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Les amants des Highlands - Numilog

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Les amants des Highlands

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Du même auteur aux Éditions J’ai lu

Désir brûlantN° 7685

Caprices érotiquesN° 8158

Pris au jeuN° 8416

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Nicole

JORDAN

Les amants des Highlands

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Ferréol-Dedieu

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Titre original THE LOVER

Éditeur original A Ballantine book published by The Random House

Publishing Group

© Anne Bushyhead, 1997

Pour la traduction française © Éditions J’ai lu, 2007

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Prologue

Édimbourg, Écosse, septembre  1739

Être indiscrète n’avait jamais été dans sa nature. Ce n’était pas sa faute si elle avait surpris le fameux séducteur en pleine action derrière les ifs. Sabrina Duncan avait quitté le bal pour aller prendre l’air dans les jardins, et elle s’y trouvait depuis une minute lorsque Niall McLaren était arrivé avec sa dernière conquête, la noble épouse d’un colonel anglais. Elle aurait dû se montrer tout de suite, mais elle n’avait souhaité embarrasser personne. Et maintenant, elle se retrouvait coincée derrière une haie, obligée d’entendre des choses qui ne la regardaient pas.

— Quel bonheur, sublime Arabella…Ce n’étaient que quelques mots très simples, mais

murmurés avec tant de chaleur, tant de douceur, tant d’émotion qu’ils ne pouvaient laisser une femme indifférente. Sabrina elle-même fut séduite, alors qu’ils ne lui étaient pas destinés.

— Il paraît qu’il n’a pas son pareil pour subjuguer une femme, lui avait dit sa cousine Fanny, tout exci-tée. Avec lui, aucune vertu n’est assez bien gardée.

Sabrina comprenait facilement le succès de Niall McLaren auprès du beau sexe. Elle était restée bouche bée tout à l’heure, quand il avait fait son entrée dans la salle de bal, suscitant un concert de chuchotis et

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de soupirs parmi la gent féminine. Il est vrai qu’il avait eu fière allure dans son costume traditionnel écossais.

Il portait le plaid aux couleurs du clan McLaren par-dessus une veste de satin noir et un kilt qui dénudait de fort belles jambes. L’épée à son côté contrastait avec son jabot et ses poignets de dentelle. Il était le seul parmi ces aristocrates à ne pas avoir de perruque poudrée.

Sabrina le connaissait de réputation. C’était le plus jeune fils d’un farouche chef de clan des Highlands. C’était aussi un grand séducteur. Niall McLaren était la coqueluche des dames d’Édimbourg, mais il avait aussi multiplié les conquêtes en Angleterre, en France ou en Italie.

Pour l’heure, à peine rentré d’un voyage sur le continent, il s’employait à séduire une femme mariée –  ce qui, apparemment, ne choquait personne.

— Tout le monde se demande si lady Chivington va céder ou non, avait dit Fanny. Les paris sont ouverts.

Sabrina, quant à elle, n’aurait pas donné cher des chances de lady Chivington. Qui pouvait résister à cette voix enchanteresse ? Elle était sous le charme de ce beau Highlander à la réputation atroce, et elle enviait le sort de lady Chivington.

Cela non plus n’était pas dans sa nature. D’ordi-naire, elle se contentait de sa vie telle qu’elle était, sans trouver à se plaindre. Certes, elle avait souffert quand son principal soupirant s’était soudain épris de sa jolie cousine, mais peu à peu l’amertume avait cédé la place à de vagues regrets. Au total, elle s’esti-mait heureuse. Cela n’avait rien d’ennuyeux d’être une belle-fille dévouée, et elle appréciait sincèrement les soirées tranquilles entre son beau-père et les livres de comptes.

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— Venez vous asseoir près de moi, dit Niall McLaren, sa voix de plus en plus chaude et caressante.

Sabrina imaginait facilement la scène qui se dérou-lait de l’autre côté de la haie  : le beau Highlander assis sur le banc de pierre tandis que lady Chivington gardait ses distances, pour se faire désirer.

Elle se souvint de la splendide silhouette de l’Anglaise, avec sa coiffure poudrée qui s’élevait à des hauteurs vertigineuses et sa robe à crinoline qui soulignait ses reins bien cambrés. Sa voix, pour l’heure, prit des tonalités aigrelettes, mal assorties à sa beauté :

— Je ne suis pas certaine d’avoir envie de m’asseoir près de vous, sir. Je pense que vous méritez une punition, pour le peu de cas que vous avez fait de moi cet après-midi. Vous n’êtes pas venu comme vous l’aviez promis.

— Vous allez bien finir par me pardonner, mon cher cœur, susurra Niall McLaren. Comme je vous l’ai déjà dit, j’ai eu un empêchement.

Une petite exclamation dédaigneuse s’échappa des lèvres de la dame.

— Je le vois d’ici, votre empêchement. C’était sans doute une accorte servante d’auberge. Ou bien une autre lady.

— Jamais, ma chérie, voyons ! répliqua-t-il sur un ton enjôleur. Comment pourrais-je m’intéresser à une autre femme alors que j’ai l’espoir d’obtenir vos faveurs ?

— Vous n’avez même pas répondu à mon billet !— Certes, mais me voici, oui ou non ? Et si

vous êtes comme moi, Arabella, nos retrouvailles vous procurent d’autant plus de satisfaction qu’elles ont été retardées.

Pendant le silence qui suivit, Sabrina imagina l’Anglaise en train d’agiter furieusement son éventail.

— Lorsqu’une dame vous invite à lui rendre visite, est-il dans vos habitudes, sir, de ne pas répondre ?

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— Seulement quand la dame en question est dotée d’un mari jaloux… colonel dans l’armée anglaise, qui plus est ! Je tiens à la vie, moi !

— Bah ! Je ne crois pas que vous ayez peur de mon mari. De plus, Richard se moque de savoir si je batifole, et avec qui.

— Il faut qu’il soit idiot pour ne pas s’inquiéter d’une femme aussi belle que vous.

Arabella Chivington ne se laissa pas amadouer par le compliment.

— Je vous préviens  : avec moi, la flatterie ne vous mènera à rien, dit-elle d’un ton faussement sévère.

— Mais je suis sincère ! protesta le Highlander.— J’aurais moins de peine à vous croire si vous

aviez accouru vers moi tantôt.— Si vous êtes vraiment dans ces dispositions d’es-

prit vis-à-vis de moi, vous souhaitez sans doute que je me retire ? suggéra-t-il sur un ton amusé.

