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LES ARMÉES ALLIÉES EN ORIENT DU 18 JUIN AU 30 SEPTEMBRE 1918 II « L E 5 AOÛT 1918. — De bon matin à la division de Timok. Colonel Toma Zetchevitch, qui a son Quartier général dans un village musulman. Dans la vallée de la Moglena, il y a moins d'un siècle, quelques villages, par suite de l'apostasie d'un évêque, se sont faits musulmans, bien que d'origine grecque. Pour ne pas faire de jaloux, Zetche- vitch a fait réparer la mosquée qui a maintenant un minaret superbe. Cette division est en plaine ; ses tranchées sont assez loin dé l'ennemi. Pour reconnaître le terrain, je gagne avec le général commandant la division un gros arbre contre lequel nous appuyons notre jumelle. Les trois colonels serbes comman- dant la division d'attaque me font bonne impression. Ce sont des hommes froids, rudes et décidés. Ils sont sans prétentions et prêts à recevoir les instructions qu'on leur donnera. Dans l'après-midi, j'examine sur place les dispositions à prendre pour préparer l'offensive. Améliorer les quais de débarquement de Vertekop, les quadrupler. Cette gare devra suffire pour alimenter cinq divisions d'infanterie et fournir de munitions une nombreuse artillerie de tout calibre. Pousser en avant des vivres de réserve, des fourrages. Aménager les eaux. Améliorer les (1) Voyez la Revue du 1»' septembre. TOME XITII. 1 5 SEPTEMBRE 1 9 3 8 . 16

LES ARMÉES ALLIÉES EN ORIENT

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LES ARMÉES ALLIÉES EN ORIENT

DU 18 JUIN AU 30 SEPTEMBRE 1918

II «

LE 5 AOÛT 1918. — De bon matin à la division de Timok. Colonel Toma Zetchevitch, qui a son Quartier général dans un village musulman. Dans la vallée de la Moglena,

il y a moins d'un siècle, quelques villages, par suite de l'apostasie d'un évêque, se sont faits musulmans, bien que d'origine grecque. Pour ne pas faire de jaloux, Zetche­vitch a fait réparer la mosquée qui a maintenant un minaret superbe.

Cette division est en plaine ; ses tranchées sont assez loin dé l'ennemi. Pour reconnaître le terrain, je gagne avec le général commandant la division un gros arbre contre lequel nous appuyons notre jumelle. Les trois colonels serbes comman­dant la division d'attaque me font bonne impression. Ce sont des hommes froids, rudes et décidés. Ils sont sans prétentions et prêts à recevoir les instructions qu'on leur donnera.

Dans l'après-midi, j'examine sur place les dispositions à prendre pour préparer l'offensive.

Améliorer les quais de débarquement de Vertekop, les quadrupler. Cette gare devra suffire pour alimenter cinq divisions d'infanterie et fournir de munitions une nombreuse artillerie de tout calibre. Pousser en avant des vivres de réserve, des fourrages. Aménager les eaux. Améliorer les

(1) Voyez la Revue du 1»' septembre.

TOME XITII. 15 SEPTEMBRE 1938 . 16

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routes. Préparer l'évacuation des blessés légers, organiser des ambulances pour les blessés graves ; les Scottish Women, qui ont à proximité une ambulance avancée, ne suffiront pas. Les Serbes sont d'excellents soldats, braves et disciplinés, mais les problèmes de l'État-major les laissent froids.

Le soir, je vais coucher à Vodéna, chez le colonel Vicq, qui y commande les dépôts d'infanterie de l'A. F. 0 .

6 août. — Beau et chaud. Vodéna, l'antique Édesse, est une charmante petite ville de 10 000 à 12 000 habitants en temps normal ; elle doit son nom d'origine slave à des eaux ravissantes qui s'échappent en cascade par une falaise sur laquelle s'élèvent les maisons. Elle sert d'arrière à l'armée serbe qui y a une fraction de son État-major général. C'est là que les femmes qui ont suivi avec une énergie étonnante la retraite d'Albanie sont rassemblées et c'est là que les officiers viennent en permission de détente.

Je suis peu satisfait de ce que je vois. L'avant serbe était bien ; mais en dehors des combattants il y a bien peu de choses.

Depuis un mois, avec le voïvode Michitch, nous avons arrêté les grandes lignes de l'attaque. Leur service topogra-pbique n'a rien fait. Le S. R. A. et le 2e Bureau n'existent pas. Aucun plan de destruction des batteries repérées, etc. Il est temps que Bunoust prenne la chose en main et que le S. R. A. français les entraîne. Pas d'exploitation des documents photographiques, pourtant assez nombreux. Sur vingt obser­vateurs serbes en avion, il y en a quatre très bons, le reste, médiocre, doit être remplacé. Il faut que nous infusions partout notre ardeur et nos méthodes.

Je dirai tout de suite que je trouvai chez le prince régent l'appui le plus efficace. Je plaçai un de mes sous-chefs d'état-major, Trousson, à son état-major ; le général Bunoust prit le commandement de l'artillerie, et un officier supérieur d'artillerie français fut placé auprès du commandant de l'artillerie de chaque armée serbe. Les Serbes ne demandent qu'à apprendre : l'enjeu en vaut la peine.

Inspection des dépôts d'infanterie et d'artillerie de l'A. F. O. Les dépôts de la cavalerie sont près de là, à Naoussa. Le colonel Vicq est un homme actif et dégourdi. Il a su rester en bonne harmonie avec les Serbes et acquérir la sympathie

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des Grecs qui l'ont baptisé le grand philhellène. Son instal­lation personnelle est fort bien. Devant la porte monte la garde, enchaîné, un jeune ours capturé sur le Péristéri.

Un cercle militaire interallié est installé dans une mosquée désaffectée et remise à neuf. Pendant notre déjeuner, une musique organisée dans les hommes du dépôt nous donne un concert vraiment pas mal.

Mais Vicq conserve trop de monde autour de lui. Je l'invite à renvoyer dans les rangs de l'infanterie, — qui en a besoin, — ses musiciens et plusieurs centaines d'employés qui y feront fort bien et dont il peut se passer.

Réunion de Pruneau et de Topart, accompagnés de leurs chefs d'état-major et de leurs commandants d'artillerie pour régler les détails de l'attaque. Avec eux, cela va tout seul ; ce sont vraiment de bons officiers. Dans la nuit, rentrée à Salonique.

7 août. —Beau et très chaud. Je n'ai jamais eu aussi chaud. Je l'attribue à la réverbération du soleil sur la mer calme.

Réunion des chefs de service pour parer aux défectuosités constatées. Bunoust va aller au Grand Quartier général serbe pour l'organisation de l'artillerie ; Grandclément s'occupera des ravitaillements, Fournial des ambulances. Avec ces trois hommes de premier choix, cela va ronfler.

Puis, je vais stimuler Malandin pour parer à la déficience du Bureau topographique serbe. Avec les photos aériennes de nos escadrilles, il va nous établir une carte au 1 /10 000e du terrain des attaques, indispensable pour le travail des contre-batteries. L'échelle de la carte autrichienne (la seule que nous possédions) et ses nombreuses inexactitudes la rendent inutilisable pour un travail serré. Dans l'après-midi, longue visite d'Adossidès.

