve dans une forme I, à savoir une racine avec un complément

et un VP. Bien au contraire, l’argument que V apporte ne se réalise pas sous une

forme nominale mais sous une forme pronominale, ce qui prive la structure d’un

Page 264: Les 10 formes du verbe

264

V’

VP

V [CV] a

√P

n [CV]

√hzm 3ali

deuxième argument et fait assumer à l’argument Patient, destiné à être Objet, la

fonction Sujet.

Ainsi, la structure de la forme VII « nhazam » est analogue à celle de la forme

VII « nkasar » :

(412)

Cet emploi, considéré comme présentant un usage particulier de la forme

VII, est à intégrer dans le cadre de la forme canonique puisqu’il s’agit de la même

structure. La seule différence est que dans le cas présent, on a un sujet [+animé].

La forme VII « nhazam » suivra le même processus, dans sa formation, que la

forme VII « nkasar » (cf. 3.2).

3.3.2. Peut-il y avoir une relation entre une forme VII et une forme IV ?

Certaines formes VII sont considérées comme étant des formes réflexives

passives d’une forme IV (Wright 1896 : 41). Ce qui nous interpelle dans ce cas

(sachant que la forme VII n’est ni réflexive ni passive) c’est qu’elle soit mise en

relation avec la forme IV.87 Nous avons établi que la forme VII garde les mêmes

projections que la forme I et se contente de réaliser un morphème « n » là où la

forme I réalise un argument nominal. De ce fait, qu’une forme VII soit considérée

comme étant liée à la forme IV qui, comme nous le savons, renferme une structure

87 Faisons remarquer qu’on ne retrouve pas cette forme dans la grammaire élaborée par Sibawayh (décédé en 205h), ni dans la grammaire de Al-Mubarrad (décédé en 285h). C’est chez az-zamarchari (décédé en 538h) qu’on va trouver ces exemples de forme VII en relation avec la formeIV.

Page 265: Les 10 formes du verbe

265

baab √Rlq

√P

plus complexe que celle d’une forme I (présence d’une projection vP), s’avère

problématique.

Observons les exemples suivants :

(413) nRalaqa al-baab-u

n- a fermé la porte-nominatif ‘‘La porte s’est fermée.’’

(414) nTafa?at an-naar-u

n- a éteint le feu-nominatif ‘‘Le feu s’est éteint.’’

À la forme IV correspondante, on a :

(415) ?aRlaqa kariim-un al-baab-a

a fait.fermer Karim-nominatif la porte-accusatif ‘‘Karim a fermé la porte.’’

(416) ?aTfa?a kariim-un an-naar-a

a fait.éteindre Karim-nominatif le feu-accusatif ‘‘Karim a éteint le feu.’’

Les formes VII données en (413) et (414), suppriment, respectivement,

l’agent réalisé dans les formes IV correspondantes données en (415)et (416), et

réalisent l’argument Patient en position Sujet ; comme le font les formes VII mises

en relation avec une forme I. Cependant, dans le cas présent, cela voudrait dire que

le morphème « n » se serait réalisé à la place de l’argument apporté par la

structure d’une forme IV, à savoir en position Spécifieur de vP.

Regardons de près un des exemples cités ci-dessus, soit la forme VII

« nRalaq » en (413), et voyons ce qui justifie le rapprochement avec une forme IV.

La racine √Rlq se prête à une forme VII et indique un intensif à la forme II au lieu

d’un causatif. Elle présente, donc, les propriétés d’une racine à argument unique en

position Complément. Sa structure est la suivante :

(417)

Page 266: Les 10 formes du verbe

266

V’

VP

V [CV] a

√P

v’

√Rlq

baab

3ali

v [CV]

vP

Cette racine se prête à une forme I « Ralaq ». L’argument Sujet est alors

apporté par VP :

(418) Ralaqa kariim-un al-baab-a

a fermé Karim-nominatif la porte-accusatif ‘‘Karim a fermé la porte.’’

Ceci étant, et en dépit de l’existence d’une forme I « Ralaq », la forme VII

« nRalaq » est discutée en rapport à la forme IV « ?aRlaq » par ceux qui croient voir

une connexion.

Donnons la structure d’une forme IV « ?aRlaq » :

(419)

La projection vP apporte l’argument sujet et l’argument apporté par la

racine aura la fonction Objet.

Avant de continuer notre analyse, il est important de commenter, ici, le fait

qu’une racine comme √Rlq puisse avoir une forme IV causative. Nous avions

indiqué lors de l’étude des formes II, que celles qui sont construites à partir de

racines dont l’unique argument occupe la position Complément de √P, indiquent

l’intensif au lieu du causatif. Ceci s’applique uniquement à une forme II et non pas à

une forme IV et ce, à cause de ce qui fait la différence entre ces deux formes.

Page 267: Les 10 formes du verbe

267

Rappelons que ce qui fait qu’une forme II indique l’intensif c’est l’absence

d’un argument en position Spécifieur de √P, auquel cas le verbe n’a pas son propre

argument agent : [argument faire [ø verbe (argument)]].88 À la forme IV, puisqu’on

construit directement un verbe causatif en v : [argument faire verbe argument

(argument)], la présence ou l’absence d’un agent en position Spécifieur de √P n’a

aucune incidence sur la valeur causative du verbe. C’est ainsi que le verbe

« ?aRlaq » garde le sens causatif même si la racine qui le forme est une racine du

type « Racine + Complément ». De la sorte, la structure des racines du type √Rlq ne

les empêche pas d’être enchâssées dans une structure de causatif. Les incidences

que peut avoir cette structure sur la forme obtenue sont d’ordre sémantique.

Ceci étant dit, quoiqu’en principe une forme IV soit compatible avec des

racines du type √Rlq, elle reste, tout de même, non productive. La raison en est

qu’avec ce type de racines, la forme IV engendre le même effet qu’une forme I. En

effet, à la forme I, c’est VP qui apporte à la racine l’argument Sujet dont le rôle

thématique est souvent « causateur ». Par cette propriété, la forme I est pour ce

type de racines ce que la forme IV l’est pour les autres ; à savoir apporter un

argument qui cause l’événement de la prédication. De ce fait, rares sont les racines

à argument unique Complément qui font une forme IV, vu que la forme I permet

d’obtenir le même résultat.

Revenons à la forme IV « ?aRlaq ». Dans cette dernière, l’argument Sujet est

apporté par vP (comme montré dans (419)). Etant donné que la forme VII

« nRalaq » est étudiée par rapport à la forme IV, la question de savoir si le

morphème « n » est apporté par vP et non pas par VP se pose d’emblée.

Toutefois, comme on le sait, la projection vP n’apporte pas uniquement un

argument Sujet, mais apporte également une position CV qui augmente le gabarit

88Cf. l’analyse de la forme II intensive (P : 100).

Page 268: Les 10 formes du verbe

268

de base.89 Chose que l’on n’a pas avec la forme VII « nRalaq ». Cette forme VII

compte les mêmes positions CV que la forme « nkasar » et est morphologiquement

identique à cette dernière.

Si le morphème « n » était apporté par vP, on aurait eu le gabarit donné en

(420) ; le premier CV est celui apporté par « n », le deuxième est celui de V, le

troisième est celui de v, le quatrième est celui de Asp et le dernier est celui de

Agr :90

(420) * n R l q

CV C V C V C V C V a

La première consonne de la racine se serait associée à la position CV de v et

le morphème « n » à la position C du CV qu’il apporte. La position C qui,

ordinairement, est occupée par la consonne épenthétique « ?», dans « ?aRlaq »,

restera vide puisqu’elle n’est pas en début de mot. Face à cette situation, l’une des

solutions aurait été de propager la première consonne ; ce qui aurait donné

«*nnaRlaq » :

(421) * n R l q

CV C V C V C V C V a

Toutefois, il y a une contrainte en arabe classique qui interdit une

gémination au début de mot. Une deuxième solution aurait été d’associer « n » à la

deuxième position C et d’insérer une consonne épenthétique « ? » dans la première

position C ; ce qui aurait donné « *?naRlaq » cf. (422):

89 Cf. le chapitre sur la forme IV (P : 143). 90 Cf. la structure de la forme IV et le mode d’association au gabarit(P :146).

Page 269: Les 10 formes du verbe

269

V’

VP

V [CV] a

√P

n [CV]

√Rlq

baab

(422) * n R l q

CV C V C V C V C V ? a

Ou tout simplement « *naRlaq », auquel cas le premier CV chute :

(423) * n R l q

CV C V C V C V C V a

Dans tous les cas on aurait eu la voyelle « a » derrière « n » et avant la racine,

ce qui n’est pas le cas.

De la sorte, vouloir lier la forme VII « nRalaq » à la forme IV « ?aRlaq » est

dépourvu de justification grammaticale. Le morphème « n » dans « nRalaq » ne

peut pas être l’argument apporté par vP. Il est assurément apporté par VP comme

c’est le cas pour « nkasar ».

Si la forme « nRalaq » est discutée en rapport à la forme « ?aRlaq », c’est tout

simplement parce que l’existence de cette forme IV a tendance à estomper

l’utilisation de la forme I « Ralaq ».

Ainsi, la structure de la forme VII « nRalaq » se présente comme suit :

(424)

Page 270: Les 10 formes du verbe

270

Maintenant que l’on a établi que la forme VII « nRalaq » ne partage

aucunement la même structure syntaxique qu’une forme IV et qu’elle a la même

structure que la forme VII canonique, il va de soi qu’elle suivra le même processus

de formation que cette dernière (Voir la section 3.2 )

Ceci étant dit, en étudiant ces formes VII mises en relation avec des formes

VI, nous avons décelé un cas problématique qui nécessite d’être examiné. Il s’agit

de la forme VII « nTafa? » donnée en (414). Cette forme ne met pas en cause

l’analyse que nous venons de proposer pour la forme VII « nRalaq », à savoir que

« n » n’est pas apporté par vP. Toutefois, elle semble présenter un contre-exemple

à la structure que nous avons établie pour la forme VII.

En effet, cette racine donne à la forme I un verbe intransitif alors qu’en

principe, les racines qui se prêtent à une forme VII font des verbes transitifs à la

forme I :

(425) Tafi?at an-naar-u

s’est éteint le feu-nominatif ‘‘Le feu s’est éteint.’’

Nous avons montré que le Complément de la racine ne peut monter dans

une position Sujet que si VP apporte un morphème « n » ; c’est-à-dire uniquement

dans une forme VII.

La racine √Tf? a des proprietes contradictoires que l’on trouve dans deux

classes différentes. En effet, elle agit comme les racines du type Racine-

Complément et se prête à une forme VII. En même temps, elle agit comme les

racines du type Spécifieur-Racine et fait une forme I intransitive. Dans le premier

cas, cette racine contredit la généralisation selon laquelle le Complément ne monte

jamais en position Sujet sans la présence d’un morphème « n » qui bloque la

position Spécifieur de VP et dans le deuxième cas, elle contredit la généralisation

selon laquelle seules les racines à argument unique Complément font une forme

VII.

Page 271: Les 10 formes du verbe

271

Afin de discerner si la racine √Tf? est du type Specihieur-Racine ou Racine-

Complément, nous proposons de considérer chacun des deux cas et de voir les

problèmes qu’il pose et les réponses qu’on peut apporter.

Commençons par supposer que la racine √Tf? est du type Specifieur-Racine.

Si c’est bien le cas, il faudra donc expliquer comment une racine à argument

Spécifieur peut avoir un argument pronominal « n » sous VP.

Commençons par indiquer que dans certains cas, les racines à argument

unique en position Spécifieur ont une contrepartie transitive véhiculant un sens

« causatif » :91

(426) fariHa kariim-un

est.content Karim-nominatif ‘‘Karim est content.’’

(427) faraHa 3aliyy-un karim-an

rendu.content Ali-nominatif Karim-accusatif ‘‘Ali a rendu Karim content.’’

Nous considérons que ce type de « causatif » exprimé par un ablaut

(réalisation d’une voyelle « a » en V2 à la place de la voyelle « i ») n’est pas généré

par une structure du causatif mais résulte de l’ajout d’un argument en VP. De ce

fait, il existe des cas où VP apporte un argument à des racines qui réalisent un

argument en position Spécifieur, ce qui laisse, théoriquement, une possibilité de

réaliser un morphème « n » dans cette position. Cependant, la racine √Tf? ne se

soumet pas à ce genre de formation causative et donc ne manifeste pas un cas où

un argument est ajouté pas VP (par ailleurs, la racine √frH, ne se prête pas, non

plus, à une forme VII « nfaraH ») :

(428) * Tafa?a kariim-un an-naar-a

a éteint Karim-nominatif le feu-accusatif

‘‘Karim a éteint le feu.’’

