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Tous droits réservés © HEC Montréal, 1969 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 8 juin 2020 18:20 L'Actualité économique Les banques centrales et le développement économique africain Diallo Maka Volume 45, numéro 2, juillet–septembre 1969 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1003653ar DOI : https://doi.org/10.7202/1003653ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) HEC Montréal ISSN 0001-771X (imprimé) 1710-3991 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Maka, D. (1969). Les banques centrales et le développement économique africain. L'Actualité économique, 45 (2), 299–325. https://doi.org/10.7202/1003653ar

Les banques centrales et le développement économique africain · l'administration de l'offre de monnaie, la régulation et la supervision d'une structure plus ou moins adéquate

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Tous droits réservés © HEC Montréal, 1969 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 8 juin 2020 18:20

L'Actualité économique

Les banques centrales et le développement économiqueafricainDiallo Maka

Volume 45, numéro 2, juillet–septembre 1969

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1003653arDOI : https://doi.org/10.7202/1003653ar

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Éditeur(s)HEC Montréal

ISSN0001-771X (imprimé)1710-3991 (numérique)

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Citer cet articleMaka, D. (1969). Les banques centrales et le développement économiqueafricain. L'Actualité économique, 45 (2), 299–325.https://doi.org/10.7202/1003653ar

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Les banques centrales et le développement économique africain

I. LE ROLE DES BANQUES CENTRALES

A. Le but d'une banque centrale

La création de banques centrales dans les pays sous-développés a été très répandue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Ce phénomène a été souvent considéré comme étant une manifes­tation de la volonté des pays nouvellement indépendants, d'assumer leur indépendance ; il a été parfois interprété comme un développe­ment politique plutôt qu'économique. La plupart des autorités des banques centrales paraissent opposées à la création de banques cen­trales dans beaucoup de ces pays nouvellement indépendants, sous prétexte que de telles institutions ne peuvent jouer aucun rôle utile dans le développement de ces pays et peuvent, selon elles, leur faire beaucoup de mal. Ceci représente un changement total de l'opinion depuis les années 1920 et 1930, quand les autorités des banques centrales en favorisaient l'établissement avec l'objectif principal de protéger la valeur de la monnaie nationale, un exemple remarquable en vue étant la résolution votée par la Conférence financière inter­nationale à Bruxelles en 1920, à l'effet que les pays qui n'avaient pas déjà créé une banque centrale devraient prendre les dispositions pour le faire J. Le changement d'attitude est explicable, en partie par le fait que le système de l'étalon-or n'existe plus — de sorte que

i . M.H. de Kock, Central Banking, 3e édition, Staples Press, London, 1954, chap. I, p. 19.

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la sauvegarde de la stabilité de la valeur monétaire est devenue une fonction de la banque centrale — et en partie par le fait que les banques centrales sont devenues de plus en plus des instruments de politique économique et, de ce fait, des agences du gouverne­ment 2. En fait, ces vues reflètent les soucis croissants des ban­quiers orthodoxes, face à l'intervention politique dans les activités des banques centrales.

Le scepticisme, très généralement répandu, en ce qui concerne l'utilité des banques centrales dans les pays sous-développés, semble avoir pour origine la doctrine qui veut que la fonction principale de la banque centrale moderne soit de contrôler la situation géné­rale du système de crédit, dont le but est considéré comme étant la prévention de fluctuations très marquées dans le niveau des prix. Beaucoup de ces observateurs craignent les possibilités de dommage sérieux à l'endroit du système économique, résultant des applica­tions de ce pouvoir par des hommes inexpérimentés et imprudents. Bien que les banquiers orthodoxes semblent être, en général, oppo­sés à la création de banques centrales dans les pays sous-développés, d'autres, cependant, sont convaincus que de telles institutions ont une certaine utilité limitée en vue du maintien de la stabilité des revenus et des prix dans les pays en question.

Il est important de noter que même parmi ceux qui sont prêts à approuver la création de banques centrales dans les pays sous-déve­loppés, il y a encore une tendance marquée d'envisager le rôle de ces banques en termes traditionnels. La fonction principale d'une banque centrale est encore considérée par eux: comme étant le con­trôle du système bancaire commercial avec comme objectif la stabi­lisation de l'économie. Ainsi, cette catégorie d'observateurs en arrive à la conclusion que : « an agile central ban\ can do something to moderate the swings of income, if only by checking the commercial banks in their natural tendency to accentuate the swings » 3 ; l'utilité d'une banque centrale est jugée en termes de sa capacité d'éliminer l'instabilité. Fondamentalement donc, ces observateurs retiennent une vue traditionnelle de ce que doit être une banque centrale.

2. Sayers, « Central Banking in Underdeveloped Countries », Central Banking after Bagehot, Oxford University Press, London, 1957, p. 110.

3. Sayers, tbid., p. 131.

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Il est vrai, en fait, qu'une contribution importante peut être faite par une banque centrale qui tempère les effets purement moné­taires — par opposition aux effets économiques en général — des oscillations de balances de paiements, par le moyen d'un coefficient de réserves statutaires ou de techniques semblables 4. Toutefois, cette approche traditionnelle risque de négliger la possibilité que le rôle d'une banque centrale dans un pays sous-développé d'aujour­d'hui, puisse être, fondamentalement, différent de son rôle dans les économies développées d'Europe occidentale ou d'Amérique du Nord. Dans une large mesure, le point de vue général, concernant ce qui est et ce qui n'est pas la fonction propre d'une banque cen­trale, a été conditionné par les expériences récentes des économies des pays industrialisés. Historiquement, cependant, les fonctions assumées par ces banques sont celles qui leur ont été attribuées en raison des circonstances et des conditions dans lesquelles elles ont été créées et dans lesquelles elles ont évolué. Les banques centrales des vieux pays industriels se sont développées, en général, à un mo­ment où l'offre de monnaie était considérée comme mieux ajustée aux besoins de l'économie par un mécanisme essentiellement auto­matique et au moment où les banques commerciales — et tout un réseau d'institutions financières et de crédit avec des ramifications multiples — existaient déjà à un niveau de sophistication assez élevé. Dans les conditions de pays développés, il est naturel, par conséquent, que le but principal d'une banque centrale ait été considéré comme l'administration de l'offre de monnaie, la régulation et la supervision d'une structure plus ou moins adéquate des institutions de crédit dans l'économie. Le système de banque centrale est actuellement considéré en Europe occidentale et en Amérique du Nord comme étant essentiellement l'art d'influencer et de contrôler les activités des banques commerciales, le niveau et la structure des taux d'inté­rêt, les activités des marchés monétaires et des capitaux. Transposer des conceptions de ce genre dans des pays sous-développés où le système de crédit est soit inexistant, soit à un stade extrêmement rudimentaire, est sûrement faire preuve d'insensibilité aux faits historiques.

4. S.N. Sen, Central Banking in ' Under-developed Money Markets, Bookland Ltd, Calcutta, 1952, chap. IV, pp. 67-68.

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Les besoins auxquels les banques centrales; ont fait face en Eu­rope occidentale et en Amérique du Nord, étaient de développer des systèmes complexes de crédit ; dans des pays où un système de crédit n'existe pas, les besoins à satisfaire par une banque centrale doivent être essentiellement et radicalement différents. Le premier impératif des pays sous-développés (dans le contexte des questions monétaires), n'est pas la régulation et le contrôle d'un système finan­cier compliqué et en pleine maturité, mais l'encouragement et la promotion de développement à long terme dans les secteurs de base de l'économie. Aussi hérétique que cela puisse peut-être paraître aux tenants de l'orthodoxie en matière de banque centrale, il est, en fait, historiquement exact de dire qu'une banque centrale doit faire face aux besoins les plus urgents de la situation monétaire dans laquelle elle a été amenée à exister et à se développer. Pour les pays sous-développés, l'utilité ou l'inutilité d'une banque centrale doit, par conséquent, être déterminée d'abord et avant tout, en termes de sa capacité d'aider le processus de croissance économique et de forma­tion de capital ; la contribution qu'elle peut faire pour régler, diriger et guider les institutions de crédit qui pourraient exister au mo­ment de sa création, doit être une considération de moindre impor­tance et tout à fait secondaire. Comme on l'a déjà observé dans le contexte des pays, africains où les économies .sont; hautement-dépen­dantes et sous-développées,. une banque centrale ne devrait pas être considérée avant tout comme un instrument potentiel de stabilisa­tion, mais comme une agence potentielle de. développement d'une variété plutôt exceptionnelle 5.