8 août. — Monté à Hortakoï. A l'instruction, un bataillon grec et les spécialistes du 1er C. A. hellénique.

9 août. — Visite de Fougère, le directeur de notre école d'Athènes. Conversation variée qui nous apporte les cancans de la capitale.

10 août. — Au camp de Naresh. Inspection de la 4e D. I. H. à l'instruction. Le général Vlacopoulos qui la commande fait bonne impression. Elle est complète comme effectifs, mais ne sait rien pour le combat moderne. Ce camp n'est pas fameux :

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SITUATION RESPECTIVE DES ARMÉES BN PRÉSENCE US 10 JUILLET 1918

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il est organisé très rudimentairement, mais il est trop tard pour le changer. Je prescris quelques améliorations pour les cuisines, les feuillées, une baraque pour l'État-major.

11 août. — A déjeuner, le général Paraskévopoulos, commandant le 1 e r C. H., qui va relever le général Briggs sur la Strouma. A quatorze heures, départ avec Milne pour Janès étudier la participation de son armée à l'offensive. Belle vue sur Doiran au soleil couchant.

Dîner et coucher à Janès chez le général Milne qui a ici comme à Stravos une installation personnelle. Ces Anglais ont le sens du confort.

Le général Milne est un homme parfaitement élevé et très correct comme tous les officiers britanniques réguliers. Il sort de l'artillerie à cheval et j 'aurai toujours avec lui les meilleurs rapports, malgré les termes ambigus de mon commandement que le ministère de la Guerre français avait négligé de me faire connaître.

L'armée britannique de Salonique, qui a compté jusqu'à soixante-douze bataillons de campagne, n'en a plus que trente-six à très faibles effectifs. Les hommes ne sont jamais relevés ; beaucoup, depuis plus de deux ans en Orient, sans aucune détente, sont atteints de malaria. L'infanterie a donc besoin de renfort. L'artillerie est intacte et puissante ; des Cypriotes rendent de bons services dans les parcs.

11 est convenu avec Milne qu'il n'attaquera que si l'attaque franco-serbe réussit. Pour corser les effectifs anémiés, je lui donné deux bonnes divisions helléniques du corps de la Défense nationale, qui vont venir à l'instruction en arrière de ses lignes.

12 août. — Pluie dans la nuit. A six heures, à un observa­toire avec le général Milne et le général Wilson, commandant le 12e C. A. britannique. La pluie a nettoyé l'atmosphère, belle vue de flanc sur Doiran et sur les arrières jusqu'à Mayagag et le point 0 .

En rentrant à Salonique, je déjeune à Kukus, chez des Sœurs de Chanté françaises installées là du temps des Turcs à cause des uniates nombreux dans la région.

Je découvre que, depuis deux ans qu'une division française a quitté ce secteur, un poste optique français sans aucune rai­son a été maintenu sur le piton qui domine la petite vallée.

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Décidément l'état-major de l'A. F. 0 . n'épluche pas ses situa­tions. Rentrée à Salonique.

13 août. — Visite de Michitch qui vient régler les défec­tuosités que j'ai constatées à Vodéna. Il m'amène Mme Naris-kine que j'ai connue en 1915 à la 5e armée et qui travaille actuellement à l'A» F. O. II paraît que c'est une excellente infirmière.

14 août. — Visite de l'Acropole de Salonique, de la prison, d'Iénikoulé et de l'ambulance des Scottish Women, tenue exclusivement par des femmes écossaises y compris les chi­rurgiens, radiologues, automobilistes, etc. Les Anglais les ont dédaignées. Elles se sont rabattues sur les Serbes qui, très démunis, les ont acceptées d'enthousiasme. Ambulance cen­trale à Salonique avec plusieurs ambulances avancées. J'ai vu une d'entre elles dans la Moglena, près de Vertekop. Les autos sanitaires conduites par ces femmes intrépides allaient cher­cher bravement les blessés en première ligne. Il était très dangereux de les rencontrer dans les mauvaises pistes étroites de la montagne qu'elles descendaient à toute allure.

15 août. — Arrivée de Venizelos. Il vient me voir dès son débarquement ; très optimiste sur la situation intérieure de la Grèce ; paraît sympathique aux Serbes. C'est un homme intelligent.

Départ avec lui pour Karassouli. A la Bergerie, vue de la division de la Crète, général Spiliadis. Inspection des 8e et 9e régiments de la Défense Nationale. Cette D. I. va être relevée par la division Vlacopoulos, qui ne la vaut pas, pour

. aller renforcer l'armée britannique. Coucher à l'état-major du 1e r groupement que le général

Dessort commande par intérim depuis le départ du général Gérôme.

16 août. — Inspection de la 16e D. I. C. qui a encore ses deux brigades. Visite du point 0 . En y montant, la voiture qui précède la mienne perd une des roues de derrière qui se détache et saute par-dessus le ravin ; la voiture continue à rouler. Belle vue du point 0 . ; puis à l'Arbre noir. Grâce aux Sénégalais, la 16e D. I. C. a ses douze bataillons, trois de plus que la 122e D. I. Avec la D. I. de l'Archipel et la 4e D. I. H., et par suite du passage de la 27e D. I. B. sur la rive droite du Vardar, je vais pouvoir tenir le front et relever

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la division Timok et la droite de la division Choumadia. Déjeuner à Isvor qui devient le Quartier général du groupe­ment depuis que les Britanniques se sont étendus jusqu'à la Bergerie.

Rentrée le soir à Salonique. 17 août. — Arrivée de Gramat pour la formation du 2e C. A.

hellénique. Il me présente son commandant, le général Miliotis Comnène, beau nom. Il paraît un peu fatigué, cela importe peu, il va rester à Salonique, ses divisions étant très dispersées : la 3e Tricoupis à l'A. F. 0 . ; la 4e Vlacopoulos au 1e r groupement ; la 14e Orphanidès va venir s'instruire au camp de Naresch.

18 août. — Le colonel Bâton du 84e est rapatrié ; je donne son régiment au lieutenant-colonel de Langlade, de la cava­lerie, qui fera fort bien.

19 août. •— Arrivée de d'Anselme qui vient remplacer Gérôme et amène avec lui une excellente équipe d'officier» : de Sugny, d'Entremont, etc. Ils viennent à pic au Ie* groupe­ment pour remplacer le commandant Massiet, chef du 3 e Bureau. En vue de l'offensive, désirant que ma cavalerie marche autrement qu'à la Marne, je le donne comme chef d'état-major à Jouinot, sur la demande de celui-ci.

Arrivée d'officiers venant de Russie, qui nous donnent des détails navrants sur les trahisons des Russes.

Rendu visite à Venizelos. Reçu les ministres serbes des Affaires étrangères et des Travaux publics, venus de Corfou voir le Prince régent.

20 août. i— Je monte à Hortakoï voir avant sa dissolution le bataillon d'instruction de la 4e D, I. H.

