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CODES DE BONNE CONDUITE ET RESPONSABILITE DANS LE DROIT DES MARCHES FINANCIERS Mémoire Nikolina APOSTOLOVA Sous la direction de M. Le Professeur Michel STORCK D.E.A. DROIT DES AFFAIRES UNIVERSITE ROBERT SCUMANN PROMOTION 2003/2004 1

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CODES DE BONNE CONDUITE ET

RESPONSABILITE DANS LE DROIT DES MARCHES

FINANCIERS

Mémoire

Nikolina APOSTOLOVA

Sous la direction de

M. Le Professeur Michel STORCK

D.E.A. DROIT DES AFFAIRES

UNIVERSITE ROBERT SCUMANN PROMOTION 2003/2004

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SOMMAIRE ABREVIATIONS INTRODUCTION

PARTIE 1. La responsabilité de droit commun et les codes de bonne conduite TITRE 1. L’absence de valeur normative des codes de bonne conduite Chapitre 1. La nullité des contrats et les codes de bonne conduite Chapitre 2. De la valeur normative des règles de bonne conduite TITRE 2. L’assouplissement du principe Chapitre1. Les codes de bonne conduite, fondement de la responsabilité civile Chapitre 2. Les conditions du dédommagement PARTIE 2. Les codes de bonne conduite, un instrument de contrôle des autorités de tutelle

TITRE 1. L’étendue des compétences des autorités de tutelle

Chapitre1. L’appropriation des codes de bonne conduite par les autorités de tutelle

Chapitre 2. Une appropriation légitimée

TITRE 2. La mise en œuvre de la responsabilité

Chapitre1. Le pouvoir de sanction de l'AMF

Chapitre2. La rationalisation du régime des sanctions CONCLUSION ANNEXE BIBLIOGRAPHIE INDEX ANALYTIQUE TABLE DES MATIERES

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ABREVIATIONS : AFB-Association française des banques AFECEI-Association française des établissements de crédit et des entreprises d’investissement AFTE –Association française des trésoriers d’entreprise AFTB-Association des trésoriers de banque AFEI-Association française des entreprises d’investissement AFG- Association française de la gestion financière AFIC-Association française des investisseurs en capital risque AFTI-Association française des professionnels des titres ANCDPG- Association Nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine AMF-Autorité des marchés financiers ANSA-Association nationale des sociétés par action Arch. Phil. Dr.-Archives philosophiques de droit ASSFI - Association des sociétés et fonds français d’investissement ATB - Association des trésoriers de banque Banque & Droit – Banque et Droit Bull. Civ. , I, n°, p. -Bulletin civil de la Cour de Cassation, section, numéro, page Bull. Joly Bourse- Bulletin Joly bourse et produits financiers CBV- Conseil des bourses de valeurs CCEF-Compagnie des conseils et experts financiers C. E.- Conseil d’Etat CECEI- Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement CGPC- Association française des conseillers en gestion de patrimoine certifiés CMF - Conseil des marchés financiers CNCEF- Compagnie nationale des conseils-experts financiers COB - Commission des opérations de bourse C. civ. – Code civil C. Com.- Code de commerce C. consom. – Code de la consommation C. mon. et fin.- Code monétaire et financier Cass. 1ère Civ. - Arrêt de la Cour de cassation (1ère chambre civile) Cass. Com. - Arrêt de la Cour de cassation (chambre commerciale et financière) Cass. Soc.- Arrêt de la Cour de cassation (chambre sociale) D. 2000, I.R., p.10- Dalloz année, rubrique, page DSI-Directive sur les services d’investissement D. Soc.- Droit social IOSCO- International Organisation of Securities Commissions Gaz. Pal.- Gazette de Palais J. O.- Journal Officiel JOUE-Journal officiel de l’Union Européenne JCP éd. G ; éd. E –Juris- Classeur périodique édition générale ; édition entreprise éd. J. –Cl. Banque – Crédit-Bourse, fasc.140

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LSF- Loi sur la sécurité financière du 1 août 2003 MAF– loi dite Modernisation des activités financières obs.-observations OPCVM-Organisme de placement collectif en valeurs mobilières P.A.-Petites Affiches PUAM- Presse Universitaire d’Aix- Marseille Rép Sociétés Dalloz – Répertoire sociétés Dalloz RDBF- Revue de droit bancaire et financier RGDI public-Revue générale du droit international public RRJ-Revue de recherche juridique RTD civ.-Revue trimestrielle de droit civil RTD com.- Revue trimestrielle de droit commercial SEC- Securities Exchange Commission SFAF- Société française des analystes financiers

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CODES DE BONNE CONDUITE ET RESPONSABILITE DANS LE DROIT DES MARCHES FINANCIERS

Introduction

« Nous sommes aujourd’hui démoralisés.