B. Les fonctions, d'une banque centrale nouvellement- créée .dans ' un pays sous'.développé . </."• . • ; .. . • :!, y

Compte tenu de ce qui a été dit dans les paragraphes précédents, il serait inapproprié et sans aucun doute inexact de parler des fonc­tions d'une banque centrale dans un pays, sous-développé seulement en termes des .fonctions traditionnelles bien connues des. banques centrales orthodoxes. Parmi elles se trouvent habituellement les fonctions suivantes : premièrement, créer et mettre en circulation la monnaie, deuxièmement, rendre des services bancaires au gouver-

5.. Newlyn et Rowan, Money and Banking in British Colonial Africa, Oxford University Press, Londres, 1954, chap. X, pp. 225-226. 1

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nement et aux banques commerciales, troisièmement, préserver les réserves du système bancaire et les réserves extérieures de l'écono­mie dans son ensemble, et quatrièmement, fournir les liquidités né­cessaires en tant que prêteur de dernier ressort, et enfin, assurer la liquidité du système financier de l'économie domestique °.

Bien que plusieurs de ces fonctions puissent être exercées par la banque centrale d'un pays sous-développé, beaucoup d'entre elles sont à peine possibles dans un pays ayant un système bancaire et de crédit rudimentaire. Des observateurs conscients de cette limitation ont réduit à un strict minimum le champ des activités qui, à leurs yeux, pourraient être entreprises avec succès par une banque cen­trale dans ces circonstances. Ainsi, les fonctions plus limitées de nos jours, que l'on suggère pour une banque centrale nouvelle, se bor­nent à rien de plus qu'à fournir des conseils et des services techni­ques aux banques commerciales et au gouvernement dans le domai­ne des devises étrangères, encourager la croissance d'un solide sys­tème bancaire commercial, développer des marchés monétaires et de capitaux et veiller à l'évolution graduelle des techniques de con­trôle monétaire appropriées à l'économie dans laquelle elle opère. La plupart de ces fonctions peuvent être exercées seulement à un degré limité et leur exécution complète ne peut être faite qu'au bout d'une période de plusieurs années.

Il est raisonnable, toutefois, de supposer que certaines fonctions traditionnelles, les plus importantes, peuvent être exercées utilement par une banque centrale dans une économie sous-développée. Il est vrai que son efficacité dans ces domaines, plus précisément en ce qui concerne son pouvoir d'action indépendante, peut être extrême­ment limitée tout d'abord. Cependant, personne.ne propose de créer une banque centrale simplement pour ce qu'elle peut accomplir dans un an ou deux ; sa mise en place est essentiellement une affaire de longue durée, dans laquelle les autorités responsables s'attendent, naturellement et à juste titre, à la croissance et au développement de ses fonctions sur une longue période dans le futur. Ce qu'elle peut faire aujourd'hui, à un degré seulement limité, n'est évidem-

6. De Kock, Central Banking, 3e édition, Staples Press, London, 1954, chap. I, pp. 20-25. Plumptre, Central Banking in the British Dominions, University of Toronto Press, Toronto, 1940, introduction, pp. 14-16. Newlyn et Rowan, op. cit., chap. XIII, pp. 269-270.

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ment pas le même que ce qu'elle peut être capable de faire dans vingt ou trente ans plus tard, dans l'hypothèse d'un commencement, à ce moment-ci, et d'un développement substantiel et soutenu de l'économie, au cours des années à venir.

Toutes les raisons portent à croire, par exemple, qu'une ban­que centrale nouvellement créée devrait administrer la création et la mise en circulation de la monnaie, selon l'usage traditionnel. L'impor­tance morale de cette fonction est immense ; dans une économie sous-développée, les billets de banques en circulation sont générale- ' ment la seule forme de moyens de paiement libératoire en usage ; ils constituent, par conséquent, la base fondamentale du système de crédit. À cause de cela, la caractéristique essentielle qui distingue une banque centrale moderne de toutes les autres banques, et qui est le fondement de son autorité, n'est pas tant son rôle de super­viseur des banques commerciales ou celui de banque des banques, mais son pouvoir ultime de créer la monnaie. Dans la plupart des pays sous-développés, ce pouvoir peut donner une force morale, plutôt que pratique, puisque l'on admet que c'est le contrôle exercé sur les réserves des banques commerciales qui compte, en pratique 7, et celles-ci prennent souvent la forme de devises étrangères plutôt que de monnaie locale. Mais l'influence morale est en elle-même vitale ; la signification pratique de la création et de la mise en circu­lation de la monnaie locale, d'autre part, augmentera à mesure que l'économie se développera.

Dans le cas des pays sous-développés, les fonctions principales d'une banque centrale consistent, premièrement, à financer directe­ment et indirectement 8, le développement à long terme à l'intérieur de l'économie et, deuxièmement, à encourager activement et efficace­ment la croissance des marchés monétaires et de capitaux.

Une autre fonction traditionnelle des banques centrales des économies plus développées qui pourrait utilement être reprise et assumée par une nouvelle banque centrale à ses débuts, est celle qui consisterait à jouer le rôle de banquier du gouvernement lui-même. La banque centrale devrait normalement être l'agent exécutif du gouvernement dans la gestion de la dette pubhque et dans la gestion

7. Plumptre, op. rit... p. 33. 8. Sur le financement direct et indirect du développement économique par la.

banque centrale, voir la conclusion de cet article.

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de ses transferts de devises étrangères ; il y a d'importants avantages à avoir la gestion de ces affaires dans les mains de la même institu­tion que celle qui s'occupe des comptes généraux de dépenses et de revenus du gouvernement. Une coordination étroite de la pohtique de la dette publique et de la politique fiscale est aujourd'hui univer­sellement acceptée comme nécessaire, et on peut y parvenir plus faci­lement et plus efficacement par une banque centrale qui s'occupe à la fois du compte courant du gouvernement et de son compte capi­tal. Un avantage secondaire, que certains observateurs pourraient considérer comme étant d'une importance considérable, est que ceci pourrait aussi aider le personnel de la banque centrale à acquérir une bonne connaissance des procédés des opérations bancaires jour­nalières et des opérations de paiements et d'encaissements des comp­tes bancaires ordinaires °.

Quand on considère les autres fonctions traditionnelles d'une banque centrale, les perspectives semblent moins favorables. Par exemple, une des fonctions capitales d'une banque centrale ortho­doxe — fonction sur laquelle repose la quasi-totalité du pouvoir et de l'influence de la banque centrale — est la fourniture d'une source ultime de liquidité dans l'économie. Dans un système ban­caire qui est largement une organisation interne préoccupée de paie­ments au bénéfice, et de recettes en provenance, d'autres institutions au sein de l'économie, il y a dans ce cas-là peu de difficultés en prin­cipe à fonder une banque centrale chargée de créer la monnaie, car elle est le prêteur de dernier ressort et la base sur laquelle tout le système de crédit est bâti. Cependant, dans la plupart des pays sous-développés, les grandes banques étrangères opérant dans ces pays cherchent à satisfaire en dehors de l'économie leurs besoins en fonds liquides ; c'est alors que le problème de liquidité ultime et de con­trôle devient extrêmement complexe. Cela et d'autres aspects des banques commerciales dans les pays sous-développés sont traités plus longuement dans deux autres articles 10. Il suffit de faire observer ici que, dans la mesure où des banques nationales se créent et se développent, une banque centrale nouvellement créée pourra jouer

9. Sayers, ibid., p. n o . 10. Voir dans cette même revue : « Structure monétaire commerciale et bancaire

des pays d'Afrique tropicale >, 44e année, numéro 4, janvier-mars 1969, pp. 711-727 ct « Les implications économiques des systèmes monétaires des pays de l'Afrique tropicale *•>, 45e année, numéro 1, avril-juin 1969, pp. 78-97.