Lors de l'attaque de la Malmaison, en octobre 1917, j'avais apprécié les services des mortiers Stokes jusqu'ici inutilisés en Orient. J'en ai fait former trois batteries de quatre pièces : une pour la 122e D. L, deux pour la 17e D. I. C. Chaque batterie reçoit comme soutien une section de cin­quante tirailleurs sénégalais. Chacun de ceux-ci est muni d'une forte chape en toile à voile contenant deux projectiles par devant et deux par derrrière, laissant les bras libres pour manier le fusil. Chaque batterie aura toujours ainsi un soutien d'infanterie, et dans les montagnes escarpées, où aura lieu la rupture, disposera dans tous les cas d'un premier approvi

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sionnement de deux cents coups. Ces batteries sont à l'ins­truction à Hortakoï.

21 août. — A Dragobor, où sur un plateau sec s'élève un baraquement à côté du village et non loin de la gare. Puis à Zeitenlik, où Berthelemy a terminé ses améliorations. Je puis maintenant avoir en réserve un régiment d'infanterie français installé dans de bonnes conditions, à proximité, mais en dehors de Salonique.

Le soir à dîner, Venizelos. Il me parle de nouveau de la justice prévôtale qui, d'après lui, porte, atteinte à la souve­raineté hellénique. La question est en effet délicate. Quand Sarrail a mis cette juridiction en branle, la Grèce n'était pas encore notre alliée.

22 août. — A quatorze heures, départ pour voir les cadres des divisions d'attaque. D'abord, à Verria, la 122e division d'infanterie : le camp est bien installé sur un plateau à l'abri de la malaria. Je retrouve toujours avec plaisir les 45e, 84e, 148e, le 241e d'artillerie, ces anciens de la 5e armée qui, il y a quatre ans, étaient avec moi sur la Sambre. Réunion d'officiers. Je les oriente et leur dis ce que j 'attends d'eux. A dîner, Topart et Carré, son commandant d'infanterie divisionnaire, qui loge en ville avec les états-majors et les services. .

23 août. — A Vladovo, voir Pruneau et la 17e division d'infanterie coloniale ; les bivouacs sont dans un bois de superbes châtaigniers. " 1 e r , 3 e et 54e régiments d'infanterie coloniale ; j 'a i dû dissoudre le 56e, crise d'effectifs. Chaque régiment a deux bataillons blancs et un bataillon noir. Le bataillon sénégalais du 56e a été conservé et fait un 10e bataillon. Le commandant de l'I. P . Roussel me fait bonne impression. Les chefs de corps moyens. Même confé­rence qu'à Verria aux officiers. Puis, en une heure un quart, ascension àBukovic (la Hêtraie), où le prince régent a trans­porté son poste de commandement, en vue de l'attaque, dans une baraque que lui a donnée Milne. Bonne route d'accès faite par les travailleurs forcés russes.

Déjeuner chez le prince. Conférence avec lui et Michitch pour être bien d'accord sur le mode d'attaque. J'insiste sur la nécessité d'engager les troupes de seconde ligne le plus tôt possible pour agir avant l'arrivée des réserves ennemies.

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Dans le même but, je ne voulais faire que six heures de prépa­ration d'artillerie. Sur les instances des Serbes qui ne sont pas encore habitués au canon à tir rapide, je consens à faire un jour de préparation. Les Serbes sont impatients d'agir. Ascension à l'observatoire. Belle vue sur le terrain des attaques. Michitch insiste pour garder sa division de cava­lerie que je voulais envoyer dans la plaine de Prilep. Rentrée à Salonique dans la nuit.

24 août. — Venizelos nous quitte. Le plan d'action de Stépanôvitch m'est présenté et je suis obligé de le remanier.

Ses ordres rappelaient tous ceux donnés en France en 1915 pour les batailles d'Artois. Les divisions d'exploitation devront serrer contre les divisions de rupture, les généraux de division ayant les mêmes postes de commandement. Dès que la division de rupture aura enlevé la première position, la division d'exploitation, sans nouvel ordre, se portera en avant. C'est grâce à cette disposition que la division yougoslave put snlever le Koziak avant que les réserves germano-bulgares aient pu s'y installer.

25 août. — Arrivée de France du colonel de Fourtou. Cancans divers. Encore très chaud.

26 août. — Visite des hôpitaux n° 3 et n° 1. Bien des malades parmi les sédentaires : payeurs, officiers d'adminis­tration. Le grand air vaut mieux. En outre, beaucoup d'offi­ciers provenant des vieux sous-officiers coloniaux sont usés par leurs séjours tropicaux. Certains montrent moins de ressort et d'enthousiasme que les jeunes gens provenant des classes cultivées et formées par la guerre.

27, 28, 29, 30 et 31 août. — Petite attaque de dengue. Afin que nos commandants d'armée ne tombent pas dans le vide après la rupture, quand les Quartiers généraux se dépla­ceront dans les terrains fort accidentés où les liaisons sont difficiles, je leur envoie une instruction sur l'exploitation du succès

ATTAQUE DÉCISIVE. — ARMISTICE BULGARE

1 e r septembre. — Les Serbes me pressent d'agir, craignant le changement de temps dans la montagne.

Commencement des diversions. A cinq heures trente,

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attaque de la 27e D. I. B. dans son nouveau secteur. Réussie-Cinquante et tin prisonniers.

A dîner, Crampton, député américain, et un major U. S. À., amusant par son assurance.

Contre-attaque bulgare sur les Anglais- Repûussée, «lie laisse quinze prisonniers.

2 septembre. —• Je monte à Hortakoï voir les trois batte­ries de mortiers Stokes récemment formées. Pleines d'ardeur et de bonne volonté, mais ont besoin de travailler.

3 septembre. — Visite à Gradobor du régiment français en réserve. Bien installé dans des baraques convenables, bien préférables au cantonnement dans les masures macédoniennes.

Des déserteurs de la division grecque de Sérès en armes battent la campagne. Ils ont tué deux agents du chemin de fer. J'invite Danglis à découpler ses gendarmes qui font les beaux à Salonique.

J'attends avec impatience le capitaine Piot qui a été en liaison à Paris et qui doit rentrer d'un moment à l'autre. J'espère qu'il va m'apporter l'ordre, ou tout au moins l'auto­risation d'attaquer.

Le temps redevient chaud. Arrivée de la mission Mâzure ; deux intendants, quatre officiers supérieurs, venus vérifier les effectifs. Bien inutile, puisque je ne reçois rien depuis six semaines. Du reste, cette mission né m'a pas gêné, je n'en ai plus entendu parler.

4 septembre. •— Visite à Cédés de l'École d'aviation. Très bien installée. Décidément Denain est un organisateur.

5 septembre. — Rien de nouveau. 6 septembre. —~ Piot arrive sans rien. Télégramme sérieux

à Paris les mettant en face des réalités. M. Poincaré m'a raconté qu'il se faisait présenter tous les télégrammes venant de Salonique. Devant la précision de celui-ci, il dit- au président du Conseil qu' « on n'avait pas le droit d'arrêter un comman­dant en chef qui parlait ainsi ». Le soir, départ de Salonique par le train.