— Pas du tout ! rétorqua-t-elle avec fougue. Cette soirée menace d’être longue et mortellement ennuyeuse.

— Je veux bien m’efforcer de vous divertir, si vous y consentez…

— Et moi, je veux bien faire l’effort de vous par-donner.

— Ma gratitude est infinie, madame, assura Niall McLaren avec un sourire dans la voix. J’aurais été fâché de vous perdre. Où trouverais-je une femme aussi digne de mon adoration ?

— Quoi, vous m’adorez, monsieur ?Elle flirtait, elle minaudait, elle faisait la sainte-

nitouche.— En vérité, oui, Arabella. Je suis littéralement

ensorcelé par vous.— Ah, vous êtes un fieffé menteur, monsieur, un

bourreau des cœurs prêt à toutes les tromperies pour faire de nouvelles victimes.

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— Des victimes qui n’ont rien de pire à redouter que mes caresses, répliqua-t-il benoîtement.

— Nous autres Anglais considérons les Highlanders comme des barbares, rappela lady Chivington.

— Ce qui, je le suppose, fait partie de notre charme, répondit-il. Avouez-le, il vous arrive d’être lasse des efféminés tout en dentelles et en rubans.

Elle rit, ce qui constituait sans doute un pas vers la capitulation.

— Cela m’arrive, j’en conviens. Il n’en demeure pas moins que vous êtes un barbare, monsieur. En Angleterre, on dirait que vous êtes nu si vous alliez au bal avec vos membres inférieurs exposés aux intempéries.

— Oh, mais si j’ai mis mon kilt, ce soir, c’est pour une bonne raison.

— Vous plairait-il de me dire laquelle ?— C’est pour mieux vous satisfaire, ma mie.— Est-il vrai que les Écossais ne portent rien sous

leur kilt ?— Vous avez la réponse à portée de main.— Oh, vous êtes vraiment polisson, murmura-t-elle

sur un ton faussement outré. C’est scandaleux, ce que vous dites là ! Vous n’y pensez pas !

— Bien sûr que j’y pense… je ne pense même qu’à cela. Et je suis sûr que vous aussi, repartit Niall d’une voix rauque. Votre cœur ne bat-il pas un peu plus vite à l’idée d’avoir une brute d’Écossais entre les jambes ?

Derrière la haie, Sabrina se troubla et rougit, à tel point qu’elle faillit manquer la réponse de lady Chivington.

— … que vous êtes le meilleur amant du monde. Je me suis laissé dire qu’à Paris plus d’une comtesse vous a mangé dans la main, et qu’à Venise les baronnes et les marquises étaient à vos pieds.

Il rit avec une désinvolture charmante.

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— Ma modestie légendaire m’empêche de faire le moindre commentaire.

— De plus, poursuivit lady Chivington, il paraît que des poètes sont allés jusqu’à composer des ballades sur les amours du sémillant Niall McLaren.

— On exagère toujours.— Exagère-t-on aussi lorsqu’on prétend que vous

êtes monté comme un étalon ?— Il ne tient qu’à vous de le vérifier sur-le-champ.Lady Chivington hésita.— Quoi ? Dans ce jardin ? Maintenant ?— Connaissez-vous un meilleur moyen de donner

de l’attrait à une soirée qui en manque ?— Et si quelqu’un nous surprenait ?— J’ai toujours pensé que danger rimait avec désir.

Venez près de moi, ma belle amie, murmura-t-il. Je vous promets de ne pas vous décoiffer. En échange, il faudra tâcher de ne pas ameuter tout le monde avec des feulements…

La robe de la dame froufrouta et les graviers de l’allée crissèrent sous ses pieds. Le Highlander lui avait demandé de se rapprocher et, apparemment, elle était en train d’obtempérer. Sabrina commença à s’affoler. Elle avait surpris un monsieur en train de compter fleurette à une dame et, comme si cela ne suffisait pas, elle risquait à présent d’être témoin d’une scène autrement pittoresque ! Il était l’heure de se retirer.

— Voilà qui est mieux, approuva Niall McLaren alors que Sabrina faisait un premier pas en arrière. Laissez-moi vous aider, très chère…

Cette offre de service fut suivie par des bruits d’étoffe.

— Comme vos seins sont beaux dans cette lumière, enchaîna le Highlander. Ils pointent… ils réclament mes baisers !

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— Oh, Niall ! Oh, Niall ! Oh, Niall… s’exclama la dame dans une litanie qui commença par un soupir et finit par un ronronnement.

Sabrina continua de reculer sur la pointe des pieds. Elle n’osait pas rester une seconde de plus. Pourtant, c’était impossible de retourner à la maison par le plus court chemin sans se faire remarquer par les amants. Elle allait devoir s’enfoncer dans le jardin et faire le grand tour…

Soudain, un bruit. Un claquement, assez semblable à un coup de pistolet. En étreignant machinalement son éventail, Sabrina venait d’en briser une lame. Un court instant plus tard, la silhouette d’un Highlander en kilt se dressa devant elle. Il brandissait une épée dont la lame brillait dans le clair de lune.

Son épaisse chevelure, noire comme le jais, attachée sur la nuque par un catogan, dévoilait son vaste front, ses hautes pommettes et sa mâchoire carrée. Son visage hâlé par le soleil lui donnait un air rustique et sain. Ses yeux bleus étaient menaçants.

Sabrina resta clouée sur place. Même si elle avait songé à s’enfuir, Niall McLaren l’en aurait empê-chée. Il l’attrapa par le poignet, sans brutalité mais fermement.

— Que faites-vous ici, mademoiselle ? demanda-t-il d’une voix qui n’avait plus rien de charmant.

Elle avait beau être grande, il la surplombait de la tête et des épaules, et ses sourcils froncés trahissaient sa colère.

— Qui est là ? s’enquit lady Chivington d’une voix suraiguë.

Tout en rajustant son décolleté, elle contourna la haie et s’arrêta net en voyant Sabrina.

— Vous ! s’exclama-t-elle. C’est un peu fort ! Et comment allez-vous justifier cette intrusion ?

— Vous connaissez cette jeune personne ? demanda Niall.

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La lady plissa le nez.— C’est la fille Cameron. Vous n’avez pas encore

remarqué qu’elle pue l’épicerie ?Sabrina se crispa. Ce n’était pourtant pas la pre-

mière fois qu’on lui faisait ce genre de reproche, puisque son beau-père était un riche marchand. Et, de la part d’une aristocrate anglaise, ça n’aurait pas dû la surprendre. Les Écossais n’avaient pas tant de préjugés et ils ne trouvaient rien d’infamant à gagner de l’argent.