91 Fassi El-Fehri (1987), Hallman (2006), pour les formes causatives avec la voyelle « a ».

Page 272: Les 10 formes du verbe

272

Ceci étant, maintenant que l’on sait que la structure permet à ce type de

racine d’ajouter un argument en VP, la question qui se pose est la suivante : si la

racine √Tf ? accepte un morphème « n » dans cette position pourquoi n’accepte-t-

elle pas un argument nominal?

La seule réponse possible à cette question serait que cette racine n’accepte

pas un argument causateur. Le morphème « n » n’étant pas référentiel ne comptera

pas pour un argument causateur. De surcroît, il va laisser l’argument de la racine

être le Sujet ; ce qui n’est pas le cas si on avait un argument nominal. Pourtant, la

seule réponse à cette situation est infirmée par la forme IV « ?aTfa? » qui montre

que cette racine accepte bel et bien une structure du causatif qui apporte un agent

causateur.

Par conséquent, si la racine √Tf ? est du type Spécifieur-Racine, rien ne

justifie le recours à « n » puisqu’il ne sert ni à permettre à l’argument de la racine

de se réaliser en tant que Sujet qui est déjà dans une position qui lui permet de le

faire et qu’il n’est pas là pour bloquer la réalisation d’un argument référentiel

causateur puisque la racine admet ce genre d’argument. Tout compte fait, rien ne

justifie l’existence d’une forme VII « nTafa? ».

Passons maintenant à la deuxième proposition, à savoir que la racine √Tf?

est une racine du type Racine-Complément. Dans ce cas, la présence d’une forme

VII « nTafa? » est tout à fait attendue et la place du morphème « n » ne demande

pas une explication. Le problème qui se pose ici, c’est que cette racine réalise un

verbe intransitif alors que, selon la règle générale, le Complément de √P ne peut

pas monter dans la position Spécifieur de VP.

La seule chose qui expliquerait la possibilité d’opérer ce mouvement et de

transgresser la règle, serait le fait que cette racine soit étroitement liée à son

Complément ; dans la mesure où on ne peut avoir dans cette position que « feu »

ou « lumière » (et par extension, tous les appareils électriques).

Page 273: Les 10 formes du verbe

273

Toutefois, si c’est le cas, et qu’on peut justifier le fait que cette racine fasse

monter le Complément en position Sujet sans avoir besoin que la position

Spécifieur de VP soit bloquée par « n », pourquoi y aurait-il besoin de le faire et de

réaliser une forme VII « nTafa? » ?

Pour mieux comprendre cette situation, il faudra saisir la différence de sens

entre « Tafi?at an-naar » et « nTafa?at an-naar ». Dans le premier cas on peut

traduire par « le feu a cessé d’être en combustion » et dans le second, on peut

traduire par « le feu s’est éteint ». De la sorte, avec la forme I « Tafi? » on

n’implique pas un agent alors qu’à la forme VII « nTafa? », on dit que l’événement

« nTafa? » est le résultat d’un agent.

En introduisant « n » en Spécifieur de VP, on déclenche une position

« agent ». Toutefois, vu que « n » n’est ni référentiel ni coréférentiel, il ne pourra

pas supporter ce rôle. C’est ce qui donne à la forme VII « nRalaq » cette propriété

de résulter de l’action d’un agent (puisque la position Spécifieur VP est activée),

sans pour autant en avoir un (puisque cette même position est bloquée par « n »).

Ainsi, que la racine √Tf? realise une forme VII « nTafa?», découle de sa

structure. En effet, avec ce type de racines, la position Spécifieur en VP est bloquée

pour permettre de réaliser l’argument position Complément de la racine en tant

que Sujet. Que cette même racine n’accepte pas qu’à la forme I, un argument soit

apporté par VP, découle du fait qu’elle n’accepte pas un agent externe.92 Cette

restriction est la conséquence de sa relation étroite avec son Complément ; relation

qui permet à ce Complément de se réaliser en tant que Sujet produisant, ainsi, un

verbe intransitive à la forme I.

92 La racine √Tf? n’accepte pas qu’un agent externe soit le Sujet sauf si cet agent est un causateur ; ce qui explique qu’elle se prête à une forme IV. On est en présence d’un cas contraire de ce que nous avions vu avec la forme IV intransitive « ?aHSad », où la racine acceptait un agent externe mais pas un agent causateur. Rappelons que dans ce dernier cas, le Complément de la racine s’est déplacé en position Spécifieur vP, de la même manière qu’à la forme I « Tafi? », la racine n’acceptant pas un agent externe, le Complément se déplace en position Spécifieur de VP. Dans les deux cas, cette restriction de la racine a produit un verbe intransitif là où s’attendait à avoir un verbe transitif.

Page 274: Les 10 formes du verbe

274

De ce fait, la proposition Racine-Complément paraît plus crédible que celle

de Spécifieur-Racine. Ceci étant dit, ce cas étant très restreint, il ne nous permet

pas de remettre en cause la généralisation établie pour la forme VII.

4. Conclusion

La forme VII « nfa3al » est une forme spéciale par la nature de la racine

qu’elle renferme. Les racines qui se prêtent à une forme VII sont, principalement,

celles dont l’unique argument occupe la position Complément de √P. Ce genre de

structures ne permet pas à l’argument de prendre naturellement la position Sujet.

Pour avoir n’importe quelle forme verbale, il est indispensable que la racine

soit sélectionnée par VP qui, lui, a le pouvoir d’apporter un argument Sujet et qui le

fait instantanément lorsque le domaine de la racine n’est pas doté d’un argument

en position Spécifieur. Lorsque cet argument se réalise sous une forme nominale, il

occupe la fonction Sujet ; il en résulte une forme I. Par contre, lorsque l’argument

apporté par VP se réalise sous une forme pronominale « n », il en résulte une forme

VII. Le morphème « n », ne peut pas assurer la fonction Sujet, en conséquence, c’est

l’unique argument nominal de la structure, qui se trouve être le Complément de √P,

qui s’en charge.

Quant à la forme verbale elle-même « nfa3al », elle est obtenue suite à

l’association de la racine à la position C du CV de V, puisque c’est la première tête

vers laquelle elle s’est déplacée, et à l’association du morphème « n » à la position C

du CV qu’il apporte. Ce morphème se retrouve en position préfixale tout

simplement parce qu’il occupait initialement la position Spécifieur de VP, ce qui le

place ainsi que son CV à gauche du CV apporté par V.

Page 275: Les 10 formes du verbe

275

CHAPITRE 10

ANALYSE DE LA FORME IX « f3all »

1. Introduction

La forme IX « f3all » se distingue des autres formes verbales par le

dédoublement de la troisième consonne de la racine. Dans ce qui suit, nous

appelons ce dédoublement ‘gémination’. Dans cette frome, également, une

séquence prothétique « ?i » est insérée pour éviter la succession de deux

consonnes au début de mot : « ?if3all ». Comme on a pu le voir avec la forme II, la

gémination d’une consonne révèle l’existence d’une position CV supplémentaire

par rapport au gabarit de base.

Page 276: Les 10 formes du verbe

276

La forme IX est formée exclusivement avec des racines qui expriment soit

des couleurs ou des défauts physiques des choses ou des personnes. Cette forme

est à chaque fois paraphrasée par une forme adjectivale et jamais par une forme

verbale ; que ce soit la forme I ou autre comme ce fut le cas par exemple pour la

forme X qui est analysée par rapport à la forme IV, ou la forme V qui est analysée

par rapport à la forme II. En effet, la forme IX est toujours définie par « devenir +

Adjectif ».

L’étude que nous proposons pour la forme IX « f3all » déterminera l’origine

et le statut de la position CV qui permet de réaliser une géminée mais aussi la

position de celle-ci, à savoir la raison pour laquelle c’est la troisième consonne de

la racine qui gémine. Elle permettra également de comprendre ce qui fait que la

forme IX est toujours étudiée par rapport à un adjectif, à part le fait que les racines

qu’elle renferme indiquent une qualité.

Nous commencerons d’abord par présenter le gabarit qui sous-tend une

forme IX et le mode d’association qu’elle adopte. Ensuite, nous examinerons les

emplois restreints dans lesquels elle apparait afin de déterminer sa structure

syntaxique et de discerner les projections qu’elle renferme et le processus de

formation qu’elle suit.

2. Quel gabarit pour la forme IX ?

Commençons par rappeler le gabarit unique qui sert à générer les dix

formes verbales : [CV-CV(CV)CVCV]. Selon l’analyse morphophonologique

proposée par Guerssel et Lowenstamm pour la forme IX « f3all », l’association au

gabarit se fait comme indiqué en (429) :

Page 277: Les 10 formes du verbe

277

(429) f 3 l

CV- CV CV CV a

La position (CV) dérivationnelle qui permettait, dans le cadre de cette

théorie, de géminer la consonne dans la forme II et d’allonger la voyelle dans la

forme III, n’est pas activée. Le fait que la forme IX gémine la troisième consonne

indique ipso facto qu’elle ne se contente pas du gabarit de base et qu’elle utilise un

quatrième CV. C’est la position préfixale CV- qui sera activée et elle sera identifiée

par la première consonne de la racine. La deuxième consonne de la racine, quant à

elle, sera associée à la première position CV du gabarit de base. Restera, alors, deux

positions CV auxquelles sera attachée la troisième consonne de la racine, se

réalisant ainsi, géminée.

Si l’on sait, à présent, le gabarit que prend une forme IX, il reste à découvrir

l’origine du CV- préfixal qui ajoute une position CV au gabarit de base et dont

découle la réalisation de la géminée. De même, il faut comprendre le mode

d’association opéré dans ce gabarit et la raison pour laquelle le CV ajouté est

identifié par la première consonne de la racine et non pas par la consonne géminée

qui fait la particularité d’une forme IX.

3. À la recherche de la structure syntaxique de la forme IX

Comme je viens de l’indiquer, les racines qui se prêtent à la forme IX sont

exclusivement celles qui indiquent soit une couleur soit un défaut matériel ou physique.

Comme nous l’avons annoncé dans l’introduction, les formes IX ne sont pas étudiées

par rapport à une forme verbale (que ce soit la forme I ou autre) mais plutôt par rapport

à une forme adjectivale. Pour cette raison, nous présenterons les exemples de formes IX

en parallèle avec des formes adjectivales. Nous verrons, dans ce qui suit, les raisons et

les répercussions d’un tel rapprochement.

Page 278: Les 10 formes du verbe

278

3.1. La forme IX et la racine indiquant une couleur

Le fait de choisir de commencer par la racine indiquant une couleur est tout

à fait arbitraire. Aucune hiérarchie n’est à établir entre la forme IX dont la racine

indique une couleur et celle dont la racine indique un défaut matériel ou physique.

Soit l’exemple d’une forme IX indiquant une couleur :

(430) xDarr al-mar3aa

a verdoyé le pâturage-nominatif ‘‘Le pâturage a verdoyé.’’

Avec une forme adjectivale on aura :

(431) al-mar3aa ?axDar-un

le pâturage-nominatif vert-nominatif ‘‘Le pâturage est vert.’’

La forme IX « xDarr » (a verdoyé) est étudiée par rapport à l’adjectif

« ?axDar » (vert). La seule manière de décrire la forme IX, donnée en (430), est de

le faire avec « devenir + un adjectif » :

(432) Saara al-mar3aa ?axDar-an

est.devenu le pâturage-nominatif vert-accusatif ‘‘Le pâturage est devenu vert.’’

Contrairement à l’adjectif qui indique la qualité actuelle de l’objet qu’il

qualifie, les verbes de forme IX sont employés lorsqu’on veut rendre compte du

processus d’acquisition de la qualité en question. En effet, si l’adjectif « ?axDar »

indique l’état « vert », la forme verbale IX « xDarr » indique que le Sujet, ici

« mar3aa » (pâturage), passe de l’état « aride » à l’état « verdoyant ».

Signalons qu’avec la racine √xDr dont le sens indique « couleur verte », on

peut construire une forme I « xaDir » qu’on dit avoir la même signification que la

forme IX :

Page 279: Les 10 formes du verbe

279

(433) xaDira al-mar3aa

a verdi le pâturage-nominatif ‘‘Le pâturage a verdi.’’

Cependant, quoiqu’on puisse lire dans un dictionnaire une synonymie entre

ces deux formes, une nuance sémantique les distingue. La forme « xaDir » est plus

proche de l’adjectif « ?axDar » dans le sens où elle indique le résultat du processus

de passer de « l’état non vert » à « l’état vert » alors que la forme « xDarr » rend

compte de ce processus même.

