226

Les anges - Tome 1 - ekladata.comekladata.com/.../Les-anges-Tome-1-Tina-M_1_.pdf · Elle est verdoyante, avec un cœur de forêt presque aussi sauvage que les forêts du Brésil

Embed Size (px)

Citation preview

TinaM.

LesAngesTome1

Roman

Celivreestunefiction.Touteréférenceàdesévénementshistoriques,descomportementsdepersonnesoudeslieuxréelsseraitutiliséedefaçonfictive.Lesautresnoms,personnages,lieuxetévénementssontissusdel’imaginationdel’auteur,ettouteressemblanceavec

despersonnagesvivantsouayantexistéseraittotalementfortuite.

ÉDITION:LeCodefrançaisdelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudeses

ayantsdroitouayantcause,estillicite(alinéa1erdel’articleL.122-4)etconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL.425etsuivantduCodepénal

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondecelivreoudequelquescitationsquecesoit,sousn’importequelleforme.Lespeinesprivativesdeliberté,enmatièredecontrefaçondansledroitpénalfrançais,ontétérécemmentalourdies:depuis2004,la

contrefaçonestpuniede

«troisansd’emprisonnementetde300000€d’amende».

CouverturephotoCopyright:Coka

Premièreédition:juin2016

ISBN:9782375760345

Copyright©2016

Correctrice:Amélie

Illustratrice:Constance

Attachéedepresse:Phanie

Tabledesmatières

Prologue

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12

13

14

15

16

Tina,auteured’origineréunionnaise,vitdansl’ouestdelaFranceavecsafamille.

Après une adolescence à noircir des carnets entiers, des classeurs et des cahiers de toutes leshistoiresimaginairesquifourmillaientdanssonesprit,engrandissant,elledécidedeselancer.

Etc’estledébutd’uneaventurefantastique.

Un chapitre après l’autre, elle entame l’histoire d’une passion dévorante et d’un amourinconditionnelentredeuxâmessœurs.

Passionnéedelecture,cinéphileetmélomane,elleestaussihétéroclitequesespersonnages.

Ayant fait toutes ses étudesdans lamode, loindumondede l’édition et de la littérature, rienneprédisposait cette jeune femme à être l’écrivaine porteuse des maux et des rêves de toute unegénérationd’adultesendevenir.

Àmamèreettoutescesfemmesfortesquiportentlemondesurleursfrêlesépaules.ÀMarie-PierreFayolle,FranceGourdain,NathalieCadeau.Àtoutesmeslectricesettoutescellesquirecherchent

encorel’amour.Puissiez-vousletrouveretlegarder.

Prologue

Mia

IlyaunepetiteîledanslePacifique,situéeàquatreheuresderoutedelacôtecalifornienne,quifait partie des États-Unis. C’est là que je suis née. Sous la pluie tropicale et les vents d’Amériquecentrale.Elleestverdoyante,avecuncœurde forêtpresqueaussi sauvageque les forêtsduBrésil.Avec une côte plus ensoleillée que la SunBelt et un lagon aussi limpide et clair que le sontmespropresyeux.Lenorddecetteîleestlazonelapluspeuplée,laplusmoderne,avecsesvillescôtièrestrèsvivantes,auximmeublesbienmoinshautsqueceuxdesmégalopolesconnues,avecsesquartierspavillonnaires innombrables, sesmaisonschatoyantes et ses jardins fleuris, et sonpluviomètrequiexploserégulièrement.

Maismoi,c’estdanslesudquej’aivulejour.Lapartiedel’îlequelesindigènesappellentlesudsauvage.Biensûr,ilyadesvillesmodernesettrèsbienlà-bas.Maisellessontmoinsgrandes,moinscoloréesetmoinspavillonnaires.Ici,sionn’estpasenville,leshabitationssontseméeslelongdesroutes,éparpillées,commelePetitPoucetadispersédescaillouxsursoncheminpourseretrouver.Ilfautfaireaumoinscentmètrespourpasserdel’uneàl’autre.

Lesudc’esttoutlecontrairedunordoudesplaines,lapluieytombetroisfoismoinsquepartoutailleurs,etl’airestétouffantlestroisquartsdel’année.Unechaleurmoiteetunsoleiléclatantfontlaloi.

Lespaysages,surleshautsplateaux,sontsecsetarides,avecdesbroussaillesbrûléesetdesfalaisesrocheusesàflancdecollinequisejettentdansunemerplutôthouleuse.

Voilà, c’est là, en bas de la colline Kaloa, sur l’île de Mary Island, dans une petite maisonsemblableàunmobilhome,parunenuitdetempêtetropicale,quemamèrem’amiseaumonde.

Nevousytrompezpas,mesparentsétaientheureux.J’étaislefruitdeleuramour.Ilsétaientjeunesetinsouciants.Mamèreétaitencoreunebellejeunefille,amoureuseetpassionnée.

Puisilsonteudesrêves,d’autresrêvesettouslestrois,nousavonsquittél’océanPacifiquepourfaire le tour des États-Unis. D’un à cinq ans, j’ai vécu dans onze états différents. Puismaman esttombée enceinte dema petite sœurArizona.Malheureusement, un jour, alors que nous venions denous installer enCalifornie,monpère est brusquement décédé, nous laissant seules, nous les trois

femmesdesavie.

Mamèren’aplusbougé,commesisesenviesd’ailleurss’étaientéteintesaveclui.

Etj’aigrandi…Nonpoussée,ouic’estça,poussée,danslapetitevilledeCarmel-by-the-seaausuddelapéninsuledeMonterey,avecl’océanPacifiquequimeséparaitdel’îledemanaissance.Îledontjen’aigardéaucunsouvenirengrandissant.

Maisaujourd’hui,j’yretourne.Bongré,malgré.

Jem’appelleAmyGilmore.

Etc’est surcettepetite îleperduedans l’océanPacifiqueque jevais tenterdemeconstruire.Ouplutôtdeme reconstruire.Maiscen’estpas làque toutcommence, laissez-moivous racontermonhistoire.

Attention, si vous êtes sensibles, à fleur de peau, si vous préférez les récits chamallows etguimauves,sivousn’aimezpasvousendormirenpleurant,sivousavezpeurdunoir,desfantômesetdesmonstresquisecachentsousvotrelitetdansvosplacards,changezd’histoire.Lisezautrechose.

Monfilmd’horreurfavori,c’estmavie.

1

ManDown

Mia

«Pourêtreheureuxjusqu’àuncertainpoint,ilfautquenousayonssouffertjusqu’aumêmepoint.Nejamaissouffrirseraitéquivalentàn’avoirjamaisétéheureux.»

EdgarAllanPoe.

—UnD?UnDenbiologie?!Non,maistuterendscomptequetesnotessontcatastrophiquesaumoins?Tun’irasjamaisàBerkeleyavecdesrésultatspareils!C’estcequetuveux?Regarde-moiquandjeteparle,AmyGilmore!

Mamèrehurle,crieencoreetencore,brandissantmonbulletinau-dessusdematêtecommeuneépéedeDamoclès.

Mesyeuxseperdentderrièreelle,par la fenêtrede lacuisine,dans la ruedésertedecemoisdenovembre,bordéeparlescyprèsimmenses.Ellecrieetjen’écouteplus.Savoixsefaitlointaine.

Jesuisconscientequemesnotessontcatastrophiquesetquejen’iraipasàlafacultédeBerkeley.Queserai-jedemain?

Ohmaman,situsavais.Situsavaiscommejem’enfichedesCenchimieetdesDenbiologie,dela vaisselle sale dans l’évier et du prochain anniversaire de la cousine Léa. Si tu savais mamancommeriennecompte.Situsavaiscommejememeurs.

Ouijemeurs,parcequemonenvied’êtreicim’aquittée.Oh,maman,situsavaiscequej’endure.J’aimerais te ledire,pourque tumeprennesdans tesbrasenmeserrant très fort,pourque tumedisesquecen’estpasçalavieetqu’unjour,ouiunjour,lebonheurfrapperaàmaporte.

Parcequejen’yarrivepas.Etj’aisipeur,sipeurdemeperdreunpeuplusenchemin.

Tunesaispas,maman,cequejedoisfairetouslesjours,cequ’ilm’obligeàfairedanslestoilettes

dulycéeàl’heuredudéjeuner.Quandlesautresdévorentleurspommesetleursfromages,moi,jemefaisdéchiqueterlecœuretl’âme.Tunesaispascegoûtdesangetdedégoûtdanslabouchequimedonnent lanauséeni lapeaumortesousmesonglesque j’essayedefairedisparaître tous lessoirssousladoucheetlesangquis’écouledemoiencoreetencore.Tunesaispas,maman.

Alorsoui,jemefichedesCetdesD,parcequ’ilsnemesauventpasetnerendentpaslesmatinsmoinsnoirsetlesnuitsmoinssombres.Etj’aipeur,maman.Oui,j’aipeurdemeperdreenchemin.

—Tum’écoutes?Amy!

Monregard rencontreceluidemasœur,deboutderrièreelle,descendueauvude tout le tapage.Ellemefixedesesyeuxclairs,semblablesauxmiens.Jebaisseleregard,incapabledesoutenirsesprunelles.

J’ail’impressionqu’elleestlaseuleàlireenmoicommedansunlivreouvert.Ellevoitmonâmeetconnaîtmesplusnoirssecrets.Depuislepremierjour,elleacomprisetelleasu.Pourtantellen’ajamaisrienditetnem’ajamaistournéledos.

—Amy,ilfautqueçacesse.

Oui,maman,ilfautqueçaprennefin.Jevaisymettreuntermecesoir,j’aicequ’ilfaut.Jevaisyarriveretferaitoutpourneplusmelaisserdétruire.

**

Jen’ai jamaisété trèssuperstitieuse.Mafamilleestcroyanteetmonéducations’est faitedans lacertitudequ’ilyaundieuquinousobserveetabsouttousnospéchés.Etmêmesijenesuispastrèspratiquante,l’idéequetoutcequejepeuxfairedemalsesaittoutlà-hautm’atoujourstravaillée.

Magrand-mère,elle,esttrèssuperstitieuse.Ducoup,mamanl’estaussi.

Il ne faut jamais mettre le pain tête en bas sur la table, jamais, oh, grand jamais ! Ouvrir leparapluiedans lamaisonest impensable.Mieuxvautbaisser la tête et nepas regarder le chatnoirqu’oncroiseaudétourd’uneruelesoir.Attendreminuitpassépourrentrerà lamaisonourentreravant,et surtoutsic’estaprèsminuit,passer laporteenmarchearrièrepour laisser lesespritsquinous suivent dehors et ne pas les laissermettre les pieds dans lamaison.Ne pas passer sous une

échelle, faire attention de ne pas briser sonmiroir de poche sous peine de se coltiner sept ans demalheur,garderlestrèflesàquatrefeuillesdansuncoindenosagendaspournousporterbonheur,prendregardeauxvendredis treize;sionpeutéviterdesortirdecheznouscejour-là,vautmieuxéviter,ouivautmieux…

J’essayedemefaireunelistedetoutçadansmatête,uncataloguedetoutcequemagrand-mèreetmamèreprennenttoujoursàcœuretquinousexaspèreArizonaetmoi.

BonDieu,jedevraislesécouter.Aujourd’huiplusquejamais.Aujourd’hui,cejourdemalheur.

Déjà,enmelevantcematin,j’étaisplussereineetpluscalmequed’habitude.Mêmemasœurl’aremarqué.Alorsquemaman,elle,était sur lesnerfs.Parcequenoussommesunvendredi treizeetqu’ellen’aimepascejour.

Nous,çanousarrange.Ellenouspermetdemanquerlescoursetderesteràlamaison.Jenepeuxpasêtreplusheureusequelorsquemamèrem’autoriseànepasalleraulycée.Chezmoi,jenecrainsriendu tout.C’estmonhavredepaix.Aumilieudes peluchesdemon enfance, demes livres, desdessinsquirecouvrentmesmurs,demamusique,jemesensbien.Ilnepeutpasm’atteindreici.

Puis, sans compter que nous sommes un vendredi treize, comme pour annoncer mon malheurimminent, en marchant vers mon hécatombe quotidienne ce soir-là, vers mon châtiment et lacondamnation que je m’impose journellement, j’ai croisé un chat noir, assis sur la clôture demademoiselleHemings,notrevoisineacariâtrequi selonArizona« sent levieuxchâteau». Ilm’aregardée intensémentdesespupillesdilatées,parceque lanuit tombedéjàsur l’insignifiantepetitevilledeCarmel,colorantlecield’orangeetdevert,derrièrelesmaisonsquiprojettentleursombresmenaçantessurlagranderue.

J’aimeleschats,jelesaitoujoursaimésetjeluifaisdoncsignedes’approcherpourlecaresser.Ilmefixeencoreunmomentavantdedétalerà toute jambe.Alors jecontinuemonchemindecroix.Montéléphoneestdansmapoche.Jesuisenconfiancepourunefois.

Oui,deuxsignescommeunvendreditreizeetunchatnoirdevraientmemettrelapuceàl’oreille.Maisbon,quandonneconnaît,detoutefaçon,quelemalheur,quandonpensequelepirenousarrivedéjà,onnefaitpasattentionàcegenredechoses.Uneinfortunedeplusoudemoinsdansmavie,cen’estpasgrand-chose,hein?

C’estcequejepense.

Maisquefairealors?Demi-tour?Impossible.Jepourraisfuirauboutdumondequecelaneserait

passuffisant.Puismamèreetmasœursontlà,jenepeuxpasleslaisser.PasmonArizona.

Pourtant,jedevrais.

—TudevraisAmy…Tudevraispartir…meserinelavoixdemagrand-mère.

Jesuissûrequ’ellemedonneraitceconseil.

Fuir…lointrèsloindetoutça,delui,demoi-même…

**

Maintenantderetourdel’enfer,jemarchedanslagranderuebordéeparlesmaisonsàcolombagesauxtoitspointus.Iln’yapasunchat,mêmeplusceluidemalheur.Peut-êtrequec’estmoilemauvaisprésagepourlui.Ilparaîtquelesfélinssontdesanimauxdouésd’uneintelligencesupérieure,qu’ilspressententlemalheurquandilvaarriver.Cechatadûmesentirarriveretafuilemonstrequ’ilasentienmoi.

Unebrisefroide,venanttoutdroitdupacifiquepasloin,etportantl’odeursalinedelamer,soulèvemescheveuxet caressemes joues.Unzéphyrd’hiver ence soirdenovembre. J’ai froid et je suisglacée jusqu’à l’os.À cet instant, les flammes de l’enfer sont glaciales et non brûlantes.Mais j’aicommel’impressionquecelavachanger.

Jerelèvelatêteetregardelesastresau-dessusdemoi.Lanuitestclaireetlecieldégagé,commesionavaitappuyésurlevariateurd’intensitépourilluminerlesétoiles.Ellesbrillentsiintensémentetily en a tellement que c’est à se demander si Dieu lui-même n’a pas décidé d’allumer toutes leslumièrespourbienserappelermonvisagequandjemeprésenteraidevantluietqu’ilfaudraqu’ilmejugepourmescrimes.Çanefaitaucundoutequej’iraienenferetquel’angedumalsefrottedéjàlesmainsenpensantàtousleschâtimentsqu’ilm’infligera.Oui,sûrement.

Je remonte l’alléedemamaison,bordéed’eucalyptusqui laissent leurodeur flotter jusqu’àmesnarines.

Leslarmess’échappenttoutesseulesdemesyeux.Jesuisdansunétatd’hébétude,encorechoquéepar ce que je viens de faire.Mais alors que j’arrive devant chezmoi, je ne peuxm’empêcher depleurer.

Jesuisunmonstre.Ausecours,maman,sauve-moidemoi-même…

Jepousselaportenonverrouilléeetpénètredansl’entrée.Ilfaitchaudàl’intérieuretuneodeurdebœufrôtiflottejusqu’àmoi.Mamèreaencorepréparéunsuperrepasetjevaislegâcher.Latéléestalluméedanslesalon.MasœurdoitêtredevantunerediffusiondeLateNightwithJimmyFallon:sonémissionpréférée.

Aveclecœurquibâtdesrecordsdesprintdansmacagethoracique,jem’avancejusqu’auliving-roomcommeunautomate.

Arizonaestassisedevantlatélévisionetsemetduvernissurlespieds,parcequemamann’aimepasqu’elles’enmettesurlesonglesdesmains.Tropjeune,qu’elledit.

EtmamèredresselatableenparlantautéléphoneavecEmiliesameilleureamie.

—Maisoui,Em, jenesaisplusquoifairepour la remettresur ledroitchemin,ellem’écouteàpeine…

Jeresteplantéelà,àlesregarderenpleurant,lesyeuxbrûlantsetlesmainstremblantes.

Mon pull en cachemire bleu clair est taché de vermillon, mes baskets sont écarlates. J’ai lamâchoirequimebrûleparcequej’ailementonéclatéetlesanggouttedemamaindroite,parterre,surleparquetciréettoutneuf.Çasentlamortetj’aiungoûtdeferdanslabouche.Leliquidechauds’écoule surmesdoigtsetvient s’écraserau sol. Jedesserremapoignede lapairedeciseauxquitombeausoldansunbruitsourdfaisantsursautermamèreetArizona.

Elleslèventtouteslesdeuxlesyeuxversmoi.

Letéléphonedemamèreglisseens’écrasantsurleparquetcommelesciseauxensanglantésetelleportesesmainsàsaboucheenécarquillantlesyeux,horrifiée.

Ma sœurme regarde, perplexe, sonvernis aubout de sonpinceau, gouttant par terre comme lesangsurmesmains.

—Amy…qu’est-ceque…qu’est-cequ’ilsepasse?demandemamèredoucementenretirantsesmainsetens’agrippantàunechaiseenbois.

Jetremblecommeunefeuille.Lapeurestentraindemeparalyser.Quandjeparle,mavoixvacilleaussi.

—Maman…je…j’aifaitunebêtise…

Lesyeuxd’Arizonas’embuentinstantanément.

Elleestfutéemapetitesœur.Duhautdesesquatorzeans,ellecomprendvite.

—C’estdusang,Mymy…?

Jehochelatête,lesmotss’étranglantdansmagorgeetmelaisseglissersurleparquetenéclatantensanglots.

—Jenevoulaispas…c’était…unaccident…maman…

Mamèreseprécipiteets’agenouillefaceàmoi.

—Qu’as-tufaitmalheureuse?Amy…Qu’est-cequetuasfait?

Ellemesecoueparlesépaulesetsemetàpleurer.

Arizonalarepoussevivement.

—Siellel’afait,c’estqu’illeméritait!Iln’arrêtepasmaman!Iln’arrêtepasdeluifairedumal!Tunecomprendspas!Illuifaitmal,toutletemps!

Mapetitesœursejettesurmoialorsquemeslarmessetransformententorrentspuissants.Ellemeserredanssesbras,maculantsonpyjamadusangquimerecouvre.Nousnousétreignonsfortement.

—NepleurepasMymy,c’estfini,jeneleslaisseraipast’emmener.Etpersonneneteferaplusdemal,tuentends?Personne!

Mamères’estmiseaussiàpleureràchaudeslarmes.Elleserapprochedemoietposeunemainsurmajoueetmonmentonouvertetensanglanté.

—Iltefaisaitdumal…

Maisellen’attendpasquejerépondeetcontinue.

—Jelesavais…jesavaisqu’ilsepassaitquelquechose.J’auraisdûlevoir…

Maisilesttroptard.

Dehors,lesilencedelanuitestdéchiréparlevacarmedessirènesdepolice.

Ilsviennent,pourmoi.

2

Lesoufflecoupé

Mia

VilledeCarmel-by-the-sea,côteCalifornienne,États-Unis.

Unanetdemiplustard

—Amy!Dépêche-toi!Noussommesenretard!

Lavoixperçantedemamèremeparvientdurez-de-chaussée.

Jesoupireet fourreavechargnePeggy,mapeluchecochonrose,dansmavalisearc-en-cielquidébordedéjà.

J’aidix-neufanset jevaisvivre toute seulepour lapremière fois et tout ceque j’emmènedansmon sac, ce sontmes souvenirs d’enfance et un peu des affaires d’une adolescence avortée avantd’avoirétévécue.

J’ai tellementpeurdequittermonhavredepaix,monchez-moi, làoù j’aigrandi,que jeprendstoutmontemps.Depuiscematin,jetraîneetretardelemomentfatidiquelepluspossible.

Cette année, j’ai voulu m’enfuir, me barrer, tout laisser, au moins un millier de fois. Je l’aitellementhurléàmamèrequ’ellea finiparm’écouteretm’acheterunbilletpourm’envoyer loind’ici.De toute façon,ma sœur et elle n’ont pas le choix non plus. Elles doivent partir également.Mêmesinousn’allonspasdanslamêmedirection.

Partir…

Bonsang.Jevaisquittercetendroit.Maintenantquelemomentestvenu,qu’ilestconcret,j’ailesjetons.

—Mymy,tuesprête?

Arizonapasselatêteparlaportedemachambre.Sachevelureestarc-en-cielcommemavalise,parcequemamanl’aautoriséeàfaireunrainbowhair{1}.

Aprèsl’annéesombrequenousavonspassée,riennevautunarc-en-cieldanslamaison.

—J’arrive.

Jem’assiedssurmavalisepourtenterdelaboucler.Jenesaispassiniveaupoidsçapassera,maisdetoutefaçon,iln’yarien,absolumentrienlà-dedans,quejepeuxenlever.

Mapetitesœurm’observelevisagefermé,commesouvent.Jesoupire.Jedétesteça,quandelleestmalheureuse.Jepréfèresouffrirmillemortsplutôtquelavoirtriste.

—OnseverraàNoël.Mamanaditqu’elleferaittoutpourqu’onpuisseyaller…

—Jesais,net’inquiètepas,jevaisbien.

—Tudisçatoutletemps.

—Parcequec’estvrai.

Non, en fait ce n’est pas vrai du tout, ce n’est plus vrai depuis longtemps, mais comment luiexpliquerça?Puis,jeneveuxpasl’inquiéter.Niellenimaman.ChezlesGilmore,lesfemmessontfortes.Onneseplaintpas,onnes’apitoiepassursoi-même.

—Tuvasmemanquer.

Jerefouleleslarmesquimenacentetattrapemavalisepourlamettredebout.Inutilederépondreàça.

Arizonaprendmonétuiàguitarepourleporteretnousdescendons.Megan,mamère,nousattenddans l’entrée en jouant avec ses clés nerveusement. Elle jette unœil dans son sac, sûrement pourvérifierpourlaénièmefoissielleabienprismonpasseportetmespapiers.

Quandellevoitnosvisagesdécomposés,elle lâchesesclésdans lapochedesonblazeretnousouvrelesbras.Sansnousconsulter,masœuretmoi,nousnousyprécipitons.Etnousnousétreignonscommesouventcesderniers temps. Ilne faitaucundoutequechacunedenous retient le trop-pleind’émotionsquimenacedenousengloutir.

C’estdurdepartir.

—Bon,allez…Cetavionnenousattendrapas!

Undernierregardpourmamaison,quineressembledéjàplusàcellequej’aiconnueàcausedescartonsquis’empilentetdesmeublesrecouvertsdegrandsdrapsblancs,etnoussortons.Jetraînemavalisejusqu’aucoffredubreakdemamèreenmecognantaupassageaupanneauSale{2}plantésurlapelousedujardin.Parmafauteetàcausedetoutcequej’aicausé,lamaisondoitêtrevendue.

Jem’installeàl’avant,monsacuséentoilebleuetblancsurlesgenoux,alorsqu’Arizonagrimpederrière,prenantmaguitareavecelle.

Moncœurbâtàtoutrompredansmapoitrine.Pouressayerdemecalmer,jefouilledanslapochedemonsacettrouvemontubed’antistress.J’enfourreunsousmalangueetfermeuninstantlesyeuxensentant legoûtchimiquedupetitcachetserépandreenmoietmedélasser.Quandje lesrouvre,j’observemamère,àtraverslepare-brise,refermerlaportedugarage.Surlapeintureblanchedelaporte coulissante ungrosBitch{3} est tagué en rouge.Mamann’a jamais voulu que je dessine par-dessus avec mes bombes. Elle est défraîchie et la peinture a coulé depuis. Mais cette insulteconstamment sous nos yeux, parce qu’indélébile et refaite tous les mois par de malveillantespersonnes,nousfaitmal.Entoutcas,ellefaitmalàmamèreetmasœur.Moi,jesuisau-dessusdeça.J’aiencaissépire.Bienpire.

Aurevoirlamaison.AurevoirCarmel.AurevoirAmyGilmore.Enquittantcetteville,mavie,mafamille,jedeviensMia.

**

MaryIsland,dansl’OcéanPacifique.

Quatreheuresplustard

—Iln’estpasencorelà?

Jesoupireetcroisemespiedsdevantmoi,surmavalise.

À l’autreboutdufil,mamèrebaisse lesonde la radio.Ellesdoivent toujoursêtresur la route,

directionPhoenix,chezmatante.Carc’estlàqu’Arizonaetellevontvivre,cetteannéeaumoins.

Dixheuresde trajetentreCarmel-by-the-seaetPhoenix.C’estdeuxfoisceque j’ai faitenavionpourvenirjusqu’àMaryIsland.

—Non,maman,çafaituneheurequejepoireaute.Lukem’aoubliée,c’estsûr.

—Maisnonchérie,jeluiaiditquetuarrivaisà14heures,illesait.

—Iloublietoujourstout.S’iln’estpaslàdanstrenteminutes,jeprendsuntaxi.

C’estvrai,LukeGilmoreestunevéritablepassoire.Toutlecontrairedefeusonfrère,monpère,décédédepuismescinqans.

—Attendsencoreunpeu.Jevaisessayerdelerappeler.D’accord?

—OK…jegrommelleavantderaccrocher.

Je lève la tête vers la grosse horloge qui surplombe l’entrée principale de l’aéroport AmerigoVespucci:

ilest15heuresetquart.Jesuissûrequ’ilm’aoubliée,monidiotd’oncle.Aprèstout,jen’airiendemandé moi, j’aurais pu prendre un taxi toute seule, mais c’est lui qui a insisté pour venir mechercher.Etiln’estmêmepaslà.

Lepetitaéroportgrouilledemonde.C’estlafinaoût,lesgensreviennentdevacances.Bientôt,lesélèvesretournerontencours.Pasmoi.Enfinpasvraiment.Aprèsavoireumondiplômedejustesseetsurtout, après tout ces événements depuis un an et demi, aucune faculté n’a voulu de moi.CertainementpasBerkeley.

Jeneseraijamaisprofcommejel’airêvé.Jamais.

—Hey!

Quelqu’unmedonneuncoupdepieddansmesDr.Martens.Jesursauteetrelèvelesyeux.

Unmecplutôtcrasseuxavecdesdreadlocksethabilléentreillismilitairemehèle.

—T’asdufeu?

Ilmemontresacigarette.

Jesecouela têtepourdirenon.Ilmefixelongtempsdanslesyeuxetfroncelessourcils.Jesaisbienquemesprunellesclairescommede l’eaucristalline intriguentet impressionnent toujours lesgens.EncoreuntraitdecaractèredesGilmore.Mamèreesttombéeamoureusedemonpèreàcausedelabeautédesesyeux.Masœuretmoienavonshérité.

—Bah,t’esplusdanslamerdequemoi,mefait-ilens’éloignantetensecouantlatête.

Non,maisilyadecestarésici…

Jesoupireettiresurmacapuchepourmeprotégerduregarddesautres,commed’habitude.Selonmaman,danscetendroit,personnenemereconnaîtra.Puisenplus,j’aichangémescheveuxchâtainclaircontreunbrunplussoutenu.Biensûr,çajureunpeuavecmesyeux,maistantpis, jeneveuxprendre aucun risque. J’ai besoin de me faire oublier. Et cette petite île du Pacifique, d’où estoriginairemonpère,estparfaite.Ici,jesuisinconnueetc’estl’idéalpourleprojet«nouvellevie».

Jevaistoutrecommenceràzéro.J’enailachance.Ilfautjustequejetrouvequoifaire,commentm’occuper,puisquelesgrandesétudesnesontpaspourmoi.

En attendant, il pleut de nouveau. Cette île est connue pour avoir un pluviomètre qui exploserégulièrement.Etpourtantnousnesommespasdanslasaison.

Avec nervosité et agacement, je fais tournerma bague autour demon index gauche.Un anneausimpleenargentornéd’unpetitrubisrouge.

Au regard désapprobateur d’une dame qui passe avec son spitz en laisse dans unemain et unevalise monogrammée de l’autre, je me sens de plus en plus misérable. En fait, j’ai l’air d’uneclocharde affalée par terre, contre les portes coulissantes de cet aéroport, avec mon sac en toiledéchiré,mesvêtementsnoirsetmadégaineàmoitiégothique.Jelesaisetc’estsansdoutepourçaquel’autrelàestvenumedemanderdufeu.

Jecommencesérieusementàperdrepatience,Luke…

Enplus,mon iPodn’aplusdebatterieetmon téléphoneàpeine. Je tiremonportablequi sonneencoredansmapoche.Maman.

—Ouais.

—Ilnerépondpas.Écoute,tuaslessoussurtoialorsprenduntaxi.Jet’envoiel’adressepartexto.

—Ouais.OK.

—Jet’aimechérie.

—Jesais,jet’aimeaussi.Àplustard.

Jeraccrocheensoupirantetlerange.

Jem’apprêteàmereleverquandquelquechoseattiremonregard.Non,plutôtquelqu’un:lui.

Ilestassisdel’autrecôté,surunbancvide,àmoinsdetrentemètres.

Jean,t-shirt,vesteencuir,chaussures,toutestnoirchezlui.Cequimefascineinstantanément,cesontsesmains.L’unequicraqueunbriquet-tempêteetl’autrequiprotègelacigarettequ’ilaportéeàsabouche,duventquisouffle.Oui,sesmains.Parcequ’ellessonttatouées.L’uned’uneroseentouréedelierre,l’autred’unoiseauenpleinvol.Moiquidessinedepuistoujoursetquisuisunegrandefand’artentoutgenre,jereconnaislàlecoupd’aiguilled’unmaîtreenlamatière.C’estmagnifique.

Ilfaudraquejesongeàm’enfaireun,unjour,detatouage.

J’aivaguementletempsdemedemanders’ilenaailleurs.Sûrement.S’ilenasurlesmains,ildoitenavoiraumoinssurlesbras.Maiscouvertcommeilest,jenepeuxpaslesavoir.

Il tiresursacigaretteavantderecracher la fumée lentement.Cemecestplusâgéquemoi,c’estcertain.

Ilestassiscommes’ilsefichaitroyalementdurestedumonde,lesjambesgrandesouvertesetunpeu penché en avant. Il sort son téléphone pour jouer avec. Il a unemultitude de bracelets en cuirattachés à ses poignets.Aucun bagage ne traîne à ses pieds, j’en déduis qu’il ne revient pas d’unedestinationétrangèrecommemoi.

Il est grand, très grand,musclé aussi, et surtout incroyablement beau.D’une beauté à couper lesouffle, celle que possèdent les gens au regard dur, à lamâchoire carrée et au visage impassiblecommesiçaneleurarrivaitjamaisdesourireoud’êtregentils.Unesplendeurinsolentequivousfaitvous sentirmisérables à côté. J’en ai presque le souffle coupé. Il est plus joli garçonque tous lesmecsqu’ilyaeudansmesclassesautrefois.

Iladescheveuxbruns,quiont l’airdoux,bienplusque lesmiensen toutcas.Desmèchesassezlonguesetunecoiffuredansunstylecoiffédécoiffétrèsétudié.

Je me sens négligée tout à coup, mais j’ai l’occasion de renaître loin de tout, de devenir unenouvellepersonne.Peut-êtrequejedevraismeredonnerformehumaineetrevoirmonstyle.

Un long soupir s’extirpe de ma gorge. Et voilà, ça recommence. Je suis si manipulable etinfluençablequ’ilmesuffitdecroiserquelqu’unmieuxquemoipourquejemeremettetotalementenquestion.J’avaispromisàmamanetaudocteurTranquej’arrêteraisça.Ilfautquejevivepourmoi,sansmefocalisersurautrui.C’estparceque j’avaiscettemauvaise tendanceque jemesuis laisséedétruireetenfoncer.Çanedoitpasrecommencer.

Quandiltournelatêtepoursourireàunefilledel’autrecôtédelaporte,j’enailesoufflecoupé.Finalementsi,ilsaitsourire.

Ilestdiaboliquementparfait:sesdentssontéclatantesdeblancheur,sescaninespointuesetiladespetitesfossettesencoinquichangenttout.

La fille qui louchait sur lui en rougit instantanément et baisse la tête. Pauvres de nous. Pauvrespetitesfemmesfrêlesetfragilesquenoussommes,ànouslaisserembobinerparunsouriremielleux.

J’aipitiéd’elle.Moi,jenerougiraipas.Jemesuisdéjàlaisséeprendreunefois,etçam’adétruitecomplètement.Jenetomberaiplusjamaisdanslepiège,aussisublimeettentantsoit-il.

Lebelinconnuretourneàsontéléphoneetàsacigaretteensecouantlatêtecommes’ilriaitàsapropreblaguenonformulée.

Il porte un anneau à l’oreille droite. Il estmagnifique,maismamère serait horrifiée si elle levoyait.Tatoué,percé,ténébreux,toutcequemagentilleetclassiquepetitemamandéteste.

Je me lève doucement, incapable de le quitter des yeux. Après tout, je ne risque rien à justel’observer,non?

Cettepenséemetraverseaumomentmêmeoù,malheurdemalheur,illèvelatêteetquesonregardcroiselemien.Immédiatement,jebaisselatête,commesij’avaisétébrûléeaulaserl’espaced’unedemi-seconde.Àvif.

Zut,zut,zutetzut!J’avaisditquejenebaisseraispaslesyeuxetquejenerougiraispas!

IlfautquetuapprennesànepastelaisserimpressionnerAmy…Mia…merde,quoi!

Depuis ma tendre enfance, les gens, ma famille, mes amis, des inconnus, me serinent quemesprunelles,commecellesdemasœur,sonttétanisantesparcequetrèsoriginales.Unbleu-grislimpideettrèsclairquicapteleregardetl’attentiontoutdesuite.Mais,cellesquimefontfacesontencoreplusstupéfiantesquelesmiennes.Ilm’observeouvertement,levisageimpassible.Sesyeuxsontverts.

Vertd’eau.D’aussi loinque jepuisseenjuger.Et ils jurent incroyablementavec lanoirceurdesescheveux.

Jecomprendsqu’elleaitrougicettefille.Moi,jedoism’enempêcheretc’estpresqueunchallenge.

Quandjedécidedereleverleregarddoucement,jenel’intéressedéjàplus.Ils’estlevéetrejointletrottoirpas loinalorsquedansunronronnementsourd,unemotos’approchesur labanded’arrêtsminute.CevéhiculeestunvéritablemonstredemécaniqueetonpeutvoirsurlacarrosserienoirelesmotsHarleyDavidsonpeintsàlamaindansunstyletrèsrock.

Unefilleauxlongscheveuxbrunssegaresurlebascôté.Ellealaclasse,c’estindéniable.Avecsavestedemotardeencuiretsesbottesmontantes.Beaucoupdegensl’observentalorsqu’ellecoupelemoteuretfaitdegrandssignesàmonbelinconnu.

Mon bel inconnu… Redescends sur terre Mia. Déjà, tu n’as pas besoin d’un « bel inconnu »,d’ailleurstun’aspasdutoutbesoind’hommesdanstavie.

Elle n’a pas retiré son casque alors je ne vois pas son visage. Il s’avance, jette sa clope pourl’écraserdupied etprend le casqueque la fille lui tendàboutdebras.Enmoinsdedeux, il s’estéquipéetmontederrièreelle.Commebeaucoupdegens,jemesuisarrêtéepourlesregarder.Serait-cesapetiteamie?

Dansungrondementsourd,lamotoredémarreetilss’éloignent.

Jelessuisdesyeuxjusqu’àcequ’ilspassentlepériphériqueetdisparaissent.

**

Aprèsavoirattrapéuntaxi,excédéed’attendreunonclequineviendrajamais,jeparcourslaroutedunordoùsetrouvel’aéroport,jusqu’ausuddel’île,enlongeantlacôteensoleillée.

IlmefaudraencoredeuxheuresetdemiederoutepourarriveràKaloa.

Dansletaxi,jecommenceàsomnoler.Jen’aipasbeaucoupdormilanuitdernièreaveclestressquejemesuismis.

Mais c’est l’arrivéed’un textoquime fait ouvrir les yeux.Cen’est nimamèrenima sœur.Lenuméron’estmêmepasenregistrédansmonrépertoiretéléphonique.

*Alors,fandeBenHarper?Etc’estjustepourfairestyle,taguitare?

Mesyeuxs’écarquillent.Non,maisc’estquiça?

Automatiquement,jetournelatêteversmonétuiàguitareposéàcôtédemoietlevieuxstickerdeBenHarperàmoitiédéchiréquiyestcollé.

Jerépondstrèsvite,lecœurquicommenceàpalpiter.

*C’estqui?

Laréponsenesefaitpasattendre.

*Onnerépondpasàunequestionparuneautre,sweatheart.{4}

Jefroncelessourcils.

Sweatheart?

J’aieutellementdemessagesd’insultesdepuisunan,tellementdemauvaisesblagues,tellementdegensquim’ontmanipuléequejen’aipasenviedejoueràcache-cacheavecquiquecesoit.C’estlatroisièmefoisquejechangedenuméro,j’enaimarrederecommenceràchaquefois.

Maisalorsquejemetâtependantplusieursminutesàrépondre,jereçoisunautreSMS.

*Soitt’espastrèsfutée,soittulefaisexprès.Tonnuméroestmarquéengrandsurtavalise(quisoitditenpassantressembleàunevalised’adoattardéequin’apasfinidegrandir).Tuterendscomptedunombredepersonnesquionteutonnuméropersonnel,entrelemomentoùtuasprisl’avionetceluioùtuasatterriici?

Jemepincel’arêtedunezenessayantdecalmermesnerfs.Mamanaécritmonnuméroetl’adressedeLukeengrossurunpapierqu’elleacolléàgrandrenfortdescotchsurmavalise.Aucasoùelleseperdrait.Avecmamèreles«aucasoù»sontmonnaiecourante.Ainsidonc,quelqu’unaeumonnuméroenm’observantouenmevoyantpasser.Ilfaudraquejel’arrachetrèsvite.

Oh,maisenfait…Cettepersonnevientdemetraiterd’adoattardée!

Jeréponds,lesnerfsàvif.

*Ettoi,tul’aseuoùetaquelmoment?

Sontextomefaitpresquebondirdemonsiège.

*Ons’estcroiséiln’yapasuneheure.Bonalors,fanoujustepourlestyle?

Ilyauneheure?!Est-ceque…c’est…lui?!L’inconnudubanc?!

Non,impossible.Unmillierdequestionssebousculedansmatête.Maiscommejenetrouveriend’intelligentàredire,jedécidederépondresansplusposerdequestions.

*FandeBenHarper.

Enfait,entantquemusicienneamatrice,jesuissurtoutadmirativedesonjeudeguitare,moinsdesonstyledemusiqueengénéral.

*C’estbiencequejepensais.

*C’est-à-dire?

Maisj’aibeauattendre,plusaucunSMSnevient.Pendantl’heuredetrajetrestante,jerelistouslesmessagesaumoinsdixfoisenmetorturantl’esprit.

Maisilouellenerépondplus.

J’aimeraisquecesoitluietmemaudisintérieurementd’avoircegenredepensées.

3

GatsbysurleshautsdeHurlevents

Mia

—Z'êtessûrequec’estlà?

Lechauffeurbourruobserve,aussisurprisquemoi,lamaisonenboisblanchiquisedressedevantnous.

C’estunegrosseblague,unesupergrosseetmauvaiseblague.

Jen’aipasunhumourtrèsdéveloppéenplus.Cesdernièresannées,meszygomatiquessontrestésbloquésenbas.Arizonaditquejetire,toujoursetconstamment,latronche.

Maislà,c’estàmamèrequejepense.Sielleétaitlà,jel’étranglerais.

—Jecroisoui,jerépondsauchauffeurensortantmontéléphone.

J’aitoutjusteletempsderelirel’adressequem’aenvoyéemamèreavantquelabatteriedemonportablenemelâchebrutalement.Génial.

*2513HeleneGrove,LacKaloa,851467KT.

Ilyaunepetiteboîteauxlettresaméricaine,rouilléeparletemps,dontledrapeauestbaisséetsurlaquelleapparaîtl’adresseàpeinevisible.C’estbienici.

Quandjepensaisàl’îleoùontgrandimesparents,jen’imaginaispasça.

Autourdenous,iln’yaquedesarbres,desherbeshautesetcraméesparlesoleil,etsurladroite,unpeuplusloin,unimmenselacbrillantsouslalumièredel’après-midi.

Déjà, je n’aime pas vivre près de l’eau. L’eau, ça fait toujours craquer le bois desmaisons. Jen’aimepaslesmaisonsquicraquent.

—Bon,sivousz'êtessûre…

L’accentdecechauffeurestvraimentinsupportable.

Ildéposemavaliseàcôtédemoietjeprendsmaguitaresurmondospournepasposerl’étuinoirdanslapoussière.

Ici,toutestsecetaride.Mamèrem’aenvoyévivredansletrouduculdumonde.

Lamaisonquisedresseenfacedemoimefaitlimiteflipper.Elleestmagnifiquepourtant,avecsavérandaombragée,sesfenêtresroses,dénotantaveclafaçadeblanchedéfraîchie.Elleestancienne,maisarésistéautemps.Ilyaunétageetlesvoletssontclos.Elleestbientropgrande.Jenepeuxpasvivredansunebaraquecommeçatouteseule.

Uncurieuxmaldeventremeprend.

Jevoulaiscetteindépendance.Jen’aipaslechoix.Jenepeuxplusimposermaprésenceétouffanteet encombrante àmamère etma sœur. Elles ont souffert autant, si ce n’est plus, quemoi demesconneries.Ilfallaitquejem’éloignepourlesprotéger.

Maisjen’imaginaispasquejeseraissiterroriséeàl’idéedevivreseule,auboutdumonde.Aufinfondd’uneîletrèsmoderne,maisdanslaseulemaisondusiècledernierencoredebout.

Jefourremontéléphonedansmapocheenrésistantàl’envied’appelermamèrepourluidirequejereviensetquejereprendsl’aviondèscesoir.

UnpeudecourageAmy…Mia!

Ilvafalloirquej’apprenneàpenserentantqueMiaGilmoreetnonAmyGilmore.

Jeregardeautourdemoi.Monvoisinleplusprocheestàplusdequatrecentsmètres.Letoitdesamaisondépassedederrièrelesarbresenhautdelarue.

Doncengros,si jecrie,s’ilm’arrivequelquechose, iln’yapersonne,mêmepasunfoutuchat,pourm’entendre?

Letaxis’éloigneenlaissantunetraînéedepoussièrederrièrelui.

Monmaldeventres’étenddanstoutmoncorps.Mamèreaversélacautionpourlesdeuxpremiersmoisde loyer,ouplutôt,elleaenvoyél’argentàLuke.Est-cequec’est luiquia louécettemaisonpourmoi?

J’aiintérêtàmebougerettrouverduboulotpourallervivreenvilled’icilà.Ilesthorsdequestionquejeresteicipluslongtempsqueça.

Unbruissementattiremonattention.Jetournelatêtevivement.

Cen’estqu’unénormechat,rayédegrisetdenoiravecdesyeuxjaunessaisissants.

—Salut,toi.

Ilmeregardeuninstant,assissursespattesarrière,avantdefilerparladroitedelamaison,verslelac.

Tirantmavaliseavecmoi,jelesuisàdistanceetaperçoisalorsuneJeepgrisegarée.

Oh!Ben,jenesuispastouteseule.Elleappartientbienàquelqu’uncettevoiture.

—HeHo!Y’aquelqu’un?

Lechatdétaleencourant.

Avecdifficulté,jefaisletourdelabâtisse.L’arrièremefaitouvrirdesyeuxronds.C’estlimitesije n’ai pas fait un bond de quarante ans dans le temps. Cette partie-là est bien plus avenante.Contrairementàcellededevant,laportedederrièreestmoderneetlafaçadedececôtéaétérepeinte.Çasent lapeinturefraîched’ailleurs.Lavérandaestpluspetiteetentièrementcouverte,maiselleal’avantagededonnersurlelacaumoins.Lavueestimprenable.

J’ail’impressiondemeretrouverfaceàLamareaudiabledeGeorgeSand.Unpaysageàcouperlesoufflesouslesoleiléclatantdujourquidoitsetransformerenpaysageangoissantunefoislesoirvenu.

Ilyaunhamacetdesfleurssouslavéranda.Jesoulèvemavalisedesdeuxmainset laporteenhautdesmarches.

—Hého!

Unetêtebruneapparaîtaumêmemomentautraversdelaporte-moustiquaire.Jesursauteetreculeinstinctivement.L’hommes’avanceetpousselaportepourmefaireface.

—Amy?Tuesdéjàlà?Merde…j’aioublié…

Pourl’avoirvudansnombred’albumsphoto,jereconnaisimmédiatementLuke,lepetitfrèrede

monpère.Etsurtout,ouisurtout,nousavonslesmêmesyeux.

—Salut.Tum’asoubliée.

Ilpassesesmainsdanssescheveuxengrimaçant.

— Excuse-moi, gamine, j’ai eu la tête ailleurs ces derniers temps. J’ai… ouais, j’ai oubliél’heure…

Jesoupireetposemonétuicontrelafaçadedelamaison.

—Tantpis,jesuislàdetoutefaçon.

Je l’observe,unpeusur la réserve.Onnes’estpasétreinsni fait labise. Jecroisqu’ilestaussigênéquemoi.C’estlapremièrefoisqu’onserencontreenvrai.Puis,enplus,jenesuispasàl’aiseavecleshommes,vraimentpas.

Mononcleestgrand, trèsgrand,avecunedégaineà laScottEastwooddansCheminscroisés. T-shirtmoulantsurmuscles, jeansetbottes, ilne luimanqueplusquelechapeaudecow-boysursescheveuxmi-longs.Ilarboreaussidestatouagessurlesdeuxbrasetsesdoigtssontnoirs,couvertsdesuie.Ilestmécanoetçasevoit.

J’essayedenepasledétailler,maisc’estimpossible.

Jen’aivupersonnede la familledemonpèredepuis sonenterrementquand j’étais«gamine »,commeildit.

—T’asvachementgrandi…

Iltrituresabarbenaissante,gêné,etmoijefaistournermabaguesurmondoigt.

—Ouais.

Quediredeplus?

Ilécartelesbras.

—Bon,ben…BienvenueàKaloa.

Jemeretiensdehurler.Jeneveuxpasvivrelà.

—Jevaisvivreici?jedemandeenprofondecontradictionavecmonmoiintérieur.

—Oui.C’étaitpluspratique.Lamaisonenhautdelaruec’estlamienne.Tamèrevoulaitquejegardeunœilsurtoi.Maiscommetunevoulaispasvivreavecmoi…

Monregardsedétourne.

Oui, jen’aipas accepté lapropositiondemamèred’allervivre chezmononcle.Vivre avecunhomme, qui est dans la pièce à côté quand vous dormez, vous douchez, mangez, tout, hors dequestion. Parent ou pas. Je préfère encore crever de trouille toute seule ici. J’ai moins peur desfantômesquedelacruautédesêtreshumains.

—Leloyern’estpascher.Iln’yaquelapartiedederrièredelamaisonquiesthabitable.Leresteestentravauxpourrénovation,lespropriétairesveulentlavendred’icil’annéeprochaine.

—OK.

Lukem’ouvrelaporteetmelaissepasserdevant.

—C’estunmeublé.C’estassezsommaire,maisplutôtbienpensé.

Jejetteunregardétonnéautourdemoi.L’entréedonnedirectementsurunpetitsalon,assezhautdeplafondetbaignédusoleilquipasseparlesgrandesfenêtres.Ilyadelamoquettebleunuitausol.J’enlèveimmédiatementmeschaussuresetleslaisseprèsdelaporte.Jenesupportepasledésordreetla poussière, et dehors c’est tellement sec que je ramène toute la saleté collée sousmes semelles.Quelleidéedemettredelamoquettedansunendroitcommecelui-ci!Fautêtrevraimentcon.Lukeregarde,touthonteux,sesbottespleinesdecrassesquisontentraindetoutdégueulasser.

Il a néanmoins raison.Ladécoration est assez sommaire,mais bienpensée. Je suis choquée carcontrairementàcequejepensais,toutlemobilierestmoderne,laquéetverni.Çaenlèveraitpresquelecharmedelamaison,jetrouve.

Ilyauncanapéconvertiblevertpomme,unetablebassefaitedepalettesdebois,unmeubleavecune télévision et un grand bureau-étagère dans un coin de la pièce. Je grimace : il n’y a pas debibliothèqueetl’étagèreestbientroppetite.J’aitousmescahiersetmonmatérieldedessindansmonsac,puisjecomptaisacheterdenouvellesbombes.Iln’yaurajamaisassezdeplacepourtoutranger.Ilvafalloirquej’investisse.

— Là, c’est la cuisine. J’ai mis quelques trucs dans les placards et le frigo. Il y a du lait, des

céréales, du pain, du jambon, de la confiture, des œufs… enfin des trucs quoi. Et demain, jet’emmèneraifairedescourses,situveux.

JesuisLukedanslapièced’àcôté.Unepetitecuisinetoutéquipéeavecfouretlave-vaisselle.

Oh,ça,c’estletop!

Il y a aussi un lave-linge etmême une table àmanger en bois avec des tabourets en forme decapsuledebière.Plutôtsympa,bienqueçanesoitpaslestylequej’auraischoisi.

—Etlà,c’estlasalledebain.

Nous ressortons et il me montre la salle d’eau. Il y a une douche, des w.c. et un lavabo, riend’extraordinaire,maistoutal’airpropreetrangé.

—OK,mais…elleestoùmachambre?

—Ah,j’allaisyvenir.Parici.

Ilgrimpesurl’étagèreenescalierdubureauetmesyeuxs’écarquillent.Enfait,leplandetravailestpresqueencastrédanslemuretsertd’escalierpourmonterversunemezzaninedanslesalon.

Enhaut,surunplancherenboisdur,ilyaunmatelasetdescouvertures.Uneénormesuspensionavec des formes géométriques sert de luminaire. Tout est décoré dans les tons vert pomme, bleucéruléenetroseflashy.Lestyledécalédelapiècem’inspiredéjàpourmesfutursdessins.Jesensquejevaispasserbeaucoupdetempssurcematelas.Onpeutmêmetenirdeboutsousletoit,àconditiondenepasfaireplusd’unmètrequatre-vingt-dix.Laseulechosequimefaitpeur,estl’absenced’unebarrièredesécurité.Heureusementquemoncouchageestloindubord,sinonjemeretrouveraissurlesoldusalon.