— J’aurais du mal à me considérer comme une intruse, milady, répondit Sabrina d’un ton sec. Je suis chez ma tante, après tout. Et ce sont les fiançailles de ma cousine.

— Et vous n’étiez pas en train de nous espionner ?— Bien sûr que non !— Quel toupet !— Arabella, intervint Niall McLaren, peut-être que

nous n’interprétons pas bien la situation…— Je l’espère. Parce que, dans le cas contraire,

je suis perdue. Sa tante est la plus grande pipelette qui soit. Si cette fille bavarde, cela fera un scandale à n’en plus finir.

— Je vous assure, lady Chivington, que je n’ai pas l’habitude de colporter des ragots.

— Laissez-moi rire ! Avec la tante que vous avez, ça m’étonnerait que vous soyez capable de tenir votre langue ! En fait, je la soupçonnerais même d’avoir concocté tout ceci pour me discréditer.

— Arabella, dit posément Niall, vous allez un peu loin.

Elle le considéra d’un œil farouche.— Êtes-vous en cheville avec elle, monsieur ?

M’avez-vous attirée ici à seule fin de mettre à mal mon honneur ?

Le Highlander se rembrunit.

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— Lady Chivington, vous auriez peut-être besoin d’un peu de solitude, le temps de vous ressaisir ? Qu’en dites-vous ?

Ainsi rabrouée, l’Anglaise perdit un peu de sa superbe.

— Niall, je… je n’ai… balbutia-t-elle. Loin de moi l’idée de vous accuser de complicité. J’ai parlé sans réfléchir.

— Je sais, très chère. Raison de plus pour se calmer.— Viendrez-vous me voir demain ?— Euh, je pense que non, répliqua Niall après un

moment d’hésitation qui en disait long. Il serait sage de ne pas se revoir pendant quelque temps.

Lady Chivington les foudroya du regard, l’un après l’autre, avant de tourner les talons et de s’en aller à grands pas, sa robe flottant autour d’elle comme une voile dans la tempête.

C’est ainsi que Sabrina se retrouva seule dans la pénombre avec le fameux Niall McLaren.

— Auriez-vous l’obligeance de me rendre ma main, monsieur ? demanda-t-elle d’une voix entrecoupée.

À son grand soulagement, il lui lâcha le poignet.— N’ayez aucune crainte, poursuivit-elle. Je ne

raconterai rien de tout ceci, ni à ma tante ni à qui-conque. L’incident nuirait presque autant à ma répu-tation qu’à la vôtre. Personne ne saura jamais ce que vous étiez sur le point de faire.

Pour apaiser la colère du Highlander, il fallait davantage.

— Avez-vous l’habitude d’espionner les invités de votre tante ?

Sabrina en eut le rouge aux joues. Elle avait effec-tivement entendu des choses, mais elle n’était pas coupable de les avoir écoutées.

— Si j’ai été indiscrète, c’est malgré moi, répondit-elle en prenant un air pincé. Croyez-moi, je suis navrée d’avoir gâté vos plaisirs.

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— Pas tant que moi, rétorqua Niall sans une once d’embarras. Vous êtes vraiment mal tombée.

— Cela se peut, mais j’étais là avant vous, lança-t-elle sur un ton acidulé.

— Dans ce cas, vous auriez dû vous montrer.— C’est plutôt vous qui auriez dû choisir un meil-

leur endroit pour flirter.— Pour autant que je sache, un jardin au clair

de lune est généralement considéré comme l’endroit idéal pour flirter.

Il y avait des traces d’humour dans la voix du Highlander, mais ses yeux étaient toujours aussi sévères. Le menton de Sabrina se haussa d’un cran.

— Si vous le souhaitez, je peux vous envoyer quelqu’un pour remplacer lady Chivington, dit-elle. Je suis sûre qu’il y a des dizaines de femmes qui ne demanderaient pas mieux.

Les muscles de ses joues vibrèrent, comme s’il se retenait de sourire.

— Sans doute même des centaines, renchérit-il. Sauf qu’il faudrait tout recommencer à zéro et qu’il est déjà tard. Avec lady Chivington, j’avais fait le plus gros, je n’avais plus qu’à récolter les fruits de mon labeur.

Cette réponse teintée de cynisme avait tout pour choquer Sabrina.

— Je suis vraiment impardonnable, monsieur, répliqua-t-elle sarcastiquement. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser…

Elle voulut s’en aller mais, au moment où elle passa devant lui, il la retint par le bras.

— Un instant, mademoiselle… Cameron, n’est-ce pas ?

Elle hésita.— Duncan, corrigea-t-elle. Sabrina Duncan. Came-

ron est le nom de mon beau-père.— Eh bien, mademoiselle Duncan, dit-il en remet-

tant son épée au fourreau, à mon avis, nous devrions

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permettre à lady Chivington de retourner au bal avant nous. Ce sera meilleur pour sa réputation.

— Je suis surprise que vous songiez à la sauvegarde de sa réputation, repartit Sabrina. J’aurais plutôt cru que ce serait le cadet de vos soucis.

Il posa sur elle son regard pénétrant qui, dans la clarté dorée de la lune, paraissait presque vert. Sabrina cessa de respirer. Il était littéralement d’une beauté époustouflante. Avec, en plus, quelque chose de terrible.

— J’en déduis que vous me connaissez ?— J’ai beaucoup entendu parler de vous. Pour vanter

les prouesses du fameux Niall McLaren, les cent voix de la Renommée suffisent à peine.

Il esquissa un sourire.— J’ai cru déceler une nuance de reproche dans

vos propos, mademoiselle Duncan.— Ce n’est pas à moi de vous juger, monsieur.— Mais ça ne vous empêche pas de désapprouver

ma conduite.Il avait l’air de la trouver divertissante. Il doit me

prendre pour une oie blanche, pensa Sabrina.— Dans certains milieux, dit-elle, il est consi-

déré comme scandaleux de courir après une femme mariée.

— Apparemment, nous ne fréquentons pas les mêmes milieux, répondit-il malicieusement. Seriez-vous toujours aussi sévère si je vous disais que c’était la dame qui courait après moi ?