En dépit du fait que la forme I « xaDir » existe, il est impossible de

paraphraser la forme XI « xDarr » par [verbe + xaDir] de la même manière que

pour une forme II où l’on peut avoir [faire + verbe à la forme I].

3.1.1. De quelle nature est la relation entre la forme IX et l’adjectif ?

L’étude des formes verbales que l’on a examinées dans les chapitres

précédents, a démontré qu’à chaque fois qu’une forme manifeste une position CV

en plus, par rapport aux trois positions CV du gabarit de base, elle renferme

soit une position tête fonctionnelle supplémentaire, par rapport à la structure

syntaxique d’un verbe à la forme I ou alors un morphème apportant son propre CV

(c’est le cas du morphème « n » dans la forme VII et du morphème « t » dans les

formes V, VI,VIII et X).

La forme IX réalise une géminée, ce qui indique qu’elle renferme, dans sa

structure, un niveau supplémentaire qui lui permet d’ajouter une position CV.

Toutefois, cette forme n’est pas analysable par rapport à une forme I. De ce fait, elle

ne peut pas être décomposée en un quelconque élément syntaxique plus la forme I,

auquel cas, il aurait suffi de déterminer cet élément pour trouver la structure de la

forme IX. De la sorte, la forme IX « f3all » renferme une structure particulière et

distincte de celles des formes verbales étudiées jusqu’à présent. Le tout est de

savoir laquelle.

Page 280: Les 10 formes du verbe

280

V’

V [CV] a

√xDr

mar3aa

VP

La forme IX que nous avons examinée est à expliciter par [devenir+ adjectif].

On pourrait expliquer qu’une forme verbale comme « xDarr » soit mise en relation

avec l’adjectif « ?axDar » par le fait qu’elle partage la même racine √xDr. Toutefois,

le fait qu’il y ait une forme I « xaDir », indique que nous sommes en présence de

deux processus de formation distincts. Ce qui relie une forme IX à une forme

adjectivale va au-delà du fait de partager la même racine, car cela aurait donné une

forme I.

En effet, la forme I « xaDir » est formée directement à partir de la racine

√xDr puisqu’elle ne manifeste que les trois consonnes de la racine et répond

parfaitement à la structure d’une forme I. Signalons que la racine √xDr n’a aucun

argument ; l’argument Sujet qui se manifeste à la forme I est apporté par VP :

(434)

De la sorte, les formes I indiquant une couleur sont mises en relation avec

un adjectif parce qu’elles sont construites à partir de racines destinées

naturellement à former des adjectifs. Autrement dit, c’est parce que la racine

indique une « couleur », que la forme I qui la renferme est rapprochée d’un adjectif

de couleur.

La forme IX, quant à elle, doit certainement avoir une autre propriété qui la

relie à l’adjectif ; en plus bien évidemment du fait de partager la même racine avec

une forme adjectivale.

Jusqu’à maintenant, nous avons réussi à analyser les formes verbales avec la

structure syntaxique que l’on reconnait à un verbe. A part proposer une projection

√P, nous n’avons pas eu besoin de faire appel à d’autres structures que celles qui

existent déjà et qui constituent ou sélectionnent le verbe. Les possibilités qu’offre

Page 281: Les 10 formes du verbe

281

AdjP

V’

Adj [CV]

√xDr

mar3aa

V [CV] a

VP

cette structure se limitent à neufs. Quatre sont d’ordre structurel : selon qu’on a

une projection VP, deux projections VP ou alors une projection vP et une projection

VP ; sachant que dans ce dernier cas deux opérations sont possibles dont résultent

deux formes différentes. Ajouté à cela, la possibilité de réaliser l’un des arguments

sous forme d’un pronom « t » ou « n », ce qui aboutit, au final, aux neufs formes

verbales.

La forme IX semble ne pas rentrer dans ce cadre parce que la manière dont

elle se laisse analyser, ne permet pas de la traiter avec les éléments que met à

disposition la structure syntaxique du verbe et que, à vrai dire, toutes les

possibilités sont épuisées. De ce fait, la structure de la forme IX fait appel à un

élément extérieur pour se réaliser. Le tout est de savoir lequel.

Etant donné que la forme IX « xDarr » indique « devenir adjectif » et qu’elle

réalise une position CV supplémentaire, ce qui présuppose l’existence d’un niveau

supplémentaire, nous proposons d’y voir littéralement une structure du type

[Verbe + Adjectif]. Il s’agirait donc de construire une forme verbale, non pas

directement à partir d’une racine qui relate une « couleur », mais à partir d’un

adjectif qui, lui, est constitué de la racine en question. Dans ce cas, ce sera la

position Adj qui apportera, à la forme IX, la position CV supplémentaire dont

résulte la gémination de la troisième consonne.

De la sorte, la projection VP ne sélectionne pas directement √P mais

sélectionne une projection AdjP qui, elle, sélectionne une projection √P. En se

déplaçant en V, Adj, ne donnera pas lieu à un adjectif mais à une forme verbale :

(435)

Page 282: Les 10 formes du verbe

282

AdjP

Adj [CV] | x Dr

√xDr

V’

VP

V [CV] a

mar3aa

Ainsi, si la forme IX se laisse décomposer en [verbe + adjectif] c’est parce

qu’on construit d’abord un adjectif, ensuite on l’enchâsse dans une structure

verbale. Si la structure donnée en (435) engendre une forme IX et une proposition

du type [Sujet forme IX] au lieu d’une proposition du type [Sujet verbe Adjectif],

c’est parce que l’adjectif est sélectionné directement par VP sans qu’il y ait une

racine intermédiaire. La racine servant à former l’adjectif occupe, elle-même, la

position V faisant en sorte que l’adjectif se transforme en forme verbale.

De la sorte, la forme IX « xDarr » qu’on peut décomposer en

« devenir ?axDar » est en fait une forme qui résulte d’un adjectif qui prend une

position verbale.

On pourrait supposer que dans le cas où un tel mouvement ne s’effectue pas,

il en résulte une proposition du type [Nom+Adjectif] : « al-mar3aa ?axdar » (le

pâturage vert). La position V, restant sans contenu lexical donne ce qu’on peut

rapprocher de la copule nulle.

3.1.2. Comment obtient-on une forme IX ?

Pour obtenir une forme IX « xDarr », le premier mouvement consiste à

associer la racine à Adj., par simple fusion Tête-Complément :

(436)

Ensuite, Adj. monte en position tête de VP. L’argument Sujet est apporté par

V dans la position Spécifieur de VP :

Page 283: Les 10 formes du verbe

283

AdjP

√xDr

V’

VP

V x D r | | [CV]+[CV] a

mar3aa

Adj [CV] | x Dr

(437)

La position Adj. génère une position CV et la tête de VP renferme une

position CV, dont la position vocalique est occupée par une voyelle « a ». Etant

donné que la racine s’associe d'abord à Adj., elle occupera la position

consonantique du CV de cette tête. Le deuxième mouvement (Cf.(437)) place la

position CV de Adj. à gauche de celle de V, ce qui donne la situation suivante :

(438) x D r

C V C V a

La première consonne de la racine, étant associée à la position

consonantique du premier CV (qui se trouve être celui apporté par Adj.) ne peut

pas se propager sur la deuxième position C, comme montré en (439), puisque

l’arabe n’admet pas une géminée en début de mot :

(439) * x D r

≠ C V C V a

Page 284: Les 10 formes du verbe

284

AdjP

Adj [CV] xDr

√xDr

V’

VP

V x D r | | [CV]+[CV] a

mar3aa

Asp’

AspP

Agr’

AgrP

mar3aa

mar3aa

Asp x D r | | | [CV][CV]+[CV] a

Agr x D r | | | [CV][CV][CV]+[CV] a

C’est la deuxième consonne de la racine qui va s’associer à la position

consonantique du CV, contenu sous V :

(440) x D r

C V C V a

Nous sommes en présence du premier cas où la deuxième consonne de la

racine s’associe à la position C du CV apporté par V. Si cette association est possible

c’est tout simplement parce que la première consonne de la racine est associée à la

position C du CV de Adj. Rappelez-vous, à la forme II, cette consonne remplit la

position C du CV apporté par v, par une simple propagation ; à l’initial elle identifie

la position C du CV apporté par Aspect P. L’explication que nous avions donnée lors

de l’étude de la forme II est la suivante : puisque la première consonne de la racine

identifie une position V, il est interdit à une autre consonne de la racine d’identifier

une position v (v et V étant des têtes verbales). Ainsi, cette contrainte ne s’applique

pas ici et la deuxième consonne peut identifier la première position C vide, qui se

trouve être celle du CV de V.

Une fois VP est sélectionné par Aspect P puis Agreement P, ces projections

apporteront deux positions CV :

(441)

Page 285: Les 10 formes du verbe

285

Ordinairement, les deux positions CV apportées par AspectP et AgreementP,

associent la deuxième et la troisième consonne de la racine. Cependant, puisque la

deuxième consonne est déjà associée au CV de V, c’est la troisième consonne qui

prendra sa place puis se propagera sur la position CV qui reste.

Récapitulons le mode d’association au gabarit :

� La première consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Adj ;

� La deuxième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de V ;

� La troisième consonne de la racine s’associe à la position C du CV de Aspect,

et se propage sur la position C du CV de Agreement.

C’est ainsi que l’on obtient le gabarit et le mode d’association qui

correspondent exactement à ce qu’avaient prédit Guerssel et Lowenstamm :

(442) x D a r

[CV][C V][C V][C V] Adj V Asp Agr

3.2. La forme IX et la racine indiquant un défaut

La deuxième classe sémantique de racines qui se prêtent à une forme IX est

celle qui dénote un défaut matériel ou physique. Commençons par examiner un

exemple indiquant un défaut matériel :

(443) 3wajja al-3uud-u

s’est.tordu le bâton-nominatif ‘‘Le bâton s’est tordu.’’

Avec une forme adjectivale on aurait :

(444) al-3uud-u ?a3waj-un

le bâton-nominatif tordu-nominatif ‘‘Le bâton est tordu.’’

Page 286: Les 10 formes du verbe

286

La forme IX « 3wajj » peut être traduite par « se tordre ». Il est possible de

définir cette forme verbale sans passer par un adjectif, contrairement aux formes

indiquant une couleur où aucun synonyme n’est possible. On peut donc définir la

forme XI « 3wajj » par un verbe synonyme tel que « maala » (se pencher).

Toutefois, comme c’est le cas pour les formes IX indiquant une couleur, la

forme IX « 3wajj » ne peut pas être décomposée en [verbe + 3awij], même si la

forme I « 3awij » est attestée dans la langue. Si l’on veut définir la forme IX

« 3wajj » (se tordre) par une autre forme contenant la même racine, la seule façon

de le faire est d’employer l’adjectif « ?a3waj » : « Saara ?a3waj » (est devenu tordu).

La forme IX « 3wajj » est employée pour rendre compte du processus qui consiste

à passer de l’état « non tordu » à l’état « tordu ».

Ainsi, la forme IX indiquant un défaut matériel est, elle aussi, définie par un

adjectif et indique [devenir + adjectif].

Citons maintenant un exemple de forme IX dénotant un défaut physique des

personnes :

(445) 3warra kariim-un

est.devenu.borgne Karim-nominatif ‘‘Karim est devenu borgne.’’

Avec une forme adjectivale, on aurait :

(446) kariim-un ?a3war-un

Karim-nominatif borgne-nominatif ‘‘Karim est borgne.’’

La forme IX « 3warr » signifie « devenir borgne ». Cette forme est également

définie par rapport à la forme adjectivale « ?a3war » et non pas par rapport à la

forme I « 3awir » qui est attestée dans la langue. Il est possible de mettre la

formeIX et la forme I en relation mais uniquement dans le cadre d’une synonymie.

En aucun cas, la forme IX ne sera considérée comme étant une forme I à la quelle

on ajouterait un quelconque trait syntaxique ou sémantique.

Page 287: Les 10 formes du verbe

287

AdjP

V’

Adj [CV]

√3wj

3uud

V [CV] a

VP

AdjP

V’

Adj [CV]

√3wr

karim

V [CV] a

VP

La forme IX « 3warr » est employée pour indiquer que le Sujet passe d’un

état « non borgne » à un état « borgne ».

Ainsi les forme IX qui désignent des défauts physiques de personnes sont

également mises en relation avec un adjectif et non pas avec la forme I de même

racine.