7 septembre. — Débarqué à Sakulevo. En auto, guidé par le capitaine Giraud de l'A. F. 0. Brod-Tepavci. Reçu par Monbelli qui me mène en auto au Trident d'où j 'ai une belle vue sur tout son secteur. Sa division comprend vingt-quatre bataillons (trois brigades à huit bataillons) et seulement huit

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batteries de montagne, l'A. F. 0 . devant fournir l'A. C. et l'A. L. sur ses ressources déjà insuffisantes, car, n'ayant pas de corps d'armée constitué, il lui manque les artilleries de corps. Mônbelli se plaint de ne pas avoir assez d'artillerie lourde ; en effet, j'ai dû lui en prendre comme sur tout le front de l'A. F. 0. pour constituer l'artillerie de rupture. Il ne reçoit plus de renfort depuis quelque temps. Ses effectifs sont encore satisfaisants. C'est un officier général intelligent, actif et décidé.

A onze heures et demie départ pour la 11e division d'infan­terie coloniale. Cette division a encore deux brigades. Ren­forcée par deux régiments et l'artillerie de la division Tri-coupis, elle a relevé la 17e D. I. C. de l'A. F. G., le détachement Prilep et la division Morava de l'armée serbe. Le général Farret, mon ancien compagnon du Tonkin, mon subordonné à la 28e D. L, la commande. Son chef d'état-major Raymond est bien. Je leur explique que le rôle de la division est d'abord d'appuyer les Serbes à sa droite. Tout doit être sacrifié au succès de leur attaque.

Déjeuner au Quartier général de Farret, Dans le village voisin, je vois une mission des Dames anglaises s'occuper des enfants. Tous les matins elles en passent l'inspection et ne donnent à manger qu'à ceux qui sont propres.

Puis descente dans la vallée de la Tcherna. Chaleur ter­rible. Rochers calcinés. Hôpital bien installé, mais fort mal situé au point de vue hygiénique ; trop tard pour le changer, mais cette installation dispendieuse en ce lieu n'aurait pas dû être tolérée.

A quatorze heures, départ pour Yelack. Route très amé­liorée depuis six semaines ; on peut partout se croiser, les tournants sont adoucis, etc. Arrivée à quinze heures vingt. Réunion des cadres supérieurs de la l r e armée serbe, général Boyovitch, son intelligent chef d'état-major Belitch, les colo­nels commandants et les chefs d'état-major des divisions Danube, Drina, Morava et cavalerie. Tous d'aplomb et pleins d'ardeur. Pour être bien d'accord, je leur explique ce que j'attends d'eux.

Départ pour Florina. On y a beaucoup travaillé. Si on avait commencé plus tôt, les troupes, mieux installées, auraient moins souffert. Dîner chez Henrys. Visite du cercle militaire.

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De Salonique, Charpy me téléphone que Paris s'oppose à mon attaque pour le 14. Coucher dans mon train. On dort bien à la fraîcheur, car la journée a été chaude.

6 septembre. — Je pars, en auto, voir les spahis marocains qui sont au repos, rentrant d'Albanie, pour se préparer à l'at­taque. Excellent régiment de six escadrons dont un de mitrail­leuses, fort bien commandé par le colonel Guespereau. Bons effectifs. Pas utilisés en France : se sont fort bien battus en Orient. On partait à pied, les chevaux chargés de huit jours de vivres ; tous les jours un demi-escadron était remis à cheval, et le problème des ravitaillements dans les montagnes dénu­dées d'Albanie était résolu.

A treize heures à Ostrovo que j 'ai gagné par le train : Charpy m'y apporte le texte du télégramme de Clemenceau ajournant l'offensive et m'annonçant le départ pour Rome de Guillaumat afin d'enlever l'assentiment des Italiens. J'envoie à celui-ci par avion une lettre pressante portée par le capitaine Bellanger et j'expédie à Clemenceau un télégramme formel que je termine ainsi :

... « En résumé, au point de vue militaire, l'opération est mûre. Si je ne suis pas libre de la déclencher après la date minima que je vous ai fixée dans mon télégramme du 5 sep­tembre, je considère que nos chances de succès se trouveront diminuées et qu'en tout cas je puis être empêché de tirer d'un succès tactique le bénéfice considérable qu'on est en droit d'en attendre, par une exploitation vigoureusement conduite et le développement du plan d'opérations. J'insiste donc à nouveau de façon pressante pour qu'aucun retard ne me soit imposé. Prière de me fixer d'urgence. »

Puis je monte à Bukovic et j 'annonce au Prince et à Michitch l'ajournement de l'offensive. Ils sont fort dépités et comme moi craignent le mauvais temps. Le Prince me propose d'intervenir par la voie diplomatique. Je l'en dissuade.

Avec Pecitch, je monte à 2 400 mètres et vois nettement jusqu'au Koziak (2e position bulgare) tout le terrain des attaques. Redescente à Ostrovo. Le gîte d'étape italien est signalé par une énorme inscription et un drapeau gigantesque.

Je constate une fois de plus combien certains états-majors négligent les détails. Je rencontre errants et désœuvrés six

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LES ARMÉES ALLIÉES EN ORIENT. 253

soldats du C. I. D. 57, soi-disant détachés pour pêcher du poisson afin de varier l'ordinaire ; mais ils n'ont aucun ins­trument de pêche. Personne, ni le C. I. D., ni le commandant du gîte d'étape, ni l'état-major de la 57e D. I. ne s'en était aperçu. C'est ainsi que les effectifs fondent. C'est la dificulté du métier militaire : ne pas négliger les détails, mais ne pas s'y noyer.

Il fait bon et frais. Je lis mon courrier que m'a apporté Charpy. Dans ce courrier, le roman les Quatre Cavaliers de VApocalypse, pour la partie militaire duquel Blasco Ibanez s'est documenté à Jonchery auprès de mes officiers pendant le séjour qu'il a fait à mon Quartier général en 1915. D'après ce que m'ont dit des Argentins, cet ouvrage a plus fait pour la propagande française dans les pays de langue espagnole que toutes les missions envoyées à grands frais.

Lundi 9 septembre. — Par Vertekop, arrivée à Dogni Pozar où sont réunis les artisans de l'attaque principale. Les deux voïvodes Michitch et Stépanovitch, Topart, Pruneau, Bunoust, Trousson, Pétar Michitch, Docitch, le nouveau commandant de la Division du Timok, Jovanovitch, leurs chefs d'état-major, les commandants de leur artillerie.

Je leur fais ma conférence de façon que nous soyons tous d'accord. La division yougoslave ayant deux brigades et douze bataillons sera chargée de l'enlèvement du Koziak, car la rupture décisive dépend de la prise de cette position avant l'arrivée des renforts germano-bulgares. Ensuite la marche sur Kavadar ne sera plus qu'un jeu, car à notre tour nous aurons les observatoires et les positions domi­nantes.

Dans la nuit rentrée à Salonique. Mardi 10 septembre. — Les armes des Grecs sont en mau­

vais état. Je leur fais fournir des armuriers français par le parc d'artillerie de Salonique.