Lukem’aideàrentrermesaffaires.

—Legarsducâbledoitpasserdemainmatinpourt’installerletéléphoneetinternet.Çaira?

Jeregardeautourdemoi.C’estplutôtcosy.Sijefermebienlaporteàclé,çadevraitaller.

—Çadevraitaller,jerépètetouthaut.

Mononclehochelatête.

—Situaslemoindresouci,monnuméroestaffichésurlefrigo.Tuastonportableenattendant?

—Ouais.

—Bien.Sinon,tuviensfrapperàlamaison,cen’estpastrèsloin.Euh,quoid’autre…Ilyaunbusquipasseenhautde la rue toutes lesdemi-heuresetqui se rendaucentre-ville.Le tempsqu’on tedégoteunevoiture.Demain jebosse,mais je t’ai trouvédes trucsàfaire.Alors…tupasserasdansl’après-midi me voir au boulot. Je t’emmènerai aussi faire tes courses. Le garage est au bout del’avenueprincipalesurParadyseValleySt.Tucroisquetuvast’ensortir?

Jesouffleexcédée.Jen’aiplusdixanstoutdemêmeetpeuxprendresoindemoi.

—Ouais,net’inquiètepas.

Jeneveuxpasmemontrerimpolie,maisjenesaispastropquoiluidiredeplus.

—Bon.Voilà,tesclés,gamine.

Ilmetenduntrousseauetprendsesoutilssurlatablebassepoursortir.Jelesuisetm’assiedssurlesmarchesdelavéranda,piedsnus,alorsqu’ilgrimpedanssaJeep.

Onsesaluedelatêteetilbaissesavitrepourmefaireunaurevoirdelamainavantdes’éloigner.

Lukeestunedes rarespersonnesàquimamèreconfie tout. Il est aucourantdupourquoietducommentdemavenueici.Jemedemandecequ’ilpensedemoi.

Unefoispartie,jemeretrouveseuleavecmoi-mêmeetunsilenceassourdissant,seulementbriséparl’airduventdanslesarbresetlechantdetouteslesespècesd’oiseauxquejeneconnaispas.

Voilà, jedois faire faceauvide incroyabledemaviemaintenant. Je ferme lesyeuxet laisse lesrayonsdusoleilmecaresserlevisage.

RespireMia.

Ilyacommeunventdelibertéquisoufflesurmoi.Jedoisenprofiter.J’aidelachanced’êtrelà,beaucoupdechance.

J’ouvre les yeux et fixe le lac scintillant. Puis, au-delà, sur la colline. Il y a des arbres qui sedressentfièrementversleciel.JemesensunpeucommeCatherinedanslesHautsdeHurlevent{5}.Jesuischezmoi.

Isaac

—Zac…

Duplusprofonddemaléthargie,jecroisentendremonnom.Onm’appelle.

—Isaac!!Putain!!

J’ouvre brusquement les yeux sur le plafond de ma chambre. Les brumes du sommeil flottentencore dans la partie grise demon cerveau.Un rayonde lune filtre par le rideau et c’est unbruitsourdquiattiremonattention.Quelquechosecognecontremavitre.

Avecénervement,jepassemesmainssurmonvisagepourfrottermesyeuxavantderegardermonréveil:ilest01heuredumatinetçanefaitpasdeuxheuresquejedors.

—Zac!

JereconnaislavoixdeMiguelquim’appelledansl’obscurité.

Cesenfoirésnemelaisserontjamaistranquille.

Jeme redresse etmepenchepourouvrir levolet de la fenêtre sur lequelmespotes lancentdescailloux.

Envoulantm’incliner,jereçoisunprojectileenpleinegueule.Bonsang!Jememasselefront.

—Aie!

—Ohputain,désolé…c’estpasmoi,c’estAsh.

AshtonenvoieuncoupdecoudedanslescôtesdeMiguel.

Cesderniers,ainsiqueM.J.,setiennentsousmafenêtre.Commesouvent.Saufquelà,cen’étaitpasprévuqu’onseretrouve.

—Maisbonsang!Vousfoutezquoi?J’aipasdormidepuisplusdevingt-quatreheures.J’avaisditpascesoir!

Miguelaunairplusquesérieux.Ilécrasesaclopesousletalondesabottedemotoetfrappedupoingsurleboisdelamaison.

—Mec,ilsepasseuntruc.Onnepouvaitpastelaisserdormir.Ilfautquetuvoiesça…

—Quoi?Arrêtedetapersurlabaraque,tuvasréveillertoutlemonde…

Jesaisquemonmeilleuramineprendpasgrand-choseausérieux,maisquandillefait,c’estqueçal’estvraiment,sérieux.

—Ilfautquetuvoiespartoi-même…

Jesoupire,maisilsonttousdestêtesdemortsvivants,alorspeut-êtrequejedevraislessuivre.

Aprèsavoirrefermélafenêtre,j’enfiledesvêtementsàlahâteetsorssilencieusementdelamaisonenpassantmaveste.

Lesgarssontàpied,doncjesupposequ’onnevapasloin.

—IlestoùGabriel?jedemandeàlavolée.

Gabrielestlecinquièmedenotrebandeofficielle.

—Malade,depuishier.Ilalacrèveouuntrucdugenre.

—Parunechaleurcommecelle-là?

Une bourrasque de vent froidme fait regrettermes paroles. BonOK, il ne fait peut-être pas sichaud. Malgré les vingt-huit degrés en journée, les nuits restent encore fraîches en ce mois deseptembre.ÀMaryIsland,lessaisonssontinversées.

—Oùest-cequ’onva?

Jen’aipaslaréputationd’êtrepatient.

—Avec les gars, on allait chercher les restes de shit qu’on avait planqué derrière le granit deMcAllisterquandonavuun trucdémentiel.Onn’apaspus’empêcherdes’approcheret…putain,mec,ilfautquetuvoiesça…

Le ton affolé et les trémolos dans la voix d’Ashtonm’intriguent de plus en plus. Il ne se passejamaisrienicid’habitude.

Nousremontonslapente,lefauxplatquimèneaucimetièreàmoinsdecinqcentsmètres.

Lesarbresprojettentleursombresmenaçantessurnousetsurlepetitsentiercaillouteuxquenousavonsl’habituded’emprunter.

Quelques minutes plus tard, arrivés en haut, il faut encore marcher le long des premièressépultureséclairéesparlalunepourparvenirauboutdel’entréesud,pasloindelatombeduvieuxMcAllister.Avantsamort,nousallionssouventvolerdanssonjardin:despommes,despoires,desoutils, tout ce qui pouvait nous servir. Malgré tout, ce vieux schnock ronchon qui nous gueulaitdessussansarrêt,nousmanque.

Alorsquellemeilleureidéequed’utilisersatombecommecachettepourleshit?Puislecimetière,c’estpresquenotrequartiergénéral,cen’estpasloin,c’estnickel.

L’odeurdelavaseetdesalguesmepiquentlenez.Leclapotisdespoissonsquisautentdansl’eaulesoirmeparvientjusqu’auxoreilles.

Nouscontournonslesimmensespeupliersderrièrelemurdepierrespouravoirunevuesurlelacencontrebas.LegrandlacdeKaloa.Lelacmaudit.

—Regardelà…mefaitMiguelenpointantdudoigtl’autrerive.

Jelèvelesyeuxetmoncœurrateunbattement.

La maison abandonnée depuis des années de l’autre côté, n’est plus inhabitée. De la lumières’extirpededeuxdesfenêtres.

—Putain,c’estquoiça…

—Tupenses bien qu’on a flippé, ditM.J..Alors on s’est renseigné.C’est une des nièces de cetenfoirédeLuke,quis’estinstalléelà.Elleloueunepartiedelamaison.Unemeufquis’installelà…

—Çavafairecauser,renchéritMiguel.Ilsvonttousenreparler.Ou…ellevaenreparler,pourlepeuqu’ellesoitcurieuse…

Jeplisselesyeuxetfixelalumièrequibrilledel’autrecôtédulac.Elleestjauneetpasverte,maisjemesensunpeucommeGatsbydansGatsbyleMagnifique{6}àlafixer.

Sauf que cette fois il n’y a pas demiss Daisy en face, juste une petite chieuse qui a décidé des’installerlàoùellen’auraitjamaisdû.

Jeparled’unevoixcalmecarsûrdemoi.

—Ehbien,onaplusqu’àfaireensortequ’ellenel’ouvrepasetqu’ellenefourrepassonnezdansnosaffaires.

—Etcommentonfait?

Mespoingsseserrent.Commesij’avaisbesoindeçaencemoment.Encorequelqu’unàécraser.

—Onvacommencerparluisouhaiterlabienvenue.

4

SonsofAnarchy

Mia

—TanteÉléonoreestgravechiante…

Àl’autreboutdufil,Arizonabaisseencoreleton.Lamaisonestassezpetitechezmatantedans…l’Arizona.Oui,ArizonaestpartievivreenArizona.Çamefaitesquisserunsourire.

—Ellel’atoujoursété.

—Oui,maislàc’estpire,seplaintmasœur.Etvas-yqu’ilfautmangeràtelleheure,vas-yqu’ilfautenlever seschaussuresquandonpasse laported’entrée…non,maiselleacruquec’étaitunemosquéeiciouquoi?!

Jerisdoucement.Arizonaexagèretoujourstout.Enplus,jemedemandesielleneditpastoutçapournepasquejemesentemaldevivretouteseule.

—NesoispasdésagréableAri,elleestdéjàtrèsgentilledevouslaissersquatter.

—Quandelleadivorcéd’oncleJamie,mamanaussil’alaisséesquatternotrecanapé,etcedurantunan.Doncellepeutbiennoussupporterunpeu.Bonettoi,tuvasfairequoiaujourd’hui?

Jecoincemontéléphoneentremajoueetmonépauledouloureused’avoirtentédesoulevermonénormevalisepour l’emmenerà l’étage, sans succès. Impossiblede laporter jusqu’enhaut. Jemesuisd’abordditquec’étaitdommagequ’oncleLukenesoitplusprésentpourm’aider,puisj’aieuunélandelucidité.Toutenotrevie,mamère,masœuretmoiavonsdûnousdébrouiller toutesseulesalorsçanechangerapasaujourd’hui.Jepeuxtoutfairetouteseule,ilmefautjusteducourageouunebonnedosed’adrénaline.

— Je vais aller voir Luke à son garage. Le type du câble est passé tout à l’heure, j’ai internetmaintenant.C’estçaquejevoulaisvousdire.OnpourrasevoirsurSkype.

Letéléphonecoincéentremajoueetmonépaule,j’entreprendsderincermatasseetdelaremettreenplace.Ilfautquejem’achèteduthéauplusvite.Lecafélematin,cen’estvraimentpasmontruc.

—Oui,onferaça,merépondmasœur.Bon,jetelaisse.Jevaisfairelescoursesavecmaman.

—Çamarche.Jet’aime.

—Jet’aime,Mymy.

Nousraccrochonsenmêmetemps.

J’essuie ma tasse et la range avec les deux autres sur l’étagère, avant de replier le torchon àvaisselleetdelereposeràcôtédel’autre,pliédelamêmemanière.

Mes gestes, à la limite de la psychorigidité, me figent sur place quand je m’en rends compte.J’essayedemecorriger,maislesvieilleshabitudessonttenaces.

PersonnenetedirariensitunerangespasbienlesserviettesMia.Personne.

J’attraperageusementlestorchonsetlesfroisseavantdelesbalancersurlatable.

Là!Unpeudebordelnefaitdemalàpersonne.

Jefileetprendsmonsacetmeslunettesdesoleilpoursortiravantd’êtretentéedefairedemi-tourpourlesrangercorrectement.

Aprèsavoirferméàdoubletour,jecontournelabâtisse.

Finalement,jemesensbienaujourd’hui.Aprèsunenuitassezagitée,pourpaschanger,jemesuisrendormieaupetitmatin,mefaisantmêmesurprendreparlegarsducâble.

Cettenuit sous les toitsdemanouvellepetitemaisons’est révéléemoinseffrayanteque jene lepensais.Enferméeàdoubletouretaveclalumière,çava.

Enremontantlarue,jepassedevantlademeuredeLuke.Elleestbienentretenue,maistoutaussiperduequecelleoùjevis.Avecunporcheimmense,souslequelsebalanceaugréduventunvieuxrocking-chairenbois.Jelevoisbienassislà,avecsabièreetsacigarette.

Lukeressembleàmonpère.Est-cequ’iljouedelaguitare?Ceseraitcool.

Quoi,Mia?Tut’imaginesfairedesbœufsavecluilesoirsoussavéranda?Redescendsunpeusurterre.

J’attendsl’autocarenhautdelarueentriturantnerveusementmabagueàmonindex.Ilnetardepas

àarriver.Iln’yapersonne.JedoisvraimentvivredansledernierquartierhabitabledeKaloa.

Lecentre-villen’estpassiloinpourtant.Dixminutesàpeineenbus.

Àl’approchedesimmeubles,dugoudronfumantsouslachaleur,desbruitsdesvoitures,delavilletoutsimplement,jemesensrenaître.Delavie…Enfin…

Paradise Valley est la plus grande allée du centre, je n’ai aucunmal à la trouver.Gilmore Carpossèdeunevieillefaçaderougetoutedéfraîchie,reconnaissableparmitoutescellesflambantneuvesdesmagasinsdel’avenue.J’ajustemeslunettesdesoleilsurmesyeuxetremontemonsacdéchirésurmonépaule.

Uneodeur forteme saisit quand jepasse l’entréegrandeouvertedugarage : cellede l’essence,j’adoreça.

Oui, c’estbizarre,maiselleme rappellemonpère. Il avaitunevieilleDodgeChargernoire.Lamême queVinDiesel hérite de son père dans ce film de voitures, ce gros blockbuster du cinémaaméricain.Etilpassaitsontempsàlabichonner.Çasentaittoujoursl’essenceetl’huiledemoteur.Àsamort,mamèreavendulevéhicule.

—Amy!

Lukem’interpelleautraversdesonbureaudeverre,letéléphonecolléasonoreille.Jeblêmis.

Zut.Illefaitexprèsouquoi?!

Heureusement, les deux mécanos qu’il emploie sont trop affairés sous des voitures pour faireattentionàmoi.

Jemedirigevers lui et pousse laporte.Luke raccroche aumêmemoment. Il porte sonbleudetravail dont les manches sont nouées à sa taille et un marcel blanc qui laisse apparaître ses brastatouésetmusclés.Ilestintimidant.Sijeneleconnaissaispas,j’auraiseupeurdelui.

—Luke.C’estMia,s’ilteplaît.PasAmy.

Ilgrimace.

—Merde.J’avaisoublié.Excuse-moi,jeferaiattention…Mia.

Jeposemonsacsurlachaisedevantmoietlaphotoquitrônesursonbureaumesauteauxyeux.

Unportraitdemamère.Elleestsuperjeunedessusetfaitlamoue.C’étaitsameilleureamieavant,maistoutdemême,c’estbizarreça.Ilsuitmonregardetprendaussitôtlecadrepourleposersuruneétagèrederrière.

—Oh,c’estunevieillephotoça…Euh…D’ailleurs,tuasdesnouvellesdeMeg?

—Oui.Ons’estparlécematin.ElleetArizonavontbien.Elless’acclimatentquoi.

—Ettoi?Tut’acclimates?

Lafaçondontilademeparlerenbaissantconstammentlesyeuxmemetenconfiance.Ilestaussigênéquemoi.Tantmieux.Noussommesàégalité,donc.

—Çava.Legarsducâbleestpasséetj’aieuinternet.Labase.

Il hoche la tête et fouille dans ses papiers. Je ne suis pas sûre qu’il m’ait vraiment écoutée. Jecontinuequandmêmeàparler.

—Ilyaunesupéretteici?

—Àcinqminutes.Tupeuxprendrelebusenfacesituveux.Sinonjet’emmènequandj’aifini.

Horsdequestiondecomptersurluipourtout.

—Oh,s’ilyaunbus,jeleprendrai.

Deuxièmehochementdetête.Ildoitêtreaussisolitaireetréservéquemoi.

—Meganm’aditquetuavaisunpenchanttrèsfortpour…l’art.

Allonsbon.Parfoisjetueraismamèred’exposeraussifacilementmavie.

—Mouais…

—Jet’aiinscriteàdescoursindépendantsàlafacultédeConstance.C’estseulementlemercredietlevendrediaprès-midi,mais jemesuisditqu’enattendantde te trouverduboulot,ça t’occuperait.C’estseulementpourdeuxsemestres.

Lanouvellemeprendaudépourvu.Desleçons?D’art?ÀConstance?…

Minutepapillon.

—Maisjen’aipaslesmoyensdepayerça.

—Net’inquiètepaspourça.C’estarrangé.

Commentça?

—Tunem’aspaspayédescoursLuke?!

Ilrougitunpeuetsegrattenerveusementlehautducrâne.

—C’estrien.Tuesunpeuperdueici.Jemesuisditqueçat’aideraitàtefairedesamis.

Sérieux?Ilsaitpourtantquejen’aipasd’amis,quejesuislimiteasociale.Ilsaitquej’aidumalaveclesautresaprèscequ’ilm’estarrivé.

—Tunemedoisrien,Mia.Jeveuxjustequetut’ensortes.Jen’aiencorerientrouvépourtoi.Jeveuxdire,commeboulot.Maisçaviendra.Enattendant…ilyauncentreversFenwayquiaccueilledesjeunesendifficulté.Ilproposetoutessortesd’animations.Jemesuisditquetupourraisyfaireuntour.JeconnaisElena,unedesaccompagnatrices.Elleaacceptédeterencontreretdeteproposerdesactivités.

Jen’enrevienspas.Moi,jeuneendifficulté?!C’estlameilleurecelle-là.

Ilmetendunecartedepiétonetuneadresse.

Jem’efforcederesterpolieetdenepaslaluirenvoyeràlatête.

—Merci,dis-jeavecobligeance.

—Tuiras?

Jemetsdutempsavantdehocherlatête.C’estbienpourluifaireplaisir.Vraimentpourlui.

—J’irai.

Ilm’expliqueensuiteoùtrouverunsupermarché,medonneunjournalaveclespetitesannoncesetjem’empressedesortir.

Lafeuillerageusementserréedansmesmains,jemedirigeversl’arrêtdebusdel’autrecôtédel’avenue.

Non,maisquel idiot!Ilm’aprisepourqui,hein?Jenesuispas«endifficulté»,moi !Jesuisjuste…unpeuperdue.

Ensoupirantdedéprime,jemelaissetombersurlebancdel’arrêtd’autocaràcôtéd’unefille.

Jeretiremes lunettesdesoleilet lesplaceau-dessusdematêtefaçonserre-tête.Età laplace, jeprendsmes lunettesdevuepour lesplacer surmonnez.Mon légerproblèmed’hypermétropiemepousse à en porter parfois.Même si je n’aimepas lesmettre.Ça fait trop studieux. Je ne suis passtudieuse.Jenelesuisplusdepuisunmomentetjeneveuxpasdonnercetteimagedemoi.Onabientrop longtempspenséque j’étaisunepetiteélèvedocileet travailleuseet riend’autre.Personnen’aessayédevoirplusloin.Personne.

NepassefocalisersurleregarddesautresMia.Aurais-tuoublié?

Je parcours les petites annonces,mais le coin ne déborde pas de boulots intéressants.Ou alors,ceuxquilesont,sonthorsdemaportée.Pasassezdediplômes,pasassezqualifiée.

Lafilleassiseàcôtédemoiclaqueostentatoirementlechewing-gumqu’elleaenboucheetaveclequelellefaitdesbullesàrépétition.Cegestemerenddingue.Jesuisàdeuxdoigtsdemeleverpourm’éloignerquandunfeulementsourdsefaitentendre.

Je lève la tête pour voir une moto noire déboucher à ma droite un peu plus loin et tournerlentementpoursegareràcôtédequelquesautresquejen’avaispasremarqué.

Desmecs,lavingtaine,sontrassemblésenfaceuncaféàladevanturebleue.Ilyadesfillesaussi.Tousplusâgésquemoi,aucundoutelà-dessus.Jediraisentrevingtetvingt-cinqans.Peut-êtredesétudiants ? La faculté supérieure de Constance Grey n’est pas loin. Il n’y a que deux grandesuniversités sur cette île, celle de St Raphael dans le nord et celle de Constance dans le sud. Lesétudiantssouhaitantcontinueràvivresurl’îlen’ontpasvraimentlechoix.Maisaumoins,ilsontlachanced’avoirdeuxdesfacultéslesmieuxcôtésdel’Ouestaméricain;l’une,poursonprogrammede recherchemédicale hors-norme et l’autre, pour toute sa diversité culturelle et artistique : coursd’art dramatique, design pour théâtre et film, cinéma d’animation, études en électroacoustique,intermédias et cyberarts, scénographie et production, sculpture, peinture moderne et dessinsgraphiques, média d’impression, photographie… et j’en passe. Bref, le rêve. Un rêve auquel jen’auraijamaisaccès.

Mêmesic’esthypersympadelapartdeLukedem’avoirinscriteàdescoursindépendants.

Souvent,jemedisquesijevoulaisfairetouteslesétudesquim’auraienttentéeàlabase,unevie

n’auraitpassuffi.Ilm’enauraitfalluneuf,commeleschats.Maisapparemment,mêmedansunevie,jenevaispasfairedebonnesétudes.J’aimoi-mêmesabotétoutesmeschances.

RelaxMia.T’aspluslechoixdetoutefaçon.

Mes pensées reviennent auxmotards, tous garés et arrêtés sur le trottoir. Sans doute un grouped’amis.J’ail’impressiond’assisteràunescènedefilmtellementjen’aipasl’habitudedevoirça.Ilssonttousjoviauxetrientauxblaguesdesunsetdesautres.Ilsparlentfort,s’envoientdespiquesetdes injures.Certains sont clairement en couple.Et ce quime choque surtout, c’est qu’ils sont tousmagnifiques.Toussansexception.Beaux,voiremême…brillants.Oui,c’estbizarrecommeadjectifpourqualifierquelqu’un,maisc’estcequ’ilssont:brillants.Parcequetoutlemondeaconcentrésonattentionsureuxetqu’ilsontquelquechosequiattireleregard.Untruc,commeondit.Uneespèced’hormonemiracledebeautébrute.Ilssonttatouésetpresquetoushabillésdenoiretdecuir.Maispas exactement commedansSonsofAnarchy{7}, non, parce que là, ils sont jeunes et rasés de près.Parcequelà, lesfillesrespirent lasensualitéet ressemblentàdespin-updesannéescinquanteavecleurs bandanas dans les cheveux et leurs chemises en jean ; les garçons ont des allures à la JohnTravoltaouàlaJamesDean,maismodernisées.

J’hésite à sortir mon portable pour les prendre en photo. C’est surréaliste. Un tableau àimmortaliser,ça,c’estsur.

L’und’euxcoupesonmoteuretenlèvesoncasque.

OhmonDieu!

J’écarquille les yeux de surprise. Il s’agit de l’inconnu de l’aéroport. Je retiremes lunettes parréflexe,pourleregarder.

Allonsdonc…nousvivonsdanslamêmeville…

Cettefois,ilestbienplusimpressionnant,assissursonénormeengin.

Jenem’yconnaispasetnesaispasdequellemarqueils’agit.J’enairarementvudespareilles.C’estunroadster.Ilestdecouleurnoiremate,sijelacompareàmesbombesdepeinture,jediraisBlackcarbone.Iln’yaquelafourchequiestdorée,ainsiqu’unpetitliserésurlesjantes.Lesseulestouchesdebling-bling.Avecdesrouesénormes,despharestoutrondsetuneallurequiintimide.Àdistance,jenepeuxlirequel’autocollantsurlapartiegaucheducarénageavant:Speed.{8}

Elleattireleregard.Unréservoirimposantetuneassiseassezpetitemefontdirequemêmesion

peutmonteràdeuxdessus,c’estunemotopoursoi,unemotopouruneseulepersonne.Unemotopour être libre. La ligne générale la distingue entre mille, entre toutes les autres garées à côtéd’ailleurs,avecunaspectcompact,unegueuledevoyouetdesenviesdebaffes.Elleestracée.C’estunemotoderebelle.Unemotopourlui.

J’enoubliemonjournaletl’observe.Ilaôtésoncasqueetpassesamaindanssescheveux.Ilporteune veste en cuir noir, avec des boucles et des fermetures en bronze. Pas un blouson remplid’inscriptionsetdesponsorscommecertainsbikersquej’aidéjàcroisé.

Quand il sedirigeverssesamis, soncasquesous lebras,en retirant sesgants, j’ai lesyeuxquibrûlentdelefixer.Sadémarcheestassurée,masculineetvirile.Ilestsûrdeluietnebaisselesyeuxdevantpersonne.Cetype-là,àl’habitudededominerlemonde.Oudumoins,dedominerlesautresetson entourage.Rienque lorsqu’il arrive, toute l’attention se concentre sur lui.Lesmecs le saluentavecempressementetlebousculentunpeupourjouer.Ilrit.

Deloin,cerirevientmechatouillerlestympans.Ilestfraisetunpeurauque.Ildoitavoirlavoixgraveetcassée.

Les filles s’agglutinent comme des abeilles autour de lui pour l’embrasser et lui tendre leursbouchesrougeécarlate.

J’envieleurlégèreté.Jenesuispascommeçaetn’aijamaiseud’amis.Ilfutuntempsoùj’enavaiset où je sortais traîner avec eux.On se retrouvait pour boire desmilk-shakes chez Jo et fumer encachette derrière le pub. On passait des soirées à refaire le monde et à parler de nos avenirsrespectifs.Àjouerdelaguitareetàchanternosmorceauxpréférésjusqu’àavoirlagorgedéchirée.Àsefairedesblaguespourriesetàenrireensemble.Maisc’étaitilyalongtemps,avantquemavieneprenneuntournantplusradical.

Aujourd’hui,jemeretrouveseule.Seuleetunpeupitoyable.

Ehho!Onavaitditpasdedéprime!T’asdix-neufoutrente-neufans?Merde!

Quelquefois,j’aimeraisfairetairemaconscience.

—Beauspécimen,n’est-cepas?

Je tourne vivement la tête vers la fille assise à côté de moi. Jusque-là, je ne l’avais pas bienregardée.

JejureraismeretrouverenfacedeMichelleRodriguez{9}.

Originelatine,avecunelonguechevelurebruneetunepeaubronzée.Elleestnéanmoinsmuscléeetunpeucarréed’épaules.Elleportedesbottesnoiresavecdesbouclesmétalliquesetunshortultra-courtenjean.Etcommelesfillesdel’autrecôté,elleaunbandanadanslescheveuxetunepairedelunettesdesoleilpapillonsurlesyeux.

Ellemesourit,avenante,enclaquantencorelabulledesonchewing-gum.

Jebredouille,complètementintimidée.

—Je…jenem’yconnaispas…enmoto.Maiselleestjolie,oui.

MichelleRodriguezbis,éclated’unriresonoreensetenantleventreetjevoissonpiercingsursalangue.

—Jeneparlaispasdelamoto,bécasse,maisdelui!

Elleapointéledoigtsurlegarçon.

Monvisagedevientécarlate.

—Oh.

—Oui,oh.Ilteplaît?

Ellemefaitunclind’œilmalicieuxetlerougedemesjouess’accentue.

—Quoi?Non,pasdutout…

—Ohallezquoi,tupeuxmel’avouer.Zacplaîtàtoutlemonde.

Zac…C’estdoncsonnom.

—ZaccommeZachary?jedemande,faisantriredenouveaulafille.OucommeZacEfron?

—Zachary?!OhMyGod{10}!Non…certainementpas.ZaccommeIsaacMiles.TuneconnaispasZac?!

Elleaclairementl’airsurprise.Bennon,jeneleconnaispas,jen’aipascetimmenseprivilège.

—Toutlemondeleconnaît,s’empresse-t-ellederajouter.

—Jenesuispasd’ici.

—J’imaginebien.

Ellemetendlamain.

—Laure-AliceO’Brien.Tupeuxm’appelerL.A..

—Mia.

Jelaluiserre.Sionnemedemandepasmonnom,autantnepasledire.Jeneveuxpaséveillerlacuriositédesgens.

— Tu cherches du boulot ? m’interroge-t-elle en désignant les petites annonces que je tienstoujours.

—Oui.

— Tu devrais aller voir Vince au Rubis. C’est au bout de l’avenue. Il cherche quelqu’un pourtravailleràmi-temps.

Travaillerdansunbar?Moi?Jen’aimêmepasl’âgedeboiredel’alcool,alorsenvendre…

—Jenesuispassûred’avoirl’âge,révélé-je,honteuse.

— Ce n’est pas pour servir, bécasse. J’ai bien vu que t’as pas vingt-et-un ans. C’est pour lenettoyage,laplonge…

—Oh.

—Vas-yetdemandeVince.Dis-luiquetuviensdelapartdeL.A..

—C’estgentil.Merci.

Elleme fait sonplus beau sourire et se lève aumoment où l’autocar arrive. Jemonte et elle lecontournealorsquejevaism’asseoir.Parlavitre,jelavoistraverserlarouteetrejoindrelegroupedemotards.

Ellelesconnaît!Bonsang,ellelesconnaît!

J’aiàpeinele tempsdel’apercevoirse jeteraucoudeZacenriantavantquelebusne tourneà

l’angledelarue.

**

Toutletempsoùjefaismescourses,l’imagedecettebandedemotardsnequittepasmoncerveau.Allezsavoirpourquoi.

Je refaismonpanierdix fois.Thé,ouiunemultitudeparceque j’adoreça,bonbonà lamenthe,lingettesdésinfectantes,bombeanti-acarien, sprayantibactérien : lapanopliede laparfaitecinglée,commeditArizona.Maismêmesij’essayedemecorriger,cen’estpasgagné.Puisquelquespetiteschosespourmonnouveauchezmoietpourfaireàmangeraussi.

À la fin,monsacdébordeetprendre lebusavecpour rentreréquivautàunvéritablechemindecroix.

Unefoisdescenduedubus,j’empruntelaroutejusqu’àchezmoi:unpassageenterre,sinueuxetpentu.Jemetsdelabouesurmeschaussuresetmanquedemetordrelachevilleàplusieursreprises.Alorsquej’avancepéniblement,accabléeparlepoidscolossaldemonsac,jesuisprisedecourtparunemotoquis’arrêtebrusquementàmahauteur.

Bonsang!

Moncœurappelleàl’aide.Ventriculegauche:respire.Ventriculedroit:demanded’aird’urgence.

Crissementdepneuetgrognementsourd.Lapoussièredusolselèvedevantmoietjetoussealorsquel’inconnurelèvelavisièredesoncasque.Maiscenesontpasdesyeuxvertsnilamêmemoto.Celle-là,c’estuneKawasaki.Pluscompactequel’autre.

Le motard me perce de ses deux onyx noires, profondes et immuables. Putain, je pourrais medésintégrersurplace.

Lesbattementssourdsdemoncœuràmestempesontredoubléd’intensité.

Jevisseuleauboutdecetterue.Luken’estmêmepaslà.Moncorpspourraitfacilementdisparaîtredanslelacenbas.Enplus,ilesttropgrandcemec,tropcarré.Jenefaisclairementpaslepoids.

Sa voix déformée par le casque quim’empêche de voir entièrement son visageme parvient ensourdine.

—Jet’aideàporterça?

Jedéglutisdifficilement.

—Euh…non.Çaira.Merci.

Onsefixeuninstant.Mesyeuxmebrûlent.

Ilfaitgrincersesgantssursamachineetdonneuncoupd’accélérateurpourfairegrognerlabête.Jepourraisdétalerencourantsijen’avaispascesacénormeavecmoi.

—Tantpispourtoi.

Il rabataussivite savisièreetdémarrebrusquementenme laissant tousserdans la saletéqu’ilasoulevée.

Avecurgence,jedévalelaruepentue.Putain,maisc’étaitquoiça?!Puisd’oùilsortluid’abord?

J’arrivedevant lamaisonblanche,écheveléeet rouged’avoircouruaveccepoidsdans lesbras.Maisenposantlepiedsurlapremièremarchedesescaliers,unbruitàsefairedresserlespoilssurlesbrasmefaitsursauter.Jeglisseenarrièreetlâchelesacaveclescoursesquis’étalentpartout.Enpoussantuncriperçant,jemeretrouveleculdanslapoussièreetledoscomplètementpété.

BonDieu!Jemesuiscassélesvertèbres,c’estsûr…

Avec plus de peur que de mal, je relève les yeux vers ma porte d’entrée. En fait, c’est unbruissementd’ailequim’afoutulatrouille.Etilyadequoi.Moncœurbâtàtoutrompredansmapoitrine.Jeportemamainàmabouchepourm’empêcherdevomir.

Aumilieudelaporte,unechouettevivanteestclouée,lesailesgrandesécartées.Sesyeuxmarronet perçantsme fixant avec détresse. Les clous la transpercent de part en part.On l’a crucifiée. Endessous, sur le bois de la porte, une seule inscription en rouge sang.D’ailleurs, vu comment elledégouline,jemedemandesicen’estpasréellementdusang.

Ilyestmarqué:Getout{11}.

5

L’angeGabriel

Mia

Il faitchaud.Je lève le regardvers le terrainoù les joueursévoluent sousunsoleildeplomb. Ilm’observeet sourit.À traverssoncasqued’acierouvert, lequarterback,me faitunclind’œilet jerougisjusqu’àlapointedescheveux.Sesyeuxbrunsontunéclatparticulierquejenem’expliquepas.

—Amy…murmureunevoixàmonoreille.Faisattention.Ilestdangereux.

—Non!!!Laisse-toifaire!Detoutefaçon,tuesdéjààmoi.

Unrireméphistophéliquerésonneàmesoreilles.Unemainserefermeautourdemoncou.Jemedébats et m’étrangle. Ça sent l’urine, le détergent et le sang. Je voudrais vomir, mais il faudraitpouvoirouvrirlabouchepourça.Ladouleurdansmoncorpssembles’êtreéparpilléeetgagnemêmemoncerveau.Jeflotteendehorsdemoi-mêmeetbaignedansmonpropresang.Puis,ilfaitnuit.Cettefois,cen’estpasmonsangquigouttesur lecarrelage,mais lesien.Moncœurredoubled’intensitédansmapoitrine.Ilvaexploser.

Ausecours!Maman!

Aveclecœurauborddel’implosion,jemeredressevivement.

Mes pieds sont emmêlés dansmes draps. Etmême si je ne porte qu’un débardeur blanc et uneculotteencoton,jesuisensueur.

Uncauchemar.Cen’étaitqu’uncauchemarMia.Respire.

Aucunrayondesoleilnetransperceleveluxau-dessusdematêtepourvenir inonderlapièce.Ilfait encore nuit, même si ma chambre est éclairée par la veilleuse. Mon réveil digital à cristauxliquidesafficheengros05heures.

Je tends la main pour repousser mes cheveux collant à mon front. Encore une nuit

cauchemardesque.Lasensationdecepoidssurmapoitrinenemequittepas.Ilnemequittejamais.Lapeur.Laculpabilité.Ledégoûtdesoi.Etsurtout,surtoutlatristesse.

Ensoupirant,jerepousselescouverturesetm’accrocheauxparoisdumurpourdescendredanslesalonsanstomberdel’escalier.

Unbruissementd’ailemeparvientducartonquej’ailaissédanslasalledebain.Jejetteunœilàl’intérieur.Lapauvrechouette,quej’aidéclouéeavecgrandepeinedelaported’entréehier,gîtaufonddelaboîte.Elleaunrâleaigu,faiblesignedevie.Lesversdeterrequej’aiposésdevantellerampent encore sans avoir été mangés. Je n’ai rien, pas même du désinfectant pour soigner sesblessures.Arizonaauraitpétéuncâble si elleavaitvuça.Lesanimauxblessés sont saplusgrandefaiblesse.Maismoi,jenepeuxrienpourcettepauvrechouettequ’unimbécileadécidédesacrifierpourmefairepeur.Lesgenssontpitoyables.Peuimportequiestl’auteurdecetacteimmonde,jenemelaisseraipasintimider.Ici,jen’airienfaitàpersonne.Jenevaispasmelaissertourmenter.Puislesblaguesdecegenrenemefontnichaudnifroid.

Allez,bouge-toi,Mia!

Lemeilleurmoyendecommencermanouvellevie,c’estd’apprendreàrelativiserleschoses.Jenepeuxpluslaissermesémotionsetmonpasséprendreledessussurlereste.

LetempsdemebrosserlesdentsetdeboiremonthéJardindeDarjeeling,jemerepasseentêtelespetitesphrasespréféréesd’Arizonapourmemotiver.

«Danslavie,lemeilleurmoyenderéaliserl’impossibleestdecroirequec’estpossible»

«Danslemonde,iln’yapasd’uncôtélebienetlemal,ilyaunepartdelumièreetd’ombreenchacundenous.»

«Cours,Mia!Cours!»

Oui, la version«CoursForest » adaptée àmonpropre cas est assez risible.Aumilieud’HarryPotteretd’Aliceaupaysdesmerveilles.Mapetitesœuretmoi-mêmeavonstoujoursétédegrandesrêveuses.

**

Vêtueuniquementdemoncollant en lycranoir etdemonsoutien-gorgede sport assorti, je tiremontapisdegymsouslavérandaetm’installeenpositiondulotus.

Leyoga,depuisunan,c’estmondada.Voilàlaseulechosequim’aaidéeàmerecentrersurmoi-même.

Ilfaitdouxetunelueurorangéesedessinederrièrelesarbresau-delàdulacnoiroùsereflètentlesdernièresétoiles.

Unebrisealgueuseetpoissonneusevientmechatouiller lesnarinesenmêmetempsque lechantdesoiseauxquiseréveillentfrôlemestympans.J’adorecemoment.Là,jemesensbien,seuleavecmoi-même.

Unstyloglissédanslescheveuxenchignon,jefermelesyeuxetlaissemesporess’ouvriretmespensées se perdre. La méditation profonde n’est pas encore mon fort, mais le ressourcement estsalutaire.

Unedemi-heureplustard,lesoleils’estlevéetlatempératuregrimpantemefaitquitterlavéranda.

Aprèsunedouche, jemetsdutempsàchoisircequejevaisporter.Si jedoismerendredanscecentre de jeunes en difficulté et à ce bar pour du boulot, je dois faire la part des choses. Entre labarmaidtropsexyetl’adolescentepaumée,jedoistrouverlejustemilieu.

Je passe d’abord un petit top blanc et une jupe corollemi-longue. Trop sage.Même si avec untempspareil,jepourraispresqueportertoutel’annéedesjupescommecelle-làoudesrobes.

Danslemiroir,monrefletmedonnelanausée.Tropgrosse.Meshanchestroppleinesmériteraientd’êtrecoupéesàlascie.Etmesseins,pluspetitsquenelevoudraitlamodeactuelle,medégoûtent.

Horsdequestiondemettreça.Jefinisparpasserunjeanetlechemisierenflanellerosequemamèrem’aoffertàNoëldernier.Lesseulsvêtementspasnoirsquej’ai.Ilvasérieusementfalloirquejefasselesmagasins.

J’enfileunepairedeballerinesclassiqueetfaisunequeuedechevalàmatignassebrune,avantdesortir.

En ville, un petit tour par la pharmacie pour un essentiel de secours, et je file à ce centre pourjeunes.Après tout, je n’ai riend’autre à faire etmevoismal rester enfermée chezmoi à ruminertouteseule.

**

LequartierdeFenwayestfacileàtrouveretlecentreBrown,encoreplus.

Loin des stéréotypes d’immeubles délabrés qui accueillent ce genre de site, celui-ci estimpressionnantdemodernité.Avecuneentréecontemporaine,sousdesarchesdeboisd’acajouetdesbureauxdanslamêmematière.Aumur,sontaccrochéesdesphotographiesdequartierspopulairesetavecdesgensde touthorizon,despunks,desgothiques,desBrésiliensen tenue traditionnelle,uneadolescenteavecsonbébéetunepetitevieilleassiseaupiedd’unarbre,commesielleavaitpoussélàilyadescentainesd’années.Toutenblancetnoiravecseulementquelquescouleurspar-cipar-là.J’adore.

Ondiraitpresqueunegaleried’art.

Unefillepatientesurunechaiseenfaisantsauterunbébésursesgenouxetungarsestallongédetoutsonlongsurlesbancsd’attenteenronflantlégèrement.

Je m’avance vers l’accueil, derrière lequel, sous le bar en acajou, un garçon joue avec sonportable,lespiedscroiséssurlebureaudevantlui,dansunje-m’en-foutismetotal.Ilneressemblepasàunaccompagnateuroujenesaisquoi.Enplus,ilesttropjeune.Lavingtaine.

Jeretiensmonsouffleenapercevantuncasquedemotoposésurleplandetravail.Merde.

Ilssonttousmotardsdanscettevilleouquoi?

Ilporteunt-shirtblancquimouleparfaitementsamusculatureapollinienneetd’oùs’échappeuneencrenoiresursapeauhâlée.SoncolenVéchancrémelaissevoirunsablierpiquésurlemilieudesontorseavecdesailesd’ange,danslestyleégyptien.

Troptatoué.Tropbeau.Tropintimidant.

Je me tâte à faire demi-tour. Il ne lève pas les yeux quand je m’approche et que je me racledoucementlagorge.

Qu’est-cequetufaisMia…

—Salut,m’entends-jedire.

Pasderéponse.Ilcontinueàpianotersursontéléphoneetàsebalancersursachaise.

Monpoulsbâtsourdementàmestempes.Pourquoilesmecsmefont-ilstousceteffet?

Nonpastouslesgarçons.Seulementlesgarçonstropgrands,tropforts,tropimposants.Seulementlesgarçonstropbeaux.

—Salut.Euh…jeviensvoirElena…

Savoixfaitcourirdesfrissonssurmapeauquandilmerépond.

—Sit’esencloque,fautremplirledossierlà,etsic’estpourlefoyer,fautrevenirà13heures,çaouvrepasavant.

Ilposesabottenoiresurlapiledeformulaires,surlecomptoiràgauche.

Àaucunmoment,iln’alevélesyeuxpourmeregarder.Jeserrelesdentsd’énervement.D’abord,jenesuislàquepourfaireplaisiràLuke,alorssic’estpourmetraitercommeça…

—Non,jenesuispasenceinte,c’estjuste…

—Bonjour!

Unegrandeblondepasselaportedubureauetmesalue,enjouée.

Elle doit bien avoir la cinquantaine,mais c’est une belle femme avec un style casual-chic. Sonsourireesttrèsavenant.Ilsedégaged’elleuneimpressiondesécurité.Jeluisouris.

—Bonjour.

Elle tape sur les pieds du garçon qui les reposent distraitement par terre, trop absorbé par sontéléphone.Elleretireseslunettespourmeregarder.

—JesuisElenaFitz,lacoordinatriceprincipaleducentre.Jepeuxvousaider?

—Oui,jeviensdelapartdeLukeGilmore,lemécanicien.

—Oh!Luke!Ouibiensûr,vousêtessanièce,MiaGilmore,c’estça?CellequihabitedanslamaisonsurlelacKaloa?

L’apollonblondvacille sur sa chaise et sonportable rebondit dans sesmains avant de s’écraserdansungrandfracassurlesoldemarbreblanc.

Lafemmeetmoiouvronsdegrandsyeux.

Illèvelessienssurmoi,laboucheouverte,etmedévisagesanspudeur.Jesuistétaniséeparsonregardcéruléen,maisjepensequ’ildoitl’êtreautantparlemien.

—Venezavecmoi,Mia,m’intimeElenaen tendant lebraspar-dessus lecomptoir.Nefaitespasattentionàmonfils.Gabrielatoujoursétéinconvenantaveclesjoliesfilles.

Sonfils?Évidemment.Elleestbelle.Leschiensnefontpasdeschats.

Elleseretourneverslui,alorsqu’ilalâchémonregardpourrattrapersonportableetremboîtersabatterie,etluifaitdegrosyeux.

—Occupe-toideMolly,tuveux?Aulieudefairel’imbécile.

Ilnerépondpasetmefixe.

Jedétournelesyeuxetpassedel’autrecôtépoursuivreElena.EllemeparledeLukeetjen’écoutequ’àmoitié.

Et tandis quenousnous éloignons, j’oseundernier coupd’œil par-dessusmonépaule.Son filsnousobservenouséloigneretparledoucement,letéléphonecolléàl’oreille.

Matensionneredescendpasd’uncran.Sijedoisavoiràfaireàluitouslesjours,çanevapaslefaire.

**

—Vouspouvezrevenirdemainmatinetvoircommentçasepasse.Peut-êtrequeçavousplaira?

Elenaessayevraimentdememettreenconfiance,maisjerestetoutdemêmesurmesgardes.

Aprèsuneheureàfaireletourdesbâtimentsetàvoircequ’elleaàmeproposer,jen’aitoujourspaschangéd’avis.Lesocialcen’estpaspourmoi.Jenemesenspasàmaplaceici.Ilyadescours

dusoir,desaidespourlesjeunesenréinsertion,desactivités…Comptezpassurmoipourparticiperàtoutça.

—Écoutez…jenesuispassûred’êtrefaitepourtoutça…

—Pourquoi?Parcequetun’asaucunproblème?

Exactement.Maisjenerépondspasdepeurdeparaîtretropprétentieuse.

Ellemesouritetposeunemainsurmonépaule.

—Jecomprendsparfaitement,mabelle.Maispeut-êtreyena-t-ild’autresque tupourraisaiderici?Nousavonsunatelier«artderue»leslundisetvendredismatin.Peut-êtrepourrais-tudonneruncoupdepouceàJennyetGabriel?Gaby!

Elle se retourne et crie à l’attention de la porte de son bureau. Elle s’ouvre immédiatementmefaisantsursauter.Commesil’autreattendaitlà,derrière,toutcetemps.

Respire.Respire.Respire…

—MademoiselleGilmorevat’aideravecJenny.Tulabrieferasvendredimatin.Jecomptesurtoipourt’occuperd’elle.

Legarçonmefusilleduregardavantdegratifiersamèredelamêmechose.

—Commesijen’aipasassezàfairecommeça!

—JesuissûrequemademoiselleGilmoreneteposerapasdeproblèmes.Maintenant,est-cequetuveuxbienlaraccompagner,s’ilteplaît?

—Quoi?Ellenesesouvientdéjàplusdelasortie?grogne-t-il,mauvais.

Jesoupireetrajustemonsac.

—Çaira,jetrouverai,merci.

Maissamères’excuseauprèsdemoietinsiste.

—GabrielRomeoFitzgerald!

—Çava!Merde…

Ilmarmonneen fourrant sespoingsdans sespoches et s’écartepourme laisserpasser. Je salueElenaetmedirigeverslasortieàtoutevitesse.

AhLuke,jetejure.Mêmeplanfoireuxquemamère.

Maisquandjeposelamainsurlapoignéedelaporteducentre,uneautreseposedevantmoienappuyantdessuspourm’empêcherd’ouvrir.Unemainavecunpoignettatouédelettresgothiques.

—Qu’est-cequetuveux,toi?

Jenelèvepaslesyeux.Savoixmetétanise.

—Commentça?

—Pourquoitut’esinstalléedanscettebaraque?TufousquoiàHélèneGrove?

Lasurprisemefaitleverdegrandsyeuxinnocentsverslui.

—Lamaisonsurlelac?Cen’estpasmoiquiaichoisidevivrelà.C’estmononcle.

TutejustifiesMia,tutejustifies.

Apprendreàsedéfendre:objectifnuméroun.Nepasselaisserintimider:objectifnumérodeux.

Jenesuispasunechochotteetnevaispaslaissercesgensmefairepeur.Mêmesimaintenant,jemedemandesic’estluiouunautrequiaclouécettepauvrebêtesurl’entrée.

—Qu’est-cequ’ilyaaveccettemaison?Qu’est-cequeçafaitquejevivelà?

Ilretiresamaindelaporteetplissedesyeux.

—Tudevraisjustetecasser.Cen’estpasunendroitpourunefillecommetoi,c’esttout.

Jetrouvelecouragederépliquer.

—Jenevaispaspartir.J’ysuisbien.

Ilserapprocheetmesondeduregard.

—Quelâgetuasdéjà?

Respire.Ouvrelesnarines.Souffle,sinontuvast’étouffer.Ilfaitchaudlà,non?

—Dix-neufans.

—C’estbiencequejepensais.Unegamine.Casse-toi.C’estunconseil.Avantquelesautresnetebouffenttoutecrue.Tunet’enremettraispas.

—C’estunemenace?

Lacolèremefaitserrerdespoingsmaintenant.Jeneleurairienfait.Absolumentrien!Jenelesconnaismêmepas.

—Non.Unconseil.

—Est-ceque…est-cequec’esttoiquiasclouécettechouetteàmaporte?jebredouille.

Salèvreduhauttressautenerveusementetillamord.

Cegestesisexymelaisseémerveillée.Jedétournelesyeux,gênée.

—Non,cen’estpasmoi.Maisjeconnaisbienceluiquil’afait.

Onsedéfieduregarduninstantetilm’ouvrebrusquementlaportem’aveuglantaveclesoleildecettefindematinée.

— Crois-moi, celui qui a fait ça est le moins mauvais de nous tous. Va-t’en. Ou déménage aumoins.Situneveuxpasdeproblèmes.

Desproblèmes.Toujoursdesproblèmes.Àcroirequejesuisnéeaveclapoisse.

Jem’enfuissansrépondre.

Maisentraversantlacour,têtebaissée,pourmerendreàl’arrêtdebus,jen’aperçoispastoutdesuitelamotonoireetdoréegaréeàquelquespas.

Quandjemesensobservée,jefinisparleverlesyeux,tétanisée:lebelinconnudel’aéroportmedétailledelatêteauxpieds.Lessourcilsfroncésetsoncasquesouslebras.

Est-cequ’ilmereconnaît?

Chaqueparticuledemoncorpss’enflammesousceregarddejadequimedéshabille.

Ahnonhein.Pasça!

Jesuisplusfortequetoutça.Ilsnemefontpaspeur.

Jemetortillesurplaceet jouenerveusementavecmabague.Jen’arrivepasàleregarder.Parceque jesaisqu’ilm’observeouvertement.Alors jecompte lessecondesmentalementenattendant lebus.Deuxdespluslonguesminutesdemavie.

Quandilarrive,jesuisàdeuxdoigtsdemepisserdessusàcausedustress.

Alorsjem’engouffreparlesportespresqueencourantetm’installeaufond.

Cen’estqu’unefoisassisequejeprendsconsciencequecen’estpascelui-ci,maisleprochainquivaaucentre-villequej’auraisdûprendre.

Quelleconne.Non,maisquelleconne!

Les yeux fermés, je laisse ma tête reposer sur le siège en soupirant bruyamment tandis quel’autocarrepart.J’aiplusqu’àdescendreàl’arrêtsuivantetrevenirsurmespasenespérantattraperlebonbuscettefois-ci.Sansrencontrerdemotardsexy,ceseraitbien.