De la sorte, les formes IX dont la racine indique un défaut que ce soit des

choses ou des personnes, présentent exactement les mêmes propriétés que la

forme IX indiquant une couleur. De ce fait, elles ont la même structure à savoir, une

projection AdjP qui sélectionne la racine et qui est, elle-même, sélectionnée par un

VP. La structure de la forme IX « 3wajj » est donnée en (447)a, et celle de la forme

IX « 3warr » est donnée en (447)b :

(447) a. b.

Les formes IX « 3wajj » et « 3warr » suivront le même processus de

formation que la forme IX « xDarr » (cf. section 3.1.2).

La forme IX est donc la seule forme qui n’est pas mise en relation avec la

forme I ou avec une autre forme verbale, même lorsque celles-ci sont attestées. En

effet, à aucun moment, la forme IX ne peut être décomposée en forme I, ou autre

forme verbale, plus un autre élément. La forme IX est formée exclusivement à

partir des racines désignant une couleur ou un défaut physique. Ce genre de

racines est précisément celui qui est sélectionné naturellement par « Adjectif ». Par

ce fait, la forme IX ainsi que la forme I, de même racine, sont automatiquement

mise en relation avec un Adjectif.

Page 288: Les 10 formes du verbe

288

Ce qui distingue une proposition [X ?af3al] d’une proposition [X f3all], c’est

qu’avec la forme adjectivale, on qualifie un Sujet en lui attribuant une propriété

donnée et on dit qu’il a « la qualité & » alors qu’avec la forme verbale IX on dit que

le sujet a acquis la propriété en question et qu’il passe de « qualité non& » à

« qualité & ». De ce fait, la forme IX « f3all » est à expliciter par « devenir Adjectif ».

Quant à la forme I, il faut y voir un verbe d’état qui indique que le sujet se trouve

ayant la qualité dénotée par la racine.

4. Conclusion

L’étude de la forme IX « f3all » a montré que le rapprochement fait avec

l’adjectif ne se limite pas au fait de partager une même racine mais va bien au-delà.

La forme IX que l’on traduit par « devenir Adjectif » est effectivement une forme

dont la structure syntaxique est [verbe +Adjectif]. Cette forme verbale est produite

lorsqu’on ne veut pas se contenter d’attribuer une qualité à un Argument mais

qu’on veut rendre compte du processus d’acquisition de la qualité en question.

L’adjectif est dominé par une projection VP sans qu’il y ait une autre racine

pour occuper la position V. C’est la tête Adj., apportant une position CV, qui

accueille la racine puis monte en V. C’est ainsi, que l’on obtient une forme IX

« f3all » que seules les racines qui dénotent une couleur ou un défaut physique et

qui n’ont aucun argument peuvent avoir.

La forme IX « f3all » partage avec la forme VII « nfa3al » la propriété de ne

pas avoir une alternative réflexive. Cela confirme que la racine qui la constitue

n’apporte pas un argument et que seul VP en apporte un. Rappelons-le, pour avoir

une forme réflexive, il faut qu’un des arguments de la racine se réalise sous forme

d’un pronom « t ». Ce dernier prend pour antécédent le deuxième argument de la

racine ou l’argument apporté soit par VP ou par vP.

Page 289: Les 10 formes du verbe

289

CONCLUSION

CONCLUSION

Le pari de faire une analyse syntaxique des dix formes verbales a été tenu et

toutes les formes s’y sont prêtées. Il s’est avéré que chacune d’elles se distinguait

des autres soit par sa structure syntaxique, ce qui se traduit par la nature ou le

nombre des projections, ou alors, par la nature de ses arguments et leurs positions.

Guerssel et Lowenstamm avaient proposé un gabarit unique que voici :

[CV-CV(CV) CVCV], qui permet de générer les dix formes verbales et rien que ces

dix formes. L’analyse syntaxique que nous avons présentée aboutit au même

résultat et explique la raison pour laquelle on a dix et seulement dix formes

verbales. En effet, les dix formes verbales de l’arabe classique correspondent aux

Page 290: Les 10 formes du verbe

290

seules possibilités qu’offre la structure syntaxique du verbe, à savoir une

projection √P, une projection VP et une projection vP ; auxquelles s’ajoute la

projection AdjP spécifique à la forme IX.

La forme dite de base, à savoir la forme I, renferme une projection √P plus

une projection VP (deux projections que l’on retrouve dans toutes les formes

verbales). Hormis la forme IX qui fait appel à la projection AdjP, les autres formes

renferment soit une deuxième projection VP soit une projection vP. Ce qui fait que

l’on se retrouve, au final, avec dix formes verbales, c’est le fait qu’à ces trois

structures syntaxiques, s’additionne la nature des arguments qui peuvent être soit

pronominaux soit nominaux, ainsi qu’une différence de mouvements syntaxiques

au sein d’une même structure.

Rappelons, sommairement, la structure de chacune des les dix formes

verbales.

Pour avoir une forme I « fa3al », il suffit que la racine soit sélectionnée par

VP. Cette projection apporte une structure verbale qui agence les arguments de la

racine et leur donne une fonction syntaxique. La tête de VP est constituée d’une

position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle « a » que l’on

peut considérer comme étant le morphème de la voix active. La racine monte en V

et s’associe à la position C du CV contenu dans ce dernier. Une fois VP sélectionné

par Aspect P et Agreement P qui apportent chacun une position CV, la deuxième et

troisième consonne de la racine s’y associeront.

Si l’argument de la racine, en position Complément, se réalise sous forme

d’un morphème « t », on obtient une Forme VIII « fta3al » au lieu d’une forme I

« fa3al ». Ce morphème apporte une position CV à laquelle sera associée la racine.

Quand à lui, il s’associe à la position C du CV apporté par V ; d’où sa position

infixale. La forme VIII est la forme réflexive de la forme I, cependant, il arrive que le

Page 291: Les 10 formes du verbe

291

sens de la racine ou la nature et le nombre de l’antécédent laisse interpréter ce

réflexif comme un réciproque ou un passif.

Pour avoir une forme II « fa33al », on ajoute une projection vP aux deux

autres que l’on retrouve dans une forme I, à savoir la projection VP et la projection

√P. La racine monte d’abord en V et s’associe, donc, à la position consonantique du

CV de ce dernier, avant que V ne monte en v et se retrouve à gauche du (CV)

contenu dans ce dernier. Puisque la première consonne de la racine est séparée du

(CV) de v par une voyelle « a », elle ne pourra pas se propager pour remplir cette

position et c’est la deuxième consonne de la racine qui s’en charge se réalisant

ainsi géminée. C’est cette structure du causatif qui lui donne à la forme II, son sens.

Dans le cas où un élément de la chaîne causative est interrompu, comme pour les

racines qui n’ont pas un argument en position Spécifieur et qui donc ne présente

pas un agent, il en résulte un intensif.

Si l’argument en position Spécifieur de √P (ou Complement au cas où c’est le

seul argument de la racine) se réalise sous forme d’un morphème « t », on obtient

la forme V « ta-fa33al » au lieu de la forme II. Le morphème « t » prend pour

antécédent l’argument apporté par vP, et se met dans la position Spécifieur de VP,

ce qui lui vaut sa position préfixale. Par sa structure du causatif et son pronom du

réflexif, cette forme indique le causatif réflexif ; elle est la forme réflexive de la

forme II.

Pour avoir une forme IV « ?af3al », il faut avoir la même structure du

causatif que celle pour la forme II, à savoir une projection vP qui sélectionne une

projection VP qui, elle, sélectionne une projection √P. Cependant, cette fois-ci, la

racine monte directement en v et s’associe au CV apporté par ce dernier ; la

consonne « ? » qui apparait en début de mot n’est pas le morphème du causatif,

c’est une simple consonne épenthétique.

Page 292: Les 10 formes du verbe

292

Si l’argument en position Spécifieur de √P (ou Complement au cas où c’est le

seul argument de la racine) se réalise sous forme d’un morphème « t », on obtient

la forme X « staf3al » au lieu de la forme IV « ?f3al ». Par sa structure du causatif et

son pronom du réflexif, cette forme indique le causatif réflexif, elle est la forme

réflexive de la forme IV. La consonne « s » qui se manifeste dans cette forme est

une consonne épenthétique au même titre que la consonne « ? » qui se manifeste

dans la forme IV.

Pour avoir la forme III « faa3al », il faut avoir une deuxième projection VP

(VP1;VP2). L’existence de ces deux projections VP, renfermant chacune une

position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle « a », est

responsable de la voyelle longue que réalise cette forme ainsi que du réciproque

qu’elle véhicule.

Si l’argument en position Spécifieur de √P (ou Complement au cas où c’est le

seul argument de la racine) se réalise sous forme d’un morphème « t », on obtient

la forme VI « ta-faa3al » qui n’est d’autre que la version réflexive de la forme III

« faa3al ». Afin de permettre la coexistence du réciproque et du réflexif, la forme VI

exige que le sujet soit pluriel. Ceci étant, la forme VI peut exister avec des sujets

singuliers auquel cas elle ne véhicule pas le réciproque mais uniquement le réflexif.

Pour avoir une forme VII « nfa3al », il suffit d’avoir une projection VP et une

projection √P, de la même manière qu’une forme I. Cependant, on ne doit prendre

que des racines ayant pour seul argument un Complément auquel cas, VP est

contraint d’apporter un argument. Dans le cas d’une forme 1, VP apporte un

argument nominal tandis que dans cette forme, l’argument apporté par VP est un

morphème « n ». Cette forme n’a pas une version réflexive.

Pour avoir une forme IX « f3all », forme très singulière qui se distingue du

reste des formes verbales, il faudra faire intervenir une projection AdjP entre la

projection VP et la projection √P. Ceci etant, une classe bien limitee de racines s’y

Page 293: Les 10 formes du verbe

293

prête. Il s’agit des racines qui indiquent une couleur ou un défaut lesquelles sont

prédestinées à former les adjectifs authentiques. Cette forme n’a pas une version

réflexive.

Chacune de ces formes verbales détient un emploi principal qui correspond

exactement à sa structure syntaxique. A côté, subsistent deux ou trois emplois

annexes qui se sont avérées être tributaires au sens de la racine et/ou à sa

structure. L’étude des différents cas a montré que les verbes d’une même forme

avaient, tous, la même structure syntaxique dont découlait un sens prototype, que

viennent modifier certains éléments tels que les propriétés de la racine ou des

arguments.

Cette étude a alloué une grande importance à la racine. Il a été démontré

que cette dernière fonctionne comme une tête lexicale ayant sa propre grille

thématique et sa propre projection. La racine, constituée uniquement d’éléments

consonantiques, possède selon les cas un ou deux arguments qui occupent soit la

position Spécifieur ou la position Complément de √P. Lorsque la racine a un seul

argument, la position de ce dernier dans la projection √P est très révélatrice car en

dépend le type de forme verbale auquel elle pourra se prêter. De même la nature

de l’argument, à savoir si c’est une unité lexicale ou un morphème, est responsable

de la forme finale que vêtira le verbe. De la sorte, certaines formes verbales ont

trouvé leur explication dans la structure même de la racine.

Au-delà de la projection √P, l’analyse syntaxique que nous avons menée a

montré que les dix formes verbales contenaient, toutes, une projection VP qui

apporte une position CV dont la position vocalique est occupée par une voyelle

« a ». Certaines formes contenaient, en plus, une projection vP. Sachant que la

racine n’apporte que les trois consonnes, celles-ci trouvent les positions CV

auxquelles elles seront attachées dans la structure syntaxique qui les englobe. En

effet, en plus de VP dont le CV accueille -dans certains cas- la première consonne

de la racine, chacun de Aspect P et Agreement P apportent une position CV qui

Page 294: Les 10 formes du verbe

294

accueilleront la deuxième et la troisième consonne de la racine. Le morphème « t »

que l’on retrouve dans les formes dites réflexives et le morphème « n » que l’on

retrouve dans la forme VII apportent également une position CV.

De la sorte, les positions CV du gabarit élaboré par Guerssel et Lowenstamm

trouvent leur origine dans la structure syntaxique des formes verbales et sont

structurées comme suit : Les positions CV du gabarit de base CVCVCV sont

apportées respectivement par VP, Aspect P et Agreement P, le CV- préfixale est

apporté soit par le morphème « t » ou le morphème « n », quant au (CV)

dérivationnel, il est apporté par vP ou par un deuxième VP.