Je reçois de Clemenceau l'autorisation de commencer les opérations quand je le jugerai convenable. Ouverture du feu d'artillerie le 14 septembre. Jour J, 15 septembre.

11 septembre. — A Naresh voir la 14e D. I. H. à l'instruc­tion. Le colonel Orphanidès qui la commande est un homme énergique et intelligent ; il mourra prématurément de maladie.

Les 9e et 36e régiments d'infanterie pourront, à la rigueur,

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entrer en ligne le 15 septembre ; maïs le 24e ne sait rien et est dépourvu de tout matériel et armement collectif.

L'artillerie n'a touché ses pièces que depuis trois jours et la majorité de ses servants arrivent de l'infanterie.

L'armée grecque a deux régiments d'artillerie lourde à tracteurs, un de canons, un d'obusiers ; mais un seul groupe par régiment a des conducteurs exercés. Les Anglais, dont lés arrières sont riches en personnel, m'offrent aimablement de dresser les conducteurs des autres groupes.

Les groupes lourds disponibles sont envoyés au 1er grou­pement qui doit les mettre à sa gauche pour appuyer l'attaque serbe à la réussite de laquelle tout est subordonné.

12 septembre. -— Très chaud. Le matin, à Sainte-Sophie, doxologie pour la fête du roi. Église toute neuve. Beau clergé. Vilains chantres mal vêtus mais ayant de belles voix sans accompagnement.

L'après-midi à Gumendjé. Vu Milne, tout est prêt ; son armée commence une épidémie de grippe espagnole. Je l'ai renforcée de deux excellentes divisions grecques de la D. N., celle de Sérès et celle de Crète qui sont au repos et à l'instruc j tion depuis quinze jours. L'une doit attaquer après une sérieuse préparation d'artillerie, de concert avec une division britannique. L'autre doit, après une marche de nuit, enlever par surprise les ouvrages bulgares discontinus situés au N. E. du lac. Cette opération est délicate. Elle demande pour réussir une troupe bien dressée, des ordres bien donnés et bien exécutés.

L'armée britannique a, de plus, reçu le 3 e régiment dé cavalerie hellénique, le 2e bis de zouaves, et deux pièces d'A. L. G. P. française de 19 sur voie ferrée.

Du reste, Milne ne doit attaquer que si l'attaque franco-serbe réussit, de façon à libérer la vallée du Vardar et surtout empêcher la I t e armée bulgare d'envoyer des renforts à la XI e armée allemande.

Vendredi 13 septembre, ~— Beau temps. Pour tromper les espions nombreux à Salonique, je vais le matin sur la Strouma voir le l é r C. A. hellénique et remettre la croix de commandeur au brave Paraskévopoulos.

En rentrant, à déjeuner Orphanidés, que j'ai fait venir de Naresh pour régler avec Danghs ce qui manque à sa division

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pour entrer en ligne. Il y a Salonique des dépôts surabondants dans lesquels il n'y a qu'à puiser.

Dans la soirée, télégramme très pressant du général Ferréro qui craint des Autrichiens une offensive de diversion. Henrys, dont il réclame l'appui, n'est pas de cet avis.

Samedi 14 septembre. "—• De Doiran à Monastir, commen­cement de la préparation d'artillerie, égale partout de façon à laisser l'ennemi dans l'incertitude.

Plus tard, à Sofia, les Bulgares me communiquèrent les feuilles envoyées par leur 2 e Bureau. Je vis qu'au début de septembre un télégramme venu de Genève leur indiquait que j 'attaquerais par la vallée de la Moglena vers le 15 sep­tembre. Le contraire eût été étonnant. J'étais obligé d'envoyer mon plan d'opérations au Conseil de Versailles où siégeaient quatre généraux : Belin, Sackville-West, de Robilant et Bliss. Ces quatre généraux avaient forcément chacun plusieurs officiers d'état-major, de sorte que les plans établis à Salo­nique dans le plus grand secret étaient lus et commentés à Versailles par une vingtaine d'individus fort honnêtes sûrement ; mais un secret connu de vingt personnes n'est plus un secret.

Ce qui contribua à mon succès, c'est que les Allemands von Scholz et von Steuben ne crurent pas à l'ampleur de mon plan. Pensant que mon but était Prilep, le général commandant le 61 e corps allemand transporta son Quartier général de Kanatlarci à Donjé sur la route Dobropolje-Prîlep et plaça ses réserves en conséquence. Ils furent désorientés quand ils virent mon attaque principale marcher droit au nord et non au nord-ouest, mais bien flanquée par des unités la couvrant contre des contre-attaques dangereuses.

A déjeuner l'intrépide Joannou, commandant la division de l'Archipel, venu recevoir son troisième régiment revenant de la Vieille Grèce où il maintenait l'ordre.

Dimanche 15 septembre. — A cinq heures trente, attaque de la 122e D. L, de la 17e D. I.'C. et la division Choumadia. Vers dix-neuf heures, engagement des divisions de deuxième ligne et de la l r e armée serbe.

A vingt et une heures, le bataillon du 148e, gauche de la 122e, s'empare du Sokol.

Le commandant Marinkovitch, mon agent de liaison avec

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les Serbes, qui se pendait anxieusement au téléphone, m'ap­porte triomphalement les nouvelles.

16 septembre. — Cinq heures. L'attaque de la l f e armée serbe appuyée à gauche par la 11 e D. I. C. progresse.

Onze heures : la division yougoslave est définitivement maîtresse du Koziak ; la division Timok progresse vers Topolatz.

Midi : d'Anselme attaque Sborsko. Outre son train spécial, Sarrail s'était fait aménager un

équipage de campagne sur camions automobiles : une vo> ture bureau-chambre à coucher, une voiture-cuisine, éclairage autogène. Je les avais envoyés d'avance à Trésina, Quartier général de Stépanovitch. Je vais le rejoindre et trouve les Serbes rayonnants. En passant à Vertekop, vu Fournial ; le service sanitaire, les évacuations sont assurées.

17 septembre. — A six heures, départ pour Glogott. Bonne ambulance à Gravitza. Vu Pruneau dont la division se recons­titue. Je lui donne l'ordre de vider son C. I. D. et de verser dans ses régiments ses compagnies de mitrailleuses de position devenues inutiles. Un peu plus haut, le colonel Roussel.

Il me faut descendre de voiture et cheminer à pied, car le sentier fort étroit est encombré par l'artillerie de montagne française qui se porte en avant pour rejoindre les unités serbes de premières lignes. Je dépasse successivement le colonel Dehove du 1 e r régiment d'I. C , le commandant Hirtzmann. Dans les lignes bulgares, j 'atteins le poste de commandement du colonel du 80 e d'infanterie, couvert par six rangées de gros troncs de hêtres. Je trouve le P. C. de la division Timok à la tête du ravin du Poroï. Le général et le chef d'État-majorsont en avant. La permanence est assurée par un agréable officier de réserve, diplomate de son métier, qui m'assure que tout va bien. Je lui dis les attaques d'Anselme à la droite et lui prescris de rappeler de ma part à son général de ne pas oublier de se relier au 1 e r groupement.

