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CAHIERS Les cahiers de santé publique et de protection sociale Fondation Gabriel Péri Publication de la mai 2012

Les cahiers de santé publique et de protection sociale · Document 2 : Réponse de Jean-Luc Mélenchon à l’interpellation de la Société Française de Santé Publique ..... Page

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Les questions de santé publique et de protection sociale sont au centre des préoccupations de la population et nécessitent une réflexion pour élaborer des propositions nouvelles. La Fondation Gabriel Péri a donc pris l’initiative de créer une publication intitulée « Les Cahiers de Santé Publique & de Protection Sociale ». Elle se donne comme objectif de proposer des textes de réflexion originaux sur ces sujets mais aussi des notes de lectures, des documents utiles et des brèves d’information. Elle occupera une place ambitieuse dans un paysage bien souvent marqué par la triste acceptation des dogmes libéraux dominants. Elle s’adresse à tous ceux qui veulent réfléchir à ces problématiques majeures aujourd’hui au cœur des transformations sociales, qu’ils soient des professionnels de santé ou du secteur social, des élus, des syndicalistes, des militants, des chercheurs ou des enseignants.

Michel Maso,Directeur général de la Fondation Gabriel Péri

Fondation Gabriel Péri11, rue Étienne Marcel - 93500 Pantin

Tél. 01 41 83 88 [email protected]

www.gabrielperi.fr

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CAHIERS

Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Fondation Gabriel PériPublication de la

mai2012

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Les Cahiers de santé PubLique& de ProteCtion soCiaLe

Rédaction :

M. Michel Maso, Directeur administratif des Cahiers, Directeur de la Fondation Gabriel Péri,Dr Michel Limousin, Rédacteur en chef des Cahiers,M. Jacques Bénézit, Secrétaire de Rédaction.

Comité de Rédaction :

M. Serge Klopp, Cadre infirmier psychiatrique,M. Dominique Durand, journaliste et écrivain,Mme Nathalie Marchand, Syndicaliste hospitalière à l’APHP,M. Michel Legros, administrateur de l’EHESP,Mme Evelyne Vanderheym, directrice d’hôpital en retraite,M. Alain Claquin, Cadre Hospitalier à l’APHP,Dr Omar Brixi, médecin de santé publique et enseignant,M. Jean-Luc Gibelin, directeur adjoint d’hôpital universitaire, membre du Collège Exécutifet responsable des questions de santé et protection sociale du Pcf,Mme Anne Bléger, attachée territoriale et journaliste,Dr Alain Beaupin, Médecin directeur de centre de santé,Mme Joëlle Greder, ancienne Présidente du Conseil National du Pcf,Dr Fabien Cohen, chirurgien-dentiste, Secrétaire Général du Syndicat des Chirurgiens dentistes des centres de santé,M. Claude Chavrot, Président de l’IUT Paris-Descartes, administrateur de la Fédération Nationaledes centres de santé,M. Alain Lhostis, Conseiller de Paris, ancien Adjoint au Maire de Paris chargé de la santé et ancien Président délégué du Conseil d’Administration de l’AP/HP de 2001 à 2008,M. Patrice Voir, Maire-Adjoint délégué à la santé de Grenoble,Dr Richard Lopez, Directeur de la santé à Champigny,Mme Simone Fayaud, infirmière, membre du Conseil National du Pcf,Dr Alain Brémaud, membre du bureau de la Fédération nationale de Formation continueet d’évaluation des pratiques professionnelles des centres de santé,M. Michel Katchadourian.

Comité de lecture :Dr Michèle Leflon, médecin hospitalier, chef de service, Vice-Présidente de la Région Champagne – Ardennes,Dr Eric May, Médecin Directeur de centre de santé et Président de l’Union syndicale des médecinsde centres de santé,Mme Catherine Mills, universitaire, économiste, responsable du Séminaire sur l’hôpital à la Fondation Gabriel Péri.Dr Jean Victor Kahn, chirurgien-dentiste.Dr Paul Cesbron, Ancien Chef de service à l’Hôpital de Creil.

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4 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

sommaire

Editorial :

Bientôt, l’heure des choix ?Par le Dr Michel Limousin .............................................................................................................................................................................................. Page 7

Articles :

Comment promouvoir des politiques de prévention dans le domaine de la santé publiquePar M. le Pr Claude Got .................................................................................................................................................................................................... Page 9

La Prostitution : une violence occultéePar Mme L. Cohen & Mme E. Ackermann ......................................................................................................................................................... Page 16

Le diagnostic prénatal : eugénisme et progrès humainPar le Dr Paul Cesbron ..................................................................................................................................................................................................... Page 21

Quotient familial : politique sociale ou politique familiale ?Par Mmes V. Sanchez- Pareti et C. Mills ............................................................................................................................................................... Page 27

Débats actuels sur la politique familiale et propositions alternativesPar Mme Catherine Mills ................................................................................................................................................................................................. Page 29

Les options du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie : Analyse et critiquePar Mme Catherine Mills ................................................................................................................................................................................................. Page 37

Assistance médicalisée à mourir : un débat nécessaire sur une question éthique complexedans une société qui évolue.Par M. Guy Fischer ............................................................................................................................................................................................................ Page 46

Inégalités sociales de prise en charge des patients diabétiques :enquête qualitative auprès de médecins généralistesPar les Drs Elisabeth Harrar et Gilles Lazimi .................................................................................................................................................. Page 48

Les centres de santé communautaires aux Etats-Unis : modèle et perspectivesPar le Dr Frédéric Villebrun ......................................................................................................................................................................................... Page 54

Santé, protection sociale : être infidèle pour être fidèle à l’histoire des conquêtes passéesPar M. Daniel Le Scornet .............................................................................................................................................................................................. Page 58

Une Mission pour l’Hôpital public !Par Jean-Luc Gibelin ......................................................................................................................................................................................................... Page 61

Cuba : l’enjeu du socialPar Mme Blandine Destremau ..................................................................................................................................................................................... Page 63

Quel accueil pour les enfants handicapés à l’école ?Par Mme Sylvie Chavrot ................................................................................................................................................................................................... Page 72

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Sommaire 5

Les brèves : .....................................................................................................................................................................................................................................Page 75

Les notes de lecture : ..........................................................................................................................................................................................................Page 76

« La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ? » par François GONON, revue Esprit,novembre 2011, pp. 54-73. Note de lecture des Drs Eric KLINGLER, Psychiatre au CMSde Malakoff & Esther KLINGLER, INSERM U-839 (avril 2012) ................................................................................................. Page 77

« Les inégalités de santé dans les territoires français » : Etat des lieux et voies de progrèspar Emmanuel Vigneron aux Editions Elsevier Masson 194 p., 2011.Note de lecture du Dr Cédric Cheymol (mars 2012) ..................................................................................................................................... Page 78

« Mères sous influence » de Sandrine GARCIA, 2010, Edition La Découverte.Du glissement insidieux de l’émancipation des femmes à la reprise sous d’autres formesd’un familialisme « bien-pensant ». Note de lecture du Dr Paul CESBRON (avril 2012) ............................................. Page 82

« La revanche du rameur » par le Dr Dominique DUPAGNE, éditions Michel LAFON,2012, 349 p. Note de lecture du Dr Alain Beaupin (mai 2012) ......................................................................................................... Page 85

Le courrier des lecteurs : ...............................................................................................................................................................................................Page 88

Les documents : ........................................................................................................................................................................................................................Page 95

Document 1 : Discours de Pierre Laurent lors de la commémoration d’Ambroise Croizatau cimetière du Père Lachaise ..................................................................................................................................................................................... Page 96

Document 2 : Réponse de Jean-Luc Mélenchon à l’interpellation de la Société Françaisede Santé Publique ................................................................................................................................................................................................................ Page 98

Document 3 : Lettre manuscrite de Dimitris Christoulas, le pharmacien retraité âgé de 77 ansqui a mis fin à ses jours sur une pelouse de la place Syntagma le 4 avril 2012 ................................................................. Page 103

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6 Les cahiers de santé publique et de protection sociale - N°2

Editorial

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Editorial 7

alors, que faire ?

Les élections présidentielles sont passées et le choix des Français à une courte majorité s’est porté maintenant sur le changement. Un espoir de justice sociale est né, affiché particulièrement par les jeunes.

Mais les questions de santé ont été assez largement oubliées dans les débats de cette campagne même si elles constituent une préoccupation majeure de la population. Quant à la protection sociale, elle aussi, a été occultée par une situation économique globale dans laquelle la ques-tion de la dette publique masque tout le reste.

Nous entrons dans une phase intermédiaire dans l’attente des choix parlementaires du pays. Ainsi le gou-vernement va-t-il diriger par décrets en attendant que le nouveau Parlement puisse légiférer. Il nous semble que dès maintenant, des mesures peuvent être prises dans les domaines qui nous préoccupent ici.

Nous nous avançons pour proposer des pistes utiles à tous et à chacun, immédiates et concrètes, pistes déduites de tous les textes que nous avons publiés ici et de tous les travaux que nous avons conduits.

Nous voulons donc :• la mise en place d’un moratoire sur toutes les ferme-

tures d’hôpitaux, de centres de santé et de centres de Sécurité sociale, et d’un moratoire sur les regrou-pements d’hôpitaux, maternités et autres service publics de santé ; nous voulons la défense de l’accès aux soins, de la proximité et de l’emploi.

• il faut mettre immédiatement fin au rapprochement tarifaire public–privé qui ruine l’hôpital public et aux partenariats publics–privés qui le pillent.

• un bilan des ARS créées par la loi HPST doit être engagé.

• une rediscussion des Plans régionaux de santé au regard de l’exigence de plus de démocratie sanitaire est nécessaire d’autant plus que la plupart des PSRS ont été rejetés par les collectivités territoriales.

• des moyens en urgence pour les centres de santé, notamment ceux en extrême difficulté comme dans les Bouches du Rhône, avec l’exigence des ARS de s’y impliquer.

• la renégociation de toutes les conventions médicales et paramédicales pour mieux répondre aux besoins

des patients et un soutien plus déterminé aux zones fragilisées par la désertification médicale.

• une reprise de la loi sur la transparence des médica-ments et une mise en œuvre de politique de sécurité sanitaire.

• la suppression des franchises et des forfaits.• l’augmentation pour septembre du numerus clausus

des formations médicales et paramédicales.

Cette ambition partagée d’une réussite des forces de progrès, nécessite de poser en toute clarté le débat sur le financement de notre système de santé, et plus globa-lement sur le financement de notre système de Sécurité sociale solidaire. Sévèrement impacté par la voracité des marchés financiers et la logique économique de renta-bilisation financière des grands groupes internationaux, notre système de protection sociale subit les effets d’une baisse de ses recettes créées par le travail (trop de chô-mage, trop de bas salaires).

Dépasser les conséquences sur notre protection sociale de cette crise systémique du capitalisme mondialisé et financiarisé implique de poser les axes d’une rénovation profonde de son financement. Nous portons notamment l’espoir de la taxation des revenus financiers des entre-prises et des ménages les plus riches, d’une modulation des cotisations patronales en fonction des politiques sala-riales des entreprises. Plus généralement encore c’est la relance de l’emploi, des salaires et des pensions, en com-mençant par l’amélioration du SMIC qui doivent être à l’ordre du jour.

On n’imagine pas le nombre de professionnels de santé, d’acteurs de la démocratie sanitaire, de militants de la protection sociale qui sont disponibles dans tout le pays pour travailler à ces réformes et à les soutenir. La démocratie participative dont on a tant parlé, va-t-elle être enfin mise à l’ordre du jour ?

Cette attente se retrouve dans les textes que nous met-tons en avant dans ce nouveau numéro.

Dr Michel Limousin,Rédacteur en chef

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8 Les cahiers de santé publique et de protection sociale8 Les cahiers de santé publique et de protection sociale - N°2

Articles

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Comment promouvoir des politiques de prévention dans le domaine de la santé publique ? 9

L’élection présidentielle est une opportunité pour ceux qui tentent de développer une relation équilibrée entre les connaissances et les décisions politiques. La démarche à suivre implique de respecter plusieurs conditions si l’on souhaite passer du débat d’idées à la mise en œuvre effective. Il faut avoir une expérience du passage entre des mondes qui ont leurs logiques respectives et comme toutes les pratiques, elle relève autant de l’apprentissage empirique de personnes que d’un savoir établi accessible dans les livres.

Les « passeurs » sont indispensablesImaginer que les connaissances disponibles passent

inévitablement dans le domaine des décisions est une illusion. Elles peuvent le faire tardivement, quand un drame révèle l’ampleur d’un risque qui était connu, mais sous-estimé. Il est également possible d’avoir une prise en compte plus précoce du fait de l’action de personnes, isolées ou agissant en groupe, qui tentent de provoquer le passage à l’acte des acteurs politiques et administratifs. Le « groupe des cinq » qui s’est créé en 1988 est devenu le « groupe des neuf » pour l’élection de 2012 et il est utile de rappeler comment ce groupe s’est formé. Il réunit des individualités qui ont accru leur capacité d’action en tra-vaillant ensemble de façon informelle, sans créer d’asso-ciation, sans notion de hiérarchie et avec une aptitude constante à trouver des compromis entre les opinions des membres du groupe. Il est important de rappeler cette histoire pour comprendre comment un tel groupe de pression, car il s’agit d’un groupe de pression, peut agir tout en respectant des règles qui relèvent de l’éthique décisionnelle. Les plus importantes de ces règles sont la transparence complète des démarches entreprises et l’in-dépendance des membres.

A la base d’une telle démarche il y a une bonne connaissance d’un problème particulier, susceptible d’être influencé par une décision « publique » et relevant de la prévention. La seconde condition est la volonté d’agir

dans le domaine concerné, donc l’acceptation de déve-lopper une seconde forme de l’expertise qui concerne les mécanismes décisionnels. De nombreux spécialistes disposant de capacités reconnues dans le champ des connaissances ne souhaitent pas s’impliquer dans la prise de décisions. Ils estiment que ce n’est pas leur rôle et que c’est aux politiques ou à l’administration d’utiliser leurs travaux pour fonder des décisions. Cette attitude n’est pas opérationnelle, la difficulté des pratiques de pré-vention est de savoir définir la bonne articulation entre deux mondes très différents. Il faut avoir une volonté de comprendre les contraintes de l’autre pour lui proposer des mesures à la fois applicables et utiles. L’expertise des connaissances et l’expertise décisionnelle sont des pra-tiques distinctes, mais complémentaires.

Avant l’élection de 1988, les membres de notre groupe avaient déjà fait le choix de prendre position en faveur de décisions concernant leur secteur d’activité. C’était le cas de Maurice Tubiana pour inciter les décideurs à interdire la publicité pour le tabac (loi Veil de 1976), ou de l’action entreprise par Gérard Dubois et par moi pour obtenir l’interdiction de la publicité pour toutes les boissons al-cooliques à la télévision (amendement Barrot de 1987). J’avais contribué en 1973 à obtenir le port obligatoire de la ceinture de sécurité et la limitation des vitesses maxi-males sur l’ensemble du réseau routier. Ces succès nous ont incités à nous unir pour bénéficier d’expériences re-connues, celle d’Albert Hirsch dans le domaine du taba-gisme et celle de François Grémy dans celui de l’usage de l’épidémiologie dans les pratiques de santé publique. Nous étions entrés dans le champ de la médecine fon-dée sur des preuves et la rigueur devait être une exigence constante de notre action. Pour l’élection de 2012, nous avons fait le choix d’étendre le groupe de 5 à 9, à la fois pour le rajeunir et pour intégrer de nouvelles compé-tences. Le rôle d’Irène Frachon et de Catherine Hill dans la mise à jour de l’importance des complications liées à la prescription du Médiator, associé au courage qu’elles ont

Comment promouvoir des politiques de préventiondans le domaine de la santé publique ?

Par M. le Pr Claude Got

NDLR : Claude Got est professeur honoraire d’anatomie pathologique. Ses activités de recherche dans le domaine de la biomécanique des chocs et de l’accidentologie routière l’ont conduit à collaborer avec des administrations et des décideurs politiques dans des domaines très variés de la prévention des risques. Conseiller technique de Simone Veil et de Jacques

Barrot, il a ensuite rédigé notamment un rapport sur le sida à la demande de Claude Evin et un rapport sur l’amiante pour Martine Aubry et Bernard Kouchner. Il développe depuis 12 ans trois sites internet présentant des dossiers et des actions de

sécurité sanitaire (www.securite-routiere.org www.securite-sanitaire.org et www.sante-publique.org).

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10 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

manifesté dans la défense de leurs constatations, témoi-gnaient de leur proximité avec nos idées et nos méthodes. L’action de Chantal Perrichon dans le domaine de la com-munication en faveur de la sécurité routière, développée en tant que présidente de la Ligue contre la violence rou-tière nous a incités à lui demander de se joindre à notre groupe. François Bourdillon est un ancien Président de la Société Française de Santé publique et de Médecins sans Frontière dont les multiples activités dans le domaine de la prévention nous permettaient d’accroître la diversité de nos pôles d’intérêt.

Prendre parti et lutter contre la désinformation n’est pas une activité confortable. Le développement de l’in-ternet a facilité l’expression de l’agressivité de débiles sociaux capables de nier la réalité la plus évidente. En 2008 j’ai publié un livre sur la désinformation dans le domaine de l’accidentologie (La violence routière, des mensonges qui tuent : collection sciences du risque et du danger, éditions Lavoisier). Un des chapitres analy-sait un livre du journaliste Airy Routier (La France sans permis, éditions Albin Michel), pour mettre en évidence de multiples erreurs et mensonges concernant la conduite sans permis. L’auteur m’a poursuivi pour diffamation. Le jugement a été sans ambiguïté, indiquant que « le prévenu pouvait comme il l’a fait affirmer que les erreurs factuelles et de raisonnement qu’il dénonçait témoignaient d’une vo-lonté délibérée de l’auteur de travestir la vérité et de tromper le lecteur ». La Confédération Nationale des Buralistes Français a poursuivi Gérard Dubois pour avoir tenu lors de l’émission « C dans l’air » du 4 août 2009 intitulée « Tabac. La French Connexion », les propos suivants : « Un buraliste français, c’est à peu près quatre morts par an, donc c’est quelqu’un qui vit sur la mort d’à peu près quatre personnes par an. ». Le 16 novembre 2009, le jugement de la 17e chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris a débouté la Confédération de toutes ses demandes et l’a condamnée outre aux dépens, la Cour d’Appel de Paris a confirmé ce jugement. Le fondement de la plainte était la valeur approximative de ces 4 morts par bureau de tabac qu’il fallait ramener à 2,23 !

Ce type d’avatar est une contrepartie inévitable des positions que nous avons prises depuis le début de notre engagement collectif en 1988. Il est largement compensé par la satisfaction d’avoir fait aboutir de nombreuses pro-positions. Il ne s’agit pas d’obtenir tout, tout de suite, certaines d’entre elles ont mis une dizaine d’années pour être effectives.

Un exemple de la distinction entre expertise des connaissances et expertise décisionnelle

Les décisions concernant l’usage de l’amiante en France et ses conséquences illustrent la différence entre

ces deux procédures complémentaires. Les risques de fibrose pulmonaire liés à l’inhalation de fibres d’amiante sont connus depuis le début du XXe siècle, le risque de cancer bronchique depuis les années trente et celui de cancer pleural depuis les années cinquante. Les précisions quantifiées sur les risques ont été suffisamment solides pour provoquer une remise en question de l’usage de ce minéral à partir des années soixante. Miner écrivait dans la préface du numéro des « Annals of the New York Academy of Sciences » du 31 décembre 1965, que l’ex-position à l’amiante « est peut-être la cause la plus impor-tante des cancers industriels de notre temps ». La réaction des gestionnaires à cette émergence de connaissances inquiétantes a été lente et insuffisante. La protection des travailleurs contre les poussières est une obligation en France depuis la loi du 12 juin 1893, mais il est notoire que son application a toujours été limitée. L’importance de la silicose chez les mineurs aurait pu être réduite dans des proportions beaucoup plus importantes qu’elle ne l’a été dans la pratique. La situation a été identique pour l’amiante. Toujours en retard d’une guerre, la commu-nauté européenne n’adoptait pas de réglementation s’imposant aux membres et chaque état faisait évoluer sa propre réglementation.

La rupture dans l’attention portée à ce risque en France a été provoquée par l’expertise collective réalisée par l’INSERM et rendue publique à la fin de l’année 1996 (Effets sur la santé des principaux types d’exposi-tion à l’amiante). Ce rapport n’était pas destiné à pro-poser des décisions. Cette orientation était clairement exprimée par la phrase suivante : « Le groupe d’experts a considéré que son rôle était d’apporter des connaissances scientifiques validées concernant les risques pour la santé associées à l’exposition à l’amiante, mais que la gestion de ces risques n’était pas de son ressort. Ainsi il ne s’est pas pro-noncé sur la pertinence des valeurs réglementaires d’exposi-tion, sur l’opportunité du bannissement de l’amiante ou du désamiantage systématique des bâtiments, ni sur la nécessité de modifier les procédures de réparation des pathologies in-duites par l’exposition à l’amiante. Sur ces points, le groupe d’experts a cherché à donner un avis scientifique concernant les données sur lesquelles peuvent s’appuyer le débat social et les décisions des instances compétentes, sans se prononcer sur leur mise en œuvre, qui implique nécessairement la prise en considération d’éléments ne relevant pas du domaine scienti-fique et médical qui constitue le champ d’expertise du groupe de spécialistes réunis par l’INSERM ». Ces phrases précises accompagnaient une telle accumulation de connaissances et ont été si habilement mises en valeur par certains au-teurs du rapport que la machine médiatico-politique s’est mise en marche de façon irréversible. La décision d’interdire l’usage de l’amiante en France à partir de jan-vier 1997 a été prise dans les jours qui ont suivi la publi-cation des résultats de l’expertise collective. Une décision

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Comment promouvoir des politiques de prévention dans le domaine de la santé publique ? 11

était prise sous la seule pression d’une expertise sur les connaissances dont le contenu était suffisant pour provo-quer l’acte politique décisif. Cette situation existe, mais ce n’est pas la plus fréquente.

Au cours des mois suivants, la prise en compte d’un ensemble de problèmes se situant en aval de l’interdiction de l’usage s’est imposée. A la demande de Martine Aubry et de Bernard Kouchner, j’ai travaillé pendant dix-huit mois dans le cadre d’une mission définie avec précision dans un document écrit et rendu public comportant notamment la demande suivante « Nous vous demandons également de dresser un inventaire des difficultés concrètes rencontrées par l’application des textes réglementaires en vigueur, des situations qu’ils pourraient ne pas couvrir et, si nécessaire, de faire des propositions pour les modifier. Par ailleurs, nous souhaitons améliorer les procédures par lesquelles les victimes d’une exposition à l’amiante peuvent faire reconnaître l’origine professionnelle de leur maladie ». Les décisions qui ont été prises dépendaient à la fois des connaissances acquises sur les risques et d’un ensemble de choix techniques, économiques et sociaux. Tenir compte du risque encouru pour définir les expositions profes-sionnelles qui donneront la possibilité de cesser son acti-vité professionnelle avant l’âge prévu de la retraite faisait partie de ce type de choix, comme la définition des répa-rations qui seraient assurées par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante en cas de maladie qui passait nécessairement par un texte législatif. Assurer la qualité des expertises visant à repérer la présence de l’amiante dans les habitations, faire des choix définissant les obliga-tions de traitement de l’amiante en place et les modalités de ce traitement exigeait une adaptation des dispositions réglementaires. Cet ensemble de mesures relevait d’une expertise à visée décisionnelle, très différente de l’inter-diction de l’usage (l’ensemble des documents produits lors de cette mission sont disponibles sur le site www.sante-publique.org).

L’histoire de la prise en compte de la gravité des risques liés à l’usage de l’amiante exprime une notion souvent méconnue qui est l’évolution des exigences dans le do-maine de la réduction des risques. Elle ne se limite pas au risque lié au travail. Il suffit de considérer l’évolution des pratiques militaires pour le constater. Les soldats n’étaient pas envoyés à la mort avec les mêmes critères au cours de la guerre de 1914/1918, pendant celle de 1939/1945, et pendant la guerre du golfe. Je pourrais également prendre des exemples dans le cadre de la sécurité alimentaire dont les exigences ont été très évolutives au cours des vingt dernières années. Qui tolérerait actuellement l’absence de rappel des produits d’une marque ayant été à l’origine de cas de listériose ? Nous avons pourtant des exemples de cette attitude à une période qui est proche de nous. Ce

type de considération n’a pas de relation avec l’apprécia-tion objective d’un niveau de risque, mais il correspond à une réalité sociale, à côté du risque objectif et du risque ressenti, il y a une échelle du risque toléré par une société.

Comment susciter les décisions politiques dans le domaine de la prévention ?

La mise en forme de décisions indispensables n’est pas un problème technique simple dans le domaine de la santé, alors même que le nombre d’articles de la presse écrite (spécialisée ou non) et le nombre de sujets pré-sentés par les médias audiovisuels dans ce domaine n’a jamais été aussi important. Il faut conduire une analyse critique des données disponibles, les interpréter, puis définir les modalités du passage à l’acte utile, possible et acceptable. Construire cette interface fait partie du travail des experts. Ils sont loin de tout savoir, mais ils ont une capacité de reconnaissance de l’erreur et peuvent expliquer pourquoi un problème est mal posé ou les solu-tions proposées inadaptées. Ils sont capables de mettre en forme des décisions utiles sous une forme réaliste. Ce sera ensuite aux décideurs légitimes de faire le choix de mettre en œuvre ces propositions ou de les refuser. Notre méthode a toujours consisté à privilégier les facteurs de risque majeurs et indiscutables.

Une élection présidentielle provoque un débat public dont il ne faut pas méconnaître l’importance. Ceux qui prétendent (y compris les politiques !) que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent expriment une forme de mépris pour le fonctionnement démocratique et ils savent en outre que c’est inexact. Certaines pro-messes seront reprises et utilisées comme des témoignages d’efficacité ou d’incapacité. L’intérêt d’un questionne-ment dans le domaine de la sécurité sanitaire prend un intérêt particulier à l’occasion de l’élection présidentielle pour plusieurs raisons :

- à la différence d’autres problèmes comme l’avenir de l’Europe ou la mondialisation de l’économie, nous conservons une capacité d’action nationale importante dans ce domaine,

- à la différence d’autres problèmes comme la sécurité sociale au sens large (sécurité de la prise en charge de la maladie et de la dépendance, obtention ou conservation d’un emploi, usage d’un logement) les initiatives qui peuvent être prises, ne rejoignent pas indirectement la mondialisation, car il ne s’agit pas de choix qui mettent immédiatement en question le coût de l’emploi et l’accroissement des dépenses de l’Etat.

- à la différence de problèmes de sécurité publique qui sont relativement stables dans notre pays, d’une importance modérée (moins d’un décès sur 600 est le fait d’un homicide volontaire) et peu accessible à

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12 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

des mesures ponctuelles, les actions de sécurité sani-taire produisent des résultats importants et rapides (les 3 000 tués en moins sur les routes chaque année ont été obtenus entre 2002 et 2007).

- à la différence d’engagements généraux qui ne per-mettent pas un contrôle rapide de la sincérité et des capacités du candidat élu, il est facile de définir des propositions dans le champ de la sécurité sanitaire en réponse à des questions qui :• sont précises et faciles à comprendre,•peuvent être mises en œuvre dans des délais

courts, sans échappatoire,• concernent directement la protection de notre

vie,•ont des coûts financiers faibles ou nuls.

Il s’agit donc d’une procédure qui peut devenir un critère efficace de la sincérité d’un candidat. Celui qui ne répond pas clairement à nos questions est un hypo-crite ou un sournois et c’est pour cette raison que nous commentons les réponses avec deux critères, la précision et l’adéquation à notre proposition. Nous préférons celui ou celle qui nous exprime son désaccord et refuse notre proposition à celui qui donne l’impression d’adhérer à la mesure proposée tout en exprimant sa réponse sous une forme ambiguë. Notre méthode est simple : identifier des actions pertinentes, réalisables et acceptables en pri-vilégiant la prévention des risques liés principalement à la capacité d’un monde industriel de produire en grande quantité et de promouvoir les ventes de produits poten-tiellement ou constamment dangereux.

Les propositions que nous avons portées en 2012

L’ensemble de notre démarche est accessible sur le site www.securite-sanitaire.org et la page reproduite ci-dessous présente la liste de nos propositions en forme de questions qui développent ces problématiques et dé-taillent nos arguments.

Alcool1. Encadrement strict de toute publicité pour l’alcool•Soumettrez-vous au Parlement une loi encadrant

la publicité pour l’alcool tel qu’initialement prévu dans la loi Evin en y ajoutant l’interdiction de la publicité sur l’Internet.

2. Taxation de l’alcool au gramme d’alcool pur•Découragerez-vous la consommation d’alcool dans

un objectif d’amélioration de la santé publique par une taxe spéciale calculée sur la quantité d’alcool pur mesurable dans tout type de boissons qui en contient ?

3. Modifier la nature des avertissements obligatoires concernant la consommation d’alcool

•Modifierez-vous la nature des avertissements obli-gatoires sur les produits contenant de l’alcool, de

façon à prévenir tout consommateur que « L’alcool est dangereux pour la santé » ?

Tabac4. Taxation des produits du tabac•Augmenterez-vous régulièrement les taxes sur les

cigarettes de façon à entraîner une augmentation des prix des cigarettes les moins chères d’au moins 10 % par an ?

•Alignerez-vous la taxation des autres produits du tabac sur celle des cigarettes ?

5. Création d’un « prélèvement solidaire tabac »•Taxerez-vous le chiffre d’affaires de l’industrie du

tabac ?6. Paquet neutre•Mettrez-vous en œuvre le conditionnement des ci-

garettes sous la forme d’un paquet neutre sans logo, sans signe de marque, sans texte promotionnel, de couleur unique, comportant le nom de marque imprimée avec une police standardisée et des aver-tissements sanitaires sur au moins 80 % de chaque face, à l’exclusion de toute autre mention graphique ou écrite ?

Obésité-surpoids-sédentaritéIntroduction au thème de l’obésité7. Créer un étiquetage informatif sur tous les aliments

fabriqués•Exigerez-vous de l’Union Européenne la mise en

œuvre :- d’une information nutritionnelle obligatoire sur

tous les aliments conditionnés industriellement ?- d’une réglementation simple et pédagogique

de cette information définissant un graphisme unique ?

8. Régulation de la publicité pour mieux lutter contre l’épidémie de surpoids et d’obésité

•Ferez-vous établir par votre gouvernement un pro-jet de loi visant à :- réguler la publicité par l’image aux heures de

grandes écoutes des enfants pour les produits transformés particulièrement gras, sucrés ou salés sur la base de normes établies par des nutritionnistes ;

- imposer un volume horaire minimum pour les campagnes de nutrition

9. Mise en place d’un suivi exhaustif du poids dans la population scolaire pour permettre des interventions précoces sur le surpoids des enfants

•Vous engagez-vous à faire établir par votre gouvernement :- Une obligation pour chaque établissement scolaire

d’établir un suivi de l’indice de masse corporelle de tous les élèves, avec une exploitation épidémio-logique anonymisée de ces données avec un de-

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Comment promouvoir des politiques de prévention dans le domaine de la santé publique ? 13

voir d’information des enseignants et des parents d’élèves au niveau de chaque établissement ?

- La réalisation d’actions de promotion de la santé « nutrition » au sein de l’école en lien avec les col-lectivités territoriales ;

- L’organisation de la prise en charge des enfants dépistés.

Sécurité routièreIntroduction au thème de la sécurité routière10. Réduire la vitesse maximale autorisée•Réduirez-vous de 10 km/h, la vitesse maximale

autorisée sur tous les réseaux routiers hors agglomé-ration et de 20 km/h sur les voies de moins de 5 mètres de largeur ?

11. Assurer un usage de l’électronique embarquée conforme à l’intérêt de la sécurité routière

• Interdirez-vous :- Toutes les formes de téléphonie en conduisant ?- L’usage des avertisseurs de radars en introduisant

ces interdictions dans la partie législative du code de la route ?

- Assurerez-vous avant la fin 2013 l’usage du LAVIA sous ses deux formes, permanente ou temporaire, dans le cadre d’une démarche volontaire des usa-gers, ou en tant que peine complémentaire après des récidives d’excès de vitesse ?

12. Créer une expertise de la qualité des infrastructures routières

•Ferez-vous adopter des dispositions législatives et réglementaires instaurant une expertise périodique de la totalité des infrastructures routières par des organismes indépendants des maîtres d’ouvrage et rendant obligatoire le respect des règles de l’art défi-nies dans des documents produits par les services de l’Etat (CERTU, SETRA) ?

Deux questions particulières ne relevant pas des thèmes précédents

13. Rendre possibles les actions judiciaires collectives dans le domaine de la santé

•Présenterez-vous devant le Parlement un projet de loi donnant aux victimes d’un dommage dans le do-maine de la santé la possibilité de réunir les procé-dures civiles individuelles en une action de groupe ?

14. Interdire la promotion inadaptée des médicaments• Interdirez-vous toute publicité pour les

médicaments ?• Interdirez-vous la promotion des médicaments

auprès des médecins par des personnels salariés par ceux qui les produisent ou les commercialisent ?

Comment justifier ces choix ?Une vision politique de la prévention doit être dominée

par la hiérarchisation des problèmes. Nous vivons dans un

monde où l’intérêt pour la nouveauté provoque une inver-sion des priorités. Elle est en partie liée au fonctionne-ment de médias dominés par la concurrence et l’accéléra-tion de la gestion des informations. Le souci de faire peur avec ce qui est mal connu réduit l’attention aux risques responsables de la part la plus importante de la mortalité évitable. Ce qui est familier a toujours été moins effrayant que l’inconnu. Un bureau de tabac avec ses alignements de paquets de cigarettes ne fait pas peur. La banalisation de la consommation d’alcool pose un problème encore plus difficile, car à la différence de la consommation de tabac, l’objectif n’est pas de convaincre les consommateurs d’arrêter de s’autodétruire, mais de poursuivre la réduction de leur consommation. Cette réduction a été très impor-tante depuis quarante ans et la réduction des pathologies provoquées par l’alcool est une évidence épidémiologique qui est insuffisamment valorisée.

Affirmer que « L’alcool est dangereux pour la santé » est un message sanitaire qui doit remplacer « l’abus d’al-cool est dangereux pour la santé, à consommer avec mo-dération ». Cette expression est imprécise et n’a aucune signification épidémiologique. Indiquer que le produit doit être consommé avec modération est une véritable injonction à consommer, conçue pour dévaloriser le comportement de ceux qui ne consomment pas d’alcool. Il faut associer à ce signal une modification de la publicité autorisée pour l’alcool, revenant à la formulation initiale de la loi Evin qui limitait cette publicité aux médias qui ne s’imposent pas à tous, donc aux seuls médias écrits destinés aux adultes. Il faut enfin faire évoluer la taxation de l’alcool en la fondant progressivement sur la notion de gramme d’alcool pur. Le danger de l’alcool est direc-tement lié à la quantité d’alcool consommé et non à la quantité d’eau qui l’accompagne.

Pour le tabac, il convient de reprendre la politique de forte augmentation des taxes qui a fait la preuve de son efficacité. Elle doit être associée à la création d’une taxe sur le chiffre d’affaires de l’industrie du tabac dont les bénéfices, assurés par ses victimes, sont considérables. Japan Tobacco International s’offre un nouveau siège mondial à Genève, proche de l’OMS qui tente d’orga-niser la lutte contre le tabagisme ! 25 000 m2 de bureaux, 1 100 postes de travail. Rappelons que le chiffre d’affaires de JTI a été de 11,2 milliards de dollars pour 2011. Il faut enfin continuer de modifier l’attractivité des paquets de cigarette qui font partie de l’image du produit. Les Australiens l’ont bien compris, il ne faut pas se contenter d’imposer des messages sanitaires, il faut supprimer les logos valorisants et réduire la marque à une inscription dans une police de caractères imposée.

À côté de ces deux problèmes majeurs de sécurité sa-nitaire, dont les pathologies vont en se réduisant, il faut

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14 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

placer l’ensemble des conséquences du couple obésité-sé-dentarité dont l’importance est croissante et qui domine-ront la politique de prévention des années à venir. Le dé-veloppement de l’obésité se fait sur un mode épidémique, qui exprime l’influence de facteurs nouveaux rapidement évolutifs. La sédentarité n’est pas le seul élément à retenir, mais elle est un facteur associé fréquent. La mécanisation des métiers industriels et artisanaux est une évidence, elle se combine avec le développement de métiers sédentaires dans le domaine des services. Cette réduction de l’acti-vité physique se combine à une modification profonde de l’alimentation dont nous avons méconnu l’importance. Son industrialisation est un facteur de risque majeur, elle développe des produits qui ne correspondent plus aux besoins des consommateurs, mais à la nécessité de développer les ventes (bel emballage, trop de sel, trop de sucre, trop de gras, trop de calories !). L’UE vient seule-ment d’accéder à la demande ancienne d’un étiquetage informatif de qualité des aliments industrialisés, incluant des indications lisibles sur la valeur sanitaire des produits. L’application complète de cette réglementation n’inter-viendra qu’en 2016, ce qui ne correspond pas à l’urgence et à la gravité de la situation. Il faut enfin agir sur la pro-motion publicitaire de cette alimentation artificielle dont les critères fondés sur l’apparence ne correspondent pas à la nécessité de revenir à une simplicité compréhensible par les consommateurs.

À côté du contrôle de la publicité et de l’obligation d’un étiquetage informatif adapté, il faut s’occuper du surpoids et de l’obésité au niveau des établissements sco-laires avec des méthodes complémentaires du dépistage individuel. Il faut instaurer une analyse statistique simple au niveau de l’établissement lui-même, en identifiant les facteurs qui peuvent créer une situation favorable à la prise de poids et en organisant leur maîtrise. La prise en compte de la qualité des équipements sportifs, celle des cantines, l’effectivité du dépistage et de l’orientation précoce des élèves en surpoids, l’organisation d’une rela-tion avec les parents sur les problèmes de nutrition et le développement de formations adaptées seront les clés du succès. Il n’y aura pas de décision miraculeuse dans ce do-maine, le succès ne sera assuré que par un travail de ter-rain organisé, soutenu matériellement et financièrement.

La lutte contre l’insécurité routière est un domaine qui fait partie à nos yeux de la sécurité sanitaire. La ré-duction des accidents de la route entamée en 1972/1973 a été très importante. Elle a divisé par quatre le nombre de tués, mais également le nombre de handicaps graves. Malgré ces progrès, l’accident de la route demeure la pre-mière cause de mortalité des jeunes adultes. L’évaluation de son importance doit tenir compte de l’âge moyen de

ces victimes qui est de quarante ans. Le nombre d’années de vie perdues du fait d’un accident est très supérieur à celui produit par des affections chroniques provoquées par les autres facteurs de décès évitables.

Les actions efficaces dans ce domaine sont multiples. Les unes sont régulières et relativement indépendantes des politiques nationales, il s’agit de la poursuite de l’amélioration de la sécurité secondaire des véhicules et des actions sur l’infrastructure routière. Les autres expri-ment à la fois le volontarisme politique et la pertinence des choix effectués par les décideurs. Les deux ruptures dans l’évolution de l’accidentalité en 1973 et en 2002 ont prouvé l’efficacité de décisions simples et appliquées avec détermination. Nous avons proposé la réduction de 10 km/h de la vitesse maximale autorisée hors agglomé-ration, cette mesure n’a pas été retenue par les deux can-didats du second tour de l’élection. Son intérêt dépassait le champ de la sécurité routière, prenant en compte la nécessité de réduire la consommation de combustibles fossiles, les émissions de dioxyde de carbone et le déficit de notre balance des paiements.

À nos propositions concernant ces quatre grands facteurs de risque nous avons ajouté deux propositions concernant d’une part la possibilité de conduire des ac-tions collectives devant les juridictions civiles et d’autre part la transformation radicale de la promotion des mé-dicaments par les visiteurs médicaux et par la publicité, qu’elle soit limitée aux médecins pour les produits rem-boursés, ou qu’elle soit destinée au grand public. Les mé-decins n’ont pas à être formés par les publicitaires dans un pays qui a une des consommations de médicaments les plus élevées au monde et le public n’a pas à être condi-tionné à des intérêts commerciaux dans le domaine de la santé.

Quelle légitimité et quel avenir pour ce type d’action ?

Ceux qui nous disent que nous n’avons aucune légi-timité pour conduire de telles actions n’ont rien compris aux mécanismes décisionnels dans une société industrielle dominée par les facteurs économiques et financiers. Nous ne sommes pas des décideurs, nous faisons entrer des pro-blèmes dans le débat public en proposant des solutions. Ce sont les politiques et l’administration qui ont la légi-timité pour décider. La prise de décision n’est pas un acte automatique, l’émergence d’une problématique, la des-cription des intérêts particuliers en jeu, les propositions permettant de faire évoluer la situation sont des processus complexes. Ceux qui ont une connaissance de ces situa-tions ont un devoir de description et de proposition.

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Comment promouvoir des politiques de prévention dans le domaine de la santé publique ? 15

J’ai tenté de résumer les points importants de cette démarche :

- agir publiquement, rendre accessible nos argu-ments. L’expert qui travaille en tête à tête avec le décideur n’a plus sa place dans le monde actuel, le débat public s’impose, ses avantages priment sur ses inconvénients,

- distinguer l’analyse des connaissances de l’analyse des décisions, la première est conduite indépen-damment des décideurs légitimes, la seconde en coordination avec eux, les uns et les autres agissant librement,

- assurer une hiérarchie des priorités et privilégier les facteurs de risque jouant un rôle majeur et bien do-cumenté dans la mort évitable,

- proposer des décisions efficaces, acceptables, ration-nelles et que l’on peut mettre en œuvre,

- formuler des propositions sous une forme qui pré-vient les réponses sans consistance en mettant faci-lement en évidence le refus de les accepter.

Quel bilan pour notre campagne 2012 ?J’ai tenté de définir dans ce texte notre champ d’ac-

tion. Nous n’avons ni les moyens ni l’ambition de couvrir tous les aspects de la prévention. Nous nous sommes spé-cialisés dans l’obtention de décisions politiques et admi-nistratives qui ont pour principal objectif de lutter contre les nuisances évitables. Il ne s’agit pas de vouloir faire le bonheur des gens malgré eux, cette conception de la pré-vention est dépassée depuis un siècle. Notre objectif est de limiter les effets dévastateurs d’intérêts économiques qui exploitent toutes les méthodes de conditionnement humain et de promotion de leurs produits pour vendre plus, sans tenir compte des désastres humains produits.

Vous pouvez lire sur le site www.securite-sanitaire.org l’intégralité des réponses des candidats à nos questions. Plusieurs mesures importantes sont nettement soutenues par François Hollande :

- la création d’une taxe sur le chiffre d’affaires de l’in-dustrie du tabac,

- la remise en chantier de la législation sur la publicité pour l’alcool,

- la mise en œuvre d’un étiquetage précis des aliments conditionnés industriellement,

- l’expertise des infrastructures routières par des organismes indépendants des responsables de ces infrastructures

- la création de recours judiciaires collectifs.

D’autres sont soutenues avec des réserves et ce sera aux acteurs sociaux de conduire les nouveaux respon-sables à préciser leurs positions et à mettre en œuvre des décisions. Il s’agit notamment :

- des modifications de l’aspect des paquets de cigarettes,

- des études visant à identifier au niveau des établisse-ments scolaires les facteurs favorisant le surpoids et l’obésité,

- du bon usage de l’électronique embarqué dans les véhicules (développement des usages protecteurs, prohibition des dispositifs producteurs de risques ou destinés à rendre inefficaces les contrôles),

- du meilleur contrôle de la promotion des médicaments.

Nous avons poursuivi nos tentatives de faire évoluer concrètement des situations dont les enjeux dépassent cent mille morts évitables par an. À la société et aux déci-deurs de prendre à leur compte ces propositions.

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16 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Quelques rappels historiquesLa prostitution a évolué en France au cours de l’His-

toire et, comme celle d’autres pays d’Europe, elle a connu des périodes de tolérance et de répression. Ainsi, par exemple, au Moyen Âge, ce sont les autorités (les muni-cipalités, les seigneurs, les ecclésiastiques ou les rois) qui organisent ou encadrent la prostitution.

L’application du Code Napoléon, qui a cours lors de la première moitié du XIXe siècle, considère la prostitu-tion comme un mal nécessaire qui assure la tranquillité publique. Mais la révolution industrielle et l’exode rural entraînent une surpopulation dans les villes qui ne dis-posent pas de réseaux sanitaires adéquats. Vers le milieu du XIXe siècle, les maladies vénériennes, en particulier la syphilis, font partout des ravages. La prostitution devient un problème « sanitaire », un système fermé qui a ses lieux : la maison de tolérance, l’hôpital, la prison…

Puis la maison close en devient le paradigme. On y rentre suite à son inscription sur le fichier de la police des mœurs. La lutte politique contre la traite des femmes aboutit à des accords internationaux (accords sur la « traite des blanches » de 1904, 1910, 1921, 1933) et à des prises de position de la Société des Nations. La France, pays d’ori-gine du réglementarisme, adopte en 1946, la loi « Marthe Richard », du nom de la conseillère municipale de Paris qui en fut l’inspiratrice. Elle interdit les maisons closes et, par extension, s’attaque à certaines formes de proxé-nétisme. Cependant, cette loi ne s’applique pas aux colo-nies, ce qui explique qu’il a fallu attendre 1960, pour que la France se rallie aux thèses abolitionnistes en ratifiant la Convention de l’ONU de 1949 « pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitu-tion d’autrui ». La sexualité est alors redéfinie juridique-ment et les personnes prostituées sont considérées comme des victimes souffrant de handicaps socioculturels.

Les états sont souverains concernant leur politique en matière de prostitution et pourtant, notre pays, délègue en grande partie ses responsabilités aux associations pour aider ces femmes et ces hommes à sortir du système pros-titutionnel. C’est notamment le Mouvement du Nid qui fait un énorme travail sur cette question et contribue à faire évoluer les politiques publiques françaises en ma-tière de prostitution.

Ce qui domine, en réalité, c’est le manque de moyens et de volonté politique pour que l’abolition du système prostitueur soit effective.

À l’heure où des moyens considérables devraient être déployés pour démanteler ce système prostitutionnel, le débat glisse petit à petit vers une réglementation de la prostitution et la mise en place de services sexuels pour les handicapés.

Ce désengagement des pouvoirs publics, ces silences, les non dits, la chape de plomb qui entoure le système prostitutionnel contribuent à nourrir l’inconscient col-lectif et sexiste : ces femmes sont considérées comme le réceptacle des besoins sexuels de ces messieurs qui achètent des services sexuels.

On justifie la prostitution comme étant un remède à la misère sexuelle d’une certaine catégorie d’hommes et on s’appuie sur son pseudo-statut de « plus vieux métier du monde ». Ce serait un « mal nécessaire », un « rempart contre le viol ». « Le Nevada, état américain qui a légalisé la prostitution, affiche le taux le plus élevé de viols de tous les états-Unis »(1).

Le plus vieux métier du monde ?La prostitution, violence institutionnalisée et occul-

tée, est infligée à des femmes en majorité. Pourtant, il est de bon ton aujourd’hui, au XXIe siècle, de continuer à la tolérer pire à la justifier. Sous prétexte de faire preuve d’un esprit ouvert, de tolérance, on voit fleurir le vocable de travailleurs du sexe, pour parler des personnes qui se prostituent. Les mots ne sont pas neutres. Considérer la prostitution comme un métier, et même le plus vieux métier du monde, est lourd de conséquences. « Les hommes se sont octroyé le droit d’abuser du corps des femmes tout au long de l’histoire. Droit de cuissage, viol, inceste, prostitution, harcèlement sexuel sont autant de pratiques de domination des femmes qui, passant par le rapport sexuel, confèrent à la sexualité patriarcale sa dimension spécifique de violence. Cette sexualité reste le modèle dominant de notre culture. »(2).

1 Publication du Mouvement du Nid- France : La prostitution une violence sans nom (novembre 2010)

2 Nadine Plateau : Chronique féministe N°51 (janvier/février 1994)

La prostitution : une violence occultée

Par Mme Laurence Cohen, responsable nationale du Pcf, conseillère régionale IDFet sénatrice du Val-de- Marne & Mme Elisabeth Ackermann, membres de la commission

« Droits des femmes/féminisme »

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La prostitution : une violence occultée 17

Qui dit prostitution dit rapports de domination, relations inégalitaires (Nord/Sud ; Hommes/Femmes) et machisme. Cela commence par considérer les personnes comme des êtres de seconde zone, des objets de consom-mation, nourrissant une industrie permettant libre cours aux exigences des clients. Ce n’est pas un métier mais une organisation criminelle avec des filières clandestines dont la loi est le règne de la violence, de l’intimidation, des contraintes physiques et morales : violence des mafieux, des proxénètes, des dealers, avec son corollaire, la mar-ginalisation des personnes qu’on prostitue et non qui se prostituent, ce qui donnerait à croire qu’il y a un choix ! C’est une véritable industrie qui génère énormément d’argent, des profits considérables.

Plus la crise s’aggrave, plus la prostitution prospère. On parle de liberté de chacun et chacune de pouvoir dis-poser de son corps, pour justifier la prostitution. Mais c’est faire totalement abstraction de la réalité du monde dans lequel on vit. Deux systèmes d’exploitation se conju-guent pour mieux annihiler les individus, le système capi-taliste et le patriarcat. La prostitution, c’est ne plus don-ner de limite à la marchandisation : le corps devient une marchandise comme une autre. C’est la même logique qui prévaut pour justifier la vente d’organes. Comment parler de liberté dans ces cas-là ?

État des lieux de la prostitution en France, en Europe et dans le Monde :

Même si évidemment les chiffres sont à manier avec précaution, les estimations publiées dans le 1er rapport mondial sur l’exploitation sexuelle (janvier 2012) font état de : 40 à 42 millions de personnes prostituées dans le monde, 18 000 à 20 000 en France, 1 à 2 millions en Europe Occidentale. 85 % des prostituées sont des femmes ou des fillettes, dont les trois quarts ont entre 13 et 25 ans ; 9 sur 10 de ces jeunes femmes dépendent d’un proxénète. En France, la prostitution est exercée à plus de 80 % par des personnes étrangères alors qu’au début des années 1990, elles n’étaient que de 20 %. Une trentaine de réseaux criminels sont démantelés chaque année dans notre pays.

La prostitution, un danger pour la santé des femmes en Europe

Rédigé en 2008, le projet de rapport européen sur la prostitution et ses effets sur la santé des femmes est pour la première fois, nettement abolitionniste.

Le projet de rapport sur la prostitution et ses effets sur la santé des femmes dans les états membres, ré-digé en mars 2008 par la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres et sa rapporteure, la Suédoise Maria Carlshamre, surprend par sa forte dé-nonciation des réalités de la prostitution. Le cadre ha-

bituel de la traite est ici largement dépassé comparati-vement au rapport de Marianne Eriksson sur les consé-quences de l’industrie du sexe dans l’Union européenne (avril 2004). Un rapport qui fut à l’origine de batailles menées par les « pro-prostitution » avec une telle in-tensité qu’il n’a jamais pu être mis au vote, restant en sommeil à la Commission des droits de la femme. Pendant ce temps, d’autres instances européennes, et no-tamment le Conseil de l’Europe, produisaient un travail intensif pour tenter de faire reconnaître la prostitution volontaire comme un travail qu’il convient de légaliser. Le rapport de mars 2008 ouvre une nouvelle phase de la prostitution, Il est là pour faire pression sur la com-mission européenne afin de déboucher sur une directive européenne concernant la santé des prostituées.