La voix grave et profonde quimurmure au creux demon oreilleme fait carrément bondir surplace.Mesyeuxs’ouvrent.

—Qu’est-cequetufuis,sweatheart?

Crisecardiaque.

Leregarddejadeestassisàcôtédemoietmefixeintensément.

6

Fahrenheit&Ash

Mia

Jeposeunemainsurmoncœurpourl’empêcherdes’échapperdemacagethoracique.

Nousnousregardonsfixementsansclignerd’unœil.

Qu’est-cequ’ilfaitlà?Pourquoimesuivre?Pourquoia-t-ilgrimpédanscebus?

—Quefuis-tu?

Toi.

Ilestassissiprèsquenoscuissessetouchent.Jemanqued’air.Enpensanttoutàcoupàinspirerprofondément, je suisprisedevertige en sentant sonodeur.Fahrenheit deDior.Lapuissanceet lemagnétisme,lamasculinitéetlasensualité.

L’annéedernière,dansuntiroirdemamère,j’airetrouvéunpetitflacononiriquedeceparfumauxsenteursdepétrole,dechèvrefeuilleetdecuirmusqué.Jecroisquemonpèreportaitça.Aprèsm’êtrerenseignée, comme je suis fétichiste de tous les objets lui ayant appartenu, j’ai fini par apprendrequ’il avait été créé en s’inspirant de l’œuvre de James Rosenquist, un artiste pop-art, évoquant lafusiondesmétaux.

J’aichaud.

Lemétaletleverrefondent.Ils’embrase.

—Tuasdécidédenepasm’adresserlaparole?

Impossibledenepasfixersabouchequandilparle.Ilaleslèvrespluspleinesqu’iln’estpermis.

Mon cerveau refuse de former une phrase cohérente.Comme si j’étais devenue simplette tout àcoup.Jecherchevainementquoidireetouvrelabouchepardeuxfoisavantdelarefermer.

—Mia,laniècedeLuke.C’estça?Moi,c’estIsaac.J’auraisunequestion,uneseule.

Commejenerépondspas, ilcontinue.Jesuishypnotiséeparsavoix.Elleestgraveethachée.IlaccentuesesSetsessyllabessonttranchantes,commecoupéesaucouteau.

—Quandest-cequetuterepars?

Pourquoi ? Pourquoi ils veulent tous que je me tire ? Àmoins que quelqu’unm’ait reconnue,personnenesaitquijesuis,ici,non?Est-cepourçaqu’ilyavaitmarqué«Getout»surmaporte?

Je secoue la tête pourme réveiller et serre les poings pourme donner du courage. Je vaismereconstruireetnelaisseraipersonnememettredesbâtonsdanslesroues.

—Jeneparspas.Jeviensd’arriver.

Ilplisselespaupièresetdespetitespattesd’oietrèssexyseformentautour.

—Onneveutpasdetoiici.

—Jemefichedecequevousvoulez.Jenefaisdemalàpersonne.

Ilsebaissesoudainementversmoi.Jefermebrusquementlesyeuxetreculeaufonddemonsiège.Colléeàlavitre,jesuispriseaupiège.Ilestpenchéau-dessusdemoi,ilaunemainsurlafenêtreetl’autrepresquesousmescuisses,sonvisageestàquelquesmillimètresdumien.

Moncœurpiqueunsprintetvabattredesrecords.

Lesyeuxfermésenlesplissantdepeur, je tournela têtesur lecôtéquandilmefrôle la joueduboutdesonnezfroid.

Menthol.Quandilparle,sonhaleineestempliedementhe.

Jemesouviensquejel’aivufumerpourtant.C’estundéliceolfactif.Çayest,j’aivraimentperdul’esprit.Cemecmefoutlatrouille,sonodeurm’enivre.Peut-onêtreplusillogique?

—Mia,petiteMia…tuesmignonneavectaqueuedecheval,testachesderousseurettesprunellesàcristauxliquides.Quelâgetuas?Dix-sept?Dix-huit?…Sijeune…

Sonsoufflechaudsurmapeaum’enflamme.

Fahrenheit est aussi un degré de mesure de la température, non ? Je crois que ma chaleurcorporellevientd’atteindrelesdeuxcentsdegrésFahrenheit.Jemesouviensdemescoursdechimie.Latempératurenotablelaplushauteétaitappeléele«sangducheval».

C’estça.C’estunchevallancéaugrandgalopàl’intérieurdemoi,aveclecœurpalpitantcommelesien,larespirationsaccadée,lapeaubouillonnante.

—Jenevoudraispast’abîmer,murmure-t-il.Alorsunconseil…casse-toi.

J’essayederéfléchirnormalement,maismespenséess’entremêlent.

C’estmachanceici.Jeneveuxpasetnepeuxpluspartir.Pourquoileferais-je?

—Jenepartirai…

J’ouvrelabouchepourparleretmeretourneverslui.Maisilestsiprèsquenoslèvressefrôlentl’espaced’unedemi-seconde. Je suis électriséede la têteauxpieds. Il reculevivement, commes’ils’étaitbrûlé,enécarquillantlesyeux.

Lechevalaugalopestmort.Moncœurs’estarrêtédebattre.Autourdemoi,lesbruitsontdisparu.Jesuisdevenuesourde.Onsefixedurantuneminutequisembles’éterniser.Sarespirationestaussisaccadéequelamienne.

C’étaitunaccident.Croit-ilquej’aivoulul’embrasser?M’aurait-ilrendumongestesijel’avaisfait?Pourquoij’aicettedouleurquimeparcourtleventre?Pourquoidésire-t-ilquejeparte?Onneseconnaîtmêmepas…

C’estlechaosdansmatête.

Àlafaçonqu’iladeplisserlesyeux,defroncerlessourcils,d’ouvrirlaboucheetdelarefermer,jedevinequ’ilestaussientraindecogiter.Maisàquoipense-t-il?Telleestlaquestion.

Finalement,unesecoussenousréveilletouslesdeux.Lebuss’arrête.

Ilremuelatêteetmelanceunregardàmetuersurplaceavantdeseleverbrusquement.

—Dégagedecettebaraque.Avantqu’onnetepourrisselavie.

C’estunordre.Unemenace.Avecriendesubtilnidevoilé.

Ilmetourneledosetsortparlesportesdederrière.

Jeresteunbonmomentfigéedanslamêmeposition,commeenétatdeléthargie,recroquevilléesurmoi-même.

Voilà,toutçac’estlafautedemamèreetdeLuke.S’ilsm’avaienttrouvéunappartementenville,jeneseraispasdansce…cemerdier!

Non,Mia.Soisréaliste.Toutça,c’estdetafaute.Uniquementlatienne.C’esttoiquiasobligétoutlemondeàprendredesrisquespour toi,c’est toiquias forcé ta familleàdéménager.C’est toiquiengendrestoujourslesproblèmes.

J’essuierageusementleslarmesquimemontentauxyeux.

Mamèrememanquevraimentdanscesmoments-là.Arizonaaussi.J’aimeraisentendreleursvoix.Maissijelesappelleenpleurant,ellesvonts’inquiéter.Alorsnon.

Jerestebienassisedeuxbonnesheuresdanscebus,àfixerlepaysageparlavitreetàrefairemaviedansmatête.Maisjeneparvienspresquepasàpenseràautrechosequ’acecontactélectrisantetàcesyeuxvertsauxrefletsdorés.

Ilyaquelquechoseaveclamaisonoùjevis.Maisquoi?Jemeprometsd’allerposerlaquestionàLuke.

**

Ilestbienmidiquand je retourneenville.Aprèsavoir tournéen rondaumoinscinqminutes jefinispardemanderàunejeunefilledem’indiquerleRubis.

Lebarestsituéauboutdel’immenseavenuequ’estParadiseValley.Jenesuisjamaisentréedansun endroit comme celui-ci.AvecArizona, nous fréquentions les cafés et autres dîners, qui serventburgersetmilk-shakes.

Cetendroit-là,faitplutôtboîtedenuit.Ilfaittrèssombreàl’intérieur,mêmesic’estbienéclairé.Avecunepartiebillardsurparquet,uneautreplusfeutréeavecdestablespourdéjeuneretmanger,ainsiqu’unbarimmenseoùl’alcoolsemblecouleràflots,etuncoinpourdanseravecunemezzanineoù sont installés des fauteuils V.I.P.. Une musique rock très faible est jouée en sourdine. Il n’y apresquepasdemonde.

Jemevoistrèsmaltravaillerdansunendroitcommecelui-là.

Leseulrestooùj’ai jamaisbossédansmavie, l’étédemesquinzeans,servaitdesmenusenfantdansunegrosseboîterougeavecungadgetenguisedecadeau.

—Vousvoulezdéjeuner?m’apostropheungrandbarbuderrièrelecomptoir.

Ilal’aird’unoursavecsescheveuxlongsetsabarbehirsute.

Jem’avanceentortillantnerveusementmesmains.

—Non…C’estpourdutravail.Jem’appelleMiaGilmore.Onm’aindiquédem’adresseràVince.

—C’estmoi,répond-ildutacautac.

Ilessuiesonverreavecun torchonenmedétaillantde la têteaupied.Troisièmeregarddemecindiscretaujourd’hui.

—JeviensdelapartdeL.A.Elleaditquevousauriezdutravailpourmoi.

Ilritdoucement.

—O’Brienaunsacrésensdel’humour,cestemps-ci.

Ilsefoutdemagueule.Jelevoisbien,àsonrirerailleuretàsesyeuxmoqueurs.Jen’auraispasdûvenir.

—OK.Laisseztomber.C’étaitunemauvaiseidée.

Jem’apprêteàfairedemi-tourquandilm’arrêteetsortdederrièrelecomptoirenbalançantsontorchonsursonépaule.

—Tupeuxcommencercesoir?

Jehausselessourcilsdesurprise.

—Cesoir?

—Ouais.Ilyaunanniversaire.Lasalleentièreaétéréservée.Ilfaudraservirlespetitsfourssalésetsucrésetfairelaplonge.Jesupposequetun’aspasl’âgedeserviraubar?

—Non.

Ilsoupire,lespoingssurleshanches.

—Bon, on fera avec. C’est neuf dollars de l’heure ici. Plus les pourboires. Tu ne donnes pasd’alcool.Sionteledemande,tuenvoiesquelqu’und’autrelefaire.Capich?

Jehochelatêtesoulagée.Peut-êtrequeleschosesnevontpassimal.

—Le service commence à 18 heures 30. Il se termine vers 2 heures dumat. Tu travailleras dumercrediausamedisoir.Cen’estpasnégociable.Etquelquesfois,ledimanchedanslajournée.

C’étaittropbeaupourêtrevrai.

Je vais devoirme serrer la ceinture. Et en plus il n’y a plus de bus à 02 heures dumatin pourrentrer.Jen’aimêmepasdevoiture.

—Bon,c’estouiounon?

—Oui.Çameva.

Aumoins,jepaieraimonloyer.Jem’arrangeraiavecLukepourleshoraires.

—Ilvautmieuxque tuarrivesenavancecesoir.Soit làà18heures tapantes.CoraetAshton tebrieferont.Et…Mia,c’estça?Metsautrechose.C’estunbarici,paslecouventdemèreTeresa.

Écarlate jusqu’à la pointe des cheveux, je le remercie encore et file alors qu’il retourne à soncomptoir.

Chemisierenflanelleetjeans.Iln’yariendetropstrictlà-dedans!Non?

**

—Ilestàl’heure?jedemandeentapantsurletableaudeborddeLukequiaffiche17heures55.

LaJeepsegarepile-poildevantlebar.

—Oui,merépond-il.Bon,jepassetereprendreà02heures,c’estça?

Jefaislagrimace.Çam’embêteréellementdedevoirleréveilleraumilieudelanuitpourvenirmechercher.

—Oui.Maissijetrouvequelqu’unquihabitedanslequartierpourmeraccompagner,jet’envoieuntexto.Tusaislirelestextos?

Ilgrimace.

— Je ne suis pas né au siècle dernier, gamine.Allez, file, tu vas être en retard. Je connais bienVince,c’estunbonpatron.Ildevraitêtrecorrectavectoi.

Ilyatellementdequestionsquimeturlupinent,maisjenesaispascommentlesluiposer.

—Dis-moiLuke…Lamaisonsurlelac…elleappartientàqui?

Ilhausselesépaules,lesmainssursonvolant.

—AuxDavis.Maisilsveulentlavendre,jetel’aidit.

—C’estunefamillequivitencoreici?

— Non. Ils ont déménagé sur le continent, il y a deux ans, peut-être plus. C’est une agenceimmobilièrequis’occupedelamaison.Pourquoicesquestions?Tuasunsouci?

—Non,non.Lesgens…ilsparlentbeaucoupdecetendroit,non?

Lukeseretournevraimentversmoicettefois.

—Écoute, cette baraque est géniale. Si j’avais eu lesmoyens, je l’aurais achetée.Les gens sontbêtes.N’écoutepasleson-dit.

Macuriositéestdécupléeparceque jesensqu’ilnemeditpas tout.Maispourcesoir, jedécided’enresterlà.

Merde.Jesuisenretard.

J’hésiteà l’embrasser.Un instantde trop.Finalement, j’ouvre laportièredesavoitureet sauteàterre.

—Salut.

—Àplustard,gamine.

Quandjepasselesportesdubar,lepatronm’apostropheimmédiatement.

—Gilmore!Tuesenretard!Çacommencemal.

Jesuistouteprêteàmerépandreenexcuses,maisungrand,dégingandé,auxyeuxnoirs,seplantedevantmoi. Il n’est pas trèsmusclé,mais ilme dépasse d’une bonne tête. Son regard sombremesembleencoreplussinistrequandilseposesurmoi.Impossibledenepasêtretétanisée.Sonalluredepunkmelaissedubitative.Jenesaispastropquoipenserdelui.

Sacoupedecheveuxbizarre,raséeauxcôtésetmècheslonguessurledessus,nes’accordepasdutoutàsachemisenoirerangéedanssonfrocetsonjeanscasédanssesbootsmarron.Sionenlèvelatête,leresteestbientropclassique.Ilaaussicetatouage:desailes.Encoredesailes.Encréessursoncou.Undessintrèsstylisé,maissimple.Uncontoursansremplissage.

Lavache!Çadoitfairemalça.Maisc’esttrèsbeau.

—Bonalors,fautquejetebriefeapparemment.C’esttoujoursmoiquimetapelesemmerdeuses.D’abordCora,puisça.

Est-ceque«ça»,c’estmoi?!

—Moi,c’estAshton.Ashpourlesintimes.Ashtonpourtoi,Freckles{12}.Levestiaireestparlà.Toncasier c’est celui du fond. Tu dois mettre un cadenas dessus, si un truc disparaît, on n’est pasresponsable.Tuarrives,turegardesletableauettuvoiscequiaétéfaitetcequiresteàfaire.Cesoir,Jun,LidyetDavidsesontdéjàoccupésdelabouffe,nousonaplusqu’àdresserdanslesplateaux.Tudresses,tusers.Quandilyadesplateauxetdesverresvidessurlestables,tudébarrasses.Tucasses,tupayes.Laplonge,tonterritoire,c’estparlà…

Ilsebaladedanslebar,toutenm’indiquantletoutetenmelaissantàpeineletempsd’assimilerlesinformations.

Jedisbonjourde la têteàJunetDavid, lescuisiniers,etàLidy.Maiscelle-cisecontentedemetournerledosendressantlessalades.

J’ail’habitudedeneplusêtrelabienvenuenullepartdepuisunmomentdéjà,maistoutdemême,çafaittoujoursaussimal.Ilya,enchaquepersonne,cedésird’êtreaimée,acceptée.

Ashtonmelanceuntabliernoiràlatêtequejerattrapedejustesse.

—Metçaetauboulot.Jevaisfinirmonserviceenretardàcausedecesconneries.Cesoir,j’suispasavecvous,jefaispartiedesinvités.Tuvasmeservir,donc.

Jeserredesdents.Ilaunsourirerailleur.Horrible.Parcequ’iladesfossettesencoinetqu’ilestmignonquandilsourit.J’enaimarredesgensbeauxetcruels.Çamarchedepaireouquoi?!

Safaçondemeparler,commeàunchien,medonneenviedehurler.Maisjemetaisetmemetsauboulot.

Unegrandebrunesvelteetplutôtjoliemerejointpourbosser,unedemi-heureplustard.Cora.Elleestsympa.Mêmesij’évitedetropcopinerengénéral,çafaitdubienderencontrerunepersonnequin’estpasdésagréable.

Deuxheuresaprès,lesgensarriventetnouscommençonsàservir.Desétudiantssurtout.Avecunegrosseenviedefaire lafête.Aubar,unefille,vingt-sept,vingt-huitans,Terry,aideVinceàservir.Elleaussiestsympa.Ellem’indiquechaquefoiscequ’ilfautfairequandjesuisperdue.

À22heures,c’estlecoupdefeu.L’endroitestbientôtbondé.Lescocktailssontvenduscommedupetit lait et lespetits fours, engloutis par tous.Apparemment, c’est l’anniversairedequelqu’unquin’esttoujourspasarrivé.Toutlemondefaitlafêtesanslui.

LeDJa lancéunesériedemusiques technoquia leméritedemettre lesgens rapidementsur lapiste,àdéfautd’êtrebienmixées.

—Hey,Freckles!

Lavoixd’Ashtonm’interpellealorsquejedébarrasselesverresvidessurlebardansunbrouhahaimpressionnant.

«Freckles».J’avaisdéjàcesurnomauprimaire,maisjem’enétaisdébarrasséeaufildesans.Etçarecommence.Pourtantmestachesderousseursesontatténuéesengrandissant.

Ilmedésigneleplateaudevantluietsescopinesdumenton.

Horreur.Jereconnaislespin-upmotardesd’hier.

Jeregardevivementautourdemoiàlarecherchedesfameuxyeuxverts.Impossiblequ’ilnesoitpaslà.Toussesamissontréunis.SiAshtonfaitaussipartidesongroupe,jevaismefaireharceler.

—C’estmoiquetucherches,Bella?

Jefaisunbondenavantetmonplateaum’échappepresquedesmains.Lesverress’étalentsurlecomptoir.Heureusementqu’ilsnesecassentpas.

Fahrenheit.

Ilaparlédansmonoreilleencoreunefoisetcettefoisilaposésesmainssurmeshanches.

Jeporteuntopdedentellenoirsurmajupecorolleavecmesdocs.Lefintissulaisselachaleurdesesdoigtss’imprimersurmapeau.Ausecours.Çam’apprendraàécouterVince.Mettreautrechose;ilestmarrantlui.

Jemefondsdansleboispourm’écarterdelachaleurdesoncorpsetdesonparfumentêtant.Ilaaussiuneodeurdevodka.Jemedemandes’iladéjàbu.

Fébrilementjeramassemoncarnagesansleregarder,sansleverlesyeuxverslui.

— Miles, p’tit enfoiré ! C’est pas parce que c’est ton anniversaire que tu dois embêter mesemployés!Lâche-la,luicrieVinceenvenantàmonsecours.

Isaacretiresesmainsmelaissantchancelanteetleslèvedevantluidansungested’innocence.

—Oh,allezquoi!Jevaisrienluifaireàtapetiteserveuse.

Lafaçondontiladetraînersurlessyllabesmeditqu’eneffet,iladéjàbu.Génial.Lourdetbourréenplus.Vivementquecettesoiréesetermine.

IlritetAshtonl’appelle.

—Zac!Putain,t’eslà!

Toutlemondesemetàcrier«bonanniversaire»etplusieurspersonnesluisautentdessus.

Onlechambre,onlebouscule.

Tropdemotards,tropdegarçons.

JereconnaislavoixdeGabriel.

Alors, je m’éclipse avec mon plateau vers les cuisines et la plonge. En partant, je jette un œil

derrièremoi.

Toutlemondeluiparleenmêmetemps.MaisFahrenheitalesyeuxbraquéssurmoi.Desyeuxtropbrillants.L’alcoolsûrement.

Encuisine,jelâchemesverresdansleséviersensoupirant.Monstressestàsonniveauleplushautetj’entremble.

AllezMia.Respire.Prānāyāmā.

EnYogasūtra,cettepratiqueconsisteàdevenirconscientedesarespiration.

Jeprendsunmomentpourmeremettredemoncœurquis’estemballé,maisLidym’invectiveenapportantd’autresverres.

—Bouge-toi,latâche.Ilyaduboulotcesoir!

Jenerelèvepas.MaisCoras’approcheetsemetàrangerenl’envoyantboulervertement.

—Casse-toi,Lidy!C’estsonpremierjour,elleabesoindes’adapter.

—Bahelleaqu’às’adapterailleurs.Ici,onbosseouondégage.

—Ferme-laetvaservirplutôt!Cen’estpastondomainelaplonge.

Lidynousfaitdesyeuxnoirsens’éloignantetjeremercieCorad’unsourire.Nouscommençonstouteslesdeuxlavaisselle.

Jesuisunpeuintimidéeparelletoutdemême.Cettefilleestaussijoliequelesmannequinsdanslesmagazinesd’Arizona.Etsatenuemasculin-fémininn’enlèverienàsoncharme.

—Nefaispasattention,medit-elletrèsdouce.Lidyestunevraiesalope.Avectoutlemonde.

Je hoche la tête. Même un mot vulgaire dans sa bouche ne paraît pas déplacé du tout. Ellecommenceàparler,apparemmentd’humeurbavarde.

—C’est sympad’avoir enfinquelqu’un avecqui travailler.Quelqu’und’autrequeLidy, je veuxdire.TuvasàConstance?Tuascommencétescoursaujourd’hui?Jenet’aijamaisvue.

Commentt’expliquerça…

—Non.Jenesuispasétudiante.Jebosseici,c’esttout.

Ellehausselessourcilsétonnés.Jefixemesmainspleinesdesavonsansreleversonregard.Ilvafalloirm’habitueràmejustifierauprèsdesgens.

—Oh.D’accord.

Jenesaispassielleestgênée,maisellechangeaussitôtdesujet.

—C’estbondécesoir.Zacest tellementpopulaire. Ilnevaplusyavoirdeplacesur lapistededanse.

Jemeglisseparlaportequ’elleentrebâille.Àmoidesavoirquiestcemec.

—Tuleconnaisbien?

—Zac?Oui.Toutlemondeleconnaît.Onest…amis.

—Cesonttoussesamis?

—Ahoui,c’estvraiquetun’espasd’icitoi.Oui,tous.Detoutefaçon,soitt’essonpote,soitsonennemi.Etpourlaplupartdesgens,lechoixestvitefait,tusais.

—Pourquoi?jedemandeavecuneréellecuriosité.

Elleritdoucement.

—Parcequepersonnen’aenvied’êtrel’ennemid’IsaacMiles.

Alorsça,jeveuxbienlecroire.PourquoisemesureràFahrenheit…

—Ilestunpeubrusque,non?

Jen’aipastrouvéd’autreterme.J’auraispudireconnard,imbécile,rustreetj’enpasse.Maisjenesaispasquelslienselleentretientaveclui.Alorsj’yvaisàpasdeloup.

—Brusque?!Ilestplusqueça!LesAngessontdesenfoirés.Maismalgrétout,ilvautmieuxêtredeleurcôtépouréviterlesproblèmes.

—LesAnges?

—Oui,Ashton,Isaac,Miguel,MickaeletGabriel.LesAnges,quoi.

—Pourquoitulesappellescommeça?

—J’ensaisrienmoi.Toutlemondelesappellecommeça.Depuisquejesuistoutepetite, jelesconnais.Ilssontungroupe,unefamillepresque.Aveclesfillesaussi.IlyaSloan,Colline,AntheaetLaure-Alicequisontlesofficiellesdelabande,maisilyenad’autreségalement.

—Leurscopines?

Elleéclatefranchementderirecettefois.

—Copines?Non.LesAngesn’ontpasdepetitesamies.Ilsontbeaucoup,beaucoupdecopines,situvoiscequejeveuxdire.

—Est-cequ’ilssontdangereux?

Laquestionm’aéchappé.

Coras’arrêtedefrotteretm’observeenfronçantlessourcils.

—Est-cequetuteseraismisàdosl’und’euxdéjà?

Commejenerépondspas,ellesoupire.

—Écoute,Mia.Ici,situescontrel’und’eux,toutlemondevatepourrir.Personnenevaprendretadéfense.Jeteconseilledefaireprofilbas.Cesgarçonssontdangereux.Ilnefautpasleschercher.

Maisjenecherchepersonnemoi!Cesontlesennuisquimetrouventconstamment.

—Ilssontcapablesdequoi?

Ellehésiteetsemordlalèvre.

C’estsihorriblequeça?!

—Dis-le-moi,s’ilteplaît.Jeveuxsavoiràquij’aiaffaire.

—Trèsbien,situytiens.Ilssont…solidairesetseportenttoujoursgarantsdesunsdesl’autre.Ilsseprotègententreeux.Aupointdefairedumalauxautres,sibesoin.Ilspeuventêtrecruelssil’envieleurenprend.

—Cruelsàquelpoint?

—Bahilssontconnuspourfairelespirescrasses.

Ilfautvraimentluitirerlesversdunez.

—Genre?

—Genre…Une fois, ils ont humilié une fille en publiant une sextape{13} qu’elle avait faite.OuencorequandilsontsaccagélecasierdeJimmyàConstance,l’andernier.OuquandilsontenlevélechienduprofesseurJonesetl’ontséquestréparcequ’ellemenaitlaviedureàM.J..Ouquandilsontrasélatêted’Emmaaprèsqu’elleadénoncéCollineaudoyen.Ouquandils…

Jelaisseéchapperuncrihorrifié.Ilsontrasélatêted’unefille?!

—OK!OK!OK…çava.J’aicompris.

—Tuvoulaissavoir.Maintenant,tusais.

Jesoupireetsenslagouttedesueursurmanuquedevenirglaciale.Jenefaispaslepoidscontreeux.Etenplus,jenesaismêmepaspourquoiilsm’ontpriseengrippe.

—Unconseil, reste loind’eux.Contente-toid’êtrenormalesansen faire tropet ils te laisseronttranquille.

Alorsça,j’endoute.Passijenedéménagepas.

—Mia!

Vinceouvrelaportedescuisinesbrusquement.

—Onabesoind’êtredébarrasséici!

—J’arrive!

Jem’essuievivementlesmainsetlaisseCoraprendremaplace.

Allez,Mia.Onsejettedenouveaudanslafausseauxlions?

Je soupire et pousse des deuxmains les portes battantes.Mais jeme cogne à quelqu’un enmefracassantpresquelenez.

Aie!

—Miroenplusd’êtreconne.Lapanopliedelaparfaitechieuse.

Lavoixmefaitfrissonner.Jelaconnais.

Jelèvelesyeuxsurl’armoireàglacequimefaitfaceetreconnaiscesyeuxténébreux;ceuxdumotardenKawasakiquim’asurpriseàmonarrêtdebus.

Quelquechosemeditquejemeretrouveenfaced’unAnge.Maislequel?Jen’enconnaisquetroissurlescinq.

Etaussi,ilyafortàparierquec’estcelui-làquiacrucifiécettechouettesurmaporte.

7

JarJar&M.J.

Mia

«Lamoto,c’estcommelesexe,sortezcouverts.Avecducuir,c’estencoremieux.»

Jamaisvuquelqu’und’aussitatoué.

Ilyenapartout.Surlesbras,lesmains,lesdoigts,lesépaules,lecou…

Endessousdecetexcèsd’artcorporel,ilyaquandmêmequelqu’un.Quelqu’undetrèsbeau,avecdescheveuxcourtstrèsnoirs.Aussisombresquesesyeuxcharbonneux.Jamaisvu,nonplus,autantdegarçonsauvisageduretémacié.Ila,commeIsaac,unairde«jenesourisjamaismoi».Avecunemâchoirecarréeetunfroncementdesourcilpermanent.

Jesuissiabsorbéedansmacontemplationquej’enoublielepourquoiducommentdemaprésenceici.Cequej’étaisvenuefaireestpasséàlatrappe.

Vincemerappelleàl’ordre.

—Mia!

Jesursauteet l’armoireàglaceesquisseunsourireencoinenfaisant tintersonglaçondanssonverre.BonDieu,latestostéronequisedégagedeluiestassezimpressionnante.

Ilserapprocheencoredemoietouvrelabouchepourparler,maisjeledevanceetlecontournepourfilerprestementverslebaroùVinces’impatiente.Moncœurfaitdesbondsdangereuxdansmapoitrine.Avantcesoir,j’auraiunecrisecardiaque,c’estsûr.

Ilssontdangereux,Mia.Dangereux.Tunepeuxpaslestrouverirrésistiblesalorsqu’ilssont…cequ’ilssont.

Etpourquoipas,hein?Aprèstout,j’aidéjàétéamoureused’unmonstre…

Pathétique.Jesuispathétique.

Jeramasselesverresquisesontaccumuléssurlebar.

Untimbredevoixdetombeurmefaitfrissonner;l’armoireàglacem’asuivie.

MonDieu…CemecàunevoixsimilaireàcelledeChaceCrawford{14}.Autantdirediaboliquementsexy.Etilenjoue.Iltraînesurlesmotslangoureusement.Jesuissûrequemêmelapiredeshorreurssonneraitcommedel’eaucristallineensortantdesabouche.

—Alors,ilt’aplûtnotrepetitcadeaudebienvenue?

Qu’est-cequejedisaisdéjà?Ahoui!Lapiredeshorreurs.

Je sais bien qu’il parle de la chouette dont j’ai pansé les blessures cet après-midi. Ainsi donc,j’avaisraison.Espèced’idiot.Jedétestelacruauté,lamalveillancegratuiteenverslesautresetencoreplusenverslesanimaux.

—Siellenesurvitpas,jetel’emmènerai.Tul’enterrerastoi-même,jelâcheavechargne.

Ilpartdansunfouriresadique.Sadique,maisprofond.Absolumentadorable.

BonsangMia!Maisréveille-toi!

—Sansblague!Maisc’estqu’elleadurépondantlapetitechrysalide.

—Chrysalide?J’ail’aird’unpapillonmoi?J’aidesantennespeut-être?

Bon,OK.Coravientdemediredefaireprofilbas,maisc’estplusfortquemoi.

Unanetdemi.Unanetdemiquejen’aipluslaissépersonnememarchersurlespieds.Personne.Çanevapasrecommencer.Jerefuse.Puisc’estquoicesconversationsdegaminslà?Ilsontquoi,vingt-deux,vingt-troisans?Ilsnepourraientpassecomporterenadultesetmelaisserenpaix?

—Desantennes?Non,quelledrôled’idée!

Ilavalesonwhiskyd’unetraiteettapesurlecomptoiràl’attentiondeTerryquilèvelesyeuxaucielenleresservant.

Cemec est vraiment bizarre. En ramassant les verres, j’observe à la dérobée le tatouage perduparmitantd’autressurlehautdesesbras,soussachemiseàmanchecourte.Desboutsd’ailes.Vula

hauteuretlagrosseur,jediraisquecelui-cidoitbienprendrelamoitiédesondos.

Desailesd’oiseauoud’ange,àvud’œil,pleinesetlégèrementcolorées,avecuneffetdematièreassezimpressionnant.

—Pourquoitumereluquescommeça?

Jesoupire.

—Ilyauneminute,j’étaismiroetmaintenantjetereluque?Tuasunvraiproblèmetoi.

Ilsoutientmonregard.Ouplutôtjesoutienslesien.Sesyeuxdebraise,charbonneux.Commesilemondeentiers’étaitembraséàl’intérieur.

—Non.Maistoi,t’enasun.

—Lequel?

Jesaisd’avancecequ’ilvamerépondre.

—Nous.

—Pourquoi?

Bahoui,quoi?J’airienfaitmoi.Pourquoionm’enveut?Pourquoi?!

—Parcequetuvislàoùtunedevraispas.

—Elleétaitàlouercettemaison.Sijenel’avaispasprise,quelqu’unl’auraitfait.Jeneveuxpasd’ennuis.Jedéménageraidèsquejepourrai.Maisenattendant,jen’airienàmereprocher.Vousnepouvezpasmemenacerpourquelquechosedontjenesuispasresponsable!

—Ilfallaitterenseigneravant.Personneicin’auraiteul’idéed’allerhabiterlà-bas.Yavraimentqu’uneétrangèrepourfaireuntrucaussicon.T’esvraimentconne.JarJar.Non,maisjerêve.JesuistombésurJarJar.

JarJar?Cenommeditvaguementquelquechose…

Maisjecroisqu’ilmeprendvraimentpouruneidiote.

—Quand?Quandest-ceque tuvas tecasser? insiste-t-ilenmesuivant tandisque jemefaufile

entrelestablespleinespourramasserlesverresetlesplateaux.

—Deuxmois.C’estcequ’ilmefautcommetempspourtrouverunappart’.Puismamèreadéjàpayélesdeuxpremiersloyers.

Jedois crierpourme faire entendre tant lamusique est forte.C’est tantmieuxparceque çamepermetdefairedisparaîtrelapeurdansmavoix.

Ilserapprochepourparlerderrièremonoreille.Luiaussisentbon.C’estignobleça.

—Troplong.Tunetiendraspastoutcetemps.Nousnonplus.

Tenirpourquoi?

—Ilfaudrabienpourtant.Etjevoudraisvraimentquevousmelaissieztranquille.

Jetendslamainpourprendreunverresurunetablequetoutlemondeaquittéepourallerdanser,quandunemainseposedessusenmêmetempsquelamienne.Cecontactm’électrise.

—Onn’apastoujourscequ’onveutdanslavie,sweatheart.

Àl’intérieurdemoi,c’estlegrandhuit.Çamonteetçadescend.Pourl’instant,diaphragmeenhaut.Quandilvaredescendre,çavamalsepasser.

Isaacmefixesoussesmèchesdecheveuxcollantesdelasueurquiémanedelui.Ilfaitunechaleuràtomberdanscebar.Mêmemonhautcolleàmapeau.Etlui…Sont-shirtnoirmouleadmirablementsontorse.

Nousnousregardonsavecunetelle intensitéquec’enestpresqueinsoutenable.AvecEminemenarrièrequichante«Fuckfreeworld…».

Mêmedansleregardonsedéfie.Surtoutdansleregard,enfait.Parcequelorsquejen’ouvrepasla bouche, je sais y faire et reste digne et confiante. Pas comme quand j’essaye vainement demedéfendre.Jefinisparretirervivementmesdoigts.

—Pourquoivousenprendreàmoi?Jen’aipasfaitexprèsd’habiterlà.

Ilmetlongtempsavantdeparlerens’adressantàsonamietpasàmoi.

—Peut-êtrequetudevraisluiexpliquerM.J.?Luiexpliquerquelesquestionsqu’elleposenesontpaslesbonnes.Etqu’elledevraitvirersonculdepetitechieuseavantquejem’énervevraiment.

Ahbonsang!Quelleespècede…de…!

Lesangaffluxjusqu’àmestempes.

J’ail’habituded’êtred’unnatureltrèscalme.Toutlemondelesait.Jeneperdspassifacilementlecontrôle,vautmieuxpas.Maislui…ilmepoussevraimentàbout.J’aiincontestablementcesentimentd’êtretiréeparlescheveux.

JemetourneversleditM.J.dansunsursautd’énervement.

D’abord,c’estquoicenom?M.J.?Ahoui,CoraaditMickael.PourleJ,jerepasserai.Etbien,jem’adresseàMickael.

—Peut-êtrequetudevraisexpliqueràtoncopainquenoussommesendémocratieetquejeposeraitoutes lesquestionsque jeveuxetàqui jeveux.Etpar lamêmeoccasion,dis-luique jenevireraimonculdepetitechieusequelorsquejeledéciderai.Pasparcequeluileveut.

M.J.ouvrelabouchepourrépondre,maisIsaacestplusrapide.Ilm’agrippesiviolemmentparlebrasquejedoisjoueràl’équilibristepournepasquemonplateaum’échappedesmains.Ilcollesonnezcontrelemien.Sesdoigtss’enfoncentprofondémentdansmachair.

Est-cequ’ilmeferaitdumal?Physiquement,jeveuxdire.Pourrait-ils’enprendreàmoicommeça?

Biensûr,idiote!Iladéjàrasélatêted’unefillequandmême.Cen’estpasrien.

OhmonDieu,mescheveux.Jeveuxgardermescheveux.

—OK,honey{15},onnes’estpascompris,toietmoi.Personnenemeparlecommeça.Personne.Tune sais pas à qui t’as affaire.Ne crois pas que je vais supporter longtemps ce petit jeu de « je terépondsquandtumemenaces».Parcequetrèsvite,tuvascomprendrequijesuis.Très,trèsvite.

J’essayedemedégagerdesonemprise.

Finalement,iln’estpassibeauqueçaquandilauneexpressionenragéesurlevisage.

Passibeau,hein.

Contretouteattente,M.J.vientàmonaideetrefermesamainsurlebrasdesonami.

—PasiciZac.Ilyapleindemonde.

Pasici,quoi?Qu’est-cequ’ilmeferaitsionn’étaitpasici?

J’aisoudainementenviederetourneràlamaison,deretrouvermachambreroseetblancheet lapoitrineapaisanteoùbatlecœurdemamère.

Ausecours.

Lefélingrondantmelâchebrusquementlebrasennemequittantpasdesyeuxpourautant.

J’ai lapeaurougieet lesmarquesdesesdoigtsprofondément impriméesdans lachair.Unanetdemiquepersonnenem’avaitplusmarquée.Personne.J’aienviedehurleretencoreplusunefoisquesesyeuxbrillantsvirentauvertprofondetsombre.Uneeaud’émeraudes.

M.J.mepoussedansledos.

—Casse-toi,JarJar.Maintenant!

Pasbesoindelediredeuxfois.Jefile.

Mais en marchant vite et tête baissée, je ne vois pas la fille qui m’arrête en me tirant le haut,dévoilantàtouslesgarçonsdevantmoi,undécolletéplusqueplongeant.

—Mia!Salut!

Jemeretourneverslapin-uplatinoqui,maintenantquej’ypense,n’apasdutoutunnomlatino.

—L.A.,salut.

Depuisquej’aiapprisqu’ellefaitpartiedesongroupe,jenelavoisplusdelamêmefaçon.Plusdutout.

—Alors,çateplaît?C’estcoolici,non?

Jel’observeavecsarobefine,mi-longueetceténormenœuddanssescheveux.

Çasevoitquenousnesommespasdumêmecôtéducomptoir.Elleestducôté«jeboiscequejeveuxet tantque je veux», etmoidecelui«dèsque ton verre est vide, je fais en sortequ’on t’enrapporteunautre».

Laure-Alice se déhanche sur une musique pop assez entraînante maintenant. En tenant par lesépaulesuneautrefille,assise,auxlèvrespeintesderougeetauxbrasentièrementtatoués.Gabrielest

installéàcôtéd’ellessuruntabouretdebar.Ilm’observederrièresonverre,enleportantsanscesseàsabouche,commes’ilétaitdéshydraté.Bienquejedoutequ’ilboivedel’eau.

J’enaimarredecesmotards.

—Oui,c’estcool,jeréponds.

—Onsefaitunafter{16}àlasortie,chezmoi.Çateditdenousrejoindre?

Gabriels’étranglepresque.

—T’escomplètementfolleouquoi?!Ellenevapasveniravecnous!TuveuxqueZact’étripe,toiaussi?

Je ne relève pas et décline l’offre avant de m’éclipser en cuisine. L.A. m’appelle, mais je faiscommesijen’entendaispasetpasselesportesensoupirant.

VisualisetonarbreintérieurMia.Ouvreteschakras.Engrand.

Deuxjours.Çanefaitquedeuxjoursquejesuislà.

—Pauseclope?meproposeCoraenvoyantmonairabattu.

Jene fumepas,mais j’aibesoind’airalors je la suis.Nous sortonsà l’arrièredubar,dansuneimpasse,etellesortuneclopeavantdetirerdessusens’appuyantàunepoubellependantquejememasselestempes.

Ilsm’ontfoutueunmaldecrânehorrible.Impossibledediscuternormalementaveccesgars-là;aumoinsjesuisprévenue.

Enmêmetemps,àquoitut’attendaisdelapartdepersonnesquiclouentdesanimauxsurtaporte?

—C’esttoujoursdurlepremiersoir,mefaitCoraenprenantunenouvellebouffée.Maistut’ensorsbien.Net’inquiètepas.

—Cora,çateditquelquechoseJarJar?jedemandeencroquantdanslapommequechopéeencuisine.

Mille choses me passent par la tête : les menaces et l’odeur d’Isaac, le rire arrogant et imbud’Ashton, la beauté froide de Gabriel, le regard de braise incandescente de M.J. ainsi que sesréférencesbizarres.

Corafroncedessourcils.

—JarJar?Non…c’estquoi?Uneexpression?

—J’ensaisrien.M.J.aditquejeluifaisaispenseràJarJar.

Elletireencoresursaclopeettoutàcoup,éclated’unrireabsolumentadorable.Mêmequandellerit,cettefilleauncharmeindéniable.Impossiblequetouslesmecsdubarnesoientpasàsespieds.

—Quoi?

—JarJar!CeJarJar-là!Sic’estcequejecrois,alorscen’étaitpasgentil.

—Etàquitupenses?

—TuneconnaispasJarJar?C’estunprotagonistegrotesque,comiqueetgaffeurdanslasaga…

—StarWars,jefinisàsaplaceenmerappelanttoutàcouplepersonnagemaladroit,maisattachantdecesfilms.

Quelidiot!Non,maisquelidiot!

Jesecouelatêteetfinismapommeenpestanttoutbascontrecetimbécile.

Corasouritencoreentirantsursacigaretteavecnervosité.

—M.J.est leplusgentilde tous,maisaussi lepluschiant. Ilsait toujours toutmieuxque tout lemonde.Ils’énervesouventaveclesautres,mêmesesamisproches.Desfois, ilsecassecommeçaquanduntrucneluiplaîtpas.Ilesttrèsimpulsif.Beaucoupdegensdisentqu’ilaunproblèmedeself-control.Bienquejepensequ’ilssonttouscommeça.Quandbienmême,s’ilyenaunquiestmoinsagressifquelesautres,c’estlui.

Jeme retiens de lui répondre vertement qu’elle se plante totalement. Il n’est pas agressif ?! Il aclouéunechouettesurMAporte,bordel!

Aufait…

—Ilyenaunquejeneconnaispas.Ilestlàcesoir?Euh…

—Miguel?Non. Jene l’aipasvu.C’estassezbizarred’ailleurs.C’est l’anniversaired’Isaac, ildevraitêtrelàpourlafêtedesonmeilleurami.Maisbon,tusais,jenevaispasposerdequestions.Je

n’aipasbesoindeproblèmes.

Nepasposerdequestions?Alorslà,c’esttropfacile.Aucontraire,j’enaidestasmoietcomptebienobtenirdesréponses.

Repriseduboulot.Jem’efforcederesteràlaplongelerestedelasoirée.D’oùjesuis,j’entendsqu’onchanteàZac«joyeuxanniversaire».Auxbougiesquisontsorties,ildoitfêtersesvingt-troisans.Coram’apprendqu’ilestendernièreannéeàlafacetdoncunpeuplusvieuxquesescomparses.

Finalement,cettefilleatellementpitiédemoiqu’ellefinitparsechargerelle-mêmededébarrasserlasalle.

**

Lebarfermeà2heures.Vincesechargedemettrelesderniersfêtardsdehors.Jesuisharasséedefatigue.

Auvestiaire,Coraetmoiéchangeonsnosmailsetnosnuméros.Maisquelquechosemeperturbequand je récupère mon sac dans le casier. Il était entrebâillé, alors que j’ai le souvenir d’avoirrabaisséleloquetdelaporteentôle.Ilnememanquerienpourtant:porte-feuille,cartedecréditettéléphonesontlà.Leresteestsansgrandeimportance.

Quelquesminutesplustard,noussommesdehors.Ilfaitfroid.LeventduPacifiquen’épargnepaslesuddeMaryIsland.

Desbruitsdevoituresquipassentetdespharesquiéclairentmomentanémentlaroute.Desriresquis’éloignentdanslanoirceur;voilààquoiressemblentlesrueslanuit.Corameditaurevoir.

Labriseselèvedenouveauetjeresserremongiletautourdemoi.Jen’aipasdecollantsousmajupeetlafraîcheurquis’insinueau-dessousmefaittrembloter.

Merde,Luke!Oùes-tu!?

Je trépigne sur place et aucune Jeep à l’horizon.Vince abaisse les grilles etme salue.Rebelote

demainsoir.Sansanniversairescettefois,jel’espère.

Touteseule,enjupecorollesuruntrottoiràpresque03heuresdumat,jenemesenspasdutoutrassurée.

Lamainfourréedansmonsacusé,jeretiremontéléphoneetcomposelenumérodeLuke.Maismon portable se met tout à coup à clignoter et s’essouffle avant de me lâcher brusquement ets’éteindre.Génial.C’estgénial.Çasertàquoitoutecettenouvelletechnologiesionn’estmêmepascapabled’inventerdesbatteriesquidurentplusdevingt-quatreheuressanssecouper?Hein?

Jevisualisebienletrajetpourrentrer,ilestsimple,maisjevaismettreaumoinsunedemi-heureàpied. Et être seule, habillée comme ça, à gambader sur une route peu fréquentée, n’est pas lameilleurechoseàfaire.

J’attendsencoreunpeu,aucasoùLukesemontrerait.Maisilnevientpaset j’abandonne.Jememets àmarcher le longduchemin sousunciel couvertne laissantmêmepaspasserunminusculerayondelune.

—Jetedéposequelquepart?Tuasl’airperdue.

OhmonDieu!

Jefrôleunefoisdeplusl’accidentcardiaque.

UnevoixsemblableàcelledeChaceCrawford,sexy,suaveetlégèrementcassée,mefaittrébuchersurletrottoirglacé.

M.J.estadosséàsaKawasakimonstrueusementénorme,lesbrascroisés.Commes’ilm’attendaitdepuislongtemps.Unevesteencuirmarronrecouvranttoussestatouages.

—Qu’est-cequetufaislà,DarkMaul{17}?Tum’attendaisouquoi?

Jemarchedanssonjeuetchoisisunpersonnagetrèsmochedelasagapourlui.Ettrèsméchantdesurcroît.

Ilmelanceunsourireirrésistibleavantd’attrapersoncasqueetdel’agiterenl’aircommes’ilnepesaitquequelquesgrammes.

—Nefaispastacinéphileavecmoi,JarJar,çaneprendpas.Alors,jeteramèneoupas?

Moncœurbalanceentrel’enviemebarrerencourant,cequiseraitdetoutefaçoninutile,etcellederesterlàpuisqu’ilestlaseuleâmevivanteàdeskilomètresàlaronde.

—Non,maissérieusement,tucroisquejevaismonteravectoi?Là-dessus?

Ilhausselessourcils.

—T’asjamaisposétesfessessurunemoto?

Non,jamais.Etçanevapascommencercesoir.Surtoutpasaveclui.

—Allez,bouge-toi.Lesautresm’attendent.JevaismanquerlasurprisedeZac.

Ilsefoutdemoi.Vraiment.

—Jerentreàpied.Merci.

Mais alors que je tourne le dos et me mets à marcher, j’entends l’engin démarrer dans ungrognement.

Ettrèsvite,ilrouleauralentiprèsdemoi,lespiedstouchantlesoletlecasquesouslebras.

Moncœurbâtplusvite.Plussourdement.Etmerde.

—Bon, t’arrêtes là?!J’aidésobéiexprèsàZacpournepaste laisser làà tegeler lecul.Alors,montesurcetteputaindemotoqu’onsetire!

Nepasmelaisserlà?Jefulminedéjàintérieurement.SiLuken’estpasvenuàcausedelui…Ilvamelepayercher.

—Jenevaispasfairetousceskilomètresàpiedàtesuivrecommeunpetittoutou,jetepréviens.Outumontes,oujeteligoteettemetsdessusdeforce.

Jesoupirebruyamment.Ilfaitl’airénervé,maisjenesaispaspourquoiilal’airamuséenmêmetemps.Cequin’estabsolumentpasmoncas.Jesuisfatiguéeetjevoudraisretrouvermonmatelassurlamezzanine.

—Jenet’airiendemandé.

—Monte. Sérieusement. Sur cette route, tu as toutes les chances te faire embarquer par un typelouche en camion. T’as pas envie de te faire violer par un pervers ou d’être découpée en petitsmorceauxparunmaniaqueavantqu’ilnejettetespauvresrestesdanslelacKaloa?

Moncœurrateunbattement.Iln’aaucuneidéedecedontilparle.Lesangaquittémonvisageetmesjambessontencoton.

M.J.semarre.

—Onvoudraitquetudéménages,pasquetucrèves.Monte.

Madéterminationflanchesérieusement.Maisjerisqueunedernièrepique.

—Quimeditquecen’estpastoiquivaschercheràmedécouper?

—C’estasseztentantcommeidée.MaisjevaislaisserçaàZacouMiguel.L’und’euxfiniraparlefaire.

Iladitçaavecune tellebanalitéde tonque j’enreste interdite.Jesuis tellementblêmeàprésentqu’ilsemetàrirefranchementenmetirantparlalanièredemonsac.

Fatigueoufolie,jemelaissefaire.Oui,moiquinefaisconfianceàpersonne.

Jevaismonter surcemachinaveccemecque jeconnaisàpeine, et c’estuneuphémisme,pourqu’ilmeramènechezmoi,danscettemaisonsurlelac,aufonddesbois.

M.J.mepasse lecasquesur la tête. Il est légèrement tropgrand.Luin’enapas.Pourvuqu’ilneroulepascommeunmalade.Onn’estpastrèsloin,maisquandmême.

Jememetsderrièreluietilrefermemesbrasautourdesatailleetmemontreoùplacermespieds.

Pffiou…Coupdechaud.

—Prêtepourtonbaptême,JarJar?

—Arrêtedem’appelercommeça.

Ilometcequejedispourdéclarersimplement:

—Tiens-toibienetsurtout,gardetesyeuxouverts,ouceserapire.

—Pourquoi?

Pasletempsdesavoir.Ildémarreentrombe.Etmoncœurlâchepresque.Jefermevivementlesyeuxensentantlabêtefaireunbondenavant.J’enfouismatêtedanssonépaulepournepasregarder.

Merdealors!

Le vent me coupe les sens. Il me fouette les jambes sèchement. En jupe, je ne pouvais pasm’attendreàautrechose.Çafaitmal!

Jepriepourqu’onarrivevite.

M.J.tourneettourneencoresurlaroute.Jemelaissefaire,maisj’ailecœurauborddeslèvres.Puisj’aibeauessayer,jeneleconnaispasetn’aiaucuneconfianceenlui.

Letrajetmeparaîtinterminable.Tellementintensequejenesenspasqu’onestarrêtés.

—Tuveuxbienmelâchermaintenant?

Jemerisqueàouvrirunœil.Oneststable.Maisjesuistoujourscommeunecarapaceaccrochéeàsondos,colléeàluicommesij’étaisdevenueunesangsue.Mesonglesontdûcreuserdestrousdanssoncuir.

