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MÉMOIRE DE RECHERCHE
Les adolescents et les réseaux sociaux : entre quête de notoriété et épreuve
SCIENCESCOM Audencia Group
Master 2 Communication de Marque
Promotion 2013 - 2014
Tutrice : Emeline Seignobos
Juin 2014 Mathilde VANNERON
2
Résumé
Facebook, Snapchat, Twitter, Instagram, etc, sont quelques réseaux sociaux parmi tant
d’autres utilisés quotidiennement par les adolescents. La génération Y pourtant familière
avec les réseaux sociaux semble même parfois être dépassée par la génération X qui
s’approprie les nouvelles tendances à un rythme effréné. Cette génération X, en pleine
adolescence, cherche à se créer une identité à un âge où les remises en question sont
fréquentes. Pourtant, cette génération est la première à réellement commencer cette période
de la vie, accompagnée au quotidien par les réseaux sociaux. Je chercherai ainsi dans ce
mémoire à connaître quels sont les tenants et les aboutissants de cette utilisation massive
des réseaux sociaux par une population en pleine phase de construction identitaire.
Cette construction passe essentiellement à travers l’image qu’ils renvoient à leurs pairs. Sur
les réseaux sociaux, les adolescents prennent soin de contrôler continuellement leur image
et mesurer leur « popularité » grâce à des indicateurs fournis par les différentes plateformes,
que ce soit le « like », le commentaire, le retweet et bien d’autres encore. Il semble que ce
mot « populaire » soit resté à travers les générations mais que les pratiques l’entourant aient
beaucoup changé.
Par ailleurs, à l’heure où de nombreux événements dramatiques ponctuent l’actualité,
certains remettent encore en cause les réseaux sociaux en les accusant de détruire le « vrai
lien social » ou en les qualifiant de dangereux. En effet, nous nous rappelons tous des décès
tragiques de plusieurs adolescents en 2013, ayant subi un harcèlement moral sur le réseau
social ASK. Mais qu’en est-il des autres réseaux sociaux ? Comment les adolescents se les
approprient-ils ? Et comment eux-mêmes perçoivent-ils les réseaux sociaux ?
C’est l’enquête que j’ai souhaité mener à l’aide de plusieurs méthodes de recueil
d’informations. La première a consisté en une recherche documentaire avec la constitution
d’un corpus d’articles et une bibliographie ancrée dans une posture pluridisciplinaire. La
deuxième méthode a consisté en la réalisation d’entretiens sociologiques avec à la fois des
entretiens en groupe et des entretiens individuels auprès d’adolescents français au collège
et au lycée.
Dans ce cadre, ce mémoire s’attache à analyser les hypothèses selon lesquelles les réseaux
sociaux constituent à la fois un outil d’acquisition de la notoriété mais peuvent également
être vécus comme une épreuve par les adolescents.
3
Summary
Facebook, Snapchat, Twitter, Instagram, etc, are some social media among many others
that are daily used by teenagers. The Y generation, yet familiar with social media seems
sometimes to be exceeded by the X generation which is granting new trends really quickly.
Teenagers from the X generation are trying to build their own identity at an age of frequent
doubts. However, this generation is the first one to really experiment social media during
their whole teenage years period.
In this thesis, I am going to look for the ins and outs of this massive use of social media by a
population which is in the midst of its identity construction.
This quest for identity is essentially going through the image they are projecting on their
peers. On social media, teenagers take care of controling constantly their image and
measure their popularity using indicators provided by different platforms. It can be done with
the famous « like », with the commentary, the tweet or many more indicators. It seems like
this word « popular » stayed accross generations unlike practices surrounding this word, that
have changed a lot.
Moreover, at a time where many dramatic events are breaking the news, some people are
accusing social media to kill the real social link and to be dangerous.
Indeed, we all remember the tragic deaths of many teenagers in 2013. They all had to face
moral harassment on the following social media : ASK.
But what is the situation for others social media ? What are the teenagers behaviors on
social media ? And how do they perceive it ?
This is what I wanted to know by using several investigation methods. The first one was a
documentary investigation, where I did a corpus of articles and a bibliography anchored in a
multidisciplinary posture. For the second method I conducted sociological interviews ; four in
groups and five individuals among french teenagers.
Within this context, I made two hypotheses. In the first one, I am analysing how social media
are used to gain awareness and in the second one, I am analysing how social media can be
experienced as a test for teenagers, in the negative way.
4
Remerciements
Au moment de mettre un point final à ces années d’études scolaires et universitaires, je tiens
à exprimer ma profonde reconnaissance à ma tutrice, Emeline Seignobos, qui m’a
accompagnée durant cette dernière étape de ma vie d’étudiante. Votre bienveillance, votre
gentillesse, ainsi que votre implication et votre disponibilité à toutes épreuves m’ont
énormément aidée pour mener à bien ce travail de recherche. J’ai d’ailleurs une pensée pour
votre petite fille Sophia, née lors de la rédaction de ce mémoire.
Je tiens également à remercier mes parents qui m’ont toujours soutenue quels que soient
mes choix durant toutes ces années d’études et tout particulièrement ma mère pour son
soutien inégalable durant la rédaction de ce mémoire.
J’adresse aussi tous mes remerciements à Madame Le Teigner, CPE au collège La
Coutancière, à Monsieur Douaglin et Monsieur Ouvrard, respectivement proviseur et CPE au
lycée Jules Verne, pour leur disponibilité, leur confiance et l’intérêt qu’ils ont porté à mon
travail.
Je souhaite également remercier tous les adolescents qui ont eu la gentillesse de participer
aux entretiens individuels et en groupe, ainsi que leurs parents pour leur confiance. Le
dynamisme, la spontanéité et la curiosité de tous ces adolescents ont rendu le travail de
terrain bien plus agréable.
Ma reconnaissance va également à Madame Delphine Saurier pour m’avoir accompagnée
au tout début de ce projet de mémoire. La pertinence de vos remarques m’a permis de me
conforter sur mon sujet et de trouver un axe de recherche plus aisément.
Enfin, je tiens à remercier mes amis pour m’avoir soutenue et écoutée et pour tous les bons
moments passés ensemble qui m’ont permis de souffler lorsque j’en avais besoin.
5
Sommaire
Introduction…………………………………………………………………………………… p.7
I. Les réseaux sociaux utilisés comme outil d’acquisition de la notoriété… p.18
A. De nos jours : une société du narcissisme expliquant cette quête de
notoriété……………………………………………………………………………. p.19
B. La caractéristique des réseaux sociaux concourt à l’acquisition de la
notoriété …………………………………………………………………………… p.26
C. La tendance des réseaux sociaux à regrouper comme vecteur de
notoriété …………………………………………………………………………… p.35
D. Des indicateurs destinés à s’évaluer : likes, commentaires, nombre
de vues comme accès à la notoriété………………………………………….. p.39
E. La capacité à créer un contenu attrayant comme aide à l’atteinte
de cette notoriété ........…………………………………………………………… p.41
II. Les réseaux sociaux vécus comme une épreuve…………………………….. p.48
A. Cette quête peut mener à du lynchage, du mépris ou de l’ignorance
ayant un impact sur la vie réelle……………………………………………….. p.49
B. La popularité acquise peut être une mauvaise notoriété …………………. p.54
C. Cette quête de notoriété peut amener certains jeunes à gérer les
réseaux sociaux à la manière d’un professionnel …………………………. p.59
D. Une image en décalage …………………………………………………………. p.65
E. Certains adolescents deviennent accros/dépendants à ces réseaux ….. p.68
F. L’architecture des plateformes provoque une perte de contrôle des
données personnelles et constitue une épreuve…………………………… p.70
Conclusion…………………………………………………………………………………….. p.75
Bibliographie …………………………………………………………………………………... p.81
6
Annexes :
Annexe 1 : Cadre méthodologique …………………………………………………………… p.85
Annexe 2 : Guide d’entretien ………………………………………………………………….. p.91
Annexe 3 : Démarche auprès des établissements scolaires ……………………………… p.103
Annexe 4 : Entretiens en groupe, 6ème et 5ème ………………………………………………. p.104
Annexe 5 : Entretiens en groupe, 4ème et 3ème ………………………………………………. p.112
Annexe 6 : Entretiens en groupe, Seconde …………………………………………………. p.126
Annexe 7 : Entretiens en groupe, Première et Terminale …………………………………. p.141
Annexe 8 : Entretien individuel, 5ème …………………………………………………………. p.158
Annexe 9 : Entretien individuel, 3ème …………………………………………………………. p.174
Annexe 10 : Entretien individuel, Seconde ………………………………………………….. p.182
Annexe 11 : Entretien individuel, Première ………………………………………………….. p.195
Annexe 12 : Entretien individuel, Terminale ………………………………………………… p.207
Annexe 13 : Questionnaire informations générales, 6ème et 5ème …………………………. p.219
Annexe 14 : Questionnaire informations générales, 4ème et 3ème………………………….. p.224
Annexe 15 : Questionnaire informations générales, Seconde ……………………………. p.231
Annexe 16 : Questionnaire informations générales, Première et Terminale ……………. p.238
Annexe 17 : Questionnaire informations générales, entretiens individuels ……………… p.245
Annexe 18 : Grilles d’observation entretiens de groupe …………………………………… p.252
Annexe 19 : Grille d’analyse, entretiens de groupe ………………………………………… p.265
Annexe 20 : Grille d’analyse, entretiens individuels ………………………………………... p.311
Annexe 21 : Demande d’autorisation aux parents pour les entretiens ………………….. p.340
Table des matières……………………………………………………………………………... p.341
7
Introduction :
Depuis plusieurs années les réseaux sociaux 1 ont envahi notre quotidien et évoluent très
vite. Un acteur disparaît du marché et dix nouveaux apparaissent. Cette prolifération de
nouveaux acteurs correspond à l’évolution de notre société. Et alors que beaucoup d’entre
eux ne survivent pas longtemps, d’autres connaissent un succès phénoménal et souvent
inattendu, comme les cas de Facebook et Twitter qui comptent aujourd’hui respectivement
1,2 milliard d’utilisateurs actifs2 et 218 millions d’utilisateurs actifs mensuels3. De même,
l’essor des équipements mobiles a fortement participé à la croissance de ces médias
sociaux de plus en plus utilisés via le mobile.
Toute cette effervescence a commencé avec l’invention du World Wide Web par Tim
Berners-Lee en 1989, dont l’intérêt premier était de pouvoir créer un système pouvant
communiquer n’importe où dans le monde avec n’importe quelle machine.4 Le Web a donc
toujours été « social » car son but premier était bien de permettre aux individus de
communiquer. Aujourd’hui, le Web propose une mise en relation de personne à personne,
davantage facilitée grâce à des moyens plus accessibles, attrayants et innovants permettant
d’échanger des idées et des informations. Sachant que les réseaux sociaux en tant
qu’organisation humaine existaient bien avant l’apparition du Web, si l’on entend par réseaux
sociaux, des réseaux virtuels, les premiers ont alors vu le jour dès les années 90 avec,
notamment le site web « Classmates.com », créé en 1995, qui permettait de retrouver des
anciens camarades de classe, ou encore « sixdegrees », le premier vrai réseau social en
ligne tel qu’on le conçoit aujourd’hui et fondé en 1997.5
1 Par réseaux sociaux, j’entends les réseaux sociaux virtuels sur Internet et cela tout au long de ce mémoire. D’après Danah Boyd et Nicole Ellison, un site de réseau social est défini par une plate-forme de communication en réseau dans laquelle les participants 1) disposent de profils associés à une identification unique qui sont créés par une combinaison de contenus fournis par l’utilisateur, de contenus fournis par « des amis », et de données système ; 2) peuvent exposer publiquement des relations susceptibles d’être visualisées et consultées par d’autres ; 3) peuvent accéder à des flux de contenus incluant des contenus générés par l’utilisateur – notamment des combinaisons de textes, photos, vidéos, mises à jour de lieux et/ou liens – fournis par leurs contacts sur le site. Ces réseaux dits « sociaux » ont été remis en cause à maintes reprises dans leur dénomination. « Les médias, les discours des promoteurs du Web et les discours scientifiques emploient ce terme « réseaux sociaux » à propos de sites ne répondant pas à ces caractéristiques ». (Cf « Ces réseaux numériques dits sociaux », Hermès, La Revue, C.N.R.S. Editions, 2011/1 - p.22) 2 LEFIGARO.fr, 2014. Disponible sur <LeFigaro.fr> 3 DUGUA, Pierre-Yves, 2013. Disponible sur <LeFigaro.fr> 4 GRANDMAISON, Pascal, 2009. Disponible sur <LeFigaro.fr> 5 COLOMBAIN, Jérôme, 2012. Disponible sur <France Info>
8
Il existe aujourd’hui différents types de réseaux sociaux ; les sites de publication comme les
blogs et le microblogging avec l’exemple de Twitter, les sites de partage de contenus comme
YouTube, Pinterest, ou encore Instagram, et les réseaux socionumériques tels que
Facebook ou Snapchat qui incluent aussi les réseaux de réseautage comme LinkedIn ou
Viadéo ayant investi le monde professionnel. Parmi les autres réseaux considérés comme
sociaux, il y a également les wikis et les communautés en ligne. 6
Dans ce travail, j’ai fait le choix de m’orienter tout particulièrement sur les réseaux
socionumériques de partage et de discussion. En effet, malgré l’intérêt de tous les réseaux
sociaux et leurs différents dispositifs, certains sont particulièrement pertinents pour mon
étude et concernent des pratiques émergentes ciblant principalement les adolescents,
notamment un réseau social tel que Snapchat. D’autres, déjà plus anciens tels que
Facebook, Twitter ou Instagram, sont également intéressants à analyser afin de comprendre
les interactions qui se produisent aujourd’hui entre adolescents. En revanche, les réseaux de
réseautages seront exclus de mon étude, étant des outils de nature professionnelle et plus
propices à être utilisés à l’approche de l’entrée dans le monde professionnel. De même, j’ai
choisi de ne pas étudier les blogs qui sont des outils à caractère moins intrusifs et moins
instantanés que les autres réseaux de discussions et de partage comme Facebook, Twitter,
Instagram, etc., et donc plus difficilement comparables.
Les adolescents évoluent au rythme de ces réseaux sociaux et s’engouffrent rapidement
dans ces outils qui leur permettent d’exprimer leurs attentes et leurs besoins. Ce sont
également eux qui créent la demande et les tendances. Et pourtant, cette population est
parfois difficile à cerner. C’est pourquoi il convient de poser les jalons d’une possible
définition afin de mieux comprendre leurs comportements sur les réseaux sociaux.
L’adolescence, selon François De Singly7, serait l’âge de l’autonomie sans indépendance
(économique). Cette autonomie est d’ailleurs à la fois plus précoce et plus large.
L’adolescent oscille ainsi entre deux identités, l’une liée à sa famille et l’autre liée à son
groupe des pairs. Aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, l’on considère que
l’adolescence, perçue comme une période de passage semée de « crises » et d’embûches,
commence à la puberté. Dorénavant, l’âge de la puberté commence de plus en plus tôt et
celui de l’âge adulte de plus en plus tard. On parle même « d’adonaissants » et
« d’adulescents ». Les « adonaissants » concernent les jeunes entre 10 et 12 ans. Le terme
est défini, par François De Singly, comme la sortie de l’école primaire et l’accès au collège.
6 TENGER, Thomas et COUTANT, Alexandre, 2011 : p.1-9 7 GALAND, Olivier, 2008 : p.819-826
9
Ces « adonaissants » sont pour la plupart en première ou deuxième année du collège et la
puberté ne constitue pas un critère pour entrer dans cette période. 8
Le terme «adulescents », forgé par le psychanalyste Tony Anatrella, se définit par un
prolongement de l’adolescence, l’âge adulte commençant de plus en plus tard et se
traduisant concrètement dans les sociétés occidentales par des adolescents restant vivre
chez leurs parents plus longtemps. Il peut également s’agir d’adultes de tous âges
s’infantilisant et vivant un prolongement interminable de l’adolescence.9
Nous ne savons donc plus très bien déterminer quand l’adolescence se termine exactement
mais les psychanalystes considèrent aujourd’hui que cela correspond au moment où
l’individu se détache de l’autorité parentale. 10 Dans ce mémoire, j’entendrai donc par
adolescents les cibles qui m’intéressent et qui sont pour moi les plus pertinentes à analyser
c’est-à-dire les collégiens et les lycéens. Bien que l’adolescence puisse se terminer après le
lycée, et que je sois également curieuse d’étudier la différence avec les adolescents étudiant
au niveau post-bac, je souhaite ici me concentrer sur ces deux populations du collège et du
lycée car ce sont des périodes où commence la construction identitaire des adolescents et
où ceux-ci « se cherchent » encore majoritairement. Je ne privilégie pas une approche de
l’adolescence par l’âge car cela serait trop complexe à définir, c’est pourquoi je souhaite
porter mon étude sur une population assez large qui va du collège au lycée.
Par ailleurs, la question de l’utilisation des réseaux sociaux par les adolescents a été l’objet
de nombreuses interrogations et de recherches dans différentes disciplines, ce qui me
conduira dans mon analyse à envisager plusieurs approches, notamment sociologique et
communicationnelle. En ce sens, cette étude s’inscrit dans un cadre volontairement
pluridisciplinaire.
En effet, les adolescents « se cherchent » et se construisent à travers leur image. Selon
Xavier Pommereau, psychiatre en charge du pôle adolescents du CHU de Bordeaux,
« Facebook est une carte d'identité virtuelle qu'ils se fabriquent eux-mêmes. On s'affiche, on
dit qui l'on est à travers ce que l'on montre. »11 Ainsi, les adolescents prennent un soin
particulier à gérer leur image et vérifier continuellement les réactions positives ou négatives
de leurs pairs. « Jusqu'à l'addiction. On va en permanence vérifier sur sa page, comme sur
un miroir, que l'on existe. La qualité du reflet est fonction des pixels qui la composent : les
« likes ». » La valeur sociale se mesure par le nombre d’amis, les commentaires,
les « likes ». Les adolescents n’hésitent pas à afficher leur bonheur (réel ou non) sur leurs
8 LECOMTE, Anthony, 2012. Disponible sur <Accompagnement-developpement.com> 9 CORDONNIER, Amélie, 2005. Disponible sur <Psychologies.com> 10 VAILLANT, Emmanuel, 2010. Disponible sur <L’étudiant.fr> 11 KREMER, Pascale, 2013. Disponible sur <LeMonde.fr>
10
réseaux sociaux préférés, ce qui n’aide pas tout un chacun à renforcer son estime
personnelle face à ces bonheurs et popularités affichées.
Cette carte d’ « identité virtuelle », les individus et particulièrement les adolescents n’hésitent
pas à l’afficher en public. En effet, depuis quelques années, nous assistons à une véritable
ascension de l’affichage de la vie privée sur les médias sociaux. Parmi les personnes étalant
leur vie privée sur ces réseaux, toutes ne réalisent pas les conséquences que cela peut
avoir. Les adolescents, eux, utilisent les médias sociaux un peu à la manière d’un journal
intime. Il y a une dimension de spectacle et de représentation de soi-même dans cet
affichage. Parler de soi sur internet permet à l’adolescent de se mettre en perspective du
point de vue des autres, il y a un besoin du regard de l’autre, de sa réaction. Les adolescents
cherchent souvent sur le réseau une reconnaissance de leurs pairs, surtout lorsqu’elle leur
est refusée par les adultes, ou par les groupes auxquels ils appartiennent.12 De même, ils ne
réalisent pas toujours que ce « journal intime » est public, ni ses effets à court terme. De
telles remarques s’inscrivent dans un phénomène plus global dont les téléréalités, que
j’aborderai dans ce travail, semblent représentatives. En agissant ainsi, les individus ont le
sentiment d’exister et de se démarquer des autres. Les médias sociaux permettent de
donner l’illusion d’être connu et de connaître beaucoup de personnes, même lorsque cette
connaissance n’est que superficielle. Certaines personnes ont l’impression d’être toutes-
puissantes.
Aujourd’hui en France et à l’étranger, être un adolescent est une phase difficile par laquelle
tout le monde passe mais qu’on a pour autant du mal à comprendre d’un point de vue
d’adulte du fait de son évolution constante. Nous avons donc tous connu cette période de
doutes et de remises en question qu’est l’adolescence où l’on se cherche soi-même et où
l’on appartient à une certaine « catégorie » à l’intérieur du groupe, que ce soit des
« paumés », en passant par les « intellos » ou encore la catégorie que presque tout le
monde envie « les populaires ».13 A l’échelle de l’environnement scolaire, ce sont les termes
« populaire » et « réputation » qui sont les plus utilisés. La réputation se définit d’après le
dictionnaire Larousse par « une opinion favorable ou défavorable du public pour quelqu’un,
quelque chose ». La popularité fait référence à la position sociale que l’adolescent occupe
dans un groupe de pairs ; une position qui est constitutive de la représentation des membres
du groupe. Le fait d’être populaire confère à la personne des avantages et privilèges. Cela
12 CORROY, Laurence, 2008. 13 DUPONT, Sébastien, 2013. Disponible sur <Le Nouvel Observateur>
11
peut passer par du soutien, des encouragements, de l’admiration ou d’autres manifestations
positives.
Dans mon analyse, le terme « notoriété », bien que moins utilisé par les adolescents, mais
faisant davantage sens dans ce mémoire, sera favorisé par rapport aux termes
« popularité » et « réputation ». En effet, il existe une différence entre les termes
« populaire » et « notoire » ; être « populaire » revient à être aimé du plus grand nombre,
tandis qu'être « notoire » revient à être connu du plus grand nombre.14
Le terme notoriété est donc plus adapté dans ce mémoire, car c’est un terme plus large et
parce que même si la plupart des adolescents concernés cherchent à la fois à être connus et
aimés par leurs pairs, tous les adolescents ne cherchent pas toujours à être aimés par le
plus grand nombre, sinon au moins à être connus par le plus grand nombre. La preuve en
est que beaucoup d’adolescents font des vidéos ne les mettant pas toujours en valeur et
provoquant des réactions négatives de la part des spectateurs mais leur permettant ainsi
d’être connus du plus grand nombre. Je ne souhaite donc pas limiter ma recherche à des
présupposés ou généralités. Par ailleurs, les réseaux sociaux ont considérablement facilité
l’accès à cette notoriété par les adolescents.
Ainsi, les parents se retrouvent parfois désemparés face à des moyens de communication
qui évoluent très vite et qu’ils ne maîtrisent pas bien alors que leurs enfants s’en servent au
quotidien et évoluent au rythme des médias sociaux.
Ces médias sont même qualifiés de dangereux par certains15 qui considèrent que les
réseaux sociaux détruisent le lien social au sens qualitatif et peuvent conduire les
adolescents à des actes qu’ils pourraient regretter par la suite.
Rappelons-nous, en août 2013, le Royaume-Uni avait été secoué par une vague de suicides
d’adolescents, dont leur point commun était d’avoir été harcelés sur le réseau social
ask.fm.16 Hannah Smith, une jeune britannique âgée de 14 ans, a été retrouvée pendue
dans sa chambre après avoir subi des cyber-intimidations, comprenant de nombreuses
insultes sur son physique sur le site de réseau social. Pour un adulte, il semble inimaginable
de se suicider suite à une conversation anonyme sur internet et pourtant les adolescents
prennent ce genre de remarques sur leur physique et leur identité très au sérieux en général,
si bien qu’il semble parfois difficile pour les adultes de comprendre leurs réactions.
Il faut savoir, qu’entre 13 et 15 ans, les adolescents se retrouvent fragilisés sur le plan
psychologique en ce qui concerne leur physique qu’ils considèrent comme essentiel. Ces
14 MAIN, Guillaume, 2011. Disponible sur <Stratosphère.fr> 15 KEEN, Andrew, 2010. 16 Euronews, 2013. Disponible sur <Euronews>
12
changements physiques s’expriment généralement par un malaise de l’adolescent, qui, de
plus se trouve dans une phase de crise identitaire. Pour se construire de manière autonome
et obtenir une identité propre, l’adolescent a besoin de se constituer une sphère privée avec
la mise en place de relations échappant aux institutions scolaires et familiales. Dans ce
processus, le groupe des pairs joue un rôle très important. En effet, la socialisation entre
pairs permet à l’être humain d’intérioriser, de concrétiser et d’exprimer les changements
identitaires qui l’affectent.
Ainsi, l’âge des bouleversements hormonaux peut être une période difficile dans une société
du narcissisme où nous sommes inondés de magazines et publicités prônant le culte du
corps parfait.17 D’après Michael Stora, psychologue et psychanalyste, « cette influence est
surtout présente dans les pays les plus développés, c’est le cas de la France où le
narcissisme est une réalité clinique. Elle est aussi révélatrice d’un mal-être de la société,
d’une certaine fragilité. Par sa configuration, Facebook, par exemple, nourrit cette admiration
de soi. »18
Pas étonnant alors que le mot au pluriel « selfies » ait été élu « mot de l’année 2013 » par
les auteurs du dictionnaire d’Oxford. Ce mot est le diminutif de « self-portrait », pour lequel
une personne a pris une photographie d’elle-même, généralement au moyen d’un
smartphone ou d’une webcam et l’a téléchargée sur un média social. Ce terme en lui-même
évoque la représentation d’une société individualiste, dans laquelle les « selfies » se trouvent
en quête de reconnaissance.
D’un point de vue contextuel il s’agit ici d’une banalisation de la pratique de l’autoportrait, qui,
à une certaine époque était réservée à une caste aristocratique ou à une élite bourgeoise.
En revanche, l’autoportrait des temps modernes a la particularité d’être réalisé solitairement
et d’avoir une visée d’échange.
L’avantage qu’apportent les réseaux sociaux est de pouvoir actualiser facilement ces images
afin de ne garder que des portraits avantageux de soi où l’on se vend en quelque sorte au
public qui est notre juge via « likes », commentaires et autres « feedbacks ». Les
autoportraits numériques offrent les avantages d’être provisoires, contrôlés et partagés. On
observe ainsi une proximité relationnelle établie avec les autres membres des réseaux
sociaux via ces photographies instantanées. Les adolescents se conforment à des codes de
représentation bien précis et importants pour ne pas être jugés trop « narcissiques » par les
autres acteurs. Ainsi le rapport au groupe influence à un rythme raisonné de publications des
« selfies » sur les différents sites. 19
17 AMADIEU, Jean-François, 2013. Disponible sur <Liberation.fr> 18 PsychoEnfants, 2012. Disponible sur <psychoenfants.fr> 19 Fédération Française des Télécoms, 2013. Disponible sur <Fftelecoms.org>
13
Pourtant, depuis plusieurs mois on a pu observer une nouvelle tendance chez les
adolescents. Cette tendance est celle de déserter Facebook qui selon eux n’est plus « à la
mode ». En effet, aujourd’hui, plusieurs études révèlent que les adolescents renieraient de
plus en plus les réseaux sociaux traditionnels pour se concentrer sur de nouveaux20 comme
Snapchat, Instagram, Vine, Pheed, ask.fm ou encore Lasr FM.21 Snapchat semble pourtant
bouleverser cette idée d’exposition de soi inconsidérée. En effet, l’application a pour
particularité que chaque photographie ou vidéo envoyée n’est visible par son destinataire
que durant une période allant d'une à dix secondes. Pourquoi cet attrait vers ce genre
d’application ?
La réponse peut se trouver à l’aide d’enquêtes ethnographiques réalisées ces deux
dernières années qui ont révélé une préoccupation grandissante des jeunes autour de leur
« réputation » présente et future, qui se manifeste par une gestion constante de l’image en
ligne par des opérations concrètes comme « se détaguer », surveiller et/ou supprimer.22
En effet, on a répété à grand renfort de campagnes de sensibilisation aux adolescents de ne
pas faire étalage de leur vie privée sur Facebook et notamment les problématiques que cela
peut provoquer par la suite, dans la future vie professionnelle de l’adolescent. Ce dernier est
aujourd’hui plus ou moins averti et se renseigne lui-même grâce à internet, c’est pourquoi
Snapchat paraît être un bon compromis pour assurer son futur personnel et professionnel
tout en s’adonnant à « l’exposition de soi » caractéristique de l’adolescence. C’est ainsi
qu’en respectant la réflexivité des pratiques numériques juvéniles, Snapchat a su conquérir
les adolescents.
Cependant, ce n’est probablement pas la seule raison. Les adolescents ont toujours cherché
à se démarquer et à investir de nouvelles modes là où personne ne se trouve, d’où une
tendance à fuir les réseaux sociaux traditionnels comme Facebook commençant à se faire
« vieux » et « has-been ».
Par ailleurs, aujourd’hui, apparaît une forme de maturité de l’usage des réseaux sociaux et
notamment avec les générations Y et Z, maîtrisant ces réseaux et redistribuant les cartes du
jeu, comme l’illustre le désintérêt pour Facebook. Les adolescents natifs deviennent à la fois
consommateurs mais également prescripteurs de l’outil du fait qu’ils en arrivent même
parfois à le dépasser et créer leurs propres tendances.
Cependant, cet outil peut également s’avérer une épreuve pour les adolescents. Dans le cas
de ce mémoire, le terme « épreuve » représente la manière dont les adolescents sont perçus
20 HOFFMAN, Louise, 2013. Disponible sur <atlantico.fr> 21 MENNEVEUX, Richard, 2013. Disponible sur <frenchweb.fr> 22 ibid 20
14
par leurs pairs sur les réseaux sociaux, à savoir comment ils sont jugés dans un endroit où
ils sont très exposés. Selon le dictionnaire Larousse, une épreuve peut se définir par un
essai par lequel on éprouve de la résistance, la qualité de quelque chose. Ici, on éprouverait
la résistance d’un adolescent face aux jugements de ses camarades mais on éprouverait
également sa capacité à mettre en avant ses qualités physiques et psychologiques sur les
réseaux sociaux, via son comportement, ses photos, statuts et tweets postés sur les
différentes plateformes. Apparaît alors la notion de « récit de soi » avec un outil qui a été
investi de cette fonction, de façon consciente et parfois non consciente par ses utilisateurs.
Le dictionnaire Larousse donne une seconde définition qui est « la difficulté qui éprouve le
courage de quelqu’un, qui provoque chez lui de la souffrance ». L’étape de l’adolescence est
en quelque sorte une épreuve en soi, car c’est une période de jugement et de manque de
confiance en soi, où comme nous l’avons vu, l’adolescent se cherche une identité. Les
réseaux sociaux ont un effet amplificateur sur cette période de la vie et peuvent également
amplifier l’épreuve perçue par les jeunes.
Je souhaite désormais nuancer mes propos en mettant en avant le fait que les réseaux
sociaux dépassent le seul horizon de la représentation de soi adolescente : ils ont aussi été
considérés comme des instruments politiques et économiques. Ce sont les réseaux sociaux
qui par exemple ont permis au mouvement appelé « le printemps arabe » de s’élever contre
les injustices du monde arabe. Certains parlent même d’une « révolution Facebook », d’une
« révolution Twitter » voire d’une révolution 2.0 tant l’usage des réseaux sociaux aurait été
importante.
Les réseaux sociaux permettent également la découverte de nombreux talents. La notoriété
dont je parlerai dans ce mémoire a donc plusieurs facettes. Elle peut être à la fois négative
et positive.
