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LES CENT PLUS BEAUX CRIS DE FEMMES

collection Espaces

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REGINE DEFORGES

Du même auteur : chez Fayard :

Blanche et Lucie, roman. Le Cahier volé, roman.

chez Jean-Jacques Pauvert :

O m'a dit, entretiens avec l'auteur d'Histoire d'O.

chez Jean Goujon :

Lola et quelques autres, nouvelles.

dans le Livre de Poche :

O m'a dit. Blanche et Lucie. Le Cahier volé.

A paraître :

Vanda, l'Enfant des loups, ou La Révolte des nonnes, roman historique. Enfances et adolescences, roman.

La gravure enrichissant les pages de garde de cette anthologie est de LEONOR FINI.

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édition originale

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduc- tion intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduc- tion, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.

c Édi t ions Saint-Germain-des-Prés (1980).

c L e C h e r c h e M i d i é d i t e u r , 1980

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A ma fille Camille

Je remercie Michèle Schmidt pour son aide bénévole, ainsi que Madeleine Chapsal.

R. D.

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Les livres sont une drôle de chose. Avec celui-ci, je reviens d'un long voyage à travers les siècles en compa- gnie de femmes remarquables. (Mais, ne sommes-nous pas toutes remarquables au moins une fois dans notre vie ?) Compagnie pas toujours facile, mais toujours passionnante, jamais indifférente. Durant des jours et des jours, je les ai portées en moi, si dissemblables et si proches, leurs cris se confondaient, m'assourdissaient, me dérangeaient, troublaient le quotidien, réclamant la priorité dans mes pensées.

Au fil de mes lectures je retrouvais de vieilles amies, nouais de nouvelles connaissances. Oh ! la découverte de la beauté de l'âme d'une femme, ou la stupeur de- vant la noirceur d'une autre. Je me suis identifiée à tou- tes, à la sainte comme à la putain, à la reine comme à la pauvresse, au poète comme à l'ouvrière, à la non- chalante comme à la guerrière, à la mère comme à l'amante, à la lâcheté comme au courage, à la haine comme à l'amour. Elles sont moi, je suis elles.

A certains moments de ma vie, des cris-de femmes résonnent dans ma tête. Ils jalonnent des étapes roses, grises ou noires. Ils marquent des moments heureux ou malheureux. Ainsi quand je perds un amour, comme Ondine, je me sens mourir et, les yeux pleins de larmes, je murmure : « L'herbe est devenue noire ». Qu'ajouter après cette courte phrase qui dit mieux dans sa briéveté qu'une longue tirade, toute la douleur de la fin d'une passion amoureuse ? Quand au contraire, j'aime et je suis aimée, je roucoule avec Louise Labé : « Baise m'en- cor, rebaise-moi et baise ». Quand je tiens contre moi ma fille dernière-née et que je n'en peux plus d'émotion

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et d'amour devant tant de fragile beauté, un vers de Renée Brock me revient en mémoire, m'atteignant au plus profond, tant la mort est proche du commence- ment : « Je porte mon enfant et je porte ma mort ».

J 'entends les cris de haine, de désespoir, de peur, de douleur, de colère, de plaisir ou de délivrance que balbutièrent ou hurlèrent tant de femmes, créatures de sang ou de rêve issues de l' imagination des poètes et des écrivains. Certaines nuits d'angoisse molle, leurs cris se fraient un passage au travers de mes noires pensées et leur cacophonie me fait redouter d'ouvrir les yeux, per- suadée que je suis de voir autour de mon lit dévasté, Emma Bovary, ses longs cheveux défaits, effondrée dans les plis de sa robe, soupirer d'une voix blanche : « 0 Rodolphe, si tu savais... je t 'ai bien aimé ». Ou bien, Amélie, la trop aimante sœur de René qui murmure, pâle sous son voile de religieuse : « 0 mon frère, si je m'arrache à vous dans le temps, c'est pour ne pas être sé- parée de vous dans l'éternité ». Ou encore Phèdre avou- ant son amour insensé : « J 'ai langui, j 'ai séché dans les feux, dans les larmes ». Ou Anaïs Nin, dans les dou- leurs de l'enfantement, qui répète inlassablement : « Te- nez-moi les jambes s'il vous plaît. Tenez-moi les jambes s'il vous plaît. TENEZ-MOI LES JAMBES », tandis qu 'un flot de sang se répand devant mes yeux fermés.

Non contentes d'envahir mon esprit, elles investis- sent mon lit, m'enlacent de leurs bras glacés de nuit. Leurs lèvres froides cherchent les miennes, baisent mes yeux, aux paupières obstinément closes tandis qu'un hurlement muet emplit ma tête. Leur ronde folle passe et repasse dans mon cerveau. Elles crient maintenant leur nom : Antigone... Lou... Hélisenne... Thérèse... Juliette... O Manon... Renée... Louise... Je m'en- dors comme on se noie avec, lovés contre moi, ces fan- tômes de femmes qui m'appellent et auxquels, mes lec- tures, mes rêves et mes terreurs donnent une vie ef- frayante et nocturne.

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Tous ces cris ne sont pas noirs ou désespérés, cer- tains sont même d 'un optimisme gaillard et réconfortant comme ce mot de madame de Fontaine-Martel au mo-

ment de mourir : « Ma consolation est qu'à cette heure je suis sûre que quelque part on fait l 'amour ». D'au- tres clament le bonheur de la foi et de l 'amour de Dieu comme Thérèse de l'Enfant-Jésus ou la grande Thérèse d'Avila (quoique avec la sainte espagnole, il convienne de se méfier, sa passion de Dieu est telle que pour un peu on se laisserait entraîner dans son délire de l 'amour divin et, pourquoi pas, se mettre à croire en Dieu. Dan- gereuse fréquentation que celle d'une sainte !)

Heureux ou malheureux, la réunion de ces cris me révèle l'idée que je me fais des femmes, en tout cas, ce que je préfère en elles. Elles ont en commun, même dans l'abjection, la douleur, la haine ou la soumission, le sens de l'honneur. Je dirais sans crainte du paradoxe, que quand elles s'abaissent, elles le font dignement.

Le choix que j'ai fait de ces cris est bien sûr, comme tout choix, arbitraire. Sans doute ai-je commis de nombreux oublis, mais la mémoire est imparfaite, je m'en excuse auprès des vivantes comme des mortes.

On s'étonnera, peut-être, que j'ai mélangé cris réels et cris issus de l'imagination d'écrivains hommes. On aurait tort. Certains hommes nous connaissent mieux

que nous-mêmes et ont parlé en notre nom (un peu trop, dira-t-on) à des moments où ligotées dans les contrain- tes sociales et religieuses, nous n'osions pas prendre la parole. Les temps ont bien changé...

Régine DEFORGES.

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JEANINE AEPLY

Un grand talent pour parler des choses équivoques de l 'amour sans jamais les nommer et cependant les rendant perceptibles d'une façon physiquement délicieuse. Parmi ses livres, citons : Une fille à marier, Un royaume de papier, A propos de rossignol.