Sabrina était prête à le croire. Le fringant Highlan-der était doté d’un pouvoir de séduction auquel nulle femme n’était insensible. Moi comme les autres, reconnut-elle dans le secret de son cœur.

— Je n’ai pas eu l’impression que vous résistiez beaucoup, commenta-t-elle sur un ton pince-sans-rire.

— Ce ne serait pas digne d’un gentleman de décevoir les attentes d’une dame, répliqua-t-il sur le même ton.

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Sabrina se rendit compte qu’elle avait vu juste  : il s’amusait à ses dépens. Même dans la pénombre, elle pouvait distinguer une lueur de moquerie dans ses yeux.

— Je peux vous assurer, mademoiselle, que ce n’est pas la première fois qu’une femme réussit à m’attirer dans un endroit désert.

Sabrina s’interdit de sourire.— Ce doit être terrible de se retrouver pourchassé

par des meutes d’amoureuses, dit-elle sur un ton faussement compatissant.

— Vous seriez surprise si vous saviez toutes les épreuves que je dois endurer.

Sabrina hocha la tête. Elle n’aurait jamais dû se laisser entraîner dans une joute verbale avec ce beau parleur. Elle n’avait plus qu’à prendre congé sans délai. Rien qu’en restant seule avec lui, elle risquait de se compromettre.

Avant qu’elle ait le temps de lui annoncer son inten-tion de s’en aller, il reprit la parole.

— Si ce n’était pas pour nous épier, qu’est-ce qui a guidé vos pas jusqu’ici, alors que la fête bat son plein ?

Sabrina se mordit la lèvre. Elle n’avait pas l’intention de révéler qu’elle avait fui pour ne plus être obli-gée  de voir son ancien soupirant en train de danser avec Fanny.

— Est-ce un crime d’avoir envie de prendre l’air, monsieur ?

— Pas que je sache. Je ne me rappelle pas vous avoir vue tout à l’heure dans la salle de bal, mademoiselle.

Il y a une bonne raison à cela, songea Sabrina. Les hommes comme Niall McLaren n’avaient pas pour habitude de regarder les jeunes filles insignifiantes comme elle. À côté des femmes élégantes qui se pres-saient au bal ce soir, elle avait l’air d’un moineau parmi des paons. En demi-deuil de sa mère, elle portait

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une robe lugubre, en popeline grise. Maintenant, elle regrettait de ne pas être bardée de soie et de dentelles, ce qui aurait peut-être pallié son manque de beauté.

— Cela ne m’étonne pas, dit-elle. J’étais assise avec les vieilles filles et les chaperons tandis que des légions d’admiratrices se pressaient autour de vous.

— Vous êtes célibataire, je suppose ?Sabrina ne céda pas à la tentation de l’envoyer

paître. À vingt et un ans, elle avait dépassé l’âge normal du mariage, et l’on allait bientôt la considérer comme une vieille fille.

— Oui, monsieur.— La société étant ce qu’elle est, je suis surpris

qu’une riche héritière manque de prétendants.Elle se détourna pour l’empêcher de lire dans ses

yeux. Il ne pouvait se douter qu’avec sa remarque, il remuait le couteau dans la plaie. Elle avait eu un prétendant. Olivier l’avait épaulée pendant la maladie de sa mère et l’avait réconfortée après sa mort. Ils avaient décidé de se marier après une convenable période de deuil. Là-dessus, Olivier avait aperçu Fanny et il en était tombé éperdument amoureux. Lorsqu’il avait rompu leurs fiançailles, Sabrina avait moins souffert dans son amour que dans son amour-propre. Si son cœur avait été légèrement atteint malgré tout, elle s’était consolée en se disant qu’elle n’était ni la première ni la dernière à qui cela arrivait.

— Ma mère a été longtemps souffrante avant de mourir, répondit Sabrina. Je lui ai servi de garde-malade. J’ai eu peu de temps à consacrer à d’éventuels soupi-rants. Je suis d’ailleurs encore en deuil.

Voyant qu’il la toisait de la tête aux pieds, elle se crispa. Grande et anguleuse, elle était loin d’avoir autant de charme que les autres femmes de sa famille. Sa mère avait été célèbre pour sa beauté, de même qu’aujourd’hui sa tante Helen et sa cou-sine Fanny.

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De plus, elle n’était pas à son avantage ce soir. Une épaisse couche de fard couvrait son joli teint et lui alourdissait les traits. Et la coiffure à laquelle elle s’était résignée sur les instances de sa tante la privait de son meilleur atout. Sa belle chevelure auburn s’était transformée en monticule de boucles enrubannées et poudrées, et elle se sentait ridicule.

— Duncan, murmura pensivement Niall sans la quitter des yeux. Je connais des Duncan. Ils sont peut-être de votre famille ?

— Vous connaissez sans doute mon grand-père, le chef du clan Duncan. Si j’ai bien compris ce qu’on m’a dit, vous êtes originaire de la même région des  Highlands.

— Angus Duncan est votre grand-père ? s’étonna-t-il en haussant les sourcils. Oui, je le connais très bien. En fait, nous sommes voisins. Angus a même sauvé la vie de mon père lors d’une bataille contre les Buchanan. De telles choses ne s’oublient pas. Mais je ne savais pas qu’il avait une petite-fille.

— Oh, le grand-père Duncan a l’habitude de faire comme si je n’existais pas. Il aurait préféré un petit-fils. Moi, je ne sers à rien puisque je ne pourrai pas perpétuer le nom du clan. Et il n’a jamais beaucoup aimé ma mère non plus.

— Ah, oui… Si je me souviens bien, votre père l’a épousée sans le consentement d’Angus pendant un séjour à Édimbourg.

— Chose qu’on ne lui a jamais complètement par-donnée. Papa aurait dû se marier avec une fille des Highlands pour préserver l’honneur du clan. Une Écossaise de Basses-Terres, ce n’était pas assez bien pour grand-père Angus.

— Votre père est mort jeune, n’est-ce pas ?— Oui, un tragique accident… Une chute de cheval.Les traits de Niall s’assombrirent brusquement.

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— Ce n’était pas un simple accident. Si ma mémoire est bonne, c’est arrivé pendant une razzia de ces maudits Buchanan.

— C’est aussi ce que j’avais cru comprendre. Je ne me souviens pas de lui ni des Highlands, mais j’en ai beaucoup entendu parler. Lorsque mon père est mort, ma mère m’a prise sous son bras et elle est retournée vivre dans sa famille, à Édimbourg. Elle s’est remariée un peu plus tard. Mon beau-père est un négociant prospère. Il fait du commerce de laine avec la Hollande.