Bien que ce sujet relève de la souveraineté de chaque état, le débat s’ouvre sur la nécessité ou pas de prendre une directive européenne sur les questions de santé de ces prostitués, le plus souvent des femmes. Des médecins, exerçant dans les centres de santé, confirment que c’est souvent le seul lieu d’expression et d’échange leur permet-tant de faire état de la réalité de leur situation. Une direc-tive à l’échelle de l’Europe concernant la santé, constitue la seule porte d’entrée possible dans le champ des préoc-cupations communautaires, santé prise ici au vrai sens du terme, celui de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) : un état de bien-être physique, social et mental, et pas seulement une absence de maladie. La Commission européenne pourrait se saisir de ce texte pour élaborer des propositions quant à la protection des personnes qui se prostituent. Mais les « pro-prostitution », très actifs, tentent d’imposer dans le texte les termes de « travail » et « travailleurs-euses du sexe ». Il s’agit de contrer les abo-litionnistes qui, de leurs côtés, ont lutté âprement pour placer le texte sous l’autorité de la Convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui. Ce texte fonda-teur est aujourd’hui systématiquement passé sous silence dans les instances internationales favorables à une gestion « libérale » de ce qui serait le « travail du sexe ».

La pression des lobbies réglementaristes empêche qu’aujourd’hui ce rapport soit débattu par le Parlement Européen et qu’une directive concernant la santé des prostituées soit adoptée. Et pourtant ce rapport, recon-naît que les prostituées sont beaucoup plus exposées à la violence que les autres femmes. Il fait observer qu’indé-pendamment du fait que l’industrie du sexe soit légali-sée, réglementée ou criminalisée dans un état membre, il s’agit d’un secteur en expansion qui met la santé des prostituées en danger.

Le projet de rapport pose clairement le problème de la législation qui s’applique à la prostitution dans les états

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18 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

européens, sous l’angle des « conséquences dévastatrices pour la santé » de l’activité prostitutionnelle. Il touche également à la question de la demande des « clients » prostitueurs, en soulignant le risque d’un afflux des vic-times de la traite, « conséquence directe de la légalisation de la demande ». Il exige « que soient réalisées des enquêtes et des études sur les risques pour la santé occasionnés par la pratique de la prostitution ; sur les niveaux de drogue ou d’alcool consommés ; sur la proportion de personnes prosti-tuées contaminées par le VIH/sida ; sur la manière dont la pornographie contribue au développement de l’industrie du sexe et que soit examinées les modalités du recours à la pros-titution (dont l’influence des violences éventuellement vécues en amont) »

Deux conceptions s’affrontent : réglementariste et abolitionniste

Deux courants s’affrontent aujourd’hui, ceux et celles qui plaident pour réglementer le « travail sexuel » et les autres qui veulent « l’abolir ». La France n’a pas toujours été abolitionniste, au XIXe siècle elle était réglementa-riste. L’action des mouvements comme le « Nid », la fondation Scelles, ou celui des féministes ont conduit la France à se positionner en tant qu’abolitionniste. La position réglementariste du XIXe siècle a fait des prosti-tuées une classe à part, stigmatisée et enfermée tout en reconnaissant le client et les proxénètes. Un système qui a, en quelque sorte, institutionnalisé la prostitution. Or, nous pouvons vérifier que dans de nombreux pays ayant une politique réglementariste, le commerce du sexe ne fait que progresser.

• L’approche réglementariste voit la prostitu-tion comme une activité professionnelle normale Il suffit de la réglementer et de la réguler comme toutes les autres, et de l’encadrer en protégeant les droits des travailleurs et en prévenant les abus des employeurs. Les prostitué(e)s sont considéré(e)s comme des travailleurs du sexe. La réglementation s’est souvent faite par le biais de lois et de registres de prostituées. Aujourd’hui, les résultats les plus aboutis de la logique réglementariste se trouvent dans les législations des Pays-Bas et de l’Allemagne qui, rappelons-le, avait fait appel à la prostitution lors de la coupe du monde de foot. Dans ces deux pays toutes les entreprises de quinze employés et plus, y compris les bordels, doivent obligatoire-ment « avoir à l’emploi » des apprentis, sous peine de pénalités financières. D’autres pays comme La Turquie, la Tunisie, la Suisse, la Hongrie, La Grèce et l’Autriche ont également légalisé la prostitution.

• Pour les abolitionnistes, la prostitution est une forme d’exploitation et une atteinte à la dignité humaine qui doit être abolie. Les per-

sonnes prostituées sont des victimes non-punis-sables et les proxénètes des criminels. Les clients peuvent être sanctionnés au titre de corrupteurs. En Suède, en Norvège, en Islande, les clients sont punis par la loi mais pas les prostituées. Les pays prohibitionnistes sont l’égypte, le Maroc, Les Comores, Belize, les états-Unis (sauf dans dix com-tés du Nevada, où elle est réglementée), l’Arabie Saoudite, la Birmanie, la Corée du Sud, les émirats arabes unis, l’Iran, le Laos, la Mongolie, le Népal, les Philippines, la République populaire de Chine, le Sri Lanka, le Viêt Nam, le Yémen.

Un monde sans exploitation sexuelle exige une ac-tion politique déterminée

Le Parti communiste français s’est positionné pour l’abolition de la prostitution depuis de nombreuses années. Pour nous, la prostitution est l’expression de la domination patriarcale la plus forte. Nous ne pou-vons pas accepter que le corps soit une marchandise, nous sommes pour le respect de l’être humain dans sa plénitude. Notre combat en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, constitue l’un des éléments de combat contre la prostitution. Notre conception pour un monde sans exploitation sexuelle passe par notre com-bat pour un projet émancipateur de la société. Ainsi en 2002, nous organisions avec les associations un colloque intitulé : « Agir ensemble contre la traite des personnes et la prostitution » dont les actes ont été publiés sous forme de brochure. Marie George Buffet déposait alors une loi qui comportait plusieurs volets : sensibilisation des clients, éducation, prévention, mesures en direction des personnes prostituées, afin de les accompagner et leur permettre de sortir du système prostitueur.

L’esprit de cette loi•Elle propose, pour soutenir et aider les victimes, de

permettre aux associations compétentes de déclen-cher l’action judiciaire dans les procès mettant en cause des affaires de proxénétisme en leur donnant le droit de se constituer partie civile.

•Afin d’aller plus loin dans la protection et la réin-sertion des victimes, elle stipule que des Services de prévention et de réinsertion sociale soient créés sur l’ensemble du territoire comme le prévoit déjà une ordonnance de 1960 et qu’il y ait une réelle prise en compte du besoin de centres d’hébergement sécurisé.

•La majorité des prostituées étant originaire des Pays de l’Est et d’Afrique, pour la plupart sans papier, ce qui représente une forme de chantage, il convient de régulariser ces femmes afin qu’elles obtiennent des papiers et qu’elles puissent ainsi avoir la liberté de sortir de la prostitution.

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La prostitution : une violence occultée 19

• Il s’agit de créer également un fond d’action pour lutter contre la prostitution et le proxénétisme.

• Il faut prendre des mesures en direction de ceux qui profitent de la prostitution : les trafiquants, les proxénètes. Il existe en France de nombreuses dis-positions législatives permettant de lutter contre le proxénétisme, mais par manque de volonté poli-tique, les lacunes dans la mise en œuvre de ce dispo-sitif n’ont pas permis des résultats tangibles : absence de moyens humains et financiers, impunité totale pour le proxénétisme caché, absence de lien avec le blanchiment d’argent, manque de coopération européenne et internationale pour combattre « la traite des femmes ». Nous exigeons que le dispositif soit complété en y ajoutant la confiscation de tous les biens « quelle qu’en soit la nature » du proxénète et l’extension de la saisie conservatoire des biens aux personnes mises en examen pour proxénétisme.

•Nous plaidons en faveur d’une « Journée Nationale de prévention, de dissuasion de la prostitution et de lutte contre le proxénétisme ».

•Cette lutte doit d’être reconnue comme cause na-tionale permettant, notamment, à titre gracieux une très large diffusion d’affiches et d’information par les associations et les collectivités locales.

•D’autre part, dans le cadre de l’éducation sexuelle, l’éducation nationale pourrait jouer un rôle de pré-vention, d’information sur la prostitution comme violence à l’égard des femmes, avec mise en exergue de la nécessité de respecter chaque être humain.

Malheureusement, cette proposition de loi n’a jamais été débattue à l’Assemblée nationale.

Depuis 2002, en raison de la montée de la pauvreté et la précarité, du vote de la loi sur la sécurité intérieure, dite loi Sarkozy, la situation s’est encore dégradée, ce qui nous conduit à formuler de nouvelles propositions telles que l’abolition des condamnations des prostituées pour délit de racolage, l’exigence de pénalisation des clients et enfin de multiplier les moyens pour aider ces personnes à se réinsérer.

Une étape vers l’abolitionLes associations féministes et abolitionnistes ont

permis par leur engagement de faire bouger les choses et de franchir de nouvelles étapes. La prostitution n’est plus considérée comme un problème individuel mais comme une question sociale et politique. Ainsi, à l’ini-tiative du Mouvement du Nid, de l’amicale du Nid et de la Fondation Scelles une convention « Abolition 2012 » s’est tenue en novembre dernier. Un appel regroupant plus de 45 associations, des personnalités politiques, in-tellectuelles circulent pour libérer la société du système prostitueur.

Suites à ces diverses actions, l’Assemblée nationale a adopté le 6 décembre dernier, à l’unanimité, une résolu-tion qui réaffirme la position abolitionniste de la France en matière de prostitution, se réservant le soin de légifé-rer dans les mois à venir pour arriver à l’objectif « d’une société sans prostitution ».

Présenté par la députée PS Danielle Bousquet, qui a pré-sidé la mission d’information parlementaire sur le sujet, le député UMP Guy Geoffroy, rapporteur, et tous les pré-sidents de groupe, ce texte vise à garantir l’interdiction du commerce des corps en France. Autrement dit il réaffirme que la France est abolitionniste sans que soient prises des mesures concrètes comme celles énoncées dans notre pro-position de loi de 2002, toujours lettre morte à ce jour. Mais nous disposons aujourd’hui de points d’appui qui devraient nous aider à aller plus loin.

ConclusionLutter pour l’abolition de la prostitution est une ques-

tion éminemment politique. C’est un combat mixte en faveur du respect et de l’universalité des droits humains qui regroupe de nombreux progressistes et la majorité des féministes.

Aussi, laisser faire les quelques associations ou person-nalités individuelles qui tendent à accréditer l’idée que ce pourrait être un métier comme un autre, entrant dans le code du travail, est inacceptable. Il ne s’agit pas de morale mais de prise en compte de la réalité de l’univers prosti-tutionnel : un monde de violences, de crime organisé…

Justifier la prostitution comme la liberté de prendre du plaisir comme on veut et de la façon que l’on choisit, c’est faire fi des mécanismes d’exploitation et d’aliéna-tion des systèmes capitaliste et patriarcal. C’est refuser de voir qu’on est en présence de la traite d’êtres humains plus fragiles (économiquement, socialement, psycho-logiquement). C’est fermer les yeux sur l’industrie por-nographique, sur la prostitution d’enfants. C’est faire reculer l’égalité entre les femmes et les hommes pour des décennies.

Il faut donc mener un combat sans concession contre les réseaux criminels, les prostitueurs, le blanchiment de l’argent… Il faut faire en sorte qu’une loi abolitionniste avec les moyens pour l’appliquer soit votée au plus tôt. Et dans le même temps, il faut avoir une politique de pré-vention des risques avec des espaces d’accueil, de dépis-tage et de soins permettant aux personnes prostituées de ne pas être seules face à leur situation (recréer du lien).

Mais libérer les sociétés de ce fléau passe par une poli-tique en rupture totale avec les choix ultra- libéraux aussi bien dans le domaine de l’emploi que du logement ou

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encore de la santé et de l’éducation nationale. C’est le sens du combat que mènent les communistes avec les dif-férentes composantes du Front de Gauche et de plus en plus de femmes et d’hommes qui aspirent à une société

d’égalité et de justice sociale, une société solidaire, fémi-niste, débarrassée de toutes les dominations sexistes et les aliénations de classes.

Annexe : Tribune parue dans le journal « l’Humanité » en décembre dernier signée par Martine Billard (députée), Marie George Buffet (députée), Laurence Cohen (sénatrice), Brigitte Gonthier-Maurin (sénatrice) :

La prostitution n’est pas un métier mais une entreprise criminelle !

Le débat sur la prostitution déchaîne les passions et notamment la question afférente à la pénalisation des clients prostitueurs. Une nouvelle étape dans la mobi-lisation contre le système prostitutionnel a été franchie le 29 novembre dernier, où de nombreuses associations féministes et abolitionnistes se sont réunies à l’Assem-blée nationale pour discuter, soutenir et relayer l’appel « Abolition 2012 ». Dans cette société ultralibérale, où tout est marchandise, où tout peut être source de pro-fits, être abolitionniste, c’est refuser que le corps soit une marchandise. Il faut cesser cette hypocrisie qui sanc-tionne les personnes qui se prostituent au lieu de lutter contre le proxénétisme et le blanchissement de l’argent.

Être abolitionniste, c’est refuser cette société ultrali-bérale et patriarcale qui banalise la prostitution refusant de l’assimiler à une violence exercée à l’encontre de per-sonnes, majoritairement des femmes.

De quoi parle-t-on quand un rapport entre indivi-dus est tarifé, quand le plaisir de l’un repose sur la doci-lité de l’autre, quand l’un commande et l’autre exécute, quand les fantasmes de celui qui paye dictent les règles ? La prostitution est banalisée, des émissions de télévi-sion montrent un nouveau visage de la prostitution, qui repose sur un choix « librement » consenti permettant de très bien gagner sa vie ! Au fond, ce serait un métier comme un autre et qui plus est « le plus vieux métier » du monde. Celles et ceux qui défendent ce système le feraient au nom du respect des libertés individuelles, de combat contre un ordre moral archaïque, oppresseur. Mais refuser qu’un rapport sexuel puisse être imposé par l’argent est au contraire une exigence d’égalité qui per-met l’expression d’une sexualité libre.

Comment parler de liberté de choix dans une société où la précarité, la violence, les guerres parfois, jettent des femmes (mais aussi des hommes et des enfants) à la rue, les livrent à l’emprise de réseaux mafieux qui considèrent le marché sexuel comme un marché juteux, où le respect de l’autre n’existe pas ? Dans un monde profondément en crise, la prostitution prospère et touche des catégories de plus en plus larges, comme le monde estudiantin.

De cette société-là, on n’en veut pas !Nous partageons le combat de nombreuses associa-

tions de terrain qui affirment que « toute prostitution est une défaite pour les femmes, pour les hommes et le

vivre ensemble ». Nous, nous parlons d’une société de liberté, d’égalité, d’émancipation humaine. C’est pour-quoi, nous dénonçons toute idée de réglementarisme de la prostitution, qui ne peut en aucun cas être considérée comme un métier. Nous rejetons la possibilité de légifé-rer sur la mise en œuvre de règles de travail, mais nous militons pour l’accompagnement des personnes qui se prostituent, afin qu’elles puissent sortir du système prostitueur.

Des services de prévention et de réinsertion sociale doivent réellement exister sur l’ensemble du territoire comme le prévoit une ordonnance de 1960, en dévelop-pant une politique ambitieuse d’éducation à la sexua-lité et de prévention de la prostitution avec la création d un fond d’action de luttes permettant des campagnes de sensibilisation. De nombreuses dispositions législa-tives existent sur le papier contre le proxénétisme, mais elles ne sont pas appliquées faute de volonté politique, il s’agit de développer au contraire une véritable coo-pération européenne et internationale pour combattre cette traite des êtres humains, esclavagisme des temps modernes.

En France, nous militons non seulement pour l’abrogation du délit de racolage mais également pour la pénalisation du client. C’est très important, car tarir la demande, c’est avancer sur le chemin de l’abolition. C’est inverser la logique qui consiste à faire porter, sur les victimes, la responsabilité de la violence qui s’exerce à leur encontre. En Suède, qui a pris cette mesure de-puis 1999, la prostitution de rue a reculé de 50 %. De récentes études montrent que le client de la prostitution, c’est « monsieur tout le monde », lui-même victime d’un formatage social où la masculinité, voire la virilité, passe par la domination. Que la société dise au client que le corps n’est pas une marchandise doit permettre à ce client de se responsabiliser, voire à envisager son rap-port aux autres d’une façon différente et certainement plus libératrice aussi pour lui.

Pénaliser le client serait donc un acte fondateur d’une nouvelle liberté, pour les femmes et les hommes en aidant à libérer les uns comme les autres du système prostitutionnel, afin d’avancer sur le chemin d’une so-ciété d’émancipation humaine. Ensemble nous pouvons agir contre ce fléau et construire un monde sans exploi-tation sexuelle.

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Le diagnostic prénatal : eugénisme et progrès humain

Au-delà de ses prodigieuses capacités créatrices et destructives, l’humanité a sans doute toujours perçu son extrême fragilité originelle. Mortalités périnatale et infanto-juvénile, associées aux diverses pathologies mal-formatives (« monstruosités »), aux déficits neurosenso-riels, mentaux et adaptatifs, nous plongeaient dans un univers mystérieux et inquiétant repoussant un salutaire bonheur hors de la vie terrestre. Et cependant, le désir de vivre, ici et maintenant, n’en était pas moins puissant qu’aujourd’hui, incitant chacun à tenter d’échapper au malheur. Organisées de mille manières, les communau-tés humaines, ont élaboré des stratégies mêlant entraide et coercition afin d’assurer leur survie, de dépasser leur finitude individuelle et de rendre possible, grâce à leur capacité à produire des biens toujours nouveaux, la pos-sibilité de bien vivre.

L’aire culturelle à laquelle nous appartenons, le grand bassin méditerranéen, liée depuis des millénaires aux sociétés du Nord de l’Europe, mais également aux diverses et parfois très lointaines sociétés africaines et asiatiques, s’est ainsi forgé une conception du monde et des relations humaines au cours de la période de l’huma-nité, le Néolithique, durant laquelle s’inventaient l’éle-vage, la culture et le stockage des plantes vivrières. Cette conception dominante cohabitait dans des conditions conflictuelles avec des organisations sociales s’opposant à ces fondements conceptuels. Les nécessités du vivre ensemble, vont porter les idées du bien vivre, qui créent elles-mêmes celles de justice et de dignité humaine.

Ainsi d’Akhenaton au monothéisme d’Abraham et de Moïse, du polythéisme gréco-latin au Christianisme issu du Judaïsme, de Platon à Maïmonide, d’Avicenne à Thomas d’Acquin, d’Aristote à Pic de la Mirandole, Rabelais et Montaigne, de la Renaissance aux Lumières et au Positivisme, dans l’extrême diversité des pensées et des individus qui les expriment, malgré les contradic-tions religieuses et morales qui la traversent, il s’agit bien de la culture fondatrice de ce qu’il est convenu d’appe-ler la civilisation occidentale, dont l’universalité procla-mée s’est traduite historiquement par un hégémonisme revendiqué.

Or cet ensemble culturel, malgré ses déclarations suc-cessives, va, par-delà son propre regard sur le progrès hu-main, d’exterminations en génocides, aboutir aussi tragi-quement à Auschwitz et Hiroshima que dans les goulags

sibériens. L’eugénisme n’est donc pas une excroissance monstrueuse, mystérieusement apparue sur un corps sain qui l’aurait définitivement éradiquée, il est comme le racisme, le fruit amer, le poison tragique inéluctable-ment produit par la conception hiérarchique et norma-tive dominante, prétendument progressiste de la culture méditerranéenne.

Mais dit-on, Démocratie, Humanisme, Droits de l’Homme, foisonnement culturel, artistique, créativité scientifique, n’en seraient-ils pas les contrepoisons, les fondements de « l’espérance », les tremplins d’un bou-leversement de rapports humains fondés à l’avenir sur l’infini respect du à celui que l’on considère aujourd’hui encore comme le plus « petit », le moins « apte », le moins « brillant » ?

Peut-être, si l’on en croit Patrick TORT et sa lecture de Charles DARWIN : l’humanité n’existerait que par l’inversion (l’effet réversif ) de la sélection naturelle, c’est-à-dire l’attention au plus faible (Pour DARWIN. P.U.F. 1997), un besoin irrésistible de l’autre, ce désir de ce qui nous manque et nous pousse à le découvrir, comme l’af-firme Sigmund Freud.

Plus radicale encore est la révision, par Stephen JAY-GOULD, du cadre conceptuel de l’évolution des espèces et de leur adaptation qui constitue un hymne à la diver-sité du vivant et non à la loi du plus fort.

Nous serions ainsi, aptes à nous réconcilier avec nous-mêmes, si nous nous en tenions aux belles propositions du texte de Claude LEVI-STRAUSS intitulé « Race et Histoire », et publié en 1952 par l’UNESCO : « C’est le fait de la diversité qui doit être sauvé, non le contenu historique que chaque époque lui a donné et qu’aucune ne saurait perpétuer au-delà d’elle-même. Il faut écouter le blé qui lève, encourager les potentialités secrètes, éveiller toutes les vocations à vivre ensemble que l’histoire tient en réserve. Il faut aussi être prêt à envisager sans surprise, sans répu-gnance et sans révolte ce que toutes les nouvelles formes so-ciales d’expression ne pourront manquer d’offrir d’inusité… La diversité des cultures humaines est derrière nous, autour de nous, devant nous. La seule exigence que nous puissions faire valoir à son endroit (créatrice pour chaque individu des devoirs correspondants) est qu’elle se réalise sous des formes dont chacune soit une contribution à la plus grande généro-sité des autres ».

Le diagnostic prénatal : eugénisme et progrès humain

Par le Dr Paul Cesbron

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Pourtant, Auschwitz, Hiroshima n’ont pas empê-ché la poursuite du colonialisme, la plus avilissante des conquêtes de la civilisation occidentale. Les « leçons » du nazisme, loin d’entraîner les sursauts éthiques que l’on aurait pu espérer, ont tragiquement « appris » à l’armée française, c’est-à-dire à la société française, tout l’intérêt de la systématisation de la torture partout dans ses « pos-sessions coloniales »…

La liste des crimes contre l’humanité est longue, très longue à dresser et les défenseurs des droits de l’homme, enfants de notre belle et grande civilisation méditerra-néenne, ont tous, à un moment ou à un autre de leur histoire, fermé les yeux, quand ça n’est pas encouragé ces pratiques criminelles.

Ce triste préambule n’a simplement pour but que de rappeler les limites de nos assises culturelles. Notre mode de pensée, dominant, n’est pas nécessairement le mieux fondé à répondre aux questions que nous nous posons. La vieille culture méditerranéenne plonge en effet ses racines dans une histoire fortement marquée par la domination de classe et de sexe.

La reconnaissance de la différence comme fondatrice du progrès n’est en effet guère compatible avec la com-pétition qui caractérise l’émulation républicaine dont la forme, appelée curieusement « libérale », s’accorde fort bien avec la raison du plus fort.

D’ailleurs nos débats sur l’embryon, l’avortement volontaire, l’eugénisme… ne constituent-ils pas de bons révélateurs d’une véritable « crise de civilisation », un défi à celle-ci et le constat d’une possible impasse culturelle ?

Le diagnostic prénatal n’est-il que la poursuite sous une autre forme des stratégies « d’amélioration de l’espèce humaine » ?

Ainsi la lutte pour l’élimination de la souffrance, ne devient-elle pas avec le diagnostic prénatal menace d’élimination des plus faibles ? Entre l’eugénisme positif visant à l’amélioration de l’espèce et l’eugénisme négatif qui poursuit la sélection, cette fois volontaire et organi-sée, et non plus naturelle et élimine les plus faibles, les moins souhaitables, les plus inquiétants, ou s’oppose autoritairement à leur reproduction, n’existe-t-il pas de dangereuses passerelles ?

En effet, le diagnostic prénatal n’est sans doute que l’aboutissement de notre très longue recherche d’éradi-cation des « tares », anomalies, monstruosités de l’espèce humaine et « d’amélioration » de celle-ci.

De la législation de Lycurgue à Sparte au IXe siècle avant notre ère (rapportée par Plutarque) aux recomman-dations de Platon dans la « République », de l’exposition des enfants encombrants, inconvenants, difformes,… aux considérations « eugéniques » de Galton, reprises par des personnalités considérées comme progressistes : Adolphe PINARD (professeur de médecine, membre de l’Académie de Médecine et député), Charles RICHET (prix Nobel de médecine 1913), Julian HUXLEY,… et à la stérilisation des « débiles et autres malades mentaux », principalement aux USA et en Scandinavie, les objectifs poursuivis sont clairement ceux de « l’amélioration de l’espèce humaine ».

D’ailleurs, pour tragiquement illustrer les rapports al-lant des différentes pratiques eugéniques positives (amé-liorer l’espèce humaine) et négatives (éliminer les tares) faut-il rappeler l’horreur des haras humains, nommés par antiphrase « lebensborn », les nombreuses délégations allemandes aux USA et vice-versa avant la Deuxième Guerre Mondiale ?

Alexis CARREL (prix Nobel de médecine 1912) qui recommandait dans son ouvrage : « L’homme cet incon-nu », best-seller publié en 1935, réédité de nombreuses fois et tiré à près d’un million d’exemplaires à travers le monde : « … la création d’établissements euthanasiques pourvus de gaz appropriés qui permettraient de supprimer les criminels et les fous dangereux, de façon humaine et éco-nomique », n’était-il pas encore récemment l’objet d’une reconnaissance de la communauté scientifique d’une grande ville universitaire française, là même où avait sévi le tortionnaire de la Gestapo, Klaus Barbie.

Et puis, ne dit-on pas que le questionnement sur les pratiques du diagnostic prénatal ne peut apparaître qu’à la suite des diverses innovations technologiques qui l’ont rendu possible, alors qu’elles ne sont en définitive, à l’in-verse, que les produits d’une conception du monde et de ces implications scientifiques et techniques : « ce n’est pas à partir de la biologie qu’on peut se former une certaine idée de l’homme, c’est au contraire à partir d’une certaine idée de l’homme que l’on peut utiliser la biologie au service de celui-ci » (François GROS en hommage à Canguilhem, cité par Francis GRIMBERG dans « La pensée » n° 326 : l’examen clinique).

Ainsi donc, la conscience devrait se plier aux injonc-tions d’applications techniques inévitablement produites par les « progrès de la science ». En fait, celles-ci sont les fruits d’une conception du monde, la nôtre, et non de la « Civilisation » et de la « Science ».

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Le diagnostic prénatal : eugénisme et progrès humain 23

Mais alors le diagnostic prénatal ne pourrait-il pas être d’abord un acte bienfaisant ?

À la fin de la première moitié du XXe siècle, les ambi-tions « eugéniques » du positivisme semblent s’être défini-tivement brisées avec le nazisme, ou se limiter aux recom-mandations somme toute sans grand effet des hygiénistes du début du XXe siècle (Adolphe PINARD). Quelques découvertes médicales vont alors laisser entrevoir une réelle efficacité des thérapeutiques anténatales. Nous pen-sons ainsi poursuivre simplement notre bénéfique fonc-tion de bien traiter, soulager d’abord et guérir si possible. Pourquoi la personne humaine ne pourrait-elle pas, avant même de naître, bénéficier de nos soins ? Et notre objectif dans le diagnostic prénatal serait bien un heureux eugé-nisme positif.

Nous pourrions sans doute plaider notre cause puisque les traitements in utero ont pu raisonnablement nous laisser penser que nous pouvions « guérir les bébés avant leur naissance ou mieux encore prévenir les pathologies qui peuvent les affecter ».

En effet, l’obsession culturelle de l’hérédosyphilis va tout d’abord s’éteindre avec la découverte de la péni-cilline. Efficace sur cette pathologie materno-fœtale, elle délivre la société d’un vrai fléau et laisse entrevoir après PINARD, sinon la possibilité de mettre un terme, du moins de s’opposer au drame des pathologies trans-missibles durant la grossesse. Deux grandes pathologies sont alors bien comprises : l’allo-immunisation sanguine fœto-maternelle et la responsabilité du virus de la rubéole (GREEG, 1941) dans la survenue de graves et invali-dantes malformations fœtales. Le diagnostic anténatal est en marche. Dès le début des années 1960, il va aboutir à deux solutions thérapeutiques considérables :

•En trente ans se succèdent la connaissance physio-pathologique des conflits immunologiques possibles et graves entre les hématies fœtales et maternelles de groupes Rhésus différents, les moyens d’en appré-cier la gravité par des techniques de prélèvements du liquide amniotique, le traitement de l’enfant à la naissance par l’exsanguino-transfusion, puis par des transfusions in utero et enfin la systématisation de la prévention de cette fréquente et redoutable pa-thologie aujourd’hui devenue exceptionnelle grâce à cet arsenal thérapeutique.

•À l’inverse, dans un premier temps, la survenue d’une rubéole au premier trimestre de la grossesse va aboutir à partir des années 1950 jusqu’à aujourd’hui à la proposition systématique de l’interruption de grossesse tant est fréquente la contamination fœtale (supérieure à 50 %) à ce terme et graves les malfor-mations qui la compliquent presque constamment.

C’est en 1970, que la vaccination va permettre la protection de la femme enceinte, l’éradication du virus n’étant pas encore totalement obtenue.

À ces découvertes et réponses thérapeutiques va cor-respondre la multiplication des investigations cliniques et biologiques encadrant systématiquement toute grossesse. Nous entrons après la Deuxième Guerre Mondiale, dans l’ère de la surveillance prénatale systématique. Vingt ans plus tard (début des années 1970), celle-ci porte alors l’appellation précise de diagnostic prénatal.

Deux avancées scientifiques y concourent : l’amnio-centèse qui consiste à prélever le liquide amniotique à travers la paroi maternelle et l’application obstétricale des propriétés des ultrasons appelée échographie.

La première est inaugurée par LILEY en 1956 pour le diagnostic et l’évaluation pronostique de l’incompatibi-lité fœto-maternelle Rhésus.

Le milieu de vie propre au fœtus est alors exploré directement, apportant rapidement des éléments de connaissance sur la santé du futur enfant. Cependant, cette intrusion dans l’intimité materno-fœtale n’est pas sans danger. 2 % des grossesses sont interrompues au début de la pratique de l’amniocentèse, 0,5 % environ, trente ans plus tard (année 2000).

C’est ainsi que l’analyse du caryotype fœtal dans les cellules en suspension de liquide amniotique est entre-prise au début des années 1970 et systématiquement pro-posée aux femmes de plus de 40 ans dès 1973, puis 38 ans dix ans plus tard, étendue encore à d’autres indications dans les années 1990. Le caryotype humain connu depuis 1956 (nombre et forme des chromosomes), ses grandes variations vont l’être dans les années suivantes ainsi que leur expression phénotypique (trisomie 21 cliniquement appelée mongolisme dans les pays francophones et syn-drome de Down dans les pays anglophones, 47 XXY : syndrome de Klinefelter, monosomie X : syndrome de Turner,…).

En France, cet examen est désormais pratiqué dans plus de 10 % de la totalité des grossesses (années 2000 et suivantes). Cette extension des indications de l’examen du caryotype fœtal également pratiqué par biopsie du tro-phoblasme (tissu entourant l’embryon en début de gros-sesse, assurant les échanges fœto-maternels et devenant le placenta), et ponction directe du sang fœtal dans le cordon ombilical accessible dès le 5e mois de la grossesse, va entraîner la découverte de particularités du caryotype non recherchées et de pronostic parfois très incertain, source des pires inquiétudes pour les futurs parents.

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Deuxième acquisition technique de la même période : l’échographie obstétricale.

Elle révèle avec une précision qui s’accroît régulière-ment d’année en année la morphologie fœtale et ses condi-tions de développement, en particulier par les mesures des flux sanguins fœto-maternels. Quasi-anatomique en milieu de grossesse, cet examen permet la découverte à ce terme de près des 2/3 de la totalité des 3 % des mal-formations affectant le fœtus humain. Elle en apprécie moins bien le pronostic (la gravité) ; l’observation pos-sible de l’évolution de la pathologie impliquant dans ces situations la poursuite de la grossesse. À l’inverse, la réa-lité et surtout la gravité d’une malformation sont souvent d’autant plus difficiles à diagnostiquer que la grossesse est jeune. Mais d’ores et déjà à 2 mois et demi de grossesse, on peut découvrir quelques particularités anatomiques de gravité diverse : de l’anencéphalie, aux anomalies cérébro-spinales, des membres, de la face et des viscères thora-ciques et abdominaux. La reconstruction de l’image en trois dimensions et l’utilisation de sondes intra-vaginales le facilitent désormais. À cela s’ajoute un marqueur de la trisomie 21, systématiquement mesuré à ce terme (ap-pelé clarté nucale). D’ailleurs les doigts surnuméraires, l’anomalie des lèvres ou autres signes mineurs suspectés ou réels peuvent constituer à tout moment de la grossesse une des caractéristiques phénotypiques d’une anomalie chromosomique ou génétique grave.

Deux caractéristiques de cet examen doivent être sou-lignées. Outre l’originalité de la pratique française qui dès la fin des années 1970 l’a intégré dans la surveillance systématique et non discutée du fœtus, le regard écho-graphique constitue une intrusion forte et répétée dans une intimité relevant du secret d’une relation infiniment respectable parce qu’humanisante, mystérieuse, relevant de l’affectivité et non de la seule rationalité.

D’autre part, en raison de la suspicion qu’elle intro-duit dans la qualité de cet enfant-futur et par là même de ce rapport fondateur, l’examen échographique intervient au cœur même du processus d’humanisation en l’inter-rompant par la suspension nécessaire à l’objectivation du fœtus. Rien de comparable à la prise de la tension artérielle, à un examen bactériologique ou radiologique. Ici, nous examinons un morphotype fœtal en l’extrayant artificiellement d’une relation qui fonde son humanité, et la réalité très concrète de son existence. D’ailleurs, l’approche clinique du patient, en l’occurrence le fœtus, est-elle possible, c’est-à-dire féconde, sans son accord ? Et l’accord même de la femme-mère, d’accéder à la connais-sance de ce petit, permet-il en fait son objectivation ?

Si tout examen clinique, toute investigation biolo-gique constituent bien une intrusion, considérée comme nécessaire, dans l’intimité d’un individu, la singularité de son histoire, l’objectivation du patient ne pénètre pas au cœur des relations qui font son histoire comme elle le fait dans l’échographie obstétricale. En définitive, une telle intervention ne peut sans doute avoir lieu que par un consentement fort, qui relève d’une confiance réciproque et nécessairement étayée. Car ce qui est en cause ici, ce n’est pas la santé de celui que l’on examine, mais son exis-tence même.

Ces pratiques vont évidemment entraîner leur « per-fectionnement » et la création de nouvelles techniques de dépistage : dosage de marqueurs de pathologies fœ-tales dans le sang maternel au 2e puis 1er trimestre. Il est désormais possible de dupliquer à l’infini un fragment d’ADN fœtal libre (hors des cellules), dans le sang de la future mère, dès la sixième semaine d’aménorrhée, dans le sang fœtal ou dans le liquide amniotique (polymerase chain réaction : P.C.R.). Enfin, pour compléter cette liste des moyens d’investigation du diagnostic prénatal qui ne cesse de s’allonger, ajoutons les nouvelles techniques d’imagerie : IRM en particulier.

En fait, a-t-on progressé dans les traitements in utero ?

Depuis le traitement in utero des incompatibilités sanguines fœto-maternelles peu de progrès ont été obte-nus en dehors des problèmes infectieux, en particulier du SIDA maternel et de la contamination fœtale pour les-quels les résultats sont remarquables. Dans les autres cir-constances pathologiques, les progrès tiennent plus dans les précisions diagnostiques et pronostiques qu’apporte le diagnostic prénatal. Il faut cependant signaler les possi-bilités de diagnostic préimplantatoire pour les affections génétiques dominantes ou récessives dans les familles affectées par de multiples mutations.

Quelques tentatives chirurgicales permettent cepen-dant d’envisager le traitement de certaines malformations graves : hernie ombilicale et spina- bifida. En fait, les plus grands progrès ont été obtenus dans la chirurgie correc-trice post-natale tout particulièrement cardiovasculaire, greffe d’organe y compris. Les corrections génétiques restant principalement expérimentales à l’exception pro-metteuse de l’utilisation de l’injection de cellules souches présentes dans le sang des cordons ombilicaux.

Revenons au début de l’histoire récente du dia-gnostic prénatal

En 1973, la communauté médicale et au-delà la com-munauté nationale, ont très majoritairement apprécié,

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Le diagnostic prénatal : eugénisme et progrès humain 25

non pas le diagnostic prénatal de la trisomie 21, mais l’éradication possible de cette pathologie, s’autorisant même sans débat à interrompre jusqu’au terme de la grossesse la vie des fœtus qui en étaient porteurs. Il est toutefois certain que les promoteurs de cette proposition en France (Joëlle et André BOUE) soient très attachés au respect du à toute personne dès avant sa naissance, qu’il soit porteur ou non de 46 chromosomes normaux dans chacune de ses cellules nucléées. C’est aussi le cas sans doute de beaucoup d’entre nous.

À l’époque, les médecins se sont même autorisés à ne pratiquer cet examen que sur la base d’un accord préalable de la femme à pratiquer un avortement si une trisomie 21 était découverte. Si pour d’autres anomalies chromosomiques graves et le plus souvent létales (triso-mie 13 et trisomie 18), la question ne se posait guère, qu’allions-nous faire pour d’autres particularités fortuite-ment découvertes dans les mêmes circonstances, de pro-nostic bien différent et surtout très imprécis, les parents n’étant pas prévenus de ces éventualités ?

Chaque jour, nous connaissons avec une plus grande précision la structure de chacun des chromosomes sans bien en connaître la valeur diagnostique. Il en est ainsi de la microdélétion du bras court du chromosome 19 re-trouvé dans un ensemble polymalformatif portant le non de syndrome de Di George complexe et grave, mais aussi chez des individus ne présentant aucune particularité phénotypique. Or cette imprévisibilité diagnostique et pronostique et sa conséquence, l’absence de fait d’un vé-ritable « consentement éclairé materno-fœtal » se retrouve tout aussi « structurellement » dans l’examen échogra-phique. Ces images, expression phénotypique du fœtus, nous ne savons que partiellement les interpréter. La plus modeste particularité : profil du visage, implantation des oreilles, nombre et forme des doigts, vont par analogie à différentes situations pathologiques, entraîner une cascade d’investigations intrusives et surtout gravement menaçantes pour la relation materno-fœtale suspendue, quand ce n’est pas rompu par un tel traumatisme. La sclérose tubéreuse de Bourneville, les neurofibromatoses ou l’agénésie partielle ou totale du corps calleux sont des affections désormais diagnostiquées mais de pronostic particulièrement incertain.

Quant aux professionnels, au moins en partie respon-sables, en tout cas très impliqués dans le diagnostic pré-natal, comment ne seraient-ils pas eux-mêmes un jour ou l’autre pris de vertige par cette irrésistible logique qui les menace de fuite en avant et de permanentes inquiétudes, réciproquement, mais très inégalement partagées avec les futurs parents.

Jamais les médecins n’ont aussi précisément connu les risques de la toute puissance et son retournement contre eux-mêmes. La justice après l’arrêt dit « Perruche » de la Cour de Cassation, leur a durement rappelé. Au-delà de la judiciarisation même de l’acte, c’est bien la confiance de la future mère qui est logiquement en cause. Ainsi, la menace très intériorisée de trahison réciproque inverse-t-elle mortellement la qualité d’une relation essentielle dans la démarche propre au diagnostic prénatal. Le couple materno-fœtal devient potentiellement dangereux pour le médecin et réciproquement, confortant la fuite intrusive du praticien et l’exigence de perfection illusoire de la femme à l’égard de son futur enfant, comme à celui de l’examinateur.

Diagnostic prénatal et interruption de grossesseCette obsession eugénique de « l’enfant parfait » est

très logiquement apparue sur le devant de la scène à l’oc-casion des débats portant sur l’interruption de grossesse. D’ailleurs, la récurrence des propos hostiles à l’avor-tement volontaire, éclaire la nature des contradictions propres au diagnostic prénatal.

Lors de la première décision nationale en 1973, d’au-toriser l’interruption de toute grossesse porteuse d’un fœtus trisomique, l’accord professionnel et national était largement consensuel, à l’exception des médecins codé-couvreurs de la nature chromosomique de cette affection.

À la même période, la bataille faisait rage dans le pays à propos du droit des femmes à interrompre volontai-rement leur grossesse sans autorisation médicale. Parmi les plus farouches opposants on trouvait alors de très nombreux médecins, leur respect absolu de la vie étant largement avancé comme argument principal. Pour eux, la seule position de repli possible étant l’impérieuse né-cessité d’un encadrement social et médical des femmes : victimes à la rigueur,… mais libres et responsables, non ! Si la compassion peut être compagne du respect, elle peut semble-t-il l’être aussi du paternalisme.

En effet, il n’est semble-t-il pas d’autre légitimité à l’avortement volontaire en toute circonstance que la liberté de la femme.

Cette relation humanisante avec l’embryon, puis le fœtus, elle en connaît seule, absolument seule, l’existence, les qualités et l’aptitude à faire vivre… Elle est créatrice et auditrice de cette conversation mystérieuse qui introduit, par la parole secrète, cet embryon dans la communauté des humains. Or, l’embryon n’est pas humain du fait de la volonté ou des projets de ses parents, ni même de la femme qui le porte et le fait vivre, il est humain parce

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26 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

qu’il appartient à l’espèce humaine, il en a les caracté-ristiques génétiques. Mieux même, il est unique du fait des spécificités biologiques de la reproduction sexuée. Humain certes, mais pas « individu », pas « personne hu-maine ». Ce qui le personnifie, c’est la relation à l’autre, en l’occurrence pour l’embryon humain, la relation à la femme sans laquelle il n’est « personne humaine », plus encore, il ne peut être membre de la communauté des hommes, à commencer par la relation au père, que par cette médiation.

Antoinette FOUQUES n’affirme-t-elle pas que « la grossesse est le paradigme de l’éthique, l’accueil de l’autre, l’hospitalité charnelle » (2009 « Qui êtes-vous ? »).

Le droit de donner librement cette vie est bien un droit fondamental. Et la reconnaissance absolue de ce droit constitue sans doute une vraie rupture culturelle, grosse de transformation des relations humaines et donc sociales pour l’avenir. Ce qui fonde le droit d’interrompre une grossesse, ce n’est pas la détresse, c’est l’aptitude qu’ont les femmes à percevoir et enrichir à chaque instant ce dialogue dont elles sont la source, sans lequel il n’est pas « d’existence ».

Il n’y a sans doute, également, pas de diagnostic prénatal possible sans cette reconnaissance du rôle des femmes. Le praticien ne peut accéder à la connaissance de la santé embryo-fœtale que grâce à la médiation de la future mère.

Porteur d’une particularité anatomique ou fonction-nelle qui le distingue de beaucoup d’entre nous, le fœtus « malformé ou handicapé » n’en est pas moins d’abord celui qui partage très profondément la vie, le destin de celle qui le porte. Seule, elle peut nous apprendre, avec son cœur, son regard, ses mots peut-être, jusqu’où cette relation peut aller. « L’enfant in-utero », cet enfant ma-lade, nous est en définitive largement mystérieux, les liens qu’il a contractés avec nous, communauté humaine, ont été secrètement tissés par cette femme, à qui il est si intimement uni. Elle seule a « le pouvoir » de les délier. À ce titre, le respect qu’il nous impose est sans doute la condition indispensable à la possibilité (l’autorisation ?) qui nous est donnée de mettre fin à sa vie.

Pouvoir exorbitant ? Exigence nouvelle sûrement. Il nous faut aujourd’hui apprécier nos capacités d’accueil de ce petit malade, « handicapé » dit-on, en fait différent, c’est-à-dire « autre », comme chacun d’entre nous, et son aptitude future à vivre parmi nous. Questions auxquelles nous ne pouvons que très imparfaitement répondre bien sûr, tant sont contradictoires les éléments qui vont fon-

der notre décision. Aucun cadre juridique ne peut déter-miner « les indications » de l’avortement médical, parce qu’il ne saurait être une sanction extérieure à la volonté d’une femme ou d’un couple. Il reste toujours décision personnelle, accompagnée ou partagée, concernant l’his-toire singulière d’un être co-auteur d’une autre histoire dont il est la source. D’ailleurs, l’avortement médical (dit « thérapeutique ») ne peut respecter les protagonistes de ce drame et ainsi préserver l’avenir en rendant possible le deuil, la séparation d’êtres qui s’aiment, que s’il est ac-compagnement de la mort.

Cet enfant ne peut vivre ! Alors l’aménagement de la fin de sa vie et des rapports vitaux qu’il a établis avec sa mère, passe par la préservation de l’intimité de cette rela-tion. Nos impératifs thérapeutiques aussi contraignants soient-ils, sont secondaires à cette condition essentielle. Présence, écoute, silence ne sont possibles que si les tech-niques utilisées le permettent. L’abandon, le déborde-ment de la douleur sont intolérables chez cette femme déchirée, envahie par l’angoisse, perdant la disponibilité affective dont elle a tant besoin pour vivre les derniers moments d’une relation amoureuse.

Ainsi, l’on comprend mieux peut-être la détresse médicale face aux vertiges des pratiques actuelles du diagnostic prénatal. « Dérives eugéniques », « désir d’en-fant parfait », d’où nous viennent ces cauchemars qui hantent nos consciences depuis plus d’un siècle, mais qui surgissent plus douloureusement ces temps derniers ? En partie semble-t-il, sinon totalement, des séquelles tenaces et toujours actives des vieux dispositifs patriar-caux d’oppression des femmes toujours perçues comme menaçantes en raison même de leur fécondité, de cette invraisemblable aptitude à donner la vie, dans ce rapport non moins mystérieux à l’autre, fondateur de subjecti-vité, c’est-à-dire d’humanité.

Cette rupture nécessaire avec l’ordre masculin n’est-elle pas justement une clé de l’accès au respect de l’autre, c’est-à-dire à la différence, bouleversant les dominations sociales et la violence eugénique qui en découlent, pré-servant l’avenir et « l’espérance », redonnant sens à notre civilisation.

Il n’est en tout cas guère douteux que le diagnostic an-ténatal réinterroge les fondements même de notre culture et nous impose pour le moins une forte remise en cause des rouages inexorables de la hiérarchie sociale, mises sur le compte d’inégalités intellectuelles et morphologiques « naturelles », et des jeux sélectifs de la concurrence qu’elle génère.

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Quotien familial : politique sociale ou politique familiale ? 27

À quelques semaines des élections présidentielles, le débat sur les politiques familiales s’invite dans la cam-pagne. Véritable enjeu politique car enjeu de société, ce sujet est au cœur des préoccupations des citoyens ; la politique familiale met en évidence la nécessité de choix politiques courageux impactant sur le quotidien de tous les Français.

Le quotient familial étant un des fondements de la politique familiale, et de la sécurité sociale française, il est important de rappeler la définition de son calcul. L’impôt sur le revenu est calculé sur la base d’un foyer fiscal qui est composé d’un couple marié, pacsé ou d’un célibataire auxquels sont rattachés les enfants. Un célibataire compte pour une part et un couple pour deux parts. On attribue des parts supplémentaires pour les enfants : une demi-part pour chacun des deux premiers et une part entière pour chaque enfant à partir du troisième. Le principe du quotient familial est de garantir à chaque famille le même revenu disponible par part fiscale à niveau de revenu égal. Le quotient familial est donc juste car il permet de garan-tir leur niveau de vie aux familles quel que soit le nombre d’enfants à charge. On voit ici clairement l’enjeu des politiques familiales dont les fondements reposent sur la compensation du coût de l’enfant, et non sur la réduc-tion des inégalités salariales, qui relèvent pour leur part des politiques sociales et de la lutte à la racine pour un nouveau partage des richesses et une nouvelle gestion des entreprises.

La confusion entre les deux politiques, sociale et familiale, découle également de l’utilisation d’un deu-xième quotient familial, déterminant l’ouverture de droits à diverses prestations et aides sociales

Le calcul de ce quotient, qui peut différer d’un dépar-tement à un autre, est globalement basé sur le total des ressources du foyer fiscal (incluant les prestations fami-liales universelles) divisé par le nombre de parts compo-sant le foyer fiscal. Le résultat de ce calcul détermine le droit ou pas aux prestations et demandes d’aides auprès de la CAF (allocation logement, PAJE, allocation de ren-trée scolaire), du Conseil général, et des communes (can-tine, aides alimentaires, centres de loisir, etc.).

Si ce calcul est sensiblement le même sur le territoire national, son utilisation est différente selon les collectivi-tés qui appliquent des barèmes au regard de leurs orien-tations politiques et qui selon la région où l’on se trouve, sont révélateurs de choix des collectivités territoriales ; par

exemple, pour certaines collectivités révélateur de ciblage sur les plus pauvres, mais aussi d’injustices, en lien no-tamment avec l’insuffisance des moyens des collectivités territoriales soumises à l’explosion des inégalités sociales et de la pauvreté. Ainsi à quotient familial égal, le tarif du ticket de cantine peut varier du simple au double. Les prestations concernées par ce quotient familial font par-tie de la politique sociale. On pourrait sans doute choi-sir de différencier plus clairement la politique familiale de la politique sociale. L’une visant à compenser le coût de l’enfant et garantir le niveau vie de la famille ; l’autre visant à réduire les inégalités sociales et salariales. La poli-tique familiale ne peut être utilisée comme simple régu-lateur des politiques sociales et correcteur des inégalités sociales créées en amont au cœur même du processus de production.

Cette confusion des principes de ces politiques est préjudiciable à une vue d’ensemble, et à l’efficacité du système de protection sociale d’ensemble.

S’il faut viser une lutte contre les injustices, cela concerne l’ensemble des politiques sociales et surtout une action résolue à la racine du type de production et de répartition des richesses, tout particulièrement une nou-velle politique d’éradication du chômage et de sécurisa-tion et de développement de l’emploi et de la formation. Si le quotient familial et l’ensemble de la politique fami-liale doivent évoluer face à la transformation de la société et des familles, vers plus d’efficacité et de justice sociale, il ne s’agit pas sous prétexte de lutte contre les inégalités sociales de restreindre la politique familiale à une simple redistribution entre les familles. Mais on peut effective-ment travailler à une articulation dynamique entre pres-tations sociales et prestations familiales.

La réforme du quotient familial proposée par le Parti socialiste qui consiste à le plafonner une fois de plus pour financer l’augmentation de l’allocation de rentrée scolaire dès septembre 2012, relève de la même confusion (poli-tique familiale/politique sociale). Cela ne rendrait pas le quotient familial plus juste mais permettrait uniquement le financement d’un effet d’annonce.

Quand à la suppression du quotient familial au pro-fit d’un crédit d’impôts ou d’une allocation unique, qui donnerait l’impression de lutter contre les inégalités so-ciales, cela ne garantirait plus en revanche le niveau de vie des familles avec ou sans enfants à revenus égaux. Il est essentiel de noter que le quotient familial n’est pas res-

quotient familial : politique sociale ou politique familiale ?

Par Mmes Véronique Sanchez- Pareti et Catherine Mills

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28 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

ponsable des inégalités sociales et familiales croissantes, mais plutôt un révélateur de l’indécence de certains reve-nus, creusant des écarts, qui eux, relèvent de l’injustice.

Lutter aujourd’hui contre les injustices et promouvoir le développement humain, c’est articuler politique sala-riale, politique sociale et politique familiale s’inscrivant dans une réforme d’efficacité sociale du financement de la protection sociale et de la fiscalité.

Concernant les politiques familiales, si l’on veut per-mettre aux femmes et aux couples de choisir librement d’avoir des enfants ou non sans laisser les contraintes budgétaires décider à leur place, il faudrait s’engager à promouvoir et à financer des prestations familiales uni-verselles dès le premier enfant. Cette mesure pourrait influer sur l’abaissement de l’âge de la mère au premier enfant et permettre aux couples d’avoir le nombre d’en-fants désirés.