Alice ainsi boulée, abritée sous ses rondeurs, dans sa coquille de chair, pour la première fois de la soirée fut entièrement consentante. Aurait-elle encore la force de réagir ? Réagir à quoi ? A ce qu'elle était venue cher- cher ici ? Au nom de quoi refuser ? Il n 'y avait plus que maintenant. Maintenant, l'éternité d 'un rêve. C'est seulement rêver qui est vivre, sans restriction, sans con- trôle. Après n'existe plus. Avant, qu'importe ! En rêve on n 'a pas le temps de faire la part des souvenirs. On est dedans. Des souvenirs en pleine actualité. On les vit comme ils n'ont jamais été vécus. Avec l'intensité de la première fois. Alice rêvait qu'elle faisait l 'amour. Elle était dans l'amour. Pour la première fois. Faisait l 'amour mille fois en une fois. Alice n'existait plus. Alice était l 'amour. Les routes glissaient d'elles-mêmes. Le ciel filait comme du blanc d'œuf. Les paysages changeaient, les climats, les hommes. Alice était le ventre du monde. Et, dans ce ventre, Alice rêvait d'Alice : une image éblouissante qui explosait avec la violence du plaisir sous le sommeil. Le soleil soufflait dans la nuit. Il éclatait bien au-delà de la vue. On appelle ce genre de phéno- mène : vision. Alice voyait Alice. Elle était et son corps et celui de l'homme qui l'enveloppait. Deux peaux étrangères qui se touchent ; un contact. Une double pré- sence au centre de laquelle elle se sentait merveilleuse- ment seule. ( . . . )

Elle vivait par éclairs : des sortes de flashes aussi intenses qu'ils étaient rapides. Une image continue eût

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été monotone. Elle sombrait, s'éveillait, en pleine lueur de rêve. C'était un orage. Chaque fois était une autre fois, un autre orage, un autre homme. Mais qu'elle ouvre les yeux à l'intérieur du rêve, il était là, lui ! Toujours le même. Elle ouvrait les yeux, il était là comme un toit. Elle ouvrait les yeux, un visage tombait sur sa nuque, une bouche coulait dans son cou. Elle fermait les yeux, son corps descendait sous le poids de l'homme. Puis le contrepoids de l'éveil sur l'autre pla- teau de la balance rétablissait un équilibre à peine os- cillant. Elle ouvrait les yeux. Elle allait se réveiller comme d'habitude dans les bras de son amant. Il l'avait prise encore endormie. Alice jouissait à corps perdu. Mais déjà à cheval sur deux mondes différents, son plai- sir rêvé et celui dont elle ne pouvait douter se rejoi- gnaient. Elle jouissait à cœur battant, à souffle coupé. Un bruit de cloches dans les oreilles, le glas d'un enter- rement la tira définitivement de sa somnolence. Elle sen- tit l'urgence de se ramasser.

Il était tard. L'heure pour chacun d'en finir. Si près de la sortie, Alice était postée comme un bénitier au seuil d'une église. Elle évalua rapidement qu'il res- tait bien une trentaine d'hommes. Ils n'avaient pas cons- cience d'être une foule. Chacun était seul. Et pour cha- cun d'eux, Alice était unique. Qui peut parler d'excès ? Non. Un plus un plus un... Pas un seul ne penserait l'achever sinon s'achever lui-même.

Alice, qui était Alice ? Une femme ? Avait-elle ja- mais été une femme pour un homme, sinon dans leurs rêves, quand elle n'était pas là et ne pouvait tirer parti de leur attention qui lui était alors entièrement acquise. Un sexe ? Etait-elle même un sexe ? Un sexe-objet ? Alice n'était ni un être humain ni une chose. Une en- tité ? Alice pensa à quel point cela devait être épuisant d'être un dieu ; avec une telle foule de fidèles. Depuis le temps les dieux en étaient morts.

Eros Zéro (1972)

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AGRIPPINE LA JEUNE

Réponse faite par Agrippine (16-59), mère de Néron, à celui qui lui prédisait que son fils serait empereur mais qu'il la tuerait.

« Qu'il me tue, mais qu'il règne ! » (« Offidat, inquit, dum imperet ! »)

TACITE

Les Annales, livre 14, chapitre 9, paragraphe VI

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CLAIRE D'ALBE

Claire d'Albe aime Frédéric, le jeune neveu de son mari. Elle en meurt. Au moment de sa publication, ce charmant roman fit scandale. Il eut un succès consi- dérable, dont Chateaubriand, dit-on, était jaloux.

Lettre XXXII

Claire à Eli se.

Elise, il me quitte demain, et c'est chez toi que je l'envoie ; en le remettant dans tes bras, je tiens encore à lui, et, près de mon amie, il ne m'aura pas perdue tout à fait. Soulage sa douleur, conserve-lui la vie, et, s'il est possible, fais plus encore, arrache-moi de son cœur. Elise, Elise, que l'objet de ma tendresse ne soit pas celui de ton inimitié ! Pourquoi le mépriserais-tu, puisque tu m'estimes encore ? pourquoi le haïr, quand tu m'aimes toujours ? pourquoi ton injustice l'accuse- t-elle plus que moi ? S'il a troublé ma paix, n'ai-je pas empoisonné son coeur ? ne sommes-nous pas également coupables ? Que dis-je ? ne le suis-ie pas bien plus ? son amour l'emporte-t-il sur le mien ? ne suis-je pas dé- vorée en secret des mêmes désirs que lui ? Il voulait que Claire lui appartînt ; eh ! ne s'est-elle pas donnée mille fois à lui dans son coeur ? Enfin, que peux-tu lui repro- cher dont le suis innocente ? Nos torts sont égaux, Elise, et nos devoirs ne l'étaient pas : j'étais épouse et mère, il était sans liens : je connaissais le monde, il n'avait aucune expérience : mon sort était fixé et mon cœur rempli : lui, à l'aurore de sa vie, dans l'effervescence des passions, on le jette à dix-neuf ans dans une solitude délicieuse, près d'une femme qui lui prodigue la plus

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tendre amitié, près d'une femme jeune et sensible, et qui l'a peut-être devancé dans un coupable amour. J'étais épouse et mère, Elise, et ni ce que je devais à mon époux, à mes enfants, ni respect humain, ni devoirs sacrés, rien ne m'a retenue ; j'ai vu Frédéric, et j'ai été séduite. Quand les titres les plus saints n'ont pu me pré- server de l'erreur, tu lui ferais un crime d'y être tombé ? Quand tu me crois plus malheureuse que cou- pable, l'infortuné qui fut appelé ici comme une victime, et qui s'en arrache par un effort dont je n'aurais pas été capable peut-être, ne deviendrait pas l'objet de ta plus tendre indulgence et de ton ardente pitié ? 0 mon Elise ! recueille-le dans ton sein ; que ta main essuie ses larmes. Songe qu'à dix-neuf ans il n'a connu des passions que les douleurs qu'elles causent et le vide qu'elles laissent ; qu'anéanti par ce coup, il aurait ter- miné ses jours s'il n'avait craint pour les miens. Songe, Elise, que tu lui dois ma vie... Tu lui dois plus peut- être ; il m'a respectée quand je ne me respectais plus moi-même ; il a su contenir ses transports quand je ne rougissais pas d'exhaler les miens ; enfin, s'il n'était pas le plus noble des hommes, ton amie serait peut-être à présent la plus vile des créatures.