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une part importante comme prêteur de dernier ressort; pour ce qui est des banques impériales déjà établies, cependant, son pouvoir de jouer ce rôle sera inévitablement très limité. . .

C'est seulement par des mesures législatives draconiennes qu'une banque centrale pourrait éventuellement être amenée à occuper une position de force vis-à-vis des banques impériales. Si, par exemple, on interdisait aux banques impériales d'investir leurs fonds à l'étran­ger ou si elles étaient obligées par une législation spéciale à garder des fonds auprès de la banque centrale, alors dans ces conditions une nouvelle banque centrale pourrait véritablement être prêteur de dernier ressort. Mais il est inutile de penser que sans les mesures de ce type plutôt extrêmes, une banque centrale nouvellement créée puisse espérer devenir le centre du système de crédit, à l'instar des banques centrales des économies développées, si les banques com­merciales dans le pays considéré restent en grande majorité dans les mains de grandes banques internationales. Dans beaucoup de régions soùs-développées, la plupart des banques commerciales font partie d'organisations internationales dont les ressources — en termes d'in­fluence financière et peut-être aussi politique — sont beaucoup plus grandes que celles de la banque centrale ou même du gouvernement de la région. Par conséquent, il n'y a vraiment pas de sens dans l'argument voulant que dans le cas d'un système de Currency Board, où il est question de grandes banques impériales, « les banques sont vulnérables, car sans banque centrale, elles ne peuvent aller nulle part pour demander de l'aide, en cas de besoins » " .

Néanmoins, pour des raisons de contrôle, même si ce contrôle est plus fictif que réel, et — plus important encore — dans lé bût de financer le développement du pays, û' est fort probable que les banques centrales de la plupart des pays sous-développés trouveront nécessaire de posséder des pouvoirs statutaires, selon lesquels les banques commerciales opérant dans leur pays sont obligées de main­tenir des dépôts bancaires auprès d'elles. Par ce moyen; la banque centrale d'une économie sous-développéé peut établir avec les ban­ques commerciales des relations qui, au moins, ont des similitudes avec la situation traditionnelle d'une banque centrale, dans une éco­nomie développée. La question est alors de savoir à quel usage une

I I . Exter, T., Report on the Establishment of a Central Bank for Ceylon. Sessional Paper XIV, Ceylon Government Press, Colombo, 1949, p. 5.

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banque centrale pourra affecter ces fonds, en autant qu'il est ques­tion qu'elle joue le rôle d'un prêteur de dernier ressort aux banques commerciales ou à toute autre partie du système de crédit. La possi­bilité d'une crise du système monétaire n'implique pas pour une banque centrale, comme ce serait le cas pour les banques commer­ciales, qu'un haut degré de liquidité doive nécessairement être main­tenu dans ses avoirs. Si la crise en question prend la forme d'une demande de fonds locaux, c'est-à-dire d'une demande de monnaie locale, il n'y a pas alors de nécessité pour la banque centrale de garder des fonds liquides en réserves ; en fait, dans une telle situa­tion la banque centrale aura plutôt besoin d'augmenter ses avoirs puisqu'elle créera de la monnaie, prêtera aux banques commerciales ou achètera des titres sur le marché afin de faire face à la demande de liquidité de la part du public. Il n'y aurait donc aucun sens de garder des fonds liquides qui sont convertibles sur un autre marché dans le but de faire face à une telle situation. D'autre part, si la crise devait prendre la forme d'une demande de devises étrangères, alors le problème serait tout autre et sa solution serait de nature tout à fait différente.

C. Banques centrales et gouvernements

Quand la première guerre mondiale éclata, nombreux étaient ceux qui estimaient qu'un contrôle du crédit relevait des fonctions 12

normales d'une banque centrale. Cette façon de voir aboutit en 1920 à la Conférence financière internationale, convoquée par la Société des Nations à Bruxelles, afin d'exhorter tous les pays à créer une banque centrale. Les observateurs, orthodoxes en matière de banque centrale, estimaient alors que les gouvernements ont toujours ten­dance à être extravagants et que les banques centrales étaient néces­saires pour empêcher que cette prodigalité ne crée une inflation pouvant aboutir à des faillites. Les banques centrales pourraient em­pêcher cela, pensaient-ils, en imposant des plafonds sur les opéra-

12. Les fonctions généralement reconnues pour une banque centrale étaient jusque là au nombre de quatre :

i ) une banque centrale est l'organisme financier et de crédit du gouverne­ment ;

2) elle détient une partie des réserves des banques commerciales ;-3 ) elle détient ou gère les réserves d'or et de devises du pays ; 4) elle a le monopole de l'émission des bllets de banque.

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tions de prêt des banques commerciales, ce qui aurait pour effet de compenser toute expansion de la masse monétaire créée par les défi­cits du gouvernement.

Très souvent la stabilité que les banques centrales étaient cen­sées assurer était envisagée comme une stabilité des prix. Il est im­portant cependant que l'on se soit moins attaché à la possibilité d'user d'une banque centrale pour empêcher les prix de tomber, sauf indirectement, en prévenant une vague de prospérité qui ne pourrait durer. De toute façon, les banques centrales auraient plus de diffi­culté à soutenir les prix. Il était possible d'empêcher les banques commerciales d'accorder des prêts lorsque les prix étaient en hausse, mais dans la situation inverse il était impossible de les amener à prêter davantage, en raison du fait notamment que les emprunteurs hésitent à emprunter lorsque les prix ont tendance à baisser.

Il était donc naturel que la notion selon laquelle le premier devoir d'une banque centrale indépendante du gouvernement est d'empê­cher l'inflation, fut contestée d'abord dans les pays de production primaire où, entre les deux guerres, les baisses de prix ont été désas­treuses. Ce changement d'attitude devint apparent dans les statuts des nouvelles banques centrales, fondées dans les années 1920 et au début des années 1930. Par exemple, la loi de 1924 prévoyant la création de la Banque centrale de Chine, lui conférait les fonctions suivantes : « Développer l'industrie, stimuler le commerce, apporter une aide financière au public et favoriser le commerce interna­tional », c'est-à-dire des activités positives, au lieu de limiter ses attributions au rôle négatif de frein. On retrouve les mêmes idées dans le préambule de la loi de 1934 portant création de la Banque du Canada, où il est, en effet, stipulé que la Banque « est fondée pour réglementer le crédit et la monnaie, de manière à servir au mieux les intérêts économiques de la nation ». Mais ce fut en Nou­velle-Zélande, en 1936, que les anciennes vues sur l'indépendance des banques centrales furent nettement abandonnées. La loi pro­mulguée cette année-là, le Reserve Bank Amendment Act, disait ceci : « La Reserve Bank aura pour fonction générale, dans les limites de ses pouvoirs, de mettre en vigueur la politique monétaire du gouvernement, telle qu'elle lui sera communiquée, périodique­ment, par le Ministre des Finances ».