Conjointement aux projections que peuvent contenir les formes verbales et

qui leur procurent les positions CV, les mouvements effectués au sein de la

structure syntaxique jouent un rôle imminent quant à la détermination de la forme

à constituer. Ce sont eux qui déterminent le mode d’association des éléments au

gabarit. L’exemple le plus saillant reste celui de la paire Forme II/ Forme IV. Ces

deux formes ont exactement la même structure syntaxique, à savoir une projection

√P, une projection VP et une projection vP dont résulte un gabarit identique :

[CV(CV)CVCV]. Ce qui fera la différence entre ces deux formes c’est le mouvement

de la racine qui dans la forme II se déplace d’abord en V et s’associe donc au CV

apporté par ce dernier tandis que dans la forme IV, elle se déplace directement en

v et s’associe au CV contenu dans ce dernier. Le premier cas engendre une forme

« fa33al » et le deuxième cas une forme « ?af3al ».

De la sorte, ce qui fait la différence entre les dix formes verbales c’est à la

fois leur structure syntaxique ainsi que les mouvements opérés à l’intérieur de

cette structure. S’ajoute à cela la nature des éléments. En effet, ce qui fait la

différence entre la forme II « fa33al » et la forme V « ta-fa33al » c’est le fait que

dans cette dernière un des arguments de la racine s’est réalisé sous sa forme

pronominale ; chose qui dote le verbe d’un morphème « t » et d’une position CV

supplémentaire. Le même cas se présente avec les paires : Forme I « fa3al » vs

Page 295: Les 10 formes du verbe

295

Forme VIII « fta3al » ; Forme III « faa3al » vs Forme VI « ta-faa3al » ; Forme IV

« ?af3al » vs Forme X « staf3al ». Chaque forme renfermant le morphème « t »

partage la même structure avec une autre forme et est considérée comme étant sa

version réflexive. De la sorte, quatre formes verbales sont engendrées à cause de la

nature pronominale de l’argument de la racine.

L’objectif d’établir la structure syntaxique des dix formes verbale a été

atteint dans cette thèse. A part, proposer une nouvelle projection : √P, nous

n’avons pas eu besoin de créer d’autres mécanismes et nous avons pu nous limiter

à ce qu’offre déjà la syntaxe générative. Avec seulement la projection √P, la

projection VP et la projection vP, nous obtenons les dix formes verbales de l’arabe

classique. Nous avons montré que la syntaxe peut expliquer et apporter des

réponses quant à la formation de mots. Par ce faire, cette thèse contribue à la

consolidation des théories qui estiment que toute composition se fait en syntaxe.

L’étude que nous avons menée dans cette thèse, n’a pas permis seulement de

motiver syntaxiquement le gabarit proposé par Guerssel et Lowenstamm, mais a

également permis de mieux comprendre le comportement des verbes en arabe classique

et d’apporter quelques généralisations. En effet, il s’est avéré que les verbes transitifs

forment, en réalité, deux classes distinctes. Les verbes de la première classe se prêtent à

une forme VIII réflexive mais ne se prêtent pas à une forme VII et à la forme II, ils

véhiculent un causatif. Les verbes de la deuxième classe, ne se prêtent pas à une forme

VIII réflexive (ils peuvent avoir une forme VIII mais celle-ci indiquera soit le passif ou

le réciproque), se prêtent à une forme VII et véhiculent l’intensif à la forme II.

Nous pouvons schématiser ses résultats sous forme d’un tableau, que voici :

(1)

Forme II forme VIII

réflexive

forme VII

causatif intensif

Verbes transitifs 1 + - + -

Verbes transitifs 2 - + - +

Page 296: Les 10 formes du verbe

296

Cette séparation qui s’opère au sein de la classe des verbes transitifs résulte

de la structure de la Racine qui, dans la première classe, apporte deux arguments

alors que dans la deuxième classe, elle en apporte uniquement un, qu’elle place en

position Complément. Ce type de racine n’est pas détectable à l’œil nu, puisqu’à la

forme I, VP apporte un argument et le verbe se réalise transitif. C’est l’étude de la

forme VII, de la forme II intensive et de la forme VIII non réflexive, qui ont permis

de détecter ce type de racine. A présent, nous disposons des tests qui permettent

de les reconnaitre, lesquels sont donnés dans le tableau ci-dessus.

Cette étude ne s’arrête pas aux formes verbales de l’arabe classique et peut

aider à dévoiler le mécanisme de formation des formes participiales qui sont au

nombre de dix, et qui correspondent voire englobent les dix formes verbales. Elle

peut également aider à comprendre le système verbal d’autres langues sémitiques,

telle que l’hébreu, ou afro-asiatiques, telle que le berbère par exemple.

Le fait de motiver le gabarit proposé par Guerssel et Lowenstamm, par une

structure syntaxique, permet, en principe, de présenter une analyse syntaxique à

toutes les langues qui se sont prêtées à une analyse morphophonologique basée

sur ce modèle gabaritique. La tâche peut paraître ambitieuse mais le seul moyen

de le vérifier, c’est de commencer à le faire.

Page 297: Les 10 formes du verbe

297

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

AISSEN, J. (1979), The syntax of causative constructions, Garland Pub., NY.

AISSEN, J. (1997), Voice and the person hierarchy, Paper presented at the Hopkins

Optimality Theory Workshop/Maryland Mayfest 1997, Inner Harbor,

Baltimore, May 9 -12, 1997.

AL-MUBARRAD, (9e siècle)[1963] , Al-MuqtaDab, 3aalam al-kutub, Beyrouth.

ALSINA, A. (1992), On the argument structure of causatives, in Linguistic Inquiry

23-4.

ANDERSON, S.R. (1992), A-Morphous Morphology, Cambridge University Press,

Cambridge.

AOUN, J. (1985), A Grammar of Anaphora, Cambridge, Mass.: M.I.T. Press.

ARAD, M. (1998), VP-Structure and the Syntax-Lexicon Interface, Ph.D. dissertation,

University College, London.

ARAD, M. (1999), On "Little v", in Arregi, K., Bruening, B., Krause, C., Lin, V., (eds.)

Papers on morphology and syntax, cycle one. Department of Linguistics, MIT,

Cambridge, Mass., p. 1-25.

ARAD, M. (2003), Locality constraints on the interpretation of roots: the case of

Hebrew denominal verbs. Natural Language and Linguistic Theory 21:737–

778.

ARBAOUI, N. (2010), La syntaxe de la forme II de l’arabe classique, in Recherches

Linguistiques de Vincennes, N° 39, p. 77-97

ARONOFF, M. (1976), Word formation in Generative grammar, MIT Press,

Cambridge, Mass.

ARONOFF, M. & F. ANSHEN (1998), Morphology and the lexicon, in Spencer &

Zwicky (eds.) The Handbook of Morphology, Oxford, Blackwell.

Page 298: Les 10 formes du verbe

298

AZ-ZAMAXCHARI (11es) [2ème édition], al-mufaSSal fi 3ilmi al-3arabiyya, daar al-

jiil, Beyrouth.

BAHLOUL, M. (2008), Structure and Function of the Arabic Verb. New York:

Routledge.

BAKER, M.C. (1988), Incorporation: A theory of grammatical function changing.

Chicago: Chicago University Press.

BARRS, A. & H. LASNIK (1986), A Note of Anaphora and Double Objects, in

Linguistic Inquiry 17, 347-354.

BAT-EL, O. (1989), Phonology and word structure in Modern MH, Ph.D. dissertation,

UCLA.

BAT-EL, O. (1994), Stem modification and cluster transfer in Modern Hebrew,

NLLT 12, 572-596.

BAT-EL, O. (2002), Semitic verb structure within a universal perspective, in J.

Shimron (ed.) Languages Processing and Acquisition in Languages of Semitic,

Root-based, Morphology, 29-59. Amsterdam: John Benjamins.

BAUER, L. (1990), Be-heading the word, in Journal of linguistics 26, 1-31.

BAUER, L. (2002), What you can do with derivational morphology, in Bendjaballah

& Dressler & Pfeiffer & Voeikova (eds.) Current issues in linguistic theory -

Morphology 2000, Amsterdam, Benjamins.

BEARD, R. (1995), Lexeme-Morpheme Based Morphology, ms., Albany, NY.

BEARD, R. (1998), Derivation, in Spencer & Zwicky (eds.) The Handbook of

Morphology, Oxford, Blackwell.

BELLETTI, A. (1982), Morphological Passive and Pro-drop: The Impersonal

Construction in Italian, in Journal of Linguistic Research 2: 1-34.

BELLETTI, A. (1988), The Case of Unaccusatives, in Linguistic Inquiry 19:1-34.

BENDJABALLAH, S. (1995), Aspects du système verbal du berbère(kabyle), mémoire

de D.E.A., Université Paris VII.

Page 299: Les 10 formes du verbe

299

BENDJABALLAH, S. (1998), Aspects apophoniques de la vocalisation du verbe

berbère (dialecte kabyle), in Sauzet P. (ed.) Langue et grammaire II & III -

Phonologie, Université Paris 8, Paris.

BENDJABALLAH, S. (1999), Trois figures de la structure interne des gabarits, thèse

de doctorat, Université Paris VII.

BENDJABALLAH, S. (2003), Le rôle morphologique du squelette : une analyse du

déterminant en bédja, in Fatima Sadiqi & Moha Ennaji (eds), Languages and

Linguistics n° 11, p. 83-100.

BENDJABALLAH, S. (2005), Apophony, in Kees Versteegh (ed), Encyclopedia of

Arabic Language and Linguistics, Leiden, Brill.

BENDJABALLAH, S. & C. REINTGES (2009), Ancient Egyptian verbal reduplication:

typology, diachrony, and the morphology-syntax interface, Morphology 19,

p. 135-157.

BENMAMOUN, A. (2000), Lexical relations and the role of the imperfective

template in Arabic, paper presented in the 5th International Afroasiatic

Linguistics Conference, Université Paris VII.

BENMAMOUN, A. (2003), Adjency and morpho-phonological Merger, ms., University

of Illinois.

BOBALJIK, J.D. (1999), A-chains at the interfaces: copies, agreement and ‘covert’

movement, draft, M.I.T.

BOHAS, G. (1997), Matrices, étymons, Racines, éléments d’une théorie lexicologique

du vocabulaire arabe, Paris, Louvain, Peeters.

BOLTANSKI, J.E. (1999), Nouvelles directions en phonologie, PUF, Paris.

BOOIJ, G.E. (2004), Contructions and the interface between lexicon and syntax, in

H. Aertsen, M. Hannay and G. Steen (eds.) Words in their place, Festchrift for

J.L. Mackenzie. Amsterdam: Vrije Universiteit.

Page 300: Les 10 formes du verbe

300

BORER, H. & Y. GRODZINSKY (1986), Syntactic cliticization and lexical cliticization:

The case of Hebrew dative clitics, in H. Borer (ed.) Syntax and semantics, Vol.

19:The syntax of pronominal clitics, , 175-215. New York: Academic Press.

BORER, H. (1991), The causative-inchoative alternation: A Case study in Parallel

Morphology, in the Linguistic Review 8, 119-158.

BORER, H. (1994), The projection of arguments, in E. Benedicto and J. Runner(eds.)

University of Massachusetts Occasional Papers in Linguistics 17, Amherst:

GLSA, University of Massachusetts.

BORER, H. (1998a), Morphology and syntax, in Spencer & Zwicky (eds.) The

Handbook of Morphology, Oxford, Blackwell.

BORER, H. (1998b), Passives without Theta Grids, in S. Lapointe (ed.)

Morphological Interfaces, CLSI, Stanford.

BORER, H. (2004), The Grammar Machine, in A. Alexiadou, E. Anagnostopoulou & M.

Everaert (eds.) The Unaccusativity Puzzle, Explorations of the Syntax-Lexicon

Interface, 288-331. Oxford: Oxford University Press.

BORER, H. (2005), Structuring sense, Oxford University Press.

BOYE, G. (2000), Problèmes de morpho-phonologie verbale en français, en espagnol

et en italien, thèse de Doctorat, Université Paris VII.

BRESNAN, J.W. (1982), The Passive in Lexical Theory, in The Mental Representation

of Grammatical Relations, ed. J. Bresnan, 3-86. Cambridge, MA: MIT Press.

BROMBERGER, S. & M. HALLE (1989), Why phonology is different, in Linguistic

Inquiry 20-1, M.I.T.

BURSTON, J. (1979), Another look at French personal pronouns : A Jakobsian

distinctive feature semantic analysis, Linguistics, special Issue, 159-172.

BURSTON, J. (1983), Clitic Object Sequence and cooccurrence restrictions in

French, Linguistic Analysis, 11.3, 247-275.

BURZIO, L. (1981), Intransitive Verbs and Italian Auxiliaries. Ph.D. Dissertation.

Cambridge, Mass.: Cambridge Press.

Page 301: Les 10 formes du verbe

301

BURZIO, L. (1986). Italian Syntax. A Government and Binding Approach, Dordrecht,

Reidel.

