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Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2003 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 8 fév. 2020 06:35 Lien social et Politiques Les classes sociales et le Japon. Idéologie de la communauté nationale et inégalités sociales Social classes in Japan: The ideology of the national community and social inequalities Bernard Bernier Des sociétés sans classes ? Numéro 49, printemps 2003 URI : https://id.erudit.org/iderudit/007909ar DOI : https://doi.org/10.7202/007909ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Lien social et Politiques ISSN 1204-3206 (imprimé) 1703-9665 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Bernier, B. (2003). Les classes sociales et le Japon. Idéologie de la communauté nationale et inégalités sociales. Lien social et Politiques, (49), 113–129. https://doi.org/10.7202/007909ar Résumé de l'article La présence de classes sociales au Japon a été niée à partir de divers points de vue, soit que l’on insiste sur le caractère communautaire du pays, soit que l’on décrive la société japonaise comme homogène. Dans cet article, je défends la position que l’on peut appliquer au Japon, historiquement et à l’heure actuelle, une analyse de classes, les classes étant définies ici par la position dans les rapports socio-économiques. Avant 1868, la division de la société en classes faisait partie de l’idéologie officielle des autorités politiques. Cette division a officiellement disparu avec le changement de régime de 1868, mais des classes distinctes se sont maintenues à la fois dans le secteur agricole et dans le nouveau secteur industriel. Les réformes de 1945-1948 ont modifié la situation, notamment en produisant de plus faibles écarts de revenus et en redéfinissant les rapports internes aux entreprises. Mais des différences essentielles au niveau des revenus et du pouvoir dans les entreprises ont été maintenues. De plus, le contrôle politique dans la société entière et dans les grandes entreprises, fleurons du capitalisme japonais, a été renforcé dans les mains d’une minorité. Les différences de salaires et de contrôle politique indiquent la présence de personnes se situant différemment dans les rapports sociaux, donc de classes sociales.

Les classes sociales et le Japon. Idéologie de la ......Plusieurs auteurs japonais, à par-tir de divers points de vue, ont nié la pertinence d’une analyse de la société japonaise

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Lien social et Politiques

Les classes sociales et le Japon. Idéologie de la communauté nationaleet inégalités socialesSocial classes in Japan: The ideology of the national community andsocial inequalities

Bernard Bernier

Des sociétés sans classes ?Numéro 49, printemps 2003

URI : https://id.erudit.org/iderudit/007909arDOI : https://doi.org/10.7202/007909ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)

Lien social et Politiques

ISSN

1204-3206 (imprimé)1703-9665 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet article

Bernier, B. (2003). Les classes sociales et le Japon. Idéologie de la communauténationale et inégalités sociales. Lien social et Politiques, (49), 113–129.https://doi.org/10.7202/007909ar

Résumé de l'article

La présence de classes sociales au Japon a été niée à partir de divers points de vue,soit que l’on insiste sur le caractère communautaire du pays, soit que l’on décrive lasociété japonaise comme homogène. Dans cet article, je défends la position que l’onpeut appliquer au Japon, historiquement et à l’heure actuelle, une analyse de classes,les classes étant définies ici par la position dans les rapports socio-économiques.Avant 1868, la division de la société en classes faisait partie de l’idéologie officielledes autorités politiques. Cette division a officiellement disparu avec le changementde régime de 1868, mais des classes distinctes se sont maintenues à la fois dans lesecteur agricole et dans le nouveau secteur industriel. Les réformes de 1945-1948 ontmodifié la situation, notamment en produisant de plus faibles écarts de revenus et enredéfinissant les rapports internes aux entreprises. Mais des différences essentiellesau niveau des revenus et du pouvoir dans les entreprises ont été maintenues. De plus,le contrôle politique dans la société entière et dans les grandes entreprises, fleuronsdu capitalisme japonais, a été renforcé dans les mains d’une minorité. Les différencesde salaires et de contrôle politique indiquent la présence de personnes se situantdifféremment dans les rapports sociaux, donc de classes sociales.

Plusieurs auteurs japonais, à par-tir de divers points de vue, ont nié lapertinence d’une analyse de lasociété japonaise en termes declasses sociales. Pour eux, le Japonest une société sans classe. Cetteposition n’est évidemment pas sou-tenue par tous les analystes japonais,comme le démontre l’importancedes études inspirées du marxismedans les sciences sociales de l’après-guerre (voir, parmi bien d’autres,Sumiya, 1965 et 1967; Miyamoto,1989; Totsuka et Hyôdô, 1991;Rôdô Sôgi Shi Kenyûkai, 1991;Kamii, 1994; et Ishida, 1993). Demême, les opinions des spécialistesoccidentaux sont partagées†: si desanalystes comme Dore (1973†: 258),Smith (1983†: 104-105) ouEisenstadt (1996†: 773-774) nient laprésence de classes au Japon, Steven(1983), Mouer et Sugimoto (1986†:314-322) et Price (1997) en arriventà la conclusion contraire. Seule une

analyse plus poussée de la façondont la société japonaise a été carac-térisée, du cheminement de son évo-lution historique et de ses modesd’organisation actuels peut per-mettre de se prononcer sur la perti-nence d’une analyse de classes pourle Japon. C’est là l’objet de cetarticle, qui présente un examen som-maire de la question 1. L’examen sefera en trois étapes. Dans la pre-mière, je ferai une présentation desobjections de plusieurs spécialistesdu Japon à la pertinence d’une ana-lyse de classes pour le Japon. Dansla deuxième, très brève, je définiraile concept de classe sociale, quej’appliquerai, dans la troisième, à lasociété japonaise dans le passé et àl’heure actuelle.

Objections japonaises à uneanalyse de classes

Trois types d’objections ont étéavancés par des spécialistes japo-

nais pour nier la pertinence de l’ana-lyse en termes de classes socialespour le Japon. Les représentants lesplus connus de chacune de ces ten-dances sont Murakami Yasusukepour la première et la troisième etNakane Chie pour la seconde.Notons que toutes ces positions seplacent d’emblée en opposition àl’Occident, donc définissent leJapon en le distinguant des sociétésoccidentales, regroupées en un seulensemble culturel, selon ce queSakai Naoki (1997) a défini commele modèle de «†cofiguration†».

La première forme d’objection àl’application du concept de classessociales au Japon part de laconception de ce pays comme unecommunauté au sens strict, commegemeinschaft, c’est-à-dire commeune totalité sociale au sens plein,comme un ensemble de personnespartageant des conceptions, une

Les classes sociales et le Japon. Idéologie de la communauté nationale et inégalités sociales

Bernard Bernier

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sorte d’inconscient et un mode devie semblables. La société japo-naise, depuis des temps immémo-riaux, serait fondée sur une culturecommune, sur une sorte deconscience collective à la Durkheim(1893); elle serait même, selon unarchéologue connu (Egami, dansUmesao et Tada, 1972†: 32 et suiv.),la seule société moderne ayantconservé une mentalité de chas-seurs-cueilleurs.

Murakami, Kumon et Satô ontdéveloppé cette idée en détaildans un livre monumental qui aconnu beaucoup de notoriété(Murakami et al., 1979; voir unrésumé en anglais dansMurakami, 1984b) 2. Ces auteursont vu la source du communauta-risme japonais dans le système dela maisonnée. Selon Murakami etal., la maisonnée traditionnelledu Japon (qui se dit ie) est unecommunauté dont l’unité trans-cende la différenciation internedes fonctions. C’est donc la tota-lité qui prime et qui colore l’en-semble du fonctionnement de lamaisonnée. Selon ces auteurs, lasociété japonaise actuelle seraitstructurée de façon analogue†: ladifférenciation sociale n’y serait

pas de même nature que celle qui,en Occident, se fonde sur lesclasses sociales, puisqu’il y auraitune solidarité indéfectible entreles membres de chaque groupe etune absence de collaborationentre membres de même statut dedifférentes maisonnées (malgrécette absence de collaboration,paradoxalement, tous les Japonaisaccepteraient comme naturelleleur appartenance à la nation†!).

