8
LES BÉNÉFICES DE L’APPRENTISSAGE D’UNE L2 SUR LE DÉVELOPPEMENT DES HABILETÉS MÉTAMORPHOLOGIQUES ET A.N.A.E., 2015; 136-137; 267-274 DE LECTURE CHEZ DES ÉLÈVES DE 3 E ET 5 E ANNÉE VIVANT AU BRÉSIL A.N.A.E. N° 136-137 – OCTOBRE 2015 267 © copyright Anae Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le développement des habiletés métamorphologiques et de lecture chez des élèves de 3 e et 5 e année vivant au Brésil A.-S. BESSE*, C. ROGANTI LEITE MOREIRA**, F. VIDIGAL DE PAULA*** * Maître de conférences en psychologie du développement. Laboratoire de psychologie des cognitions (EA 4440), Université de Strasbourg. 12, rue Goethe, 67000 Strasbourg, France. Email : [email protected] ** Orthophoniste et doctorante en psychologie, Laboratoire de psychologie des cognitions (EA 4440), Université de Strasbourg. Laboratoire pour l’étude du développement et de l’apprentissage (LEDA), Université de São Paulo. *** Professeur en psychologie, Laboratoire pour l’étude du développement et de l’apprentissage (LEDA), Université de São Paulo. RÉSUMÉ : Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le développement des habiletés méta- morphologiques et de lecture chez des élèves de 3 e et 5 e année vivant au Brésil Cet article présente les résultats d’une étude réalisée sur 148 élèves lusophones scolarisés en 3 e et 5 e année, apprenant ou non le français comme langue seconde et mesurant les habiletés méta- morphologiques et en lecture de mots en portugais. Ils font apparaître un avantage des apprenants « bilingues » dans ces deux domaines et mettent en évidence que la contribution de la conscience morphologique à la lecture dépend du niveau scolaire et augmente lorsqu’une langue seconde est apprise. Mots clés : Morphologie – Lecture – Portugais – Langue seconde – Bilinguisme. SUMMARY: The benefits of learning a second language on the development of morphological awareness and reading among students of 3 rd and 5 th years living in Brazil This article presents the results of a study of 148 students who speak Brazilian Portuguese in 3 rd and 5 th grades of school divided in two groups, learning French or not as second language, that measures morphological awareness and Portuguese words reading. Results show systematic advantages for “bilinguals” learners and highlight that the contribution of morphological aware- ness in reading depends on the level grade and increases when a second language is learned. Key words: Morphological awareness – Reading – Portuguese – Second language – Bilingualism. RESUMEN: Los beneficios de aprender una segunda lengua en el desarrollo de habilidades morfológicas y la lectura entre los estudiantes de tercero y quinto años que viven en Brasil Este artículo presenta los resultados de un estudio que evalúa la conciencia morfológica y la lectura de palabras en portugués en 148 estudiantes que hablan portugués de Brasil en tercero y quinto grados de la escuela divididos en dos grupos, los que aprenden y los que no aprenden el francés como segunda lengua. Los resultados muestran ventajas sistemáticas para “bilingües” y destacan que la contribución de la conciencia morfológica en la lectura depende del nivel de grado escolar y aumenta cuando se aprende un segundo idioma. Palabras clave: Conciencia morfológica – Lectura – Portugués – Segundo idioma – Bilingüismo.

Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le …...Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 A.N.A.E., sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et 2015;

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le …...Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 A.N.A.E., sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et 2015;

Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et

A.N.A.E., 2015; 136-137; 267-274 de Lecture chez des éLèves de 3e et 5e année vivant au brésiL

a.n.a.e. n° 136-137 – octobre 2015 267© copyright anae

Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le développement des habiletés métamorphologiques et de lecture chez des élèves de 3e et 5e année vivant au Brésil A.-S. BESSE*, C. ROGANTI LEITE MOREIRA**, F. VIDIGAL DE PAULA*** * maître de conférences en psychologie du développement. Laboratoire de psychologie des cognitions (ea 4440), université de strasbourg. 12, rue goethe, 67000 strasbourg, france. email : [email protected] ** orthophoniste et doctorante en psychologie, Laboratoire de psychologie des cognitions (ea 4440), université de strasbourg. Laboratoire pour l’étude du développement et de l’apprentissage (Leda), université de são paulo. *** professeur en psychologie, Laboratoire pour l’étude du développement et de l’apprentissage (Leda), université de são paulo.

RÉSUMÉ : Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le développement des habiletés méta-morphologiques et de lecture chez des élèves de 3e et 5e année vivant au Brésilcet article présente les résultats d’une étude réalisée sur 148 élèves lusophones scolarisés en 3e et 5e année, apprenant ou non le français comme langue seconde et mesurant les habiletés méta-morphologiques et en lecture de mots en portugais. ils font apparaître un avantage des apprenants « bilingues » dans ces deux domaines et mettent en évidence que la contribution de la conscience morphologique à la lecture dépend du niveau scolaire et augmente lorsqu’une langue seconde est apprise.Mots clés : Morphologie – Lecture – Portugais – Langue seconde – Bilinguisme.SUMMARY: The benefits of learning a second language on the development of morphological awareness and reading among students of 3rd and 5th years living in Brazil This article presents the results of a study of 148 students who speak Brazilian Portuguese in 3rd and 5th grades of school divided in two groups, learning French or not as second language, that measures morphological awareness and Portuguese words reading. Results show systematic advantages for “bilinguals” learners and highlight that the contribution of morphological aware-ness in reading depends on the level grade and increases when a second language is learned.Key words: Morphological awareness – Reading – Portuguese – Second language – Bilingualism.RESUMEN: Los beneficios de aprender una segunda lengua en el desarrollo de habilidades morfológicas y la lectura entre los estudiantes de tercero y quinto años que viven en Brasil Este artículo presenta los resultados de un estudio que evalúa la conciencia morfológica y la lectura de palabras en portugués en 148 estudiantes que hablan portugués de Brasil en tercero y quinto grados de la escuela divididos en dos grupos, los que aprenden y los que no aprenden el francés como segunda lengua. Los resultados muestran ventajas sistemáticas para “bilingües” y destacan que la contribución de la conciencia morfológica en la lectura depende del nivel de grado escolar y aumenta cuando se aprende un segundo idioma. Palabras clave: Conciencia morfológica – Lectura – Portugués – Segundo idioma – Bilingüismo.