Niall McLaren écouta tout cela avec un ennui poli-ment dissimulé.

— Vous devriez retourner dans les Highlands un de ces jours, mademoiselle. Vous verrez comme c’est beau.

— Je ne crois pas que ce sera possible. Mon beau-père a besoin de moi. Il se défie de ses com-mis et, comme sa vue baisse, c’est moi qui vérifie ses comptes tous les soirs.

— Une femme avec un cerveau, c’est rare, dit-il pour la taquiner.

— Guère plus rare qu’un homme avec un cerveau, répliqua-t-elle, piquée au vif.

Il sourit doucement.— Vérifier des livres de comptes, c’est une drôle

d’occupation pour une jeune fille, convenez-en.— Et multiplier les conquêtes féminines, ce n’est pas

une drôle d’occupation pour un homme, peut-être ? rétorqua-t-elle un peu sèchement.

D’ordinaire, Sabrina n’était pas si prompte à prendre la mouche. Au contraire, on admirait sa patience d’ange et son égalité d’humeur. N’empêche que ce soir elle était irritable et agressive. Elle ne se recon-naissait plus. Apparemment, cet homme avait le don de l’exaspérer.

Il tiqua.— Est-ce ainsi que vous me voyez ? Comme une

espèce de don Juan ?

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— Don Juan, pourceau d’Épicure, jouisseur, luxu-rieux, libertin… la rumeur vous décrit en termes peu flatteurs.

Niall ricana.— La rumeur me prête aussi des perversions nom-

breuses et un goût prononcé pour les orgies. Il ne faut pas croire tout ce qu’on dit, mademoiselle Duncan.

— Pour les perversions, je ne suis pas au courant. Je sais seulement que vous séduisez toutes les femmes que vous rencontrez.

— Alors, ça, c’est un grossier mensonge ! Je ne séduis que les femmes qui me plaisent.

Le temps d’une pause, il la soupesa du regard. Puis il ajouta  :

— C’est pourquoi j’ai bien envie d’essayer avec vous, petite souris grise.

Sabrina ravala son souffle. Elle ne se croyait pas digne d’intéresser un homme comme lui. Il se fichait d’elle.

— Vous perdriez votre temps avec moi. Je prends grand soin de ma vertu.

— Rabat-joie !Elle faillit éclater de rire et se retint juste à temps.— C’est aussi bien comme ça, reprit-il en triturant

machinalement les ruches en dentelle sur son plastron. En dépit de mon épouvantable réputation, on ne m’a jamais accusé de m’en prendre aux chastes pucelles.

— Je suis soulagée d’apprendre que je ne risque rien, lança Sabrina.

Elle se garda de préciser qu’à son soulagement se mêlait, même si cela pouvait sembler curieux, une pointe de déception.

— Je n’ai pas dit que vous ne risquiez rien, corrigea-t-il en s’approchant. Ce serait dommage de ne pas profiter d’une aussi belle soirée.

Il avait avancé d’un pas. Sabrina recula d’autant, tous ses sens en alerte.

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— Je crois pouvoir affirmer que vous apprécieriez mes hommages, mademoiselle, ajouta-t-il.

Son sourire, un peu carnassier, était ravageur. Il était beaucoup plus grand qu’elle, large d’épaules, musclé, et si en plus il jouait de son charme, elle se retrouvait aussi démunie qu’un agneau devant un loup. Il connaissait son pouvoir sur les femmes. Il savait séduire, certes, mais pour lui ce n’était qu’un jeu.

Alors, elle se rebella.— Et moi, rétorqua-t-elle, je crois pouvoir affirmer

que vous ne me faites aucun effet.— Non ?Comment s’y prenait-il pour insinuer autant de

tendresse dans un seul mot ? Sabrina prit conscience que la situation devenait périlleuse. Il fallait qu’elle soit folle pour rester seule ici avec un tel homme. Elle n’avait ni les qualités ni l’expérience requises pour tenir tête à un débauché. Ce n’était pas comme lady Chivington, qui pouvait se permettre de badiner avec lui sur un pied d’égalité.

Manifestement, elle s’était laissé envoûter par le clair de lune.

— Il faut que je rentre, décréta-t-elle d’une voix haletante.

— Non… restez !Sans crier gare, il lui caressa légèrement la joue.— Ce… ce ne serait pas raisonnable, bredouilla-

t-elle, surprise.— Et, naturellement, vous ne faites que des choses

raisonnables, n’est-ce pas, charmante enfant ?— Euh… oui.— Ne me dites pas que vous avez peur de moi.Sabrina se mordit les lèvres. Elle avait surtout peur

de céder à la tentation. La voix du Highlander avait subtilement changé de timbre, elle était de plus en plus rauque, ensorcelante.

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— Vous savez, ça ne me prendrait qu’un instant pour éveiller votre désir, dit-il.

Elle se mit à trembler lorsqu’elle comprit qu’il l’avait prise pour cible. Il se rapprocha encore, suffisamment pour qu’elle sente sa chaleur, son odeur.

— Voulez-vous que je vous enflamme ? murmura-t-il. Avez-vous envie de vous pâmer sous mes caresses ?

Elle entrouvrit la bouche pour protester mais il n’en sortit aucun son. Elle ne pouvait plus bouger non plus. Avec autant de hardiesse que de douceur, il posa la main sur sa joue. Elle ferma les paupières alors qu’il commençait à lui caresser la pommette avec son pouce.

— Ouvrez les yeux, ma belle.Incapable de résister, elle obéit. À la manière dont

il la regardait, elle devina ce qu’il s’apprêtait à faire. Il se pencha en avant et elle attendit, partagée entre la crainte et l’envie.

Le souffle tiède de Niall passa sur ses lèvres, puis il l’embrassa, lui donnant à savourer un bouquet de sensations déroutantes qui la laissèrent sans force. Sa cousine disait vrai, pensa-t-elle. Niall McLaren n’avait pas son pareil pour subjuguer une femme.

Lorsqu’il s’écarta, elle porta la main à sa bouche. Son ébahissement devait se lire sur ses traits car il sourit.

— Ce n’est quand même pas la première fois que quelqu’un vous embrasse ?

Comme ça, oui ! fut-elle tentée de répondre.Il l’attrapa par la nuque, avança ses lèvres une fois

de plus et dit, d’une voix qui avait encore descendu d’un ton  :

— Permettez-moi de vous faire rattraper le temps perdu.