Cette position a été étendue auxentreprises modernes, qui consti-tuent le centre du capitalisme japo-nais actuel. Plusieurs auteurs, dontNakane (1967), Odaka (1984),Iwata (1978), Nakagawa et Ota(1981), Hamaguchi (1982), Itami(1987), Murakami (1987), Aoki(1988), Hayashi (1988) et Ozaki(1991), ont présenté les grandesentreprises actuelles comme étantprécisément des communautés.Ces auteurs avancent que le sort detous les membres, du plus humbleau PDG, est lié à celui de l’entre-prise comme totalité, que ce sortcommun crée un sentiment d’ap-partenance intense pour chacun desmembres. Ces caractéristiquesdécouleraient du système d’emploi«†à la japonaise†», comprenant leprétendu emploi à vie et la promo-tion dite à l’ancienneté. Le faitd’avoir un emploi assuré, malgréles vicissitudes du marché, entraî-nerait un enchevêtrement du sortde l’employé et de celui de sonentreprise. Par ailleurs, les possibi-lités de promotion pour tous signi-fieraient que les différenciations destatut et de fonction sont liées àl’ancienneté, que les petitsemployés ou ouvriers d’aujour-d’hui seront les directeurs de ser-vice ou les PDG de demain, donc

qu’il s’agit d’une différence dans lecheminement de carrière. Certainsvont même jusqu’à dire que lecapitalisme japonais aurait abolil’importance de la propriété juri-dique, l’ensemble des membres, duplus élevé au plus bas, étant en réa-lité, du fait de la participation ૆l’entreprise-communaut醻, lespropriétaires réels (Iwata, 1978;Murakami, 1987†: 42-43). Enfin,certains ont affirmé la disparitiondu pouvoir des cadres supérieursdans les entreprises, en faisantvaloir que les décisions y étaientprises de bas en haut, ce qui signi-fierait selon eux que ce sont lessalariés de la base qui exerceraientle vrai pouvoir (Nakagawa et Ota,1981†: 17-18; Koike, 1984†: 199-202; Nitta, 1988†: 281-282; Koike,1995a†: 257-258). En résumé, pources auteurs, la structure égalitaireet participative des entreprisesjaponaises aurait pour effet l’ab-sence de différenciation perma-nente entre les personnes, ce quienlèverait toute base de définitionde classes, du moins à partir desentreprises.

La deuxième objection à la per-tinence d’une analyse de classespart elle aussi de la maisonnée,mais interprétée différemment.L’anthropologue Nakane Chie enest l’auteur (Nakane, 1967). Selonlui, le Japon n’est pas divisé hori-zontalement en classes inégales,mais bien verticalement, selon lesmaisonnées; de là le titre de sonouvrage, en traduction littérale†:Les relations interpersonnellesdans une société structurée verti-calement. Théorie pour com-prendre une société homogène. Ontrouve donc dans ce titre à la fois

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l’idée de verticalité et celle d’ho-mogénéité.

Selon Nakane, il n’y aurait pasau Japon, même dans les années1960, de divisions horizontales, desolidarités entre personnes ayant lemême métier ou la même positionsociale. Au contraire, la solidaritéserait définie par l’organisationdont on fait partie, excluant la sym-pathie entre personnes ayant despositions semblables dans deuxorganisations différentes. Ce modede fonctionnement aurait eu sasource dans le système des maison-nées féodales. La maisonnée féo-dale était vue par ses membres etpar l’administration comme uneunité, responsable de ses membres.Cette unité était différenciée, dis-tinguant clairement les chefs suc-cessifs des autres membres. Lamaisonnée comprenait toutes lespersonnes qui y étaient présentes àun moment donné, quel que soit lelien de parenté. C’est ainsi que lamaisonnée, bien que fondée sur laparenté, était plus qu’une organisa-tion familiale. Elle se définissaitcomme une personne morale, unesorte de corporation, qui agissaitcomme un tout.

Le schéma de Nakane reconnaîtla différenciation sociale, mais àl’intérieur d’une organisation, lamaisonnée, refermée en quelquesorte sur elle-même et empêchantles gens placés dans une mêmesituation au sein des diverses mai-sonnées de collaborer. La différen-ciation est donc admise d’unecertaine façon, mais Nakane en niel’importance. L’important, pourelle, c’est la structure verticale, cesont les organisations parallèles,qu’elle compare aux cheminées

d’usine. La maisonnée devientalors le principe d’explication de lasociété entière, le principe structu-ral fondamental, qui subsume tousles autres (voir aussi Hsu, 1975).

La troisième position est défen-due encore une fois par Murakami(1984a; pour un résumé en anglais,voir Murakami, 1982; pour une cri-tique, voir Bernier, 1994b). Sansrejeter sa première position, fondéesur l’importance de la maisonnée,il y ajoute un autre élément, celuidu développement au Japon d’unesociété de masse, qu’il appelle entraduction littérale la société de «†lagrande masse moyenne†» (chûkantaishû). Selon Murakami, auJapon, au moins depuis la périoded’avant-guerre, se développe unesociété fondée sur l’homogénéitéculturelle et sociale et sur la méri-tocratie. La méritocratie seraitassurée par le système d’éducation,qui, par des examens anonymes,opère sur une base tout à fait objec-tive la sélection des meilleurs etl’élimination des plus faibles, sansinfluence de la naissance ou de larichesse. En dépit de ce type desélection des meilleurs, les proces-sus à l’œuvre après 1945 auraientengendré une société de massedans laquelle le mode de vie seraitessentiellement le même pour tousles Japonais; ceux-ci reconnaî-traient d’ailleurs ce fait dans lessondages d’opinion, en se classanttrès majoritairement (à plus de95†%) dans la classe moyenne.Murakami rejette le terme «†classemoyenne†», qui conserve desconnotations d’analyse de classes.Selon lui, ce type d’analyse, peut-être valable pour l’Occident maisde moins en moins, n’a pas sa placeau Japon, où la différenciation

sociale n’existe pas à proprementparler.

On peut donc voir que la néga-tion de la présence de classessociales au Japon peut se fondersur divers arguments. Les troispositions présentées précédem-ment peuvent être vues comme desinterprétations du Japon actuel,interprétations qui ont une basedans la réalité, mais qu’il faut ana-lyser en tant que discours par rap-port à cette réalité. Il s’agit donc,après une brève définition opéra-toire des classes sociales, d’exami-ner ces arguments pour voir s’ilss’appliquent vraiment au Japon.

Définition des classes sociales

Divers auteurs, à commencer parMarx, ont fait la distinction entreune situation structurelle de classeet une position politique associée àcette position. Marx parle ainsi desclasses en soi et des classes poursoi. Bourdieu (1984) a redéfini laposition de Marx en distinguantentre, d’une part, la situation dansun espace social multidimension-nel, situation que l’on construitdans l’analyse et qui donne desclasses théoriques, des classes surle papier, et, d’autre part, la défini-tion explicite de soi, associée àl’action politique, comme membred’une catégorie d’individus parta-geant sur un point ou un autre unsort commun. Pour Bourdieu, l’es-pace social est continu, il ne sedivise pas en classes aux frontièresclaires, ce qui rend possible plu-sieurs lectures explicites; autre-ment dit, la situation théorique declasse peut mener à diverses posi-tions politiques, certaines pouvantunir des personnes qui occupent

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des positions très éloignées dansl’espace social objectif.

La position de Bourdieus’éloigne de celle de Marx (en serapprochant de celle de Weber; voirWright, 1997, introduction) surdeux points essentiels. Première-ment, Bourdieu reproche à Marxd’avoir défini les classes stricte-ment par le «†capital économique†»,alors qu’une véritable théorie duclassement, selon lui, doit incorpo-rer d’autres aspects («†capitalsocial, capital culturel, capital sym-bolique†»). Selon Bourdieu, il fauttransformer l’approche unidimen-sionnelle des classes de Marx enune approche multidimensionnelledu classement. Deuxièmement,Bourdieu reproche à Marx d’avoirfait de la position politique declasse une conséquence directe dela situation objective dans l’espaceéconomique, donc d’opérer unesorte de promotion ontologique dela classe théorique, cette fois clai-rement délimitée, à la classe poli-tique, oubliant ainsi de tenircompte de «†la question même dupolitique†» (Bourdieu, 1984†: 5;1982; voir aussi Wright, 1997†:380). Il reproche donc à Marx,d’une part, de séparer l’espace

social en regroupements discretset, d’autre part, d’oublier ce que lediscours et le mouvement poli-tiques ajoutent, par l’effet de la«†force de la représentation†»(Bourdieu, 1982), à la situationobjective, d’oublier, donc, ce que lareprésentation crée comme effetpratique, matériel, dans le social.