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Il est maintenant généralement admis que la banque centrale doit agir de façon indépendante dans la gestion du crédit du pays et dans son rôle de conseiller des autorités, mais elle doit en dernier ressort se conformer à la politique générale du gouvernement. Lord Norman, qui fut gouverneur de la Banque d'Angleterre de 1920 à 1944, a exprimé cette opinion de la manière suivante : la Banque, a-t-il dit, a « le droit unique, non seulement d'offrir ses conseils, mais aussi d'exhorter les autorités à les suivre, la décision finale étant, bien entendu, laissée au gouvernement ». Si, par conséquent, les autorités estiment que l'expansion monétaire est essentielle au développement du pays, et si la banque centrale n'arrive pas à les persuader du contraire, elle devra favoriser cette expansion, et non s'y opposer. Ce changement d'attitude fut nettement marqué par la nationalisation de la Banque de France en 1945, et de la Banque d'Angleterre en 1946, la nationalisation de cette dernière ayant été effectuée par une loi qui habilitait le Trésor à donner à la Banque les directives jugées nécessaires à l'intérêt public.

Même dans les pays industrialisés, la banque centrale est donc devenue bien plus qu'un symbole de prestige : elle est en quelque sorte le complément du gouvernement lui-même et a la responsabi­lité d'un secteur distinct de la politique économique, à savoir les disponibilités monétaires. Elle peut exercer son influence sur ce sec­teur, soit directement en variant le volume de l'émission des billets de banque, si c'est là la forme principale de monnaie en circulation, soit indirectement par le pouvoir qu'elle exerce sur les banques com­merciales, si ce sont ces dernières qui sont la source principale du pouvoir d'achat. De plus, la banque centrale peut fournir au gou­vernement une assistance technique sous des formes très diverses. Non seulement peut-elle amortir les déséquilibres temporaires entre les recettes et les dépenses du gouvernement, mais encore elle gère la dette publique, détient ou tout au moins contrôle les réserves d'or et de devises du pays ; c'est elle qui veille habituellement à l'admi­nistration du contrôle des changes et qui délivre les licences, lors­que les transactions de change sont soumises à un contrôle ; en outre, elle dispose souvent d'un service d'études pouvant compléter utile­ment celui du gouvernement.

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II. BANQUES CENTRALES ET BANQUES COMMERCIALES

A. La nature des banques coloniales

A bien des égards, l'organisation des banques commerciales dans beaucoup de pays sous-développés a des effets semblables à ceux du système monétaire colonial. La plupart des banques commerciales y restent fréquemment dans les mains d'organisations bancaires inter­nationales avec des sièges sociaux situés en dehors de la, région en question. Tout comme le système de Currency Board britannique et le système de Franc C.F.A. ont fait des pays de l'Afrique qui en dépendent une partie intégrante du système monétaire de leur mé­tropole respective, de même l'organisation des banques commerciales y a opéré comme s'ils étaient, en fait, une partie intégrante du terri­toire de la métropole ; les banques opérant dans ces derniers ont été, et restent dans la plupart des cas, des branches occupant une posi­tion fondamentalement identique à celle des branches des mêmes banques dans le pays d'origine lui-même. Comme l'a déjà fait ob­server un économiste au sujet du système bancaire colonial :

«There is no reason to assume that the head offices operate their branches as independent units wor\ing to any rigid rules regarding cash or liquidity ratios. Their management is probably more a\in to that of a branch ban\ operating in the same country as the head offices » 1S.

Un autre auteur a comparé une banque qui opérait dans le pays connu autrefois sous le nom de Gold Coast, aujourd'hui Ghana, à une banque opérant dans une banlieue résidentielle de Londres.

« 'Where the local branch accumulates 'excess funds which are • trans­ferred to, and loaned out by, more activé branches »14.

L'administration bancaire internationale dans les pays coloniaux a eu pour effet d'intégrer ces derniers dans le système bancaire des pays métropolitains 1B.

13. * Gunasekera, H.A., «The Money Supply and Balance of Payments of Cey­lon», Revue de la Banca N.azionaIe del Lavoro, vol. VII, no 30, septembre 1954, p. 146. •' * *

14. Katz, S I . , « Development and Stability, in Central and West Africa : a Study in Colonial Monetary Institutions », Social and Economic Studies, vol. 5, no 3, septembre 1956, p. 289. ; * . . . '

15. W.T. Newlyn, «The Colonial Empire», Banking in the British Common-wealth (éd. R.S. Sayers), Oxford University Press, Londres, 1952, chap. XIII, pp. 436-8 ; Greaves, Colonial Monetary Conditions, Colonial Research Studies, no to, H M S . O . , Londres, 1953, chap. I l l ; Bell, The Sterling Area in the Post War World, Oxford University Press, Londres, 1956, chap. I.

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Par conséquent, sauf si elles sont obligées de le faire par une législation locale, du moins jusqu'à un passé très récent, les banques impériales, qui opéraient dans les pays coloniaux, n'ont pas consi­déré ces pays comme distincts en ce qui concerne leurs opérations bancaires.

Un des résultats de cela a été que la politique adoptée par les banques impériales dans les pays coloniaux, a été déterminée par leurs sièges sociaux, en considérant avant tout les conditions moné­taires qui prévalaient dans le pays où est situé le siège social. Autre­ment dit, si le taux d'intérêt était augmenté en Grande-Bretagne, par exemple, comme conséquence de l'augmentation du taux dé la Banque d'Angleterre, les taux d'intérêt seraient augmentés par tou­tes les branches des banques anglaises qui opèrent dans l'Empire Britannique, sans aucune référence spéciale aux besoins ou aux con­ditions particulières des pays en question, sous la dépendance de l'Angleterre. De même, le volume total des affaires entreprises dans n'importe lequel de ces pays par une des banques impériales serait déterminé par des décisions prises dans son siège social et né serait pas nécessairement fonction de la demande de crédit, ou de l'état de la production, ou de l'emploi dans ces pays sous-développés. La croissance économique de ces derniers ne pouvait pas prospérer tant que le circuit du crédit dans ces pays était fonction des conditions qui prévalent dans les pays métropolitains, lointains et très diffé­rents.

Un autre trait caractéristique des banques commerciales dans les pays sous-développés a été jusqu'à tout récemment le fait qu'elles ont eu tendance à concentrer leurs prêts locaux sur les activités éco­nomiques directement ou indirectement liées à l'exportation des pro­duits primaires ; elles sont aussi fortement concentrées sur les trans­actions en devises étrangères 16, surtout entre la monnaie du pays

16. Hazlewood, « The Economies of Colonial Monetary Arrangements », Social and Economie Studies, vol. 3, no 4, décembre 1954, .sec. VI ; I.G. Patel, «Selective Credit Controls in Underdeveloped Economies», I.M.F. Staff Papers, vol. 1, no '4, septembre 1954, p. 7 3 ; J.-H. Adler, «The fiscal .and Monetary Implementation of Development Programs », American Economie Review, Papers and Proceedings, vol. 17, no 2, mai 1952, p. 5 95 ; Hawkins, «The Growth of a Money Economy in Nigeria and Ghana », Oxford Economic Papers, vol. 10, no 3, octobre .1958, pp. 339-340 et 343 ; Katz, op. cit., pp. 291-292; E. Laso, « Financial Policies and Credit Control Techniques in Central America », I.M.F. Staff Papers, vol. 6, no 3, novembre 1958, p. 4 3 3 ; Williams, J.W., «State Banking in the Gold '. Coast », The Banker, vol. 107, no 374, mars 1957, p. 172.

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sous-développé où elles opèrent et la livre sterling ou le franc fran­çais, selon que le pays en question est sous l'influence anglaise ou française, par exemple.

Il n'est pas surprenant qu'il en ait été ainsi, puisque les banques commerciales étaient originellement attirées dans ces pays pour le financement des entreprises étrangères qui étaient organisées et pour lesquels la colonisation de ces territoires a été essentiellement entre­prise. De plus, jusqu'à un passé relativement très récent, la seule activité industrielle importante dans ces pays, c'est-à-dire les seuls procédés productifs nécessitant l'usage des facilités de crédit ban­caire, relevait de ces grandes entreprises étrangères. Les industries indigènes, à l'exception des activités artisanales de petite échelle pour lesquelles le crédit bancaire n'était souvent ni nécessaire ni approprié, n'ont presque pas existé, jusqu'à tout récemment.