267_274_ANAE_136_137_BESSE.indd 267 12/11/2015 10:54

Page 2: Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le …...Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 A.N.A.E., sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et 2015;

a.-s. besse, c. roganti Leite moreira, f. vidigaL de pauLa

a.n.a.e. n° 136-137 – octobre 2015268© copyright anae

INTRODUCTION

dans la littérature en psycholinguistique, l’apprentis-sage d’une langue seconde (L2) se rapproche d’un autre concept théorique : celui de bilinguisme. il est mainte-nant communément accepté que le bilinguisme n’est pas « un double monolinguisme » qualifié selon un « tout ou rien » mais se définit comme un processus indivi-duel de développement de connaissances linguistiques et langagières, mettant en jeu deux codes distincts et coexistant à des degrés variés, d’une compétence mini-male à une maîtrise complète (besse, marec-breton & demont, 2010). il existe donc différents degrés de bilin-guisme positionnés sur un continuum faisant référence aux niveaux de maîtrise des deux langues (bialystok, mcbride-chang & Luk, 2005b) dont l’équilibre est rare-ment atteint (perregaux, 1994). de telles variations et spécificités sont également évoquées dans les différentes formes de bilinguisme régulièrement distinguées par les auteurs (cf. paradis, genesse & crago, 2011). chez l’enfant, une distinction courante porte sur les aspects temporels de l’acquisition. on retrouve ainsi la dicho-tomie entre bilinguisme simultané et consécutif ou séquentiel ou encore entre bilinguisme précoce et tardif (à partir de 3 ans). cette distinction peut également porter sur les modes d’acquisition des langues, on parlera alors de bilinguisme naturel ou de bilinguisme scolaire, auquel on peut associer les dispositifs d’ensei-gnement précoce d’une L2 ou d’enseignement bilingue (en immersion, à parité horaire, etc.). dans le cadre de cette étude, comme nous le verrons plus loin, le contexte d’apprentissage des langues peut se définir comme une forme de bilinguisme scolaire et séquentiel puisque l’enseignement de la L2 (le français) s’effectue dans le milieu scolaire et son acquisition est consécutive à celle de la première langue (L1) : le portugais.

depuis les années 80, de nombreuses recherches ont mis en évidence la supériorité des bilingues comparative-ment à leur pairs monolingues dans différentes activités cognitives (bialystok, 2009). dans leur méta-analyse, adesope, Lavin, thompson et ungerleinder (2010) recensent les résultats de 63 expérimentations, issus de 39 articles publiés entre 1992 et 2007. il en ressort un effet bénéfice en faveur des bilingues en termes de contrôle attentionnel, de représentations abstraites et symboliques, de mémoire de travail, de conscience métalinguistique et métacognitive et de résolution de problème. pour les auteurs, l’acquisition de deux lan-gues et la gestion simultanée de ces dernières nécessitent un processus d’inhibition afin d’éviter les interférences d’une langue sur l’autre. La mise en place de ce proces-sus permettrait de développer des habiletés dotant, entre autres, les bilingues d’une meilleure appréhension de leurs propres processus d’apprentissage, des capacités de représentation plus abstraites et des capacités de contrôle et de distribution de leurs ressources atten-tionnelles plus appropriées, de telles habiletés pouvant s’appliquer à différents domaines. cependant, ces effets sont parfois modérés et hétérogènes selon les études. ainsi, il ne peut y avoir de réponse claire à un problème

aussi complexe et multifactoriel (bialystok, 2007). il convient donc de se pencher plus précisément sur les différents facteurs susceptibles de modérer l’impact du bilinguisme et d’identifier de façon plus exhaustive son rôle sur les processus d’apprentissage. dans le champ de l’apprentissage des langues écrites à l’école élémen-taire, notamment de la lecture, c’est sans doute dans le domaine des habiletés métalinguistiques que les enjeux du bilinguisme sont les plus évidents et les recherches les plus nombreuses.

HABILETÉS MÉTALINGUISTIQUES ET APPRENTISSAGE DE LA LECTURE EN

CONTEXTE BILINGUE

il est maintenant acquis que les habiletés métalinguis-tiques sont particulièrement essentielles pour l’appren-tissage de l’écrit et doivent être investies de façon formelle à l’école (castles & coltheart, 2004). par exemple, maîtriser les règles de correspondances graphèmes-phonèmes implique une analyse et une segmentation phonémique (ziegler & goswami, 20 05). Réfléchir sur les règles de grammaire aide à iden-tifier certains mots en contexte et permet d’accéder à la signification des phrases, en particulier à l’écrit (dreher & zenge, 1990). La lecture des mots morpho-logiquement construits tels que « dépliage » est facilitée par la décomposition et la connaissance des différents morphèmes qui les composent (e.g. dé/pli/age) (marec-breton, besse & royer, 2010). ces habiletés se fondent sur une distanciation entre forme et sens et sont regrou-pées sous le terme d’habiletés métalinguistiques définies comme les habiletés à réfléchir sur le langage et son utilisation, à contrôler et planifier ses propres processus de traitement linguistique (gombert & colé, 2006).