Lamaisonfantasmagoriqueestdresséedevantnous.

Je me dépêche de descendre. Mes jambes semblent avoir été fouettées par deux mille feuillescoupantestellementellessontbrûlantes.

—Tum’aspulvérisélegrosintestin…seplaint-ilensemassantleventrelàoùj’avaismesmains.

Jemedébatsaveclecasque.Ilmetireengrognantetm’obligeànepasbouger.

Etmaintenant?

Onse fixeunedemi-seconde.Avantqu’ilne reprenneet remette rapidement soncasque,commes’ilétaitpressédesetirer.Jenesaisplusquoipenserdelui.

Maisilvautmieuxqu’ilpartevite.Meretrouverlàaveclui,touteseule,mefaitencoreplusflipperquedansParadiseValley.

—Merci,mesens-jeobligéededire.

Ilobservelamaisonderrièremoietfrémit.

—Derien,JarJar.

Savoixmielleuse,autraversdesoncasque,mefaitfrissonneraussi.

Ildémarreets’éloignesansdemandersonreste.Jecontournelamaisonetfilechezmoipresqueencourant. Une fois à l’intérieur j’allume toutes les lumières et bois un grand verre d’eau. Tropd’émotionsenuneseulejournée.Jenesuismêmepassûred’arriveràdormirfinalement.

Danslacuisine,jemepencheau-dessusducartondelachouette.Aucunsouffle.Jetouchel’animal.Elleestmorte.

Benvoilà,jeledétestedenouveau.Ilabeauavoireuunsoupçondegalanteriecesoir,ill’aquandmême clouée àma porte hier.C’en est trop. Je passemon pyjama, les yeux embués de larmes detristesse,defatigueetd’amertume,etmeglissedansmonlit.

Jel’enterreraidemain,enattendant,ilfautquejedorme.

JemaintienslapattedePeggy,mapeluche,dansmamainenrejoignantlemondedesrêves,sansapercevoirlepetitclignotementrougeàl’intérieurd’undesesyeuxdeverre.

8

Jetebriserai

Mia

«Quimaîtrisaitlesodeurs,maîtrisaitlecœurdeshommes.»

Leparfum.

Jerefermelaterre,moelleuseetencorefraîchedelaroséedumatin,surlebecduvolatile.Reposeenpaixpetitechouette.

Moi,jen’aipasbeaucoupdormi,àpeinecinqheures.Aprèslamiseenterredel’animal,jeprendsunthéetdesgâteauxauxamandesavantdem’installersurmontapisdeyogasouslavéranda.

JesuisenpleinefiguredelachandellequandlaJeepdeLukesegaredevantlamaison.

Lui?Ici?Desibonmatin?

Quandildescenddesavoiture,jesenstoutdesuitelemalaise.Jem’assiedssurletapisetilgrimpelesmarchesenfronçantlessourcils.

Ehho!C’esttoiquim’aslaisséetomberhiersoir.

—Salut,gamine.

Ilm’énerveavecsamaniedem’appeler«gamine».J’aidix-neufansetaivécubienplusdechosesterriblesquelaplupartdesadultes,pourneplusêtreconsidéréecommeuneenfant.

—Salut,jeronchonne.

—Commentva?

Alorslà,jevoisrouge.

—Commentjevais?!Tutefichesdemoi?J’aifaillirentreràpiedhiersoir,Luke!

Ilsepasselesdeuxmainsdanslescheveux,nerveusement.

—Ouais…Excuse-moi.Je…Tusais,jen’aipasl’habitudededevoirm’occuperdequelqu’un.J’aibudeuxbièreschezunamietjenemesuisplusréveillé…

Lacolèregrondeenmoi.MaisLuken’estpasmonpère,ilnemedoitrien.Ilfaitdéjàbeaucouppourmoi.Peut-êtreuniquementpourmamère,maisquandmême.Jesoupireetessayedemecalmer.

YogaSūtra,Mia.

—Laissetomber.Ilyaunvieuxvélodanslacabanederrière,jevaisleprendrepourmedéplacerenattendantdemetrouverunevoiture.

Il y a en effet cettepetite remisederrière lamaison, ferméeparune chaînenoncadenassée, quicontenait lesoutilsdont jemesuisserviepourenterrer lachouette.Unvieuxvélodefillemarron,vintage,avecunpanier,yestégalemententreposé.

—Enparlantdeça,reprendLukecommesiderienn’était,jet’aipeut-êtretrouvéunevoiture.Unclientvamelabrader.Maisceneseraitpasavantdeuxsemaines.J’aieuMéganeautéléphonehiersoir,elleatrouvéleprixraisonnable.Nousnouspartageronslesfrais.

—Non,jeterembourserai.

Maredeluidevoirdeschoses.

—Mia…

—Jeterembourserai,Luke.Cen’estpasnégociable.

Jesuissèche,maisenmêmetemps,ilm’agace.Jefermelesyeuxetprendslaposedulotus.Peut-êtrequ’ils’enirasijememontrefroideetdistante.

Ilsebalademaintenantsurleporcheenfixantlelacscintillantsouslesoleillevant.

—As-tueudesembrouillesavecquelqu’undepuisquetueslà,Mia?

J’enailarespirationcoupéeetouvrebrusquementlesyeuxavantquemonregardnerencontrelesien.Ilsait.

—Je…

—Ilfautquetumeledisessituasunsouci.Jesuislà.Jet’aideraimoi.

Oui,quelquechosemeditqu’ilsaitpourlesAnges.Ets’ilestaussicompatissantetinquietàmonsujet,c’estsansdouteparcequ’ilconnaîtmaproprehistoire.

—Jevaisbien.

Je ne vais pas me plaindre comme une petite fille apeurée, surtout que ces garçons ne m’ontfinalementrienfaitàmoidirectement,dumoinspourl’instant.Nousnoustoisonslonguement.

Lukesoupire.

—Trèsbien.Jevaisyaller,j’aibeaucoupdetravail.Toncoursàlafacestà13heures,n’oubliepas.

J’acquiesceetils’enva.

Lerestedelamatinées’écoulerapidement.Jefaisleménage,puisappellemamère.Nousrestonsuneheureàdiscuter.Jefaiscroirequetoutsepassebienetquejesuistoujoursaussimotivée.

Tuparles…

Arizonamemanque.Maisimpossibledeluiparler.Elleareprislescoursdanssanouvelleécole,elleaussi.

Àmidi, jen’aipas faimalors jemecontentedeboireencoreun thé ; le tracsûrement,celuidupremierjour.Jeneretournepasàl’école,maislefaitdenepasyavoirétédepuisplusd’unanmerendnerveuse.Mondiplôme,jel’aiobtenuenétudiantchezmoiparcequejenepouvaisplussuivredescoursdanslepublic.Etjen’aimêmejamaisvisitédefacultés.

Commequandj’étaispluspetiteetquejepassaisdesheuresavecmamèreàpréparermarentrée,jeprendsuntempsinfiniàchoisirmatenue.Cen’estpasquemonarmoiredébordedevêtements,aucontraire,maisjemetsquandmêmedutempsàmedécider.Ilfaitsuperbeauetchaudaussi,commed’habitude.

Mon choix se porte sur un pantalon chino noir, un chemisier fluide de lamême couleur et des

spartiatesdoréesàlaplacedemesdocsquej’abandonne.Bon,OK,unpetit tourdanslesmagasinss’impose.Porterdunoirsousunsoleilpareil,c’estdelafolie.Mescheveuxarrangésenunetresseenroulée pour en faire un chignon et le tour est joué.Mes crayons, ainsi quemon grand carnet àcroquis,balancésdansmonsac:jesuisprête.Pourlepremierjour,çadevraitlefaire.

Monmalaisesetransformeenexcitationquandjeprendslebuspourlafac.

**

La faculté deConstance est immense.Après être passée par les bureaux d’admission pourmonpointageoùunbadgem’estremis,puisavoirrécupéréunplandusite,j’emprunteunenavetteinternepourmerendreenzoneC,làoùsesituelescoursindépendants.

Toutlelongdutrajet,mesyeuxseperdentsurlesbâtimentset l’environnementquim’entourent.Onsecroiraitdansundecesfilmsdescience-fictiontrèsmoderne.Rienàvoiraveclàoùj’habite.

Jelissurlabrochurel’histoiredeConstanceetdesaconstruction.

À l’intérieur desmurs d’enceinte,Constance est une sorte de ville verte et écologique.Tous lesbâtimentsducampussontdescubesdeverredel’extérieur.Ilsreflètenttouslalumière.

Constance Grey est entièrement axée sur l’écologie et le développement durable. Malgré lesédificestrèsmodernes,desparterresdefleurs,desarbresetdegrandsparcs,couvrentpresquetoutledomaine.Lestoitssonttousfaitsenvégétaux.Laconceptiondesbâtimentsetlacompositiondeleursparois leurpermettentdeconsommerlemoinsd’énergied’appointpossible,optimisant lesapportssolairespouruneventilationidéale.Mêmel’eaudepluieestrécupéréepourêtreutilisée.Iln’yaiciaucune pollution et on se croirait dans un poumon sain vivant. Les élèves doivent laisser leursvéhiculesà l’extérieuroùdevant leurmaisonde fraternité, il est strictement interditdesedéplacerautrement que grâce aux navettes, à pied ou en vélo jusqu’à 21 heures. Les embarcations sontjustement des véhicules électriques hybrides. Puis interdiction de fumer en dehors des enceintesprévuesàceteffet.

Le soleil tape fort et de tous les côtés et sur les parois brillantes des bâtiments miroirs qui

m’aveuglent.

Lesélèvessontcommedesfourmisàcourirdanstouslessens.Lescoursontreprisdepuisdeuxjoursetc’estdéjàlapanique.

Trèspeud’entreeuxseprélassentsouslesarbresousurlesbancs.

J’apprécie tout ce que je vois, mais ai un gros sentiment de raté. J’aurais pu être comme eux.J’auraisvouluêtrecommeeux.

Ledestinenadécidéautrement.

Je ne suis élève indépendante que pour deux semestres seulement et juste pour des cours d’artavancés.Jeneserai jamaisdiplôméeetnepourraiprétendreà riend’intéressantavecçaensortantd’ici.

Le bus s’arrête et je descends pour me diriger vers le bâtiment des enseignements et de larechercheenartsvisuels.Unegrandecour,pavéedebriquesrougesetdephrasesd’auteursgravées,entourelebâtimentenformed’œuf.Surladroite,unautreétablissement,dontjenevoismêmepaslebout tellement il est immense, accueille ses visiteurs avec la grande inscription en lettre gothique,forgéedansdel’aluminium:WaldorfArtMuseum.

Le musée Waldorf compte l’une des plus grandes collections de tableaux de la premièrerenaissance italienne ainsi que beaucoup de petits bijoux dumouvement impressionniste. J’ai hâted’allervoirtoutça.

Voilàbienlapremièrefoisquejemesensaussibieneteuphoriquedepuisquej’aimislespiedssurcetteîle.Enpénétrantdansl’immensehall,l’excitationsetransformeenadmiration.C’esttellementbeau!

Àl’intérieur,unpuitsdelumièrecolorée,venueduplushautdel’œufetsansdoutedueauxvitrauxfaçonégliseromane,inondelecentreouuneimmensefontainemoderne,faitedepoutresmétalliqueset de sculptures d’argile, se dresse fièrement.Les tonalités vives et chatoyantesmemettent tout desuitedebonnehumeur.

Çavaêtregénial.Lescoursd’artssontmonpointfort.

Je grimpe les immenses escaliers de droite en suivant les flèches qui indiquent les leçons d’art

avancées.Enhaut,lavuesurleparcdederrièreestimpressionnante.J’enresteébahie.

Onpeutobserverchaquedétailavecprécision.Sur lesparoisdeverre,desdessinsauxcontourstrèsfinsreprésententàl’identiquelesarbresoulessculpturesquisetrouventencontrebas.Unepetiteexplicationsurunarbreendémiqueousurunereprésentationd’unesculpturecélèbreestinscriteendessous.

D’autresélèves,tousaussiémerveillésquemoi,fontcourirleursdoigtssurlesparoispoursentirlesdessinsgravés.

—Putain,maistupeuxmedirecequetufaislà?!

Unevoixmefaitsursauter.

Décidément,jenevaisplusfaireunpassansavoircet…Ange,surledos.

Cettefacultéfaitdeskilomètresetdeskilomètrescarrésetcompteplusdeneufgrandesbranchesetunecentainedecoursdifférents.Etilfallaitquejetombesurlui?

Isaacsetientàmoinsdetroismètres,debout,unepochetteàdessinssouslebrasàlaplacedesoncasque.Ilneportepassavestenisesboots,justeunjeannoir,etunt-shirtblancàcolVtrèsfluidequinemasque riende son torse saillant.Lavuede ses tatouages à l’encrenoire, sous le fin tissu,meperturbe.

Jesoupire.

—Jenetesuispassic’estcequetupenses.Jeparticipeàdescoursd’art indépendantsici,c’esttout.

Toutàcoup,ilarboreunairhorrifié.

—AvecleprofesseurDiaz?

Jejetteunœilàmafiched’inscription,celleàfairesignertouteslessemaines.

—Oui,c’estça…

Ilsefermeetsonvisageredevientimpassible.

—Génial,marmonne-t-ilavantdemetournerledos.

Commesij’avaisprévudemeretrouveravectoipourl’après-midi,ducon.

Jeserrelesdentsetmarcheàsasuite,maisdeloin,leplusloinpossible,sanslelâcherdesyeuxpourtrouverlasalledeclasse.

Deuxminutesavantledébutducours,plusieursélèvessontdéjàlàetdiscutent,assissurdestablesd’architectetrèsdesign.C’estunepetitesalle,maiselleestcommetoutlereste,trèsmoderne.Peut-êtretroppourlecoup.

Isaacsedirigeaussitôtaufond,versunefillequej’aivueaubarhiersoir,etungarçonquejeneconnais pas.Elle est plutôt jolie : petite, brune, en short et chemisier en flanelle, avec une boucherougeécarlateetunbandanadanslescheveux.Unedesleurs,jesuppose.

Etlegarçonàcôtéest…saisissantetlemotestfaible.

Grand,baraqué,brunettrèssensueldanssesgestes.Ilatoutduséducteurné.

Tatouéaussi,dansundésordreincroyable,jusqu’aucou.IlenapresqueautantqueM.J.,oudisonsquelessienssontdifférents.Plusremplis,plusdensesetplusexotiques.

Un latino, sans aucun doute, avec des traitsmexicains peut-être.Une peau bronzée et hâlée, unepetitebarbededeuxjoursetdescheveuxtrèscourts,maisquisemblentsoyeux.Ilporte,auboutdelachaînequ’ilaaucou,unecroixenargent.

Ilschuchotentàvoixbasseettoutàcoup,setournentversmoienmefusillantduregard.Jechoisisunbureauvide,àl’opposé,etm’installesansleurprêterattention.Oualorsjusted’unœil.

CetypedoitêtreMiguel.

L’arrivée du professeurDiaz, une petite femmede la cinquantaine, au style hippie, détournemaconcentration.Ellenousfournitunelisted’effetsàavoirabsolumentpoursoncoursetnousdonnequelquesadressesoùlestrouver.Mêmesijepossèdedéjàlaquasi-totalitéchezmoi.

Une feuillenousestdistribuéepourquenousnotionsnosnomset je remercie lecielqu’ellenenousaitpasobligésànousprésenteroralementdevanttoutlemonde.Jedétestem’afficheretnousnesommesqu’unevingtainedanscecours.Cependantsurlafeuille,jevoisl’écriturehorribleduvoisind’Isaac. Miguel Ortiz. Qu’est-ce que je disais ? Voici donc le cinquième Ange. La fille s’appelleAntheaJoly.Drôledenom.

MadameDiaznousexposesonprogrammepour les troisprochainssemestres.Jeneparticiperaiqu’aux deux premiers. Nous devrons réaliser sur l’année, un carnet de dessins sur un thème bienprécis et de notre choix. Il donnera des points bonus pour ceux qui passent leur diplôme en find’annéeetdespointsd’avancepourceuxquipassentendeuxièmeoutroisièmeannée.Pourmoi,ceserajusteuncarnet.

Lepremierexercicede l’annéeconsisteàévaluernotrefaçondereproduireetdereprésentercequenousvoyons.

—Vousallezdevoirreprésentercequevousvoyeznonpasavecvosyeux,maisplutôtavecvotreesprit.Nousallonsformerdesbinômesetvousferezleportraitdel’unetdel’autre.

Lablondeassiseàcôtédemoimesourit.

Ainsidonc,nousallonstravaillerensemble.

Maisleprofesseurs’emparedelafeuilledeprésenceetcommenceàformerlescouples.

Ohnon…

—JennyetThomas,LaurenetAmanda…

Lesélèvesselèventpours’installerfaceàfaceenrécupérantunchevaletaufonddelapièce.

—AnthéaetLucia,MigueletJane,SophieetKatty…IsaacetMia,JordanetGraam…

Est-cequetutefoutraisdemoi, toi, tout là-haut?Est-cequelerestedemaviesur terreseraunpurgatoire?Jedevraiabsoudremespêchésici-bas?

Isaacestbienplusvirulentquemoi.

—Ilesthorsdequestionquejememetteaveccetteidiote.

Benvoyons…

—MonsieurMilles…soufflelaprof.

—Jebosseraipasavecelle,jevousdis!

—Etmoijevousdisquesivousnefaitespascequejedemande,vousn’aurezplusqu’àchangerdecours.Attention,monsieurMilles,cen’estqueledébutdel’année.

Isaacmefusilleduregardetnecessedesoufflerbruyammentcommeuntaureauencolère,avecsesnarinesdilatées.

Rienquepourl’énerverencoreplus,jeprendsmoncourageàdeuxmainsetrécupèreunchevaletpourm’installerdevantlui.Ils’affaledélibérémentsursachaiseetentireuneautredevantluipourymettresespieds.Ilcroiselesbrasaussietmeregardeaveccondescendance.Trèsbien,ilneveutpasbosser ?Moi, si. Luke n’a pas payé ces cours pour rien. Puis je ne laisserai pas cet imbécilemepourrirleseulpetitplaisirquej’aiici.

MadameDiazsoupireetdonnedesconseilsàceuxquiontcommencé.La techniqueest libre. Jechoisisalorslecrayon.Ilneméritepasquej’usemonmatérielpourlui.

Jecommenceparletailleraucutteretmamaincourttouteseulesurlafeuilleépaisseducarnetdedessins,presqueplein,quej’airamené.

Jerisquejustedediscretscoupsd’œilpar-dessusleblocpourlevoirquimefixeintensémentsoussesmèchesfolles.

Cemecestintimidant,c’estsûr.Safaçondemeregardermehérisselespoils.Jemeconcentresurledessinpourm’empêcherderougir.Unportraitdemandel’examenparticulierdel’autreetcelavaêtremissionimpossibles’ilcontinuedemeregardercommeillefait.Soussesyeuxd’émeraude,mapeausembles’enflammer.

Laprofserapproched’Isaacetmoi.

—Alors,mademoiselleGilmore,dites-moicequevousallezreprésenterdemonsieurMiles.Quesavez-vousdelui?

Cequej’ensais,c’estquec’estungroscon.Commentreprésente-t-onunconnardfini?

Isaacmedevanceenluirépondant.

—Ellenesaitriendemoi.Absolumentrien.C’estpourquoicetexerciceestinutile.

Qu’est-cequ’ilm’énerve!

—J’ensaissuffisamment,lâché-jesanspouvoircontenirmavirulenceexacerbée.

Jem’attireleregardnoirdufélin.S’ilpouvaitmetueretm’enterreraprès,illeferait,c’estsûr.Etsonami,del’autrecôté,quimeregarded’unœilmenaçant,n’estpasenreste.

Miguel n’est pas concentré sur son binôme, mais sur moi. Et ça aussi, c’est agaçant. Moi quivoulaispasserinaperçueenvenanthabiterici.

S’ilsleurprenaientàtouslesdeuxl’idéedemecoincerquelquepart,jen’ensortiraispasvivante.Impossible.

—Tunesaisriendutout,continue-t-il.

Laprofposeunemainsursonépaule,etàsonregardmeurtrier,jepensequ’ilvoudraitlatuer,elleaussi.Unvraimalademental.

Misogynepeut-être?Àmonavis,oui.

— Allons, allons, monsieur Miles. Mettez-y un peu du vôtre. Je suis sûre que mademoiselleGilmoreestcapable,commenoustous,devoirenvousautrechose.

Autrechose?Autrechosequecequ’ilveutbienmontrer?

Zac est sur le point d’ouvrir la bouche pour l’envoyer paître, mais je suis plus rapide etl’interromps.

— Je sais que tu es fils unique. Enfin, j’imagine que tu n’as pas de frères. Tes amis, eux, sontcommedesfrangins.Tunefaisjamaisriensanseux.Etlesbraceletsàtespoignetsportentlenomdechacund’entreeux.Jesaisaussiquetuaimesfairedelamoto.Paspourlavitessespécialement,jenecroispas.C’estunroadsteretmêmesijenem’yconnaispas,jevoisbienqu’ellen’estpasforcémentplus rapide que les autres.Non, tu aimes lamoto parce que tu as ce sentiment de liberté quand tul’enfourches.Cesentimentd’êtreseulaumonde.C’estpourçaquetuenasprisunequin’admetpasunedeuxièmepersonnetrèslongtemps.Ceseraitinconfortable.Elleestpourtoi.Danscesmoments-là,tuappréciestasolitude.Jecroismêmequetupassesbeaucoupdetempsàlabichonnerdanstongarageou je ne sais pas où.Parce que tes doigts sont calleux et les bouts de tes ongles abîmés etnoircis,commemononclequiestgaragiste.

L’expression moqueuse et arrogante d’Isaac se transforme en surprise avant d’évoluer en uneespèced’airsuintantdemécontentement.Ilouvrelabouchepourparler,maisjel’arrêteenreprenant.

— Je sais que tu portes du Fahrenheit, que ta veste en cuir de vachette est un modèle rareChevignonXHelstonsvintage et qu’elle coûte cher. Je sais que tu fumes trop, parceque tavoix estrauqueetcassée.Peut-êtrelesoiràlafenêtredetachambrequandtun’arrivespasàdormir.Parcequejesuissûrequetunedorspas.Çanefaitquetroisjoursqu’ons’estrencontréetpourtantjevois

tescernestrèssouvent.Peut-êtrequetunedorspasàcausedetonenfance.J’aivucettephrasesurtaclavicule«Oubliecequit’ablessédanslepassé,maisn’oubliejamaiscequecelat’aappris».Ahoui…ettuasceticdetoujourstirersurtalèvreinférieurequandturéfléchisintensément.

Àprésent,ilestabasourdi.

Etouais,monvieux.

Jenesuispasle«mentaliste»,maisjenesuispasaveugleetsiconqueça,nonplus.Non,non…

—Tuvois.J’ensaissuffisamment.

MadameDiaztapedanssesmains.

—C’estça,mademoiselleGilmore!Vousaveztoutcompris.Allez,autravail.

Elles’éloigneetjemepenchepourparleràZacsurletondelaconfidence.

—Jen’aipasvouludiredevantellequejeconnaisaussilacouleurdetoncaleçon.Ilestbleunuitaujourd’hui.

C’estvraiquejel’aivudépasserenlesuivanttoutàl’heure.

Ettoc!

L’immense plaisir de lui rabattre son caquet m’a tellement transportée que je me fais exprèsaguicheuseetprovocatrice.

Ilveutm’énerver?Ben,c’estcequ’onvavoir.

Àsafaçondeserrerlespoings,j’imaginetrèsbienlesenviesquiledémangentencemoment.Sansdouteimagine-t-ilsesdoigtsautourdemoncou.

Ilnerépondpas.

Uneheures’écoule.Puisuneautre.Ilasortisonbaladeuretamissesécouteursdanssesoreilles.Je me demande quel genre de musique il écoute ? Pop-rock, rap, hard-métal ? Je n’en sais rien.Absolumentrien.

L’après-midipasse.

Ilnemeregardeplusetj’aipresquel’impression,unmoment,qu’ilprendlaposepourmoietmoncrayon.

Non,maisquelcoqdebassecour,jetejure!

Auboutdedeuxheures,jenerésistepasàl’envidefanfaronnerunpeudevantlui.

—J’airéussiàfaireunportraitdetoiassezressemblant.Tulecroisça?

Ilretiresesécouteursetplissedesyeux.

—Jesuiscapabledecroiren’importequoi,pourvuquecesoitcomplètementincroyable.

J’écarquilledesyeux.Enplusiladel’espritetdelarépartie!Etillitdebelleschoses.

—TuasluLeportraitdeDorianGray?

Àluid’êtresurpris.Ilfroncedessourcils.

—Si tureconnaisfacilementOscarWilde,Gilmore,pourquoin’es-tupasdanscetétablissementcommeuneélèvenormale?

Jefrémis.Ilchercheàsavoirquijesuis.Peut-êtrem’avait-ilprisepouruneidiotesanscultureetsansesprit?

—Neteplainspas,Miles.Tuneverraspasmatêtetouslesjours,alors.

J’aiéludésaquestionleplussavammentdumonde.

MadameDiazsematérialisederrièremoi.

—Oh…bien…vousavezunstyleassezparticulier…pourquoilatechniqueducrayon?

—Pourcapterplusvivementleseffetsd’ombresetlumièresdusujet.

Etjeneparlepasquedecequejevois.

Isaacritdoucement,dédaigneusement.Àmontourdelefusillerduregard.

—C’estassezréussientoutcas.Jevousconseilletoutdemêmedenepashésiteràprendretoutela

placesurlafeuille.MonsieurMilesenimpose…Vousêtesd’accordavecmoi?

EllemelanceunregardmalicieuxquineplaîtpasdutoutàZac.Jesoupireetacquiesce.

Unesonnerieretentit,faisantposertouslespinceauxetcrayons.Lafinducours.

Chacunsepressepourrangersonchevalet.

Isaacs’estlevéprestement.

—Montre-moicettehorreur!

Jerabatsvivementlacouverturedemoncarnetsurledessin.Etpuisquoiencore,tiens!

Etjel’attrapeavantqu’iln’aittendulamain.

—Vatefairevoir,Miles.Jenetedoisrien.

Jeluitourneledosalorsquelafille,Anthea,s’estrapprochéeetaposéunemainsursonépaule.Ildoitavoirunesacréerageintérieurecemec.Jesuissûrequ’ildoitavoirunecolèremalcontenueetqu’il doit régulièrement péter les plombs.La façondont il a deme regardermedit qu’il pourraitm’étranglersinousétionsdehors,touslesdeux.

Ilfaudraquejepenseàfairerajouteruneserrureàmaporte.Unedeplus.

Jerangeletoutetlesregardesortiralorsquejefaislaqueuecommed’autresdevantlebureaudelaprofpourfairesignermafeuilledeprésence.

Deuxsemestres.Deuxsemestresàpasseraveclui!Ausecours.

MadameDiazparaphemafeuilleetjesors,presséederentrermereposeravantdecommenceraubarà20heurescesoir.

Danslescouloirs,lesélèvessepressentpourassisteràleurprochaincours.Jelesécouteparlerdecequ’ilsontétudiéouapprisaujourd’hui.Masolitudemesauteàlagorge.Ilssonttoussiàl’aise.

—PourquoimechercherGilmore?

Ilmefaitsursauter.C’estunemaniechezluid’arriverpar-derrièreetdemefoutrelesjetons!

Jecontinueàmarchersansme retournerversZac.Pas le tempspour les imbéciles.Aussibeaux

soient-ils.

—Jeteparle!Tuauraisplutôtintérêtàrépondre.

—C’esttoiquiestoujourssurmondos.Jenetecherchepas,moi.

Avantquejecomprennecequ’ilsepasse,ilmetireviolemmentparlebraspourm’entraînerdansunesalleunpeuplusloin.

Moncœurs’emballe.

Calme-toi,calme-toi…

Etilclaquelaportequirésonnedansl’immenseamphithéâtre.Noussommestoutenhautetcettesalle-ci est entièrement fermée. Complètement sombre. Peut-être destinée au cours avecrétroprojection?

Ilfaittropsombreetjen’aiaucuneenviedemeretrouverseuleaveclui.Monsangs’affoledansmesveines.

Jechercheprécipitammentlasortie,maisilm’empêched’ouvriretplongesonregarddejadedansl’océandumien.

Penseàrespirer.Inspire.Expire.Recommence.

Latêtem’entourne.Uneffetdurepasquej’aimanquécemidi?

—Si,si,tumecherches.Aulieudet’écraserquandjetedisuntruc,tumetienstête.C’estbienlapreuvequetumecherches,ça.

—Jen’aijamaisétédugenreàm’écraser.

Faux.Jenesuisplusdugenreàm’écraser.Plusmaintenant, jeveuxdire.Avant,c’étaituneautrehistoire…

—Dommage.J’auraispréféréquetut’écrasestoi-même.Parcequemoi…moi,jesuisdugenreàécraserlesautres.

Jen’endoutepasuneminute.

—Tucroisquej’aipeurdetoi?

Jemeforceàsoutenirsonregard.

—Tun’aspaspeur?Toutlemondeapeurdemoi,continue-t-il.

Est-cequec’estunaveu?Unesimpleconstatation?Unemenacevoilée?Jenesauraisdire.

—Non.Jen’aipaspeur.C’esttoiquiaspeurdemoi,fais-jeavecassurance.

Oudumoins,cequ’ilm’enreste.Parcequec’estfaux.Biensûrquec’estfaux.Biensûrqu’ilmefait peur.Mais je pense aussi, et ça, je viens brusquement d’en prendre conscience, que je lui faiségalementpeur.Oui,moi,jeluifaispeur.Mêmesij’ignoretotalementlaraison.

C’estbizarrecommesensation.Grisant.Personnen’ajamaiseupeurdemoi.

Tout à coup, je me sens toute puissante. Il y a quelque chose chezmoi qui lui fait peur et quil’obligeàêtresursesgardes.

Ce n’est pas ce que j’ai fait il y a un an qui déteindrait sur ma personnalité et sur mon auraaujourd’hui,hein?

Pourvuquecenesoitpasça.Jeneveuxpasêtreunmonstre.Jenesuispasunmonstre.

Ils’avanceencoreetétaletoutesonombresurmoitellementilestgrand.

Ilfroncelessourcilsetsemetàréfléchiràcequejeviensdedire.

Touché!

—Qu’est-cequetuveuxdire?Pourquoij’auraispeurdetoi?J’enail’airpeut-être?

Àsonton,jesensquejel’aitroubléetsurtoutjesensquej’aiviséjuste.Àmoidememontreràlahauteurmaintenantetnepaslaisserceconnardarrogantprendreledessus.

—Oui,tuaspeur.Sinon,pourquoitupasseraistontempsàmemenaceretàmepourrircommeça,hein?

Hein?Vas-y,répondsàça!

Jereculequandlaveinedanssoncousemetàtressauternerveusement.

Maisjesuispriseaudépourvuquandillâcheunpetitriremauvaisaccompagnéd’unreniflement

dédaigneux.Iln’arrêtepasdeserapprocherdemoietj’aideplusenplusdemalànepasmelaisserenivrer par son odeur. Son odeur de Fahrenheit. Je n’aime pas être si proche de lui, je déteste çamême.Parceque jeneconnaispersonneavecuneodeurpareille.Elleme faitperdre le fildemespenséesetmefaittournerlatête.C’estinhumainça.

—Bébé, jevais t’expliquerun truc.C’estpascompliquéàcomprendre.Mêmepourunegamineavecuncerveaupasfinicommeletien.Iln’yariennipersonne,etsûrementpastoi,pourmefairepeur.Jenepasseraispasmontempsàtemenacersituarrivaisàtesoumettreetàfairecequ’ontedit.Nevapascroirequej’aipeurdetoi,Gilmore.Unmotdetravers,uneseuleparolequejetrouveraistropdéplacée,ungesteabusifetjetepulvérise.Jet’écraserai.Jetebriseraisifort,quetun’auraspasletempsdelevoirvenir.Tuasdéjàentendulebruitdesosquandilssebrisentsouslescoups,Mia?Moi,oui.Jeteprometsqueçan’ariend’agréableàl’oreillesaufpourceluiquilesinflige.

Ces parolesme feraient presque vomir si j’avais quelque chose dans l’estomac, et tomber à larenversesijen’étaispasdèsàprésentappuyéeaumuraveclesmainsd’Isaacposéesdepartetd’autredemoi,pourm’encercler.

Ilaparléenserapprochantdeplusenplus,unairmenaçantimprimésurlevisage.

Je ferme les yeux et déglutis.Ça y est, il est bien trop proche. Ses effluves de chèvrefeuille, desavon, de cuir, de tabac froid et de menthe, se mélangent gentiment à l’entrée de mes narinesfrémissantes.J’inspireàfond.

—Qu’est-cequetufais?dit-il,abrupt.

J’ouvrelesyeuxetsonvisageestàmoinsdecinqcentimètresdumien.Jelouchesursabouche.

—Jerespire.

—Quoi?

—Toi.

—Pourquoi?

—Tusensbon.

Jelèvelesyeuxetlevoishausserdessourcilsperplexes.

Ilvientdememenaceretmoijeluidisça?!

Oui,maismalgrésesparolesetsonairmenaçant,ilyaquelquechosequisonnefaux.Iln’yapasde mauvaise lueur dans ses yeux. Et les mauvaises lueurs, celles qui vous font mal, qui vousdétruisent,jelesconnaisparcœur.Oui,j’enconnaisunrayon.Chezlui,ellessontinexistantes.Alorscen’estquedubluff.

—Tu… tu trouves que je sens bon ? C’est ça que t’as àme répondre ? Putain, est-ce que t’asseulementécoutécequejeviensdedire?!

Unefolie.Undéséquilibrementaldequelquessecondes.Unedémence incontrôlée.Unenévrose,sans aucun doute. Un genre de divagation aberrante qui me fait lâcher mon carnet et l’attrapervivementaucoldesavesteetmehissersurlapointedespiedspourenfouirmonnezdanssoncou.

Jemegrisedesonodeurenfrottantmonnezsursapeau.Monsouffledevientpluschaudsursondermeetiltressaille.J’ailesyeuxfermés,maislesensseraidiretretenirsarespiration.Pourtantsoncœurbatvraimentplusvite.Dangereusementvitecontremoi.

Trouble. Émotion. Mélange. Confusion. Bouleversement. Frénésie. Égarement. Excitation.Surexcitation.Aliénation.Déséquilibre.Démence.Dépravation…

Mes sentiments s’emmêlent, s’entrechoquent, se nouent, se dénouent, montent et descendentdecrescendotandisquemaintenant,jefrôleàpeinesapeaudemeslèvres.

J’ail’impressionquejevaisprendrefeu.M’enflammeràforcedelesentir.C’estpossibleça?

Les gens s’enflamment sous les baisers avides et torrides, sous les caresses ardentes de leursamants,dumoinsàcequej’ai ludansquelques livresérotico-romanesques,maissous leseffluvesd’unparfumd’homme?Non,ça,jenecroispas.Jamaisentenduuntrucaussibarré.

Etpourtant,jenepeux,nineveux,ôtermonvisagedesoncou.

Longtemps, nous restons comme ça, l’un contre l’autre, avec à peine quelques millimètres deséparation,lui,sesmainsappuyéessurlemuretlaboucheouvertedansuneperplexitéévidente,moi,agrippéeàsachemiseetlenezdanssoncoucommeunemaladementale.

Ilneditrienetmelaisseresterlà,cequimesurprend.Peut-êtrececontactletrouble-t-ilautantquemoi?

C’estàregretquejemedétachedelui.

Qu’est-cequ’ilteprendMia!

9

Conseildeguerre

Isaac

«L’hommen’apouvoirsurrientantqu’ilapeurdelamort.Etceluiquin’apaspeurdelamort,possède tout. Si la souffrance n’existait pas, l’homme ne se connaîtrait pas de limite. Il ne seconnaîtraitpaslui-même.»

GuerreetPaixdeLéonTolstoï.

Jamaisvudesyeuxpareils.

Lapetitechieusedelamaisondulacestassisedevantsonchevalet.Iln’yaquesesprunellesetlehaut de son crâne qui dépassent du bloc où elle peint. Lesmèches bouclées de ses cheveux, d’unchâtainfoncé,luiretombentsanscessesurlevisage.

Elleacegestedelesrepousservainementderrièresonoreille touteslesdeuxsecondesetçamerendfou.Non,maisellevaarrêteroui?!J’aienviedelesluiremettremoi-mêmeenplace.

Lorsquejebouge,ellemefusilledesyeux.

Putain,maisquelregard!

Jamais vu des yeux pareils. Elle les a d’un bleu gris si limpide qu’ils paraissent presquetransparents.Lesgensnelaregardentpassouventenfaceàcausedeça,elleal’aird’avoirl’habitude.Moi,ilsmetétanisent.

Lapremièrefoisquejel’aicroiséàl’aéroport,j’aicruqu’elleétaitaveugle,tellementlacouleurdesesdeuxjoyauxétaitclaireetcristalline.Puis,j’aibienvuqu’ellemelorgnaitsansgêne.Étonnantquandonsaitquemaintenantlorsquejeleregarde,elledétournelesyeuxetrougit.

Je ne comprends pas cette fille : d’abord, elle me reluque franchement montrant qu’elle estintéressée, sinon clairement curieuse, ensuite j’apprends que c’est elle qui vit dans LAmaison où

personnen’auraitl’idéed’allervivre.Etévidemment,jelapourris.Maisellenesedémontepas,cetteteigne.Non,ellemerépondetmeprovoque.Sansrire.Iln’yaquequelqu’unquinemeconnaîtpaspourfaireça.Elleignoreàquelpointjemordsvitequandonmecherche.

Plusétonnantencore,sonarroganceetsafierté.Ellesesentobligéededirebonjourtoutletemps,merci à tout le monde, des sourires par-ci par-là, comme quelqu’un de péteux. À faire sonintéressante et sa« je suisgentillemoi», çamedonne encoreplus enviede lui donnerunebonneleçon.Elleauraitbesoinqu’onlaremetteàsaplace.Etvafalloirqu’elleapprennequ’onnemejugepas,ici.Pasmoi.

C’étaitquoiça?JeporteduFahrenheitoui,mavesteestuneChevignonXHelstons,c’estexact.Etlesbraceletsàmonpoignetsontdescadeauxdesautrespourmonvingtetunièmeanniversaire,OK.Mais comment elle a su exactement ces autres trucs àmon sujet ?Le sentiment de liberté quemeprocurelamoto,monenfancemerdique,mesnuitsd’insomnies…

Personnenem’ajamaisaussibiencernédupremiercoup.Bordel!

Est-ce qu’elle a trouvé le journal deLara ?!Cette dernière pourrait bien avoir écrit des chosescommeça,c’estsûr.Etest-cequeGilmorel’alu?

Laranousconnaissaittellement.Tropmême.Sibienqu’elleavaitdessecretssurchacundenous.Des secrets qu’aucun n’a envie de partager et de voir refaire surface.Deux ans qu’on cherche ceputaindecarnetetrien,nada.C’estcommesielleétaitconscientequ’onallaityveniretqu’ellel’avaitmis là oùpersonnene le retrouverait jamais.Pas faute d’avoir demandé à ses parents pendant desmois.Mais eux n’en savent rien. Ils ignoraientmême qu’elle tenait un journal. Sauf que nous, onsavait.

EtilafalluquecetteGilmoredemonculvienneàsontourvivredanslamaisonabandonnée.Jepensaisquepersonnen’auraiteul’idéed’habiterdanscetroupaumé.Maisfautcroirequejemesuistrompé.Etsielletrouvecejournalavantnous?Onpeuttousplonger.Ellepourraitfairecequ’ellevoudraitdenous.

Etça,moivivant,çan’arriverajamais.

Lasonnerieretentitmetirantdemespenséesdésordonnées.

Jemelèvedirectement.

Bonalors,ellesaitdessineraumoins?

—Montre-moicettehorreur.

Sonregarddeglacemeclouesurplace.Vafalloirqu’ellearrêtedem’observercommeça,elle!Etvafalloirquemespoilsarrêtentdesemettreaugarde-à-vousdèsqu’ellelefait.

—Vatefairevoir,Miles.Jenetedoisrien.

Avantquej’aiepudireoufairequoiquecesoit,ellerécupèreleblocetfaitvolte-face.

—Zac…Onyva?medemandeTheaderrièremoi.

Jeserredesdentsettourneledosàcettegarceetsonpetitcultropmoulédanssonpantalonpincédepetitebourgeoise.

—Elleestjolie,lanceAntheasuruntonquimefaitdirequ’elleattendconfirmationdemapart.

—Tuplaisanteslà?nepuis-jem’empêcherdelâchervertement.

Elleaunmentontropfier,deslèvrestroppleinespoursonvisageanguleuxetelleesttropmaigrepourêtrejolie.Elleestpassable,c’esttout.Maisons’enfout,non?

—Pourquoi?Tuavaispourtant l’aird’apprécier, continue-t-elle, tun’aspasdétaché ton regardd’ellependantlesdeuxheures.

Évidemment !Elle a cettemanieénervantedeclignerdesyeuxcommeunpapillonbatdesailesalorsqu’ellem’observeendouce,depencher la têteetde rougiràmoitiécachéepar soncarnetàcroquis.Commentj’auraispunepaslafixer?Etpuisceticdecroiseretdedécroiserlesjambesenles ouvrant devant moi, toutes les cinq minutes, c’est énervant. C’était quoi ça ? Des appels dephares?

Merde.Ellefaitchiercettefille.Vraimentchier.

—Arrêtetesconneries,répondMiguelàmaplace,elleestbonne,baisableetbienfoutue,maisdelàànepaslalâcherdesyeux,fautpasexagérer.Peut-êtrequesijelamettaisdansmonlit,onpourraitlaconvaincre…

—Non!

J’aipeut-êtreparlétropvite.

—Onvatrouverunautremoyen.J’aidéjàmapetiteidée.Luifairecomprendreàquielleaaffaire

val’échauder,vousallezvoir.

Etsurce,jeleurtourneledospourrevenirsurmespas.

— Qu’est-ce que vous avez avec elle ? s’interroge Anthea, alors que Miguel me regardem’éloigner.

Personnenecoucheraaveccettemeuf,personne.Oualorsmoi lepremier,pour lapunirde soninsolence.C’estça.Jerêvedelapunirdelaplusdouloureusedesmanières.

Si j’ai toujours aimé jouer avec les filles, celle-làm’inspire plus que les autres. Tous ces trucshorribles que je pourrais lui faire. Me venger, me noyer dans le plaisir que m’apporterait sasouffrance.

Parcequ’iln’yaqueçaquimefaitoublierlamienne.

Jemeposteaucroisementd’uncouloir,prèsdel’amphithéâtreMondrianoùjenousaienfermés.Pour l’intimider encore et la surprendre. Sauf que quelques minutes plus tard, c’est elle qui mesurprendenbondissantcommeunlapindelasalle.

Mamenacen’étaitpasassezvirulenteouquoi?

L’autre bécasseme tire dans l’amphi et vient se pendre àmon cou comme une espèce de folledingue.

Putain. Elle sent bon. L’idiote. La même fragrance que la dernière fois dans le bus, quand j’aipromenémonnezsursajoueenproférantdesmenacessourdesdanssonoreille,dansl’espoirdelaterrifier,cequi,soitditenpassant,n’apaseul’effetescompté.

Est-cequ’elleaaumoinsécoutécequej’aidit?!

Etmoi…Est-cequej’entendsencoremoncœurbattre?

J’ail’impressionqu’ils’estarrêtéetquejenerespireplusvite.Oupeut-êtreest-cel’inverse.Marespirations’estcoupéeetmoncœurbâtplusvite.

Attends,What{18}?!Ilsepassequoilà?

Ilsepassejustequ’elles’estélevéeàmahauteurpourmettresonnezdansmoncouetqueçametournelatête.Commentunesipetitechosepeut-ellemefaireceteffet?

Enplus,jenepeuxpaslablairercettemeuf.Jenepeuxpas,c’estcommeça.

Pourtant là, toutdesuite, je sensbiencetteodeurdebébéetde fleurde…cerisier?Elle sent laceriseetlafleurdecerisiersousd’autreseffluvescomme…lapeaudesbébés.Ellemetdutalcoudugelpournouveau-nésouquoi?!

Commentjepeuxencoreréfléchiràdestrucspareilsalorsqu’ellefrottesonnezdansmanuque?

C’estbon,jenepeuxplusrespirerlà.

Ausecours.

Mabouches’ouvretouteseule,commepourchercherdel’air,maisimpossibledebouger.Jemesuistransforméenstatuedecire.

Sij’avaisuninstantpenséqu’ellesejetteraitàmoncouaprèsluiavoirdituntrucaussibarré…

Elledoit êtrecinglée,oui c’est ça, faut êtrecinglépour faireça.Pourmedéfier et allerhabiterdansunemaisonauborddel’eau,cettemaison.

Jen’osemêmeplusparler,tellementlemomentestdétonantetcomplètementhorsdutemps.

Sesseinssontcontremontorseetjepeuxlessentirsouslefintissuquimoulesoncorps.Etmerde.

Avechorreur,maqueuecommenceàsetendredansmoncaleçon.

C’enesttrop.

Ellesedétachedéjàdemoietretombesursespiedsenfermantlesyeux,commesicepetitexerciceolfactifl’avaitépuiséeouavaitfaittournersatête.

J’enprofitepourreprendremesesprits.

—Non,maist’escomplètementdébileoujustecinglée,maparole?!

Etjen’attendspasqu’ellemeréponde.Aulieudequoi,jemepenchevivementpourramassersoncarnetetsorsenquatrièmevitesseenclaquantlaporteavantqu’ellen’aitletempsdemesuivre.Lesdeuxbattantsserefermentetl’emprisonnent,carilestimpossibled’ouvrircetteportedel’intérieur.Sansdouteunproblèmetechniquequeleservicedemaintenancen’apasencoreréglé.

J’entendspresqueinstantanémentcogneretellehurlepourquejeluiouvre.

Monvisageafficheunsouriredesatisfaction.

Personnenemedonned’ordres,poupée.Çat’apprendra,tient.

Mêmesilecouloiresttrèspassantetquequelqu’unfiniraparvenirluiouvrir,çaluidonneraunepetiteleçon.Enplus,j’aivolésoncarnet.J’espèrequesondessindemoin’estpasdégueulasse,sinonjeluiferaibouffer.Maisdetoutefaçon,rienquepourleplaisirdevoirsatêtedéconfite,çavalaitlecoupquejeleluiprenne.

QuandjerejoinsMiguel,quim’attendàlanavettequipartverslesparkings,ilplissedesyeuxàmavue.

—Alors?

—Jel’aienferméedansl’amphithéâtreMondrian.

Monmeilleuramiritdoucementetm’arrachelecarnetdesmainspourlefeuilleter.

—Putain!Elleadutalent,lapetite.Maisfallaits’endouter.Chezelle,j’aitrouvéunchargementdematérieldepeinture.Etçavadel’acryliqueauxbombesMolotowaux…

—BombesMolotow?l’interromps-je

—Legratindesbombespourlegraffitisituveux.

Je ris. D’abord parce que c’est absurde. Une petite bourge, coincée du cul, qui recompte sescrayonsetlesrangeparordrealphabétiqueavantdesortirdelasalledeclassecommeelle,adeptedugrafit'art?Çam’étonnerait.Puis,ensuite,parcequeMigueladit,le«gratin»desbombesetnonla«crème»desbombes.Luietlesexpressions,çafaitdeux.

Jejetteunœilàmonportrait.

Putain!

OK,elleadutalent.Ilfautlereconnaître.Lescoupsdecrayonsontprécisetpasunbrinbrouillons.Pourtant, pas une fois je ne l’ai vu effacer pour recommencer. Le jeu d’ombre et de lumière estépoustouflantetelleareproduitàlaperfectionmabarbededeuxjoursetlaminusculecicatricesurmonmenton.Etpuis,ilyalafaçondontelleadessinémesyeux.Jenesaispas,ilyaquelquechosedansmonregardsurcepapierquimefaitgonfler lapoitrine.Unsentimentétrange.Ouais,elleestdouée.

Jesuisplusqu’heureuxdeluiavoirvolésoncarnet.Celui-là,ilestpourmoi.Jevaisl’accrocherdansmachambre.Jen’aijamaiseudeportraitsdemoi.

Ilyatroisans,àParis,suruneplacecélèbreoùnousnousbaladionsSloanetmoi,j’aifaillimefairecroquer{19} par un artiste de rue.Mais j’ai entraperçu un bouquiniste qui avait l’air bien plusintéressantetfinalementj’ailaisséSloansefairetirerleportraittouteseule.Çanesetrouveplusdesvieuxbouquinistes.Aujourd’hui,toutesleslibrairiessontmodernesetbondées.Jedétestecesendroitschargésdelivresmiteuxàl’eauderosepourlesfemmesenmanqued’amouretpasbienécritspourunsou.Leslieuxoùl’odeurducarton,delanaphtalineetduvieuxchênedebibliothèquedominent,c’estplusmontruc.Lesendroitsoùlesbouquinsontlafragrancedemonenfance,delabibliothèqueetdeslivresjaunistoutécornés.

**

Àlamaison,nousnousregrouponsdansmachambre.

Jelancemaplaylistetposelebaladeursurmastationd’accueiliPod.EtalorsqueM.J.,GabrieletAshtonfontun tapageenarrivant, j’allumeunemalboroblondeenouvrant la fenêtre. Il faitchaudsouslestoits.

—Alors?

Unefoisassis,Miguelsortsontéléphonedesapoche.Toutlemondeécoute.Laporteestferméeàclé.M.J.atroquésoncuirmarroncontreunevesteclassiqueàlaJamesBond.Qu’ilestcon,celui-là!

Conseildeguerre.Nous revêtonsnosmasquesdeconspirateurs, exactement commequandnousétionsenfantsetquenousfaisionsdesconseilsdeguerrepourdéciderdequidenousiraitvolerdanslejardindeMcAllister.

—Aucuneidéedequiestcettefille,nouslâcheMiguel.

Lourdsilence.

SiMiguelnesaitpasquielleest,alorsnous,onnerisquepasdelesavoir.Parcequec’estMiguellemeilleur d’entre nous à ce jeu.Parceque c’est lui le petit génie qui passe son temps à voir descomplotspartoutetàs’inspirerdessériespolicièresqu’ilregarde.C’estluiquiahackéleréseaude

Constancepournousavoirdesinfossurtoutlemonde.C’estluiquipiratelesPCdepresquetousnosprofs depuis trois ans pour nous donner de l’avance sur les autres élèves. C’estmême lui qui estparvenu à s’approprier le Next Generation Identification{20} (NGI) et le Photo Interstate System{21}

(IPS),lesdeuxsystèmesd’identificationfacialeachetésparleFBIàdesmillionsdedollars.