SOPHIE COTTIN (1770-1807)

Claire d'Albe (1799)

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MARIANA ALCOFORADO

LETTRES DE LA RELIGIEUSE PORTUGAISE

On sait maintenant que ces lettres admirables furent écrites par un homme, monsieur de Guilleragues. Pen- dant longtemps on a cru qu'elles étaient authentiques tant leur ton semblait naturel.

Première lettre

Considère, mon amour, jusqu'à quel excès tu as manqué de prévoyance. Ah ! malheureux, tu as été trahi, et tu m'as trahie par des espérances trompeuses. Une passion sur laquelle tu avais fait tant de projets de plaisirs ne te cause présentement qu'un mortel déses- poir qui ne peut être comparé qu'à la cruauté de l'ab- sence qui le cause. Quoi ? cette absence, à laquelle ma douleur, toute ingénieuse qu'elle est, ne peut donner un nom assez funeste, me privera donc pour toujours de regarder ces yeux dans lesquels je voyais tant d'amour et qui me faisaient connaître des mouvements qui me comblaient de joie, qui me tenaient lieu de toutes cho- ses, et qui enfin me suffisaient ? Hélas ! les miens sont privés de la seule lumière qui les animait ; il ne leur reste que des larmes, et je ne les ai employés à aucun usage qu'à pleurer sans cesse, depuis que j'ai appris que vous étiez enfin résolu à un éloignement qui m'est si insupportable, qu'il me fera mourir en peu de temps. Cependant il me semble que j'ai quelque attachement pour des malheurs dont vous êtes la seule cause : je vous ai destiné ma vie aussitôt que je vous ai vu, et je sens

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quelque plaisir en vous la sacrifiant. J'envoie mille fois le jour mes soupirs vers vous, ils vous cherchent en tous lieux, et ils ne me rapportent, pour toute récompense de tant d'inquiétude, qu'un avertissement trop sincère que me donne ma mauvaise fortune, qui a la cruauté de ne souffrir pas que je me flatte, et qui me dit à tous mo- ments : cesse, cesse, Mariane infortunée, de te consumer vainement, et de chercher un amant que tu ne verras jamais ; qui a passé les mers pour te fuir, qui est en France au milieu des plaisirs, qui ne pense pas un seul instant à tes douleurs, et qui te dispense de tous ces transports, desquels il ne te sait aucun gré. Mais non, je ne puis me résoudre à juger si injurieusement de vous, et ie suis trop intéressée à vous justifier : je ne veux point m'imaginer que vous m'avez oubliée. Ne suis-je pas assez malheureuse sans me tourmenter par de faux soupçons ? Et pourquoi ferais-je des efforts pour ne plus me souvenir de tous les soins que vous avez pris de me témoigner de l'amour ? J 'ai été si charmée de tous ces soins, que je serais bien ingrate si je ne vous aimais avec les mêmes emportements que ma passion me don- nait, quand je jouissais des témoignages de la vôtre. Comment se peut-il faire que les souvenirs des moments si agréables soient devenus si cruels ? et faut-il que, contre leur nature, ils ne servent qu'à tyranniser mon coeur ? Hélas ! votre dernière lettre le réduisit en un étrange état : il eut des mouvements si sensibles qu'il fit , ce semble, des efforts pour se séparer de moi, et pour vous aller trouver. Je fus si accablée de toutes ces émotions violentes, que je demeurai plus de trois heures abandonnée de tous mes sens : je me défendis de reve- nir à une vie que je dois perdre pour vous, puisque je ne puis la conserver pour vous ; je revis enfin, malgré moi, la lumière, ie me flattais de sentir que je mourais d'amour ; et d'ailleurs j'étais bien aise de n'être plus exposée à voir mon cœur déchiré par la douleur de votre absence. Après ces accidents, j'ai eu beaucoup de diffé- rentes indispositions : mais, puis-je jamais être sans

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VICTORIA THÉRAME

Elle fut infirmière puis chauffeur de taxi à Paris. Elle publie des poèmes et des romans : (Morbizza, Julliard, 1960), Hosto-blues (édition des Femmes, 1974).

J' ai soif

J'ai soif Soif de tout Tout me manque Dans ma prison sevrée Abrutie de travail Le beau désir assassiné Sous l'effort Je crève et j'ai soif De visages neufs Nouveaux comme un air pur Du matin qui branvire hors du vasistas Celui des toilettes, pétrifroissé Des amochures bavasses de la nuit Sur la Seine Et la tour de fer, Eiffel, je voudrais toucher Entre mes mains une peau douce Celle de toi qui m'échappa Celle de toi qui s'africa Celle de toi mort glacé en piscine, Idiot blond, voleur tu m'as volée ! Celles de vous tous acoquinés, embourgeoisés,

empédégés, Extrapolés du circuit, en routine-confits ! J'ai soif oui, mais de vous non.

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C'est les autres que je veux, si je vaux, Les neufs, Les neufs, sans besoin de parler, s'ils me veulent ? Jusqu'à quand les neufs me voudront-ils ? Ma soif ! Les neufs ! Ma mort à quand ?

Qui sera le dernier ?

Trans-viscère-express (1970)

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THÉRÈSE DE L'ENFANT-JESUS

On ne peut pas ne pas éprouver une tendresse particu- lière pour cette petite fille, puis cette jeune femme éper- dument amoureuse de Jésus. Sa naïveté peut parfois faire sourire, mais son itinéraire spirituel prouve une grande rigueur. Elle fut canonisée en 1925.

Acte d'offrande à l'amour miséricordieux

J.M.J.T. Offrande de moi-même

comme Victime d'Holocauste à l'Amour Miséricordieux du Bon Dieu

O mon Dieu ! Trinité Bienheureuse, je désire vous Aimer et vous faire Aimer, travailler à la glorification de la Sainte Eglise en sauvant les âmes qui sont sur la terre et délivrant celles qui souffrent dans le purgatoire. Je désire accomplir parfaitement votre volonté et arriver au degré de gloire que vous m'avez préparé dans votre royaume, en un mot, je désire être Sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu ! d'être vous-même ma Sainteté.

Puisque vous m'avez aimée, jusqu'à me donner vo- tre Fils unique pour être mon Sauveur et mon Epoux, les trésors infinis de ses mérites sont à moi, je vous les offre avec bonheur, vous suppliant de ne me regarder qu'à travers la Face de Jésus et dans son Cœur brûlant d '

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Je vous offre encore tous les mérites des Saints (qui sont au Ciel et sur la terre), leurs actes d ' et ceux des Saints Anges ; enfin je vous offre, ô Bienheu- reuse Trinité ! l 'Amour et les mérites de la Sainte Vier- ge, ma Mère chérie, c'est à elle que j'abandonne mon offrande la priant de vous la présenter. Son Divin Fils, mon Epoux Bien-Aimé, aux jours de sa vie mortelle nous a dit : «Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom il vous le donnera ! » Je suis donc certaine que vous exaucerez mes désirs ; je le sais, ô mon Dieu ! plus vous voulez donner, plus vous faites désirer. Je sens en mon cœur des désirs immenses et c'est avec confiance que je vous demande de venir prendre possession de mon âme. Ah ! je ne puis recevoir la sainte Communion aussi souvent crue je le désire, mais, Seigneur, n'êtes-vous pas Tout-Puissant ? Restez en moi, comme au tabernacle, ne vous éloignez jamais de votre petite hostie...