Habiletés métalinguistiques des bilingues

malgré la relative pauvreté du vocabulaire oral réguliè-rement observée chez les enfants bilingues (e.g. barac & Bialystok, 2013), une des spécificités les plus notoires serait qu’ils auraient une conscience métalinguistique plus développée que les monolingues. La confrontation à plu-sieurs langues inciterait à prendre conscience que chaque langue utilise des formes invariables mais arbitraires pour représenter un concept. dans cette perspective, Kuo et anderson (2010) postulent que l’expérience bilingue permet à l’enfant de porter attention aux simili-tudes et différences existant entre les deux codes linguis-tiques par le biais des comparaisons analytiques. ainsi, les traits linguistiques proches et distants deviennent plus saillants et les représentations de la structure formelle du langage plus abstraites. Les recherches visant à étayer ces postulats se sont pour la plupart centrées sur les habiletés métaphonologiques et métasyntaxiques (ou conscience phonologique et syntaxique) à des stades précoces de l’apprentissage et dans différents contextes (pour une revue, voir besse et al., 2010). ainsi plusieurs travaux mettent en évidence de meilleures performances chez les enfants bilingues comparativement à celles de

267_274_ANAE_136_137_BESSE.indd 268 12/11/2015 10:54

Page 3: Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le …...Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 A.N.A.E., sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et 2015;

Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et de Lecture chez des éLèves de 3e et 5e année vivant au brésiL

a.n.a.e. n° 136-137 – octobre 2015 269© copyright anae

monolingues à des épreuves évaluant la conscience phonologique ou syntaxique (e.g. Kovelman, baker & petitto, 2008 ; Laurent & martinot, 2010 ; davidson, raschke & pervez, 2010 ; reder, daigle & demont, 2012a). cependant, de tels résultats ne sont pas systéma-tiques (e.g. bialystok, Luk & Kwan, 2005a ; saur, bau-mgaertner, moehring, et al., 2009). outre des différences fréquentes quant aux outils de mesure et aux aspects méthodologiques des recherches (cf. besse et al., 2010), plusieurs facteurs sont invoqués pour expliquer de telles divergences : 1) les caractéristiques des langues en pré-sence déterminant le degré de proximité ou de distance entre L1 et L2 : plus les deux langues possèdent des systèmes d’écriture ou une structure formelle similaires, plus l’avantage du bilinguisme est susceptible d’appa-raître (e.g. bialystok, majumder & martin, 2003 ; barac & bialystok, 2013). pourtant, la supériorité des bilingues par rapport aux monolingues est aussi observée lorsque les langues en contact sont très éloignées (e.g. davidson et al., 2010). 2) L’âge d’acquisition de la L2 : les enfants ayant été exposés simultanément, dès la naissance, aux deux langues ou à la L2 avant l’âge de 3 ans seraient plus avantagés que les bilingues consécutifs ou plus tardifs (Kovelman et al., 2008). 3) Le degré de bilinguisme ou niveau d’efficience atteint dans les deux langues : l’im-pact positif du bilinguisme se retrouvant chez les bilin-gues de haut niveau de façon privilégiée (e.g. bialystok et al., 2005b). mais à nouveau, les quelques recherches menées auprès d’enfants concernés par un bilinguisme scolaire et favorables à une supériorité bilingue même non systématique (Laurent & martinot, 2010 ; demont, 2001 ; reder et al., 2012a) permettent d’insister sur le fait que l’avantage métalinguistique ne concernerait pas seulement les degrés les plus élevés de bilinguisme. bien que la liste présentée ici ne soit pas exhaustive, un autre facteur pouvant avoir un impact sur l’émergence ou la disparition des effets positifs du bilinguisme est le niveau scolaire atteint (adesope et al., 2010). par exemple, pour ce qui concerne la conscience phonologique, l’avantage des bilingues pourrait être spécifique à certains niveaux scolaires, en particulier en maternelle (campbell & sais, 1995 ; eviatar & ibrahim, 2000), cette précocité sem-blant disparaître lorsque l’apprentissage de la lecture commence. selon bialystok (2002) l’introduction d’un apprentissage formel de la lecture débutant par un ensei-gnement des correspondances graphèmes- phonèmes et une analyse de la structure phonologique des mots pourrait aboutir à une égalisation des expériences et faire disparaître l’avantage initial des bilingues. cependant, il convient de rappeler que d’autres composantes linguis-tiques sont acquises plus tardivement au cours de la sco-larité, par exemple la structure morphologique des mots. or, peu de recherches se sont focalisées sur des niveaux au-delà de la 3e année d’école primaire.

Habiletés de lecture des bilingues

bien que les habiletés métalinguistiques participent à l’apprentissage de la lecture, l’avantage des bilingues dans leur L1, dans ce dernier domaine d’activité, a été peu investigué. à notre connaissance, seules les

recherches de demont (2001), reder, demont et besse (2012b) et Lecocq, mousty, Kolinsky, goetry, morais et alegria (2007) s’y sont explicitement intéressées. demont (2001) et reder et al. (2012b) mettent en évi-dence de meilleures compétences en reconnaissance de mots écrits chez les bilingues bénéficiant d’un dispositif d’enseignement bilingue français-allemand à parité horaire comparativement aux monolingues francophones durant les deux premières années d’apprentissage (cp et ce1). toutefois, dans un contexte similaire (bilinguisme scolaire paritaire français-néerlandais) et aux mêmes niveaux scolaires, Lecocq et al. (2007) n’observent pas de différences entre bilingues et monolingues en lecture de pseudo-mots et de mots français. de plus, en comparant chez les bilingues, la première langue écrite enseignée (français vs néerlandais), ces auteurs mettent en évidence, corroborant ainsi les conclusions d’autres études (e.g. geva & siegel, 2000), qu’apprendre à lire dans la langue la plus transparente (i.e. le néerlandais) permet de faciliter la mise en place de la procédure d’as-semblage, utile dans les deux langues, et constitue ainsi une situation particulièrement bénéfique aux apprenants.

Le reste des recherches portant sur les spécificités bilingues ou de l’apprentissage précoce d’une L2 sur les compétences en lecture se concentre pour la plupart sur la question du transfert des compétences entre L1 et L2 (e.g. Jared, cormier, Levy & Wade-Woolley, 2011 ; pasquarella, chen, Lam, Luo & ramirez, 2011) ou encore sur les compétences d’apprenants en L2 compa-rées à celles de locuteurs natifs (e.g. geva & Yaghoub zadeh, 2006 ; Lefrançois & armand, 2003 ; Lesaux & siegel, 2003). ces dernières nous apprennent que si les apprenants en L2 ne sont pas de meilleurs lecteurs que les natifs, leur niveau de lecture n’est pas forcément plus faible. par ailleurs, leurs capacités métalinguistiques (notamment phonologiques) pourraient tenir une place primordiale dans l’apprentissage de la lecture en L2, en compensant leurs faiblesses en compétences orales.