Ilaaussiretrouvémamèrealorsquej’ignoraisquielleétait.Ilaréussiàtrouverl’introuvableetlà,ilnepeutmêmepasnousdonneruneinfosurcettefille?

—Tuplaisanteslà?

—Non.Rien.Nada.Nitchs{22}.Nimic.{23}Nothing{24}.Rien,jevousdis.Etj’aicherché.C’estcommesi elle était un fantôme. Aucun profil sur Facebook, Twitter, ou autres réseaux sociaux. Aucuneidentification parmi des amis sur les dernières années. Même dans le programme NGI, on ne latrouvepas.

—C’estpossibleça?demandeGabriel.

—Oui,dansdeuxcas.Si elle aétéélevéedansunegrotte toute savieou si elle est sur listedeprotectiondevieprivéeparlesautorités.

C’estquoiencorecettemerde?Puisilexistequelqu’unauvingtetunièmesièclequin’estpassurFacebook?Jeveuxdiredenotreâgequoi.Àpartmoibienévidemment.Maismoi,jesuisasocial,c’estcommeça.

—C’estquoi?demandeM.J.àmaplace.

—Un programme de défense pour les gens qui sontmenacés ou sous autre sceau de la justiceaméricaine.

—Genre,untrucdeprotectiondetémoins?

—Enquelquesorte.

AinsiGilmoreestsousprotectionjudiciaire?

—Maiscen’estpaslogique,poursuitMiguel.Sic’était lecas,onnel’auraitpasenvoyévivreàcôtédechezsononcle.Saufsiellen’estpasvraimentsanièce.

—Elleasesyeux,répliqué-je.

—Exact.Alorsj’aifouillédececôté-là.Aucunetracedesanaissanceici,àl’hôpitaldeStRaph,puisqueLukeyafaitallusionunefois,jem’ensuissouvenu.C’estcommesiquelqu’unavaitvidésavieeteffacétoutetracedesonpassagesurterre.

JesalueletalentdeMigueletsacapacitéàserappelerdespetitsdétails.Ilestdrôlementdouéetenmêmetemps,unpeucon.Unvraiparadoxeambulant,cemec.

—Et du côté de la fac, pas la peine d’y compter. Comme elle ne participe au programme quecommeélève indépendante, elle n’a aucunedocumentation à fournir.Enplus,Lukepayepour elledonconnepeututiliserlesrelevésbancaires.

—Tuasétéchezelle,l’autresoir?interrogeAshton.

—Ouais.Çafoulesjetonsderevenirlà.Etenmêmetemps,çafaisaitdubien,soupire-t-il.

Il continue parce qu’aucun de nous ne répond. Je balancemonmégot dans le cendrier etm’enrallumeunenouvelle.Elle a raison, cette idiote, je fume trop.Maisçamestressecequ’ilvientdedire.Clairement.

—Sinonchezelle,iln’yapasgrand-chose.Uneguitareetdespartitions.Elledoitaimeroufairedelamusique.Desbombes,descarnets,desdessinspartout.Ellekiffel’artapparemment.D’oùsoncoursavecnous,jesuppose.Ilyadesphotosdansunalbum.Maisaucuneinscription.Parcontre,j’aitrouvéça.J’aijusteprisunephotoduclichéetpaslevrai,sinonellel’auraitremarqué.

Ilme tend son téléphone etme lemontre.Merde. Je la reconnais.Même nez retroussé,mêmestachesderousseur,mêmesyeux.Mêmesilaphotoavieillietqu’elleestjeunedessus.Dixanspeut-être,pasplus.Etsurtout,mêmesielleestrondecommeunsacàpatates.

Elleporteunmaillotdebainunepièceetsagraisse luisertamplementdebouée.Autrementdit,rienàvoiraveclamaigrepersonnequ’elleestmaintenant.

—Ohshit{25}!Elleressemblaitàçagamine?!

Je fais tourner la photo en souriant intérieurement. Je sais déjà comment va se terminer cettehistoire:pardespleurs.

M.J.estpliéderire.

—Ohmerde…Maisc’estungrostascettegonzesse!

Miguel,sérieux,reprend.

—Elle devait avoir desproblèmesdepoids enfant.Bonpoint pournous.Sinon il n’y avait pasgrand-chose. Elle ne bouffe rien, mais elle nettoie tout. Et elle se drogue au thé cette meuf. J’aicomptéquinzeboîtesdifférentes!Àpartça,elleavaitpeudevêtementsetriend’intéressant.

—T’asinspectésonordi?

—Yep.Bizarrepourunefille,d’habitudeellesenfontleurjournalintimeetlà,rien.Aucunephoto,aucundossier,nada.Àpartdeladocumentationsurlarégion.

Étrange,eneffet.

Migueldemande,dansmadirection.

—Ettoi,auRubis,t’asfouillésonsac?

—Ouais.J’aipastrouvélecodedesonportable.Riend’intéressant.Elleportedeslunettesaussi,jelesaivues.Danssonportefeuille,iln’yavaitquesonpermis,sonpasseportetunpeudeliquide.Riendesuperflu,sicen’estuntrèfleàquatrefeuilles,destamponsetdurougeàlèvres.

Miguelhochepensivementlatête.

—Bizarrecettemeufquin’arien,nipersonneetquis’installelà.

—Ons’enfout,objecteGabrielens’allumantuneclopeaussi.Toutcequicompte,c’estqu’onluifassesuffisammentpeurpourqu’ellesetire.

—Etsiellenesecassepas?grogneMicka.

—Onaviseraàcemoment-là.Onpourratoujourstrouverunesolutionpourlafairechanter.Onverra.

Uncoupfrappéàlaportenousfaitsursauter.Toutlemondesemetaugarde-à-vous.

—Quoi?jecrie.

Aucuneréponse.CedoitêtreSloan.Jevaispourouvrir.Gabriels’assiedinstantanémentetfourresaclopedanslamaindeM.J.quipourtantnefumepas.Ildoitcroirequec’estLouise.Maiselleestencoreàsagalerieàcetteheure-ci.

J’entrebâillelaporte.

Sloan,meregardelessourcilshaussés.

Elleporteunjogginggrismoulantetunjusteaucorpsrose.Seschaussonsdedansesebalançantauboutdesonbras.

—Quoi?signé-jeplusdoucementàsonintention.

Jenepeuxêtrequedouxavecelle.Elleestseulepersonnequiméritetoutdemoi.

Ellesepencheetessayedejeterunœilpar-dessusmonépaule.Gabrielluifaitunsignedelamain.Jememetsentreeuxenrefermantunpeulaportepourl’empêcherdevoirlesgars.

—Vousfaitesquoi?mime-t-elleàsontour.

—Conseildeguerre,réponds-je.

Ellehochelatêteetreprendsavecsesmains.

—Jevaisàladanse.Jesuisenretard.Arrêtezdefairelaguerre.Cen’estpasbien.Faitesl’amour,c’estmieux.

Je lui fais de grands signes pour la traiter de folle, mais elle lâche un petit rire étranglé ens’éloignant.Unsonrauque,étouffé,parsaccade,biensûr.

J’aime bien quand elle est de bonne humeur. Ce que j’aime moins, c’est qu’elle me sorte desdébilitéscommeça.Àdix-septans?Siunjourelleaunmec,ilaplutôtintérêtàlarespecter,sinon,jelecastreraisanshésitation.Jenelaisseraijamaispersonneprofiterd’elle.Surtoutpascommemoijeprofitedesfilles.Sloanadix-septans.Elleestjolie.Etsurtout,elleestsourde.Etça,c’estlemeilleurmoyenpourleshommesdesejouerd’elle.Ellefaituneciblefaible,parfaitepourlessalauds.Jelesais,parcequej’ensuisun.

Jerefermelaporte.GabrielarrachesaclopeàM.J..

Cederniers’allongeentraversdulitetfixemonplafondsaturédephrasesd’auteurs.

—Onestobligédelapourrir?

—Tuveuxqu’onfassequoisinon?l’invectivedurementAshton.

—J’ensaisrien,répond-il,ellen’apasl’air…fin,j’saispas…ellemeparaîtêtrecommeça,c’esttout.Quisait?Peut-êtrequ’ellenetrouverajamaisrienetonl’aurafaitchierdanslevent.

—Tupréfèresprendrelerisque?

IldétournelaquestiondeMiguel.

—Pourquoionn’essayepasdel’intégreraugroupe?Peut-êtrequesielleestamieavecnousetlesfilles,ellen’aurapasenviedenousfairedessaloperies.

Jem’étranglepresque.

—T’escingléouquoi?!

Moi,vivant,elleneferapaspartiedemesamis.Jamais.

MaisMiguelquiréfléchitdéjà,segrattelabarbeenparlant.

—Yapeut-êtreuneidéeàcreuser.PourquoiM.J.neluiferaitpascroirequ’ilestdesoncôté?Onpourraitavoircequ’onveutcommeça.Unœilpermanentsurelle.

—Etpuisquoiencore!s’insurgel’autreenseredressantvivement.Jenesuispasvotre larbin!Allezvousfairefoutre.

IlgrogneetAshtonl’interromptendésignantmonordinateur.

—Aufait…enparlantd’œilpermanent…vousavezmaté?

Ilparlede la caméra-espionnemicroscopiquequ’il a cachéedansunede sespelucheschezelle.Unesoiréeàfaireça.Éventrerlecochonroseetlerecoudre.

—Ouais,l’imagen’estpastop.Àcausedel’œildunounours.Maisdetoutefaçon,elleestpasbienplacée.Ellepassesontempsàroupillersurcematelas,c’esttout.

Oui,pourl’avoirmatéesurmonécranentre5et6heuresdumat’,jesaisqu’elledortenétoiledemeretqu’elleparledanssonsommeil.Saufquejen’airiencomprisdecequ’elledisait.

Étonnant qu’une fille comme elle vienne habiter là, au fond d’Hélène Grove, sans parent, sansfamille.

Chelou.

—M.J.,tuvasjoueraubonpote,jelanceenallumantuneautreclope.

—Nan!

—Si.

Ilmetoise,maisunregardetilbaisselesien.

—S’ilteplaît?mesens-jeobligédedemander.

—Pourquoi?

—Parcequetuesleplusgentildenoustous.

AvecM.J.,ilfautprendredespincettes.Jesuisceluiquis’ensertlemieux.

Ilresteuninstantsansrépondreavantdevivementsemettredebout.

—Faischier!

Ilsortenclaquantlaporte.

Ashtonselèvedemonbureau,oùassis,iljouaitavecsamontre.

—Jevaislerejoindre.Vousenfaitespas.

Ons’enfaittoujourspourM.J..Etillesait.

QuandAshtonquittelapièce,Miguelretirequelquechosedesonsac.

—J’aiprisçachezl’autrefolleaussi.

Jeleregardeagiterdevantluil’objetdemafuturetorture.Ha!!

Onvas’amusertoietmoi,Mia.

10

Inthearmsofanangel

Mia

—Tuveuxbienm’aider,Mia?

Terrym’appellederrièrelebar.

Moi,aubar?Euh…

—C’estpouressuyerlesverressimplement,secroit-elleobligerdepréciser.

Ahoui.

Jemedépêchedepasseruncoupdelavettesurladernièretableencorevideavantd’allerdonneruncoupdemain.

Il est 23 heures et toutes les places sont occupées. Sur la piste de danse, quelques personnes sedéhanchentaurythmed’unebatchata{26}.Lemercredi,c’estsoiréesalsaauRubis,jusqu’à22heures.Après,c’estscènelibrepourceuxquiveulentpartagerleurstalentsaveclesautres.

LidymebousculeenpassantprèsdemoipourallerapportertroisBloodyMary{27}àunebandedefillesdéchaînées.Jelaregardefroidementetellemetoiselonguementenservantlescocktails.

Pourquoitantdeméchancetégratuite?Ellenemeconnaîtmêmepas.

HeureusementquefaceàLidyetAshton,j’aiCoraetTerrypourêtrebienveillantesavecmoi.

Finalement,j’aimebientravaillerlanuit.Jesuisinsomniaquealorsçam’occupe.

Lorsdemapause,jemangedeuxbarresdecéréalesetquelquesfruits.Corapasseplussontempsàfumerqu’àseremplir l’estomac.Maiselleresteavecmoi.J’apprendsqu’elleestnéeenItalied’unpèresicilienetd’unemèreaméricaine.Ellepossèdeladoublenationalité.Sesparentssontdivorcésetelles’enportetrèsbien.Elleavingtans,unandeplusquemoietespèredevenirpédopsychiatreunjour.Jecomprendsmieuxsontontrèsdouxetsafaçonsinaturellededireleschoses.

Elleaunedrôledebontécettefille.Elleestcalmeetposée,maisj’ail’impressionqu’ellepossèdeuneforcehorsducommun.Ilfautseméfierdel’eauquidort.

Aprèsnotrepause,jeretourneaiderTerryaubar.Vinceestabsentaujourd’hui.

Maisjen’arrêtepasdefixerlaportetoutelasoirée.S’ilafêtésonanniversaireici,c’estqu’ilestunhabitué.

—Attendrais-tuquelqu’un,Mia?medemandepernicieusementTerry.

—Absolumentpas.

Jemedétourneetessayedefairefitdetoutça.

Jechantonnetoutbasenfinissantderangerlesglassetautresgodetssurlesétagères.

Àpeineletempsdedireouf.

—Bonsoir,sweatheart.

Jereposeleverredansunbruitsourd.

—Zac,lesalutTerrydansmondos.Jetesersquelquechose?

—Ouais.Macallan{28}.

JetendsleverreàwhiskyàTerry.

—Moiaussij’enveux,intervientM.J.enfaisantsonapparition.

Doublepunaise.

—Non.Uneblondepourlui,répondIsaac.

M.J.grogneun truc incompréhensible.S’ils sont tousensemble, jevais faireunarrêt cardiaque,c’estsûr.

Jemeretournelentement.Iln’yaqu’Isaacetlui.

Ilsontdécidéd’êtreencoreplusbeauxcesoir?Pasdejeans,non,desbespokes{29}noirstrèsbiencoupésetdestuxedo{30}VeraWang.

Ilsreviennentd’unmariageouquoi?

—Salut,meditM.J.avecunsourirecharmeur.

Mesjambessedécrocheraientpresquefaceàcesourire.

OK,j’aipeut-êtrefaituneconnerieensautantaucoud’Isaaccetaprès-midi,maiscen’estpasuneraisonpourmeregardercommeillefaitàl’instant.

—Salut,réponds-je,bougonne.

—Vousavezeuuneduresoirée?leurdemandeTerry.

M.J.s’épanchedessus.Ilsreviennentdel’opéra,Giselle{31}étaitauprogramme.

Parcequ’ilsvontàl’opéra?!

JemeretiensderireetIsaacnemelâchepasdesyeux.

—Tut’esamuséecetaprès-midi?

—Jesuisvitesortiedel’amphithéâtre,sic’estcequetuveuxsavoir.

C’estfauxcarj’ysuisrestéeuneheure,maisneluidiraipas.

—Qu’est-cequetuasfaitdemoncarnetàdessins?

—Jel’aigardé.

Ilparleavecsuffisanceetautorité,commeunvraityran.

—Rends-le-moi.

—Vienslechercher.

Jem’attendaisàuneréponsedugenre.Enfoiré.

Onsedéfieduregard.L’airsechargeenélectricité.

Sescheveuxsontcoiffésenarrièreetilporteunecravate,c’esttout,alorsilfautqueças’arrêtecetremblementquimeprenddepuislaplantedespieds.

Sur la scène, un garçon fini de chanter Just the way you are{32}. Les clients l’applaudissentchaleureusement.

—Deal{33}?

Ilm’observeavecunelueurnouvelledansleregard.Unelueurdedéfi.

Non,maisilseprendvraimentpourlecentredelaTerreetpourquelqu’und’incassable.Maistoutlemondeasesfailles,bonDieu.

Est-cequejesuisfolle?

—Deal,jeréponds.

—Tumontessurscèneetsituchantes,jetedevraiunservice.Situn’enaspaslecourage,c’esttoiquimeledevras.

Ilsouritcarrément.Despetitesfossettessecreusentdanssesjoues.

Détournelesyeux,bordel!

Ilnem’encroitpascapable?

Jen’aipasvraimentl’espritdecompétitionengénéral;lesdéfis,cen’estpastropmontruc.Maislà, ilm’énerve tellementque jeseraisprêteà fairen’importequoipour lui faire ravalersa languetropbienpendue.

Puisilm’aenferméedanscettesallecetaprès-midi,alorss’ilpensequejevaismedémonterfaceàlui,ilfaitfausseroute.Ilmériteuneleçon.

Àmoil’avantageetaprèsça,jepourrailuidemandertoutcequejeveux.

—Tuvaslefaire?interrogeM.J..

Isaacaunsourireaffreusementcondescendant.Quelidiot.Ilvavoir.

JejettetoutdemêmeunregardàTerryetcettedernièremefaitunclind’œil.

—Vincen’estpaslà.Vas-y.Çanefaitdemalàpersonne.

—Saufsiellechanteaussifauxquejepense,railleIsaac.

Espèce d’imbécile. Je ne suis pas douée pour grand-chose, certes,mais le chant est une demesqualités.BienquejefredonneseulementsousladoucheoualorspourmamèreetArizona.Cesdeux-lànetarissentjamaisd’élogessurmavoix.Bon,mêmesienthéorie,ellesnesontpastrèsobjectives.J’adorelamusiqueetj’aimechanter,maisjesuistroppudiquepourlefairedevantdesinconnus.Leskaraokéssontmahantise.

—Tuaspeur,Gilmore?

Isaacs’estpenchéenavant,lesdeuxcoudessurlebarpourmurmurerdoucement.Savoixhachéemefaitfrissonner.Laquestionressembleplusàunemoqueriequ’àuneinterrogation.

—Çateferaittropplaisir.

Ilritetçam’énerve.

Unefille,suruntabouretpasloindelui,enoubliesapailleetouvrelabouche,émerveillée,enleregardant.OK,ilestsexy.Ellen’ajamaisvudemecsexyavantouquoi?!Fermelà,tuvasgoberlesmouches.

Avec plus d’agacement qu’autre chose, jem’extirpe de derrière le bar pourme diriger vers lascènelorsquelalumièredelasallefaiblitdoucement.

Dessueursfroidesmeparcourentl’échine.

Matt,leDJduRuby,medemanded’approcher.Quelgenredemélodiemeferaitplaisir?Aucune,acappella.Ilhausselessourcilsdesurprise.Oui,jesaisfairemapropremusiqueaussi.

Depuistoutàl’heure,j’aizieutélaguitareposéederrièresesplatines.

—Jepeux?

Ilhochelatêteetmelatend.

Sceptique,ilplacenéanmoinsunmicrosurpieddevantletabouretoùjegrimpe.

Plus les gens se taisent pourm’écouter, plusmon cœurbat.Quelqu’un a passé lemot et je suismaintenantlecentredel’attentiondelasalle.

Zut.Moiquidétesteça,jetrouveencorelemoyendememettreenavant.

Dommagequejen’aipasledroitàunverremoiaussicarj’enfileraisbienuntriplesecavantde

melancer.

Nerveusement,jejoueavecmabagueautourdemondoigtenscrutantmeschaussures.Est-cequej’aicarrémentperdul’esprit?Simapetitesœurmevoyait,ellenes’enremettraitpas.

Le silenceestpresque lourd, tinté seulementdubruitdesglaçonsdans lesverresetdes riresdequelques-uns.Maisjesuistoutemoiteetfrissonnante.

—AlorsGilmore!Tutedégonfles!crieAshtonencréantdeshurlementsderireschezlesunsetlesautres.

Jecroiselesjambesl’unesurl’autreetplacel’instrumentenappui.

Respire.Inspire.Expire.Recommence.Çavaaller.

Mesdoigtstremblantstitillentlescordesdelaguitare.

Abandonetplénitude.Voilàcequejeressensquandjejoue,quandjefaisça.

Qu’est-cequejepourraischanter?

Enouvrantlabouche,uneidéetraversemonesprit.

Mavoixcristallines’élèvedoucementd’abord,commepourlesprépareràlasuite.

–Spendallyourtimewaiting/Passertouttontempsàattendre

Forthatsecondchance/Cettedeuxièmechance

Forabreakthatwouldmakeitokay/Cettepausequiarrangeraittout

There’s always some reason to feel not good enough/Il y a toujours une raison de ne pas sesentircomplètementbien

Andit'shardattheendoftheday/Etc’estduràlafindelajournée.

Pourquoi?Pourquoijemesuismise«InthearmsoftheAngel{34}»danslatête?!Ilvacroirequecettechansonestpourlui.Maisenquelquesorte,c’estlecas.Unedédicacepourluiprouverquejesaisreleverlesdéfisetquejenesuispasfaible.Enplusc’estlamusiqued’undenosfilmspréférésàArizonaetmoi,Lacitédesanges.Etonpeutdirequeçatombebien.

Jen’aipaslavoixdeSarahMcLachlan,nideDoloresO’Riordan,maisjesaisquej’aiuntimbrequiressembleauxleursquandjechante.

– I need some distraction, or a beautiful release/J’ai besoin de distraction, ou d’un beausoulagement

Memoriesseepfrommyveins/Lessouvenirssuintentdemesveines

Letmebeempty,oh,andweightlessandmaybe/Laisse-moiêtrevide,oh,etsanspoidsetpeut-être

I'llfindsomepeacetonight/Quejetrouverailereposcesoir.

Je lève la tête vers Isaac en chantant ses paroles. C’est un message, une prière. Laisse-moitranquille.Ilyapleindechoseshorriblesdansmaviequejevoudraislaisserderrièreetj’aibesoindesouffler.Laisse-moiêtrelibre.

Ilmeregardeavecunedrôled’expression.Lesautresaussi.

Jereprendsplusenvoix.

–InthearmsoftheAngel/Danslesbrasdel’Ange

Flyawayfromhere/S’envolerloind’ici

Fromthisdarkcoldhotelroom/Decettechambred’hôtelsombreetfroide

Andtheendlessnessthatyoufear/Etdecetteéternitéquetucrains

Youarepulled from thewreckageof your silent reverie/Tu as été tiré des ruines de ton rêvesilencieux

You'reinthearmsoftheAngel/Tuesdanslesbrasdel’Ange

Mayyoufindsomecomforthere/Puisses-tuytrouverduréconfort.

Jen’arriveplusàsoutenirsonregardsansrougir.Alorsjefermelesyeuxetchantelesdernièresparolesdansunsouffle.Cettemusiquemetransportetoujoursautant.L’instantestmagique,commesuspendue dans le vide. Quand je m’arrête, ils me fixent tous avec les yeux brillants et un air sisolennelquej’aienviequelaterres’ouvresousmespiedsetm’engloutissetouteentière.

Il fautquelques secondesavantque je recommenceà respirer.Moncœurbat si fortque jepeuxl’entendreclairement,commesionmel’avaitsortidelapoitrinepourlemettredevantmoi.

Horrible.Cesentimentd’êtrejugépartous.

Lesacclamationsfusentdepartoutmeramenantbrusquementàlaréalité.Quelqu’uncriebravo.Onmefélicite.LeDJmemontresonpouceenl’air.

M.J.me surprend. Il porte ses doigts à sa bouche et siffle d’admiration pourmoi.Le rougememonteauxjoues.Maisjesourisetunpeutremblante,laguitareàboutdebras,jesaluesousunesalved’applaudissements.

Quand je retourne au bar, Terry secoue la tête comme si elle n’en revenait pas. Mais ce quim’intéressemoi,c’estlaréactiond’Isaac.

Ilestconcentrésurleboisduplandetravailetsursonwhiskypurmalt.

Onfaitmoinslefier,hein?

Mia1-Isaac0

Jenepeuxm’empêcherdefanfaronner.

—AlorsIsaac,commentas-tutrouvémaprestation?

Ilrelèvevivementlatête.Uneforêttropicalesombreetbrillante,voilàcequesontsesyeux.

—Pourquoitunetecontentespasdem’appelerZaccommetoutlemonde?Tulefaisexprès?

Jehausselessourcils,surprise.

—Parcequeçat’irritequ’ont’appellepartonprénom?

IlavaleunegorgéedesonMacallansansunmotdeplus.Commentpeut-onboiredel’alcoolaussicher?Ilroulesurl’orouquoi?Detoutefaçon,ilporteduVeraWangalors…

M.J.ébouriffesescheveuxens’adressantàmoi.

—Moi,jet’aitrouvéeplutôtdouéedanslegenre«jemelajoueàlaAlanisMorissette{35}».Tuasprisdescoursdechant?

Alanisqui?

Jevaispourrépondre,sanssavoirsic’estuncompliment,quandjemerendscomptedemabêtise.

—Oui,quandj’étaisplusjeune.

Isaacrelèvelesyeux,intéressé.

—Oùça?

Jememordslalèvre.Gourde.Direoùj’aiprismescoursseraitavouerd’oùjeviens.Personnen’abesoind’êtreaucourant.Onferaitlelientropfacilement.

Jebiaise.

— Qu’est-ce que ça peut te faire ? Puis d’abord tu n’as pas répondu à ma question toi. Maprestation?

Ilgrogne.

—Pourrie.

Jesouris.Ilneveutpaslereconnaître,tantpis.Maisj’ysuisalléequandmême.

—Oui,maisj’aiducourage.

Àsontourdemerenvoyerunsourirecarnassier.

—Ilfautbienplusqueducouragepourm’affronter,Gilmore.Ilfautdesgriffesetdesdents.Tuaslesdents,tucrois?Attention,moiaussijemords.

Menace?Encore?JenerépondspasetTerryposegentimentsamainsurmonépaule.

—Net’enfaispasMia,Zacaboieplusqu’ilnemord.

LeditZacal’airdetrèsmalprendrecetteremarque.

Cependant,ilneditrien.EntreTerryetluidoitrégnercommeuneespècederespectmutuel.Alorsillalaisseparler.Siunautreavaitditça,jesuissûrequ’ill’auraitpourri.

Jemeremetsàcouperlescitronsenrondellestandisqueluiterminesonverreavantdesauterdesonsiègeetdesortirenréajustantsavesteaucol,commelesvoyousdesannéessoixante,mêmes’il

porte un classique et pas son cuir. Ce geste si viril, sa démarche assurée et son charisme toutsimplement,melaissentbéated’admiration.

—Tumedoisunservice!hurlé-jeavantqu’ilnepasselesportessansunmot.

Jen’aijamaisconnuaucungarçonavecunetelleprestance.Pasmêmemonancienetsalauddepetitami.Peut-êtreparcequeZacestplusvieux?Vingt-quatreansquandmême.Ilyamillequestionssurluiquifourmillesousmoncrâne.Maiscen’estcertainementpasavecluiquej’aurailesréponses.

—Tubaveslà,Gilmore.

LavoixretentissantedeM.J.mefaitsursauter.J’enlâchelecouteau.Ilm’observeenplissantdesyeuxetjememetsencoreàrougir.

M.J.!Voilàmasourced’informations!Ilal’airplus…Agréable,quelesautrestoutdemême.

Ashton,entabliernoir,unplateauàlamain,passederrièreluienmelançantunregardmauvais.

Quoi?Ilestjalouxquejediscuteavecsespotesoùquoi?Oupeut-êtredemaprestation.

—C’estquoileJdeM.J.?demandé-jepourcommencerenterrainneutre.

—Junior.

—Pourquoi?Tonpères’appelleégalementMickael?

Ilbaisselesyeuxetboituneautregorgéedesabière.

—S’appelait.

Malgrél’apparentefroideurdesavoixtoutàcoup,ilyadelatristessedanssesyeuxsombres.Uneprofondeamertumeaussi.Jeconnaisbiença.

M.J.m’apparaîtsoudainementbienplussympathique.

Àsonplusgrandétonnementetaumienaussi,jeposemamainsurlasienne.

—Jesaiscequeçafait.Monpèreestdécédé.

Maisunquartdesecondeluisuffitàréagir.Ilretirelasienneetselève.

—Tuignorestoutdenous,deZac,lesautresetmoi.Alors,fermelàetmêle-toidetoncul.

Etilestrepartiaussisecluiaussi,lesyeuxlançantdeséclairs.Melaissantplantéelà,hébétée.

OK.Monpland’ensavoirplussureuxvientdefoutrelecamp.

Bienjoué,Mia.

JefinislasoiréeenaidantAshton,LidyetCoraàdébarrasseretnettoyer.

À02heures,quandleservicesetermine,jerécupèremonsacauxvestiairesetsorspourprendremonvélo.Heureusementque jen’habitepas loinparceque lanuit, envélo, surdes routescommeça…

Etvivementquej’aieunevoituresurtout.

Maisquellen’estpasmasurpriseensortant.

—Ah!!!

Demonvélo,neresteplusquelecadreavecleguidon.Plusderoueavantniarrièrenidepaniernidelumière.Plusrienquoi.

Cen’estpasvrai!

—Quelmerdier!Maisquel…

Simamèreétaitlà,ellemerinceraitlaboucheausavon.

Untype,quiétaitàl’intérieurduRubistoutàl’heure,fumesaclope,appuyénonchalammentauxgrilles.Jeluidésignemonvélo.

—Vousn’auriezpasvuleresteparhasard?

Jeneveuxpasêtredésagréable,maismontonestclairementacerbe.Ilhausselesépaules.

—J’aicruvoirungarstatouépartiravecunpeuplustôt.Maisj’avaislaflemmedel’arrêter.

Jefermelesyeux,serrelespoingsetprendsunegrandeinspiration.

Tatoué?SoitIsaac,soitM.J.Etjejureraissavoirquic’est.

Jesorsmonportabledemonsacuséettapeenvitesse.Oui,j’aigardésonnumérodepuislecoupdel’aéroport.Cejouroùjel’aitrouvédivinementbeau,j’ignoraisqu’ilétaitledernierdesenfoirés.

*ClasseMiles,vraimenttrèsclassedetapart.

Jeterenverraisl’ascenseur.

Voilà.C’estdit.Jemevengerai.Ilnecroitquandmêmepasquejevaismelaisserfaire,non?Ilvaêtreservi.

Aussitôt,ilmord.

*Soispasfâchée,Gilmore.Lamarchec’estbienaussi.Çafaitmaigrir,paraît-il.

Toutmon visage se vide de son sang. J’entends une autre voix dansma tête.Une voix d’il y alongtemps.

«Tuasintérêtàteleveretcourir.Jenevaispassortiravectoicommeça.Cetterobe,elletemoulecommeunsaucisson…»

—Mia?

Lamain de Cora surmon brasme fait sursauter si violemment quemon téléphonemanque des’échapper de mes mains. Je redescends sur terre. Les vieux démons sont tenaces. Je range monportablesansplusrépondre.

Coraobservemonvéloavecunemouedésolée.

—Tuveuxquejetedépose?

—Ohoui,s’ilteplaît.Jesuisàpiedmaintenant.EtsijecomptesurLuke…maisbon…çatefaitpeut-êtrefaireundétour,non?

—Oh,cen’estpasgrave.Jenevaispastelaissersurletrottoircomme…Enfinbref.Oùvis-tu?

—ÀHélèneGrove,surlelacKaloa.

Elleaunhoquetdesurprisesiviolentquejereculeuninstantmedemandantsiellenevapasmevomirdessus.Elleporteensuitelamainàsabouche.

Pourquoil’annoncedecettemaisonchoquetoujoursautant?

—Excuse-moi,sereprend-elledesavoixtrèsdouce.Jetedépose.Onyva?Monvéhiculeestpar-là.

Surunparkingàproximité,Coradéverrouilleunevoiturequimefaitsortirlesyeuxdelatête.

Seigneur,Marie,Joseph!

—Turouleslà-dedans?!

Jenesaismêmepascequec’est.

Jamaisvuunenginpareil.

C’estuncabriolet,de luxe,ça,c’estsûr.Avecunecalandreovalestriéeetornéed’untridentauxliserésrouges.Saligneestgalbéeetsasilhouetteharmonieusecoupéepourseprendredanslevent.Sacapoteestrabattue.

Sous la lumière d’un reverbere, le blanc de la carrosserie chatoie dans des nuances variées enjouantavecdesrefletsbleutés.

Corahausselesépaulesetfaitletourenpassantdevantlagueuledumonstrepourmonter.J’ouvrelaportièrepourm’installer.Wouah…

L’intérieurm’estomaque;lemêmetridentornelatêtedesquatresièges,çasentlecuiretlesens-bon.Unpetitsapinvertestaccrochéàsonrétroviseurintérieur.JemesenscommeCendrillondansson carrosse. La souillon vient de se transformer en princesse. Tout est en cuir d’Alcantara àl’intérieuretenfibredecarbone.Letableaudebordressembleàunvéritableordinateurcentral.

Coramemontrecommentm’attacherauxsiègesbaquets.Jecroisquec’estbienlapremièrefoisdemaviequejemontedansunevoiturecommeça.

—Qu’est-cequec’est?jesouffle.

—MaseratiGranCabrioMC.Monbeau-pèrea tenuabsolumentàm’offrirmapremièrevoiture.Celle-ci est très agréable sur la route. On ne sent presque rien. Et puis la boîte de vitesse estautoadaptative.C’estunevoitureintelligente.Elles’adapteàmaconduite.J’aimebien.

Jejetteunœilàlaboîtedevitesse:sixrapports.

—Combiendechevaux?

—Quatrecentsoixante.C’estunV8.

OK.Doncunevoitureàsixchiffres.

—Tuesriche.

C’estsortitoutseul.Pasquej’aiquoiquecesoitcontrelesriches,non,maisjenecomprendspasqu’unefilleroulantenMaserati,puissefairelaplongeavecmoidanslescuisinesduRubis.

Heureusement,Corane leprendpasmal.Elle rit et démarre.Le rugissementdumoteurme faitbondirdansmonsiège.Merde.C’esténorme.

—Monbeau-pèreestfriqué.Moi,j’essayedem’émanciper,tuvois,maiscen’estpasfacile.

Coraesttrèscourageuse,c’estadmirable.

Lavoitureestagréableetonnesentriendesaspéritésdelaroute.LavoixapaisantedeNoraJonessediffusedansl’habitacleetm’aideàmedétendre.

—LatutricedeZacaussiauneMaserati,maisuneGranCabrioSportparcontre.Rougerubis.

Latutrice?

—Iln’apasdemère?!

Corasemordlalèvresupérieureetsembleregretterd’avoirparlé.

—Je…Non,iln’apasdemère,maisunetutrice.Etunetrès,très,bellemaisonaussi.

—Oh.

Je ne sais pas trop comment prendre cette information. Pour éviter d’y penser maintenant, jedétournelaconversation.

—Pourquoies-tusisurprisequej’habitelamaisonsurlelac?

Macollèguesecouesescheveuxbrunsmi-longs.

—Oh,neleprendspasmal.J’étaisjusteétonnée.

—Pourquoi?

—Parcequepersonnen’auraitl’idéedevivrelà-bas.TusaisaprèslamortdeLara…

Unfrissonmeparcourt.Noussommesdéjàdanslaruequidescendverschezmoi,verslelac.

—Lara?Quic’est?

Corasetourneversmoi,clairementchoquéequejenesoispasaucourant.

—Bah…tu…enfin…tunesaispas?

—Non.Raconte-moi.

Ellehésiteunlongmomentpuisfinitparlâcherlemorceau.

—Laraétaitlameilleureamiedesgarçons.Tusais,lesAnges.

—Elleestdécédée?

—Oui,ilyatroisans.Elles’estnoyée.

JeregardelelacKaloadontlesombressedessinentderrièrelamaison,souslaluneéclatante.

—Noyée…

Moncœurs’estbrusquementmisàbattreplusvite.

—Oui,danslelac.Ça,c’étaitsamaison.

11

Lechantdessirènes

Mia

Impossibledefermerl’œil,pastantqu’ilneferapasjourentoutcas.Jenesuispastrèscraintiveconcernantcegenredechosesengénéral,mêmesijesuispersuadéequenotreâmedemeureaprèsnotremort.Maislà,ilfautdirequelasituationesttrèsparticulière.Commentdormirensachantquejesuisdanslamaisond’unefilledécédée,noyée?Jen’aimepastroplesâmestorturées.Vraimentpas.

Jepassebiendeuxheuresàfixerlesétoilesparmonveluxouvert.Lecielestdégagéetilfaitdouxsous les toits.Àmon réveil digital, il est presque 04 heures et demie et je sais que je ne vais pasréussiràfermerlesyeux.

Dehors une chouette hulule, des claquements d’ailes me parviennent, je crois même entendreaboyer.Touscesbruitsnemedérangentpasd’habitude,maiscesoir,jesuisunpeustressée.

Ensoupirant,j’attrapePeggyetlaposesurmonventreenjouantavecsespattes.

—Oùest-cequejesuistombée,Peg?

J’ail’impressionquesiellepouvaitmerépondre,elleleferait.Maistrèsvite,monespritn’enpeutplusdecestergiversationsstériles.Alorsjemelèveetdescends.D’abordàlacuisineoùjemetsmabouilloirevintagesurlegaz,enmêmetempsquejeprendsmabouleàthéetunetassepourymettreunmélangedethévertaucitron.Puisjeretourneàmonbureau,oùjem’assiedsetouvremonApple.Danslabarrederecherche,jetapelespremiersmotsquimepassentparlatête.

LacKaloa–noyade–Lara

Mêmesijenesaispassijevaisobtenirquelquechoseavecça.Ilfauttrierentrelesfaitsdiversdenoyadequin’ontrienàvoiretlesinformationssurlarégiondeKaloa.

Maissurunsitedecontesetlégendes,jetombesuruneréférenceauLacKaloa.

« […] tout comme le Lac Kaloa qui fut au cours du siècle dernier spectateur du changement

climatique.Lasécheressesévèredel’annéesoixante-dix-huitamenaauxriverainsd’HélèneGroveetd’Eponacunebienétrangemerveille.Lesneufhectaresdulacétantpetitàpetitasséchés,lesbordierseurent l’heureuse surprise de découvrir une ville fantôme sous-marine jusque-là inconnue deschercheurs.Datantdudix-huitièmesiècle,selonlesétudesscientifiquesdegrandeampleurquiontétéréalisées,lescurieuxontpuadmirerunvillageentierpresquetotalementintact,seulementrecouvertde limon. L’architecture de ces maisons posséderait une forte ressemblance avec l’architectureancienneHawaïenne,tailléedanslapierre,larocheetlesrécifscorauxquisemblentprovenirdelaBaie aux Singes. Mais selon le professeur Zelistky, grand chercheur russe, les périodes necorrespondraientpas.Toutlemystèreestgardésurcettevilleengloutie,quiaétéplacéesoustutelleduMuséumd’Histoire naturelle deKaloa.Labaignade y reste interdite.Uneouverturedubarraged’Eponac, après les pluies abondantes de soixante-dix-neuf mettant fin à la sécheresse, permit deremplir de nouveau le bassin, sous les conseils des scientifiques afin de préserver dans son étatl’étrange et insondable ville engloutie. Une chose est sûre, lors de son assèchement, les riverainspurentconstaterl’absencedelalégendairesirèneauxcheveuxd’orquiauraitfaitdulacsamaison.Néanmoins,desannéesplustard,aprèsquelquesmalheureuxaccidentsetnoyades,malgrélefaitquelarégionsoitprotégée,lalégendedemeuretoujoursdanslecœurdesenfantsquiontgrandiprèsdel’étrangelac.»

Ah!!!

Un sifflement assourdissant me fait bondir et presque tomber de ma chaise. Je me rattrape dejustesse.Mabouilloiresurlefeu.Tropimmergéedanscetarticle,jel’avaisoubliée.Jeretourneàlacuisinepouréteindrelegazetverserl’eaubouillantesurlethé.

OK,Mia,respire.Ilfautteremettredetesémotions.

Mamèreavraimentledondememettredansdessituationsinextricables;commesij’avaisbesoind’habiterenplussurunezoneprotégéequiattireleregarddetoutlemonde,justepourfairedemoilanouvelleattractionducoin.Biensûr,avectoutça,personnen’auraitl’idéedevenirhabiterlà.

Unbruitsourdàlavitresurmadroitemefaitbondirencore.

MonDieu!Maisçavas’arrêter,oui?!

Lechatrayédegrisetdenoir,quej’aiaperçulejourdemonarrivée,estdeboutsurlereborddelafenêtre,m’observantàtraverslavitre,avecsesyeuxjaunesauxpupillesdilatées.

Il miaule au travers du panneau de verre. J’aime les chats, leur ronronnement apaisant et leur

affectionsansfaille.Maiscesontaussidesbêtesmystiques.Ilsmefontpeurparfois.Commesidansleursyeux,onpouvaitvoirqu’ilsensaventplusquenousn’ensauronsjamais.Cesontdesanimauxintelligents.

J’ouvrelavitrequandmême.

—Bonsoir,toi.

Lefélinmerépondparunmiaulementets’étireengonflantdudos.Ilauncollieravecuneclochequi tintequand il segratte. J’essayede regarderdoucementsans lui fairepeuret sur lecuir rougevieilli,estmarquéMinuit.

—Bonsoir,Minuit.

Ilmiauledenouveau.Cedoitêtresonnom.Jeluiflattel’encolureavecréserved’abord,maisilselaissefaireavantdesauterprestementetdefuirverslesalonenfaisanttintersaclochette.

Génial.Iladécidédesquatterici.

Jereprendsmatasseetretourneàmonordinateur,alorsquelechats’estinstalléconfortablementsur le canapé. Ilme regarde faire. C’est assez bizarre. Je n’ai pas eu de chat depuismes dix ans,depuis que lemien a disparu, un jour, sans raison. Je recherche de nouveau quelque chose sur lamaisonoùjevisetsurlafamillequiyahabitéavantmoi.Aprèsdespagesetdespagesinfructueuses,jetombesurunarticledujournallocaldatantbiend’ilyatroisans.

Bingo!

« Ce samedi 25 novembre, aux abords du lac Kaloa, un des géologues agréés par le Museumd’Histoirenaturelle,faisantdesrecherchesdanslecoin,afaitunemacabredécouverte.Lecorpssansvied’unejeunefilleflottantparmilesherbeshautesducôtéd’HélèneGrove.

Ilauraitdonnél’alertedèssadécouverte.Lajeunefille identifiéecommeétantLaraLarson,unehabitante de proximité, serait morte noyée depuis la veille au soir. L’autopsie ne révèle aucuneagression.Lathèsedel’accidentaétéapprouvéeparlesautoritésdeKaloa.

Lajeuneadolescentededix-septansauraitpasséleweek-endseule,chezelle,enl’absencedesesparents,voyageantsurlecontinent.

Lepèredel’adolescenteseseraitexprimésurlefait:“Mafilleagrandiprèsdecelac,celafaitdixans que nous vivons là, elle ne s’y est jamais baignée, elle ne savait pas très bien nager. Lara

connaissaitlesdangersd’unebaignadeensolitaire,jenecomprendspas.”

L’effarementdesparentslaissaplaceauxmultiplesquestionsrapidement.

Ques’est-ilpassécesoir-làpourquel’adolescentedécidedes’aventurerseuleprèsdulac?

Aucuneprésenceextérieuren’aétémentionnée.L’enquêtesepoursuitavecl’équipedeplongeursetl’équipecynophiledelapolicemunicipaledeKaloa.»

Ilyaunephotod’elle.Brune,avecunairespiègle,elleestjolie.Étaitjoliedumoins.

Jeme sensbizarre de savoir que je vis dans lamaisonoù elle a grandi.Unepartie en tout cas,puisquel’autren’estpashabitable.

Ainsidonc,c’étaitellelameilleureamiedesAngesetelleestdécédée?

Comment?Qu’est-cequ’illuiestarrivé?

Jemedemande justesi samortaquelquechoseàvoiraveceux.Est-cequ’ilsétaient là?Est-cequ’ilsysontpourquelquechose?Pournepasposerlaquestionfatale.

Non, quandmême, je doute qu’ils soient capables de tuer quelqu’un. Et puis s’ils n’ont pas étémêlésàl’enquête,c’estqu’ilsnedoiventrienàvoirdansl’histoire,hein?

Ilsm’ontdansleurlignedemire,alorsj’espèrebien.

Jefrissonnealorsqu’ilfaitchaud,monsentimentdemalaises’accentue.Etpourlatroisièmefoiscesoir,jesursaute.Montéléphonevibresurleboislaquéetaffichel’arrivéed’unnouveauSMS.

Àcetteheure-ci?

Jedéverrouille.Messagedeceluiquej’aienregistrécomme«lacalamité».Non,maisqu’est-cequ’ilmeveutencore?Surtoutà05heuresdumatin.

*Onades insomniesGilmore?Tudevraisdormiretnepas laisserMinuitentrer. Ilva teréveillerpoursortirdemain.Jet’airéservéunesurprisevendredi.

J’enrenversemonthéethoquettedestupeur.

Que…quoi?!

Jerelisunenouvellefoisletextoetmelèvebrusquement,lecœurbattant,enregardantautourdemoi.Leseulvoletextérieurquejen’aipasferméestceluidelacuisine.

Est-cequ’ilm’observe?Jem’ydirigepresqueàreculons.Moncœurs’estmisàbattredansmondoscettefois.Nonseulementc’estunconnard,maisdoubléd’unvoyeur!Ets’ilétaitplusqueça?

J’ai envie de hurler, d’appelermamère au secours. Il fait nuit noire, je suis toute seule et sanspersonnepourmevenirenaides’ilm’arrivaitquelquechose.

Dans la cuisine, je scrute avec une appréhension nouvelle, la vitre qui est restée ouverte aprèsl’entréedeMinuit.Jedoisvraimentprendremoncourageàdeuxmainspoursortirlepoingetfermerlevolet.Jemedemandemêmesijenevaispasmourirdepeurenlefaisant.

MonDieu…

Unefoisenfermée,jeverrouilleletoutetfaisletourdespiècespourvérifierquetoutestbienclos.Parano,jem’assureaussiqu’iln’yariendanslasalledebain.Oupersonne.

Unnouveaumessagemefaitpalpiterlecœur.

*Peureuse!

Jetapetrèsvitepourrépondre.

* Espèce demalade ! Ça t’amuse ? Tu es un voyeur en plus d’être un connard ingérable ?! Je tepréviens,situm’observesencore,jeporteraiplainte.Etjepeuxappelermononcleaussi.Ilvitàcôté.Enmoinsdedeux,ilvatemettrelatêteaucarré!

Jem’assiedsfébrilesurmoncanapélorsquel’idéed’allermecoucheravecuncouteaucachésouslematelasme frôle l’esprit. Oui, c’est extrême,mais je deviens vraiment parano. Tous les bruitsdehorsmeparaissentsuspects.Ilmerenvoiedessmileysquipleurentderire.L’enfoiré.

Lechatvients’installersurmesgenoux.Ilfaudraquejerecherchesonpropriétaire.Sûrementunvoisinparlà.

Nouveaumessage.

*Lukeetmoisommesdetrèsbonspotesaucasoùtul’ignorerais.T’inquiètespasGilmore,j’aiautrechoseàfairequetemater,moi.Bonnenuit.Rêvedemoi.

Jepourraislefrappers’ilétaitenfacedemoi,cetteespèced’imbécile.Lafaçondontildit«moi»,eninsinuantquejepassemontempsàleregarder,melaissevraimenttrèsénervée.

Jenesaispascomment,maisjefinisparm’endormir,sansdouteàcausedelafatigue.

**

En effet, j’ai été réveillée par lemoelleux d’une patte surmon visage et une langue râpeuse etchaude,celledeMinuit,commeIsaacavaitdit.

Jel’ailaissésortir,maisilamiauléencontinu,alorsj’aimisdel’eaudansunrécipientetaiouvertuneboîtedethon,qu’ilnes’estpasgênépourdévorer.

Aprèsavoirregardésonscrotum,jesuismaintenantsûrequec’estunmâle.Cequiresteflou,c’estl’identitédesonpropriétaire.ÉtantdonnéqueIsaacleconnaît,d’aprèssonmessagedecettenuit,jepourrai lui poser la question.Mais rien qu’à l’idée de lui demander quelque chose, mes poils sehérissent.J’enparleraiàLuke,ilsaurapeut-êtrelui.

Aprèsma séance de yoga, un peumoinsmatinale que d’habitude, je décide de faire le tour dudomaine.C’estvraimenttrèsgrandici.

Dans la remise, jen’ai rien trouvéd’intéressant àpart quelquesoutils et cevélodont Isaacm’adérobélamoitié.Etl’avantdelafantasquemaisonestinaccessible:lesportessontfermées,bloquées.J’imagine que les propriétaires ne tiennent pas à ce qu’on y entre sauf pour les futurs travaux derénovation.Cequiestcompréhensible.Minuitmesuitpartout,s’arrêtantquandjem’arrête,repartantlorsquejerepars.

Unpeuplus loinsur ledomaine, jedécouvreunvieuxpuits,mais ila l’airasséché.Derrièrecedernier,auborddelaforêtd’Eponac,setrouveuncheminbordéderoncesquejemeprometsd’allerexplorer plus tard. Décidément, ce lieu est plein de secrets et de questions. Une ancienne plaqueindique«chutedeBarbaneàpied».IlmesembleavoirentenduAshtonetLidyparlerdecetendroit.Ilfaudraquejemerenseigne.

Jemebaladeensuite,avecméfiance,surlepontonquis’avanceunpeusurlelac.Maisilnebouge

pasd’unpoiletal’airparfaitementsolide.

Jeregardeau-dessousdemoi,sansosertropm’approcher.Riennetransparaîtdansl’eauàpartlesrefletsdesnuagesetducielcouvertetaucunetraced’unequelconquevillesous-marine.

J’écoute le bruissement du vent dans les herbes hautes et folles, le sifflement de la brise sur lecalmedulac,leclapotementdespoissonsquisautentàlasurface.Maisaucunbruitquiindiqueraitlaprésenced’une«sirène».Jerismoi-mêmedemesbêtisescarcesontdeshistoiresqu’onraconteauxenfantspourleseffrayeretpourqu’ilsévitentd’allersebaignerdanslelac.

Lerestedelajournéepassetrèsvite.Deuxheuresautéléphoneavecmamèrequin’atoujourspastrouvédeboulot.Aprèsavoirétéuneartistepeintrereconnuedanssondomaine,sacôteenaprisunsacré coup avecmes conneries.À cette allure, elles ne pourront pas venirme voir àNoël et celam’attristeunpeu.

**

Cesoir-là,aubar,aucunsigned’IsaacoudeM.J.,ettantmieux.

Coras’estproposéepourmeraccompagneràlafermeture,jusqu’àlasemaineprochaine.Jusqu’àceque j’aimavoiture.J’essayederevenirsur laconversation«LesAnges&LaraLarson»,maisCoraestcatégoriqueetrefused’enreparler,allezsavoirpourquoi.Maisdanslecoin,çaàl’aird’êtreunsujettrèssensiblealorspourl’instant,j’abandonne.

**

Cevendredi,exactementcommelaveille, jen’aipasbeaucoupdormi,réveilléeparMinuitàquij’aimêmeprislapeined’acheterdescroquettes.