On peut avec Bourdieu admettreque le passage de la classe sur lepapier à la classe politisée n’est pasautomatique, que la représentationcrée quelque chose de nouveau. Onpeut aussi admettre que les divi-sions dans l’espace social ne sontpas discrètes. Mais cela ne doit pasnous mener à nier l’importance dedifférences réelles dans cet espace.S’il est vrai qu’on ne voit pas for-cément les personnes qui partagentdes situations semblables ou conti-guës dans l’espace social se définirexplicitement de la même façon, iln’en reste pas moins que ces situa-tions existent. Ce que l’analyse declasses permet, c’est justement unrepérage, à l’aide de définitionsconceptuelles, de ces situationssemblables ou contiguës, de cesconcentrations topologiques autourde certaines situations, c’est lacapacité de saisir les concentra-tions dans un espace social à den-sité variable. Autrement dit,l’espace social n’est pas continu defaçon régulière, il comporte despoints de convergence des situa-tions qui permettent de définir lesclasses théoriques.

Mais il y a plus. Bourdieu sub-sume l’analyse des classes sous leprocessus de classement. Je n’aipas d’objection à reconnaître qu’ily a d’autres modes de classementexplicite que celui qui découle de

la place dans les rapports de pro-duction ou des rapports socioéco-nomiques plus larges. Mais tous lesmodes de classement, bien quedécoulant d’un procédé semblable(la définition explicite de groupes,de regroupements), ne sont paséquivalents. Les classements selonl’origine ethnique ou le genre nesont pas équivalents, ni équivalentsau classement selon les critèressocioéconomiques. Réduire laclasse au classement, outre le pro-blème de la réduction de l’impor-tance des différences objectivesdans l’espace social du fait de lapriorité accordée aux classementsexplicites, c’est neutraliser les dif-férences entre les modes de diffé-renciation sociale.

Dans le capitalisme, les rapportssociaux noués dans la sphère éco-nomique ont pris énormémentd’importance, ce qui donne à cetespace multidimensionnel qu’est lasociété selon Bourdieu un biaiséconomique important. S’il est vraique l’on ne peut étendre cetteimportance dans le temps et dansl’espace à des systèmes qui nefonctionnaient (ou ne fonctionnent)pas selon les mêmes principes, ilfaut néanmoins reconnaître que lesrapports sociaux dans la sphèreéconomique ont une place prépon-dérante dans le capitalisme. Ils’agit là sans aucun doute d’uneréalité historique, et non pas dequelque chose d’ontologique, quiserait inscrit dans l’essence mêmede l’humain et valable pour toutesles époques et toutes les régions.Mais cette «†réalit醻 historique doitêtre reconnue. Ce qui nous mène àdéfinir la différenciation socialecaractéristique des sociétés capita-listes comme étant fondée prioritai-

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rement sur la situation dans les rap-ports économiques, plus spécifi-quement dans l’ensemble desrapports sociaux qui ont trait à laproduction et à la distribution desbiens. Les classes sociales dans lecapitalisme se définissent donccomme des situations différentesdans les rapports socioécono-miques. Cela dit, il faut aussireconnaître l’importance des autrescritères de classement notés parBourdieu; cependant, dans l’espacesocial du capitalisme, ils s’insèrentdans la définition de la situationselon les critères socioécono-miques pour y opérer de nouvellesdivisions. Il ne fait pas de doute, eneffet, que la division des genres aun impact important sur la réparti-tion des personnes selon les cri-tères socioéconomiques, toutcomme l’appartenance ethnique ou«†raciale†» ou la situation géogra-phique (capitales et villes demoindre importance, régions cen-trales et régions éloignées). Mais,selon le fonctionnement du capita-lisme, ces critères m’apparaissentcomme s’inscrivant dans un espacesocial défini prioritairement parl’économique.

Cette position s’inspire des tra-vaux de Marx (Marx et Engels,1847; Marx, 1850, 1852, 1857,1871, 1875, 1894). Marx a écritabondamment sur les classessociales, mais il n’a pas beaucoupthéorisé le concept en tant que tel.Malgré tout, il est clair qu’il adéfini les classes sociales par lesrapports de production, c’est-à-direpar la propriété ou la non-propriétédes moyens de production. Pourlui, la société capitaliste, qui com-porte plusieurs «†classes†», a néan-moins tendance à la polarisation

entre la bourgeoisie, propriétairedes moyens de production, d’unepart, et, d’autre part, le prolétariat,c’est-à-dire, pour lui, la classeouvrière. Ces deux grandes classes,selon Marx, sont en lutte l’unecontre l’autre, et cette lutte est lemoteur de l’histoire (Marx etEngels, 1847†: 20).

Contrairement aux prévisions deMarx, la polarisation en deuxgrandes classes n’est pas survenue,malgré la lutte des classes, qui apris diverses formes au cours desXIXe et XXe siècles. Même si onévite de limiter la portée du conceptde «†propriét醻, donc si on y inclutnon seulement la propriété juri-dique mais aussi le contrôle réelque les cadres supérieurs exercentsur les moyens de production sansen être les propriétaires juridiques,il apparaît clairement que la défini-tion de Marx est insuffisante. Marxn’a pas prévu le développementimportant des emplois dans lesbureaux et dans les services, la mul-tiplication des postes de cadresmoyens ou la prolifération des pro-fessionnels et des travailleurs indé-pendants (sur ce dernier point, voiren particulier Boltanski etChiapello, 1999). Par ailleurs, il aminimisé la résilience des petitspropriétaires, la «†petite bourgeoi-sie†» traditionnelle (Myles etTuregun, 1994†: 108-112). Ces caté-gories actuelles entrent mal dans larépartition des classes selon la pro-priété des moyens de production.

Prenant appui sur Weber, plu-sieurs auteurs ont défini les classesdifféremment, notamment entenant compte de la variable«†consommation†» (Giddens, 1973;Goldthorpe, 1980). Giddens, par

exemple, définit les critères de dif-férenciation des classes selon deuxgrandes catégories†: premièrement,les attributs qui permettent de sedébrouiller dans le marché, commela propriété du capital, la qualifica-tion technique ou simplement lacapacité physique de travail, et,deuxièmement, les formes organi-sationnelles qui englobent ces attri-buts, comme la division du travailet les relations d’autorité dans lesentreprises ou les modèles deconsommation (Giddens, 1973†:107-109). Cette définition desclasses sociales dans le capitalismeest difficile à manier, à cause desnombreux critères qui la compo-sent. Mais elle nous donnequelques pistes.

D’autres auteurs se sont inspirésdirectement de Marx, mais en enmodifiant quelques éléments. Enpartant des attributs mentionnéspar Giddens, soit la propriété ducapital, la qualification et la forcede travail, et en y adjoignant le faitde travailler dans une entreprise oude façon indépendante (mais enexcluant la consommation, consi-dérée comme une conséquence dela position de classe), Ishida (voiraussi Wright, 1997), dans uneétude comparative de la structurede classes au Japon par rapport auxpays occidentaux, en arrive à défi-nir sept «†classes†»†: les employeurs(propriétaires juridiques et cadressupérieurs), la petite bourgeoisie(petits propriétaires), les cadres desentreprises, les professionnels, lestravailleurs non manuels (lesemployés de bureau qui font un tra-vail d’exécutant), les ouvriers qua-lifiés et les ouvriers non qualifiés(Ishida, 1993†: 166-168). Cettedivision a un caractère arbitraire,

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en ce sens que les classes sont défi-nies, non pas à partir de l’auto-identification des personneselles-mêmes, mais à partir de cri-tères théoriques. Il s’agit donc,dans les termes de Bourdieu, d’unedéfinition de classes théoriques.Cette définition sépare ce qued’autres regroupent, ou regroupe ceque d’autres distinguent. En outre,comme toute division en catégoriesdiscrètes, elle fige ce qui est enmouvement et elle pose des fron-tières claires entre les classes. Maisles critères étant relativementclairs, cette division, malgré lesdéfauts présents dans toute nomen-clature, en vaut bien une autre.Ishida n’a pas défini une classespéciale pour le travail qualifiéindépendant, qui s’est fortementdéveloppé depuis les années 1980,par exemple dans l’informatique(voir notamment Castells, 1998;Boltanski et Chiapello, 1999; ÔRiain, 2000; Meiskins et Whalley,2001; Sharpe, 2001). Ishida inclutces travailleurs dans les «†profes-sionnels†». Notons cependant queplusieurs personnes nominalementindépendantes se retrouvent dansdes formes de dépendance face àleur ancien employeur, qui, par des

pratiques comme l’outsourcing, aextériorisé un travail auparavantfait dans le cadre de l’entreprise,afin de diminuer les coûts. Lorsquele travailleur travaille exclusive-ment pour son ancien employeur,son indépendance est illusoirepuisqu’il se retrouve sous lecontrôle de son ancien patron(Myles et Turegun, 1994†: 110-112). En outre, plusieurs tra-vailleurs indépendants sont dansune situation précaire, sans travailrégulier et avec des revenus trèsbas. Ils vivent donc une situationqui s’apparente sur plusieurs pointsà celle de la frange inférieure duprolétariat industriel.