Habiletés métamorphologiques, lecture et bilinguisme

comme d’autres habiletés métalinguistiques, la conscience morphologique (ou habiletés métamorphologiques) participent à l’apprentissage et à la maîtrise de la lecture. Définie comme la capacité à réfléchir et manipuler volon-tairement la structure morphologique de la langue (carlisle, 2000), elle implique de faire usage explicitement des pro-cessus de dérivation, de flexions ou encore de composition propres aux langues. elle faciliterait l’apprentissage de la lecture, en lien et de façon complémentaire à la conscience phonologique (Kuo & anderson, 2006). ainsi, il a été mis en évidence, dans différentes langues, notamment en français et en portugais, et à différents niveaux de l’école élémen-taire que la conscience morphologique joue un rôle crucial notamment lors de l’identification des mots écrits (casalis & Louis-alexandre, 2000 ; colé, marec-breton, royer & gombert colé 2003 ; guimarães, vidigal de paula, mota & barbosa, 2015 ; mota, annibal & Lima, 2008).

267_274_ANAE_136_137_BESSE.indd 269 12/11/2015 10:54

Page 4: Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le …...Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 A.N.A.E., sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et 2015;

a.-s. besse, c. roganti Leite moreira, f. vidigaL de pauLa

a.n.a.e. n° 136-137 – octobre 2015270© copyright anae

chez les enfants bilingues ou apprenants L2, la conscience morphologique et son rôle lors de l’appren-tissage de la lecture n’a été étudiée que récemment (e.g. besse, marec-breton & gombert, 2007 ; Kieffer & Lesaux, 2008 ; ramirez, chen, geva & Luo, 2011 ; pas-quarella et al., 2011) et principalement en anglais langue seconde. parmi elles, la seule qui, à notre connaissance, s’intéresse simultanément à différentes structures mor-phologiques (dérivationnelle et compositionnelle) en comparant bilingues et monolingues est celle menée par reder (reder & demont, 2012 ; reder et al., 2012ab) sur les dispositifs scolaires bilingues français-allemand développés en alsace. ses résultats mettent évidence une supériorité des bilingues aux épreuves d’extraction de la base de pseudo-mots dérivés (dégarer), de pro-duction de pseudo-mots (coupe-pomme) et de définition de mots composés (chien-loup), avantage facilitant en retour l’apprentissage de la lecture. Les autres travaux se sont attachés principalement à mettre en évidence l’utilisation de la morphologie pour lire les mots écrits (ramirez et al., 2011) et comprendre des phrases ou paragraphes (pasquarella et al., 2011) à différents moments de l’apprentissage, comme cela a été observé chez les monolingues. Cependant le rôle spécifique que cette dimension métalinguistique peut jouer auprès de cette population n’a, à notre connaissance, jamais été investiguée.

OBJECTIFS DE L’ÉTUDE

au vu de la littérature, il est frappant de remarquer que l’avantage bilingue en lecture et en conscience morpho-logique reste à préciser. de plus, une question cruciale porte sur le niveau de base à partir duquel les effets positifs du bilinguisme se font sentir. bien que parti-culièrement visibles pour les degrés les plus élevés de bilinguisme, quelques données laissent entendre qu’ils pourraient également apparaître dans des situations où l’exposition à la L2 est moins fréquente, ce qui mérite d’être répliqué dans différents domaines. Enfin, face à la pléthore de facteurs modérateurs, le niveau scolaire nous est apparu intéressant à isoler. dans ces perspec-tives, cette recherche a été menée a) auprès d’une popu-lation d’élèves lusophones vivant au brésil et scolarisés à deux niveaux scolaires différents : en 3e et en 5e année d’élémentaire, niveaux où le rôle joué par les habiletés morphologiques est le plus manifeste (mahony, singson & man, 2000), b) dans la L1 des participants (i.e. le por-tugais) des monolingues comme des apprenants bilin-gues, ces deniers apprenant à l’école le français comme L2. ces deux langues, outre le fait d’être peu étudiées,

constituent une configuration propice aux apprentissages et permettent de contrôler certains facteurs d’influence tels que la proximité entre L1 et L2. Le portugais est en effet une langue relativement transparente qui sous sa forme écrite est très proche du français (seymour, aro & erskine, 2003).

Le premier objectif de cette recherche est de vérifier l’effet positif d’un dispositif d’enseignement du français L2 sur l’identification de mots écrits et le développe-ment des habiletés métamorphologiques en distinguant pour ces dernières ce qui relève de la morphologie flexionnelle (à fonction syntaxique e.g. grass-e-s) et dérivationnelle (à une fonction sémantique e.g. dé-gon-fl-age). Le second vise à déterminer dans quelle mesure la contribution des habiletés morphologiques varie lorsqu’une L2 est apprise d’une part et en fonction du niveau scolaire d’autre part.

MÉTHODEParticipants

cent quarante-huit élèves lusophones vivant au brésil (69 filles et 79 garçons), en 3e ou 5e année (correspon-dant en france ce2 et cm2) et âgés entre 8;8 ans et 12;9 ans (moyenne de 9;4 ans en 3e année et de 11;5 ans en 5e année) ont participé à cette étude (cf. tableau 1). soixante et un d’entre eux appartiennent au groupe apprenant le français L2. ils sont scolarisés depuis le début de leur scolarité dans un établissement primaire français privé de são paulo où le français est enseigné formellement à partir de la 2e année de scolarité à raison de 4 heures par semaine. ainsi, les élèves de 3e année ont suivi approximativement 224 heures d’enseignement du français et ceux de 5e année, 512 heures. bien que leur langue dominante soit le portugais, ils obtiennent en moyenne plus de 60 % de bonnes réponses au test réceptif de vocabulaire de deltour et hupkens (1980). Les 87 autres élèves appartiennent au groupe monolingue : leur langue maternelle est le portugais et ils ne reçoivent dans le cadre scolaire qu’un enseignement du portugais. ces élèves sont scolarisés dans une école privée de são paulo située dans le même quartier que l’école française.

Matériel en portugais

Épreuve morpho-flexionnelle de détection d’intrus cette épreuve est destinée à évaluer les habiletés morpho- flexionnelles permettant d’identifier les aspects syn-taxiques des mots portugais, tels que le genre des subs-tantifs ou la conjugaison des verbes à partir d’éléments

Tableau 1. répartition des élèves en fonction du type d’enseignement reçu et du niveau scolaire.