Je voudrais vous consoler de l'ingratitude des mé- chants et je vous supplie de m'ôter la liberté de vous dé- plaire, si par faiblesse je tombe quelquefois, qu'aussi- tôt votre Divin Regard purifie mon âme consumant tou- tes mes imperfections, comme le feu qui transforme toute chose en lui-même...

Je vous remercie, ô mon Dieu ! de toutes les grâces que vous m'avez accordées, en particulier de m'avoir fait passer par le creuset de la souffrance. C'est avec ioie que ie vous contemplerai au dernier iour portant le sceptre de la Croix ; puisque vous avez daigné me don- ner en partage cette Croix si précieuse, j'espère au Ciel vous ressembler et voir briller sur mon corps glorifié les sacrés stigmates de votre Passion...

Après l'exil de la terre, j'espère aller jouir de vous dans la Patrie, mais je ne veux pas amasser de mérites pour le Ciel, je veux travailler pour votre seul Amour. dans l'unique but de vous faire plaisir, de consoler vo- tre Cœur Sacré et de sauver des âmes qui vous aimeront éternellement.

Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les

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mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres . Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. Je veux donc me revêtir de votre propre Jus- tice, et recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-même. Je ne veux point d ' au t r e Trône et d ' au - tre Couronne que Vous, ô mon Bien-Aimé !

A vos yeux le temps n 'es t r ien, u n seul jour est comme mille ans, vous pouvez donc en un instant me prépare r à para î t re devant vous. . .

Afin de vivre dans un acte de parfa i t Amour , J E M ' O F F R E COMME VICTIME D ' H O L O C A U S T E A VO-

T R E AMOUR MISERICORDIEUX, vous suppl iant de me consumer sans cesse, laissant déborder en mon âme, les flots de tendresse infinie qui sont renfermés en vous et qu 'a ins i je devienne Martyre de votre Amour , ô mon Dieu !. . .

Que ce Martyre après m 'avo i r préparée à paraî t re devant vous me fasse enfin mour i r et que mon âme s 'élance sans re ta rd dans l 'é ternel embrassement de Vo- tre Miséricordieux Amour . . .

Je veux. ô mon Bien-Aimé, à chaque bat tement de mon c œ u r vous renouveler cette offrande u n nombre

infini de fois j u squ ' à ce que les ombres s 'é tant éva- nouies, je puisse vous redire mon Amour dans u n Face à Face Eternel !

Marie , Françoise, Thérèse de l 'Enfan t - Jésus et de la Sainte Face, rel. carm. ind.

Fête de la Très Sainte Trini té .

Le 9 Ju in de l ' an de grâce 1895.

Histoire d'une âme (1898)

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LA PRESIDENTE DE TOURVEL

La Présidente de Tourvel à... (Dictée par elle et écrite par sa femme de chambre)

Etre cruel et malfaisant, ne te lasseras-tu point de me persécuter ? Ne te suffit-il pas de m'avoir tourmen- tée, dégradée, avilie, veux-tu me ravir jusqu'à la paix du tombeau ? Quoi ! dans ce séjour de ténèbres où l'igno- minie m'a forcée de m'ensevelir, les peines sont-elles sans relâche, l'espérance est-elle méconnue ? Je n'im- plore point une grâce que je ne mérite point : pour souffrir sans me plaindre, il me suffira que mes souf- frances n'excèdent pas mes forces. Mais ne rends pas mes tourments insupportables. En me laissant mes dou- leurs, ôte-moi le cruel souvenir des biens que j'ai per- dus. Quand tu me les as ravis, n'en retrace plus à mes yeux la désolante image. J'étais innocente et tranquille : c'est pour t'avoir vu que j'ai perdu le repos ; c'est en t'écoutant que je suis devenue criminelle. Auteur de mes fautes, quel droit as-tu de les punir ?

Où sont les amis qui me chérissaient, où sont-ils ? mon infortune les épouvante. Aucun n'ose m'approcher. Je suis opprimée, et ils me laissent sans secours ! Je meurs, et personne ne pleure sur moi. Toute consolation m'est refusée. La pitié s'arrête sur les bords de l'abîme où le criminel se plonge. Les remords le déchirent, et ses cris ne sont pas entendus !

Et toi, que j'ai outragé ; toi, dont l'estime ajoute à mon supplice ; toi, qui seul enfin aurais le droit de te venger, que fais-tu loin de moi ? Viens punir une femme infidèle. Que je souffre enfin des tourments mérités. Déjà je me serais soumise à ta vengeance : mais le cou- rage m'a manqué pour t'apprendre ta honte. Ce n'était

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point dissimulation, c'était respect. Que cette lettre au moins t 'apprenne mon repentir. Le ciel a pris ta cause ; il te venge d 'une injure que tu as ignorée. C'est lui qui a lié ma langue et retenu mes paroles ; il a craint que tu ne me remisses une faute qu'il voulait punir. Il m'a soustraite à ton indulgence, qui aurait blessé sa justice.

Impitoyable dans sa vengeance, il m'a livrée à ce- lui-là même qui m'a perdue. C'est à la fois. pour lui et par lui que je souffre. Je veux le fuir, en vain, il me suit ; il est là ; il m'obsède sans cesse. Mais qu'il est dif- férent de lui-même ! Ses yeux n'expriment plus que la haine et le mépris. Sa bouche ne profère que l'insulte et le reproche. Ses bras ne m'entourent que pour me dé- chirer. Qui me sauvera de sa barbare fureur ?

Mais quoi ! c'est lui... Je ne me trompe pas ; c'est lui que je revois. Oh ! mon aimable ami ! reçois-moi dans tes bras ; cache-moi dans ton sein : oui, c'est toi, c'est bien toi ! Quelle illusion funeste m'avait fait te mé- connaître ? combien j'ai souffert dans ton absence ! Ne nous séparons plus, ne nous séparons jamais. Laisse-moi respirer. Sens mon cœur, comme il palpite ! Ah ! ce n'est plus de crainte, c'est la douce émotion de l'amour. Pourquoi te refuser à mes tendres caresses ? Tourne vers moi tes doux regards ! Quels sont ces liens que tu cher- ches à rompre ? pourquoi prépares-tu cet appareil de mort ? qui peut altérer ainsi tes traits ? que fais-tu ? Laisse-moi : je frémis ! Dieu ! c'est ce monstre encore ! Mes amies, ne m'abandonnez pas. Vous qui m'invitiez à le fuir, aidez-moi à le combattre ; et vous qui, plus indulgente, me promettiez de diminuer mes peines, ve- nez donc auprès de moi. Où êtes-vous toutes deux ? S'il ne m'est plus permis de vous revoir, répondez au moins à cette lettre : que je sache que vous m'aimez encore.