En général, il est apparu que l'extension des activités bancaires commerciales n'a pas, été de pair avec la croissance potentielle des industries manufacturières locales ; dans une très large mesure, les principaux domaines dans lesquels le crédit bancaire est octroyé par les banques internationales ont continué à être le commerce et les entreprises étrangères d'exportation. De plus, en ce qui concerne les titres, les banques impériales n'ont, en général, montré que très peu d'inclination à se servir de leurs fonds pour l'achat de titres locaux.

Un troisième trait caractéristique de la politique des banques impériales a été la conservation dans les pays sous-développés de conventions et de standards auxquels les banques avaient été accou­tumées dans leurs pays d'origine et qu'elles ont exportés dans les pays sous-développés de la même façon que les colonisateurs y ont exporté leur monnaie et leurs capitaux. Encore une fois, ceci n'est pas surprenant vu que jusqu'à tout récemment ces banques ne con­sidéraient devoir s'occuper essentiellement que du financement des entreprises étrangères, habituellement de leur pays d'origine. C'était sans doute approprié d'appliquer à de telles entreprises plus ou moins le même type de traitement et d'exiger les mêmes standards de crédit qu'il en aurait été exigé, si la banque et les entreprises opéraient à l'intérieur de leur pays d'origine.

Toutefois, l'application des conventions et d'habitudes sembla­bles aux entreprises locales dans les pays sous-développés est une

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proposition fondamentalement différente et difficile à défendre. En général, très peu d'entreprises locales sont capables de se conformer aux standards en vigueur pour l'octroi du crédit, ou de fournir le type de garantie que les banques ont l'habitude de demander dans les économies industrielles hautement développées 17. Les industries locales sont presque invariablement à petite échelle et leur capacité de fournir la garantie conventionnelle est souvent strictement limi­tée. Pair exemple, l'absence d'un système formel de titre légal de propriété de la terre rend souvent extrêmement difficile pour un fer­mier dans un pays sous-développé d'offrir la garantie basée sur sa propriété foncière et qui serait tout à fait commune dans une éco­nomie plus développée avec un système de propriété foncière 18 hau­tement formalisé par législation. De plus, les besoins prédominants en capital pour de telles industries seraient, relativement à long ter­me ou, certainement à moyen terme, du type que l'industrie dans une économie développée espérerait normalement prélever sur le marché de capitaux ou sur les institutions de prêts à long terme. La restriction des prêts bancaires aux besoins en capital circulant qui est de coutume, par exemple en Angleterre ou en France, serait par­ticulièrement malvenue ici, à la lumière des besoins et de la nature des industries qui s'efforcent de s'établir dans les pays sous-déve­loppés où il n'existe pas de marché de capitaux à long terme.

En d'autres termes, les organisations industrielles et agricoles locales, avec lesquelles les banques impériales ont besoin de traiter dans les pays sous-développés, seraient essentiellement semblables au type d'emprunteur que ces banques auraient rencontrés dans leurs pays d'origine, au 18 e ou au 19 e siècle. Malheureusement, les ban­ques appliquent à ces emprunteurs les conventions qu'elles adoptent et les standards qu'elles exigent dans la seconde moitié du 20 e siècle plutôt que celles qu'elles auraient appliquées au 19 e siècle. Les obser­vateurs sont généralement d'accord qu'en conséquence les besoins

17. Voir Newlyn et Rowan, Money and Banking in British ' Colonial Africa, chap. X, pp. 211-219; Gunasekera, «Banking Arrangements in Ceylon», Banking in the British Commonioealth, pp. 407-408 ; Rowan, « The Native Banking Boom in Nigeria», The Banker, vol. 97, no 309, octobre 1951, pp. 244-245; Williams, op. cit., p. 172.

18. Cf. United Nations, Domestic Financing of Economic Development (1951, II B i ) , New York, 1950, p. 83 ; U. Tun Wai, «Interest Rates Outside the Organised Money Markets of Under-developed Countries », I.M.F. Staff Papers, vol. 6, no 1, novembre 1957, p. 88.

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des grandes entreprises impériales d'exportation et de commerce ont été plus ou moins adéquatement satisfaits par le .système bancaire commercial des pays.dépendants, alors qu'il y a^eu.un manque évi­dent du genre approprié de crédit rendu disponible par le système bancaire à l'industrie locale en voie de développement. .-..

Le résultat de tous ces traits caractéristiques du système ban­caire colonial (à savoir l'intégration de toutes les branches des ban­ques impériales en une seule et même unité administrée par son siège social, la concentration du crédit sur les grandes entreprises étrangères de production primaire et d'exportation, l'application de conventions et de standards exportés du pays d'origine), était, au moins jusqu'à tout récemment, un taux nettement inadéquat d'ex­pansion du crédit pour le nouveau développement dans la plupart des pays dépendants. Le système bancaire canalisait les fonds, non pas en direction du développement industriel local, mais vers le pays dans lequel les sièges sociaux des banques sont situés 10. Les occa­sions d'investissements réduites du fait de la concentration du cré­dit bancaire sur les entreprises étrangères, des standards rigoureux de crédit, le manque d'intérêt aux titres émis localement, tout ceci implique inévitablement qu'à mesure que les dépôts bancaires aug­mentent, il y avait un surplus de fonds dans les pays dépendants que les banques rapatriaient à leurs sièges-sociaux ou aux marchés monétaires, de leurs pays d'origine. Beaucoup, de pays dépendants étaient par conséquent, jusqu'à tout récemment au moins, en posi­tion de pays exportateurs de crédit bancaire, du fait, de l'attitude et de l'organisation particulières du système.bancaire commercial 20.

Ceci est, sans aucun doute, une situation paradoxale-et indési­rable. Les pays sous-développés ont, par définition, besoin de larges

19. Comme le dit, à, juste titre, Newlyn, « Given the bancs' lending policy, the investment opportunities' 'for banking funds are not equal' to the supply-of such funds,, and the surplus tohich arises has perforce td be employed outside, the colonies », « The Colonial Empire », Banking in the British Commonwealth, chap. XIII, p. 438. (C'est nous qui soulignons). Voir aussi : A. Hazlewood, « Central Banking in Ni­geria », The Bankers' Magazine,, vol. CLXXXVI, no 1373, août 1958, p. 115.

. 20. Pas seulement dans les dépendances coloniales : Un rapport publié par les Nations Unies, en 1950, Le financement domestique du développement économique, observe le même phénomène en Egypte, au Mexique et à Haïti, p. 65. Ce n'est pas par coïncidence qu'une étude récente du circuit du capital dans la zone sterling, au cours des années d'après-guerre, révèle que le système a été largement « pervers », c'est-à-dire que ce circuit s'est fait vers les pays de haut niveau de développement plutôt- que ' vers ceux qui en avaient le plus grand besoin. Voir : A.R. Conan, Capital Imports into Sterling Countries, Macmillan, Londres, 1960; chap. 1, p . 37.

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sommes de capitaux pour le développement de base et presque tous font de grands efforts pour avoir des prêts de sources externes à cause, précisément, de l'insuffisance de l'offre de fonds épargnés à l'intérieur de leurs propres frontières. Pour un système bancaire opé­rant dans une telle situation, se faire une habitude de canaliser les épargnes vers des entreprises relativement riches et bien établies, et même en dehors de l'économie en question vers des pays plus riches d'où ces entreprises sont originaires, est clairement un renversement de l'ordre naturel des choses et de l'état des affaires qui est essentiel si le développement des pays sous-développés doit être encouragé et accéléré.