Ilest11heuresetjenesuispasretournéeaucentrepourjeunescommej’auraisdûcematin.Luke

vamedétesteretcettefemmeaussi, lamèredeGabriel.Maiscen’estpasgravecar ilsm’énerventtousavecleurshistoires.Jemetâtemêmeàalleraucoursd’artcetaprès-midi.Apparemment,Isaacm’aréservéune«surprise».C’estcequ’iladitdanssonmessageentoutcas.Aurait-ceunrapportavecmonblocdedessins?Etleconnaissantunminimum,jedoutequecesoitunebonnesurprise.

Finalementà forced’hésiter, je finisparprendremoncourageàdeuxmainsetdécided’yaller,malgrémonretard.Etjecomptenepasmelaisserintimider.Jesaismaintenantquejevislàoùvivaitleur meilleure amie et peux comprendre que cela puisse les déranger. Ils ont dû passer de bonsmomentsiciavecelleetvoirquequelqu’und’autreviennedanssonanciennemaisontroisansàpeineaprèssondécès,doitraviverdedouloureuxsouvenirs.

Sauf que moi, je n’y suis pour rien et suis venue ici sans même avoir entendu parler de cettehistoiresordide.

**

Arrivée àConstance, je cours dans les couloirs et grimpe enquatrièmevitesse les gigantesquesescaliers du bâtiment des arts, plus communément appelé « l’œuf », pour essayer de rattrapermesminutesderetard,carjedétesteêtrelecentredel’attentionetneveuxpasmeretrouveràdébarquerdevantlesautres.

Quandjepasselaportedelasalledeclasse,jem’arrêtenette.MadameDiazn’estpasencorelà,lesélèvesdiscutententreeuxdansunjoyeuxbrouhaha.

Cependant,Miguel,IsaacetAntheanesontpaslesseulsAngesdujouràsuivrececourscarilssonttouslà.Lescinqgarçonsquiontdécidédemeprendreengrippe.

GabrielfaitlesbeauxyeuxàAnthea,AshtonsedisputeavecM.J.,IsaacparleavecMiguelquin’apasl’aircontent.Ilssetournenttousversmoiquandjepasselaporte.

Enviedemecachersousterre.

Ilsme fixent tous en train de rejoindre une place vide alors que presque aussitôt, le professeurentre

Jenelesobservepas,cependantleursregardssournoissonttousbraquéssurmoi.Celuid’Isaacme

brûlelapeau.

—Voyons,voyons,s’exclamemadameDiaz.Ilyabienplusdemondeàcecoursqued’ordinaire.LesfameuxAngesaucomplet.Quemevautcethonneur?

AlorsmêmelesprofslesappellentlesAnges?!

—Vousnousavezmanqué,répondGabriel.

—J’ensuisflattée,monsieurFitzgerald.Maisjenevousconnaisquetropbienetpréfèrevousdirequesivousperturbezmoncours,jevousmettraiàlaporte.Vousêtesprévenus.

Lesgarçonsgrognentencœur.

—Mais…qu’est-cequececi?interroge-t-elleensetournantversl’immensetableaublancderrièresonbureau.

Elleretiresavesteetobservetouslesdessinsaccrochésavecdespincessurlacordependanteau-dessusduplandetravail.

LesAngescommencentàriredoucement.

Alorsseulement,jerelèvelatête.

C’estquoiça?

Jenny,uneélèveducours,sepenchepourmurmureràmonoreille.

— Je n’aurais pas pensé que tu étais si ronde dans ton enfance. Tu es tellement maigremaintenant…Oh,maiscen’estpasunreproche,aucontraire.

Etellemetapotelamainavecbienveillance.

Moi,jesuispluspâlequ’unlingeayantétéessorémillefois.DesdizainesetdizainesdedessinsenformatA3sontaccrochésetreprésententtousunepetitefilledeneufansenmaillotdebain,avecdesbrassières,aubordd’uneplage.Elleest ronde,presqueobèsepoursonâge.Maisellea le sourireinnocentdel’enfance,celuiquiprouvequ’elles’enfiche.

Mesmainstremblentmaintenant.

Sur ces croquis, c’est moi. Je reconnais parfaitement la photo, le maillot rose et vert à pois

immondeettoutecettegraissequipendouille.Çamedonneenviedevomir.

J’étais boulimique.Un des souvenirs que je ne souhaite pas garder,même si j’en conserve desséquellesencoreaujourd’hui.

AmandadaigneenfinrépondreàmadameDiazquisembleperplexe.

—Maisprofesseur,c’est l’exercicequevousnousavezenvoyéparmail !La reproductiond’uncliché, en technique libre, elle se tourne versmoi, mais Gilmore, si ça avait étémoi quim’étaisproposéepourdonnerunedemesphotosdejeunesse,j’enauraisprisunemeilleurequecelle-là.Elleneteflattepasvraiment.

Jesuisétaléeàlafacedetousetmonenfance,sousleregarddetousmescamarades.Onpeutvoirsurlescroquis,laplagedemavilleainsiquemesrondeursd’ancienneboulimique.Ilsonttousmisdesheuresàmereprésentercommeça.

Aprèsavoirpâli,monvisageestdevenurougepivoine,puisvertlimace.

Jejurequejevaisgerber.

MadameDiaztentedecomprendreetexpliquequ’ellen’ajamaisenvoyédemail.Ellemeregarde,complètementinterdite,commesij’avaislaréponse.

Les poings serrés surmon jeans, je ne sais plus quoi faire. Jeme lève, les arrache et les leurbalanceàlagueuleoujemecasse?

Maisenrelevantlatête,Isaacmefaitunclind’œilenmurmuranttoutbas.

—Surprise.

Salaud.

Est-cequejeletuemaintenant,ouj’attendsunpeu?

La colère surpasse le sentiment de honte et cette envie de mourir que j’ai. J’ai connu nombred’humiliationspubliquesdansmavie,ohoui,etcedèsl’enfance.Maislà,c’estlagoutted’eauquifaitdéborderlevase.

Jefaispassertoutelaragequejepeuxdansleregardquejeluilance,maisravalemeslarmespournepasparaîtrefaible.

Horsdequestiondepleurerdevantlui.

Ilm’envoieunbaiservolé.Letraître.L’immondevipère.Lesalopard.

—MademoiselleGilmore?interrogelaprof.

Jerassemblelepeud’affairesquej’avaissortisurlatable.

Enviedemourir,delestuer.Unevraieenvie,cellequel’onneressentquerarementetquiprouvequel’êtrehumainàsesfailles.

Est-cequejesuisdevenueunmonstre?

JemelèvesouslesregardsmédusésdemescamardesetsousleshurlementsderiredesAngesetd’autresencorequiontcompris.

Jenesupporteraipasça.

—MademoiselleGilmore,qu’est-ceque…

EnbousculantmadameDiaz,jequitteprécipitammentlasalle.Ilfautquejerespireetquejesorte.

Danslesescaliersquimènentàlasortie,jem’arrêtebrusquement,saisied’unterriblevertige.

Commenta-t-ileucettephoto?!

Merde…

Elleétaitdansmontiroiràculottesetilestentréchezmoi.

12

Thesoundofsilence

Mia

Lepireenmoijeleconnaisetl’aidéjàaffronté.Jesaisdequoijesuiscapableetmelesuisprouvé.

Le pire chez les autres aussi. Le pire de l’être humain : entre les humiliations publiques, lesinsultes,l’affichageauxyeuxdesautres,latorturepsychologique,moraleetsurtoutphysique.

Alorsjeravalemeslarmescarilestinutiledepleurer.Leharcèlementàl’école,jeconnaisetsuiscapable l’encaisser.Si jenemesuispaspendueououvert lesveinesces troisdernièresannées,cen’estpasaujourd’huiqueçavametraverserl’esprit.RienquepourArizonaetmamère,jenepeuxpasfaireça.Ellesontsacrifiétellementpourmoi,queçaneleurrendraitpasjustice.

Maisc’estmalmeconnaître,IsaacMiles,situpensesquejesuisdugenreàm’écraser.Jemesuisbattuecontreplusfortparlepassé.

Laguerreestdéclarée.

**

Uneheurequejesuisassiselà,surleponton,avecMinuit,àfixerlelacbrillantsouslesoleildecedébutd’après-midi.Cechatadécidéderesterici,peut-êtrequejedevraislegarder?Au-delàdeça,monespritestenmode«recherched’uneidéebrillante»,pourmontreràZacqueçanem’atteintpas.

Cetidiotestvenufouillerchezmoietafouillédansmontiroiràculottes.Parcequec’est làquej’avais rangé la fameuse photo. La seule de cette longue période que jeme suis jurée de ne plusjamaisrevivre.Ilajustesuffideçapourmerappelercequeçafaitd’êtrehumiliéeetjugée.Maisjemesuiségalementsouvenuedetoutcequej’aiaccomplipourm’ensortir.

Isaacestentréchezmoietils’estservi.

Jem’étais jurée que plus jamais aucun homme nemettrait les pieds dansma vie sans que je leveuilleetjeneveuxpasd’IsaacMiles.Vraimentpas.

RéfléchisMia…

Jeflattel’encoluredeMinuitetluifaisdespapouillessurleventre.Minuit?

Eurêka!J’aitrouvé.

Enfin,siçafonctionne,aprèstoutquinetenterienn’arien.Maisjegardeentêtequequisèmelapluierécoltelatempêteetilsepourraitquejesoisfoudroyéeparl’éclairvengeurd’IsaacMiles.Peuimporte,laguerreestdéclaréeetapparemment,touslescoupssontpermis.

Je jetteuncoupd’œilàmamontre :simadameDiazne lesapasmisdehors,alors lecoursn’acommencéquedepuistrenteminutes.Ilmeresteencoredutemps.Timingparfait.

Deretouràlamaison,jefilesurmonPCetentresurlesitedeConstance.Ilyaunespacepourlesétudiants,contenantdeslistes,lesconsignesdesdevoirsmaison,leshorairesdesleçons,leséchangesdedossiersetj’enpasse.

Dans labarrederecherches, j’inscris lenomdeMiles.Aucunmalà trouversasale têtedebeaugosseinfâmeainsiquesonadresse.Jesuisungénie.

J’ouvremonfrigoetprendsl’objetdudélitavantdelefourrerdansmonsac,bienenroulédansunsacenplastique.

Adresse enmains, je file pour prendre le bus. Si j’en crois ce qu’il y a d’écrit, je devrais êtrearrivéeenmoinsdecinqminutes.IlhabiteàEponac,c’est-à-diredel’autrecôtédelacolline.

Lenomestbizarrequandmême.

«1486,DomainedesPaonsbleus,EponacKT,Kaloa.»

Jeregardesanscessemamontre.Ilmefautdutemps.Dutempsetdelachance.

**

Quandlechauffeurdubus,unpeubourru,medéposeàproximitédemadestinationetquej’atteinsl’endroitdontj’aidégotél’adresse,j’ailesmêmesréactionsquedevantlavoituredeCora.

MonDieu…

Autantdirequemalanguetraîneparterretellementjesuisabasourdie.

Ilvitlà?Cetimmondetraître…Ilestplusrichequejeneleseraijamais.Normalqu’ilsepermettedeboireduMacallanaubarduRubis!

C’estbon.Jeledétesteofficiellement.Moi,lafillecomplètementfauchée,sansunsoudecôté.

Jen’aiévidemmentriencontrelesriches,commejel’aidéjàdit,maisquandilssontriches,consetcruels,alorslà,c’estunetoutautrehistoire.

Degrandsmurs de pierres vieillies séparent le domaine de la route. J’hésite un instant à passerl’immenseportaildeferforgégrandouvert,surlehautduquel,onpeutlire,enlettresincurvées,lesmotsDomainedesPaonsbleus.

Au-delà,jenevoisquedesplendidesarbres,fruitierspourbeaucoupd’entreeux,etunincroyableparcnatureld’unvertmousseux,baignéparlatiédeurdusoleil.

Mesbonnesintentions,ouplutôtmauvaises,enprennentuncoup.Est-cequejesuissûredemoi?Decequejeveuxfaire?Non,évidemmentquenon.

Etsitoutçatournaitmalpourmoi?Touttournedéjàmaldetoutefaçon,alors…

L’alléebordéedepinsetdegrandsthuyasduPacifiquem’impressionnedéjàetannoncelacouleur.

J’entendslebruitd’unetondeuseauloin.

Ets’ilétaitrentréchezlui?Non,ilestencoretroptôtpourça.

Au détour d’un séquoia, je l’aperçois, la fameuse maison où il vit. J’en ai le souffle coupé etm’arrête pour la contempler, au milieu des arbres, avec une immense cour gravillonnée où sontgaréesdeuxmagnifiquesvoituresde sport.Lademeure est démesurée, dansun style colonial, trèsNouvelle-Angleterre,avecdesbardeauxdecèdredélavés,despentesde toits très, trèsabruptes,unbow-window{36}au-dessusd’unperronbordédecolonnadesetdesouverturesimmensespourlaisserlalumièrepénétrer.JemecroiraisdansAutantenemportelevent.C’estmagnifique.Jenesaisplusoùdonnerdelatête.

Sur la gauche, une habitation plus petite se dresse également, avec la plaqueRoseCottage. Ellesemblefermée.

EntouréederosesbleuesduPacifique,appeléesBlueMoon,d’oiseauxduParadis,etàproximitéd’unmagnifiquearbreduvoyageur,l’imagemesembleirréelle.

Jesursautequandquelquechosepassedansmonchampdevision.Unpaon.

Attends…quoi?!

Aprèslalangue,cesontlesbrasquim’entombent.Unpaonsebaladeenlibertédanslejardin!

Unpaoncomme jen’enaivuqu’auzoooudans les livres.Unpaonbleuavec sa longuequeuechatoyanteauxrefletsvertd’eau.Jeleregardesedandineretfilerversl’arrièredelamaison.

Nous,leshumainslambda,avonsdeschiensetdeschatscommeanimauxdecompagnie.Lui,ilaunpaon.Génial.

JecontournelaMaseratiGranCabrioSportrougerubisetl’AstonMartinVantagenoircarbone.Ondirait une Batmobile, cette voiture, avec ses roues quatre fois trop grosses et sa ligne basse etmusclée.

Monstressgrimped’uncranquandjemeplantedevantlaporte.

RespireMia.Souviens-toipourquoitueslà.

Leporcheestsousl’emprised’unenuéed’orchidéessauvages.

Jefrappesurl’immenseporteenbois.Elles’ouvremoinsdedixsecondesplustardsurunefemmeplutôtâgée.Elleporteun tailleurgrissouris,de lamêmecouleurquesescheveuxtirésenarrière,juranttotalementavecsesyeuxd’unbleuprofond.

—Oui?Jepeuxvousaider?

—Bonjour,jesuisMiaGilmore,uneélèvedeConstance.Jepartageuncoursd’artavecvotrefilset il se trouve qu’il a gardémon carnet à dessins.Alors jeme demandais s’il était possible de lerécupérer.

Lafemmesouritetouvreunpeupluslaporte.

—Oh,MonsieurIsaacn’estpasmonfils,mademoiselle.JenesuisMaggy,lagouvernante.Sivous

voulezbienvousdonnerlapeined’entrer.JevaisprévenirMadameSaint-Clairdevotreprésence.

J’entrealorsqu’ellerefermelaportederrièremoi.L’intérieurestencoreplusimpressionnantquelejardinetlafaçadedelabâtisse.Avecdulambrisclairpartout,dublancàfoison,desmeublestrèscontemporains,maisuncharmeromantiqueàl’ancienne.Desrideauxdelinauximmensesfenêtres,des coussins de soie, des miroirs à ne plus savoir quoi en faire, des bouquets de Blue Moon etd’arumsblanchesdémesurés,poséssurchaqueconsole,chaquetable,etunparfumdefleurambiantcouronneletout.

Maggys’excuseets’éloignepourallerchercherlapropriétaire.Pourvuqueçasepassecommejel’espère.

J’enprofitepourobservertoutautourdemoilestableauxaccrochéssurpresquetouslesmurs.

Parmieux, se trouve,etc’est sansdouteune reproduction,parcequeçanepeutpasêtreunvraihein,untableaudeTamaradeLempicka.IlyaaussiunBallondogdeJeffKoonsposésurlatablebasse.Bon,OK,ilssontriches,ledouten’estpluspermis.

—Vousvousintéressezàl’art,mademoiselle?

Jesursauteetmeretournepour trouverunefemme, lacinquantaine, lescheveuxblondsfrisésetune allurebohèmechic.Une tunique enbroderie anglaise et unpantalonde linblanc, elle se fondparfaitementdansledécor.Sestraitssontdoux,maiscontrastentaveclatonnedebijouxentopaze,ambreetlapis-lazuliqu’elleporte.Elleesttrèsbelleetjejureraisqu’elleaunaccentétranger.

—Euh…oui…je…j’aimebeaucoupTamaradeLempicka.

Lafemmesouritetdésigneletableaudelamainenfaisantcliquersesbracelets.

—Monmarimel’aoffertilyabienlongtemps.Commesicelapouvaitrachetertoussespéchés…

Jedétourneleregard,gênée.Est-cequec’estunvrai?

Maisellemetendunemainchaleureuse.

—MademoiselleGilmore,c’estça?JesuisLouiseSaint-Clair.Latutriced’Isaac.

Eneffet,elleaunaccentfrançaisetunnombienfrançaisaussi.

—Enchantée.Excusez-moidevousdéranger…jebredouille,plusdutoutsûredemoncoup.

—Iln’yapasdemal.Lesamisd’Isaacsonttoujourslesbienvenusdanscettemaison.Maisdites-moi,quelleestlaraisondevotrevenue?Zacestencoursencemoment.

—Je…Ilm’aempruntéuncarnetquejesouhaiteraisrécupérer.Iladitquejepouvaisleprendre.Ildoitêtredanssachambrenormalement,surlebureau.

Faitesqu’ilaitunbureaudanssachambre.Sinon,monmensongetombecomplètementàl’eau.

—Ilnem’avaitpasditque…

La sonnerie stridente d’un téléphone nous interrompt.Madame Saint-Clair décroche rapidementsurunsecrétaireenboisdansuncoinetdiscutequelquessecondesavecsoninterlocuteur.

—Oui,Josyane,jelesais.Laventedevrasefairelorsduvernissagesinonilseraperdu.Maisj’aidesacheteurspotentiels…attendsuneminute,s’ilteplaît.

La dame aux longs cheveux blonds lève lamain dansma direction, puis bouche le combiné ens’adressantàmoi.

—Jevaisenavoirpourunpetitmoment.Montezdonccherchervotrecarnet!Lachambred’Isaacestaupremier,ladeuxièmeporteàgauche,surlamezzanine.

J’aiunechancedemaladeetm’enrendscompte.

En hochant la tête, je file vers les immenses escaliers surma droite, le plus vite possible, sansparaîtremalélevée,alorsqu’ellereprendsaconversation.

Lesmurs sont couvertsdephotographies ennoir etblanc :despaysages,desvisages,desboutsd’étoffes, des anglesmorts, des détails très subtils qui rendent les images saisissantes.Mais je neconnaispasl’artiste.

Cettemaisonestvraimentbelleetsurtoutimmense.

Deuxièmeporteàgauchequ’elleadit?Jelatrouvefacilementcarilyaunegrandeplaquerouge,STOPDoNotEnter{37},clouéesurcelle-là.

Quelleironie.

J’ouvrelaportesansétatsd’âmeetlarefermederrièremoi.Ilnes’estpasgênélui,pourpénétrerdansmamaisonsansyavoirétéinvité.

Mes yeux s’écarquillent face à cette immense pièce,mais avant tout aussi, parce que c’est d’unbordelsansnom.Jamaisvuuncochonpareil.Ilyadesvêtementspartout,deslivresàmêmelesol,desdizainesdefeuillesquitraînentdanstouslessens…

Ondiraitquesabibliothèqueetsonbureauvonts’écroulersous ledésordrequirègne.Lelitestdéfaitet…

Ilyacetteodeur,lasienne,quiemplitlapièceetmesnarinespourmefairetournerlatête.

Fahrenheit,chèvrefeuille,musc,cuirettabac.

Merde!Fautquejemeressaisisselà.

Jem’assiedssurlelitetlèvelatête.Cegarsdoitvraimentêtrecinglécarleplafondestrecouvertd’une écriture filiforme : des phrases qui forment des vagues, des étoiles, des arbres, et quis’enroulentetsedéroulent.Ill’aentièrementnoirci.

Jelisquelquesmots.

«Avoiruneidéed’ombre

etd’absolupardon

commel’Adolescent

quivoitlafindumonde

Errerdansl’océanduvide,

âmevagabonde

DevenirAngenoir

audernieréchelon

Avoiruneidéed’ombre

etd’étreinteéternelle

ausondugrandclocher,

ausond’unviolon

Partirlesoirvenu,

etsansraison

Quandl’égouts’éclaircit,

aufonddelaruelle

Avoiruneidéed’ombre,

s’évaporerauloin

commeunegoutteacide

etdevenirquelqu’un

d’autre»

WinstonPerez,1992

Wahou,delapoésie.Lui?Ilaimeça?Iln’estpasnormalcemec.

C’est officiel, c’est un truc de malade mental la poésie. Surtout quand c’est aussi sombre etmélancolique.Ilyadesidéesnoiresderrièrecesvers.

J’observelerestedelapièceautourdemoi:destasdeclichésdesgarçonsetluisontaccrochésau-dessusdubureauetilsprennenttouslaposeauxcôtésdejoliesdemoiselles.Jemelèvepourlesparcourirdudoigt.Surcertainesd’entreelles,ilssontbienplusjeunes,c’estflagrantetilsontl’airdetousvraimentbiens’entendre.L’ensembledesclichésestennoiretblancouensépia.

Le bureau est jonché de feuilles volantes où la même écriture filiforme apparaît. De la poésieencore.

Ilécrit.Benvoyons.

Comment quelqu’un, capable de tant de cruauté, peut aimer quelque chose d’aussi doux que lapoésie?

Etçan’apasl’aird’êtresaseulepassion!Àcôtédulit,trôneuncartonremplid’appareilsphotoneufsouplusanciens,d’accessoiresetdenégatifs.Surl’étagère,setrouveunvieilargentiqueCanon.

Ainsidonc,ilaimelaphotographieégalement.Jemedemandesitoutescellesdel’escaliersontdelui?

J’inspecte sa bibliothèque. Beaucoup de BD, de romans de science-fiction comme Hypérion,Fahrenheit 451 ouFondation d’Isaac Asimov, toute la série desChérub et toute la collection desTomorrowdeJohnMarsden.

Dénotant avec tout ça, à l’étage en dessous, une compilation assez impressionnante d’œuvresd’auteursclassiques, telsqueEdgarAllanPoe,Keats,Wordsworth,ainsiquedesauteursanglaisdudix-neuvièmesiècle.Jecomprendsmaintenantpourquoi ilm’acitéOscarWildeladernièrefois, ildoitêtreunférudelittérature.

Unbruit,enprovenanceducouloir,mefaitsursauter.Zut.Macuriositédéplacéem’enafaitoublierlepourquoidemaprésenceici.

Ilyauncoffredevantsonlit;l’endroitidéalpourycachermonpetitcadeau.

Jevirelescoussinsetl’ouvre.Àl’intérieur,dulingedelit.Bon,commeiln’apasl’airdefairesonlit très souvent ça tombe bien. Je retire le sachet en plastique de mon sac et lâche l’aiglefin àl’intérieur:lepoissonquej’avaisprévudecuisinerpourmoi,maisquivaserviràunautredessein,celuidepourrirIsaac.

Dentpourdent.

Despasdanslesescaliersmeparviennentencore.Jerefermeetremetslescousinsenplaceavantdecherchermoncarnetdesyeux.

Maisoùest-ilbonsang?

Et c’est alors que j’aperçois le portrait de lui, que j’ai fait en classe, dépassant de dessous lesfeuillesvolantesétaléessurlebureau.L’imbécile.Narcissique,enplusdureste.

Jel’attrape,l’épinglesurletableauaveclesphotosdesesamisetplantelecutter,rangédanssonpotàcrayons,aumilieudesonvisage.Déclarationdeguerreofficielle.

Jemeretourneaumomentoùlaportes’ouvreengrand.Louisemefaitunsourire.

—Avez-voustrouvévotrecarnet?

J’essayedemeredonneruneallurenormale.

—Oh,non…jeregarde,maisjenelevoispas…

Elleparcourtlapiècedesyeuxavantdedésignerlelit.

—Ceneseraitpascelui-là?Zacesttellementbordéliqueetrefusequ’onrangesachambre.

Lecarnet,grandouvert,dépassedel’amasdedrapsetd’oreillers.Jerougisjusqu’àlapointedescheveux.Iladormiavecouquoi?Cemalade…

Enplus,ilestpleindedessinsdemoi,departiesdemoi.Mains,pieds,avant-bras,épaules,mêmemes seins, je les ai dessinés au crayon, pour m’entraîner. Et il a tout vu. Même s’il ne se douteprobablementpasqu’ils’agitdemoi.

J’attrapelecarnetetlerefermeaussitôt.

—Si,toutàfait.Merci.

Elles’effacepourmelaisserpasseretmesuitenredescendant.

—Souhaitez-vousresterpourlethé,mademoiselleGilmore?Sloanvientderentreretj’aifaitdel’EarlGrey{38}.

Jeregardel’heureàmamontre.Unedemi-heureavantlafinducours.

C’est lemomentoù jamaisd’enapprendreplus sur lui. Il fautbienconnaître sesamiset encoremieuxsesennemisetjejouealorsàlapetitefillepolie.

—C’esttrèsgentildevotrepart,maisjenevoudraispasvousdérangerpluslongtemps.

—Allons,allons!Quedesottises.Venezavecmoi.

Ellem’entraîneavecellevers l’arrièrede lamaison.Noussortons surune immense terrasseenboistrèsclairoùunemultitudedefauteuils,detables,dechaisesdedétente,detransatsformatlargeetdelitsd’extérieursattendentprèsd’unepiscinedontlefondd’ardoisereflètedeslueursabsolumentéblouissantesàlasurface.Commec’estbeau.

Unemusiques’échappedequelquepartdanslamaison.Jereconnaisl’AllegroVivacedel’ActeIIdePiotrllitchTchaïkovskipourleLacdescygnes,lafameusescènedupasdedeux,ducygnenoir.Quelqu’unaimelamusiqueclassiqueici.

—Venez.

Ellemeguideversune tableoùunassortimentdepâtisserieseuropéennesest étaléàcôtéd’unethéièrechinoisefumante:gâteauxchocolat-Amaretti,macaronsfrançais,Baklavas,traditionnelsPãodeLoportugaisetj’enpasse,ilyenapourtouslesgoûts.

Ellecomptemangertoutça?

— Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Sloan, dix-huit ans, m’informe-t-elle. Elle adore lapâtisserieeuropéenne,alorsj’aicommandétoutçaauprèsdesmeilleuresboulangeriesd’Europe.

MaisquiestSloan,bonsang!

Commepourrépondreàmaquestionsilencieuse,ellemedésigneuneimmensebaievitréesurmadroite.Jejetteunœilàl’intérieur;c’estdelàques’échappelamusique.

Une jeune fille évolue lentement et avec grâce sur le parquet lustré de la pièce. Elle essaye deréalisersespasdedeux touteseule,oualorselledanse toutsimplement.Jen’yconnaispasgrand-chose.Elleestunpeuplusgrandequemoientaille,ilmesemble.Elleportedescollantsblancs,unjuste au corps noir et une tunique rose fluide par-dessus. Ses chaussons de danse abîmés sont decouleurrosepâleégalementetsescheveuxrelevésenunchignontrèsbienfait.Elleestélégante,chicet classe. Son port de tête incroyable et elle a cette manière de bouger qui capte immédiatementl’attention.

MadameSaint-Clairselèvepourallerouvrirlabaie.Jemeboucheinstantanémentlesoreilles;lamusiqueestassourdissante!Elledoits’exploserlestympansenferméelà-dedans!

La maîtresse de maison lui fait de grands signes, elle s’arrête et coupe le son avec unetélécommande. Heureusement que cette pièce semble insonorisée, parce que les autres doivent enbaversinon.

Lajeunefilles’approchedemoi,àlasuitedemadameSaint-Clair,uneserviettedanslesmains.

—Sloan,jeteprésenteMiaGilmore,uneamiedeZac.

Elleasignélesmotsdanslelangagedessignesetparléenmêmetempspourquejecomprenne.J’enrestecoite.Cettefilleestsourde.

Ellesouritetsepenchepourmefairelabise.Jemelaissefaire,totalementdéconcertée.Ellesignequelquechoseàmonintention,maisjenecomprendsrien.

MadameSaint-Clairtraduitpourmoi.

—Elle est heureuse de te rencontrer. Sloan et Zac sontmes deux protégés, jem’occupe d’euxdepuisunmomentdéjà.

Laquestionquimebrûleleslèvresdepuistoutàl’heures’échappetouteseule:

—C’estlasœurd’Isaac?

Lajeunefilleesquisseunlargesourire.

—Ohnon,m’indiquemadameSaint-Clair.SloanetZacn’ontaucunliendeparenté.Ilssontjustetouslesdeuxsousmatutelle.

Lerougememonteauxjoues.Voilà,cequec’estqued’êtrecurieuse.

Nousnousinstallonsàtable.Jesuistotalementintimidéeetilyadequoi.

Jesuis là,àmefaireservirduthéparsa tutriceet l’autrefillequivitsous lemêmetoitquelui,alorsquejeviensdeluidéclarerlaguerreetdelâcherunpoissondanssachambre,quivabienavoirletempsdefermenter.

SloansigneetmadameSaint-Clairmetraduit.

—Elleditqu’ellearriveàliresurleslèvressivousarticulezbien.

J’acquiesce.

Cedoitêtrehorrible.Nerienentendre.Riendutout.Nilebruitduventdanslesarbresnilespasdes gens qui viennent vers vous ni le cri de détresse de quelqu’un ni la voix de vos parents ni lamusiquequis’échappedupiano…Quelesilence.Lesondusilence.C’estcommevivredanslenoirpourmoi.

Jemedemandemêmecommentellefaitpourdanser,ellenedoitrienentendredescompositionsdeTchaïkovski.

—AlorsmademoiselleGilmore…

—Appelez-moiMia,s’ilvousplaît.

—Mia,quefaites-vouscommeétudes?

Laquestionclassique.Àmoilesduresréponses.

—Oh,jesuisjusteélèveindépendanteenartsàConstance.Maisjenesuispasdecursusparticulier.Je…jetravaille.

—Oh.Trèsbien,s’exclame-t-ellelepluspolimentdumonde.Oùvivez-vous?Jenevousaijamaisvudanslecoin.Ilestd’ailleursrarequelesamiesdeZacsoient…simples.Jeveuxdire,pastatouéeetextravagante.

—ÀHélèneGrove.

Autantnepasprécisersic’estpourrecevoirdenouveaudesregardscurieuxoudescommentairesquivontmemettredanstousmesétats.

Sloansigneencoreetfaitdessonsassezbizarresenouvrantlabouche.

Lemalheurdes autres n’arrangepas le vôtre,mais parfois, jemedis que je ne suis pas la plusmalheureuseaumonde.

MadameSaint-Clairtraduitenriant.

—SloandemandesivousêteslapetiteamiedeZac.

Jebaisse lesyeuxetpiqueunfard.J’espèrequ’ellesnevontpascroireça.Moi, lacopinedecetimbécile?Certainementpas.

—Non,non,nouseuh…nouspartageonslemêmecoursàConstance,c’esttout.

—Aimez-vousl’opéra,Mia?

Jehausselesépaules.

—Jen’ensaisrien.Jen’ysuisjamaisallée.

J’avalemonthéetcroquecommeelledansunepartdegâteauAmarettiitalien.

— Eh bien, Sloan joueGiselle trois fois par semaine à l’opéra de St Raphael. Alors si voussouhaitezyaller…

Elleselèveetdisparaîtdansunedespiècesàcôtéavantderevenirenmoinsdedixsecondesetmetendredeuxplaces.

Je bredouille des remerciements alors que Sloan me regarde, toujours un sourire en coin aux

lèvres,et lesyeuxplissés.Dommageque jene lacomprennepas.Ellea l’airpensiveet j’aimeraisbiensavoirsiçameconcerne.

Un coup d’œil àmamontreme fait presque bondir dema chaise. Le cours est fini depuis dixminutes.S’ildébarquealorsquejesuisencorelà,çavabarder.

JenevaispasmelaisserhumilierparIsaacMiles, jenesuispasfollenonplus.Alors ilnevautmieuxpasêtredans lesparagesquand ilapprendraque j’aimis lespiedschez luipour fouiller sachambre.

Çavaêtrelaguerreentrenousmaintenant.Maisuneguerrefroide,àdistance.Jenelelaisseraipasmefairedumalphysiquement.

—Excusez-moi,jesuisenretard.Jen’avaispasvul’heure.

—Oh,déjà?Trèsbien.Vousêteslabienvenuequandvousledésirez.

—Merci,encorebonanniversaireSloan.

Lajeunefillemerendmonsourireetjem’éclipseverslasortie.Dansmondos,j’entendsmadameSaint-Clair.

—Charmante,cettejeunefille.

Charmante,moi?Siellesavaitcequejesuisvenuefaireici,ellenepenseraitpluspareil.

Entoutcas,ilyenaunquinevapastrouverçacharmantdutout.

13

Collision

Mia

Jejetteunœil,encoreunefois,àmontéléphone.Pasdemessages,d’insultesoudemenaces.

Pourtant,ilestpresqueminuit.

Jem’étaispréparéeàuneavalanched’injures,maisrien.Ildoitforcémentêtreaucourant.

Cette absence de réaction immédiate me prend au dépourvu, je m’attendais à ce que la foudrem’atteignedepleinfouetaprèslafindescours,etnonàcesilencecontenu.Lecalmeavantlatempêtepeut-être?Sansdoute.JevoismalIsaacMilesbaisserlaqueuedevantmoi.OK,mauvaisemétaphore.

Jesecouelatêteetessayedemelesortirdel’esprit.Celafaitàpeineunesemainequejeleconnaisetmavietournedéjàautourdelui?Sûrementpas.

—Çaneteditpasdemontersurscènecesoir,Gilmore?m’enjointVincederrièrelecomptoir.Ilparaîtquetuasétéplutôtpasmal,ladernièrefois.

—Ahah, trèsdrôle, jemarmonneennettoyant lebarentre lescoudeset lesbrasdesclientsdéjàbienallumés.

IlritetTerryluidonneuncoupgentillet,maisjesaisqu’ilplaisante.Ilestjustetaquinetdebonnehumeur.

Cesoir,leRubisestpleinàcraquer.Commetouslesvendredisapparemment.

Lesgensontpresquetousfinidemangeretlapistededanseestdéjàenvahie.L’ambianceestbonneaujourd’hui, même Lidy semble être de bonne humeur. Ashton ne travaille pas le vendredi et lesamedi, ce qui tombe très bien. Pas envie d’essuyer ses remarques cinglantes et ses critiquesconstantes.

Vincesertdesbièresàdesclientsenmejaugeantdelatêteaupied.

—Tuaschangédestyle,Mia?Sexy…Onnecroiraitpasquetuasdix-neufansavecçasurledos.

Jerefaismoi-mêmelegestedebalayermonproprecorpsdesyeux.

UnshortnoirenJacquardbrodédefilsdorésqu’Arizonam’aoffertetunchemisierenplumetisnoir également, qu’est-ce qu’il y a de sexy là-dedans ? J’ai juste voulu ne pas être en reste, parrapportàLidy,trèsféminineetattirantlesregardsetCora,trèsclasseettoujourschic.

Demain,c’estsamedi.Jevaisenfinpouvoirfairelesboutiques,enessayantdenepasclaquertoutmonbudgetpersonnel.Maisétantdonnéque jen’aipasvraimenteuàdépenserpour lamaison,çadevrait lefaire.Surtoutquejenemesouviensquandétait ladernièrefoisquej’aifaitdushoppingpourmoi.

—Ah.Tutrouvesquej’enaitropfait?

—Pas du tout,me rassure l’ours. Jemedisais juste qu’avec tes cheveux relevés commeça, tesyeuxmaquillésettout,onpourraitcroirequetuasl’âgedeboiredel’alcoolTâchedenepastroptefairedraguercesoir,jenevoudraispasavoiràmettremesclientsfidèlesdehors.

IlritetTerrymefaitunclind’œil.Unhomme,assisaubaretmereluquantavecinsistancedepuisdéjàdixminutes,faitdemême.

Mesjouess’empourprent.

—Ilfautallerfairelamezzanine,m’indiqueCoraenposantsonplateausurlebardevantmoi.Tuyvas?Iln’yaplusquedestablesvides.Ilssontpratiquementtoussurlapistededanse.

J’acquiesce. J’aime bien monter à l’étage en alu de style industriel. On peut regarder les gensdanserencontre-bassanssefairevoir.Quandonestlà,aubord,appuyéàlarambarde,etqu’onlesobserve,ondiraitunebandedefourmisentraindesedéhancher.

Ilfaitsombredanslebarquis’esttransforméenboîte,etlamusiqueestassourdissante.

Lesfillessontsexyetlesgarçonsconsommentbeaucoup.Enthéorie,jedétestecegenred’endroitoù on peut croiser n’importe qui et où il peut t’arriver n’importe quoi sans que personne ne s’enaperçoive.Puis tropdemondesur lapistemegêne toujours, jenesupportepasqu’endansant,desgensquitranspirentmefrôlentdepartout.Cequimecontraintàmelaverdeuxfoisenrentrantchezmoi.

Saufquecesoir,c’estdifférent. J’aimebien l’ambianceduRubisavecses tenturesdeveloursetsonespritcosytrèssympa.Etenplus,jesuissouslaprotectiondupatron,icipersonnenepeutme

toucher.Enthéorie.

Mêmeleboulotmevaparfaitement.Nettoyerc’estmontruc.J’aimequetoutsoitrangéetenordre,quechaquechosesoitàsaplace.Parcequedans lavie,chaquechoseaunemplacementqui luiestdestiné.Masœurmetraitedecingléeetmamères’inquiètelà-dessus,maisellesnedevraientpas.Jenesuisnifolleniinconsciente,non,justeordonnée.

Jeprendsmonplateauetmontorchon.

Pouruneraisoninconnue,mesyeuxsontrivésàl’entréeoùJun,undescuisiniers,setransformeen videur après 23 heures. Et là, tout se déroule très vite. La musique est assourdissante.L’instrumentaledeTurnthePagedugroupeTheStreetsrésonneautourdemoiaumomentoùilpasselaporte,savesteencuirsurledos,lesmainsdanssescheveux.Ilrepoussesesmèchesenarrièreetsonregardsondelebar.Frais,rasédeprès,lachevelureplusnoireparcequ’elleaétémouillée,ilestplussexyquejamais.OK,çanevapaslefaire.

Sesyeuxrencontrentlesmiensetjesaisd’avancequejesuiscuite.Littéralemententoutcas.

Fuis,Mia!

Jesorsdederrière lebar,me fondsdans lamassequand il se rapproche,et tentededisparaître.Maispluslerythmedelamusiqueaugmente,plusilarriveàmerattraper.Jecourspresqueautraverslasalleetgrimpe lesmarchesde lamezzaninequatreàquatresous ledébit intensedurappeur.Enhaut,ilyalaportedeservicequiredescendauxcuisinespar-derrière.Ilfautquejel’atteigne.Moncœurs’estmisàbattreplusvite.Iltambourinecarrémentmaintenant.Ilvaexploser.

Lorsquej’atteinsledernierpalier,c’esttroptard.

Unemain se refermederrièremoncrânem’arrachantpresque les cheveuxet je suispoussée enavantbrusquement. Isaacmecollecarrémentcontreundesmursduhaut.Ouplutôt, ilm’écrase levisage tout entier contre la plaque demétal qui représente la carte des États-Unis. Je tente demedébattre,maisilcoincemesmainsets’appuiecontremoidetoutessesforces,undesespoingsmemartyriselebasdudos.Jeravaleleslarmesdedouleurquisontentraindemonter.Jevoudraiscrierqueçaneserviraitàrien,tantlamusiqueestforte.

Quandilmurmureàmonoreille,j’aienviedehurler.

—Sijepouvais,jetebaiseraislà,contrecemur,pourtepunirdetoninsolence.

Je ferme les yeux, essayant d’ignorer les sensations contradictoires que ses paroles semblentproduireenmoi.Faceàmonsilence,ilcontinue.

—Tuasducran,plusquejenelepensais.T’asosémettrelespiedschezmoi,Gilmore?Personnenevientchezmoisansyêtreinvité.

Lemétalfroidsousmajouemecoupelessensetsonpoingdansmondosaussi.Jeréussisquandmêmeàarticuler,malgrélaraideurdansmanuque.

—Arrêtetumefaismal…

Est-cequ’ilvavraimentmefairedumal?Ilpourraitmefrapper,facilement.

—C’étaitlebut.T’avaispascompris?

Sesmotsmefonttrembler.Oui,j’avaiscompris.C’estcequetoutlemondeatoujoursessayédemefaire:mal.

Etj’enaimaclaqued’êtreunevictime.J’enaimaclaquedetoujours,toujours,êtrepolieetplaireauxautres.

Alleztousvousfairefoutre!

Toutàcoup,ilmeretournecontreluietrefermesesdoigtssurmagorgeens’appuyantdetoutessesforcescontremoi.J’aideplusenplusdemalàrespirer.Mesmainss’agrippentauxsiennespouressayerde lui faire lâcherprise.Les larmescommencent àmonter,mais juste carmon souffle estcoupé.

—Lâche-moi…j’ahane.

—Jevaistedétruire.

Desesyeuxdefou,ilchercheàmeclouersurplace,maisjenemelaissepasfaireetleluirendsbien. Nous nous toisons comme ça. J’ai l’impression qu’un millier de sentiments contradictoiresl’assaille.Maisc’estlahainequil’emporte.

Heymon gars, tu ne sais pas, combien j’en ai à revendremoi aussi de la colère, surtout aprèsl’humiliationquej’aisubieaujourd’hui.Encore.

Ilfulmine,maisrelâcheimperceptiblementsaprise.

Jeparled’unevoixquej’espèreassezforteetsûredemoi.

— Tu te souviens ce que tu m’as dit la dernière fois pour mon carnet ? Tu as dit de venir lechercher.C’estexactementcequej’aifait.Jesuisalléelechercher.Tunem’encroyaispascapable,Miles?

Inutiledementionnerlepoissondelavengeance.Illedécouvrirabienasseztôt.

Ilfulminecarrémentetsesdoigtsserefermentunpeuplussurmagorgealorsqu’ilcollesonfrontaumienetparleàmoinsdequelquesmillimètresdemoi.Heureusementqu’ilestplusgrand,parcequ’alorsnosbouchessetoucheraientdéjà.

Jebloquemarespirationpournepashumersonodeur.Ilmefautfaireappelà toutemavolontéd’espritpournepaslesentir.Ceparfumquimerappellemonpèreestlapiredestortures.

—Capable ?T’es capMia, deme tenir tête ?T’as aucune idée de ce que je peux faire pour tepourrirlavie.Aujourd’huin’étaitqu’unemiseenbouche.

Onjoueàquoilà?Quandjem’adresseàluiparsonprénom,ils’adresseàmoiparmonnomdefamilleetlorsquec’estmoiquil’appelleparpatronyme,c’estluiquim’appelleparmonprénom.

Quelimbécile…Siseulementilsavait.

Jerisdoucement,unpeudémente.

Sesparolesmefontl’effetd’uneaverse,maisj’aivécubienpirealorspassetonchemin.

— Cap,Miles. C’est toi qui ne me connais pas. Tu crois que tu peux m’atteindre, mais tu n’yarriveras pas. Tu sais pourquoi ? Parce que d’autres ont essayé. Les humiliations publiques, leharcèlement,lesinjuresetlesmenaces,lescoupsbasetdansledos,mêmelesattaquesphysiques,jeles ai tous encaissés.Tun’as aucune idéede ceque j’aidéjàpris avantde te rencontrer.Alors, necroispasquetumefaispeurcarriennem’effraye.Dis-toiunechose,jeterendraitout,couppourcoup,chaquefoisquetuchercherasàm’atteindre.Sansétatsd’âme.Tuescruel,maisjepeuxl’êtreaussi.

Danssesyeux,unelueurétrangevientdenaître.Commes’ilavaitprismondiscoursenpleineface.Ilm’adéjàmenacéeetjepensaisqu’ils’agissaitd’unecarapacedanslaquelleils’étaitenfermépourmieuxseprotégeretnevoyaispasl’étincellefunesteenlui.Maiscellequejevoislàestdifférente.J’ignoredequoiils’agitexactementetj’aipeurdemetromperunenouvellefois.C’estcommeça,

qu’en ignorant ce que reflètait le regard d’une personne, qu’il y a longtemps, je me suis laisséedétruire.J’aidéjàétébriséeetmalmenéepartouslesmoyenspossiblesetimaginables,etilesthorsdequestiondemelaisserimpressionneraujourd’hui.Ilpeutallerserhabiller.

Ilmefaitpeur,c’estcertain,maiscetteterreur-là,jepeuxlacontrôleretlaretournercontrelui.

Mon corps tremble. Il doit croire que c’est d’effroi,mais c’est autrement plus de rage qu’autrechose.Etluiaussiestbouillonnant.Sesnarinesfrémissentetsamâchoireseserre.

Lesfillesnedoiventpassouventluitenirtêteetqueçaleperturbeunpeu.Maisilnesaitpasàquiilaaffaire.

J’insisteencore,pourenremettreunecouche.

—Tun’asaucuneidéedecedontjesuiscapablepourmeprotéger,moietceuxquej’aime.Tentecequetuveux,affiche-moi,torture-moi,jem’enfous.Tunem’aurasjamais.

Ilm’enserrelementondanssesmainsetjefermelesyeux.

Cependant,cettefois,àlaplacedutonaustèrequ’ilaemployéilyaàpeinequelquessecondes,ilprendunevoixdoucereuseàfairepeur,parcequ’elleestbasseetsexy,maisqu’ilmemenaceencore.

—PetiteMia,tun’asaucuneidéeTOI,decequeJEsuisprêtàfairepourprotégerlesmiens.Jeteconseilledebien fermer taportequand tudormirasmaintenant.Sielleestouverte, jeconsidéreraicelacommeuneinvitationàentrer.Lesfillesonttoujoursunpointfaible.

Protégerlessiens?Dequoi,demoi?

—Commesituavaisbesoind’uneinvitationpour…

Il écrase ses lèvres, durement et avec hargne, sur les miennes pour m’empêcher de parler. Unbaiser qui n’a rien de doux, quelque chose de brutal et de violent, laissant supposer ses intentionsmalveillantes.

Salaud.

Jemedébatscommejepeux,maisilm’enserretoujourslespoignetsetmeforceànepasbouger.Jechercheàdétournerlatêteetserreleslèvres,maisilm’enempêche.Quandilmelâcheenfin,c’estpourpartir,toutenlâchantunriremonstrueusementsadique.

—Tuesfragile.Jevaistefairemal.

Fragile.Cemotsonnecommeuneinsultedanssabouche.Toutlepeudecompassionquej’auraispuneserait-cequ’éprouverpourluiunjoursinosrapportsétaientmoinstendus,vientdemequitter.

Mesyeuxlancentdesflammesetsonsouriresatisfaitdisparaîtdesonvisage.

—Jevaistefaireplusmalencore,jerétorqueméchamment.

Nousnoustoisonsduregard.Jesaisquejepourrais lefaire,c’estdéjàarrivépar lepassé.Maisalorsjen’auraiplusdevie.Cettefois-ci,jemeretrouveraivraimententauleetnem’ensortiraipas.

Unelueurdedéfibrilledanslessiens.

—Cap?

Eneffet,c’enestun.Çavaêtreàceluiquivatorturerl’autreavecleplusd’adresse.

—Cap,jerépondssurlemêmeton.

—Onvavoirça.

Ilmelâchebrusquementetmetourneledospourredescendrealorsquejereprendsmonsouffleetmemasselespoignets.

Ilme faut plusieurs secondes avant de réaliser ce que j’ai fait, en laissant sous-entendre que jepourraitoutsupporter.C’étaitcarrémentuneinvitationàmefaireplusdemal.Etjesuissûrequ’ilvalaprendreaupieddelalettre.

—Putain!!!

Jecrietouteseuleetmonjuronseperddanslamusiqueassourdissante.

En refoulant les larmes qui me montent, j’essuie rageusement ma bouche où son goût s’estimprégné.

Est-ce que ça valait vraiment la peine que je viennem’installer ici, si c’est pour avoir tous cesproblèmes?

Isaac

—Macallan!

Jetapeduplatdelamainsurl’acajou.Terryplissedesyeux.Quoi?Elleaussielleadécidédemefairechieraujourd’hui?

—Tupourraisêtrepluspoli,merétorque-t-elleenmeservantmonwhisky.

Jenerépondsplus.Cetteidioteseraitcapabledeneplusmeservirsijedisaisautrechose.

Etlà,putain,j’aivraimentbesoind’unverre.

—Durejournée?medemande-t-elleenessuyantlebardevantmoi.

Jefermelesyeuxetmepincel’arêtedunezensoupirant.

—Ouais.

Non,enfait.Avantderentrerchezmoi,toutsedéroulaitparfaitementbien,dumoinspresque.Maisc’étaitavantdetrouverceportraitdemoiépingléaumur,uncutterplantéaucentre.

J’avaistoutprévu:l’humilierunebonnefoispourtoutesetluifairecomprendrequej’étaisaussicapabled’allerchezelle.Çaauraitdûsuffireàluimettreunetrouillebleue.Ellen’auraitplusvouluhabitertouteseuleetauraitdéménagé.Monplanétaitdemefoutreencoreetencoredesagueulepourqu’ellechialecommeunegaminedevanttoutlemonde.Maisrien,pasmêmel’ombred’unelarme.Elle s’est levée et est partie, et pour aller où ? Chezmoi !Dansma chambre ! Pourme prouverqu’elleenestcapableaussietqu’elleneselaisserapasimpressionner.Aucunemeufn’ajamaismislespiedsdansmachambre.Aucune,saufLouiseetSloan.

C’estbon,j’aienviedefoutremonpoingdanslatêtedequelqu’un.Demedéfouler.

Ellenesesoumetpas.Toutlemondeestsecoué,apeuréoutotalementterrifiéparmond’habitude,maispasMia.Elleestagressiveetconstammentsurladéfensive,prêteàsortirlescrocs.Ellerecule,fermelesyeuxquandjelamenaceettremblemême,maislorsquejetourneledos,ellemefusilleduregard.Personnenemefaitça!Àcaused’elle,jemesuisfaitvirerducoursetmeretrouveconvoquéchezledoyen.Sielleétaitpartiedèslepremierjour,jen’auraispaseuàfaireça.Cependant,çam’aamusédelamettremalàl’aise,maisjepréféreraisquandmêmequ’elledéménage,afindepouvoirpasseràautrechose.

Àquelleautrechose,Zac?

