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Les Caprices de Marianne Alfred de Musset Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 41 établi par Marie-Henriette Bru, certifiée de Lettres classiques

Les Caprices de Marianne - BIBLIO - HACHETTE · Texte A : Extrait de la scène 3 de l’acte II des Caprices de Marianne d’Alfred de Musset (p. 53, l .3 4,à 56 9) Texte B : «

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Les Caprices de Marianne

Alfred de Musset

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre élève n° 41

établi par Marie-Henriette Bru,

certifiée de Lettres classiques

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Sommaire – 2

S O M M A I R E

A V A N T - P R O P O S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

T A B L E D E S C O R P U S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

RÉ P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Bilan de première lecture (p. 86) ....................................................................................................................................................................5

Acte I, scène 1 (pp. 9 à 20) ..............................................................................................................................................................................5 ◆ Lecture analytique de la scène (pp. 21-22) ................................................................................................................................5 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 23 à 30) .................................................................................................................7

Acte II, scène 3 (pp. 51 à 56) .........................................................................................................................................................................11 ◆ Lecture analytique de la scène (pp. 57 à 59)............................................................................................................................11 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 60 à 68) ...............................................................................................................13

Acte II, scène 6 (pp. 73 à 75) .........................................................................................................................................................................17 ◆ Lecture analytique de la scène (pp. 76-77) ..............................................................................................................................17 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 78 à 85) ...............................................................................................................18

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2006. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

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Les Caprices de Marianne – 3

A V A N T - P R O P O S

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Une pièce de théâtre comme Les Caprices de Marianne permettra d’étudier les particularités théâtrales d’un drame conçu, à l’origine, pour des lecteurs et non pour la scène. À travers trois groupements de textes, il sera également possible d’élargir, grâce à une intertextualité variée, la portée esthétique, psychologique et éthique de cette pièce très courte. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

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Table des corpus – 4

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus Composition du corpus Objet(s) d’étude et niveau

Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques

Les attentes des scènes d’exposition (p. 23)

Texte A : Extrait de la scène 1 de l’acte I des Caprices de Marianne d’Alfred de Musset (p. 17, l. 208, à p. 20, l. 282). Texte B : Extrait de la scène 1 de l’acte I du Tartuffe de Molière (pp. 23-25). Texte C : Extrait de la scène 1 de L’Île des esclaves de Marivaux (pp. 26-27). Documents : Dessins de costumes pour Les Caprices de Marianne par Eugène Giraud (pp. 28-29).

Le théâtre (Seconde)

Question préliminaire Quels types de conflits sont à envisager à la suite de ces scènes d’exposition ? Commentaire Vous montrerez par quelles étapes se fait le renversement de situation.

La féminisation du caprice (p. 60)

Texte A : Extrait de la scène 3 de l’acte II des Caprices de Marianne d’Alfred de Musset (p. 53, l. 344, à p. 56, l. 449). Texte B : « Daphnis et Alcimadure », tiré des Fables de Jean de La Fontaine (pp. 60-63). Texte C : Extrait de la lettre X des Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos (pp. 63-65). Document : Les Caprices (« Personne ne se connaît ») de Francisco de Goya y Lucientes (pp. 65-66).

Démontrer, convaincre et persuader (Seconde)

Question préliminaire Caractérisez le caprice décrit ou évoqué dans chacun des extraits. Commentaire Vous analyserez comment l’épistolière se met en valeur pour son correspondant.

L’idéalisation de l’amitié (p. 78)

Texte A : Scène 6 de l’acte II des Caprices de Marianne d’Alfred de Musset (pp. 73-75). Texte B : « De l’amitié », tiré des Essais de Michel de Montaigne (pp. 78-79). Texte C : Extrait du chapitre « Du cœur », tiré des Caractères de Jean de La Bruyère (pp. 79-80). Texte D : Les Copains d’abord de Georges Brassens (pp. 80-82). Document : L’Amour embrassant l’Amitié de Jean-Baptiste Pigalle (p. 83).

L’argumentation et ses effets sur les destinataires (Première)

Question préliminaire Comment se définit l’amitié idéale dans les textes du corpus ? Commentaire Vous montrerez comment se marque l’émotion dans chacun des deux textes.

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Les Caprices de Marianne – 5

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 8 6 )

u Le drame se passe à Naples. v Les festivités publiques du moment correspondent au carnaval. w Ciuta propose le premier portrait de Marianne, avec pour traits dominants la dévotion et l’orgueil. x Marianne est l’épouse de Claudio, un vieux juge. y Marianne a 19 ans. U Cœlio est amoureux de Marianne depuis un mois. V Octave est le cousin de Claudio. Il promet à Cœlio de parler pour lui à Marianne et de l’aider à en gagner les faveurs. W Octave est un jeune homme libertin et débauché. Cœlio est vertueux et timide. X Cœlio compare sa mère à une Diane chasseresse. at Marianne confie à Claudio qu’Octave lui a fait une déclaration d’amour de la part de Cœlio. Claudio en déduit qu’elle le trompe. ak Octave est surpris et s’interroge sur le renoncement amoureux de Cœlio. Il craint que Cœlio se défie de lui. al Lors de leur second entretien, Octave compare Marianne aux « roses du Bengale, […] sans épine et sans parfum ». am Après cet entretien, Octave se rend dans une auberge. C’est là que vont se faire trois rencontres successives : avec Claudio et Tibia, puis avec Cœlio, et enfin avec Marianne. Ce lieu est compromettant pour Marianne à cause de l’idée que s’en fait Claudio. an Le quatrième entretien de Marianne et d’Octave a lieu au domicile de la jeune femme. ao Marianne informe alors Octave qu’elle veut « prendre un amant », le soir même. ap Cœlio se présente sous les fenêtres de Marianne, alors que celle-ci pense que c’est Octave et qu’elle prononce son nom pour le mettre en garde contre les menaces de Claudio. Ce quiproquo désespère Cœlio qui, se croyant trahi par Octave, se laisse tuer par les spadassins de Claudio. aq Après la mort de Cœlio, Octave renonce à tous les plaisirs du libertinage, mais aussi à l’amitié et à l’amour. ar Le dernier caprice de Marianne est de faire des avances à Octave devant la tombe de Cœlio.

A c t e I , s c è n e 1 ( p p . 9 à 2 0 )

◆ Lecture analytique de la scène (pp. 21-22) u Les didascalies règlent les entrées et les sorties des personnages et gèrent ainsi le mouvement accéléré de la scène. v La scène se compose de sept séquences : – Marianne éconduit Ciuta, l’entremetteuse de Cœlio ; – Ciuta informe Cœlio ; – Claudio se confie à Tibia à propos de ses craintes du cocuage et de la riposte envisagée ; – Cœlio, désespéré, monologue ; – Cœlio rencontre Octave qui promet de parvenir à lui faire aborder Marianne ; – Marianne et Octave s’entretiennent ; – Octave soliloque. w Cette suite de tableaux s’organise autour d’un thème traditionnel de la comédie : l’amour adultère. Marianne le refuse, Cœlio l’espère, Claudio le redoute, Octave s’en veut l’ordonnateur, la cheville ouvrière.

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Réponses aux questions – 6

x Le mode d’expression dominant est le dialogue. On a toutefois deux passages de parole solitaire : un monologue de Cœlio (3e séquence) et une réflexion d’Octave en soliloque (7e séquence). y La première entrée de Cœlio a la particularité de reposer sur une stratégie de commencement qui la différencie des autres entrées inscrites dans la scène. La question posée à Ciuta se réfère à la situation précédente et introduit ainsi un effet d’analepse qu’ignorent les commencements des autres séquences. U Cette première scène met en évidence le goût des quatre principaux personnages pour la conversation. Ils y ont chacun leur style propre. Claudio parle pour prendre des postures et il les juxtapose sans cohérence. Il commence par la posture du mari outragé, puis il prend celle du tueur, pour terminer dans celle du cœur blessé. Il sait à l’occasion trouver la formule forte (« mon déshonneur est public ») ou fleurie (« personne ne passe naturellement devant ma porte : il y pleut des guitares et des entremetteuses »). Son discours représente en fait un contrepoint comique à la plainte désespérée de Cœlio. Ce dernier manifeste son goût du jeu verbal tant dans son monologue que dans sa conversation avec Octave. Son désespoir lyrique passe par des effets oratoires bien maîtrisés : imprécations (« Malheur […] ! Malheur […] ! ») et métaphore filée (« amour sans espoir » / thème du « voyage malheureux »). En présence d’Octave, l’éloquence naturelle de Cœlio se confirme tant dans les propos légers que dans la confidence de ses états d’âme. C’est bien le seul désespoir amoureux qui le prive de parole devant Marianne. Octave, quant à lui, révèle la même éloquence que Cœlio avec, toutefois, des tons différents. Son lyrisme métaphorique (le « danseur de corde ») se développe avec la même force d’imagination mais connote étroitement la fête et ses plaisirs. La stichomythie, que présente à plusieurs reprises le dialogue entre les deux amis, met en évidence le goût d’Octave pour les jeux de mots. En présence de Marianne, Octave trouve à qui parler sur le ton léger du tac au tac. Marianne, en effet, a la vivacité et l’humour qu’il faut pour s’attarder avec le plaisant entremetteur de Cœlio. V Octave fait faire à Marianne un lapsus significatif du fond de sa pensée. Pour signifier qu’elle n’aime pas Cœlio, elle prolonge et confirme l’assertion d’Octave : « vous n’aimez point Claudio », avec les mots « Ni Cœlio ». Elle devient alors, par ce lapsus, « un cœur à prendre ». W C’est le discours d’Octave qui aborde avec les légèretés de l’humour et du cynisme des réalités qui se rattachent pourtant aux malheurs d’une existence. Il tourne en dérision la mélancolie de Cœlio (« fou de ne pas être heureux »), sa propre débauche suicidaire (« course légère de l’orient à l’occident ») et le triste destin conjugal de Marianne avec « un pédant de village ». Ces formules, qui jouent le détachement, s’approfondissent dans des métaphores qui, sans en enlever la légèreté, la chargent de sensibilité. Cœlio et Octave se donnent la réplique pour développer ensemble la métaphore de la chasse d’amour. Deux autres métaphores dans les propos d’Octave viennent souligner l’engagement de sa propre sensibilité dans la passion amoureuse de Cœlio. Il efface tout cynisme en lui avouant : « J’aime ton amour, Cœlio ; il divague dans ta cervelle comme un flacon syracusain. » Pour proposer cet amour à Marianne, Octave se fait poète de la souffrance qu’elle suscite dans le cœur de Cœlio : « un mal qui fait pâlir les lèvres sous des poisons plus doux que l’ambroisie, et qui fond en une pluie de larmes le cœur le plus dur, comme la perle de Cléopâtre ». C’est encore grâce aux métaphores que le discours sur soi d’Octave s’étoffe et ne se restreint pas à la présentation des traits du viveur. L’allégorie du « danseur de corde », menacé de « perdre l’équilibre », approfondit la confidence sur sa propre vie et met en évidence son choix des périls et de la marginalité, au-delà même de sa conduite de libertin débauché. X Octave, escorté d’une mascarade, avec ses musiciens, inscrit le drame dans la temporalité festive du carnaval. Il précise cette donnée dans le reproche qu’il adresse à Cœlio à propos de son « large habit noir » : « N’as-tu pas de honte en plein carnaval ? » Le lieu précisé dans la distribution (« Naples ») apporte à son accompagnement joyeux des références italiennes qui en suggèrent l’expressivité débordante. at En marge de cet ancrage festif, on a tous les personnages qui apparaissent avant l’entrée en scène d’Octave : Marianne, Ciuta, Cœlio, Claudio, Tibia. ak Le chœur de musiciens que Cœlio, depuis un mois, installe chaque soir sous les fenêtres de Marianne pour lui donner la sérénade peut être associé aux gaietés environnantes du carnaval. Mais le vêtement que porte Cœlio, son errance et les états d’âme qu’expriment sa pâleur et ses propos sont justement résumés par Octave dans ces mots adressés à Marianne : « il est triste comme la mort, depuis le jour où il vous a vue. »