En effet, en plus de favoriser et mettre à contribution les compétences personnelles et le
potentiel créatif des adolescents, notamment par la réalisation de divers projets (blogs,
vidéos, musique…), les médias sociaux leur permettent de partager leurs passions et leurs
intérêts avec d’autres jeunes, mais aussi de s’engager pour des causes qui leur tiennent à
cœur, ce qui enrichirait d’autant plus leurs expériences de socialisation. »23
J’attire donc ici l’attention sur le fait que j’aborderai dans ce mémoire seulement un aspect
propre aux adolescents et leurs relations avec les réseaux sociaux. Cela ne veut pas dire
que cette théorie soit valable pour chaque individu adolescent. Elle est bien sûr dépendante
de nombreux facteurs et c’est ce que je vais chercher à mettre au jour dans ce mémoire.
23 American Academy of Pediatrics, 2011 : p.800-804
15
Problématique :
Ce contexte m’a amenée à me demander dans quelle mesure les réseaux sociaux de
discussion et de partage constituent à la fois un outil et une épreuve pour les
adolescents concernant la question de la notoriété ?
Afin de répondre à cette problématique, j’aborderai dans un premier temps l’hypothèse selon
laquelle les réseaux sociaux de discussion et de partage peuvent constituer un outil pour les
adolescents concernant la question de la notoriété. Pour cela, je répondrai à plusieurs sous-
hypothèses de départ en montrant que le contexte dans lequel nous nous trouvons
aujourd’hui, notamment une société du narcissisme a une influence sur le comportement des
adolescents sur les réseaux sociaux. Ensuite, je montrerai en quoi la caractéristique des
réseaux sociaux conduit les adolescents à s’approprier ces outils pour acquérir une certaine
notoriété. Je montrerai également en quoi la tendance des réseaux sociaux à regrouper
constitue un vecteur de notoriété. Puis, en quoi les indicateurs destinés à s’évaluer donnent
aux adolescents l’occasion d’accéder à la notoriété. Et enfin, comment la capacité d’une
personne à créer du contenu attrayant peut être bénéfique pour acquérir une notoriété.
Dans un deuxième temps, j’analyserai en quoi les réseaux sociaux peuvent également
constituer une épreuve pour les adolescents concernant la question de la notoriété.
Ma première sous-hypothèse est que cette quête de notoriété peut mener à du lynchage, du
mépris ou de l’ignorance ayant un impact sur la vie réelle. Ma seconde sous-hypothèse
consiste à montrer que la notoriété acquise n’est pas toujours positive. Ensuite, cette quête
peut conduire les adolescents à gérer les réseaux sociaux à la manière d’un professionnel et
par conséquent cela peut montrer une image en décalage avec la personne ou bien conduire
l’adolescent à devenir dépendant à ces réseaux sociaux. Cette dépendance se crée à
travers l’architecture spécifique de chaque site et peut ainsi représenter une épreuve pour
les adolescents.
16
Méthodologie :
Pour répondre à ma problématique de départ et vérifier mes hypothèses, j’ai choisi
différentes méthodes de recueil d’informations24.
La première consiste en une recherche documentaire avec la constitution d’un corpus
d’articles et une bibliographie. Ces articles et livres scientifiques m’ont permis de confronter
mes hypothèses à des études déjà réalisées et d’autres points de vue. Cette recherche avait
pour but d’enrichir ma propre réflexion. Avec cette recherche, j’inscris ce mémoire dans le
cadre de ma discipline qui concerne les sciences de l’information et de la communication.
Cependant, j’ai volontairement adopté une posture pluridisciplinaire car le sujet, qui est un
sujet complexe, analysant une population polymorphe, s’y prête très bien. Il est en effet
intéressant d’analyser ce sujet sous différents points de vue, qui sont ceux de la sociologie et
de la psychologie sociale, des sciences de l’information et de la communication, de la
technique et de la sémiotique mais également journalistique, reflétant l’actualité.
S’agissant d’un sujet pluridisciplinaire et notamment sociologique, il me semblait pertinent de
réaliser une enquête sociologique par le biais d’un entretien collectif.
Le choix de l’enquête sociologique en groupe s’articule autour de deux volontés concernant
l’objet d’analyse. Il s’agit pour moi d’analyser le groupe en tant qu’objet de recherche en soi,
mais également comme cadre de recueil des discours. Ma posture de recherche était
l’observation. J’ai fait le choix d’interroger des groupes constitués de 5 à 6 personnes. En
effet, en dessous de 5, le groupe est pauvre car il y a une faible variété des points de vue, et
au dessus de 10, l’animation est délicate et il existe un risque de fractionnement de
discussions et de sous-groupes. L’entretien durait 55 minutes, comprenant l’introduction et la
conclusion. J’ai ainsi réalisé quatre focus group ; un avec trois élèves de 6ème et une élève de
5ème (les deux autres élèves de 5ème se sont désistés au dernier moment), un avec trois
élèves de 4ème et trois élèves de 3ème. Ces entretiens se sont déroulés au collège La
Coutancière, un collège situé dans une commune en périphérie de Nantes. Puis, j’ai choisi
de réaliser d’autres entretiens collectifs en zone urbaine cette fois (ceci afin d’analyser un
éventuel contraste) au lycée Jules Verne, en plein centre-ville de Nantes. J’ai ainsi réalisé un
focus group avec six élèves de Seconde et enfin un autre entretien avec trois élèves de
Première et trois élèves de Terminale. J’ai toujours fait en sorte de respecter la parité des
sexes, afin de n’avoir aucun biais et de pouvoir comparer plus facilement les différences
entre garçons et filles.
24 Ma méthode s’inscrit dans un cadre méthodologique très stricte, c’est pourquoi je vous invite à consulter l’annexe « cadre méthodologique » afin d’accéder à des justifications plus détaillées de ma méthode mais également aux apports et aux limites qu’elle comporte.
17
L’entretien collectif, qui repose sur la dynamique de groupe, est particulièrement adapté pour
saisir des prises de position en interaction, analyser des significations partagées ou des
désaccords. Il permet en effet de faire confronter des idées et personnalités afin de faire
émerger, ou tester, des visons de façon interactive au sein du groupe. Il s’inscrit dans un
cadre théorique dans lequel la pensée n’est pas donnée mais résulte d’un processus de
construction qui s’effectue dans un cadre collectif et contradictoire.
Les entretiens collectifs et individuels25 constituent deux méthodes qui se complètent. J’ai
ainsi également choisi de réaliser plusieurs entretiens individuels (cinq entretiens avec des
adolescents en classe de 5ème, 3ème, Seconde, Première et Terminale), qui, eux, m’ont
permis d’explorer en profondeur des opinions ou des expériences évoquées en groupe. J’ai
fait le choix de réaliser un entretien semi-directif. Ce type d’entretien est centré sur le recueil
de l’expression des acteurs par rapport à une trame générale souple, construite à partir du
questionnement de l’évaluation – le guide d’entretien. Le guide peut être complété par des
questions visant à éclairer ou préciser les réponses faites par la personne interrogée.
L’entretien individuel permet de collecter des informations quantitatives mais surtout
qualitatives. Il permet d’approfondir la pensée de la personne, ce qui n’est pas forcément
possible en groupe, avec le phénomène d’autocensure. C’est un outil indispensable pour
développer les analyses et cerner les logiques d’action et les différentes représentations. Les
adolescents peuvent exprimer ce qu’ils pensent sans être influencés par le groupe.
25 Les retranscriptions de ces entretiens ainsi qu’un tableau synthétique d’analyse sont fournies en annexes de ce présent mémoire.
I. Les réseaux sociaux utilisés comme outil d’acquisition de la notoriété Dans cette première partie je vais chercher à démontrer en quoi les réseaux sociaux sont
utilisés par les adolescents comme outil d’acquisition de la notoriété grâce à une enquête
théorique s’appuyant sur différents ouvrages mais également grâce à une enquête terrain
s’appuyant sur le témoignage d’adolescents.
Mais avant d’analyser à proprement parler de la manière dont sont utilisés les réseaux
sociaux, il me semble important de faire référence à des apports théoriques ayant conduit
ma réflexion dans le cheminement qui va suivre.
Lorsque l’on aborde la question de la notoriété, l’on fait référence à un individu connu par un
grand nombre de personnes car associé à différentes caractéristiques, pouvant concerner le
physique, le mental ou bien le moral.
Je me suis ainsi posé la question : pourquoi vouloir être « notoire » ? Pourquoi tant de
personnes aujourd’hui recherchent la notoriété ?
J’ai alors décidé de m’orienter vers des ouvrages pluridisciplinaires à la fois en sociologie,
psychologie, sciences de l’information et de la communication, en droit, ou encore des
revues scientifiques afin de mieux comprendre le contexte mais également les tenants et les
aboutissants entourant ce contexte. C’est pourquoi, et cela afin de mieux appréhender les
phénomènes sociaux d’aujourd’hui, j’ai décidé de m’inspirer de l’ouvrage la Culture du
Narcissisme de Christopher Lasch, historien et sociologue américain, intellectuel et critique
social important de la deuxième moitié du XXème siècle.
En effet, notre société moderne semble avoir toutes les caractéristiques d’une société du
narcissisme.
19
A. De nos jours : une société du narcissisme expliquant cette quête de notoriété
Dans la mythologie grecque puis romaine, Narcisse est un jeune homme d’une grande
beauté tombant amoureux de son propre reflet. Mais qu’en est-il du Narcisse des temps
modernes ?
D’après Christopher Lasch, « le nouveau Narcisse est hanté, non pas la culpabilité mais par
l’anxiété. Il ne cherche pas à imposer ses propres certitudes aux autres, il cherche un sens à
la vie. » 26
En effet, la société capitaliste moderne a beaucoup évolué et comprend de nombreuses
caractéristiques favorisant la prolifération de ce Narcisse des temps modernes.
Nous vivons aujourd’hui dans une société où l’on réalise les erreurs du passé et les
conséquences dramatiques pour l’avenir, notamment en terme de Responsabilité Sociétale
des Entreprises. D’où le fait que ce terme « RSE » soit désormais « à la mode » dans les
entreprises.
Envahis par des discours alarmistes, les citoyens prennent conscience de cet étau se
resserrant sur eux et ressentent le besoin de vivre dans l’instant présent. En effet, si la
société n’a pas d’avenir, une réaction spontanée à cela serait de se concentrer sur soi-même
et de ne porter attention qu’à sa propre « représentation privée ».
D’autre part, nous vivons dans une société du spectacle, où l’on assiste à une prolifération
d’images à la fois visuelles et auditives. Nos moindres actes nous paraissent épiés et
enregistrés par « big brother » et nous réagissons vis-à-vis d’autrui comme si nos actes
étaient rediffusés à la manière d’une télé-réalité. Cette prolifération d’images brouille notre
sens de la réalité et nous adoptons notre sourire le plus flatteur en réponse à cette
surveillance continue.
Lorsque Lasch analyse la culture américaine, il la définit comme une « culture de la
célébrité », inondée « d’admirateurs fanatiques ». Les moyens de communication de masse
en seraient les principaux responsables. « Ils donnent pâture aux rêves narcissiques de
gloire et de renommée, encouragent l’homme de la rue à s’identifier aux gens célèbres, à
haïr le « troupeau » et lui rendent ainsi difficilement tolérable la banalité de l’existence
quotidienne »27. Ce besoin d’admiration constant s’avère pourtant précaire et dénué de
véritables sentiments. Il serait un moyen pour le citoyen d’échapper aux injustices du monde
qui l’entourent et d’apaiser « sa conscience troublée »28.
26 LASCH, Christopher. 2006 : p.32 27 Ibid 26 : p.51 28 ibid 26, p.55
20
L’industrie de la publicité, quant à elle, vend du rêve aux citoyens et aux adolescents par le
biais d’aventures merveilleuses et imaginaires. Elle encourage la population à s’approprier
des désirs créés de toute pièce, et à les satisfaire en se concentrant sur leur propre
personne. Nous vivons entourés de miroirs où « nous cherchons à nous rassurer sur notre
pouvoir de captiver ou d’impressionner les autres, tout en demeurant anxieusement à l’affût
d’imperfections qui pourraient nuire à l’apparence que nous voulons donner. »29 L’industrie
de la publicité favorise intentionnellement ce souci des apparences.
La médecine d’aujourd’hui a, quant à elle, créé de nouvelles formes d’insécurité. L’individu
s’inspecte continuellement de peur de voir des signes de vieillissement, de mauvaise santé,
de symptômes ou d’imperfections capables de réduire son pouvoir de séduction.
L’industrie de la consommation, elle aussi, exacerbe de nouvelles formes de mal-être, tels
que l’insécurité personnelle, l’anxiété des parents vis-à-vis des besoins de leurs enfants, la
préoccupation grandissante quant à la place de chaque individu dans la société. Ces
nouvelles formes de mal-être sont la conséquence directe de la société capitaliste moderne
et de cette « culture du narcissisme ».
Cette société provoque et renforce les traits narcissiques des individus. Via l’industrie de la
publicité, les individus font face chaque jour au narcissisme imagé de manière très
valorisante et séduisante. Cette société narcissique « vénère la célébrité plus que la
renommée »30 et valorise la notion de spectacle. Aujourd’hui, les individus cherchent à se
faire reconnaître non plus pour leurs actions mais pour leurs attributs personnels. Ils
valorisent davantage le fait d’être admirés plutôt que d’être estimés et souhaitent se
retrouver sous le feu de la rampe. « Ils veulent être enviés plutôt que respectés. »31. Ceux
ayant attiré l’attention sur eux et devenus célèbres, sont acclamés par les grands médias.
Mais cette célébrité reste incertaine. « Ceux qui ont gagné l’attention du public ne cessent de
craindre de la perdre ».32
Comme Lasch l’évoque dans son livre, le Narcisse que l’on connaît est « peu capable de
sublimation ». En effet, il est dépendant de ses pairs et il compte sur eux pour lui infuser en
permanence admiration et approbation. Il lui est nécessaire de s’attacher à quelqu’un lui
renvoyant l’image de lui qu’il attend. Néanmoins, c’est une personne ayant peur de devenir
dépendant affectivement, c’est pourquoi il manipule et exploite à son profit les relations
personnelles, rendant ainsi ses relations avec autrui superficielles et non satisfaisantes.
29 Ibid 26, p.129 30 Ibid 26, p.123 31 Ibid 26, p.94 32 Ibid 26, p.95
21
Richard Sennett, dans « Les tyrannies de l’intimité »33 insiste cependant pour dire que « le
narcissisme est tout l’opposé d’un amour de soi vigoureux »34. Il rappelle que le narcissisme
est plus proche de la haine que de l’admiration de soi.
Le narcissisme semble être alors une « manière d’endurer les tensions et anxiétés de la vie
moderne. » 35 Les conditions sociales exacerbent les traits narcissiques, présents, à
différents degrés, en chaque individu. Par ailleurs, cela a un impact direct sur la famille, qui
« modèle différemment la structure de base de la personnalité de l’enfant. »36
Les parents modernes font tout pour que leurs enfants se sentent aimés et voulus. Nous
sommes dans l’ère de « l’enfant-roi ». Cependant, ce désir est mis à mal par une froideur
prégnante et un éloignement des parents vis-à-vis de leurs enfants. En effet, cette
génération de parents a peu à transmettre à la future génération et a décidé de vivre dans
l’instant présent, vivre pour soi-même et non pour ses ancêtres ou sa descendance. Ils ont
pour but premier de s’accomplir eux-mêmes.
Ce détachement affectif et ce comportement à la fois contradictoire destiné à persuader
l’enfant de sa position privilégiée au sein de la famille, constituent un endroit idéal pour la
naissance de la structure narcissique de la personnalité. « En le traitant comme une
« possession exclusive », cette mère narcissique incite l’enfant à concevoir un sens exagéré
de sa propre importance ». 37 C’est ainsi qu’à l’âge de l’adolescence, ces enfants qui
représentent aujourd’hui les générations Y et Z sont connectés en permanence et
reproduisent les convictions que leur mère leur a inculquées, en s’appropriant les
plateformes de réseaux sociaux pour en faire un outil d’acquisition de la notoriété et ainsi
prouver leur importance au monde dans une certaine mesure.
De plus, selon Serge Tisseron, « le désir de se montrer est fondamental chez l'être humain
et il est antérieur à celui d'avoir une intimité. Il contribue en effet au sentiment d'exister dès
les premiers mois de la vie. Cette particularité trouve son origine dans le fait que l'enfant se
découvre dans le visage de sa mère. La présentation de soi est toute la vie une façon de
guetter dans le regard d'autrui – et, au sens large, dans ses réactions – une confirmation de
soi. »38
33 SENNETT, Richard, 1979. 34 Ibid 26, p.57 35 Ibid 26, p.83 36 Ibid 33 37 Ibid 26, p.218 38 TISSERON, Serge, 2011 : p.83-91
22
Ainsi, ce désir dʼextimité39 coïncide avec une prise de risques dans le sens ou lʼon désir se
rencontrer soi-même à travers lʼautre. Lʼexposition de bien matériels ayant une valeur
financière ne fait pas partie de ce désir dʼextimité, qui relève davantage du dévoilement des
parties de soi jusque-là gardées secrètes et sur la reconnaissance de leur originalité. Serge
Tisseron précise que « lʼon a besoin d'intimité pour construire les fondations de l'estime de
soi, mais la construction complète de celle-ci passe ensuite par le désir d'extimité. » Ainsi,
« la satisfaction du désir d'extimité suppose que le désir d'intimité soit satisfait ».
Ces explications à la fois sociologiques et anthropologiques peuvent en partie expliquer le
phénomène que je vais analyser, cʼest-à-dire le phénomène des selfies et la publication de
très nombreuses photos par les adolescents sur leurs réseaux sociaux favoris.
1) Une publication démesurée de photos et l’apparition d’un nouveau phénomène : les selfies
Ce phénomène des selfies et de publications de nombreuses photos s’explique notamment
par une démocratisation de la photographie ces dernières années. En effet le
développement technologique dans le domaine photographique a fortement contribué à un
accès facilité à des appareils photo toujours moins chers. De plus, l’intégration systématique
d’une caméra aux téléphones portables et la démocratisation des Smartphones ont d’autant
plus bénéficié de cet essor. De nombreux amateurs utilisent désormais des appareils photo
sophistiqués de type reflex ou manient toutes sortes d’effets rendus faciles d’utilisation. Cette
capacité de se prendre en photo rapidement et de pouvoir effacer et/ou partager les photos
avec les proches a considérablement bouleversé les règles du jeu de la photographie en
général. Les adolescents, utilisateurs aguerris des nouvelles technologies, se sont ainsi
appropriés ces outils pour en faire un mode d’expression individuel et construire leur
personnalité, voire atteindre la notoriété.
Lors de mon enquête réalisée auprès de collégiens et lycéens, j’ai constaté que ce avec quoi
les adolescents interagissaient le plus sur les réseaux sociaux étaient les photos des amis et
d’eux-mêmes, y compris les photos de soirées. Cela se vérifie à la fois pour les filles et les
garçons de collèges et lycées, avec néanmoins légèrement plus de filles. Il en était de même
pour les adolescents interrogés en individuel mais avec un accent mis notamment sur les
photos de profil et également les statuts (sur Facebook principalement). Lorsque l’on aborde
des photos ou vidéos humoristiques (du type VINE), nous obtenons une large majorité de
39 Après Lacan, l’extimité, par opposition à l’intimité, est, tel qu'il a été défini par le psychiatre Serge Tisseron, le désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque là considérés comme relevant de l'intimité. Il est constitutif de la personne humaine et nécessaire à son développement psychique - notamment à une bonne image de soi. En cela, l'extimité doit être distinguée de l'exhibitionnisme qui est pathologique et répétitif, inscrit dans un rituel morbide.
23
garçons. Cela confirme que nous sommes dans une société de l’image où la représentation
de soi est importante. Cela est davantage poussé chez les filles qui peuvent être amenées à
subir plus de pression via la publicité, les magazines de modes envahis de mannequins aux
mensurations parfaites, etc. Les garçons, eux, sont davantage dans un état d’esprit plus
libéré vis-à-vis de cette pression publicitaire et recherchent du contenu divertissant via les
réseaux sociaux. Cependant, les adolescents, même s’ils « likent », commentent et
partagent majoritairement des photos, ne se limitent pas à cela et interagissent également
avec des contenus en lien avec leurs centres d’intérêts, comme leurs sports, artistes,
musiques préférés et éventuellement des articles, mais cela reste plutôt rare à leur âge.
Lorsque j’ai cherché à approfondir ce point avec eux et savoir pourquoi ils « likent », ils
commentent telle ou telle chose, j’ai obtenu des éléments de réponses très intéressants,
notamment lors des entretiens individuels. En effet, étant plus libres de répondre sans peur
d’être jugés, la conduite d’un entretien individuel était davantage propice à l’obtention d’une
réponse « sincère », en tout cas qui n’est assujettie au regard immédiat de l’autre.
Dans un premier temps, il semble y avoir corrélation entre la décision de mettre un « like » et
le lien affectif vis-à-vis de la personne. Si ce sont de « bons amis », les adolescents auront
tendance à « liker » systématiquement leurs photos (de profil ou d’album) sans vraiment
porter attention à l’esthétique de la photo. Pour l’un des adolescents interrogés, en classe de
3ème, « c’est automatique ! ». Et le commentaire intervient lorsque l’esthétique de la photo
entre en jeu.
Il s’agit aussi pour eux de montrer à la fois un signe d’affection, mais également un signe
d’approbation. De montrer à leurs amis qu’ils ont vu ce qu’ils ont posté, ou vu ce qui leur
arrive. S’il s’agit à la fois de leurs amis proches ou connaissances, il suffit que la photo soit
esthétique, que la personne y soit jolie ou bien que le contenu soit divertissant ou « cool »
pour que cela génère un « like » ou un commentaire. Il peut aussi s’agir de donner son avis
sur quelque chose qui a interpellé ou encore dans le cadre de moqueries afin de taquiner
gentiment leurs amis. Cette dernière caractéristique concerne davantage les lycéens. Il faut
cependant savoir qu’ils ne dépassent pas certaines limites en général et ont conscience de
ces limites à ne pas franchir pour ne pas vexer leurs amis. Cependant, certains adolescents
ne respectent pas toujours ces règles informelles et c’est comme cela qu’une amitié dérape
parfois.
Lorsqu’il leur a été demandé ce qu’eux-mêmes postaient, j’ai été assez surprise de constater
que finalement la majorité ne postait pas énormément de publications, que ce soit pour les
adolescents en entretiens individuels ou en entretiens de groupe. Ceux étant les plus actifs
quant aux publications sur leur « mur », sont les adolescents en fin de collège (4ème, 3ème) et
début de lycée (Seconde, Première). Ces publications sont majoritairement des photos avec
24
des amis ou des photos de profil. Il en est de même lorsqu’ils interagissent avec leurs amis ;
c’est-à-dire qu’ils postent des photos sur le profil de ceux-ci. Concernant la publication de
statuts, cela est beaucoup moins fréquemment et semble être davantage le fait de jeunes
filles âgées de 13 à 15 ans. Ces statuts sont pour la plupart des récits de la vie quotidienne
ou liés à leurs centres d’intérêts. Ils peuvent également être en rapport à des événements
spéciaux, à des souvenirs, des citations ou « dédicaces » aux personnes proches ou bien
des publications plus intimes, des peines de cœur pour certains. Les réseaux sociaux
peuvent ainsi se transformer en véritable journal intime pour certains, mais cela reste rare et
ce n’était pas vraiment le cas pour les adolescents interrogés mais plus pour certains de
leurs amis ou connaissances.
Mis à part les publications sur les profils, un élément très important pour gérer sa notoriété
sur les réseaux sociaux est la photo de profil. Il a ainsi été demandé aux adolescents s’ils la
considéraient comme importante. Il se trouve qu’une grande majorité d’entre eux considèrent
leur photo de profil comme ayant de l’importance, comme l’exprime une jeune fille de 15 ans,
en classe de Seconde « la photo de profil c’est assez important, on va pas mettre une photo
de merde ». Pour eux, même lorsqu’ils ne recherchent pas la popularité, il est toujours
préférable d’avoir une photo de profil d’eux-mêmes et ce pour plusieurs raisons.
La première raison est de définir leur profil en y associant un visage afin de bien représenter
la personne. Il s’agit de publier une photo qui les caractérise le mieux ou bien qui montre
également leurs centres d’intérêt. Une deuxième raison est pour le côté pratique, afin que les
internautes qui les recherchent en amis puissent les reconnaître et les ajouter. Cela permet
donc de retrouver des connaissances et ainsi entrer dans une démarche
d’approfondissement de la relation. Une troisième raison est de montrer comment la
personne a évolué dans le temps. Une quatrième raison est de publier la photo les mettant le
plus à leur avantage car c’est le premier élément que l’on voit d’un profil. Une adolescente
de 18 ans en classe de première précise « tu choisis la plus belle ». La manière dont elle a
précisé cela était destinée à montrer qu’elle est consciente de la stupidité de la chose mais
que tous les adolescents le font quand même. D’ailleurs, un autre interviewé a évoqué le fait
qu’il mettait une photo, belle si possible, parce que tout le monde le faisait, tout en cherchant
à se justifier. Ces réactions verbales et non verbales montrent bien l’influence du groupe
dans leurs comportements. Même lorsqu’ils accordent peu d’importance à la popularité, les
adolescents font tout de même attention à définir une belle photo de profil ou du moins
convenable. Ce sont, en règle générale, de belles photos d’eux-mêmes ou bien d’eux avec
leurs amis ou leur famille. Il peut aussi s’agir de photos drôles car pour certains d’entre eux
« il ne faut pas se prendre au sérieux sur les photos ».
25
En ce qui concerne la fréquence de changement de photo de profil, les élèves de Première
et Terminale sont tous d'accord pour dire que leur photo de profil est importante, et qu'elle
doit être belle et représenter leur caractère ou leur centre d'intérêt. Cependant, ils la
changent assez peu (environ tous les 2 à 4 mois), si l'on compare à la période où ils étaient
au collège ou en début de lycée (3 ans avant environ). Ils admettent qu'avant ils la
changeaient très régulièrement. Les filles se reconnaissent davantage dans ce constat.
Lorsque les garçons changent souvent de photos de profil, ils publient davantage des photos
drôles. Certains garçons cependant se préoccupent beaucoup de leur image sur les réseaux
sociaux et changent assez souvent pour une photo de profil où ils sont à leur avantage.
Lorsque l’on interroge les garçons, ils tombent tous d'accord pour dire que les filles changent
très régulièrement leurs photos de profil par rapport à eux. Ils estiment qu'elles changent
« toutes les semaines ». J'ai pu constater que les garçons ont tendance à surestimer la
fréquence de changement de photos de profil des filles et que les concernées elles-mêmes,
ont tendance à sous-estimer cette tendance. J'ai remarqué cela en allant voir sur leurs profils
directement et en comparant avec ce qu'elles avaient déclaré. Par ailleurs, elles sont
d'accord avec les garçons pour dire qu'elles changent plus souvent qu'eux. Les filles se
serviraient ainsi davantage de leur photo de profil comme moyen d’accéder à la notoriété,
lorsque cette photo est très contrôlée et changée régulièrement.
A l’heure où l’on parle de narcissisme notamment exacerbé avec le phénomène des selfies,
j’ai pu constater à travers mes entretiens que le narcissisme n’est pas une règle absolue. Il
semblerait en effet que les adolescents se défendent même d’être narcissiques. Parmi ceux
interrogés, aucun ne me semblait trop se montrer sur les réseaux sociaux ou via leurs
discours dans les statuts. L’image et notamment le selfie, ne sont qu’un moyen de
contextualiser leur vie via les réseaux sociaux, sans pour autant en abuser. Lors de mes
entretiens, chacun des adolescents connaissait au moins deux ou trois personnes parmi
leurs amis Facebook s’illustrant énormément sur les réseaux via de nombreuses photos et
statuts pouvant rendre compte d’une forme de narcissisme par laquelle ils peuvent soit
chercher la notoriété soit chercher à se libérer. Cependant cela est loin de concerner une
majorité de personnes.
Ce narcissisme, malgré tout bien présent même si peu avoué, sʼexprime plus facilement sur
des réseaux sociaux aux caractéristiques propices à un étalage de la vie privée. Lʼhypothèse
suivante fera ainsi le point sur les caractéristiques propres aux réseaux sociaux et tout ce
que cela induit en terme de notoriété.
26
B. La caractéristique des réseaux sociaux concourt à l’acquisition de la notoriété
Les réseaux sociaux ayant envahi notre monde fonctionnent sur un principe très simple afin
d’être abordables par le plus grand nombre. La plupart du temps l’inscription y est gratuite et
ne nécessite qu’une adresse courriel valide et un ordinateur permettant d’accéder au réseau
Internet. Cela permet ainsi l’accès au plus grand nombre, sans réelle restriction. Il est ainsi
très facile pour les adolescents non en âge (en dessous de 13 ans pour Facebook par
exemple) de contourner les règles du site et de s’inscrire à l’abri du regard de leurs parents.
Cela est encore plus vrai dans les familles offrant à leurs enfants un libre accès à leurs outils
numériques que ce soit volontairement ou bien par la configuration des pièces de la maison.
Les réseaux sociaux ont la particularité d’offrir à leurs utilisateurs une « mise en connexion
de tous et avec tous à distance et dans l’immédiateté/ instantanéité communicationnelle. »40
Mais ils sont bien plus que cela encore. Afin de les distinguer des « médias sociaux »
traditionnels, je vais m’appuyer sur le recueil d’articles issu de l’ouvrage « Ces réseaux
numériques dits sociaux ». En effet, la plupart des sites regroupés sous l’appellation
« médias sociaux » rassemblent des activités guidées par un intérêt particulier ; un
regroupement autour de passions ou de pratiques communes, une utilisation professionnelle
(veille, réseautage, etc), la création ou le partage de contenu (vidéos, photos, connaissances
particulières), ou encore rencontre amoureuse. Les réseaux « socionumériques » eux
reposent sur des activités guidées par la sociabilité, « l’amitié ». Les individus ne se
retrouvent pas seulement autour de thématiques précises mais davantage dans le but de se
retrouver simplement, de prendre des nouvelles et prolonger le « cadre réel » de l’amitié
dans la vie virtuelle en « trainant » ensemble virtuellement au sein d’un cercle élargi de
connaissances. On y retrouve ainsi une grande diversité d’activités qui seront détaillées tout
au long de ce mémoire grâce aux résultats obtenus suite aux entretiens. Finalement, « les
réseaux socionumériques offrent une large palette d’activités où l’on distingue dans les
manières de se l’approprier des éléments relevant du besoin de reconnaissance, de la
stratégie de promotion personnelle (professionnelle ou non) et même du besoin de pallier à
un certain isolement. »41
Serge Tisseron qualifie ce besoin de désir d’ « extimité ». Sur Internet, la particularité de ce
désir d’extimitié est de pouvoir s’adresser à une multitude d’individus. « Selon la théorie de la
« facilitation sociale», la présence – réelle ou imaginée – d'un public influence le processus
d'auto-présentation de soi dans le sens d'une conformité à ce qui est attendu. »42 Ainsi, sur
les réseaux sociaux, bien que la présence du public soit réelle, elle peut être ignorée à tout 40 BOREL, Simon, 2012 : p.257-266 41 TENGER, Thomas et COUTANT, Alexandre, 2011, p.1-9 42 TISSERON, Serge, 2011 : p.83-91
27
moment. Cela peut présenter un risque au niveau de la présentation publique de lʼindividu
sur les réseaux sociaux et conduire à des excès. Par ailleurs, les adolescents ayant
tendance à vouloir se rendre visible à tout prix, peuvent être amenés à avoir des propos
excessifs afin dʼobtenir le maximum de « likes » et de clics, « comme sur le modèle du
système Google, où les informations qui arrivent en premier sont censées être celles qui
sont le plus consultées, processus que nous avons appelé « googleïsation de l'estime de
soi. »43
1) La mise en scène de la plateforme constitue un outil en faveur de la notoriété
C'est notamment à l'idée d'autorité, alimentée par la culture académique de reconnaissance
par les pairs, que les pionniers du Web ont confié le soin de produire les principales
hiérarchies de l'information sur Internet. Ainsi, il sera démontré dans cette sous-partie que la
mise en scène de la plateforme participe à cet accès à la notoriété chez les individus.