De façon complémentaire, la création d’un pôle pu-blic de la petite enfance permettrait un libre choix d’acti-vités pour chaque membre du couple, facilitant la conci-liation de la vie professionnelle et de la vie familiale.

Pour plus de justice sociale, ne pourrait-on pas propo-ser une consolidation nationale des quotients familiaux servant à l’obtention des différents aides et prestations ? Il faut que les droits soient les mêmes pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire national et surtout que ces droits soient étendus. La politique familiale et sociale ne pourrait-elle prendre en compte le taux d’endettement des familles ayant déposé un dossier de surendettement auprès de la Banque de France ? Accidents de la vie, inva-lidité, maladie, chômage,... toutes ces familles endettées légalement à plus de 50 % devraient pouvoir inclure leur endettement dans les charges mensuelles pour le calcul du solde familial disponible afin de garantir aux enfants l’équivalent du niveau de vie antérieur au surendettement des parents.

Ces propositions ne seront réellement efficaces qu’en étant articulées avec une vraie politique de réduction des inégalités salariales et d’action à la racine pour un nouveau partage des richesses, une sécurisation et un développe-ment de l’emploi, de la formation et du revenu, ainsi que des interventions des salariés pour transformer les ges-tions des entreprises. C’est en garantissant à chacun un SMIC à 1 700 euros pour 35 heures, en instaurant une échelle des salaires de 1 à 20 maximum, en proposant des prestations familiales dès le premier enfant, un lissage na-tional du quotient familial ouvrant droit aux prestations, une prise en compte du taux d’endettement des familles, une revalorisation des différentes prestations familiales et la création d’un pôle public de la petite enfance que l’on

permet la mise en place de choix politiques ambitieux visant à réduire les injustices sociales et à promouvoir le progrès humain.

Cela nécessite une réforme efficace du financement de la protection sociale et notamment de la politique familiale

Nous considérons, fidèles aux idéaux des fondateurs de la Sécurité sociale, que le financement de la politique familiale concerne les entreprises qui profitent de la créa-tion et de la formation d’une force de travail de qualité et dynamique, ainsi que des débouchés liés à l’accroissement du pouvoir d’achat. Ainsi nous défendons le principe des cotisations sociales liées à l’entreprise lieu de création des richesses par les salariés. Nous revendiquons aussi une ré-forme de progrès et d’efficacité des cotisations patronales, en rupture avec la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée produite. Nous sommes résolument oppo-sés à la fuite en avant dans les exonérations de cotisations patronales qui ne créent pas d’emploi et tirent tous les salaires vers le bas. Nous proposons tout en maintenant l’assiette salaires de pousser à un accroissement de la part des salaires dans la valeur ajoutée et de tenir compte du rapport entre salaires et valeur ajoutée. Cette réforme de progrès de l’assiette des cotisations sociales viserait à tenir compte du rapport entre salaires et valeur ajoutée. Ainsi le principe de modulation des taux de cotisations patronales conduirait à abaisser relativement les taux lorsque les entreprises accroissent la part des salaires et au contraire de les accroître fortement lorsque les entreprises baissent la part des salaires. L’objectif étant globalement de développer les taux de cotisation et les rentrées de nou-velles cotisations. Nous proposons également une nou-velle cotisation sociale portant sur les revenus financiers des entreprises (dividendes et intérêts) qui se sont mul-tipliés dans la crise, tendant à son approfondissement, à partir d’une contradiction entre prélèvements financiers exorbitants se multipliant contre l’emploi, les salaires et la croissance réelle et prélèvements sociaux qu’on cherche à réduire, mettant en cause le financement même de la protection sociale et des besoins sociaux. Cette nouvelle cotisation sociale au taux de la cotisation patronale ac-tuelle consacrée à la politique familiale, portant sur les 317,9 milliards de revenus financiers(3) des entreprises et des banques rapporterait à la CNAF, plus de 17,16 mil-liards d’euros, ce qui peut permettre de mettre en chan-tier de nouvelles réformes indispensables de la politique familiale.

La politique familiale française ne se résume pas au quotient familial mais doit évoluer vers plus de justice et d’efficacité sociale conjointement avec les politiques sociales et salariales.

3 Données 2010

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Débats actuels sur la politique familiale et propositions alternatives 29

Nous souhaitons contribuer à éclairer les débats ac-tuels sur la politique familiale. Ceux-ci ont été relancés notamment autour de la polémique suscitée par la pro-position de François Hollande de suppression du quo-tient familial. Ceci nous conduira à affiner nos propres propositions. Pour ce faire dans un premier temps nous reviendrons sur les objectifs de la politique familiale, avant d’aborder dans un deuxième temps les inquiétudes sur son évolution récente, dans un troisième temps nous montrerons les dangers qui planent sur le financement même de la politique familiale, enfin dans un quatrième temps nous préciserons nos propositions pour une ré-forme de progrès et d’efficacité sociale de la politique familiale.

I. Les objectifs de la politique familiale : universa-lité et non ciblage

Nous sommes opposés au ciblage des prestations fa-miliales sur les seules catégories les plus modestes et nous défendons le caractère universel de la politique fami-liale. Les objectifs de la politique familiale sont divers et complémentaires.

Dans la logique dominante, le financement de la protection sociale étant considéré comme limité, il est périodiquement proposé de soumettre les prestations familiales à des conditions de ressources. Le plan Aubry en 1997-1998, estimant les prestations familiales anti-redistributives, déclarait vouloir privilégier la solidarité verticale, c’est-à-dire le principe d’une redistribution des ménages jugés aisés vers les familles modestes. Le rapport Attali (2008) dans la logique des réformes de Nicolas Sarkozy, proposait la mise sous conditions de ressources des prestations familiales. Cette logique de verticalité se développe au détriment du principe essentiel d’univer-salité qui fondait la politique familiale en France, où les allocations familiales, versées quel que soit le niveau de revenu des ménages, visaient plus une solidarité de type horizontal entre célibataires et charges de familles.

Les objectifs de la politique familiale sont complé- mentaires :

1) Des objectifs sociaux visent à relancer le pouvoir d’achat des familles, mais avec une priorité pour les fa-milles nombreuses et modestes, notamment les familles monoparentales. Cette relance contribue à maintenir et développer la consommation donc la croissance.

2) Des objectifs démographiques : il s’agissait, notam-ment après la stagnation démographique de l’entre-deux-guerres, puis à la fin des années 60, où se manifeste un ralentissement du taux de fécondité tel qu’il compromet le renouvellement des générations, de faire face à la crise démographique. Aujourd’hui le dynamisme démogra-phique, à consolider grâce notamment à la politique familiale peut contribuer au financement de la protec-tion sociale car les cotisants de demain participeront au financement des retraites.

3) Des objectifs économiques : la politique familiale en contribuant à la santé, l’éducation et le bien-être des enfants permet le renouvellement et la dynamique d’une force de travail bien formée et productive. On articule ainsi la relance de la consommation et la relance d’un autre type de productivité du travail et d’un nouveau type de croissance.

La question du quotient familial et la compensa-tion du coût de l’enfant

Le système du quotient familial, adopté en France à la Libération, est une mesure typiquement familialiste, c’est une spécificité française. Le principe d’universalité des politiques familiales se concilie ici avec le système du quotient familial, qui constitue une compensation du coût de l’enfant, au travers de la fiscalité appliquée pour l’impôt sur le revenu des ménages, dans les conditions de vie de la famille concernée, et de sa composition. Chaque adulte compte pour une unité de consommation (UC), les deux premiers enfants comptent pour 0,5 UC et pour une UC entière à partir du troisième, ceci en liaison avec la volonté de soutenir la démographie en aidant en prio-rité les familles nombreuses. L’impôt sur le revenu est cal-culé par unité de consommation, dite ici part fiscale. Le quotient familial vise à encourager la venue de l’enfant quel que soit le niveau de revenu primaire de la famille, au contraire, un ciblage intensif des politiques familiales sur les plus modestes peut conduire les ménages aux reve-nus à peine plus élevés, à renoncer à la venue d’un nouvel enfant. Le système socio-fiscal se caractérise par la redis-tribution horizontale à travers, notamment, le quotient familial et conjugal qui bénéficie aux familles ayant au moins trois enfants.

Mais, en réalité, les prestations familiales ne prennent que très partiellement en compte le coût de l’enfant. Il n’existe pas au sens strict d’allocation familiale univer-selle pour l’enfant de rang 1, les allocations sont faibles

débats actuels sur la politique familiale et propositions alternatives

Par Mme Catherine Mills

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30 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

pour deux enfants et ne deviennent plus conformes à la couverture du coût de l’enfant qu’à partir du troisième enfant, conformément aux objectifs démographiques tra-ditionnels. Actuellement l’allocation de base de la PAJE compense toutefois partiellement la carence d’allocation pour l’enfant de rang 1, jusqu’à ses 3 ans, mais sous un plafond de ressources.

Les politiques familiales sont aussi utilisées comme instrument des politiques de l’emploi

L’emploi préservant pour une part de la pauvreté, ce serait aussi une protection pour l’enfant face au risque de pauvreté. Des contradictions subsistent en matière de prise en charge des enfants, favorisant le travail pour cer-taines femmes, et le retrait d’activité pour d’autres (en fait les moins favorisées financièrement). Certes depuis 1968, on assiste à une reconnaissance croissante du droit des femmes à participer au marché du travail.

Le thème de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle se développe, en France, avec l’accroisse-ment de l’activité salariée des femmes, en liaison avec les écoles maternelles dont le rôle est crucial pour la sociali-sation des enfants et leur égalité vis-à-vis de l’éducation. Toutefois la « conciliation vie familiale – vie profession-nelle » se heurte à un autre objectif qui est censé per-mettre aux femmes de « choisir » entre la poursuite d’une activité salariée et la prise en charge d’un jeune enfant. On s’abrite aussi derrière la prétention de ne pas imposer une norme unique pour les femmes, mais en réalité l’ob-jectif de certaines politiques d’emploi est de dégonfler les statistiques du chômage en incitant certaines femmes à se retirer de l’activité. Du coup, les politiques familiales se-ront, de plus en plus conçues comme un instrument des politiques d’emploi, de façon contradictoire elles préten-dent aider à l’insertion des femmes dans l’emploi au pre-mier stade de la formation de la famille, et au contraire incitent de plus en plus une partie des mères à se retirer du marché du travail avec les naissances suivantes.

* Les taux d’emploi des femmes ont fortement progressé mais demeurent très inférieurs à ceux des hommes.

De fortes disparités subsistent. D’une part, l’accès aux structures d’accueil collectives, telles que les crèches, reste hétérogène sur le territoire et très insuffisant. D’autre part, un système dual est mis en place puisque des aides sont accordées aux parents qui décident de garder leurs enfants, comme à ceux qui ont recours à un mode de garde collectif ou individuel. Mais les aides aux modes de garde individuels ne concernent que les ménages dispo-sant d’un revenu suffisant. Inversement, le retrait tempo-raire d’activité, concerne surtout les femmes aux salaires faibles, et avec des conditions de travail particulièrement difficiles.

En effet, les femmes qui se retirent du marché du tra-vail sont plus souvent celles qui ont connu une longue période de chômage ou dont l’insertion professionnelle est précaire. Le taux d’emploi des mères varie fortement selon l’âge du plus jeune enfant, il est plus faible avec un enfant de moins de trois ans. Il est plus faible lorsqu’elles vivent avec un conjoint et que ce dernier a un emploi, ce qui reflète une certaine persistance de la répartition des rôles entre hommes et femmes. Mais surtout, le taux d’emploi des mères vivant seules avec un enfant de moins de trois ans est, en France, à 31,8 %, c’est-à-dire aussi faible que celui des femmes ayant un conjoint sans emploi. Ce taux est particulièrement faible au regard des pays du Nord de l’UE. Le taux d’emploi croît néanmoins en présence d’un enfant plus âgé. Mais les femmes isolées se retrouvent aussi plus souvent et plus longtemps au chô-mage ou en retrait de l’activité. La plupart de ces femmes bénéficiaient de l’allocation pour parent isolé fondue de-puis 2004 dans la Paje. Les aides à la conciliation emploi-famille et les possibilités de garde des enfants, entraînent une corrélation très positive sur les niveaux de fécondité tandis que les congés de maternité et parentaux ont des effets contradictoires.

* Le développement insuffisant des modes de gardeLa France occupe une position relativement meil-

leure que certains pays européens, notamment du Sud. Pourtant les dépenses relatives aux modes de garde, struc-tures d’accueil et d’éducation préscolaires se situent au-dessous des pays du nord qui ont une tradition d’accueil ancienne et précoce puisque la plupart des enfants ont ac-cès à une structure d’accueil dès l’âge d’un an. En France, les enfants de plus de trois ans, pouvaient être accueillis dans des écoles maternelles à près de 99 %, mais cela tend à être remis en cause par les politiques récentes, tandis que plus d’1/3 des enfants de moins de trois ans ne béné-ficient jamais d’une structure d’accueil comme mode de garde.

Politique familiale et lutte contre la pauvretéLa politique familiale en France n’a pas pour objectif

principal de lutter contre la pauvreté. Cet objectif relève plutôt des minima sociaux parmi lesquels seule l’alloca-tion pour parent isolé (API) ciblée sur les familles mono-parentales pauvres concernait explicitement les politiques familiales. Cependant, du fait de leur effet redistributif, les prestations familiales permettent à certaines familles de sortir de la pauvreté monétaire. Les ménages pauvres bénéficient proportionnellement plus des prestations familiales sous conditions de ressources, mais celles-ci re-présentent une part beaucoup plus faible des prestations familiales. Ainsi les masses financières de l’API (mainte-nant intégrées dans le RSA mais toujours financées par la CAF) représentent environ 1 % des prestations fami-liales mais bénéficient pour 34 % aux ménages pauvres.

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Débats actuels sur la politique familiale et propositions alternatives 31

Cette mesure ciblée, si elle ne réduit pas sensiblement les taux de pauvreté, contribue toutefois à réduire l’intensité de la pauvreté des familles monoparentales. Les femmes sont surreprésentées dans les situations de pauvreté, car elles sont plus souvent inactives ou vivent seules avec des enfants. Les transferts sociaux permettent de réduire le risque de pauvreté auquel ces femmes sont confrontées.

La pauvreté subie par les enfants est corrélée au chô-mage des parents. Près de 8 % des enfants, soit un mil-lion d’enfants de moins de 18 ans appartiennent à des familles pauvres (au seuil de 50 % du revenu médian), mais ce taux s’élève à 16 % des enfants (soit 2 millions) si l’on considère la norme européenne du seuil de pau-vreté fixé à 60 % du revenu médian. Cette situation de pauvreté provient, d’abord de l’insuffisance d’emploi des parents. En effet, le SMIC représentant 60 % du salaire médian, il faut, pour un couple avec des enfants, que les parents cumulent au moins un emploi à temps plein au SMIC et un emploi à temps partiel pour se situer au-dessus du seuil de pauvreté si l’on ne tient pas compte des prestations familiales. Le chômage de longue durée, l’alternance d’emplois précaires à temps partiel et de pé-riodes de chômage sont des causes de pauvreté. Si les po-litiques familiales jouent un rôle important pour soutenir le revenu des familles et réduire les risques de pauvreté, elles sont encore insuffisantes pour réduire significative-ment le taux de pauvreté des enfants, taux de pauvreté croissant avec le nombre d’enfants. La réduction des taux de pauvreté infantile constitue donc un enjeu de la redis-tribution en direction des familles pauvres.

La redistribution par la politique familialeLa redistribution réalisée en direction des familles

se concentre sur les familles comptant un enfant âgé de moins de trois ans, et cette concentration a été accen-tuée avec la réforme de 2003 ayant introduit la prestation d’accueil pour jeune enfant. Les prestations familiales et sociales, les minima sociaux et la fiscalité directe procu-rent un supplément de revenus qui a été évalué à 2 400 € par enfant et par an. Le système socio-fiscal opère ainsi une importante redistribution horizontale en direction des ménages avec enfants. Les prestations familiales exer-cent en outre un effet de redistribution verticale car les familles monoparentales et nombreuses sont plus souvent situées dans la partie basse de distribution des revenus primaires. Paradoxalement, ce sont les prestations fami-liales versées sans condition de ressources qui contribuent le plus à cette redistribution en raison de leur montant relativement plus important que les prestations ciblées. Les familles monoparentales sont particulièrement tou-chées par la pauvreté monétaire avec un taux de 13 % pour les familles monoparentales avec un enfant et un taux de 18 % pour celles qui ont plus d’un enfant. De

manière générale, le taux de pauvreté augmente avec le nombre d’enfants. Les politiques sociales ont un effet im-portant sur la pauvreté. Le risque de pauvreté initiale de l’ensemble des familles est de 20 % et celui des ménages sans enfant est de l’ordre de 12 %. Tandis que les pres-tations familiales, tendent à ce que le risque de pauvreté finale de l’ensemble des familles soit réduit et rejoigne celui des ménages sans enfant.

Les minima sociaux réduisent relativement peu les taux de pauvreté des familles, mais contribuent à dimi-nuer l’intensité de la pauvreté. Les aides au logement exercent un impact important sur les taux de pauvreté et sur l’intensité de la pauvreté pour l’ensemble des ménages avec ou sans enfant. Si les risques de pauvreté des familles monoparentales et des couples avec plus de deux enfants sont particulièrement élevés, les prestations familiales contribuent à réduire fortement le taux de pauvreté de ces catégories. Ainsi pour les couples avec plus de deux enfants, le taux de pauvreté passe de 35 % à 14 %, pour les familles monoparentales avec un enfant, il passe de 31 % à 29 % ; pour les familles monoparentales avec plus d’un enfant, il passe de 53 % à 38 %.

Ménages pauvres et politique familialeEnviron 10 % des prestations familiales sont distri-

buées aux ménages pauvres. Elles comprennent un volet important et peu ciblé sur les familles pauvres, et un deu-xième volet dont le volume est beaucoup moins important mais dont ils bénéficient plus fortement. Aujourd’hui les réformes libérales prétendent accroître l’intérêt financier des bénéficiaires des minima sociaux pour un retour à l’emploi. Les femmes sont particulièrement visées, ainsi le RSA créé en 2008 intègre l’API comme le RMI, etc. les soumet à des conditions strictes de reprise d’activité.

II. L’évolution récente de la politique familiale est préoccupante

Alors que la crise du financement de la protection so-ciale s’accélère jusqu’à son explosion récente dans la nou-velle phase de la crise systémique, avec la récession et la remontée du chômage, la politique familiale est amenée à prendre en compte de nouveaux objectifs. Aux objectifs démographiques et sociaux se sont ajoutés la conciliation vie familiale et vie professionnelle, la lutte contre le risque de pauvreté des familles lié au chômage et à la déflation salariale.

La politique familiale en France a abouti ainsi à la jux-taposition de dispositifs pour répondre à la multiplicité des objectifs et aux modifications de la situation des mé-nages, notamment le développement des familles mono-parentales très souvent lié à des conditions financières dif-ficiles. Pourtant, malgré les nouveaux besoins sociaux nés

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32 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

de la situation économique, sociale et démographique, les réformes de la politique familiale vont s’inspirer du prin-cipe de limitation des dépenses sociales. Le plan Juppé de 1995 puis le plan Aubry de 1997 tentaient de soumettre les prestations familiales à conditions de ressources, en remettant en cause leur caractère universel historique. En 2004, intervient une restructuration profonde de la poli-tique familiale. Pour 2012, de nombreux rapports offi-ciels, après le rapport ATTALI en 2008, commandé par Sarkozy, constituent de lourdes menaces sur l’universalité de la politique familiale ; le MEDEF applaudit.

• La réforme créant la Prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) 2004

L’objectif affiché par la PAJE était de procéder à une harmonisation et une simplification, en réunissant dans une seule prestation l’allocation pour jeune enfant (APJE) : l’allocation parentale d’éducation (APE), forme de congé parental, et les deux prestations destinées à la garde d’enfants, l’aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée (AFEAMA) et l’AGED.

La PAJE comprend trois volets :a) La prime à la naissanceCette prime remplace l’APJE, en prétendant ins-

taurer des conditions de ressources moins restrictives. Cependant alors que l’APJE s’élevait à 1908 € en 2003 le montant de la prime à la naissance s’élevait seulement à 826 € en 2006. La stratégie menée pour la PAJE consiste à verser des prestations plus réduites à un nombre de fa-milles plus important. Globalement les associations fami-liales avaient salué l’augmentation du nombre de familles bénéficiaires, mais beaucoup critiquaient le fait que la PAJE se traduise pour des familles peu favorisées par une diminution des prestations.

b) L’allocation de baseElle est versée dès la naissance à l’enfant jusqu’à son

troisième anniversaire. Mais les conditions de ressources ne sont pas les mêmes que pour la prime à la naissance ce qui rend très discutable l’affirmation selon laquelle la PAJE aurait simplifié la mosaïque de prestations qu’elle a remplacées. L’effet de seuil joue à plein. La différence entre les plafonds selon que le couple est biactif ou mono-actif s’affiche comme une volonté d’encourager le travail des femmes, cependant l’allocation dite de libre choix, le troisième volet de la PAJE, tend au contraire à pousser au retrait du marché du travail les femmes peu qualifiées.

c) Le complément de libre choix d’activité (CLCA)Celui-ci est destiné à permettre à l’un des parents

de cesser temporairement son activité professionnelle jusqu’aux trois ans de l’enfant, ou de la maintenir en percevant une aide dite complément de libre choix de

mode de garde qui peut être perçue jusqu’aux six ans de l’enfant. L’ancienne allocation parentale d’éducation (APE), ainsi que les dispositifs de l’aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée (AFEAMA) et de l’AGED ont donc été remplacés. Pour pouvoir béné-ficier de ce complément de libre choix d’activité, il faut qu’au moins l’un des conjoints exerce une activité profes-sionnelle. L’aide dégressive varie en fonction du mode de garde choisi et des revenus du ménage. Cette allocation peut se poursuivre quand les enfants ont entre trois et six ans. Le CLCA comprend aussi la prise en compte des cotisations sociales, totale pour une assistante maternelle et à hauteur de 50 % pour une garde à domicile. Mais un système de réduction d’impôt a été maintenu (comme c’était le cas pour l’ex-AGED), avec un caractère claire-ment anti-distributif puisque les couples biactifs à hauts revenus ne supportent qu’un reste à charge résiduel faible par rapport à leurs revenus, de l’ordre de 500 € par mois pour une garde à domicile.

Les montants forfaitaires restent faibles aussi ce sont les femmes exerçant des métiers peu qualifiés qui y accè-dent, ce qui contribue à les sortir du marché du travail. À titre de comparaison, en Suède ou en Norvège, les congés parentaux sont de dix-huit mois, cumulables suc-cessivement pour la mère et le père soit trois ans au total, tandis que le montant de la prestation atteint 90 % du salaire (dans la limite de 2 500 € par mois). Ceci explique qu’une très forte proportion des congés parentaux, plus de 40 %, soit demandée par les pères.

Critiques de cette réformeLa PAJE s’est faite sans effort financier réel, sous l’ha-

billage d’une plus grande universalité ; elle a abouti à un saupoudrage et, dans certaines situations, à des presta-tions familiales plus basses pour des familles aux revenus très modestes. En 2004, des familles monoparentales, qui percevaient auparavant l’allocation de parent isolé (API) se sont vues touchées par la règle de non-cumul entre l’API et la PAJE. Cette modification pouvait entraîner une perte de prestations de plus de 150 € par mois, cette mesure de non-cumul a été finalement reportée.

D’autres critiques portent sur le complément mode de garde. La PAJE privilégie les offres de gardes privées et ne répond pas aux besoins de développement des modes de garde collectifs publics, (crèches, haltes - gar-derie…) qui sont les structures les plus demandées par les familles modestes. Elle prétend faciliter la conciliation vie familiale et vie professionnelle et dynamiser le secteur d’activité économique de l’accueil des jeunes enfants en favorisant la création d’emplois. Elle est également cen-sée concourir à l’objectif traditionnel des politiques fami-liales françaises : le maintien de la natalité. Elle vise aussi

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Débats actuels sur la politique familiale et propositions alternatives 33

des objectifs économiques : soutenir la croissance et aider à plus long terme au financement des retraites. Par ail-leurs, la lutte contre la pauvreté implique aussi un objec-tif du relèvement des minima sociaux et des réformes de la prime pour l’emploi. De manière générale, les réformes récentes prétendent accroître l’intérêt financier des béné-ficiaires des minima sociaux pour un retour à l’emploi. Les femmes sont particulièrement visées, avec le RSA qui intègre RMI et API et les soumet à des conditions très strictes de retour à l’emploi, le plus souvent précaire. Mais elles se heurtent à un manque de disponibilité de places en structure de garde. L’introduction d’un congé parental court, prétend inciter les hommes à recourir davantage à ce type de dispositifs, et contrebalancer l’inégalité de recours au congé parental entre hommes et femmes. Mais on relève des tensions entre promotion du « libre choix » d’activité et de mode de garde, lutte contre la pauvreté et égalités de genre avec l’objectif d’accroître les conditions d’une plus grande égalité au regard de l’emploi entre hommes et femmes et entre femmes.

Cela conduit à relativiser les effets de la PAJE. Elle remplace et fusionne au sein d’un dispositif unique un ensemble de mesures déjà existantes. Elle organise no-tamment une unification et une extension des aides à la garde pour les familles ayant un enfant de moins de six ans. Ceci se traduit cependant par un très léger effort sup-plémentaire de la part des politiques publiques. Les pla-fonds donnant droit à l’allocation de base et à la prime de naissance ont été relevés de 37 %, aussi un nombre plus important de familles avec au moins un enfant de moins de trois ans est devenu bénéficiaire d’une aide : on estime à 87 % le nombre de ces familles bénéficiaires de l’allo-cation de base de la PAJE, au lieu des 60 % qui auraient bénéficié de l’ancien dispositif AJPE. L’allocation de base coûte environ 1,3 milliard d’€ de plus que l’ancien dispo-sitif AJPE. Cependant cet effort des politiques publiques au travers des politiques familiales profite finalement à des familles aux revenus relativement élevés au détriment des ménages les plus pauvres.

Certes le complément libre choix d’activité propose des extensions par rapport à l’APE, ainsi l’extension au premier enfant concernait environ 40 800 ménages, dont 83 % de couples avec un enfant et représentait une aug-mentation de 7 % du nombre de ménages bénéficiaires par rapport à l’ancien dispositif APE. Cependant les conditions d’activité antérieures pour bénéficier du CCA pour les enfants de rang deux et plus sont plus dures que celles de l’ancien dispositif APE : 14 % des ménages qui pourraient toucher l’ancien dispositif (APE), ne touchent pas le CCA. Les effets du durcissement varient fortement selon la configuration familiale : 6 % des couples avec deux enfants et 15 % des familles monoparentales avec

au moins deux enfants ne répondent plus aux conditions durcies du CCA. Ce taux atteint 25 % pour les couples avec plus de deux enfants. Par ailleurs, ce durcissement touche plus fortement les ménages à faible niveau de vie : 30 % des 10 % de ménages les plus pauvres susceptibles de toucher l’APE ne bénéficient pas du CCA. De même, les ménages pauvres (au seuil de 50 % du niveau de vie médian) sont particulièrement défavorisés par le durcis-sement des conditions d’éligibilité du CCA par rapport à l’ancien dispositif APE. Alors qu’ils représentent 8 % des ménages potentiellement bénéficiaires de l’APE, ils ne représentent plus que 5 % des bénéficiaires du CCA. Au final les efforts financiers supplémentaires des politiques publiques, liés à la mise en place de la PAJE se traduisent par une modification de la structure distributive de l’aide. Les aides au retrait d’activité du fait de leur condition d’éligibilité plus restrictives, et les aides à la garde du fait de la faible utilisation de ces dispositifs par les familles les plus modestes, ne bénéficient pas à l’augmentation du niveau de vie des plus pauvres. Il existe une contradiction entre les aides au « libre choix » et les aides pour sortir les ménages de la pauvreté monétaire.

• La politique familiale à un tournantAujourd’hui, contrairement aux effets d’annonce,

c’est l’ensemble de la politique familiale qui est visé. Le rapport Attali projetait de placer les allocations familiales sous conditions de ressources au détriment de leur carac-tère universel historique, ce qui constituait une menace de régression du rôle démographique, économique et social de la politique familiale. Cette obsession de réaliser des économies sur la politique familiale s’inscrit dans la mise en place des politiques d’austérité, et à la fameuse règle d’or tendant principalement à économiser sur les dépenses publiques et sociales. Cette volonté de placer les allocations familiales sous conditions de ressources figu-rait dans le programme du candidat Sarkozy en 2007. Pour 2012, il tente, derrière une avalanche de mesures et de discours, une accélération des plans de déstructura-tion - recomposition de la protection sociale et du code du travail.

Après le pillage organisé des excédents de la branche famille appelés à combler les déficits majeurs des autres branches, depuis 2010, c’est l’explosion des déficits, y compris pour la branche famille. Les prestations fami-liales voient leur taux de progression se ralentir : en 2009, seulement 0,8 %. Ce ralentissement s’explique notam-ment par la différence du taux de revalorisation de la base mensuelle des allocations familiales qui a résulté des variations de l’inflation sur la période 2008-2010. Ainsi, c’est notamment sur la revalorisation de la BMAF qu’on tente de faire des économies et de faire porter les plans d’austérité en 2011.

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34 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Une rupture profonde semble se dessiner avec le consensus qui existait en France sur les politiques fami-liales. D’une perception des familles assurant le dyna-misme démographique et le renouvellement des géné-rations (donc le financement des retraites…), on glisse vers une stigmatisation de la politique familiale présentée comme une charge insupportable. Les populations, no-tamment celles issues de l’immigration, sont présentées comme abusant des « largesses » de notre politique fami-liale, alors que si la génération d’entrée tend à avoir plus d’enfants que la moyenne, les suivantes s’alignent sur la tendance générale.

III. La mise en cause du financement de la poli-tique familiale en France

La baisse des cotisations d’employeursLe financement des allocations familiales repose sur

les seules cotisations d’employeurs, ce qui poursuit une tradition historique dès la fin du XIXe siècle dans les grandes entreprises du secteur textile, du secteur minier, du secteur métallurgique, correspondant souvent au sou-hait d’un patronat chrétien de concilier des intentions sociales et le besoin de renouveler la force de travail. Celles-ci avaient mis en place des prestations familiales, notamment par le principe du sursalaire. À la création de la Sécurité sociale, avec le principe d’une politique familiale généralisée, le taux de cotisation patronale aux allocations familiales se situait en 1946 à 16 % du salaire brut.

Assez rapidement, en liaison avec l’évolution du rap-port de forces, le patronat réclamait une baisse du taux de ces cotisations d’employeurs à la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF). Dès 1965, le rapport Piketty, Le patronat français et son avenir, commandé par le Conseil national du patronat français réclame leur suppression avec en contrepartie la fiscalisation du finan-cement des prestations familiales. Cette volonté de ré-duire les cotisations d’employeurs s’est traduite par une très forte baisse du taux de cotisations employeurs aux allocations familiales qui ne représentera plus que 9 % du salaire brut en 1970.

En 1971, l’Association des grandes entreprises fran-çaises ayant recours à l’épargne (AGREF la fraction do-minante du CNPF) reprend cette proposition. Mais cette idée sera reprise par d’autres, y compris à gauche. Dans un rapport pour le IXe Plan, Guy Lescure et Dominique Strauss-Kahn proposent de remplacer les cotisations pa-tronales aux allocations familiales par un « prélèvement proportionnel sur tous les revenus », ce qui préfigure la CSG mise en place en 1991 par Michel Rocard. À partir de 1991, le taux de cotisation patronale aux allocations

familiales n’est plus que de 5,4 % du salaire, mesure prise à la faveur du déplafonnement des cotisations et la créa-tion de CSG.

La suppression totale des cotisations employeurs est revendiquée de plus belle aujourd’hui par le Medef et d’autres forces libérales ou social-libérales. On tend à réduire les moyens de financement des prestations fa-miliales et à appliquer le principe : « à recettes limitées, dépenses limitées ». Ce qui accélère le glissement des politiques familiales vers une politique d’assistance, le ciblage des prestations sur les plus modestes fournit aussi l’argument de la limitation de l’ensemble des prestations familiales.

L’organisation du pillage des excédents et de la mise en déficit de la CNAF

Cette caisse était traditionnellement excédentaire, les excédents étant utilisés, selon les règles de la compensa-tion entre caisses, pour équilibrer les comptes globaux du régime général et, le cas échéant, des régimes spéciaux. Mais ceci va jouer au détriment des objectifs de la poli-tique familiale elle-même. En 1982, la volonté de relance de la politique familiale pour ranimer le marché intérieur, l’emploi et la croissance conduit pour la première fois à un déficit de 1,8 milliard d’€. Mais le pouvoir d’achat des prestations familiales a été relevé de 50 % en deux étapes en 1981 et 1982 dans le cadre du plan Mauroy. Cependant ces objectifs seront de courte durée, d’autant que pour combler le déficit, on organise une augmen-tation d’un point de l’impôt sur le revenu à verser à la CNAF, ce qui préfigurait la CSG de 1991.

L’arrivée de Pierre Bérégovoy aux Affaires sociales va organiser une pause dans la politique sociale. Dès 1983, un plan de rigueur permet certes le retour aux excédents de la CNAF, 1,5 milliard en 1984. L’excédent est encore de 1,2 milliard d’€ en 1988 tandis qu’intervient une nou-velle baisse importante du taux de cotisations employeurs aux allocations familiales qui ne représentera plus que 5,4 % du salaire brut avec la création de la CSG en 1991. C’est en compensation la montée du financement par l’impôt ; la première tranche de CSG créée (1,1 % de l’ensemble des revenus des ménages) est affectée directe-ment au financement de la politique familiale.

À partir de 1993, avec le gouvernement Balladur, on institutionnalise la fuite en avant dans les exonéra-tions massives de cotisations employeurs qui touchent le financement des prestations familiales. Le gouvernement Jospin en 1998 et 1999 sacrifie le financement de la poli-tique familiale et utilise les excédents de la CNAF pour fi-nancer le Fonds de réserve des retraites (F2R) institué en 1999. Tandis que la création du Fonds de recouvrement

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Débats actuels sur la politique familiale et propositions alternatives 35

des exonérations de charges (FOREC) devait financer les exonérations de charges patronales, dont les exonéra-tions spécifiques aux lois sur les 35 heures, en prévoyant explicitement que les éventuels excédents de la CNAF viennent abonder le FOREC. Les résultats financiers de la CNAF, excédentaires d’un milliard d’€ par an, de 2000 à 2002 fondent ensuite : 0,4 milliard d’€ en 2003. On assiste alors à une montée historique des déficits de la CNAF : en 2009 avec -1,9 milliard d’€, le déficit de la CNAF atteindra 3, 8 Md€ en 2010, soit une dégradation de 3,5 Md€ en deux ans, en 2011 et 2012. Il se situe autour de 2, 7 milliards €.

IV. Propositions alternatives

Une politique familiale moderne pour sortir de la crise systémique et affronter les problèmes démogra-phiques, économiques et sociaux

La démographie dynamique de la France est à conso-lider afin d’assurer le renouvellement des générations et de contribuer à financer les retraites et la protection sociale. Une politique familiale moderne et dynamique pourrait contribuer aussi à un nouveau type de crois-sance et à la marche vers une nouvelle civilisation. Le taux de renouvellement des générations peut être atteint et consolidé. La descendance finale des femmes nées en 1960 est de 2,09 enfants, soit quasiment le chiffre de 2,1 considéré comme le seuil de renouvellement des géné-rations. La politique familiale doit se transformer pour répondre aux besoins sociaux actuels et à l’évolution de la société et de la diversification des types de familles. Ainsi, pour les jeunes ménages, il s’agirait de répondre au choix des couples. L’âge de la mère à la naissance du premier enfant ne cesse d’augmenter, en liaison avec l’augmenta-tion nécessaire de la formation, mais aussi l’insuffisance criante des revenus, des emplois correctement rémunérés et des logements accessibles. En contribuant, en fonction de leur choix, à abaisser l’âge de la mère à la naissance du premier enfant, c’est le calendrier des naissances qui serait décalé, afin de permettre aux couples d’avoir le nombre d’enfants désirés. Ceci peut aller de pair avec la tendance actuelle à l’augmentation des naissances à un âge plus tar-dif pour les femmes. Cela implique des mesures adaptées, telles qu’une aide aux jeunes ménages, notamment aux ménages étudiants, pour le logement, la formation et la sécurisation de leur revenu et de leur emploi, une alloca-tion d’autonomie formation est indispensable.

Développer les formules de garde, afin de relever le taux d’activité des femmes

Les mesures pour concilier la vie professionnelle et la vie familiale sont insuffisantes. Elles ne devraient pas seulement concerner les femmes et surtout ne pas s’effec-tuer au détriment de leur taux d’activité. Ceci constitue un point décisif de la réalisation de l’égalité hommes-

femmes. En particulier, on devrait viser des mesures effi-caces pour résorber les inégalités par rapport à l’emploi, au salaire et à la promotion des femmes, ce qui contri-buerait à relever la part relative de femmes dans la po-pulation active occupée. Le taux d’activité des femmes peut en effet être relevé. Il est beaucoup plus élevé dans les pays scandinaves qu’en France. Avant les réformes de l’allocation parentale d’éducation (APE), désormais rem-placée par le complément de libre choix d’activité de la PAJE, le taux d’activité des mères de deux enfants attei-gnait 70 %, soit un accroissement très fort par rapport par rapport à la période allant jusqu’à la fin des années 60. Mais la création de l’APE en 1986 et sa réforme en 1994, comme la PAJE en 2004 ont incité les femmes à se retirer du marché du travail. Le taux d’activité des mères de deux enfants est tombé à 50 %. Bien évidemment, cela pose aussi la question de la lutte contre le chômage des femmes. Le relèvement du taux d’activité des femmes passe par la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, qui implique un développement des formules de garde et un nouveau partage du temps consacré aux activités domestiques. Ceci est crucial pour assurer le remplacement des générations et l’accroissement de la population active occupée.

La mise en place d’un véritable service public gratuit de la petite enfance est une nécessité. En effet le déficit criant de l’accueil de la petite enfance et son coût très élevé constituent à la fois un casse-tête et un casse-tirelire pour les parents. Cette situation pénalise les femmes, no-tamment dans leur parcours professionnel, et les familles les plus modestes. Cela pose la question d’un véritable projet pédagogique pour un collectif d’enfants de 2 ans, de 1 an, ainsi que l’accès de tous les enfants de 3 ans dans les écoles maternelles avec gratuité. La mise en œuvre d’un ambitieux « plan crèches » se donnant pour objectif d’ouvrir autant de berceaux que le pays compte de jeunes enfants peut et doit être financée. Le fonctionnement d’une crèche, avec le taux d’encadrement en personnel qualifié nécessaire doit être assumé collectivement.

Développer et réorienter les prestations familiales

La situation des plus démunis :Le besoin est criant d’une aide prioritaire au logement,

notamment pour les plus modestes, ce qui implique un énorme effort en matière de logement social, mais cela pose aussi la question de la sécurisation et du développe-ment de l’emploi, de la formation et du revenu.

Minima sociaux : le débat entre familialisation et individualisation des dispositifs

La familialisation aboutit au versement des minima sociaux en fonction des ressources de l’ensemble des reve-nus du ménage. Dans ces conditions, la reprise d’un em-

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36 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

ploi par l’un des membres du couple peut se traduire par la perte des prestations correspondant à l’autre personne du couple. Certains proposent une plus grande individuali-sation des dispositifs. De même l’articulation entre pres-tations familiales et minima sociaux est souvent injuste et incohérente. Des prestations de RSA étaient versées au titre de l’enfant de rang 1, alors que celui-ci n’ouvrait pas droit à des allocations familiales universelles. Ceci pouvait décourager la prise ou la reprise d’emploi dans certaines situations, comme celle d’un « Rsaste » vivant seul avec un enfant à charge. La mise en place du Revenu de Solidarité Active (RSA), sous financé, ne résout pas le problème. Certes, l’APJE et la PAJE depuis 2004, com-pensent l’absence d’allocations familiales pour l’enfant de rang 1 jusqu’à trois ans, mais sans avoir répondu fonda-mentalement au besoin d’une allocation dès le 1er enfant qui constitue une demande sociale récurrente.

Une politique pour la jeunesseLa politique familiale doit être liée à une politique de

formation et il apparaît donc décisif de développer l’aide à la formation, par l’accroissement du nombre et du mon-tant des bourses pour les enfants de familles modestes afin qu’ils réussissent leurs études. La création d’une allo-cation autonomie - formation pour la jeunesse est indis-pensable. Pour faire face aux problèmes des jeunes les plus en difficultés, on pourrait instituer une véritable alloca-tion d’insertion dans l’emploi, en créant les conditions pour qu’ils puissent être formés et accéder à des emplois qualifiés. On devait viser la création de nouvelles institu-tions pour l’insertion dans l’emploi des moins de 25 ans. Ainsi, une « allocation jeune isolé » à hauteur du RSA pourrait être envisagée, les jeunes concernés bénéficiant d’un accompagnement social et d’un tutorat. La création de foyers de logements pour les jeunes travailleurs et les jeunes en recherche d’emploi doit être relancée.

Le développement du financement de la politique familiale reste la question décisive

Nous sommes opposés aux plans de fiscalisation de la politique familiale. En effet, ceux-ci tendent de fait à per-mettre la réduction des dépenses pour la politique fami-liale et à faire reposer le financement sur les seuls revenus des ménages, ce qui conduit à limiter le financement. À l’inverse, le financement par des cotisations sociales main-tient le lien à l’entreprise, le lieu où se créent les richesses. Grâce à la politique familiale, l’entreprise bénéficie d’une force de travail accrue et qualifiée. De même l’augmen-tation du pouvoir d’achat des ménages à travers les pres-tations familiales relance la demande effective en assu-rant des débouchés sur le marché intérieur. La politique familiale s’inscrit dans une articulation de l’ensemble des politiques sociales. Associée à une politique de formation et à une politique d’emploi, pour les jeunes, elle permet d’anticiper le financement des retraites de demain.

Mais nous proposons une réforme de progrès et d’efficacité sociale des cotisations d’employeurs pour un financement dynamique de la politique familiale. Ainsi le mode de calcul des cotisations d’employeurs doit être réformé et davantage branché sur le développement de l’emploi, de la formation, des salaires et d’un nouveau type de croissance, ce qui augmenterait en retour la masse des cotisations pour le financement d’une politique fami-liale efficace. Aussi proposons-nous un accroissement et une modulation des taux des cotisations employeurs te-nant compte de la politique d’emploi, de qualification et de salaires des entreprises, en lien avec le développement des luttes sociales. On viserait au contraire à dissuader de la course aux licenciements, à la compression des salaires et à la financiarisation des entreprises. Pour ce faire nous proposons, notamment, une nouvelle cotisation sur les revenus financiers des entreprises et des banques, celle-ci serait soumise au même taux que les cotisations d’em-ployeurs sur les salaires.

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Les options du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie : analyse et critique 37

L’avis du HCAM du 22 mars 2012 est contradictoire. On y trouve certes des éléments positifs comme la réaf-firmation de l’attachement aux valeurs des principes de la Sécurité sociale. Mais cet avis est traversé par l’obsession prédominante de la réduction des déficits par la « maî-trise » des dépenses de santé remboursables et des prélè-vements sociaux obligatoires, ainsi que par l’appel à déve-lopper le complémentaire. Ce rapport prend beaucoup de précaution, il recherche le consensus et vise à ne pas fâcher. S’il pose à sa façon de vraies questions, il avance des réponses pour le moins discutables voire dangereuses.

1. Un rapport contradictoire. L’assurance maladie est réaffirmée comme exprimant une valeur : la soli-darité entre les bien-portants et les malades. Mais cet avis est marqué par l’obsession de la réduction des déficits et de l’endettement publics.

Le rapport revient aux origines de la Sécurité sociale et rappelle le respect du principe constitutionnel selon lequel « La Nation garantit à tous (…) la protection de la santé » en choisissant, non pas une solidarité en fonc-tion du revenu, mais une solidarité entre bien-portants et malades. Il est justement rappelé que l’assurance maladie se fixe pour objectif d’assurer, par ses prestations, l’acces-sibilité des soins pour tous les malades, simplement parce qu’ils sont malades, et donc sans considération de leurs revenus. Il est souligné que les prestations d’assurance maladie ne s’adressent pas seulement à ceux qui n’ont pas les moyens de se soigner. Mais il est aussi rappelé que le système de santé assure aussi une nette redistribution entre hauts et bas revenus en raison notamment de son mode de financement, qui repose sur des cotisations croissant avec le revenu.

Il est aussi souligné que la finalité du système de san-té est d’éviter tout renoncement aux soins, notamment pour des raisons financières. Le HCAM affirme défendre aussi les dispositifs publics spécifiquement destinés aux personnes ayant les plus bas revenus : pèle mêle, il cite aide sociale des caisses de Sécurité sociale ou des collec-tivités territoriales, Couverture Maladie Universelle dite « complémentaire », mais aussi aide à l’acquisition d’une complémentaire santé. En rappelant que l’assurance ma-ladie côtoie aussi d’autres mécanismes de solidarité qui reposent plutôt sur une redistribution entre hauts et bas revenus, le rapport s’interroge sur la perte d’autonomie,

en recherchant simplement une cohérence « si l’on veut que les parcours des personnes, en particulier les plus âgées, ne soient pas trop fortement guidés par les conditions de prise en charge ». Le rapport souligne que « Notre système d’assurance maladie a pour but – avec le concours d’autres politiques publiques – de protéger l’état de santé de chacun ». Il rappelle le principe constitutionnel de protection de la santé qui conduit à la fois à la prévention et à la guérison de la maladie, mais aussi à la lutte contre la perte d’auto-nomie et pour une meilleure qualité de vie. Il invite à « l’optimisation » de l’ensemble des politiques publiques qui ont un impact sur la santé. On regrettera l’utilisa-tion à plusieurs reprises de ce terme d’optimisation qui appartient au vocabulaire de la théorie néoclassique, un des socles de la pensée libérale qui fonde en réalité le rationnement et un pseudo-choix entre les politiques publiques.

En matière de protection de la santé, le rapport rap-pelle l’exigence de couvrir l’ensemble des soins, préventifs et curatifs, mais il introduit des exigences de qualité, de sécurité et d’efficacité. Il constate dans certains secteurs, l’insuffisance de couverture par l’assurance maladie de base notamment pour l’optique, les prothèses dentaires. Il est rappelé que l’Assurance maladie doit s’interdire de ne pas rembourser des soins au seul motif qu’ils seraient « trop chers », et qu’elle s’oblige à être attentive aux in-novations techniques et thérapeutiques. Mais c’est pour insister sur l’exigence d’une « mobilisation optimale de nos ressources ». Le rapport rappelle l’obligation de ne pas né-gliger la prise en charge de certains soins précoces ou de première intention, même peu coûteux, qui ne doivent pas être délaissés si l’on entend favoriser les bonnes dé-marches de soins. On considère aussi, qu’on ne peut pas rembourser tout ce qui peut être proposé par le marché et l’on assiste alors à un vigoureux plaidoyer pour la réduc-tion de l’endettement et des déficits.

Le HCAAM martèle que les dépenses d’assurance mala-die ne doivent pas être financées par l’endettement. Il est certes d’abord rappelé à juste titre que l’Assurance ma-ladie concourt à la bonne santé de la population active et contribue à la croissance de la richesse nationale. Et l’on montre justement que l’Assurance maladie n’est pas qu’un simple « facteur de coûts », et pourrait même contribuer à dynamiser ses propres ressources. Mais

Les options du haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie :analyse et critique

Par Mme Catherine Mills

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38 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

c’est pour prétendre que les effets positifs sur la crois-sance peuvent être contrecarrés par les « effets pénalisants des prélèvements sociaux et fiscaux qui servent à son finan-cement ». On assiste donc à la reprise du dogme libéral selon lequel les prélèvements sociaux pénaliseraient la croissance. Et le rapport se prononce pour une concep-tion traditionnelle d’une gestion à l’équilibre des recettes et des dépenses de l’assurance maladie, en arguant que cela contribue au projet commun de solidarité : ce sont les bien portants d’aujourd’hui qui doivent être solidaires des malades d’aujourd’hui. Bien sûr, il considère qu’un déficit récurrent de l’Assurance maladie n’est pas admis-sible. La gestion à l’équilibre, sans endettement, de nos budgets d’Assurance maladie serait une exigence qui dé-coulerait des principes mêmes qui fondent notre solida-rité face à la maladie. Loin de rechercher une dynamique nouvelle des recettes et de s’interroger sur les effets de la crise et des politiques libérales sur le manque à gagner en matière de recettes et sur l’explosion des déficits, le HCAAM va rechercher des solutions dans la « maîtrise » des dépenses. Le rapport explore alors dans la lignée du rapport Chadelat de 2003 le concours des organismes complémentaires.

Notre système aurait fait le choix d’un partenariat entre ses différents acteurs.

C’est le recours à l’outil contractuel ou conventionnel des conventions d’objectifs et de gestion entre l’Etat et les caisses d’Assurance maladie, conventions avec les pro-fessionnels libéraux, accord-cadre et accords particuliers pour les médicaments et les dispositifs médicaux, contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens avec les établisse-ments de santé ou médico-sociaux etc. Le HCAM, lui-même présente une volonté de recherche de convergence des points de vue ou d’identification partagée des points de divergence – sur les évolutions les plus fondamentales du système. Il appelle à la recherche d’un large assenti-ment des différentes parties prenantes, ainsi qu’un travail de mise en cohérence.

2. Face au déficit de l’Assurance maladie, le rapport recherche plutôt que des recettes supplémentaires, un fonctionnement dit « optimal » du système de soins.

C’est d’abord l’air de rien un satisfecit à la politique menée par la droite et notamment à la réforme Douste- Blazy de 2004 puis aux réformes ultérieures. Les comptes auraient été redressés entre 2004 et 2008. Ce redresse-ment résulterait d’un effort équilibré entre, d’une part des mesures de recettes nouvelles, et d’autre part des mesures de maîtrise de l’évolution spontanée de la dépense (vo-lume et prix) ainsi que des remboursements aux assurés, aucune critique bien au contraire des politiques menées. Ce serait la crise économique et financière, sans analyse

ni interrogation sur la responsabilité des gestions et des politiques libérales, qui aurait brutalement effacé ce bon résultat. On invite au contraire à accélérer ces politiques. Une part de ce déficit serait structurelle, relève le rapport mais on ne dit pas que cela serait dû à une insuffisance structurelle du financement face à la montée des dépenses, pour une large part incontournable. Pour le rapport, l’urgence de court terme serait de combler l’écart creusé entre les dépenses courantes et les recettes courantes. Il se félicite de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 qui aurait prévu une réduction de 40 % de ce déficit courant, pour partie par des recettes nouvelles, et pour partie par la fixation d’un taux de croissance réduit des dépenses, c’est-à-dire de l’ONDAM, à 2,5 %.

Le HCAAM préconise un retour à l’équilibre, qui devrait, d’abord passer par une mobilisation des nombreux « gisements d’efficacité du système ». Le comblement rapide de l’écart entre dépenses et recettes devrait s’accompagner d’une recherche systématique des gains de bonne gestion afin de « maîtriser les dépenses d’assurance maladie ». Et il est encore martelé sans étude sérieuse de l’efficacité sociale comparée des systèmes : « un retard marqué par rapport à certains pays étrangers » : prescription dans le répertoire générique, recours aux pratiques et aux soins ambulatoires, respect rigoureux des référentiels de bonne pratique… Et le rapport appelle à des mesures encore plus « énergiques » notamment lors de l’élaboration de l’ONDAM pour un effort continu de réduction des dé-penses dites non pertinentes.

Le HCAAM constate cependant qu’on doit poser à court terme, la question de recettes nouvelles pour l’assurance maladie.