Elle aurait dû refuser. La voix de sa raison lui soufflait de résister. Mais elle n’avait pas envie de l’écouter. Elle avait envie d’être désirée. Elle avait

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envie de savoir ce que cela faisait d’être subjuguée par un séducteur de légende.

Le silence de Sabrina ayant valeur de consentement, Niall s’empara de sa bouche. Pour commencer, il fut tendre, se contentant de frôler doucement, refrénant ses ardeurs par égard pour elle. Lorsqu’il glissa la langue entre ses lèvres, Sabrina savoura cette douce intrusion. Grisée, elle le prit par le cou, s’agrippa à lui pour ne pas tomber car ses jambes mollissaient. Il changea de position sans qu’elle s’en rende compte. C’était un expert en caresses. Il s’arrangea pour la plaquer contre lui, de sorte qu’elle ressentit des picotements qui commencèrent dans ses seins et descendirent peu à peu jusqu’à son entrejambe. Elle laissa échapper un cri d’émoi lorsqu’il appuya contre son ventre son membre dur.

Il la caressait de nouveau, le long du cou et dans les limites de son sage décolleté. Puis il descendit plus bas, frôlant un sein. Ce fut tellement inattendu, tellement exquis qu’elle prit peur. Elle émit un coui-nement et se débattit pour se libérer. Magnanime, il écarta les bras, relâchant son étreinte.

Elle le regardait avec des yeux ronds et respirait laborieusement.

— Je crois pouvoir affirmer que ça vous a plu, commenta-t-il avec un sourire triomphant.

Sabrina pâlit. Il disait vrai. Elle aurait voulu que ce baiser ne finisse jamais. Pendant un bref instant, grâce à lui, elle avait eu l’impression d’être la plus belle des femmes. C’est pourquoi sa remarque rail-leuse lui fit l’effet d’une averse glaciale. Elle avait le mauvais goût de se sentir méprisée, alors qu’elle aurait dû être contente qu’il ait arrêté avant que les choses n’aillent trop loin.

Elle comprenait maintenant pourquoi il l’avait embrassée. Pour démontrer son pouvoir sur elle…

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et peut-être pour la punir d’avoir interrompu ses ébats avec lady Chivington.

— Je suppose que je devrais vous remercier pour la leçon que vous venez de me donner, monsieur, dit-elle en composant son maintien. Après tout, on n’a pas tous les jours l’honneur et l’avantage de tom-ber dans les bras d’un célèbre libertin. Quant à votre façon d’embrasser, ajouta-t-elle avec un air dédaigneux, après tout le bien que j’en avais entendu dire, j’ai été, hélas, un peu déçue.

Niall fut pris au dépourvu par cette pique. Il cherchait encore une réponse appropriée lorsqu’une brusque agitation et des bruits lui firent tourner la tête. Sabrina tressaillit. Et si on la surprenait ici, seule avec lui ?

— Niall ? cria une voix d’homme avec un fort accent du terroir. Niall, es-tu là, mon garçon ?

— John ? s’exclama le Highlander.Du côté de la terrasse, des pieds lourdement chaus-

sés dévalèrent les marches de pierre. Niall McLaren contourna la haie. Sabrina le suivit, vaguement inquiète.

— Que viens-tu faire ici, John ? Que se passe-t-il ?— Je viens te chercher, mon garçon. On a besoin

de toi au pays. J’ai… j’ai de très mauvaises nouvelles. C’est à propos de ton père.

L’homme qui vint se planter devant Niall était un colosse. Sabrina remarqua qu’il portait les couleurs du clan McLaren. Avec son costume de guerre et son bouclier de cuir, il avait l’air déplacé dans ce charmant jardin bercé par les échos lointains d’un menuet.

— Mon garçon, ton père a été victime d’une traî-trise, reprit John d’une voix lasse et bouleversée. Il est tombé dans une embuscade. Il est gravement blessé. Tout le monde soupçonne un nouveau crime des Buchanan, cette bande de chacals. Ton père ne passera pas la nuit. Il t’appelle, en espérant que tu

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arriveras à temps pour lui fermer les yeux. Il n’a plus que toi comme fils, à présent.

— Plus que moi comme fils ? répéta Niall d’une voix blanche.

— Oui. James est mort.— Dieu tout-puissant, James !…McLaren tituba, porta la main à son front. Sur son

visage se lisaient la plus extrême stupeur et le plus profond chagrin. Instinctivement, Sabrina le prit par le bras pour le soutenir. Elle avait perdu sa mère l’année précédente, mais au terme d’une longue mala-die qui lui avait donné le temps de se préparer. Elle n’osait imaginer la douleur qu’on pouvait ressentir en perdant d’un seul coup son père et son frère. Et elle éprouva une profonde compassion pour cet homme qui, quelques instants plus tôt, n’était encore qu’un inconnu. Si elle avait pu, elle l’aurait serré contre son cœur pour le consoler.

— Tu vas être notre nouveau chef, Niall, dit gra-vement le rude montagnard. Tu dois rentrer au pays.

— Oui… tout de suite.Sabrina intervint.— Il va vous falloir votre cheval, monsieur. Voulez-

vous que je vous montre un raccourci jusqu’aux écu-ries, ce qui vous épargnera d’avoir à traverser la salle de bal ?

Il battit des paupières.— Ah, oui, les écuries…Elle le prit par la main et l’entraîna vers le fond du

jardin. Mais elle avait sous-estimé sa force de carac-tère. Il se dégagea brusquement, serra les mâchoires et bomba le torse. Cette main élégante, qui l’avait si bien caressée un instant plus tôt, agrippait à présent la poignée de son épée, et son beau visage, remodelé par la fureur, ne ressemblait plus beaucoup à celui du séducteur qui l’avait tant émue. Elle se retrouvait en présence d’un étranger. Un homme déterminé,

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dangereux. Le fils d’un valeureux chef de clan, héritier d’innombrables générations de guerriers.

Sabrina frissonna malgré elle. Niall McLaren n’avait nul besoin de son soutien ni de son aide. Au contraire, elle plaignait les ennemis sur lesquels sa vengeance allait bientôt s’abattre.

— Je me charge de vous excuser auprès de ma tante, dit-elle.

— Je vous en saurai gré, mademoiselle, répondit-il. Comme vous l’avez compris, j’ai des affaires impor-tantes à régler dans les Highlands.