« Le droit de participer à l'évaluation des énoncés du Web, notamment à travers des
artefacts aussi simplifiés que le bouton « I like » de Facebook ou le « +1 » de Google, a été
ouvert à des internautes qui n'avaient pas le temps, les motivations professionnelles ou les
compétences culturelles pour publier sur la toile dans les formats requis par la longue
tradition du texte, dont l'Internet des pionniers, à quelques variations près, était l'héritier.
Cette transformation des services et du design des sites est guidée par l'évolution des
rapports de force sociaux et culturels entre ses différents publics. » 44 Cependant, cet
élargissement du Web à des publics plus jeunes, davantage dispersés géographiquement et
plus « populaires » s'est aussi traduit par une baisse de la contrainte de distanciation que
l'espace public traditionnel impose à la prise de parole des individus. En effet, il n’est plus
imposé aux individus d’adopter une attitude d’autocontrôle et de détachement qui caractérise
la prise de parole habituelle dans les médias. « La disparition du filtre des gatekeepers que
sont les journalistes et les éditeurs libère les subjectivités et rend possible des expressions
plus spontanées, émotionnelles, personnelles, vindicatives ou créatives. C'est dès lors une
nouvelle manière de construire la réputation qui se fait jour en s'appuyant moins sur le mérite
que sur la quête de visibilité. »45. L’ouverture au public que la plateforme permet, contribue
fortement à la possibilité d’acquisition d’une notoriété par tout individu.
Par ailleurs, le fait « que Facebook ait choisit « like » plutôt que, par exemple, « Important »,
écrit Eli Pariser, est une petite décision dans le design du site qui a des conséquences
43 Ibid 42 44 CARDON, Dominique, 2013 : p.173-186 45 ibid 44
28
lointaines bien plus importantes. Alors que le PageRank mesure les liens entre les
documents, le EdgeRank classe les documents en fonction des jugements subjectifs que
s'échangent des personnes liées par une relation d'affinité. En assouplissant les contraintes
pesant sur la parole publique, les réseaux sociaux de l'Internet ont élargi les droits des
internautes à participer au classement des documents. Une nouvelle forme de
hiérarchisation de l'information est ainsi ouverte à un public étendu. Au lieu de détacher la
personne du texte, l'énonciation conversationnelle des réseaux sociaux attache intimement
le texte aux personnes pour en faire un signal identitaire que les individus projettent vers leur
sociabilité. En citant les informations dans leurs conversations, en les moquant, les honorant,
les mettant en circulation, les pratiquants des réseaux sociaux dessinent un nouveau graphe
permettant la mise en ordre des documents. Celui-ci n'est plus constitué par les citations que
les textes s'échangent entre eux, mais par les signaux identitaires que s'adressent les
personnes en projetant leur subjectivité sur les informations qu'elles commentent. »46
Les différents liens que chaque utilisateur a tissé avec ses « contacts », ses « amis », ou ses
« followers » résultent d’un classement de l’information sur les réseaux sociaux. De ce fait, la
proximité des liens créés avec d'autres émetteurs, et surtout d'autres relayeurs, contribue à
ordonner les informations qui seront par la suite rangées par ordre anté-chronologique dans
les fils de Facebook ou de Twitter par exemple.
« Le EdgeRank, l'algorithme qu'utilise Facebook pour le newsfeed, hiérarchise les
informations en fonction de la proximité relationnelle entre les personnes. Plus deux « amis »
de Facebook auront l'habitude d'interagir en s'échangeant des publications sur leurs murs
respectifs, en se commentant mutuellement ou en se « likant », plus le Edgerank favorisera
la visibilité de leurs publications dans le newsfeed de l'autre. »
Ainsi la quête de notoriété par les internautes peut se faire de manière simple grâce au
design spécifique du site et aux algorithme créés. Il faut savoir que la réputation de
l’énonciateur ne dépend pas de ses énoncés, mais de sa personnalité dans le réseau. « De
nombreux travaux portant sur la circulation des liens commentés sur les plateformes de
réseaux sociaux mettent en évidence l'importance décisive du signalement de la
personnalité de l'énonciateur dans la vitesse de circulation des liens. Sur Twitter comme sur
Facebook, la diffusion d'un lien commenté a beaucoup plus de chance d'être relayé qu'un
lien non commenté. Un tweet signé du nom d'un journaliste aura un nombre de retweets six
fois plus important que les tweets signés de la rédaction du journaliste. »47
La personnalité virtuelle des individus, la manière de maquiller leur identité sans jamais trop
sʼen éloigner, est au cœur des nouvelles techniques de mise en scène de soi assurant le
succès et la réputation des individus sur les réseaux sociaux. Par conséquent, la 46 ibid 44 47 ibid 44
29
distanciation se joue au sein même de lʼidentité des énonciateurs et non plus dans
lʼénonciation seulement, à travers le détachement de la figure de lʼauteur. Lʼinternaute, en se
mettant en scène, en publiant des statuts, des photos, en exposant sa vie quotidienne, ses
amis ainsi que la popularité de ses publications à travers lʼaspect toujours plus quantitatifs de
ses « likes » et de ses commentaires, ajoute de nombreux signaux à la construction virtuelle
de sa personnalité. LʼInternet et les réseaux sociaux encouragent aujourdʼhui le modèle
dʼacteur, cʼest-à-dire lʼénonciateur qui est à la fois le personnage et le récitant de sa propre
vie. Les récits de sa propre vie feraient valoir son degré de réputation sur les réseaux
sociaux. Cela participe ainsi de lʼacquisition dʼune certaine notoriété chez les adolescents.
Par ailleurs, ce qui prime dans ces récits de soi passe à la fois par lʼimage mais également
par lʼautobiographie. Les sites de réseau social comme Facebook utilisent ces deux moyens
centrés uniquement sur la personne utilisatrice. La plateforme incite lʼutilisateur à publier une
photographie de soi-même afin dʼêtre identifié ou identifiable par ses connaissances. De
plus, lʼindividu concerné est invité à rédiger sa propre biographie en y inscrivant toutes les
informations quʼil juge pertinentes, en plus de celles suggérées par le site, qui présentent
souvent un caractère personnel. Enfin, le design du site invite lʼinternaute à aller chercher
ses « amis », qui peuvent être très hétérogènes, afin de pouvoir partager avec eux cette
page biographique mais également voir la leur, ou au contraire accepter ou décliner
lʼinvitation dʼun « ami » qui souhaite faire partie de son capital relationnel. Les sites de
réseaux sociaux sont, par conséquent, clairement centrés sur la personne qui devient
publique, et où le concept dʼ« amis » semble se transformer.
Nʼimporte quel profil sur les sites de réseaux sociaux comprend un nombre important
dʼinformations diverses se rapportant toutes à lʼindividu qui le crée. Chaque internaute est
invité à se présenter sous des allures diverses, voire fantasmées, afin de sʼillustrer face aux
autres internautes qui font de même. Les individus dévoilent leur vie quotidienne, leurs
succès, leurs échecs, leurs états dʼâme, sous formes écrites ou bien sous formes imagées,
sur une plateforme à vocation publique. Ainsi, lʼaspect intime de la vie semble se
transformer. Il nʼest plus seulement réservé à un petit nombre de personnes, mais devient à
la place, une intimité partagée.
Ce mode de fonctionnement des réseaux sociaux pourrait sʼapparenter aux techniques de
soi. Ainsi, lʼhypothèse pourrait être faite selon laquelle lʼengouement pour les réseaux
socionumériques ne repose non pas sur leurs incitations logicielles, ni sur leur
réappropriation par une logique sociale, mais bien sur la capacité de leurs logiciels à intégrer
30
dans leur fonctionnement des logiques de sociabilité fortes. Ainsi, « leur succès consiste
dans leur apparente proximité avec des techniques de soi développées depuis des siècles et
dont les individus se révèlent particulièrement avides dans une société réservant une grande
part du travail de construction de soi aux individus (Kaufmann, 2004) »48
Par ailleurs, il faut savoir que chaque réseau social est différent et invite les internautes à
une représentation de soi de manière différente. Certains réseaux sont plus à même de
proposer une expérience plus riche en dévoilement personnel et donc un accès facilité à la
notoriété.
2) Certains réseaux sociaux sont plus propices à l’atteinte de la notoriété que d’autres
Aujourd’hui il existe un grand panel de réseaux sociaux différents, comme nous avons pu le
voir dans l’introduction. Certains sont plus propices que d’autres à l’acquisition de la
notoriété pour les adolescents. Il était ainsi nécessaire de se pencher de plus près sur l’état
des lieux aujourd’hui de l’utilisation des réseaux faite par les adolescents et de savoir si la
tendance se confirme concernant le délaissement de Facebook.
Au cours des entretiens individuels et de groupe, j’ai pu constater que les adolescents en
classe de 6ème et 5ème utilisaient majoritairement Playstore et Skype. Un seul possédait un
compte Facebook et un autre était utilisateur de Skyrock. Avec les réponses apportées, j’ai
ainsi pu remarquer que les adolescents en classe de 6ème n'ont pas vraiment la notion des
« réseaux sociaux », et ne savent pas très bien les identifier. L’élève de 5ème interrogée en
entretien collectif s’était inscrite à Facebook auparavant mais a dû supprimer son compte
sous la pression de ses parents. Cette adolescente vivait en périphérie, contrairement à
l’autre l’adolescente en classe de 5ème vivant en ville et fréquentant un collège en ville. Cette
dernière, interrogée dans le cadre d’un entretien individuel, était, elle, très présente sur de
nombreux réseaux sociaux ; Facebook, Snapchat, Instagram, Twitter et Ask. A cet âge, cela
se justifie à la fois par l’éducation des parents qui décident ou non de laisser leur enfant libre
sur les réseaux sociaux, mais cela peut également avoir un rapport avec le lieu d’habitation.
Il est probablement moins courant pour les enfants vivant en zone péri-urbaine de pouvoir
bénéficier d’activités culturelles et sociales et restent davantage dans le cadre familial. Ainsi,
les adolescents vivant en ville sont plus amenés à partager leurs expériences et activités, et
sont sous l’influence de leurs parents actifs et dynamiques. Les adolescents en classe de 4ème et 3ème eux connaissent bien les réseaux sociaux et
utilisaient majoritairement Facebook, Snapchat, et Skype.
48 COUTANT, Alexandre, 2011 : p.53-57
31
Ci-dessous, un récapitulatif du nombre de collégiens inscrit par réseau social, parmi ceux
interrogés dans le cadre de mon enquête :
Classe / nbr
pers.
interrogées
Facebook Snapchat Insta-
gram
Skype ASK Whatsapp Skyrock Playstore
6ème
(/3 pers.)
1
-
-
1
-
-
1
2
5ème
(/2 pers.)
1 1 1 1 1 - - -
4ème
(/3 pers.)
1 - - 3 1 - - -
3 ème
(/4 pers.)
4 3 - 3 - 1 - -
Total
(/12pers.)
7
4
1
8
2
1
1
2
En classe de Seconde, la majorité des adolescents utilise Facebook, Tumblr, YouTube et
Snapchat et il y en a respectivement trois sur sept sur Snapchat et Instagram deux sur
Twitter. Les sept adolescents interrogés sont inscrits sur Facebook, et ont également cité
YouTube. Seulement deux utilisent Instagram et ce sont des filles de 14 et 15 ans. Un des
garçons y est inscrit mais ne l’utilise jamais. Seulement deux utilisent Twitter, un garçon et
une fille de 15 ans. Trois d'entre eux utilisent Tumblr ; deux filles et un garçon. Un seul utilise
Google+ et c'est un garçon (cf. tableau ci-dessous). D’ailleurs, au moment de l'annonce de
"Google+", les autres ont commencé à rire. De ce constat, se dégage une première influence
liée au groupe. En effet, étant le seul à utiliser ce réseau, qui n'est pas très développé parmi
les jeunes, une sorte de pression s'est exercée sur l’adolescent du fait qu'il était seul dans ce
cas. Il s'est senti gêné mais a défendu l'intérêt de ce réseau social.
Concernant les adolescents en classes de Première et Terminale, la majorité sont sur
Facebook et Snapchat et seulement deux sont sur Instagram et un sur Twitter. Parmi les huit
élèves de Premières et Terminales interrogés, tous sont inscrits sur Facebook. Cependant,
deux filles en Première disent soit ne plus du tout l'utiliser, soit très peu. Seulement deux
élèves de Première utilisent Instagram, ce sont un garçon et une fille de 18 ans, cependant
le garçon affirme peu l'utiliser. Concernant Snapchat, les quatre élèves de Terminale
32
l'utilisent, et trois élèves de Première, deux filles et un garçon. Seulement un garçon de
Terminale, de 17 ans utilise Twitter, mais seulement assez peu.
Ci-dessous, un récapitulatif du nombre de lycéens inscrit par réseau social, parmi ceux
interrogés dans le cadre de mon enquête :
Classe /
nbr pers.
interrogées
Facebook Snapchat ASK Twitter Skype* Instagram Tumblr Google+
Seconde
(/7 pers.)
7 3 1 2 -‐ 3 3 1
Première
(/4 pers.)
4 3 -‐ 1 1 2 -‐ -‐
Terminale
(/4 pers.)
4 4 -‐ 1 -‐ -‐ -‐ -‐
Total
(/15pers.)
15
10
1
4
1
5
3
1
* Attention : Si Skype n’apparaît qu’une seule fois ici, ce n’est pas parce que les adolescents ne l’utilisent pas, mais parce qu’ils n’ont pas pensé à l’associer spontanément à un réseau social lors de la première question et qu’il ne leur a pas toujours été précisé par la suite qu’il pouvait en faire partie.
Pour les adolescents au collège, les réseaux sociaux leur permettent essentiellement de
discuter et rester en contact avec leurs amis proches et leur famille et notamment lorsqu’il y
a une distance géographique. Cela est considéré comme pratique. Les adolescents vivant
en ville ont ajouté qu’ils pouvaient également publier et partager des photos, d’interagir avec
leurs amis via les « likes » et les commentaires. Cela permet également de dire ce qu’ils
pensent et d’être au courant de ce que font leurs amis grâce au fil d’actualité de Facebook
notamment. Nous constatons d’ores et déjà une différence entre les adolescents vivant en
zone péri-urbaine et ceux vivant en ville. Ces derniers, en plus de rester en contact avec
leurs proches, ressentent aussi le besoin de se tenir informés de ce que font leurs amis afin
de ne rien rater des actualités. Les mots clés évoqués par ces adolescents vivant en ville
afin de qualifier les réseaux sociaux sont « sympa », « amusant », « communiquer » et
« partager ». Ils prennent position de manière sereine et positive vis-à-vis des réseaux
sociaux, qu’ils considèrent à la fois comme utiles et divertissants. Les collégiens en entretien
collectif ont, eux, eu davantage de difficulté à associer un mot clé aux réseaux sociaux et
33
après relance, y ont associé les mots « espionnage/intrusion » pour quatre d’entre eux et à
la fois « liberté » pour les mêmes adolescents. La jeune fille en classe de 5ème, interrogée en
entretien individuel et vivant en ville, a aussi évoqué la liberté et le côté intrusif des réseaux
sociaux après relance seulement mais a précisé faire attention à ce qu’elle publiait et donc
ne pas se sentir plus concernée que cela. Les collégiens vivant en zone péri-urbaine
semblent davantage évoquer l’intrusion que ces réseaux peuvent provoquer en parlant du
fait que tout le monde a la possibilité de voir ce qu’ils font. Ils semblent donc avoir
conscience de cette notion de public et sont sûrement très sensibilisés par leurs parents
concernant leurs publications. Ils semblent également être dans une relation dépendante de
leurs parents plus forte que les adolescents vivant en ville. Certains pensent directement à
leurs parents lorsque l’on aborde la question de l’espionnage et semblent commencer à
vouloir se détacher d’eux et à vouloir s’affirmer en les bloquant de leur Facebook par
exemple. Facebook devient alors une sorte de moyen technique et symbolique
d’émancipation
Pour ce qui est des lycéens, lors des entretiens en groupe, ils ont évoqué majoritairement les
notions de publication et de partage et notamment davantage que la possibilité de discuter
(excepté en entretiens individuels), le fait de pouvoir se tenir au courant de l’actualité des
internautes et notamment des « potins », de se montrer et se faire connaître grâce à une
plateforme ouverte au public. Ils semblaient tous avoir conscience de la surexposition
caractéristique des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter. Pour les adolescents en
Première et Terminale, le fait de s'afficher relève de la volonté personnelle. Ils ont l'air d'être
plutôt conscients des risques d'exposition et semblent ne pas trop rentrer dans ce jeu. Ils
indiquent notamment ne pas s’afficher avec des photos intimes contrairement à certains de
leurs contacts.
Ils ont aussi évoqué la praticité et notamment lorsque la notion de distance géographique
intervient. Les réseaux sociaux leur permettent de leur donner la parole et de s’exprimer
librement, de garder une trace, un souvenir mais aussi de pouvoir aller vers les autres plus
facilement. Cela les aide à se désinhiber. Pour certains, cela leur permettrait également
d’élargir leur réseau et de favoriser les amitiés.
Il en est de même pour les adolescents en entretiens individuels, mais, eux, ont ajouté
d’autres éléments comme le fait d’avoir la possibilité d’accéder à des informations liées à
leurs centres d’intérêt, de jouer à des jeux et de regarder des photos et des vidéos.
Les adolescents de Première et Terminale lors de l’entretien en groupe ont évoqué en plus
la notion de divertissement, mais aussi le fait que ces réseaux soient inutiles, dépassés et
perçus comme une source d’inconvénients.
34
Cette notion de « mode dépassée », surtout pour Facebook, est probablement liée à leur
âge et du fait qu'ils se lassent d'un outil qu'ils ont connu dès le début de leur adolescence.
L’on peut ressentir chez eux un besoin d'aller vers de nouveaux outils. La plupart parlent de
Facebook au passé, notamment lors des entretiens en groupe. En effet, les trois adolescents
interrogés en entretien individuel n’ont jamais évoqué de lassitude vis-à-vis de Facebook.
Une adolescente l’explique notamment par le fait que «Facebook c’est plus... tu montres tout
à tout le monde »
Pour un des garçons de Terminale, Snapchat est davantage perçu comme un complément à
un réseau social de discussion où l'on a la possibilité de se rassembler en groupe et parler
facilement.
Des réseaux comme Snapchat, Skype ou Whatsapp sont fondés sur la conversation
personnelle et ne reposent pas sur l’exposition de soi via un « mur » virtuel. Ils offrent ainsi
moins la possibilité de s’exposer au plus grand nombre. Même si Snapchat peut être utilisé
comme outil d’envoi multiple, j’ai constaté lors de mes entretiens qu’il était davantage utilisé
avec des personnes proches que des connaissances seulement. Une fille de 15 ans en
classe de Seconde dit « Snapchat c’est plus individuel ». En effet, étant un outil d’envoi de
photo se dématérialisant automatiquement après quelques secondes, les adolescents
trouvent cela plus amusant de l’utiliser comme outil « dossier ». C’est-à-dire qu’ils envoient
principalement des photos qu’ils n’oseraient pas publier en public, sur Facebook par
exemple. De par cette nature compromettante, ils envoient ces clichés majoritairement à
leurs amis de confiance car il y a toujours le risque que le destinataire prenne un
« screenshot »49 de cette photo dite « dossier ». Ils ne voudraient ainsi pas qu’elle se
retrouve sur Facebook. Cette possibilité de détourner les règles du jeu de cette application la
rende d’autant plus excitante pour les adolescents qu’elle répond en quelque sorte à leur
besoin de contourner les règles et de s’affirmer sans néanmoins prendre autant de risques
qu’ils ne pourraient le faire en affichant une telle photo sur Facebook ou Twitter par exemple.
Cependant certains, trouvant dans Facebook tout ce qu’il faut pour accéder à la notoriété,
continuent de l’utiliser très activement en y publiant des photos. Partant des constats de mon
étude, il semble pourtant que la plupart des adolescents interrogés ne cherchent pas
nécessairement la notoriété et qu’ils se méfient de plus en plus d’outils comme Facebook. Or
dans leur pratiques, ils continuent tout de même d’y être présents, ce qui révèle un discours
paradoxal avec leurs pratiques.
49 « Screenshot » : capture d’écran
35
Ce genre d’outils est particulièrement efficace pour regrouper les individus sur une même
plateforme d’échanges. C’est ce qui va être abordé dans la partie suivante.
C. La tendance des réseaux sociaux à regrouper comme vecteur de notoriété
Les réseaux sociaux ont la particularité de pouvoir regrouper un grand nombre de personnes
parmi des « amis virtuels ». Le mot « ami » prend désormais un tout autre sens. Il réfère à
toutes les personnes côtoyées de loin ou de près tout au long de la vie. Il englobe donc tous
les cercles sociaux auxquels on appartient, en commençant par l’école, le travail, les loisirs
et bien d’autres encore. Il suffit parfois que l’on parle une seule fois à une personne pour que
celle-ci se retrouve dans notre « liste d’amis ». Il est ainsi même question de liste, tant la file
peut être longue. Là encore, comme pour les « likes », c’est une question quantitative.
Il serait cependant illusoire de croire que l’on soit apte à maintenir un contact permanent
avec autant de personnes. Bien que les sites valorisent beaucoup le vocabulaire de la
communauté et de l’amitié, chacun a conscience que cette amitié virtuelle ne correspond pas
de la même manière à une amitié hors ligne. Les profils peuvent être constitués d’une plus
ou moins grande homogénéité en termes de caractéristiques économiques, macro-sociales,
culturelles des contacts.
Cette capacité à regrouper autant de personnes et d’avoir l’opportunité d’être spectateur de
ce que chacun d’entre eux fait de sa vie peut cependant constituer un très bon vecteur de
notoriété, notoriété pouvant être positive ou négative. Quoi qu’il en soit, elle offre la
possibilité aux internautes et notamment ici aux adolescents de « se faire un nom » parmi
leurs pairs.
Cette hypothèse, partant du principe que les réseaux sociaux peuvent constituer un outil
pour l’acquisition de la notoriété, s’est avérée mais seulement pour un nombre restreint de
personnes et la plupart du temps cette notoriété n’est valable que sur les réseaux sociaux et
non dans la vie réelle.
En général, pour les interviewés, le degré de popularité sur Facebook reflète la popularité
dans la vie réelle. C’est-à-dire que si quelqu’un a acquis une notoriété dans la vie réelle,
c’est parce que c’est une personne aimée et sociable, alors elle aura tendance à avoir
beaucoup d'amis, de « likes » ou de commentaires et donc une assez forte notoriété sur ces
réseaux sociaux. En revanche, l'inverse n'est pas toujours corrélé. En effet, certaines
personnes profitent des réseaux sociaux pour essayer de se construire une popularité en
demandant ou acceptant n'importe qui en amis. Ou bien en « likant » les photos de leurs
connaissances pour recevoir des « likes » en échange. C'est un système informel qui
36
fonctionne plutôt bien. Dans ce cas, cela peut devenir une véritable « course à la
popularité ». Mais il ne s’agit pas vraiment d’une notoriété qualitative, c’est-à-dire dans le
sens positif du terme ; quelqu’un aimé par le plus grand nombre. Voici un verbatim d’une
adolescente de 15 ans, en classe de Seconde, pouvant illustrer le début de mon propos « si
t’es populaire et tu mets ce genre de post, avec des pâtes, tout le monde va aimer ton statut,
tout le monde va dire « oh la la » il mange des pâtes alors qu’il y en a, ils mettent « j’mange
des pâtes », ils vont se faire insulter quoi ».
Les adolescents ont également pointé le fait que le phénomène était largement exagéré
avec les réseaux sociaux. Certaines personnes cherchent bien à acquérir à tout prix une
popularité sur les réseaux sociaux, sans l’être dans la vie réelle.
Cependant, lors de mes entretiens, les adolescents sont pratiquement tous tombés d’accord
pour dire que le nombre d’amis n’est pas important pour eux. En effet, ils considèrent tous
qu’il est plus important d’avoir des amis à qui ils ont déjà parlé au moins une fois et qu’ils
apprécient. La grande majorité possède à la fois des amis proches et des connaissances sur
Facebook et sur Instagram par exemple. Seulement deux ont avoué avoir des personnes
qu’ils ne connaissaient pas parmi leurs contacts, mais en général ils les suppriment par la
suite. Pour une des adolescente, étant en 5ème, ce qui est important est d'avoir une « base
solide », de « vrais amis » sur lesquels elle peut compter. Elle tenait un discours d’une
grande maturité à ce sujet et semblait capable de prendre de la distance, ce qui n'était pas le
cas pour les autres 6ème et 5ème rencontrés, qui semblaient davantage pris dans ce jeu
d'influences, sans l'être totalement.
Sur Facebook, les collégiens ont en moyenne entre 50 et 150 amis. La majorité des lycéens,
eux, ont en moyenne entre 300 et 450 amis, voire plus.
Entre les 6ème et 5ème, j'ai pu constater une grande différence en ce qui concerne le
réseau d'amis. En effet, les 6ème qui viennent d'arriver au collège n'ont pas encore pu
étendre leur réseau. Dès la 5ème au contraire, les adolescentes interrogées avaient entre
150 et 300 amis sur Facebook, ce qui a d'ailleurs provoqué la surprise des 6ème et les a
laissé sans voix. Je pouvais également ressentir dans l’entretien en groupe que la personne
en classe de 5ème était gênée et à la fois fière de dire le nombre d'amis qu'elle avait et de
pouvoir se sentir « supérieure » aux « petits sixièmes » en quelque sorte.
Pour les 4ème et 3ème, il se passe un peu le contraire car un des élèves en 3ème semble
gêné en disant qu'il a 150 amis, et se sent obligé de se justifier. Nous pouvons constater que
l'influence du groupe est très importante pour cette question pouvant paraître un peu
« tabou » pour les adolescents, car cela signifie énoncer clairement le nombre d'amis qu'ils
ont dans les réseaux sociaux et de les mettre en situation de réflexion, à savoir si ce ne sont
37
que des amis proches ou également des connaissances. Alors que les plus jeunes
(5ème/4ème) cherchent davantage à se légitimer via un nombre d'amis important, les plus
âgés (3ème) ont déjà un peu plus de recul sur la question. Une élève de 4ème dit « au
moins 150 amis ». Elle utilise ainsi un quantitatif assez explicite sur l'ordre de grandeur
qu'elle préfère donner : un grand nombre plutôt qu'un petit nombre. Ces adolescents en fin
de collège font également une différence entre le nombre d'amis qu'ils ont sur les réseaux
sociaux et le nombre d'amis qui leur sont proches et à qui ils parlent véritablement. En
général le nombre se réduit entre 5 et 30.
Dans l'ensemble, plus les adolescents sont âgés plus ils ont un réseau d'amis élevé sur leurs
réseaux sociaux favoris. En effet, au fur et à mesure des classes d’écoles, leur réseau
personnel s'étend et en général ils ajoutent les personnes de leur classe avec qui ils ont
quelques affinités, voire toute leur classe ou presque. Ce phénomène ralentit quelque peu
quand ils grandissent, et les adolescents deviennent plus sélectifs avec l'âge et la maturité.
Mais ce constat comporte quelques variantes, notamment au niveau des personnes étant
plus sélectives sur le choix de leurs amis virtuels ou ayant fait le choix de ne garder que les
plus proches. Cela dépend également du type de réseau social. Un réseau social comme
Facebook concentrera un plus grand nombre d'amis, alors qu'un réseau comme Snapchat
ou Skype concentrera un plus petit nombre, avec des amis proches principalement. Sur
Snapchat, le nombre d’amis était en moyenne compris entre 15 et 30 amis.
Les réseaux les plus à même de générer un grand nombre d’amis sont ceux favorisant du
contenu pouvant être destiné au plus grand nombre et notamment des plateformes
multifonctions comme Facebook ou des plateformes à potentiel viral, grâce à des images
comme Instagram ou grâce à des tweets comme Twitter. Sur ces réseaux, les adolescents
ont entre 50 et 200 abonnés en moyenne. Pour certains réseaux comme Instagram, le
nombre de followers est plus important que le nombre d’amis sur Facebook, car ils
considèrent comme gratifiant le fait d’être suivi par quelqu’un. C’est une différence de
relation car si l’un a la possibilité de suivre quelqu’un, ce dernier n’est pas obligé de le suivre
en retour. Il n’y a donc pas cet accord mutuel pour dire que chacun est aussi important que
l’autre. Cela crée une espèce de hiérarchie au sein du réseau social.
Certains lycéens ont avoué que lorsqu’ils étaient au collège, c’était la course au nombre
d’amis et qu’ils rajoutaient tout le monde afin d’étendre leur liste. Ils évoquent cela avec plus
ou moins de gêne, car désormais, ils ont pris du recul sur leur passé numérique et réalisent
que ce n’était pas très mature. Un garçon de 15 ans, en clase de Seconde et habitant en
ville, confie « au départ, j’avoue que depuis plusieurs années que j’étais sur Facebook,
j’essayais d’avoir le plus d’amis possible, maintenant j’ajoute même plus des amis, j’attends
que ce soit eux qui m’invitent ».
38
Le nombre d’amis n’est donc pas si important qu’on pourrait le croire pour les adolescents.
Et plus ils vieillissent, moins cela est le cas, car ils recherchent de la stabilité dans leurs
relations amicales. Les cas de personnes ayant plus de 600 amis et recherchant la
popularité à tout prix existent bien, mais sont tout de même proportionnellement peu
nombreux.
Si le nombre d’amis n’est pas si important pour les adolescents « classiques », qu’en est-il
alors de l’acquisition de la notoriété via des groupes et communautés ?
Rappelons que Facebook, qui est autant une technique qu’un fait social, sans que l’un
détermine l’autre, consiste en la combinaison d’un trombinoscope classique (afin de
rechercher des connaissances, amis, collègues via des noms et des photos), du profilage en
ligne (la manière dont on construit et présente son profil) et d’un réseau social interactif entre
individus ayant déjà un lien préalable (que ce soit des amis proches ou de simples
connaissances). Chaque individu a ainsi la possibilité de gérer son capital relationnel via les
réseaux sociaux. Même si, selon les sociologues50, un profil individuel ne peut être le lieu de
reconstitution de systèmes de niches sociales, chaque individu se positionne de manière
visible sur un ensemble de cercles sociaux ou de contextes organisationnels. La taille de ces
cercles relationnels dépend de chaque individu, de la dynamique du groupe dans lequel il est
positionné et des comportements et attributs de ses contacts.