Avec toutefois la mise en garde que cette perspective s’inscrit, dans un contexte général de dégradation simul-tanée de tous les comptes publics et que la priorité serait la stabilisation de la dette sociale. Il est certes souligné que le choix de l’assiette des prélèvements est essentiel, en termes d’impact sur l’emploi et sur la croissance ; en termes d’« équité » et le rapport préconise un débat sur le financement de protection sociale, sans précision. Mais c’est pour réaffirmer « que les choix à conduire pour le redressement à court terme ne doivent pas faire oublier la contrainte de plus long terme qui s’exerce sur la croissance des dépenses publiques ». Tandis qu’il reprend ensuite l’idée que l’Assurance maladie ne devrait pas être confrontée de manière récurrente à la reconstitution de son déficit. Il n’y aurait pas d’avenir pour notre système d’Assurance maladie si son équilibre financier n’est pas assuré dans la durée, reprend le rapport. C’est alors la reprise du dogme, institutionnalisé dans le plan Juppé de 1995-1996 selon lequel l’assurance maladie ne peut, maintenir son taux de

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Les options du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie : analyse et critique 39

prise en charge sur l’ensemble des soins pour l’ensemble des assurés sociaux qu’à la condition que le « rythme de croissance de ses dépenses suive globalement le rythme de croissance de la dépense totale de santé ».

On souligne alors que la dépense de santé des Français occupe une part de plus en plus importante de la richesse produite par le pays. Sans voir qu’il s’agit d’une loi fon-damentale qui lie l’accroissement des dépenses de santé au niveau de développement d’un pays. Aussi certes la croissance spontanée de la dépense de santé est plus forte que celle de la richesse nationale, mesurée par le PIB. La montée de la part de la dépense de santé dans le PIB, placerait selon le rapport la dépense d’Assurance maladie sous forte tension. En effet, d’un côté, le rapport affirme qu’il serait difficile d’imaginer que la dépense d’assurance maladie puisse indéfiniment suivre une telle tendance, en s’attribuant une part perpétuellement croissante de notre richesse collective. Cela ne pourrait se faire « qu’au détri-ment d’autres grands besoins sociaux », qui font aussi appel aux financements publics, et qui connaîtraient ainsi, par une forme d’éviction, une régression de leur part rela-tive, prétend le rapport. Comme s’il fallait choisir entre la dépense de santé et la dépense d’éducation, alors qu’elles sont complémentaires et que dans tous les cas, il faut s’at-teler à dégager les financements nécessaires.

Et le rapport persiste : on ne pourrait, accepter une envolée des dépenses de santé qui ne serait pas soutenable pour les dépenses publiques. On ne pourrait pas accep-ter un « écart croissant entre cette dépense de santé et la dé-pense d’Assurance maladie ». Le creusement d’un tel écart équivaudrait à un « déremboursement » massif des soins et pousserait au repli de l’Assurance maladie sur seule-ment certains soins ou certains publics. On brandit alors le danger de l’abandon progressif de la valeur de solida-rité universelle entre bien portants et malades qui fonde aujourd’hui notre système. « L’évolution tendancielle de la dépense totale de santé nous placerait donc, selon le rapport, face à un choix collectif ». Pour dépasser le dilemme que crée l’écart tendanciel des taux de croissance, « c’est sur la croissance spontanée des dépenses de santé qu’il faut porter l’effort ». Néanmoins le rapport prétend refuser que cela passe par un « rationnement » de la consommation de soins. Il considère qu’il est possible et légitime d’agir sur la croissance des dépenses de santé en stimulant tout ce qui, dans cette croissance, est vraiment utile à la santé, et en luttant contre tout ce qui ne se rapporte pas à des soins de qualité. On se demande cependant qui et comment on définirait cette utilité et cette qualité. Cela exigerait (en-core !) la mobilisation optimale des ressources, humaines, techniques et financières « du système de soins lui-même ». Et on met alors en avant la défense des valeurs du sys-tème, laquelle exigerait des efforts de réorganisation.

3. Le défi de la prise en charge des soins chroniques et des pathologies multiples invoqué pour une trans-formation de l’offre de soins.

« On ne peut pas comprendre les phénomènes de « vieillis-sement » de la société si l’on ne saisit pas leur lien étroit avec la « chronicité » croissante des maladies »

Il est souligné la place désormais majeure des maladies chroniques et des polypathologies. Ceci permet de mesu-rer l’impact du vieillissement de la population et celui de la diffusion de l’innovation médicale sur la croissance des dépenses de santé. L’allongement de l’espérance de vie s’expliquerait essentiellement, depuis quelques dizaines d’années, par l’allongement de l’espérance de vie aux grands âges, manifestation de la « transition épidémiolo-gique » c’est-à-dire le remplacement des maladies aiguës par l’addition de maladies dites « chroniques », lourdes et graves, mais avec lesquelles, grâce à des traitements adap-tés, on peut vivre longtemps. Mais évidemment puisqu’il y a de plus en plus de personnes vivant âgées, en situation de chronicité et de polypathologies, cela nécessite de plus en plus de personnels et de soins.

« De même, l’innovation médicale est, elle aussi, très étroitement liée au développement de la chronicité ».

La recherche et l’innovation médicale ont joué un rôle essentiel dans la transition épidémiologique. On souligne que les progrès et les découvertes dans les différents do-maines du diagnostic et de la thérapeutique, ont permis la guérison de certaines maladies, mais ont également per-mis à davantage de malades de vivre plus longtemps avec leur maladie, et ont – du même coup – contribué à ce que le nombre de malades chroniques augmente. Mais, c’est aussi sous la pression des attentes suscitées par un nombre croissant de situations chroniques que l’innovation se dé-ploie, souligne le HCAAM. Il relève que la pointe du progrès médical s’adresse très souvent aux malades lourds et complexes, notamment ceux dont le traitement atteint les limites des thérapeutiques traditionnelles.

« La question du « parcours » de soins est avancée afin de transformer l’offre globale de soins. »

Les situations de chronicité appellent la présence autour de la personne concernée, d’un grand nombre de services et d’intervenants (professionnels libéraux, équipes hospitalières, services d’hospitalisation à domi-cile, de soins à domicile ou d’aide à domicile, auxiliaires de vie). La qualité du soin devrait s’apprécier que de manière globale, comme la qualité du « parcours » de soins de la personne malade, appréhendé dans sa tota-lité. Les questions de coordination seraient donc déter-

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minantes, entre les différentes prises en charge sanitaires mais aussi entre les prises en charge sanitaires et sociales. L’intervention « adéquate » des professionnels du sec-teur social ferait partie intégrante du processus soignant. Cet enjeu de coordination soignante et sociale est encore plus fort pour les personnes âgées dites « dépendantes », c’est-à-dire en perte d’autonomie ou encore pour les per-sonnes atteintes de troubles psychiques, ou d’un cancer dont le traitement altère durablement l’autonomie et la vie sociale. Les situations de chronicité représentent une part très importante de l’ensemble des coûts de soins et de remboursement. Elles concentrent, sur les cas lourds ou complexes, l’essentiel de la croissance des dépenses de santé et d’Assurance maladie.

Le rapport prétend que ce sont les « parcours » de ces personnes qui sont les plus susceptibles d’engendrer des interventions inadéquates des différents profession-nels soignants : mal réparties entre eux, trop précoces ou trop tardives, incomplètes ou inutilement lourdes. Ces défauts de coordination seraient autant de facteurs de non-qualité qui sont en même temps des coûts évitables pour l’Assurance maladie. Ainsi, par des approches ter-ritoriales comparatives, le HCAAM aurait pu estimer à plusieurs milliards d’euros l’ordre de grandeur financier des effets d’une mauvaise prise en charge du parcours de soins des personnes âgées dites dépendantes et préconise l’amélioration de la qualité, de « l’efficience » des parcours de soins.

4. Vers une médecine de « parcours », sans moyens de développement de l’offre publique de soins.

L’objectif de cette médecine de parcours serait d’at-teindre, par une pratique plus coopérative entre profes-sionnels et une participation plus active des personnes soignées, à une « qualité » d’ensemble, et dans la durée, de la prise en charge soignante. Cette recherche d’une qualité globale du parcours de chaque personne indui-rait d’importantes transformations dans les relations entre l’Assurance maladie, les professionnels soignants et les malades. Dans une approche de « parcours », l’Assu-rance maladie devrait, selon le HCAAM, se positionner davantage comme l’instrument financier d’une démarche professionnelle, qui viserait à la qualité de l’accompagne-ment soignant de chaque personne tout au long de sa vie. L’assurance maladie devrait pour cela « reconnaître les nou-veaux contenus et les nouvelles formes du travail soignant ». La médecine de « parcours » demande un travail soignant « plus collectif ». Elle appellerait la combinaison de soins de premier recours « populationnels », c’est-à-dire tournés vers la prise en charge globale des besoins de santé d’une population sur un territoire donné, et d’une médecine de spécialité et de plateau technique, plus interventionnelle aux moments qui l’exigeraient. Bien, mais quels moyens pour sortir de la crise de la démographie médicale ?

Le rapport recherche le développement des pratiques pluri-professionnelles du travail soignant, et de considérer que les fonctions de coordination sont partie intégrante du soin. Mais loin de proposer une véritable revalorisa-tion de la médecine générale et de ses conditions d’exer-cice, il note que le travail de coordination pourrait être exercé par une infirmière ou une assistante sociale. Sans s’interroger sur la crise de la démographie ou les condi-tions de travail, d’emploi et de salaires de ces catégories.

Le rapport prône l’accès aux données, leur échange et la synthèse du dossier médical par le médecin traitant. Il revendique la transformation de la « fonction de pro-duction » notion très critiquée et utilisée par les écono-mistes néoclassiques et encore l’utilisation optimale des compétences. Des évolutions importantes seraient certes nécessaires, dans les pratiques comme dans les formations initiales et continues, pour les différentes catégories de professions de santé, mais on ne s’engage pas sur la sortie de la crise de la démographie médicale, on en appelle à d’autres acteurs sociaux ou de santé.

« L’assurance maladie devrait également faire évoluer ses modalités de tarification pour inciter au travail collectif ».

L’attention portée par le HCCAM à une médecine de « parcours » viserait à inciter chaque soignant à des « com-portements » qui facilitent le travail des autres soignants, et qui orientent la personne soignée vers le meilleur « par-cours » global. Le mode d’ « allocation des ressources » ne devrait pas avoir d’effet « désincitatif » à l’égard du travail collectif et de la qualité de ce « parcours » global. Le rap-port souligne justement la limite des tarifications qui ne s’attachent qu’à la rémunération d’actes, sans rechercher le meilleur parcours. Il y a donc nécessité d’inventer des tarifications incitant à un travail soignant plus transver-sal entre l’hôpital, les soins de ville et le médico-social, appuyé sur des formes d’exercice pluri-appartenantes et pluri-professionnelles. Cela implique des rémunérations « autres qu’à l’acte ».

« L’assurance maladie devrait aussi accompagner le nou-veau positionnement des services hospitaliers ».

Le HCAAM souhaite une « insertion optimale » de l’hôpital dans le parcours de soins. Dans quel sens et pour quelles injonctions ? La coordination soignante relèverait de la médecine de proximité. L’hôpital devant lui four-nir, au bon moment, l’apport puissant de compétences cliniques et techniques dont le « parcours » d’un malade. L’hôpital selon le rapport ne saurait être le lieu vers lequel convergerait par défaut tout ce qui n’a pas trouvé ailleurs de réponse organisée. Bien là aussi, mais quelles propo-sitions pour sortir des graves limites de la médecine de ville ? Et surtout il n’y a aucune interrogation sur la crise

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de l’hôpital public qui résulte des réformes de rationne-ment de l’offre publique de soins imposées par les poli-tiques libérales. Pour le HCAAM, il est visé « l’optimi-sation du parcours de soins » laquelle devrait conduire à des séjours d’hospitalisation complète qui soient, aussi bien dans l’intérêt du malade que pour la mobilisation optimale des équipes hospitalières, les plus proches pos-sibles du « juste soin ». Comme on le voit, il faudrait faire au plus juste : des séjours moins nombreux, moins longs ou moins répétés et moins souvent provoqués par une situation d’urgence. Au-delà des soins aigus à l’hôpital, on s’interroge sur l’amont et sur l’aval de l’hôpital : prise en charge par les soins de ville, par les services de soins de suite et de réadaptation ou d’hospitalisation à domi-cile, places en hébergement temporaire ou permanent en EHPAD, etc. On se contente de soulever aussi les ques-tions d’organisation interne de l’hôpital : plus de trans-versalité et de qualité de transmission entre services face aux situations de polypathologies, prise en charge précoce des enjeux sociaux et des conditions de sortie, plus grand recours aux traitements ambulatoires lorsqu’ils sont pos-sibles, relations suivies avec les médecins traitants.

On invoque, certes, à juste titre la nécessité du dé-veloppement de l’hospitalisation à domicile et « un lien étroit et organisé avec le secteur médicosocial et les profession-nels libéraux ». Certes, mais c’est bien mal connaître la crise profonde de l’hôpital dans laquelle l’ont plongé les réformes libérales de rationnement et de montée du pri-vé. Et l’on note l’absence totale de propositions alterna-tives concernant le financement de l’hôpital. « L’assurance maladie devrait surmonter les clivages entre le sanitaire et le social », prône le HCAAM. Notamment dans le cas des personnes âgées dites « dépendantes », souffrant à la fois de pathologies multiples et d’une perte d’autonomie, le rapport considère que la notion de « soin » et la notion « d’accompagnement » sont fortement imbriquées, et que l’Assurance maladie, présente sur le terrain du soin, l’était aussi sur le terrain de la compensation de la perte d’autonomie : prise en charge d’actes infirmiers, de dis-positifs médicaux ou de l’accueil en établissement. Il est encore recouru à la notion d’optimisation des parcours. Dans le respect des compétences des différents finan-ceurs, (publics et privés !), des Conseils généraux finan-ceurs de l’aide sociale, l’articulation des financements serait fondamentale pour une prise en charge coordon-née des « parcours ». Le HCAAM appelle à davantage de contractualisation, notamment au niveau local, entre ARS et collectivités territoriales. L’objectif étant, avec la coor-dination des intervenants et des financeurs, « d’optimi-ser » globalement la dépense publique, ce qui vise encore à un rationnement des dépenses publiques et à un appel aux financements privés, sous la tutelle des ARS. Le rap-port considère qu’une meilleure prise en charge solidaire

de la « perte d’autonomie » pourrait se révéler vertueuse pour l’ensemble de la dépense publique.

La participation du malade à son « parcours » devrait être, encouragée.

La place du malade comme acteur premier de toutes les décisions qui touchent à sa santé relèverait d’abord d’un impératif éthique. Mais l’implication active du ma-lade serait également un enjeu de qualité dans la prise en charge de son « parcours » de soins. Sa participation, « éclairée et volontaire », est déclarée fondamentale pour la régularité du suivi du traitement, pour prévenir les ag-gravations et les rechutes, pour l’accompagnement que requièrent beaucoup de maladies chroniques. En outre le HCAAM estime qu’il convient de développer les enjeux de prévention et d’éducation pour la santé, d’information, des patients sur les maladies et la qualité des traitements. On viserait une démarche partagée entre soignants et soi-gnés face à la maladie. Le rapport propose, notamment aux malades couverts par le mécanisme des « affections de longue durée » (ALD), des offres de services personnalisés de soins prenant en compte la situation particulière du malade, et visant à associer qualité des soins et qualité de la prise en charge financière. Ces offres – ou programmes personnalisés de soins – comporteraient ainsi des engage-ments volontairement souscrits, aussi bien par le patient que par les professionnels ayant une vigilance particulière pour que leur mise en œuvre ne retarde ni le diagnostic ni le traitement. Certains membres du HCAM ont exprimé le souhait que, dans un tel cadre, la meilleure qualité de la prise en charge financière puisse être liée au respect des engagements souscrits. Autant de facteurs de montée du privé et des inégalités.

5. Comment prétendre mobiliser l’Assurance ma-ladie contre les obstacles physiques et financiers à l’ac-cès aux soins, sans moyens, sans réforme de progrès ?

Le rapport prétend « que l’accès aux soins demeure d’une grande qualité d’ensemble ». La France se situerait toujours dans la moyenne haute de consommation de soins des pays développés, en montant de dépenses, en volumes d’actes ou nombre de séjours, ou encore en nombre de professionnels et d’établissements par habitant. Il en irait de même s’agissant des taux de prise en charge publique. Le taux moyen de remboursement par l’assurance mala-die obligatoire est prétendu élevé. La seule dépense pu-blique de santé d’un Français a le même niveau moyen que la dépense totale de santé d’un habitant des pays de l’OCDE. On relève certes un léger effritement sur la période récente, mais une stabilité depuis trente ans. Cependant ces chiffres moyens ne rendent compte, ni de la polarisation croissante sur les soins les plus lourds, ni de la très grande disparité des situations individuelles.

Les options du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie : analyse et critique

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42 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Le HCAAM rappelle certes que « notre système de soins souffre de grandes disparités au plan territorial » en matière de densité d’équipements ou de services qui, ajoutés à la liberté tarifaire, peuvent pénaliser l’accès aux soins. Et en particulier, la grande disparité interdépartementale de médecins exerçant en secteur 1, notamment rapportée à la population des ménages modestes. Il relève les inégali-tés territoriales dans l’accès aux différents professionnels et institutions de la « filière gériatrique ». Le HAAM in-siste (sans doute à juste titre) sur la nécessité d’une poli-tique plus volontariste de l’installation des médecins sur tout le territoire, notamment autour de la problématique des déserts médicaux. Il estime qu’il est légitime que la puissance publique fixe des règles en matière d’installa-tion des institutions, services et professionnels de santé. Selon le rapport, la mesure du besoin doit tenir compte de l’ensemble de l’offre disponible, hospitalière, médico-sociale, ambulatoire, et ne doit pas reposer sur de simples comparaisons de densité de professionnels ou de lits, mais sur une analyse des services attendus par la population et des diverses manières d’y répondre.

L’approche par « parcours de soins » supposerait une approche globale du problème de la densité médicale et soignante : c’est en fonction d’une vision interdiscipli-naire de l’exercice soignant qu’il faudrait aborder la ques-tion de l’offre nécessaire et de sa bonne répartition sur le territoire. Cette analyse des besoins constitue locale-ment un très important enjeu de démocratie sanitaire. Il s’agit d’un processus continu, et la capacité à animer ce débat et à en faire partager les enjeux sera une tâche de plus en plus essentielle pour les ARS. Sachant que les bassins de vie pertinents doivent relever de mailles géo-graphiques plus fines que le niveau régional ou départe-mental qui sert en général aux statistiques. Il n’y a dans cet avis aucune remise en cause, bien au contraire, des réformes régressives récentes. Enfin, le HCAAM rappelle tout l’intérêt qu’il attache à une démarche contractuelle. Il considère positivement l’exemple des conventions avec les infirmières d’introduire des exigences au niveau indi-viduel tout en se situant dans un cadre négocié au niveau collectif.

Notre système d’assurance maladie souffrirait d’inégalités et d’un manque de lisibilité sur l’accessibilité financière.

Le HCAAM a alerté sur le fait que le haut niveau moyen de couverture des soins s’accompagnait d’une très forte dispersion des niveaux de « reste à charge », c’est-à-dire de paiement des soins laissé à la charge de la personne malade (ou de l’assurance complémentaire). Le HCAAM a effectué une mesure quantitative et qualitative de cette très forte concentration des « reste à charge », en y notant la contribution dominante des soins dont le tarif n’est pas

réglementé. Par ailleurs, il tient à alerter sur la complexité croissante des règles de remboursement, et notamment d’exonération du ticket modérateur, qui relèveraient de logiques superposées, pas forcément cohérentes entre elles. Il considère la médiocre « lisibilité » des conditions de prise en charge rend hypothétique la fonction d’incita-tion prétendue des taux majorés, met en cause l’équité du système, et conduit à des recours sous-optimaux au sys-tème de soins. Concernant le système de prise en charge des maladies les plus lourdes et coûteuses (dites « ALD »), il montre que ses bénéficiaires subissaient néanmoins un plus gros reste à charge moyen que le reste de la popula-tion, et que le système bénéficierait à des assurés ayant parfois très peu recours aux soins, tout en laissant de côté certaines situations pourtant génératrices de fortes dépenses. Le HCAAM souligne l’« extrême complexité - parfois l’absence d’équité  » du système de participation des assurés à l’hôpital, les règles de remboursement, pré-sentées comme généreuses, n’éviteraient pas certaines situations critiques et notamment un manque dit de cohérence et de lisibilité des choix de priorités, comme le démontrerait le « renoncement aux soins ». Cela appelle-rait à une grande vigilance, ainsi qu’une politique active pour rendre effectifs la connaissance et l’accès des droits.

6. Une mise en pratique qui viserait à une refonte régressive de l’offre de soins

Investir dans notre système d’information.

Le HCAAM considère que des progrès très impor-tants auraient été accomplis au cours des dix dernières années en matière de connaissance de la dépense de santé et d’assurance maladie : codage des actes et des patholo-gies, mise en place d’un système d’information détaillé et unifié de l’assurance maladie (SNIIRAM), rapproche-ment de données d’enquête et d’un échantillon de béné-ficiaires, etc. Mais il souhaite aller beaucoup plus loin afin d’appréhender de manière globale les « parcours » de soins, ce qui impliquerait de disposer des nouveaux outils statistiques : pouvoir rattacher à une même personne, et suivre dans le temps, l’ensemble des paiements qu’elle a effectués, des prestations qui lui ont été délivrées et des remboursements qu’elle a reçus. Il faut également être en mesure de rapprocher toutes ces données des informa-tions cliniques et sociales recueillies dans le cadre de la prise en charge soignante. Or il n’existerait pas encore de base de données permettant de connaître ce que représen-tent globalement, pour une même personne, les dépenses et les remboursements de soins de ville, de soins en éta-blissement de santé et médico-sociaux et d’aide sociale à l’autonomie, ni de les rapprocher des éléments cliniques de la prise en charge soignante. Il ne serait pas possible de connaître et de suivre les dépenses de santé et leurs rem-

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Les options du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie : analyse et critique 43

boursements, non pas seulement pour chaque individu, mais également par ménages. Aucune base ne permettrait pour l’instant d’avoir, pour une même personne, le suivi pluriannuel de ses dépenses et de son reste à charge, ou de connaître le cumul des remboursements par l’assurance maladie obligatoire et les assurances complémentaires.

Le HCAAM en soulignant l’urgence et l’importance qu’il y aurait à investir dans la connaissance, souhaite ac-célérer fortement les processus en cours, au mépris des libertés individuelles et de la confidentialité, d’autant que les mutuelles et les assureurs auraient accès aux données de santé comme les employeurs. Certes la nécessité d’une meilleure connaissance des coûts analytiques dans les éta-blissements de santé et les établissements médico-sociaux est incontournable, mais l’on prétend que l’on ne dispose ni d’évaluation, ni de discussion, ni de mise en œuvre d’une politique d’optimisation transversale de la dépense publique de santé.

Le HCAAM propose de « Faire davantage confiance aux acteurs locaux ». L’universalité de l’assurance maladie rejoindrait l’égalité des droits devant la santé. Elle devrait se traduire par une application uniforme de ses principes sur tout le territoire national. C’est une des raisons pour les-quelles le HCAAM aurait mis en garde contre les consé-quences qu’aurait l’introduction d’enveloppes limitatives de dépenses calculées au niveau régional (« ORDAM »). La conséquence logique d’une telle proposition serait, en effet, d’accepter que les règles de l’Assurance maladie puissent, pour les assurés comme pour les professionnels, être fortement modulées d’une région à une autre pour pouvoir tenir les objectifs imposés. En revanche, le rap-port préconise d’organiser des « parcours » concrets de malades à partir d’une approche territoriale. Le HCAAM estime qu’en matière de coordination soignante et so-ciale, la compréhension des phénomènes, la connaissance des ressources et le choix des modes d’action relèveraient essentiellement d’une politique de territoire, et que la mise en œuvre passerait par un travail collectif d’acteurs locaux, avec plus d’autonomie dans les choix d’organisa-tion et dans les outils d’incitation.

Certains membres du HCAAM ont rappelé leur op-position à la construction actuelle des ARS, mais la très grande majorité des membres, les considèrent comme une « opportunité ». Les ARS devraient, selon le rapport avoir les moyens de devenir les acteurs de cette coordina-tion des soins, sur la base de « territoires de santé » qui intègrent les contraintes concrètes d’habitude de vie et de déplacement, en lien étroit avec les collectivités ter-ritoriales chargées de l’aide sociale. Le HCAAM redoute d’ailleurs qu’une insuffisante autonomie de décision et de gestion de leurs moyens laisse demeurer les ARS dans un

rôle d’opérateurs locaux de politiques nationales extrê-mement cloisonnées. Il insiste pour que leur soient don-nées de plus grandes libertés d’emploi des crédits dont elles ont la charge, ainsi que, dans des cadres élaborés au niveau national avec les organismes représentatifs, de plus larges capacités de contractualisation avec les établisse-ments et services de soins et d’aide à domicile ainsi que, de manière collective, avec les professionnels de la région. Ce serait un choix fondamental de gestion publique. Tout en affirmant le rôle du pilotage national dans la dé-finition des objectifs et la répartition des moyens entre territoires en fonction des besoins, cela consisterait à faire jouer plus largement la subsidiarité dans la conduite de ces objectifs nationaux.

Des « projets pilotes » servant de prototypes aux transfor-mations de fond.

Des dispositifs expérimentaux de soins coordonnés, associés à de nouveaux modes de rémunération des pro-fessionnels, auraient déjà été mis en œuvre à titre expé-rimental. Certains « réseaux » auraient pu aire l’objet d’évaluations favorables. Cependant le rapport regrette qu’aucune de ces expériences ne soit parvenue au stade de la généralisation, et souffrirait des défauts des dispo-sitifs financés de façon dérogatoire et non pérenne. Le HCAAM propose d’aborder une phase nouvelle consis-tant à concrétiser, sur quelques territoires, des prototypes d’organisation nouvelle autour du parcours de soins des malades, choisis, pour commencer, parmi les plus fragiles. Cela impliquerait l’ensemble de la chaîne soignante, de-puis les soins hospitaliers les plus spécialisés jusqu’aux services d’aide à domicile, en passant par la coordination des soins en ville, notamment libérale. En se concentrant sur quelques grands bassins de vie servant de laboratoires, on prétend montrer qu’il est possible de travailler autre-ment, en offrant une meilleure qualité de soins sur les parcours les plus complexes.

Ces « projets pilotes » auraient une vocation de préfi-guration. Leur généralisation impliquerait un important investissement préalable dans les méthodes et les outils de suivi et d’évaluation. Leur pilotage national devrait être fort, et ses modalités concertées avec les organismes professionnels représentatifs. Leur mise en œuvre locale devrait se faire sous l’égide de quelques ARS choisies, pré-tendant s’appuyer sur le contexte local, et travaillant en lien étroit avec les collectivités territoriales, cela pourrait être élargi à d’autres financeurs et impliquer une dyna-mique de partage des données entre tous les acteurs, ce qui est grave eu égard au secret médical, et à la confidentialité du dossier personnel des malades. Les « projets pilotes » devraient s’attacher à faire émerger, des organisations nouvelles du travail soignant, autour des entrées et sorties

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44 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

d’hôpital, de la mise en œuvre pluriprofessionnelle d’un même protocole, de l’échange de données cliniques entre soignants, de la mise à disposition d’appuis spécialisés aux médecins de ville, et particulièrement aux médecins traitants. Ils pourraient permettre le recours à de nou-velles compétences et de nouveaux acteurs, en appui aux tâches médicales, en assistance aux malades. Ils devront s’appuyer sur de nouvelles solutions technologiques.

7. Trois thèmes pour le débat public qui posent de graves questions.

Rechercher l’association de la plus grande « qualité » du soin (par une médecine de « parcours ») et d’une réelle qualité de prise en charge (en rendant les « parcours » ac-cessibles à tous).

Sur le périmètre des biens et services remboursables, et la manière de le gérer.

Pour notre part nous récusons cette définition bu-reaucratique d’un périmètre forcément limité qui rejoint la notion de panier des soins limités ; cela conduirait à distinguer les soins à rembourser, à limiter les soins rem-boursés par l’assurance de base et donc éventuellement pris en charge par les complémentaires privées.

Le HCAAM déclare : pour que le système d’Assurance maladie exprime la solidarité avec tous les malades, son périmètre doit englober tous les biens et services « né-cessaires ». Mais en contrepartie du caractère obligatoire de ses prélèvements, on peut attendre de lui qu’il justifie « l’utilité » des biens et services qu’il prend en charge. Le HCAAM souligne que cette visée, consistant à ce que l’Assurance maladie garantisse « seulement l’utile mais tout le nécessaire », passe prioritairement par l’attention aux conditions d’exécution des actes et à la pertinence des prescriptions. C’est dans la pratique soignante, bien plus que dans le périmètre des actes et biens remboursables, que se joue « l’utilité » ou la « non utilité » d’un acte ou d’une prescription. Mais la question de « l’utilité » appel-lerait une gestion active, vigilante et transparente de ce qu’on appelle couramment le « panier » de biens et ser-vices remboursables.

Toute inscription d’un acte ou produit nouveau de-vrait ainsi, en principe, questionner la présence de tous les produits ou actes déjà inscrits dans ce « panier », car leur utilité doit être chaque fois réappréciée à l’aune de cette nouveauté. Le HCAAM a notamment insisté sur ce point lors de son examen de l’inscription au rembourse-ment des médicaments, et dans ses considérations sur la « liste en sus » des établissements de santé tarifés à l’ac-tivité. Cet enjeu de vigilance sur l’objet de la solidarité rejoint pour le HCAM l’enjeu de vigilance sur la sécurité des produits et des traitements.

- Faut-il s’en tenir à une appréciation du progrès thé-rapeutique apporté par un acte ou un produit nouveau par rapport aux stratégies soignantes antérieures ? C’est-à-dire une amélioration thérapeutique pour les cas déjà traités ou une extension à des cas nouveaux – ce que pour les médicaments on appelle l’amélioration du service mé-dical rendu, ASMR.

- Dans cette optique, se poserait la question de sa-voir s’il faut alors limiter le remboursement à ceux des actes ou produits nouveaux qui présentent un progrès thérapeutique, ou si, à l’inverse, on doit conserver l’accès à l’intégralité de la gamme des actes ou produits ayant le même intérêt thérapeutique que ceux qui sont déjà remboursés. Certains pensent que le « panier » pourrait être beaucoup plus sélectif qu’aujourd’hui. D’autres, es-timent qu’il n’y a pas de gain à attendre d’une telle sélec-tivité. D’autres posent la question la question d’une plus grande netteté dans le choix de ce qui doit faire l’objet d’une prise en charge solidaire, en ne considérant comme « nécessaire aux soins » que ce qui apporte une véritable valeur ajoutée thérapeutique, et en le remboursant très bien, ou si l’on doit continuer d’admettre un « panier » beaucoup moins sélectif, mais assorti d’une « multiplicité de taux de prise en charge » parfois symboliques.

- Enfin, s’ajouterait, pour le rapport, la possible évo-lution vers une logique de « juste soin » au fait que cet acte ou ce produit est délivré dans un cadre thérapeutique particulier, ou à un stade précis d’un protocole de traite-ment. Donc dans tous les cas, une logique d’éclatement, de sélection.

Sur la régulation des prix des biens et services partielle-ment financés par l’Assurance maladie et notamment sur la question de l’opposabilité des tarifs.

Le HCAAM rappelle qu’il ne s’est jamais opposé par principe à l’existence de secteurs dans lesquels les tarifs d’actes ou de produits remboursés par l’assurance maladie ne sont soumis à aucun plafond réglementaire (actes médicaux en « secteur 2 », soins dentaires prothé-tiques, optique, divers dispositifs médicaux…) ! Mais il considère que cela peut poser un problème majeur en l’absence d’une régulation « convenable » comment ga-rantir une accessibilité financière des soins, si le taux de prise en charge connaît une évolution sans contrôle. La question de l’opposabilité tarifaire, c’est-à-dire la faculté de connaître et de maîtriser les prix de tous les biens et services qui interviennent dans un « parcours » de soins, doit être abordée pour tous les biens et les services qui y échappent, avec le double souci d’assurer une juste rému-nération des professionnels de santé (cad ?) et de lutter contre les tarifs excessifs. Mais on ne s’avance pas sur l’interdiction des dépassements d’honoraires…

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Les options du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie : analyse et critique 45

- Le HCAAM évoque la question d’une stricte régle-mentation des prix, assortie d’une revalorisation des bases de remboursement de l’Assurance maladie. Cette option, qui reviendrait à réintégrer dans le champ de la prise en charge collective une partie de ce qui est aujourd’hui couvert par l’assurance complémentaire, équivaudrait pour l’essentiel à un transfert – très important dès lors que l’ensemble du champ serait concerné – de cotisations volontaires vers des prélèvements obligatoires. Le rapport déclare faire ce choix mais il examine d’autres pistes : viser l’opposabilité dans un cadre qui combinerait les remboursements de l’assurance maladie obligatoire et des assurances complémentaires. L’idée serait évidemment de réduire les coûts pour l’Assurance maladie et d’augmen-ter la part actuellement prise en charge par les assurances complémentaires ; cette solution supposerait toutefois une limitation au moins conventionnelle des tarifs, et certaines contraintes sur les contrats d’assurance.

- Enfin certains membres du HCAAM, préfèrent, sans limiter ni réglementairement ni contractuellement les ta-rifs et les prix, faire jouer les mécanismes dits concurren-tiels dans les secteurs à prix libres, en prétendant susciter davantage de comparaison et de transparence sur la qua-lité et le prix des produits et services, ou par des accords directs avec les professionnels.

À cela s’ajoute la question de l’opposabilité tarifaire pour les dépenses qui ne font pas partie des soins pris en charge par l’Assurance maladie, qui n’obéissent pas au même principe d’universalité, mais qui sont cependant décisives pour la qualité du « parcours ». Par exemple lorsque la meilleure prise en charge suppose un accueil en maison de retraite médicalisée, et que cette option se révèle trop coûteuse en raison des frais d’hébergement. Enfin, la logique du « parcours » devrait inciter à garantir prioritairement l’opposabilité tarifaire afin d’assurer « une qualité optimale du « parcours » de soins ». Avec les deux questions complémentaires de la rémunération attractive des professionnels de santé et d’une forme d’opposabilité des recommandations de bonne pratique.

Le rapport s’interroge alors sur « la question de savoir si l’on peut, pour notre système de remboursement qui est plu-riel, formuler un socle de valeurs susceptibles d’être partagées au-delà de la seule assurance obligatoire ». C’est alors pour affirmer que les assureurs complémentaires membres du HCAM occupaient une place constitutive dans notre sys-tème de prise en charge des frais de santé. Ce qui est faux !

Puisque la Sécurité sociale s’est largement construite contre eux. Le HCAM cherche d’ailleurs à se dédoua-ner en insistant sur le fait qu’il n’aurait jamais proposé que s’opèrent des déplacements importants de prise en charge entre assurance maladie obligatoire et assurance complémentaire. Et il réaffirme, par prudence, le respect du principe « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » ainsi que le refus que la prise en charge par l’Assurance maladie obligatoire s’écarte substantiellement des niveaux qui sont les siens aujourd’hui. Cependant, reprend-il, les deux logiques coexistent dans la prise en charge des frais de santé. Et le rapport va jusqu’à pré-tendre que notre pays « n’avait jamais fait le choix d’un système entièrement gratuit » en arguant que le principe d’un reste à charge personnel ayant été assumé depuis l’origine. Le HCAAM s’inquiète alors du nombre de personnes qui renoncent à souscrire un contrat complé-mentaire pour des raisons financières ainsi que du relatif insuccès de ce mécanisme d’accès à la complémentaire santé qu’est l’ACS et sur la nécessité d’avoir une réflexion d’ensemble sur ce sujet. Il formule clairement les vœux que les complémentaires soient plus étroitement asso-ciées aux actions de gestion du risque et soient, en consé-quence, en capacité de disposer de toutes les données statistiques nécessaires. Ce qui, en ce qui me concerne, me paraît dangereux et contraire au principe d’unité de la Sécurité sociale. Et surtout ce partage et cet accès aux données de santé personnalisées par les assureurs ont de quoi inquiéter. Pour faire apparemment contrepoids, il revendique une plus « grande lisibilité et comparabilité des contrats complémentaires ». Mais il persiste et invoque la nécessité de bases de données permettant de connaître la réalité du reste à charge après paiement par la complé-mentaire, sans omettre le coût des primes versées.

Le rapport prône une démarche partagée par un grand nombre de financeurs publics et privés, un socle commun, une démarche contractuelle comprenant aussi les partenaires sociaux qui négocient les contrats col-lectifs, avec quelques principes déclinés sans vraie dis-cussion ; outre la non sélection des risques de santé, on trouve le refus de prendre en charge une dépense de santé non justifiée par la qualité des soins, recherche de cette qualité par l’organisation des soins et la médecine de « parcours », etc. Dans la lignée du rapport Chadelat de 2003, le rapport insiste sur un partage des tâches « entre les régimes obligatoires d’assurance maladie et les assureurs complémentaires » et sur le partage d’expertise le cadre de programmes conjoints.

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46 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Le 25 janvier 2011, le sénat a examiné en séance pu-blique un texte issu de la commission des affaires sociales émanant de trois propositions de loi, dont la mienne, toutes relatives à l’euthanasie. Dix-huit des vingt-quatre membres du groupe CRC-SPG ont signé cette proposi-tion de loi et je respecte ceux qui n’ont pas voulu le faire.

Une question éthiqueCe débat sur une question éthique complexe, alors

que la société évolue en permanence, était nécessaire. C’est ce que la commission des affaires sociales a permis et je regrette sincèrement que ce texte n’ait pas été adopté. Pour ma part, mes convictions personnelles m’ont amené à réfléchir sur la question de la fin de vie et de ce point de vue là, je suis en parfait accord avec l’association pour le droit à mourir dans la dignité. Nous avons tous en tête les cas douloureux de Vincent HUMBERT et Chantal SEBIRE largement médiatisés qui ne doivent pas nous faire oublier les 1 500 à 1 800 autres euthanasies prati-quées dans la clandestinité. Nous sommes confrontés à un vide juridique face à de telles situations. Si l’adoption de la loi du 4 mars 2002, relative aux droits du malade, puis celle du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie ont considérablement fait évoluer leurs droits, elles ne reconnaissent pas celui à l’euthanasie. La loi Léonetti permet au patient conscient d’exprimer sa volonté de ne pas recevoir les soins indispensables à sa survie. C’est une avancée.

Le contenu de la propositionLa proposition de loi qui a été discutée en janvier der-

nier traduisait la reconnaissance des droits de la personne malade :

•Droit au refus de tout traitement•Droit au soulagement de la douleur•Droit au respect des directives anticipées•Droit de se faire représenter par une personne de

confiance•Droit à l’information et d’accès au dossier médical.

Le dispositif contenu dans ce texte est extrêmement encadré : le patient doit clairement faire connaître sa vo-lonté de bénéficier d’une euthanasie soit par lui-même s’il en est capable, soit avec des directives anticipées récentes et précises, c’est-à-dire non générales et portant sur la maladie dont il est atteint. Dans tous les cas, la demande du patient entraîne l’examen de la situation médicale par deux médecins qui doivent également le rencontrer personnellement afin de vérifier le caractère libre, éclairé et réfléchi de cette demande. Nous proposons qu’à cette occasion les professionnels informent le patient de la pos-sibilité qui lui est faite de bénéficier de soins palliatifs. À l’issue d’une période de huit jours, les deux médecins re-mettent au patient et à sa personne de confiance un rap-port dans lequel ils exposent leurs conclusions. Si celles-ci constatent qu’en l’état des données acquises de la science le patient est incurable et que celui-ci confirme lors de la remise de ses conclusions qu’il souhaite toujours bénéfi-cier d’un acte d’euthanasie, alors le médecin saisi de cette demande satisfait à la demande répétée du patient dans un délai qui ne peut pas être supérieur à 15 jours. Le patient pouvant naturellement à tout moment renoncer à la procédure entamée. Considérant que cet acte pour-rait contrevenir à la conscience d’un certain nombre de médecins, nous prévoyons la possibilité pour ces derniers de refuser de le pratiquer mais associons à ce droit de refus, une obligation : celle d’orienter le patient vers un professionnel capable de satisfaire – si les conditions sont requises – à la demande du patient.

Partir dignementAu fond, si j’ai déposé cette proposition de loi, c’est

parce que je suis profondément convaincu que la ques-tion du choix à mettre en œuvre, librement consenti, des conditions de sa propre fin de vie lorsque la mala-die, incurable, invalidante, ou bien l’accident de la vie, nous confine dans l’incapacité à vivre une vie normale et ou, porte atteinte à notre dignité, est quasi impossible aujourd’hui.

assistance médicalisée à mourir : un débat nécessairesur une question éthique complexe dans une société qui évolue

Par Guy Fischer, sénateur

NDLR : Nous donnons ici pour alimenter la réflexion le point de vue de Guy Fischer sur la question de l’euthanasie.Nous renvoyons aussi le lecteur à la lecture du livre « Pour une santé et une protection sociale solidaires –Analyses et propositions » dirigé par J.L. Gibelin paru au Temps des Cerises, dont le chapitre Fin de vie,

Respect & Dignité page 245, traite de façon complémentaire du même sujet.

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Editorial 4747

L’ultime liberté c’est de décider du moment de sa mort, du seuil de souffrance que l’on peut supporter, c’est aussi porter soi-même un jugement sur ce que signi-fie la dignité. Le respect de la liberté individuelle doit nous conduire à accepter que des patients décident de bénéficier d’une aide active à mourir. Qu’également, des femmes et des hommes aient une conscience exacerbée des souffrances qu’ils pourraient endurer au point de ne pas vouloir continuer à vivre dans de telles conditions et souhaitent ainsi rédiger de leur vivant des « directives anticipées ».

Pour avoir reçu de nombreux témoignages de familles qui, toutes, ont souffert de voir partir un parent dans des conditions terribles, sans pouvoir agir, devenant specta-teurs de sa fin de vie, la question de la fin de vie dans de telles conditions m’interpelle. Le terme « euthanasie » signifie « bonne mort » en grec : il traduit le sens que j’ai voulu donner tout au long des débats à cette proposition de loi. Elle ne tend pas à faire de l’assistance médicalisée la seule mort possible, ni à la généraliser ou à l’imposer à toutes et à tous. Elle n’a pour objectif que de permettre à celles et ceux qui le souhaitent de partir dignement, avant que la souffrance physique ou psychique ne soit trop forte, avant que la maladie et les dégradations qui l’accompagnent l’emportent sur l’humanité.

Assistance médicalisée à mourir : un débat nécessaire sur une question éthique complexe

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48 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Résumé Bien qu’ayant plus de complications et consultant

plus souvent leur médecin généraliste, les patients diabé-tiques socio-économiquement défavorisés ont un moins bon suivi que les patients de meilleur niveau socioéco-nomique (réf. 1). Pour comprendre les particularités des modalités du suivi du diabète chez ces populations par les médecins généralistes, nous avons effectué des entre-tiens semi-dirigés auprès de 12 d’entre eux à partir de l’analyse de leurs pratiques dans le suivi du diabète de 24 patients bénéficiaires de la CMUc et de 24 patients non bénéficiaires ayant un meilleur niveau socioéconomique. D’après les médecins généralistes interrogés, les diffé-rences observées sont principalement liées à une moindre observance des patients diabétiques bénéficiaires de la CMUc par rapport aux patients ayant un meilleur niveau socioéconomique. Celle-ci trouve ses racines dans l’inte-raction de leurs croyances en santé, de leurs normes, de leur faible niveau d’éducation, de leur perception du ni-veau de contrôle, de leur manque de soutien social, de la fréquence de leurs co-morbidités et des difficultés dans la communication avec leur médecin. Dans une très faible mesure, ces patients pourraient aussi être victimes d’une autocensure des prescriptions par le médecin, adoptant une attitude défaitiste, les jugeant inaptes à les réaliser. Il faudrait développer la formation des médecins à la rela-tion médecin-patient, aux déterminants de l’observance et aux inégalités sociales de santé, renforcer l’éducation et le sentiment de contrôle du patient dans l’évolution de sa maladie, prévoir une rémunération du médecin pour cette éducation renforcée, promouvoir le soutien socio-familial et développer l’utilisation de programmes de suivi rapproché et personnalisé.

Summary Despite of having more diabetes related complications

and more often attending their general practitioner, diabetic people with low socioeconomic status have a less full follow up than people with higher socioeconomic status (réf. 1). In

order to understand the follow up specificities of people with low socioeconomic status, we realized semi-directive inter-views of 12 general practitioners about their follow up of 24 patients with CMUc and 24 patients with higher socioeco-nomic status. We found that patients with CMUc was told by their physician to have little adherence to follow up, com-paring with higher socioeconomic status patients. This lack of adherence was linked to the effects of several elements : their health beliefs, their norms, their low level of educa-tion, their lack of social support, their prevalence of co mor-bidities, and difficulties in patient-doctor communication. Sometimes, general practitioners might renounce to prescribe further follow up to them, thinking they won’t be able to achieve it. We should develop the training of practitioners about the doctor-patient relationship, the determinants of adherence and the social inequalities in health, strengthen the education and the patient’s sense of control in the evolu-tion of his disease, anticipate a fee for this medical education strengthened, promote the socio-familial support and develop the use of individualized management case programs.

IntroductionLes inégalités sociales de santé sont un problème

intemporel et universel. Quelle que soit l’époque ou le pays, les données épidémiologiques révèlent une diffé-rence d’espérance de vie se chiffrant en années entre les catégories sociales les plus fortunées et les plus pauvres et qui s’est maintenue ou aggravée parallèlement à l’allonge-ment de l’espérance de vie (réf. 1).

Plusieurs études nationales ont été menées en France, au début des années 2000, pour décrire la population diabétique française ainsi que sa prise en charge en am-bulatoire (réf. 2, 3, 4). Ces études ont mis en évidence que la population diabétique en France est une popu-lation ayant un niveau socio-économique et un niveau d’éducation plus faibles que la moyenne de la popula-tion française (réf. 3, 5). Elles ont aussi montré que, de façon globale, les recommandations de pratique clinique concernant le suivi du diabète ne sont pas suivies. Enfin,

inégalités sociales de prise en charge des patients diabétiques :enquête qualitative auprès de médecins généralistes

Social inequalities in care of diabetic patients :a qualitative survey of general practitioners

Par les Drs Elisabeth Harrar et Gilles Lazimi

NDLR : Elisabeth Harrar est médecin généraliste, Paris, ([email protected]) et Gilles Lazimi,est médecin généraliste au Centre Municipal de Santé de Romainville et travaille au Département d’Enseignement

et de Recherche en Médecine générale, Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, ([email protected]).Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt

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elles révèlent que les patients diabétiques bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle complémentaire (CMUc) ont une moins bonne prise en charge par rap-port aux non bénéficiaires en terme d’examens paracli-niques de surveillance de la maladie et d’examen clinique spécifique (réf. 2, 3).

Comment expliquer cette différence de prise en charge entre diabétiques de différents niveaux sociaux alors que l’accès aux soins est égal pour tous ? Pour y répondre, nous avons émis 3 hypothèses.

Tout d’abord, une limitation des prescriptions de suivi du diabète par le médecin au titre de la prise en charge globale du patient : du fait d’une fréquence plus importante de problèmes sociaux et de co-morbidités chez les patients bénéficiaires de la CMUc, les médecins en arriveraient à « oublier » la prise en charge de la mala-die chronique qui passerait au second plan.

Ensuite, nous avons envisagé une autocensure des prescriptions de suivi chez les patients diabétiques ayant un faible niveau socio-économique du fait de la repré-sentation que les médecins se font de ces patients. En effet, des études américaines et belges montrent que les médecins ont tendance à considérer les patients ayant un bas niveau socio-économique comme étant moins intel-ligents, moins observant et moins impliqués dans l’amé-lioration de leur état de santé (réf. 6, 7).

Enfin, la troisième hypothèse serait une moins bonne observance des patients ayant un bas niveau socio-éco-nomique en comparaison avec les autres patients diabé-tiques du fait des caractéristiques de la relation méde-cin-patient (moins psycho-sociale et plus biomédicale ou plus directive de la part du médecin et plus passive de la part du patient (réf. 8, 9) ou liée à une limitation par les ressources financières (franchises, dépassements d’honoraires)).

Méthode Nous avons réalisé une enquête qualitative à partir

d’une analyse de pratiques auprès de médecins généra-listes d’Ile-de-France. Celle-ci a consisté en des entretiens semi-dirigés, basés sur un guide d’entretien, auprès de 12 médecins généralistes ayant des lieux et des conditions d’exercice différents (centres de santé, médecine de ville). Ces médecins furent contactés, par convenance ou de fa-çon aléatoire et furent rencontrés sur leur lieu d’exercice. L’entretien consistait en une analyse de pratique à propos du suivi de 2 patients diabétiques ayant un bas niveau socio-économique et de 2 patients diabétiques ayant un meilleur niveau socio-économique. Ces patients ont été choisis au hasard en remontant sur la liste des consulta-tions au moment de l’entretien. Les critères d’inclusion étaient l’existence d’une pathologie diabétique (type 1 ou 2) et d’un suivi, par le médecin interrogé, depuis au moins un an. Les patients de faible niveau socio-éco-nomique ont été définis comme ceux bénéficiant de la CMUc, ce qui traduit de faibles ressources et nous per-

mettait d’effectuer une analyse qualitative en ayant un support de données quantitatives représentatives des études françaises de prise en charge du diabète (réf. 2, 3). Pour les autres patients, les médecins étaient invités à rechercher des patients ayant un meilleur niveau socio-professionnel. Le guide d’entretien a été élaboré à partir des documents de la HAS concernant le suivi du diabète les plus récents. Il comporte 10 grands items : qualifica-tion socio-économique et niveau d’éducation du patient ; caractéristiques du diabète du patient (type, ancienneté, complications, ancienneté du suivi par le médecin inter-rogé) ; prescriptions médicales de suivi du diabète au cours de la dernière année (réalisées ou non) ; qualifica-tion du contrôle glycémique ; difficultés rencontrées au cours de l’éducation thérapeutique ; prise en charge d’un tabagisme concomitant ; qualification du contrôle lipi-dique ; qualification de l’équilibre tensionnel ; éléments de suivi clinique spécifique au diabète (examens des pieds au monofilament, recherche des pouls périphériques et des souffles vasculaires) ; existence de co-morbidités, dif-ficultés sociales ou affectives pouvant interférer avec le suivi du diabète. À chaque fois que l’attitude du médecin s’écartait des recommandations de pratique clinique, le médecin était invité à en expliquer les motifs. Les élé-ments évoqués lors des entretiens ont été notés de façon manuscrite.

Résultats La répartition des médecins interrogés s’est faite de la

façon suivante : 4 médecins en centre de santé (deux en Seine-Saint-Denis à Romainville et Bagnolet, un dans les Hauts-de-Seine à Malakoff et un dans le Val-de-Marne à Vitry-sur-Seine), 4 médecins généralistes maîtres de stage (deux à Paris 19e, un à Paris 20e, un à Paris 13e) et 4 mé-decins généralistes non maîtres de stage (un à Paris 20e, deux à Paris 19e, un dans l’Oise à Cergy). L’un des méde-cins interrogés était conventionné en secteur 2, alors que tous les autres étaient conventionnés en secteur 1. Les entretiens ont duré entre 1h et 1h30 avec une moyenne de 1h15.