EnseignementNiveau scolaire

NNbre

garçonsNbre filles

âge chronologique en mois (écart-type)

Apprenant le français en plus du portugais3e année 5e année

38 23

24 14

14 9

112,03 (3,55 135,96 (3,87)

Monolingues de langue portugaise3e année 5e année

27 60

11 30

16 30

111,43 (3,09) 136,8 (4,40)

267_274_ANAE_136_137_BESSE.indd 270 12/11/2015 10:54

Page 5: Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le …...Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 A.N.A.E., sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et 2015;

Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et de Lecture chez des éLèves de 3e et 5e année vivant au brésiL

a.n.a.e. n° 136-137 – octobre 2015 271© copyright anae

discriminants et en fonction des conventions de la langue. elle comporte 12 items, chacun constitué d’un mot cible et d’une paire de mots dont l’un fait apparaître une structure flexionnelle identique au mot cible et l’autre, jouant le rôle d’intrus, une forme non fléchie ou une structure flexion-nelle ressemblant à celle du mot cible mais syntaxiquement et sémantiquement différente. dans cette épreuve, les participants doivent déterminer, parmi deux propositions et malgré les apparences, le nom qui n’est pas assigné d’une marque de genre, ou le verbe qui n’est pas marqué par la même conjugaison que le mot cible. il leur est par exemple demandé quel est le verbe qui n’est pas conjugué comme « beliscam » (ils pincent), « seguram » (ils tiennent) ou « sonharam » (ils ont rêvé). 6 items concernent la formation du féminin de noms ou d’adjectifs et 6 items concernent les désinences verbales. Les aspects sémantiques des items, la structure phonologique et graphique ainsi que la familiarité des paires de mots proposés ont été contrôlés. un point est attribué à chaque réponse correcte, sur un total de 12. Le coefficient de consistance interne de cette épreuve est acceptable (α = .74).

Épreuve morpho-dérivationnelle de détection d’intrus construite sur le même principe de détection d’intrus que la précédente, cette épreuve a pour objectif d’évaluer les habiletés à identifier la construction morphologique en base/affixe de mots écrits en portugais (noms ou verbes). elle comporte 12 items, chacun constitué d’un mot cible dérivé et d’une paire de mots dont l’un est également dérivé et partage le même affixe que la cible et l’autre, jouant le rôle d’intrus, qui malgré les apparences phonographiques n’est pas construit (e.g. deslizar : glisser, morphème libre) ou utilise une base non identifiable (e.g. doutor), si bien que le lien de construction avec la cible est inexistant ou opaque. dans cette épreuve, les participants doivent déterminer, parmi deux mots proposés, celui qui, malgré les apparences phonographiques, ne fait pas apparaître la même construction morphologique qu’un mot cible. il leur est par exemple demandé quel est le mot qui ne vient pas d’un autre mot comme « reabrir » (rouvrir vient de abrir), « reler » (relire, vient de ler) ou « regar » (arroser, non construit). La moitié des items concernent la formation de substantifs par ajout de suffixe, l’autre moitié la formation de verbes par ajout de préfixe. Les aspects sémantiques des items, la structure phonologique et graphique ainsi que la familiarité des paires de mots proposés ont été contrôlés. un point est attribué à chaque réponse correcte, sur un total de 12. Le coefficient de consistance interne de cette épreuve est acceptable (α = .74).

Épreuve de lecture de mots isolés en une minuteLes compétences en lecture en portugais ont été évaluées à l’aide d’une épreuve individuelle et chronométrée de lecture de mots isolés. il s’agit de lire en une minute à voix haute et les uns à la suite des autres, le maximum de mots d’une liste proposée. cette liste est composée de 108 mots de différentes catégories grammaticales et de différentes longueurs, variant en termes de fréquence, de régularité et de complexité. Le niveau de performance est mesuré en fonction de l’exactitude et de la rapidité en lecture. Les

scores obtenus correspondent au nombre total de mots cor-rectement prononcés en une minute.

Procédureces épreuves sont issues de la passation d’une batterie d’épreuves plus importante qui a nécessité plusieurs sessions d’évaluation auprès des élèves. Les deux épreuves morphologiques retenues dans le cadre de cette étude ont été présentés oralement, en groupe, en alternant leur ordre de présentation respective. La passation en elle-même était précédée d’un exemple et de deux items d’entraînement. L’épreuve de lecture de mots fut présentée en dernier lieu lors d’une passation individuelle.

RÉSULTATS

Les résultats ont été analysés statistiquement à l’aide du logiciel SPSS statistics 20. des analyses de variance ont été effectuées, d’une part sur les scores aux deux épreuves méta-morphologiques (flexionnelle et dériva-tionnelle) et d’autre part sur les scores en lecture afin de déterminer l’effet du dispositif d’enseignement, du niveau scolaire et de leur interaction sur ces deux types d’habiletés. des analyses de régression pas à pas ont par la suite été conduites afin de déterminer la contribution des habiletés morphologiques à la lecture de mots et dans quelle mesure cette contribution dépend du niveau scolaire et/ou du type d’enseignement.

Effet de l’enseignement du français et du niveau scolaire sur les scores aux épreuves morphologiques

une anova à mesures répétées a été appliquée avec, comme facteur intra-sujet, le type de morphologie (flexionnelle vs. dérivationnelle) et, comme facteurs inter-sujets, le type de d’enseignement (portugais / français vs portugais seul) et le niveau scolaire (3e vs 5e année).

Les résultats font apparaître un effet principal du type d’enseignement [F(1,144) = 15,78 ; p < .001 ; η2 = .10] : les élèves apprenant le français reconnaissent en moyenne mieux les intrus morphologiques que les monolingues (μ = 9,12 ; σ = 1,61 vs. μ = 8,24 ; σ = 1,90). L’effet principal du niveau scolaire est également signi-ficatif [F(1,144) = 12,02 ; p < .001 ; η2 = .08] : les élèves de 5e année obtiennent des scores supérieurs aux élèves de 3e année (μ = 8,904 ; σ = 1,91 vs. μ = 8,215 ; σ = 1,67). en revanche, l’effet du type de morphologie n’est pas significatif ni même l’interaction type d’enseignement /niveau scolaire. Les autres interactions ne sont pas non plus significatives.