Ce qui signifie aujourd’hui et maintenant

que nous n’avons plus de morale. Les repères ont

disparu, les devoirs s’effacent et nous héritons du vide. »1

La morale et l’éthique tendent aujourd’hui à prendre une place de plus en plus importante dans le cadre de la réglementation professionnelle. Cette tendance particulièrement marquante dans le secteur des marchés financiers se caractérise par l’imbrication assez large entre les « pouvoirs professionnels » et les pouvoirs publics.

Le terme « code de bonne conduite » englobe une ambiguïté intrinsèque. La notion de code renvoie à un ensemble de normes ayant un caractère coercitif. Le code qui se définit comme : « un corps cohérent de textes englobant selon un plan systématique l'ensemble des règles relatives à une matière est issu, soit de travaux législatifs, soit d'une élaboration réglementaire, soit d'une codification formelle de textes préexistants »2. Or, la notion de code de bonne conduite en tant que telle englobe une sémantique différente. Elle renvoie à la notion de déontologie. Ce vocable est issu des écrits d'un philosophe utilitariste anglais Jeremy Bentham. Il s'agit en effet d'un ensemble de règles qui déterminent « l'art de ce qu'il est concevable de faire ». L'origine étymologique des codes de bonne conduite renvoie au champ lexical de la morale. En effet, « to deon » en grec se traduit littéralement comme « ce qu’il faut faire », il exprime l’idée de devoir, de convenance, voir de manque. Le terme logos englobe en lui l'idée de la science, du discours, de la connaissance. La déontologie se rapproche ainsi de la morale qui est la connaissance de ce qui est bien ou mal. Toutefois, son fil conducteur est celui du pragmatisme3. Il s'agit, par le biais des codes de bonne conduite, de déterminer une morale pratique qui s’appliquerait à des cas concrets. Les codes de bonne conduite déterminent les règles que seuls certains professionnels, en charge d’une activité spécifique, devront se voir imposer. Il s'agit de fixer par le biais des codes de bonne conduite des règles relatives à l'art de la profession. Cette définition a été récemment reprise par la Commission européenne dans une proposition de directive sur les pratiques déloyales4 du 18 juin 2003. Ainsi l’article 2, point g de la proposition dispose qu’un code de bonne conduite est un accord définissant le comportement des professionnels qui s’engagent à être liés par lui en

1 A. Etchegoyen, La valse des éthiques, éd. F. Bourin, 1991, p.13 2 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique- Association Henri Capitant, éd. PUF 2003, v. code 3 V. Cabrol, La déontologie : l'impossible définition ? , RRJ 2004, I, p.563 ; D. Gutmann, L'obligation déontologique entre l'obligation de morale et l'obligation juridique, Arch. Phil. Dr.2000 , n°44, p.115 4 D. Touchent, La proposition de directive sur les pratiques commerciales déloyales, P. A. 1 août 2003, n°153, p.3

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ce qui concerne une ou plusieurs pratiques commerciales ou un ou plusieurs secteurs d’activité.

L'élaboration des normes en question s'intègre largement dans un processus d’autorégulation. L’autorégulation est une technique juridique, selon laquelle les règles relatives au comportement sont créées par les personnes auxquelles ces règles sont destinées à s'appliquer, soit que ces personnes élaborent elles-mêmes, soit qu'elles seront représentées à cet effet. La déontologie est une notion directrice du comportement5 mais se dégage néanmoins de la morale et de l'éthique en ce qu’elle devient une règle propre à un ensemble de personnes6.

Prêcher ne suffit pas, il faut un système de sanctions7. Par sanction au sens large on entend tous les facteurs qui contribuent directement ou indirectement à décourager des conduites dérivantes. Le terme responsabilité recouvre non seulement l'idée de l'obligation de répondre d'un dommage devant la justice et d'en assurer les conséquences civiles, pénales ou disciplinaires mais également d’un comportement socialement responsable. Aussi, peut-on retrouver parmi les sanctions indirectes la pression du milieu professionnel.

La difficulté fondamentale que soulèvent les codes de bonne conduite relève de l'appréciation de leur valeur normative. Cette valeur varie en fonction de l'autorité qui met en place le code, de son pouvoir de réglementation, du degré d'engagement qu'elle entend prendre en édictant ce code. Nous pouvons constater la mixité des sources des codes de bonne conduite, ce qui démontre l’importance de déterminer la portée normative et la valeur des engagements pris par le biais de ces codes.