Le tableau 1 expose les éléments de suivi du diabète sur lesquels nous avons enquêté. Ces données chiffrées, qui ne sont pas à interpréter quantitativement, reflètent les données nationales disponibles et témoignent du non-respect des recommandations de pratique clinique concernant le suivi du diabète avec un éloignement plus marqué aux recommandations chez les patients bénéfi-ciaires de la CMUc. Dans la plupart des cas, les médecins interrogés incriminent, en premier lieu, une mauvaise observance qui serait plus marquée chez leurs patients bénéficiaires de la CMUc. Celle-ci est associée à un en-semble de difficultés rencontrées plus fréquemment chez ces patients par les médecins interrogés. Ces difficultés concernent les champs de l’éducation thérapeutique, de la relation médecin-patient, de la confrontation à la culture et aux représentations de la maladie et de la santé.

Inégalités sociales de prise en charge des patients diabétiques...

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50 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Ainsi, les médecins interrogés évoquent des difficultés de communication et de compréhension mutuelle, des difficultés sociales et affectives plus fréquentes et plus gê-nantes pour la prise en charge du diabète et un manque de temps pour pallier aux difficultés de la prise en charge. Les données concernant les principales difficultés rencon-trées au cours de la prise en charge du diabète chez nos deux groupes de patients figurent dans le tableau 2.

Pour ce qui est de l’autocensure, on en retrouve chez nos deux groupes de patients, pour des motifs de terrain (sujet âgé, co-morbidités menaçant le pronostic vital à court terme), mais aussi, parfois, du fait que le médecin pressent un refus de la prescription médicale envisagée. Par ailleurs, on notera, dans notre échantillon, un recours plus fréquent aux hospitalisations de courte durée et à l’inclusion dans un réseau spécialisé chez les patients bé-néficiaires de la CMUc dans un objectif de renforcement de l’éducation thérapeutique, de l’observance et d’amé-liorer, parfois, l’accès aux soins.

DiscussionOn précisera que les résultats de cette étude sont déli-

cats à interpréter puisque qualitatifs et donc très méde-cin-dépendant. De plus, l’échantillonnage des médecins interrogés s’est fait par convenance. Il est possible que les médecins ayant accepté de se soumettre à une analyse de pratique, pendant plus d’une heure de leur temps de tra-vail et sur un sujet sensible, soient des médecins sensibi-lisés au problème des inégalités sociales de santé. Par ail-leurs, l’analyse de pratique est un exercice délicat et l’on peut se demander dans quelle mesure, les médecins, du fait de la difficulté de se remettre en question, n’aient pas responsabilisé plus leurs patients des échecs de la prise en charge. Enfin, nous n’avons pas effectué d’entretien avec les patients pour avoir leur vision de la prise en charge et connaître leurs motifs de non observance.

Nos résultats révèlent, que pour les médecins interro-gés, l’inégalité de prise en charge constatée serait beaucoup le fruit d’un manque d’observance plus important chez les diabétiques ayant un bas niveau socio-économique. Afin de comprendre pourquoi ces patients seraient moins observant que les autres, nous avons effectué un recoupe-ment entre les déterminants de l’observance (réf. 10, 11) et les déterminants sociaux de la santé (réf. 12). Du fait qu’il s’agit d’une maladie donnée, ayant, globalement, un traitement donné, nous nous sommes intéressés aux fac-teurs liés au patient et aux facteurs liés au système de soin.

Dans les facteurs liés au patient ayant un bas niveau socio-économique, on retrouve une mauvaise adhésion au concept de la maladie chronique nécessitant un trai-tement préventif au long cours, liée à une culture, à des normes et à des croyances en santé différentes et insuf-fisamment prises en compte par les professionnels de santé ; une perception de leur niveau de contrôle sur leur santé inférieure à celles des catégories plus favorisées (réf. 13, 14) ; un faible niveau d’éducation (réf. 3, 6, 7, 15) ;

l’existence plus fréquente de co-morbidités (réf. 13, 16) qui sont, par ailleurs, plus graves et plus interférentes avec le suivi ; et un manque de soutien social qualitatif (réf. 13) pour faire face à la maladie et aux impératifs de son traitement. Tous ces paramètres associés inte-ragissent entre eux et peuvent se renforcer l’un l’autre, dans la direction d’une mauvaise observance, comme le faible niveau d’éducation qui ne favorise pas la critique des croyances de santé liées à la culture ou encore la per-ception d’un faible niveau de contrôle sur la santé qui rend difficile la gestion de plusieurs pathologies à la fois. Pour ce qui est des facteurs liés au système de soin partici-pant à la mauvaise observance de ces patients à bas niveau socio-économique, on retiendra la communication et la relation médecin-patient plus difficile (réf. 17), les repré-sentations du patient par le médecin (réf. 18, 19) et le temps de consultation insuffisant face aux particularités de l’éducation thérapeutique à mener chez ces patients. Dans une moindre mesure, participerait une autocen-sure, par les médecins généralistes, de leurs prescriptions pour renforcer le contrôle glycémique, du fait d’une per-ception du patient comme inapte à les accomplir. Enfin, les personnes ayant un meilleur niveau d’éducation et un meilleur niveau socio-économique seraient plus deman-deurs d’examens, ce qui créerait une disparité par ajus-tement du comportement du médecin aux demandes de son patient (réf. 20). Les aspects de l’accès aux soins, notamment aux consultations cardiologiques et ophtal-mologiques, n’ont pas été mentionnés par les médecins interrogés, mais pourraient participer aux différences de prises en charge observées (réf. 21). Un complément d’enquête auprès des patients serait nécessaire pour le mettre en évidence. De même, le manque de formation des médecins à la communication, à l’écoute, à la relation thérapeutique, leur manque de culture de l’auto-remise en question et l’absence de prise en compte des inégalités sociales de santé dans les recommandations de pratiques cliniques participent au maintien du gradient social de santé.

Les résultats de notre enquête suggèrent que les méde-cins généralistes, ayant conscience des effets néfastes de la mauvaise observance chez ces patients, ont plus souvent recours à un renforcement de l’observance via une hos-pitalisation courte ou un encadrement par une structure de type réseau. Cependant, ce recours plus fréquent à l’hospitalisation n’est pas vérifié à l’échelle nationale par l’étude Entred 2007 et doit probablement être variable en fonction des médecins et de la proximité des struc-tures hospitalières. Cette enquête souligne donc que, du côté des médecins généralistes, l’amélioration de la prise en charge du diabète chez les patients ayant un bas niveau socio-économique et d’éducation repose sur les efforts concernant les facteurs de mauvaise observance en soi-gnant tout particulièrement la communication avec les patients. Pour cela, un complément d’information et de formation sur l’influence des caractéristiques socio-éco-

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Editorial 51Inégalités sociales de prise en charge des patients diabétiques...

nomiques sur les comportements de santé devrait être proposé aux médecins généralistes ainsi que des recom-mandations de pratiques cliniques prenant en compte ces particularités. Un effort devrait être fait, lors des consul-tations, pour permettre une appropriation de la maladie par le patient, renforcer son sentiment de contrôle dans l’évolution de la maladie et l’encourager à la manière d’un coach. Techniquement, il faudrait peut-être aussi envisager une codification tarifaire particulière pour per-mettre aux médecins de prendre le temps nécessaire pour renforcer, au cabinet, l’éducation thérapeutique et la rela-tion avec le patient. Devant les difficultés d’observance qui fondent beaucoup les inégalités observées à l’échelle de la consultation entre un médecin généraliste et son patient, des programmes de renforcement de l’encadre-ment des patients diabétiques socio-économiquement défavorisés ont montré leur efficacité dans l’amélioration des objectifs glycémiques et du suivi médical (réf. 22, 23). Il faut renforcer leur promotion auprès des médecins généralistes et leur utilisation pour compléter ce qui ne peut être fait au cours d’une consultation médicale dont le temps est limité.

Enfin, que ce soit au cabinet médical, en hospitali-sation ou lors de la prise en charge par un réseau, un effort de sensibilisation et de participation des proches du patient à l’éducation thérapeutique permettrait d’amélio-rer le soutien socio-familial qui est fondamental pour la qualité et le maintien de l’observance (réf. 10, 11, 12).

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19. Desprès C. La couverture maladie universelle, une lé-gitimité contestée : analyse des attitudes de médecins

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52 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

et dentistes à l’égard de ses bénéficiaires. Pratiques et Organisation des Soins 2010 ; 41, n° 1 : 33-43.

20. Couffinhal A., Dourgnon P., Geoffard P.Y. et al. Politiques de réduction des inégalités sociales de san-té, quelle place pour le système de santé ? Un éclairage européen. Première partie : les déterminants des iné-galités sociales de santé et le rôle du système de santé. Bulletin d’information en économie de la santé 2005, n° 92.

21. Résoudre les refus de soins. Rapport annuel sur le res-pect des droits des usagers du système de santé adopté

en séance plénière de la Conférence Nationale de Santé le 10 juin 2010.

22. Glazier R.H., Bajcar J., Kennie N.R., Willson K. À systematic review of interventions to improve diabetes care in socially disadvantaged populations. Diabetes Care 2006 ; 29 (7) : 1675-1688.

23. The California Medi-Cal Type 2 Diabetes Study Group. Closing the gap : effect of diabetes case mana-gement on glycemic control among low-income eth-nic minority populations. Diabetes Care 2004 ; 27 (1) : 95-103.

Nombre parmi les 24 bénéficiaires de la CMUc (CMUc +)

Nombre parmi les 24 non bénéficiaires de la CMUc (CMUc-)

Inscription à l’ALD 30 21 23Nombre d’HbA1c effectuées dans la dernière année

0 1 01 3 02 5 43 9 54 4 12> 4 2 3

Réalisation dans la dernière année d’au moins :- 1 dosage de créatinine 21 23- 1 bilan lipidique 21 20- 1 recherche de microalbuminurie 16 20Réalisation dans la dernière année d’au moins un ECG*

18 18

Réalisation d’une consultation ophtalmologique 14 17dans la dernière année Non connue : 1 Non connue : 3Contrôle glycémique selon les recommandations HAS :- Satisfaisant 11 11- Pas satisfaisant 13 13Examen clinique dans l’année précédente comportant :≥ 1 examen des pieds au monofilament 2 4≥ 1 recherche des pouls périphériques 17 22≥ 1 recherche de souffle vasculaire 15 22Réalisation d’un bilan alimentaire de base par le médecin généraliste

17 20

Proposition d’hospitalisation de diabétologie (HDJ**/ HDS***)

12 7

Suivi conjoint par un endocrinologue 5 6Recours à une prise en charge diététique (en dehors des HDJ/HDS/réseaux pour diabétiques)

4 8

Recours à un réseau pour Diabétiques 6 2Contrôle de la dyslipidémie- Satisfaisant 13 20- Non satisfaisant 8 2

Non renseigné : 3 Non renseigné : 2Pression artérielle≤ 130/80 mmHg 16 21≥ 130/80 mmHg 8 3*ECG : électrocardiogramme **HDJ : Hôpital de jour ***HDS : Hôpital de semaine

Tableau 1 : Eléments de la prise en charge du diabète

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Inégalités sociales de prise en charge des patients diabétiques...

Nombre parmi les 24 bénéficiaires de la CMUc (CMUc +)

Nombre parmi les 24 non bénéficiaires de la CMUc (CMUc-)

Non observance- des prescriptions médicales de suivi 12 2- mesures hygiénodiététiques 14 11- traitement 6 0Pathologies interférentes avec le suividu diabète- neuro-psychiatriques 3 1- somatiques 3 1Problèmes sociaux ou affectifs interférentavec le suivi du diabète

9 2

Manque de temps pour l’éducation thérapeutique

9 4

Problèmes de langage 6 0Insuffisance de compréhension 14 3Implication- Défaut 7 5- Excès 0 3Autocensure des prescriptions 6 4Non adhésion à la maladie et son traitement 5 0Problème de représentation de la maladie –difficultés culturelles dans les champs de la santé et de l’alimentation

7 0

Nomadisme médical et absences prolongées 6 2

Tableau 2 : Difficultés rencontrées au cours de la prise en charge du diabète

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54 Les cahiers de santé publique et de protection sociale54 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Dans la continuité de l’article du Dr Thomas Bodenheimer, « Lessons from the trenches – A high-func-tioning primary care clinic », décrivant l’organisation d’un centre de santé communautaire précurseur, le Clinic fa-mily health services, aux Etats-Unis(4), l’article « A model health care delivery system for Medicaid » des Drs Richard E. Rieselbach et Arthur L. Kellermann paru dans New England Journal of Medicine (30/06/2011), détaille les potentialités et les enjeux du développement des centres de santé communautaires, community health center (CHC), dans le cadre de la réforme de santé Obama(5).

La place grandissante des centres de santé communautaires

Le programme public d’assurance maladie Medicaid, fondé en 1965 et destiné aux individus à faibles revenus et ressources, et le State Children’s Health Insurance Program (SCHIP ou CHIP) créé en 1997 pour certaines familles qui dépassent le plafond de ressources de Medicaid, a assuré, au cours de l’année 2011, à eux deux(6) 24,8 % de la population des Etats-Unis, soit 77,5 millions d’habitants(7).

4 Article paru dans les Cahiers de santé publique et de protection sociale (jan-vier 2012, pp.28-30).

5 Pour plus d’information, lire l’article très complet de Frédéric Rauch dans les Cahiers de santé publique et de protection sociale (pp.66-73 du supplément spécial centres de santé, paru en décembre 2011).

6 Respectivement 69,3 millions d’individus pour Medicaid et 8,2 millions pour CHIP.

7 Données de l’année 2011, actualisées par rapport à celles de l’article original datant de juin 2011, et issues du site « www.macpac.gov » de la Medicaid and CHIP Payment and Access Commission (lien actualisé au 11/05/2012 permettant le téléchargement du document « Medicaid and CHIP Program Statistics : March 2012 MACStats » : http://www.macpac.gov/macstats). En moyenne, pour un mois donné de l’année 2011, 60,2 millions d’Américains seraient couverts par Medicaid et CHIP (19,3 % de la population) selon les données administratives qui tendent à surestimer la couverture par Medicaid et CHIP à cause de potentiels doublons. 49,7 millions d’individus (16,3 % de la population) seraient couverts par ces deux assurances selon l’enquête nationale NHIS (National Health Interview Survey) qui tend à sous-estimer les effectifs, par des biais de rappel et de sélection des répondants.

Lorsque la réforme de santé Obama (Patient Protection and Affordable Care Act, ou ACA) sera totalement implé-mentée, Medicaid devrait couvrir 16 millions d’indivi-dus supplémentaires, actuellement non couverts par une assurance maladie.

Beaucoup de ces nouveaux assurés par Medicaid devraient être soignés par les centres de santé commu-nautaires (CDSc) qui prennent en charge chaque année 20 millions d’Américains, un total qui pourrait être porté à 50 millions d’individus en 2019 selon une estimation de la Kaiser Family Foundation (rapport 2010)(8). Selon les auteurs, Richard E. Rieselbach et Arthur L. Kellermann, au moment précis où les Etats-Unis ont besoin des CDSc plus que jamais auparavant (« (…) we need CHCs more than ever »), beaucoup d’Etats à court d’argent envisagent de profondes coupes budgétaires dans le programme Medicaid(9), alors que ces réductions importantes pour-raient menacer la survie même des CDSc.

Un nouveau modèle de prestation de soins : les centres de santé à partenariat universitaire

Pour soutenir les CDSc et préserver l’accès aux soins pour les bénéficiaires du Medicaid et les autres patients à bas revenus, tout en gardant le contrôle de la croissance des dépenses, les auteurs proposent un nouveau modèle de prestation de soins (care delivery model) : les CDSc à partenariat universitaire (Community Health Center and Academic Medical Partnerships ou CHAMPs). Ces CDSc à partenariat universitaire (CDScPHU) combineraient d’une part l’expertise des spécialistes, la technologie médicale et les soins aux patients hospitalisés des centres médicaux universitaires (Academic medical centers ou

8 NB : toutes les références bibliographiques citées dans l’article original ne seront pas détaillées dans cette traduction, nous laissons aux lecteurs le soin de se référer à l’original pour plus de précision.

9 Medicaid et CHIP sont cofinancés au sein de chaque état par le budget fédéral et celui de chaque état.

Les centres de santé communautaires aux etats-unis :modèle et perspectives

Dr Frédéric Villebrun,Médecin généraliste, Centre Municipal de Santé (Champigny-sur-Marne)

2e partie :Un nouveau modèle pour le système de santé Medicaid

NDLR : Suite de l’article 1re partie publié dans le N° de janvier 2012 par les Drs Richard E. Rieselbachet Arthur L. Kellermann, Traduction et commentaires par le Frédéric Villebrun, Médecin généraliste.

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Les centres de santé communautaires aux Etats-Unis : modèle et perspectives 55

AMCs), équivalents aux centres hospitalo-universitaires en France - que nous nommerons donc par le même acronyme « CHU », et d’autre part, l’expertise en soins de premier recours des CDSc. Cette organisation serait élaborée sur les bases d’un type émergent de CDSc, les centres de santé universitaires (Teaching health centers ou THCs)(10), et sur la possibilité de créer une forme spéci-fique d’Organisation de soins responsable (Accountable care organization ou ACO(11))(12). Les ACO liées aux CDScPHU, qui bénéficieraient des avantages des CDSc et des CHU, délivreraient aux patients à bas revenus des soins efficients et de haute qualité, tout en formant les prochaines générations de professionnels de santé.

D’après les auteurs, un bon partenariat est basé sur la complémentarité des forces et les bénéfices réciproques. Les CDScPHU affiliés à une ACO offriront aux patients bénéficiaires un accès immédiat à des soins primaires de haute qualité dans un réseau de CDSc « centrés sur le patient » (Patient-centered medical home ou PCMH)(13) possédant des dossiers médicaux électroniques aussi bien que d’autres innovations médicales récentes. Le CHU partenaire fournira les soins de spécialités, tout comme l’accès à l’imagerie, aux examens biologiques et à l’hospitalisation.

Cette collaboration offrirait de nombreux avantages autres que la possibilité d’une rémunération de ces ser-vices par l’assurance Medicaid et le management coor-donné des soins.

1. D’une part, les centres de santé universitaires ap-porteraient leur solide expérience des soins de premier recours alors que les professionnels prodiguant habituel-lement les soins dans les CHU ont tendance à privilé-gier les services sur-spécialisés. Les patients couverts par Medicaid préféreraient, d’après les auteurs, une ACO qui offre des soins primaires proches de leur domicile plu-

10 Les centres de santé universitaires (THCs) sont des CDS agréés pour l’ensei-gnement, en particulier pour les futurs médecins généralistes.

11 NDT : le terme américain « ACO » a été conservé dans la suite de la traduc-tion car ce concept est sans équivalent en France.

12 Officialisées par la réforme Obama, les organisations de soins responsables (ACOs) sont des regroupements de structures et de professionnels de santé qui s’engagent à développer à la fois une meilleure qualité des soins et une meilleure efficience (rapport coût/efficacité) pour leurs patients couverts par Medicare (c’est-à-dire les patients déjà aidés financièrement qui sont soit âgés de plus de 65 ans, soit handicapés ou en insuffisance rénale terminale), en contrepartie d’une rémunération forfaitaire (capitation, honoraires dif-férenciés selon la qualité, soutien à la performance) dans 5 domaines de santé : relation soignant-soigné, coordination des soins, sécurité du patient, prévention, santé des personnes âgés fragiles et des populations à risque. Les ACOs devraient être progressivement étendues à des patients bénéficiaires de Medicaid.

13 Cf. article T. Bodenheimer, Cahiers de SP et PS, janvier 2012, p. 28.

tôt que d’être obligés de parcourir un long trajet vers des CDSc attachés aux hôpitaux (hospital-based clinics)(14).

2. D’autre part, les CHU pourraient considérer que les centres de santé universitaires seront plus attachés aux principes d’intégration des pratiques et d’équipe de soins qu’un réseau « ad hoc » de praticiens de ville ne le sera. Cette orientation devrait faciliter le programme de transformation du mode de soins, Transitions in care, un important programme de réduction des hospitalisations évitables et des réhospitalisations.

3. Les programmes d’enseignement universitaire de la plupart des CHU bénéficient déjà d’une organisation administrative adaptable à la gestion de la performance, de la qualité des soins et des finances des CDScPHU. De leur côté, les modèles de gouvernance des CDSc réservent une majorité des places des conseils d’administration pour les patients, leur donnant un pouvoir de décision conséquent quant à leur propre prise en charge en CDSc.

4. Contrairement à la situation des ACO relevant de l’assurance Medicare, tous les soins des participants aux CDScPHU seraient attribués à ces structures. Cette or-ganisation devrait permettre une coordination des soins plus efficace et des économies substantielles.

5. Enfin, les ACO liées aux CDScPHU devraient avoir une approche plus collaborative pour la réduction des coûts que n’est la norme habituelle dans le programme de gestion des soins de Medicaid (Medicaid Managed Care), qui oppose souvent les organismes payeurs et les acteurs de soins, laissant les patients perdus entre ces deux parties.

Les CDScPHU inciteraient les CHU et les centres de santé universitaires à travailler ensemble afin de fournir des soins de haute qualité à un prix abordable. Comme les CDScPHU seraient bâtis sur la « colonne vertébrale » de la médecine générale, ils devraient être capables de tra-vailler en dépensant moins qu’une organisation structu-rée à partir de soins spécialisés et hospitalo-centrés. Afin d’encourager l’efficience, les CDScPHU devraient accep-ter un paiement global à la capitation, associé à un paie-ment complémentaire pour certains actes, le case mix(15). Ce type de paiement donnerait aux CDScPHU une inci-tation puissante à élaborer et à affiner leur stratégie pour atteindre des soins de haute valeur en réduisant les gas-pillages et la redondance de certains services.

Un nouveau modèle de prestation de soins a besoin en général d’un financement initial. Un tel soutien finan-cier viendrait du nouveau Centre Medicare et Medicaid pour l’innovation (Center for Medicare and Medicaid

14 NDT : ces centres (ou maisons) de santé ne sont pas nécessairement acco-lés physiquement à l’hôpital dont ils dépendent mais parfois à plusieurs kilomètres.

15 Le « case mix » est un paiement à l’acte, complémentaire à la capitation, modulé selon la complexité et l’efficience de l’acte effectué. Il est pratiqué depuis plusieurs années aux Pays-Bas et en Australie.

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56 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Innovation), qui a pour objectif d’explorer les change-ments prometteurs dans le système de santé.

Pour encourager les CHU et les centres de santé uni-versitaires à travailler ensemble, le Centre Medicare et Medicaid pour l’innovation auraient probablement be-soin d’offrir une forme de subvention pour les premiers volontaires du nouveau système des CDScPHU. Une période pilote de trois années permettrait de réunir des données en nombre suffisant pour tester ce concept.

Selon les auteurs, le plus grand obstacle aux CDScPHU ne sera pas financier mais réglementaire. Une règle récemment adoptée par les Centres pour les services Medicare et Medicaid (Centers for Medicare and Medicaid Services) interdira les patients sous Medicare qui bénéfi-cient de soins primaires délivrés par un CDSc qui n’a pas encore adhéré à une ACO. Le raisonnement est que les salariés d’un CDSc pratiquent généralement en équipe, il est donc difficile d’attribuer les soins d’un patient à un médecin en particulier. Au cas où cette agence ne change pas cette règle, les CDScPHU devraient néanmoins être en mesure de surmonter cet obstacle car chaque patient d’un centre de santé universitaire peut être attribué à un interne de médecine générale et à son maître de stage universitaire, c’est-à-dire le médecin qui supervise l’in-terne(16). Le maître de stage universitaire assure la conti-nuité des soins lorsque les internes qui ont terminé leur stage confient les patients dont ils avaient eu la responsa-bilité à leurs successeurs.

Enjeux et points forts des centres de santé commu-nautaires à partenariat hospitalo-universitaire

En plus de renforcer les mailles de la sécurité des soins, les CDScPHU permettraient la formation de professionnels des soins primaires supplémentaires. Les Etats-Unis manquent beaucoup de praticiens en soins primaires et cela ne cesse d’empirer. Les états dont les augmentations estimées des dépenses Medicaid sont les plus hautes ont le plus souvent les plus faibles capaci-tés de soins primaires. Les centres de santé universitaires pourraient aider à combler ce déficit des soins de premier recours par les différentes voies suivantes.

•Employer des internes en fin d’étude (senior resi-dents) comme maîtres de stage universitaires sup-plémentaires rendrait disponibles plus de médecins généralistes pour les soins aux patients.

16 NDT : nous avons repris la terminologie usuelle dans les facultés de méde-cine françaises pour la traduction de « primary care resident » et de « supervi-sing physician ».

•Décaler la - majeure - partie de la formation pour les internes en médecine générale, qui a lieu actuel-lement lors des consultations hospitalières et dans les services hospitaliers, vers les CDSc permettrait aux internes de mieux maîtriser les concepts et les compétences en soins primaires tels qu’ils seront pratiqués à l’avenir.

•Se former dans un environnement professionnel comprenant des dossiers médicaux électroniques, une pratique d’équipe et d’autres éléments inno-vants des soins primaires inciterait plus d’étudiants en médecine à choisir de faire carrière en médecine générale.

•L’expérience positive de travailler dans un centre de santé universitaire bien géré encouragerait éga-lement plus d’internes en médecine générale à re-joindre un CDSc après avoir terminé leurs études, en particulier compte-tenu de l’effet incitatif du remboursement de prêt étudiant par le National Health Service Corps.

Un financement spécifique des étudiants formés en centres de santé universitaires ?

Depuis de nombreuses années, le fond Medicare pour les dépenses directes et indirectes des études médicales (Graduate medical education ou GME) a fourni un sou-tien aux internes et aux universitaires travaillant dans les CHU. Une disposition similaire serait nécessaire pour soutenir les études en centres de santé universitaires. Le programme des centres de santé universitaires, autorisé par la réforme de santé Obama et par l’Administration de la Santé (Health Resources and Services Administration ou HRSA) a annoncé récemment une première phase de financement. Hélas, la HRSA est fortement contrainte, pour le parrainage de ce programme, tant par la faible étendue et la durée limitée de ce programme de finance-ment, que par les restrictions législatives qui sont requises pour les CDSc, à l’inverse des CHU. Ces exigences sont si écrasantes que cela limitera fortement le développe-ment des centres de santé universitaires.

Récemment, la Commission consultative de Medicare (Medicare Payment Advisory Commission) a recommandé qu’une partie des 6,5 milliards que Medicare dépense par an pour financer les dépenses indirectes des études médi-cales ayant lieu à l’hôpital soit plutôt allouée à un effort de formation médicale sur les compétences requises pour améliorer le modèle américain de prestation de soins.

Diriger une partie de ce budget réalloué vers des programmes d’internat spécifiques aux centres de santé universitaires qui sont liés aux ACO, dont les potentiels CDScPHU, assurerait un soutien adéquat aux forma-

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Les centres de santé communautaires aux Etats-Unis : modèle et perspectives 57

tions spécifiques aux CDScPHU et fournirait une impul-sion complémentaire à la création des CDScPHU.

SynthèseLes ACO intégrées aux CDScPHU combineraient les

meilleures qualités des CHU et des CDSc pour prendre en charge les patients en précarité économique qui pré-sentent une forte prévalence de maladies chroniques. Les CDScPHU augmenteraient immédiatement les capaci-tés des CDSc et étendraient l’accès aux soins de premier recours, tout en élargissant les possibilités de formation des professionnels des soins primaires.

Un programme pilote testant ce concept générerait les données requises pour évaluer le modèle.

Si des économies et une amélioration de la qualité sont effectivement constatées, les CDScPHU pourraient permettre de :

• renforcer la sécurité des soins dans le cadre de Medicaid,

•proposer de nouvelles pistes concernant les presta-tions de santé,

• former à l’avenir des acteurs des soins primaires hautement motivés et bien entraînés.

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Pourquoi les questions de santé et de protection so-ciale qui viennent massivement dans les rencontres et débats de l’élection présidentielle et des élections légis-latives n’apparaissent pas pour autant comme de grandes questions politiques ? Ce, alors qu’il s’agit des conditions de vie (voir de survie) les plus concrètes, et souvent des seules ressources en espèces ou en nature, de dizaines de millions de personnes.

Certes ces questions ne sont pas absentes des propo-sitions des candidats. Nombre de leurs propositions en traitent. La référence à l’histoire qui a ouvert le colloque organisé par le Pcf le 14 mars 2012 à partir de la figure et de l’œuvre d’Ambroise Croizat, « l’inventeur » de la Sécurité sociale à la française en 1945/1947 dans la fou-lée de la Libération, de la mise en œuvre du programme du CNR permet, peut être, de bien contextualiser cette question. D’éclairer ce qui pourrait faire de la « Sécu » un thème politique majeur apte à modifier la donne générale (y compris celle stratégique à gauche). De ne pas seule-ment être le domaine où se formule une suite de mesures plus ou moins socialement avancées dépendant pour leur effectuation du rapport de force politique général.

Le fait que la mise en place de la Sécurité Sociale en 45/47 reste pour tous les progressistes un marqueur poli-tique phare, qu’il s’agirait en fait de poursuivre, voir de retrouver l’esprit et la forme de celle-ci, constitue parado-xalement une forme de handicap. On tend plus à rester fidèle à un contenu et une forme, obligatoirement datés, d’une institution qu’à la rupture politique de l’époque et au poids dont cette rupture a pesé dans la fabrication des rapports de forces et de classes d’alors, dans la structura-tion et le modèle politique du salariat.

La novation de la mise en place de la Sécurité Sociale en France ne tient pas fondamentalement à la socialisa-tion obligatoire, la solvabilisation pour tous de besoins sociaux humains absolument essentiels. Bien des pays à développement comparable font de même à la même époque. Ce sont des compromis de classes nécessaires y compris – et déjà - pour le grand patronat pour ce

qu’on appelait alors la reproduction de la force de tra-vail. Certains pays, notamment l’Allemagne, avaient des systèmes de protection sociale obligatoire très antérieurs au nôtre.

La novation est que cela se réalise comme une rupture conceptuelle et culturelle globale. C’est la conception d’UN système cohérent de Sécurité Sociale mis en place (en moins de deux ans !) et gérée par les assurés sociaux eux-mêmes, leurs organisations alors très représentatives et participatives, notamment la CGT et ses millions d’adhérents. Des milliers de représentants ouvriers de-viennent des bâtisseurs et des dirigeants d’une partie de l’appareil d’Etat. C’est cela qui fait de LA Sécurité Sociale un objet, et un sujet politique majeur, en soi, un môle concret et un emblème historique de longue durée maté-rielle et symbolique.

La fidélité et le rattachement profond à ce moment politique essentiel, matérialisant le statut unifié et unifi-cateur du salariat, sa place politique dans l’Etat, ne sont donc pas à rechercher dans un improbable retour à la lettre de l’objet d’alors (qui serait d’ailleurs bien décevant vu les réalités concrètes des prestations, de la nature des risques couverts, de cette époque). Ni à une réalisation jusqu’au bout, « pure », actualisée de cette institution qui serait restée inachevée, qui aurait été détricotée du fait du retournement des rapports de forces.

La fidélité réside plus dans une capacité à reformu-ler politiquement une protection sociale solidaire, une mise en Sécurité Sociale 2012 – 2020 de toute la société répondant de façon extrêmement neuve à la situation d’Insécurité Sociale actuelle. Ne se confrontant donc pas seulement à un niveau des risques à couvrir mais à une réflexion neuve sur le risque social aujourd’hui ; sur les questions du salariat lui-même comme forme historique dépassable ; sur une nouvelle entrée des couches sociales jusqu’ici dominées, exclues, dans la conduite des institu-tions publiques au moment où l’étatisation bureaucra-tique est poussée à son comble notamment en matière de politique de santé, et plus globalement sur une concep-

santé, protection sociale : être infidèle pour être fidèleà l’histoire des conquêtes passées

Par M. Daniel Le Scornet

NDLR : M. Daniel Le Scornet est l’ancien Président de la Fédération des Mutuelles de France et ancien administrateurde caisses primaire et régionale d’Assurance-maladie, du conseil de gestion de la CNAMTS.

Parmi ses œuvres, notons « L’éloge du social » aux Editions Messidor (1988).

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Santé, protection sociale : être infidèle pour être fidèle à l’histoire des conquêtes passées 59

tion systémique de reconnaissance des corps et des âmes (des modes de subjectivisations)  !

« Insécurité Sociale » : je pense avoir été le premier à la nommer ainsi, non comme description mais comme concept global, au moment du projet Juppé de 1995 - comme étant un projet politique global de tentatives de perpétuation du modèle capitaliste de développement.

Projet que l’on aurait bien tort d’assimiler à une ten-tative de destruction, de privatisation d’ensemble de la Sécurité Sociale comme il est pourtant habituel de se le représenter. C’est-à-dire que nous sommes confrontés à tout autre chose que des attaques morcelées, ou qu’à des processus de substitutions privatisées partielles visant la Sécurité Sociale en son modèle 1945, modèle qu’il n’y aurait qu’à défendre et à réinstaller à un plus haut niveau.

Pour être fidèles à 1945 et à A. Croizat, il faut bien leur être profondément infidèles, du moins ne pas se tromper de fidélité. C’est à l’aspect politique global, à l’invention d’une forme radicalement neuve que notre fidélité doit aller et non à la célébration d’une Institution, d’un « ob-jet » administratif et technique aujourd’hui solidement intégré à l’appareil d’Etat, régulant à des niveaux toujours sensibles aux luttes, l’exclusion des inclus et l’inclusion des exclus. Il y a sur ce point, il me semble, un grand malentendu au sein du mouvement social et ouvrier fran-çais (je me permets même de penser qu’il affecte toute notre façon de nous référer au CNR, à la Résistance et à la République) qui n’est pas pour rien dans la difficulté qui est notre, de penser, d’imaginer, de commencer à construire un tout autre modèle de développement, et, donc, un tout autre système de Sécurité sociale que ceux des périodes passées.

Notre admiration et notre fidélité à ces glorieuses (mais aussi mythifiées et parfois mystifiantes) périodes nous portent à une attitude plus défensive qu’offensive (la trop fameuse défense de LA Sécurité Sociale, même lorsque celle-ci a été plusieurs fois modifiée quasiment en son contraire par des séries de plan successifs), plus res-tauratrices que novatrices. Cela se traduit par des propo-sitions, parfois hardies, je pense aux financements ou aux niveaux des prestations, mais dans un cadre non revisité. Propositions qui ne peuvent de ce fait être perçues que de façon technique, experte, voir technocratique et comp-table par la grande masse des populations. D’où notre grande difficulté à politiser vraiment le débat public alors même que les besoins sociaux, solidaires et de santé sont vraiment explosifs et se trouvent pourtant au cœur de nos préoccupations. D’où aussi notre difficulté à critiquer au sens fort les concepts mêmes de la Sécurité Sociale quand celle-ci, de par sa relation subordonnée au champ valorisé

du travail salarié, conduit des millions de familles et de personnes à créer elle-même, de par la nature et le niveau des risques couverts, des situations structurelles d’insécu-rité sociale et de pauvreté !

En quelque sorte il ne s’agit pas de faire plus sur ces thèmes mais de faire en large partie autrement. Car l’acte politique c’est de répondre aux besoins de notre temps (et de ceux à venir) dans des formes qui seront obligatoire-ment très différentes de celles de 1945 telles qu’elles ont été modifiées en continu par les trains de réformes suc-cessifs. Soit dit en passant, mais c’est essentiel pour tenter de gouverner de façon relativement cohérente et durable après la victoire électorale, cette vision est la seule qui peut permettre d’envisager de sortir des désaccords pro-fonds qui existent depuis longtemps à gauche sur ce dos-sier de la protection sociale solidaire et plus précisément de la Sécurité Sociale, de son financement notamment. Si nous ne changeons pas de cadrage global nous risquons fort de stagner sur ces désaccords et de remettre aux seuls rapports de forces électoraux internes à la gauche la préé-minence de telles ou telles options.

Car lorsque je parle de besoins sociaux nouveaux, c’est l’ensemble des besoins et des formes de réponses qui sont concernés. Il ne s’agit pas pour moi « d’ajouter » aux be-soins actuellement couverts les prétendus « nouveaux be-soins » comme le fait d’ailleurs, en jouant ces « nouveaux besoins » contre les « anciens », n’importe quel apprenti rénovateur de la « Sécu ». Le cas de la cinquième branche relative à l’autonomie (en ce qu’elle ne pense en plus que traiter de la dépendance des seules personnes âgées) est révélateur des blocages qu’une telle conception additive des besoins sociaux entraîne.

L’Insécurité sociale naît, pour une large part, des transformations essentielles des âges de la vie et de l’ab-sence de réponse progressiste socialisée à cette révolution anthropologique brutale en termes de temps historique. La partition en trois âges enfance/adolescence, maturité, vieillesse, en trois fonctions, éducation, travail, inactivité sur laquelle tente de survivre encore toute la Sécurité Sociale, toute la construction sociétale actuelle ne cor-respond plus aux réalités de ce temps. Alors que depuis plus de trente ans la jeunesse est toute entière (quelles que soient les énormes inégalités en son sein) plongée dans l’insécurité sociale telle que j’ai tenté de la nommer (pas seulement des états concrets d’insécurités de tous types mais un projet politique) je n’arrive pas à faire même comprendre des propositions élaborées depuis la fin des années 90 sur la nécessaire mise en place d’une Sécurité sociale de la Jeunesse. Malgré deux années de séminaire tenues à la Sorbonne et un travail de synthèse en pré-sence des ministres de la gauche plurielle d’alors, dont la

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60 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Ministre de la Jeunesse… et des Sports, cette proposition est l’absente de nul programme pour faire une référence au poète S. Mallarmé ! L’imaginaire reste sur l’idée qu’il n’y aurait pas eu l’invention moderne d’un nouvel âge de la vie. Que ce nouvel âge de vivre (l’âge moyen médian du premier enfant pour une femme est aujourd’hui de 30 ans) n’est pas la conséquence de la plus ou moins bonne entrée des humains dans le processus de production (et d’une production qui n’aurait pas de plus besoin d’un autre type de producteurs, d’humanité !).

D’où, par exemple, cette proposition de contrats de génération pour faciliter, à coups d’exonérations de coti-sations sociales, l’entrée dans l’emploi d’un jeune avec le sauvetage du poste d’un senior qui aurait mission de faire la transmission professionnelle (ce qui reflète par ailleurs une drôle de vision des questions de transmission et de travail aujourd’hui !).

On me dit sans rire que ma proposition conduirait à ségréguer les jeunes, comme si depuis des décennies ce système n’était pas coupable de leur ségrégation éhontée, scandaleuse. On ne comprend pas ce qu’est la Sécurité sociale (comme concept, principe d’autonomisation, vecteur de participation politique, mode de transforma-tion sociale et institutionnelle) et on confond Sécurité sociale et « Assurance maladie ». L’idée que ce type d’ins-titution, propre à la jeunesse, permettrait au contraire à celle-ci, comme toutes les autres classes d’âge, de posséder ses droits éducatifs, économiques, sociaux et politiques, d’arrêter de traiter donc des majeurs comme des mi-neurs, échappe à un imaginaire dominant qui ne peut penser la « Sécu » que sous le modèle 1945 ! Cette ques-tion de l’insécurité sociale structurelle de la jeunesse est en plus le champ des « risques sociaux » le plus apte à la mutualisation européenne (permettant de doter l’Union Européenne d’un système de solidarité sociale universel,

système sans lequel aucune union politique n’a jamais pu se réaliser). Et ce pour de multiples raisons (aucun pays n’a trouvé de réponse au « chômage des jeunes », « l’hi-ver démographique » européen rend financièrement tout à fait possible cette mise en œuvre sans « surcoûts » re-latifs…) qui n’arrivent pas même à être pensées dans le corset mental de la défense et de l’amélioration de l’ins-titution Sécurité sociale telle que nous en héritons (avec la difficulté supplémentaire bien connue d’hériter qui se pose à tous ceux qui se vivent comme étant les héritiers directs des géniteurs de la chose).

J’ai dit, ailleurs, combien ces révolutions des âges, du travail, de la participation directe des « assurés » à la ges-tion de leurs institutions de socialisations, cette métamor-phose des frontières entre activités et inactivités à tous les âges de la vie permettaient de poser en termes très neufs les questions de l’action sur les facteurs de risques et de coûts ? Que cette question de la prévention des risques sa-nitaires, environnementaux et sociaux (question toujours postulée mais jamais transformée en logique prépondé-rante réelle) vaut pour toutes les branches, pas seulement la branche santé, que ce soit en matière de prestations, de financements ou de gestion. Elle renouvelle de façon considérable la question de l’économie des risques sociaux et donc des fameux équilibrages financiers des branches et des régimes. Elle peut faire de l’économie de la Sécurité Sociale, de la fabrication sociale d’humains capables de maîtriser les révolutions en cours, non pas une charge (même d’investissement !) mais un transformateur global de l’économie. En faire même le mode le plus accessible car le plus politiquement rassembleur, pour amorcer la transition vers un nouveau modèle de développement.

Il me semble que ce serait être fidèle à nos audacieux devanciers que de faire un geste politique, c’est-à-dire aussi théorique et conceptuel, de cette nature.

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Une mission pour l’hôpital public ! 61

Par lettre de mission de juin 2011, le Ministre Xavier Bertrand a lancé une mission pour l’Hôpital public qui vient de rendre son rapport courant avril 2012. Cette mission composée de 9 personnes aux compétences mé-dicales, managériales et soignantes exerçant toutes et tous à titre principal dans les hôpitaux était coordonnée par le Dr Francis Fellinger, alors Président de la Conférence nationale des présidents de CME des CH et Frédéric Boiron, Président de l’Association des directeurs d’hôpi-tal, DG du CHU de St-Etienne.

La mission a auditionné et rencontré des personnels médicaux et non médicaux mais n’a pas jugé utile de rencontrer officiellement les organisations syndicales du secteur.

Quels sont les points majeurs du rapport ?Un attachement puissant à la notion de service public,

une capacité réelle de mouvement et de modernisation, une « gouvernance » interne désormais installée, une de-mande très forte d’accalmie réglementaire, un besoin de concertation, de dialogue, de formations partagées, un besoin de souplesse et de confiance, une demande de rela-tions apaisées avec les Agences, un besoin de correction des effets pervers de la T2A.

Ce que les auteurs de la mission traduisent par les 10 préconisations suivantes :1 Corriger les effets négatifs du dispositif de finance-

ment à l’activité2 Valoriser la notion de service public hospitalier3 Stabiliser le cadre législatif et réglementaire actuel4 Introduire une plus grande souplesse des règles

juridiques5 Organiser un appui régionalisé et territorialisé6 Rénover les relations entre ARS et établissements.7 Soutenir la dimension managériale8 Valoriser les réussites et les acteurs qui les animent9 Achever et clarifier lorsque c’est nécessaire le position-

nement des instances10 Soutenir le rôle spécifique des centres hospitaliers

régionaux et universitaires

Qu’en penser ?Tout d’abord que malgré près de trois années de

montée en charge de la loi « Hôpital, patient, santé, ter-ritoires » et des déstructurations qu’elle a entraînées, les acteurs de terrain, les professionnels du service public

restent attachés au service public. C’est une forme salu-taire de résistance qu’il est bon de noter. Il est savoureux de lire que les « hospitaliers » ont mal vécu la disparition de l’expression « service public hospitalier » dans la loi HPST et la réglementation qui s’y rattache. Les auteurs sont obligés de noter que les « hospitaliers » attendent une juste reconnaissance des efforts importants qu’elles et ils accomplissent. Quand on sait combien les contacts de la mission ont été triés, c’est un sacré réconfort et une raison de ne pas baisser les bras dans l’opposition résolue à la poursuite de la mise en œuvre de la loi HPST.

Quand la mission parle de capacité de mouvement, c’est, de fait, pour rendre hommage à l’adaptabilité des « hospitaliers » au cadre législatif qui leur est donné. C’est aussi une grandeur des agents de la fonction publique de mettre en œuvre les décisions prises par l’état.

La mission constate que la « gouvernance » voulue par la loi HPST est installée. Après trois ans, c’est plutôt nor-mal. N’ayant pas volontairement rencontré d’opposant déclarés à la loi, il est assez normal que les équipes de ter-rain insistent sur le fait qu’elles arrivent à fonctionner… Cela ne permet pas de tirer la conclusion qu’il ne faut rien changer…

La demande d’accalmie réglementaire est signifi-cative d’un « ras-le-bol » des acteurs de terrain. C’est la demande que tout cela se calme et que les équipes puissent enfin travailler sans devoir sans arrêt s’adapter à de nouvelles modifications… C’est légitime de la part du terrain. Cela paraît un peu « téléguidé » lorsque la paru-tion est quelques jours avant le premier tour des élections présidentielles. La demande de concertation, de dialogue montre que la gouvernance actuelle a des limites fortes. Quand les auteurs en viennent à écrire que les réunions de la Mission ont souvent fourni un cadre de débat per-mettant de partager entre hospitaliers, quel aveu d’échec de la dite gouvernance ! « Le vrai patron » annoncé mé-diatiquement par le Président de la République, cela ne fonctionne pas et surtout cela ne satisfait pas les « hospi-taliers ». La demande de confiance révèle la même situa-tion. Cela montre que la défiance ressentie n’est pas sup-portable à long terme.

La demande de relations apaisées avec les Agences est le point d’orgue. La Mission est obligée d’écrire que les établissements ont un vécu difficile avec les ARS. C’est

une mission pour l’hôpital public !

Par Jean-Luc Gibelin

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62 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

la preuve que ce montage n’est pas accepté, qu’il a failli, qu’il faut donc en changer…

La critique de la T2A à travers des effets pervers montre aussi le rejet du terrain de cet outil dans le cadre de l’enveloppe fermée de la LFSS (Loi de financement de la Sécurité sociale) issue des ordonnances Juppé. Il est important de se rappeler que le Ministre de la Santé avait mis en place cette mission pour évaluer la mise en œuvre de la loi HPST et l’avait confiée à deux personnalités qui s’étaient positionnées de manière favorable à la loi. Leur rapport est finalement beaucoup plus critique surtout si l’on veut bien entendre les sous-entendus, les non-dits.

Au total, ce rapport de Mission conforte celles et ceux qui portent l’idée qu’il faut en finir avec la Loi HPST. Même ceux qui y sont favorables doivent reconnaître les limites concrètes du terrain. Il est urgent d’arrêter sa mise en œuvre ! Il faut prendre appui sur la richesse des actrices et acteurs de terrain, sur le formidable potentiel démocra-tique qui est disponible.

Les tous prochains mois ne doivent pas désespérer ces attentes…

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Cuba : l’enjeu du social 63

Depuis le basculement des années 1990, le régime éco-nomique et social cubain traverse une période d’épreuve et d’ajustement, qui le réforme tout en tentant d’en préserver les fondements. Le train de réformes s’est fait plus explicite depuis la passation de pouvoir entre Fidel Castro et son frère Raùl, annoncée lors du VIe congrès du Parti Communiste Cubain, qui s’est tenu à La Havane en avril 2011, mais effective depuis 2006.

À côté des questions touchant à l’organisation du pouvoir, aux problèmes économiques et aux relations in-ternationales, les questions sociales ont été centrales dans la construction du « modèle cubain », et constituent un enjeu fondamental de ces réformes. La centralité du social repose sur le fait qu’il a représenté une dimension cru-ciale et légitimatrice du projet cubain, et qu’aujourd’hui les acquis en matière d’éducation, de santé, de carrières professionnelles, d’égalité entre femmes et hommes, etc., sont menacés par la crise économique et par les réformes engagées elles-mêmes.

Le modèle cubain révolutionnaire a en effet mis en place des structures qui encastraient étroitement le social, l’économique et le politique : les politiques proprement sociales (protection sociale, assistance, emploi, services publics, système de prix, famille…) s’imbriquent en effet dans les politiques économiques et le « politique » pour mettre en œuvre la progression vers une société égalita-riste (1). Depuis les années 1990, cependant, le réaména-gement des politiques publiques et la réduction des sub-ventions provoquent l’essor de la pauvreté (2), tandis que le transfert d’une proportion considérable de travailleurs vers des activités privées marchandes contribue à un creu-sement des inégalités (3). Dans ce cadre, des innovations dans les modes d’intervention sociale, plus assistancielles, plus ciblées, enracinées dans l’échelon communautaire et les quartiers, ont vu le jour (4). Ces réformes tentent de répondre au défi du social, enjeu central de la pérennité du modèle cubain (5).

1. Les réponses à « la question sociale » dans le pro-jet révolutionnaire cubain

Le régime cubain a inscrit « le social » au centre des politiques publiques, et l’a intégré à l’organisation écono-mique et à l’objectif de promotion d’une égalité entre les citoyens. Le projet économique et social, en agissant de concert sur les structures de propriété et de production et sur l’avènement d’un nouveau citoyen cubain, visait explicitement à réduire l’éventail des inégalités héritées de la période antérieure à la Révolution et à interdire leur reproduction. La constitution cubaine(17) accorde à tous les citoyens l’égalité de droits et de devoirs, proscrit toute discrimination fondée sur la race, la couleur de la peau, l’origine nationale ou la croyance religieuse, et assigne à l’état de s’efforcer de créer les conditions favorables à la réalisation de l’égalité.

La stratégie sociale, intégrée ou encastrée dans les po-litiques économiques, a été formalisée en 1975, avec l’ob-jectif de sortir des visions assistancialistes qui prévalaient dans le Cuba des années 1950, pour se situer sur le terrain du développement social, de la promotion de l’égalité et de la justice sociale, de façon articulée au développement économique. Développement social et développement économique sont ainsi conçus comme interdépendants et cumulatifs. Ils visent à modifier les rapports sociaux de propriété et de production et les rapports de domination de divers ordres, à freiner la reproduction des inégalités de condition et d’opportunités et à promouvoir l’égalité des patrimoines, des revenus et des positions sociales.

Ce modèle repose sur une structuration particulière de la matrice de production et de distribution, le quasi monopole et la centralisation étatiques de l’économie et des politiques publiques, et la quasi élimination d’es-

17 La loi fondamentale de 1959 fut pour l’essentiel une transcription de la Constitution de 1940. La Constitution cubaine qui fait de Cuba un état socialiste fut proclamée en 1976. Elle a été amendée trois fois, la dernière en 2002.

Cuba : l’enjeu du social

Par Mme Blandine DestremauDirectrice de recherches - CNRS/LISE

NDLR : Ce texte est rédigé, sous une forme réduite, à partir d’une contribution plus longuede Blandine Destremau et Michel Messu, présentée lors du colloque de l’ACFAS 2011/CR34/LAREPS :

« Le travail social à l’heure de la nouvelle gestion publique : cloisonnement des pratiques ou nouvelles opportunités ? »,Sherbrooke 9-10 mai 2011, et proposée pour publication dans le volume issu de ce colloque sous le titre :

« La centralité du social dans les réformes du modèle cubain : ¿ Renovarse o morir ? ».

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64 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

paces de marché autonomes (Espina Prieto, 2008, p. 17). Il articule politique de l’emploi, des services publics et contrôle des prix. Il imbrique aussi la politique sociale avec les politiques de la famille, de l’environnement, de la santé, de l’éducation, de la culture et de la science ; et avec des politiques de réduction des écarts ville – campagne et des inégalités entre hommes et femmes.

L’emploi, quasi généralisé dans des services, entreprises et institutions étatiques - 97 % des emplois sont publics, le reste se situant dans les coopératives et l’agriculture - permet le versement de salaires d’un très faible niveau en termes de pouvoir d’achat international, admettant un faible éventail de disparité. À ce « salaire » presque sym-bolique (entre 9 et 18 dollars US environ) s’ajoutent des compléments en nature : la distribution de repas gratuits dans les écoles et entreprises, parfois un véhicule de fonc-tion et, le cas échéant, le versement de rations modulées selon des besoins spécifiques, en particulier les risques sanitaires liés à la nature de l’emploi (par exemple rations supplémentaires de lait, ou de viande). Surtout, le sta-tut de citoyen donne accès à une contrepartie socialisée : l’accès à des biens rationnés à très faible prix (libreta) par l’intermédiaire de « fonds sociaux de consommation » (à partir de 1962), supposés couvrir la moitié des besoins considérés. Pour le reste, des marchés étatiques aux prix contrôlés garantissent également un approvisionnement à un prix très bas (notamment pour certains produits alimentaires). La subvention des services en réseau (eau, électricité) fournis à des prix contrôlés, l’accès généralisé et gratuit aux services d’éducation et de santé publics, et l’accès au logement privé, dans un premier temps par simple attribution de droit d’usufruit de logements va-cants sans limitation de durée, par la suite par l’offre de crédits subventionnés, contribuent eux aussi au fait que la notion de salaire individuel est toute relative dans le Cuba révolutionnaire(18).