Laisse-moi donc, cruel ! quelle nouvelle fureur t'anime ? Crains-tu qu'un sentiment doux ne pénètre iusqu'à mon âme ? Tu redoubles mes tourments ; tu me forces de te haïr. Oh ! que la haine est douloureuse ! comme elle corrode le cœur qui la distille ! Pourquoi me

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persécutez-vous ? que pouvez-vous encore avoir à me dire ? ne m'avez-vous pas mise dans l'impossibilité de vous écouter, comme de vous répondre ? N'attendez plus rien de moi. Adieu, Monsieur.

Paris, ce 5 décembre 17**

CHODERLOS DE LACLOS (1741-1803)

Les Liaisons dangereuses (1782)

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RENEE VIVIEN

Pauline Tarn, d'origine américaine et anglaise, est un poète français assez peu connu. Elle a traduit Sapho et chanta tout au long de ses vers l 'amour lesbien. Elle écrivit un roman, La Dame à la louve, et plusieurs re- cueils de poèmes dont : Etudes et préludes, Sillages, Cendres et poussières, etc.

Le pilori

Pendant longtemps, je fus clouée au pilori, Et des femmes, voyant que je souffrais, ont ri.

Puis des hommes ont pris dans leurs mains une boue Qui vint éclabousser mes tempes et ma joue.

Les pleurs montaient en moi, houleux comme des flots, Mais mon orgueil me fit refouler mes sanglots.

Je les voyais ainsi, comme à travers un songe Affreux et dont l 'horreur s'irrite et se prolonge.

La place était publique et tous étaient venus, Et les femmes jetaient des rires ingénus.

Ils se lançaient des fruits avec des chansons folles, Et le vent m'apportait le bruit de leurs paroles.

J 'a i senti la colère et l 'horreur m'envahir. Silencieusement, j'appris à les haïr.

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Les insultes cinglaient, comme des fouets d'ortie. Lorsqu'ils m'ont détachée enfin, je suis partie.

Je suis partie au gré des vents. Et depuis lors Mon visage est pareil à la face des morts.

A l'heure des mains jointes (1906)

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CECILE VOLANGES

Lettre XCVII

Cécile Volanges à la marquise de Merteuil

Ah ! mon Dieu, Madame, que je suis affligée ! que je suis malheureuse ! Qui me consolera dans mes pei- nes ? qui me conseillera dans l'embarras où je me trou- ve ? Ce M. de Valmont... et Danceny ! non, l'idée de Danceny me met au désespoir... Comment vous racon- ter ? comment vous dire ?... Je ne sais comment faire. Cependant mon cœur est plein... Il faut que je parle à quelqu'un, et vous êtes la seule à qui je puisse, à qui j'ose me confier. Vous avez tant de bonté pour moi ! Mais n'en ayez pas dans ce moment-ci ; je n'en suis pas digne : que vous dirai-je ? je ne le désire point. Tout le monde ici m'a témoigné de l'intérêt aujourd'hui... ils ont tous augmenté ma peine. Je sentais tant que je ne le méritais pas ! Grondez-moi au contraire ; grondez-moi bien, car je suis bien coupable : mais après, sauvez- moi ; si vous n'avez pas la bonté de me conseiller, je mourrai de chagrin.

Apprenez donc... ma main tremble, comme vous voyez, je ne peux presque pas écrire, je me sens le visage tout en feu... Ah ! c'est bien le rouge de la honte. Hé bien ! je la souffrirai ; ce sera la première punition de ma faute. Oui, je vous dirai tout.

Vous saurez donc que M. de Valmont, qui m'a re- mis jusqu'ici les lettres de M. Danceny, a trouvé tout d'un coup que c'était trop difficile ; il a voulu avoir une clef de ma chambre. Je puis bien vous assurer que je ne voulais pas ; mais il a été en écrire à Danceny, et Dan- ceny l'a voulu aussi ; et moi, ça me fait tant de peine

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quand je lui refuse quelque chose, surtout depuis mon absence qui le rend si malheureux, que j'ai fini par y consentir. Je ne prévoyais pas le malheur qui en arri- verait.

Hier, M. de Valmont s'est servi de cette clef pour venir dans ma chambre, comme j'étais endormie ; je m'y attendais si peu, qu'il m'a fait bien peur en me réveil- lant ; mais comme il m'a parlé tout de suite, je l 'ai re- connu, et je n'ai pas crié ; et puis l'idée m'est venue d'abord, qu'il venait peut-être m'apporter une lettre de Danceny. C'en était bien loin. Un petit moment après, il a voulu m'embrasser ; et pendant que je me défendais, comme c'est naturel, il a si bien fait, que je n'aurais pas voulu pour toute chose au monde... mais, lui voulait un baiser auparavant. Il a bien fallu, car comment faire ? d'autant que j'avais essayé d'appeler, mais outre que je n'ai pas pu, il a bien su me dire que s'il venait quelqu'un, il saurait bien rejeter toute la faute sur moi ; et en effet, c'était bien facile, à cause de cette clef. Ensuite il ne s'est pas retiré davantage. Il en a voulu un second ; et celui-là, je ne savais pas ce qui en était, mais il m'a toute troublée ; et après, c'était encore pis qu'auparavant. Oh ! par exemple, c'est bien mal ça. Enfin après..., vous m'exempterez bien de dire le reste ; mais je suis malheureuse autant qu'on peut l'être.

Ce que je me reproche le plus, et dont pourtant il faut que je vous parle, c'est que j 'ai peur de ne pas m'être défendue autant que je le pouvais. Je ne sais pas comment cela se faisait : sûrement, je n'aime pas M. de Valmont, bien au contraire ; et il y avait des mo- ments où j'étais comme si je l'aimais... Vous jugez bien que ça ne m'empêchait pas de lui dire toujours que non : mais je sentais bien que je ne faisais pas comme je di- sais ; et ça, c'était comme malgré moi ; et puis aussi, j'étais bien troublée ! S'il est toujours aussi difficile que ça de se défendre, il faut y être bien accoutumée ! Il

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est vrai que M. de Valmont a des façons de dire, q u ' o n ne sait pas comment faire pour lui répondre : enfin, croiriez-vous que quand il s ' en est allé, j ' e n étais comme fâchée, et que j ' a i eu la faiblesse de consentir qu ' i l re- vînt ce soir : ça me désole encore plus que tout le reste.

Oh ! malgré ça, je vous promets bien que je l ' em- pêcherai d ' y venir. Il n ' a pas été sorti, que j ' a i bien senti que j ' avais eu bien tort de lui promettre . Aussi, j ' a i pleuré tout le reste du temps. C'est surtout Danceny qui me faisait de la peine ! toutes les fois que je songeais à lui mes pleurs redoubla ient que j ' e n étais suffoquée, et j ' y songeais tou jours . . . , et à présent encore, vous en voyez l ' e f fe t ; voilà mon papier tout t rempé. Non, je ne me consolerai jamais, ne fût-ce q u ' à cause de lui . . . En- f in, je n ' e n pouvais plus, et pour tan t je n ' a i pas pu dor- m i r une minute . E t ce mat in en me levant, quand je me suis regardée au miroi r , je faisais peur , tant j 'é tais changée.