Ce que ce dernier cas nousindique, c’est que les divisionsthéoriques bien tranchées ne per-mettent pas de saisir toutes lesnuances des situations concrètes,puisqu’il y a toujours des per-sonnes qui se trouvent dans dessituations ambiguës par rapport àces découpages des classes.L’espace social est toujours en par-tie flou, flexible (Sørensen, 1994†:39), puisque toujours en mouve-ment à cause des luttes de classeset des modifications dans les rap-ports de production ou dans larépartition du travail et de larichesse†: de nouvelles situationsapparaissent (dans le cas des tra-vailleurs indépendants actuels,souvent à la suite de manœuvres«†de classe†» de la part desemployeurs visant à maximiser leprofit), des catégories perdent del’importance, comme celle despetits paysans, ou disparaissent(comme les propriétaires terriensau Japon juste après la guerre, voirplus bas), les personnes passentd’une position à l’autre selon les

circonstances et les générations. Parailleurs, le classement théorique necorrespond pas, en général, àl’auto-classement des personnes,puisque celui-ci dépend, non pasd’une analyse théorique, mais biende l’ensemble des croyances etdiscours répandus dans un endroitprécis. L’analyse de la structure declasse tend à figer un moment dansune réalité en mouvement et à sim-plifier le caractère complexe etflexible des positions dans l’es-pace social. Cependant elle peut,telle une carte schématique, per-mettre de s’orienter, du moins engros, dans un paysage compliqué.

Avant de poursuivre, il estimportant de noter certaines spéci-ficités du Japon, parmi les pays for-tement industrialisés, dans larépartition des personnes. En effet,le Japon compte une plus grandeproportion de salariés dans le sec-teur industriel que les États-Unis,le Canada et les pays d’Europe del’Ouest (sauf l’Allemagne) (voirKeizai Koho Center, 2001†: 94,tableau 9-2). Le gouvernement etles milieux d’affaires japonais onttoujours insisté pour conserver unelarge part de travail industriel,considérant la production manufac-turière comme le pilier de la pro-duction capitaliste. Par ailleurs, leJapon compte encore sur une forteproportion de petits commerçants(ibid.). Enfin, le taux de participa-tion des femmes au marché du tra-vail y est plus faible qu’auxÉtats-Unis, au Canada et enAngleterre, mais comparable àcelui de pays européens continen-taux (ibid.†: 95, tableau 9-3). Letaux de participation des femmesest particulièrement bas pour lestranches d’âge 25-40 ans, plusieurs

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femmes se retirant du marché dutravail au moment où elles semarient et ont des enfants. Aucontraire, il est particulièrementélevé pour les 60 ans et plus (voirBernier, 1995a†: 140, tableau 4.4,pour une comparaison internatio-nale). Les raisons de cette situationparticulière des Japonaises euégard au travail sont trop com-plexes pour être exposées ici. Maisnotons leur «†infériorit醻 tradition-nelle très forte, attribuable à la foisà l’impact idéologique du confu-cianisme, qui dévalorise lesfemmes face aux hommes, et àl’importance historique, avant1868, de la caste des guerriers etdes vertus «†viriles†». Notons aussil’insistance idéologique sur le rôlereproductif des femmes (Lock,1993†: chap. 4), qui les enjoint de seretirer du marché du travail aumoment d’avoir des enfants (bienque cette insistance se fasse beau-coup plus discrète dans les secteurs«†féminins†» comme l’éducationprimaire et les soins hospitaliers).Enfin, les femmes sont en généralexclues des postes de haute respon-sabilité.

Le Japon et les classes sociales

Avant 1945

Les théories niant la présence declasses au Japon portent autant surle passé que sur la situationactuelle. Cet article se concentresurtout sur la période plus récente,mais un bref examen de la situationhistorique s’impose. Avec l’expan-sion du capitalisme depuis le XVIe

siècle (Wallerstein, 1974, 1985,1990), l’influence des structureséconomiques et politiques issuesde l’Occident a eu pour effet une

certaine convergence, mais par-tielle et inégalement répartie dansle temps et dans l’espace, de l’or-ganisation économique et sociale àtravers le monde. J’ai analysé cepoint en détail auparavant pour cequi est du Japon (Bernier, 1988;voir aussi Itoh, 1993). En bref, leJapon s’est industrialisé enempruntant largement les systèmestechniques et les modes d’organi-sation venant de l’Occident. Lasociété japonaise a ainsi été modi-fiée en profondeur, malgré l’utili-sation de structures et d’idéologiesantérieures (entre autres, le rôlecentral de l’empereur, une formede gouvernement autocratique, etl’idéologie confucianiste de la hié-rarchie et du maintien de l’ordre).Le Japon est devenu une sociétécapitaliste, avec des structuresapparentées à celles des pays occi-dentaux, tout en conservant sesspécificités, attribuables, notam-ment, à une tradition culturelle dif-férente, inspirée en partie de laChine. L’éloignement culturel duJapon par rapport à l’Occident arapidement servi de moyen de dis-tinction et, par la même occasion,de moyen de créer une cohésionnationale excluant les divisionsinternes.

Du point de vue culturel, l’homo-généisation relative a été le fruit demesures diverses, certaines visantexpressément ce but. Sans entrerdans les détails des processus histo-riques du Japon féodal, on peutnoter que l’unification culturelle del’ensemble de la population consi-dérée comme japonaise (à l’exclu-sion donc des «†minorités†» 3) a suivila mise en place d’un Étatmoderne, en 1868. Le nouvel État adéfini canoniquement ce qu’était la

culture japonaise (notamment enstandardisant la langue) et imposécette norme comme base de l’édu-cation primaire obligatoire. Il fau-dra quand même attendre la fin dela guerre, en 1945, pour voir dispa-raître les derniers vestiges de cul-tures régionales, sauf les élémentsvoués au folklore.

L’homogénéité culturelle impo-sée par le gouvernement de Meijin’a pas été accompagnée de l’ho-mogénéisation sociale. En effet,les dirigeants du nouvel État de1868 étaient issus des anciennesclasses dirigeantes du Japon féodaldont ils avaient conservé plusieursattributs culturels, en particulier laconscience de leur supériorité et lemépris envers le peuple. De plus,leur vision de l’État était inspiréede l’autocratie antérieure et decelle qui avait cours dansl’Allemagne prussienne. Les auto-rités ont pris diverses mesures pourlimiter les droits démocratiques(les Japonais n’avaient pas dedroits comme tels, seulement desdevoirs envers l’empereur) et pourconsolider les différences sociales.Par exemple, la distance entre lesdirigeants politiques (et écono-miques, à la fois dans les usines età la campagne; voir plus bas) et le«†peuple†», c’est-à-dire, en gros, lespaysans, formant la majorité de lapopulation, les ouvriers, les petitscommerçants et les indigents, s’estmaintenue tout en étant redéfiniedans le cadre d’un État favorableau développement industriel. Enoutre, les dirigeants ont divisé clai-rement les rôles selon le genre,assignant aux hommes l’autorité etaux femmes, traitées comme desmineures (ce statut ne disparaîtraqu’avec les réformes imposées par

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les Américains après 1945), lestâches de la reproduction et del’éducation des enfants. Notonsque plusieurs femmes, venant engénéral de milieux populaires, onttravaillé en usine, contredisant lemodèle dominant. Les femmes ontmême formé la majorité de lamain-d’œuvre industrielle jusqu’àla Première Guerre mondiale, étantdonné l’importance du textile et laprépondérance de la main-d’œuvreféminine dans ce secteur. Mais lesfemmes ont été clairement écartéesdes postes importants, comme ellesl’avaient été dans le Japon féodal.Autrement dit, la promotion del’homogénéité culturelle n’a pasentraîné la volonté de faire dispa-raître les différences sociales.