Les individus jouent avec leurs cercles sociaux, leurs groupes d’appartenance et de
références, pratiquent des comparaisons sociales et culturelles et peuvent ainsi découvrir et
évaluer à tout instant leur capital relationnel personnel. Les jeux de statuts donnent un sens
à ce travail de construction et de gestion des profils sur les réseaux sociaux. Cette gestion
correspond à une manière d’examiner et de comparer son statut social à chaque acceptation
d’un nouvel ami ou dans un groupe, une communauté. L’option « like » sur Facebook, quant
à elle, permet à ses membres d’afficher et de multiplier les appartenances à des groupes de
discussions, de fans ou bien des marques. « Ces identités souples en réseau remplacent et
rompent avec les identités collectives en permettant des affiliations sans engagements
stables, durables et prenantes.”51
Les réseaux sociaux, avec la possibilité de créer des groupes et des communautés, peuvent
inciter certains adolescents à y adhérer dans un but précis. Contrairement à mon hypothèse
de départ, les groupes ne servent que très peu à l’acquisition de la notoriété. Même si cette
50 LAZEGA, Emmanuel et PENALVA ICHER, Elise 51 BOREL, Simon, 2012 : p.257-266
39
acquisition ne peut se faire que via l’approbation et la reconnaissance au sein de groupes
sociaux, les communautés créées sur les réseaux sociaux servent davantage des buts
pratiques ou liés aux centres d’intérêts et ne sont pas ou peu utilisés comme outils
d’acquisition de la notoriété. Les interviewés appartiennent pratiquement tous à des groupes,
à l’exception des 6ème pour qui leur réseau n’est pas assez étendu et qui ne sont pas
vraiment sur les réseaux sociaux. Les autres ont tous entre un et trois groupes. Ce sont des
groupes de classes et/ou d’établissement scolaire pour le côté pratique. Ces groupes leur
servent à rester informés de l’actualité du collège/lycée ou de leur classe et notamment des
devoirs à faire ou bien des informations par rapport aux examens. Les autres groupes sont
des groupes de sport et loisirs pour le côté divertissant et pratique, des groupes d’amis avec
la publication de photos dossiers, de conversations privées en groupe, d’évènements, et des
groupes de famille pour rester en contact.
Ainsi, l’appartenance à des groupes par les adolescents répond davantage à un objet
pratique et divertissant. L ‘aspect divertissant se retrouve comme but recherché concernant
d’autres fonctions présentes sur les réseaux sociaux, comme le nombre de «likes», de
commentaires ou le nombre de vues. Cependant, ces fonctions ne répondent pas seulement
à un but divertissant mais peuvent également servir comme outils d’acquisition de la
notoriété.
D. Des indicateurs destinés à s’évaluer : likes, commentaires,
nombre de vues comme accès à la notoriété En effet, sur les réseaux sociaux, il existe un grand nombre d’indicateurs destinés à
s’évaluer et se comparer les uns les autres. Les « fils d’actualités », tels que la Newsfeed
pour Facebook ou la Timeline sur Twitter et un ensemble de compteurs dénombrent,
classent et ordonnent le nombre de « vues », de commentaires ou permettent d’évaluer les
internautes. Les internautes ont ainsi à disposition des formats d’énonciation brefs,
immédiats et simples qui se rapprochent de la forme oralisée des discours afin de mieux
capter et fédérer les différentes cibles des réseaux sociaux. Les adolescents s’y retrouvent
particulièrement bien dans une étape de leur vie où ils sont en quête d’identité. Ils utilisent
les réseaux sociaux pour des raisons pratiques et divertissantes mais parce
qu’inconsciemment, cela leur permet également de se sentir importants. En effet, lorsque les
adolescents publient une photo ou un statut, c’est toujours dans le but d’attirer l’attention
d’au moins une personne et dans l’espoir d’avoir un retour. Selon Danah Boyd, dans son
ouvrage intitulé « It’s complicated : the social lives of networked teens », « les « j’aime », les
retweets et toutes les interactions générées par ce qu’ils postent en ligne sont perçues
comme des marques d’attention qui leur font du bien. Et il ne faut pas donner plus
40
d’importance à un « j’aime » qu’un hochement de tête dans une conversation. ».52 Cet attrait
pour le nombre de « j’aime » et d’interactions en tout genre peut se transformer en véritable
course à la popularité où certains jeunes se construisent des profils visibles de tous,
générant un grand nombre de « j’aime » ou de « retweets » afin d’être reconnus par leurs
amis proches mais également connaissances et personnes inconnues.
Lors des entretiens individuels, les adolescents minimisaient tous l'importance accordée au
nombre de « likes » mais ont évoqué le fait que cela était tout de même important pour eux.
Ils ne veulent pas que leur publication fasse un « flop » et ainsi se trouver ridicules. Ils
recherchent systématiquement l'attention d'au moins quelques personnes lorsqu'ils publient
sur leur mur. Dans le cas contraire, ils ne publieraient rien.
Ces retours via les « likes » et commentaires peuvent leur permettre de comparer leurs
photos entre elles afin de savoir lesquelles ont été le plus appréciées et lesquelles ont eu le
plus de succès.
J’ai pu constater quelques différences entre garçons et filles. En effet, les garçons ont plus
tendance à se taquiner et se rabaisser gentiment entre eux. C'est une sorte de jeu pour eux.
Contrairement aux filles qui ont davantage tendance à se faire des éloges entre elles.
Certains lycéens ne prêtent désormais plus attention au nombre d'amis qu'ils ont, alors
qu'auparavant ils y accordaient de l'importance. Cependant, le nombre de « likes » ou de
« commentaires » reste un élément important pour eux. Comme le dit un garçon de 14 ans
en classe de Seconde « et ça fait plaisir aussi si on a plein de « j’aime » ». Cependant, la
qualité prime désormais sur la quantité ; « c’est la qualité pas la quantité », dit une
adolescente de 18 ans en classe de Première. Ils préfèrent avoir des amis qu'ils apprécient,
« likant » ou commentant leurs publications plutôt que plein de « likes » et de commentaires
de « connaissances » à qui ils accordent peu d'importance. Ils ont acquis de la maturité et du
recul par rapport au collège où ils considéraient cela comme très important.
Lorsque l’on demande à ces adolescents en quoi est-ce important pour eux d’obtenir des
« likes » et des commentaires, les adolescents recherchent à avoir l’avis des autres et
notamment de recevoir des avis positifs. "Bah des commentaires positifs ça motive, mais
des commentaires négatifs ça ne motive pas", confie une fille de 18 ans.
A partir de la 5ème, les adolescents sont déjà dans cette démarche de comparaison. Il est
important pour eux de recevoir un avis de leurs pairs, comme le dit une fille de 12 ans en
classe de 5ème, c’est « pour savoir ce que les autres pensent de nous ». Il s’agit également
d’être perçu autrement par ses camarades (plus jolie, dans un autre contexte, etc). Une
élève de 5ème de 13 ans confie « me dire qu’il y a plus de gens qui me voient ... peut-être 52 LECHENET Alexandre, et SZADKOWSKI Michaël, 2014. Disponible sur <LeMonde.fr>
41
plus jolie du coup ». Ce baromètre des « likes » et des commentaires est également un
moyen de se prouver à eux-mêmes et aux autres qu’ils existent, obtenir la reconnaissance
de leurs pairs et également leur approbation. L’un d’entre eux, un garçon de 16 ans, avoue
lors d’un entretien individuel que ce serait pour être apprécié et devenir populaire. Pour cette
question, particulièrement, le mot « populaire » n’est pas ressorti lors des entretiens en
groupe, probablement parce que c’est un terme un peu tabou lorsqu’il s’agit de le confronter
à sa propre personne. Les adolescents ne souhaitent pas prendre le risque face aux autres
de se considérer comme populaire ou d’avouer souhaiter l’être. Cela reste plutôt informel.
Ils se servent également de ces indicateurs comme moyen de communication plus personnel
pour confirmer des « délires » et une complicité avec quelqu’un.
On peut alors se demander comment tous ces indicateurs parviennent parfois à « exploser
les compteurs » et amener certains adolescents à la notoriété.
E. La capacité à créer un contenu attrayant comme aide à
l’atteinte de cette notoriété
Il se trouve que ces indicateurs sont souvent liés à la capacité de l’individu à créer un
contenu attrayant sur son profil et le mur d’actualité ou via des vidéos par exemple. En effet,
les réseaux sociaux peuvent être perçus par les adolescents comme l’endroit idéal pour
exprimer leur personnalité ou bien montrer leurs atouts physiques. Le but est de se
différencier des autres en publiant du contenu attrayant afin d’acquérir une certaine
notoriété. Ces publications invitent les autres internautes à réagir. En effet, « sur la Toile,
l’expression et la promotion du moi exigent un public, aussi l’interaction conditionne-t-elle
l’existence de la civilité numérique : tout Internaute est invité à étiqueter (tagging), noter
(rating), référencer ou commenter les productions des autres qui, en retour, réagiront aux
siennes. » 53 Dans l’ouvrage « Ces réseaux dits sociaux », Brigitte Munier compare les
usages de Facebook avec le Kula, un système archaïque de dons et de contre-dons décrit
par Marcel Mauss.
Les internautes, sur Facebook notamment, s’exposent à l’évaluation des autres, testent leur
popularité et, parfois, prennent des risques en publiant des textes ou images audacieuses.
Certains souhaitent simplement nouer des liens, partager des passions et d’autres cherchent
à se faire connaître et/ou satisfaire à une quête narcissique. Pour ce faire, le principe de la
plateforme repose sur l’exposition de soi comme technique relationnelle en livrant des
informations personnelles et privées afin de pouvoir obtenir des « amis ». Selon Dominique
53 MUNIER, Brigitte, 2011 : p.113-116
42
Cardon, Facebook, ainsi que l’ensemble des réseaux sociaux doivent leur réussite à la mise
en œuvre d’un principe simple : « nos amis sont notre identité »54.
1) Une activité similaire aux « techniques de soi »
Stenger et Coutant, dans l’ouvrage « Ces réseaux dits sociaux », comparent les réseaux
socionumériques aux techniques de soi consistant à « amasser des contenus disparates
pour en faire une unité ». Cela rappelle en effet les profils des internautes sur les réseaux
sociaux où l’on y retrouve photos, statuts, liens, vidéos, tests de personnalité, affirmation de
goûts constituant une présentation de soi détaillée et une identité numérique que l’internaute
souhaite montrer de lui même. Il s’agit d’une narration de soi via l’écriture et l’assemblage de
contenus disparates pour constituer « un corps » ; notre identité. Au-delà du déclaratif,
l’écriture de soi a pour vocation de provoquer des réactions. L’audience est un élément
essentiel dans ce processus. Sur les réseaux sociaux, il peut s’agir de « likes » ou de
commentaires. L’on offre ainsi à cette audience une ouverture sur soi-même. Cette ouverture
se fait par le biais de contenus insistant sur le corps et le quotidien, comme « les
interférences de l’âme et du corps (les impressions plutôt que les actions) et les activités du
loisir (plutôt que les événements extérieurs) » 55 . Afin de témoigner du quotidien, les
internautes renouvellent en permanence leurs statuts et « multiplient les activités
narcissiques illustrant cet encrage charnel et ordinaire de la culture de soi. »56
2) Une très forte interaction avec des photos ou des éléments accrocheurs
Lors de l’enquête réalisée auprès des adolescents, j’ai pu constater qu’ils interagissaient
tous très souvent avec les photos les concernant directement et celles de leurs amis ou
encore des photos de profil essentiellement. Ils interagissent également beaucoup avec des
contenus divertissants. Comme le dit un garçon de 18 ans en classe de Terminale, «les
photos marrantes, on met un petit « j’aime », on commente ». Un jeune homme de 14 ans en
classe de 3ème précise qu’il interagit avec «des photos fun». Cela leur arrive également de
liker des statuts, dès lors qu’ils approuvent ce qui est écrit. Cependant, cela paraît moins
automatique que pour les photos. Si le statut est très accrocheur, il aura d’autant plus de
chances d’avoir beaucoup de « likes » mais le plus de « likes » et de commentaires se
retrouvent souvent sur les photos esthétiques mettant en valeur soit une personne, soit un
élément divertissant. Les vidéos, tutoriels et musiques sont également de fortes sources
d’interactions. 54 CARDON Dominique, 2013 : p.173-186 55 ibid 54 56 ibid 54
43
En ce qui concerne la publication de leurs amis, il s’agit très souvent de photos, de statuts
liés à ce qu’ils aiment ou ce qu’ils font au moment présent. Ils publient également des
commentaires publics sur le mur de leurs amis soit en signe d’affection soit concernant un
« délire » en commun. Il arrive aussi que ce soit des « dossiers » sur quelqu’un et
notamment un de leurs amis. Les garçons sont les plus friands de ce genre de publications.
Certains, mais cela est plus rare, racontent même tous les détails de leur vie et se servent
des réseaux sociaux comme d’un journal intime. Cependant, et malgré les inquiétudes des
adultes vis-à-vis de leurs enfants adolescents, la majorité des adolescents ne révèle pas des
informations très intimes. Ils ont conscience qu’il ne s’agit pas d’un journal intime et que cela
doit rester dans le cadre du privé, comme l’évoque une adolescente de 17 ans en classe de
Première « Ouais voilà, oui enfin un défouloir... un peu un journal intime en fait. Mais le truc
c’est que ça devrait rester intime quoi. »
Nous constatons ainsi que les adolescents sont capables de prendre du recul par rapport à
la publication d’informations trop intimes sur leurs réseaux sociaux, mais que la publication
de photos et notamment de photo de profil est très courante et constitue définitivement un
moyen pour certains adolescents, selon ceux interrogés, d’accroître leur notoriété.
3) La « popularité » : un terme très présent dans l’esprit des adolescents
Cependant, il apparaît également qu’un contenu attrayant n’est pas l’unique raison pour
l’obtention de nombreux « likes » et commentaires. Lorsque j’ai demandé aux adolescents
comment ils définissaient quelqu’un ayant beaucoup d’amis, de « likes » ou de
commentaires sur ces réseaux sociaux, la majorité d’entre eux ont cité spontanément le mot
« populaire » ou bien le mot « fraîcheur » également pour les lycéens.
Les 4ème et 3ème ont cité le mot « populaire » spontanément, car c'est un mot qui semble
assez présent dans leur quotidien. Pour eux, quelqu'un de populaire dans la réalité est
quelqu'un qui a beaucoup d'amis, aimé de tous, qui est plutôt beau physiquement en général
et qui « traîne » avec beaucoup de monde. Ils se sont tous mis d'accord sur ce point. Une
fille de 14 ans en classe de 3ème, interrogée en entretien de groupe, décrit ; « pour moi oui,
c’est quelqu’un qui a beaucoup d’amis et qui donc ... que les personnes aiment, trouvent
gentil, et puis quelqu’un de beau aussi (sourire), parce que .. enfin j’sais pas généralement ...
les plus populaires sont les plus beaux, enfin j’sais pas ».
L’on constate ainsi que dès 13 ou 14 ans, un culte de la beauté se crée. Les adolescents
sont en quête de reconnaissance et publient des photos d'eux-mêmes dans le but de se faire
remarquer et de se faire connaître. La beauté physique est un facteur important dans cette
acquisition de la notoriété.
44
Au lycée, l’on constate une différence de perception du mot « populaire ». Les Seconde
connaissent très bien le mot populaire, qu'ils ont entendu maintes et maintes fois au collège.
Une adolescente de 15 ans en classe de Seconde et interrogée en entretien de groupe,
évoque même ; « Ah oui, y’a la bande des populaires et il faut rentrer dedans ». Cela
apparaît donc comme une réalité éprouvée par chacun d’entre eux à une période de leur
adolescence, où ils ont pu faire face à ce terme et à cette quête de popularité au sein de leur
collège ou lycée. Cependant pour eux, c'est un terme dépassé au lycée. Ils ne se qualifient
plus de « populaires » ou non entre eux, car c'est un peu dépassé, c'est même « SO
collège » d'après les termes d'une élève de Seconde. Lorsqu'ils utilisent des termes pour
qualifier quelqu'un qui se rapproche du mot populaire, ils utilisent plus les termes « SWAG »
ou « fraîcheur ». Pourtant, malgré le fait que les lycéens n'utilisent plus le terme
« populaire », il est cependant bien présent dans leur inconscient, et reste un terme
important et utilisé lorsqu'ils rigolent entre eux. Certains définissent la popularité au nombre
de « likes ». Plus quelqu'un aura de « likes », plus il sera populaire. Mais, ce constat est à
nuancer car la majorité pense que ce terme « popularité » ne veut rien dire et que sur les
réseaux sociaux, il ne reflète pas vraiment la réalité. Pour eux, les personnes « populaires »
en vrai sont facilement populaires sur les réseaux sociaux, et les gens ont le « like facile ».
Mais le cas contraire est plus rare et notamment au sein d'un établissement scolaire. Si une
personne a beaucoup d'amis sur ses réseaux sociaux, cela ne veut pas dire qu'elle en a
beaucoup dans la vie réelle ou que les individus « likeront » ses photos et « statuts ». Cette
acquisition de la notoriété peut ainsi se faire via les réseaux sociaux grâce aux différents
indicateurs mais elle se limite très souvent aux réseaux sociaux. Nous analyserons cela plus
en détail dans la seconde partie.
En citant spontanément le mot « populaire », une adolescente de 18 ans, en classe de
Première, faisait une mimique moqueuse. Grâce à ces observations non verbales, l’on peut
constater que même si les adolescents en Première et Terminale le connaissent tous. Ils ont
cependant pris de la distance par rapport à ce terme qui leur semble obsolète.
J’ai également constaté qu’il y avait un fossé entre les adolescents en classe de 6ème et tous
les autres. En effet, les élèves de 6ème interrogés dans le cadre d’un entretien de groupe,
ne savaient pas définir spontanément quelqu'un ayant beaucoup d'amis, de likes, et de
commentaires car ils sont encore tout nouveaux au collège et cela ne fait pas encore
vraiment partie de leurs préoccupations. Cependant, l'élève de 5ème avait déjà bien intégré
ce mot et l'a cité spontanément. A ce moment, les 6ème ont reconnu connaître ce mot. Il ne
semble cependant pas être vraiment intériorisé encore.
45
Dans tous mes entretiens individuels, j’ai pu constater que les adolescents ont défini
quelqu'un ayant beaucoup d'amis, de « likes » ou de commentaires sur les réseaux sociaux,
comme quelqu'un étant populaire. Ils le définissent comme quelqu'un de connu et aimé,
admiré par beaucoup de personnes et connaissant également beaucoup de personnes. Il
peut-être qualifié de leader dans le sens où beaucoup d’individus le suivent. Ces individus là
le « kiffent trop » pour reprendre les termes exacts d’un garçon de 15 ans en classe de
3ème. Ils l'ont également défini comme quelqu'un ayant du charisme ou étant simplement
sociables. Ce genre d’individu fait généralement partie d’un groupe de « populaires » dont
tout le monde souhaite faire partie. Ce qui ressort également beaucoup est le fait que ces
personnes sont en général « belles » et «cools ». Le physique, même s'il n'est pas toujours
déterminant est tout de même important pour devenir « populaire ». Et notamment sur les
réseaux sociaux, où comme un élève de Terminale le disait, « parce que sur Facebook c’que
tu retrouves le plus c’est les photos donc bon, forcément une photo stylée, on va dire, il faut
le physique qui va avec ». Il évoque même le terme de « BG » ou « Bgette » pour une fille
qui veulent dire respectivement « beau gosse » et « belle gosse ».
Cependant, le fait d'avoir beaucoup d'amis, de « likes » et de commentaires sur les réseaux
sociaux reflète aussi pour eux quelqu'un recherchant absolument cette popularité par le biais
des réseaux sociaux, sans nécessairement l'être dans la vie réelle. Ce serait quelqu'un
d'actif sur les réseaux sociaux et faisant très attention à son image.
Pour l’adolescente en classe de 5ème interrogée en entretien individuel, le mot « populaire »
est un terme qu’elle entend souvent au collège qui commence à se propager davantage en
classe de 4ème et 3ème. A l'âge correspondant, les adolescents commencent cette « course à
la popularité » et cherchent à se distinguer parmi les autres. Mais selon elle il y a
« beaucoup de 6ème et 5ème qui veulent faire comme eux parce que eux, ils sont très
populaires et voilà. » Elle a d’ailleurs « l’impression que ça commence à devenir un peu
partout la course pour être populaire ».
Les 6ème et 5ème eux sont plus des spectateurs à ce stade et essayent d'imiter leurs aînés,
parce qu'ils les considèrent un peu comme leurs modèles. Cependant, il faut relativiser cela
en comprenant que certains élèves de collèges sont plus matures que d'autres ou prennent
davantage de distance par rapport à ce phénomène de popularité et se fichent éperdument
d'être populaires ou non tant qu'ils ont leurs amis proches. Il est donc essentiel à leur âge
d'avoir des bases solides à leurs coté afin de ne pas se perdre dans cette course à la
popularité. Si les adolescents se sentent bien dans leur peau et ont des amis stables, il r
qu'ils deviennent populaires sans l'avoir chercher ou bien qu'ils restent simplement dans leur
coin et s'en satisfassent ainsi.
46
Enfin, lorsque j’ai demandé si cette course à la popularité passait également par les réseaux
sociaux, la jeune fille en classe de 5ème a confié ; « Euh oui. Ben par exemple, les gens qui
acceptent n’importe qui, ça fait un peu partie de cette course parce que du coup ils veulent
avoir à tout prix des likes, beaucoup de monde derrière eux. Du coup, ils acceptent n’importe
qui. Ils demandent aussi parfois n’importe qui. » Cette course à la popularité est ainsi
facilitée par les réseaux sociaux qui rassemblent un grand nombre de personnes et qui ont
un facteur viral très important.
4) Les stratégies mises en œuvre pour accéder à la notoriété
Les adolescents interrogés ont décrit plusieurs stratégies qu’ils voyaient à l’œuvre parmi
leurs connaissances Facebook, Twitter, Instagram, etc. Ces stratégies consistaient par
exemple à accepter tout le monde en amis sur Facebook, afin d’obtenir le plus de « likes » et
de commentaires possibles et ainsi devenir plus connu. Cela semble assez courant mais
concerne tout de même une minorité d’adolescents.
Il peut également s’agir d’échanges de bons procédés. C’est-à-dire que les adolescents
mettent des «likes» sur les photos, statuts et commentaires de leurs amis et connaissances
afin d’en recevoir en retour. Une fille de 15 ans, en classe de Seconde, nous décrit ce
phénomène : « Ah oui oui oui. Tu fais un ptit tour sur les photos de profil, genre « hop » tu
mets un ptit « j’aime » sur des photos de profil, et hop t’as plein de « j’aime » sur ta photo de
profil en retour.»
Les interviewés ont également évoqué le fait que certains adolescents se mettaient en scène
pour paraître beau physiquement. Un garçon de 14 ans, en classe de 3ème raconte en parlant
de quelqu’un dans ses contacts Facebook ; « *** elle a mis plein de photos d’elle et à chaque
fois c’est une mise en scène différente ... 2, 3 photos ça va... mais quand il y en a, j’en ai vu
une centaine j’crois ». D’autres se mettent même en scène par l’humour afin de se faire
remarquer et d’être connu. Cela peut passer par un individu décidant de se mettre en scène
de lui-même ou bien par le biais de paris avec les copains, comme le raconte un adolescent
de 14 ans en classe de 4ème « ben ça dépend, des fois ils se mettent en scène (…) y a un
garçon qui était en string (…) c’était un pari ».
Toutes ces stratégies participent ainsi à cette quête de notoriété pour certains adolescents.
En effet, les adolescents l’ont eux-mêmes confirmé lorsqu’il leur a été demandé « pourquoi
selon vous, ces individus publient beaucoup de choses ou de belles photos à leur
avantage ? ». De la 4ème à la Terminale, les adolescents ont répondu qu’il s’agissait pour ces
individus de se faire connaître et se faire remarquer mais également pour leur égo
personnel. Un garçon de 15 ans, en classe de Seconde, dit « voilà, mais si on met un statut,
c’est pour avoir des « j’aime », pour être populaire ». Un autre de 17 ans, en classe de
47
Terminale, rajoute « c’est pour son égo. Pour se flatter, pour sentir qu’il y a des gens qui
nous aiment bien et tout ».
En général, selon les personnes interrogées en entretien de groupe et en entretien
individuel, le degré de popularité sur Facebook reflète la popularité dans la vie réelle. Si
quelqu'un est aimé et sociable dans la vie réelle il aura tendance à avoir beaucoup d'amis,
de « likes » ou de commentaires sur ses réseaux sociaux. Cependant, l'inverse n'est pas
toujours corrélé. En effet, certaines personnes profitent des réseaux sociaux pour essayer de
se construire une popularité grâce à ces différentes stratégies décrites juste. C'est un
système informel qui fonctionne plutôt bien. Dans ce cas, cela peut devenir une véritable
« course à la popularité ».
Cependant, les entretiens réalisés m’ont fait comprendre que ce phénomène concernait une
minorité d’adolescents car tout ceux interrogés ne se sentaient pas concernés par ce
phénomène et avaient d’ailleurs un regard critique sur le sujet. Par ailleurs, le fait d’avoir
pleins de réactions sur ses publications n’est pas toujours calculé, comme le précise un
garçon de 15 ans en classe de Seconde « y’en a, après ce sont vraiment des gens qui sont
gentils, donc c’est pour ça qu’ils ont des « j’aime ».
Pour conclure cette première partie, j’ai pu constater que les discours des adolescents
interrogés sur leurs pratiques pouvaient être en contradiction avec leurs pratiques réelles.
J’ai pu mettre cela au jour à la fois grâce à leurs discours contradictoires mais également
grâce à l’observation que j’ai pu faire des profils de réseaux sociaux de certains adolescents
interrogés. Même s’ils montrent globalement une forme de maturité face aux réseaux
sociaux, mes hypothèses ont toutes pu être confirmées grâce à mon analyse documentaire
complétée par mon enquête terrain. Les réseaux sociaux constituent bien un outil
d’acquisition de la notoriété. Cela est dû dans un premier temps à leurs caractéristiques et à
leur architecture de site encourageant le récit de soi, ayant cette capacité à regrouper les
individus, et possédant tous les indicateurs nécessaires à l’évaluation des pairs contribuant à
l’accès à la notoriété. Dans un deuxième temps, cela s’explique par la capacité des
adolescents à créer du contenu attrayant dans une société du narcissisme où la mise en
scène personnelle est très valorisée.
48
II. Les réseaux sociaux vécus comme une épreuve
La période de l’adolescence, nous l’avons vu, est une période pleine de doutes où les jeunes
cherchent à se construire une identité. Depuis l’apparition des réseaux sociaux, ceux-ci
constituent comme un prolongement de la vie réelle où les adolescents essayent de se
construire leur propre identité parmi cette multitude de personnalités. Cette quête peut se
révéler être une source d’épreuve à la fois dans la vie hors-ligne mais également en ligne, où
tout est amplifié et peut ainsi constituer une épreuve d’autant plus dure.
Par ailleurs, lorsqu’un adolescent ne fréquente pas les réseaux sociaux, il peut se produire
un phénomène d’effacement social. En effet, dans le cadre actuel des dynamiques de
reconnaissance sociale, ne pas s’afficher, ne pas être présent sur les réseaux sociaux, c’est
un peu comme si l’on ne comptait pas et que l’on cessait d’exister car même s’ils ne
remplaceront jamais la vie hors-ligne d’un adolescent, les réseaux sociaux constituent tout
de même un prolongement important de sa vie sociale. On est reconnu lorsque l’on se rend
accessible et transparent aux autres. « Facebook devient l’endroit où l’on affiche les preuves
de sa vie sociale ».57 Etre sur Facebook c’est ainsi la possibilité d’« exister » et d’être visible
pour tous. « Face aux distinctions instituées et aux restrictions à l’égard des désirs de
visibilité, Facebook est apparu comme la possibilité d’être soi sans dépendance, pesanteur,
hiérarchie ni obligations institutionnelles, morales et symboliques directes. »58
Cette exposition repose sur un besoin de reconnaissance sociale. Ainsi, si l’on considère la
théorie de la reconnaissance 59 nous comprenons que celle-ci s’attache aux relations
impliquant des liens sociaux au travers desquels les individus développent des expériences
d’attachement mutuels, de sollicitude, d’obligations et de relations pratiques à soi et aux
autres. A travers ces dynamiques, les formes de liens sociaux se construisent et l’individu a
la faculté de s’éprouver en tant que sujet autonome développant confiance, respect et estime
de soi. Les faits relationnels peuvent à la fois être des faits positifs de reconnaissance, mais
peuvent également être porteurs de formes de mépris. En effet, les liens sociaux sont des
lieux possibles d’expériences déstabilisantes pour le sujet et de fragilisation de la relation
pratique à soi-même.
D’après les recherches de Fabien Granjon, « les formes de l’échange social médiatisé
peuvent contribuer à des expériences morales négatives ou, au contraire, au rehaussement
de l’estime de soi, à la confirmation ou l’infirmation de qualités personnelles, à la formation
des identités sociales et subjectives de soi ou encore à l’assise de troubles allant à
l’encontre d’un idéal pratique de réalisation de soi. Si les phénomènes de reconnaissance et
57 BOREL, Simon, 2012 : p.257-266 58 Ibid 57 59 GRANJON, Fabien, 2011 : p.103
49
de mépris dépendent de dynamiques intersubjectives, c’est-à-dire de la possibilité ou de
l’impossibilité de se voir confirmer sa valeur par autrui, ces manifestations idiosyncrasiques
peuvent aussi s’éprouver via l’usage de dispositifs qui, d’une part, sont chargés d’histoire et
de culture et, d’autre part, constituent des objets de communication qui supportent une
intersubjectivité pratique. »60
Par ailleurs, ces dispositifs font intervenir la notion de « public », car les adolescents peuvent
être amenés à rechercher cette reconnaissance et cette notoriété via les réseaux sociaux,
lieu virtuel ouvert à un grand nombre de personnes. C’est ainsi que ces dispositifs peuvent
se révéler une véritable épreuve pour certains adolescents et notamment ceux n’hésitant pas
à se montrer pour se faire connaître et reconnaître. La tournure des événements peut
rapidement changer à l’opposé de ce qu’ils attendaient parce que justement le public a la
possibilité d’intervenir et dire ce que bon lui semble puisque l’individu montre lui aussi ce que
bon lui semble.
Selon une jeune fille de 15 ans, « Facebook c’est plus... tu montres tout à tout le monde ».
C’est même devenu un réflexe pour un garçon de 18 ans. Il déroule automatiquement son fil
d’actualité pour voir ce qui se passe chez les autres. Un grand nombre d’interviewés ont
notamment précisé que cela leur permettait de se tenir au courant de l’actualité de leurs
« amis virtuels ». Il s’agit de ne rien rater de la vie des autres pour toujours « rester dans le
coup ». Cela devient même parfois une sorte d’addiction selon deux garçons en classe de
Terminale interviewés dans différents contextes ; « c’est un contact mais pas un contact dont
on peut se passer ».
A force de passer leur temps sur les réseaux sociaux, certains adolescents essaient d’y
rechercher la notoriété. Cependant, cette quête peut mener à du lynchage, du mépris ou
bien de l’ignorance ayant un impact sur leur vie hors-ligne et leur conscience personnelle.