Effet de l’enseignement du français et du niveau scolaire sur les scores en lecture de mots

L’analyse de variance à deux facteurs inter-sujets (type d’enseignement et niveau scolaire) sur les scores en lecture de mots montre un effet principal du niveau sco-laire [F(1,144) = 47,66 ; p < .001 ; η2 = .25] : les élèves

267_274_ANAE_136_137_BESSE.indd 271 12/11/2015 10:54

Page 6: Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le …...Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 A.N.A.E., sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et 2015;

a.-s. besse, c. roganti Leite moreira, f. vidigaL de pauLa

a.n.a.e. n° 136-137 – octobre 2015272© copyright anae

de 5e année obtiennent des scores en lecture supérieurs aux élèves de 3e année (μ = 75,19 ; σ = 12,70 vs. μ = 64,97 ; σ = 12,08). L’effet du type d’enseignement est également significatif [F(1,144) = 31,68 ; p < .001 ; η2 = .18] : les élèves apprenant le français lisent en moyenne plus de mots que les monolingues (μ = 74,63 ; σ = 12,97 vs. μ = 67,84 ; σ = 13,04). en revanche, l’interaction entre les deux variables n’est pas significative.

Contribution des performances aux épreuves morphologiques à la variance en lecture de mot et facteurs modérateurs

compte tenu de l’observation précédente d’une absence d’effet principal du type de morphologie et d’interaction impliquant cette variable sur les résultats obtenus aux tâches de détections d’intrus et de la forte corrélation existant entre les scores aux épreuves morpho-flexionnelle et morpho-dérivationnelle (r = .3 ; p < .001) il a été choisi d’entrer, dans les analyses de régression, comme seul prédicteur continu un score composite englobant les scores à ces deux épreuves. Les valeurs centrées ont été calculées (écart à la moyenne de l’échantillon total) dans la mesure où nous nous intéressons aux interactions de cette variable continue avec des variables catégorielles (aiken & West, 1991). Les variables catégorielles ont été codées selon la méthode « dummy variable coding » qui est selon aiken & West (1991) la procédure la plus fréquemment utilisée dans la littérature pour représenter des variables catégorielles dans des équations de régression.

deux analyses de régression multiple pas à pas ont été effectuées avec, comme variables introduites, les scores centrés d’habiletés morphologiques et l’interaction entre ces scores et le niveau scolaire d’une part et le type d’enseignement d’autre part. Les effets principaux de ces deux variables catégorielles ayant déjà été analysés lors des anova sur les scores en lecture, il ne s’est pas avéré nécessaire de les inclure dans les analyses de régression. de plus, les effets d’interactions entre le niveau scolaire et le type d’enseignement n’étant pas significatifs dans les analyses de variance précé-demment effectuées, nous avons simplifié les analyses en nous focalisant sur les effets d’interaction entre la variable continue et chacune des variables catégorielles. en effet, ce type d’analyse correspond parfaitement au second objectif de cette étude, à savoir si la contribution des habiletés métamorphologiques varie lorsqu’une L2 est apprise d’une part et en fonction du niveau scolaire d’autre part.Les analyses mettent en évidence que la variable « habiletés métamorphologiques » apparaît systématiquement en premier pas et contribue à expliquer 19 % de la variance en lecture de mots [F(1,146) = 34,167 ; p < .001]. La première analyse fait apparaître qu’au-delà de la contribution de cette première variable, l’interaction entre habilités méta-morphologiques et niveau scolaire, incluse en second pas est également significative [ΔR2 = .035 ; F(1,145) = 6,59 ; p < .05]. Les deux droites de régression pour les 3e années

et pour les 5e années correspondent, comme l’indique la figure 1, respectivement aux formules suivantes : Lec3 = 4,36 Morpho + 29,19 et Lec5 = 1,80 Morpho + 59,16. Leurs coefficients de régression se différencient l’un de l’autre (t = - 2,57 ; p < .05). ce résultat se traduit par une corré-lation des habiletés métamorphologiques à la lecture de mots plus importante en 3e année [R = 60 ; p < .001] qu’en 5e année [R = 27 ; p < .05] bien que toutes deux soient significatives.

La seconde analyse rend compte d’une interaction significative entre la variable « habiletés métamorpho-logiques » et le type d’enseignement, incluse en second pas, au-delà de la contribution de la variable « habiletés métamorphologiques » [ΔR2 = .027 ; F(1,145) = 5,06 ; p < .05]. Les deux droites de régression pour les élèves apprenant le français et pour les monolingues apprenant seulement le por-tugais correspondent, comme l’indique la figure 2, aux formules suivantes : LecPr + Fr = 4,46 Morpho + 34,13 et LecPr = 2,12 Morpho + 50,35. Leurs coef-ficients de régression se différencient l’un de l’autre (t = -2,25 ; p < .05). ce résultat se traduit par une corré-lation des habiletés morphologiques à la lecture de mots plus importante pour les élèves apprenant le français [R = .56 ; p < .001] et pour les monolingues [R = .31 ; p < .01] bien que toutes deux soient significatives.

DISCUSSION

notre premier objectif était de mettre en évidence la supériorité des habiletés métamorphologiques et de

Figure 1. contribution des habilités métamorphologiques à la lecture de mots en fonction du niveau scolaire.

Figure 2. contribution des habilités métamorphologiques à la lecture de mots en fonction du type d’enseignement.