B. Les implications économiques de l'indépendance politique Lorsqu'un pays reste une extension coloniale d'un pays métro­

politain, n'ayant aucun contrôle tant soit peu significatif sur ses propres affaires, ni d'appareil administratif pour la formulation de sa propre politique économique, le système bancaire colonial est alors une adaptation logique et consistante dans le domaine financier et monétaire de l'état des affaires qui prévaut dans la sphère politique. Sans un gouvernement indépendant et sans une politique économi­que séparée et distincte, un pays dépendant ne peut pas avoir sous son contrôle un système bancaire commercial du genre qui nous est familier dans la plupart des économies développées. Le pays impé­rial considère ses dépendances, du point de vue économique, avant tout comme ses sources de produits alimentaires, de matières pre­mières et des débouchés pour ses propres exportations. Un système bancaire commercial qui se préoccupe avant tout des besoins de crédit des entreprises étrangères d'exportation dans ces pays dépen­dants et du financement du commerce extérieur, n'est pas simple­ment suffisant mais totalement en accord avec les relations économi­ques sous-jacentes.

Cependant, avec l'accession d'un gouvernement national au pou­voir, les besoins et la situation de l'économie sont fondamentalement modifiés. Le simple rôle de fournisseur de matières premières et de produits alimentaires à un autre pays et de débouché aux exporta­tions de ce dernier, cesse de constituer une politique économique ap­propriée pour la région ; les besoins du pays métropolitain devien­nent, maintenant, subordonnés à ceux des pays jusque là dépendants..

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Étant donné l'état de sous-développement de ces derniers, le gros des efforts de la politique économique est, de toute nécessité, tourné désormais vers le développement de l'agriculture et de l'industrie dans les pays eux-mêmes. Ceci ne veut pas dire, naturellement, que les industries d'exportations cessent d'être importantes ; pour plu­sieurs années à venir, ces industries seront un élément important dans le système économique de ces pays. Néanmoins, le changement de pohtique économique est clair, sans aucune ambiguïté ; les be­soins de toute la population, considérée comme composée à la fois de producteurs et de consommateurs, entrent maintenant dans la politique économique, et en fait, deviennent la considération prédo­minante. Inévitablement, par conséquent, un système bancaire orien­té selon la politique économique de type colonial, devient inadéquat et inacceptable.

Le premier trait caractéristique du système bancaire colonial, qui doit de toute nécessité être modifié, est son intégration complète au système bancaire métropolitain où se trouve, invariablement, son siège social et son incapacité de formuler ou d'administrer une poli­tique spécifique pour les pays dans lesquels il opère. Ce n'est pas simplement que le système bancaire doit adopter de nouvelles poli­tiques de crédit. Le fond de la question est que les banques com­merciales dans les pays désormais indépendants doivent pour la pre­mière fois développer des politiques particulières à ces pays ; ceci pourrait ne pas être conforme à la pohtique que le siège social pour­rait, autrement, adopter pour les opérations de toutes ses succursa­les. Tant que les banques fonctionnent simplement comme les suc­cursales d'une organisation internationale, et qu'elles n'ont pas pour la conception de leur politique un organisme central autre que leurs sièges sociaux — qui ne soit, en aucune manière, subordonné au gouvernement d'aucun de ces pays — l'intégration des banques dans la politique économique de développement est, de toute évidence, impossible. Pour rendre possible cette intégration, la chaîne de con­trôle politique émanant du siège social doit être brisée ou, en tout cas, au moins modifiée jusqu'au point nécessaire pour atteindre cet objectif.

Aucun gouvernement moderne ne peut se permettre d'abdiquer, dans le contexte particulier des pays sous-développés, ses responsa­bilités en ce qui concerne la promotion d'un développement écono-

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mique accéléré. De plus, aucun gouvernement qui a la charge de telles responsabilités ne peut tolérer la présence dans son pays d'in­fluences économiques, aussi fondamentales que celles d'un système bancaire moderne, qui ne sont pas conformes à la pohtique écono­mique qu'il essaie de suivre, que cette politique soit jugée sage ou non par certains critères, émanant de l'extérieur. Les banques com­merciales, exerçant leurs activités dans les pays développés, n'espè­rent pas pouvoir poursuivre n'importe quelle politique qu'elles veu­lent, sans tenir compte de sa compatibilité ou son incompatibilité avec la pohtique économique et monétaire du gouvernement au pou­voir. Elles ne peuvent pas, raisonnablement, demander dans les pays sous-développés un degré de liberté et de puissance auquel elles n'auraient même pas rêvé dans leur propre pays. L'extension de certaines mesures de contrôle à la politique adoptée par les succur­sales d'une banque qui opèrent dans un pays sous-dévelùppé est, par conséquent, inévitable et en fait tout à fait logique, une fois que ce pays a un gouvernement autonome responsable.

Le second trait caractéristique du système bancaire commercial de la plupart des pays sous-développés, qui doit inévitablement dis­paraître lorsque ces pays tracent leurs propres programmes de dé­veloppement économique, est l'investissement à l'extérieur des fonds accumulés, de la manière décrite dans la section précédente. Tant qu'un pays n'avait pas sa politique économique propre, mais exis­tait simplement comme une dépendance dans tous les sens du mot, c'était « normal » d'investir à l'étranger plutôt que dans le pays mê­me les épargnes accumulées à l'intérieur de ses propres frontières. Avec la prise en charge d'au moins une partie des responsabilités pour le développement économique par les gouvernements de ces pays, cependant, l'existence d'un mécanisme par lequel les fonds émanant de ces derniers sont utilisés à l'étranger, en dépit des besoins énormes de capital qui existeraient dans ces pays est de toute évidence incompatible avec les responsabilités du gouvernement en ce qui concerne la réalisation du taux maximal de croissance éco­nomique.

Par conséquent, outre la question de formulation de politique bancaire, l'acquisition de responsabilité par les gouvernements des pays sous-développés pour leur propre développement économique implique un devoir d'atteindre le taux maximal de formation de

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capital et, par conséquent, d'épargne. L'exploitation de toutes les sources financières internes et externes pouvant leur, être disponibles, sera ainsi une de leurs tâches primordiales. Il ne serait pas raison­nable d'espérer que ces gouvernements continueront à emprunter à l'étranger à des taux d'intérêt relativement élevés, des fonds d'in­vestissements qui ont en fait pour origine leurs propres pays, qui ont été déposés dans leurs propres banques à des bas taux d'intérêt pour être ensuite transférés à l'étranger. La pratique du système bancaire impérial de garder à l'étranger des fonds émanant des pays non développés est, sans aucun doute, incompatible avec les respon­sabilités nationales pour le développement économique dans ces pays.

Le troisième trait caractéristique du système bancaire, qui a be­soin d'être modifié avec l'accession des pays sous-développés aux responsabilités de leur développement, est la concentration des faci­lités de crédit sur les entreprises étrangères d'exportation et de com­merce. Des politiques de développement indépendantes impliquent un programme de développement de l'agriculture et de l'industrie, conçu pour satisfaire les besoins de toute la population plutôt que ceux du pouvoir impérial seulement. Une fois ce travail commencé, il est très difficile pour les banques commerciales de continuer à concentrer leur-crédit presque entièrement sur le secteur étranger d'exportation ou sur le financement du commerce de gros et de dé­tail. De toute nécessité, le système bancaire sera un instrument ma­jeur pour le transfert de fonds épargnés par le public vers les inves­tissements dans les différents secteurs de l'économie ; il serait illo­gique qu'avec un programme de développement général le mécanis­me financier par lequel ce programme doit être appliqué en prati­que opère dans une direction différente des priorités établies par la politique économique du gouvernement. Dans une économie moné­taire, l'allocation des ressources entre les secteurs dépend de l'acqui­sition des fonds par les producteurs dans les secteurs en question ; il serait futile, pour un gouvernement d'un pays, -de tracer un pro­gramme de développement qui implique-que les ressources doivent être allouées d'une certaine façon s'il ne s'assure pas, en même temps, que les ressources financières sont distribuées selon un modèle cor­respondant. Le système financier, par conséquent, est intimement hé au programme général de développement économique désiré par un gouvernement ; il est inévitable que des mesures soient adoptées pour

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être sûr que les banques emploient leurs ressources monétaires de manière à assurer une allocation des ressources physiques qui est en conformité avec ce programme de développement.