BYBEE, J. (1985), Morphology, Amsterdam, John Benjamins.

CALABRESE, A. (1997a), Distributed morphology and sentential complementation

in the Salentino dialect of Italian, in S. Peter, B. Vaux & S. Kuno (eds.)

Harvard Working Papers in Linguistics, Vol. 6, Harvard University,

Cambridge.

CALABRESE, A. (1997b), On Fission and Impoverishment in the verbal morphology of

the dialect of Livinallongo, Manuscript, University of Connecticut, Storrs.

CARNIE, A. (1995), Non-verbal predication and Head movement, Ph.D. dissertation,

M.I.T.

CARRIER-DUNCAN, J. (1985), Linking of Thematic Roles in Derivational Word

Formation, in Linguistic Inquiry 16, 1-34.

CARSTAIRS-MCCARTHY, A. (1998), Phonological constraints on morphological

rules, in Spencer & Zwicky (eds.) The Handbook of Morphology, Oxford,

Blackwell.

CARSTAIRS-MCCARTHY, A. (2002), How stems and affixes interact : stem

alternants as morphological signata, in S. Bendjaballah, W.U. Dressler, O.E.

Pfeiffer & M.D. Voeikova (eds.) Morphology 2000 (Proceedings of the 9th

International Morphology Meeting, Vienna, 2000), 49-57. Amsterdam,

Benjamins.

CHOMSKY, N. (1955/1975), The logical structure of linguistic theory Chicago,

Illinois: University of Chicago Press.

CHOMSKY, N. (1965), Aspects of the Theory of Syntax, Cambridge (Mass.): MIT

Press.

CHOMSKY, N. & H. LASNIK (1977), Filters and Control, in Linguistic Inquiry 8:3,

425-504.

CHOMSKY, N. (1981), Théorie du Gouvernement et du Liage, Paris, Seuil.

Page 302: Les 10 formes du verbe

302

CHOMSKY, N. (1981b), Principles and Parameters in Syntactic Theory, in D.

Lightfoot & N. Hornstein (eds.) Explanation in Linguistics: The Logical

Problem of Language Acquisition, 32-75. Londres: Longman.

CHOMSKY, N. & H. LASNIK (1993), Principles and Parameters Theory, in J. Jacobs et

al. (eds.) Syntax: Ein internationales Handbuch zeitgenossischer Forschung–

An International Handbook of Contemporary Research, 506-569. Berlin: de

Gruyter.

CHOMSKY, N. (1994a), Bare Phrase Structure, MIT Occasional Papers in Linguistics

5.

CHOMSKY, N. (1995), The Minimalist Program, M.I.T. Press.

CHOMSKY, N. (2000), Derivation by phase, ms., M.I.T.

CHIERCHIA, G (1989), Anaphora and attitude de se, in R. Bartsch, J. van Benthem &

P. van Emde Boas (eds.) Semantics and contextual expressions, 1-31.

Dordrecht, Foris Publ.

CHIERCHIA, G. (1995), The Variability of Impersonal Subjects, in E. Bach, E. Jelinek,

A. Kratzer & B. H. Partee (eds.) Quantification in Natural Language, Volume

1: 107-143. Dordrecht: Kluwer.

CHIERCHIA, G. (2004) (written 1989), A Semantics for Unaccusatives and its

Syntactic Consequence, in A. Alexiadou, E. Anagnostpoulou & M. Everaert

(eds.) The Unaccusativity Puzzle, Studies on the syntax-lexicon interface, 22-

59. Oxford: Oxford University Press.

COHEN, D. (1989), L'aspect verbal, Paris, PUF.

COHEN, M. (1969), Essai comparatif sur le vocabulaire et la phonétique du chamito-

sémitique, Paris, Champion.

CINQUE, G. (1995), Italian Syntax and Universal Grammar. Cambridge: Cambridge

University press.

CINQUE, G. (2002), “Resturcturing” and Functional Structure. Ms. University of Venice.

Page 303: Les 10 formes du verbe

303

CORBETT, G. (1998), Morphology and agreement, in Spencer & Zwicky (eds.) The

Handbook of Morphology, Oxford, Blackwell.

DE ALENCAR, L.F. & C. KELLING (2005), Are reflexive constructions transitive or

intransitive? Evidence from German and Romance, in M. Butt & T. Holloway

King (eds.) Proceedings of the LFG05 Conference, University of Bergen.

DIMITRIADIS, A. (1997), Alliterative concord in phonology-free syntax, paper

presented at the GLOW workshop on the morpho-syntax of African and

Afroasiatic languages, Rabat, Morocco.

DIMITRIADIS, A. (2002), Discontinuous reciprocals and Symmetric Events,

Handout of talk given at the Anaphora Typology Workshop on Reciprocals.

OTS. University of Utrecht.

DI SCIULLO, A.-M. & E. WILLIAMS, (1987), On the definition of word, Linguistic

Inquiry Monographs (14), Cambridge, Massachusetts: MIT Press.

DOBROVIE-SORIN, C. (1993), The syntax of Romanian, La Haye, Mouton, chap. 7,

"What does QR raise?"

DOBROVIE-SORIN, C. (1998), Impersonal se Constructions in Romance and the

passivization of Unergatives, in Linguistic Inquiry 29: 399-437.

DOBROVIE-SORIN, C. (2006), The SE-anaphor and its role in argument realization,

in M. Everaert & H. van Riemsdijk (eds) The Blackwell Companion to Syntax,

vol 4, 118-179, Oxford: Blackwell.

DORON, E. (1999), The semantics of Semitic templates. Unpublished Manuscript,

Hebrew University, Jerusalem.

DORON, E. (2003), Agency and Voice: the Semantics of the Semitic Templates, in

Natural Language Semantics 11, 1-67.

DORON, E. & M.RAPPAPORT (2009), A Unified Approach to Reflexivization in

Semitic and Romance with. Brill's Annual of Afroasiatic Languages and

Linguistics 1, 75-105.

Page 304: Les 10 formes du verbe

304

DOWTY, D. (1991), Thematic Proto-Roles and Argument Selection, in Language 67,

547-619.

DRESSLER, W. (1989), Prototypical differences between Inflection and Derivation,

in ZPSK 42 : 3-10, Berlin.

EMBICK, D. (1995), Mobile inflections in Polish, in J.N. Beckman (ed.) Proceedsing of

NELS 25:2, 127-142, GLSA, University of Massachusetts, Amherst.

EMBICK, D. & R. IZVORSKI (1995), Participle-Auxiliary Word-Orders in Slavic, in

N.K. Wayles Browne et al. (eds.) Formal Approaches to Slavic Linguistics : the

Cornell Meeting 1995, 4, 210-239, Michigan Slavic Publications, Ann Arbor.

EMBICK, D. (1996), Causativization in Hupa, BLS 22:83-94.

EMBICK, D. (1997), Voice and the Interfaces of Syntax, Ph.D. Dissertation, University

of Pennsylvania.

EMBICK, D. (1998a), Voice Systems and the Syntax/Morphology Interface, MIT

Working Papers in Linguistics 32, 41-72.

EMBICK, D. (1998b), Syntax and Categories: Verbs and Participles in the Latin

Perfect, Mauscript, MIT.

EMBICK, D. (2004) Unaccusative syntax and verbal alternations, in A. Alexiadou, E.

Anagnostopoulou, and M. Everaert (eds.) The Unaccusativity puzzle. Oxford

University Press.

EMBICK, D. & R. NOYER (2006), Distributed Morphology and the Syntax/

Morphology Interface, in Oxford Handbook of Linguistic Interfaces,

Ramchand, G. & C. Reiss (eds), Oxford University Press.

EMMONDS, J. (1978), The verbal complex V’-V in French, in Linguistic Inquiry, vol.

9, n°2, 151-175.

EVERAERT, M. (1986), The Syntax of Reflexivization. Foris, Dordrecht.

FASSI FEHRI, A. (1987), Anti-causatives in Arabic, causativity and affectedness. Ms.

Cambridge, Mass.

Page 305: Les 10 formes du verbe

305

FASSI FEHRI, A. (1996), Distributing features and affixes in Arabic subject verb

agreement paradigms, Linguistic Research 1-2.

FASSI FEHRI, A. (2005), Verbal and nominal parallelism and extensions, Reports &

Documents no 8, 1-22, Rabat. IERA Publications.

FASSI FEHRI, A. (2009), How plural can verbs be? To appear in Patricia Cabredo-

Hofherr & Brenda Laca (eds.) Nominal and Verbal Pluralities (tentative).

Berlin, Moutonde Gruyter.

FEHRI FASSI, A. (2009), Arabic Silent Pronouns, Person, and Voice, in Brill's Annual

of Afroasiatic Languages and Linguistics, p. 3-40

FOREST, R. (1988), Sémantisme entéléchique et affinité descriptive : pour une

réanalyse des verbes symétriques ou neutres du français, Bulletins de la

Société Linguistique de Paris, 83,1, 137-162

FOREST, R. (1991), Obsurs objets : aux marges de la transitivité, LINX 24, 95-109

FRADIN, B. (2003), Nouvelles approches en morphologie, Paris, PUF.

FREIDIN, R. (1975), The Analysis of Passives, in Language 51, 384-405.

GOLDSMITH, J.A. (1976), Autosegmental phonology, ph.D. Dissertation,

Massachusetts Institure of technology.

GOLDSMITH, J.A. (1990), Autosegmental and metrical phonology. Oxford, Basil

Blackwell.

GOLDSMITH, J.A. (ed.) (1995), The Handbook of Phonological Theory, Oxford,

Blackwell.

GOLDSMITH, J.A. (ed.) (1999), Phonological Theory, The Essential Reading, Oxford,

Blackwell.

GREENBERG, J. (1991), The Semitic "Intensive" as Verbal Plurality, in A.S. Kaye

(ed.) Semitic Studies In honor of Wolf Leslau, 577-587. Otto Harrassowitz,

Wiesbaden.

Page 306: Les 10 formes du verbe

306

GRIMSHAW, J. (1982), On the Lexical Representation of Romance Reflexive Clitics,

in Joan Bresnan (ed.) The Mental Representation of Grammatical Relations.

Cambridge, Mass.: MIT Press.

GRIMSHAW, J. (1990), Argument Structure. MIT Press.

GUERSSEL, M. & J. LOWENSTAMM (1990), The derivational morphology of the

verbal system of Classical Arabic. Ms. Université du Québec à Monréal et

Université Paris VII.

GUERSSEL, M. & J. LOWENSTAMM (1993), Classical Arabic apophony, manuscrit,

Université de Paris VII.

GUERSSEL, M. & J. LOWENSTAMM (1996), Ablaut in Classical Arabic Measure I

Active Verbal Forms in Studies in Afroasiatic Grammar : 122-133.

HAEGEMAN, L. (1994), Introduction to Government & Binding theory, Oxford,

Blackwell.

HALE, K.L. & S.J. KEYSER (1993), On Argument Structure and the Lexical

Expression of Syntactic Relations, in The view from Building 20, 53-109.

Cambridge, MA: MIT Press.

HALLE, M. (1973), Prolegomena to a Theory of Morphology, in Linguistic Inquiry

4.1, 3-16.

HALLE, M. & A. MARANTZ (1993), Distributed morphology and the pieces of

inflection, in Halle & Keyser (eds.) The view from the building 20, 111-176,

M.I.T. Press, Cambridge.

HALLMAN, P. (1999), Arabic Word Syntax, in Luca Storto (ed.) Syntax at Sunset 2:

UCLA Working Papers in Linguistics, vol. 3, 59-95, Department of Linguistics,

UCLA, Los Angeles.

HALLMAN, P. (2000), Verb-Final as a Subcase of Verb-Second, in M. Hirotani, A.

Coetzee, N. Hall and J.-Y. Kim, (eds.) Proceedings of the 30th Annual Meeting

of the North Eastern Linguistics Society, GLSA, Amherst, Mass.

Page 307: Les 10 formes du verbe

307

HALLMAN, P. (2000), The Structure of Agreement Failure in Lebanese Arabic, in

Roger Billerey, (ed.) Proceedings of the 19th West Coast Conference on

Formal Linguistics, 178-190, Cascadilla Press, Somerville, Mass.

HALLMAN, P. (2002), Passive in Arabic and English, in S. Bendjaballa, W. U.

Dressler, O. E. Pfeiffer & M. D. Voeikova (eds.), Morphology 2000 (Selected

papers from the 9th Morphology Meeting, Vienna, 2000), 149–160.