Un penchant pour l’autocratie aaussi caractérisé la mentalité despremiers entrepreneurs capitalistes,dont plusieurs provenaient euxaussi de l’ancienne classe des guer-riers. Ces entrepreneurs ont imposédans les entreprises une structureautoritaire, visant à la fois lecontrôle d’une classe ouvrière dif-ficile à manier et le maintien descoûts de production au plus bas. Laformation de la classe ouvrière aoccasionné des problèmes, dans un

pays où n’avaient existé auparavantque quelques manufactures, mais,par un mélange de mesures incita-tives et de mesures coercitives, on aréussi autour de 1910 à susciter lacréation d’une main-d’œuvre suffi-sante pour les besoins de l’indus-trie (Bernier, 1988†: chap. 8).Cependant, les problèmes decontrôle n’ont été réglés que par lesmesures autoritaires des années deguerre. Les luttes ouvrières resurgi-ront en 1945, comme on le verra.

Il ne fait pas de doute qu’il exis-tait dans les premières décenniesdu capitalisme japonais des distinc-tions de classes claires, perçues parune bonne partie des Japonais eux-mêmes. On peut donc affirmerl’existence de situations de classesdistinctes et opposées, situationsconçues comme antagoniques parplusieurs dans la classe ouvrière etdans la paysannerie. Ces distinc-tions perçues ont mené à desactions de classe dans le milieuouvrier comme dans le milieurural. Dans l’industrie, de nom-breuses grèves et des tentatives demettre des organisations sur pied(malgré le caractère illégal de cesorganisations) en sont des manifes-tations. Le patronat a répondu enfaisant appel au gouvernement, quia envoyé l’armée et la police, déci-sion qui s’est souvent soldée pardes affrontements armés menant àla mort de certains participants.Les arrestations étaient fréquentes,tout comme l’emprisonnementvoire les exécutions. En milieurural, les luttes ont opposé lestenanciers, locataires de terres, auxpropriétaires terriens, appuyés parle gouvernement. Autrement dit, ily a eu à cette époque de véritables

luttes de classes, durement répri-mées, mais récurrentes.

La situation contemporaine

Pour ce qui est de la situationpostérieure à 1945, si l’on suivaitles descriptions officielles du Japondepuis 40 ans, et surtout les ana-lyses des grandes entreprises, on enviendrait à la conclusion desauteurs cités plus haut, à savoirqu’il n’y a pas de distinctions declasses au Japon. Les Japonaisappartiendraient tous en général àla classe moyenne. Par ailleurs,tous pourraient avoir accès auxpostes les plus élevés à travers unsystème méritocratique fondé surl’instruction et la compétence.Dans les entreprises, il existeraitdes hiérarchies fonctionnelles,mais dans lesquelles tous auraientla possibilité de monter. Il n’yaurait pas comme en Occident dedistinctions claires entre hauteadministration et simples salariés,car ces derniers, au Japon, auraientla possibilité d’accéder aux postesdes premiers. Autrement dit, le sys-tème d’entreprise japonais auraitréussi à définir une véritable démo-cratie industrielle, offrant à tous sesmembres les mêmes possibilités departicipation et les mêmes droits.Que peut-on dire sur ces sujets†?

Les analyses des distinctionssociales au Japon se fondent sou-vent sur la situation dans lesgrandes entreprises. Il ne fait pasde doute que les employés etouvriers des grandes entreprisessont privilégiés du point de vue dusalaire et des conditions de travail.En effet, seuls les salariés de cegenre de firmes et ceux du gouver-nement, outre les cadres de cer-

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taines PME, bénéficient du sys-tème d’entreprise mentionné plushaut, comprenant «†l’emploi à vie†»et la «†promotion à l’anciennet醻.Les autres Japonais, y compris lamajorité des femmes, en sontexclus. L’emploi à vie ne s’ap-plique donc depuis les années 1960et jusqu’à maintenant qu’à uneminorité de salariés, estimée à 20†%à 33†% de l’ensemble de la main-d’œuvre totale (Taira, 1962†: 167;Cole, 1979†: 61; Beck et Beck,1994†: 14). Or, les grandes entre-prises (500 salariés ou plus) n’em-ploient que 28†% de l’ensemble dessalariés, et environ le cinquièmed’entre eux sont considérés commedes employés irréguliers (la majo-rité des femmes, les travailleurstemporaires et les journaliers).

Pour avoir accès au travail régu-lier dans une grande entreprise, ilfaut certains attributs. Du côté descadres, il faut sortir d’une univer-sité reconnue. Plus l’université abonne réputation, plus le jeunediplômé a d’offres d’emploi inté-ressantes. Par contre, ceux qui sor-tent d’une université mal cotée oud’un cours technique sont exclusde ces emplois. Du côté desouvriers, un diplôme universitairen’est pas essentiel, mais la sélec-tion tient compte encore ici dessuccès scolaires. Le système méri-tocratique, fondé sur la réussitescolaire, sépare donc les gagnantsdes perdants. Tous en théorie ontaccès aux bonnes places, mais, enpratique, seuls ceux qui suiventcertaines trajectoires scolaires peu-vent y accéder. En outre, l’égalitéformelle des chances est biaisée enfaveur des plus riches; ceux-ci,outre leur école régulière, ont accèsà des écoles privées complémen-

taires, qui dispensent des cours lesoir et le samedi, et dont lesmeilleures coûtent très cher.Contrairement à la position deMurakami (1984b), le systèmefondé sur la succès scolaire ne créedonc pas l’égalité économique.

La majorité des salariés japo-nais, soit environ 72†%, œuvrentdonc dans des entreprises de moinsde 500 personnes; 53†% travaillentdans des entreprises de moins de100 salariés, et près de 35†% dansdes petites entreprises de moins de30 salariés (Japan Labor Bulletin,2001). Il est vrai que les grandesentreprises ont servi de modèlesaux PME, qui ont tenté de les imi-ter, mais les écarts dans les salaireset les conditions de travail sontconsidérables. Dans les PME, maisnon dans toutes, seuls les cadres etquelques employés ou ouvriers trèsqualifiés ont la sécurité d’emploi.Le petit commerce ne compte à peuprès que des travailleurs sans pro-tection.

Sans encore tenir compte desdistinctions dans les grandes entre-prises entre cadres de différentsniveaux et simples salariés, nousconstatons donc une séparationimportante entre, d’une part, lessalariés réguliers des grandes entre-prises (y compris des ouvriers), lescadres supérieurs et certains cadresmoyens de la plupart des PME et,d’autre part, l’ensemble des autressalariés des PME et les travailleursirréguliers des grandes entreprises.Parmi les travailleurs n’ayant pasaccès à la sécurité d’emploi, onpeut distinguer entre le personnelde bureau et du commerce et lesouvriers d’usine, bien que cetteséparation, fondée sur le caractère

du travail, ne soit pas très perti-nente quant au salaire et à l’auto-nomie au travail.

Mais peut-on trouver dans lesgrandes entreprises, fleurons ducapitalisme japonais, des diffé-rences permettant de parler declasses différentes†? Premièrement,s’il est vrai que les écarts de salaireentre PDG et simples employés ysont beaucoup plus faibles qu’enOccident, et surtout qu’aux États-Unis, on n’en constate pas moinsau Japon des inégalités de l’ordrede un à dix dans l’échelle salariale,et ce sans tenir compte des impo-sants comptes de dépenses desPDG et des cadres supérieurs nides bonis semi-annuels, qui sont auprorata du salaire de base.

Deuxièmement, pour ce qui estde l’emploi à vie, il s’agit d’un sys-tème de sécurité d’emploi limitéaux salariés (cadres, employés etouvriers) dits réguliers. Dès sesorigines, dans les années 1920(pour les cadres et quelques tra-vailleurs qualifiés seulement),l’emploi à vie a servi de moyenpour pénaliser la mobilité inter-firme. En effet, l’idée initiale étaitd’identifier ceux qui changeaientd’emploi, en dressant des listesnoires de personnes à ne pasembaucher. Après 1945, ce sys-tème a aussi servi à diviser les sala-riés selon leur entreprise, afin debriser la solidarité de classe crééepar les syndicats en 1945-1947.Autrement dit, un des résultatsrecherchés par cette politique étaitla compartimentation (voir McAll,1990†: 113), c’est-à-dire la sépara-tion des ouvriers, liés à leurs usinesrespectives. En outre, malgré lasécurité d’emploi, les entreprises,

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avec l’assentiment des syndicats,ont toujours pu éliminer des tra-vailleurs plus âgés, soit en les for-çant à une retraite anticipée, soit enles transférant à une filiale ou chezun sous-traitant (Gordon, 1998†:188 et suiv.). Il y a donc des limitesà la sécurité. Ces limites ont aug-menté avec la crise des années1990. En effet, non contentes delimiter l’embauche (voir plus bas),de se départir des travailleursconsidérés comme temporaires etde se défaire d’un plus grandnombre d’employés plus âgés parles transferts ou les retraites antici-pées, certaines entreprises ont pro-cédé au congédiement de salariésdits réguliers, donc qui bénéfi-ciaient théoriquement de la sécuritéd’emploi (Bernier, 2000; DeKoninck et al., 1999).