A. Cette quête peut mener à du lynchage, du mépris ou de
l’ignorance ayant un impact sur la vie réelle Les réseaux sociaux ont engendré de nombreux changements et notamment le fait de
dévoiler sa vie privée sur un média à vocation publique. Cela représente un comportement
nouveau qui était jusqu’à présent réservé aux personnalités publiques et aux célébrités.
Dorénavant, chacun de nous a la possibilité de devenir un personnage public et se créer une
certaine notoriété. Notoriété en ligne seulement et/ou qui se prolonge également hors-ligne.
Néanmoins, ces nouveaux comportements provoquent parfois des effets négatifs.
Dans l’introduction, nous avons fait référence à la mort d’une dénommée Hannah Smith,
s’étant suicidée après avoir reçu des insultes sur le réseau social ASK. Ce réseau social a
60 ibid 59
50
fait particulièrement parler de lui, suite à une vague de suicides d’adolescents ayant reçu des
insultes en 2013. Nous pourrions également en citer d’autres comme l’adolescente
canadienne Amanda Todd s'étant donné la mort après avoir confié être victime de
harcèlement sur son compte YouTube. Le fait de créer un réseau social sur le príncipe de
l’anonymat ouvre la porte aux débordements. C’est le cas de ASK mais cela se produit
également sur YouTube comme une adolescente de 14 ans le rappelle dans les interviews
« c’est vrai que les gens peuvent prendre un peu trop de liberté en se cachant derrière un
pseudo et ils assument pas quoi.... Enfin, j’trouve que c’est surtout sur YouTube, y’en a qui
se permettent de dire n’importe quoi et en vrai ils diraient jamais cela à des personnes ».
En France, 2,7 % des internautes sont inscrits au réseau social « responsable » de la mort
de ces adolescents. Ce qui représente 1,3 millions d’adolescents et en fait le troisième
réseau social français derrière Facebook et Twitter selon le journal Le Monde.61 Ce réseau
social reste cependant moins fréquenté en France comparé à la Grande-Bretagne et parmi
les 27 personnes interrogées dans le cadre de cette étude, seulement 2 avait un compte
Ask, mais ils ne s’en servaient pratiquement pas.
Pour eux les réseaux sociaux peuvent également être perçus comme source d’inconvénient.
Une jeune fille de 18 ans, en classe de Première nous raconte son expérience ; « toujours
les critiques, c’est là d’où viennent tous les problèmes » ; « j’me souviens, j’ai eu un souci à
cause de ça, dans la cour de recrée quand j’étais au collège « ah t’as aimé un statut,
nanana » ‘fin c’est insupportable quoi ».
Lorsque j'ai interrogé les Premières et Terminales sur les mots clés qu'ils associaient aux
réseaux sociaux et que je leur ai demandé si la notion de liberté ou bien d'intrusion leur
parlait pour les réseaux sociaux, j'ai eu des retours montrant les réseaux sociaux comme un
lieu de désinhibition et où les « gens peuvent prendre un peu trop de liberté en se cachant
derrière un pseudo », n'assumant pas ce qu'ils commentent selon eux. Les adolescents
qualifiaient ces personnes de lâches. Par ailleurs, le mot « liberté » a été interprété dans un
sens péjoratif. Cela montre qu'ils ont conscience qu'un trop-‐plein de liberté peut entraîner
des dérives, qui ne se produiraient pas aussi facilement dans la société en situation réelle, là
où les ordres sont établis et où l'on confronte directement les personnes en face à face. Une
adolescente de 15 ans pouvait très bien en témoigner car elle nous a avoué avec gêne, par
la suite, que ça lui était déjà arrivé d'insulter quelqu'un via les réseaux sociaux. Elle en a elle-
même tiré les conséquences. Elle a donc cette capacité de remise en question sur des actes
connus et commis. D’une autre façon, je me suis aperçue que les élèves de Seconde et
surtout les garçons, utilisent parfois les réseaux sociaux comme un moyen de se ridiculiser
entre amis, comme une sorte de clin d'oeil. Cependant, il arrive que cela tourne vite au
61 RAPHAEL, Benoît, 2013. Disponible sur <leplus.nouvelobs.com>
51
conflit. YouTube par exemple est perçu comme une plateforme qui amène facilement les
gens à se moquer ou à insulter car ils se cachent derrière un pseudonyme et pensent qu'ils
n'auront pas à assumer les conséquences par la suite.
D’un autre côté, plusieurs d'entre eux ont répondu simultanément qu'ils n'associaient pas les
notions de « liberté » ou d' « intrusion » aux réseaux sociaux.
A la question « avez-vous déjà fait l’expérience de commentaires désagréables sur les
réseaux sociaux ? »; presque tous en avaient fait l’expérience au moins une fois. Ceux n’en
ayant jamais reçu étaient majoritairement les élèves de 6ème n’étant pas encore inscrits ou
actifs sur les réseaux sociaux ou bien des personnes plutôt discrètes, ne publiant pas grand
chose ou s’étant inscrites depuis peu. Cependant les insultes restent plutôt rares et il s’agit
davantage de commentaires narquois ou de remarques désagréables. Ces commentaires
proviennent soit d’amis avec qui ils se sont disputés, soit de simples connaissances ou bien
des personnes n’étant pas amis avec la personne en question mais pouvant accéder aux
photos via les tags d’autres personnes dans son réseau d’amis. Il semble que ce
phénomène se produise davantage au collège qu’au lycée d’après les retours d’expériences
durant ces interviews. L’un d’entre eux, un garçon de 18 ans, en classe de Terminale nous
fait part de son sentiment : « Quand on est au collège, je trouve que c’est dangereux quoi,
parce que c’est là que beaucoup de gens se lâchent, en 5ème j’ai vécu un lynchage
général » ; « j’pense que ça c’est vraiment au collège, ça s’arrête au lycée ». Cependant,
lors d’une interview individuelle, un adolescent de 16 ans a confié que, selon lui, cela se
produisait encore au lycée et notamment en Seconde et en Première, mais beaucoup moins
en Terminale. Dans tous les cas, lorsque cela arrive, il semble difficile particulièrement
difficile pour un adolescent de prendre de la distance, comme nous le confie une jeune fille
de 18 ans ; "les commentaires c’est bien quand c’est gentil, mais quand c’est hypocrite, c’est
horrible quoi. Ça peut descendre quelqu’un, ça va loin".
Cependant, certaines personnes arrivent à relativiser, c’est le cas d’une élève de 5ème
ayant un discours mâture ; « mais voilà, je l’ai déjà dit, mais j’y prête pas plus attention parce
que... après y’en a, ou y’a... pas des insultes mais ou tu veux te défendre et puis parfois ça
ne fait qu’empirer et ils te disent des trucs du genre « ta gueule », « ferme la », ou voilà... Là
c’est plus n’importe quoi parce que je sais très bien qu’ils oseront jamais dire ça en face et
voilà ». Pour elle, ces personnes prenant un peu trop de liberté ne pourraient faire de même
en face à face. « Ils s’attaquent toujours au plus bas qu’eux en fait ». L’on voit ainsi
l’influence d’un mur virtuel sur le comportement des adolescents qui peuvent se sentir
intouchables derrière leur écran et adopter des discours dont ils ne réalisent pas les
conséquences qu’ils peuvent avoir. Pour cette jeune fille de 13 ans, l’effet de bande amplifie
grandement le phénomène ; « y’a des gens qui sont très très gentils et dès qu’ils sont avec
52
leurs copains, ça y est, ça devient n’importe quoi donc ouais j’pense que c’est plus l’effet de
bande ouais ». Ces personnes sont très influençables et se laissent facilement emporter
dans les jeux de pouvoir, à savoir qui sera le plus apte à diriger la bande, qui sera celui
respecté de tous car craint en quelque sorte. L’élève de 5ème précise que, selon elle, « ils
veulent faire un peu comme tout le monde et... diriger on va dire, la bande. Enfin être le
leader. Et donc voilà, ils font tout pour être populaire, c’est toujours la question de popularité
qui revient. » De plus, une moquerie lancée sur les réseaux sociaux peut dégénérer
facilement selon les adolescents et s’amplifier largement. D’après eux, les personnes
recevant le plus de moqueries sur les réseaux sociaux sont ceux en recevant le plus dans la
vie réelle également. Il suffit que ce soit des personnes faibles, pour que certains
adolescents s’en prennent à elles et s’acharnent sur les réseaux sociaux plus qu’ils ne le
feraient en face. Selon un garçon de 16 ans en classe de Seconde, ce sont « des personnes
un peu fébriles » qui subissent ces moqueries répétées. Une fille de 17 ans précise
également ; « c’est pas souvent les personnes super aimées qui sont visées, c’est plutôt des
personnes plus faibles en fait ».
Lorsqu’eux-mêmes sont la cible de critiques, plusieurs possibilités s’offrent à eux ; ils
peuvent supprimer le commentaire et régler cela en privé, ne rien faire si ça ne les touche
pas mais la plupart d’entre eux ont avoué être malgré tout blessés dans leur estime lorsque
cela leur arrivait ou bien ne pas se laisser faire en répondant et provoquant une réaction en
chaîne se terminant par une multitude de commentaires en général. Certains d’entre eux
sont désormais dégoutés des réseaux sociaux et notamment ceux où les moqueries sont
apparues. Dans ce cas-là, ils se montrent plus méfiants vis-à-vis de ces réseaux et
beaucoup moins actifs.
Il est important de noter que dans toutes relations sociales, le conflit est parfois inévitable
mais sur les réseaux sociaux, les adolescents ont la possibilité de l’éviter, voire l’effacer en
supprimant un commentaire ou une amitié lorsqu’il y a conflit.
Lorsqu’il leur a été demandé s’ils connaissaient des personnes ayant fait face à des
moqueries sur les réseaux sociaux, pratiquement tous ont pu citer au moins un ou deux
exemples dans leur entourage. Cela peut passer par des commentaires intimes et gênants
ou bien de violentes prises de position, du dénigrement « gratuit », des moqueries de
personnes perçues comme « faibles », « stupides » ou bien des insultes s’attaquant au
physique. Certains d’entre eux précisent que davantage de filles que de garçons doivent
faire face à ce genre de situation.
Lorsqu’il leur a été demandé ce qu’ils pensaient de cela, ils étaient tous d’accord pour dire
que ce n’est pas un comportement à adopter et que c’est loin d’être mature.
53
Une adolescente de 17 ans en classe de Première a fait preuve d’empathie en précisant :
« j’peux comprendre que ça aille aussi dans des extrêmes ben parce que si on te dit bah «
t’es nul, t’es nul, t’es nul » bah quelque part t’y crois ». Selon elle, les mots sont parfois plus
durs à subir que les coups portés.
Par ailleurs, au cours des entretiens avec les lycéens, il est également ressorti qu’une
communauté appelée « A ce qu’il paraît » et concernant le lycée de ces adolescents ait été
créé. Ce genre de communauté consistait à lancer des rumeurs sur des individus et a, par
conséquent, conduit à de nombreuses critiques et dérives. Un garçon de 18 ans témoigne :
« bah « à ce qui paraît » au début de l’année ça s’est mal passé parce qu’il y a des gens qui
se sont fait insulter (…) il y a eu des punitions et après les gens sont devenus encore plus
calmes. »
Lorsque la question a été prise à l’envers et qu’il leur a été demandé si eux-mêmes avaient
déjà posté un commentaire désagréable, cinq d’entre eux ont admis que ça leur était arrivé.
Il est possible cependant que certains de peur d’être jugés dans une situation de groupe ne
se soient pas manifestés. Dans tous les cas ces critiques semblaient être soit sous le coup
de la colère et regrettées par la suite, soit « gratuitement », sans réelle raison, soit pour
« déconner” »comme une garçon de 14 ans précise. Comme constaté plus haut, les garçons
sont davantage dans ce rapport de « moqueries gentilles » avec leurs copains, pour à la fois
se divertir et se tester entre eux. Cependant, ce genre de moqueries ouvre facilement la
porte à une mauvaise interprétation dans un lieu où les réactions et mimiques de visage ne
peuvent être observées et où un grand nombre de personnes à un accès instantané à tout
ce qu’il s’y passe. Pour les adolescents, il s’agit de ne jamais perdre la face, et encore moins
devant un grand nombre de personnes, c’est pourquoi cela peut vite dégénérer. Néanmoins,
cela n’arrive pas souvent et les adolescents ont intériorisé des sortes de limites informelles à
ne pas franchir en termes de moqueries afin de ne pas déraper. De plus, les adolescents
deviennent plus matures à ce sujet avec l’âge, mais j’ai pu constater également qu’ils avaient
tous plus ou moins eu des campagnes de sensibilisation à ce sujet dans leurs écoles. Les
établissements scolaires font ainsi de la prévention, ce qui peut être bénéfique afin d’éviter
les débordements. Un garçon en classe de Terminale témoigne ; « ça nous fait prendre
conscience des risques associés justement à tous ces réseaux sociaux ».
54
B. La popularité acquise peut être une mauvaise notoriété
De nos jours, il semblerait qu’un grand nombre de personnes souhaite sortir de l’anonymat
et devenir célèbre, même si cela se résume à son groupe de pairs. En d’autres termes, les
individus ont une certaine volonté de devenir public, à l’image des artistes exposant leur vie
à la vue de tous et sous différentes facettes. Ainsi, comme le constate Caroline Vallet,
depuis ces dernières années, nous assistons à « une certaine escalade de la transparence,
l’exhibitionnisme et le voyeurisme, notamment par le développement des émissions de télé-
réalité, puis des sites de réseau social. »62 L’individu d’aujourd’hui est dans le besoin,
maladif ou non, de voir vivre les autres et de s’identifier à eux. Cela bouleverse les notions
de public et de privé dont on ne sait plus toujours faire la distinction. « Les utilisateurs
deviennent dès lors des personnes publiques, avec tout ce que cela entraîne comme
conséquences. Or, il est manifeste que tous n’ont pas conscience de ce statut particulier, qui
était auparavant réservé aux personnalités publiques. »63 Ainsi, certains individus s’exposent
beaucoup à leur public, jusqu’à ce qu’un jour ils deviennent la proie de moqueries et
d’insultes, dont ils ne réalisaient pas les proportions que cela pouvait prendre. De ce fait, si
le mot « popularité » semble être un adjectif plutôt positif au premier abord, il peut également
s’avérer être vécu comme une réelle épreuve par les adolescents.
Par exemple, il arrive que certains adolescents se mettent en scène, comme nous avons pu
le voir plus haut. Cela peut être de manière physique ou bien en jouant sur l’humour. Ainsi,
une personne se mettant en scène sur les réseaux sociaux pourra devenir connue mais il est
possible que cela soit dans le sens négatif du terme à partir du moment où sa vidéo, sa
photo ou son statut se propage à des fins de moqueries. L’adolescent souhaitant a priori se
faire connaître via le support (photo, video) qu’il a publié peut se retrouver complétement
désemparé et faire face à des insultes à propos de sa publication. L’effet amplificateur que
provoquent les réseaux sociaux rend ainsi le phénomène encore plus grand qu’il ne l’aurait
été dans une simple cours de récréation. Cependant, selon un jeune homme de 15 ans, en
classe de 3ème, même si cela arrive parfois, cela reste plutôt rare que quelqu’un s’expose de
manière un peu trop osée (humoristiquement ou autre). Il semble que les adolescents se
méfient de plus en plus de ce qu’ils publient sur les réseaux sociaux et que ce genre
d’événement arrive moins fréquemment.
Il arrive également que cette photo de mise en scène ou cette vidéo par exemple se retrouve
partagée sur les réseaux sociaux à l’insu de son auteur ou de l’individu tout simplement, et
que celui-ci subisse de plein fouet les critiques des autres, tout cela sans avoir de réelle
marge de manœuvre.
62 VALLET, Caroline, 2012 : p.163-188. 63 Ibid 62 p.171
55
Par ailleurs, ces personnes en agissant ainsi et en cherchant à se rendre populaires à tout
prix via les réseaux sociaux peuvent provoquer le mépris des autres et se rendre connues
pour cela. Lorsque j’ai interrogé les adolescents sur la manière dont ils définissaient
quelqu’un ayant beaucoup d’amis, de « likes » et de commentaires sur les réseaux sociaux,
mis à part le terme populaire, de nombreux termes négatifs sont apparus.
Une jeune fille de 15 ans, en classe de 3ème, considérait cela comme inutile. Pour elle, et
pour de nombreux autres adolescents interrogés en groupe et en individuel, cela est
incohérent avec la réalité et paraît exagéré lorsque quelqu’un a beaucoup trop d’amis sur les
réseaux sociaux. Cette jeune fille témoigne « j’sais pas, faut être réaliste, t’as pas 500 amis
proches ! ». Une autre jeune fille de 14 ans rajoute « ben moi j’me rappelle, j’avais un ami, il
avait j’crois 2000 amis, ben c’était évident qu’il connaissait pas tout le monde ». De ce fait les
adolescents associent ceux ayant beaucoup d’amis sur Facebook avec ceux acceptant
n’importe qui, ce qui est plutôt négatif de leur point de vue. La jeune fille de 13 ans en classe
de 5ème, interrogée en entretien individuel, en témoigne ; « j’pense qu’on a beaucoup d’amis
à partir du moment où on accepte des gens qu’on ne connaît pas, ‘fin ou qu’on a jamais vu
de notre vie à part sur un écran quoi. J’pense que, parce que après y’en a qui acceptent un
peu n’importe qui ». Cela est valable dans le sens inverse, ces individus recherchant la
notoriété peuvent faire en sorte de demander de nombreuses personnes inconnues en tant
qu’amis. D’ailleurs, un bon nombre des adolescents interrogés disaient avoir reçu plusieurs
fois des invitations de personnes qu’ils ne connaissaient pas. Cela s’apparente alors à une
« course à l’amitié virtuelle ». L’adolescente de 13 ans a même qualifié ces personnes
d'« irresponsable » car elle considère cela immature d'accepter n'importe qui et évoque les
dangers que cela pourrait provoquer. Cependant, c'est une personne ayant un discours très
mature pour son âge, et qui semble avoir assez de recul à propos des réseaux sociaux et de
la question de la popularité.
Cette « course » s’applique également pour les interactions, comme le précise cette jeune
fille ; « y’en a aussi qui acceptent des gens, juste pour avoir des likes en plus ou des
commentaires en plus (…) c'est la course au like ! ». Ce genre de personne est aussi qualifié
de « fraîcheur ». Un garçon de 18 ans en classe de Première nous explique ce qu’est une
« fraîcheur » ; « une fraîcheur du net, ben voilà c’est ça. C’est clairement quelqu’un qui a
beaucoup de likes, qui a beaucoup d’activité, qui entretient ça, et apparemment il aime
beaucoup ça ». Lors des entretiens avec les Seconde, ce mot était également connu des
adolescents et l’une des jeunes filles s’est mis à imiter ce genre d’individu d’un air moqueur
tout en disant « oh j’suis une fraîcheur, oh ouais ». Tout le groupe s’est mis à rire après cette
56
imitation, ce qui montre que pour eux, ce terme « fraîcheur » est un terme connoté
négativement, ce qu’ils ont approuvé lorsque je leur ai posé la question. Pour eux c'est
quelqu'un qui « se la pète » et qui publie beaucoup de contenu sur internet pour se faire
remarquer et parce qu'il aime cela, pour son propre égo. Alors que SWAG est un terme
perçu positivement, comme quelqu'un qui a du style.
Ainsi, ce phénomène de surexposition de soi sur les réseaux sociaux, - même s’il concerne
une minorité - est bien présent. Ces individus cherchant à devenir populaire ne se rendent
pas toujours compte qu’en agissant de la sorte sur les réseaux sociaux, ils peuvent
rapidement agacer leurs camarades. Cela peut donc conduire à des commentaires
désobligeants qui se révèleront être perçues comme une épreuve par certains individus.
Un garçon de 14 ans, en classe de Seconde, qualifiait même ces personnes et en particulier
le genre féminin, de « pouffiasse » lorsque « c’est une fille qui prend en photo ses seins et
qui a 500 amis ». Il insiste en précisant ; « ça c’est une grosse pouf, ouais je trouve ». Ce
genre de comportement se retrouve sur les réseaux sociaux et peu soit provoquer de
nombreux « likes » et commentaires, soit de nombreuses critiques également. Dès lors
qu’une publication est portée sur le physique et que c’est un peu trop osé, cela a pour
conséquence de provoquer deux types de réactions très opposés. Ceux approuvant et ceux
n’approuvant pas, risquant ainsi de provoquer rapidement des conflits.
Une jeune fille de 13 ans interrogée en entretien individuel qualifie même ce genre de
personne d’irresponsable. Que ce soit les personnes s’exposant un peu trop ou bien les
personnes acceptant et demandant de nombreux inconnus en « amis ». Son raisonnement
est le suivant : « j’sais pas c’qui peut se passer, bah tu parles à quelqu’un, ça se trouve il est
pas du tout comme ça sur sa photo de profil. Ou il veut, ou elle veut que vous alliez
ensemble au parc, ça se trouve ça sera pas du tout cette personne là ou voilà. »
Comme déjà évoqué plus haut, la « popularité » semble être un terme pas toujours très bien
perçu par les adolescents. Certains le considèrent donc comme négatif. En effet, quelqu’un
peut être connu pour avoir beaucoup de « likes » sur son profil mais dans un sens négatif.
Plusieurs adolescents ont évoqué le fait que les « likes » étaient parfois utilisés comme outil
de moquerie vis-à-vis d’une personne. Une jeune fille de 18 ans en classe de Première
témoigne de cela ; « mais après y’a des gens qui likent euh ... enfin c’est pour se moquer
quoi. Donc tout dépend aussi, moi je sais qu’il y a une fille qui se faisait mais martyriser au
collège ! Martyriser ! Et à chaque fois qu’elle mettait des photos, elle avait plein de likes.
Mais ça veut dire quoi les likes ? Ca veut dire j’aime ta photo, ou j’aime pas ta photo mais
j’like pour vraiment euh me moquer de toi ». Un jeune homme de 18 ans ajoute que cela
signifie : «J’ai bien aimé rire », sous-entendu : « j’ai bien aimé me moquer de toi ». C’est un
57
procédé assez subtil car il n’est pas toujours très explicite. Les adolescents se sont ainsi
réapproprié le « like » en le détournant en moquerie dans certains cas. Il y a une forme de
prise en charge des possibilités techniques par les adolescents. Une grammaire technique
se met alors en place et le « like » se désincarne. Il perd son sens premier dans la pratique
des adolescents et est tourné en une sorte d’ironie propre à Facebook. Il semble que ce soit
une norme communément admise chez les adolescents et qu’ils savent reconnaître lorsque
c’est de la moquerie et lorsque ça n’en est pas, du moins ceux qui ne sont pas visés par les
« likes ».
De plus, il y a toujours quelques commentaires d'insultes qui suivent ces « likes » moqueurs
et à partir de ce moment là, une personne peut se faire lyncher virtuellement et le contrôle de
son image virtuelle se transforme alors en véritable épreuve. Ces insultes sont en général
liées au physique de la personne, ainsi que son mental. Il y a le genre de boucs émissaires
qui ne publient rien sur les réseaux sociaux et qui se font insulter dans l'enceinte de leur
établissement et il y a ceux qui essayent de se fondre dans la masse et sont actifs sur les
réseaux sociaux mais qui se font lyncher à la fois dans la vie réelle et sur les réseaux
sociaux.
Par ailleurs, cette notion de popularité peut créer un fossé entre les individus, ce que
certains adolescents vivent assez mal. Un jeune homme de 14 ans en classe de 3ème
témoigne de sa propre expérience en parlant d’un de ses anciens amis devenu populaire ;
«c’était mon meilleur ami, et puis arrivé en 6ème il est devenu trop populaire en plus, donc on
s’est un peu ..., j’me suis un p’tit peu écarté d’lui (…) j’sais pas il est allé surtout vers les
gens et puis moi ... je... j’ai découvert qu’à la rentrée il s’était trouvé plein d’autres potes donc
je me suis éloigné de lui et en même temps... je regrette un p’tit peu ». J’ai pu distinguer à la
fois de l’amertume et à la fois un peu d’envie dans le timbre de voix de ce jeune homme et
dans son comportement. Il s’agit là d’une épreuve, non pas pour la personne devenue
populaire, mais pour son ami proche qui l’entourait avant qu’elle ne s’éloigne de lui. Cela
révèle la dure réalité pour la conquête de la popularité. Ces personnes mises à l’écart
peuvent ressentir de la frustration et un dégoût pour les personnes « populaires » par la
suite. Ainsi, cela peut créer des conflits sur les réseaux sociaux et notamment via des
remarques mal placées ou un peu trop provocatrices.
58
1) Une notoriété pouvant disparaître à tout moment : un processus similaire au phénomène des télés-réalités.
Ce terme « popularité » se reflète également dans le « monde adulte » et prend une ampleur
encore plus grande avec le phénomène des télés-réalités et le désir de célébrité allant de
pair. Ce désir de vouloir sortir de l’anonymat dans notre société moderne se reflète donc non
seulement via les réseaux sociaux mais également via ce phénomène des télé-réalités. Le
processus se produisant sur les réseaux sociaux ressemble quelque peu à celui se
produisant avec les télé-réalités, c’est pourquoi il me semble intéressant de l’analyser. En
effet, les vedettes de télé-réalités envahissent notre quotidien aujourd’hui. Elles sont
idolâtrées comme des stars puis oubliées du jour au lendemain. « La disparition précoce de
ces vedettes de l’actualité, le caractère éphémère de leur célébrité ne doivent pas faire
oublier quelles magnifiques machines de production de vedettes sont ou ont été ces
émissions de téléréalité et tout particulièrement Loft Story. Il nous faut repérer, au-delà de
l’anonymat qui frappe aujourd’hui quantité de ces vedettes, combien celles-ci ont été non
seulement identifiées, définies et reconnues comme telles, mais aussi traitées comme telles
(c’est- à-dire célébrées, adulées, choyées, poursuivies, courtisées, etc.), aussi bien par le
public, par les médias, par les professionnels de la télévision, de la radio, de la presse, de la
mode, de la publicité, que par certains éditeurs, producteurs, réalisateurs, ou par nombre de
people, de jet-setters et autres courtisans habituels des célébrités. »64
A la manière des vedettes de télé-réalités, n’importe quel individu sur les réseaux sociaux
peut accéder à cette notoriété puis la perdre à tout moment. Il ne faut donc pas oublier que
cette quête est continuelle et que la notoriété peut-être perdue à tout moment. En cela, elle
peut constituer également une épreuve pour les adolescents étant sous le feu de la rampe
un jour et n’intéressant plus personne le lendemain. Même si ce genre de cas est extrême,
c’est un phénomène qui se produit concrètement mais à moins grande échelle également
sur les réseaux sociaux. Le fait d’obtenir pleins de « likes », de commentaires, de
« followers » pendant une période puis de ne plus recevoir d’interactions peut constituer une
véritable épreuve pour les adolescents qui peuvent se remettre en question dans une
période où ils commencent seulement à construire leur identité et où la moindre remise en
question par les pairs est perçue plus durement que pour un adulte.
Cette quête de notoriété, peut par ailleurs amener certains individus à gérer leurs réseaux
sociaux de manière très appliquée.
64 SEGRE, Gabriel, 2011 : p.691-706.
59
C. Cette quête de notoriété peut amener certains jeunes à gérer les réseaux sociaux à la manière d’un professionnel
Cette course à la « popularité » évoquée par les adolescents lors des interviews dévoile une
pratique très contrôlée par certains internautes. En effet, certains adolescents souhaitent
tellement devenir « populaires » que cela les amènent à gérer et contrôler leurs profils sur
les différents réseaux sociaux à la manière d’un professionnel. N’y étant pas parvenus dans
leur vie hors-ligne, ils font tout pour l’atteindre à l’aide des réseaux sociaux. Cela peut passer
par la gestion de nombreuses plateformes de réseaux sociaux ou bien en se concentrant sur
une ou deux seulement grâce à une gestion optimale de leurs profils.
Effectivement, sur Facebook ou Twitter par exemple, les actions stratégiques d’un internaute
pourraient être comparées à une entreprise déployant sa stratégie de communication afin
d’obtenir l’attention des internautes. Cette attention est calculée par le nombre de likes ou de
retweets qu’une page du Web ou une personne est parvenue à susciter. « La réputation est
(…) la conséquence recherchée d’une action stratégique du producteur d’informations pour
susciter des gestes d’approbation. »65 L’individu veut exposer sa vie et ses goûts aux autres
pour leur donner un sens. Le but est de construire une image plus élégante et attirante.
« L’individu est tenu de s’inventer sans cesse. L’ambition de l’individu est ici de faire croire
qu’il est le maître de sa propre vie. »66 Il ne dévoile jamais la totalité de son être mais
seulement la partie qu’il veut montrer aux autres.
Ces stratégies peuvent être comparées à des jeux de statut social, plus ou moins
narcissiques, et visibles dans les pratiques quotidiennes des internautes se mettant en
valeur en ligne grâce à l’utilisation des différents outils tels qu’un profil, un blog, une galerie
de photos, etc. Selon Boyd67, l’établissement d’un lien sur le Net dépend du statut de l’autre,
du souci de son propre statut et de sa popularité, mais également d’obligations sociales liées
à la vie hors ligne. Les adolescents peuvent difficilement refuser un parent par exemple.
Le but de ce jeu est d’accroître son statut mais également de réfléchir aux risques encourus
en entrant dans ces jeux de statuts. Pour accroître son statut, sa notoriété, cela peut passer
par une image de profil toujours soignée et des photos dits « dossiers » très contrôlés, une
gestion des commentaires via l’effacement des commentaires désobligeants, un contrôle
systématique de leur profil et des notifications, et même laisser des traces sur d’autres sites
internet dans le but de se faire connaître. Cette quête de notoriété peut également se faire
au détriment de la confidentialité et ainsi entraîner des risques comme évoqués plus haut.
65 CARDON, Dominique, 2013 : p.173-186. 66 HANGSUB, Choi, 2013 : p.107-116. 67 COUTANT, Alexandre et STENGER, Thomas, 2011 : p.9-17
60
1) Une photo de profil toujours soignée et des photos « dossiers » très contrôlées
Ainsi, lorsque l’on cherche à analyser cette gestion de profils semblant toujours très soignés,
nous pouvons constater via les entretiens que la majorité des adolescents considèrent en
effet leur photo de profil comme importante, et que par conséquent ils en prennent soin.
Néanmoins, cela semble être le cas d’une minorité. Pour autant, l’enquête a révélé que les
adolescents interrogés connaissaient tous plusieurs personnes dans leur cercle d’amis se
prenant facilement à ce jeu de contrôle en changeant très régulièrement leur photo de profil.
Et comme nous l’avons vu dans la première partie, il s’agit davantage de filles. Les filles
semblent donc être les plus touchées par un contrôle régulier de leur image sur les réseaux
sociaux et cela semble beaucoup se jouer sur leur photo de profil étant donné la fréquence
de changement.