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Les Caprices de Marianne – 7

al La première séquence se construit sur le schéma « proposition/refus ». On a là le canevas plus général de la scène où le message amoureux passe par le personnage de l’entremetteuse. Quand Octave aborde Marianne, dans l’avant-dernière séquence, le même canevas est repris et aboutit au même mouvement dramatique : proposition suivie d’un refus. am Cœlio, avant de rencontrer Octave, ne s’imagine pas autrement que mourant de désespoir (« Ah ! malheureux que je suis, je n’ai plus qu’à mourir »). Après les amicales propositions d’Octave, il reprend un peu confiance en l’avenir, mais se dit prêt au suicide en cas d’échec amoureux : « ou je réussirai, ou je me tuerai. » Ce pronostic de mort est aggravé par les préparatifs de Claudio pour le soir même : un spadassin est chargé de tuer « le premier qui entrera ». S’il échoue, Cœlio se tue ; s’il réussit, les tueurs de Claudio l’attendent. an Marianne s’étonne elle-même de s’être laissé arrêter par Octave. Le mot « plaisanterie » qu’elle emploie pour désigner leur conversation impromptue explique à lui seul le motif de sa complaisance pour les propos d’Octave. Octave l’a divertie. Elle avoue ainsi indirectement qu’elle s’est surtout attachée à la forme et non au contenu. Elle a été sous le charme de l’entremetteur de Cœlio qui lui a permis un jeu brillant et audacieux de conversation mondaine. Musset est là, peut-on dire, en parfaite sympathie avec Marianne. ao En relevant in petto (pour lui-même) la beauté des yeux de Marianne, Octave apporte une brève confirmation aux charmes de la jeune femme, tels que Cœlio les a suggérés : « deux yeux bleus, deux lèvres vermeilles, une robe blanche et deux blanches mains ». ap Bien que dominent dans cette première scène les indices d’une comédie, il est possible de relever dans la dernière réplique d’Octave une remarque propre à inverser son rôle d’ami en rôle de rival, comme d’ailleurs le souffle à Cœlio un triste pressentiment (« il me semble que tu vas me tromper »). Cette inversion engagerait l’action vers la dramaturgie des genres sérieux : drame ou tragédie.

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 23 à 30)

Examen des textes u Texte A : l’adultère. Octave et Marianne s’opposent en termes allusifs sur ce sujet. Texte B : Tartuffe. Ce sujet est abordé dans une opposition entre blâme et éloge. Damis et Dorine développent le blâme ; Mme Pernelle l’éloge. Texte C : le désaccord entre un maître et son esclave sur la qualité du lieu où ils viennent d’échouer (sujet fantaisiste). L’esclave Arlequin s’en réjouit car c’est une île où les esclaves ont autorité sur les maîtres. Iphicrate, son maître, ne peut que ruser puis s’offusquer. v Chacun de ces extraits opère les clivages propres à la comédie pour valoriser ou dévaloriser tel ou tel personnage, telle ou telle cause. Le texte A laisse entendre une voix qui innocente l’adultère en l’associant à une bonté d’âme propre à apaiser les cœurs déchirés : cette voix est celle d’Octave. La voix de Marianne, qui revendique sa fidélité à son vieux mari Claudio, n’est pas convaincante. Un lapsus où elle admet qu’elle n’aime pas son mari affaiblit sa position intransigeante devant Octave. Le texte B donne l’avantage aux détracteurs de Tartuffe : Damis et Dorine. Mme Pernelle s’impose en effet au lecteur comme une figure d’autorité abusive et donc contestable. La dispute de ces personnages est aussi, au second degré, un conflit de générations, conflit qui, dans la comédie, privilégie traditionnellement la jeunesse. Pour le texte C, l’engagement du lecteur s’opère par l’effet d’un préjugé social en faveur des opprimés. Le ressentiment vengeur de l’esclave contre son maître s’interprète en juste vengeance, en juste retour des choses. Dans les trois cas, le lecteur prend des distances avec les personnages qui soutiennent l’ordre moral et l’ordre établi. w Un lien étroit peut être établi entre la liberté de ton de certains personnages et l’adhésion du lecteur à leur cause ou parti. Le cynisme d’Octave, faisant à Marianne un décompte précis de la fugacité de sa beauté (texte A) et qualifiant son vieux mari de « pédant de village », doit s’interpréter comme un ton libérateur pour ridiculiser non point Marianne mais sa situation conjugale, contre nature. Le portrait à charge que Damis et Dorine font de Tartuffe (texte B) témoigne d’un courage d’opinion très estimable. Chacun d’eux, au-delà de Mme Pernelle, conteste en fait l’autorité dont il dépend : pour Damis, c’est celle d’un père ; pour Dorine, celle d’un maître.

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Réponses aux questions – 8

Les provocations vengeresses et moqueuses d’Arlequin à l’adresse de son maître (texte C) mettent le lecteur de son côté par la compassion et le rire. La rébellion qu’il fait passer dans ses ricanements et ses protestations en fait une victime sympathique et diabolise Iphicrate. Elle installe un renversement de situation dans la relation maître/valet qui ridiculise le pouvoir social des maîtres. Arlequin, en associant ironiquement impertinence et gravité, met Iphicrate sous sa tutelle. Ces audaces verbales non seulement donnent le ton engageant de la comédie, mais semblent en garantir aussi la moralité de bon sens, caractéristique du genre. Dans les trois extraits, la liberté de ton s’associe à un bon droit évident qui, en quelque sorte, part en campagne. Octave se fait le défenseur du bon droit des plaisirs de jeunesse ; Damis et Dorine ripostent au nom de la paix familiale ; Arlequin se fait le porte-parole et le justicier des opprimés. x Ces extraits introduisent trois types de conflits appartenant à la thématique traditionnelle de la comédie : la conquête et le dépit amoureux (texte A), la dénonciation de l’imposture et la contestation des décisions du père (texte B), la rébellion du valet contre le maître (texte C). y Ces gravures sont en harmonie avec la jeunesse et le rang social des personnages du texte A. Mais elles ne marquent pas avec la même force que le texte la différence vestimentaire entre Cœlio et Octave.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Ces trois extraits appartiennent à des scènes d’exposition qui ont pour trait commun de placer le lecteur dans une attente chargée d’ambiguïté en raison des personnages et de l’action engagée. Les personnages dominants dans chacun de ces extraits s’imposent par leur verve et dépassent ainsi un rôle annexe d’adjuvants ou d’opposants. Octave, longuement écouté par Marianne et attentif à ses beaux yeux, échappe à l’image simple de l’ami entremetteur. Le lecteur est invité à se demander si l’on est dans une scène de dépit amoureux « par procuration » ou au contraire bien réelle. Octave défend-il vraiment Cœlio contre les froideurs de Marianne ? Ne plaide-t-il pas plutôt pour l’amour et ses plaisirs, avec en arrière-pensée un dessein d’aventure galante avec Marianne ? À l’ambiguïté du rôle d’Octave, il faut ajouter l’ambiguïté touchant à l’action. Le texte A propose une sorte de scène de dénouement, une fin sans suite en ce qui concerne les relations de Marianne avec Octave et avec Cœlio. Cette paralysie de l’action ne laisse envisager qu’une suite tragique pour un Cœlio « triste comme la mort », sans l’amour de Marianne. Mais l’hommage que rend Octave aux beaux yeux de Marianne, dans sa dernière réplique, ébauche toutefois un ressort dramatique nouveau : celui de sa poursuite galante de Marianne, le transformant en rival de Cœlio. Dans le texte B, les personnages qui prennent fait et cause contre Tartuffe s’expriment eux aussi en apparent décalage avec leur pouvoir d’action. Les menaces de Damis et les accusations de Dorine sont difficiles à évaluer comme des propos susceptibles d’engager une action contre Tartuffe. Ces paroles d’opposants s’inscrivent dans un contexte qui leur donne peu de portée. Paroles de jeune homme exaspéré, paroles de servante à la langue « bien pendue », elles expriment, sans vraiment défier, une simple protestation. Tartuffe, l’adversaire désigné en « cagot de critique », en hypocrite et en « jaloux », ne s’impose pas en objet d’action. L’enjeu du drame est ainsi difficile à préciser. Le lecteur peut imaginer une suite qui s’attache à découvrir les contradictions de l’« homme de bien » amoureux de l’épouse de son hôte. Il peut aussi fixer son attente par rapport aux désordres d’une famille divisée sur le chapitre moral. Le texte C, en présentant un dialogue construit sur un conflit d’intérêts, laisse en suspens l’action. Arlequin ne s’impose que verbalement à son maître Iphicrate. Le renversement de situation reste encore virtuel, malgré les indices qu’apportent l’hypocrite modération du maître et l’impertinence du valet. L’attente du lecteur à partir de là se focalise moins sur les faits que sur les idées et son interrogation hésite entre une suite au contenu révolutionnaire (les maîtres mis en esclavage) ou une suite en apologue sur les abus d’autorité. À travers ce corpus de textes, on observe les finesses que peuvent offrir certaines scènes d’exposition pour développer une dynamique d’attente subtile où les enjeux de l’action sont imbriqués dans le flou d’une montée des périls.

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Les Caprices de Marianne – 9

Commentaire

Introduction Le rire de la comédie a souvent privilégié, avant Marivaux, l’auteur de L’Île des esclaves, les rancœurs agissantes des valets pour imposer aux maîtres des situations dégradantes ou infamantes. En imaginant une île où les esclaves peuvent asservir les maîtres, Marivaux a politisé ces rancœurs en utopie de revanche collective, donnant ainsi à réfléchir sur les possibles effets révolutionnaires du ressentiment social. La scène d’exposition s’attache à rendre vraisemblables cette utopie et le renversement social qui y est associé. Le profil des personnages et la progression dramatique de leur affrontement comique en font comprendre la réalité et en donnent une anticipation.

1. Les bons profils d’un monde renversé A. Arlequin, figure emblématique du valet impertinent et insoumis, héritier du zanni de la commedia dell’arte B. Iphicrate, par l’étymologie de son nom, redondance de pouvoir (en grec, iphi signifie « avec force » et cratos « domination »), figure emblématique du maître violent qui parle à ses valets avec « gourdin » ou « épée » C. Deux figures vraisemblables pour un monde renversé • L’aisance verbale et la finesse d’esprit d’Arlequin mettent en évidence sa capacité à parler et penser en maître. • La prudence pusillanime d’Iphicrate, ses stratégies de politesse rendent vraisemblable sa capitulation. Son besoin constant d’être servi souligne sa fragilité dans la situation difficile et périlleuse où il se trouve. Il n’impressionne plus, même l’épée à la main.

2. Un renversement en trois étapes conduites par Arlequin A. Les trois étapes des faits : Arlequin se désolidarise de son maître • Par le rire. • Par un refus d’obéissance. • Par un réquisitoire menaçant. B. Les trois étapes du ton : interpellations du maître dans un ton de moins en moins respectueux, avec le tutoiement supplantant le voussoiement • Un peu familier : « monsieur Iphicrate ». • Ironique : « Mon cher patron ». • Dominateur : « Eh bien, Iphicrate ». C. Les trois rôles de composition successifs tenus par Arlequin • Le valet moqueur et paresseux. • L’affranchi rancunier et contestataire. • Le maître donneur de leçons.