Le système de protection sociale a par ailleurs été orga-nisé autour du versement, à partir de 1976, de pensions pour les invalides, les veufs et orphelins, et les vieux tra-vailleurs, le tout financé sur le budget de l’état. L’objectif de couverture universelle des travailleurs et de traitement équitable entre les citoyens était atteint à la fin des années 1990. Ainsi, après vingt-cinq ans de service, le retraité (à l’âge de 55 ans pour les femmes, 60 ans pour les hommes jusqu’en 2009, aujourd’hui respectivement 60 ans et 65 ans) reçoit une pension équivalente à 95 % du salaire minimum et environ 50 % du salaire moyen.

18 Il est donc erroné de parler de « niveaux de salaires à 12 ou 15 dollars », ainsi qu’on le lit couramment. Le raisonnement serait plus rigoureux si ces valeurs nominales étaient converties en parité de pouvoir d’achat, comme il est d’usage dans les comparaisons internationales.

Les familles à faibles revenus, les handicapés, les tra-vailleurs âgés à faibles ressources du fait de leur temps court de travail, sont éligibles à des prestations d’assis-tance et d’accompagnement social. Ces dernières font appel au rôle des organisations de masse(19), mis en œuvre pour beaucoup au niveau local et communautaire (quar-tiers, municipalités, districts).

La promotion de l’égalité doit beaucoup à l’effort fourni en matière d’éducation. Dès décembre 1959, la loi organisa l’éducation, depuis le préscolaire jusqu’à l’uni-versité. L’enseignement devint national et gratuit. Une campagne massive et volontariste d’alphabétisation, mo-bilisant des dizaines de milliers de volontaires, a rapide-ment permis à Cuba, dès 1961, d’être déclaré « territoire libre d’analphabétisme » (Lamore, [1970], 2007)(20). Un dispositif important de formation permanente encou-rage la promotion professionnelle. Le taux de diplômés cubains de l’enseignement supérieur se rapproche de celui des pays développés.

La santé publique fut l’autre domaine prioritaire de la Révolution. Tous les services de santé furent nationalisés (à l’exception des médecins libéraux qui, n’ayant pas fui le nouveau régime, purent poursuivre leur activité indépen-dante) et placés sous la tutelle d’un Ministère de la Santé publique (MINSAP). La construction d’hôpitaux et de polycliniques, notamment en zones rurales, la formation de médecins et personnel médical dans les 21 universités de médecine de l’Île, l’orientation vers une médecine pré-ventive, volontariste et gratuite ont non seulement per-mis à la médecine cubaine de devenir l’une des meilleures des Amériques, mais encore de pouvoir être exportée, notamment vers les pays émergents. Des programmes sanitaires spécifiques sont en outre destinés notamment aux mères et enfants, et aux personnes âgées. En termes de résultats, le dispositif de santé publique cubain a per-mis d’éradiquer nombre de maladies infectieuses (polio-myélite, paludisme, diphtérie…) et d’entraîner une chute spectaculaire de la mortalité infantile, au point que Cuba peut afficher des indicateurs de santé comparables à ceux

19 La plupart des organisations de masse cubaines ont été fondées rapidement après la Révolution : les Comités de défense de la Révolution (CDR) et la Fédération des femmes cubaines (FMC) en 1960 ; l’Association nationale des petits fermiers, qui regroupe également les membres de coopératives agri-coles (ANAP), en 1961 ; l’Union des jeunes communistes de Cuba (UJC) en 1962. Les deux dernières sont l’Organisation des pionniers José Marti et la Fédération estudiantine de l’enseignement moyen, fondées en 1977. Deux organisations de masse datent d’avant la Révolution : la Confédération des travailleurs cubains (CTC) fut fondée en 1939 ; la Fédération des étudiants universitaires cubains (FEU) en 1922.

20 Selon la CIA, le taux d’alphabétisation est de 99,8 % à Cuba en 2010, égal pour filles et garçons (https ://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/cu.html).

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des états Unis et du Canada (voire supérieurs concernant le ratio de médecins/population).

La condition des femmes, et spécifiquement la pro-motion du travail féminin à des emplois qualifiés et des droits des femmes, a également fait l’objet d’une poli-tique volontariste de la part de l’état. Le chapitre VI de la Constitution, consacré à l’égalité, confie à l’état la respon-sabilité « d’offrir aux femmes les mêmes opportunités et possibilités qu’aux hommes, afin de permettre leur pleine participation au développement du pays. L’état met en place des institutions telles que les gardes d’enfants, les semi internats et internats scolaires, les maisons de soins aux personnes âgées et les services qui permettent plus facilement à la famille laborieuse d’exercer ses responsa-bilités » (Article 44, notre traduction). La stricte égalité de droits entre homme et femme est également établie par le code de la famille de 1975, et sa promotion dans les différentes sphères de la vie économique et sociale re-présente l’une des missions de la Fédération des femmes cubaines. Si ces acquis se révèlent aujourd’hui toujours soumis à la conjoncture, ils sont parvenus à infléchir ce qui est présenté comme « le machisme traditionnel » de la société cubaine et de réduire la forte différenciation des rôles sexués. Parallèlement, les structures familiales se transforment : les taux de fécondité chutent extrêmement rapidement, passant de 3,7 enfants par femme en 1970, à 1,81 en 1979, 1,61 en 2003, et 1,44 en 2010(21). Ceci contribue, avec l’allongement de l’espérance de vie, au vieillissement de la population cubaine.

Le modèle cubain imbrique donc étroitement les statuts de travailleur, de protégé social de l’état et de défenseur de la Révolution, qui sont constitutifs d’un idéal d’intégration sociale à la société cubaine issue de la Révolution. Les droits individuels du citoyen, garan-tis constitutionnellement, se trouvent nécessairement subordonnés à ses devoirs socio-politiques. Cette forte intégration du politique, de l’économique et du social contribue à ce que le volet social du régime cubain conti-nue à représenter un fondement essentiel de la légitimité de l’état et du modèle de société politique « à la cubaine » (Burchardt, 2002, Fernàndez & Hansig, 2009).

2. Le tournant des années 1990 et le réaménage-ment des politiques publiques : l’essor de la pauvreté

Depuis les années 1990, avec le démantèlement du bloc soviétique et le renforcement de l’embargo étatsunien (le Cuba Democracy Act de 1992), l’économie cubaine se heurte à de profondes difficultés : pénurie de devises et de moyens de paiement des importations, déficit du bud-

21 Base statistique : http://www.indexmundi.com/cuba/total_fertility_rate.html.Voir aussi Diaz-Briquets et Perez, 1982.

get public, baisse de la productivité et des rendements économiques, déstructuration d’une partie de l’économie liée au manque de débouchés et d’approvisionnement, notamment en pétrole, en matières premières, en équi-pement et en médicaments. L’offre de services publics en a été profondément affectée : l’intervention publique en faveur du logement s’est considérablement infléchie(22), les services en eau et électricité sont perturbés, les prix de l’électricité et de certains biens de consommation ont été partiellement désubventionnés (en 2005), les cantines sur les lieux de travail ont été supprimées et les internats sont en passe de l’être, la qualité des soins de santé régresse, l’accès aux médicaments est de plus en plus difficile(23).

Par ce qui a été désigné de « période spéciale en temps de paix » et de processus de « rectification du socia-lisme », le régime a dû concéder une ouverture à l’éco-nomie de marché internationale pour obtenir des devises nécessaires à l’importation de biens : ouverture au tou-risme et à la réception d’argent envoyé de l’étranger par les émigrés, concessions à des entreprises privées pour le service de l’eau, légalisation du dollar US en 1993 puis décloisonnement croissant de la circulation de la mon-naie convertible(24)…

Une des mesures phares est l’ouverture d’espaces d’ac-tivités marchandes, sous forme de petites et moyennes entreprises et d’auto-emploi, dans certains secteurs (les cuentapropistas, dont nous traiterons dans la section sui-vante). Une partie des terres agricoles collectivisées se voit à nouveau privatisée. La production agricole paysanne hors contrat avec l’état est autorisée à s’accroître, de même que l’écoulement des produits sur les marchés agropasto-raux « particuliers » (ie non étatiques). Les paysans ren-contrés lors d’une mission en juillet 2011 profitent tous de cette ouverture, en versant à l’Etat le quota minimum imposé, et en écoulant le reste de leur production sur des marchés mieux achalandés, mais plus onéreux pour les consommateurs. Bien que ces réformes soient prévues de

22 Le nombre de logements construits pour 1 000 habitants a chuté de 6,1 entre 1981 et 1989 à 2,8 entre 1990 et 1995, pour remonter ensuite, mais sans récupérer son niveau antérieur. Le nombre de logements manquants est donc considérable. De surcroît, le parc existant n’est que très peu entretenu, à l’exception des zones touristiques, tel le centre historique de La Havane, dans le cadre de coopérations internationales (Scarpaci, 2000, Mesa-Lago, 2002 & 2006).

23 La crise aurait également affecté les indicateurs de santé, à l’exception de la mortalité infantile : apparition de nouvelles maladies infectieuses et de malnutrition, hausse de la mortalité maternelle, de la morbidité et de la mortalité des plus de 65 ans jusqu’à 1996 (il se maintient néanmoins en 2001 au-dessus de son niveau de 1989) (Mesa-Lago, 2006).

24 Peso cubain convertible. Le CUC est adopté comme monnaie officielle de Cuba, le 8 novembre 2004. Sa circulation, limitée au territoire cubain, a remplacé celle des dollars US, désormais récupérés par l’état (la récupéra-tion de devises est élevée au rang de priorité nationale depuis la crise des années 1990).

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mener à une extension plus large du marché (des biens, des services et de l’emploi), le régime continue à afficher la volonté d’en contrôler le développement et de préser-ver les fondements du socialisme cubain (indépendance nationale, faibles inégalités entre les citoyens, protection sociale, contrôle public de l’économie…).

Le maintien d’un double système de prix fait toujours office de mesure sociale : il équivaut de fait à un subven-tionnement important des biens et services de première nécessité, et confère à des salaires de 9 à 18 dollars US un pouvoir d’achat très déconnecté des prix internationaux. Mais la faiblesse des approvisionnements renvoie la po-pulation vers les marchés non subventionnés et souvent pratiquement inaccessibles.

La libreta et les allocations de biens rationnés, forme principale que prenait l’accès au marché de biens de pre-mière nécessité subventionnés à bas prix, couvrent de moins en moins les besoins fondamentaux. Si le panier de denrées alimentaires (huile, sucre, riz, café…) et de produits d’hygiène (savon, dentifrice…) couvre toujours environ la moitié des besoins mensuels de ceux-ci — certains produits manquent en effet régulièrement. Les rations de vêtements et chaussures ont, pour leur part, été supprimées au début des années 90, de même que les rations supplémentaires ou spéciales (les « diètes ») accor-dées à certains travailleurs particulièrement exposés à des risques pour leur santé (rations supplémentaires de lait, de viande…).

Une partie de plus en plus importante de la reproduc-tion sociale, en proportion des besoins et en types d’ar-ticles, ne peut donc plus être satisfaite par la libreta. Or tout ce qui n’est pas, ou plus, inclus dans les rations doit soit être supprimé de la consommation des ménages ; soit être acquis sur des marchés dont la libéralisation crois-sante des prix les pousse vers le haut. étatiques, les mar-chés agropastoraux en pesos sont peu chers mais aussi peu achalandés. Privés, ils sont plus fournis mais aussi beau-coup plus onéreux. Des biens plus durables (vêtements chaussures, par exemple) ou des produits d’hygiène ne peuvent être acquis, et parfois à crédit, que sur le marché en monnaie convertible à des prix internationaux, très élevés pour le pouvoir d’achat local(25).

25 On pourrait ajouter un circuit institutionnel d’accès à certains biens du-rables, tels que des équipements électroménagers ou des voitures, qui repose plus sur les positions des personnes dans les institutions et organisations que sur un « marché ». Par ailleurs, certains biens produits localement sont soustraits au marché pour se trouver réservés aux hôtels et établissements touristiques (caractéristiquement le cas des langoustes, mais aussi viandes et poissons).

Les réformes ont ainsi contribué à augmenter la part des besoins qui doivent être satisfaits sur les marchés non subventionnés (légaux ou au noir), en pesos ou en devises. Récemment, le décloisonnement s’est intensifié, étendant l’emprise des transactions en monnaie convertible et à des niveaux de prix quasiment internationaux, pour des biens et services offerts par les cuentapropistas (courses en taxi, articles artisanaux, boissons…). Ce transfert équi-vaut, de fait, à une inflation de niveau important, et à une dévalorisation du pouvoir d’achat des salaires, ce qui ne pourra qu’empirer lors de la suppression de la libreta, annoncée au cours du dernier Congrès du PCC (avril 2011). Mesa-Lago (2006) a estimé que les prix sur les marchés non subventionnés, alignés pour partie sur les prix internationaux, étaient en 2000 de 4 à 49 fois plus élevés que sur le marché subventionné.

Pour une bonne partie de la population, la paupéri-sation devient manifeste. Par-delà les difficultés à recons-tituer des séries statistiques cohérentes, Espina Prieto (2008) et Mesa-Lago (2006) citent les taux suivants d’ac-croissement de l’incidence de la pauvreté absolue de re-venus dans la population cubaine, qui équivaut à une in-capacité à satisfaire les besoins fondamentaux : 6,3 % en 1988, 14,7 % en 1996 et 20 % en 1999 et 2002. 31 % de la population de La Havane serait pauvre en 2002. Le coefficient de Gini est passé de 0,22 en 1986 à 0,407 en 1999 et le ratio entre le quintile le plus pauvre et le quintile le plus riche de 3,8 en 1989 à 13,5 en 1999. La paupérisation s’exprime tout particulièrement par la dégradation de la situation de logement des ménages mo-destes et démunis, qui devient critique : sur-occupation d’appartements exigus, manque d’entretien qui conduit à une forte insalubrité et à l’écroulement pur et simple de certains immeubles dans les quartiers populaires. Le Programme des nations Unies pour le Développement évalue cependant à 7 % seulement, en 2003, le taux cubain de pauvreté humaine, en raison du taux élevé de satisfaction des besoins hors revenu individuel.

3. La réduction de l’emploi public et l’essor des activités privées marchandes : le creusement des inégalités

La nécessaire réduction des dépenses publiques, et l’impératif d’augmentation de la productivité du travail, condition sine qua non de l’augmentation des rémuné-rations, ont conduit à décider d’une contraction impor-tante de l’emploi public. Fixée dans un premier temps à un cinquième de la population active, soit un million de travailleurs, la proportion appelée à quitter l’emploi éta-tique devrait atteindre 50 % en 2015. Les réductions ont lieu en priorité dans cinq secteurs : l’industrie sucrière, l’agriculture, la santé publique, la construction et le tou-risme. Le recensement des emplois redondants débouche

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sur des propositions de recasement dans des branches moins pourvues, des mises en disponibilité provisoire ou des démissions.

Une bonne partie de ces travailleurs est présumée se lancer dans une activité indépendante. En effet, parallèle-ment, le gouvernement a autorisé l’installation de petites et moyennes entreprises et coopératives privées et de tra-vailleurs indépendants dans près de 180 branches d’activi-tés(26). Une partie importante de ces activités se situe dans le secteur des services à la personne (coiffure, manucure, garde d’enfants, couture…) ; une autre a trait aux services liés au logement et à la construction (plomberie, élec-tricité, maçonnerie, menuiserie, réparations diverses…) ; finalement, c’est dans le secteur du tourisme que l’ouver-ture est la plus notoire (logement de touristes, restaurants et bars, vente de produits alimentaires et d’objets artisa-naux, transports, guides…). La croissance de ces activités est visible dans le paysage cubain, tout particulièrement pour les touristes, sollicités lors de leurs déplacements et promenades, et qui ont désormais maintes possibilités de dépenser leur argent et de consommer.

L’entreprise n’est toutefois pas sans aléas pour les nou-veaux entrepreneurs : les risques de faillite sont élevés, du fait notamment du poids des ponctions fiscales très fortes imposées à ces nouvelles activités, et de redondances marquées : par exemple, la multiplication des restau-rants privés et des offres de logement dans un petit bourg comme Viñales peut difficilement s’avérer rentable pour tous, alors qu’une partie importante des taxes prélevées est fixe. Idem pour les longues files de voitures vintage qui stationnent sur la place de la Révolution, ou pour les nombreuses manucures. Début 2012, on estime à 25 % la proportion d’établissements privés qui a fait faillite(27).

Du côté de l’offre, le développement des activités privées marchandes permet de compenser une partie de la réduction de l’offre publique de biens et services. Du côté de la demande, il fournit des revenus à une partie croissante de la population. La part des salaires publics dans le total des revenus de la population est corrélati-vement passée de 78,5 % en 1990 à 52,6 % en 2000,

26 Les petits établissements indépendants avaient été interdits en 1968. Ils ont été à nouveau autorisés en 1993, quand 100 types d’auto-emploi ont été légalisés ; ils sont aujourd’hui près de 180 petits métiers. Après une vague de recentralisation de l’économie en 2003-2004, les cuentapropistas représen-tent aujourd’hui 20 % de l’emploi (Henken, 2008).

27 Cuba renoue en effet avec la fiscalité, abolie en 1959, lors de la suppression des entreprises privées. Le prélèvement de taxes sur les nouvelles activités marchandes a été réduit en 2011, tant il risquait d’étouffer les petites entre-prises et travailleurs indépendants. La levée d’autres impôts et l’aménage-ment de la fiscalité sur les petites entreprises sont débattus en 2012. http://www.bbc.co.uk/mundo/noticias/2012/01/120118_cuba_impuestos_tsb.shtml

au bénéfice notamment des revenus obtenus par l’emploi privé (Espina Prieto, 2008 p. 173 sur la base des statis-tiques nationales). Ces transformations majeures ont pour effet d’accroître la partie marchande de la reproduc-tion sociale, ou encore de renforcer la dépendance de la satisfaction des besoins à l’égard des revenus monétaires individuels et familiaux.

Elles ont également pour effet d’amplifier les iné-galités socio-économiques. En effet, il faut pour entre-prendre disposer des fonds d’investissement nécessaires, à quelque échelle que ce soit, pouvoir profiter d’un avan-tage de situation, posséder les compétences requises. Or les positions relatives des uns et des autres face à ces fenêtres d’opportunité sont fort différentes. Ceux qui ont des proches à l’étranger – plutôt des urbains que des ruraux, des Blancs ou Métisses que des Noirs (Espina Prieto, 2008) sont susceptibles de recevoir des remesas, transferts monétaires depuis l’étranger, qui constitueront un capital de départ pour une petite entreprise à compte propre, là où les autres n’auront pas accès à du crédit bancaire, quasiment inexistant. Les petites entreprises les plus rentables ne sont pas celles ouvertes par des profes-sionnels qui ont quitté leur emploi public, tels les coif-feurs, maçons ou autres plombiers, mais celles qui visent l’activité touristique. Dans ce domaine, ceux qui vivent dans des quartiers historiques, rénovés, bien desservis par les infrastructures, valorisés par la communication touris-tique, ou qui jouissent de logements confortables et spa-cieux et bien situés, sont en bien meilleure position pour recevoir des touristes ou ouvrir un restaurant. Or, pour beaucoup il s’agit d’éléments patrimoniaux gardés depuis la période prérévolutionnaire. Dans une certaine mesure, les inégalités qui se creusent aujourd’hui se greffent donc sur des inégalités et disparités antérieures et les réactivent, faisant émerger une « question sociale » amplifiée par ses relents de déjà vu.

Les ouvertures au marché, déjà effectuées ou envisa-gées, ont ainsi un effet cumulatif en termes de disparités sociales. Les Cubains qui n’ont pas d’activité rémunéra-trice hors de leur emploi public ou n’ont pas accès à des revenus en CUC, ont moins de chance de se procurer des biens complémentaires à la libreta sur le marché « libre » et dans les magasins en CUC. La diminution de la cou-verture des besoins de base par la libreta creuse donc ainsi les inégalités entre les personnes qui peuvent s’appuyer sur des activités leur fournissant un pouvoir d’achat significa-tif sur les marchés alternatifs, et les autres. Les inégalités sociales traversent aussi les familles et mettent en tension des parents à faibles revenus et pouvoir de consommation

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et des jeunes avides de jouir des formes « globalisées » de consommation(28).

Les inégalités de genre seraient elles aussi réactivées par ces réformes de l’emploi. En effet, si les réductions d’emploi public touchent a priori hommes et femmes de façon équivalente, les alternatives proposées, quand elles ne sont pas dans la même branche professionnelle, conviendraient mieux aux hommes. Et les branches de cuentapropista les plus ouvertes aux femmes reposent, de fait, sur des tâches domestiques : chambres d’hôte, restauration notamment. Certains chercheurs ont en effet constaté que les femmes sont les premières à quit-ter leur emploi public pour se lancer dans une activité qui les conduira à rester au foyer, même si c’est pour gagner plus d’argent que leur conjoint demeuré salarié public. Cette décision s’effectuera d’autant plus facile-ment que les modèles conjugaux de partage inégal des tâches domestiques semblent avoir survécu aux décennies où l’état assurait une partie des fonctions familiales dont les femmes étaient soulagées pour rejoindre le marché du travail (Lutjens, 1995, Fleites-Lear, 1996, Souriau, 2004, Peciña, 2008, Almodòvar Romero, 2010, King, 1977, Safa, 2005).

4. La consolidation de l’intervention sociale : ren-forcer les solidarités communautaires

Si les fondements structurels de la stratégie sociale se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui, ils ont dû s’ajuster aux transformations de l’environnement économique, et en particulier aux effets de la crise des années 1990 et des réformes qui s’en sont suivies. Espina Prieto qualifie cet infléchissement de « nouveau moment de la politique sociale » (2008, p. 159).

Deux types de modification dans la stratégie sociale ont été mis en œuvre. D’une part, des tentatives de ren-forcement et d’adaptation du système social encastré aux nouveaux besoins sociaux et à la baisse des moyens de l’état : dans la tourmente des années « post guerre froide », l’état cubain maintient, autant que possible, la centralité et le cadre de ses politiques sociales dans les domaines de la santé, de l’éducation, des subventions aux prix de biens et services de première nécessité et de l’emploi.

À partir de la fin des années 1990 se renforce en effet l’attention à des groupes vulnérables, qui ne peuvent sub-

28 Appauvrissement et croissance des inégalités sont mis en relation avec l’exa-cerbation de problèmes sociaux, partiellement imputés à l’ouverture touris-tique : augmentation de la délinquance, de la consommation de drogues et de la prostitution, du nombre de grossesses adolescentes, augmentation de l’abandon scolaire et du chômage des jeunes attirés par des activités profes-sionnelles susceptibles de leur fournir des revenus liés au tourisme (Strug, 2006).

venir à leurs besoins par leur travail, et qui sont particu-lièrement touchés par la crise et les effets des réformes. Les mesures qui se développent visent les insuffisances des revenus du travail ou des pensions de retraite – et des revenus sociaux en nature ou en espèces afférents. Les moyens sont tout à la fois de nature institutionnelle et de mobilisation des communautés résidentielles. On peut mentionner en particulier la création d’écoles de travail social pour former des professionnels appelés à prêter une attention communautaire et personnalisée aux problèmes sociaux (à partir de 1998) ; des programmes pour garantir l’accès à des médicaments nécessaires ; des programmes alimentaires destinés surtout aux écoles ; des programmes de subvention alimentaire et de comedores populares pour les personnes à bas revenus (depuis 1996) ; une augmen-tation des pensions et salaires ; l’élargissement de la capa-cité de construction et réparation de logements par des mécanismes étatiques et des efforts familiaux ; la consoli-dation du rôle des médecins de famille(29) ; etc.

Le ratio des dépenses sociales sur le PIB a crû conti-nuellement depuis 1990 et, à l’exception des années de crise (1991-94), les budgets d’assistance sociale égale-ment (Espina Prieto, 2008, Yamaoka, 2004). En 2003, toutefois, l’assistance sociale ne couvre que 1,7 % de la population, alors que le taux de pauvreté ou de personnes en situation de risque social est estimé à 20 % (Mesa-Lago, 2006).

D’autre part, l’Etat développe également des moyens innovants, ou palliatifs, et encourage les initiatives lo-cales, qui doivent permettre de préserver ces acquis par des moyens moins onéreux et plus accessibles aux insti-tutions publiques : certaines interventions sociales terri-torialisées plus ciblées sur les groupes sociaux accusant une situation de pauvreté ou de vulnérabilité ont ainsi été mises en œuvre et/ou renforcées (Añé Aguiloche, 2005).

Les modes d’action locale se renforcent, et la fonc-tion de « courroie de transmission » des organisations de masse et des consejos populares, instances intermédiaires entre municipios et résidents locaux(30), est réaffirmée et largement sollicitée. Les communautés de proximité sont ainsi appelées à se mobiliser en vue de répondre aux pro-blèmes d’urgence, dans un souci éducatif et d’assistance, mais aussi de réancrage du socialisme dans des formes

29 Les médecins sont appelés – et de fait plutôt contraints - à avoir recours à des méthodes de médecine alternative moins intensives en matériel et des techniques de diagnostic et de soin faisant intervenir plus le toucher que les médicaments et les équipements qui leur font défaut. Les médecines « douces » et autres phytothérapies connaissent un regain.

30 Instaurés par la Constitution, ils sont composés de délégués des habitants, des organisations de masse et des institutions administratives, et doivent traiter des besoins économiques, sociaux et médicaux des habitants relevant de leur juridiction (Strug, 2006).

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participatives. Les moyens humains sont donc particuliè-rement mis à l’honneur. Le rôle social des organisations de masse (Fédération des femmes cubaines en particu-lier) est renforcé et les espaces locaux d’action sociale promus avec dans certains cas, la contribution d’ONG internationales ou des églises. Cette forme partenariale et communautaire d’intervention sociale vise à aider l’éla-boration de solutions pragmatiques, ajustées aux moyens locaux et reposants sur une action collective qui trans-forme tout un chacun en acteur du changement (Oxfam, 2002, Strug, 2006).

Ce « mouvement de quartiers »(31) est soutenu par des mesures administratives de décentralisation et se traduit notamment par la délégation aux autorités locales, aux organisations de masse et à certains corps profession-nels (notamment médecins, enseignants et travailleurs sociaux), de la responsabilité d’identifier les personnes en situation de risque avec des besoins particuliers, et de dé-terminer les moyens de satisfaire ces besoins, notamment au sein de centres d’action communautaire, culturelle et sociale implantés dans les quartiers. Identifiées, les béné-ficiaires se trouvent soit enregistrées sur des listes d’ayants droit à des services ou prestations sociales (allocations en espèces, maison d’accueil de jour, comedores…), soit mises en relation avec des intervenants sociaux, médicaux ou éducatifs, soit encore référés à des initiatives socio-culturelles locales.

Les Casas de Orientaciòn a la Mujer y la Familia, crées et gérées par la Fédération des femmes cubaines à partir de 1990 se voient en particulier confier de nouvelles res-sources et des missions renforcées. Il en est de même pour les Casas de Abuelos ou Casas de Atenciòn para Ancianos, prévues par la Constitution de 1976 et édifiées à partir de 1982. Et c’est encore le cas avec les Talleres de transforma-ción intégral de barrio (Maison de quartier à vocation so-cio-culturelle), mobilisant de nombreuses contributions en travail volontaire, et qui se trouvent soutenus dans leurs initiatives culturelles.

Il s’agit aussi, de façon plus spécifique, d’actions pour la restauration des logements les plus dégradés, d’action en direction des femmes ayant charge d’enfants avec de trop faibles ressources, du repérage et d’interventions auprès des familles cumulant les handicaps du nombre

31 Le « mouvement de quartiers » ou « mouvement communautaire » possède également une facette plus autonome, plus proche de la société civile. Sans statut juridique reconnu, se présentant comme des initiatives populaires, les mouvements communautaires développent des actions tournées vers leur quartier d’implantation : développement local, soutien aux groupes vulné-rables, protection de l’environnement, activités culturelles, etc.… Ce que Dilla (1995) a appelé le « movimiento barrial ». Non reliés entre eux, ces mouvements négocient avec les autorités locales certaines marges d’action.

et de la faiblesse des ressources, de soutien aux personnes âgées et de prévention de la délinquance, de la prostitu-tion et de l’abandon scolaire auprès des jeunes, ainsi que d’actions en faveur de la protection de l’environnement.

Ces innovations institutionnelles sont encore subsi-diaires au regard du socle de la stratégie sociale cubaine, qui maintient sa focale universaliste, quand bien même son efficacité égalitariste s’affaiblit. Elles visent tout autant à protéger les acquis de la Révolution en termes d’éga-lité et de développement social, qu’à pallier l’affaiblisse-ment de la qualité des services publics, à lutter contre les problèmes sociaux apparus avec les changements de la conjoncture géopolitique mondiale et les réformes in-ternes qui l’ont accompagnée, et enfin à amortir les effets inégalitaires de l’ouverture au marché pour les ménages les plus fragiles. Mais ce n’est que dans une faible mesure que ce ciblage s’inscrit dans les politiques publiques cen-tralisées comme un infléchissement de la logique d’éga-lité qui imprègne la stratégie sociale.

De ce point de vue, l’échelle locale d’intervention est en quelque sorte appelée à réparer les déficiences des poli-tiques publiques centralisées en matière de maintien de la cohésion sociale. Selon les termes du document pro-grammatique défendu au cours du VIe congrès du PCC (2011), il s’agit de promouvoir l’égalité des droits et l’éga-lité des chances pour tous les citoyens, mais plus l’éga-litarisme(32). Pour Espina Prieto (2008), il s’agit d’inflé-chir la dimension homogénéisante des politiques sociales structurelles pour mieux prendre en considération les différenciations sociales, de lutter contre les inégalités in-justes, de protéger les individus et groupes vulnérables et d’éliminer les situations de précarité et de pauvreté, afin de renforcer la capacité du système social à promouvoir l’équité. En intégrant ainsi les différenciations imputées à la « période spéciale », sans pour autant remettre en cause la norme d’universalité les nouvelles politiques sociales sont appelées à reconstruire la politique égalitaire en consolidant autant que possible les « espaces d’égalité », (Espina Prieto, 2008, p. 210-211).

5. Conclusion : la pérennité du modèle cubain au défi de la centralité du social

Les réformes brièvement analysées dans ce texte ten-tent de répondre au défi du social, enjeu central de la pérennité du modèle cubain(33), mis à mal par les trans-formations rendues incontournables depuis les boulever-sements du monde global depuis les années 1990. Pour réfléchir ces changements, il semble important de ne pas

32 Parti Communiste cubain, 2010, p. 7.33 Macìas (2011) pose ainsi l’alternative : renovarse o morir ?

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70 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

se laisser piéger dans l’alternative entre, d’un côté, transi-tion obligée vers le monde capitaliste libéral, cadre dans lequel la politique sociale serait régulatrice des inégalités, incitatrice à la responsabilité individuelle et correctrice des situations de misère les plus criantes ; et, de l’autre côté, préservation du cadre du socialisme révolutionnaire ajusté.

Plutôt, ces transformations apparaissent comme des réponses à ou des modes de gestion des tensions, qui portent pour beaucoup sur différentes acceptions « du social » : tensions entre égalité de droit et inégalités de condition, entre égalité des chances et différenciation so-ciale et économique, et entre équité et justice sociale(34), pour emprunter les catégories de Espina Prieto (2008, p. 210-211). Tension également des relations et précé-dences entre droits-liberté, couramment identifiés aux droits humains (politiques et civiques) et droits créance, assimilés aux droits sociaux(35).

Le « social encastré » du modèle cubain, inscrit dans les structures même de l’économie, dans les rapports de propriété et de production, l’accès universel aux services d’éducation et de santé et le contrôle centralisé des prix et des revenus, est-il appelé à se transformer en politique sociale régulatrice de la pauvreté et des inégalités du mar-ché et visant à les rendre gouvernables, selon un modèle libéral ? Sous quelle forme pourront être protégés et pé-rennisés les acquis sociaux dans un contexte politique et économique adapté aux ouvertures du marché ? Quelle pourra être l’efficacité des nouvelles politiques publiques à contenir la pauvreté et les inégalités et à produire la légitimité des institutions publiques, surtout dans un contexte d’ouverture croissante aux influences internatio-nales ? Pas plus que dans les autres pays du monde, cette question ne peut être réduite à un débat éthique. C’est bien de politique qu’il s’agit.

L’optique revendiquée par les autorités est toujours celle du maintien d’un système social public, égalitaire et universel. En particulier, elle prône la pérennité des dispositifs de sécurité sociale (retraite, assistance) et de l’accès universel aux services de soins de santé et d’éduca-tion, avec un objectif affirmé de meilleure efficacité et de

34 La question de la justice sociale apparaît comme suffisamment centrale pour que le Cuba Research Institute de l’Université de Floride (FOCAL) et la Faculté Latinoaméricaine de Sciences Sociales (FLACSO) lui consacrent un programme de recherches (Governance and Social Justice in Cuba : Past, Present and Future) et une série de colloques entre 2005 et 2008 (Mexico en 2005, Ottawa en 2006, Montréal en 2007 et Bellagio en 2008). Voir http://www.focal.ca/programs/research-forum-on-cuba/governance-and-social-justice-conference-series

35 J’ai analysé les termes de cette discussion dans Destremau XXX. Michel Messu et moi-même l’avons élaborée plus avant, pour le cas cubain, dans le texte cité en note 1 dont dérive celui-ci.

réduction des gaspillages. Pour autant, l’innovation a un statut ambivalent : elle est appelée à permettre la péren-nisation du modèle cubain, c’est-à-dire aussi de la place spécifique qu’y occupe « le social » ; mais elle produit des changements qui, en accompagnant la progression du marché, précipitent les effets sociaux qui la justifient, et grignotent le postulat d’égalité prévalent dans la révolu-tion cubaine. Le discours politique qui accompagne ces réformes montre que la voie est étroite tout en la justi-fiant : les positions du VIe PCC présentent ces réformes du modèle économique et social comme un renouvelle-ment du socialisme, humanisé, décentralisé et pragma-tique (Macìas, 2011). Au-delà des dimensions formelles du débat, ce sont bien les fondements moraux et philo-sophiques de l’organisation sociale et politique qui sont en jeu : sur quelle acception de l’égalité, sur quels prin-cipes de justice, va se trouver fondé le projet d’une société cubaine juste, dès lors que l’égalitarisme du projet révolu-tionnaire n’est plus à l’ordre du jour ?

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72 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

La loi du 30 juin 1975 est le premier texte qui vise à donner un statut social à la personne handicapée et qui notamment fixe les modalités d’accueil en milieu scolaire. Il faudra attendre 1991 pour en voir les premiers décrets d’application avec la mise en place des premières CLIS (CLasse d’Intégration Scolaire) en primaire, et 1996 pour les UPI (Unités Pédagogiques d’Intégration) en collège. Depuis la rentrée 2010, les UPI sont devenues des ULIS (Unités Localisées pour Inclusion Scolaire).

La loi du 11 février 2005 réactualise l’ensemble du dispositif.

Qu’en est-il réellement ? De tout temps, la mise en œuvre de ces dispositifs a été surtout basée sur le volonta-riat des personnels, sans un réel déploiement des moyens nécessaires.

De quoi parle-t-on vraiment ?•L’intégration : l’enfant se met en phase avec le sys-

tème scolaire. Il est inscrit dans une classe spéciale dans laquelle il bénéficie d’un enseignement adapté. Il fréquente partiellement une classe « ordinaire ou banale » à raison de quelques heures par semaine, en fonction de son âge et/ou de ses compétences.

•L’inclusion : depuis septembre 2011, on ne parle plus d’intégration mais d’inclusion. L’enfant est ins-crit dans une classe ordinaire de référence et ne pro-fite d’un enseignement adapté que ponctuellement. C’est le système éducatif qui devrait s’adapter aux besoins de l’enfant handicapé. Cela appelle à la mise en œuvre d’un travail d’équipe et de partenariats au sein au sein des établissements. Mais dans la réalité, il en va autrement. Pourquoi ?

Quelle formation pour les personnels ?Elle ne fait pas partie de la formation initiale des en-

seignants. Elle peut-être demandée par des enseignants avec de l’expérience malgré un nombre décroissant de places en stages. Dans les faits, avec un nombre insuffi-sant d’enseignants spécialisés, ce sont souvent des débu-tants qui sont affectés sur ces postes.

Les personnels chargés d’accueillir les enfants han-dicapés dans des classes ordinaires ne bénéficient pas de formation mais doivent obtenir une certification (le 2CA-SH pour le secondaire !) ; cela provoque des situa-

tions d’incompréhension, rendant plus difficile le travail d’équipe.

Les Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS) ne reçoivent quant à eux aucune formation qualifiante et ont des contrats de travail précaires (5 ans non renouvelables). Leur fonction ne s’inscrit pas dans la durée.

Quel devenir pour ces jeunes ?La mise en place des UPI, puis des ULIS en collège

a permis d’assurer une continuité après l’école primaire (CLIS). Mais après, qu’en est-il à la sortie du collège, à l’âge légal de 16 ans (fin de la scolarité obligatoire) ? Très peu de lycées ont des filières permettant d’accueillir ces jeunes pour leur assurer une formation qualifiante (ULIS-Pro). D’autres pourront accéder à des établissements spé-cialisés du type EM-Pro, IM-Pro (Etablissement Médico-Psychologique Professionnel). Pour les jeunes sans affec-tation à la sortie du collège, une solution est recherchée (amendement « Creton »).

Quel rôle pour les institutions ?•Les enseignants référents : ils gèrent les dossiers des

enfants et des jeunes handicapés de la maternelle à l’université. Le nombre de dossiers va croissant d’an-née en année. Ils font le lien entre les familles, les enseignants et la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées). Ils font aussi le lien avec les soignants intervenant auprès de ces jeunes. Ils organisent les équipes éducatives.

•Les établissements de soins : pour que la scolarisa-tion du jeune soit valide, leur présence est indispen-sable. Son accueil est conditionné par un suivi dans un de ces établissements/CMP – CMPP – hôpitaux de jour,…

•L’intervention de la Sécurité sociale : elle accorde une prise en charge dans les établissements spécia-lisés. Ces derniers opèrent une sélection parmi les jeunes qui sont candidats pour y entrer.

•Les MDPH : créées en 2006 et organisées au niveau départemental, leur but est de rassembler au sein d’un même lieu l’ensemble des services intervenant auprès des personnes handicapées. Elles devraient gérer tous les aspects de la vie des jeunes handicapés. Leur manque de moyens mais aussi le flou de leurs attributions en fait un outil opaque et difficilement accessible.

quel accueil pour les enfants handicapés à l’école ?

Par Mme Sylvie Chavrot, enseignante spécialisée

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Quel accueil pour les enfants handicapés à l’école ? 73

Cet état des lieux montre qu’il reste beaucoup à faire entre les objectifs affichés au travers des textes de loi et la réalité sur le terrain. Le droit pour tout enfant ou jeune handicapé à pouvoir suivre une scolarité de qualité est loin d’être effectif. L’engagement des personnels, en nombre insuffisant, chargés de leur accueil, ne peut suf-fire. Une réelle volonté politique droit se traduire au tra-vers d’un vrai projet de scolarisation de ces jeunes avec les moyens nécessaires. Cela appelle à la mise en place d’un service public de la prise en charge du handicap.

Ainsi, le système scolaire, en lien avec ce service pu-blic, doit permettre aux jeunes handicapés de se préparer à prendre toute leur place dans notre société.

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74 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Les brèves des Cahiers

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Les brèves des Cahiers 75

Les derniers chiffres du déficitde la protection sociale : 17,4 mds €

Selon la Commission des comptes de la Sécurité so-ciale, le déficit total du régime général en 2011 pourrait s’établir à 17,4 Mds € et non plus à 18 Mds € comme projeté dans les annonces du PLFSS. Le déficit se répartit comme suit : 8,6 Mds € pour l’Assurance maladie, 2,6 pour la Cnaf, 6 pour la Cnav et 0,2 pour les AT-MP. L’amélioration est liée à une baisse des dépenses portant principalement sur les médicaments. Rien n’est réglé ! La fraude sociale retraite annuelle équivaut à 10 Mds € en France… et 15 milliards sur l’assurance maladie. La Sécurité sociale est fragilisée par l’atonie de l’emploi. La progression de la masse salariale va nettement ralentir cette année, ce qui pénalisera les rentrées de cotisations pour la Sécurité sociale. La situation financière dégradée de la Sécurité sociale a été peu abordée dans la campagne électorale. C’est ce que confirment les dernières prévisions d’évolution pour 2012 de la masse salariale. Ces nou-veaux chiffres montrent que la détérioration du marché de l’emploi déclenchée mi-2011 va commencer à se faire sentir. L’an dernier, la masse salariale avait augmenté de 3,6 %. Malgré le brutal ralentissement de l’économie, la progression était encore de 3,4 % au quatrième trimestre (en glissement annuel). Début 2012, le décrochage est net. L’Acoss prévoit une hausse limitée à 2,5 % au pre-mier trimestre (toujours en glissement), puis à 2,1 % et 2,2 % pour les deux trimestres suivants. Il est à craindre que l’évolution de la masse salariale sur l’ensemble de l’année 2012 soit inférieure aux + 2,5 % attendus par le gouvernement. À l’inverse, les régimes sociaux bénéficie-ront en 2012 de comptes un peu moins dégradés que prévu l’an dernier. Le déficit du régime général a atteint 17,4 milliards d’euros en 2011. Pour cette année, la der-nière prévision du gouvernement tablait sur un besoin de financement limité à 13,8 milliards, grâce à l’apport de nouveaux prélèvements instaurés en fin d’année der-nière (hausse des prix du tabac, taxes sur les sodas, sur les mutuelles, prélèvements sur les revenus du capital…) et à une limitation de la hausse des dépenses de santé à 2,5 %. Mais cette estimation, qui date de décembre, était encore fondée sur une prévision de hausse de la masse salariale de + 3 % (celle-ci a été révisée en février). De nouvelles prévisions financières seront publiées en juin lors de la Commission des comptes de la Sécurité sociale.

Les dépenses de médicaments régressent. L’involution est quasi-générale : -8,2 % pour les médicaments rem-boursables délivrés en officine issus des prescriptions hospitalières entre février 2012 et février 2011 ; -13,6 % pour les produits non remboursables – et dire que cer-tains croyaient en un grand marché ! Plus largement,

2012 pourrait connaître sur un plan global un recul de 2 % du marché officinal de ville – hors hôpital – selon IMS France qui évoque le chiffre de 20,6 Mds €.

Une remarque sur la réforme des retraites : Sur les 6 premiers mois d’application du dispositif relatif à la prise en compte de la pénibilité au travail pour un départ an-ticipé en retraite, seulement 1 243 salariés ont pu bénéfi-cier de ce dispositif, critiqué de toutes parts. On est loin des 15 000 bénéficiaires potentiels annoncés ici et là… Escroquerie morale ?

démographie médicale

Au premier janvier 2012 les médecins ont une moyenne d’âge de 52 ans soit 12 de plus qu’en 1990 selon une étude de la DREES ! Le nombre de plus de 60 ans a triplé en 20 ans : ils sont à 23 % aujourd’hui. La rupture démographique va être très brutale dans les 5 ans à venir. La catastrophe est annoncée et pourtant aucune mesure sérieuse n’est prise pour augmenter le nombre d’étudiants en médecine. Le désert médical avance : faudra-t-il que le nombre de morts augmente pour réagir ? Les politiques ne pourront pas dire qu’ils n’étaient pas informés.

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76 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Les notes de lecture

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Les notes de lecture 77

Note de lecture des Drs Eric KLINGLER, Psychiatreau CMS de Malakoff & Esther KLINGLER,INSERM U-839 (avril 2012) :

« La psychiatrie biologique :une bulle spéculative ? » par François GONON, revue Esprit, novembre 2011,pp. 54-73.

François GONON, neurobiologiste et directeur de recherche CNRS à l’Institut des maladies neuro-dégéné-ratives de Bordeaux a étudié pendant plus de trente ans la neurotransmission dopaminergique. Autant dire que ses travaux intéressent à la fois la neurologie et la psychiatrie. Il s’intéresse depuis quelques années aux distorsions du discours des neurosciences à travers l’analyse de la littéra-ture scientifique et du discours médiatique.

Dans cet article très documenté, l’auteur s’interroge sur les conditions de production du discours neurobiolo-gique dans la littérature scientifique mais également sur son impact médiatique et sur son influence sur l’opinion publique. Son étude des travaux de recherche en neu-robiologie et en génétique, que ce soit dans le domaine de la schizophrénie ou des troubles attentionnels et de l’hyperactivité, lui permet de constater un premier écart entre les résultats de ces différentes études et leur compte-rendu dans la littérature scientifique. La distorsion des résultats initiaux est ensuite accentuée par le discours médiatique qui façonne directement l’opinion publique.

François GONON relève la participation des neuro-biologistes à cette déformation des conclusions de la lit-térature scientifique : mise en avant de conclusions fortes et omission des données qui relativisent ces conclusions, prévalence des publications rapportant des résultats posi-tifs au détriment d’études relevant des résultats négatifs, usage d’un vocabulaire imprécis transformant de simples corrélations en lien causal, rivalités entre équipes de re-cherche et course à la publication dans des revues pres-tigieuses avec reprise sur un mode spectaculaire par les médias. On peut rappeler à ce sujet l’annonce en juil-let 2005 du lancement du « premier test génétique de diagnostic de l’autisme » par un grand titre de la presse nationale, test estimé dans un second temps de valeur prédictive trop faible. Cette distorsion du discours scien-tifique semble pousser le grand public à ignorer ou mini-miser les facteurs environnementaux et les mesures de prévention.

Il relève également la discordance entre un discours neurobiologique inflationniste et ses conséquences pra-tiques limités dans la réalité : la position forte de la neuro-biologie aux Etats-Unis coexiste avec la persistance d’une

forte épidémiologie des maladies psychiatriques, aucun indicateur biologique ne peut être retenu pour étayer le diagnostic des maladies mentales et aucune nouvelle cible moléculaire des médicaments psychotropes n’a été mise en évidence depuis 1960 malgré d’importants moyens de recherche mis en œuvre. La classification du DSM, pro-blématique dans son élaboration mais référence en ma-tière de constitution de groupes homogènes de patients pour la recherche est maintenant remise en question par le National Institute of Mental Health et incriminée dans la stagnation de la recherche.

Du côté de la génétique, le séquençage du génome humain qui soulevait en 1990 des espoirs pour com-prendre des maladies à fréquence faible et culturellement invariantes, où l’héritabilité semble assez forte comme la schizophrénie, les dépressions unipolaires et l’autisme, n’a pas permis de mettre en évidence une relation directe gène-pathologie. Les troubles psychiatriques les plus fré-quents, à répartition géographique inégale, sont eux for-tement sous dépendance de facteurs environnementaux. Ces états mettent en jeu des réseaux neuronaux étendus, multiples et complexes rendant illusoire la découverte d’une cible moléculaire thérapeutique spécifique.

Les apports de la neurobiologie à la pratique psychia-trique restent donc modestes. La littérature scientifique entretien néanmoins une rhétorique optimiste de pro-messe et affirme la supériorité de cette approche. La mé-dicalisation de la souffrance psychique en est une autre importante conséquence.

L’épigénétique qui tente de combler le fossé entre les gènes, avec leurs différents polymorphismes, et leur expression phénotypique est en plein essor. Elle montre que des facteurs environnementaux précoces régulent l’activité de protéines qui induisent des modifications chimiques de l’ADN (comme la méthylation), ayant un effet sur le niveau d’expression des gènes. L’épigénétique permettrait donc de mieux appréhender la complexité des maladies psychiatriques : elles résulteraient de modifi-cations plurifactorielles de l’expression d’un ensemble de gènes. Ces études décrivent des mécanismes biologiques envisageables de ce qui est connu de longue date par les cliniciens : des expériences précoces ou répétées peuvent conditionner la santé mentale des adultes. La dimension historique de la personne est ainsi remise en valeur. Ce nouvel axe de recherche redonne également du crédit aux travaux épidémiologiques qui mettent l’accent sur les fac-teurs de risques sociaux et économiques et sur les actions de prévention.

Les études psychosociologiques rationnelles et tout à fait pertinentes mettent en avant ces facteurs environne-

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78 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

mentaux qui se situent essentiellement dans le registre des inégalités sociales : pauvreté, grands écarts de revenus, exclusion, solitude, faible niveau d’éducation. François GONON plaide en conclusion pour des études plus sys-tématiques du lien entre santé mentale et modèle démo-cratique et pour une indépendance de la psychiatrie vis-à-vis de la neurologie.

Note de lecture du Dr Cédric Cheymol (mars 2012) :

« Les inégalités de santédans les territoires français » :état des lieux et voies de progrèspar Emmanuel Vigneron aux Editions Elsevier Masson,194 p, 2011

Emmanuel Vigneron, géographe, est professeur d’aménagement sanitaire à l’Université de Montpellier. Actuellement responsable du groupe santé de l’asso-ciation des auditeurs de l’Institut des Hautes Etudes de l’Aménagement et du Développement Durable des Territoires et membre du Haut Conseil de la Santé Publique, il a été directeur scientifique du Groupe de Prospective Santé et Territoire puis conseiller scientifique de la Datar (Délégation interministérielle à l’Aména-gement du Territoire et à l’Attractivité Régionale). Il a consacré sa carrière à la promotion de l’approche terri-toriale des questions de santé (dont la publication des ouvrages suivants : Pour une approche territoriale de la santé. Paris, Datar/Aube, 2003 ; Santé et Territoires : une nouvelle donne. Paris, Datar/Aube, 2003 ; évaluation & territoires. La Documentation Française/DIAC, 2007).

Il publie ici un ouvrage très documenté en icono-graphie, exemples locaux et régionaux, textes législatifs et commentaires d’experts sur les inégalités territoriales de santé. Soutenu financièrement par Sanofi, l’auteur a travaillé avec un comité de pilotage comprenant des élus, des hauts fonctionnaires et de nombreux experts.

Dénonçant l’effacement des inégalités de santé par le progrès médical du XXe siècle, et s’appuyant sur la loi HPST de juillet 2009 qui confie aux nouvelles Agences Régionales de Santé la charge de lutter contre ces inéga-lités, l’auteur propose par cet ouvrage une synthèse des dimensions territoriales impactant la santé de la popu-lation française et soumet un ensemble de propositions afin de lutter contre les Inégalités Territoriales de Santé (ITS). L’ensemble des acteurs territoriaux bien au-delà du domaine sanitaire se révèle indispensable dans cette lutte.

Au début de son ouvrage, l’auteur déplore la concen-tration épidémiologique depuis le début du XIXe siècle

des autorités nationales sur le caractère social des inéga-lités de santé. L’auteur reconnaît l’importance de cette notion mais il explique que, sous prétexte d’une nation unique et d’une politique ultra-centralisée, l’aspect géo-graphique des inégalités de santé reste très effacé dans les attentions des autorités du XIXe et XXe siècle.