J’avaleunegorgéeduSingleMalt{39}pendantquelesgarsvirentdumondesurlestabouretsautourdemoipours’yasseoir.

—Alors?m’interrogeMiguel.

Terryleursertdesbières.Iln’yaqueGabrielquiboitduwhiskycommemoi.

—Ellenepartirapas.

Jemerepassesesparolesenboucles.

«…mêmelescoupsphysiques,jelesaitousencaissés.Tun’asaucuneidéedecequej’aidéjàprisavantdeteconnaître.»

Qu’est-ce que tu as pris Mia ? Comment ça, même les coups physiques ? Qu’est-ce que tu asencaissé?

Cettefilleestunmystèreambulantquejeveuxrésoudre.Çamestressedenepasêtreaucourant.Sijenesaispas,jenepeuxpasnepaslajuger.C’estunesnob.Cettefilleestsiagaçante!

— Je te l’avais dit. En plus, tu t’es fait griller avec la photo. Si elle porte plainte, tu es dans lamerde.SitutefaisrenvoyerdeConstanceaussi.Elleaunsacrécaractèrelapetite,unpeucommemasœur.

JemetournevivementversMiguel.

C’étaitquoicetondouxmêléd’admiration?

Ilnemeregardepasetalevisagetournéverslapartierestaurantdelasalle.

Noussommesquatreànousretournerpourvoircequ’ilobserve.

Mia.Ellenettoielestablesetramasselesverrescommesiderienn’était,commesijenevenaispascarrémentdelamenacerdelatuer.Cettefilleaunsang-froidextraordinaire,jedoislereconnaître.

—Tasœur?Sérieuxmec?Tuneparlesjamaisdetafamille.

C’estvrai.Miguelneparlejamaisdesafamille.Jamais.

—Bah,elleetsoncaractèredevalkyrie,jetejurequ’elleressembleàmafrangine.

—C’estquoi,unevalaukry?demandeM.J.ensepenchantdesontabouret.

Gabriel,luidonneuncoupdanslepied.

—Valkyrie,idiot.Danslamythologienordique,c’étaientdesviergesguerrières.

Miguelrestepensif.

—Tucroisqu’elleestpucelle?

Jerisdoucement.

—Sûrement.Elleesttropcoincéeducul.

Ashtonabondedansmonsens.

—Fautêtremalbaisée,detoutefaçon,pourêtreaussisnob.

Mesyeuxsontrivéssurelle.Ellenelaissepaslamoindretracesurlestablesetyretournesielleenvoitune.Putain,maiselleestd’unmaniaque!Cinglée,justecinglée…

Quand je la vois ranger les verres sales dans son plateau par ordre de grandeur, je soupire etsecouelatête.Ashtonfaitunemouedégoûtée.

—Elleadestocsouquoi?

Peut-être.Detoutefaçon,elleestfolle,alors…

—Fautqu’ontrouveautrechose,sielleneveutpaspartir.

Les yeux plissés, j’observe les mèches de cheveux brunes, frôlant la chair de son cou, bougerlorsqu’elles’active.Sapeauestparseméedegrainsdebeautédetoutestailles.Jen’aijamaisaimélesfillesavecdesgrainsdebeauté.Ondiraitqu’elleest tombéedansunemarmitede lentillesenétantpetite.

—Elleestgravesexycommeça,notifieM.J..

Non,maisd’abord,c’estquoiceshortraslesfesses,qu’elleporte?Puiscechemisiernoirpresquetransparentquilaissevoirsonsoutien-gorge?

Elleadécidédemenarguercesoir?

Jefermelesyeuxdenouveauetlaisselabrûlureduwhiskymeprendreàlagorge.

Cerise.Saboucheaussiavaitungoûtdecerise.Jesuissûrquesalanguealemêmegoût.Etsonentrejambeaussi…

Attends,quoi?!SérieusementIsaac?

Fautquejemereprennelà.Cerise?Monculouais.

—Ilmefautunefille.

Gabrielrigole.C’esttoujourslui,lepremierpartantpourtrouverdesnanas.

—T’aslechoix,mefait-ilenouvrantgrandlesbras.Oualorstuappellestapetitechérie.Ellenedevaitpasêtreparlà,cesoir?

Ilritl’enfoiré.

Maisdanslechampdesesbras,jenevoisqueMiaquiessuieunetablepourlaénièmefois.Ilnedoitpasavoirlemoindregraindepoussièrechezelle.Jen’ensaisriencarcontrairementàcequ’ellecroit, je n’y ai pasmis les pieds. Je n’ai jamais étém’asseoir sur son putain de lit ni respirer sasaloperied’oreillerquidoitêtreimprégnédesonodeur.

Jememetsdebout.

C’estvendredietj’aienviedem’amuserunpeu.Etpourça,ilmefautdesgonzesses,desvraies,quipoussentdescrisdefillesquandjem’introduisenelles.

—Oùest-cequetuvas?

—Baiser.

JeremontemavesteaucoletsorsduRubisendeuxsecondes.L’airfraismeredonnedumoral.Ilfaisaittropchaudàl’intérieur.Beaucouptrop.

JeprendsmonportablequisetrouvedansmapocheetcomposelenumérodeColline.Elleréponddèsladeuxièmesonnerie.

—Ouais?

—T’eslibre?

—Chezmoi.

Etelleraccroche.

Collineesttoujourspartantepourunplancul.Pasbesoindegranddiscoursavecelle.Jerécupèremon casque sur ma Triumph. Ici, personne n’aurait l’idée deme voler. Personne. Tout le mondereconnaîtmamoto.ToutlemondeMEconnaît.

Enmoinsdedeux,jemesuiséquipéetfilesurParadiseValleydirectionGrandBay.

Ma bécane slalome entre les voitures qui s’entassent le vendredi soir sur la route qui longe laplage. Ici, les bars et les cabanes à frites sont ouverts toute la nuit. J’adore cet endroit et les lieuxpleinsdemonde;ilsmepermettentdemefondredanslafouleetdedevenirtransparent.

Collinehabiteàl’autreboutdeGrandBay.Denotrebande,iln’yaqu’Ashton,MigueletAntheaquiviventsurlecampus.Jenesaispascommentilsfontpourpartagerleurminusculechambreavecune bande de pré-ados boutonneux qui passent leur temps la tête dans leurs bouquins de sciencesdébiles ou à écrire des thèses qui ne les mèneront jamais plus loin que dans des conférencesennuyantes à mourir ; très peu pour moi, je préfère ma liberté. Chez Louise j’ai mon espacepersonneletpersonnen’yentre,enthéorie.Personne,àpartcettegarceauxyeuxtranslucides.

Jemegaredevantl’immeubleoùvitCollineetcomposelecodepourpénétrerdanslebâtiment.

C’estautroisièmeetj’entresansfrapper.

Sacoloc',dugenretomboy{40},estaffaléedevantlatélé,dansunpeignoirinforme,lescheveuxenbatailleetunboldepop-cornàlamain.Anti-sexyàmort.

Ellemeregardeenfronçantlessourcils.

—Danssachambre,melance-t-elleendésignantlaportedufonddelapièce.

Jem’ydirigesansrépondre.Cettefillem’écœure.Jenecomprendspascommentonpeutêtreaussipeuféminine.

Quandj’ouvrelaporte,Collineestallongéesursonlit,lesjambesremontéesetgrandesouvertes.

Elle ne porte qu’un t-shirt moullant blanc et une culotte en dentelle noire. Ses cheveux blondss’éparpillentsurl’oreiller.Elletientsonportableenl’air,devantelle,danssamainauxlongsonglesmanucurés.

Fausseblonde,fauxcils,fauxongles,iln’yarienquisoitvraichezelle,mêmepaslesconneriesqu’ellenousracontesursesparentsrichissimesquinesont jamais làpourelle.C’estunevéritablemythomane.Maiscommeelleestbonneettoujoursprêteàrendreservice,elleafiniparrejoindrelegroupe.Jel’aimebien,elleneposejamaisdequestionsetarriveàmefairebandercommepersonne.

—T’enasmisdutemps.

LavoixgravedeCollinemeprendtoujoursaudépourvu.J’aibeaulaconnaîtredepuisunmomentdéjà,çam’étonneencore.EllealetimbrerauqueetgravedelachanteuseCher.Celuid’unefemmefatalemûrequiapassésavieàfumerdanslesbars.Alorsqu’ellenefumepasetcontrairementàcequ’onpourraitcroireavecsonlooksulfureux,netraînepasnonplusdanslesbars.

Jenerépondspasetretiremavesteainsiquemesbottesalorsqu’ellelancesaplaylistsursamini-chaîne.Levolumeestassezfortpournepasquesacolocatairenousentende.

Lapièceestminuscule,maistrèscosy.Durosepasteletdublancrecouvrentlesmursetcertainsmeubles.Ontrouvedespeluchesainsiquedeslivresunpeupartout.Personnenesaitqu’ellelitautant,saufmoi.

Ondiraitunechambredepetitefille.

Ellelâchesonportableetfaitglissersaculottesursescuissesetlelongdesesjambes,chargéesdecicatrices.Elleasesproblèmeselleaussi,j’ailesmiensetaucundenousneposedequestions.C’esttrèsbiencommeça.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, j’ai descendu mon jeans et mon boxer pourm’allongersurelle.

Pasbesoindemots.Elleenaenvieetj’essayedemeconvaincrequec’estégalementmoncas.J’aienviedemeperdredansunechattechaudeethumidepournepluspenserà…

Je ferme les yeux alors qu’elle m’englobe entièrement dans sa bouche et me mouillegénéreusementavecsalanguepourensuitevenirdéroulerlepréservatifsurmonmembredressé.

Pasdepréliminairesdonc.C’estcequej’aimeavecColline.Pasbesoindeluilécherlesexepour

qu’ellemelaisselaprendre.Elleestfrancheetdirecte,pasunechichiteusemaniérée.

Ellem’attireenagrippantmesbraspourm’étendresurelle.Unseulcoupdereinsetjelapénètrebrutalement.Ellegémitetposesabouchesurmonépauleenpassantseslongsdoigtssurlesétoilesqui constellentmon dos. Toutes celles qui cachentmesminuscules cicatrices, presque invisibles àl’œilnumaintenant.

Jem’enfonceenelleensoulevantsesfessespleinesdansmesmains,alorsqu’unedivadelapopchantedanssaradio.

«Ohtheredaddy,d-daddynowyourippedmyfur/Oh,chéri,ch-chéri,maintenanttuasdéchirémafourrure

Ohbaby,b-babybesweatin'onmyhair/Ohbébé,b-bébétranspiresurmescheveux

Took45minutestogetalldressedup/J’aimis45minutespourm’habiller

Weain'tevengonnamakeittothisclub/Onnevamêmepaslefairedansleclub

Takeallofme/Prendstoutdemoi

Ijustwannabethegirlyoulike,girlyoulike…/Jeveuxjusteêtrelafillequetuaimes,lafillequetuaimes…»{41}

J’enroulemon poing dans ses cheveux bruns…Blonds, ses cheveux blonds, et tire dessus. Ellegémitplusintensément.

Criepourmoi.

Lelitgrincesouslapuissancedemescoups.

Monvisageenfouidanssoncou,malangueglissesursapeau,mesdentsmordentseschairs,mespoumonsseremplissentdesonparfum,maisjem’arrêtenet.

—Quoi?souffleCollinehébétée.

—Tu…tusenslacerise…

—Ohça.C’estlegeldouchedeCarla.Ilestauxfruitsrouges.Tun’aimespas?

Jesecouelatêteetreprendsmonmouvement.

Maisaulieudesesyeuxverts,pareilsauxmiens,cesontdesuperbesjoyauxbleusquiontprisleurplace.Etilyatoujourscetteodeurquimetourmente…

Putain!Çasenttropfort.

Jelarelâchebrutalementetmeretire.Collinemeregarde,surprise,lespupillesgrandesouvertes.

—Quoi?Qu’est-cequ’ilya?

—Jenepeuxpas.

Comment lui expliquer ce quemoi-même je ne comprends pas ? J’ai plus envie, c’est retombé,c’estcommeça.

Lesbitesdoiventavoirleurproprecerveau.Paslapeined’essayerdenégocier.

—Tuveuxquejetetailleunepipe?

—Non.

Jeretirelepréservatifetremontemoncaleçonetmonfroc.

Ilm’arrivequoilà?

Quandjeremetsmeschaussures,Collinem’attrapelebras.

—Çaarrivetusais,t’espasunemachine.Net’enfaispas.

Jemedégagebrutalement.

C’est quoi ça ? De la pitié ? J’ai pas besoin d’être réconforté, putain. Mais c’est bien de lacompassionquejelisdanssonregard.Jerefused’êtreconsoléetsurtoutpasparunecingléequiaencoreplusdecicatricessurlecorpsquemoi.

—J’suispasimpuissant.Fermelà.Tucomprendsquedalle.

Etjesuisrepartisansunmot,sansmeretourner.

**

Rouler, encore et toujours, à plein régime, pour me sortir ces conneries de la tête. C’est lapremièrefoisqu’untrucaussidinguem’arrive.MêmequandLouisem’avaitpresquesurpriseàmebranlerdevantunplay-boyàl’âgedequatorzeans,danslasalledebain,çanem’avaitpasempêchédejouir.Alorsquoi?

Le paysage défile à une vitesse folle autour demoi. Le grondement assourdissant dema SpeedTriplen’estpasatténuéparmoncasque,maisj’adoreentendresongrognement,saragequandjefaisgrincermesgantssurl’accélérateur.Lessonsfracassantsqu’elleproduitserépercutentenmoietmeprocurentunsentimentdepuissancegrandiose.

Jelongelacôteouestjusqu’àl’entréedeStRaphael,puisfaisdemi-tour.

Vivementquejemecassed’ici,putain.C’esttroppetitMaryIslandetjerêvedeparcourirlesÉtats-Unis,d’unboutàl’autre,enmoto,avecjustemonvieilargentiqueCanon,monbaladeuretduwhiskydansmonsac.

Montéléphoneavibréaumoinscinqfoisdansmapochealorsjefinisparm’arrêtersurleportdeGrandBay etm’assieds sur un des bancs en bois qui longent la plage. Ça sent le sel, lamer, lescocotiers.

Ce soir, le bruit des vagues houleuses qui s’écrasent contre les dunes me rendrait presquemélancolique.

Cesontdesconneriestoutça.Mélancolique?Moi?Est-cequejesuisentraindepéterlesplombs?

Jesorsmonportableetfaisdéfilermesmessages:toussontdeMiguel.

*T’esoù?

*Ramènetafraise.Onvaboireunverresurlecampus.Ilyaunefêtedansunefraternité.

*Putain,tuneveuxpaslalâcherdeuxsecondestasalopelà?

*Changementdeplan.Ilyaungenreunfeudecampverslevieuxphare.Onn’estpasinvités,maisonvayallerquandmême.Etdevinequiysera?

*TaValkyrie.

Unnouveausoupirs’extirpedemaboucheetjemepenchepourpassermamaindansmescheveux.Horsdequestiondelavoirmaintenant,niellenipersonned’autred’ailleurs.

Mais mon téléphone vibre encore. Cette fois, Miguel m’appelle carrément. Je décroche engrognant.

—Quoi!

—T’esoùputain?!Ont’attend…

—J’aipasenviedevenir…Jevaisrentrerchezmoi.

—T’aurais tort. Elle en est à son troisième verre de vodka-cherry et ça à l’air de lui délier lalangue.Onvaenapprendreplussurellecesoir, j’ensuissûr.Ellen’estplusaubar, icionpeut lafaireboirecommeuntrou.

Jehausselessourcils,surpris.

—Commentvousavezatterrilà-basavecelle?

—Onteracontera.Ramènetafraise.Enplusc’estcool,l’ambianceestsympa.

Miguel trouve toujours tout coolde toute façon,unpeucommeM.J., quand il estdans sesbonsjours.

Jesuissurlepointderefuserencorequandilditlaseulechosecapabledemefairechangerd’avis.

—Ramène-toi,mec,M.J.aeuunmessagedeKillian.Tonfrèrevasepointerdanspaslongtempsetilneserapastoutseul.

Bordel.Jepeuxdéjàentendreletonnerregronderauloinetl’orageseprofileràl’horizon.

14

Madness

Mia

«I,Ican’tgetthesememoriesoutofmymind/Jenepeuxpassortircessouvenirsdemonesprit

Andsomekindofmadnessisstartingtoevolve/Etunesortedefoliecommenceàévoluer

AndI,Itriedsohardtoletyougo/Etj’ai…,j’aitellementessayédetelaisserpartir

Butsomekindofmadnessisswallowingmewhole,yeah/Maisunesortedefolieestentraindemedévorer,yeah

Ihavefinallyseenthelight/J’aifinalementvulalumière

AndIhavefinallyrealisedwhatyoumean/Etj’aienfincompriscequetuveuxdire

Now,Ineedtoknow,isthisreallove?/Maintenant,est-celevéritableamour?

Orisitjustmadnesskeepingusafloat?/Ous’agit-iljustedefoliequinousmaintientàflot?

When I look back at all the crazy fightswe had/Quand je repense au passé, à toutes les follesdisputesqu’onaeu

It’slikesomekindofmadnesswastkaincontrol,yeah/C’estcommesiunesortedefolieprenaitlecontrôle,yeah

Now,Ihavefinallyseenthelight/Maintenant,j’aifinalementvulalumière

AndIhavefinallyrealisedwhatyouneed/Etj’aienfinréalisécedonttuavaisbesoin

Now,Ihavefinallyseentheend/Maintenantj’aifinalementvulafin

AndI’mnotexpectingyoutocare/Etjenem’attendspasàcequetutesoucies,non

ButIhavefinallyseenthelight/Maisj’aifinalementvulalumière

AndIhavefinallyrealised/Etj’aifinalementréalisé

Ineedyourlove/Quej’aibesoind’aimer

Ineedyourlove/J’aibesoind’aimer»

Madness,Muse{42}

—Tudevraisyallerdoucement,Mia,meditCoraenfronçantlessourcils.

—Net’inquiète…pas.

Jevoudraisdireautrechose,maislesmotsontdumalàsortir.Jen’aibuquequatreverrespourtantetilsn’étaientmêmepaspleins.Cen’esttellementpasunehabitudechezmoid’ingurgiterdel’alcool,quelepremierverredevodka,jel’aipresquerenvoyésurlesable.M.J.arajoutédusiropdecerisededans,parcequec’estmasaveurpréférée,celuidessucettesquemonpèrem’achetaitlorsquej’étaisenfant.SelonM.J.,çapasseplusfacilementcommeça.

CommentexpliqueràCoraqu’ilfautquejeboivepourtenirenfaced’eux,faceauxAngesautourdemoi?Ilssontnombreuxcesoiretensemble,ilsm’intimident.Heureusementqu’Isaacn’estpaslà.Ceseraitlagoutted’eaudetrop.

Ilyabeauyavoird’autrespersonnes,desamisàCorapour laplupart, impossiblepourmoidefaireabstractiond’eux.SurtoutqueM.J.nemelâchepas,qu’Ashtonmefusilleduregardtouteslescinqminutes,queMiguelabousculéuntypepours’asseoiràcôtédemoietqueGabriel,avecsoncharmeinsolent,attirel’attentiondetouteslesfillesprésentes.

Comment j’ai fait pour en arriver là ? J’avais initialement prévu de rentrer chez moi, dem’enfermeràdoubletourpourdormircalmementenespérantquececingléneviennepasdansmamaison,maisCoraainsistépourmeprésenteràdescopainsàelle.Jeneconnaispersonneici,àpartmesbourreaux, alors après avoirhésité longtemps, j’ai acceptéd’aller à ce feude camp, sur cetteplageinconnue.Pasunegrandefête,non, justeunrassemblementd’unedizained’amisautourd’unfeu,pourfairegrillerdesmarshmallowsetboiredel’alcool.

SaufqueGabrielaentendunotreconversation.Etqu’il s’enestmêléaugranddamdeCoraquis’étaitunpeuénervée.

—Qu’est-cequeçapeuttefoutre,làoùonva?luiavait-ellerétorqué.

—Onpourraitveniravecvous.

Coras’étaitétranglée.

—Tuplaisantesouquoi?Depuisquandtum’accompagnesquandjemerendsquelquepart?Enplus,tudétestesmesamis.

Gabrielavaitlouchésurmoiavantderépondre.

—Çadépend.Onvient.

Coraquimesembleêtred’unenaturetrèscalmeavaitpourtanthésitéàluihurlerauvisage.

NoussommessortisduRubispourrejoindresavoiturealorsque lesAngesgrimpaientdéjàsurleursmotospournoussuivre.Monangoisseavaitredoubléd’intensité.

Enrésumé,jepasseunesoiréeaveceuxsansqu’onm’aitréellementdemandémonavis.Génial.

Deplus,j’aicrucomprendrequeCoraconnaîtGabrielbienplusqu’ellen’abienvoulumeledire.

—Etdonc?Gabriel?j’avaisdemandédanslavoiture.

Coras’étaitmordulalèvreinférieure.

—Gabrielest…mondemi-frère.

J’ensuisrestéecoite.

—Pardon?

—Mamèreaeuunenfantavecunhomme ilyavingt-troisans. Ils sesontséparésetelles’estremariéeavecunitalien,monpère,qu’elleaaussiquitté,pourrevenirs’installer ici.Biensûr,ellem’avaiteueentretemps.Etdepuiscinqans,elles’estremiseavecsonex,lepèredeGab.Ilssontdenouveaumariésetonteumapetitesœur.Bref,laviedemamèreestunvéritablefeuilleton.

Letempsd’assimiler,jen’avaisrientrouvéàrépondre.

Ainsidonc,ladirectricedececentrepourjeunesquej’airencontréladernièrefoisestlamèrede

Cora?!

Elleauraitquandmêmepuêtrehonnêtedèsledébutetmedirequ’undemesbourreauxétaitdesafamille!Sonfrèretoutdemême,cen’estpasrien.

Coraavaittentédeserattraperalorsquenousapprochionsdelaplageenquestion.

—Gabrieletmoi…onnes’entendpastrèsbien,tusais.Ilestprochedemamère,pasmoi.Nousnousévitonslaplupartdutemps.Enplus,jen’aimepastroplesAnges.Jeneleurparlepas.

—Commenttupeuxnepast’entendreaveclui,c’esttonfrère?

Moiquisuistrèsfusionnelleavecmasœur,j’aidumalàcomprendrecetétatd’esprit.

Elleavaithaussélesépaules,sansrépondre.

Jen’aipasposéplusdequestions.Moinonplusjen’aimeraipasqu’onm’enposesurmafamille.

—T’enreprends?

M.J.metendlabouteilledeVodka,meramenantàl’instantprésent.

Jesecouelatête,refusanttoujoursdeluiadresserlaparole.Ilsm’onttoushumiliéeaujourd’hui,passeulementIsaac.Pourtant,depuispresquedeuxheuresquejesuislà,çasepassebienmieuxquejenelepensais.Peut-êtreparcequel’alcoolm’aideàmedétendreetàchasserlatensionquim’anime?Ouparcequ’ilsontl’airmoinsméchantsqued’habitude?

Gabriel,sifroidetimplacabled’habitude,ritdeboncœuravecdeuxamiesdeCora,quielle,soitditenpassant,neritpasdutout.Maisbon,ilapasmalbuaussi.

Miguelm’abrusquementarrachémabrochettedesmainspouryenfilerdeuxmarshmallows.

—Tunesaismêmepast’yprendre.Regarde.

Il les glisse sur le bâton en bois etmemontre comment les griller aumilieu des flammes quis’élèventaucentredenotrebande.Jelaluienlèvedesmainsetlefusilleduregard.Ilsoupire.

Ashtonallumeunecigaretteets’appuieautroncd’undesarbresmortsquiontétédisposésautourdufeu.Ilmefixeetparleensecouantlatête.Pasunedesesmèchesdecheveuxnebougequandilfaitça.Jesuissûrequ’ilmetunetonnedegeloudemoussecoiffantepourlesfairetenir.

— Arrête, Freckles… C’était une petite blague de rien du tout, en cours d’arts. Juste pour tesouhaiterlabienvenue,maisànotremanière.Tunevaspasnousfairelatêteindéfiniment.

— Indéfiniment, peut-êtrepas, çadépend si vous continuezvos conneries,maisunbonmomentc’estcertain,jemarmonnetoutbas.

Maisilm’aentendue.

—Zacrisqued’êtrerenvoyéàcausedecettehistoire,poursuit-il.

—Etc’estmonproblème,ça?jeréponds,cettefoisvertement.

Miguelprendmamainetladirigeverslefeu.Ilfaittournermabrochetteuninstantau-dessusdesflammesetportelaguimauveàsapropreboucheensoufflantdessus.

—Tegênepas,Ortiz.

Il me fait son sourire de tombeur latino et me tend ensuite la brochette.Mais je nemords pasdedansetmeretournepourfinirmonverre.

Bois,Mia.Çatedonneraducouragepourlesaffronter.

L.A.,quiestlàégalement,selèvetoutàcoupencriant,avecM.J.quiluicourtaprès.Elles’enfuitenriant,piedsnus,alorsqu’ilessayedel’attraper.

Ilyaunjoyeuxbrouhahaautourdufeuet lesflammesdansentsurnosvisages.Jenesaispassic’estvraimentcommeçaousic’est l’alcoolquimefaitvoir toutenrouge,mais ilssont tousplusécarlatesquelanormaleàmesyeux.

J’aichaudetpourtantilfaitbon.Unebrisesoufflesurlaplageetlameràcôtéenvoieduselmarindansl’air.Lepaysageestmagnifiquedececôtédel’île,onyaunevueincroyablesurlepacifiquesud.Leciel sombreestdégagéetunmillierd’étoilesbrillentau-dessusdenos têtes.Lasurfacedel’eauesttoutaussinoireetl’horizonseconfondàlui-même.C’estterriblementbeau.

—Tuesmélancolique,Gilmore?

JenerépondspasàAshton,quiétonnamment,semontrebienplusgentilquelanormaleavecmoi.

Ilest04heuresdumatinetjen’aiplusenviedemedisputeravecpersonne,Isaacm’asuffi.

—Tuasautantdegrainsdebeautéqu’ilyad’étoilescesoir,meditl’autrenonchalamment.

Iltournesabrochetteau-dessusdufeuetnemeregardepas.Jenesaispastropcommentprendrecequ’ildit.Serait-ceuneflatterie?Unesimpleremarque?Unemoquerie?

Ilsemetàrire.

—Tuestellementsurladéfensivequemêmequandontecomplimente,tunedispasmerci.

—Normal,vousnesavezpasdutoutfairedecompliments,jegrogne.

—Tupréféreraisqu’ontesurnommelagrosse?

Ilmeprovoquemaintenant,sonsourirenarquoisnelemontrequetropbien.Monverrepourraitbienfinirencastrédanslatêtedecetidiot.

—Ettoi,tupréféreraisquejet’appellep’titebite?

Lesyeuxd’Ashtonsortentdeleursorbites.Ilnes’attendaitpasàuneréponsecommecelleça.

MiguelexplosederireetGabrielaussi.Cedernierrittellement,qu’ilfinitpars’allongerdanslesableenposantsatêtesurunefillequisenommeJoanna,complètementpliéendeux.

Leursréactionssontcontagieusesquebientôt,cesonttouteslespersonnesprésentesquisemettentàrire,mêmeCora.Unsouriremalicieuxsedessinesurmonvisage.

—Ons’amusebienàcequejevois.

Jem’étranglepresqueenentendantcetimbredevoix,reconnaissableentremille.

Etmerde.

Isaacmecontournepourallers’asseoirsurundestroncsdeboisenface.Maisqu’est-cequ’ilfaitlà?Jecroyaisqu’ilavaituntrucdeprévu?

—Zac!Génial,t’eslà,luiditGabrielenluitendantlabouteilledevodka.Ont’attendaitpourboire

uncoup.

Ilritetportelegoulotàsabouche.

Je détourne le regard vers L.A. et M.J. qui courent dans les vaguelettes sur la plage ens’éclaboussantalorsqu’Isaacmefixesansunbattementdecilsens’installantprèsd’Anthea.

Ne pas penser à ses yeux si perçants ni à son sourire dévastateur. Et encoremoins à sesmainsrugueusesquiontessayédem’étranglercesoir.

BoisMia.

Unevodka,puisunedeuxièmeetunetroisièmeenplusdecellesquej’aidéjàingurgitéesaucoursdelasoirée.

Lanauséememonteetencorepluslorsquejelevoisdiscuter,commeunvraigentleman,avecuneamiedeCora. Il ne cherchepas à l’étrangler elle, ne la regardepasde traversnonplus et semblemêmel’apprécier.

MonverretenduversM.J.,quiestrevenus’asseoir,estrempliparsessoins.Coranousscrute,leregarddésapprobateur.

Ohçava,onestjeune,paslapeined’enfairetouteunehistoire.Jesaisquejen’aipasledroit,maisellenonplusn’apasl’âgeetelleenestàsondeuxième.Enplus,jemesensalanguieetàl’aise.

—Alorscommeça,tuesdouéeendessin?medemandeM.J.enportantlabouteilleàsabouchepourboireunegorgée.

Jelèveunsourcil,unpeusurprisequ’ilessayedemefairelaconversation,àmoi.

—Toncopainadûtemontrermoncarnet.Pourquoituposeslaquestion?

—J’saispas,j’essayedememontrergentil,c’esttout.

Ilhausselesépaulesetmoil’autresourcil.Parfois,ilesttellementfrancquec’enestdéstabilisant.

Jemeradouciscarfatiguéed’êtreconstammentsurladéfensive.Ilfaudraitquejemelâcheunpeu,même si je ne dois pas faire de fauxpas pour ne pasme faire remarquer.Unenouvelle vie passed’abordparl’anonymatlepluscompletetc’estcedontj’aienvie:uneexistenceneuve,sanshistoires,normalequoi.

—J’aitoujoursaimégriffonner.Çavientdemamère.Elleétaitpeintre.

—Était?Pourquoi,elleaarrêté?

Jememordsimmédiatementlalèvreencomprenantmabêtise.MaisM.J.nerelèvepasetreprendcommesiderienn’était.

—Jesaispasdessinermoi.J’aijamaissu.Mondadac’estlessciences.

—Etlecinéma,jerajoutepourluifaireoubliermamère.N’est-cepas,DarkMaul?

—SérieusementMia,tumevoisvraimentcommeunapprentidumalabsolu?

Jerisetfinismavodka-cherry.Latêtem’entourne.

—Bah,t’asautantdemarquesqueluialors…

—Non, j’ai des tatouagesmoi. Lui, il a desmarques. Et en plus, si je suis DarkMaul, ça faitd’Isaac,DarkSidious,monmaîtreincontesté.

Ilritetjenesaispaspourquoi,maismoiaussi.

Del’autrecôtédufeu,Isaac,quivientderefuserunverre,meregardeenplissantdesyeux.Ilmefatiguelui.

Jedécidedel’ignoreretmeretourneversM.J.quienlèvesaveste.

—J’aichaud.

—Pareil…

Mavoixesttraînante,j’enaiconscience.Peut-êtrequejedevraism’arrêterlà?

—Jetefaisdel’effet?

Ilhausseplusieursfoislessourcilsenmelançantunsourirecarnassier.

—Absolumentpas.

C’estvraiqu’ilestcraquant.Bon,plusquecraquant,maisjesuisencolèrecontreluialors jenel’admettraipas.

—T’essûre?

—Tum’énervest’façon.Vousêtes…det’façon,jesuisencolère.

Jefaislamoue.

Miguelritetsemêleànotreintermède.Ilm’attrapelementonalorsquejefaismamauvaisetête.

—Tuperdsdéjàtesmots,Gilmore.Ondiraitunegamine.Pourquoituesfâchéelà?

Jemedébatspourqu’ilmelâche.Mauvaiseidée,toutsemetàtournerautourdemoi.Lesflammesdansentetsemélangentaupaysagedevantmesyeux.J’enperdsl’équilibreetglissedurondindeboispourmeretrouverlesfessesdanslesable.

Miguelpartdansunriremoqueur,Ashtonlesuit.

—C’estbon,tuesofficiellementsoûle.

—N’importequoi…

Jecherchemonverredesmains,maistoutàcoup,dusableglissedansmonhaut.

—Hé!!!

M.J.estentraindem’enmettrepartout.Jesautesurmespieds,enmedandinantdanstouslessens,pourme remettre debout,mais ilme tire vers lui parmonchemisier et lemondebascule soudaindevantmesyeux.

—Attention,tuvasfinirdanslefeu!

Jetombeenarrière,presqueauralenti,l’entraînantavecmoietmeretrouveentêteàtêteaveclesastresau-dessusdenous.Ilaamortimachuteetjeresteétaléelà,enétoiledemer.

Ils’époumone.

—Eh!Tum’écrases!

Jenesaispassijesuisfolle,maisjesuisprised’unfourireincontrôlable.

—Eh!J’aiuneidée!s’exclameGabriel.Allonsnousbaigner!

Il enlèvedéjà son t-shirt.Miguel s’approchedemoi,maisalorsque jecroisqu’ilvam’aider, il

attrapemesmains etmebalance sur son épauledroite commeunvulgaire sac.Mon rire s’étouffedansmaboucheetsetransformeenunesuccessiondecouinements.

—Mais…Eh!!

Jesuisballottéedanstouslessensalorsqu’ilsprinteverslesvaguesenm’emmenantaveclui.

—Mig…

Pas le temps de protester davantage que je me retrouve violemment projetée en arrière. L’eaufroidemesaisitetannihilemessens,moncorpsseraidit.Jecommetsl’erreurd’ouvrirlaboucheetfrôlelanoyadedepeu.Ilm’enrentredepartout:parlenez,lesoreilles.Jemedébatsetremonteàlasurfaceeninspirantprofondément.

—Espècede…!

—Tagueule,Gilmore!Elleestbonne.

Onm’éclabousseencoreettoutautourdemoi,descrisetdesriress’élèventalorsquejem’essuielevisagedelamainettousseaprèsavoirbulatasse.Monestomacestretournéetjesuisàdeuxdoigtsdevomir.

Jemetraînejusqu’aurivageàquatrepattesetposemesfessesdanslesablemouillépourreprendremonsouffle.

Ils se sont tous jetés à lamer. Il n’y a que Cora et un ami à elle qui restent autour du feu. Ilspoussentdescrisassourdissantsens’éclaboussantlesunslesautres.

Isaacestentraindesebattregentimentdansl’eauavecM.J..Ilsrientetsechamaillentcommedesgosses.Etbiensûr,ilssonttoustorsesnusetlesfillessontensous-vêtements.Jesuislaseuleàavoirtrempémeshabits.

M.J. a bien plus de tatouages qu’Isaac, que n’importe qui d’autre d’ailleurs.Mais d’habitude, siIsaacesttrèshabillé,là,torsenuetenboxer,jevoistoutcequejenepouvaispasavant.Mamâchoires’endécroche.Iladesjambesmuscléesetfermes,uncorpsdessinécommedanslesmagazines,ceVquiseformesurlebasdesonventreetlelégerduvetquiycourt,rajoutentencoreplusdecharmeetdemasculinitéàsapersonne.Etcettebossesoussoncaleçon…Mesjouess’empourprentfaceàcettevisionquelquepeuérotique…

IlattrapeM.J.parlespiedspourlefairetomberetritàgorgedéployée.Jenel’aijamaisvurire

commeçadevantmoi,jamais.Celameparalyse;ilal’airsifrancetnaturelavecsesamis,pasunpoil agressif. Et c’est encore plus flagrant quand il fanfaronne avec M.J., la façon qu’il a de leregarder,commeungrand-frère.

Dans lesbrumesdemoncerveau, j’ai l’impressiondedistinguerdesétoilesunpeupartoutdanssondos,maisjen’ensuispascertaine.Enrevanche,ilyabiencespetitesailestatouéessursontorse.Ilfaitsombre,j’aitropbuetnevoispasbien,maisilmesemblequ’AntheaetL.A.enontaussidansledosetsurlesépaules.Destatouagesbienplusimposantsqueceuxdesgarçons.

—Tufaisquoi,Gilmore?!

Ashtonm’éclabousseenm’envoyantdegrandesgerbesd’eaupourmefairerevenirsurterre.

—Ilfaittropfroid!jeluicrie.

Uneminute,quoi?!JeviensdeparleravecAshton?Celuiquim’assassineduregarddepuisunesemaine?

—Faispastachochotte!

IlreplongeenentraînantL.A.aveclui.

Isaacseretournealorspourm’observer.

—T’esmêmepascapdevenirtebaigneravecnous,Gilmore?

Etilserejetteàl’eausansattendremaréponse.

—Imbécile!jehurle.

Maisjerestelà,àlescontemplers’amuserdurantuneminute,avantdemerelever,d’enlevermesvêtementsàlava-viteetdelesjetersurlesablepourm’engouffrerdanslamerglaciale.Ilfaitnuitnoire,ilyaàpeineunrayondeluneetpersonnenemeregardevraiment.Alorsjemelanceetplongela tête la première. Elle est très froide, mais jem’habitue vite. Charlène, une des amies de Cora,m’éclabousse,jefaisdemêmeetnousrionsensemble.

Qu’est-ce que c’est bon d’être insouciante parfois, j’ai l’impression de retrouverma liberté devivre,celled’unejeunefillenormale.

Lorsquetoutàcoup,onmetireparlespieds.Moncorpss’enfoncedansl’eausalée,jemedébats,

mais les cris et riresdes autres couvrent lesmiens. Je ferme lesyeuxet clos labouchequanddesmainsmeretournentparleschevillesavantdem’enserrerlespoignets.

Sousl’eau,lesbruitssontatténués,lessonsàlasurfacenem’atteignentplusetjesuiscommedansunebulle,enapesanteur.C’estunepressionsurmapeauquimefaitouvrirlesyeux.Ilsmebrûlentdèslorsqueleselypénètre.

Je me retrouve en face de lui, à le fixer. Mon cœur s’emballe et un tourbillon d’émotionsm’envahit.Unrayondelunetraversel’eauetsereflètesurnous.Messentimentssontconfus:delapeurouduplaisir?Cequiestsûr,c’estquelabaignadem’aunpeudégriséeetquemaintenant,jesuisparfaitementconscientedecequejefais.

QuandIsaacmetireverslui,allezsavoirpourquoi,jemelaissefaireetenroulemesjambesautourdesonbassin.

C’estofficiel,j’aiungrain.

Lemagnétismequi sedégagede luiest très fort,c’estcertain,maisçanepeutpasêtresuffisantpourmefaireperdrelatête,si?

Impossible,mêmeàtraversl’eau,denepassentirsesdoigtsquiremontentlelongdemescuissesnues jusqu’àmeshanches.Lesbrûluresqu’ils laissentsurmapeaumefont trembler.Mesmainsseposentsursontorsepourlefairereculer,recouvrantsesailesparlamêmeoccasion.Jesaisquejedevraislefaire, lerepousser,m’enfuir,maispouruneraisoninconnue,jen’yarrivepas.Pourquoidevrais-jefuir?Deuxpartiesdemoncerveauont,enquelquessecondes,letempsdesebattreenduel.

Ilfaitsombre,sesyeuxsontplongésdanslanoirceur,maisjedistinguelescontoursdesonvisagequandilserapproche.

Àtambourinercommeça,jesuissûrequemoncœurpourraitcréerungigantesquetsunamiautourdenous.

Ilm’estdifficiled’ignorercesentimentquiembrasetoutmonêtreàl’instantoùseslèvrestouchentlesmiennes.Serait-cedudésir?

Commeuneautomate,mesbrasserefermentautourdesoncou,alorsqu’ilmesoulèvepourmecollercontrelui.

J’ouvre laboucheetdesbulles s’échappentvers la surfaceavantqu’ilnevienneposer la sienne

contrelamienne,frémissante.

Monventresetorddansunechaleurinsupportable.Qu’est-cequec’estqueça?

Me tétons durcissent au moment où sa langue fiévreuse touche la mienne. Il souffle dans mabouche,m’envoiedel’airquejeprendsetenfoncesesdoigtsdansmachair.

Cetéchangeestmouillé,saléetlégèrementpiquant,maisl’intensitéquis’endégagemedonnelesentimentqu’ilpourraitbiens’agirlàdemonvéritablepremierbaiser.

Personne ne m’a jamais embrassée comme lui le fait, ou alors je n’ai jamais rien ressenti desemblableavant.Unemyriaded’émotionsmeprendauxtripes.Unfrissonmesaisitdelaplantedespiedsetcourtjusqu’àlapointedemescheveux.Jemelaisseporterparlavague,parl’ondedeplaisirquecebaiserfaitnaîtreenmoi,etenoubliepresqueceluiquim’embrasse,oùjesuisetpourquoij’ysuis.Quandlesbrasd’Isaacserefermentautourdemoipourm’attirercontrelui,mesdoigtsglissentdanssachevelure.

Seslèvressontsalées,doucesetchaudes.Complètementassourdie,jeneperçoisriendecequ’ilsepasse autour de moi et n’entends plus un traître son, comme si mes tympans avaient été brisés.Hormislachaleurquibouillonnedansmonventre,laseulesensationquimeparvient,estcellequisetrouveentremesjambes:sonboxeradoublédevolumeetjelesens,maisc’estunevagueénormequim’extirpedemonutopie.

Noussommespoussésviolemmentetsanslevouloirréellement,jemedétachedelui,lesbrasetlespieds en avant, commeunepoupéemorte. Il tend lesmainsversmoi, lesyeuxgrandsouverts,maisilestemportéensensinverse.

Leréveilestbrutal.

Jebatsdesbrasetdespiedspourremonteràlasurfaceetflotteraumilieudesvagues.Àl’airlibre,j’ouvregrandlabouchepourrespireràpleinspoumonstoutenregardant,affolée,autourdemoi.

Lesautresjouenttoujourssanssedouterdecequ’ilvientdeproduire.

J’aidumalàcroirequejesuisrestéeenapnéesipeudetempsalorsquecelam’asemblédureruneéternité.

M.J.s’approcheetm’ébouriffelescheveux,maisjesuisencoretropchoquéeparcequejeviensdefairepourl’envoyerbalader.

—Çanevapas?

Jeveuxcroirequesi j’ai lesyeuxrougisc’estpar leselet l’eaudemer,paspar les larmesquimenacentbrusquementdecouler.

J’ai toujours le chic pour embrasser celui qu’il ne faut pas et pourmemettre dans ce genre desituation.Maintenant,ilvapenserqu’ilpeutm’avoir,quejel’aialluméetqu’ilm’intéresse.Jesuisentrainderevivrelamêmehistoire,derefairelamêmeerreur,lamêmefolie.

—Mia?

M.J.poseunemainsurmonbras,jemedégagebrusquementpoursortir.Plusenviedebaignade.Niderien.Jeveuxjusterentrerchezmoipourretrouvermonlit.

Jesorsentrébuchantpresquedel’eauetessuierageusementleslarmesquicoulentsurmesjoues;aumilieudesgouttesquiruissellentsurmapeau,ellespassentinaperçues.

Ilmerattrape.

—Eh,attend,moiaussij’aifroidmaintenant.

Jedétournelesyeuxdesoncorpspourramassermesvêtements.J’enfilemonshortpar-dessusmaculottedecoton trempée, toutensecouantmonchemisierenplumetispour ledébarrasserdusablequiyestcollé.Unefoiscelafait,jeremonteverslefeudecampsurladuneaumilieudesoyatsetautresplantesarénicoles.

Maisenapprochant,fortestdeconstaterqueCoraetsonaminesontplusseuls.Ilyadeuxautresgarçonsaveceuxettroisfillesaussi,quin’étaientpaslàtoutàl’heure.

L’und’euxestblack,aveclecrânerasé,unlookdebaroudeursexy,ilritavecCora.Tiensdonc,ildoit lui plaire, celui-là. Le deuxième est plus grand, plus séduisant encore, avec un labret,{43} unanneauà l’oreilleetunemultitudede tatouages. Il est torsenuet son t-shirt est jeté surunede sesépaules;seschaussuressontdéfaitesettraînentàcôtédelui.Ilrouledutabacetestconcentréquandj’arrive.

Coraseretourneversmoi.

—Ah,Mia,voici,Amanda,Chelsyet…

Je n’écoute plus. Les filles qu’elles me présentent sont inintéressantes, lui en revanche, est

intimidantetcaptivant.IlarelevélesyeuxversmoietsonregarddejadeestaussitétanisantqueceluideZac.

Jereluquesansm’enrendrecomptechacundesmusclesdesoncorpset les tatouagesquiysontdessinés.

—Killian.

—Mickael.

M.J.poseunemaindansmondosnu,cequimefaitsursauter.L’attentiondesgarçonsestrivéesurmapoitrineoffertedansunsoutien-gorgeàbalconnetsbasiqueetnoir.

Alorsseulement,lerougeauxjoues,jemeretournepourremettremonchemisier.

—KillianestlefrèredeZac,m’indiqueM.J.toutsourire.

J’aiunmouvementdesurpriseetenrestepresquebouchebée.

—Quoi?

Iln’étaitpasfilsunique?

LesautresontrejointlebordetIsaacpasselesdeuxmainsdanssescheveuxensedirigeantversnous. Je refoule les frissonsquimeparcourentetmedétournepouressorermachevelureàmainsnues.

Tout lemonderit,blague, salue lesnouveauxarrivants.Lesgarçonsont l’air imperceptiblementtendus.

Jem’assiedsprèsdeCoraetlorsqu’unedesfilles,Ambrejecrois,selève,mesprunellesclairess’accrochent à ses jambes vertigineuses et les jalousent honteusement. Elle file droit vers Isaac etl’enserredesesbras.

—Bonsoirmonamour,minaude-t-elle.

Sansattendredavantage, elle sepenche sur lui et l’embrasse fougueusement.Cependant, il ne selaissepasalleràcettedémonstrationd’affectionetgardelesyeuxgrandsouvertstoutenmefixant.

Moncœurs’emballeetjedétournebrusquementleregardpourobserverlesflammes,incapabledemeréchauffer.J’entendsleurscrépitementsetleboisquisefendaucentredecebrasier.Iln’yaplus

rienquipeutsebriseràl’intérieurdemoi,alorsquelestcesentiment?

M.J.sepencheversmoietmemurmurequelquesmotsaucreuxdel’oreille.

—Ambre,c’estlapetiteamied’Isaac.Çavafairepresqueunmoisqu’ilssontensemble.

Jefermelesyeuxetserrelespoings.

Espèced’idiote.Tutefaisavoirencoreettoujours,àchaquefois.

MamainvientseposersurcelledeM.J.

—Ressers-moiàboire,s’ilteplaît.

15

Lesabîmesduplaisir

Mia

«Toutcommeilyadeuxversionsàchaquehistoire,ilyadeuxversionsàchaquepersonne.Uneversionquenousrévélonsaumondeetl’autrequenousgardonscachée…Unedualitégouvernéeparl’équilibredelalumièreetdel’obscurité.Chacundenousalacapacitéd’accomplirlebienetlemal,maisceuxquisontcapablesdebrouillerlalignededivisionmoraledétiennentlevraipouvoir.»

Revenge.{44}

—Mia!Mia!

Monoreillerplaquésurmatête,jetented’étoufferlescrisdeLukederrièrelaported’entrée.

Uncumulonimbusgéantdoitavoiréludomiciledanslapartiehautedemoncrâne.

—Mia!C’estLuke!Tueslà?

Jenemelèvepasetnerépondspasnonplus.

PlustardLuke.Aujourd’hui,j’aijusteenviederejoindrelemondedesrêves,parcequequandondort,personnenenousparle,ilfaitbonsouslacouette,lemondeentiernouslaissetranquilles.Jeneveuxpasmelever,cardèsquejesoulèvemespaupièreslourdes,jerepenseàlanuitd’hieretc’esthorrible.

Cebaiser,bonsang!Cebaiser…

Ilétaitau-delàdetoutcequej’aiconnudansmavie,au-dessusdupossible,complètementhorsdelaréalité.

Enplus,ilmedéteste,non?J’aiprobablementrêvé.Aprèsavoirbutoutmonsaoulpourneplusvoir Isaacbécoter cetteblondeetneplusentendre lesblagues ringardesdeM.J., j’aivomidans laMaseratideCora.

Jenesaispluscommentj’aiatteintmonlit,maiscequiestsûr,c’estquej’aigerbédanslavoituredelaseulepersonnequiauraitpuêtremonamieici.

Luke s’affaire derrière la porte dans un vacarme pénible, puis, après quelquesminutes, sa Jeepdémarredansungrondementassourdissant:ils’enva.

Jeluiparleraiplustard,sûrementcesoiravantd’allerauRubis.

Unmiaulementretentitsoudain.

Minuit est à lamaison et je peux entendre ses coussinets claquer sur le bois alors qu’il grimpequatreàquatrelesmarchesdel’escalier-bureau,pourvenirs’installerconfortablementsurmoi.Jelechassedelamainettirelacouverturesurmatête,maisilesttenaceetrevientaussitôt.J’abandonne.

C’estagréabled’avoirunchat, ilfautlereconnaître,mêmesicelui-cin’estpaslemienetquejevaisdevoirlerendreunjouràsonpropriétaire.

Ilafaitpipidanslesalondeuxfois,jedevraisacheterunelitière,maiscelavoudraitpresquedirequ’ilvitici.Cependant,ilsemblesibiendanscetendroit,qu’ilpourraitbienresterunmomentsansquecelanemedérange.

Monmaldecrâneserenforce;ilmefautuncachetpourfairepasserladouleur.Avecparesse,jetiremontéléphoneversmoietyjetteunœil:ilest11heures.J’aideuxappelsmanquésdemamèrequejerappelleraiplustard.

Pour l’instant, il fautque jesortedulit.J’avaisprévudefaire lesmagasins,monarmoirecrieàl’aidetellementelleestvide.

**

Douchée,changéeetnourrie,monvieuxsacen toilesur ledos, jemarche jusqu’enhautmaruesousunsoleiléclatant,unedemesfameusessucettesàlacerisedanslabouche.Quandj’arrivedevantchezLuke,ilestsoussavéranda,autéléphone,unebièredanslamain,etsebalancesursonrocking-chair.

Jeremontemeslunettesdesoleiletlescaledansmescheveux.

—Salut!

Ilraccrocheavecsoninterlocuteur.

—Salut,gamine.Pardon,M-i-a.

Houla,ilal’aird’unehumeurdechienetdequelqu’unquines’estpasrasédepuisunesemaine.Jeremontelesmarchesdesavérandaenmâchouillantmasucettenonchalamment.

—Jedormaisquandtuespassé.

—Tuessortiehiersoir?

—Oui,avecdesamis.

Ilfroncelessourcils.

—Tusaisquetuestropjeunepourboire,Mia,etpasquestiondet’attirerdesennuisici.Ilfautquetufassesprofilbas.Situtefaisarrêterparlesflics…

Jesoupirebruyamment,exaspéréed’êtrecouvéedelasorte.

—Jenevaispasmefairearrêter.Etpuisc’estbon,personnenemeconnaîtdanscetteville.