Troisièmement, s’il est vrai quel’ancienneté a servi de critère depromotion, elle a pris une placesecondaire par rapport à la compé-tence reconnue. En effet, depuis1950, l’ancienneté a toujours éténécessaire pour avoir accès à cer-tains échelons, mais la promotionréelle à ces échelons est fondée surla sélection, certains employésétant promus plus rapidement que

d’autres. En outre, les premiers àgravir les premiers échelons ont unavantage pour accéder aux éche-lons suivants. La sélection d’unepersonne plutôt que d’une autre sefonde sur les rapports d’évaluationdes supérieurs au sujet de la com-pétence (technique, sociale, etc.)de toutes les personnes de mêmeniveau; de là l’utilisation, plushaut, de l’expression «†compétencereconnue†». On a ainsi abouti à unsystème de promotion sélective, oùseuls quelques privilégiés, en géné-ral sélectionnés parmi les cadres(les ouvriers et les simplesemployés étant exclus), peuventaccéder aux postes les plus élevésde la hiérarchie.

Quatrièmement, il est importantd’examiner brièvement commentce système s’est implanté histori-quement (voir Bernier, 1979; 1985;1994a; 1995a†: chap. 5; 1995b;1996; voir aussi Moore, 1983;Gordon, 1985 et 1998; Totsuka etHyôdô, 1991; Price, 1997; Tsutsui,1998; Dower, 1999†: chap. 8). Cesystème est issu d’une dure lutteentre patronat et syndicat, une véri-table lutte de classes. En effet, lestravailleurs, dont les organisationsautonomes avaient été bannies pen-dant les années de guerre, se sontrapidement organisés durant lapériode de l’occupation militaireaméricaine (1945-1952). Les syn-dicats ont proliféré dès 1945 et ontconnu leur apogée en 1946-1947.Ces syndicats, d’inspiration socia-liste ou communiste, ont présentéplusieurs revendications qu’ils ontappuyées par des pratiques radi-cales, comme l’occupation desusines, la gestion des usines occu-pées sans la présence des cadressupérieurs et des PDG, la séques-

tration de patrons, etc. Par ces pra-tiques, les syndicats ont obtenuplusieurs nouveaux droits, dont lasécurité d’emploi, le salaire à l’an-cienneté, la disparition des distinc-tions radicales de statut entreouvriers et employés de bureau etentre simples salariés et cadres, etla participation paritaire des syndi-cats à des comités de gestion desentreprises. Ces droits ont été obte-nus par la lutte, lutte définie par lessyndiqués comme un affrontementopposant les simples ouvriers etemployés aux directions d’entre-prise, donc perçue consciemmentcomme une lutte de classes.

Les hautes directions des entre-prises, donc les patrons, ont réagi,en tant que classe, en créant denouvelles associations pour contrerles syndicats. Une de ces associa-tions, Nikkeiren, a été fondée spé-cifiquement pour éliminer lesnouveaux droits syndicaux. Lalutte du patronat a été appuyée parle gouvernement japonais, prochedes patrons depuis les débuts ducapitalisme, au milieu du XIXe

siècle (voir Bernier, 1988), et parles autorités américaines d’occupa-tion, qui jugeaient que les syndi-cats avaient empiété sur lesprérogatives patronales. En outre,avec le développement de la guerrefroide en Europe et les progrès duParti communiste en Chine, lesAméricains voulaient éliminer l’in-fluence des idées de gauche dansles syndicats japonais. Ils ontencouragé la création de syndicatsdits démocratiques par des dissi-dents du mouvement syndical, dis-sidents par ailleurs directementfinancés par les associations patro-nales. Par des mesures répressives(grève empêchée, congédiement

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forcé des gauchistes reconnus,pressions sur le gouvernementjaponais pour qu’il utilise la policepour briser le mouvement syndicalet emprisonne les récalcitrants), lesautorités américaines d’occupationont permis aux cadres supérieurs,entre 1948 et 1952, de rétablir leurcontrôle sur les entreprises. Mais lahaute direction des entreprises a dûreconnaître certains droits syndi-caux obtenus entre 1945 et 1948,dont la reconnaissance des syndi-cats, la sécurité d’emploi pour lestravailleurs réguliers (autant lesouvriers que les employés etcadres), les échelles de salairespartiellement fondées sur l’ancien-neté et les chances de promotionpour tous les réguliers. En échange,les nouveaux syndicats ont acceptéle contrôle complet des directionssur les entreprises (mais certainssyndicats, chez Nissan parexemple, ont obtenu voix au cha-pitre dans plusieurs domainesadministratifs, en l’occurrence àcause de la façon dont le nouveausyndicat «†démocratique†» s’étaitimplanté dans l’entreprise†: voirCusumano, 1985†: chap. 3).

Ainsi le système mis en placedans les entreprises japonaisesentre 1945 et 1955 apparaît-il clai-rement comme le fruit de la lutteentre patrons et ouvriers autour ducontrôle des entreprises. Après unepériode de contrôle ouvrier poussé,une contre-offensive patronaleappuyée par l’État a rétabli la pri-mauté des administrations. Danscette lutte, l’importance des pro-priétaires juridiques, déjà affaiblisaprès les réformes imposées par lesoccupants américains à cause de laparticipation des entreprises à l’ef-fort de guerre, a fortement diminué

au profit des administrateurs deséchelons supérieurs. Le systèmemis en place avait pour but d’assu-rer le contrôle de ces derniers touten éliminant les organisations etactivités militantes ouvrières. Cemode d’organisation nouveauconstituait donc un moyen dans lalutte des classes, un moyen patro-nal pour mater les luttes ouvrièresen incorporant les ouvriers dans unsystème qui liait le sort de l’em-ployé à celui de son entreprise etisolait les employés dans leursentreprises respectives (d’où ladivision en organisations parallèlesdécrite par Nakane). Ce systèmedonnait cependant aux salariés plu-sieurs avantages, dont la sécuritéd’emploi, en échange de la docilitéet du zèle au travail. De plus, il sefondait sur des échelles salarialescomportant des écarts relativementfaibles entre le sommet de la pyra-mide et la base, mais des écartsimportants par rapport aux salairespayés dans les PME. Enfin, sansdonner le pouvoir de décision auxsalariés de la base 4, il permettaitune participation active desemployés et ouvriers réguliers àl’amélioration du fonctionnementde l’entreprise (Bernier, 1995a†:chap. 6).

Ce système reposait néanmoinssur le contrôle patronal. L’impor-tance du contrôle apparaît claire-ment dans les volumineux dossierspersonnels que les entreprises tien-nent sur tous leurs employés,notant tous les détails pertinents, ycompris les péripéties de la vie per-sonnelle ou familiale des salariés.Elle apparaît aussi dans le soinavec lequel les entreprises sélec-tionnent leur main-d’œuvre. À par-tir des années 1950, les grandes

entreprises japonaises ont systéma-tisé un système d’embauche parti-culier, fondé sur l’entrée des jeunesrecrues une seule fois par année, le1er avril (au Japon l’année scolaireva du 1er avril au début de mars).Les jeunes sont recrutés après unesélection rigoureuse visant à élimi-ner tous ceux qui ne pourraient sevouer corps et âme à l’entreprise,par exemple ceux qui auraient par-ticipé à des activités politiques ouferaient partie de groupes religieuxparticuliers, ou les fils aînés, cen-sés s’occuper plus tard de leursparents âgés, tâche susceptible denuire à leur orientation unique versl’entreprise. Jusque dans les années1970, les grandes entreprises japo-naises ont refusé d’embaucher desjeunes venant des grandes villes,préférant ceux de la campagne, peuau courant des techniques et activi-tés syndicales. Après sélection, lesjeunes recrues sont invitées à unecérémonie d’entrée dans l’entre-prise†: là, on chante l’hymne del’entreprise, des représentants desparents des recrues transmettent laresponsabilité de leur enfant à l’en-treprise, un représentant des jeunesrecrues promet au nom de tous dese consacrer à l’entreprise, et descadres supérieurs convient lesjeunes à entrer dans la grandefamille de l’entreprise. Les jeunessont ensuite logés dans des dortoirsoù ils sont surveillés par ceux quisont entrés les années précédentes.