Là où j’ai pu constater une différence, c’est sur la question de l’âge. Les 6ème, au contraire,
se méfient et évitent de mettre des photos de profil d'eux-mêmes, du fait que leur compte ne
soit pas totalement privé, et du fait de l'influence de leurs parents, mais aussi par peur de
voir leur photo retouchée et détournée en moquerie comme évoqué en première partie. Ils
mentionnaient le cas d'un de leurs camarades à qui on avait ajouté une moustache pour se
moquer de lui. Les moqueries commencent dès la 6ème et c'est souvent au collège où
celles-ci sont les plus dures. Cependant, ces détournements de photos et moqueries restent
tout de même rares sur les réseaux sociaux à leur âge. Par ailleurs, j'ai pu constater que les
6ème restent très sensibles à ce que leur disent leurs parents et ce qu'ils voient aux
informations. Ils réalisent que les faits divers liés aux réseaux sociaux et entendus à la
télévision sont graves, et cela les décourage d'utiliser les réseaux sociaux dans l’immédiat.
En ce qui concerne les moyens de contrôle de leur image, les avis des interviewés sont
partagés, mais environ la moitié d’entre eux utilisaient des logiciels de retouches. Autant les
collégiens que les lycéens. Selon les Secondes, beaucoup de personnes utilisent les
retouches photos, et notamment les filtres pour se rendre plus jolis sur les photos.
Cependant, l'utilisation des logiciels de retouches photos peut être perçue comme une
contrainte. D'après une élève de Terminale « t’as pas le choix de toutes façons », sinon
« c’est moche ». Une sorte de pression du culte de la beauté s'exerce sur eux dès
l'adolescence et dès lors qu'ils veulent publier une photo, ils se sentent « obligés » de la
retoucher. C'est essentiellement le cas pour les filles au lycée.
61
2) Un contrôle systématique des commentaires avec effacement lorsque nécessaire
Afin de contrôler leur image sur les réseaux sociaux, les adolescents utilisent les retouches
photos mais pas seulement. La plupart d’entre eux ont évoqué la suppression de
commentaires ou bien de tags de photos lorsque cela ne leur convenait pas. Une
adolescente de 17 ans nous confie « si y’a des choses que j’aime pas, je supprime ».
Certains ont même activé en amont l’option « confirmer le tag ou non » sur Facebook.
D’autres se contentent des notifications pour aller voir la photo ou le commentaire les
concernant avant de supprimer si cela ne leur plaît pas. La majeure partie du temps ils se
contentent de se dé-taguer mais il arrive que certains aillent demander directement à la
personne ayant publié la photo de la supprimer lorsqu’elle est trop compromettante. Par
ailleurs, trois d’entre eux ont déjà essayé de taper leur nom sur Google pour vérifier les
informations qui apparaissaient. Deux d’entre eux ont eu de mauvaises surprises et se
méfient davantage dorénavant.
Pour la grande majorité des interviewés, il est donc important d’actualiser et de contrôler ce
qu’ils publient et ce que les autres publient sur eux. Un adolescent en classe de 3ème confie
« Euh oui, parce que j’aimerais pas qu’on mette n’importe quoi sur moi, ‘fin ouais j’préfère
vérifier parce que si y’a un commentaire que j’aime pas, bah du coup j’le supprime ». Une
adolescente de 14 ans, en 4ème, précise « ouais des fois y’a des trucs bahhh pas gentils ».
Un autre, en classe de Seconde complète “ouais, moi j’suis dans la configuration de profil, il
faut avoir mon aval, pour que la photo que mon ami met soit sur mon mur”.
J'ai constaté dans les réponses des interviewés qu'ils n'avaient généralement pas de
problème concernant les photos qui sont publiées à leur insu. Ils demandent directement à la
personne ayant publié la photo et elle accepte presque toujours. Dans le cas où elle ne la
supprimerait pas, les adolescents savent qu'ils peuvent « signaler un abus » et que la photo
d'eux sera retirée de Facebook. Cependant certains, surtout les garçons, se contentent de
se dé-taguer mais ne demandent pas la suppression de la photo, car tant que cela ne
s'affiche pas sur leur mur ils s'en fichent. Ce qui peut être un risque en soi et représenter une
épreuve dès lors qu’elle ressort un jour pour des raisons de moqueries.
3) Une quête de notoriété au détriment de la confidentialité
Ainsi, derrière son écran ouvert sur le monde, l’adolescent satisfait à un besoin d’affirmation
personnelle par la divulgation d’images et d’écrits dont il ne peut maîtriser l’utilisation
ultérieure par le public. L’individu souhaitant exister sur ces réseaux doit renouveler sans
cesse sa participation, quitte à accorder peu d’attention aux traces passées.
62
Ainsi, ce dévoilement de soi sur Internet conduit quelquefois les adolescents à faire face à
des problèmes auxquels ils n’avaient pas pensé. En effet, ce grand marché de la visibilité
que l’on croit parfois rester dans le domaine du privé peut facilement devenir accessible à
tout le monde. De nombreuses personnes y ont déjà fait de mauvaises expériences vis-à-vis
de recruteurs accédant à des informations déposées imprudemment sur Facebook et autres
réseaux sociaux. Les adolescents, même s’ils ne se sentent pas encore vraiment concernés
par le marché de l’emploi, font tout de même plus attention désormais grâce à ces faits
d’actualité et sensibilisations. Cependant, certains n’envisageant pas l’avenir dans le long
terme, même s’ils le savent, ne se préoccupent pas tellement de ce qu’ils publient sur
Internet et à ce moment, cela peut se retourner contre eux et devenir une épreuve dans le
présent ou bien dans le futur.
Nous pouvons également constater d’autres pratiques liées à l’impudeur corporelle exposée
par des utilisateurs de réseaux sociaux. Leur demande de reconnaissance est alors fondée à
la fois sur le regard d’autrui et sur l’affirmation de leur singularité subjective. Ces pratiques
correspondent à des bricolages identitaires. D’après l’étude menée par Granjon et Denouël
en 2010 68 , l’exposition de soi relève d’un processus de mise en scène stratégique :
« l’usager construit son identité en veillant à contrôler la visibilité de l’espace numérique dans
lequel il s’expose » 69 . Ces deux chercheurs en sociologie révèlent que dans le cas
d’utilisatrices souhaitant montrer leur corps aux frontières de la nudité, celles-ci déploient
une « stratégie étagée » de mise en visibilité. Cette exposition de soi couplée à un besoin de
reconnaissance amène certains internautes à bricoler leur identité aux frontières de
l’impudique. « Pour les chercheurs, ces mises en scène « à étages » peuvent être
interprétées comme des manières de résister aux conventions morales en vigueur. Ces
stratégies permettent aux usagers de contourner en douceur les normes de la surveillance
sociale imposée. »
De plus, en s’habituant à ce que son intimité soit surveillée, chaque individu finit par
s’octroyer la liberté de guetter la vie des autres. Pour Serge Tisseron, « le problème
d'Internet et des nouvelles technologies n'est pas seulement de savoir jusqu'où les nouvelles
générations accepteront de leur plein gré de montrer une part croissante de leur intimité –
contribuant du même coup à « désacraliser » celle-ci –, mais de savoir jusqu'où elles
s'accorderont le droit de contrôler l'intimité d'autrui : surveillance des enfants par leurs
parents, des employés par leur patron, des maris ou des femmes suspectés d'infidélité par
leur conjoint, etc. »70
68 GRANJON, Fabien et DENOUEL, Julie, 2010. 69 PROULX, Serge et KWOK CHOON, Mary Jane, 2011 : p.105. 70 TISSERON, Serge, 2011 : p.83-91
63
Ainsi, on fait facilement l’hypothèse que les enfants n’ont pas vraiment de sens de la vie
privée et qu’ils sont davantage susceptibles de poster tout et n’importe quoi sur leur profil.
Pourtant, d’après l’étude réalisée dans le cadre du programme EU Kids Online71, les enfants
se montrent très soucieux de la confidentialité de certains types d’informations. Elle montre
que la majorité des adolescents gardent leur profil soit privé (limité aux amis), soit
partiellement privé (amis, amis des amis, réseaux). Moins d’un tiers (26 %) ont un profil
public, le chiffre étant plus élevé chez les garçons et les enfants de foyers à statut
socioéconomique plus élevé, et plus faible chez les filles et les enfants de ménages à statut
socioéconomique inférieur. L’âge entraîne étonnamment peu de différence.
L’étude montre également qu’en moyenne les enfants mentionnent environ trois des cinq
paramètres d’identification demandés et un sur sept indique son adresse ou son numéro de
téléphone. Par ailleurs, un jeune sur six donne un âge incorrect, ce qui révèle que certains
adolescents se disent plus âgés qu’ils ne le sont réellement afin d’accéder à des sites où la
limite d’âge est imposée. En revanche, leur « amis » virtuels sauront distinguer leur âge réel
de l’âge indiqué.
C’est ainsi que les jeunes se protègent par l’usage d’âge incorrect, de pseudonymes ou bien
en donnant peut d’informations les concernant, afin de garder un certain contrôle sur les
informations publiées, même si ce contrôle reste illusoire. Les adolescents font
manifestement une sélection entre ce qu’ils considèrent comme partageable et ce qui ne
l’est pas. Danah Boyd affirme d’ailleurs que les adolescents, d’un ordre général, savent faire
la différence entre ce qui est privé et ce qui peut être public. Ils semblent appliquer la devise
suivante : « public by default, private when necessary »72. Cela montre que la vie privée est
malgré tout encore bien présente, même si elle voit son champ diminuer et que la notion de
privé a beaucoup évolué avec l’arrivée des réseaux sociaux.
J’ai d’ailleurs pu confirmer les résultats de cette étude via les entretiens réalisés qui ont
montré que les adolescents ont conscience de cette sur-exposition et qu’ils font attention à la
confidentialité. Ils ont d’ailleurs été nombreux à réagir sur ce problème de dévoilement de soi
dès la seconde question lorsqu’il leur a été demandé ce que les réseaux sociaux leur
apportaient et leur permettaient. De ce constat, nous pouvons dire que, spontanément, ils
n’associent pas seulement du positif aux réseaux sociaux, mais qu’ils associent également
du négatif. Cela a surtout été le cas pour les lycéens qui se sont largement exprimés à ce
sujet. Par exemple, une adolescente de 15 ans, en classe de Seconde, affirme « Ouais faut
pas mettre n’importe quoi. Faut pas mettre des photos de toi en sous-vêtements, comme on
71 LIVINGSTONE, Sonia, MASCHERONI, Giovanna et MURRU, Maria Francesca, 2011 : p.89-98 72 « public by default, private when necessary » : public par défaut, privé quand c’est nécessaire.
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peut voir parfois. Parce que ça reste, ‘fin c’est pas parce que tu as supprimé ton compte
facebook, que les photos vont disparaître. Si par exemple si tu tapes ton nom sur google
image et ben tu vois des photos de toi hein ». Les lycéens ont donc conscience de la notion
de public et de céder en quelque sorte toutes ses informations « privées » à Facebook et au
grand public. Ils ont également conscience qu'il ne faut pas trop s'exposer avec des photos
intimes. Pour eux, le fait de s'afficher relève de la volonté personnelle et ils sont plutôt
conscients des risques d'exposition. Lorsqu’il leur a été demandé s’il était important pour eux
d’actualiser et de contrôler ce qu’ils publiaient sur leur profil ou ce que les autres publiaient
sur eux, une grosse majorité a confirmé que c’était important pour eux, autant lors des
entretiens individuels que des entretiens de groupe. Un garçon de 16 ans, en classe de
Seconde, interrogé lors d’un entretien individuel nous confie ; « Bah oui un peu parce que
s’ils mettent n’importe quoi euhh... S’ils mettent un dossier, euh par exemple une soirée...
comme ça et qu’c’est vraiment ... trash... c’est pas... terrible donc voilà quoi. ». Une élève de
5ème interrogée lors d’un entretien en groupe est du même avis « oui j’préfère (…) parce que
des fois y’a des amis aussi qui prennent des photos par exemple en cours, où... où on est
moche dessus du coup j’préfère leur dire d’les enlever ».
Cependant, lorsque je leur ai demandé quels pouvoirs ils avaient sur les réseaux sociaux, la
plupart des adolescents estimaient avoir globalement un pouvoir sur la diffusion de leurs
données, grâce aux paramètres de confidentialité dont ils ont connaissance et qu’ils peuvent
régler. Ils ont ainsi tendance à oublier parfois que certains sites comme Facebook par
exemple, change assez souvent leurs règles de confidentialités et qu’à tout moment, lors
d’un bug informatique ou bien d’un piratage, n’importe qui pourrait accéder à leurs données.
Les 6ème et les 5ème eux, se laissent facilement entraîner dans l'interface de la plateforme au
moment de leur inscription et n'hésitent pas à donner les informations qui leur sont
demandées, sans penser aux conséquences, car ils n'ont pas assez de recul. Cependant, du
fait qu'ils aient leurs parents derrière eux, un contrôle s'exerce et ils ne publient pas
d'informations sensibles ou de photos d'eux-mêmes. Ils connaissent les outils de « blocage »
par exemple, lorsqu'ils ressentent le besoin de couper les ponts avec quelqu'un.
Ce pouvoir sur les réseaux sociaux n’est pas ressenti de la même manière par tous les
adolescents, et même si Facebook reste le réseau social sur lequel ils continuent d’être
majoritairement inscrits et actifs, il semble que la plateforme perde en effet de son aspect
attractif vis-à-vis des plus jeunes générations. En effet, l’on entend de plus en plus parler de
Facebook comme d’un outil perçu « dépassé » par les adolescents. Cela est probablement
lié à leur âge et du fait qu'ils se lassent d'un outil qu'ils ont connu dès le début de leur
adolescence. L’on ressent un besoin d'aller vers de nouveaux outils. Ils en viennent même à
parler de Facebook au passé. D’autres réseaux tels que Snapchat sont devenus
65
extrêmement populaires très rapidement. Il s’agit d’un phénomène d’attrait pour la nouveauté
mais pas seulement. Il semble que le facteur attrayant chez Snapchat, c’est ce que ses
inventeurs ont d’ailleurs très bien compris ; le fait que le réseau respecte davantage la notion
de privé et que l’on ne garde a priori aucune trace des éléments envoyés. Un jeune homme
de 18 ans, en classe de Première explique pourquoi les adolescents se tournent désormais
plus vers Snapchat que Facebook : « ça laisse plus de marques, j’pense que Facebook
laisse plus de marques et de traces que Snapchat, un snap ça disparaît au bout de 10
secondes (…) et puis sur Facebook, il faut faire gaffe, ça maintenant on le sait (…) On nous
le rabâche, mais faut pas mettre des photos compromettantes »
En effet, les adolescents s’éloignant peu à peu de Facebook semblent tous avoir trouvé des
inconvénients vis-à-vis du caractère public des éléments postés sur Facebook. Grâce à la
prévention des parents, de l’école et des actualités journalistiques, les adolescents se sont
majoritairement rendus compte du caractère pervers et dangereux que pouvait avoir
Facebook en y publiant des choses intimes ou compromettantes. Ils sont désormais plus
avertis et font plus attention aux paramètres de confidentialité. Si Facebook se perd un peu
pour les Premières et Terminale, c'est aussi justement parce qu'ils sont conscients des
dangers auxquels ils s'exposent et notamment en vue de leur future vie professionnelle qui
n'est plus très éloignée à leur âge. Pour eux, le fait qu'ils ne peuvent plus se lâcher constitue
un frein à l'utilisation de ce réseau social, car ils se sentent "espionnés" et par conséquent,
ne s'amusent plus.
D. Une image en décalage
La gestion que font les adolescents de leur profil peut parfois montrer une image en
décalage avec ce qu’ils sont réellement. Les sites de réseaux sociaux permettent en effet
« le prolongement de son « moi », mais également la création de plusieurs autres
« moi ». »73 Ainsi, sur Facebook, même si le site le décourage, il est possible de se créer de
nouvelles identités ne représentant pas nécessairement la réalité. Certains profils réels
symbolisent même une part des fantasmes des internautes et de ce qu’ils aimeraient être
via des photos de profil arrangées, des citations, des statuts et toutes les autres formes
d’expressions existantes sur ces plateformes.
« Dans la perspective de Beck, la subjectivité de l’individu sur Facebook n’est qu’illusion. Cet
espace en ligne donne à l’individu la fantaisie du bonheur à travers la possibilité d’avoir une
« bonne identité », mais en fait cette identité est inventée, et même elle est forcée d’être en
réinvention constante. Au lieu d’éprouver le bonheur d’exister comme un être libéré et
subjectif, l’individu devient obsédé de renouveler toujours cette « identité factice ». Le désir
73 VALLET, Caroline, 2012 : p.163-188.
66
infini de reconnaissance place l’individu face à une obsession perpétuelle de la mise en
scène de soi. L’individu est en proie à une solitude, et cette solitude se dévoile à travers
l’angoisse d’être obligé de changer et de maintenir sans cesse son image. Cette angoisse de
l’individu le pousse à une mise en scène perpétuelle qui pourrait l’assurer de son être. »74
Cette mise en scène de l’image de soi sur Facebook amène à considérer que certains
individus éprouvent le besoin de prouver leur propre existence. Cela ressortait dans les
interviews, où une jeune fille de 17 ans notamment, évoquait le besoin de se prouver à elle-
même et aux autres qu’elle existait ; « C’qui me motive c’est aussi me dire bah voilà comme
ça ils sauront que je suis là enfin. (…) Quelque part, enfin, c’est une certaine reconnaissance
à côté. »
Choi Hangsub, dans son ouvrage, évoque l’exemple de la société coréenne qui est très
compétitive et comprend une large population de « laissés-pour-compte ». Il raconte que ces
personnes souhaitent s’imposer mais n’y parviennent pas. Ils éprouvent alors un sentiment
d’aliénation qui risque d’abîmer leur estime de soi. Pourtant, Facebook leur donne l’illusion
de devenir quelqu’un d’important, de beau et « reconnu ». Ils mettent en quelque sorte leur
identité en scène, ce qui leur demande beaucoup d’énergie et de temps. Certains d’entre
eux prennent tellement soin à remaquiller leur identité qu’ils finissent en dépression. Le culte
de la performance conduirait à la dépression.
Par ailleurs, les affichages de leur identité sur les réseaux sociaux, ainsi que la manière dont
les adolescents perçoivent les sphères publiques et privées sur ces plateformes, dépendant
du type de public qui a été imaginé par le sujet et sont ensuite influencés par la conception
du site web. D’ailleurs, la construction du profil passe à la fois par les commentaires,
messages, tags, invitations déposées par les usagers, que par les activités individuelles. Il
arrive même parfois que l’on existe virtuellement même sans avoir créé de compte. Mais
cette construction passe également par les outils logiciels qui peuvent contribuer à une perte
de contrôle en participant à la construction du profil des utilisateurs via l’indication
automatique de leurs activités (entrée en relation, applications installées, commentaires
laissés). Ainsi, il apparaît que les internautes peuvent se retrouver à faire face à une identité
qu’ils n’ont pas créée et qu’ils n’ont pas voulue.
Il n’est alors pas rare qu’un individu soit perçu différemment entre les réseaux sociaux et la
vie réelle. Les adolescents interrogés dans le cadre de mon étude sont partagés à savoir si
les réseaux sociaux reflètent la vie réelle concernant la question de la notoriété. Certains
pensent que l’on ne peut avoir autant d’amis dans la vie réelle que sur les réseaux sociaux,
ainsi cela ne reflète pas la réalité. Un garçon de 15 ans en classe de 4ème en témoigne « non, 74 HANGSUB, Choi, 2013 : p.107-116.
67
non parce que sur les réseaux sociaux on peut ... on peut demander tout le monde en amis,
alors que dans la vraie vie... ben faut aller vers la personne ».
La différence tient ainsi à la personnalité de l’individu dans la vie réelle. Tous sont alors
d’accord pour dire que lorsque c’est un individu sociable et aimé de tous dans la vie réelle,
alors il y aura de fortes chances pour qu’il soit populaire sur les réseaux sociaux également.
Un garçon de 18 ans, en classe de Première illustre ce fait « mais je pense que sur un
réseau social si quelqu’un s’affiche c’est qu’il est pas timide et du coup dans la vraie vie il y a
peu de chance qu’il le soit non plus. Oui je pense qu’il y a quand même une relation entre
une grosse popularité sur internet et une certaine popularité au moins dans la vraie vie,
forcément. ». Et dans le cas où un individu est timide dans la vie réelle, il y aura selon eux
moins de chances qu’il soit populaire et qu’il s’expose grandement sur les réseaux
sociaux. De ce fait, les réseaux sociaux reflètent la vie réelle. Il existe cependant des
personnes, avec une personnalité pas nécessairement timide, mais qui n’ont jamais
« goûté » aux plaisirs de la notoriété dans le vie réelle et qui ainsi tentent de se rattraper via
les réseaux sociaux en étant très actifs et en publiant un grand nombre d’informations. Un
jeune homme de 17 ans en classe de Terminale précise ; « tu peux être populaire parce que
tu es actif sur Facebook ou juste parce que tu postes des belles photos ou des beaux
commentaires de temps en temps ». De plus, à la question « comment définirais-tu ton
pouvoir sur les réseaux sociaux ? », un garçon de 18 ans, en classe de Terminale rajoute
« c’est le pouvoir de se donner l’image que l’on veut, puisque c’est nous qui faisons.
Contrôler, si on sait faire, on peut contrôler au maximum l’image qu’on donne de soi. Ca peut
ne pas du tout correspondre à ce que qu’on est vraiment. » Cela est également valable
lorsqu’un individu demande beaucoup personnes en « amis ». Les adolescents interrogés
distinguaient bien ces personnes cherchant à avoir le plus d’amis possible - pouvant même
mener à une course à l’amitié virtuelle, via des « concours d’amis » - avec des personnes
réellement populaires, car en réalité, ils n’ont que peu d’amis. Alors, dans ce cas, les
réseaux sociaux ne reflèteront pas la réalité. C’est en ce sens que toute l’ambiguïté se créé
et que les réseaux sociaux peuvent constituer un outil d’acquisition de la notoriété. Mais cet
outil peut rapidement se transformer en épreuve pour les adolescents qui cherchent un peu
trop à s’exposer via une identité qui parfois est bien différente de ce qu’ils sont réellement.
Cette identité est créée généralement dans le but d’obtenir de la reconnaissance et pour
éventuellement acquérir une certaine notoriété.
De plus, l’on réalise rapidement que cette notoriété acquise sur les réseaux sociaux ne
remplacera jamais une « popularité » dans la vie réelle. En effet, selon une adolescente en
classe de 5ème, il semble que beaucoup de monde soit derrière eux, mais parmi ces
individus, beaucoup sont faux et amis par intérêts. Ainsi, cela peut se transformer en
68
épreuve pour l’adolescent lorsqu’il a besoin d’aide ou que sa notoriété commence à faiblir,
car plus personne ne lui porte d’intérêt d’un seul coup.
E. Certains adolescents deviennent accros/dépendants à ces
réseaux La quête de notoriété via les réseaux sociaux peut également devenir une réelle épreuve
pour les adolescents dans le sens où ceux-ci peuvent y devenir accros. Cette addiction
empiète parfois sur la vie réelle et a des conséquences négatives comme le fait de se
couper de la vraie vie sociale par exemple. C’est la « génération du contact permanent ».
Mais ce n’est pas seulement une communication phatique.
Comme souligné un peu plus haut, les adolescents souhaitent « rester dans le coup » et
pour cela le fil d’actualité créé par Facebook est particulièrement utile mais également
particulièrement addictif. En effet, les adolescents sont très attachés à rester au cœur de
l’activité de leur génération et cela amène certains d’entre eux à ne jamais « décrocher » de
leur téléphone où ils consultent de plus en plus leurs réseaux sociaux. Il semble alors
problématique de gérer la séparation de ce flux continu d’informations avec les occasions
d’interactions que ce flux provoque. Par ailleurs, ces sites étant accessibles en permanence,
et regroupant des interactions sociales très recherchées par les adolescents, il semble
difficile pour eux de « décrocher ».
Si l’on considère les résultats des interviews réalisées auprès des adolescents, la plupart
des collégiens estiment passer entre 30 minutes et 2 heures par jour sur les réseaux
sociaux. Il en est de même pour les Seconde. Parmi les Premières et Terminales en
entretien individuel, tous estiment passer plus d’une heure sur les réseaux sociaux voir 6 h à
7 h pour l’un d’entre eux.
L’on pourrait ainsi faire référence à un objet relativement « nouveau » en sciences de
l’information et de la communication mais surtout en psychologie ; la cyberdépendance. « Il
s’agit d’un trouble psychologique entraînant un besoin obsessionnel d’utiliser Internet (au
sens large). »
« De même que pour les drogues dites « traditionnelles, les troubles psychologiques
observés se caractérisent principalement par un affaiblissement des engagement sociaux et
affectifs. » 75 Cela caractérise davantage la dépendance aux jeux vidéos. Mais dans le cas
des réseaux sociaux, l’individu peut avoir l’illusion qu’il augmente son capital relationnel via
75 OLIVERI, Nicolas, 2011 : p.167-174. L’expression « addiction à Internet » fut employée pour la première fois par la psychologue américaine Kimberly Young, lors d’un colloque de l’American Psychological Association (APA), à Toronto en 1996.
69
les réseaux sociaux et notamment en ayant de nombreux amis Facebook, ou Instagram
alors qu’en réalité, ces relations ne sont que virtuelles et artificielles. Ainsi, l’individu se
désengage de sa vie sociale dans la vie réelle alors qu’il croit au contraire l’améliorer grâce
aux réseaux sociaux. Le facteur temps n’est pas un élément suffisant pour caractériser la
cyberdépendance. En effet, celle-ci se caractérise par le fait que les réseaux sociaux
deviennent la principale motivation, l’unique centre d’intérêt d’un individu, au détriment des
autres activités sociales (scolaires, relationnelles, professionnelles, etc). Dès lors qu’il y a
utilisation intensive des nouvelles technologies de l’information et la communication et que
l’individu ne parvient plus à les contrôler, celles-ci peuvent être perçues comme
« aliénantes ». Aujourd’hui, l’informatisation de nos existences est bien présente, et la
dépendance informatique est une de ses manifestations les plus radicales. Cela peut alors
s’avérer être un important problème de santé publique et une véritable épreuve autant pour
l’adolescent que pour ses parents.
Pour autant, cette cyberdépendance reste un cas minoritaire et la majorité des adolescents
n’arrive jamais à ce stade. D’ailleurs, certains travaux76 ont montré que pour les catégories
de la population les plus jeunes, les sites de réseaux sociaux sont abordés comme une
manière additionnelle de se connecter à ses amis et connaissances, mais sans que cette
relation soit perçue comme foncièrement différente dans les buts recherchés par rapport à
un contact direct (discussion, partage, découverte de soi et de l’autre, commérages, etc). Ce
qui change la manière dont les adolescents abordent le réseau social vient des différences
entre chaque plateforme. Ainsi, « les différences de design des sites de réseaux sociaux
sont à l’origine de « culture du liens » singulières dont certaines invitent l’utilisateur à une
frénésie relationnelle (frantic friend procurement) et conduisent parfois à une réification
gestionnaire du lien social.77 »
Selon les adolescents interrogés, ces personnes passant leur temps sur les réseaux sociaux
et recherchant à tout prix la notoriété sont considérées comme des victimes, et notamment
des « victimes sociales » d’après les termes exacts d’un garçon de 14 ans en classe de
Seconde. Pour lui, « ils ne vivent que pour ça et ils cherchent la perfection ».
76 GRANJON, Fabien, 2011 : p.101. 77 ibid 76
70
F. L’architecture des plateformes provoque une perte de contrôle des données personnelles et constitue une épreuve
Comme précisé dans la partie précédente, cette dépendance et cette « culture du lien » peut
être corrélée avec le design spécifique de chaque plateforme. En effet, l'auto-présentation de
soi dans les mondes virtuels est contrainte de se couler dans des formes imposées :
questionnaires des sites de rencontres en ligne, choix d'un avatar, création d'un profil, etc.
Ces caractéristiques peuvent à la fois provoquer de la dépendance mais également une
forme de narcissisme exacerbé, comme cela a été abordé dans la première partie.
Cependant, « la probabilité d'une fixation narcissique dépend évidemment de la relation que
chacun entretient avec lui-même : plus l'idée qu'on a de soi est indécise et flottante et plus
grand est le risque de s'y laisser captiver. Mais on aurait tort de croire qu'il ne s'agit que de
fragilité personnelle du postulant. »78 La mise en scène de la plateforme est le moteur
principal de cette exposition de soi inconsidérée pouvant rapidement se transformer en
épreuve pour un adolescent. Si l’on prend l’exemple de Snapchat, son récent succès
s’appuie sur le besoin d’obtenir de l’attention et de s’assurer que l’interlocuteur est bien
présent et attentif. Pour visionner une image sur Snapchat, il faut maintenir le doigt appuyé
sur un bouton pendant une dizaine de secondes environ. Si l’individu arrête d’exercer cette
pression et fait autre chose sur son téléphone, alors il ne pourra plus voir cette photo et il sait
que le décompte de secondes continuera et ne pourra plus jamais voir cette photo par la
suite. Il a donc tout intérêt à rester appuyé si le contenu l’intéresse. Ainsi, cette application
est construite sur le principe que le récepteur doit prendre le temps de tout arrêter autour de
lui pour regarder ce message éphémère. Envahis par des milliers de tweets, de photos sur
Facebook, Instagram et autres réseaux sociaux, personne ne peut tout lire ou tout voir dans
ces flux infinis de données. En cela, Snapchat modifie les comportements face à Internet :
chaque individu est sûr que la personne recevant son image aura focalisé son attention sur
cette dernière. Or, c’est en cela que Snapchat possède un côté pervers, car si l’utilisateur
veut voir l’image, il est obligé de concentrer toute son attention dessus et oublier le monde
autour. Il est ainsi pris dans l’interface de la plateforme et cela peut créer une forme
d’addiction pour laquelle il est difficile de se passer si l’adolescent veut pouvoir accéder à
toutes les informations envoyées par ses amis.
Cela montre que la construction du sens marque fortement cette nouvelle ère de
l’architecture de l’information et de la conception des dispositifs. Associée à la dimension du
signe, elle renvoie à la fois à la sémiotique, à l’ergonomie, aux sciences cognitives, au
design et à la linguistique.
78 TISSERON, Serge, 2011 : p.83-91
71
Andra Resmini a réalisé des travaux sur le caractère « pervasif » de l’information dans les
sociétés contemporaines, qui ont fortement contribué à certaines théorisations du concept.
« L’architecture de l’information est un processus de construction de sens et de l’espace
dans le monde numérique et physique, où le caractère éphémère des artefacts et leur flux
permanent créent des états d’incertitude qui doivent être neutralisés pour éviter une
dégradation de l’expérience utilisateur. »79
Par ailleurs, l’ « ouverture » des plateformes de réseaux sociaux et les controverses à leur
sujet participe d’une épreuve supplémentaire à surmonter pour les internautes en général
mais tout particulièrement pour les adolescents.
En effet, l’architecture technique de Facebook est notamment très controversée. Derrière
l’interface se présentant comme transparente, se profile un logiciel imposant des procédures,
supposant des choix « par défaut » (que l’utilisateur devra changer par un geste conscient et
volontaire s’il veut modifier ce paramétrage), et configurant la manière dont les inscrits
peuvent interagir entre eux. Ce mode de fonctionnement constitue un facteur déterminant de
l’architecture technique de l’interface qui, loin d’être transparente, contraint les interactions
entre les usagers obligés de suivre les protocoles prescrits par la plateforme.