3. Une anticipation de la situation à venir A. Lisible dans les jeux scéniques et le contraste entre les didascalies • Celles associées aux répliques d’Iphicrate signalent la peur, la contrainte ou le désespoir. • Celles associées aux répliques d’Arlequin signalent la joie et la confiance en soi. B. Exprimée par les allusions d’Arlequin • Allusions joyeuses : le texte de la chanson. • Allusions valorisantes : lieu de « justice », monde de « camarades ». C. Jouée par Arlequin comme un théâtre dans le théâtre • Dans un rôle de valet désinvolte, impertinent et insoumis qui sous-entend son émancipation. • Dans un rôle de maître olympien, accordant son pardon sans renoncer à un juste châtiment (« je te le pardonne […] ; on va te faire esclave à ton tour ; […] cela est juste »).

Conclusion Avec le motif traditionnel du couple maître/valet dans une scène d’exposition, Marivaux introduit un enjeu de comédie peu conventionnel et hardi pour son temps. C’est en effet la légitimation d’une révolution sociale que problématise le dialogue entre Arlequin et Iphicrate. Arlequin joue ici, pour son maître et le spectateur, la « lutte des classes » et la prise du pouvoir par le prolétariat.

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Réponses aux questions – 10

Dissertation

Introduction L’illusion réaliste que le texte de théâtre s’efforce d’établir pour le public, par l’effet du discours direct caractérisant le dialogue scénique, suppose que le spectateur ou le lecteur se sente comme un témoin impuissant mais ému et captivé. Ce constat peut inviter à des parallèles avec les matchs sportifs, comme le propose Ionesco, en considérant le jeu du texte dramatique et de ses règles, sans oublier le jeu même du spectacle.

1. Le public est tenu en haleine par le statut textuel des protagonistes et les enjeux de leur affrontement A. La distribution binaire des rôles constitue une dynamique d’engagement facile • La comédie distribue les rôles en deux camps : bons et méchants ou raisonnables et déraisonnables. • Face à Iphicrate et Arlequin, face à Claudio et Octave, le parti à prendre est clair. • La tragédie et le drame romantique mettent aussi en place deux lignes d’affrontement : la ligne des victimes et celle des bourreaux ou complices du destin fatal aux victimes. Les titres de ces pièces sont très souvent des titres éponymes se référant aux victimes elles-mêmes. Elles sont ainsi aisément identifiables et préalablement honorées. B. Les enjeux dramatiques que privilégie le théâtre mobilisent des émotions fortes chez le lecteur ou le spectateur • Émotions liées aux périls : à l’impossible semblent être tenus les héros vers lesquels vont les sympathies du public. Octave plaide pour Cœlio amoureux d’une femme mariée, dévote et fidèle ; Damis et Dorine s’attaquent à une autorité morale installée sous leur toit par le maître de maison ; Arlequin conteste son statut d’esclave et l’attribue à son maître Iphicrate sans avoir encore le moindre soutien de ses « camarades ». • Émotions liées à la connaissance d’un contexte hostile : hostilité d’un mari (Marianne), d’un père (Damis), d’un code social ou politique (Arlequin). Le public connaît souvent mieux ce contexte que les protagonistes eux-mêmes. Octave ignore les préparatifs assassins de Claudio quand il encourage Marianne à aimer Cœlio. Sa position de spectateur lui permet de réfléchir à l’action qui se joue avec quelques distances. C. Ces enjeux suscitent et entretiennent l’impatience du dénouement • Un dénouement libérateur et heureux pour la comédie. • Un dénouement problématique et angoissant pour le drame et la tragédie.

2. Mais cette tension inscrite dans le texte de théâtre se détermine aussi en fonction de la connaissance des règles A. La connaissance du genre permet d’anticiper la nature du dénouement • Le genre de la comédie laisse attendre un dénouement heureux. • Le genre de la tragédie et les grands genres qui s’y rattachent, comme le drame shakespearien ou romantique, ne laissent prévoir qu’un dénouement aux dimensions tragiques. B. La connaissance des motifs attachés à tel ou tel genre peut régler l’intensité de la tension • Les motifs de comédie, comme l’opposition entre valet et maître ou le conflit père/fils, ne nourrissent qu’une tension amusée (ex. : Arlequin et Iphicrate, Damis et son père). • Les motifs de tragédie, comme le désir de suicide ou celui d’assassinat, développent une tension angoissée (ex. : Cœlio). C. Le mélange des genres donne une authenticité particulière à cette tension • Les pièces où se mêlent motifs de comédie et motifs de tragédie, comme il en est dans Les Caprices de Marianne, éloignent le public des strictes conventions génériques et le font accéder à une tension d’autant plus authentique qu’elle est sans repères clairs. • Le bras armé de Claudio ne se résume pas aux deux spadassins qui abattent Cœlio. Les caprices de Marianne et l’obstination amicale d’Octave font cheminer la malheureuse victime vers ses bourreaux.

3. La force fédératrice du texte théâtral privilégie le spectateur par rapport au lecteur A. Le spectacle, par sa dimension collective, amplifie les tensions que le texte met en place pour captiver un public. La salle de théâtre a un effet entraînant tant pour le rire que pour l’angoisse

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Les Caprices de Marianne – 11

B. La mise en scène dispose de moyens appropriés pour tenir en haleine le public avec une vigueur accrue par rapport au texte, didascalies comprises • Le décor peut faire varier l’évaluation des périls. On joue Le Tartuffe dans un décor bourgeois ; on le joue aussi, parfois, dans un décor dépouillé et seulement orné de signes religieux. Dans ce dernier cas, le person-nage de Tartuffe paraît avoir, dans la famille d’Orgon, une place plus dominante et donc plus inquiétante. • Les costumes peuvent ajouter au texte son non-dit. Le choix du costume de Marianne est important. Élégant et orné, il scénarise la coquette ingénue. Ainsi en a-t-il été dans les premières mises en scène. Gaston Baty, en 1935, voulant rompre avec ce style et donner plus de profondeur au personnage de Marianne, a préféré aux références de beauté celles d’émancipation et de maturation en personnage de drame. D’où, pour lui, des costumes discrets « se [détachant] le moins possible du décor ». • Le jeu des acteurs établit avec le texte une médiation qui impose l’illusion comique comme une illusion de vie réelle. Le jeu de scène de l’acteur, dans l’énoncé de la réplique d’Octave « Ma foi, ma foi ! elle a de beaux yeux », peut en dire long sur les attentes à envisager. C. Le lecteur peut accéder à ce « plus » de la représentation en lisant le texte de théâtre avec les contraintes d’imagination d’un metteur en scène.

Conclusion Le texte de théâtre dispose de moyens efficaces pour canaliser l’attention de son public, pour l’encadrer et la manipuler. Sa dynamique, ses règles et son spectacle permettent l’analogie avec les matchs sportifs.

Écriture d’invention

Prise en compte de l’ébauche contrastée du personnage dans le texte • Le Tartuffe de Mme Pernelle est simple à imaginer moralement : elle dit et répète « un homme de bien ». Ce qu’elle précise de son discours moralisateur en fait un directeur de conscience, attaché à contrôler la piété et la vertu de chacun. • Le Tartuffe de Damis est un imposteur tyrannique, « un cagot de critique » qui appelle le châtiment. • Dorine présente Tartuffe comme le fait Damis, mais propose un début d’explication à son comportement : la frustration amoureuse. Tartuffe devient ainsi la figure inversée de la représentation qu’en donne Mme Pernelle.

Le respect du texte et de la vraisemblance • Physique : « ce beau monsieur-là », « ce pied plat », « un gueux […] vienne […] faire le maître ». Ces termes contradictoires n’interdisent pas de représenter Tartuffe avec un physique agréable : le gueux, intelligent, observateur et rapidement embourgeoisé dans le confort du foyer de son protecteur. Références : Fernand Ledoux, Louis Jouvet, Robert Hirsch, Gérard Depardieu. • Costume : la vraisemblance exige une tenue sobre, conforme à la dévotion affichée du personnage et à son hostilité aux mondanités de l’épouse et des enfants de son protecteur. Ce vêtement ne doit pas le marginaliser de façon ridicule et ne pas exclure une démarche de séduction (« Je crois que de madame il est, ma foi, jaloux »). • Comportement : « Tout son fait […] n’est rien qu’hypocrisie. » Il faut suggérer l’hypocrisie du personnage à travers le paradoxe d’une piété sentencieuse et brutale (« un pouvoir tyrannique », « écouter et croire à ses maximes », « faire le maître », « ordres pieux ») ; il convient également d’éclairer ce paradoxe par la tension de la frustration et du dépit amoureux (« Je crois que de madame il est, ma foi, jaloux »). Tartuffe doit être représenté comme un homme habile, un dévot sûr de lui, un amoureux frustré.

A c t e I I , s c è n e 3 ( p p . 5 1 à 5 6 )

◆ Lecture analytique de la scène (pp. 57 à 59) u Claudio reproche à Marianne mensonge et compromission : mensonge, parce qu’elle lui a demandé de chasser comme un importun (« cet homme ») celui avec qui il l’a vue « sous la tonnelle d’un cabaret » ; compromission, parce que la « tonnelle d’un cabaret n’est point un lieu de conversation pour la femme d’un magistrat ».

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Réponses aux questions – 12

v Pour introduire son reproche, Claudio emprunte à la grande éloquence, usant de la force d’interpellation des questions oratoires et la renforçant avec les effets d’insistance de l’anaphore et la solennité du rythme ternaire : « Pensez-vous […] ? Pensez-vous […] ? Pensez-vous […] ? » Il faut aussi relever le recours aux analogies « poétiques » : « épouvantail aux oiseaux », « danseur ambulant ». w La récurrence de l’expression « tonnelle d’un cabaret » est significative de l’idée obsédante qu’a Claudio de sa dignité atteinte par la présence de son épouse en ce lieu, avec un homme. Ce fantasme nourrit tout un lexique hyperbolique pour la désignation des conduites incriminées : « conversation » devient jeu « en plein air […] sans retenue », puis « extravagances ». La disproportion entre la situation observée par Claudio et ses certitudes apparaît également dans l’extrapolation délirante qu’il fait entre « la tonnelle » et la vie de Marianne. Il dit ainsi comme une évidence qu’Octave est l’« un de [ses] amants ». Ces égarements de l’imagination ont pour effet de mettre en mouvement tout un crescendo de menaces contre Marianne : défense absolue de voir Octave et de lui parler, « un châtiment exemplaire », « une violence qui répugne à mon habit ». x Marianne tient tête à son mari d’abord de façon hautaine (« Il me plaît de parler à Octave sous la tonnelle d’un cabaret »), puis de façon provocante (« je prétends lui parler quand bon me semblera, […] ménagez-moi ce qui vous plaît. Je m’en soucie comme de cela »). y La sortie de Claudio prend une dimension vaudevillesque par le ridicule qui s’attache au contraste entre la grandiloquence de sa sentence finale et sa situation de vieux mari confronté à l’insoumission impertinente de sa jeune épouse. U Marianne, après le départ de Claudio, laisse exploser sa fureur contenue par des gestes violents. C’est aux chaises que, pour ainsi dire, elle s’en prend, les renversant si brutalement qu’Octave pourra dire bientôt : « Toutes les chaises sont les quatre fers en l’air. » V Marianne a riposté à l’interdiction que lui faisait Claudio de voir Octave et de lui parler, en prétendant ne pas s’y soumettre et en se disant prête à l’accueillir, même dans sa maison « s’il lui [plaisait] d’y venir ». L’initiative qu’elle prend d’envoyer un domestique chercher Octave met en évidence que son désir d’émancipation est en marche et progresse à grande allure. W Sa désobéissance lui inspire un moment d’introspection où elle fait le constat de son opposition au monde des « parents », ce monde où se comprennent si bien sa mère et Claudio, gens du même âge. Elle découvre qu’en s’affranchissant d’eux quelque chose commence pour elle. C’est sa vie d’adulte, avec la liberté d’écouter son cœur et ses désirs (« Patience, patience »). X Marianne exprime, avant l’entrée d’Octave, un souci de coquetterie qui laisse penser qu’elle devient attentive aux éléments qui peuvent apporter un plus à sa séduction. Elle accède au souci des frivolités, se regarde avec sensualité. at Marianne, devant Claudio, exprime sa volonté avec le détour ironique d’une désinvolture hautaine : « Il me plaît », « Trouvez bon ». Devant Octave, elle parle sur un ton autoritaire et donne des ordres simples mais fermes, parfois brutaux : « Asseyez-vous » ; « Dites-moi » ; « Parlez » ; « Relevez-vous » ; « choisissez-moi […] un cavalier digne de moi ; envoyez-le-moi » ; « Faites ce que je vous dis, ou ne me revoyez pas ». Elle efface ainsi Claudio et traite Octave en chevalier servant. ak Devant Octave, Marianne joue la comédie du libertinage délibéré. Elle lui demande de s’entremettre pour lui donner un amant, en lui cachant que c’est lui qui l’intéresse. Derrière sa formule « Je m’en rapporte à votre choix », elle laisse entendre toutefois qu’elle n’exclut nullement qu’Octave se propose lui-même comme « amant-cavalier ». La mise en garde qu’elle lui adresse, quand, tombé à ses genoux, il défend la cause de Cœlio, s’explique moins par la crainte d’être surprise que par le plaisir de s’adresser à Octave comme à un amoureux : « En vérité, si quelqu’un entrait ici, ne croirait-on pas, à vous entendre, que c’est pour vous que vous plaidez ? » Elle veut ainsi l’amener à la conscience que Cœlio est un alibi pour lui déclarer sa flamme. al Marianne révèle dans cette scène, par l’imprévisibilité de ses propos, les traits d’une jeune femme obéissant à des caprices. Face à Claudio, elle semble habitée par un caprice d’opposition et de désobéissance. Octave, ensuite, catalogue de nouveaux caprices. Il note l’intérêt soudain et inattendu de Marianne pour Cœlio comme un « caprice de bonté ». Il interprète son rejet brutal de Cœlio comme un « caprice de colère ». Ces expressions établissent un lien lexical étroit avec le titre de la pièce. Mais il faut aussi noter que ce lien est essentiel au drame. Par son attitude, Marianne initie, dans cette scène, la première action qui peut se coordonner avec ce qui précède et engager une suite avec un dénouement.