Néanmoins l’auteur réussit à illustrer l’ancienneté de cette dimension territoriale des inégalités de santé avec des iconographies reproduisant l’évolution de la morta-lité dans les départements français au cours de la première moitié du XXe siècle avec une surmortalité prédominant dans les départements de l’ouest puis s’étendant dans le nord de la France au cours des décennies. Au cours du XXe siècle, ces inégalités territoriales semblaient sur le chemin de la régression mais depuis les années 2000, certains marqueurs de santé montrent à nouveau un accroissement de ces inégalités territoriales en France. L’auteur illustre cette situation en regardant l’évolution de l’espérance de vie du moment qui a nettement pro-gressé depuis le XVIIIe siècle. Les écarts extrêmes entre régions et entre départements se sont réduits au cours du XXe siècle mais ils s’accroissent à nouveau depuis le début des années 2000.

L’auteur établit ensuite un portrait sanitaire de la France de ce début du XXIe siècle.

Tout d’abord il critique les données actuelles néces-saires pour documenter ce portrait. Il salue leur excel-lente qualité mais souligne leur ancienneté due à une trop lente diffusion par le système statistique français. De plus il dénonce la concentration de ces données essentielle-ment sur la mortalité et peu sur l’état de santé de la po-pulation. L’échelle de ces données ne semble pas non plus correspondre aux problématiques territoriales de santé car la plupart sont régionales tandis que le niveau canto-nal semble plus pertinent. L’auteur relate aussi le manque d’interprétation de ces cartographies.

Critiques faites, l’auteur s’appuie sur des données de mortalité pour démontrer une évolution favorable sur le plan national mais aussi révéler les inégalités sociales qui se creusent au cours du siècle dernier. L’auteur ana-lyse ainsi l’évolution en France de la mortalité prématu-rée (avant 65 ans), un marqueur fort de l’état de santé d’une population. Celle-ci place aujourd’hui la France en mauvaise position au sein de l’Europe Occidentale. Cette mortalité s’est pourtant nettement améliorée entre 1997 et 2007 sur le plan national. Mais l’analyse à l’échelle cantonale, 60 % des cantons qui représentent plus de la moitié de la population française métropolitaine n’ont pas connu une évolution favorable (stagnation ou aggra-

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Les notes de lecture

vation). Ces cantons se concentrent en zone rurale et de manière plus surprenante dans les arrière-pays.

L’analyse de la mortalité due au cancer de l’œsophage, dans un second exemple, a diminué fortement, passant de 5 000 cas à 3 000 cas entre 1970 et 2000 mais il demeure une surmortalité franche qui prédomine sur le territoire nord ouest de la France. Un autre exemple de cette dispa-rité territoriale de l’état de santé, est l’analyse de la mor-talité générale de l’Île de France. Elle retrouve un aspect concentrique de sous-mortalité du centre vers la périphé-rie associé un aspect en étoile dans sud et ouest et le long des axes de communication (A4 A5 A13 A12…). Cet aspect concentrique de la mortalité générale se retrouve aussi en province avec une variation de 9,6 % entre les cantons autour des préfectures et les cantons éloignés (certainement lié en partie à un âge plus élevé, accès plus difficile aux urgences, et une population moins sensible à la prévention).

Ainsi malgré le progrès de l’état de santé de la po-pulation française, les inégalités territoriales persistent et même parfois s’aggravent au cours du début de ce siècle. Fort de ce constat, l’auteur rédige un grand nombre d’exemples étayés par de nombreuses iconographies et surtout dresse une liste de 26 propositions pour réduire ces inégalités territoriales de santé. Celles-ci s’appliquent sur les 3 niveaux géographiques que sont le plan local, régional puis national.

Une action locale pour lutter contre les consé-quences des inégalités sociales de Santé.

Pour démontrer les ITS, l’auteur s’appuie sur la di-mension socio-économique de la démographie française. L’auteur reprend ainsi les études démographiques qui montrent une forte différenciation socio-économique à l’échelle cantonale au cours du XXe siècle. Les études révèlent une concentration des classes supérieures dans les centres ville (en particulier dans les départements des capitales régionales), des classes moyennes repoussées en périphérie des villes et les classes défavorisées relayées en banlieue (avec la vague des constructions de logement social dans les années 60 suivie de la fuite des classes moyennes liée à l’isolement de ces quartiers). Pour illus-trer la conséquence sur la santé, l’auteur reprend une étude de l’IRDES qui révèle en 2007 un effet de sur-dé-claration de mauvais état de santé dans les zUS.

Face à la constatation de ces inégalités de santé à l’échelle locale, l’auteur fait plusieurs propositions afin de cibler les actions médico-socio-économiques en insistant sur leur décloisonnement et en s’attachant à la spécifi-cité de chaque territoire. Il cite l’application des Contrats Locaux de Santé sur les territoires prioritaires. L’auteur

réclame un resserrement des liens entre les collectivités territoriales, les experts (avec notamment la création de centres de ressources régionaux) et les partenaires des autres secteurs que la santé. De plus une culture d’effi-cience associée à une pérennisation des actions engagées.

Une action régionale pour lutter contre l’éloigne-ment des équipements de soins.

Bien que les études démontrent que le système de soin n’entre que pour 20 % dans l’état de santé et les soins représentent 80 % des dépenses de santé, l’auteur s’ap-plique à analyser l’évolution de l’offre de soins au cours de ces dernières décennies au sein des territoires français. Le progrès médical passe par une spécialisation et donc par une concentration des plateaux techniques, équipe-ment et professionnels médicaux. La problématique de la distance géographique d’accès croît et accompagne ce mouvement de concentration. Il s’établit un dilemme entre la proximité d’accès et le nécessaire maintien de la qualité des soins spécialistes et hospitaliers. L’auteur, en s’appuyant sur plusieurs études, souligne l’influence de la distance aux soins sur la qualité des soins. En plus de la dimension socio-économique et culturelle, la simple notion géographie de distance est à lier aux structures de transport. En résumé une accessibilité géographique permet une meilleure accessibilité aux soins et donc une meilleure qualité des soins et enfin un meilleur état de santé.

L’auteur illustre l’effet de la distance à travers l’exemple de la chirurgie ambulatoire en Bourgogne. Il se dessine trois zones à travers cette région. La plus vaste regroupant le Morvan, la Nièvre et une partie de la Saône-et-Loire et de la Bresse avec un moindre recours de 10 % et par-fois 30 %. Tandis que la région dijonnaise a un recours supérieur de plus 40 % à la moyenne nationale. Cette cartographie se superpose à celle illustrant la distance à l’offre de chirurgie ambulatoire.

Des exemples de programme de diffusion et de régu-lations de certaines offres de soins ont pu être dévelop-pés avec un certain succès ces dernières années. L’auteur reprend ceux de l’IRM et du plan AVC. L’IRM est une innovation récente de la fin du XXe siècle. En 1990, il n’existait que 30 appareils d’IRM en France contre 650 actuellement. La diffusion initiale se fixait autour des CHU puis dans le Nord-Ouest et l’Est du Pays au cours de la première décennie. Puis le régime d’autorisation a été confié aux Agences Régionales d’Hospitalisation, devenue par la suite ARS. Il en résulte une grande dif-fusion de cette technologie à travers la quasi-totalité des territoires. Néanmoins la Cour des comptes a critiqué, dans son rapport 2010 sur la sécurité sociale, la politique d’équipement en imagerie médicale en dénonçant la sous

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utilisation des appareils parisiens (qui représentent ac-tuellement 24 % des équipements nationaux, au lieu de 40 % en 1990, pour 18 % de la population française), des tarifs trop élevés, une accessibilité insuffisante avec une densité d’équipement très variable d’une région à l’autre. Le plan AVC est le premier plan de santé annoncé depuis le vote de la Loi HPST. Les AVC représentent 140 000 nouveaux cas par an, 30 000 décès annuels (3e cause de mortalité) et 600 000 patients atteints vivants (1re cause de handicap). La prise en charge urgente et spécialisée est bien codifiée et s’appuie sur les unités neuro-vasculaires. Le traitement doit être précoce et nécessite un maillage territorial afin de permettre l’accès d’une UNV en moins de 30 minutes. De plus l’hôpital public demeure l’acteur quasi exclusif de cette prise en charge qui nécessite l’asso-ciation d’expériences multiples neurologique, cardiolo-gique et de médecine de rééducation. Ce plan est l’occa-sion concrète pour les autorités sanitaires dont les ARS, de démontrer leur capacité à développer ce réseau de prise en charge à travers l’ensemble du territoire. Et le résultat est plutôt spectaculaire puisqu’en 2 ans (2010-2011), les cartographies présentées font apparaître un réel progrès de la desserte des UNV. Certains territoires faiblement peuplés ne bénéficieront pas de cette couverture d’UNV et devront bénéficier d’autres solutions adaptées comme la télémédecine et les transports héliportés.

Pour lutter contre cet effet de distance, l’auteur suggère 3 axes régionaux de propositions.

Axe 1 : Dans l’idée du juste soin au bon endroit, l’au-teur propose une graduation de l’offre des plateaux tech-niques et des grandes filières.

•Faciliter le rapprochement public/privé des offres médico-chirurgicale en particulier dans les villes de taille moyenne afin d’améliorer l’accessibilité géographique et financière de l’offre. L’auteur cite l’exemple du travail de l’ARS de Champagne-Ardenne et du groupe Vitalia, réseau d’établisse-ments de soins privés qui, en travaillant sur la gra-duation de l’offre médico-chirurgicale, ont permis de maintenir deux plateaux techniques de proxi-mité dans les villes de Chaumont et de Langres en l’articulant avec celui de Troyes, plus lourd.

•Développer les réseaux de soins en s’appuyant sur le modèle des réseaux de périnatalité. Ceux-ci ont pu élaborer des référentiels pour la prise en charge des accouchements, construire la graduation des mater-nités et ainsi accroître les conditions de sécurité des naissances grâce à la mobilisation des professionnels divers autour d’une même préoccupation. L’auteur soutient l’élargissement de leurs thématiques tout comme le réseau de périnatalité de PACA Ouest qui s’ouvre à présent à la régulation des naissances.

Enfin l’auteur souligne la nécessite de développer leur lien avec les partenaires médico-sociaux afin d’organiser le parcours global du patient.

•Renforcer l’attractivité des centres hospitaliers de premier niveau en renforcer les liens avec les éta-blissements référence sous la forme, par exemple d’une communauté hospitalière de territoire. Mais aussi favoriser la participation des médecins de ville à l’activité hospitalière afin de rapprocher les acteurs ambulatoires et hospitaliers.

•Construire un maillage adapté de l’offre de soins en graduant celle-ci au sein de l’ensemble des terri-toires reste la solution globale pour lutter contre les ITS. Mais certains territoires, peu denses en popu-lation et isolés géographiquement malgré le déve-loppement du transport sanitaire, demeurent. Il faut donc maintenir des exceptions territoriales afin de lutter contre ces obstacles. Ces territoires sont peu nombreux mais doivent être préservés afin de garantir l’accessibilité aux soins.

L’auteur prend en exemple la fermeture des pe-tits services de chirurgie. Le rapport Valencien paru en avril 2006, préconisait la fermeture de 113 services de chirurgie en raison d’une trop faible activité remettant en cause la qualité des soins. Hors seule une vingtaine de zones sont, en 2005, éloignées de plus de 45 km d’un pôle de chirurgie publique. Elles sont peu peuplées et peu étendues (regroupant 86 cantons). Si les fermetures en-visagées se confirment, on constate qu’il y aura la forma-tion d’une trentaine de déserts hospitaliers « seulement » et cela uniquement dans des zones peu denses, mettant les habitants de 321 cantons à plus de 45 minutes d’un service de chirurgie publique. Des réponses spécifiques à chaque territoire sont à apporter : le maintien de l’hôpital de Saint-Girons en raison de sa position centrale dans l’Ariège, une convention internationale entre la région de Cerdagne-Capcir et l’hôpital de Puigcerda en Espagne, la mise à disposition d’hélicoptère à Saint-Jean Pied de Port. Et pour les quelques territoires isolés persistants, le main-tien du service au titre d’une mission de continuité terri-toriale sanitaire devra être financé. Cet exemple illustre la nécessité de la coopération des services de l’aménagement du territoire, du service public hospitalier, de son admi-nistration et des élus pour élaborer des solutions face à cette concentration des soins techniques nécessaires.

Axe 2 : Autour des établissements de soins, il faut renforcer les clés d’accès aux soins pour la population de chaque territoire.

•Agir sur l’organisation du transport sanitaire en coordonnant les différents acteurs (société de trans-port, établissement de soins, ARS) au niveau régio-

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nal afin d’assurer le maintien de ce service dans les territoires les plus reculés.

•Développer la télémédecine qui, à travers la loi HPST, bénéficie d’un cadre juridique, comme un des outils futurs de lutte contre les inégalités de santé.

•Organiser l’accueil des patients ou de leurs proches à proximité des centres de référence comme cela a commencé à se développer dans le domaine de la pédiatrie. L’auteur cite l’exemple de la « Maison Jonathan » dont le service pédiatrique du CHU de Saint-étienne est à l’initiative et qui a pu voir le jour grâce au financement public, d’entreprises privées et de donateurs anonymes.

Axe 3 : Renforcer les mailles territoriales afin de rap-procher la santé du mode de vie de chaque individu.

•Conforter l’offre locale de santé avec le soutien pour la création, au sein des projets territoriaux de santé, des maisons de santé pluridisciplinaire. L’auteur insiste sur la nécessité d’un cahier des charges qui impose aux professionnels de ces structures un pro-jet médical et de santé. La participation à la perma-nence des soins doit évidemment en faire partie.

• Inciter la participation des collectivités locales à l’élaboration de projets territoriaux de santé car ce sont elles qui peuvent fédérer les acteurs médico-sociaux d’un territorial. L’auteur insiste sur la né-cessité de clarifier le financement dans le cadre des contrats locaux de santé.

Le dispositif pilote d’animation territoriale de santé du pays de Vitré est un exemple synthétique de ce 3e axe. Il a été créé en 2004 pour adapter les politiques régio-nales aux contraintes locales et assurer la coordination et l’émergence d’action adaptée de promotion de la santé dans un cadre de priorités retenues (prévention du sui-cide, des conduites addictives, des violences intrafami-liales et promotion d’une alimentation équilibrée). De plus ce dispositif a permis d’améliorer l’offre de soins primaires en soutenant la création de six pôles de santé pluri-professionnels correspondants à des bassins de vie de 20 000 habitants. Le Pays de Vitré-Porte de Bretagne s’est engagé dans l’élaboration d’un programme territo-rial global de santé à l’échelle d’un territoire de 100 000 habitants et prépare avec l’ARS un contrat local de santé.

Une action nationale pour maintenir les portes d’accès aux soins ouvertes.

L’auteur reprend l’analyse au niveau national en s’ap-puyant sur la problématique de la répartition des profes-sionnels de santé, de la difficulté financière d’accès aux soins, et du défaut de développement de la prévention et de l’éducation pour la santé. La démographie médi-cale révèle qu’il n’y a jamais eu autant de médecins en

France (200 médecins pour 100 000 habitants en 1970 et 550 médecins pour 100 000 habitants en 2000) mais la répartition se déséquilibre à l’échelle nationale et aussi à l’échelle locale. Ainsi les médecins généralistes se concentrent en zone urbaine sur le littoral (Méditerranée et Atlantique) et dans les grandes métropoles. À travers une cartographie de la France, l’auteur illustre cet état et relève la situation des territoires de forte densité de Caen et Rouen entourée de territoire à faible densité médicale.

La situation des médecins spécialistes, des dentistes et des paramédicaux est comparable avec une concentration dans les grandes villes. Seule la répartition des pharmacies liée à la régulation absolue de leurs installations reste har-monieuse à travers l’ensemble du territoire. Pour illustrer les conséquences de l’inégale répartition des médecins, l’auteur analyse la répartition de la pratique de la chirurgie de la cataracte, l’intervention la plus fréquente en France en 1999 et 2005. En 1999, cette chirurgie (350 000 actes par an) se limitait aux régions méridionales et atlantiques. L’idée alors admise était que cela était lié à l’émergence d’une innovation qui avait vocation à se diffuser à travers l’ensemble du Pays. Six ans plus tard, l’activité s’est en effet développée avec 540 000 actes par an mais avec un renforcement dans les territoires initiaux et autour des grandes villes notamment universitaires. Il reste des pans entiers de territoires délaissés notamment dans les zones rurales. On peut penser que les inégalités territoriales d’accès au dépistage par un ophtalmologue expliquent ce contraste plutôt qu’une variation objective de demande, surtout avec le vieillissement de la population.

L’auteur écarte les motifs de concentration de l’offre médicale invoqués très souvent que sont la présence des médecins auprès des populations solvables ou des per-sonnes âgées, son adaptation rapide aux besoins, et la fé-minisation de la profession (exercice salarié en ville). Peu favorable aux mesures d’incitation ou coercitive simple et fort du constat du rôle important de l’attractivité des fa-cultés de médecine sur la démographie médicale, l’auteur propose d’agir sur la formation médicale. Tout d’abord il réclame une meilleure exposition aux étudiants de l’exer-cice de la médecine ambulatoire au cours de leur forma-tion initiale. De plus l’auteur met l’accent sur le dévelop-pement de la nouvelle spécialité de médecine générale en favorisant l’attribution des postes d’enseignants dans les régions les plus exposées à la désertification médicale.

En complément l’auteur propose d’assurer le finance-ment et de développer les conditions légales afin de déve-lopper les nouveaux modes d’exercice que sont les pôles ou les maisons de santé. L’auteur insiste sur la vigilance que les ARS doivent porter sur la bonne territorialisation de ces dispositifs d’accompagnement.

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L’accès économique aux soins aggrave la situation de l’inégalité territoriale d’offre de soins. Bien que le pour-centage du reste à charge des personnes reste stable, la consommation de bien médicaux a augmenté de 66 % (72 % en valeur constante) entre 1998 et 2009 sans évi-demment de compensation par une augmentation des salaires du même ordre (44 % pour le SMIC) ni d’une moindre évolution des prix à la consommation (21 %). La valeur absolue du reste à charge a donc doublé sur cette période. Il en découle une aggravation du renonce-ment aux soins. Par ailleurs, la proportion de médecins spécialistes exerçant en secteur 2 croît. Les cartographies représentant ces proportions pour chaque département en 1987, 1997 et 2007 illustre l’expansion des départe-ments aux proportions de 70 % de médecins spécialistes libéraux exerçant en secteur 2. L’auteur appuie le contraste de la situation en relevant de nombreux territoires au fort taux de patients « CMUistes » et de médecins exerçant en secteur 2 comme l’Île de France, le Haut-Rhin, le Nord et le Sud-Est méditerranéen. Naturellement le recours aux urgences hospitalières explose avec une augmentation de 50 % en 15 ans avec encore une disparité territoriale.

Lutter contre le renoncement aux soins en favorisant le développement des centres de santé qui pratiquent par leur statut le tiers payant, le secteur 1 et la maîtrise les dé-passements pour les actes et prothèses dentaires : l’auteur exprime l’intérêt de la création de ces structures en parti-culier dans les zones mal couvertes par les soins primaires.

La prévention reste le maillon faible su système de soin français en ne représentant que 3 % de la Dépense Courante de Santé tandis que le contexte socio-écono-mique renforce son exigence. L’auteur illustre les iné-galités territoriales de prévention à l’échelle régionale par deux départements voisins que sont l’Ardèche et la Drôme. Ainsi le dépistage du cancer du sein qui nécessite du matériel lourd et peu déplaçable se concentre sur les couloirs de circulations. A contrario le dépistage du can-cer colorectal, moins sensible aux transports se concentre dans la Drôme y compris dans les zones montagneuses certainement en rapport avec une plus forte implication des professionnels de santé. Ainsi un suivi des actions na-tionales de prévention au plus près des territoires se révèle être plus que nécessaire afin de garantir l’accès à tous à la prévention.

Enfin l’auteur cite en exemple le programme de soins bucco-dentaire au sein de la ville de Nanterre dans le cadre des Contrats Locaux de Santé. Il en souligne ses forces que sont l’adaptation de l’action aux spécificités du territoire, la légèreté du système et la simplicité des indicateurs de santé. évidemment le résultat positif sur le niveau d’état bucco-dentaire et sur la réduction des écarts

entre les différents quartiers reste le principal bénéfice retrouvé.

Il reste à développer la médecine scolaire en la rendant plus attractive, en la réorganisant et en développant les partenariats avec les autres institutions comme la PMI, les CMPP… La santé publique doit se rendre plus vi-sible, plus ouverte en favorisant, par exemple, le travail des médecins publics hospitaliers hors les murs, mais elle doit aussi être mieux évaluée et évidemment mieux dotée financièrement.

En conclusion, l’auteur offre à travers de nombreux exemples locaux, de cartographies précises et interpré-tées, une vision d’ensemble des inégalités territoriales de santé en France. La décentralisation du système de soins par la loi HPST avec la création des ARS peut apparaître comme un acteur de lutte contre ces inégalités de santé. Mais l’auteur souligne la dimension souvent cantonale ou en lisière des départements de ces inégalités qui fait défaut dans cette régionalisation du système de santé. Par ailleurs, il insiste sur la nécessité de l’implication de tous les acteurs locaux en particulier les acteurs politiques dans cette lutte contre ces inégalités de santé.

La lecture de cet ouvrage demande un œil attentif pour appréhender l’ensemble des études rapportées mais il mène assez facilement du constat vers les propositions avec une forte cohérence. L’analyse des différents niveaux de proposition d’action permet d’identifier les différents acteurs sollicités dans l’effort de lutte contre les ITS. Ce livre permet d’appréhender cette problématique territo-riale avec un regard pluridisciplinaire qui seul peut dé-gager l’horizon pour envisager un système de santé plus juste à travers ses territoires.

Note de lecture du Dr Paul CESBRON (avril 2012) :

« mères sous influence »de Sandrine GARCIA, 2010, Edition La Découverte. Du glissement insidieux de l’émancipation des femmes à la reprise sous d’autres formes d’un familialisme « bien-pensant ».

Sandrine GARCIA n’y va pas par quatre chemins, elle ne se défend pas « d’apparaître comme brutale ». « Mais cette brutalité », n’est pas la sienne, bien au contraire « elle est celle d’une philosophie sociale et de l’ordre dont elle [cette philosophie] est solidaire ». Nous voici avertis, l’auteure va déciller notre regard, embué par une « mise en forme rhétorique » qui dissimule une nouvelle assignation des femmes à « s’effacer derrière les enfants et les hommes ».

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Plus encore et les origines bourdieusiennes de Sandrine GARCIA sont revendiquées, au prétexte d’as-surer la cause des bébés et plus largement des enfants, les courants successivement médicaux puis lacaniens, eux-mêmes combattus par les bio-comportementalistes, vont imposer de nouvelles normes éducatives, une doxa, dominées par « un ethnocentrisme de classe ». Ces mou-vements contradictoires ont pour effets principaux une exaltation morale du rôle des femmes, fortement tein-tée de culpabilisation, dans la maternité et la fonction éducative. Ils sont sous-tendus par la stigmatisation des couches populaires rendues principalement responsables de la maltraitance et de son prolongement sans fin à tra-vers la pérennisation, ou plus précisément, l’autorepro-duction du couple tragique victime-bourreau.

Si l’on peut discuter la sévérité d’un tel réquisitoire, il n’en faut pas moins convenir qu’il est savamment mené.

Le procès commence par une histoire précise et fort détaillée de la lutte d’émancipation des femmes autour du droit à décider librement de transmettre la vie. Il ne devrait pas être nécessaire d’ajouter à ce droit celui de ne pas la transmettre. Tant ces deux aspects sont indis-sociables. Et bien, et c’est là tout l’intérêt de la démons-tration de notre sociologue, cette évidence n’allait pas de soi pour l’une des principales initiatrices de ce com-bat, présentée comme telle par l’auteure : Marie-Andrée LAGROUA-WEILL-HALLé. Cette médecin catholique convaincue semble-t-il, issue de la bourgeoisie cultivée, est en effet scandalisée par l’horreur de la vie des femmes appartenant aux couches populaires et détruites par des grossesses imposées et sans cesse répétées. À ses yeux, l’in-justice est d’autant plus flagrante qu’à l’occasion des avor-tements clandestins, qu’elles provoquent, des médecins n’hésitent pas à les persécuter lors de curetages pratiqués sans aucune anesthésie.

Enfin comble de l’insupportable, alors qu’une gros-sesse peut mettre en danger certaines femmes déjà affec-tées par une grave pathologie, l’avortement « thérapeu-tique » (il s’agit bien dans ces cas d’un traitement pour ces femmes), est refusé par de nombreux médecins.

C’est donc par compassion que cette femme active va défendre, malgré son appartenance religieuse, le droit à la contraception et créer l’association « Maternité heu-reuse » précurseure du Mouvement Français du Planning Familial (M.F.P.F.). Elle est, dans ce combat, efficacement soutenue par son mari, lié à la fois au courant progressiste issu de la Résistance au nazisme, ainsi qu’aux couches scientifiques les plus avancées de cette période, lui-même victime de l’antisémitisme du Gouvernement de Vichy.

Tout cela est connu et admis, mais Sandrine GARCIA va dépasser cette donnée historique et en analyser ce qui à ses yeux va expliquer le retour contradictoire à un « essen-tialisme » moralisant.

Revoyons les prémices de cette critique. Elle s’ancre sur une donnée historique contestable : ce n’est qu’après la Deuxième Guerre Mondiale qu’apparaît pratique-ment pour elle ce mouvement féministe dans la réalité sociale inaugurée avec éclat par la publication en 1949 du « Deuxième sexe » de Simone de BEAUVOIR. Or, la référence à Jeanne Humbert et aux courants libertaires des XIXe et XXe siècles est considérée comme presque anecdotique. Cette sous-estimation du rôle des courants néo-malthusiens français semble injuste.

C’est aussi oublier « les funestes secrets d’alcôve » qui vont assurer, à la stupéfaction des historiens, et à la consternation de la majorité des courants politiques jusqu’à la deuxième guerre mondiale, la première in-flexion démographique durable, hors épidémie, guerre et famine. Et cela, en France, le pays le plus peuplé d’Europe et aussi parmi les plus denses de l’humanité, à l’époque de la publication alarmiste, à propos des risques de surpo-pulation, du pasteur Thomas Malthus (1798, Essai sur le principe de population). À quel prix dit-on ! Certes il est lourd pour les femmes : avortements provoqués et leurs conséquences, « peur au ventre », soumission à la domi-nation sexuelle de l’homme et pour les enfants : calvaire de l’abandon, du nourrissage éloigné et de l’infanticide. Tout cela est vrai mais il n’empêche, et c’est le point de vue de l’historien de la sexualité en France, Jean-Louis Flandrin, que l’importance et la constance d’un tel mou-vement démographique n’ont pu être obtenues qu’avec la volonté et la participation active d’une partie non négli-geable des femmes.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, si les néces-sités ou les volontés des sociétés humaines nécessitaient des taux de natalité élevés et par là imposés aux femmes, si la majorité des femmes intériorisaient cette nécessité, des faits sociaux et individuels nombreux sont là pour témoigner du combat ancestral des femmes pour maîtri-ser leur fécondité.

Et si l’on s’en tient à l’analyse anthropologique de Françoise HERITIER pour considérer que cette maîtrise permettant le basculement du statut des femmes n’a pu être obtenue pratiquement qu’avec les contraceptions modernes, nous pouvons dire en la paraphrasant, qu’un tel progrès juridique : l’égalité des droits des femmes et des hommes, n’est pas due à la « bienveillance des firmes pharmaceutiques », ni non plus, en ce qui concerne la période étudiée, à celle de médecins aussi compatissants

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soient-ils, ou progressistes parfois, mais bien d’abord et avant tout à la lutte des femmes elles-mêmes.

Ainsi Marie-Andrée LAGROUA WEILL HALLé, et d’autres praticiens, mais également diverses personnalités appartenant souvent aux couches sociales les plus élevées et les plus cultivées, comme le précise Sandrine GARCIA, ont eu un rôle indiscutable dans l’histoire française de la contraception, elles n’ont sans doute pas joué le rôle principal. Et c’est peut-être ici que réside le point faible de la démonstration. En effet, l’initiative de cette femme médecin, rejointe par une minorité militante ne man-quant ni d’entregents, ni de solides arguments scienti-fiques, si elle va être couronnée de succès par la loi de 1967 autorisant, sous conditions, la contraception, elle n’en est pas moins marquée par cette double origine reli-gieuse et sociale.

Aussi, à la maîtrise de la fécondité s’associe le concept de « maternité heureuse ». Rien de scandaleux ni d’in-compatible certes, mais pour l’auteure, une orientation culturelle, idéologique peut-on dire, « naturalisant » le statut des femmes en l’associant à la maternité. Lorsque, rapidement, les mouvements féministes réclameront le droit d’interrompre volontairement une grossesse, M.A. LAGROUA-WEILL-HALLé rompra les liens qui l’unissaient au mouvement et la « Maternité Heureuse » deviendra le Mouvement Français du Planning Familial (M.F.P.F.). Le Collège des Médecins de l’association dis-paraîtra alors au profit d’une organisation cette fois clai-rement féministe. Mais cette évolution n’a cependant pas empêché le débat autour du statut de l’enfant désiré. Celui-ci devient « personne » et cet autre basculement, s’il en est bien un aussi, va ébranler, pour Sandrine GARCIA, la conquête précédente.

Il y a là pour l’auteure un lien de causalité et il consti-tue la deuxième partie de ce beau travail.

Entre la femme médecin, chrétienne, bousculant la domination sexuelle des hommes et Françoise DOLTO également d’origine « bourgeoise » catholique, médecin et psychanalyste, la familiarité culturelle est manifeste. Pour être claire, Sandrine GARCIA cite dès son intro-duction un passage de « La cause des enfants » (1985) où Françoise DOLTO fait part de sa conception de l’avor-tement volontaire considéré par elle comme un moyen de régulation des naissances. Elle affirme à cette occasion que « légaliser l’avortement met en péril la collectivité de légaliser la mort d’un sujet désirant ». Elle termine cette analyse par un solennel : « Arrêtons le génocide ! »

Stupéfiante déclaration d’une lacanienne dont le « progressisme » ne semble pas avoir beaucoup souffert.

Qu’a-t-il pu se passer pour en arriver là ? D’autant que l’analyse des textes de « l’ortho-psychanalyste » fait appa-raître un discours fort intrusif et pour le moins normatif, sinon autoritaire et culpabilisant.

L’aura charismatique de Françoise DOLTO, outre ses qualités rhétoriques, un sens accompli de la médiatisa-tion, une simplicité discursive indiscutable reposerait sur sa capacité à s’emparer des courants libertaires non direc-tifs, très appréciés dans les couches sociales ascendantes de l’époque, dites « classes moyennes », à forte appétence d’innovation pédagogique. Un des instruments les plus vantés de ce « puérocentrisme » serait les « Maisons vertes » (on ne s’étonnera d’ailleurs pas de la filiation possible mais non évoquée avec les courants écologistes futurs auxquels appartiennent des couches sociales sans doute proches). Il tombe sous les coups de cette forte critique, utilisant le travail de Gérard NEYRAND sur le sujet (1995).

Mais si Françoise DOLTO occupe une place centrale dans l’ouvrage de Sandrine GARCIA, elle n’est pas seule à faire l’objet de cette déconstruction des pédagogies mo-dernes apparues à l’époque dite des « trente glorieuses », accusée d’avoir troqué la cause des femmes contre celle des enfants. La victimisation de ceux-ci en est un des avatars.

Alice MILLER également psychanalyste à succès, en rupture institutionnelle, fait aussi les frais de cette ana-lyse. La maltraitance menaçant tout enfant, selon cette thérapeute, tant sont fréquents les parents maltraités reproduisant eux-mêmes les désastres de leur éducation et produisant parfois des monstres sanguinaires et totali-taires qui menacent l’humanité.

Au fond, comme nous l’a montré Béatrice JACQUES (2007, « Sociologie de l’Accouchement ») à propos de la pé-rinatalité, tous les enfants sont, pour les médecins, relayés par les psychologues, « à risque d’accidents périnataux, puis pédagogiques ». Qu’importe, pour les professionnels psychanalystes ou comportementalistes et les courants idéologiques qu’ils véhiculent, les mères doivent faire l’objet d’un encadrement médical et psychologique, tant leurs petits sont menacés de toute part. Et en premier lieu par leurs propres parents.

Il ne s’agit pas de remettre en cause l’attention portée à tous les enfants, ni bien sûr le respect auquel ils ont droit, comme toute personne, ni même leurs qualités propres d’éveilleurs de conscience et de stimulants affectifs, non, Sandrine GARCIA montre avec insistance et précision là où le bât blesse. Pour cette sociologue « d’après 1968 », les conceptions tant de la puériculture que de la pédagogie de l’enfant sont lourdement marquées par l’« ethnocen-

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trisme » des classes dominantes « naturalisant les femmes » en les rappelant à leurs devoirs de mères, culpabilisant les parents des couches populaires potentiellement dan-gereuses et exonérant les inégalités sociales de leurs res-ponsabilités dans les atteintes portées aux droits de tous les enfants.

Aussi pour conclure, l’auteure, nous engage-t-elle à faire le deuil de l’idéalisme « rousseauiste » qui mise sur des modes éducatifs libéraux qui ne peuvent aboutir qu’à la reproduction de l’ordre social puisque « fondés sur une conception de la société externe à l’individu ».

Une telle orientation génère l’inquiétant « paradigme du risque psychologique », « ressource toujours disponible pour convaincre les femmes de retourner à leur nature ». Des « évaluations diagnostiques » des ortho-psychanalystes, on en arrive à une « entreprise de moralisation des mères » me-nant par débordement, ouvertement hostile parfois, des conceptions psychanalytiques, aux « polices des familles ».

Et cependant nous rappelle Sandrine GARCIA, il ne faut s’adonner ni au « fatalisme sociologique », « ni à la nostalgie de l’âge d’or de l’école ».

Il s’agit là de belles pistes de réflexion, étayées, docu-mentées, à bien des égards fort décapantes, qu’elles qu’en soient les limites historiques et surtout stimulantes pour l’avenir immédiat menacé par de plus graves régressions sociales dont les enfants et les femmes peuvent être les premières victimes.

Note de lecture du Dr Alain Beaupin(36) (mai 2012) :

« La revanche du rameur »par le Dr Dominique DUPAGNE,éditions Michel LAFON, 2012, 349 p.

Deux mois après en avoir achevé la lecture, je n’avais pas encore réussi à classer « La revanche du rameur » de Dominique Dupagne dans l’un des tiroirs où je dépose habituellement les idées nouvelles que je croise au fil de mes lectures. Pour le libraire chez qui je l’avais trouvé, les choses étaient simples. L’auteur se prévaut de sa qualité de médecin, l’ouvrage porte en sous-titre « comment sur-vivre aux médecins, aux hiérarchies et à notre société ». L’ouvrage a donc été présenté dans le rayon « santé » de cette librairie généraliste. Ouvrage médical, donc. À l’appui de cette thèse, l’ouvrage faisait déjà du bruit dans le milieu médical. C’est par un message d’un collègue

36 Sans conflit d’intérêt

médecin hospitalier, posté sur une liste de diffusion de défenseurs de l’hôpital public, que j’en avais appris la parution.

Commençons par le titre. Il fait référence à cette fable du rameur qui rencontre un grand succès chez les profes-sionnels confrontés à la dictature mentale des nouveaux managers. On ne se lasse pas de la réentendre. Je laisse à ceux qui ne la connaissent pas le plaisir de la découvrir dans le livre ou sur le site(37) que lui a consacré l’auteur. A l’évidence le livre est écrit par un médecin. L’auteur analyse un phénomène pathologique, la souffrance des individus confrontés au management moderne. Il part du symptôme et de ses différentes formes d’expression, parfois peu évocatrices du mal qui ronge l’individu à son insu. En cela, il adopte une démarche de clinicien à l’écoute du patient. Tout au long de l’ouvrage il pourrait décrire les différentes formes d’expression de la maladie. Il donnerait les clefs de compréhension de celle-ci à la manière d’un infectiologue qui expliquerait comment le bacille de Koch et l’homme ont cette relation singulière qui parfois se traduit chez ce dernier par une forme de tuberculose. L’infectiologue n’omettrait pas de décrire le rôle déterminant de l’organisation sociale qui va per-mettre l’apparition de la maladie chez certains indivi-dus, sous l’influence de la pauvreté et du faible accès à la connaissance, par exemple.

Mais Dominique Dupagne s’y prend tout autrement.

Le décalage perturbateur commence dès les premières pages : l’auteur décrit non pas une maladie figurant dans les traités de médecine, non pas une nouvelle maladie à laquelle il pourrait espérer attacher son nom, mais un phénomène social. Les symptômes pathologiques sont bien connus de ceux qui travaillent dans un hôpital concurrentiel, dans une fonction publique décomplexée, ou dans une entreprise moderne. Ils ont pour nom « dé-marche qualité », « évaluation », « nouveau management public », « performance », « changement ». La souffrance des individus est elle aussi bien connue des sociologues du travail, des syndicalistes aux yeux ouverts, des méde-cins du travail les plus avisés. Trop de cliniciens, dotés d’une vision un peu courte, la nomment « dépression » ou « anxiété » et prescrivent moult psychotropes, quand ils ne rejettent tout simplement pas ces patients « qui n’ont rien » après les avoir généreusement photographié, saignés et explorés par tous les orifices naturels.

Dominique Dupagne décrit donc l’organisation so-ciale à l’origine de ces maladies. Il montre en effet com-ment cette organisation broie les individus qui la com-

37 http://www.larevanchedurameur.com/

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posent. En cela, il inscrit sa pensée dans celle des nom-breux auteurs qu’il cite, issus notamment du champ des sciences humaines. Pour autant, il s’agit selon moi d’une démarche pleinement médicale. Il insuffle un peu d’oxy-gène à une médecine contemporaine dont la pensée est esclave d’un modèle biomédical dominant de façon quasi totalitaire. Modèle sous influence de ce qu’il est convenu d’appeler le « complexe médico-industriel ». L’auteur pourrait aussi donner matière à penser à une médecine générale et à une santé publique à la française qui auraient tant à faire si elles cessaient d’observer leur nombril.

Pour la clarté de mon commentaire et lever l’objection du lecteur peu familier de la pensée médicale, j’ajoute une précision concernant la notion de maladie. Malgré les apparences, malgré ce que nous indiquerait notre bon sens(38), les maladies sont bien une construction humaine, une construction sociale. Non les maladies ne flottent pas dans l’éther, non elles ne sont pas de création divine, elles sont des concepts intellectuels qui décrivent des réalités humaines.

Autre originalité très convaincante de Dominique Dupagne, il fournit une explication biologique au phé-nomène qu’il identifie. L’explication est simple. Il s’agit de nos gênes. Nos gênes nous gouvernent, nous les êtres humains. Nous ne sommes que les porteurs de nos gênes. Notre rôle est d’assurer leur pérennité et leur expansion. Tout est écrit dans une langue très claire et pour tout dire passionnante. Là aussi je vous laisse le plaisir de la découverte. Vous saurez pourquoi votre chef de bureau vous pourrit l’existence et en quoi vous faites de même

38 Le bon sens, c’est ce qui fait qu’en observant autour de nous, nous voyons bien que la terre est plate (d’après Georges Politzer).

avec le rameur qui est en dessous de vous. Dominique Dupagne montre, exemples à l’appui, que la domina-tion des gênes peut être remise en cause. L’organisation sociale hiérarchique et pathogène qui résulte de cette domination peut selon lui être remplacée par d’autres modes d’organisation sociale. Ceux qui s’intéressent au management, comme acteurs ou comme victimes, voire comme théoriciens, trouveront matière à réflexion dans les thèses de Dominique Dupagne. Les exemples qu’il cite renvoient aux mérites comparés des modèles hiérar-chiques, verticaux, et de domination, par rapport aux modèles horizontaux ou collaboratifs. En bon connais-seur des évolutions des relations sociales permises par les nouvelles formes d’organisation de la communication apparues avec internet, il trace des perspectives résolu-ment optimistes. On peut certes discuter ses hypothèses sur le rôle du web, on peut également relever l’absence de référence à la question soulevée par la prolifération d’une des espèces du vivant, la nôtre, au détriment des autres, dans une planète aux limites finies. Il n’en reste pas moins que ce livre apporte quelque chose à la réflexion sociale.

Il faut enfin en recommander la lecture à ceux que la politique passionne et qui s’interrogent sur la manière de penser le futur de l’organisation de nos sociétés. Dominique Dupagne se défend de retenir le commu-nisme comme alternative sociale(39). À l’appui de cette défense il rapporte comment les sociétés ou les organi-sations qui s’en sont réclamées se sont inscrites dans le modèle de domination hiérarchique qu’il dénonce tout au long de son ouvrage. Pour autant, il me semble que « La revanche du rameur » ouvre aussi ce débat.

39 p. 253

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Le courrier des lecteurs

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La gauche doit renoueravec l’idée de progrèsPar Amar BellalNDLR : Amar Bellal nous a adressé ce texte à la suite de la publication dans le numéro précédent d’un article sur les biotechnologies.

Les sciences, les techniques et le progrès reviennent en force à gauche par le biais notamment des questions environnementales, de l’écologie, de l’agriculture, de l’énergie… Beaucoup a été écrit sur ce sujet, mais les discussions actuelles à gauche montrent l’urgence de se réapproprier les termes du débat et de rappeler quelques idées.

La notion de progrès présente deux grands aspects : celui du progrès dans le champ des idées, de la politique, des valeurs : progressivement abolir l’esclavage, abolir le travail des enfants, abolir les thèses racistes, réduire le temps de travail, penser une sécurité sociale… et de l’autre coté le progrès dans sa dimension scientifique et tech-nique avec la formidable révolution industrielle survenue au XIXe siècle suivie par d’autres révolutions (chimie, informatique, mécanique, physique, biochimie…). La crédibilité du projet de la gauche est conditionnée par l’alliance entre une volonté politique sur la base de ses valeurs et la « faisabilité technique » de son projet.

L’ambition politique sans le progrès technique : c’est être condamné à partager la pénurie.

Au moyen âge l’espérance de vie ne dépassait guère les 40 ans, la mortalité infantile était très élevée, et les popu-lations étaient à la merci de la moindre épidémie, et ce du fait d’une médecine rudimentaire. Même une politique très progressiste conduite par un monarque « éclairé », s’il avait une seule fois existé dans l’histoire, n’aurait pu corriger cette réalité que de façon marginale. Plus proche de nous, l’Inde jusqu’à une période récente connaissait des famines qui décimaient des millions de personnes. La « révolution verte », avec certes des contradictions, a permis d’arrêter ce cycle infernal en introduisant des techniques modernes agricoles (engrais, mécanisation, sélection génétique des plantes etc.). Le « levier » de la technique au sens large (application de la science) est ici déterminant : la volonté politique seule aurait été vaine.

Le progrès technique sans l’ambition politique : c’est la situation que nous vivons.

Le progrès est alors surtout synonyme de nouvelles opportunités pour le capitalisme de faire des profits mais de répondre ni à des besoins sociaux ni aux nouveaux

défis liés à l’environnement. Les gains de productivité dus aux révolutions des biotechnologies et de l’informatique ne servent pas vraiment à diminuer le temps de travail, mais plutôt à augmenter les marges de profits, à salaire et temps de travail constant. Il sert aussi pour des appli-cations militaires : la chimie et la biologie pour faire des armes chimiques et bactériologiques, le nucléaire pour propulser des navires de guerre et fabriquer des bombes atomiques, la génétique pour déposséder les paysans de leurs semences, breveter le vivant et organiser la pénurie, d’où les tensions sur le marché agricole provoquant des famines. évidemment la chimie et la biologie peuvent aussi faire des médicaments et sauver des vies, la physique nucléaire produire de l’électricité et donner de nouveaux outils à la médecine (imagerie médicale et radiothérapie), la génétique augmenter les rendements agricoles par des sélections de plantes et sortir des pays entiers de la mi-sère : mais pour cela il faut la volonté politique.

Le rythme des inventions et des découvertes scienti-fiques permet sans cesse d’élever le niveau et l’ambition des changements à revendiquer dans le domaine poli-tique. C’est l’augmentation de l’espérance de vie et les progrès constants de la productivité qui ont permis de rendre possible la réalisation effective de la retraite, en-tendu comme un nouvel âge de la vie à partir de 60 ans. Cette possibilité a ouvert alors l’opportunité d’une ba-taille politique : celle d’inscrire effectivement la retraite à 60 ans dans la loi, en France.

L’enjeu de la maîtrise du progrès et de son orientation est donc au cœur de la lutte des classes car il conditionne le niveau des conquêtes sociales futures. Il comporte cepen-dant une difficulté, un « inconfort » : l’inconnu de l’ave-nir. L’exemple du choix dans les dépenses de recherche en est une illustration. Quelle recherche financer ? Doit-on financer uniquement les chercheurs dont on est sûr qu’ils vont trouver quelque chose ? Et sait-on vraiment ce que l’on va trouver ? C’est une boutade, mais cette ques-tion se rencontre dans les débats à Gauche alors que ces thèses sur l’efficacité de la recherche sont habituellement défendues à droite souvent pour justifier des baisses de financement. Concernant les recherches pour le cancer, la maladie d’Alzheimer, les thérapies géniques, on n’est pas sûr de trouver : faut-il alors arrêter les programmes de recherche ? Le domaine médical est le plus évident à défendre car on se sent facilement concerné. Pour autant, faut-il arrêter ITER sous prétexte que la faisabilité de la fusion contrôlée est hypothétique et que cela semble très éloigné des préoccupations du citoyen lambda ? Ceux qui avancent ces arguments sont souvent de sincères parti-sans des énergies renouvelables : savent-ils que c’est très certainement dans la recherche en physique fondamen-tale, en support de programme comme ITER justement

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et d’autres, que des découvertes ou retombées se feront pour trouver un moyen d’augmenter grandement les rendements des panneaux photovoltaïques ? Ou même de stocker massivement l’électricité (ce qui réglerait le problème de l’intermittence) ? En fait, la plupart des ruptures technologiques ont été le résultat de recherches (avec le seul but de faire progresser les connaissances) en apparence inutiles et désintéressées ou complètement éloignées de leur domaine d’applications initial.

En réalité, le capitalisme doit faire face à plusieurs ré-volutions liées au progrès scientifique et technique, ré-volutions qui expliquent en partie la gravité de la crise que nous vivons qui perdure bien au-delà des cycles de crise auxquels nous étions habitués. Ce sont aussi des dé-fis d’avenir qui obligent la gauche à se ressaisir sur ces questions.

Commençons par la révolution dans les biotechnolo-gies : elle n’en est qu’à ses débuts et nous pouvons à peine esquisser ses formidables développements à venir avec la possibilité de créer en laboratoire des cellules vivantes(40). Elle ouvre de nouvelles portes pour des applications mé-dicales et d’autres que nous ne connaissons pas encore. Mais elle nous amène aussi à nous poser des questions éthiques, philosophiques, changer notre vision de l’ave-nir, bousculer nos valeurs. Elle demande un haut niveau de démocratie.

Ce qui change aussi c’est la révolution information-nelle. Elle pourrait permettre un partage sans précédent des connaissances et une mutualisation des dépenses de recherche à l’échelle du monde : pour cela il faudrait re-mettre en cause les formes de propriétés intellectuelles privées complètement dépassées et inefficaces pour dé-ployer pleinement ce potentiel de développement. La Chine, l’Inde et demain le milliard et demi d’Africains vont démultiplier le nombre de chercheurs, ingénieurs. Déjà, de 2002 à 2007, le monde s’est vu enrichir de 1,5 million de chercheurs en plus ! (on est passé de 5,8 à 7,3 millions de chercheurs dans le monde). Plus de re-cherche, c’est aussi synonyme d’une humanité qui pour-rait progresser plus vite, une potentielle accélération des découvertes et de possibilités nouvelles. Cela va s’avérer incontournable compte tenu de cette double difficulté

40 NDLR : Biomédicaments : Le Leem vient de publier une étude sur le mar-ché des biomédicaments. 130 sont actuellement disponibles en France, avec une large prédominance des anticorps monoclonaux (20 %) et des vaccins (18 %). Ils génèrent un chiffre d’affaires annuel de 4,8 Mds€. Une précé-dente édition prédisait un nombre de 200 biomédicaments en 2009. On est loin du compte. Mais le Leem estime qu’il y a une « dynamique réelle de recherche dans ce domaine » (812 biomédicaments en développement en 2011, contre 633 en 2008). Et il juge que la progression des investissements (2,7 Mds € depuis 2000, dont 1,9 Md € sur la période 2006-2012) consti-tue « un constat encourageant ».

à la fois répondre aux besoins des populations dans un contexte de croissance démographique et aux problèmes d’environnement.

Mais l’aspect le plus important de la révolution in-formationnelle est le différentiel toujours plus croissant entre les dépenses de formation et les investissements en capital matériel. Cette phrase a été écrite avec un traite-ment de texte à l’aide d’un ordinateur qui, il y a 10 ans encore, était considéré par les USA comme un « supercal-culateur », une arme de guerre potentielle vu sa puissance de calcul. À l’époque, l’éventuelle interdiction à l’expor-tation de cet ordinateur avait été posée par les autorités américaines. Aujourd’hui c’est un produit de consomma-tion courante qu’on peut trouver sur n’importe quel mar-ché d’occasion pour une centaine d’euros. Pour autant, afin de profiter pleinement des énormes potentialités de cet outil, il faudrait investir des sommes très importantes pour former l’être humain qui l’utilise, sinon il en sera réduit à un usage basique (traitement texte, usage inter-net, calculs simples.). Dépenses en formation très impor-tantes aussi sur les hommes et femmes qui conçoivent de telles machines. C’est un vrai problème pour le capita-lisme, ce qui appellera une nouvelle rupture structurelle d’ampleur, à arracher par les luttes, du même niveau que celui de la Sécurité sociale en créant, entre autres, une large sécurité d’emploi et de formation. Le parallèle avec la Sécurité sociale est tout à fait approprié : celle-ci a ré-pondu au besoin croissant des dépenses de santé pour avoir des salariés productifs, en bonne santé, pouvant consommer sereinement, se projeter dans l’avenir. C’est le paradoxe : la Sécurité sociale a été à la fois une défaite pour le capitalisme mais aussi un moyen de se relancer sur de nouvelles bases. On peut dire la même chose de tous les autres services publics : défaite pour le capitalisme mais aussi occasion d’un redéploiement plus efficace des forces productives avec des salariés mieux éduqués, mieux transportés, en meilleure santé, plus créatifs…

On peut aussi parler de la révolution énergétique avec une tendance à la « dématérialisation » (réduction de la dépendance aux combustibles fossiles : charbon, pétrole et gaz naturel) accrue de l’énergie, grâce aux énergies renouvelables (vent, solaire, géothermie.) mais aussi la fission nucléaire (1 kg d’uranium = 10 tonnes de pétrole, et bientôt avec les réacteurs de génération 4 : c’est 1 kg d’uranium = 700 tonnes de pétrole). Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il est possible de pro-duire beaucoup d’énergie avec très peu de matière, mais en revanche il faut beaucoup de technologie à forte valeur ajoutée. Cela pose un vrai problème pour le capitalisme habitué dans ce domaine à des situations de rente en ma-tières premières (gaz, charbon, pétrole), et pas vraiment

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à dépenser beaucoup en formation et en salaire à haute qualification.

Où en est-on aujourd’hui à gauche sur toutes ces questions ? L’affaire Lyssenko(41), du nom du célèbre scientifique soviétique, a laissé beaucoup de traces. Et comme pour beaucoup de sujets, la tentation est grande de passer d’un extrême à l’autre plutôt que d’avoir un examen réfléchi et d’en tirer de justes leçons. Les ana-thèmes autour du « scientisme » et du « productivisme aveugle » sont lancés dès qu’une perspective d’avenir sur la base de possibilités techniques, même à moyen terme, est défendue.