Le terrain est très difficile. Il est treize heures passées ; îl me faut faire demi-tour. En marchant, je vois sur le côté du sentier le cadavre d'un pauvre sénégalais tombé là, ignoré.

En passant, vu Pruneau enchanté. Pertes de la division : 1 300 hommes.

Je rentre à Salonique dans la soirée après avoir vu Stépa-

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novitcln, qui va se porter en avant. Il doit gagner Gradsko le plus tôt possible en se reliant à droite avec d'Anselme, de façon à couper sans retard la ligne du Vardar et pincer tous les trains qui seraient en aval. Je lui laisse la 17e D. I. C , mais reprends en réserve générale ma vieille 122e D. I. Depuis ce matin, le transport de l'artillerie lourde se fait sur Monastir où les emplacements des pièces, les carnets de tir, ont été préparés et les stocks de munitions constitués.

18 septembre. — Conformément au plan convenu, comme diraient les Allemands, l 'attaque anglo-hellénique s'est déclen* chée ce matin. Les premiers résultats paraissent médiocres ; je vais voir Milne à son P. C. et déjeune en passant chez les sœurs de Kukus. Je rejoins Milne très calme mais peu satisfait.

A droite, échec complet de la division de Crète. Comme je le craignais, la marche de nuit a été mal réglée et les troupes ont été surprises par le jour en terrain découvert. A gauche bon début, surtout à la division Sérès ; déjà quelques centaines de prisonniers. Bonne vue du terrain du P. C. de Milne, qui, en bon Anglais, veut continuer et recommencer demain. Dans tous les cas, à mon point de vue, le résultat cherché est obtenu : la l r e armée bulgare est accrochée.

En rentrant, je croise des convois britanniques conduits par des Cypriotes et admire leur bonne tenue.

A Salonique, bonnes nouvelles des Serbes et de d'Anselme qui avancent. Sur la Strouma, les Grecs ont fait des prison­niers allemands d'une division nouvelle arrivant de Roumanie. Je ramène à Salonique en chemin de fer ma 122e D. I. réserve générale. Il commence à faire moins chaud.

Le général commandant le 1 e r C. A. hellénique me rend compte que sur le front de la Strouma ses patrouilles se sont heurtées à des éléments allemands et ont fait des prisonniers du 256e allemand. Je crains une offensive de diversion et c'est pourquoi je ramène à Salonique une bonne unité. C'était une crainte vaine. Voici ce qui s'était passé : dans le courant du mois de juillet, un officier grec avait été porté disparu au cours d'une patrouille sur la rive gauche de la Strouma. En septembre, il reparut, racontant qu'il s'était évadé des mains de l'ennemi ; c'était un déserteur royaliste qui était passé à l'ennemi pour traiter de la défection de tout ou partie dç sa troupe. Comme les Grecs répugnaient à se rendre aux

TOME XLVII. 1938 . 17

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Bulgares, il avait obtenu l'envoi de quelques bataillons alle­mands et était revenu, se présentant comme évadé, en réalité pour continuer ses agissements. Il fut arrêté, mais le comman­dant grec se garda bien de me mettre au courant. J'appris toute Cette histoire par mon S. R.

Du reste, ces bataillons allemands quittèrent bientôt la Strouma et remontèrent vers le nord pour tâcher de boucher le trou béant devant l'offensive du 15 septembre.

19 septembre. — Les attaques helléno-britanniques échouent de nouveau. Le 2 e bis de zouaves, mal commandé, n'arrive pas à déboucher et se perd dans les boyaux. Je donne l'ordre à Milne de ne pas persister, La l r e armée bulgare est accrochée, cela suffit,

20 septembre. — Les progrès continuent. La 11 e D. I. C. avance à la gauche des Serbes.

Visites de félicitations : Adossidès,Baloutchitch. Le soir^ les Serbes entrent à Kavadar, que notre 122e D. I. a évacué en 1915.

21 septembre. — Beau temps. Je vais voir la division Sérès qui s'est bien battue sans grand résultat. Le 3 e R. L a perdu 1 200 hommes sur 3 000, et les Allemands, pour excuser la débâcle, diront que les Bulgares ont lâché pied sans résister.

Comme toujours en cas de non réussite, les Grecs pré­tendent qu'ils ont été abandonnés par leurs voisins. C'est inexact, l'infanterie britannique s'est bien battue, mais ses effectifs étaient bien faibles ; de cela Milne n'était pas respon­sable, mais le War Office. Je vois ensuite le 2e bis de zouaves, son chef sortant de la cavalerie ne s'est pas adapté à l'infan­terie ; puis le beau 3 e régiment de cavalerie hellénique (lieu­tenant-colonel délia Grammatica, beau-fils de Zymbracakis, a fait un stage au 25e dragons à Angers, colonel de Cernon). Ce régiment est en bon état, bons chevaux hongrois -, je 1© fais passer sur la rive droite du Vardar où le 1 e r groupe­ment arrive dans un terrain propre à la cavalerie dont il est à peu près dépourvu.

En rentrant, bonnes nouvelles. Les Boches (302e D. I. allemande) décollent devant la droite de l'A. F. O., les Italiens occupent enfin la fa.meuse cote 1050 que Monbelli m'a montrée du Trident et qui le préoccupait tant . #

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22 septembre. — Très chaud, orageux. A déjeuner le sym­pathique ménage Fabry, lui, conseiller à la Cour de cassation.

Le soir, grand dîner chez Adossidès : Grivas, Danglis, les Fabry, Ractivant, etc. Tout le monde parie français. Mme Adossidès, agréable Macédonienne élevée en Allemagne, me raconte que, petite fille, elle portait en cachette des car* touches aux comitadjis.

Les gros dépôts grecs de Salonique permettent de réparer les pertes des divisions Sérès et Crète. De plus, pour parer aux faiblesses des effectifs anglais, je mets à la disposition de Milne, le colonel Orphanidès et les deux régiments de sa division qui peuvent marcher. Le 24e viendra à Hortakoï où il sera mieux qu'à Naresh pour travailler et compléter son instruction.

Les Yougoslaves sont au Vardar. Ils ont pris 3 locomo­tives, 145 wagons, 2 pièces sur trucs. Les Bulgares décollent devant les Anglais.

Vingt*deux heures cinquante, départ pour Florina. 23 septembre. — Six heures, Florina-gare. Vu Henrys, tout

va bien ; l'artillerie lourde est arrivée et prête à tirer. Puis à Tepavci où Monbelli plie ses bagages pour marcher

en avant. Il me donne pour guide un officier de son état-major. Grâce à lui je franchis les lignes bulgares et italiennes par un chemin rapidement et parfaitement aménagé par les Italiens. Ce sont vraiment d'excellents terrassiers. Nous gagnons Kanatlarci, Quartier général du 61e C. A. allemand. Beaucoup de matériel abandonné. Casino bien installé. Dans la plaine, récoltes faites et rentrées ; beaucoup de meules de paille intactes.