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Les Caprices de Marianne – 13

am Dans ce quatrième entretien avec Marianne, la figure d’Octave s’étoffe et se nuance. Le libertin dévergondé se laisse oublier. On a, pour commencer, un Octave intimidé et abasourdi par le cadre et l’objet de la sollicitation de Marianne. En se jetant aux genoux de Marianne pour la rendre sensible au désespoir amoureux de Cœlio, il inverse le discours provocateur qu’il avait jusqu’alors tenu à Marianne pour la convaincre de se lier avec Cœlio (« Vous avez donc encore cinq ou six ans pour être aimée »). La figure de l’ami se confirme et s’enrichit au fil d’une éloquence qui est celle d’un cœur sensible à la passion de Cœlio. Le pathétique du long plaidoyer pour Cœlio, tout comme le défi lancé à Marianne, dans le monologue de fin de scène, rendent évidentes la sincérité et la force de l’amitié d’Octave. Le personnage atteint ici une dignité morale incontestable : celle du dévouement et de l’abnégation. Son image prend aussi un éclairage romantique en découvrant sa sensibilité très vive tant à la souffrance qu’à la beauté. Il ne compare plus Marianne aux « roses du Bengale, […] sans épine et sans parfum ». Il l’associe désormais à « un trésor de bonheur ». Il sait, en poète, trouver des métaphores amoureuses, plus respectueuses de la femme que ne l’a été précédemment celle de la bouteille « bonne fille » de lacryma-christi. an Les propos de Marianne qui invitent à la lecture d’un discours amoureux chez Octave relèvent de l’insinuation. Elle attire son attention sur la possible interprétation qu’un auditeur extérieur pourrait faire de ces propos on ne peut plus galants que tisse le plaidoyer en faveur de Cœlio. Cette même insinuation se prolonge dans un sourire de Marianne qu’Octave relève avec irritation, refusant d’admettre qu’il lui fait la cour de façon détournée. ao Les expressions « caprice de bonté » et « caprice de colère » permettent à Octave de résumer la conduite de Marianne, d’escamoter ses avances implicites et d’associer sa conduite à un éternel féminin de fantaisie et d’imprévisibilité. En minorant, une fois seul, l’ultimatum final (« Faites ce que je vous dis, ou ne me revoyez pas ») en « caprice de colère », comparable, à ses yeux, à « un charmant traité de paix », il semble idéaliser la fin de ce quatrième entretien avec Marianne en termes opposés aux précédents. C’est pourtant un entretien qui, lui aussi, se brise brutalement. Mais la suite du monologue éclaire cette interprétation paradoxale. Octave la développe en reconnaissant sa position avantageuse dans le cœur de Marianne. ap Le court monologue d’Octave réintroduit l’image du libertin quelque peu cynique avec les femmes. Mais cette misogynie se fait servante de l’amitié. Peu importe pour Octave le refus de Cœlio clairement exprimé par Marianne. Il emprunte là le registre du tricheur : la bonne carte qu’est l’écharpe de Marianne, c’est « Cœlio qui en profitera ». aq Destinateur : Octave. Destinataires : la vie et le bonheur de Cœlio ; l’émancipation de Marianne. Sujet : Cœlio. Objet : Marianne. Adjuvants : Octave et l’écharpe de Marianne. Opposants : Claudio et l’écharpe de Marianne. ar Tout se met en place pour que Claudio puisse associer sa violence jalouse à un crime d’honneur. L’écharpe de Marianne est une preuve d’adultère que va avoir en main Cœlio.

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 60 à 68)

Examen des textes u Les textes et le document du corpus associent au thème amoureux le thème du caprice : caprice d’adultère (texte A), caprice d’insensibilité amoureuse (texte B), caprice de brouillamini amoureux (texte C), caprice de jeu galant masqué (document). v Les textes A et C décrivent un caprice relevant d’émotions soudaines. Marianne, sous le coup de la fureur contre les interdits de Claudio, casse tout et met en œuvre la recherche d’un amant. La surprise d’Octave, instantanément convoqué pour satisfaire à cette quête, souligne la soudaineté de ce caprice libertin. La marquise de Merteuil se laisse saisir, au moment où elle veut rompre avec le chevalier Danceny, par le charme du visage qui accompagne le silence pétrifié du jeune amant repoussé. Cette surprise de l’amour lui en inspire « aussitôt » une autre qu’elle improvise comme une « marche romanesque » vers une « petite maison » où le chevalier va connaître, par « la surprise et l’amour […] un véritable enchantement ».

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Réponses aux questions – 14

Le texte B et le document donnent au caprice le motif de l’irréflexion et de l’inconséquence. Alcimadure méprise « le souverain pouvoir » du dieu de l’Amour, « fils de Cythérée », et le provoque en insultant sa statue. La femme masquée que représente Goya a l’inconséquence de se laisser courtiser sous les regards menaçants de son vieux mari, comme si son masque ne permettait plus de la reconnaître. w Marianne, Alcimadure, la marquise de Merteuil et la femme masquée de Goya sont des beautés féminines dont la sensualité s’exprime au travers des détours dictés par le caprice. Amantes ou pas, ce sont des femmes de sensibilité légère. Marianne s’offre au « premier venu », Alcimadure s’exhibe pour se refuser, la marquise de Merteuil trouve bon de s’amuser à « échauffer » son amant et la jeune masquée inscrit sa sensualité dans les débordements du carnaval. x Texte A : Marianne juge Octave ; par humour, elle établit une analogie entre lui et le Diable, puis le traite de « pitoyable avocat » pour Cœlio. Octave juge Marianne ; il mêle éloge et compassion : « Vous, si belle, si jeune, si pure encore, livrée à un vieillard qui n’a plus de sens, et qui n’a jamais eu de cœur ! » Texte B : le narrateur juge ses personnages. Alcimadure est célébrée en tant que beauté (« jeune merveille »), condamnée en tant que cruelle (« cœur inhumain », « belle homicide »). Daphnis est présenté, lui, en termes élogieux : « Le jeune et beau Daphnis, berger de noble race. » Texte C : la marquise de Merteuil propose à son correspondant, le vicomte de Valmont, des jugements quelque peu ambigus sur le chevalier Danceny – son jeune amant est présenté comme un cœur à plaindre (« Ce pauvre chevalier ») et en même temps comme un cœur « tendre » et irrésistible. y Cette légende (« Personne ne se connaît ») souligne qu’il faut assimiler les mascarades de carnaval aux relations sociales où toujours le paraître prévaut et cache la vérité sur chacun. L’autre est toujours masqué et l’on ne peut lui apporter que l’illusion de ce que l’on est vraiment.

Travaux d’écriture

Question préliminaire Réfléchir sur l’idéal du « moi » que peut exprimer et développer un caprice invite à considérer la partie du « moi » qui cherche à s’extérioriser et s’imposer. Marianne et la marquise de Merteuil dévoilent un idéal du « moi » qui lie étroitement le caprice de séduction au test de domination. Toutes deux tracent pour leur charmeur, qu’elles attendent avec l’impatience du caprice, un chemin de « carte du Tendre », romanesque, voire périlleux. Marianne, tout en sachant que sa demeure est sous la bonne garde de son époux, convoque pour le soir même son futur amant et d’avance le compromet, face aux périls, avec son écharpe. La marquise de Merteuil impose au chevalier Danceny une sorte de jeu de piste qui se rapproche du parcours d’obstacles avant qu’elle ne lui accorde ses plus tendres faveurs. L’idée que chacune se fait d’elle-même est valorisée par l’évaluation de son autorité sur les êtres et les choses. Le caprice est un corollaire d’un tempérament dominateur. Les caprices d’Alcimadure sont jugés par le fabuliste comme des exemples d’insensibilité inhumaine, mais il décrit cette « belle homicide » développant surtout, dans son hostilité à l’amour, un paroxysme de narcissisme, d’indépendance et de provocation. Si l’on ne s’arrête pas à ce qui distingue ces trois capricieuses, on ne manque pas d’être sensible à une idée du « moi » qui les rassemble. Leurs caprices sont, en effet, l’expression d’une idée du « moi » féministe et militent en quelque sorte pour s’opposer au code social dominant dans leur contexte historique.

Commentaire

Introduction Le roman par lettres offre à ses lecteurs une approche très intimiste de ses héros. On s’y trouve, en effet, constamment en focalisation interne. C’est ainsi que, dans la lettre X des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, on découvre le témoignage direct de la marquise de Merteuil dans la narration d’une manipulation galante qui, par le détour d’une confidence amoureuse, fonctionne comme un portrait en action de l’épistolière et un document sur un monde et un temps bien particuliers.

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Les Caprices de Marianne – 15

1. Une confidence amoureuse A. Sa justification • Rétablir la vérité auprès du destinataire : la rupture annoncée ne s’est pas produite. • Expliquer et raconter les circonstances d’une inversion de l’annonce faite. B. Son développement Un récit linéaire qui suit un parfait schéma quinaire : – Situation initiale : désir de rupture. – Élément perturbateur : la « charmante figure » du chevalier Danceny. – Péripéties : retardements et « marche romanesque » imposée au chevalier. – Résolution : arrivée du chevalier dans la petite maison de la marquise. – Situation finale : « un véritable enchantement ». C. Son ton Éloge et persiflage à l’égard du chevalier, présenté comme un séduisant jeune homme mais aussi comme un naïf que l’on peut promener à travers bien des difficultés.