Mais le contrôle ne s’arrête paslà. Les salariés sont fortementencouragés à passer leurs heures deloisirs ensemble, notamment pouraplanir les difficultés liées au tra-vail. On les encourage aussi à pas-ser leurs vacances ensemble. Enfin,plusieurs entreprises encouragent

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les jeunes hommes à se marier avecdes jeunes femmes qui ont travaillédans l’entreprise pendant un cer-tain temps (plusieurs firmes, jusquedans les années 1980, ont eu unepolitique explicite de «†retraite†» à25 ans pour les femmes, et ce afinqu’elles se marient et s’occupentde leur famille), en supposant queces jeunes femmes comprendrontles exigences très lourdes du travaildans l’entreprise.

L’objectif du contrôle, c’est l’ac-cumulation du capital. Autrementdit, nous sommes encore ici claire-ment dans le capitalisme, aveccomme fondement l’accumulationdu capital et l’exploitation du tra-vail, malgré ces oukases pronon-çant la fin du capitalisme au Japon(le Japon aurait développé un sys-tème centré sur les humains, et nonsur le capital, qu’un auteur anommé en anglais le peoplism;Itami, 1987; voir aussi Ozaki,1991), ou annonçant l’arrivéed’une véritable démocratie indus-trielle (Nakagawa et Ota, 1981).Mais ce système a réussi effective-ment à enrayer à peu près touteaction ouvrière d’envergure, saufde vastes campagnes ritualiséesvisant strictement à l’augmentation

des salaires. La forte conscience declasse des ouvriers entre 1945 et1955 a disparu, et avec elle lesactions ouvrières. La conscience dela classe dirigeante l’a menéeautour de 1946-1947 à des organi-sations et à des actions concertées,ce qui a entraîné la défaite des syn-dicats militants, l’adaptation forcéedes salariés à un nouveau systèmed’entreprise, et la séparation dessalariés entre des entreprises qui sedéfinissent comme le centred’identification. La hausse phéno-ménale des revenus engendrée parla forte croissance des années 1955à 1973 a consolidé ce système, touten assurant une forte augmentationde la consommation et du niveaude vie. Autrement dit, tout en sépa-rant les travailleurs selon leurentreprise, le système mis en placea assuré des revenus en fortehausse, amenant par là même uneauto-définition explicite non pas enfonction de l’insertion dans les rap-ports de production, mais bien enfonction de l’entreprise dont on faitpartie et de l’appartenance à laclasse moyenne.

La hausse des salaires s’est peu àpeu répercutée aux PME, à cause,notamment, d’une pénurie grandis-sante de jeunes hommes fraîche-ment émoulus des écoles etuniversités. La hausse des salairesa permis d’atténuer les écarts derevenus et a encouragé la consom-mation. C’est là, me semble-t-il,que réside l’explication de l’auto-classement de la plupart desJaponais dans la classe moyenne.On l’a vu, le nouveau systèmed’entreprise créé après 1950 adonné lieu à une réduction desécarts de salaire entre les personnesdu haut et du bas de la hiérarchie. Il

faut dire que ce système étaitnécessaire pour justifier l’idéologiede l’entreprise-communauté. Maisil a néanmoins eu des effets sur lesrevenus et sur l’auto-définition dessalariés. L’expansion de l’emploiliée à la croissance a entraîné despénuries de main-d’œuvre et, donc,des hausses de salaires dans tousles secteurs (entre 1965 et 1990, lesécarts salariaux entre hommes etfemmes et entre grandes entre-prises et PME ont diminué forte-ment). L’agriculture, protégée parl’État, a aussi bénéficié de forteshausses de revenu (Bernier, 1980).Tous ces facteurs allaient dans lesens d’une égalisation relative desrevenus, ou plutôt d’un rétrécisse-ment des écarts entre les 20†% auxrevenus les plus élevés et les 20†%aux revenus les plus bas. Les écartsn’ont pas disparu, mais ils se sontsitués à des niveaux plus bas quedans tous les pays occidentaux.

Cette égalisation relativeexplique en partie l’auto-classe-ment des Japonais dans la classemoyenne 5. Mais d’autres facteurssont intervenus, notamment, àl’époque, le développement d’unevaste littérature expliquant auxJaponais qu’ils étaient tous sem-blables, vivaient tous de la mêmefaçon (un auteur de gauche affir-mait même que tous les Japonais,PDG comme ouvriers, vivaientpauvrement comme des hippies,puisqu’il se promenaient pieds nussur des tapis de paille dans les mai-sons†!) et partageaient donc unemême culture et un même mode devie. Par ailleurs, des campagnespublicitaires orchestrées par le gou-vernement et la grande industrieuniformisaient la consommation eninsistant sur des biens standard. Les

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Japonais ont été convaincus enbonne partie par ces écrits et cescampagnes. On voit ici l’influencede l’idéologie dans la définitionconsciente de l’appartenance declasse. Cette définition consciente aeu pour effet concret la faiblessedes luttes sociales depuis les années1960 (sur les luttes concernant l’en-vironnement et la qualité de vie à lafin des années 1960, voir Berque,1976, et Miyamoto, 1992).

Conclusion

Malgré l’auto-classement expli-cite de la grande majorité desJaponais dans la classe moyenne etmalgré l’absence de luttes declasses, les différences de positionsdans l’espace social se sont mainte-nues jusqu’à maintenant au Japon.Les cadres supérieurs de la grandeentreprise ne sont pas semblablesaux paysans ou aux ouvriers, ni dupoint de vue du contrôle des pro-cessus de production voire de lasociété en général (par l’accès auxpoliticiens et aux bureaucrates dontjouissent les premiers), ni au plandes revenus. Par ailleurs, les cadresmoyens se distinguent du fait deleur autorité dans la hiérarchie desentreprises et des possibilités qu’ilsont de monter dans cette hiérar-chie. Quant aux petits commer-çants, et on peut inclure iciquelques centaines de milliersd’agriculteurs spécialisés, leursituation diffère de celle desemployés salariés, des ouvriersqualifiés et non qualifiés et descadres supérieurs. La distinctionfaite par Ishida entre ouvriers qua-lifiés et ouvriers non qualifiés mesemble, pour le Japon, moinsimportante que celle qui divise lesouvriers et employés des grandes

entreprises et ceux des PME; et ilexiste, encore une fois, des situa-tions ambiguës difficiles à classer,par exemple celle des travailleursindépendants, dont le nombre aaugmenté avec la crise des années1990, mais sans nécessairementamener le Japon à égalité avec lespays occidentaux sur ce point(Bernier, 2000).

Théoriquement, il me sembleplus important d’analyser les pro-cessus qui accompagnent la miseen place ou la transformation dedifférentes situations dans l’espacesocial que de définir des nomencla-tures de classes. Mais il ne fait pasde doute que, du point de vue de larépartition des personnes dans l’es-pace social, quel que soit le critèreutilisé, c’est-à-dire les avantagesmonétaires ou autres tirés du travailou le contrôle sur les moyens deproduction ou les conditions de tra-vail, il existe encore maintenant auJapon des différences de classesqui sont perceptibles par l’analyseet qui se sont maintenues, avec desmodifications. De ce point de vue,l’analyse des transformations sur-venues depuis 1990, donc pendantune période de dure crise finan-cière ayant frappé tous les secteurséconomiques au Japon, exigeraitde plus amples développements(voir Bernier, 2000; Bernier etMirza, à paraître).