267_274_ANAE_136_137_BESSE.indd 272 12/11/2015 10:54

Page 7: Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le …...Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 A.N.A.E., sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et 2015;

Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et de Lecture chez des éLèves de 3e et 5e année vivant au brésiL

a.n.a.e. n° 136-137 – octobre 2015 273© copyright anae

lecture de mots des apprenants en français L2 com-parativement aux monolingues et de déterminer si cet avantage varie en fonction du niveau scolaire. de façon générale, nos résultats confirment l’avantage « bilingue » souvent observé dans la littérature (adesope et al., 2010 ; besse et al., 2010 ; davidson et al., 2010 ; Laurent & martinot, 2010), auprès d’élèves lusophones apprenant le français et dans un contexte d’apprentis-sage formel limité à quelques heures par semaine. que ce soit pour la lecture de mots portugais ou les habiletés à détecter la structure morphologique (flexionnelle ou dérivationnelle) de ces derniers, les élèves apprenant le français L2 obtiennent de meilleures performances. ces avantages n’apparaissent pas cibler un niveau scolaire particulier. contrairement à ce qui a pu être mis en évi-dence avec la conscience phonologique, et comme cela avait déjà été observé par reder et al. (2012ab, 2013) les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 en conscience morphologique et en lecture semblent se maintenir, tout au moins sur cette période de milieu/fin de primaire. En revanche, comme nous pouvions nous y attendre, une augmentation des performances en lecture entre la 3e et la 5e année est à noter pour tous les groupes, signe que les compétences en lecture n’ont pas encore atteint le niveau d’expertise même dans une langue aussi trans-parente que le portugais. de même, les habiletés mor-phologiques augmentent entre la 3e et la 5e année, sans atteindre de scores plafonds, ce qui est aussi congruent avec les résultats obtenus dans d’autres langues (marec-breton et al., 2010).

notre second objectif était de tester si l’enseignement du français L2 a un impact sur le rôle de la conscience morphologique dans l’apprentissage de la lecture et subsidiairement si sa contribution augmente ou se maintient avec l’avancée dans les apprentissages. nos résultats montrent en effet que la conscience morpho-logique joue un rôle plus important lors de la lecture pour les apprenants d’une L2. L’avantage bilingue ne se limiterait donc pas à un développement métamorpho-logique plus précoce. Les apprenants d’une L2 seraient également plus à même d’utiliser leurs connaissances morphologiques pour lire de façon plus efficace, ce qui, à notre connaissance, n’a jamais été souligné. Enfin, la façon dont le niveau scolaire influence le rôle joué par la conscience morphologique sur la lecture nous semble plus difficile à interpréter. Bien que ces compétences soient associées en 3e comme en 5e année, le poids de la morphologie apparaît plus important en 3e année. ce résultat diffère des conclusions de mahony et al. (2000) envisageant que le rôle de la conscience morphologique augmente entre la 3e et la 6e année d’apprentissage. Leur étude évalue essentiellement la conscience morpho- dérivationnelle, en anglais, à l’aide d’une tâche de jugement de relation de mot (spatial – space) ce qui la différentie fortement de la nôtre. La morphologie du portugais, une langue relativement transparente, pour-rait jouer un rôle à plus court terme qu’en anglais car l’identification des mots pourrait s’automatiser plus rapidement et reposer dans une moindre mesure sur une analyse en morphèmes pour lever certaines ambiguïtés

de prononciation. Le contexte d’enseignement de la lecture et de la morphologie variable d’une langue à l’autre et d’un pays à l’autre peut également expliquer de telles variations.

CONCLUSIONS

La mise en évidence des effets positifs d’un enseigne-ment relativement précoce d’une L2 abonde dans le sens des politiques éducatives actuelles favorables à l’enseignement des langues vivantes dès les premières années de l’école primaire. dans ce domaine, notre dernière remarque sur les caractéristiques des langues et les contextes institutionnels nous semble particuliè-rement intéressante à considérer. par ailleurs, le rôle incontestable de la morphologie lors de l’apprentissage de la lecture est ici renforcé, en indiquant qu’il pourrait être d’autant plus important en contexte de bilinguisme, situation qui devient, de plus en plus, la norme plus qu’une exception. si l’on tient compte aussi des rela-tions que la conscience morphologique entretient avec le vocabulaire oral, souvent considéré comme un domaine de faiblesse pour les apprenants bilingues ou en L2, le rôle de la morphologie pourrait être encore plus grand.

RÉFÉRENCES

adesope, o., Lavin, t., thompson, t. & ungerLeinder, c. (2010). a systematic review and meta-analysis of the cognitive corre-lates of bilingualism. Review of Educational Research, 80, 2, 207-245.

aiKen, L. s. & West, s. g. (1991). Multiple regression: Testing and interpreting interactions. thousand oaks, ca: sage.

barac, r. & biaLYstoK, e. (2013). bilingual effects on cognitive and linguistic development: role of language, cultural background, and education. Child Development, 83, 2, 413-22.

besse, a.s., marec-breton, n. & demont, e. (2010). Les compétences métalinguistiques des enfants bilingues. Enfance, 62, 2, 167-199.

besse, a.s., demont, e. & gombert, J.e. (2007). traitements phonologiques et morphologiques dans l’apprentissage de la lecture en français langue seconde par des arabophones et des lusophones. Psycho-logie française, 52, 1, 89-105.

biaLYstoK, e. (2002). acquisition of literacy in bilingual children: a framework for research. Language Learning, 52, 1, 159-199.

biaLYstoK, e. (2007). cognitive effects of bilingualism: how lin-guistic experience leads to cognitive change. International Journal of Bilingual Education & Bilingualism, 10, 3, 210-223.

biaLYstoK, e. (2009). bilingualism: the good, the bad, and the indif-ferent. Bilingualism: Language and Cognition, 12, 1, 3-11.

biaLYstoK, e., LuK, g. & KWan, e. (2005a). bilingualism, bili-teracy, and learning to read: interactions among languages and writing systems. Scientific Studies of Reading, 9, 1, 43-61.

biaLYstoK, e., maJumder, s. & martin, m. m. (2003). deve-loping phonological awareness: is there a bilingual advantage? Applied Psycholinguistics, 24, 1, 27-44.

biaLYstoK, e., mcbride-chang, c. & LuK, g. (2005b). bilin-gualism, language proficiency, and learning to read in two writing systems. Journal of Educational Psychology, 97, 4, 580-590.