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Les Highlands, Hautes-Terres d’Écosse, avril  1740

Niall McLaren venait de besogner son ancienne maîtresse. Ils n’avaient pas réussi à aller jusqu’à la chambre, Ève ne l’avait pas permis. Il l’avait renversée sur la table de whist et l’avait prise tout habillée. Elle avait été brûlante de désir et lui, d’humeur à la satisfaire. Il était allé chez elle aussitôt après sa rencontre avec Angus Duncan, dans l’espoir qu’une partie de plaisir lui calmerait les nerfs. Mais cela n’avait servi à rien. Il avait apaisé ses sens sans diminuer sa colère. Entre les soyeuses cuisses d’Ève, il n’avait trouvé ni la sérénité ni l’oubli. Son problème restait le même.

Il remonta son pantalon, s’approcha d’une console sur laquelle se trouvaient une carafe et des verres, et se versa une rasade de whisky.

— Qu’est-ce qui me vaut l’honneur de ta visite, mon cher seigneur ? demanda Ève, toujours sur la table de whist, les jambes ballantes et la jupe retroussée jusqu’au nombril. J’avoue que je n’avais pas été aussi bien contentée depuis… depuis ta dernière visite. Cela faisait des mois que tu n’étais plus venu, Niall. En fait, je ne t’ai pour ainsi dire pas revu depuis que tu es devenu laird.

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— Les devoirs de ma charge me prennent plus de temps que je ne l’imaginais, répondit Niall en dégui-sant un peu la vérité.

— Tu m’as beaucoup manqué.— Toi aussi, ma belle, murmura-t-il, l’esprit ailleurs.— Niall, tu me le dirais si tu avais des soucis ?— Pourquoi penses-tu que j’ai des soucis ?Elle se redressa, rabattit sa jupe sur ses jambes.— Je l’ai senti à ta manière de faire l’amour  : tu

n’es pas si brutal que cela, d’habitude, expliqua-t-elle en souriant avec indulgence. Et puis, il y a tes sourcils froncés, ton air distrait… Si tu me disais ce qui ne va pas, je pourrais peut-être t’aider.

— J’en doute, répliqua-t-il avec un rictus. Mais je vais te le dire quand même. Demain, je dois aller chercher ma fiancée.

— Ta fiancée ? répéta Ève dans un souffle. Tu vas te marier ?

— L’idée n’est pas de moi, je te l’assure.— Mais alors ?— Angus Duncan exige que j’épouse sa petite-fille

en règlement d’une dette que mon père a contractée vis-à-vis de lui.

— Quel genre de dette ?— Une dette d’honneur. Angus lui avait sauvé la

vie. Mon père lui avait dit qu’il pourrait demander n’importe quoi en échange. Il demande ça.

Ève resta silencieuse un moment.— Alors, tu n’as pas le choix, conclut-elle. Et moi

qui avais pensé… qui avais espéré que nous…Il savait ce qu’elle voulait dire. En tant que riche

veuve et proche voisine, Ève Graham avait toujours cru qu’un beau matin Niall demanderait sa main. Certes, elle aurait pu faire une épouse présentable. Mais elle se moquait des affaires de clan. Rien ne l’intéressait en dehors des jolies robes, des bijoux, des grands bals et des soirées de gala. Par ailleurs, elle

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avait déjà dilapidé la plus grande part de la fortune de son défunt mari, et son inconduite était notoire. Ève n’était pas une femme pour lui.

Mais pas davantage Mlle  Sabrina Duncan.Niall ravala un juron. Il se sentait pris au piège et

ce n’était pas agréable du tout.— Pourquoi Angus reparle-t-il de cette dette main-

tenant ? questionna Ève. Parce qu’il a l’âme au bord des lèvres ?

— Tout juste. Il a peur que le clan Duncan ne reste sans chef à sa mort, n’importe quel clan rival, et surtout des Buchanan. Angus veut quelqu’un de fort pour protéger les siens quand il ne sera plus là, et c’est moi qu’il a choisi.

Niall prit une grande gorgée de whisky. Il se sou-venait des paroles d’Angus  :

— Tu es un vrai guerrier, mon garçon, même si tu préfères passer ton temps à courir la gueuse. J’ai besoin d’un homme fiable pour conduire mon clan après ma mort. Les Duncan te suivront volontiers à la bataille. Pour le reste, tu as vingt-huit ans. Il est temps que tu songes à fonder une famille. Tu verras que les liens du mariage ne sont pas si désagréables que tu ne le crains…

Niall fit la grimace. Il n’avait rien contre les liens du mariage. Mais il était désormais le chef du puis-sant clan McLaren. Comme tel, il aurait besoin d’un fils pour lui succéder. C’est pourquoi il aurait préféré choisir lui-même son épouse.

Il n’avait jamais pensé devenir un jour le chef de son clan. C’était James qui aurait dû succéder à leur père. James avait été éduqué pour commander, se battre et engendrer une lignée vigoureuse. Ou, à défaut de James, Thomas. Mais le second fils de Hugh McLaren avait péri dans un naufrage au milieu de la Manche quatre ans plus tôt.

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Depuis sept mois qu’il était à la tête du clan, Niall s’était découvert une âme de chef et il avait déjà fait la preuve de ses capacités. Par exemple, lors du raid contre les Buchanan pour venger le meurtre de son père et de son frère. Il avait tué de sa main deux des coupables et mis les autres en fuite. La guerre n’avait rien pour l’effaroucher. Les luttes sanglantes faisaient naturellement partie de la vie dans les Highlands. Comme les guerres entre clans étaient sans fin, les enfants apprenaient à se battre au sortir du berceau.

Non, la chose qui lui restait en travers de la gorge, c’était d’être obligé de se marier. Avec la fille Duncan, qui plus est !

Et pourtant, l’honneur exigeait qu’il paie la dette de son père.

— Comment s’appelle l’heureuse élue ? demanda Ève. Si toutefois il m’est permis de poser la question.

Niall se massa les tempes.— Elle s’appelle Sabrina Duncan. Elle héritera un

jour de la fortune de son beau-père, un riche mar-chand.

— Ça lui fait déjà une grande qualité.Niall n’aurait pas dit le contraire. La terre des

Highlands était ingrate et les fermiers se donnaient beaucoup de peine pour de maigres récoltes. En fait, sa tâche consistait surtout à s’assurer que les membres de son clan avaient tous un toit au-dessus de leurs têtes et de quoi remplir leurs assiettes. La dot de son épouse serait bienvenue. C’était l’épouse elle-même dont il n’avait nul besoin.