HALLMAN, P. (2006), Causativity and Transitivity in Arabic, page web:

http://www.peterhallman.com/Causativity.pdf

HALLMAN, P. (2006), Interface Linguistics in Arabic, in Versteegh et al. (eds.),

Encyclopedia of Arabic Language and Linguistics, vol. 2, Brill.

HALLMAN, P. (2006), On Transitivity and Causativity in Arabic and English,

Linguistic Society of America (LSA) Annual Meeting, Albuquerque, NM.

January 5-8.

HARLEY, H. (1994), Hug a Tree: Deriving the Morphosyntactic Feature Hierarchy,

Papers on Phonology and Morphology, MIT Working Papers in Linguistics

21: 289-320.

HARLEY, H. (1995), Subjects, Events, & Licensing, Ph.D. Dissertation, MIT. Available

from MITWPL.

HARLEY, H. (1997), Agentivity and the Split VP, in Jorge Baptista (ed.) Seminaros de

Linguistica1, 103-123, University of the Algarve.

HARLEY, H. & R. NOYER (1997), Mixed nominalizations, short verb movement and

object shift in English, in Proceedings of NELS 28, GLSA, Amherst.

HARLEY, H. & R. NOYER (1999), Distributed Morphology,in GLOT 4.4, avril, 3-36.

HARLEY, H. & R. NOYER (2000), Formal versus Encyclopedic properties of

vocabulary: evidence from nominalissations, in The lexicon encyclopedia

interface, Peeters, Elsevier Press.

Page 308: Les 10 formes du verbe

308

HARLEY, H. (2002), Why one head is better than two : head movement and

compounding as consequences of Merge in Bare Phrase structure¸ ms.,

University of Arizona.

HARRIS, J. (1990), Segmental complexity and phonological Government, in

Phonology Yearbook 7.2, 255-300.

HARRIS, J. (1994), English sound structure, Oxford, Blackwell.

HARRIS, J. & G. LINDSAY (1995), The Elements of phonological representation, in J.

Durand & F. Katamba (eds.) Frontiers of phonology : atoms, structures,

derivations, 34-79. Harlow, Essex : Longman.

HASPELMATH, M. (2003), The geometry of grammatical meaning: Semantic maps

and cross-linguistic comparison, in Michael Tomasello (ed.) The new

psychology of language, vol. 2, 211-242. Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum.

HORVATH, J. & T. SILONI (2006), Causativization and the Lexicon-Syntax

Parameter, paper presented in the Syntax, Lexicon and Event Structure

workshop, The Hebrew University, Jerusalem.

HORVATH, J. & T. SILONI (2008), Active Lexicon: Adjectival and Verbal Passives, in

S. Armon-Lotem, G. Danon & S. Rothstein (eds.) Current Issues in Generative

Hebrew Linguistics, 105-134. Amsterdam: John Benjamins Publishing

Company.

HORVATH J. & T. SILONI (2010), Hebrew Idioms: The Organization of the Lexical

Component, in Brill's Annual of Afroasiatic Languages and Linguistics 1, 283-

310.

HORVATH J. & T. SILONI (To appear), Causatives across Components, in Natural

Language and Linguistic Theory.

HUNG, H. (1988), Derived Verbs and Nominals in Malagasy. Unpublished

Manuscript, Department of Linguistics, McGill University, Montreal, Canada.

IBN EL FAROUK, A. (1998), Le système verbal de l’arabe littéral moderne, in F.

Bentolila (ed.) Systèmes verbaux, Peeters, Louvain.

Page 309: Les 10 formes du verbe

309

IBN YA3ICH, (12es) CharHu al-mufaSSal, 3aalamu al-kutun, Beyrouth.

IDRISSI, A. (2000), Towards a Root-and-Template Approach to Shape-

Invariant Morphology, UQAM: PhD.

INKELAS, S. & D. ZEC (1995), Syntax-phonology interface, in Goldsmith J.A. (ed.)

The handbook of phonological theory, Oxford, Blackwell.

JACKENDOFF, R.S. (1975), Morphological and Semantic Regularities in the Lexicon,

in Language 51, 639-71.

JACKENDOFF, R.S. (1983), Semantics and Cognition. Cambridge, MA. MIT Press.

JACKENDOFF, R.S. (1987), The Status of Thematic Relations in Linguistic Theory, in

Linguistic Inquiry 18, 369-411.

JACKENDOFF, R.S. (1990), Semantic Structures, Cambridge, Mass.: MIT Press.

JULIEN, M. (2002), Inflectional morphemes as syntactic heads, in Bendjaballah &

Dressler & Pfeiffer & Voeikova (eds.) Morphology 2000, 175-184,

Amsterdam, Benjamins.

KAYE, J. & J. LOWENSTAMM (1984), De la syllabicité, in F. Dell & J.-R. Vergnaud

(eds.) Forme sonore du langage, Structure des représentations en phonologie,

123-159, Paris, Hermann.

KAYE, J. & J. LOWENSTAMM & J.-R. VERGNAUD (1985), The Internal Structure of

Phonological Elements; a Theory of Charm and Government, in Phonology

Yearbook 2, 305-329.

KAYE, J. & J. LOWENSTAMM & J.-R. VERGNAUD (1990), Constituent structure and

Government in Phonology, in Phonology Yearbook 7, 193-231.

KAYNE, R. (1975), French syntax, The transformational cycle. Cambridge, Mass.:

MIT Press.

KAYNE, R. (1986), "Connexite’’ et Inversion du sujet, in M. Ronat & D. Couquaux

(eds.) La grammaire modulaire, Paris, Minuit.

Page 310: Les 10 formes du verbe

310

KENSTOWICZ, M. (1994), Phonology in Generative Grammar, Cambridge, Mass. &

Oxford, Blackwell.

KIHM, A. (2002), Agreement in noun phrase in Semitic : its nature and some

consequences for morphosyntactic representations, ms., Université Paris VII.

KIHM, A. (to appear), Verbal noun formation in Classical Arabic, in Dal Georgette,

Miller Philip, Tovena Lucia, Van de Velde Danièle (eds.) Deverbal nouns,

Amsterdam, John Benjamins.

KOOPMAN, H. (1992), On the absence of case chains in Bambara, Natural Language

andLinguistics Theory 10, 555-594.

KRATZER, A. (1994), The Event Argument and the Semantics of Voice. Ms.

University of Massachusetts, Amherst.

KRATZER, A. (1996), Severing the external argument from its verb, in J. Rooryck &

L. Zaring (eds.) Phrase Structure and the lexicon, 109-137. Dordrecht:

Kluwer Academic Publishers.

KURODA, S.-Y. (1965), Generative grammatical Studies in the Japanese language,

ph.D. Dissertation, M.I.T.

LABELLE, J. (1992), Linguistique et lexicographie du français du Québec: dépasser

le cadre du mot, in Actes du Congrès International des Linguistes, Québec,

PUL.

LAHROUCHI, M. (2002), Aspects morphophonologique de la dérivation verbale en

berbère (parler chleuh d’Agadir), thèse de doctorat, Université Paris VII.

LAKS, L. (2007), Morphology and thematic arity operations: evidence from

Standard Arabic, in Mustafa A. Mughazy (ed.) Perspectives on Arabic

Linguistics XX, 2007, 51-67. Amsterdam/ Philadelphia: John Benjamins.

LARCHER, P. (2003), Le système verbal de l’arabe classique, Publication de

l’Université de Provence, Aix-en-Provence.

LARSON, R. (1988), On the double object construction, in Linguistic Inquiry 19,335-

391.

Page 311: Les 10 formes du verbe

311

LARSON, R. (1991), Some issues in verb serialization, in C. Lefebvre (ed.) Verb

Serialization,185 – 210, Benjamins, Amsterdam.

LEBEN, W. (1973), Suprasegmental Phonology, Ph.D. Dissertation, MIT. Distributed

by Indiana University Linguistics Club.

LEGATE, J.A. (2003), Some interface properties of the phase, in Linguistic Inquiry

34, 506-516.

LEVIN, B. & M. RAPPAPORT-HOVAV (1992), The Lexical Semantics of Verbs of

Motion: The Perspective from Unaccusativity, in I.M. Roca (ed.), Thematic

Structure: Its Role in Grammar, 247-269. Foris, Berlin.

LEVIN, B. & M. RAPPAPORT-HOVAV (1995), Unaccusativity: At the syntax

lexicalsemantics interface. Cambridge, MA: MIT Press.

LI, Y. (1990), X0-binding and verb-incorporation, in Linguistic Inquiry 21, 399-426.

LOWENSTAMM, J. (1981), On the Maximal Cluster Approach to Syllable Structure,

in Linguistic Inquiry 12-4, 575-605.

LOWENSTAMM, J. & J.-F. PRUNET (1986), Le tigrinya et le principe du contour

obligatoire, in Revue québécoise de linguistique, vol. 16, n° 1, 181-206.

LOWENSTAMM, J. (1990), Vocalic Length and Syllable Structure in Semitic, in A.S.

Kaye (ed.) Semitic Studies in Honor of Wolf Leslau on the occasion of his 85th

birthday, Wiesbaden.

LOWENSTAMM, J. (1991), Vocalic Length and Centralization in Two Branches of

Semitic (Ethiopic and Arabic), in A.S. Kaye (ed.) Semitic Studies in Honor of

Wolf Leslau on the Occasion of His eighty-fifth Birthday, 949-965, Wiesbaden,

Otto Harrassowitz.

LOWENSTAMM, J. (1996), CV as the only Syllable Type, in J. Durand & B. Laks (eds.)

Current Trends in Phonology, Models and Methods, 419-441, Salford,

Manchester, ESR.

Page 312: Les 10 formes du verbe

312

LOWENSTAMM, J. (1999), The beginning of the word, in J. Rennison & K.

Kühnhammer Phonologica 1996, Proceeding of the 8th International

Phonology Meeting, Vienna 1996, The Hague, Holland Academic Graphics.

LOWENSTAMM, J. (2003), À propos des gabarits. Recherches Linguistiques de

Vincennes No 32

LOWENSTAMM, J. (2004), Aspects of Word - Formation in Semitic: the Classical

Arabic Verb, communication à la conférence The Structure of the Verb

Phrase in Afroasiatic : Morpho-phonological and Syntactic Approaches, ULCL,

Leiden university.

LOWENSTAMM, J. (2004), “Deconstructing the Binyan” Ms. University of Paris VII.

LOWENSTAMM, J. (2007), On Little n, ROOT, and Types of Nouns: in The Sounds of

Silence: Empty Elements in Syntax and Phonology, eds. Jutta Hartmann,

Veronika Hegedus, Henk van Riemsdjik. Amsterdam: Elsevier.

LOWENSTAMM, J. (2008), “On n, nP and √”. The Sounds of Silence: Empty Elements

in Syntax and Phonology.Hartmann J., V. Hegedus & H. van Riemsdjik eds.

Amsterdam: Elsevier.

MAHFOUDHI, A. (2001), Agreement lost, Agreement regained! A minimalist account

of word order and agreement variation in Arabic, ms., University of Ottawa.

MARANDIN, J.M. (2001), L’hypothèse des sites en syntaxe, in Cahier Jean-Claude

Milner, Verdier, 175-228.

MARANTZ, A. (1985) On the Nature of Grammatical Relations, Cambridge, MIT

Press

MARANTZ, A. (1989), The Connection between Grammatical Relations and Lexical

Categories, in Y. Otsu et al.(eds.) Linguistic Theory and Language Acquisition,

Studies in Generative Grammar and Language Acquisition, 165-177, ICU,

Tokyo.

Page 313: Les 10 formes du verbe

313

MARANTZ, A. (1997), No escape from syntax : don’t try morphological analysis in

the privacy of your own lexicon, in University of Pennsylvania Working

Papers in Linguistics, vol. 4-2, Philadelphia.

MARANTZ, A. (1999), Case and Derivation: Properties of little v ; Creating words

above and below little v, Conference organized by UPRESA 7023, University

of Paris 8.

MARANTZ, A. (2000), Root: The Universality of Root and Pattern Morphology,

communication à la CAL5, Université Paris VII, Paris, 28-30/06/2000.

MATTHEWS, P.H. (1991), Morphology, Cambridge University Press, Cambridge.

MCCARTHY, J.J. (1979), Formal problems in Semitic phonology and morphology,

Ph.D., M.I.T., New-York, Garland.

MCCARTHY, J.J. (1981), A Prosodic Theory of Nonconcatenative Morphology, in

Linguistic Inquiry 12-3, 373-417.

MCCARTHY, J.J. (1986), OCP Effects: Gemination and Antigemination, in Linguistic

Inquiry 17-2, 207-263.