C. Moyens de con.trôle.sur le volume total du crédit Puisqu'il est nécessaire pour les banques commerciales des pays

sous-développés de subir tous ces changements après l'avènement d'un gouvernement autonome, il est à propos de considérer les moyens par lesquels les modifications peuvent être apportées avant tout, et maintenues dans l'avenir, à mesure que les années passent. Il est clair que les instruments de contrôle généralement dévelop­pés et utilisés dans les économies avancées de l'Europe de l'Ouest et de l'Amérique du Nord sont inappropriés et inefficaces dans le contexte d'une économie sous-développée (sous-développée non seu­lement en termes de production, mais aussi en ternies d'institutions financières). Le mécanisme principal du contrôle bancaire orthodoxe dans les pays occidentaux, à savoir le recours aux opérations d'open-mar\et par la banque centrale pour contrôler les réserves liquides, a peu ou pas d'application dans une économie qui n'a pas.de mar­ché monétaire développé ou de bourse d'échange de titres. Les opé­rations d'open-rruir^et procèdent au contrôle des réserves liquides, par la vente ou l'achat de titres sur un marché de titres, et dans la plupart des économies sous-développées de tels marchés n'existent pas.

Il ne s'ensuit pas nécessairement que la technique de contrôle des banques commerciales consistant à manipuler leurs réserves liqui­des n'est pas du tout disponible à une économie n'ayant pas de marché monétaire ou de bourse de valeurs hautement développés. L'essence des opérations $open'mar\et est l'augmentation ou la diminution des dépôts tenus à la banque centrale par les .banques commerciales. L'achat ou la vente de titres est le moyen par lequel des ajustements sont habituellement faits sur ces dépôts, mais ce n'est pas le seul moyen. Les mêmes effets pourraient être obtenus.si le gouvernement faisait des dépôts auprès des banques commerciales aussi bien qu'auprès de la banque centrale et réglait les.entrées et les sorties de ces fonds, de manière à influencer la balance des dépôts tenus dans les banques commerciales conformément à la direction désirée. Par exemple, si des dépôts du gouvernement sont tenus dains

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les banques commerciales et si, en même temps, il y a un besoin de diminuer les réserves liquides des banques, on pourrait y arriver en finançant les dépenses courantes du gouvernement en prélevant plus de fonds sur les dépôts auprès des banques commerciales et beau­coup moins sur ceux qui sont déposés à la banque centrale ; la dimi­nution pourrait également être obtenue en créditant les recettes de revenus davantage aux comptes ouverts à la banque centrale et moins aux comptes tenus auprès des banques commerciales. En pro­cédant ainsi aux ajustements des paiements et des recettes officielles entre les comptes tenus à la banque centrale et ceux qui sont ou­verts auprès des banques commerciales, on obtient exactement les mêmes effets sur les réserves liquides du système bancaire commer­cial que ceux qu'on aurait obtenus par l'achat et la vente de titres. Il est vrai que cette méthode de contrôle exige que le gouvernement dispose de fonds d'une valeur suffisamment grande auprès des ban­ques commerciales, ce qui peut ne pas toujours être une possibilité pratique.

Compte tenu de cela, il est devenu courant de se servir du co­efficient de réserves statutaires, en guise de substitution à la méthode précédente. On exige que les banques commerciales opérant dans un pays, déposent à la banque centrale une proportion spécifiée de leur avoir total, ceci étant tenu par la banque centrale sous la forme de dépôts de réserves bancaires. La proportion ou le cofficient peut être modifié de temps à autre selon les besoins de la situation qui prévaut ; cette proportion est augmentée au moment où la banque centrale souhaite restreindre le volume du crédit bancaire disponible dans l'économie ; par contre, elle est diminuée en cas d'adoption d'une pohtique d'expansion du crédit. Il est d'usage pour les disposi­tions légales ayant trait aux changements du coefficient de réserves, de contenir des mesures de sécurité du point de vue des banques commerciales, c'est-à-dire que les changements sont permis seule­ment dans les limites spécifiées, et de plus, ils ne sont permis qu'après avoir donné un préavis. Dans certains pays des coefficients diffé­rents peuvent être appliqués à des types différents des dépôts ban­caires, la pratique la plus courante étant qu'un coefficient assez bas est exigé sous forme de dépôts de réserves à la banque centrale pour dès dépôts de fonds qu'on ne peut retirer qu'après une longue pé­riode de temps, et un coefficient relativement élevé peut être exigé

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pour les dépôts bancaires qu'on peut retirer à tout moment sans préavis.

D. Les contrôles sélectifs en vue de la croissance économique Après avoir fait tout ce qu'elle peut pour établir un moyen de

contrôle ultime sur le volume total du crédit, il est important du point de vue du développement que la banque centrale s'assure que le crédit disponible est utilisé d'une manière optimale. Les autorités ont un devoir très clair de veiller à ce que la distribution du crédit bancaire, tout comme la distribution des ressources physiques dans l'économie, soit conforme au programme de développement qu'elles-mêmes croient être dans le sens d'une croissance économique rapide. Par conséquent, la banque centrale a besoin de pouvoirs pour veiller à ce que les différents secteurs de l'économie obtiennent autant que possible les ressources financières disponibles qui sont conformes au programme général de développement économique.

En plus de son pouvoir d'influencer le volume total du crédit au moyen du coefficient de réserves, une banque centrale dans un pays sous-développé doit, par conséquent, posséder des pouvoirs sur la distribution du crédit bancaire. Le recours aux contrôles sélectifs du crédit est une pratique courante dans beaucoup de systèmes financiers hautement développés, et il serait difficile de soutenir que les banques commerciales dans les pays sous-développés devraient disposer de leurs offres de crédit avec un degré de liberté plus grand que dans un pays développé. Au contraire, les besoins et la rareté de capital sont tellement plus grands dans les pays sous-développés que l'on doit s'attendre à l'imposition d'un certain degré de con­trôle officiel sur son allocation ; ces contrôles spécifient, habituelle­ment, que les avances bancaires à certains secteurs ne devraient pas excéder une somme donnée, ou une proportion donnée de toutes les avances bancaires, ou enfin s'étendre au-delà d'un taux spécifié.

On pense généralement que ces contrôles essentiellement néga­tifs ne peuvent jouer qu'un rôle mineur dans la politique monétaire des autorités, qu'on ne peut donc pas s'attendre qu'ils apportent une contribution tant soit peu significative 31. Cependant, ils peu-

21. Vo i r : Fousek, * Foreign Central Banking: the Instruments of Monetary Policy, Federal Reserve Bank of New York, New York, 1957, chap. VI, pp. 69-81, et Caimcross, Banking in Developing Countries : the Future Organization of Banking, Institute of Bankers in Scotland, BLackwood, Edimburgh, . 1958.

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vent être utilisés pour empêcher que les crédits ne soient affectés à des activités telles que les spéculations sur les biens fonciers dans lesquelles une énorme quantité de capitaux est susceptible d'être em­ployée dans les pays sous-développés avec dés conséquences qui peu­vent être très dangereuses pour leur développement économique gé­néral 22. Comme l'a déjà fait observer la Banque internationale pour la Reconstruction et le Développement, l'expérience de beaucoup de pays sous-développés au cours des dernières années a montré qu'il y a eu « un manque du type exact d'institutions financières, et aussi, une diversion de leurs ressources dans des types d'activités de court terme, souvent spéculatives, avec très peu de contribution aux types d'investissements dont l'économie a le plus besoin » 23.