Depuis son ouverture au grand public en 2006, Facebook a fait l’objet de deux grandes
controverses publiques concernant l’introduction successive de deux logiciels favorisant la
surveillance institutionnelle : d’abord avec l’application « News Feed » (2006), puis, en raison
d’une volonté d’insertion du logiciel « Beacon » dans le dispositif de la plateforme (2007). Ce
dernier a cependant été supprimé en 2009, suite à des plaintes des usagers.
« L’arrivée de la « News Feed » traduit la superposition d’une surveillance institutionnelle
aux pratiques routinières d’observation interpersonnelle. Avec cette application, les mises à
jour des statuts des usagers sont extraites de leurs profils pour être insérées par bribes dans
le flux informationnel « News Feed ». Ainsi, les traces d’une individualité déjà fragmentée (le
« dividuel » deleuzien) migrent vers un espace où le contrôle s’exerce simultanément à
plusieurs endroits de la plateforme à partir de bribes informationnelles qui diffèrent selon
l’endroit où elles sont situées. »80
Les promoteurs de cette application et du projet ont, dans leurs discours, prétendu que ce
logiciel permettrait une plus grande sociabilité. Ce faisant, ce processus de surveillance
conférait aux relations interpersonnelles en ligne les mêmes pressions que celles existantes
dans les relations en public.
Ceci illustre l’application d’une forme de surveillance sociale via la plateforme et soulève des
questionnements quant à la protection des données et de la vie privée, mais également par
79 CHARTRON, Ghislaine, CHAUDIRON, Stéphane et IHADJADENE, Madjid, 2013. 80 PROULX, Serge et KWOK CHOON, Mary Jane, 2011 : p.105-112.
72
rapport à l’aide non consciente que les utilisateurs apportent aux différentes plateformes via
la cession de leurs données.
« Des chercheurs ont montré les risques liés à l’adoption de l’application News Feed. Il
semble difficile de faire valoir un droit à la vie privée dans l’espace conversationnel
Facebook, espace du « clair-obscur » en raison de la porosité entre espaces public et
conversationnel sur la plateforme. Cardon (2010) précise que News Feed a augmenté le
risque d’une « décontextualisation des données » alors que Boyd (2008) stipule que la
« faille de privacy » causée par News Feed a provoqué un « enchevêtrement de contextes »
traduisant ainsi la perte de contrôle des usagers sur leur propre production de contenus en
ligne. Ainsi, les caractéristiques propres de l’architecture technique d’une plateforme
induisent une conception spécifique de la vie privée et de l’intimité (Lessig, 1998). »81
Cette perte de contrôle et cette nouvelle conception de la vie privée peuvent représenter une
épreuve pour les adolescents dès lors que les contenus qu’ils publient sont décontextualisés
et interprétés d’une autre manière par leurs pairs, pouvant de ce fait mener à des
malentendus ou à des moqueries. Une adolescente de 15 ans, en classe de Seconde
interrogée dans le cadre de mon étude en avait d’ailleurs bien conscience : « après les
photos, tu les donnes un peu à Facebook, donc tu peux les retrouver partout ». Il arrive
également que des contenus non désirés et décontextualisés se retrouvent sur le fil
d’actualité des adolescents et provoquent un choc émotionnel, comme nous le raconte une
jeune fille de 18 ans, en classe de Première : « bah, moi j’me souviens, ma p’tite sœur elle
regardait le fil des actualités sur Facebook et en fait elle est tombée sur une photo enfin,
apparemment hyper choquante et elle avait pas du tout envie de tomber sur ça, mais elle
avait pas le choix, parce que bah quand on défile les actualités, on peut pas choisir, elle était
super choquée pendant 2 jours »
Enfin, l’année du décollage de Facebook, et lorsque son audience est passé à 50 millions
d’utilisateurs en 2007, la plateforme a opéré un déploiement de procédés publicitaires
sophistiqués. Ces procédés sont regroupés sous l’appellation « Facebook Ads » et reposent
sur une personnalisation des annonces en fonction du profil de chaque membre Facebook,
et sur leur insertion au sein des différents liens et pages du site. Les marques tâchent ainsi
d’analyser le comportement d’une partie de la population représentant la génération de
demain et donc futurs consommateurs. Il est important pour ces marques de mieux
comprendre comment les adolescents fonctionnent et agissent pour pouvoir mieux les cibler
par la suite. Or, ces publicités très intrusives peuvent être très gênantes pour les utilisateurs
et provoquer le désengagement de ses membres, mais également, pour certains
81 Ibid 80
73
adolescents très influençables, les conduire à cliquer et faire des achats qu’ils n’auraient pas
fait dans un simple magasin.
Une adolescente de 15 ans évoque évoque la problématique de ces publicités intrusives sur
Facebook comme raison de son désengagement : « ça se dégrade, déjà y’a vachement de
pub. Sur les applications mobiles y’a que ça. Enfin en fait j’vois même plus les publications
des autres personnes. J’vois que de la pub (…) Donc là c’est... j’y vais même plus en fait »
De plus, en 2009, Facebook connaît une forme d’aboutissement en laissant un moteur de
recherche tel que Google indexer certains éléments de la plateforme et notamment les
photos du non-membre et de ses « amis ». Par conséquent, la plateforme devient alors en
partie accessible par des non-membres, fait que les individus ne connaissent pas toujours.
Le fait de répertorier des éléments provenant du site Facebook sur un site comme Google
n’est évidemment quelque chose de non négligeable, surtout pour des adolescents ayant
tendance à s’afficher davantage que d’autres individus. Des photos d’individus peuvent alors
se retrouver sur Google, sans même que ces individus soient au courant, ce qui est
problématique.
De même, en 2010, le projet « Open Graph » vise à faciliter les passerelles entre Facebook
et les autres sites web. Dès lors qu’un site accepte d’implanter le bouton « Like » de
Facebook, la plateforme obtient un droit de regard sur les visites de ses membres à
l’extérieur et peut ainsi exploiter toutes les informations du membre à des fins marketing (par
exemple le parcours du membre sur un site tiers, des indications sur les transactions
réalisées).
L’exploitation de la participation par l’entreprise Facebook et ses sites partenaires apparaît
ainsi comme la condition d’un meilleur fonctionnement de la plateforme. Les membres
Facebook sont incités à ne pas restreindre la mise à disposition de leurs données privées,
jusque dans les modules de paramétrages de leur compte. Constat est fait que l’idée initiale
de partage a connu un certain glissement sémantique. Il n’est plus question de partage des
conversations ou des contenus avec des « amis » de façon désintéressée. Il est désormais
question pour l’internaute de partager ses propres informations avec la plateforme mais
également des sites tiers qui lui sont connectés et avec des intérêts économiques évidents.
Conclusion de la seconde partie : Pour conclure cette seconde partie, j’ai pu vérifier mon hypothèse selon laquelle les réseaux
sociaux peuvent également constituer une source d’épreuve pour les adolescents et
notamment lorsque cette quête de notoriété conduit à un lynchage ou du mépris exprimé par
les autres internautes. En effet, mon enquête m’a permis de confirmer que les adolescents
ont majoritairement tous subi des « insultes gratuites » au moins une fois dans leur
74
adolescence et que ce genre de désinhibition était assez commun sur le web, surtout sur
des sites comme YouTube ou ASK ou l’anonymat est de mise.
De plus, les adolescents se sont montrés très au courant du « marché de la réputation » en
montrant leur savoir-faire sur les réseaux sociaux qui s’apparente parfois à la mise en place
de techniques professionnelles. Mon hypothèse a ainsi été vérifiée, lorsque les adolescents
ont évoqué le cas de certains adolescents changeant en permanence leur photo de profil,
maîtrisant les logiciels de retouches photo ou bien en abordant leur propre expérience sur le
contrôle qu’ils font des commentaires et des tags de photos. Mon hypothèse leur semblait
d’ailleurs évidente : cette image montrée sur les réseaux sociaux est bien parfois en
décalage avec la personne. Eux-mêmes et surtout les lycéens semblent passer beaucoup de
temps sur les réseaux sociaux ce qui conforte une autre de mes hypothèses selon laquelle
certains adolescents deviennent rapidement accros aux réseaux sociaux dans leur quête de
reconnaissance et de notoriété. Cependant, mon hypothèse selon laquelle cette quête se fait
au détriment de la confidentialité semble réfutée car les adolescents semblent être très
avertis des dangers et plutôt méfiants envers les réseaux sociaux dorénavant. Enfin,
l’architecture des plateformes de réseaux sociaux provoque bien une forme de perte de
contrôle des données personnelles et constitue ainsi une épreuve dans cette question de
notoriété.
75
Conclusion :
A. Retour sur une méthodologie pluridisciplinaire Partant de l’hypothèse que les adolescents vivent une période de leur vie difficile à gérer, j’y
ai associé une autre hypothèse, plus nouvelle, selon laquelle les adolescents d’aujourd’hui
doivent faire face à encore plus de pression, via notamment le phénomène des réseaux
sociaux. J’ai ainsi orienté ma recherche en me demandant dans quelle mesure les réseaux
sociaux de discussion et de partage constituent à la fois un outil et une épreuve pour
les adolescents concernant la question de la notoriété ?
De cette problématique, j’ai dégagé deux hypothèses principales. La première selon laquelle
les réseaux sociaux constituent un outil pour les adolescents concernant la question de la
notoriété. Et la seconde, selon laquelle les réseaux sociaux peuvent également constituer
une épreuve pour les adolescents concernant la question de la notoriété.
Pour pouvoir répondre à cette problématique, j’ai fait le choix d’adopter une posture
pluridisciplinaire, posture nécessaire à la compréhension de tous les éléments entourant ma
problématique. En effet, cette posture se prêtait très bien à la population adolescente, étant
une population polymorphe. Afin de formuler mes grandes hypothèses, j’ai ainsi sollicité à la
fois des auteurs en psychologie, en sciences de l’information et de la communication, en
technique et sémiotique, en sociologie mais également en parcourant l’actualité
journalistique afin de voir le traitement fait du sujet par les médias. Cette recherche
documentaire m’a permis à la fois de formuler mes hypothèses mais également de les
confirmer en continuant mes lectures jusqu’à aujourd’hui encore.
J’ai souhaité dans un premier temps réaliser une enquête quantitative via un questionnaire,
mais je me suis vite rendue compte qu’une enquête qualitative serait plus appropriée
s’agissant d’un sujet pluridisciplinaire et notamment sociologique. Il m’était indispensable
d’obtenir des réponses qualitatives me permettant d’étudier la variété des opinions,
sentiments, comportements et motivations des adolescents au sujet des réseaux sociaux.
J’ai ainsi fait le choix de réaliser plusieurs entretiens de groupe pour pouvoir analyser les
interactions au sein du groupe, interactions essentielles dans le cadre de ma recherche sur
la question de la notoriété, mais également des entretiens individuels afin de pouvoir
analyser les différences de comportements et de réactions dans le cadre du
questionnement. Il m’a également semblé important d’analyser les différences qu’il pouvait y
avoir selon l’âge, le sexe et la zone d’habitation, c’est pourquoi j’ai veillé à établir une parité
au niveau de ces différents critères afin de pouvoir comparer avec justesse d’éventuelles
différences de comportements.
76
B. Les principaux apports du mémoire Grâce à mon étude documentaire ainsi qu’à mon enquête terrain j’ai pu confirmer mes deux
grandes hypothèses selon lesquelles les réseaux sociaux constituent à la fois un outil et une
épreuve pour les adolescents concernant la question de la notoriété.
En effet, pour répondre à la première hypothèse, j’ai mis en évidence le fait que nous vivons
aujourd’hui dans une société du narcissisme où règne une sorte de culte de la célébrité, mis
en exergue à la fois par la publicité, la démocratisation de la photo et des Smartphones,
mais également par les moyens de communication de masse et notamment via les réseaux
sociaux qui amplifient aujourd’hui le narcissisme ambiant et donnent libre cours à l’apparition
de nouveaux phénomènes tels que les selfies, expressions clairement représentatives du
narcissisme. Mon enquête m’a permis de confirmer cette hypothèse en constatant que les
adolescents interagissent beaucoup avec les photos de leurs amis et d’eux-mêmes.
Le mot « populaire » est d’ailleurs ressorti presque systématiquement. Même s’il n’est pas
vraiment utilisé dans leur vie de tous les jours, il est cependant bien présent dans leur
imaginaire collectif et apparaît comme quelque chose d’important pour eux ou du moins qui a
eu de l’importance à une période de leur adolescence.
J’ai constaté que les adolescents interrogés reproduisaient un discours critique vis-à-vis du
narcissisme et de la popularité, ce qui m’a semblé paradoxal aux vues des pratiques décrites
et de l’observation que j’ai pu faire. Il est clair que les adolescents accordent une certaine
importance à la représentation de soi mais qu’une espèce de norme s’est créée, incitant les
adolescents à se proclamer à l’opposé de personnes narcissiques et parfois même rejetant
formellement ce mot et celui de « popularité ».
Par ailleurs, j’ai constaté que la caractéristique des réseaux sociaux est, elle aussi, un
élément pouvant être exploité par les adolescents (de manière consciente ou inconsciente)
afin d‘atteindre la notoriété. La mise en scène de la plateforme participe ainsi à cet accès à
la notoriété dans le sens où une distanciation se crée par rapport à la prise de parole en
public. Tout un chacun est libre de s’exprimer comme il le souhaite sur ces réseaux. Ces
derniers sont donc exploités comme une nouvelle manière de construire la notoriété en
s’appuyant davantage sur une quête de visibilité que sur le mérite originellement attribué aux
personnalités publiques.
J’ai également pu prouver que certains réseaux sociaux sont plus propices à l’atteinte de la
notoriété que d’autres. C’est le cas sur des plateformes telles que Facebook, Twitter ou
Instagram où l’on peut générer du contenu facilement partageable et accessible à un très
grand nombre de personnes simultanément
77
Mon enquête a aussi pu confirmer que les réseaux sociaux pouvaient être un outil
d’acquisition de la notoriété dans le sens où ils ont la capacité de regrouper les individus. Il
apparaît que tout est une question quantitative grâce aux différents indicateurs : le nombre
de « likes », de commentaires, d’amis. Ainsi, des réseaux sociaux tels que Facebook, où l’on
peut rassembler un grand nombre de personnes dans son capital relationnel semblent bien
être utilisés comme un outil d’acquisition de la notoriété. Preuve en est ; lors de mes
entretiens, tous les adolescents pouvaient citer des connaissances participant à cette
« course à l’amitié virtuelle ». Pourtant, dans leurs discours, cette pratique est mal perçue et
il y a une espèce de norme qui régit chaque classe d’âge concernant le nombre d’amis
maximum à ne pas dépasser pour ne pas être catalogué comme narcissique. Cependant,
lorsque l’on compare les discours de ces adolescents à leurs pratiques et notamment au
nombre d’amis qu’ils ont en vérité sur Facebook, l’on constate un paradoxe. En effet, ils
critiquent les personnes ayant plus de 1000 amis, car selon eux, ils ne peuvent être des vrais
amis, pourtant eux-mêmes ont entre 300 et 450 amis, ce qui est un nombre considérable et
qu’on ne peut raisonnablement pas considérer toutes ces personnes comme des amis. Là
encore, comme leur position vis-à-vis du narcissisme, il semble que les adolescents
reproduisent un discours critique vis-à-vis du nombre d’amis maximum à avoir, or leurs
pratiques semblent contradictoires avec la représentation qu’il en ont.
Parmi les autres indicateurs, le nombre de « likes » et de commentaires fait foi de la
notoriété de la personne. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les marques utilisent le
nombre de « likes », de partages et autres indicateurs présents sur les réseaux sociaux
comme éléments de mesure marketing.
Néanmoins, j’ai fait le constat que les adolescents ont acquis de la maturité par rapport à ces
réseaux sociaux et prennent davantage de recul face à tous ces indicateurs ne reflétant pas
nécessairement la réalité selon eux. Pourtant, ils admettent que les « likes » font tout de
même plaisir et que s’ils publient quelque chose sans rien obtenir en retour cela blessera
leur égo. Il y a même une banalisation de l’acte du « like ». Malgré le discours, là encore,
dans la pratique le nombre de « likes » sert bien à la notoriété. Notoriété qui peut cependant
n’être qu’éphémère et virtuelle.
Même si j’ai pu constater que Facebook était de plus en plus considéré comme dépassé par
les adolescents, le site est celui sur lequel les adolescents restent le plus inscrits et présents,
et semble être l’outil majoritairement utilisé en vue d’obtenir une notoriété.
Dans un second temps, j’ai confirmé l’hypothèse selon laquelle les réseaux sociaux peuvent
également être source d’épreuve pour les adolescents concernant la question de la
notoriété.
78
En effet, cette quête de notoriété peut conduire l’adolescent à se faire lyncher ou mépriser
par ses pairs. Le phénomène est amplifié sur les réseaux sociaux car tout est instantané et
un grand nombre de personnes accèdent aux informations publiées. Les adolescents
cherchant à se faire connaître peuvent ainsi un peu trop s’exposer en publiant des textes ou
des photos audacieuses et ainsi se retrouver rapidement face à une forme de mépris
général. Cette popularité acquise peut alors se transformer en une mauvaise notoriété. Pour
ne pas me limiter aux faits d’actualité, j’ai souhaité interroger les adolescents pour savoir ce
qu’il en était de manière générale et pour eux particulièrement. Mon hypothèse s’est vérifiée
dans leurs discours montrant une forme de désinhibition via Facebook (et d’autres réseaux
sociaux) qui entraîne les adolescents à avoir des propos qu’ils ne tiendraient pas dans la vie
réelle, en public. Presque tous avaient fait l’expérience de commentaires désagréables sur
les réseaux sociaux. J’ai même constaté une forme de réappropriation négative du « like ».
Les adolescents interviewés ont tous plus ou moins pris du recul par rapport aux réseaux
sociaux car ils se sont rendus compte des problèmes que cela pouvait parfois engendrer.
Contrairement à ma sous-hypothèse de départ, les adolescents semblent ainsi être
conscients des problèmes engendrés par une surexposition sur les réseaux sociaux et font
désormais attention à la confidentialité de leur profil. Il est apparu comme important pour la
majorité d’entre eux de contrôler leur profil. Or, j’avais au départ émis l’hypothèse que cette
quête de la notoriété se faisait au détriment de la confidentialité et de l’intimité. Cela est vrai
pour quelques cas isolés mais selon mon enquête et des études réalisées (cf. partie II), les
adolescents font attention à leurs données privées.
Au cours de ce mémoire j’ai également émis l’hypothèse que cette quête peut mener
certains jeunes à gérer les réseaux sociaux à la manière d’un professionnel. En effet, les
entretiens réalisés m’ont permis de mettre à jour une sorte de professionnalisation amateur
vis-à-vis des réseaux sociaux. Les adolescents font cela pour eux-mêmes et sans aucun but
professionnel, pourtant ils utilisent des techniques pouvant s’apparenter à une
professionnalisation. J’en déduis alors que les adolescents ont une connaissance du marché
de la réputation et que cela est un phénomène propre à cette génération. Une grande partie
des adolescents est capable de gérer son image à la manière d’un professionnel, que cela
soit dans la gestion de leur photo de profil ou bien dans la gestion de leurs statuts et des
commentaires émis par les autres internautes.
De plus, par un besoin de reconnaissance et parfois de notoriété, les adolescents peuvent
créer une image différente de ce qu’ils sont vraiment, en créant tout un univers fantasmé
autour de leur profil. Cette quête montre donc parfois une image en décalage avec l’individu,
hypothèse confirmée par mes entretiens.
79
Cette quête induit également le risque d’amener certains adolescents à devenir accros à ces
réseaux. Les réseaux sociaux ont bel et bien ce pouvoir addictif sur les adolescents ; des
études l’ont montré et ma propre recherche l’a confirmé. Les adolescents interrogés estiment
passer entre une heure et six à sept heures sur les réseaux sociaux. Les collégiens passent
moins de temps en moyenne que les lycéens. Cela s’explique par les flux continus que
génèrent ces réseaux. Même si les adolescents ne passent que peu de temps à un instant T,
ils y retournent de très nombreuses fois au cours de la journée afin de se tenir informés de
l’actualité de leurs amis. C’est en cela que le caractère addictif apparaît.
Enfin, selon ma recherche documentaire étayée par le témoignage des adolescents,
l’architecture des plateformes de réseaux sociaux provoque une perte de contrôle des
données personnelles et peut constituer une source d’épreuve pour les adolescents. En
effet, ceux-ci ont l’obligation de suivre les protocoles pas toujours clairs ni transparents, ce
qui représente un danger pour la sécurité des données et un risque de dé-contextualisation
de ces données. Certains adolescents ont confirmé cela en précisant que lorsqu’ils tapaient
leur nom sur Google, ils étaient parfois étonnés de retrouver des photos d’eux en libre accès.
De plus, d’autres ont évoqué le fait qu’ils soient désormais envahis par la publicité
notamment sur Facebook et Twitter, d’où un délaissement pour Facebook.
C. Dépassement épistémologique Une des limites auxquelles j’ai été confrontée durant la rédaction de ce mémoire est le fait
que je possède le statut de chercheur alors que je me trouve moi-même dans la génération
Y, génération pour laquelle les réseaux sociaux sont devenus une pratique banalisée. C’est-
à-dire que j’ai vécu une partie de mon adolescence en utilisant ces réseaux sociaux au
quotidien. C’est pourquoi il me semblait difficile parfois d’analyser des pratiques qui selon
moi, sont tout à fait normales et intériorisées, alors qu’elles sont loin de l’être pour les
générations qui n’ont jamais connu cela durant leur adolescence. J’ai pu constater
cependant, qu’il y avait quelques différences marquantes avec les usages que je connaissais
et que les adolescents d’aujourd’hui continuent de se réinventer en permanence à l’aide de
pratiques bien spécifiques à leurs générations. Afin de ne causer aucun biais à mon étude et
pouvoir analyser les éléments en profondeur, j’ai essayé de prendre du recul durant ma
rédaction et d’aborder mon sujet et mes résultats avec des adultes dans le but de voir leurs
réactions et ce qu’ils en pensaient.
Les autres limites auxquelles j’ai dû faire face concernent mon enquête sociologique à
proprement parler et notamment mon statut particulier d’étudiante vis-à-vis des adolescents,
80
le cadre scolaire dans lequel ont été réalisés les entretiens en groupe, la représentativité, le
manque de moyens et de temps et enfin le nombre limité de personnes que j’ai pu interroger
dans le cadre de mes entretiens individuels. Par ailleurs, le fait que les apports de ce
mémoire soient circonscrits dans un cadre méthodologique strict constitue également une
limite82.
D. Un sujet en perpétuel débat Au moment où j’achève ce mémoire, des événements tragiques ont ponctué l’actualité avec
des défis lancés sur Facebook et nommés « A l’eau ou un restau ». Un jeune homme ayant
souhaité réaliser ce défi à l’aide de son vélo, se l’était accroché au pied de peur de le perdre.
Au moment du plongeon, entrainé au fond de l’eau par le poids de son vélo, il s’est noyé.
D’autres drames ont été évités de justesse avec ce défi Facebook mais ce genre de jeu
même s’il en a désormais freiné plus d’un, n’est pas prêt de s’arrêter tant que les réseaux
sociaux existeront. A cette occasion, le débat a été relancé sur la dangerosité des réseaux
sociaux réactivant, en des termes tragiques, ma problématique.
82 Se référer à l’annexe « cadre méthodologique » afin de connaître en détails les apports et les limites de ma méthode et ainsi mieux appréhender le cadre de mon étude.
81
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84
• Sciences de l’information et de la communication :
-‐ CARDON Dominique. Du lien au like sur Internet - Deux mesures de la réputation,
Communications, 2013, n°93, p.173-186
-‐ CHARTRON, Ghislaine, CHAUDIRON, Stéphane et IHADJADENE, Madjid,
L’architecture de l’information : un concept opératoire ? Etudes de Communication,
2013, n°41
-‐ COUTANT, Alexandre. Des techniques de soi ambivalentes - Ces réseaux dits
sociaux. Hermès, 2011, n°59, p.53-57
-‐ GRANJON, Fabien. Ces réseaux numériques dits sociaux - Amitiés 2.0. : le lien
social sur les sites de réseaux sociaux issu de l’ouvrage, Hermès, 2011, n° 59, p.99-
104
-‐ LIVINGSTONE, Sonia, MASCHERONI, Giovanna et MURRU, Maria Francesca. Ces
réseaux numériques dits sociaux : Utilisation des réseaux socionumériques par les
jeunes européens, Hermès, 2011, n°59, p.89-98
-‐ MUNIER, Brigitte. Ces réseaux numériques dits sociaux - Du Kula à Facebook : le
poids du prestige, Hermès, 2011, n°59, p.113-116
-‐ OLIVERI, Nicolas. Ces réseaux numériques dits sociaux - La cyberdépendance : un
objet pour les sciences de l’information et de la communication, Hermès, 2011, n°59,
p.167-174
-‐ PROULX, Serge et KWOK CHOON, Mary Jane. Ces réseaux numériques dits
sociaux - L’usage des réseaux socionumériques : une intériorisation douce et
progressive du contrôle social. Hermès, 2011, n°59, p.105-112.
-‐ STENGER, Thomas et COUTANT, Alexandre. Ces réseaux numériques dits sociaux
- Introduction, Hermès, 2011, n° 59, p.9-17
-‐ TISSERON, Serge. Intimité et extimité, Communications, 2011, n° 88, p.83-91
• Droit et société :
-‐ VALLET, Caroline, Le dévoilement de la vie privée sur les sites de réseau social. Des
changements significatifs, Droit et société, 2012, n° 80, p.163-188.
• Rapport clinique :
-‐ American Academy of Pediatrics, The impact of social media on children,
adolescents and families, PEDIATRICS, 2011, Vol. 127, n°4, p.800-804
Etudes :
-‐ TNS SOFRES, Les Français et l’utilisation des photos sur Internet, 23 août 2012.
85
Annexe 1 - Cadre méthodologique -
Dans cette annexe, il me paraît essentiel d’aborder les apports et les limites de ma méthode,
concernant les entretiens sociologiques, cela afin de mieux appréhender le cadre de mon
étude.
1. L’ENQUETE EN FOCUS GROUP
a. Les apports
L’intérêt de réaliser des entretiens collectifs est de comprendre ce que le groupe produit et
de pouvoir étudier la variété des opinions, sentiments, comportements et motivations des
adolescents sur le sujet des réseaux sociaux. J’ai souhaité mettre en évidence des
différences de perspectives entre des groupes d’individus et notamment ici entre différentes
classes d’âges, catégories sexuelles et selon différentes zones scolaires (rural / urbain).
L’entretien collectif est une méthode de recherche économique en temps de recueil de
données et en argent et l’échantillonnage du groupe peut se faire sans exigence de
représentativité.
Son principal avantage est de pouvoir analyser les interactions entre les élèves. En effet, les
comportements diffèrent selon que les personnes soient interrogées en groupe ou en
individuel. De plus, l’entretien en groupe est particulièrement adapté au sujet que je souhaite
analyser, car la question de la notoriété et de la désapprobation se construit dans un
système de relation avec autrui. Il est ainsi intéressant de voir la corrélation existante entre
ce qui est dit par les adolescents en fonction des personnes qui les entoure et la manière
dont ils vivent ces relations d’échanges. La notion de représentation de soi au sein d’un
groupe est très importante dans mon analyse.
Autre avantage ; le fait d’être dans un groupe peut lever les barrières de la timidité et les
tabous et stimuler le groupe.
Lors d’un entretien collectif, il est important de veiller à ce qu’il y ait homogénéité des
groupes, ce qui m’a semblé très important à mettre en œuvre. La sélection des personnes
doit contribuer à la construction du groupe et favoriser la prise de parole de chacun. Or le
rapport à la parole, surtout en public, est socialement déterminé. L’homogénéité sociale des
groupes, nécessairement relative, doit permettre d’éviter que l’aisance des uns inhibe les
86
autres. Pour autant, l’objectif est aussi de construire des groupes permettant de saisir des
situations diverses et contrastées.
J’ai ainsi mobilisé deux types de critères pour constituer chaque échantillon. Un critère
commun qui est lié à la fois à la zone géographique de l’établissement, c’est-à-dire soit en
zone urbaine, soit en zone rurale et à la fois à l’âge. En effet, j’ai fait le choix de rassembler
deux classes d’âge, différentes mais également les plus proches possibles, cela afin de ne
pas provoquer de prise de parole monopolisée par les plus âgés. J’ai également mobilisé un
critère pouvant saisir la diversité des positions à l’égard du thème discuté. Il s’agissait là du
critère du sexe, cela afin de confronter les idées et les pratiques entre les différents sexes.
En effet, à l’âge de l’adolescence le rapport de l’individu à l’autre sexe est très important à
prendre en compte concernant la réaction de chacun, et se vérifie également sur les réseaux
sociaux. D’où l’intérêt de confronter équitablement deux sexes opposés en entretien collectif
afin d’analyser les interactions qui se jouent.
b. Les limites
Malgré les avantages qu’apporte ma méthode, je suis tout à fait consciente des limites que
celle-ci peut provoquer.
D’un point de vue pratique, cette méthode implique une analyse des données longue et
fastidieuse qu’il était important pour moi de prendre en compte étant donné le temps qui
m’était imparti.
Les limites générales des focus groupes résultent des aspects « bloquants » de la
discussion de groupe : timidité ou réticence à exprimer des idées personnelles en public. Il
peut se dégager des normes de groupes, source de blocage, où les participants peuvent
rester dans les idées considérées comme « socio culturellement correctes ». Il peut y avoir
un problème de désirabilité sociale (peur du jugement des autres) qui peut empêcher les
personnes de dire réellement ce qu’elles pensent. La présence d’un « leader » d’expression
dans le groupe ou de relations conflictuelles entre les participants peut aussi entraver la libre
expression. Une autre limite réside dans le fait que les résultats d’une étude par focus group
ne peuvent pas être généralisés, car le groupe n’a pas été constitué dans un but de
représentativité de la population source. Cependant, j’ai fait le choix de ces focus groupe car
il était important pour moi d’appréhender certains aspects et discours émanant des
adolescents.
Une des premières limites de ma méthodologie appliquée à mon sujet est le cadre scolaire
dans lequel j’ai réalisé ces entretiens de groupe. Les entretiens se sont en effet déroulés
dans des salles de classe de l’établissement scolaire des adolescents. Cela représente un
87
lieu de pouvoir où ils doivent adopter des codes et des règles face à une figure d’autorité
importante. Les adolescents peuvent donc se sentir moins libres d’exprimer leurs opinions
de peur d’être jugés ou réprimés. Leurs comportements et réactions peuvent également s’en
trouver modifiés afin de se faire bien voir. La neutralité du lieu peut donc ici être remise en
question. De plus, ayant sollicité un médiateur provenant de l’administration afin d’organiser
ces entretiens, c’est-à-dire les encadrants des différents établissements, je pouvais ainsi
représenter l’autorité pour les adolescents présents avec le statut d’élèves. Les élèves ont
donc très bien pu m’assimiler à une professeure.