267_274_ANAE_136_137_BESSE.indd 273 12/11/2015 10:54

Page 8: Les bénéfices de l’apprentissage d’une L2 sur le …...Les bénéfices de L’apprentissage d’une L2 A.N.A.E., sur Le déveLoppement des habiLetés métamorphoLogiques et 2015;

a.-s. besse, c. roganti Leite moreira, f. vidigaL de pauLa

a.n.a.e. n° 136-137 – octobre 2015274© copyright anae

campbeLL, r. & sais, e. (1995). accelerated metalinguistic (phono-logical) awareness in bilingual children. British Journal of Developmental Psychology, 13, 61-68.

coLé, p., marec-breton, n., roYer, c. & gombert, J. (2003). morphologie des mots et apprentissage de la lecture. Rééducation ortho-phonique, 213, 57-60.

davidson, d., raschKe, v. r. & pervez, J. (2010). syntactic awareness in young monolingual and bilingual (urdu–english) children. Cognitive Development, 25, 2, 166-182.

deLtour, J.-J. & hupKens, d. (1980). test de vocabulaire actif et passif pour enfants de 3 à 5 ans. Liège : université de Liège. éditions scientifiques et psychologiques.

demont, e. (2001). contribution de l’apprentissage précoce d’une deuxième langue au développement de la conscience linguistique et à l’apprentissage de la lecture. Journal international de psychologie, 36, 4, 274-285.

dreher, m. J. & zenge, s. d. (1990). using metalinguistic awareness in first grade to predict reading achievement in third and fifth grades. Journal of Educational Research, 84, 1, 13-21.

eviatar, z. & ibrahim, r. (2000). bilingual is as bilingual does: metalinguistic abilities of arabic-speaking children. Applied Psycholin-guistics, 21, 4, 451-471.

castLes, a. & coLteart, m. (2004). is there is a causal link from phonological awareness to success in learning to read. Cognition, 91, 77-111.

GEVA, E. & YAGHOUB ZADEH, Z. (2006). Reading efficiency in native english-speaking and english-as-a-second-language children: the role of oral proficiency and underlying cognitive-linguistic processes. Scientific Studies of Reading, 10, 1, 31-57.

gombert, J.e. & coLé, p. (2006). activités métalinguistiques, lecture et illettrisme. in m. Kail & m. fayol (eds.), L’acquisition du langage. Le langage en développement au-delà de trois ans (pp. 117-150). paris : puf.

guimarÃes, s.r. K., vidigaL de pauLa, f., mota, m.e.p. d.a. & barbosa, v. r. (2015). Consciência morfológica: que papel exerce no desempenho ortográfico e na compreensão da leitura. são paulo, psicologia usp.

Jared, d., cormier, p., LevY, b. a. & Wade-WooLLeY, L. (2011). early predictors of biliteracy development in children in french immersion: a 4-year longitudinal study. Journal of Educational Psycho-logy, 103, 1, 119-139.

KOVELMAN, I., BAKER, S. A. & PETITTO, L. A. (2008). Age of first bilingual language exposure as a new window into bilingual reading deve-lopment. Bilingualism: Language and Cognition, 11, 203-223.

Kuo, L. J. & anderson, r. c. (2006). morphological awareness and learning to read: a cross-language perspective. Educational Psychologist, 41, 3, 161-180.

Kuo, L. J. & anderson, r. c. (2010). beyond cross-language trans-fer: reconceptualizing the impact of early bilingualism on phonological awareness. Scientific Studies of Reading, 14, 4, 365-385.

Laurent, a. & martinot, c. (2010). bilingualism and phonological awareness: the case of bilingual (french-occitan) children. Reading and Writing: An Interdisciplinary Journal, 23, 435-452.

Lecocq, K., moustY, p., KoLinsKY, r., goetrY, v., morais, J. & aLegria, J. (2007). évaluation de programmes d’immersion en communauté française: étude longitudinale du développement des habi-letés écrites en L1 et L2. in L. puren & s. babault (eds), L’Éducation au-delà des frontières. paris : L’harmattan. (pp. 259-293).

LefranÇois, p. & armand, f. (2003). the role of phonological and syntactic awareness in second language reading: the case of spanish-speaking learners of french. Reading and Writing: an Interdisciplinary Journal, 16, 219-246.

LesauX, n. K. & siegeL, L. s. (2003). the development of reading in children who speak english as a second language. Developmental Psy-chology, 39, 6, 1005-1019.

marec-breton, n., besse, a.s. & roYer, c., (2010). a conscien-cia morfologica e una variavel importante na aprendizagem da leitura, Educar em Revista, 38, 73-91.

mota, m.m.p.e, annibaL, L. & Lima, s. (2008). a morfologia derivacional contribui para a leitura e escrita no português? Psicologia: Reflexão e Crítica, 21, 311-318.

paradis, J., genesee, f. & crago, m. (2011). Dual language deve-lopment and disorders: A handbook on bilingualism and second language learning (2nd edition). baltimore, md: brookes.

pasquareLLa, a., chen, X., Lam, K., Luo, Y.c. & ramirez, g. (2011). cross-Language transfer of morphological awareness in chinese-english bilinguals. Journal of Research in Reading, 34, 1, 23-42.

perregauX, c. (1994). Les Enfants à deux voix. Des effets du bilin-guisme sur l’apprentissage de la lecture. paris : peter Lang.

reder, f. & demont, e. (2013). développement de la conscience morphologique d’apprentis lecteurs en situation d’apprentissage d’une deuxième langue. in p.Y. gilles & m. carlier (eds.), Vive(nt) les diffé-rences. Psychologie différentielle fondamentale et applications. presses universitaires de provence.

reder, f., daigLe, d. & demont, e. (2012a). metalinguistic development in french learners enrolled in an immersion program: a longitudinal study. European Journal of Developmental Psychology, 10, 4, 476-494.

reder, f., demont, e. & besse, a.-s. (2012b). Does Second Lan-guage Learner’s (SLL) advantage in reading abilities rely on their better morphological awareness? international congress of sssr. July 2012, montréal, canada.

saur, d., baumgaertner, a., moehring et al. (2009). Word order processing in the bilingual brain. Neuropsychologia, 47, 158-168.

seYmour, p. h. K., aro, m. & ersKine, J. m. (2003). foundation literacy acquisition in european orthographies. British Journal of Psycho-logy, 94, 2, 143-174.

267_274_ANAE_136_137_BESSE.indd 274 12/11/2015 10:54