2. Un portrait en action A. Un être capricieux et dominateur • Cœur versatile de la marquise. • Feindre le plus longtemps possible que l’on est inaccessible. • Besoin de faire « mériter » les plaisirs qu’elle accorde en « échauffant » les têtes. B. Une femme sensuelle • Aguichée par le plaisir des yeux. • Cherchant elle-même à aguicher par des contretemps et des rendez-vous mystérieux mais aussi par des déshabillés galants. C. Une habituée du libertinage mondain • La marquise dispose d’un pavillon de vie galante, une folie, comme aimaient en avoir les libertins de la Régence. • La soubrette Victoire a un savoir-faire confirmé pour la mascarade amoureuse : question d’habitude.

3. Un monde en filigrane A. Une haute aristocratie riche et oisive B. Un monde cultivé, intéressé par les écrits provocants ou à la mode : lectures de la marquise C. Doubles vies : vie de salon et secrets d’alcôve. Monde où le mensonge gouverne les apparences

Conclusion Cet extrait de lettre permet d’apprécier la capacité du roman épistolaire à donner au lecteur une position privilégiée dans la lecture et l’approfondissement des caractères et des rapports humains.

Dissertation

Introduction Les personnages que proposent les textes romanesques ou dramatiques peuvent s’apprécier comme des êtres en devenir, à travers les drames fictifs auxquels ils sont soumis. C’est cette fiction qui constitue le test de valeur qui fait d’eux, au terme de leur histoire, des modèles ou des contre-exemples, « celui qu’il faut être » ou « celui qu’il ne faut pas être ». Au-delà des faits, interviennent aussi le point de vue du narrateur, les modalités de l’énoncé et la loi des genres et des esthétiques pour conforter ou affaiblir cette force d’exemplarité.

1. Les principaux enjeux dramatiques ont pour moteur la sensibilité et la morale des héros A. Le roman et le théâtre présentent généralement des histoires qui sont le lieu pour les héros d’un grand investissement affectif et moral • Le lieu des grands sentiments et des grandes vertus : littérature édifiante. • Le lieu des grandes ambitions et des grands obstacles : roman et théâtre historiques. • Le lieu des grandes tentations et des grands renoncements : littérature tragique.

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Réponses aux questions – 16

B. Les histoires que rapportent pièces et romans exigent des héros au comportement sans ambiguïté et propre à faire triompher le Bien ou le Mal • Amour, vengeance, ambition, ruine, triomphe sont au cœur des grands sujets romanesques et théâtraux. Pour ces sujets, il faut des personnalités hors du commun, dont les vertus ou la perversion vont fonder la vraisemblance d’une fin de récit positive ou négative. • Pour les récits de guerre, la littérature privilégie la figure du héros qui, comme le Cid de Corneille, gagne les batailles ou qui, comme Hector chez Homère, meurt noblement. • Même les histoires insolites ont besoin de héros qui s’imposent par leur personnalité et leur comportement. Pour l’histoire d’un naufrage sur une île déserte, il faut l’intelligence inventive et méditative d’un Robinson Crusoé. Pour l’histoire fantastique de La Peau de chagrin de Balzac, il faut un esprit dominé par ses frustrations et profondément désespéré, comme l’est celui du jeune Raphaël de Valentin. C. Avec « celui qu’il faut » pour l’histoire racontée, l’on arrive souvent à un dénouement qui propose au lecteur « celui qu’il faut être » ou « celui qu’il ne faut pas être » • Le dénouement des tragédies s’accomplit avec le malheur d’une destinée broyée par des éléments extérieurs ou avec celui d’une personnalité perdue par ses passions, ses vices, mais parfois aussi ses vertus. La Phèdre de Racine est celle qu’il ne faut pas être. Sa Bérénice, en revanche, est celle qu’il faut être. La première provoque la mort d’un innocent et se suicide, consciente de sa faute ; la seconde force au sublime Titus et Antiochus avec ces mots : « Servons tous trois d’exemple à l’univers. » • Le dénouement des romans se développe très souvent comme un apologue dénonçant un vice ou couronnant une vertu. À la fin des Liaisons dangereuses, on apprend que la marquise de Merteuil, ruinée et défigurée par la petite vérole, a quitté la France. C’est un sort assez semblable que réserve Zola à Nana, femme fatale qu’entretiennent des hommes illustres, dans le roman dont elle est l’héroïne éponyme. • La confession d’Octave dans la dernière scène des Caprices de Marianne permet à Musset d’achever sa pièce en termes de moralité. En disant adieu à l’amour et à l’amitié, Octave précise qu’il ne sera pas comme le père de Cœlio après la mort d’Orsini. • C’est en particulier dans les dénouements de la comédie que l’effet « victoire de la justice, du bon droit et des bons sentiments » se manifeste comme une norme allant de soi. On y châtie les méchants ; on s’y réconcilie ; on y marie les jeunes amoureux.

2. Importance du point de vue du narrateur et des modalités de l’énoncé A. Dans les récits, le jeu varié des points de vue contribue à construire l’exemplarité des personnages Le narrateur omniscient peut innocenter le criminel, lui donner des circonstances atténuantes bien argumentées, voire le rendre sublime, comme il en est pour Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal. B. Les modalités d’énoncé constituent aussi des jugements de valeur déterminants pour l’exemplarité ou le discrédit des personnages • La Fontaine, en désignant Alcimadure avec les mots « jeune merveille », puis « cœur inhumain » et enfin « belle homicide », instruit une conduite qu’il veut donner en contre-exemple. • L’ironie de Flaubert dans Madame Bovary établit une dissonance entre le narrateur et les valeurs d’Emma : la contre-exemplarité du personnage est ainsi induite.

3. Les genres et les esthétiques en rupture avec la fonction éthique du personnage A. La littérature à la 1re personne Les journaux intimes, le roman à la 1re personne, le roman épistolaire conditionnent leur narrateur-personnage à la seule règle de l’authenticité. Ces genres littéraires donnent la parole à des personnalités difficilement associables à un type humain négatif ou positif. Les héros de tels ouvrages restent des cas particuliers. Le Roquentin de Sartre dans La Nausée, le Meursault de Camus dans L’Étranger, le Bardamu de Céline dans Voyage au bout de la nuit livrent au lecteur les aspects d’un « moi » sans références. D’un bout à l’autre de leur confidence, ils restent des antihéros ancrés dans l’absurde ou plutôt dans ses eaux dormantes. B. Les esthétiques en rupture Le Nouveau Roman, le théâtre de Beckett et de Ionesco se sont appliqués à rompre avec le principe du personnage, héros littéraire. On a là des œuvres avec des personnages inclassables, hors catégorie. Leur monologue ou leur dialogue expriment leur introspection psychologique ou leur rapport au réel et au langage.

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Les Caprices de Marianne – 17

Conclusion L’exemplarité et la contre-exemplarité morales des héros littéraires tiennent à la force actantielle apportée, par le genre ou l’auteur, soit à la sensibilité, soit aux valeurs des personnages. Les œuvres ou les genres qui privilégient la fiction de l’intime et non celle de la chute ou de l’ascension des héros restent en marge des moralités édifiantes ou dissuasives.

Écriture d’invention

L’épistolière • Marianne est plus jeune que la marquise de Merteuil : son ton doit marquer un certain respect. • Elle sait les libertés galantes que la marquise s’accorde en diverses occasions et les fantaisies dont elle use pour arriver à ses fins avec celui qu’elle veut séduire. Le respect oblige Marianne à n’y faire qu’allusion. • Marianne voit un rapport entre sa conduite avec Octave et celle de la marquise avec Danceny. Mais ses détours pour faire comprendre la vérité de son cœur l’inquiètent. Elle a besoin de conseils.

Le mouvement de la lettre • Le bonheur d’avoir eu l’énergie de convoquer chez soi Octave. • Description d’Octave, séduisant libertin.

L’exaspérant retour sur Cœlio • La satisfaction d’avoir été « presque » claire, mais la crainte d’avoir été trop brutale. • Le rêve des heures à venir : vision d’Octave avec l’écharpe, petite frayeur à la pensée des fureurs jalouses de Claudio. • Sollicitation de la marquise pour se constituer un abri galant échappant à la surveillance de Claudio et se gagner le dévouement et la discrétion de la domesticité. • Demande de livres suggestifs pour réussir à tromper son mari sans danger pour personne.

A c t e I I , s c è n e 6 ( p p . 7 3 à 7 5 )

◆ Lecture analytique de la scène (pp. 76-77) u Didascalie : « Un cimetière. OCTAVE et MARIANNE, auprès d’un tombeau » ; Octave : « Cette urne d’albâtre, couverte de ce long voile de deuil », « cette tombe », « ce tombeau », « cette froide pierre ». v Ces répliques recensent les perfections de Cœlio en les évoquant au passé : « Cœlio était », « Cœlio seul le savait », « Cœlio m’aurait vengé ». Le présent de Cœlio est inscrit « au Ciel ». w Octave célèbre le souvenir de Cœlio en présentant successivement les perfections de son esprit, puis celles de son cœur et enfin celles de son amitié. En hommage à son esprit, « son âme tendre et délicate », Octave développe une comparaison avec l’urne du tombeau. La capacité d’amour et de dévouement de Cœlio est soulignée dans son unicité par l’anaphore « Lui seul ». Enfin, c’est par le jeu d’un conditionnel, à valeur d’irréel du passé, qu’Octave complète l’histoire de Cœlio avec un épisode hypothétique de sa sublime amitié. x Cet éloge recompose le portrait de Cœlio en forçant le trait de son image romantique et en l’enrichissant des traits chevaleresques et courtois du parfait ami et parfait amant. y « C’est moi qu’ils ont tué » : avec ces mots, Octave introduit le pathos lyrique de l’amitié fusionnelle. U « Cœlio était la bonne partie de moi-même ; elle est remontée au ciel avec lui », « ma place est vide sur la terre » : entre ces deux constats, où Octave note qu’il suit Cœlio par-delà la mort, on peut relever aussi une peinture de soi qui précise ce duo indéfectible par une suite de traits en opposition où l’idéalisme de Cœlio est mis en parallèle avec le cynisme d’Octave (« Je ne sais point aimer ; Cœlio seul le savait » ; « Lui seul […] ; lui seul […]. Je ne suis qu’un débauché » ; « Je ne sais pas les secrets qu’il savait » ; « sa mort n’est point vengée. […] Cœlio m’aurait vengé »). V Octave médite sur sa relation fusionnelle avec Cœlio en se référant à l’attentat organisé par Claudio : « C’est pour moi qu’ils avaient aiguisé leurs épées. »

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Réponses aux questions – 18

W On a là un style qui est d’abord celui du dénigrement de soi. Son vide, sa débauche, sa lâcheté sont soulignés par des comparaisons ou des tournures qui les aggravent. En revanche, dans son adieu à la vie, le style dominant est celui très rythmé et poétique du lyrisme tragique, avec une suite de vers blancs. X Octave se découvre, dans ce dénouement, sous les traits les plus désespérés du héros romantique : le dégoût de la vie et de soi. Avant la mort, il choisit la solitude. at Alors que Marianne le tutoie, Octave garde, pour s’adresser à elle, la distance du « vous ». ak Marianne, dans ses brèves répliques, s’efforce d’associer Octave à sa propre pensée amoureuse. D’abord en le flattant (« Ne serait-elle point heureuse, Octave, la femme qui t’aimerait ? »), puis en le disculpant de son remords de lâcheté (« Claudio est trop vieux pour accepter un duel, et trop puissant dans cette ville pour rien craindre de vous ») et enfin en lui avouant, de façon indirecte mais claire et tendre, la place qu’il tient « dans [son] cœur ». al Octave ne s’adresse pas à Marianne mais médite à voix haute devant elle en de longues tirades. Les deux premières répliques de Marianne sont de brèves remarques sur cette méditation ; Octave les contredit aussitôt avec force et reprend un discours où il monologue. Marianne parle à Octave ; Octave se parle à lui-même, excepté dans la dernière réplique, violent rejet de l’amour de Marianne. am « Ne serait-elle point heureuse, Octave, la femme qui t’aimerait ? » est une question oratoire qui représente, dans cette scène, le premier aveu détourné de Marianne à Octave. an La sensibilité de Marianne ne semble recevoir aucune influence du cadre funèbre où se situe la scène. Ce que le romantisme d’Octave recueille devant la tombe de Cœlio ne lui inspire que des objections tendres et même réalistes, quand elle évoque le vieux et puissant Claudio. ao Cette dernière scène se rattache au titre de la pièce de deux façons. D’abord, elle donne à voir le dernier caprice de Marianne : dans un cimetière, devant la tombe d’un prétendant malheureux que son meilleur ami pleure, la jeune femme s’emploie à transformer la déploration de cet ami en une situation amoureuse qui lui soit favorable. Par ailleurs, la dernière réplique d’Octave peut s’entendre comme une morale condamnatoire qui souligne l’aveuglement et la fantaisie sanglante qui règlent les élans du cœur de Marianne.