Maman s 'en est aperçue dès quelle m ' a vue et elle m ' a demandé ce que j 'avais . Moi, je me suis mise à pleu- re r tout de suite. J e croyais qu 'e l le m 'a l la i t gronder , et peut-être ça m ' a u r a i t fait moins de peine : mais, au con- t ra i re . Elle m ' a parlé avec douceur ! Je ne le méritais guère. Elle m ' a dit de ne pas m'af f l iger comme ça. Elle ne savait pas le sujet de mon affliction. Que je me ren- drais malade. Il y a des moments où je voudrais être morte . J e n ' a i pas pu y tenir . Je me suis jetée dans ses bras en sanglotant, et en lui disant : « Ah ! Maman, vo- tre fille est bien malheureuse ! » Maman n ' a pas pu s ' empêcher de p leurer un peu ; et tout cela n ' a fait qu ' augmen te r mon chagrin : heureusement elle ne m ' a pas demandé pourquoi j 'é tais si malheureuse, car je n ' au ra i s su que lui dire.

J e vous en supplie, Madame, écrivez-moi le plus plus tôt que vous pourrez, et dites-moi ce que je dois faire, car je n ' a i pas le courage de songer à r ien, et je ne sais que m'aff l iger . Vous voudrez bien m'adresser votre lettre par M. de Valmont ; mais je vous en prie, si

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vous lui écrivez en même temps, ne lui parlez pas que je vous aie rien dit.

J 'ai l 'honneur d'être, Madame, avec toujours bien de l'amitié, votre très humble et très obéissante servan- te...

Je n'ose pas signer cette lettre.

Du château de... , ce 1er octobre 17**

CHODERLOS DE LACLOS (1741-1803)

Les Liaisons dangereuses (1782)

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VIRGINIA WOOLF

Romancière et essayiste anglaise, Virginia Woolf et son mari fondèrent une maison d'édition : The Hogarth Press, qui révéla de nombreux jeunes auteurs. Dans son œuvre, l'action compte peu. Seuls les états de conscience successifs, reflets du monde extérieur, l'intéressent. Elle se suicida dans la crainte de la folie. Elle publia : La Traversée des apparences, Mrs Dalloway, Les Va- gues, Orlando, Une chambre à soi, etc.

Le grand changement qui s'est insinué dans les li- vres de femmes est, semblerait-il, un changement d'at- titude. La femme écrivain n'est plus amère. Elle n'est plus en colère. Elle ne plaide plus et ne proteste plus quand elle écrit. Nous approchons du temps — si nous ne l'avons pas encore atteint — où ce qu'elle écrit ne sera plus, ou sera peu troublé par une influence exté- rieure. Elle sera capable de se concentrer sur sa vision sans se laisser distraire. La possibilité de s'isoler, qu'avaient autrefois les femmes douées d'un génie créa- teur, les femmes ordinaires commencent seulement à l'avoir. C'est pourquoi le roman moyen écrit par une femme est beaucoup plus sincère et plus intéressant qu'il y a cent ans, ou même cinquante ans.

Mais il reste vrai qu'avant qu'une femme puisse écrire exactement comme elle désire écrire elle doit sur- monter de nombreuses difficultés. Pour commencer, il y a cette difficulté technique, si simple en apparence, en réalité si gênante, que la forme même de la phrase ne lui convient pas. C'est une phrase faite par les hom- mes ; elle est trop lâche, trop lourde, trop pompeuse pour une femme. Et pourtant, dans un roman, qui s'é-

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tend sur un si vaste champ, il faut trouver une phrase ordinaire, usuelle, qui porte facilement et naturelle- ment le lecteur d'un bout à l'autre du livre. Cela, une femme doit le faire pour son propre compte, en modi- fiant et en adaptant la phrase courante jusqu'à ce qu'elle en écrive une qui prenne la forme naturelle de sa pen- sée sans l'écraser ni la déformer.

Ce n'est là il est vrai qu'un moyen en vue d'une fin, et la fin n'est atteinte que quand une femme a eu le courage de ne pas céder à l'opinion hostile et a résolu d'être sincère avec elle-même. Car un roman traite en somme de mille objets différents : humains, naturels, divins ; c'est une tentative pour les mettre en rapport les uns avec les autres. Dans tout roman de valeur ces différents éléments sont mis à leur place par la force de la vision de l'écrivain. Mais ils obéissent encore à un au- tre ordre, celui que leur impose la convention. Et com- me les hommes sont les arbitres de cette convention, comme ils ont établi dans la vie une échelle de valeurs, et que le roman est en grande partie basé sur la vie, ces valeurs y prévalent aussi dans une très grande mesure.

Toutefois il est probable que dans la vie comme dans l'art les valeurs ne sont pas pour une femme ce qu'elles sont pour un homme. Quand une femme se met à écrire un roman elle constate sans cesse qu'elle a envie de changer les valeurs établies — rendre sérieux ce qui semble insignifiant à un homme, rendre quelconque ce qui lui semble important. Et, naturellement, le critique l'en blâmera ; car le critique du sexe opposé sera sin- cèrement étonné, embarrassé devant cette tentative pour changer l'échelle courante des valeurs ; il verra là non simplement une vue différente mais une vue faible ou banale ou sentimentale, parce qu'elle diffère de la sien- ne.

Mais ici encore les femmes en viennent à se libérer de l'opinion. Elles commencent à respecter leur propre sens des valeurs. C'est pour cette raison que la substance de leurs romans commence à montrer certains change-

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ments. Il semblerait que les femmes qui écrivent soient moins intéressées par elles-mêmes ; en revanche elles sont plus intéressées par les autres femmes. Au début du X I X siècle, les romans de femmes étaient en grande partie autobiographiques. L'un des mobiles qui les fai- saient écrire était le désir de décrire leur propre souf- france, de plaider leur propre cause. Maintenant que ce désir n'est plus si pressant, les femmes commencent à explorer le domaine des femmes, à écrire sur les fem- mes comme on n'a jamais écrit sur elles auparavant ; car jusqu'à une époque très récente les femmes en littéra- ture étaient bien entendu une création des hommes.

Ici encore il y a des difficultés à surmonter car, s'il est permis de généraliser, non seulement les femmes se prêtent moins directement à l'observation que les hommes mais leur vie est beaucoup moins mise à l'épreu- ve par le cours ordinaire des jours. Souvent rien de tan- gible ne reste de la journée d'une femme. La nourriture qu'elle a préparée est mangée ; les enfants qui ont été l'objet de ses soins sont partis à travers le monde. Où l'accent tombe-t-il ? Quel est pour le romancier le point saillant à saisir ? Il est difficile de le dire. La vie d'une femme a un caractère anonyme qui est décevant, décon- certant à l'extrême. Pour la première fois cette contrée obscure commence à être explorée dans le roman ; et en même temps la romancière doit aussi tenir compte des changements que l'accès aux professions libérales a ame- nés dans l'esprit et dans les habitudes des femmes. Elle doit observer comment leur vie a cessé de cheminer sou- terrainement ; elle doit découvrir quelles couleurs nou- velles, quelles ombres nouvelles se montrent en elles à présent qu'elles sont exposées au plein jour.