J'atteins la Cavalerie française et, après Dobrosevo, Jôuinot, que je trouve avec Massiet et Gros cassant la croûte à côté du 1e r chasseurs d'Afrique pied à terre.

Je ne voulais pas voir ma victoire compromise comme sur là Marne par les hésitations du chef de ma cavalerie. Comme tous les hommes, Jouinot avait ses défauts, mais c'était un guerrier. Au mois de juillet, je l'avais prévenu que je voulais prendre une offensive décisive et que j 'y prévoyais un rôle important à la cavalerie. Il me répondit : « Mon général, les papiers ne sont pa6 mon affaire, donnez-moi Massiet pour faire mes papiers et j'irai où vous me direz d'aller. » Je lui donnai

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Massiet que j'enlevai au 1 e r groupement et Jouinot alla où je lui dis d'aller.

Sur les instances de Michitch, je n'ai pas constitué le groupement de toute ma cavalerie, mais je prescris à Henrys de renforcer Jouinot d'une brigade d'infanterie et de deux groupes d'artillerie ; il a des autos-mitrailleuses de circons­tance que j 'ai fait fabriquer. Nous sommes des parents pauvres aux armées alliées d'Orient, mais résolus à marcher quand même.

Devant tous, j'explique à Jouinot ce que je désire : le voir atteindre Uskub le plus tôt possible, Uskub qui, une fois Prilep occupée par nous, reste la seule communication entre la IX e armée allemande et la Bulgarie. Le colonel de Bournazel et les officiers du 1 e r chasseurs d'Afrique nous écoutent tous pleins d'enthousiasme ; ils sont si contents de voir le terrain libre. On sent le vent de la victoire.

Je pousse en avant et je rejoins à Klipatchi une brigade italienne ; j'accepte la courtoise invitation à déjeuner de son général.

Une petite ligne de collines nous sépare de Prilep ; elle aurait pu servir de deuxième position, mais elleesf abandonnée. Partout des incendies, des explosions de munitions. Je vois à l'est la cavalerie française qui marche sur Prilep en trois colonnes par Tolyslcani, Alintze, et Massoral. Je trouve les Italiens bien méthodiques, ils ne réalisent pas encore notre succès.

Rentrée à Florina-Ville à dix-huit heures trente. Bonnes nouvelles de tout le front. D'Anselme est arrivé

sur le Vardar ; il a pris onze trains entiers envoyés pour l'éva­cuation des nombreux magasins du front. Craignant les ruses de guerre, je prescris de ne pas arrêter les opérations si les Bulgares demandent une suspension d'armes, et de m'envoyer les parlementaires.

24 septembre.— Le matin, travail à l'état-major de l'A. F. 0 . Départ de Florina à huit heures, arrivée à Prilep vers onze heures trente après avoir rencontré de nombreux dépôts de munitions exploses. »

La gare est intacte ; énorme butin. Les Allemands cons­tituaient leurs approvisionnements pour l'hiver. Des trains de blé allaient partir pour l'Allemagne, gagnant la voie

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ferrée à Gradsko par leur Decauville. Trois wagons de papier hygiénique pour les ambulances, rien n'est négligé.

Notre cavalerie a faim, ; elle marche si vite que les appro­visionnements ne peuvent la suivre. Je trouve quelques spahis marocains à la traîne, dont chacun déguste sans pain un seau de marmelade. Quand ils relèvent la tête pour respirer, leur barbe poussiéreuse remplie de marmelade fait un effet extraordinaire.

La ville est intacte. A la mairie, l'actif et intelligent capi­taine Ameil s'efforce de débrouiller la situation assez complexe. En même temps que la cavalerie arrivant par le sud sont entrés par le sud-est la brigade Biétrix de la 11 e D. I. C. et des élé­ments de la division Tricoupis ; ils sont reçus à bras ouverts par les habitants. Quelques scènes de (désordre. Quand je le reverrai, le prince Régent se plaindra, sans acrimonie du reste, d'outrages infligés à quelques jeunes beautés macédo­niennes par les Sénégalais de Biétrix. Ces gens simples ne comprennent pas que cette ville située derrière une ligne qu'ils ont forcée à la suite de trois jours de combat ne soit pas une ville ennemie. Du reste, je constate que les rela­tions, sinon les sympathies, sont orientées plutôt vers Sofia que vers Belgrade.

Le maire, qui sort du lycée d'Aix-en-Provence, un pharma* cien qui a fait ses études en Belgique servent d'interprètes. Tout se tasse. Le blé pris à la gare sera moulu, les prisonniers bulgares serviront de boulangers et tout le monde mangera. L'armée française sera ravitaillée par son avant.

Je déjeune dans la maison qu'habitait le général de Steuben, commandant la IX e armée allemande. Dans la cour, un abri des plus confortables contre les bombes d'avions. Partout, les généraux allemands prennent les précautions les plus sérieuses contre les bombardements par avions.

Dans la vallée, je trouve les trains de la cavalerie. L'A. F. 0 . les a orientés trop à l'ouest ; je dois les redresser face au nord. Du reste, je puis le faire sans retard, car, en sortant de Prilep, je rencontre Henrys qui y arrive. La droite bulgare tient toujours les hauteurs qui dominent Monastir. Tant mieux, il y en aura plus de pris dans la nasse.

En rentrant par la grand route, difficultés pour franchir la Cerna dont le grand pont est en réparations. En passant,

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je m'arrête pour voir l 'attaque de la cote 1200 par la division Borius. Comme la pente est assez raide, on voit très bien le barrage roulant qui la remonte et les vagues d'infanterie collant au barrage.

Dans le monastère de Saint-Neidela, à l'entrée de Monastir, vu Siben qui y arrive à la tête de la 76e D. I. Brave soldat, mais bien hésitant ; n'a pas changé depuis Reims en 1915. Je trouve mon train à la gare de Monastir qui est maintenant rouverte au trafic. C'est le gage d'un progrès sérieux.

25 septembre. — Il fait encore très chaud. Rentré le matin à Salonique. De partout de bonnes nouvelles. Les troupes helléno-britanniques de Milne viennent de franchir la frontière bulgare. Monastir est dégagée. L'A. F. O. y transporte son Quartier général.

26 septembre. <— Chaud. Je reçois des félicitations. D'abord du maréchal Douglas Haig qui, depuis la Marne, a toujours été très affectueux. Puis du gouvernement français.

A dix-sept heures, arrivée d'un major bulgare venu en parlementaire dans les lignes britanniques. Il était porteur d'une lettre du général en chef bulgare, par intérim Todorof, adressée au général Milne, et demandant à celui-ci d'inter­venir auprès de moi pour obtenir une suspension d'armes de deux jours.

Conformément à ma décision du 23 septembre, je refuse toute suspension d'armes, mais je fais connaître que les pléni­potentiaires bulgares seront reçus avec la correction qui convient. Je rends compte à Paris, faisant connaître lès conditions que je compte imposer. Elles seront admises sans modifications, sauf des additions sans importance.

Je vais me coucher dans mon train. 27 septembre. —• A une heure, départ du train pour Doiran.