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 78 à 85)

Examen des textes u Texte A : « Les longues soirées que nous avons passées ensemble […] ont versé sur mon cœur les seules gouttes de rosée qui y soient jamais tombées. » Texte B : nos âmes « se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes ». Texte C : « Il y a un goût dans la pure amitié où ne peuvent atteindre ceux qui sont nés médiocres. » Texte D : « Jean, Pierre, Paul et compagnie, / C’était leur seule litanie / Leur Credo, leur Confiteor ». v Texte A : « L’amour naît brusquement, sans autre réflexion, par tempérament ou par faiblesse […]. L’amitié au contraire se forme peu à peu, avec le temps, par la pratique, par un long commerce. » Texte B : « Il y a un goût dans la pure amitié où ne peuvent atteindre ceux qui sont nés médiocres. » Texte D : « L’amitié […] périt faute de soins, de confiance et de complaisance. » w Alors que La Bruyère établit dans ses maximes un rapport antithétique entre amour et amitié, la composition de Pigalle illustre la complémentarité de ces deux sentiments. x Pigalle donne à l’amitié une figure féminine. Les textes A, B et D, par effet de mise en scène ou de récit, font découvrir des amitiés « au masculin ». y Le texte B met en évidence l’amitié fusionnelle, hors du commun, qu’ont éprouvée l’un pour l’autre Montaigne et La Boétie. Bien des expressions de cet extrait insistent sur les symétries morales et intellectuelles des deux amis, mais c’est surtout l’écho des causales « Parce que c’était lui ; parce que c’était moi » qui élève leur amitié au niveau d’une prédestination. Le texte D (la chanson de Brassens) souligne l’image mythique qu’a fini par constituer cette relation exceptionnelle entre ces deux grands intellectuels.

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Travaux d’écriture

Question préliminaire Chacun des énoncés figurant dans ce corpus propose une idéalisation de l’amitié en une situation de dialogue avec un destinataire, plus ou moins présent et plus ou moins interpellé, mais qui a besoin ou de lumières ou de mises en garde pour accéder au vrai bien qu’est l’amitié. Le document révèle une composition qui instaure elle aussi une situation de dialogue. C’est précisément dans le document et le texte A que la présence du destinataire est particulièrement tangible. On peut en revanche opposer ces deux éléments du corpus en considérant l’implication du destinataire. La statue de l’Amour est présentée dans un mouvement de tendre et absolue adhésion à la douceur protectrice et maternelle de l’allégorie féminine de l’Amitié. Au contraire, Marianne écoute l’apologie de l’amitié que prononce Octave (texte A), en s’efforçant de le faire changer de sujet et songer à l’amour, et en particulier à l’amour qu’il lui inspire : l’idéalisation de l’amitié se fait là dans le cadre d’un dialogue de sourds. Le texte D (la chanson de Brassens) suggère aussi une situation de dialogue avec quelque tension entre destinateur et destinataire. Le « Non » qui ouvre le texte suggère un destinataire qu’il s’agit d’éclairer en contestant sa pensée de départ sur l’amitié idéale. L’insistance et la multiplication des présentatifs négatifs puis affirmatifs (« Ce n’était pas », « C’était pas », « C’était », « C’est ») prolongent la suggestion d’un destinataire un peu dur à convaincre et qui a besoin pour cela d’une foule d’indices. Les textes B et C introduisent l’idée d’un destinataire avec le « nous » de l’universel. Chez Montaigne, ce destinataire représente, comme chez Brassens, un esprit à éclairer sur un idéal d’amitié difficile à concevoir. Chez La Bruyère, le « nous » représente les esprits à éclairer et à mettre en garde pour éviter la confusion entre amour et amitié. On voit, à travers la fiction des destinataires que font apparaître les différents éléments de ce corpus, les effets conjoints de l’émotion et de l’argumentation pour donner à l’idéalisation de l’amitié une vigueur persuasive. Pour les auteurs de ces textes, c’est un sujet qui mérite un destinataire engagé.

Commentaire

Introduction Pour associer le texte de Montaigne sur l’amitié à la dernière scène des Caprices de Marianne, l’on est amené d’abord à relier une amitié historiquement vraie avec une amitié construite pour la scène, puis à comparer le ton d’un hommage à celui d’un lamento, enfin à évaluer la portée morale de deux textes qui idéalisent l’amitié.

1. L’autobiographie au service de la vraisemblance théâtrale A. L’expérience de l’amitié que rapporte Montaigne rend crédible la confidence d’Octave, par les analogies que l’on peut relever • La rencontre, pour tous deux, avec un être d’exception. • Le bonheur délectable attaché aux heures de rencontre. • Une affection fusionnelle. B. La dimension surnaturelle que donne Montaigne à sa rencontre avec La Boétie apporte sa caution psychologique au fantasme de mort d’Octave • Évocation de la médiation du Ciel pour entourer une amitié exceptionnelle : Montaigne s’y réfère en termes clairs (« force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union », « par quelque ordonnance du ciel », « notre première rencontre ») ; Octave la suggère en ne se considérant plus de ce monde mais de celui où il situe Cœlio (« c’est moi qu’ils ont étendu sous cette froide pierre ; […] ma place est vide sur la terre »). • Dans les deux textes, l’amitié conditionne le destin.

2. Deux textes aux fonctions et aux tons différents A. Hommage et lamento • Le texte de Montaigne est un double hommage : – un hommage à une amitié hors du commun qui est une vraie « union » ; – un hommage aux « deux hommes faits », lui-même et La Boétie, qui ont su en faire une « perfection ». • La dernière scène des Caprices fait entendre un double lamento : – un lamento sur l’ami mort ; – un lamento sur soi.

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B. Tons en opposition • Fonctions distinctes du lyrisme : – le lyrisme qui sert à l’évocation de l’amitié exceptionnelle de Montaigne avec La Boétie (« Parce que c’était lui ; parce que c’était moi ») souligne en même temps l’opposition de cette relation avec ce que Montaigne appelle des « amitiés molles et régulières » et qu’il décrit à deux reprises prosaïquement ; – dans la dernière scène des Caprices, le ton d’Octave évolue du lyrisme qui idéalise Cœlio et leur relation passée au lyrisme douloureux et brutal qui sert à repousser les avances de Marianne en développant devant elle un autoportrait dévalorisé par le parallèle avec Cœlio et par le crescendo du dénigrement (« débauché sans cœur », « histrion », « lâche »). • Effets opposés : – Montaigne semble trouver des forces d’éloquence dans l’évocation qu’il fait de ce passé unique et exceptionnel ; – Octave, au contraire, au fil du texte, se pénètre peu à peu d’un désespoir suicidaire que développe la dernière tirade, dans un adieu à la vie.

3. La portée morale de ces deux idéalisations de l’amitié A. L’amitié révèle et construit une fraternité • Faite d’affinités : on est heureux ensemble (« oasis dans un désert aride »). • Faite de connaissance instinctive et profonde de l’autre : Montaigne y insiste ; Octave le montre dans le portrait qu’il fait de Cœlio. B. L’amitié est découverte de soi-même par la connaissance de l’autre On peut avoir dans l’amitié un alter ego qui est l’opposé de soi. C’est le cas d’Octave par rapport à Cœlio. Octave se connaît d’autant mieux qu’il sait les vertus de Cœlio qu’il n’a pas. C. L’amitié est une solidarité parfaite • Pour Montaigne, une solidarité parfaite de toutes les fibres de l’être, cœur et esprit. • Pour Octave, une solidarité de destin.

Conclusion Le trait commun à ces deux textes est de témoigner en faveur de l’amitié de façon à la placer au sommet des vertus altruistes. L’expérience de Montaigne donne du poids à l’amitié d’Octave pour Cœlio. Mais les deux textes sont complémentaires pour nous apporter les mots qui subliment l’amitié.

Dissertation

Introduction L’idéal humaniste, depuis la Renaissance, a établi un lien étroit entre la littérature et le progrès moral de la société. L’esprit des Lumières s’est fait le continuateur d’un tel idéal. C’est pourquoi Gide a pu paraître prendre une position immorale, quand il a associé les « beaux sentiments » à la « mauvaise littérature ». La relativité qui s’attache à la définition du Bien et du Mal, comme à celle du Beau et du Laid, nous invite en fait à analyser, de façon moins tranchée, la part que prennent les sentiments, bons ou mauvais, dans ce qui constitue la force artistique d’une œuvre littéraire.

1. La mauvaise littérature peut se définir avec le critère des « beaux sentiments », si l’on donne à cette expression son sens le plus plat, le plus dévalué A. Les « beaux sentiments » du conformisme • La littérature « à l’eau de rose ». • La littérature de jeunesse. B. Les « beaux sentiments » de l’ordre social et politique • La littérature de propagande politique ou idéologique. • La littérature qui peint un monde social où chacun reste à sa place. C. Les « beaux sentiments » de la naïveté enfantine • La littérature des bonnes fées. • La littérature où les méchants deviennent gentils, où la laideur se transforme en beauté et la pauvreté en richesse.

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2. Mais il est de « beaux sentiments » qui ont fondé de grandes œuvres dont le temps a consacré l’excellence et la notoriété A. De « beaux sentiments » d’auteur • L’humanisme de Rabelais, sa soif de tolérance, de paix et de progrès humain ont initié un art littéraire nouveau associant la démesure comique à la réflexion (Gargantua). • Le sens de la justice a inspiré à Molière un genre comique s’attachant à de graves sujets, comme les abus de pouvoir des parents sur leurs enfants ou la fausse dévotion (L’École des femmes, Le Tartuffe). • La compassion militante de Victor Hugo pour les victimes de lois injustes a été associée à de très grandes œuvres romanesques (Le Dernier Jour d’un condamné, Les Misérables) et poétiques (Les Châtiments). • Le sentiment patriotique et l’esprit de résistance ont inspiré des textes mobilisateurs. Le poème Liberté de Paul Eluard a été parachuté sur les maquis en 1942. B. De « beaux sentiments » de personnages • Rodrigue chez Corneille et Bérénice chez Racine, par la qualité de leurs sentiments, fondent l’excellence tragique des pièces dont ils sont les premiers personnages. • Les belles histoires d’amour, depuis Tristan et Iseut, apportent à la littérature ses lauriers les mieux connus. • Les « beaux sentiments » de Jean Valjean, héros des Misérables, comme ceux de l’Auvergnat de Brassens construisent des références littéraires et poétiques de générosité exemplaire.