Le productivisme renvoie à l’idée d’une obsession de produire pour accumuler des profits en s’appuyant sur la mise en place d’une « société de consommation ». Société qui se caractérise par des besoins artificiels constamment renouvelés par le biais de la publicité, des représentations sociales, des valeurs véhiculées par le système : tout cela a été très bien décrit par de nombreux sociologues. Or, on a tendance à confondre ce productivisme avec la néces-sité de produire plus pour répondre à de réels besoins sociaux qui eux sont complètement légitimes. Ainsi au lendemain de la guerre, dans le contexte d’un rapport de force favorable à la classe ouvrière, un peu partout en Europe, se posait l’exigence d’une élévation du niveau de vie après des années de privation : l’heure était à l’ac-croissement de la production pour répondre aux besoins. Aujourd’hui, on peut toujours se gargariser et donner des leçons Rappelons que nos aînés ont dû faire face à une situation difficile : Paris était entouré de bidonvilles, la plupart des logements n’avaient pas d’installations sani-taires et les famines sévissaient en Asie. Le capitalisme a su certes en profiter et se relancer, mais cela ne change pas le problème de fond : Il fallait produire plus et vite, question de survie ! La question environnementale à cette époque n’avait pas encore émergé. Or, d’ici 2050, nous accueillerons 3 milliards de personnes supplémentaires sur terre, c’est une réalité qui donne des cauchemars à bien des spécialistes du développement à l’ONU. Nous allons donc devoir produire plus, mais autrement, en in-tégrant notamment le critère du respect de l’environne-ment ! C’est un problème beaucoup plus ardu que celui posé en 1945 ! Dans ce contexte, l’usage facile et répété des slogans contre « le productivisme » à gauche n’est pas vraiment un bon signe : cela révèle plutôt une méconnais-

41 Trofim Denissovitch LYSSENKO fut un ingénieur agronome ukrainien qui élabora une théorie en biologie. Partant des idées exprimées par Charles DARWIN dans son ouvrage « La variarion des animaux et des plantes » (1868) où il proposait une théorie de la transmission des caractères acquis, il forma la notion de « biologie de classe » rejetant les travaux de MENDEL, MORGAN et autres fondateurs de la génétique moderne.

sance de la réalité démographique, et la sous-estimation des défis que nous allons devoir affronter.

Est-il nécessaire également de défendre l’idée de pro-ductivité que l’on confond allègrement avec le produc-tivisme ? Oui, s‘il s’agit de la productivité qui libère du temps libre, celle qui avec les techniques les plus efficaces, permet de produire autant avec moins de temps de tra-vail, moins de pénibilité, moins de matières premières, à l’inverse de celle qui sert à augmenter les profits pour produire n’importe quoi. Ce point est très important car il implique que nous ne sommes pas favorables à la création de n’importe quels types d’emplois : l’idée d’ef-ficacité doit être défendue. Que faut-il alors penser des 300 000 emplois créés en Allemagne dans le secteur des énergies renouvelables ? 300 000 salariés à temps plein pour produire 10 % de l’électricité allemande (c’est peu) : est-ce vraiment efficace ? Des dizaines de milliers d’ouvriers envoyés sur les toits pour la pose de panneaux photovoltaïques ou travaillant à 100 m au-dessus du sol pour installer les milliers d’éoliennes géantes, osons poser cette question : est ce vraiment un progrès ? Aurions-nous l’idée de défendre un retour aux techniques manuelles agricoles sous prétexte que cela va créer des millions d’emplois et que cela permet d’abandonner les tracteurs (cette dernière idée est émise parfois…) ? Il y a beaucoup d’arguments pour défendre le déploiement de filières dans les énergies renouvelables, mais celui de la création d’emplois tous azimuts au détriment de l’efficacité n’est pas pertinent et va à l’encontre d’un de nos objectifs : ce-lui de dégager du temps libre pour les travailleurs. Il faut avoir le courage de dire cela y compris dans une période de forte montée du chômage qui peut prêter à toutes sortes de facilités éludant les vrais débats de fond.

Plus globalement, un contresens est à signaler : celui qui consiste à assimiler certaines technologies avec l’usage qu’en fait le capitalisme. Telle technologie serait en soit non-maîtrisable, antidémocratique, liée par nature à l’argent. L’enjeu est pourtant de déceler les énormes po-tentialités que révèlent ces technologies si elles étaient démocratisées, partagées, sous maîtrise publique et au service des besoins sociaux et environnementaux. Encore faudrait-il avoir les outils pour comprendre ces enjeux afin d’entrer efficacement dans les batailles politiques qui se jouent aujourd’hui entre capitalistes. On en est loin. Au mieux on se contente d’agiter les peurs : ainsi des préoccupations légitimes d’environnement, de démocra-tie, sont instrumentalisées pour cacher les vrais enjeux beaucoup moins avouables et qui se comptent à coup de centaines de milliards. C’est le cas du nucléaire civil que le lobby des rentiers du gaz, du pétrole et du charbon, à l’image du cas allemand, rêve de faire disparaître pour conserver sa place sur le marché avec des perspectives de

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Le courrier des lecteurs

profit bien plus alléchantes et ce, au détriment de la crise climatique et de la pollution de l’air. C’est aussi le cas des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) dia-bolisés et systématiquement assimilés à la multinationale Monsanto et au brevetage du vivant : pourtant une re-cherche sous maîtrise publique et partagée, pourrait nous ouvrir des perspectives et nous fournir des variétés de céréales consommant moins d’eau, moins d’engrais par exemple ou d’autres résultats qui nous aideraient à ré-soudre l’épineux problème agricole mondial. Pourquoi se priver de telles recherches ?

Malheureusement aujourd’hui, les débats publics tournent vite à une diabolisation de tout ce qui s’appa-rente à un début de vulgarisation ou de discours scien-tifique. On assiste même à une inversion des valeurs : moins on en sait, plus on est censé être honnête, impartial et dégagé des « lobbies ». Tout se vaut : on peut s’impro-viser porte-parole en écologie, ou journaliste spécialiste de l’environnement et balayer d’un revers de main toute expertise ou argument venant d’écologue (scientifique de l’écologie) mettant à mal des idées reçues. On peut par-ler de déchets sans avoir la moindre notion de chimie, commenter le rendement des centrales électriques sans avoir entendu parler du principe de Carnot, parler de la pollution sans savoir ce que sont les métaux lourds et les pluies acides. Il est assez regrettable que la plupart des dirigeants politiques écologistes les plus emblématiques n’aient pas de réelles formations scientifiques ou même de culture ni de curiosité dans ce domaine, cela dissipe-rait beaucoup de malentendus et faciliterait grandement les débats. Et cette situation est d’autant plus paradoxale qu’ils dirigent des partis politiques dont l’emblème est justement le nom d’une science : l’écologie.

La démocratie est un enjeu central sur tous ces grands sujets.

Elle s’exprime entre autres à travers l’existence de grands organismes publics de Recherche, et d’institutions indépendantes de contrôle et de diffusion de l’informa-tion. Ne l’oublions pas : tout cela a été acquis de haute lutte et empêche les logiques capitalistes d’être les seules « maîtres à bord »(42)… Les sigles seraient trop nombreux pour les citer tous, mais tous doivent faire face au défi d’articuler les nécessaires travaux d’expertise avec des orientations de progrès qui doivent être décidées démo-cratiquement et en toute connaissance de cause. Elle pose la question de la confiance qu’on accorde aux hommes et femmes qui y travaillent…

42 Quand l’ASN décide par exemple d’arrêter le chantier de l’EPR de Flamanville parce qu’elle estime que le béton n’est pas de qualité suffisante : cela ne fait pas le jeu d’EDF, d’Areva et des Bouygues…

Au front de gauche nous avons fait le choix d’une démocratie réelle qui se fait avec tous les citoyens et en premier lieu les salariés : qu’en est-il vraiment de notre pratique avec ces salariés-es ? Que nous disent les sala-riés-es de l’INRA, de l’INERIS, du CEA, de l’IRSN, de l’ASN, du CNRS, de l’ONF… sur tous ces enjeux ? Il faudrait réapprendre à écouter ces personnes qui sont avant tout des citoyens, qui peuvent énormément nous éclairer sur ces sujets, au lieu de les suspecter de défendre une « corporation » et de les stigmatiser, ce qui est insul-tant et blessant à la fois. Ce serait très mal commencer la « révolution citoyenne » et la VIe République de ne pas s’engager dans cette voie.

Le capitalisme est un mouvement qui marche sur ses deux pieds : l’accumulation de capitaux avec tout son cortège d’exploitation et de dégâts sociaux d’une part et d’autre part les mutations technologiques qui lui per-mettent de se relancer et se redéployer sans cesse lorsqu’il connaît une crise. Cette dynamique est bien sûr traversée par la lutte des travailleurs, qui arrachent des réformes structurelles de progrès social dans les phases de crise, mais ces réformes permettent en même temps au capi-talisme de se relancer sur de nouvelles bases. Ce système a réussi en l’espace de deux siècles à créer une somme de richesses sans précédent. Aujourd’hui, l’enjeu est de par-venir à garder cette efficacité, cette capacité à se projeter dans l’avenir, à produire de la richesse, mais de l’orienter vers les besoins sociaux et le plein épanouissement des individus : donc l’exploitation en moins.

La gauche doit se remettre, elle aussi, à marcher sur ses deux pieds : une politique ambitieuse visant une socié-té communiste d’une part et le progrès technique d’autre part, les deux se nourrissant dans une relation dialec-tique. Elle doit avoir le courage d’affronter le mouvement du progrès en le canalisant à son profit, pour le service des peuples et non en le subissant. Elle doit tourner le dos à la peur et aux solutions de facilité qui proposent de faire l’économie de cet effort et qui supposent par consé-quent de gérer la pénurie avec une vision pauvre et figée des possibilités techniques du moment (pénurie mais pas pour tout le monde ! Pas pour la classe des Bettencourt !). Elle doit ne pas se tromper d’adversaire et refuser de condamner telle ou telle technologie sur des considéra-tions dogmatiques voir sous des pressions d’ordre politi-cien. Elle doit renouer avec une vraie culture scientifique pour avoir des choses intelligentes à dire et un projet cohérent à proposer conjuguant la volonté politique de progrès social et environnemental et l’utilisation intelli-gente du progrès des connaissances.

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92 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

La politique de la petite enfancePar Mme Catherine Jouanneau,secrétaire nationale du PG

NDLR : ce courrier fait suite à l’interview croisée qu’elle a donnée aux Cahiers avec M. Jean-Luc Gibelin, publiée dans le numéro de janvier 2012. C’est un complément.

À propos des enfants, et pas seulement les plus petits je voudrais aussi dire ceci :

La politique de l’enfance a subi ces dernières années une régression sans précédent depuis 1945. Dans tous les domaines touchant aux enfants et aux adolescents, c’est la maltraitance institutionnelle tant à l’égard des publics concernés (enfants, jeunes, parents) que des profession-nel-le-s en relation avec eux qui est à l’œuvre. Les services publics de psychiatrie en général et de pédopsychiatrie en particulier sont les parents les plus pauvres de la politique de santé : nombre sans précédent de postes non pourvus en dehors des grandes villes universitaires, désintérêt de l’Etat et des administrations sanitaires hospitalo-centrées pour les dispositifs de soins ambulatoires de proximité aboutissent à des délais d’attente de plusieurs mois pour obtenir un premier rendez-vous auprès d’un pédopsy-chiatre ou d’un psychologue du secteur public.

Le comble de la cruauté est atteint s’agissant de l’en-fermement d’enfants et de mineurs isolés dans des centres de rétention : au total 356 enfants ainsi enfermé-e-s avec leurs parents, dont 210 âgé-e-s de moins de six ans. La France vient d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour un tel traitement infligé en 2007 à une famille Kazakhe comprenant deux enfants de cinq mois et de trois ans !

Face à de telles régressions, le droit à une enfance heu-reuse est une des raisons pour laquelle il faut mettre fin à la RGGPP et rétablir l’ensemble des postes supprimés dans toutes les professions et secteurs en relation avec des enfants, des jeunes et des parents : crèches publiques, PMI, RASED,  planning familial, maternités, les services de pédiatrie, de pédopsychiatrie, CMPEA, Education na-tionale, PJJ… Il faudra aller au-delà, si nécessaire dans certaines zones (notamment rurales, périurbaines et ur-baines défavorisées).

Qu’on se le dise : le Front de Gauche a été ces der-nières années de tous les combats aux côtés des parents, des personnels de l’éducation nationale et de l’éducation populaire, des personnels de la petite enfance à travers le collectif “Pas de bébés à la consigne”, «  l’Appel des ap-pels » ou le collectif « Sauvons la clinique », des person-nels de santé pour sauver des maternités ou des centres

IVG, mais aussi du Réseau éducation Sans Frontières. Il soutient sans réserve la lutte du réseau “Pas de zéro de conduite”, du collectif des « états généreux pour l’En-fance » dont il partage les conclusions, des personnels de la PJJ, des travailleuses et des travailleurs sociaux, des juges des enfants, des éducatrices et éducateurs spécialisé-e-s, des psychologues, des pédopsychiatres, des pédiatres et des professionnel-le-s de la prévention et du soin qui refusent, au-delà de la disparition de leur métier, la dispa-rition de la notion même d’enfant. Décidément, il nous faut renouer avec “les jours heureux” chers au Conseil National de la Résistance en s’appuyant sur ses acquis pour les approfondir !

dossier médical Partagé, pour le mieux ou le pire, après la clé usb, les informations santé avec des puces électroniques sous-cutanées ?Par Michel Katchadourian

Dans la lignée du Collectif interassociatif sur la santé, la Commission nationale de l’informatique et des liber-tés (CNIL) émet de vives critiques quant au bien-fondé de l’expérimentation d’un Dossier médical personnel (DMP) sur support numérique sécurisé, principalement clé USB. Dans un avis daté du 29 mars dernier et portant sur le projet de décret relatif à cette expérimentation, la CNIL déplore « le caractère laconique » du texte sur les dispositions prises pour garantir la confidentialité, l’inté-grité et la disponibilité des données.

Rappelant qu’un dossier médical se doit d’être « com-plet, à jour et toujours accessible », la commission estime au contraire qu’« un support amovible ne paraît pas, à lui seul, adapté à ces exigences compte tenu (…) des risques de perte ou d’oubli par les patients ». Les limites tech-niques sont également criantes (détérioration, saturation, contaminations par virus informatiques…), ajoute la CNIL, doutant par conséquent de la disponibilité d’un tel outil, de la mise à jour de ses données et de fait de leur qualité. Selon elle, l’usager opérera inévitablement des sauvegardes de ses données sur son ordinateur personnel « dans des conditions de sécurité et de confidentialité mal maîtrisées ».

Le projet de transférer les compétences de la sécu-rité sociale vers les complémentaires santés (assurances, mutuelles, fonds de pensions) n’est pas nouveau. Tout un ensemble de « codes de bonnes conduites », pratiques identiques à ce qui avait permis aux assurances de péné-

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Le courrier des lecteurs 93

trer le marché de l’assurance complémentaire dans les années 1985-1986 via le rapport Gisserot, est à nouveau décliné aujourd’hui.

Le concept de couverture solidaire complémentaire, sans questionnaire, ni sélection était mis en avant dans le cadre du rapport Chadelat. Pour la petite histoire Jean François Chadelat était déjà présent dans le groupe de travail du rapport Gisserot de janvier 1985 commandé par le trio de choc, Michel Rocard, Pierre Bérégovoy, et Jacques Delors. Fameux rapport qui mit fin à l’exclusi-vité de la complémentaire santé gérée par les mutuelles ; la concurrence libre et non faussée avant l’heure ! L’idée d’une sécu bis par les complémentaires, avec la prise en charge au premier euro, était en filigrane dans le rapport Chadelat.

La dérive libérale n’ayant pas de limite, le rapport Babusiaux préconise que « les assureurs complémen-taires » peuvent accéder aux données de santé.

Bien sûr, tous garantissent l’anonymat la main sur le cœur. Mais les assureurs ne cachent pas que le but est de proposer des catégories de contrats « plus diverses et mieux adaptées ». En clair, un tarif en fonction du dossier de l’assuré, dans l’hypothèse de leur intervention accrue « sur le marché de la santé ».

Ceci est bien sûr, extrêmement dangereux pour tous les assurés sociaux !

La sortie régulière du marronnier « dossier de santé partagé », ne doit rien au hasard, surtout que l’OCDE prenant exemple sur le Canada et l’Angleterre tient le même discours, dans le cadre de la réduction des coûts de santé remboursés par les systèmes obligatoires. Personne ne conteste l’idée qu’un dossier mis en commun peut éviter les actes redondants, inutiles et améliorer les protocoles.

L’information fait partie intégrante de la relation de soin comme le rappelait l’ANAES, devenue la Haute Autorité de santé (HAS) en août 2004. Cette informa-tion, doit permettre à la personne de prendre, avec le professionnel de santé, les décisions concernant sa santé, d’éclairer son consentement et de faciliter son adhésion au traitement. Elle contribue ainsi à l’amélioration de la qualité des soins. La possibilité pour une personne d’ac-céder directement aux informations formalisées ne fait que compléter son droit à l’information.

Les professionnels de santé, les établissements de san-té, les structures sanitaires et médico-sociales détenant les informations doivent bien sûr, veiller à ce que les mo-dalités d’accès au dossier assurent la préservation indis-

pensable de la confidentialité vis-à-vis de tiers (famille, entourage, employeur, banquier, assureur, etc.).

De son côté, la personne doit exercer son droit d’accès au dossier avec la pleine conscience du caractère stric-tement personnel des informations de santé qu’elle va détenir. Mais le dossier partagé, n’a pas pour seul but, la réponse aux besoins des citoyens. Réduction des dépenses de santé remboursées, transferts sur les assurances, donc les assurés, marché Européen concurrentiel, le dossier de la Sécu est trop sensible politiquement, pour que les dif-férents acteurs soient dupes des véritables intentions des ministres de la santé successifs !

Partagé avec qui ?Pour bénéficier de ces informations, les contrats

complémentaires assuranciels devraient répondre à des normes solidaires et n’utiliser ces informations que pour des actions de prévention ! (aussi difficile pour les assu-rances qu’interdire à une tribu de chimpanzés de toucher à des bananes mises à leur portée). Nous ne vivons pas dans une société idéale, chacun peut le vérifier, la préca-rité, le chômage, la mise en concurrence des populations conduisent à des auto-sélections. Personne ne demandera le dossier de santé ; ce sont les gens qui, fragilisés par le libéralisme économique et social, le présenteront sponta-nément. Les assureurs complémentaires, pressés par les objectifs de rentabilité décidés par les actionnaires, met-tront en œuvre des critères très sophistiqués pour éviter les mauvais risques.

Les mutuelles à but non lucratif, risquent de perdre leur éthique dans cette jungle capitalistique, pour sur-vivre. Avec le développement, des sciences et des tech-niques, du marketing, de la connaissance des risques de chaque individu par son patrimoine génétique, le résul-tat peut nous amener à l’arbitraire total, à une société invivable !

La question est aujourd’hui particulièrement préoc-cupante du fait du développement du commerce électro-nique et plus récemment des réseaux sociaux (Facebook. etc.), qui se fondent notamment sur un « marché » des données personnelles. Celles-ci sont en effet des outils de marketing permettant aux assurances aux entreprises, de fidéliser leurs client(e)s en leur proposant un service sur mesure déduit de l’analyse de leur comportement sur les réseaux sociaux par exemple via une presse spécialisée, des jeux ou des enquêtes « ludiques » !

La CNIL parle « d’explosion », depuis que la consul-tation de ces fichiers à des fins administratives est autori-sée par la loi, notamment pour l’accès à certains emplois dans la sécurité et le gardiennage. Souvent, les requérants

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94 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

se sont vus opposer un refus d’embauche et veulent voir s’ils ne font pas l’objet d’un signalement dans certains fichiers de police (par exemple, le rapport 2002 cite le cas d’un homme qui s’était vu refuser un stage du fait de son signalement dans le fichier Stic de la police « système de traitement des infractions constatées » pour une affaire de vol de cyclomoteur, alors que celle-ci n’aurait pas dû s’y trouver eu égard aux durées légales de conservation).

Le Delis (Droits Et Libertés face à l’Informatisation de la Société) avait lancé un appel pour tenter de peser sur le débat parlementaire autour de la CNIL. Le collectif suggérait notamment d’étendre la notion de « données sensibles » aux caractéristiques génétiques et aux données sociales et psychiques touchant à la vie privée avec l’idée de rendre aussi le numéro de Sécurité sociale moins par-lant. Pour le Delis, « tout doit être mis en œuvre afin que le numéro de sécurité sociale ne devienne jamais un numéro d’insécurité sociale ».

L’intégration des complémentaires au système Sésame-Vitale, la possibilité d’obtenir la télétransmission directe de données telles que les codes des actes de la nou-velle classification commune, les codes CIP des médica-ments, ou la T2A à l’hôpital méritent un débat public et contradictoire. Hors chacun le constate, c’est plutôt, l’omerta sur ce sujet. La multiplication des hébergeurs, des concentrateurs, dans le champ de la complémentaire santé, en France mais aussi, via des systèmes délocalisés, fait que, partout sur la planète virtuelle risque de se pro-mener des informations hypersensibles !

PropositionsAvant de se précipiter dans les bras de Bigs-Brothers,

il faut peut-être réfléchir, à une alternative ou seule une sécurité sociale démocratisée, et des professionnels de santé sous serment d’Hippocrate et contrôle public, se-raient en mesure de gérer ce type d’information. Il est possible d’obtenir des réformes de progrès, et la question du dossier médical mérite bien un débat public dans la transparence et avec tous les acteurs concernés.

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Le courrier des lecteurs 95

Les documents des Cahiers

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document 1 :

discours de Pierre Laurent lors de la commémorationd’ambroise Croizat au cimetière du Père Lachaise

Paris, le 17 février 2012

Chère Liliane Caillaud Croizat,Cher Pierre Caillaud,Cher Julien,Chers amis, chers camarades,Mesdames, messieurs,

« Dans une France libérée, nous libérerons le peuple des angoisses du lendemain ! » Ces mots, rédigés en jan-vier 1944, sont ceux d’Ambroise Croizat dont nous ho-norons ce soir la mémoire et l’œuvre. « Libérer le peuple des angoisses du lendemain », voilà la mission politique la plus noble qui soit et qui résonne si juste encore à nos oreilles en ces temps de crise généralisée.

C’était là la mission des forces de la Résistance, les ob-jectifs du Conseil national de la Résistance et de son programme ; ce fut le travail gigantesque abattu par des femmes et des hommes vainqueurs du nazisme et du Régime de Vichy et bâtisseurs du nouvel avenir de notre nation après quatre années tragiques et terribles.

Ambroise Croizat, le « ministre des travailleurs », ainsi qu’on l’avait affectueusement surnommé de son vivant, fut de ces personnalités politiques auxquelles notre pays, notre République et notre démocratie doivent ses plus belles conquêtes sociales du Front populaire puis de la Libération.

Inventeur, fondateur, bâtisseur de la sécurité sociale, de la généralisation des retraites, des congés payés et de la semaine de 40 heures, des conventions collectives, du ré-gime des prestations familiales, des comités d’entreprises, le statut des délégués du personnel, de la médecine du travail, de la reconnaissance de maladies professionnelles, de la prévention et du traitement des accidents du tra-vail, du statut des électriciens et des gaziers, de celui de la Fonction publique…

Autant d’exigences majeures, d’innovations sociales et politiques fondamentales qu’Ambroise Croizat sut, dans le travail collectif qu’il anima, faire naître et rendre réelles appuyé qu’il était dans son action par les luttes des tra-vailleurs eux-mêmes depuis des décennies.

Le ministre du travail et de la Sécurité sociale qui prend pour la première fois ses fonctions en novembre 1945 n’a pas été spécialement formé aux affaires de l’état, il ne sort pas d’une grande école, c’est un ajusteur qui a commencé à travailler à treize ans, c’est un syndicaliste – secrétaire général du syndicat CGT de la métallurgie, c’est un mili-tant communiste de la première heure qui possède – à l’instar de toutes celles et tous ceux qui viennent de se battre contre la Bête immonde et leurs complices fran-çais et, qui commencent immédiatement à reconstruire la France – Ambroise Croizat possède un sens aigu des responsabilités et du rôle de l’état, un sens aigu de la jus-tice, de la justice sociale, un sens aigu du respect dû aux travailleurs et de la dignité qui est la leur à se battre pour changer leurs conditions de travail et pour une politique de progrès.

L’engagement d’Ambroise Croizat, son moteur, est le projet d’émancipation qu’avec ses camarades commu-nistes, et syndicalistes, il porte, il élabore, il construit.

Et son fil rouge, son ambition, c’est la solidarité. « Faire société », dirait-on aujourd’hui, c’est faire vivre la solida-rité de chacun avec tous, de tous avec chacun, dans tous les domaines, toute la vie. La solidarité, c’est ce lien, cette interaction entre chacun de nous, qui fait de nous des êtres humains, qui fait du « nous » une force du « je » et le « je » la couleur du « nous ».

Ambroise Croizat a su, toute sa vie durant, dans toutes les responsabilités qu’il prit et assuma, faire correspondre son action à l’invitation de son père ouvrier, lui-même fondateur du syndicat CGT à Notre-Dame de Briançon, qui, en 1914, lui avait glissé à l’oreille : « Ne plie pas petit. Le siècle s’ouvre ».

Oui, lorsque qu’après les emprisonnements (Ambroise Croizat, ancien député du Front populaire, fut des 35 dé-putés communistes embastillés en 1939), les 14 prisons où il séjourna jusqu’à sa déportation au bagne d’Alger, lorsqu’Ambroise Croizat est libéré en février 1943, c’est pour s’engager dans la clandestinité, c’est pour mener à terme ce combat pour une France libre et démocratique, pour ouvrir un siècle que fascistes et nazis ont cherché à clore.

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Les documents des Cahiers 97

Oui, lorsqu’en mars 1944, avec le Conseil national de la Résistance, il fait sienne cette promesse : « Nous, combattants de l’ombre, exigeons la mise en place d’un plan complet de sécurité sociale vivant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail avec gestion par les intéressés et l’état », c’est bien pour ouvrir un siècle de solidarité où l’épanouissement de chacun est la garantie de l’émancipation de tous.

Oui, lorsqu’il aide à la création des premières 138 caisses de Sécurité sociale gérées par les travailleurs eux-mêmes, le siècle, à nouveau s’ouvre : les travailleurs, prenant leur destin en main, offre un avenir à la France.

Si nous nous sommes réunis pour saluer la mémoire d’Ambroise Croizat ce jour c’est pour signifier combien l’œuvre d’Ambroise Croizat reste vivante et d’une mo-dernité absolue. C’est également pour adresser un mes-sage explicite au futur ex-président Sarkozy qui a détruit en cinq ans beaucoup de ce que des décennies de lutte avaient créé pour le bien commun.

En octobre 1950, nous rappelle l’historien Michel Etiévent, Ambroise Croizat prenait pour la dernière fois la parole à l’Assemblée nationale et prononçait des mots que nous, communistes de 2012 faisons entièrement nôtres : « Jamais, nous ne tolérerons que ne soit renié un seul des avantages de la Sécurité sociale. Nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie, cette loi humaine et de progrès. »

Nous le réaffirmons, au président sortant et à sa majorité, comme à ceux qui manqueraient de courage pour affron-ter les forces de la finance : nous serons de ceux qui se battront quoi qu’il en coûte, de ceux qui reconstruiront tout ce qui a été détruit et qui bâtiront ce qu’exige une société réconciliée avec sa propre humanité.

Santé, retraite, famille, mais aussi aujourd’hui, petite en-fance, perte d’autonomie, sécurité d’emploi et de forma-tion, notre ambition est de reconstruire ce que le sarko-zysme a détruit et d’inventer ce que les nombreux défis de l’humanité nous imposent de créer.

Nous y parviendrons, notre peuple y parviendra, car contrairement à cette droite arrogante et revancharde, ce n’est pas la revanche qui nous anime, qui anime notre peuple, mais la justice. Et celles et ceux qui s’engagent pour faire régner la justice, dont chaque geste, chaque pa-role est animée de ce désire de solidarité et de justice sont, au regard de l’histoire, ceux qui se libèrent des angoisses du lendemain et qui font de chaque jour neuf, un pas de plus vers l’émancipation humaine.

Merci à toutes et à tous de votre présence. Merci spé-cialement à toi Liliane d’être avec nous pour saluer la mémoire de ton père.

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98 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

document 2 :

réponse de Jean-Luc mélenchon à l’interpellationde la société Française de santé Publique

NDLR : Les élections présidentielles sont passées. Et bien des documents publiés à cette occasion sont périmés (promesses…). Mais le texte que nous donnons ici, fruit d’une élaboration collective nous paraît intéressant et devoir être capable

de passer l’étape. C’est la réponse aux questions de la Société Française de Santé Publique. C’est une synthèsequ’il nous paraît utile de publier pour les éléments de réflexion qu’elle comprend. Inutile de proposer une réécriture…

La SFSP, cette « vielle dame de la santé publique » de notre pays, a posé publiquement plusieurs questions aux candidats à l’élection présidentielle, sur la vaste interro-gation « pour une de politique santé publique solidaire, soutenable et équitable ». Le Front de Gauche et son can-didat ne pouvaient se dérober. Mais avant de répondre aux 6 champs de questionnements suggérés, je souhaite en aborder trois autres, sans lesquels aucune perspective en santé publique n’est crédible.

D’abord, je souhaite affirmer que rien de notre pro-gramme n’est étranger aux questions que vous posez. Les propositions du Front de Gauche les plus concrètement efficaces dans votre domaine professionnel sont l’augmen-tation du SMIC à 1 700 euros, et par là même celle des petits salaires, le combat acharné contre la flexibilisation du travail, la remise sur pied de l’éducation nationale, la régularisation des sans-papiers et la construction massive de logements sociaux. Dire cela, ce n’est ni faire œuvre de démagogie ni noyer le poisson. C’est simplement tirer les conséquences politiques d’une compréhension que vous connaissez fort bien, que Marmot, Wilkinson ou le Haut Comité de Santé Publique ont analysé à foison. L’épidémiologie des inégalités de santé - et l’histoire des 20 dernières années de notre pays ne l’illustre que trop - interdit toute tergiversation sur les fondamentaux sociaux que sont la pauvreté, les salaires, le logement, l’éducation, les droits.

Fort logiquement, la question du service public est intriquée avec la précédente. Nous sommes partisans d’un service public refondé, avec des moyens nouveaux et élargis. De ce point de vue, le concept d’universalisme proportionné, familier aux acteurs de santé publique, est une notion à laquelle nous adhérons profondément ; elle illustre le rôle structurant, incontournable, que le service public (dans le champ de la santé, mais aussi de l’eau, de l’habitat, de l’énergie…) doit jouer dans la réduction des inégalités. Un service public qui retrouve sa noblesse et qu’il faut cesser de fragmenter d’appels à projets en sous-traitances, de vassaliser au seul droit de la concurrence…

Cela posé, la grande question sera, s’agissant du sys-tème de protection sociale et de santé, la question des moyens et des financements. C’est sur cette question que le débat politique se clive, que se détermine la crédibilité des propositions. Je ne détaillerai évidemment pas ici. Disons simplement que le plafonnement des revenus à 360 000 euros par an, une forte progressivité de l’impôt sur le revenu, une taxation des revenus du capital à même niveau que ceux du travail constituent un premier train de mesures. L’abandon des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux plus fortunés en constitue un deuxième. Et la relance de l’économie, tournant le dos aux logiques d’austérité franche ou masquée, constitue le troisième pilier d’une augmentation des recettes dues à la protection sociale. Sur tout cela, je vous invite à étudier les propositions des économistes, de plus en plus nombreux, qui soutiennent cette logique.

C’est parce que nous nous donnons les moyens de nos propositions que je peux en toute franchise aborder maintenant les questions que vous posez.

Les finalités du système de soins et la soutenabilité de notre protection sociale

SFSP : Quelles mesures prendrez-vous pour définir un panier de biens et services non seulement en accord avec les données actualisées de la science mais également avec les capacités de financement de notre protection sociale ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour neutraliser les restes à charge dissuadant un nombre croissant de citoyens d’accéder aux soins ?

La question appelle à notre sens plusieurs réponses. Les deux premières touchent à l’extension de ce que l’on appelle le panier de soins.

1. C’est inéluctable, et légitime : il faut augmenter les moyens accordés au système de soins et de couverture sociale, notamment dans quatre directions :

• les soins actuellement non couverts (plus particu-lièrement la réparation prothétique en dentaire et ophtalmologie),

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Les documents des Cahiers 99

• les besoins liés à la dépendance, au vieillissement et au développement des maladies chroniques,

• les champs articulant soins et prévention (vaccina-tions, dépistages, etc.…),

• les surcoûts liés à l’impact de la pauvreté et des conditions de vie (surcoûts à prendre en charge à la fois dans le système ambulatoire et le système hospitalier).

Nous assumons une augmentation des financements en direction des besoins réels, et nous l’assumons sur la base de ce que j’ai exprimé plus haut.

2. Les coûts indus doivent être traqués. Or actuel-lement cette traque n’est inscrite que dans une logique libérale de pénalisation du patient et du prescripteur. Nous sommes favorables, naturellement, au non-rem-boursement des médicaments inefficaces, et à une poli-tique de prescription raisonnée – conforme aux bonnes pratiques en santé publique. Mais nous sommes aussi, et surtout, favorables au développement d’un secteur public du médicament et des produits de santé dont le rôle soit à la fois de répondre aux besoins sociaux de la France et des pays en voie de développement (que l’on pense aux « médicaments abandonnés » par exemple), et de « tirer vers le bas » les prix des médicaments et des produits de santé. Nous sommes aussi décidés à mettre fin à l’actuelle partition qui laisse à la charge de l’hôpital public les acti-vités jugées peu rentables, et favorise le développement de soins qu’il faut bien appeler lucratifs dans les établisse-ments privés du même nom.

Les deux autres concernent les restes à charge. De nombreux économistes le disent aujourd’hui : les restes à charge (tickets modérateurs, franchises, etc.…) ne consti-tuent en rien un frein aux dépenses de santé, et sont géné-rateurs d’inégalités insupportables, et accessoirement de dépenses à retardement. Par ailleurs, la dérégulation non dite de notre système libéral de santé, et l’explosion des dépassements d’honoraires, posent un problème majeur d’équité. Il est des territoires aujourd’hui où l’on ne peut consulter dans un délai raisonnable en gynécologie sans dépenser des sommes considérables.

3. Notre position est claire : nous sommes pour le remboursement à 100 % des dépenses médicalement lé-gitimes, et l’abandon de l’ensemble des franchises. Nous sommes pour le retour de toutes les dépenses efficaces de soins dans le régime de protection obligatoire, et la réo-rientation des mutuelles vers la prévention. De ce point de vue, notre position va dans le même sens que plusieurs documents publiés récemment.

4. Nous disons tout aussi clairement que nous sommes pour une nouvelle convention médicale pré-voyant la suppression de toute possibilité de dépassement d’honoraires, tant en ville qu’à l’hôpital. Cette dispari-tion est la condition sine qua non d’un retour à l’équité dans le remboursement des soins. C’est également l’un

des leviers, avec la fin du malthusianisme médical, d’une réelle lutte contre la désertification sanitaire rurale et pé-riurbaine. La suppression des dépassements d’honoraires suppose une remise à plat du mode de rémunération des professionnels de santé, une refondation du mode de relation conventionnel entre les différentes catégories de professionnels et l’Assurance Maladie, la création d’une convention spécifique de l’exercice regroupé et coor-donné qui permette d’intégrer dans le financement des Maisons de Santé Pluri Professionnelles et des Centres de Santé des missions de prévention tant individuelle que collective.

SFSP : Comment comptez-vous redynamiser les dispo-sitifs de médecine préventive individualisée que sont no-tamment la PMI, la santé scolaire et la santé au travail ? Comment comptez-vous soutenir et développer les moyens d’un service public efficace aux personnes relevant de soins de réadaptation ou de psychiatrie ?

Ces questions sont plus complexes qu’il n’y paraît, et elles appellent d’autres affirmations que le trop facile « il est nécessaire de développer »…

De ce point de vue, l’expérience des élus issus du mouvement ouvrier, qui ont bataillé par le passé pour développer de vrais systèmes de PMI notamment en ban-lieue parisienne, comme l’expérience des délégués du per-sonnel et des syndicalistes en entreprises, aident à penser.

Le premier enjeu, comme toujours, tourne autour du sens des missions, et de façon inextricablement liée, de l’émancipation des services et des professionnels. C’est évident pour la médecine du travail. Ce n’est pas de redynamisation que ces équipes ont besoin, c’est de refondation. Rendre la médecine du travail effectivement indépendante des employeurs, créer les conditions de son exercice y compris dans les plus petites entreprises, refonder la protection vis-à-vis des risques profession-nels au-delà des maladies reconnues sont des urgences. Tout cela fait puissamment écho aux réflexions actuelles sur les conditions de travail, sur l’épanouissement dans l’entreprise, sur les droits nouveaux pour les salariés. Et naturellement, aussi, au renforcement de l’Inspection du travail. Il faut enfin « désenclaver les politiques de santé au travail », comme le disait un récent numéro de « Santé et travail ». Créer un débat public sur le sujet, c’est la condition pour que la santé au travail cesse d’être réduite à la question de l’aptitude au poste, et c’est aussi la condi-tion pour que la santé publique prenne enfin en compte la question des classes sociales et des inégalités liées au travail.

Il faut enfin que l’Etat en tant qu’employeur remplisse ses obligations en mettant en place un vrai service de mé-decine au travail pour ses fonctionnaires et plus particu-lièrement dans l’éducation Nationale.

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100 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

S’agissant de la santé scolaire et de la PMI, on assiste actuellement à un cercle vicieux, la mise en péril de chacune de ces institutions fragilisant l’autre en retour. Une santé scolaire digne de ce nom doit voir réaffirmer l’ensemble de ses missions : non seulement les bilans de santé, la réponse à l’urgence, le suivi individuel des élèves, non seulement l’éducation pour la santé, mais aussi l’en-semble du champ de la promotion de la santé : intervenir sur le processus scolaire, interagir avec les enseignants, dont la formation et les programmes pédagogiques de-vront intégrer ces dimensions de promotion de la santé, trouver le temps d’une alliance avec les parents et les fa-milles, c’est aussi cela la promotion de la santé. Cela passe par des mesures institutionnelles, en particulier dans le positionnement hiérarchique. Mais cela passe surtout par un accroissement considérable du nombre de postes, et une revalorisation du statut des médecins, infirmières et personnels administratifs. Ce statut est aujourd’hui indé-cent, et conduit à ce que les postes, déjà peu nombreux, ne soient pas pourvus – particulièrement dans les zones qui en ont le plus besoin.

Le renforcement de la PMI appelle, lui aussi, à reve-nir sur les missions fondamentales de la protection de l’enfance. Nous sommes favorables à ce que des dispo-sitions, y compris réglementaires, viennent préserver et « sanctuariser » les missions des professionnels de PMI, que certains conseils généraux laissent en jachère ou dé-voient dans des logiques de management incompatibles avec l’essence de la PMI. Il faut cependant affirmer que la question des moyens dont disposent les collectivités territoriales ne pourra être éludée. Remettre à flot les ser-vices de PMI (ou les SCHS), c’est revaloriser les statuts, c’est dégager des temps de formation et de travail inter-disciplinaire, mais c’est aussi favoriser le travail « hors les murs » et l’intervention à domicile. Cette exigence a un coût. Pour imposer ces moyens, il faut mettre un terme à l’asphyxie financière des collectivités gestionnaires, as-phyxie qui atteint la conception même du service public. C’est, bien sûr, de la responsabilité de l’Etat qui étrangle actuellement les collectivités locales ; mais aussi de l’Assu-rance Maladie, qui doit avoir les moyens de remettre à plat sa contribution aux actions de PMI et de prévention médicalisée.

Une dernière remarque : rien ne se fera dans ces do-maines dans une réflexion profonde sur une politique de l’enfance dans notre pays. J’y ai consacré deux de mes meetings, tellement nous considérons que le retour en ar-rière entrepris depuis des années en ce domaine est lourd de dangers. La France, de ce point de vue, s’enfonce dans le XIXe siècle, ne voyant dans l’enfant qu’un adulte en miniature et une source de danger potentiel. Il y a là un champ de travail considérable, pour rebâtir ce qui a été démoli.

S’agissant de la psychiatrie, nous sommes favorables, évidemment, à l’abrogation des dispositifs sécuritaires qui sont venus polluer la réflexion et l’action publique. Nous sommes favorables à un réinvestissement majeur dans le service public de psychiatrie et de pédopsychia-trie, un réinvestissement qui retrouve l’esprit de la loi sur le secteur et des grands choix politiques de la désaliéna-tion. Ce qui signifie trois choses :

•Mettre en place une gouvernance où les enjeux de santé publique ne soient plus effacés par les enjeux de management et de finances.

•Relancer prioritairement les dispositifs de liaison, les appartements thérapeutiques, et avant tout les équipes de soins à domicile, ainsi que les moyens des équipes mobiles précarité et psychiatrie qui ont à intervenir au plus près des populations des quar-tiers en souffrance.

•Une augmentation sensible des équipes de pédopsy-chiatrie ambulatoire.

Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra se dégager de l’obsession sécuritaire qui est celle du gouvernement actuel.

Un dernier mot sur ces sujets : oui, il faut dévelop-per les moyens accordés à la prévention et aux dispositifs de santé publique. Oui, en procédant ainsi on amélio-rera l’état de santé de la population, on luttera contre les inégalités sociales de santé. Mais c’est un leurre, une malhonnêteté intellectuelle, que de laisser croire que l’on peut prendre les moyens nécessaires sur le dos de l’hôpi-tal, aujourd’hui exsangue. La prévention et les soins pri-maires permettront à terme de faire des économies, nous en sommes persuadés. Mais cela passe par un investisse-ment massif immédiat, et non par une purge supplémen-taire sur le secteur hospitalier.

Les enjeux environnementaux

SFSP : Comment comptez-vous imposer les études d’im-pact sur la santé et l’environnement dans les grands choix publics, qu’il s’agisse des différents scénarios énergétiques ou des grandes orientations en matière d’urbanisme ou de trans-ports par exemple ?

Vous le savez, le programme du Front de Gauche met fin à l’opposition entre enjeux environnementaux et enjeux sociaux. Sur le plan politique, j’ai proposé qu’à l’inscription dans la constitution d’une « règle d’or » dé-diée aux enjeux de la finance soit substituée une « règle verte ». Notre programme parle de planification écolo-gique, ce qui signifie non seulement bonne volonté mais mesures concrètes.

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Les documents des Cahiers 101

S’agissant plus précisément de votre question, les études d’impact souffrent actuellement de plusieurs maux. D’une part, elles sont pensées selon une grille essentiel-lement réglementaire, dans une logique de « normes ». La question des inégalités environnementales n’est, par exemple, pas envisagée dans ces études. Nous propose-rons donc que systématiquement les grands choix publics fassent l’objet non seulement d’une étude d’impact, mais également d’une étude d’impact socialement différentiée. D’autre part, la phase de débat démocratique est ampu-tée, réduite à des simulacres de consultations publiques, et ceci d’autant plus nettement que les projets touchent des zones populaires – on le voit sur les tracés d’auto-routes par exemple. Nous demanderons que soit réalisé un cahier des charges des études d’impact comprenant notamment la mise à disposition des riverains de moyens de contre-expertise

Les enjeux sociaux

SFSP : Mettrez-vous à l’agenda la révision de la Loi de santé publique de 2004, faisant de la réduction des inégali-tés sociales de santé une priorité ? Conduirez-vous une poli-tique de l’enfance et ferez-vous de la santé et de la réduction des inégalités sociales de santé un de ses piliers ?

Profiterez-vous de la nouvelle loi de santé publique pour confier explicitement au ministère de la santé le rôle de plai-doyer pour la santé (« stewardship » au sens de l’OMS) avec la possibilité de commander aux autres ministères des études d’impact sur la santé ?

Au Front de Gauche, nous n’avons guère besoin de faire nos preuves sur le sujet. Lors de l’examen de la loi de 2004, un amendement du sénateur communiste Jack Ralite proposait l’introduction de la lutte contre les ISS dans le cœur de la loi, cet amendement fut énergique-ment combattu et rejeté par le ministre de l’époque… Donc, oui, cent fois oui, nous sommes favorables à une loi d’orientation en matière de réduction des inégalités sociales et territoriales de santé. Une loi explicitement centrée sur cette question, puisque la grande caractéris-tique de la France en Europe, en matière de santé, c’est justement son niveau insupportable d’inégalités sociales. Cette loi comprendra bien sûr des objectifs précis ; mais elle devra également fixer des obligations dans le domaine de l’enfance (j’en ai parlé plus haut), de la jeunesse (pour laquelle l’écart entre les discours et la réalité des actions de prévention ou d’accès aux soins est abyssal), des per-sonnes handicapées, etc.… Cette loi devra également fixer des modes d’articulation avec les autres politiques publiques, toutes les autres politiques publiques, y com-pris les politiques « fondatrices » telles que les politiques fiscales ou du logement. Elle fixera une obligation de mo-bilisation des acteurs de droit commun vers les territoires

en difficulté sociale (au lieu de déléguer l’intervention sur ces territoires à la seule politique « de la ville »). Elle devra pérenniser des outils qui ont fait leurs preuves en santé publique, et dont la survie est chaque année menacée (les Ateliers Santé Ville, par exemple, mais aussi les MIGAC les PASS, les équipes habitat/santé, etc.…). Elle devra enfin définir un plan de développement de la recherche et de formation dans le champ des ISS.

S’agissant des évaluations d’impact sur la santé et autres études d’impact, l’exemple québécois, et d’autres, montrent bien que ces outils doivent être déployés – al-lant dans le sens d’un rôle de plaidoyer, et déployés, je le répète, jusque dans les politiques les plus lourdes, les plus structurantes. Mais ce plaidoyer n’a aucun sens s’il n’est pas adossé à l’intervention démocratique des habitants, et notamment de ceux que la dureté de la vie écarte du dé-bat public. Et ces efforts s’épuiseront s’ils ne s’inscrivent pas dans une profonde logique de renversement social.

SFSP : Notre gouvernement s’est engagé lors de la der-nière assemblée générale des Nations Unies en faveur de la réduction des risques de maladies chroniques non trans-missibles en confiant le suivi de cet engagement à l’OMS. Redonnerez-vous à notre pays le rôle qui devrait être le sien dans la gouvernance de cette institution ?

Le rayonnement de la France et sa capacité à peser dans des organismes comme l’OMS dépend de nom-breux facteurs. D’abord, évidemment de sa propre cré-dibilité, de son engagement dans la lutte pour la justice sociale. Mais aussi dans l’intérêt qu’elle doit manifester à l’égard de ces instances. L’un des moments de grande influence de notre pays dans l’OMS fut, vous le savez, le ministère de Jack Ralite, grâce au rayonnement per-sonnel de ce ministre communiste. Mais notre crédibilité est aussi à reconstruire par un engagement sans faille en direction des pays du Sud, engagement qui n’est que le paiement de la dette que nous leur devons après les siècles de colonisation.

J’ajoute que cette exigence d’une présence éthique de la France dans les grands organismes internationaux fait écho pour moi au renversement de politique que nous voulons mener en matière d’immigration en France : mettre fin au racisme, régulariser les sans-papiers, cesser immédiatement les expulsions et les brimades.

SFSP : Quelles mesures comptez-vous prendre pour ren-forcer l’intégration entre les services de santé publique et le système de soins de santé, accroître la coopération entre les acteurs étatiques et non étatiques, et assurer la participation active de la « société civile » ?

C’est le problème de la démocratie en général que vous posez. Et, lorsque nous parlons de VIe République, c’est aussi cela que nous évoquons. La question de l’inter-

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Les cahiers de santé publique et de protection sociale

vention des usagers, de leur indispensable rôle, est exac-tement la même que celle de l’intervention des travail-leurs dans la conduite des entreprises. Alors, oui, cette transformation est au cœur de notre projet. Plus concrè-tement, précisons les points suivants.

Il faut cesser de fragiliser les associations en les sou-mettant à des protocoles courtenilesques d’appels à pro-jets annuels avec les financements attribués « à terme échu » créant un état faisant financer à crédit sa politique de santé par les associations. Il faut rétablir les subven-tions de fonctionnement, pérenniser les moyens. Il faut en finir avec le système des appels d’offres ou appels à projets, aussi usants pour les promoteurs que pour les ins-tructeurs, et passer à des financements pérennes.

Il faut ensuite que, au-delà des représentants « sec-toriels » des usagers, d’autres alliances se nouent : la dé-mocratie sanitaire aujourd’hui exclut les principaux in-téressés. On évoque la santé des jeunes, la santé à l’école, sans les syndicats lycéens et les délégués d’élèves, sans les associations de parents d’élèves. On évoque la santé dans les quartiers sans les associations de locataires. Assurer la participation de la société civile, c’est donner des moyens aux acteurs, au lieu de les instrumentaliser, et c’est élargir le nombre de ces acteurs, au lieu de les spécialiser.

Les élus, que la loi HPST a réduits à de simples ali-bis, doivent retrouver une vraie capacité de proposition. Pour cela, nous proposons non seulement de renforcer leur présence dans l’ensemble des instances, mais aussi de mettre des moyens spécifiques à leur disposition, afin qu’ils puissent participer sur un pied d’égalité aux débats.

102

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Les documents des Cahiers 103

document 3

Lettre manuscrite de dimitris Christoulas, le pharmacien retraitéâgé de 77 ans qui a mis fin à ses jours sur une pelouse

de la place syntagma le 4 avril 2012

NDLR : Nous donnons ici la lettre de D. Christoulas qui est mort, suicidé et victime de la crise grecque.C’est un hommage des Cahiers. La mort de cet homme est le symbole même de ce que le monde de la finance

fait subir au peuple en le privant de protection sociale.

Traduction : « Le gouvernement d’occupation de Tsolakoglou(43) a littéralement anéanti tous mes moyens de subsistance, qui consistaient en une retraite digne, pour laquelle j’ai cotisé pendant 35 ans, (sans aucune contribution de l’état). Mon âge ne me permet plus d’en-treprendre une action individuelle plus radicale (même si je n’exclus pas que si un Grec prenait une kalachnikov je n’aurais pas été le deuxième à suivre), je ne trouve plus d’autre solution qu’une mort digne, ou sinon, faire les poubelles pour me nourrir. Je crois qu’un jour les jeunes sans avenir, prendront les armes et iront pendre les traîtres du peuple, sur la place Syntagma, comme l’ont fait en 1945 les Italiens pour Mussolini, sur la Piazzale Loreto, à Milan ».

43 Le général Georgios Tsolakoglou, signataire de l’armistice avec les forces allemandes, fut le premier chef de gouvernement grec sous l’Occupation, nommé par les nazis (30/04/1941-02/12/1942). Son nom en Grèce est synonyme de « collaborateur ».

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104 Les cahiers de santé publique et de protection sociale

Réalisation, Impression :

Dépôt légal : mai 2012

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Les questions de santé publique et de protection sociale sont au centre des préoccupations de la population et nécessitent une réflexion pour élaborer des propositions nouvelles. La Fondation Gabriel Péri a donc pris l’initiative de créer une publication intitulée « Les Cahiers de Santé Publique & de Protection Sociale ». Elle se donne comme objectif de proposer des textes de réflexion originaux sur ces sujets mais aussi des notes de lectures, des documents utiles et des brèves d’information. Elle occupera une place ambitieuse dans un paysage bien souvent marqué par la triste acceptation des dogmes libéraux dominants. Elle s’adresse à tous ceux qui veulent réfléchir à ces problématiques majeures aujourd’hui au cœur des transformations sociales, qu’ils soient des professionnels de santé ou du secteur social, des élus, des syndicalistes, des militants, des chercheurs ou des enseignants.

Michel Maso,Directeur général de la Fondation Gabriel Péri

Fondation Gabriel Péri11, rue Étienne Marcel - 93500 Pantin

Tél. 01 41 83 88 [email protected]

www.gabrielperi.fr

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