—Jesaisetilfautqueleschosesrestenttellesqu’ellessont.

Aucundenousneparlependantquelquesminutes,avantqu’ilnereprenne.

—Jevaisretournertravaillerlà.Tuveuxqu’onmangeensemblecesoir?

—Jebosse,Luke.

—Demaindanscecas?Tupourraispasserlajournéeici.Enfinsaufsituasdestrucsdeprévusavectescamarades.

Il y a tant d’espoir dans sa voix que je soupire doucement et finis par lui renvoyer un sourirechaleureux.

Jen’aipasvraimentd’amienfait,alors…

Ilfaittantdechosespourmoietilestmaseulefamilledanscetendroit.

—D’accord.Jeferailerepas.Jecuisinerai.Qu’est-cequetuaimes?

—Tout.

Jecompterepartirquandilrépètequ’ilparttravailler.NousfaisonsalorsletrajetdanssaJeepetilme laisse au grand centre commercial qui borde la ville.Aumoment où je vais pour sortir de lavoiture,ilmetendsacartedecrédit.

—Tiens,fais-toiplaisir.

—Pardon?Maistuescomplètementcingléouquoi?J’aidessous.

—S’ilteplaît.Jesuistononcle,jenet’aipasvugrandir.J’aienviedetefaireplaisir.Nelefaispaspourtoi,fais-lepourmoi.ConsidèreçacommemoncadeaupourtouslesanniversairesetlesNoëlsquej’aimanqué.J’aiunplafondassezhaut,vas-y.

Jesecouelatête,abasourdie.

—MaisLuke…

—S’il teplaîtA…Mia.Pourmoi?Achètecequetuveux.Jenefaispasvraiment lesmagasinsmoi.

Je soupire longuementavantdemepencheret luieffleurer rapidement la joued’unbaiser.Moncœurs’estemballé,maisLukefaitcommesiderienn’étaitetmepoussepresquedehors.Mesdoigtsattrapentlacarteetjesauteàterre.

Jenemepermettraijamaisdedépensertoutesseséconomiesdansdeschosesinutilespourmoi.Enrevanche,s’ilnefaitjamaislesboutiques,jepeuxluiprendredestrucspourlui.

Unecinquantainedemagasinss’offreàmoi.Paroùcommencer?

Jem’engouffre dans la première quim’attire : une enseigne J.Crewque je dévalise carrément,avecMONargent.Jeans,chemisiers,petitstops,shorts:dequoivivresoustrentedegrésenmoyennetoutel’année.Nonpasquejeviennedufroid,j’aigrandidanslaSunBeltaubordduPacifiquequandmême,mais jeneportais jamaisd’habitscourtsoudécolletés,parcequejen’avaispas ledroit,ouqueçaneplaisaitpas.

Aujourd’hui,jefaiscequejeveuxetuneboufféederébellions’emparedemoi.

La vendeuse quime voit emportée parmon élan de sérial shoppeuse, semet entièrement àmadisposition.

Ellemeconseilleetmefaitessayertoutessortesd’articles:unechemiseenjeanetunejupecrayon.Jen’aijamaisportécegenredechosesetencoremoinslacombinaisonfluideàmotifsgéométriquesnoireetorange,trèsdéstructurée,nilesmokingcintrépourfemmeaccompagnédesapetitechemiseblanche,qu’ellemepropose.Trèsmasculin-féminin,j’adoreetçameva.Elleréussitàmeconvaincredeprendreunerobebaindesoleiletuneautreenjerseygris,unperfectoencuiretunejupeenjeanaussi.

En un seulmagasin, j’ai claqué pratiquement toutmon budget.Mais bon sang, qu’est-ce que çarevigorededépenserunpeud’argentdansdesvêtements!J’avaisoubliél’effetpush,jouissifetzenqueçaengendresurmeshormonesféminines.Mieuxqueleyoga,mieuxquetout.Riendetelqueleshoppingpourmefairedécompresser.Dommagequ’Arizonanesoitpasavecmoi.

Jevisitequelquesboutiquesdebijoux,accessoires,chaussures,maisàpartdessandales,jen’achèteriend’autre.Sijepeux,lemoisprochain,j’investiraidansunnouveausac.Enrevanche,j’aibesoind’escarpinspouralleraveclapetiterobenoirequej’aichoisipourmerendreàl’opéra.Unepairedechaussuresécaillesensoldes,noires,deManoloBlahnik,mefaitdel’œil, jenerésistepasetsautesur l’occasion. Elles sontmagnifiques etme coûtent une semaine de salaire, mais je les garderailongtemps.PourfaireplaisiràLuke,j’enpayelamoitiéavecsacarte.

Aumilieu dema tempête shopping, je prends une pause vers 15 heures pour déjeuner dans unecafétéria,avantdemeremettrefrénétiquementenquêted’uneenseignedefringuespourhommesàpeuprèscorrecte.Finilesboutiquesstyle«cow-boymoderne»ou«dandyencardigan»,quineluiiraitpasdutout,ilfautquejeluidénichedesvêtementsmasculinsquienjettentsansenfairetrop.Jefinisparmettrelamainsurcequejecherche;entret-shirts,jeans,vestesetchemises,jeprendsunpeude toutnesachantpasquoichoisirexactement, ilmettracequ’ilveut.Lavendeusearboreuneexpressionattendriequandje luidisquejefais lesmagasinspourmonpère.Pasenvied’étalermasituationfamiliale.Enmêmetemps,ellepensaitquec’étaitpourmonpetit-ami.Déjà,est-cequej’ail’aird’avoirquelqu’undansmavie?Unepauvrefillepauméecommemoi,habilléeennoir,unjourdegrandsoleil.Puis,sijevoulaisfaireplaisiràunquelconquepetit-ami,croie-t-ellevraimentquejeviendraisdansuneboutiquecommecelle-là?

Non,j’iraisdansunedecellesquivendentdujeanàfoison,ducuiretdu…

Bonsang!Maisest-cequ’ilvasortirdematêteoui?!

Mabonnehumeurunpeuretombée,jequittelecentrecommercialavectousmessacspourallerfairelescoursesausupermarché.

Mon caddie en main, déjà plein de mes sacs, je parcours les rayonnages à la recherche desingrédientspourpréparerunrepasàLukedemain.Ilditqu’ilaimetout,maisbon,c’estunhommedelaquarantaine,quivittoutseuletquial’habitudedessteaks-fritesaudînerducoin.

J’aimebien cuisiner. J’aimais bien tester de nouvelles recettes avecArizona etmamère.C’étaitnotremomentetlacuisineétaitnotrerepère.Toutenotreviesefaisaitdanscetendroit.

Aprèsquelquesminutesàtournerenrond,jecraquepourunerecettedecrevettesaulaitdecoco,accompagnéesderizetdepetitslégumesquefaisaitmamère.C’estbiença,c’estconsistant.

Quandjetendslamainpourprendrelaboîtederiz,uneautrel’attrapeavantmoi.Jem’apprêteàfustiger l’inconnu,mais perds l’usage de la parole lorsque je vois qu’Isaac se tient devantmoi. Ilagitelepaquetenl’airetmelanceunsourirescandaleux.

Il porte un simple t-shirt blanc, col en V, aux manches courtes, qui laisse apparaître tous sestatouages,unjeansstone,paslegenredepantalonàmoulerlesbijouxdefamille,maisunvraibasdemec,tombantsurseshanches,avecdesérafluresicietlàetdesbasketsencuirnoir.Pasdebottesdemoto, pas de veste en cuir, pas de noir à part les chaussures : c’est troublant.Ça le rendmoins…sombre.Sescheveuxformentdesmèchespointuesetéparsespar-ci,par-làetilaunebarbenaissantebiendessinée.

Ildégageunesensualitédémesurémentattractiveetsentlepropre,commes’ilsortaitàpeinedesadouche,cequimefaitfaireunpasenarrière.Lesgensquiparaissentfraisàtouteheuredelajournéecommeça,m’onttoujoursintriguée.Commentfont-ils?

Deplus,ilacerictusinsolentquicreusedesfossettesdanssesjoues;cesourireàfairemouillerlesfillessansqu’ilaitbesoindelestoucher.

—Tucuisinescesoir,Gilmore?

Moncœursemetà jouerdu tambouretmesmembres tremblentcommed’habitude.Mais jemereprendstrèsviteetluiarrachelaboîtedesmains.

—Rends-moiça.Tumesuisouquoi?

Ilritensemordantlalèvre.Jemeurs.

—Peut-être.J’aimebient’observer.

Jelèvelessourcils,perplexe.

—Pourquoi?

Etluihausselesépaules.

—Honnêtement,jen’ensaisrien.Tuesinintéressanteaupossible,maisjecroisquec’estjustementçaquim’intrigue.Jen’aijamaisvuquelqu’und’aussiinsignifiant.

Endisantça,ilmeregardeavectantdesérieuxquej’enplissedesyeux.

—Tonbaiserdisaitlecontraire.

Maisaumomentoùcesmotsfranchissentmabouche,jeleregrette.

Faitesquejen’aipasditça…

Un sourire étire lentement le coin de ses lèvres et je détourne le regard. Il a fait exprès demeprovoquer.

—C’estvrai.Jenesaispascequ’ilm’apris.J’avaisbuetjet’aiconfondueavecL.A..

Quoi?!Ilsefichedemoi!

J’exploseetagitelaboîtederizsoussonnezencriant.

—Tutefousdemoi!Jeneluiressemblepasdutout!C’étaitquoiça,hein?!Tum’étrangles,tumemenacesetaprèstum’embrasses?Tum’asprisepourqui?!Jenesuispasunedetescopinesàlanoix!Etjenem’appellepasL.A.,niAmbre!

Ilaunlégersoupird’exaspérationetm’attrapevivementlepoignet.Instinctivement,jerecule.

—Situmefrappes,jetejurequejeporteplainte!jehurleencore.

Maisplusjechercheàmereplier,plusilserapprochedemoi.Iljetteunœilderrièreluiavantde…

—Salemalade!Tudevraistefaire…

Sansquejelevoisvenir,ilm’empoigneleshanchesetmetireversluipourécrasersabouchesurlamienne.

Espècede…

Mentheettabac.Lesgoûtssemélangentsurmeslèvresetsapeauacetteodeursiparticulièrequime fait frissonner.Mes lèvres s’enflamment à ce simple contact, je suis électrisée.Et quand ilmepresse contre lui, ou lorsque je me serre contre son corps, les sentiments d’abandon et d’oublisurpassentlereste.

Lesabîmesduplaisir.

Jem’agrippeàsesépaulesalorsqu’ilmeforcepresqueàouvrirlabouche.Iln’yapasd’eaucettefois,pasd’alcoolnonplusnidenuitnoire.Rienqui justifierait toutçaouquiempêcherait legested’êtretotalementréel.

Mesjambessontencoton,moncœurvasûrementexploserdansmapoitrine.Mapeauestenfeuetpasqu’elle…

Un petit gémissement incontrôlé m’échappe. Il caresse mes lèvres de sa langue, revientm’embrasserfiévreusementetimprimesesdoigtssurmeshanches.Jenesuisplusqu’unmillierdeparticulesdissoluesdansl’airetnemesensplusvraimentmoi-même.

—Mia…

C’estmonnomsoufflécontremabouchequimefaitréagir.

Unsursautdeluciditéetjemedégagevigoureusement.

—Lâche-moi,espècedecinglé!

Jereculesivivementquejemeprendslespiedsdansmoncaddiealorsqu’Isaacsepasselesmainsdans les cheveux avecune expressiond’effarement pareille à celle scotchée surmonvisage. Il estsérieuxlà?Ilfaitsemblantd’êtresurprisaussi?Commesic’étaitmoiquil’avaisembrassé.Encore.

—Zac…Qu’est-cequetufais?Jet’attends.

Jesursauteetluiégalementquandlablonded’hiersoirs’approchedenous.

Ohnon.Jenel’avaispasvuvenir.Ambre.

Ellemelanceunregardinquisiteuretpassesesbrasautourd’Isaacquifermeuninstantlesyeuxenserrantdespoingscommes’ilétaitexaspéré.

Cemec est une vraie plaie. Il a une copine,memartyrise et me prend pour une fille facile desurcroît.J’hallucine.

Maismerde,pourquoiilembrasseaussibien?Etpourquoiçamefaittantd’effet?Etpourquoijetombetoujourssurdesgarçonscommeça?!

Ambres’approchedemoi.Non,maiselleneveutpasmefairelacausetteenplus?

—Salut,jesuis…

Jemedétourneimmédiatementettiremoncaddieavecmoi.Alorslà,tupeuxcourirsitucroisquejevais copiner avec toi. Jenedeviendrai déjàpas amie avec ton idiot depetit ami, alors avec toi,certainementpas.

Jenesaispluscommentj’aifaitpourfinirmescourses.

**

Lelendemain

—Mia,qu’est-cequetuveuxboire?

Lukeestpenchédevantsonfrigoetd’aprèscequejepeuxenjuger,àpartdelabière,iln’yapasgrand-choselà-dedans.

—Cequetuas.

—Soda?

IlagiteunecanettedeColadevantlui.

Bon,jenesuispastrèssoda,maisçaira.

—Oui,merci.

Jemeremetsàremuerlescrevettesdanslapoêle.J’aimetoujourscuisinerpourlesautres.Enplus,jesuiscontentedenepaspassermonpremierdimancheicitouteseule.

Luke s’assiedà table et se remet à émincer lesoignonscomme je lui aimontré.C’est tellementbizarredeprépareràmangerpourunhomme.Monpèreestmortquandj’étaisbientroppetitepourconnaître ça. Il n’y a jamais eu d’autres mecs à la maison, à part Gauthier, le mari d’Emily, lameilleureamiedemamanouEddy,sonagentgay.Maissinon,jamais.

Méganen’ajamaiseudecopainsoud’aventuresaprèspapa.Elles’estunpeurenfermée,jecrois.

—Tunepréféreraispasvivreici?m’interrogeLukesansreleverlesyeuxdecequ’ilfait.

Unsoupirs’échappedemabouche.

—Jetiensbeaucoupàmonindépendance.Jenepensepasresterdanscettemaisonau-delàdesdeuxmois,maissij’aisuffisammentd’argent,jemetrouveraiunpetitstudioenville.

Ilnerépondpas.Maisàmontourdeposerdesquestions.

—Pourquoinepasm’avoirditqu’unefilleestmortedanslelac?Cellequihabitaitcettemaisonavant.

—Parcequec’étaitilyalongtemps.Çan’aaucuneimportance.Quelqu’unt’embêteavecça?

Sonpoingseserresurlecouteauqu’iltient.

—Non.

Jemeretournevers lescrevettesafinqu’ilnevoiepasmonmalaise.Jeneveuxpas lui racontermesproblèmes,parcequ’àcoupsûr,illesrapporteraitàmamèreetça,c’esthorsdequestion.Çafaitdéjàtroplongtempsqu’elles’inquiètepourmoi,inutiled’enrajouterdavantage.

—Sic’étaitlecas,Mia,jemeferaisunplaisirderéglerça,m’indique-t-ildansmondos.

—Net’inquiètepas.Iln’yapasdeproblèmes.

Nousnedisonsplusrien.Jefinisdecuisiner.

Lukeaunemaisonmagnifique.Grande,bientropgrandepourluiseul.D’ailleurs,jemedemande

pourquoi,aveclecharmequ’ila,ilesttoujourscélibataireetsansenfantàquarante-huitans.Jen’oseluiposerlaquestion.

L’habitationestenbois,perdueaumilieudesacacias,avecunjardinsauvageoùlesorchidéessemélangent aux fougères et à une multitude de plantes du pacifique sud. Sur deux étages, elle faitpenseràunchaletmontagnardavecunegrandevérandaombragéequidonneducôtédelaroute.Àl’intérieur,toutestrustiqueetmasculin:bois,métal,faussestêtesd’animauxempaillés…Maisilyadesrideauxetdescoussinsrougesunpeupartout.L’ensemblerendtrèsbien.Est-cequec’estluiquiafaitladécoration?

Lescouvertsdresséssurlatablequisetrouvesouslavéranda,montéléphonevibredansmapoche.

Jejetteunœil:lacalamité.Quemeveut-ilencore?

Deuxbaisersenmoinsdequarante-huitheures,çaneluiapassufficommetorture?

Iln’estpasvenuauRubishier soir.AucundesAngesen réalité et j’aipu respirernormalementpourunefois.Maisçanevapasdurer,n’est-cepas?

*Onestconvoquéensemblechezledoyendemainmatin,n’oubliepas.Etfaisgaffeàcequetuvasdire.Sijemefaisrenvoyer,jen’auraiplusrienàperdre.Tusaiscequeçasignifie.

Espèced’enfoiré ! Jen’arrivepas à croirequ’il réagissede la sorte.Memenacer encore, aprèsm’avoir embrassée comme ça. Et surtout me parler de notre convocation que j’ai bien reçue parcourrier,alorsquetoutecettehistoireestentièrementsafaute.Maisquelleenflure!

Jerépondsentapantavechargnesurmonclaviertactile.

*Tucommenceraisd’abordpart’excuserpourm’avoirembrasséeDEUXfois,sachantquetacopineétaitdanslesparages,alorsseulementlàj’envisageraidenepastefairevivreuncauchemarcommetuessayestoidemefairevivre.ImaginesiAmbreapprendcequis’estpassé.

Lukem’interromptdansmadispute-texto.

—NoussommesinvitésàdînerauOrtega,samediprochain.

—Nous?

—Oui,LaetitiaOrtegaestuneamieàmoi,elleaimeraitterencontrer.EllepossèdeunrestaurantversGrandBayetilyaunefêtelà-baspoursonanniversaire.Noussommesinvités.

—JetravaillelesamediLukeetjeviensdecommenceralors…

— Je suis sûr que si tu demandes à Vince d’échanger un soir, il ne dira pas non. Oh allez,j’aimeraisbeaucouptelaprésenter.

—C’esttapetiteamie?

Lesyeuxdemononcles’écarquillent.

—Petiteamie?!Laetitiaavingtansdeplusquemoi!Sij’avaisbesoind’unefemmedansmavie,jecroisquej’enprendraisunevingtansplusjeune.

Ilpartdansungrandéclatderireetjelesuis.Sabonnehumeurestcontagieuse.

L’arrivéed’unautretextomefaitdenouveaufroncerlessourcils.

*Tumemenaces,Gilmore?Nejouepasàça,chérie.Tuasaiméçaautantquemoi,cequiestassezétonnant.Jesuisunvéritableenfoiréettoi,tueslà,àsoupirer,gémiretentrouvrirleslèvresquandjet’embrasse…Tu es faible et fragile et c’est tout bénef ’ pourmoi. Tu peux l’ouvrir, personne ne tecroira. Et même si c’est le cas, personne n’aura rien à redire. Ambre gobera tout ce que je luiraconteraiettupasseraspourunefillefacileauprèsdetoutlemonde.

Mesmains semettent à trembler. Qu’est-ce que je disais ? Je tombe toujours sur lesmêmes etvéritablesenfoirés.Maisonmeladéjàfait,celle-là.Laréputationquejemetraînelàd’oùjeviensressembleàça,alorscommentluifairecomprendrequejemefichedecequ’ilpeutdire?

Enfait,c’estfaux.Jevoudraisvivreunevienormale,sansm’inquiéterdecegenredechoses.Ilyaunemauvaiseétoilelà-hautquim’apriseengrippeetquiadécidédenepasmelâcher.

Jesuisdéjàentraindetaperquejenegémissaispasquandjemerendscomptequ’ilfaitexprèsdemeprovoquer.

NetombepasdanssonpiègeMia!

J’effaceetréfléchisuninstantalorsqueLukes’installeenfacedemoi.

Ilaaiméçaautantquemoi?Qu’est-cequeçaveutdireça?Qu’ilaaimém’embrasser?Maiscemecestunvraimalademaparole!

* Je vais déménager, Isaac. Dans deux mois, quand j’aurai économisé suffisamment. Tu pourrais

essayerdemefoutrelapaixd’icilà?Parcequetesintimidationsneserventàrien!Jesaisquecettefilleétaitvotremeilleureamie.Maisjen’auraisjamaishabitélà,sij’avaissuqueçavousaffecteraitautant.

J’appuiesurlatouche«envoyer»toutenayantconsciencequecequejeviensdedireestinutileaveclui.Cettehistoired’amiedécédéedont jesuisvenueàvivredanslamaisonnedoitêtrequ’unprétextepourpouvoirmemartyriser.Iln’avaitpluspersonneàquifairedemaletjemeretrouvelà,àsubirsescolèresetsautsd’humeur.

—Ça,nevapas?medemandeLukeenseservant.

—Si,si,toutvabien.

Nousmangeons.Jezieuteversmontéléphone toutes lescinqminutes,maisn’aiaucuneréponse.Rien.

Lukeme parle de son boulot. J’essaye dem’y intéresser. Nous parlons également beaucoup demamanetd’Arizona,demamaisonquimemanque,sansenvenirausujetquifâche:celuiconcernantmondépart.J’imaginequetantquejen’enparleraipas,iln’enparlerapasnonplus.Loindemoicetteidéedetoutefaçon,personnen’enentendraparler.

Nous finissons le repas, j’aide Luke à ranger et nous regardons ensemble un film avec RusselCrow,undesesacteurspréférés,sansqueplusaucuneréponsed’Isaacnevienne.

Cen’estqu’àlatombéedelanuitquandjerentrechezmoiquejereçoisencoreuntexto.

*N’oubliepasdemeramenermonchatunjour.Minuitarendez-vouschezlevétérinaireàlafindelasemaine.

J’enrestecoite.Pardon?Sonchat?SONchat?!

Cen’estqu’unefoislesujetsurlatablequejemerappellequejedevaisquestionnerLukeausujetdespropriétairesdel’animal,jesupposequedésormais,c’estinutile.

*Etpuisd’abordqu’est-cequ’ilfaitchezmoi,TONchat?!C’estuneblague!

Plusderéponse.

**

Je relis tous ses messages dans mon lit sous les toits ce soir-là, et reste des heures à fixer leplafond,enrepensantàsonplafondàlui,saturédephrasesetdeverssombresetmélancoliques.

Mamanditquelaméchancetéadeuxvisages.Lepremier,celuidumalprofond,celuidesgensquisontnéssansamouretquinesaventpascequec’estquedel’éprouver.Ledeuxième,celuidel’âmeesseulée,meurtrie etmaltraitée tellement souvent, qu’il ne lui reste que la vilenie commedéfense.Blesserlesautresestlemeilleurmoyendelesteniréloignés,denepasleslaisserentrerdansvotrevie.

JemedemandedansquellecatégoriesesitueIsaac.Parcequej’aidumal,moi,àsavoir.

16

Tropdebleudanstonregard

Mia

«L’âmeàlacouleurduregard.L’âmebleueseuleporteenelledurêve,elleaprissonazurauxflotsetàl’espace.»

GuydeMaupassant.

Jesuisenretard.Jesuisenretard.Jesuisenretard…

Merépétantçacommeunelitaniepournepaspenseràautrechose,commemeretrouverdevantuncertainMilesIsaac,jememetsàcourirdanslescouloirsenbousculantlesétudiantssurmonchemin.

Convoquéechezledoyenà8heures30etjesuisenretard.Autantdiredéjàrenvoyéeoudumoins,qu’il n’aura pas une bonne image de moi. Je ne suis qu’élève indépendante de la fac et si Lukeapprendque jemesuis faitvirerpourdesconneries, il lediraàmamère,quis’inquiétera,perdraencore ses cheveux et fera saignerArizona du nez. En plus, Luke a payé ces cours, il n’était pasobligédefaireçapourmoialorsjeneveuxpasledécevoirouparaîtreingrate.

Quandjefranchis leseuildubureaud’administration,ennage, lasecrétairedudoyenfronce lessourcilsd’unairmauvais,par-dessusses lunettesdevuepapillon.Cettefemmemefaitpenseràunpersonnagedefilm.Genreuneassistantepète-sec,avecsesanglaisesblondestrès,trèsbiendessinées,sonrougeàlèvresécarlate,sontailleuràcarreauxjaunesetnoirsetsonmaquillagetropostentatoire.Jenel’aimedéjàpas.

—Oui?C’estpour?

Mêmesavoixavecsonaccentbritishm’insupporte.

—Jem’appelleMiaGilmore.J’airendez-vousavecled…avecMonsieurColeman.

Ellepianotesursonclavierenmeparlantenmêmetemps.

— Vous êtes en retard, mademoiselle. Asseyez-vous, Monsieur le doyen est encore envidéoconférence.Ilvousrecevradèsqu’ilaurafini.

Elleme désigne un banc de bois vernis dans un coin, sur lequel un certain IsaacMiles est déjàaffalé,sontéléphoneenmain.

Merde,jenel’avaispasvu.

Machinalement, je me reprends, me passe les doigts dans les cheveux pour les discipliner etarrangemonchemisierentirantdessus.

—Asseyez-vous!m’intimedenouveaulasecrétaire.

Jeluilanceunregardcourroucéavantdem’avancerverslui,àdeuxàl’heure,pourprendreplacetoutauboutdubanc. Ilpianote sur son téléphoneetne lèvemêmepas lesyeuxversmoiquand jem’assiedsetcroisemesjambesl’unesurl’autre.

Monpantalonchinoestunpeuserré,maisjefaisavec.Enplus,c’étaitleseulquiallaitavecmonchemisierblanc.Dessandalesplatesetunetressesurlecôtéenguisedecoiffure,j’aijouélacartedel’étudiante-modèle,enespérantnepasm’êtretrompée.Devantledoyen,mieuxvautêtresérieuseetIsaacl’aaussicompris.Mêmesilà,ilestaffaléavecsontéléphoneàlamain,ilaquandmêmemisunjeansstoneplusneufqueceluiqu’ilportaitlorsqu’ons’estcroiséausupermarchéet…unechemise.

Unechemise?!

Oui, une chemise grise, rentrée dans son pantalon, les manches relevées, laissant ses tatouagesapparaîtresursesbrasetsesmains.

Avecseschaussuresmontantes,letoutrendvraimentbien.Plusmature,plusvieux.Ilnefaitpassesvingt-quatreans.Ilfaitunpeuplus.

Quandilfaitminedeleverlatête,jedétourneleregard,aveccefrissonquimecourtsouslapeau.

Seigneur,pourquoic’estsidur…

—Tuesstressée?

Jeclignedesyeuxenmerendantcomptequ’ils’adresseàmoi.

—Quoi?

—Jetedemandesituesstressée?

—Non.Non…je…pourquoitumedemandesça?

Ilhausselesépaulesetmedétailledelatêteauxpieds.

Jemesensrougir.Del’air,ilmefautdel’air.

—J’airemarquéquequandtuesstressée,tujouesavectabague.Ouexcitéeaussi.Puisquetujouesavecchaquefoisquejesuisàproximité,alors,jet’exciteoujetestresse?

Automatiquement,j’arrêtedetripotermonanneau.C’estungestemachinal,jenem’enrendsmêmepluscompte.

Je soupire rageusement et décroise mes jambes en ouvrant mon sac pour trouver une de messucettesauparfumcerise.

—Uninstant,j’aicruquetuétaisjusteunmecnormal,quimedemandaitgentimentsiçava,sijene stresse pas trop d’être reçue par le doyen. Merci, Isaac, merci de me rappeler quel genre deconnardtues.Etsurtout,quec’estàcausedetoisijesuislà.

Jefourremasucettedansmaboucheetrecherchemeslunettesdecorrectiondansmonbazar.

Ilritdoucementetseredressesurlebanc.

—Ouais, tu es sur les dents.Mais je te rappelle que j’ai dix fois plus de chances deme fairerenvoyerquetoi.

Ilselaisseglissersurlesfessesjusqu’àmoietjetressaillequandnoscuissessetouchentetqu’ilsepencheunpeutropprèsdemoi.Cetteodeurquiestlasienneestjusteinsoutenablepourmonpauvresensolfactif.

—D’ailleurs…tupourraistemontrergentilleet…

—Necomptepassurmoi.Tum’ashumiliée.Situtefaisrenvoyer,c’esttantmieux.

Non, mais j’hallucine ! Il m’humilie et en plus, il vient me demander de le défendre devant ledoyen!

Isaacfroncelessourcilsalorsquejeglissemeslunettessurmonnez.

—Situm’enfonces,jeteleferaipayer.Tulesaisça?

Ilmeregardedroitdanslesyeux.Tupeuxchercheràm’intimiderencore,cependantcelaneprendplus,pascettefoisdumoins.

—Jesais,jeluirépondscalmemententirantsurmasucette.

Ilobservecegesteetmaboucheensepassantlalanguesurleslèvres.Unfrissonmeparcourtdelatêteauxpieds,mefaisantfébrilementdétournerleregard.

—Tuportesdeslunettes?medemande-t-ilbrusquementavecuneexpressiond’intenseperplexité.

Jesoupireencoreetretirelasucreriedemabouchepourparler.

—Oui,Isaac,jesais,plusanti-sexytumeurs.Paslapeinedemefairetondiscoursàdeuxballessurlesfillesàlunettes.Jevaism’enpasser.

Autantluicouperl’herbesouslepied.

Maisavantque j’aie le tempsderéagir, ilaarraché lasucettedemamainet l’a fourréedanssabouche.

—Hé!

Ilsepencheenarrièreetcalemamainenm’attrapantlepoignetquandjeveuxlaluireprendre.

Cecontactmefait l’effetd’unedéchargeélectriqueet jevoisdanssesyeux,qu’àluiaussi.Nousrestons un instant comme ça, à nous fixer, avant qu’il ne me lâche et que je ne retire ma maindoucement en me détournant de lui. Aucun de nous ne parle plus pendant quelques secondes, onentendraitpresquelesmouchesvoler.Puis,ilsetourneversmoidenouveauenagitantlasucettedanssabouche.

—J’allaisdirequeçatevabien.Leslunettes.

J’hésiteàdiremerci,maisilnefaitçaqueparcequ’ilveutêtredansmesbonnesgrâcesdevantledoyen.Jedoism’enrappeler.Alorsjenedisrien.

—Tunetrouvespasqu’elleressembleàcettefemmedétestabledansHarryPotter?

Ilmedésignelasecrétaire.

Ehoui,ilatrouvécequejecherchaisdepuistoutàl’heure.

—Quiça?Lajournaliste,RitaSkeeter?

—C’estça,lajournaliste.Elleluiressemble,non?

Unsourires’esquissesurmonvisageavantd’êtrerapidementeffacéparunesoudaineperplexité.

—Oui.Tuasraison.Mais…tuconnaislajournalistedansHarryPottertoi?

Moi,jevoisbiendequiils’agitpuisquecesontlesfilmspréférésd’Arizona.EntrelesclassiquesMiyazakietSophiaCoppola,Arizonaesttrèshétérocliteenmatièredecinéma,maislui…

—Sloanestfandecesfilms.J’aidûlesvoiraumoinsvingtfoisavecelle.

J’ouvrelabouchepourluiposerdesquestionssurSloanetaussisursonfrèreKillian,celuiàquiiln’apasadressélaparoleuneseulefois l’autresoirsur laplage,quandlaportedubureaus’ouvre,laissantplaceàundoyenbedonnantetchauve.

JemelèveimmédiatementetIsaacretirelasucettedesaboucheetlabalancedanslapoubellelaplusproche.

—Ànous,monsieurMilesetmademoiselleGilmore!Entrez,balance-t-ild’untonsévère.

Nousnousinstallonsdevantsonbureau.Jemeremetsàjouernerveusementavecmabague,monbrasendehorsdufauteuilenveloursetIsaacrefermesamainsurlamienne.

Jemeretournevivementverslui, interdite,maisilnemeregardepasetfixel’hommequiprendplaceenfacedenous.

Attends,attends…quoi?!

Jeretirevivementmamainquimaintenantmebrûle. Ilveutvraimentfaireçadevant ledoyen?!Genreonest…on…quoid’ailleurs?

Quandledoyensemetàparler,jefixetoujoursIsaac.Ilmerappelleàl’ordreetjesursaute.

—MademoiselleGilmore!Vousm’écoutez?

—Je…Oui,pardon…

—Pouvez-vousm’expliquercequ’ils’estpassé?

Jemeraclelagorgenerveusementetémetsunpetitsondelabouche.

Isaacapenché la têteen fermant lesyeuxet en sepinçant l’arêtedunez. Il saitqu’ilva se fairerenvoyer.

Maiss’ilsefaitrenvoyer,çavasesavoir.Ilvafairepassercelasurmondos.Lukeseraaucourantetvoudrasavoirlefinmotdel’histoire.Quandill’apprendra,ilpéterauneduriteetmamèrelesauraàsontour.Etlecycleinfernalrecommencera.Toutlemondes’inquiéterapourmoietilsenserontmalades.Etmoi,jecontemplerailedésastredemaviesurlaquellejen’aiaucuncontrôle.

Est-cequejesuistotalementcinglée?

—Cen’étaitqu’unmalentendu,jelâcheavantdem’enrendrecomptemoi-même.

Isaacseretournevivementversmoietledoyenretireseslunettesens’affalantdanssonfauteuil.

—Quevoulez-vousdireparlà?

—Je…j’avaisparléàIsaacd’unprojetet…iln’apascompris…ilaenvoyéunmailauxautresélèvesetilsonttravaillésdessussansquejesoisaucourantet…euh…

Jebafouille,cherchantmesmotsalorsquemonsieurColemanm’observeenplissantlesyeux,pasdutoutconvaincuparmonmensonge.

Isaacaussimeregardeabasourdi,avantqueledoyennes’adresseàlui.

—MonsieurMiles?

Ilsursauteetsereprendtrèsvite.Simoijen’excellepasdanslesmensonges,luiaucontraire,mentparfaitement.Sanstiquer.

—C’estça.Commeellevousdit.Cen’estqu’unsimplemalentendu.Iln’yapasdeproblème,vousvoyez.MadameDiazn’apascompris…

MonsieurColeman croise sesmains sur son bureaumassif et se penche versmoi, sans plus deconsidérationpourIsaac.

—MademoiselleGilmore,vousnedevezpasêtreintimidéeparcejeunehomme.S’ilsepassequoiquecesoitdontvoussouhaiteriezparler…

Jel’interrompsavantqu’iln’aitfini.

—Isaacnemefaitpaspeur,monsieur.Ilnesepasserien.

—Iln’yarien,renchéritIsaac.Absolumentrien.

Nous nous fixons tous les trois en chiens de faïence un longmoment avant que le directeur nedécroisedenouveaulesbrasets’affaledanssonfauteuil.

J’aigagné,jelesais.

—Bien.Alors,sortezd’ici.Etjeneveuxplusentendreparlerdevous.Paraucunprofesseurquecesoitniaucunélève.Suis-jeassezclair,monsieurMiles?

Cederniersoupireetselève.

—Oui.

Illuitournedéjàledospourpartirtandisquejeremercietoutdemêmepolimentledoyendenousavoirreçusetluiprometsquecelaneserépéteraplus.

Jel’aiéchappébelle.

Dans le couloir, où les élèves se bousculent avec frénésie, Isaacm’attend, les bras croisés et lajambedroiterepliéesurlemur.

Jeremontemonsacsurmonépauleetpassedevantluisansunregard,maisilmerattrape.

—C’étaitquoiça?

—Rien.

—Commentça,rien?Tuauraispumefairerenvoyer.Pourquoitunel’aspasfait?Tuveuxquoi?

Enlevantlesyeuxauciel,jeredoublel’allure.

—Fous-moilapaix,Miles.

Brusquement,ilmetireparlecoudepourmeretournerversluietjereculeinstinctivement.

Pasdebaiserincontrôlé!Ohnon,espècedemalade!Pasici,devanttoutlemonde.Onneparleraitplusquedemoi.

—Tucroisquetupeuxjouercommeçaavecmoi,Gilmore?

Nousnousdéfionsduregard.C’estquelquechosequedefixerIsaacMiles,droitdanslesyeux.

—Toutnetournepasautourdetoi.J’aifaitçapourmoi,seulementetuniquementpourmoi.

Ilfinitparmelâcher lebraset jechancelle,reprenantmonsouffleenremarquantquejem’étaisarrêtéederespirerl’espacedequelquessecondes.

—Commentçapourtoi?

Ilvacroirequejeveuxqu’ilresteautourdemoi,dansmespattes.

—Contrairement à d’autres, je ne vis pas dans unemaison de bourges avec des paons commeanimauxdomestiques,etjenesuispasélèverésidentedecettefaculté.Ilyadesgensquicomptentsurmoietquejeneveuxpasdécevoir!Ilesthorsdequestionquejedeviennelecentred’attentiondetousouquej’aidesproblèmesicipartafaute!Lukeapayécescourspourmoi!

Étonnamment, il ne répond pas et continue de me fixer, sa lèvre supérieure qui tressauted’énervement.

—C’estcommeçaquetumevois?Unbourgequivitdansunegrandemaisonavecdesanimauxexotiques?

Jenepeuxm’empêcherdecrachertoutemahargnecontenue.

—Etquis’ennuietellementqu’ilpassesontempsàvouloirfairepeurauxautres,àlesmenaceretàlespourrir.C’estçaenfait,tuespourri,gâtéet…

—PUTAIN!Fermelà!Jenesuispasunputaindegossepourrigâté!Jenel’aijamaisété,OK?!Tunesaismêmepasdequoituparles!Tunesaisriendemaviealorsfermelà!

Jerestecoitedevanttantd’emportement.

Ils’estrapprochépourmehurlerauvisage,siprès,quej’enfermelesyeuxuninstant.Quandjelesrouvre,toutlemondeautourdenouss’estarrêtédemarcheretdediscuter,pournousobserver.

Isaacfulminetellementquesesdentsseserrent.Laveinedanssoncoupalpitefurieusementetsesnarinessontfrémissantes.Mêmeencolère,ilrestebeau,c’estfouça.

Latensionentrenousestpalpable.Électrique.Jedoismesouvenirderespirer.

—Ondiraitquejet’aivexé.

J’arrivetoutdemêmeàémettreunpetitrirenarquoisenluitournantledospourm’éloigner.

Bye-bye,IsaacMiles.

Isaac

Agaçante.Péteuse.Arrogante.Hautaine.

Cettefilleesttoutcequejedéteste.Vraimenttout.Ilyacetrucindéfinissablechezellequim’attirecommeunaimant,maisdèsquejesuistropprès,j’aienviedel’étrangler.Etlefaitqu’ellepossèdecetrucquim’intriguem’énerveencoreplus.Ellesortdenullepart,débarquedansmavieenfoutantlesouketm’envoiemêmebalader!Non,maisjerêve.Personnenem’envoiebalader.Personne!

Je la regarde partir en volant presque sur les dalles du couloir. Elle a cette façon de marchercomme si elle était devenueunpoidsplumeet qu’elle flottait, son culmoulédansunpantalonmefaisantdel’œil.

Non,maislestenuesbonchicbongenrequ’elleportepourvenirencoursmefonttoujourstiquer.C’estquoiça?Ellefaitdansle«jechoisismesfringuesenfonctiondel’endroitoùjevais»?

Femmefatale,au-dessusdusexyquandellebossechezVince,casualquandellesortetpetitefillemodèleàlafac:elleavraimentungrain.

En même temps, ça ne m’étonne pas. Pour quelqu’un qui classe ses crayons par ordre degrandeur…

Jesuissûrquechezelle,toutestrangéetordonnédefaçonminutieuse.Chaquechoseàsaplace.

Elleestd’unchiant.Affligeant.

Saufquandelledort.Ellealamaniededormirenétoiledemereten…désordre.Aveclesdrapsdanstouslessensetlescheveuxemmêlés.Ellepéteraituncâblesiellesavaitquejel’observelanuit,quand elle ne se réveille pas en sursaut, certainement après un cauchemar. Ce qu’elle fait souventd’ailleurs.

—Unproblème?

Jem’adressedurementaumecetàlananaquimeregardentdepuistoutàl’heureparcequejeviensdecriersurMia.

Ilssedétournentimmédiatementetfontsemblantdeparler.

Bandedecrétins.

Cen’estquequandelletournel’angleducouloirquejelâcheunénormesoupirdefrustrationetpassemesmainsdansmescheveuxpouressayerdedisciplinermesidéeschaotiques.

Quand je suis faceàcettegonzesse,messensations sont si contradictoires. Jenemesuis jamaisautantsenticonnardquelorsqu’elleestprèsdemoi.

Siellesavaittouteslespenséesquionttraversémoncerveauquandelleafourrécettesucettedanssa bouche tout à l’heure, à la cerise en plus, elle aurait halluciné et samain aurait déjà trouvé lecheminversmafigure.J’aicruquej’allaismedésintégrersurplace.

Jeperdspiedlà.

Reprends-toiZac…

Je soupire et fais demi-tour pour me rendre au premier cours inutile de cette semaine.Heureusementqu’aucundesgarsnesuitlaleçondelittératureanglaiseavecmoi,parcequesinon,ilfaudraitquej’expliquelatensionquim’anime.Mêmesijenevaispasleuréchapperdanslajournée.Journée qui passe à une lenteur aberrante. Est-ce que quelqu’un a appuyé sur le bouton lentaujourd’hui?

EntendreM.J.cemidi,direàtoutlemondequ’ilallaitl’inviteràsortirpourenapprendreplussurellem’aagacéplusquecelan’auraitdû.

**

Jefinisparquitterlescoursenamphiavant19heures.

Tropdebleudansceregard.

Çametued’ypenser.Maisjen’arrêtepas.

Merde!Maisc’estquoimonproblème?!

MalouetSloannesontpaslàquandjerentre.Iln’yaqueMaggy,notregouvernante.

Je m’enferme dans ma chambre et me laisse tomber sur mon lit en retirant ma veste, lorsquej’entendsquelquechosecraquersousmoi.Jemeredressepourleretirer,ils’agitdemonportraitfaitparcettechieuse.

Sacrécoupdecrayon.Sacréemeuf.

Rageusement,j’envoielecroquistailladé,voleterautraversdelapièce,maismaportes’ouvreetSloanlerattrapeauvol.

Merde. Elle est rentrée juste derrière moi. D’habitude elle fait un boucan d’enfer en arrivant,j’auraisdûl’entendre.

Leplusgrosdéfautdelasurdité:nepasserendrecomptedubruitqu’onimposeauxautresetc’estlecasdeSloan.Commemaintenant,quandelleclaqueviolemmentlaportedemachambre,achevantdefairetremblermestympansdouloureuxd’unmaldecrânequiplaneparlà.

Cellequejeconsidèrecommemapetitesœurvaetvientduregardduportraitqu’elletientenmain,àmoi,allongésurmonlit.Jefaisminedenepaslavoiretcherchemesclopesdansmontiroir.

Faischier.J’ail’impressiondefumerdeuxfoisplusdepuisunesemaine.

Sloan m’observe avec une tendresse qui m’agace. Elle vient s’asseoir sur mon lit et y pose ledessin.

Jesigneenm’énervantunpeu.

—Quoi?

Ellemeforceàlaregarderenagitantlesmainsdansmadirection.

—Tuasrencontréquelqu’un?

Safaçondemeperceràjoursifacilementmemetenrogne.Maisjen’aimepaspiquerdecolèrecontreelle,alorsjemecalmeethaussesimplementlesépaulesenallumantuneclope.Lanicotinemedélasseetjem’appuiecontrematêtedeliteninhalantlafuméeâcredemacigarette.MaisSloanesttenaceetrevientàlacharge.

—Dis-moi.Çafaitunesemainequetunedorsplus,tunemangespasbeaucoupnonplus.

C’estnormalquejenedormepas,jelaregarde,elle,dormir.Quandellenedonnepasdecoupsde

pieddanssapelucheetnemecoupepaslavue,bienentendu.

Jesoupireavantdesigner.

—Oui.Ilyaunefille.Maisonn’estpasensemble.

Ellesouritetserapprocheentapantdanssesmains.

—Tuesamoureux?

Jetirenerveusementsurmacigarette.

—Non.N’importequoi.Elleestjuste…jenesaispas…Ellem’agacetoutletemps.

Ellem’interrompt.

—Comments’appelle-t-elle?

—Mia,tul’asdéjàvue.Elleestvenueici.

—Elleesttrèsbelle.Qu’est-cequeturessens?

Qu’est-cequejeressens…

Jemetsuntempsinfiniàtrouvermesmots.

—Quandjesuisavecelle,jesuisconstammentsurlesdents,maisdesfois…jemesensbien.Rienqu’àdiresonnom,jesuisrelaxé.Mia.

Celamedélassedepenseràelle,dediresonprénom,d’êtreavecelle.Unpeucommeunedroguedouce. Cela vous entraîne au ralenti sur des pentes, ça vous apaise avant de vous réveillerbrutalement.Parcequ’onsefaitlaguerrenousdeux,c’estvraietc’estcomplètementfou.Absurde.

Depuislapremièrefoisoùjel’aicroisée,ellen’apasquittémespensées.J’aipenséàelledetoutesles façons possibles : de comment je pourrais la faire souffrir, la pousser à déménager et lacontraindreàsebarrer.Lapousserdansmesbrasaussi.

Tropdéconnant,Zac,tropdéconnant.

Jegrogneetjettemaclopedanslecendrieravantdemordrerageusementdansunoreiller.

Sloanm’attrapelespoignetsetretirelecoussin.Nousnousregardons,elleaveccompassion,moi

avecdépitetellesigneencore.

—Jesuiscontentepourtoi.

—Jenesaispasquoifaire.Ellen’estpascommelesautresetnem’aimepasbeaucoup.J’airienfaitpourenfait.

Sloansesecouelégèrement,jecroisqu’ellerit.

—C’estbien,çaveutdirequ’elleesthonnête.Elletepousseraàbout.C’estlegenredefillequ’iltefaut.

Jegrimaceetcriecettefois.

—T’essérieuselà?!

Mapetitesœurlitsurmeslèvres.

—Oui,oui,jesuissérieuse.Valuiparler.

—Onneparlepas,onsedispute.

—Vatedisputeravecellealors.

Ellese lèveetsortdemachambre,nonsansm’envoyerunclind’œil.Etmoi, jecroise lesbrasderrièrematêteenfixantmonplafondlettré.

Jen’aipasvraimentenviedemequerelleravecMia,maisjenesaispasluiparler.Enplus,elleesttoujours, constamment sur la défensive. Elle me déteste et c’est normal. Le seul moyen pourl’approcherc’estladispute,sinoncelaparaîtraittroplouche.Àelle,auxautresetàmoi-même.Alorsjen’aiplusqu’àtrouverunenouvelleraisonpourbatailleravecelleetlacoincerpourlasentirsousmoi,encore.Siseulementcelan’avaitpascommencécommeça.Siseulementellen’étaitpasvenuehabiterlà,peut-êtrequecelaseseraitdérouléautremententrenous.

Jel’auraisinvitéaucinéouauresto,elleseraittombéedansmesbrasetjel’auraisbaiséeunenuitentièreavantdepasseràautrechose.

Jesecouelatêtepourchassermespenséesdébiles.

Quelquechosemeditqu’elleneseraitquandmêmepasdugenreàmetomberdanslesbrascommeça.

Unelionne,cettefilleavecunsacrécaractère.

Ilmefautuneidée.Quelquechosepourl’approchersanséveillerlessoupçons,nidesautresnideM.J. qui la regarde avec les yeux brillants ni deMiguel quime connaît par cœur ni d’elle-même,complètementparanoetsurladéfensiveàmonégardnideAmbre,bienqu’ellesoittotalementconne.Jen’aipaslechoixpourcettedernière.Ilesthorsdequestionquejeperdecepari.Çafaitdéjàunmois,jepeuxbientenirundeplus.

Quelquechoses’allumedansmoncerveau.

Voilà,j’aitrouvé!

JesaiscommenttenirMiaàmamercisijamaiselledécouvrelejournal.Etjesaisaussicommentlafairetomberdansmesbrassansquecelaparaissebizarre.Unepierre,deuxcoups.

Prépare-toiMiaGilmore.

Àsuivre…

{1}Cheveuxmulticolores

{2}Àvendre.

{3}Pute.

{4}Surnomsignifiantpetit(e)-ami(e),bien-aimé(e)

{5}UniqueromandeEmilyBrontë,publiépourlapremièrefoisen1847.

{6}Troisièmeromandel’écrivainaméricainFrancisScottFitzgerald.Publiéen1925auxÉtats-Unis.

{7}SérietéléviséecrééeparKurtSuttermettantenscèneunclubdebikers.

{8}Vitesse.

{9}Actriceaméricaine,d’originedominicaineetportoricaine.

{10}OhmonDieu!

{11}Dégage.

{12}Surnomsignifiantquiadestachesderousseur.

{13}Vidéoérotiqueoupornographiqueamateur,destinéeàunusagepersonnel.

{14}ActeuraméricainayantnotammentinterprétédesrôlesdansGossipGirl,TwelveetLePactedusang.

{15}Surnomsignifiantmon(a)chéri(e).

{16}Unafterestunesoiréequiensuituneautre.

{17}Personnagefictifdel’universStarWars.

{18}Quoi?!

{19}Sefairedessinerleportrait.

{20}ProgrammeinformatiqueutiliséparleFBIpourreconnaîtreunsuspectgrâceàsesempreintesdigitalesetàsonvisage.

{21}Serviced’identificationfacialeutiliséparleFBIpourretrouverdescriminellesgrâceàleurphoto.

{22}Signifienéantenallemand.

{23}Signifierienenroumain.

{24}Signifierienenanglais.

{25}Ohmerde!

{26}LabatchataestunrythmedansantoriginairedelaRépubliquedominicaineetestjouépardeuxoutroisguitares.

{27}Cocktailplusoumoinspimentéetépicéàbasedejusdetomate,devodkaetdejusdecitron.

{28}LeMacallanestunwhiskydontleprixvarieentreenviron150et15000euros.

{29}Signifielittéralementfaitsurmesure.

{30}Faitréférenceàuntypedesmoking.

{31}BalletendeuxactesdeJeanCorallietJulesPerrot,surunlivretdeThéophileGautier.

{32}MorceauduchanteurBrunoMars.

{33}Signifielittéralementunmarché.

{34}ChansondeSarahMclachlantiréedel’albumSurfacingde1997,produitparlestudioWildSkyStudios.

{35}Chanteusederockcanadienne.

{36}Littéralementfenêtreenarc.Celapeutêtrecomparéàunoriel.

{37}Stop!N’entrezpas!

{38}Mélangedethénoiraromatiséàlabergamote,originaired’Angleterre.

{39}Whiskyobtenuàpartird’orgemaltée.

{40}Garçonmanqué.

{41}Partition,chansoninterprétéeparBeyoncéKnowles,tiréedel’albumBeyoncésortien2013,parlelabelColumbia.

{42}ChansoninterprétéeparlegroupebritanniqueMuse,tiréedel’albumThe2ndLaw,sortien2012parlelabelWarnerBros.

{43}Piercingàlalèvreinférieure.

{44}RevengeestunesérietéléviséeaméricainecrééeparMikeKelleyetdiffuséeparleréseauABC.

PagetitrePrologue12345678910111213141516