3. En fait, la qualité d’une œuvre littéraire ne tient pas à la qualité des sentiments qui l’inspirent ou qui s’y inscrivent, mais à la capacité qu’a son jeu littéraire de retenir le lecteur A. Ce jeu peut être grave ou léger Il peut s’attacher à divertir le lecteur ou à l’instruire, comme s’y attachent les moralistes, tels Montaigne ou La Bruyère. B. Une recherche de pure esthétique Ce jeu peut se fixer sur une recherche de pure esthétique, comme ce fut le cas pour le Parnasse ou le surréalisme, et convoquer un lecteur amateur d’ésotérisme ou d’avant-garde. C. Ce jeu peut aussi se concentrer sur une expression du « moi » introvertie ou extravertie Les poètes romantiques, et avec eux Baudelaire et Verlaine, livrent les tourments de leur paysage intérieur au lecteur, qui se trouve alors invité à de fascinantes mais douloureuses confidences. Le lyrisme des grands surréalistes qu’ont été Aragon, Breton et Eluard se charge, lui, de l’engagement politique de ces poètes et de leur félicité amoureuse. Ils invitent leur lecteur à s’enraciner au monde avec l’espoir d’un monde meilleur.

Conclusion La formule de Gide est plus provocatrice que vraie. Son critère pour évaluer les œuvres n’est pas à retenir, car les plus grands noms de la littérature et les plus belles œuvres sont là pour l’invalider. Mais il faut reconnaître à ce constat arbitraire l’indéniable mérite de brusquer le lecteur et de le dissuader des conforts médiocres qu’offrent certaines lectures.

Écriture d’invention Il s’agit de faire un dialogue où, pour commencer, il y aura opposition entre les deux interlocuteurs et, pour finir, un accord, avec le constat d’une évaluation des symboles de l’amour et de l’amitié assez proche. • Thèse du défenseur de La Bruyère : l’amitié vaut mieux que l’amour et ils s’excluent l’un l’autre. L’image maternelle de l’amitié est réductrice. • Thèse du défenseur de Pigalle : amitié et amour sont deux affections très proches. L’amour, comme le suggère Pigalle, est enfant de l’amitié. • Accord sur la représentation infantilisée de l’amour : – elle symbolise l’idée de séduction immédiate, irrésistible, et de relation capricieuse (défenseur de La Bruyère) ; – elle symbolise un sentiment attaché à la jeunesse et à la grâce (défenseur de Pigalle). • Accord sur une représentation de l’amitié avec les symboles de la piété et de la tendresse filiales.

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Compléments aux lectures d’images – 22

C O M P L É M E N T S A U X L E C T U R E S D ’ I M A G E S

◆ Alfred de Musset en 1833 (p. 4) Les commencements de la gloire On possède de nombreux portraits d’Alfred de Musset qui le représentent à des âges très variés. Cette aquarelle de 1833 a pour intérêt particulier de permettre de saisir un « air » qu’a voulu se donner l’auteur des Caprices de Marianne en une année où, à 23 ans, il décide de se prendre en main pour s’imposer dans le monde des lettres. L’élégance et l’assurance qui s’expriment dans cette aquarelle peuvent être mises en parallèle avec certaines anecdotes de la gloire de Musset en 1833. Ces anecdotes confirment que Musset est désormais un écrivain célèbre et une référence dans les cercles d’une élite, peut-être restreinte, mais admirative. C’est ainsi qu’un soir, sur les boulevards, il entend deux jeunes gens citer de mémoire, dans le feu de leur conversation, quelques mots de À quoi rêvent les jeunes filles : « Spadille a l’air d’une oie et Quinola d’un cuistre » (I, 2). En une autre occasion, à l’Opéra, il peut apprécier l’admiration fétichiste qu’il suscite dans la jeunesse, en voyant un jeune homme ramasser dévotement le cigare qu’il a jeté sur les marches de l’entrée. Une lettre de sa mère lui rapporte l’hommage d’un jeune polytechnicien qui, dansant avec sa sœur Hermine, lui demande si elle est apparentée « au grand poète Alfred de Musset ». Ce portrait de 1833 pourrait trouver sa légende dans cette formule d’Alix de Janzé à propos de l’auteur des Caprices de Marianne : « Un jeune homme voué à l’élégance la plus raffinée. » Mais il en dit plus sur l’ambition de Musset à cette date.

Travaux proposés – À partir de ce poème composé par Musset en 1854, recherchez quelques-uns des portraits auxquels il fait allusion.

SUR MES PORTRAITS Nadar, dans un profil croqué,

M’a manqué ; Landelle m’a fait endormi

À demi ; Biard m’a produit éveillé

À moitié ; Le seul Giraud, d’un trait rapide,

Intrépide, Par amour de la vérité

M’a fait stupide ; Que pourra pondre dans ce nid

Gavarny ? – Cherchez dans le texte des Caprices de Marianne une formule caractérisant Cœlio et pouvant servir de légende au portrait de 1833. – Recherchez les lieux publics où se trouvent installés un buste ou une statue de Musset. – Mettez en parallèle les prétentions aristocratiques de Musset, « ami des princes », et la sensibilité sociale de George Sand. – La silhouette littéraire de Musset dans ce portrait est-elle classique ou romantique ?

◆ Émilie-Madeleine Brohan (p. 5) et le dessin de son costume (p. 29) La première interprète de Marianne Premier prix de comédie au Conservatoire, à 16 ans, Madeleine Brohan entre à la Comédie-Française en 1850. Elle débute dans une comédie d’Eugène Scribe, Les Contes de la reine de Navarre. L’année suivante, elle est la première interprète du personnage de Marianne dans Les Caprices. Théophile Gautier voit en elle « la beauté crue comme un fruit vert ». Sociétaire en 1852, elle abandonne la scène en

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Les Caprices de Marianne – 23

1885. Le portrait qui la représente est fidèle à la jeunesse et à la beauté qu’incarne cette comédienne en 1851. Son costume de scène, pour interpréter Marianne, met en valeur ces deux traits : visage gracieux et taille de guêpe. En 1857, le poète et romancier Charles Monselet (1825-1888), tout en rendant hommage à « la belle et agréable personne », regrette que Madeleine Brohan ne puisse bien interpréter « les cruautés froides » de la Marianne de Musset. Il lui prête le style des « tranquilles jeunes femmes qui semblent sortir de la maison impériale de Saint-Denis [institution de la Légion d’honneur] ».

Le premier costume de scène de Marianne Le costume de Marianne, tel qu’il a été dessiné par Eugène Giraud, révèle les principales marques distinctives du personnage. Il est porteur d’informations sur son statut social et sa personnalité. Il tient compte aussi de la mise en scène et du décor choisi. Si l’on se réfère à la mode féminine des années 1850, on retrouve dans ce costume les pratiques de scène du théâtre classique qui se souciait peu de la vraisemblance historique ou géographique des costumes, mais se contentait de suivre la mode du moment. On a là un costume de Marianne qui interprète la mode féminine du XVIe siècle dans le style Second Empire.

Travaux proposés – Évaluez l’adéquation du costume de Marianne au statut social du personnage. – En quoi la silhouette féminine ébauchée par Eugène Giraud pour le costume paraît-elle plus proche du personnage de Marianne que le portrait de Madeleine Brohan ?

◆ Gérard Philipe dans le rôle d’Octave (p. 38) Un comédien emblématique de la jeunesse et de la séduction L’éblouissant succès de Gérard Philipe (1922-1959) sur la scène du TNP et dans le cadre du Festival d’Avignon s’est achevé dans un registre tragique qui s’est interprété comme en triste harmonie avec les grands rôles qu’il a largement contribué à immortaliser. Sa mort prématurée l’a étroitement associé, dans l’esprit du public, à tous ces héros du théâtre que grandissent la mort ou ses périls. Il est ainsi apparu normal d’ensevelir Gérard Philipe dans la tenue du Cid, personnage auquel son interprétation avait donné son visage de manière, semblait-il, irremplaçable. On aurait pu associer aussi étroitement cette mort à l’univers du théâtre de Musset où Gérard Philipe a brillé dans les rôles de Lorenzo (1952), d’Octave (1958) et de Perdican (1959), et ce justement dans les dernières années de sa courte vie. Il a en quelque sorte quitté la scène avec Musset. Le poète Aragon a, dans une sorte d’épitaphe, invité à lire le destin de Gérard Philipe comme celui d’un héros de l’auteur des Caprices de Marianne : « […] qu’il demeure éternellement la preuve de la jeunesse du monde. »

Travaux proposés – Les grands rôles du théâtre que Gérard Philipe a fait renaître. – Histoire du TNP : le répertoire de Musset. – Le Festival d’Avignon : principes fondateurs, évolutions et débats actuels.

◆ Goya, Les Caprices, « Personne ne se connaît » (pp. 65-66) Une brutalité prudente Francisco Goya (1746-1828) a réalisé ses Caprices entre 1793 et 1798 et les a édités pour la première fois en 1799. En 80 planches, Goya présente une violente satire humaine et sociale à travers laquelle il entend dénoncer les vanités qui guident la plupart des êtres humains. Les Caprices sont autant une satire qu’un discours intérieur parfois très allusif et difficile à comprendre. Goya paradoxalement s’y dévoile et s’y cache. C’est ainsi qu’il livre des images terribles accompagnées pourtant de titres banals qui ébauchent une cohérence souvent floue avec le dessin. Le trait accablant pour dénoncer les horreurs de l’existence et de la société joue la prudence grâce à ces titres qui offrent généralement la lisibilité d’un second degré moins brutal. Il s’agit pour Goya d’éviter la censure de l’Inquisition. Dans l’introduction au recueil et dans les légendes de ses images, l’auteur s’emploie à mettre en évidence leur seule portée moralisatrice.

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Le brouillage des pistes Pour « Personne ne se connaît », comme pour chacun des dessins des Caprices, on dispose de deux commentaires : l’un est un manuscrit du musée du Prado, l’autre un manuscrit de la Bibliothèque nationale de Madrid. Manuscrit du musée du Prado : « Le monde est une mascarade : visages, costumes, voix, tout est mensonge. Chacun veut paraître ce qu’il n’est pas, tout le monde s’entre-trompe et personne ne se connaît. » Bibliothèque nationale de Madrid : « Un général maniéré ou travesti en femme fait la cour à une jolie fille lors d’une fête. On le reconnaît facilement aux broderies de sa manche. Derrière lui sont les maris qui portent en guise de chapeaux d’énormes cornes, comme des licornes : toute droite pour celui qui tourne le dos, de travers pour l’autre. » La première interprétation tend vers la vérité universelle des vanités. La seconde rompt avec tout effet d’universel ou d’énigme et exprime le souci de donner les clefs pour reconnaître et nommer tel ou tel contemporain.

Travaux proposés – Quel discours intérieur du peintre peut exprimer cette gravure ? – Quels détails de la gravure en font une énigme ? – On a reproché au second commentaire manuscrit d’être « indécent et vulgaire » : l’estimez-vous réducteur du génie de Goya ?

◆ Marianne et Octave (p. 68) et la mort de Cœlio (p. 74), par Eugène-Louis Lami La lecture romantique d’un grand aquarelliste Peintre de genre, aquarelliste, lithographe et décorateur, Eugène-Louis Lami (1800-1890) a été le chroniqueur attitré de la monarchie de Juillet, tant sur les plans mondain que politique et littéraire. Son art d’aquarelliste a été influencé par le romantisme du peintre anglais Richard Parkes Bonington (1802-1828), comme lui ancien élève du baron Gros à l’École des beaux-arts. Portraitiste d’Alfred de Musset, Eugène-Louis Lami a illustré, en collaboration avec le graveur Adolphe Lalauze (1838-1906), les principales œuvres de Musset. L’attachement de la sensibilité romantique à l’Histoire trouve sa lisibilité dans le fond de toile de la gravure de la page 68 : il est constitué d’éléments architecturaux caractéristiques de l’Italie de la Renaissance. Dans la gravure présentant la mort de Cœlio, le pathos du désespoir romantique est mis en scène par l’attitude d’Octave, que renforce aussi la position de Marianne. Ce sont les attitudes d’un désespoir absolu, sans consolation possible, qui sont exprimées là.