MCCARTHY, J. & A. PRINCE (1990), Foot and word in Prosodic Morphology: The

Arabic broken plural, NLLT 8, 209-283.

MCCAWLEY, J.D. (1968), Lexical Insertion in a Transformational Grammar without

Deep Structure, in Chicago Linguistic Society 4, 71-80.

MCGINNIS, M. (1995), Fission as feature-movement, in R. Pensalfini & H. Ura (eds.)

MIT Working Papers in Linguistics 27: Papers on Minimalist Syntax, 165-187

MCCGINNIS, M. (1996), Two kind of blocking, in Morphosyntax in Generative

Grammar, Hankuk Publishing Co., Séoul.

MCCGINNIS, M. (1998), Case and locality in L-Syntax: Evidence from Georgian, in H.

Harley (ed.) MIT Working Papers in Linguistics 32 : Papers from The

UPenn/MIT Roundtable on Argument Structure and Aspect, 139-158,

Cambridge.

Page 314: Les 10 formes du verbe

314

MCGINNIS, M. (2000), Fission as feature-movement, in MIT Working Papers in

Linguistics 27, M.I.T., Cambridge.

MILNER, J.C. (1989), Introduction à une science du langage, Paris, Seuil.

MOHANAN, K.P. (1995), The organization of the grammar, in Goldsmith J.A. (ed.)

The handbook of phonological theory, Oxford, Blackwell.

NOYER, R. (1992), Features, positions and affixes in Autonomous Morphological

Structure, Ph.D. dissertation, M.I.T.

NOYER, R. (1997), Features, Positions and Affixes in Autonomous Morphological

Structure. Garland Publishing, New York. Revised version of 1992 MIT

Doctoral Dissertation.

NOYER, R. (1998), Impoverishment theory and morphosyntactic markedness, in S.

Lapointe, D. K. Brentari, & P. Farrell (eds.) Morphology and its relation to

phonology and syntax, 264-285, CSLI, Stanford.

NOYER, R. (1999), Vietnamese "morphology" and the definition of word, in A.

Dimitriadis, H. Lee, C. Moisset & A. Williams (eds.) University of Pennsylvania

Working Papers in Linguistics 5:2: Current Work in Linguistics, 65-89,

University of Pennsylvania, Philadelphia.

OUHALLA, J. (1991), Functional Categories and Parametric Variation, Routledge.

OUHALLA, J. (1999), Introducing Transformational Grammar: From Principles and

Parameters to Minimalism, London.

OUHALLA, J. & Ur Shlonsky (2002), Introduction, in Jamal Ouhalla & Ur Shlonsky

(eds.) Themes in Arabic and Hebrew Syntax, Kluwer Academic Publishers.

OUHALLA, J. (2005), Clitic-placement, grammaticalisation and reanalysis, in The

Oxford Handbook of Comparative Syntax, New York, Oxford University Press.

OUHALLA, J. (2005), Agreement features, agreement and anti-agreement, Natural

Language and Linguistic Theory, 23 (3):655-686.

PAUL W. (2004), The “serial verb construction” in Chinese: A Gordian knot, Atelier

du 9 décembre 2004, Ehess, Paris.

Page 315: Les 10 formes du verbe

315

PESETSKY, D. (1995), Zero syntax: Experiencers and cascades. Cambridge, MA: MIT

Press.

POLLOCK, J.Y. (1989), Verb movement, Universal Grammar and the structure of IP,

in Linguistic Inquiry, vol. 20, n°3 : 365-424.

POLLOCK, J.Y. (1998), Langage et cognition, Paris, PUF.

POSTMA, G. (1995), Zero Semantics: A Study of the Syntactic Conception of

Quantificational Meaning. Dissertation Leiden University.

PRUNET, J.-F., R. BELAND & A. IDRISSI (2000), The mental representation of

Semitic words, Linguistic Inquiry 31, 609-648.

PUSTEJOVSKY, J. (1995), The Generative Lexicon, M.I.T. Press, Cambridge.

PYLKKÄNEN, L. (2008), Introducing arguments. Cambridge, MA: MIT Press.

RADFORD, A. (1997a), Transformational Grammar, Cambridge University Press,

Cambridge.

RADFORD, A. (2004), Minimalist Syntax, Cambridge University Press, Cambridge.

RAMCHAND, G. (2006), Verb meaning and the lexicon: A first phase syntax. Ms.,

Universitetet i Tromsø.

RAPPAPORT M. & B. LEVIN (1988), What to do with Theta-Roles. In W. Wilkins

(ed.) Thematic Relations, in Syntax and Semantics 21, 7-36. New York,

Academic Press.

REINHART, T. & E. REULAND (1993), Reflexivity, in Linguistic Inquiry 24:657-720.

REINHART, T. (1996), Syntactic Effects of Lexical Operations: Reflexives and

Unaccusatives , OTS Working Papers in Linguistics, University of Utrecht.

REINHART, T. (1997), Quantifier Scope: How Labor in Divided between QR and

Choice Functions, Linguistics and Philosophy, 20, 399 - 467.

REINHART, T. (2002), The theta system: An Overview, in Theoretical Linguistics 28,

229-290.

Page 316: Les 10 formes du verbe

316

REINHART, T. & T. SILONI (2004), “Against the Unaccusative Analysis of

Reflexives”. In A. Alexiadou, E. Anagnostopoulou, and M. Everaert (eds.) The

Unaccusativity Puzzle: Studies on the syntax-lexicon interface, Oxford

University Press.

REINHART, T. & T. SILONI (2005), The lexicon-syntax parameter: Reflexivization

and other arity operations, in Linguistic Inquiry 36, 389-436.

REULAND, E. (2001), Primitives of Binding, in Linguistic Inquiry 32.2, 439-492.

REULAND, E. (2005b), Long Distance Anaphors in Germanic Languages, in M.

Everaert & H. van Riemsdijk (eds.) The Syntactic Compendium, Oxford,

Blackwell.

REULAND, E. (2008), Anaphoric dependencies: How are they encoded? Towards a

derivationbased typology, in E. König & V. Gast (eds.) Reciprocals and

Reflexives. Theoretical and Typological Explorations, Berlin: Mouton de

Gruyter.

RICHARDS, N. (1996), Towards a theory of head-binding, ms., M.I.T.

RICHARDS, N. (1997), The principle of minimal compliance, ms., M.I.T.

RICHARDS, N. (1999), Dependency formation and directionality of tree

construction, in MIT Working Papers in Linguistics 33, Cambridge.

RIZZI, L. (1978), A Restructuring Rule in Italian Syntax, in S.J. Keyser (ed.) Recent

Transformational Studies in European Languages, 113-158. Cambridge, Mass.:

MIT Press.

RIZZI, L. (1986), On Chain Formation, in H. Borer (ed.) The Grammar of Pronominal

Clitics, Syntax and Semantics 19:65-95. New York: Academic Press.

ROTHEMBERG, M. (1974), Les verbes à la fois transitifs et intransitifs en français

contemporain, The Hague-Paris, Mouton.

ROUVERET, A. (1997), Les pronoms personnels du gallois : structure interne et

syntaxe, in A. Zribi-Hertz (ed.) Les pronoms, morphologie, syntaxe et

typologie , 181-212, Presse universitaire de Vincennes.

Page 317: Les 10 formes du verbe

317

RUCART, P. (2006), Morphologie gabaritique et interface phonosyntaxique- Aspects

de la morphologie verbale en afar, Thèse de doctorat, Université Paris VII.

SADLER, L. & A. SPENCER (1998), Morphology and argument structure, in Spencer

& Zwicky (eds.) The Handbook of Morphology, Oxford, Blackwell.

SCHEER, T. (1996), Une théorie de l’interaction directe entre consonnes, Thèse de

doctorat, Université Partis VII.

SEGERAL, P. (1995), Une Théorie généralisée de l'Apophonie, Thèse de Doctorat,

Université de Paris VII.

SEGERAL, P. & T. SCHEER (1998), A Generalized Theory of Ablaut: the Case of

Modern German Strong Verbs, in A. Ortmann, R. Fabri & T. Parodi (eds.)

Models of Inflection, 28-59, Tübingen, Niemeyer.

SEGERAL, P. (2000), Théorie de l’apophonie et organisation des schèmes en

sémitique, in J. Lecarme, J. Lowenstamm & U. Schlonsky (eds.) Research in

Afroasiatic grammar, 263-299, Benjamins.

SHLONSKY, U. (1997), Clause structure and word order in Hebrew and Arabic: An

essay in comparative Semitic syntax. Oxford University Press.

SIBAWAYHI, A. (8e siècle) [1938], Al-Kitaab. Caire, Bulaaq.

SILONI, T. (2001), Reciprocal Verbs, in Proceedings of IATL, vol 17.

SILONI, T. (2002), Active lexicon, in Theoretical Linguistics 28, 383-400.

SILONI, T. (2008), The syntax of reciprocal verbs: an overview. In E. König & V.

Gast (eds.) Reciprocals and Reflexives: Theoretical and Typological

Explorations, 451-498. Mouton de Gruyter.

SILONI, T. (2010), Reciprocal Verbs and Symmetry. To appear in Natural Language

and Linguistic Theory.

SPENCER, A. (1991), Morphological Theory, Oxford, Blackwell.

SPENCER, A. (1998), Morphophonological operations, in Spencer & Zwicky (eds.)

The Handbook of Morphology, Oxford, Blackwell.

Page 318: Les 10 formes du verbe

318

SPENCER, A. (2004), Syntactic vs. morphological case: implication for morphosyntax,

ms., University of Essex, Colchester.

SPORTICHE, D. (1993), Clitic constructions, in Rooryck & Zarind (eds.) Phrase

structure and the lexicon, Kluwer.

SPORTICHE, D. (1996), Pronominal clitic dependencies, ms., UCLA.

SPORTICHE, D. (1998), Atoms and Partitions of Clause Structure. London,

Routledge.

SPROAT, R. (1998), Morphology as componant or module: mapping principle

approaches, in Spencer & Zwicky (eds.) The Handbook of Morphology,

Oxford, Blackwell.

TESNIÈRE, L. (1965), Eléments de syntaxe structurale, Paris : Klincksieck.

TOMAN, J. (1998), Word syntax, in Spencer & Zwicky (eds.) The Handbook of

Morphology, Oxford, Blackwell.

TRAVIS, L. (1991) , Derived Objects, Inner Aspect and the structure of VP,

communication présentée au colloque du NELS, Delaware.

TRAVIS, L. (1994), Event Phrase and a Theory of Functional Categories, in

Proceeding of the Canadian Linguistics Association (CLA 1994), 559-570.

TRAVIS, L. (2000), Event structure in syntax, in C. Tenny and J. Pustejovsky (eds.)

Events as grammatical objects: The converging perspectives of lexical

semantics and syntax, 145-185. Stanford, CA: CSLI Publications.

VON STECHOW, A. (1995), Lexical Decomposition in Syntax, in U. Egli et al. (eds.)

Lexical knowledge in the Organization of Language, 81-118. Amsterdam,

Benjamins.

WASOW, T. (1977), Transformations and the Lexicon, in P. Culicover, T. Wasow &

A. Akmajian (eds.) Formal Syntax, 327-360, New York, Academic Press.

WEHRLI, E. (1986), On some properties of French clitic se, in Hagit Borer (ed.) The

grammar of pronominal clitics, 263–283. New York: Academic Press.

Page 319: Les 10 formes du verbe

319

WILLIAMS, E. (1981), Argument structure and morphology, in the Linguistic

Review 1, 81-114.

WILLIAMS, E. (2008), Dumping Lexicalism, in G. Ramchand & Ch. Reiss (eds.) The

Oxford Handbook of Linguistic Interfaces, 353-382. Oxford University Press.

WILTSHIRE, C. & A. MARANTZ (2000), Reduplication, in Morphology: An

International Handbook of Inflection and Word Formation, Volume 1, 557-

568, Berlin, de Gruyter.

WRIGHT, W (1896), A Grammar of the Arabic Language, Cambridge University

Press.

ZRIBI-HERTZ, A. (1986), Relations anaphoriques en français : esquisse d’une

grammaire générative raisonnée de la réflexivité et l’ellipse structurale, thèse

de doctorant d’Etat, Université Paris 8.

ZRIBI-HERTZ, A. (1987), La réflexivité ergative en français moderne, dans Le

français moderne 55, 23-54.

ZRIBI-HERTZ, A. (1996), L’anaphore et les pronoms, Une introduction à la syntaxe

générative, Villeneuve-d’Asq : Presse Universitaire de Septentrion.

ZUBIZARRETA, M.L. (1987), Levels of representation in the lexicon and in the syntax.

Foris, Dordrecht.