En quelques mots, la collabora-tion ouvrière a été mise à l’épreuvepar la crise qui a débuté autour de1990. Face à une rentabilité enbaisse, les entreprises ont eurecours à diverses mesures qui onttouché les salaires, la sécuritéd’emploi et les possibilités de pro-motion, donc des aspects essentiels

du système mis en place entre 1948et 1955. Paralysés par une longuetradition de collaboration, les syn-dicats n’ont pas encore réagi forte-ment à ces mesures. Quelques-unsont timidement tenté d’intervenir,comme celui de Nissan à la suitedes mesures de redressementannoncées par Renault, le nouveaupropriétaire majoritaire de lasociété. Mais ces interventions sontpeu nombreuses et mal organisées.La majorité des protestationscontre les mesures patronalesvisant à redresser la situation éco-nomique des entreprises ont été lefait d’individus qui, ayant subi leseffets négatifs de ces mesures, ontfait appel aux tribunaux pour obte-nir gain de cause, quelquefois avecsuccès. Il faudra voir comment lesprotestations s’organiseront si lacrise continue. Mais, à court terme,il semble que les actions serontlimitées, ce qui veut dire que lalutte des classes se fera encoretranquille.

Bernard BernierDépartement d’anthropologie

Université de Montréal

Notes

1 Les recherches sur lesquelles repose cetarticle ont été financées par des subven-tions de recherche du Conseil derecherches en sciences humaines duCanada.

2 On doit la définition la plus complète decette position à un philosophe qui a sur-tout écrit durant l’entre-deux-guerres,Watsuji Tetsurô (1889-1960). Inspirénotamment par Herder et Heidegger,Watsuji a tenté de définir l’esprit japo-nais (Watsuji, 1926, 1935, 1937, 1942;voir Bernier, 2001 et à paraître). Pourlui, l’esprit japonais, tout à fait unique,trouve sa source dans le système impé-

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rial, plus spécifiquement dans la lignéedes empereurs, et l’unité communau-taire du Japon vient de la participationde tous à cette essence du Japon dontl’empereur est à la fois la source, lecentre et le symbole. Source, car leJapon naît de la lignée impériale; centre,car la famille impériale est comme lafamille centrale du Japon dont les autresseraient métaphoriquement issues; sym-bole, car l’empereur représente le paysentier, il en matérialise l’essence, il estla personnification du tout. Tous lesJaponais sont semblables, sauf l’empe-reur, à la fois au-dessus de tous et incor-poré en tous à travers le partage de laculture et de la morale. Il n’y a pas placeici pour le pouvoir, puisque l’empereurest en tous, il est immanent à la société,et, en tant que personnification de latotalité, il l’habite de l’intérieur, il est le«†serviteur de la volonté collective†»(Watsuji, 1942†: 608). Étant une émana-tion de la totalité dont il est paradoxale-ment la source, il ne peut donc lacontraindre de l’extérieur. Cette concep-tion mystique de la société en arrive ànier la présence de toute différenciationsociale, sauf celle qui sépare la familleimpériale du reste des Japonais (sur lesystème impérial, voir Bix, 2000).

3 La politique d’homogénéisation a tou-jours exclu les personnes appartenant àdes groupes «†autres†». Du point de vueethnique, l’idéologie depuis 1868 dis-tingue les «†Japonais†» des étrangers. Lestrès fortes restrictions à l’immigration,fondées sur une conception racialisée dequi est japonais — on ne peut l’être quepar le sang — et qui ne l’est pas, ont eu

pour effet de limiter le nombre de cesimmigrants à l’heure actuelle à moins dedeux millions dans un pays de 128 mil-lions d’habitants. Autrement dit, dansl’imaginaire japonais, ces deux millionsou moins d’immigrants s’opposent aux126 millions de Japonais, considéréscomme un seul bloc ethnique. En fait,pas tout à fait comme un bloc. En effet,il existe au Japon un groupe de Japonaisd’origine, qui est considéré commeséparé des «†vrais†» Japonais. Ce sont lesdescendants de groupes victimes, avant1868, de l’exclusion sociale sur une basereligieuse, c’est-à-dire à cause de leuroccupation jugée impure (voir Ooms,1996). Ces groupes ont été unifiésdepuis 1868 sous le nom de burakumin,«†les gens des hameaux (spéciaux)†». Lapopulation des burakumin compte main-tenant entre 3 et 5 millions de per-sonnes, selon diverses estimations. Il estimportant de remarquer que la plupartdes Japonais expliquent l’existence dece groupe par la biologie, c’est-à-dire enles considérant comme des immigrantsqui seraient venus de l’étranger (surtoutde la Corée) plusieurs siècles aupara-vant, ce qui est contraire aux donnéeshistoriques. On peut aussi ajouter lesAinous, l’équivalent pour le Japon desAutochtones au Canada, dont le nombrene dépasse pas le million. Les gens nésdans l’archipel des Ryûkyû, regroupésdans la préfecture d’Okinawa, sont aussireconnus comme légèrement différentsdes «†vrais†» Japonais, et leur nombre estd’un peu plus d’un million. Mais enregroupant toutes ces minorités, on seretrouve encore à environ 120 millionsde «†vrais†» Japonais face à 7 à 9 millionsd’« autres†», et les Japonais ont tendanceà insister sur l’unité culturelle et racialedu pays plutôt que sur la diversité, quiest niée ou ignorée.

4 Comme on l’a vu dans la première par-tie de l’article, certains auteurs affirmentque les prises de décisions dans lesentreprises japonaises se font de bas enhaut, de la base vers les hauts échelonsde l’organisation. En fait, il s’agit làd’une caricature. En effet, les prises dedécisions se font de plusieurs manières,tout dépendant de ce sur quoi porte ladécision. Ce que l’on désigne par l’ex-pression «†prise de décisions de bas enhaut†» correspond en réalité à un sys-tème qui fait appel aux suggestions des

salariés afin d’améliorer la performancede l’entreprise. Dans la majorité des cas,ces suggestions proviennent non pas dela base, mais bien des échelons moyensdes cadres de l’entreprise, c’est-à-diredes chefs de section (qui ont sous euxentre 15 et 40 personnes selon les cas,divisées souvent en équipes de travail).Ces chefs de section proposent diversesmodifications à l’entreprise en soumet-tant des propositions écrites à leur supé-rieur et à des personnes de rangéquivalent. Tout le monde donne sonavis et on prépare une nouvelle proposi-tion en tenant compte des commen-taires. Cette ronde de propositions etréponses peut se répéter plusieurs fois,jusqu’à ce qu’une proposition soit pro-duite qui tienne compte de tous lesaspects du problème. Dans le cas de pro-positions modifiant des éléments impor-tants de l’entreprise, la décision n’estpas prise au niveau des chefs de section,mais bien à des niveaux supérieurs, sou-vent celui de l’exécutif de l’entreprise(PDG, vice-présidents, etc.). Autrementdit, il faut distinguer entre proposition etdécision. Mais il est important de souli-gner la participation de nombreuses per-sonnes aux discussions au sujet despropositions, ce qui permet de mettre aujour à peu près toutes les objections quipourraient se poser. Il faut distinguer cesystème de celui qu’on a nommé kaizen(améliorations), terme utilisé à l’originepour les transformations mineures auxprocédés de production et de gestionsuggérées par les ouvriers et employésde la base. Ce terme a maintenant étéétendu à toutes les formes de modifica-tions des procédés de production etd’administration, ce qui contribue à laconfusion au sujet des prises de déci-sions dans l’entreprise. Mais quelle quesoit la participation des cadres infé-rieurs ou des simples salariés aux déci-sions, la haute administration desentreprises a depuis les années 1950conservé le contrôle sur le processus;autrement dit, la participation se faitdans un cadre strictement contrôlé. Lepouvoir est de toute évidence aux mainsdes hauts administrateurs (Bernier,1995a†: 198-203).

5 Cependant, il faut noter un biais dans lessondages. En effet, les sondages surl’appartenance de classe demandent auxJaponais où ils se classent dans un sys-

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tème de trois classes principales, soit laclasse supérieure (quelque 1†% s’y clas-sent), la classe moyenne (plus de 95†% laplupart des années) et la classe infé-rieure (environ 3-4†%). Mais, alors queles classes inférieure et supérieure nesont pas divisées, la question divise laclasse moyenne en trois groupes, soit laclasse moyenne supérieure (environ35†%), la classe moyenne moyenne(environ 40†%) et la classe moyenneinférieure (environ 20†%), ce qui signifieque les Japonais ont tout de mêmeconscience de différences dans les reve-nus et les modes de vie (différences, per-ceptibles même par un étranger, dansl’habillement, l’alimentation, l’ameu-blement, la fréquentation des restaurantset bars, etc.).

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