( . . . ) Nous pouvons nous attendre à ce que le rôle du taon, de l'aiguillon pour le char de l'Etat, jusqu'à présent une prérogative mâle, soit maintenant partagé avec les femmes. Leurs romans s'occuperont des maux sociaux et de leurs remèdes. Leurs personnages ne se- ront plus étudiés uniquement sur le plan des relations

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sentimentales mais dans ce qui les lie et les oppose en groupes, en classes, en races. C'est là un changement de quelque importance. Mais il en est un autre , plus inté- ressant pour ceux qui préfèrent le papil lon au taon, le poète au réformateur . Plus d ' impersonnal i té dans la vie des femmes encouragera l ' inspirat ion poétique, et c 'est en poésie que le roman de femme reste le plus pauvre. La romancière sera moins préoccupée des faits et elle ne se contentera plus de rendre compte avec une é tonnante acuité des menus détails qu 'el le observe. Au-delà des relations personnelles et des rapports sociaux et politi- ques, elle se posera les vastes problèmes que le poète es- saie de résoudre : notre destinée, le sens de la vie.

Bien entendu l 'a t t i tude poétique dépend en grande partie d 'éléments matériels. Elle demande du loisir, et un peu d 'a rgent , et cette possibiliité que l ' a rgen t et le loisir vous donnent d 'observer impersonnel lement et im- part ialement. Si elles ont de l ' a rgent et d u loisir les femmes seront amenées à pra t iquer plus qu ' i l ne leur a été possible jusqu 'à présent le métier des Lettres. Elles feront de leur ins t rument d 'écr ivain un usage plus com- plet et plus subtil. Leur technique deviendra plus har - die et plus riche.

Dans le passé, la vertu d ' u n livre de femme se trou- vait souvent dans une exquise spontanéité, analogue à celle du chant du merle ou de la grive. Ver tu non ap- prise, venue du cœur . Mais c 'é tai t aussi, et beaucoup plus souvent, bavardage, loquacité, simples propos jetés sur le papier pour y sécher en gribouillis et en pâtés. A l 'avenir , avec du temps, des livres et un petit coin à elles dans la maison, les femmes, tout comme les hom- mes, verront dans la l i t térature u n art qu ' i l faut étu- dier. Leur don sera exercé et fortifié. Le roman cessera

d 'ê t re un dépotoir pour les émotions personnelles. I l de- viendra, plus qu ' i l ne l 'est à présent, une œuvre d ' a r t comme une autre ; ses ressources et ses frontières seront explorées.

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De là, il n'y a qu'un pas pour en arriver à la pra- tique des arts intellectuels, jusqu'à ce jour si peu prati- qués par les femmes : essais et critique, histoire et bio- graphie. Et le roman lui-même en bénéficiera, car les romancières écriront de meilleurs romans, et celles qui ont été attirées vers le roman par sa facilité, alors que leur vocation est ailleurs, y renonceront. Ainsi le roman sera débarrassé de ces excroissances d'histoires et de faits qui aujourd'hui le défigurent tant.

S'il nous est permis de prophétiser, les femmes écri- ront à l'avenir moins de romans, mais de meilleurs ; et pas seulement des romans mais aussi de la poésie, de la critique, de l'histoire. Mais c'est là bien sûr une vision de cet âge d'or, de cet âge peut-être fabuleux où la fem- me aura ce qui lui a été refusé si longtemps — des loi- sirs, de l'argent, et une chambre à elle *

Publié dans The Forum, mars 1929. Extrait de Granit and rainbow.

L'Art du roman

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H E L E N E X

L ' E x p é r i e n c e i n t é r i e u r e d e B a t a i l l e se p o u r s u i t a u f i l de t ous ses l iv res . P o u r l ' a u t e u r d u B l e u d u ciel e t d u

M o r t , l ' é r o t i s m e é t a i t u n m o y e n p r i v i l ég i é d ' a t t e i n d r e

l a c o n n a i s s a n c e d e soi. D a n s l ' e s p r i t d e l ' a u t e u r , M a

m è r e d e v a i t f a i r e s u i t e à M a d a m e E d w a r d a .

S o u d a i n je m e t r o u v a i d e v a n t m a m è r e ; elle s ' é t a i t

dégagée d e t o u t e é t r e i n t e , e l le a v a i t a r r a c h é le l o u p q u i

la m a s q u a i t e t e l le r e g a r d a i t o b l i q u e m e n t , c o m m e si, de

ce s o u r i r e o b l i q u e , elle a v a i t sou levé le p o i d s sous l e q u e l elle m o u r a i t .

E l l e d i t :

— T u n e m ' a s pas c o n n u e . T u n ' a s p a s p u m ' a t t e i n - d r e .

— J e t ' a i c o n n u e , l u i d i s - j e . M a i n t e n a n t , t u r e p o -

ses d a n s m e s b r a s . Q u a n d m o n d e r n i e r s o u f f l e v i e n d r a ,

je n e se ra i pas p l u s épu i s é .

— E m b r a s s e - m o i , m e d i t - e l l e , p o u r n e p l u s p e n s e r . M e t s ta b o u c h e d a n s la m i e n n e . M a i n t e n a n t , sois h e u -

r e u x à l ' i n s t a n t , c o m m e si je n ' é t a i s p a s r u i n é e , c o m m e si je n ' é t a i s pas d é t r u i t e . J e v e u x t e f a i r e e n t r e r d a n s ce

m o n d e de m o r t e t d e c o r r u p t i o n o ù d é j à t u sens b i e n q u e

je suis e n f e r m é e : je savais q u e t u l ' a i m e r a i s . J e v o u - d r a i s q u e m a i n t e n a n t t u d é l i r e s avec m o i . J e v o u d r a i s

t ' e n t r a î n e r d a n s m a m o r t . U n c o u r t i n s t a n t d u d é l i r e q u e

je te d o n n e r a i n e v a u t - i l pas l ' u n i v e r s d e so t t i se o ù ils

o n t f r o i d ? J e v e u x m o u r i r , « j ' a i b r û l é m e s v a i s s e a u x ».

T a c o r r u p t i o n é t a i t m o n œ u v r e : je t e d o n n a i s ce q u e

j ' a v a i s d e p l u s p u r et d e p lu s v i o l e n t , le dé s i r d e n ' a i - m e r q u e ce q u i m ' a r r a c h e les v ê t e m e n t s . Ce t t e fo i s , ce son t les d e r n i e r s ,

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Ma mère retira devant moi sa chemise et son pan- talon. Elle se coucha nue.