Un dernier type de contrôle sur le crédit bancaire qui peut jouer un rôle important dans les aspects financiers du développement, c'est le pouvoir d'imposer un coefficient dit des avoirs locaux sur les banques qui opèrent dans un pays. A la différence des moyens de contrôle qui ont été discutés dans les paragraphes précédents, un coefficient des avoirs locaux est un mécanisme par lequel le volume du crédit disponible dans une économie peut être augmenté, et pas simplement un mécanisme qui vise à ce que la distribution du crédit disponible se fasse d'une manière adéquate et économiquement rai­sonnable. Le coefficient des avoirs locaux est en fait une réglementa­tion telle que les banques commerciales opérant dans un pays sont obligées d'utiliser une portion minimale des dépôts collectés dans ce pays pour l'achat des avoirs locaux sous une forme ou sous une autre. Avec l'aide de cet instrument, lès banques centrales peuvent veiller à ce qu'un trait caractéristique ; de beaucoup de 1 pays dépendants, à savoir l'exportation d'offres relativement considérable de capitaux vers les pays hautement développés, puisse être graduellement effacé.

CONCLUSION " . *. '• '

Considérant l'existence d'une banque centrale dotée des traits caractéristiques généraux décrits dans les pages précédentes, quel

22. Gunasekera, « The Money Supply and Balance of Payments of Ceylon » ; Review of the Banca NJazionale del. Lavoro, vol. VII, no 30, septembre ' 1954, pp.* I 53 ' I 54 ! Patel, «Selective Credit Control» in Underdeveloped Economies», I.M.F. Staff Papers, vol. IV, no 1, septembre 1954, pp. 73-80 ; Nations Unies, Domestic Financing of Economic Development, p. 57.

23. Nations Unies, Méthode de financement du développement économique dans les pays sous-développés, New York, 1949, pp. 92-93.

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DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE AFRICAIN

sera son rôle dans les efforts de développement économique ? On avait souligné, au début de cet article, que c'est selon la réponse à ce type de question plutôt qu'en fonction des rôles et des techniques sophistiquées des banques centrales de création ancienne, que l'uti­lité de l'institution sera avant tout jugée dans le contexte d'un pays sous-développé. Cette réponse peut être formulée en trois points : d'abord, le financement direct du développement, deuxièmement, son financement indirect, et troisièmement, la fourniture de ce qui peut être appelé l'infrastructure financière du développement.

Les différents moyens par lesquels la banque centrale pourrait contribuer directement au développement ont déjà été examinés. Les ressources à sa disposition se composeront, premièrement, de son propre capital et des profits non distribués qu'elle pourrait accumu­ler. Deuxièmement, la banque aura à sa disposition du currency backing que l'on peut investir, une source de fonds qui va probable­ment augmenter d'année en année, à mesure que l'économie se dé­veloppera. Enfin, elle aura sous son contrôle les dépôts des banques commerciales exigés pour se conformer aux règlements quant aux coefficients de réserves que l'on a examinés plus haut. La sommé totale de ces différentes contributions à ses ressources peut ne pas être très importante, mais elle n'est pas vraisemblablement négligea­ble non plus.

L'utilisation de ces ressources sera naturellement sujette à cer­taines réserves. Tout d'abord, les projets de développement à long terme ne seront pas les seuls solliciteurs des fonds de la banque cen­trale si celle-ci doit, graduellement, occuper la position dans laquelle elle jouera le rôle de prêteur de dernier ressort aux banques com­merciales ; une certaine proportion de ses avoirs devra être mainte­nue pour se garantir, éventuellement, contre une sortie fortuite de fonds. De même, si la banque centrale doit jouer le rôle qui lui re­vient dans l'encouragement du développement des marchés moné­taires et de capitaux, elle aura certainement besoin de tenir des ressources sous une forme relativement liquide pour mener les opé­rations de titres nécessaires pour établir et préserver un mécanisme de marché qui fonctionne avec une certaine harmonie. Enfin, com­me banquier du gouvernement, elle aura besoin d'être capable de faire des avances à court terme pour le financement normal et dési­rable des déficits temporaires.

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L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

Un second point à souligner est que les ressources disponibles à la banque centrale ne représenteront en aucune façon entièrement une addition nette à l'offre de fonds disponibles à l'économie. Dans la mesuré où les ressources sont tirées des allocations budgétaires ou des réserves de monnaie, la banque ne fera qu'administrer sim­plement des fonds qui de toute façon ont été disponibles aux auto­rités, du moins en principe. Une partie au moins des fonds obtenus par les dépôts de réserves des banques commerciales aurait sans doute été investie également dans l'économie. Il ne s'ensuit pas, ce­pendant, qu'aucun avantage n'est obtenu en canalisant ces fonds dans une banque centrale. Les avantages provenant du fait d'avoir un grand nombre de sources relativement petites de fonds d'inves­tissement canalisées dans une seule institution, sont trop bien connus pour qu'il y ait besoin de répétition ici ; beaucoup de choses devien­nent possibles avec une seule grandeur, qui auraient été impossibles, ou du moins improbables, tant que ses parties composantes restent des entités individuelles et non coordonnées. L'administration par l'intermédiaire d'une institution centrale permet, au moins, de faci­liter l'allocation des fonds publics entre les secteurs sur une base rationnelle et cohérente.

Ce qu'on peut appeler « financement indirect du développe­ment » peut être résumé en deux points. D'abord, par l'exercice de contrôles sélectifs de crédit sur les banques commerciales et les au­tres institutions de crédit, la banque centrale peut chercher à in­fluencer les prêts publics et privés vers la direction qu'elle croit être dans les meilleurs intérêts de la communauté en question. Deuxiè­mement, il est possible que la banque soit capable d'aider les insti­tutions financières de développement, au moyen de ses garanties, pour attirer les capitaux étrangers plus facilement et à de meilleurs termes que n'auraient pu le faire les initiateurs de plusieurs projets individuels cherchant des fonds de financement.

Enfin, une banque centrale peut jouer un rôle vital — et c'est peut-être le seul type d'institution qui peu l'entreprendre — en bâtis­sant l'infrastructure du futur développement économique. La créa­tion de marchés monétaires et de capitaux est une activité impor­tante, sous ce chapitre. L'administration des mesures nécessaires pour assurer la bonne marche des banques commerciales déjà exis­tantes dans le pays est une de ces fonctions et le développement de

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nouvelles banques nationales en est une autre. Une troisième activité importante est l'utilisation de ses pouvoirs de contrôle pour modé­rer les fluctuations du crédit associées aux oscillations des balances de paiements dans les pays sous-développés, et sur lesquelles beau­coup d'observateurs ont attiré l'attention 24. Une quatrième con­siste à fonder un service de documentation experte et objective, fai­sant des recherches et publiant des données sur les variables impor­tantes du système économique ; sans recherches continues et bien documentées de ce type, la formulation d'une pohtique économique intelligente, qu'elle soit publique ou privée, est impossible.

Par conséquent, le rôle d'une banque centrale dans une écono­mie sous-développée est extensif et complexe. Le fait qu'elle n'a ni les moyens, ni l'occasion pour les délicatesses marginales de taux d'es­compte et d'opérations d'open-mar^et n'a pas d'importance ; de tels raffinements sont appropriés seulement pour une économie qui a atteint le point de développement à partir duquel la croissance de­vient fonction avant tout de facteurs domestiques et cumulatifs. Sa tâche principale est de nature plus directe et plus fondamentale pen­dant de longues années avant que le point de maturité soit atteint. Il est difficile de résister à la conclusion que la contribution qu'elle pourra faire pendant cette phase initiale peut être infiniment plus substantielle et durable que toute autre qu'elle fera après la fin de cette phase décisive de la croissance économique des pays sous-dé­veloppés.

Diallo MAKA, professeur au Collège d'Enseignement générai et professionnel de Rimouski.

24. Voir : Exter, « Report on the Establishment of a Central Bank for Ceylon », Sessional Paper XIV, Ceylon Government Press, Colombo, 1949 ; Sayers, Central Banking in Under-developed Countries, p. 131 ; Sen, op. cit., chap. IV, pp. 67-68 ; Gunaseker.a, op. cit., p. 150.

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