Cependant, afin de contourner ce biais au maximum, j’ai insisté, auprès des encadrants, sur
le fait que les élèves devaient se porter volontaires et non se voir imposer cet entretien. J’ai
également réalisé l’entretien seule avec les adolescents, ne souhaitant pas la présence d’un
encadrant pour ne pas les décourager. Au début de l’entretien, j’ai souhaité mettre les
adolescents le plus en confiance possible en leur précisant que tout ce qu’ils diraient
pendant l’entretien ne sortirait pas de la salle et que les encadrants et enseignants n’auraient
pas accès aux enregistrements et conversations. J’ai bien précisé que je serais la seule à les
visionner et à les exploiter et que cela se ferait de manière anonyme.
J’ai également porté une attention particulière à la disposition spatiale. J’ai en effet disposé
les tables en cercle car la structure circulaire signifie l’absence d’ordre, de hiérarchisation, la
table est un élément de protection pour chacun.
Si j’ai choisi de cibler un réseau déjà existant en intervenant dans le cadre scolaire, c’est
pour des raisons à la fois pratiques et légales. En effet, obtenir un nombre suffisant d’élèves
volontaires et organiser un entretien autre part qu’à l’école paraissait très difficile dans le
temps qui m’était imparti pour réaliser mon mémoire. Je faisais donc face à un premier frein
concernant le temps, le recrutement et l’organisation des entretiens. De plus, la fourchette
d’âges que je souhaitais interroger est constituée d’une population mineure. D’un point de
vue légal et pratique, il était donc très difficile pour moi d’obtenir les autorisations parentales
une à une, d’autant plus que se posait la question de la légitimité, qui aurait pu être remise
en cause par l’autorité parentale, ainsi que par les élèves.
Pour toutes ces raisons, j’ai fait le choix de passer par l’intermédiaire de l’administration
scolaire. En effet celle-ci bénéficie d’une légitimité et d’un cadre légal non contesté et
également une praticité difficilement accessible par un autre moyen.
Cela m’a également permis de constater, lors de mon entretien avec les Conseilleurs
Principaux d’Education qu’il y avait une véritable demande de la part du corps encadrants et
enseignants afin de mieux comprendre les phénomènes se produisant avec les réseaux
sociaux. N’étant pas nés avec ces outils, beaucoup d’entre eux se retrouvent en effet
dépassés et déstabilisés.
88
Une autre limite liée à mon sujet réside dans le fait que moi-même, jouant le rôle de
l’animatrice, possède une posture de pratiquante de ces réseaux sociaux. Même si je ne suis
pas née avec, une forme de banalisation s’est déjà produite car j’ai commencé à me
sociabiliser avec ces outils lorsque j’étais au collège. Il se pouvait donc parfois, que je n’ai
pas le recul suffisant pour analyser des choses qui me semblaient banales.
J’ai porté une attention particulière à adopter une posture neutre, vide de jugement de
valeur, privilégiant la compréhension et intervenant en priorité pour faciliter l’explicitation que
les participants peuvent faire de leurs propos. J’ai joué mon rôle d’animateur en mettant les
personnes en confiance, répartissant les tours de parole, sollicitant les plus silencieux,
relançant voire recadrant la discussion si nécessaire.
Cependant le fait que je sois moi-même sur ces réseaux me donnait plus de légitimité à
poser des questions sur ce sujet, aux adolescents et je possédais également un vocabulaire
spécifique, leur étant familier. Le fait que je ne sois pas trop éloigné de leur âge et moi-
même utilisatrice des réseaux sociaux, m’a donc permis d’établir une relation de confiance
qui a permis de gommer quelque peu les biais causés par le cadre scolaire et le rapport à
l’autorité.
Au départ, je souhaitais filmer les entretiens, cela afin de garder une trace visuelle de ces
entretiens. Jouant le rôle d’animateur et d’observateur à la fois, il m’était difficile de poser
toutes les questions et de remplir systématiquement ma grille d’analyse dans le même
temps. Le fait d’avoir filmé l’entretien me permettait donc, par la suite, de pouvoir visualiser
des comportements, des détails que je ne pouvais percevoir au moment de l’entretien. Cela
me permettait donc de compléter ma grille d’observation par la suite et d’avoir plus de recul
sur les entretiens. Même s’il a été précisé aux adolescents que ce film resterait confidentiel
et qu’il était simplement un outil de travail pour moi, je conçois très bien que ces
enregistrements aient pu gêner certains adolescents au moment de l’entretien et donc
biaiser leurs réponses.
De plus, j’ai pu obtenir l’accord des parents pour le collège, mais il était plus difficile de
l’obtenir pour les lycéens.
Une autre limite concerne la représentativité. Etant limitée dans le temps et au niveau des
moyens, je ne peux être représentative de la population régionale ou nationale. De plus, le
recrutement par le biais des collèges et lycées pouvait parfois être difficile. En effet, j’ai fait
face à plusieurs refus des administrations, n’ayant pas de temps à consacrer pour mon
étude. Cela a compliqué ma tâche afin de trouver suffisamment d’établissements volontaires
dans les délais qui m’étaient impartis. Cela explique pourquoi j’ai fait le choix de réaliser
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seulement 4 focus groupe et de compléter avec des entretiens individuels par la suite.
Cependant, dans des entretiens de groupe, il n’est pas possible d’obtenir une
représentativité parfaite et ce n’est pas le but. Mais on peut essayer de s’en rapprocher le
plus possible, ce que j’ai fait en interrogeant équitablement toutes les classes d’âge et les
différents niveaux scolaires, ainsi qu’une répartition équitable des sexes et une enquête sur
différents établissements scolaires : en zone rurale et en zone urbaine. J’ai ainsi voulu
appréhender certains discours auprès de différentes classes d’âge, me permettant de mettre
au jour certains aspects.
2. L’ENQUETE EN ENTRETIEN INDIVIDUEL
a. Les apports
L’entretien individuel a l’avantage d’être une méthode rapide et simple d’utilisation, avec des
délais courts et à faibles coûts.
(pour plus de détails : cf. introduction du mémoire)
b. Les limites
Une des principales limites auxquelles j’ai dû faire face pour l’entretien individuel au nombre
limité de personnes que l’on peut rencontrer à coût raisonnable. Ayant une limite de temps et
de moyens, je ne pouvais me permettre de recruter un grand nombre de personnes. De plus,
n’ayant pas de base de données de contact à disposition, j’ai procédé de deux manières
pour recruter. Je ne souhaitais pas interroger des personnes du même établissement
scolaire que ceux interrogés en focus groupe afin de ne pas biaiser mon enquête, j’ai donc
procédé à un recrutement par l’intermédiaire de mes amis. J’ai fait un appel auprès de mes
amis et connaissances ayant des frères et sœurs des âges ciblés afin d’interroger des
personnes variées, tout en respectant mes principaux critères qui sont la répartition égale du
sexe, du niveau d’étude et des zones d’habitation. J’ai souhaité écarter les personnes faisant
partie de ma famille afin de ne pas provoquer de biais dans mon étude. Cependant, le
recrutement s’est avéré difficile, car très peu de mes amis ont des frères et sœurs en âge
d’être au collège. Mes entretiens individuels ont ainsi du se limiter à 5 entretiens.
De plus, j’avais réalisé un 6ème entretien avec un adolescent en classe de 4ème, mais j’ai
décidé de ne pas l’exploiter car je me suis rendue compte en fin d’entretien qu’il y avait un
ami et la sœur de l’interviewé, dans un coin de la pièce, où je ne pouvais les voir. Aux vues
des réponses très rapides et peu développées de l’interviewé, j’en ai déduit que cela était dû
90
aux conditions d’entretien. Il était ainsi préférable de ne pas utiliser cet entretien, malgré la
perte de temps occasionnée, afin de ne pas biaiser mon enquête.
D’autres limites qui se posent concernent le problème de la représentativité des
interlocuteurs. Cependant, comme pour l’entretien collectif, l’entretien individuel n’a pas pour
but la représentativité même s’il est important de s’en rapprocher le plus possible, ce que j’ai
fait. De plus, l’information doit être vérifiée et l’outil doit être souvent combiné avec d’autres
outils d’analyse de contenu. C’est pourquoi j’utilise également la méthode du focus groupe et
un peu d’observation ethnographique en allant sur les profils des personnes interrogées
(exemple : profil Facebook).
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Annexe 2 - Guide d’entretien -
IMPORTANT Il est essentiel de respecter le temps accordé pour les questions de manière à pouvoir
traiter de toutes les questions dans le temps imparti. Il est essentiel de respecter les questions scrupuleusement afin d’assurer l’uniformité et
la qualité du traitement des données.
Guide d’utilisation de l’entrevue de groupe (focus group)
dans le cadre du projet de mémoire sur
Les adolescents et leur relation aux réseaux sociaux
Temps estimé: 55 minutes Responsable: Mathilde Vanneron Tutrice : Emeline Seignobos Objectifs de cet entretien Obtenir des informations sur:
- la manière dont les adolescents s’approprient les réseaux sociaux de partage et de discus-sion;
- comprendre la manière dont ces réseaux sociaux deviennent un outil de notoriété pour les adolescents
- comprendre la manière dont ces réseaux sociaux peuvent se transformer en « épreuve » pour les adolescents, dans le sens où ils peuvent se retrouver confrontés à des insultes sur leur réseaux social ou encore se sentir rejetés, etc…
- les représentations que les adolescents se font des réseaux sociaux aujourd’hui - la manière dont les adolescents parlent entre eux des réseaux sociaux - comprendre en quoi ces outils deviennent indispensable dans la vie quotidienne des ado-
lescents - les représentations que les adolescents se font de leur propre image dans le monde virtuel - la manière dont ils contrôlent leur image, leurs statuts… - comprendre ce qu’ont permis les évolutions techniques en terme d’appropriation de l’outil - comprendre comment ils interagissent entre eux - comprendre comment les phénomènes de groupe influencent les adolescents individuel-
lement
92
- analyser la différence entre ce qu’ils font apparaître sur les réseaux et ce qu’ils sont réel-lement
Rôle de l’animateur Le rôle de l’animateur est de faire en sorte que l’entretien permette de recueillir les informations souhaitées en régulant la discussion, en faisant en sorte qu’elle porte sur les aspects traités et qu’elle soit d’un niveau suffisamment abstrait pour pouvoir en extraire des idées pertinentes (évi-ter les discussions de type small talk ou encore leisure talk ou, en français, “discussion de cui-sine”). Il est donc très important que l’animateur ait une idée claire des objectifs de la recherche en parti-culier en ce qui concerne le thème couvert, de manière à pouvoir intervenir si les échanges ne permettent pas de recueillir des informations sur les sujets identifiés, peu importe cependant l’opinion des participants sur ces sujets. La régulation comprend aussi l’allocation de la parole à tous les participants pour éviter que cer-tains monopolisent la discussion. On peut prévoir, parce que la discussion porte sur un vécu commun au groupe et qu’il s’agit de groupes homogènes, qu’il ne sera pas tellement difficile d’amener les gens à s’exprimer. Dans cette situation, le rôle de l’animateur consiste surtout à s’assurer que le temps alloué à chacune des questions soit relativement respecté et que tous puis-sent parler. Comme l’entretien de groupe est utilisé pour faire jaillir des idées qui ne pourraient émerger dans un contexte d’entretiens en duo, encourager les participants à se parler entre eux plutôt qu’à vous. La disposition des chaises ou des tables en cercle ou en ovale est d’ailleurs très importante pour favoriser les échanges entre participants. Préparatifs - Obtenir des informations sur la composition du groupe. Faire remplir au fur et à mesure que
les personnes arrivent la fiche de renseignements personnels jointe en annexe: noms, adresse (pour l’envoi du compte rendu et le traitement des données), degré d’enseignement. Sur la fiche de renseignements il est précisé que la confidentialité sera préservée et que ces rensei-gnements ne seront utilisés que pour mieux faire le lien entre les informations fournies par les participants et les caractéristiques du groupe.
- Trouver une salle permettant d’accueillir 4 à 6 personnes et s’assurer qu’il y ait tout le maté-
riel nécessaire et s’assurer de la disposition de la salle. - Louer le matériel nécessaire auprès de Sciencescom : une caméra vidéo avec trepied + ma-
gnétophones, et s’assurer au préalable qu’ils fonctionnent bien en testant le matériel. - Obtenir l’aide d’un assistant de recherche dont le rôle est de s’occuper de l’aspect technique
(enregistrement, disposition de la salle), mais qui doit aussi observer, prendre des notes, ana-lyser ce qui se passe, et fournir des informations pouvant aider à analyser les données, par exemple des observations sur le langage non verbal. L’assistant n’intervient pas dans la dis-cussion ni dans l’animation.
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Matériel nécessaire
- Magnétophones avec bon micro (au moins deux); - Caméra vidéo - Trépied - Feuilles ou cartons pour inscrire les prénoms en face de soi (il faut que ça tienne debout); - Feuilles avec crayons pour que les participants puissent noter leurs idées pour ne pas les
perdre en attendant que la parole leur soit donnée. À faire avant le début de la rencontre - Arriver 30 à 40 minutes avant le début du focus group. - Disposer les chaises en cercle ou en ovale, selon le nombre de participants prévus. Les parti-
cipants doivent tous être face à face. - Installer les magnétophones et les tester à nouveau. Les disposer de manière à pouvoir capter
la voix de chacun des participants. Prévoir de 2 à 3 magnétophones. L’assistant de recherche qui accompagne l’animateur pourrait se charger d’installer et de faire démarrer les magnéto-phones.
- Placer des feuilles ou des cartons pour l’affichage des prénoms, avec crayons feutre (1 par
trois participants) devant chaque place. Se donner en exemple en installant son carton avec son prénom inscrit.
- L’assistante de recherche prend des notes sur ce qui est discuté et sur ses observations. Introduction à la discussion (10 minutes maximum) Ce qui doit être abordé (voir texte page suivante): - remerciements; - but de l’entretien; - invitation à s’exprimer librement; - règles de participation; - confidentialité des propos; - rôle de l’animateur
94
Mot d’introduction (2 minutes et 30 secondes) Bonjour à tous D'abord, je tenais à vous remercier de vous être portés volontaires et de votre intérêt pour cette étude que je mène dans le cadre de mon Master 2 en Communication ici même, à Nantes. Je réalise un mémoire de recherche qui a pour objectif de mieux comprendre votre utilisation des réseaux sociaux et votre perception. Nous aborderons 3 différents thèmes au cours de l’entretien : 1. Votre présence sur les réseaux sociaux 2. Votre comportement sur ces réseaux sociaux 3. Et votre perception des différents acteurs sur les réseaux Dans le cadre de cet entretien, je souhaite essentiellement connaître votre opinion et vos compor-tements au sujet des réseaux sociaux. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, uniquement des points de vue différents. Il est important que vous réagissiez spontanément avec ce qui vous vient directement à l’esprit. Il n’est pas nécessaire de parvenir à un accord mutuel. Vous devez tous vous sentir libre d’émettre votre opinion car nous ne sommes pas là pour juger les autres. Ne critiquez donc pas ce que disent vos camarades, commentez simplement en justifiant votre point de vue si vous n’êtes pas d’accord sur quelque chose. Et sachez que toutes les idées sont les bienvenues et aussi inté-ressantes les unes que les autres. Pour faciliter la discussion, je vous demande de parler assez fort et une seule personne à la fois. Je vous demande aussi de lever la main pour obtenir la parole. Comme je ne peux pas vous écouter et prendre des notes efficacement en même temps, je vais enregistrer cet entretien afin de ne rien perdre de la discussion. Cet enregistrement restera un outil de travail pour moi et la restitution que je ferais sera totalement anonyme. Les résultats de cette discussion et ceux des discussions des autres groupes qui se tiendront à ce sujet seront trai-tés confidentiellement. Avez-vous la moindre question ou le moindre doute à propos de cet enregistrement? Mon nom est Mathilde et mon rôle est de vous poser des questions et d’écouter. Je ne prendrai pas part aux discussions. Je vous invite plutôt à discuter entre vous. Je poserai une quinzaine de questions, vous invitant à passer d’un sujet à l’autre. Lors des discus-sions de groupe, certains ont tendance à parler plus que d’autres. Comme nous souhaitons enten-dre toutes les personnes parce que tous ont une expérience particulière, il est possible que j’inter-rompe des personnes et que j’en invite d’autres à s’exprimer davantage. Je vous invite également à prendre des notes sur les feuilles mises à votre disposition afin de ne pas perdre votre idée en attendant votre tour de parole. La durée de la discussion s'étendra sur une période d’environ 1 heure.
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Dernier paragraphe: à adapter selon la situation (tables disponibles, fiches distribuées avant, etc.) Maintenant, je vous demande de placer en face de vous la feuille sur laquelle vous aurez inscrit votre prénom et de me remettre tout de suite votre fiche personnelle distribuée avant le début de la rencontre. Nous allons commencer en faisant un rapide tour de table pour vous permettre de vous présenter brièvement. (prénom, âge, nom du collège, ville de résidence)
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QUESTIONNAIRE 14 minutes La première partie des échanges va porter sur votre présence sur les réseaux
sociaux Objectifs : Question 1 2 minutes Bref tour de table sur la pré-sence sur les réseaux Question 2 4 minutes Adhérence au réseau
- Comprendre quels réseaux les adolescents utilisent-ils le plus et pourquoi, qu’est-ce que ça leur permet ? - Étudier le nombre de communautés auxquels ils appartiennent et l’influence de ces communautés sur eux - Étudier le nombre d’amis, de followers qu’ils possèdent - Étudier leurs motivations/freins à être sur les réseaux sociaux Pour cette première question, je vais faire un tour de table. Quels sont vos réseaux sociaux favoris ? Qu’est-ce que ces réseaux sociaux vous permettent, vous apportent ? Pistes de relance :
- En quoi vous apportent-ils satisfaction ? - Qu’est ce qu’ils vous permettent techniquement et psychologique-
ment ?
Sous-question: Quels mots clés vous permettraient de caractériser ce que vous apportent ces réseaux sociaux personnellement ? Relance :
- Accomplissement / liberté / intrusion / construction de soi…
Question 3 3 minutes
De votre point de vue, comment définiriez-vous un bon réseau social ? Pistes de relance :
- quels sont les fonctionnalités que vous aimeriez le plus retrouver ? - les outils dont vous vous servez le plus ? - des fonctionnalités qui n’existent pas mais que vous aimeriez intro-
duire? Je vais faire un deuxième tour de table pour cette question.
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Question 4 2 minutes Nombre d’amis Question 5 : 3 minutes
Combien d’amis ou de followers avez-vous globalement sur vos 2 ou 3 ré-seaux sociaux favoris ? Pistes de relance :
- Sur Facebook par exemple, combien d’amis avez-vous ? - Sur Twitter, combien de followers ? - Sur Snapchat, combien d’amis ?
Pour ceux appartenant à des groupes/communautés sur ces réseaux, qu’est ce qu’ils vous permettent ? Qu’en pensez-vous ?
Relance : Pourquoi appartenir à des groupes ?
15 minutes Nous passons maintenant à la deuxième partie des échanges qui vont porter sur vos comportements sur les réseaux sociaux
Objectifs : Question 7 5 minutes Interaction Question 8 2 minutes Rôle
- Comprendre comment les adolescents utilisent et s’approprient les réseaux sociaux - Étudier quel type d’interactions les adolescents ont sur les réseaux - Étudier quels comportements sont valorisés et dévalorisés sur les réseaux - Comprendre le fonctionnement et la réaction des ados sur les réseaux
Avec quels genres de contenus interagissez-vous le plus sur les réseaux ? Qu’est-ce que vous aimez/likez/commentez le plus ? Relance :
- quels genre de publications vous font le plus réagir ? - Photos ? albums ? Statuts ? Vidéos ? Articles ? Autre ?
Sous question : Pourquoi ? Adoptez-vous plus une position de partage de contenus ou de discussions privés sur ces réseaux ? Relance :
- Est-ce que vous publiez plus des choses ou vous passez plus votre temps à discuter avec vos amis ?
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Question 9 3 minutes Pouvoir perçu Question 10 3 minutes Posts Question 11 2 minutes Posts d’amis
Comment définiriez-vous votre « pouvoir » sur les réseaux sociaux ? Relances :
- Publiez-vous beaucoup de choses sur les réseaux ? - Avez-vous beaucoup de likes / réactions / partages…? - Vous considérez-vous plutôt comme meneur ou suiveur ? - Concernant la confidentialité ?
Que postez-vous en général sur votre « mur » ? Sous question : Pourquoi postez-vous cela ? Pourquoi voulez-vous avoir plus de like ? Qu’est-ce que la plupart de vos amis publient/postent/envoient sur leurs ré-seaux sociaux ?
23 minutes
Nous passons maintenant à la troisième partie, concernant votre perception des différents acteurs sur les réseaux sociaux
Question 13 5 minutes Perception / dé-finition Question 14 5 minutes Importance ac-cordée aux ré-actions des pairs
Comment définissez-vous quelqu’un qui a beaucoup d’amis, de likes, de commentaires sur ses réseaux ? Sous question : Qu’est-ce que ce mot (reprendre le mot cité) représente pour vous ? Comment décris-tu quelqu’un de populaire ? Relance : Qu’est-ce qu’il veut dire pour vous ? Accordez-vous de l’importance au nombre d’amis que vous avez, au nombre de likes / commentaires ou partages que vous obtenez sur vos ré-seaux favoris ? Sous question : En quoi est-ce important pour vous ? Qu’est-ce qui vous motive dans le fait d’obtenir plus de like ?
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Question 15 4 minutes Importance de la photo de pro-fil Question 16 3 minutes Contrôle de son image Question 17 2 minutes Moyens de con-trôle Question 18 4 minutes Expérience
Considérez-vous que votre avatar / photo de profil sur vos réseaux sociaux favoris a de l’importance ? Sous question :
- Si oui, en quoi ? - Changez vous régulièrement cette photo ?
Est-ce important pour vous d’actualiser, contrôler ce que vous publiez ou ce que les autres publient sur vous, vérifier votre profil ? Relance : Poster régulièrement des choses, contrôler les infos disponibles, les commen-taires, les photos publiées … ? Sous question : Le faites-vous régulièrement ? Par quels moyens contrôlez-vous votre image sur les réseaux sociaux ? Relance : - Quels moyens techniques ? psychologique ? - Logiciel de retouche ? - Effacement de commentaires / photos taguées ? Avez-vous fait l’expérience de commentaires désagréables sur les réseaux sociaux? Relance : - En avez-vous fait ? - En avez-vous reçu ?
1 minute Conclusion Le résumé de la discussion peut être fait pas l’animateur. Après avoir présen-ter le résumé, demander:
Remerciements 1 minute
Est-ce que quelque chose a été oublié? Est-ce que quelqu’un parmi vous souhaite ajouter autre chose, apporter une précision? J’invite les participants qui estimeraient n’avoir pu dire tout ce qu’ils pen-saient à m’envoyer un e-mail. Je vous remercie sincèrement pour votre participation à cette recherche.
100
Les résultats de l’analyse des focus groups pourront vous être ultérieure-ment présentés, à votre demande.
Mot de remerciements et Suites Tout de suite après la réunion, lorsque les participants ont quitté la salle, écrire les impressions générales, et compléter la grille d’observation si nécessaire.
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Résumé et réactions post hoc ...........................................................................................................................................................
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INFORMATIONS GÉNÉRALES
Tous les renseignements recueillis ci-dessous sont confidentiels et ne seront utilisés qu’aux fins de l’analyse des données. ÉCOLE : ..................................................................................... DATE : ................................. 2014 GROUPE : ………… (À NE PAS COMPLÉTER) I. RENSEIGNEMENTS PERSONNELS 1. Votre prénom et nom de famille : _________________________________________ 2. Sexe: 1. Féminin 2. Masculin 3. Âge: _________ 4. Habitez-vous : En périphérie / campagne En ville 5. Habitez-vous : Chez vos parents En colocation Autre (précisez) : _______________________ 6. Quel type de téléphone portable possédez-vous ? (cochez - plusieurs réponses pos-sibles) Téléphone avec appareil photo
Smartphone avec accès à internet Possession d’un Smartphone mais sans accès à internet Téléphone basique Je n’ai pas de portable
7. Combien d’heures par jour estimez-vous passer sur les réseaux sociaux ?
Moins de 30 minutes Entre 30 min et 1h Entre 1h et 2h 2h et plus
8. Adresse e-mail (dans le cas éventuel d’un rapide questionnaire à remplir en ligne) : 9. Adresse URL de votre profil Facebook : (optionnel)
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Annexe 3 - Démarche auprès des établissements scolaires -
Objet : demande de rendez-vous Bonjour Monsieur Etienne, Je m’appelle Mathilde Vanneron, j’ai été élève au collège La Coutancière entre 2001 et 2005. Aujourd’hui étudiante en Master 2 Communication à Sciencescom, Audencia Group je réalise dans le cadre de mes études un mémoire de recherche sur les adolescents et leur utilisation des réseaux sociaux. Dans cette perspective, une enquête via un entretien auprès des collégiens et des lycéens dans toute l’agglomération nantaise est indispensable, mon but étant d’interroger un nombre suffisant d’élèves pour que mon travail soit le plus représentatif possible dans l’analyse des résultats. Je m’engage naturellement à garantir l’anonymat aux élèves afin de ne pas provoquer de biais dans l’étude, ni de les mettre dans une situation d’inconfort. Ce thème représentant à la fois un enjeu social et scolaire important, il me semble que les résultats de cette étude pourraient vous intéresser en offrant une vision plus précise de la manière dont les adolescents de votre établissement pensent et agissent et notamment avec les réseaux sociaux. Ayant été élève au collège La Coutancière, c’est naturellement que j’effectue cette démarche auprès de vous dans un premier temps afin de définir ensemble la démarche à suivre la plus appropriée et éventuellement apporter des modifications à ma méthode avant de déployer mon étude à toute l’agglomération nantaise. Je souhaitais ainsi connaître vos disponibilités pour vous présenter mon étude et mes objectifs plus en détails et afin de discuter des modalités pratiques pour la transmission du questionnaire dans le cas où vous seriez intéressé. Avec mes plus cordiales salutations, Mathilde Vanneron
252
Annexe 18
- Grilles d’observation -
Entretiens en groupe
Noms Interactions
verbales : - élocution - rythme du discours : rapide, lent, normal - autres : Agressif, coupe la parole, ne finit pas ses phrases, se répète…
Interactions non verbales : - gestes - silences - regards : insistants, étonnement, culpabilisateur… - réactions corporelles : rougissement, sueur… - Activités annexes :portable, dessine …
Degré d’écoute / proxémie
Stratégie de positionnement - Meneur, - suiveur, - connaît tout, - se dévalorise…
Tendances : - à la dispersion du groupe - à l’accord commun - à l’affrontement d’idée / de valeurs - Autres
Personnalités - Forte, - timide, - suiveur, - caractérielle…
Verbatims
X
Y
265
Annexe 19
- Grille d’analyse -
Entretiens en groupe
341
Table des matières Introduction…………………………………………………………………………………… p.7
Problématique…………………………………………………………………………………… p.15
Méthodologie..…………………………………………………………………………………… p.16
I. Les réseaux sociaux utilisés comme outil d’acquisition de la notoriété… p.18
A. De nos jours : une société du narcissisme expliquant cette quête de
notoriété……………………………………………………………………………. p.19 1) Une publication démesurée de photos et l’apparition d’un nouveau
phénomène : les selfies………………………………………………………………… p.22
B. La caractéristique des réseaux sociaux concourt à l’acquisition de la
notoriété …………………………………………………………………………… p.26
1) La mise en scène de la plateforme constitue un outil en faveur de la notoriété… p.27
2) Certains réseaux sociaux sont plus propices à l’atteinte de la notoriété que
d’autres …………………………………………………………………………………. p.30
C. La tendance des réseaux sociaux à regrouper comme vecteur de
notoriété …………………………………………………………………………… p.35
D. Des indicateurs destinés à s’évaluer : likes, commentaires, nombre
de vues comme accès à la notoriété………………………………………….. p.39
E. La capacité à créer un contenu attrayant comme aide à l’atteinte
de cette notoriété ........…………………………………………………………… p.41
1) Une activité similaire aux « techniques de soi »…………………………………….. p.42
2) Une très forte interaction avec des photos ou des éléments accrocheurs………. p.42
3) La « popularité » : un terme très présent dans l’esprit des adolescents…………. p.43
4) Les stratégies mises en œuvre pour accéder à la notoriété………………………. p.46
342
II. Les réseaux sociaux vécus comme une épreuve…………………………….. p.48
A. Cette quête peut mener à du lynchage, du mépris ou de l’ignorance
ayant un impact sur la vie réelle……………………………………………….. p.49
B. La popularité acquise peut être une mauvaise notoriété …………………. p.54 1) Une notoriété pouvant disparaître à tout moment : un processus
similaire au phénomène des télés-réalités…………………………………………. p.58
C. Cette quête de notoriété peut amener certains jeunes à gérer les
réseaux sociaux à la manière d’un professionnel …………………………. p.59
1) Une photo de profil toujours soignée et des photos « dossiers » très contrôlées p.60
2) Un contrôle systématique des commentaires avec effacement lorsque
nécessaire…………………………………………………………………………….… p.61
3) Une quête de notoriété au détriment de la confidentialité ………………………… p.61
D. Une image en décalage …………………………………………………………. p.65
E. Certains adolescents deviennent accros/dépendants à ces réseaux ….. p.68
F. L’architecture des plateformes provoque une perte de contrôle des
données personnelles et constitue une épreuve…………………………… p.70
Conclusion…………………………………………………………………………………….. p.75
A. Retour sur une méthodologie pluridisciplinaire ………………………………… p.75
B. Les principaux apports du mémoire …………………………………………….. p.76
C. Dépassement épistémologique…………………………………………………… p.79
D. Un sujet en perpétuel débat………………………………………………………. p.80
Bibliographie …………………………………………………………………………………... p.81
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Annexes :
Annexe 1 : Cadre méthodologique …………………………………………………………… p.85
Annexe 2 : Guide d’entretien ………………………………………………………………….. p.91
Annexe 3 : Démarche auprès des établissements scolaires ……………………………… p.103
Annexe 4 : Entretiens en groupe, 6ème et 5ème ………………………………………………. p.104
Annexe 5 : Entretiens en groupe, 4ème et 3ème ………………………………………………. p.112
Annexe 6 : Entretiens en groupe, Seconde …………………………………………………. p.126
Annexe 7 : Entretiens en groupe, Première et Terminale …………………………………. p.141
Annexe 8 : Entretien individuel, 5ème …………………………………………………………. p.158
Annexe 9 : Entretien individuel, 3ème …………………………………………………………. p.174
Annexe 10 : Entretien individuel, Seconde ………………………………………………….. p.182
Annexe 11 : Entretien individuel, Première ………………………………………………….. p.195
Annexe 12 : Entretien individuel, Terminale ………………………………………………… p.207
Annexe 13 : Questionnaire informations générales, 6ème et 5ème …………………………. p.219
Annexe 14 : Questionnaire informations générales, 4ème et 3ème………………………….. p.224
Annexe 15 : Questionnaire informations générales, Seconde ……………………………. p.231
Annexe 16 : Questionnaire informations générales, Première et Terminale ……………. p.238
Annexe 17 : Questionnaire informations générales, entretiens individuels ……………… p.245
Annexe 18 : Grilles d’observation entretiens de groupe …………………………………… p.252
Annexe 19 : Grille d’analyse, entretiens de groupe ………………………………………… p.265
Annexe 20 : Grille d’analyse, entretiens individuels ………………………………………... p.311
Annexe 21 : Demande d’autorisation aux parents pour les entretiens ………………….. p.340