Niall se souvenait fort bien de sa rencontre avec Mlle Duncan, le soir où elle avait joué les trouble-fête. Banale, bégueule, bavarde, bilieuse. Insignifiante au possible. À part peut-être son regard intelligent, la pauvre petite n’avait rien pour elle. Mais le problème n’était pas là.

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Il raffolait des femmes, blondes, brunes ou rousses, peu importe, pourvu qu’elles soient belles et ardentes. Une Ève Graham, visage de poupée, amoureuse infa-tigable, c’était l’idéal.

Chez une épouse, naturellement, il ne recherchait pas les mêmes qualités. Qu’elle manque de charme, qu’elle soit froide et ennuyeuse, il était prêt à s’en accommoder. En fait, il était prêt à tous les sacrifices pour le bien des siens. Depuis qu’il était chef, il s’était cherché une femme digne de devenir la maîtresse du clan McLaren. Il en voulait une qui lui donnerait des héritiers et qui aurait le sens de l’intérêt commun. Une femme comme sa mère. Et, sincèrement, il ne croyait pas que la petite Duncan ait les qualités requises. Mlle  Duncan ne connaissait rien aux Highlands ni aux besoins d’un clan.

— Eh bien, murmura Ève, interrompant le cours de ses méditations, tu ne devrais peut-être pas tant te formaliser. Un mariage arrangé, ça n’a rien de catas-trophique. Ton épouse ne s’attendra pas à ce que tu lui sois fidèle. Tu pourras continuer à collectionner les conquêtes, n’est-ce pas ?

Oui, pensa Niall, avec un regain de colère et de ressentiment contre le vieil Angus. Il ferait son devoir. Il se résignerait à ce mariage pour le bien du clan. Mais il n’avait pas l’intention de changer de vie pour satisfaire Mlle  Duncan. Si elle n’acceptait pas ses conditions, eh bien, libre à elle d’aller ailleurs se choisir un époux.

Comme il ne disait rien, Ève descendit de la table et vint le rejoindre.

— Tu seras toujours le bienvenu dans mon lit, mon seigneur, dit-elle voluptueusement. Vas-tu passer la nuit avec moi ?

Il esquissa un sourire teinté d’amertume.— Ma compagnie ne te serait pas agréable. Je suis

plutôt bougon en ce moment.

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— Alors, je vais m’employer à te faire changer d’humeur.

Tout en parlant, elle déboutonna la braguette de sa culotte de peau et glissa la main dans l’ouverture. Pendant un instant, il resta planté là, les yeux dans le vague, à se demander s’il allait réussir à lui donner ce qu’elle souhaitait. Sa légendaire ardeur, pour une fois, lui faisait défaut.

— Je t’en prie, Niall, j’ai encore envie de toi, murmura-t-elle en le caressant.

Niall reposa son verre sur la console et la prit dans ses bras. Il poussa un soupir d’exaspération qu’elle confondit avec une manifestation de bien-être.

— Moi aussi, j’ai envie de toi, mon chou.Puis il se pencha pour qu’elle ne voie pas qu’il

mentait et lui baisa les seins à travers la soie de la robe. Elle continuait de le caresser. Son corps réagit automatiquement, son sexe gonfla et devint dur, mais il pensait à autre chose.

L’honneur commandait qu’il s’acquitte de sa dette envers Angus Duncan. Il n’avait d’autre choix que de consentir à ce mariage. Mais il n’était pas prêt à renon-cer aux plaisirs pour les beaux yeux de Mlle Duncan. La malheureuse n’allait pas tarder à se rendre compte que sa vaste fortune ne lui avait pas permis de se payer un mari docile.

— Nous ne sommes plus très loin de la taverne, mam’zelle, annonça joyeusement Geordie Duncan. Vous allez pouvoir vous y reposer et boire un petit coup.

Sabrina remercia d’un sourire. Après une journée à cheval dans le froid et le vent, elle commençait à être fatiguée. Et ils venaient seulement d’arriver au pied des Highlands. Il faudrait chevaucher encore des heures sur des chemins raboteux pour atteindre

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Banesk, le siège du clan Duncan, où son grand-père Angus était gravement malade.

Au sortir d’une forêt de pins, la découverte des Hautes-Terres dans le lointain lui avait coupé le souffle. Elle avait quitté son pays natal à quatre ans et n’avait gardé aucun souvenir de son âpre beauté, avec ses vallons étroits, ses lacs brumeux, ses vastes landes et ses collines rocailleuses qui changeaient de parure au gré des saisons  : colorées en jaune au printemps par les genêts et les ajoncs, en violet, l’été, par la bruyère cendrée, et en rouge sombre, l’automne venu, par les fougères arborescentes.

— C’est si beau ! avait-elle murmuré avec une nuance de respect dans la voix.

— Ouais, avait approuvé Geordie. C’est un beau pays, pour sûr.

Sabrina ne comprenait pas que sa mère ait pu rester insensible à de telles splendeurs. Mais la douce et délicate Grace Murray avait dû dire adieu à Édimbourg pour aller vivre avec le fils unique du chef des Duncan. Elle ne s’était jamais sentie à l’aise pendant les cinq ou six années qu’elle avait passées dans les Highlands, où les mœurs étaient rudes et les luttes incessantes. Angus n’avait pas vu d’incon-vénient à ce que Grace, après la mort de son mari, retourne à Édimbourg avec sa fille. Aujourd’hui, Sabrina n’éprouvait aucun sentiment particulier, ni tendresse ni rancune, envers ce grand-père qu’elle connaissait à peine.

Ils traversèrent à gué une rivière et Sabrina dut rappeler son chien pour l’empêcher d’aller pêcher une truite. C’était un mastiff abricot, avec un masque noir, qui s’appelait Léo, car il était presque aussi gros et presque aussi vorace qu’un lion. Il trottait à côté du cheval de sa maîtresse et ce long voyage sem-blait l’amuser follement. Il avait déjeuné d’un lapin de garenne et Sabrina avait du mal à l’empêcher de

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CompositionFACOMPO

Achevé d’imprimer en Italiepar GRAFicA VeNeTA

le 31  décembre 2017

Dépôt légal  : janvier  2018EAN 9782290152942

OTP L21EPSN001778N001

ÉDITIONS J’AI LU87, quai Panhard-et-Levassor, 75013 Paris

Diffusion France et étranger  : Flammarion