Deux degrés d’interprétation du texte Eugène-Louis Lami semble aussi réécrire dans cette gravure la dernière scène des Caprices en donnant à voir le corps gisant de Cœlio. Cette recomposition se confirme si l’on se reporte à l’ouvrage qui rassemble ces gravures avec celles attachées aux autres œuvres dramatiques et poétiques de Musset (Pour les œuvres d’Alfred de Musset, Aquarelles par E. Lami, Eaux-Fortes par A. Lalauze, Damascène Morgand, Paris, 1883). On y lit en effet les extraits des Caprices mis en légendes par le dessinateur. La gravure de Marianne et Octave est suivie d’une réplique d’Octave à Marianne en parfaite adéquation avec le dessin : « Un vide que je ne saurais exprimer, et que je communique en vain à cette large coupe. Le carillon des vêpres m’a fendu le crâne pour toute l’après-dînée » (II, 1). En revanche, la gravure de la mort de Cœlio, légendée avec les « mots de la fin », force le texte et la situation qu’il décrit.

Travaux proposés – Relevez des analogies entre les costumes dessinés par Eugène Giraud (pp. 28-29) et ceux des aquarelles d’Eugène-Louis Lami. – À quel entretien entre Marianne et Octave se rapporte la gravure de la page 68 ? Quel élément du décor aide à le préciser ? – Retrouvez la scène et le texte qui se rapprochent de la gravure de la page 74. En quoi cette image constitue-t-elle un second degré du texte ? – Précisez les lieux qui servent de fond à chacune des gravures des pages 68 et 74. Appréciez leur réalisme et leur symbolisme.

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◆ Jean-Baptiste Pigalle, L’Amour embrassant l’Amitié (p. 83) « Notre Phidias » (Voltaire) Jean-Baptiste Pigalle est né le 11 août 1714 à Paris. Fils d’un ébéniste, il a derrière lui quatre générations d’artisans du bois. Sa biographie de jeunesse comporte des lacunes, mais l’on sait qu’élève de Robert le Lorrain (1666-1743) à l’Académie royale de peinture et de sculpture, de 1734 à 1736, il a été encouragé par ce grand maître de la sculpture française à se porter candidat au Grand Prix de Rome. Malgré son échec, il a bénéficié d’un brevet royal pour accéder au statut de « pensionnaire libre » à l’Académie de Rome. Il a, durant son séjour romain, connu bien des difficultés matérielles, mais aussi son premier grand succès d’artiste en devenant lauréat du prestigieux concours de l’Académie romaine de St-Luc. Son retour en France en 1739 est marqué par une étape de deux ans à Lyon qui reste mal connue, bien que son œuvre soit déjà couronnée et les commandes nombreuses. En 1741, il regagne Paris et se trouve immédiatement admis à l’Académie royale en présentant un Mercure attachant ses talonnières en terre cuite. Cette œuvre, exécutée en marbre pour sa réception en 1744, reçoit l’hommage unanime de ses contemporains. Au Salon de 1750, il expose L’Enfant à la cage, portrait du fils unique du financier Pâris de Montmartel, parrain de Mme de Pompadour et banquier de la Cour. L’on est alors dans une période où la relation amoureuse entre le roi et la marquise de Pompadour évolue et s’assagit en une relation d’amitié qui restera sans faille jusqu’à la mort de la marquise, en 1764. Celle-ci exerce, sous le nom de son frère, la surintendance des Arts. Pigalle devient son statuaire. Elle lui commande, en 1750, L’Amitié, et c’est elle-même qui sert de modèle à la statue allégorique Madame de Pompadour en Amitié. C’est toujours pour elle que Pigalle va exécuter L’Amour embrassant l’Amitié, représentation idéalisée de l’après de sa passion avec Louis XV. Ce groupe, d’abord racheté par Pigalle après la mort de Mme de Pompadour, puis vendu par lui au prince de Condé, a orné un temps les jardins du Palais-Bourbon et n’a rejoint le Louvre qu’en 1879. Statuaire préféré de la Cour, Pigalle l’a été aussi de l’élite intellectuelle de son temps. Il a réalisé la statue Voltaire nu et le buste de Diderot. Si ce dernier a qualifié son ami Pigalle de « mulet de la sculpture », c’est par allusion à la commande faite par Louis XV, après la mort du Maréchal de Saxe (1750), le vainqueur de Fontenoy (1745). Pour honorer cet exploit et son héros, Pigalle a en effet été chargé de réaliser un monument funéraire exceptionnel : le Mausolée du Maréchal de Saxe, installé en 1776 dans l’église Saint-Thomas de Strasbourg et représentant une immense et colossale mise en scène baroque.

L’Amour embrassant l’Amitié : une allégorie à deux personnages La signification du groupe est résumée dans la dynamique de la composition. Celle-ci traduit un double mouvement d’élan et d’accueil, par les bras de l’enfant élevés vers la femme et par les bras de celle-ci recevant maternellement l’enfant. Le dieu Amour, dans cette composition, a « déposé les armes » et renonce à la guerre : le carquois gît à terre, en arrière-plan, alors que les fleurs de l’Amitié constituent un premier plan. Cet effacement des armes est complété par la petitesse des ailes : l’on est ainsi très éloigné des chérubins de l’Arche d’alliance aux larges ailes déployées. De même, rien ne fait penser aux chérubins, gardiens de l’Arbre de vie, avec leurs glaives tournoyants. On voit en fait un angelot tout empreint des grâces de la première enfance. La femme, par ses vêtements, se met hors du temps ou dans la simplicité des temps primitifs, mais par ses gestes et son sein dénudé elle se rattache à l’image de la mère protectrice, de la force nourricière et vitale dont l’enfant a besoin. On reconnaît les attributs de l’Amitié dans la simplicité de la robe, la poitrine découverte, les bras nus et l’abondance des fleurs, mais le visage n’est pas celui de Mme de Pompadour. Cette composition transcende la passion affaiblie ou éteinte dans l’élan le plus pur et le plus tendre des corps.

Travaux proposés – Visite du Louvre (cour Puget, Madame de Pompadour en Amitié, L’Amour embrassant l’Amitié) et du musée de Versailles (réduction en terre cuite de L’Amour embrassant l’Amitié). – Interdisciplinarité avec le cours d’arts plastiques : la sculpture de plein air depuis le XVIIe siècle. – La représentation iconographique de l’enfant ailé.

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◆ Villa romaine à Frascati par Hubert Robert (p. 106) et Hermia dans la « maison de Cœlio » (p. 32) Un possible rêve de Musset Gaston Baty justifie les emprunts faits pour ses décors des Caprices aux estampes et aux dessins de Hubert Robert (1733-1808), en présentant ceux-ci comme la parfaite expression de l’Italie telle que la rêve Musset « avant son funeste voyage », une Italie « tout irréelle et stylisée ».

Hubert Robert : un Romain d’adoption Comme Musset, Hubert Robert a découvert l’Italie et Rome très jeune, à 21 ans, en novembre 1754. Son éducation par les jésuites, au collège de Navarre, à Paris, lui a donné le goût de la culture antique. Par l’entremise de son père, valet de chambre de Joseph de Choiseul, marquis de Stainville, il a pu suivre à Rome le comte de Stainville, fils du marquis, qui y allait comme ambassadeur de France. Sans concourir au Grand Prix de Rome, il a été introduit dans l’Académie de France et y a rencontré le peintre Fragonard qui, lui, y séjournait en tant que pensionnaire. L’abbé de Saint-Non, héritier d’une lignée d’artistes peintres et sculpteurs, a été leur mécène et leur a fait découvrir Naples et le site de Pompéi. Hubert Robert est resté en Italie jusqu’en 1765. À son retour en France, son style visionnaire a été très apprécié. Son entrée à l’Académie royale a été immédiate. Sa première exposition au Salon de 1767 a inspiré au philosophe et critique d’art Diderot une méditation lyrique sur la poétique des ruines : « Ô les belles, les sublimes ruines ! […] Les idées que les ruines éveillent en moi sont grandes. »

La fascination des jardins Dans les dix années passées à Rome, Hubert Robert a souvent éprouvé le besoin de quitter la ville et d’aller goûter dans ses environs, à Tivoli ou Frascati, la fraîcheur des jardins et parcs des magnifiques villas, comme la villa d’Este ou la villa Aldobrandini. Les riches Romains se réfugiaient l’été dans ces alentours de la ville pour fuir les chaleurs accablantes. On doit à l’abbé de Saint-Non d’avoir gravé et rassemblé dans un recueil « les vues dessinées d’après nature dans les villas et environs de Rome » par Hubert Robert. Cette fascination du peintre pour les jardins les plus enchanteurs s’est prolongée dans sa carrière française. Nommé successivement dessinateur des Jardins du roi, garde des Tableaux du roi, garde du Muséum et conseiller à l’Académie, il a aménagé certaines parties des résidences royales, tel le hameau de la Reine à Trianon.

Travaux proposés – En quoi le sentiment de la nature exprimé par Cœlio dans son monologue de la scène 1 de l’acte I fait-il retrouver certains aspects de ce qu’exprime le dessin de Hubert Robert (p. 106) ? – Quel souvenir évoqué par Octave, dans la dernière scène, peut s’inscrire aisément dans un décor dessiné par Hubert Robert ? – Quel contraste établit la toile qui orne la scène de Gaston Baty pour la maison de Cœlio avec ce que l’on peut imaginer du jardin de Claudio ?

◆ Le décor de Jean-Paul Chambas (p. 124) Un brassage de références Dans ce décor, Jean-Paul Chambas, né en 1947, donne libre cours à son goût pour le lyrisme et le baroque. Il met en scène une juxtaposition d’images qui symbolisent ou le monde extérieur ou le cadre domestique et intime. Les références picturales s’ajoutent à cet ensemble insolite que Jean-Pierre Vincent a caractérisé avec les mots « stupéfiante modernité ». Le décor en effet stylise certains détails des aquarelles d’Eugène-Louis Lami et autorise certains rapprochements avec la poésie des ruines d’Hubert Robert. C’est une sorte de grand collage aux tonalités chaudes et froides qui vient s’harmoniser à la violence du romantisme portée par le texte de Musset, sans oublier la part de rêve qu’y ont ajoutée, en un peu plus d’un siècle, peintres et metteurs en scène.

Travaux proposés – Comment le décor connote-t-il la réalité italienne, telle que l’évoquent le texte de Musset et les aquarelles d’Eugène-Louis Lami ? – Le costume d’Octave, comme le porte Gérard Philipe (p. 38), pourrait-il convenir dans le décor de Jean-Paul Chambas ?

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B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E

◆ Œuvres d’Alfred de Musset – La Confession d’un enfant du siècle. – Salon de 1836. – « De la tragédie – À propos des débuts de Mlle Rachel », in Revue des deux mondes, 1er novembre 1838.

◆ Sur Alfred de Musset (vie et œuvre) – Arvède Barine, Alfred de Musset, Hachette, 1893. – Éric Gans, Musset et le Drame tragique : du paradoxe esthétique aux formes littéraires, José Corti, 1974. – Simon Jeune, Musset, auteur féministe, Travaux de linguistique et de littérature, Strasbourg, 1983. – Henri Lefèbvre, Musset, L’Arche, 1970. – Charles Maurras, Les Amants de Venise : George Sand et Musset, Flammarion, 1902 (rééd. 1979). – Paul de Musset, Lui et Elle, Naumbourg, Paris, 1859. – Paul de Musset, Biographie d’Alfred de Musset, Charpentier, 1877. – George Sand, Elle et Lui, éd. de l’Aurore, 1986.