Arrivée à la gare à six heures trente. J 'y trouve Milne et ses autos. Traversée de Doiran complètement ruinée. A l'entrée du défilé de Stroumitza, désordre extraordinaire causé par l'aviation britannique sur les Bulgares en retraite. Pendant plusieurs kilomètres, automobiles, fourgons, caissons, canons culbutés pêle-mêle. Amas de cadavres : hommes, chevaux, bœufs, buffles mélangés.

A Stroumitza,nous rattrapons l'avant-garde anglaise qui vient d'y pénétrer après une escarmouche. Cachés dans les

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maisons, des traînards bulgares échangent encore quelques coups de fusil avec les éclaireurs. Ce n'est vraiment pas notre place : avec Milne nous reculons et nous nous associons pour déjeuner en plein air près de Pepovo. Une jeune femme macé-donienne et son enfant se jettent avidement sur nos restes ; ils ont faim.

Nous croisons des bataillons anglais bien réduits par la malaria et les attaques des 18 et 19 septembre. Milne est enchanté de conserver Orphanidès et ses deux régiments, les 9e et 36e, qui peuvent marcher. Il les dirige sur le Belès. En rentrant, visite de la ligne des P. et du Grand Couronné. Organisation formidable ; on comprend l'échec des Anglais.

Rentrée à Salonique. Le gouvernement bulgare me demande de Sofia par T. S. F. où en sont les pourparlers. Les Grecs rendent compte que, sur la Strouma, deux parle­mentaires sont venus demander si la paix n'était pas faite. Ils sont vraiment bien pressés.

28 septembre. — Le matin, arrivée de M. Walker, gentil jeune homme attaché à la % légation des États-Unis à Sofia. Il vient me demander de la part de son ministre la faculté d'expédier un télégramme à son gouvernement. Il me fournit quelques détails sur ce qui se passe à Sofia. Ferdinand est très menacé. Il â libéré Stambouliski et lui aurait offert le pouvoir. Des troupes allemandes sont appelées pour arrêter les bandes révolutionnaires qui marchent sur la ville.

A dix-huit heures trente, le commandant Cartier, chef du 2e Bureau, m'amène les parlementaires bulgares : Liap-tchef, ministre des Finances, originaire de Resna en Macé­doine, où habite encore son frère, et le général Loukof, com­mandant la 2e armée, ancien attaché militaire à Paris où il a laissé de bons souvenirs. Ils ont amené comme conseiller technique un sieur Radefî, ministre plénipotentiaire à Berne* qui m'est signalé comme suspect. Le 2e Bureau les nourrira et les logera ainsi que les deux officiers qui les accompagnent Î le major Trianof et le capitaine Batolof.

Réception correcte mais froide. « Sans aucune raison vous avez marché contre nous* vous devez le payer. Comme je ne veux pas de révolution, je ne toucherai pas à votre gouver­nement, mais comme je veux terminer la guerre vite et bien,

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vous me fournirez tout ce qu'il me faudra pour cela. » Rendez-vous est pris pour le lendemain. Tous trois paraissent très déprimés. Le trajet en auto dans les routes défoncées les a très fatigués. Conduits par Cartier dans un très bon appartement, restaurés par un copieux repas bien arrosé, leur langue se déliera. Dès le 23, von Steuben a quitté Prilep, il serait révoqué. Von Scholz qui conserve le commandement a quitté Uskub et s'est retiré à Alesinatz. A Sofia, le ministre allemand Oberndorf crâne encore et soutient Ferdinand, appuyé par les éléments germanophiles et quelques bataillons allemands venus en toute hâte de Roumanie. Le général Savof, le géné­ralissime de la guerre de 1912-1913, aurait repris le comman­dement.

29 septembre. — A neuf heures, première conférence dans ma salle à manger. En face de moi, Liaptchef au centre, Loukof et Danef à droite et à gauche. J 'ai à ma droite Charpy, mon chef d'état-major et, à ma gauche, le commandant Tencé du 3 e Bureau qui sera le secrétaire d% la réunion.

Les plénipotentiaires bulgares ont étudié nos conditions que je leur ai remises hier au soir. Ils ont la prétention de rentrer dans la neutralité qu'ils n'auraient pas dû quitter. Puis ils m'offrent brutalement de placer leurs armées sous mes ordres. Liaptchef me dit : « Demain, nous marchons avec vous sur Constantinople et dans trois semaines, car il nous faut bien travailler l'opinion, contre- l'Allemagne. » Je leur fais comprendre nettement la situation ; mais ma position est difficile, je suis seul ; quand un des Bulgares paraît convaincu, l'autre reprend la question. A midi, nous levons la séance sans avoir conclu.

Pendant la journée, Venizelos me fait savoir que, désireux de rétablir le plus tôt possible l'accord dans les Balkans et en vue d'éviter les représailles toujours possibles, il renonce à voir des troupes helléniques concourir à l'occupation de la Bulgarie. Le prince Alexandre se hâta de me faire la même déclaration pour son armée.

A dix-huit heures, nous réprenons la conférence. Les Bul­gares font toujours des difficultés. Un officier du 3 e Bureau m'apporte le compte rendu de la journée téléphoné de Monastir par l'A. F. 0 . Je le lis à haute voix : « La progression continue

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sur toute la ligne, la ville de Resna vient d'être enlevée par le 2e bataillon indochinois. » Liaptchef lève ses bras au ciel et répète : « Indochinois. » Il était en effet curieux de voir sa ville natale en pleine Macédoine enlevée par un bataillon de tirailleurs annamites.

Ils se décident enfin à signer à vingt-trois heures trente le premier armistice de la guerre qui sonne l'hallali des Puis­sances centrales, comme Hindenburg et Ludendorff l'ont reconnu.

30 septembre. — A dix heures, les plénipotentiaires bulgares repartent pour Sofia accompagnés de mon premier sous-chef d'état-major, le colonel Trousson. Hier, la cavalerie française est entrée à Uskub.

La première phase des opérations est brillamment terminée. Au cours de ces quinze jours d'opérations où, comme l'a si bien dit le poète, la victoire avait retrouvé ses ailes, les armées alliées avaient fait 90 000 prisonniers dont 1 600 officiers et 5 généraux, pris plus de 800 canons de tous calibres, des centaines de minenwerfer et de mitrailleuses et un immense matériel de guerre, indépendamment du personnel et du matériel des divisions bulgares désarmées à la suite de l'armistice (1).

La signature de l'armistice faisait disparaître l'armée bulgare. Le rideau tombait sur le premier acte.

Des perspectives nouvelles et plus grandioses s'ouvraient alors pour les armées alliées d'Orient.

MARÉCHAL FRANCHET D'ESPÈREY»

(1) Les Allemands accordaient aux Bulgares des emprunts de guerre et les payaient en matériel ; par exemple, le nombre des jumelles à ciseaux, de jumelles à prismes, de télémètres, de jumelles de Galilée, de baromètres, dépasse toute mesure; chaque bataillon était pourvu d'une superbe voiture étuve à désin­fection, etc. .