J'étais nu et, près d'elle, je m'allongeai. — Je sais maintenant, dit-elle, que tu me survivras

et que, me survivant, tu trahiras une mère abominable. Mais si plus tard tu te souviens de l'étreinte qui bientôt va t 'unir à moi. n'oublie pas la raison pour laquelle je couchais avec des femmes. Ce n'est pas le moment de parler de ta loque de père : était-ce un homme ? Tu le sais, j'aimais rire, et peut-être n'ai-je pas fini ? Jamais tu ne sauras jusqu'au dernier instant, si je riais de toi... Je ne t'ai pas laissé répondre. Sais-je encore si j 'ai peur ou si ie t'aime trop ? Laisse-moi vaciller avec toi dans cette joie qui est la certitude d 'un abîme plus entier, plus violent que tout désir. La volupté où tu sombres est déjà si grande oue je puis te parler : elle sera suivie de ta défaillance. A ce moment je partirai, et jamais tu ne reverras celle qui t'attendit. pour ne te donner que son dernier souffle. Ah, serre les dents, mon fils ! tu ressembles à ta pine, à cette pine ruisselante de rage qui crispe mon désir comme un poignet.

GEORGES BATAILLE (1897-1962)

Ma mère (1966)

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XAVIERE

Quand je me suis relevée, mes seins et un côté de mon visage étaient striés de rouge. Tandis que les clients se lavaient en disant des choses qui les faisaient rire, j 'ai regardé, dans la petite glace du lavabo, l 'autre côté, très blanc, de mon visage. J 'ai eu honte, mais aussi je me suis sentie fière. Triste et fière. Je n'avais jamais éprouvé cela. Il m'a semblé alors que je n'aurais jamais dû l'éprouver. Que je me trompais, ou que quelqu'un d'autre, en moi, s'était trompé. Comme si j'étais deux femmes qui en regardaient une troisième. J 'ai eu la gorge serrée. Il m'a semblé qu'à travers ces femmes étrangères, j'avais commencé de perdre celle qui était moi, et que, si je n'y prenais garde, je ne la retrouve- rais plus.

Après ces deux clients, il en est venu tout de suite un troisième. Ça n'était par un Arabe ; il m'a frappée, quand je ne m'y attendais pas, au lieu de me faire l'amour. J 'ai su que ça n'était pas un Arabe parce qu'il me l'a dit lui-même, et aussi parce qu'il était blond, très pâle et grand. Il portait des lunettes sombres, pas vrai- ment noires. Elles dissimulaient en partie son visage, et il ne les a ôtées à aucun moment.

Il s'est immédiatement adossé au mur. Il a souri. Ses lèvres étaient minces et je ne voyais pas ses yeux. J 'ai remarqué tout de suite qu'il portait à la main de grosses courroies de cuir jaune, refermées sur elles-mê- mes au moyen de boucles d'acier. Nous nous sommes observés, en silence, un moment. J 'a i avalé ma salive. Après le départ des deux hommes, je n'avais pas eu le temps de me laver, ni d'arranger mon visage ou d'utili- ser la boîte de plastique. J 'ai touché mon ventre. L'homme a cessé de sourire. Il m'a demandé crûment si j'avais mal d'avoir joui, et j'ai répondu que non. Il

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a partagé les courroies en deux tas, les a enfilées comme de gros bracelets. Il les a touchées, il a dit, en les re- gardant :

— Elles sont belles. Tu ne trouves pas qu'elles sont belles ?

Je n'ai pas répondu. Il a dit encore : — Tu n'as pas joui, n'est-ce pas. Je t'ai demandé

ça pour t'humilier et, d'une certaine manière, pour te punir. De même, tout à l'heure, c'est pour te punir que je te lierai sur le seau.

Il a ri avant d'ajouter : — Mais, tout à l'heure, quand ces courroies t'au-

ront massée. Il a dit « massée » comme il aurait dit « caressée »,

avec un bref sourire, en décollant ses épaules du mur contre lequel il s'était d'abord appuyé.

J'ai attendu qu'il vienne. Mon cœur s'était mis à taper. Nous avons tourné un moment autour du lit, mais ça n'a pas servi à grand-chose puisque, finalement, il m'a rejointe et jetée sur le sommier. Il a pris mes poi- gnets dans une seule main. les a réunis au-dessus de ma tête, il est resté ainsi immobile, haletant, debout à côté de moi. jusqu'à ce que j'ai eu cessé de me débattre. Ça n'est pas venu très vite. Puis j'ai fermé les yeux, il a dit :

— Salope.

La Punition

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FRANÇOISE XENAKIS

Critique littéraire, écrivain, dit faire de son lit sa table de travail.

D'abord en entrant elle lui dirait « Je t'aime » parce que lorsqu'ils l'avaient emmené cela faisait quelques jours qu'elle oubliait de l'aimer Il l'avait agacée par son exigence la voulait toujours parfaite Elle avait été désagréable puis s'était pu- nie et l'avait puni avec ce qu'elle appelait des riens Volontairement morose lourde agaçante sûre qu'elle avait tout son temps pour cesser ce qui n'était qu'un jeu

Elle lui dirait en riant « Je t'aime » parce qu'il ne fallait pas qu'il sache qu'elle avait totalement cessé de vivre depuis qu'on le lui avait arraché Elle rirait

Qu'il soit fier d'elle

Mais si on ne lui donnait pas ce papier elle ne pourrait pas le présenter en arrivant Pas de reçu pas de bateau Ça on le lui avait dit affirmé dès le début des démarches

Chaque jour les gardiens vers deux heures fai- saient tirer du puits des seaux d'eaux par le groupe D

Le groupe A qui attendait au garde-à-vous devait au pas de course prendre les seaux pleins et les vider sur les rochers de la jetée Les rochers devant c'était un ordre supérieur

être propres Très propres

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Elle sentait la sueur perler à son front Il allait être cinq heures

Des mois et des mois qu'elle rédigeait des demandes apportait des certificats les reprenait parce

que soudain caducs repartait revenait avec un nouveau tampon Quand tout allait y être on s'apercevait qu'un papier avait été égaré Il lui fallait tout re- commencer Deux fois déjà en prenant la lourde chemise où leurs deux noms étaient écrits en capitales rouges l'employée l'avait fait tomber Agenouillée un par un elle avait déchiffonné chaque feuillet tandis que la préposée aux écritures la regar- dait grande Deux fois elle s'était relevée et les lui avait tendus Ces papiers qui lui avaient pris ses derniers sourires ses dernières patiences ses dernières obéissances

Le dossier avait dû retourner au service de classement et là Attendre de nouveau son tour

Là où il y avait eu l'homme les cailloux étaient rouges Le chef avait interdit que l'on nettoie

(...) Je baise ta main Je baise ton épaule droite La nuit je dors près de toi et au matin je te réveille

Elle se secoua Il n'aurait pas aimé peut-être qu'elle rêve ainsi Non

Il faut que je me surveille Quand j'arriverai au camp quand il entrera il faudra que très vite je lui donne une gerbée de mots Que je ramasse tout ce qui peut être important pour lui et que je le lui donne en un seul élan Parce que sans doute nous n'au- rons pas beaucoup de temps