Le recours aux codes de bonne conduite est plébiscité par le marché. Une abondante

jurisprudence montre les flux de la loi dans la définition des devoirs des dirigeants sociaux8. La loi n'a pas vocation à régenter l'activité humaine dans tous ses détails, le marché et les entreprises réclament un dispositif flexible. La COB est favorable à une approche déontologique qu'elle considère comme le meilleur moyen de susciter l'adhésion à un dispositif qui doit rester souple9. Les codes de bonne conduite se répandent dans des sociétés françaises sous l'impulsion du phénomène de Corporate gouvernance10. Cette approche ne peut pas être entièrement confirmée au regard de droit boursier. Nous pouvons distinguer quatre sources d'élaboration de codes de bonne conduite: le droit international et de droit communautaire, les associations et les entreprises de droit privé, les régulateurs de marché, le législateur.

Les codes de bonne conduite sont d'abord les codes de déontologie des professionnels.

Les codes sont issus des associations purement privées qui disposent d'une autonomie par rapport aux autorités normatives extérieures et qui regroupent les intérêts de la profession, il s’agit d’une certaine autonomie collective. Aujourd'hui, nous pouvons constater que ce ne

5 S. Moussoulas, Auto régulation, déontologie professionnelle est éducation de l'investisseur, Bull. Jolly Bourse mais - juin 1998, p. 217 6 C. Ducouloux- Favard, Bull. Lamy Droit du financement, n°145 octobre 2003 7 O. Gélinier, L’éthique des affaires. Halte à la dérive! ,éd. Seuil 1991 8 v. Cass. Com. 5 octobre 1999, JCP éd. E. 2000, n°1-2, p.33, note H. Hovasse : obligation de ne pas abuser des informations privilégiées 9 A. Bayer, L'impossible éthique des entreprises, éd. Organisation 2002 10 ibid.

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sont plus seulement les professions savantes qui édictent de tels codes11. Ainsi, des professionnels qui ne faisaient pas l’objet de réglementation légale ont mis en place des codes de bonne conduite afin de légitimer leur profession et restaurer la confiance de leurs clients. Un exemple particulièrement marquant porte sur les différents syndicats et associations professionnelles des conseillers en gestion de patrimoine12. Dans le cadre des marchés financiers un nombre important d'associations professionnelles se sont également mises en place13 et chacune d'elles élabore les codes de bonne conduite destinés à ses membres.

Les codes de bonne conduite sont également élaborés au sein des entreprises. A cet

effet, le règlement général du CMF oblige les prestataires de service d’investissement de nommer un déontologue chargé de mettre en place un code de bonne conduite. Ces derniers peuvent prendre la forme de règlement intérieur, tout autre document ou note adressés à un collaborateur de l'entreprise ou/et à ses salariés. Par le biais de ces codes, les entreprises se soumettent à un comportement socialement responsable14. Les codes de bonne conduite peuvent avoir un contenu extrêmement varié et concerner aussi bien la protection de l'environnement que l'interdiction de travail des enfants en bas âge ou la lutte contre la corruption.

Traditionnellement, la doctrine économique distingue entre la politique de

développement durable, le rapport éthique des entreprises et les valeurs. Les valeurs sont des pétitions de principe, alors que la politique de développement durable est une approche de la vie des produits de l’entreprise qui vise par exemple à minimiser le risque de pollution et peut prendre la forme d’une charte d’environnement. Le rapport éthique relève quant à lui du sujet qui nous intéresse directement en ce qu’il exprime la volonté de l’entreprise d’autoréguler ses comportements et renvoie aux principes de conduite. La loi encadre les règlements intérieurs des prestataires de services d'investissement ce qui les oblige à adopter un certain nombre de dispositions15.

Depuis le milieu des années 1970, des tentatives ont été faites par des organisations

internationales ou sous leurs auspices afin de définir des ensembles normatifs, appelés des « Codes de conduite », destinés essentiellement à régir les activités des sociétés transnationales ou entreprises multinationales. Elles ont mis en place des codes de portée universelle16.

11 Comme le code de bonne conduite des pompes funèbre; code de déontologie de l'assurance-vie établi en 1978... , V. Carbol, La déontologie : l'impossible définition ? , R.R.J. 2004-I, p.564 12 A. Pellissier Tanon, La déontologie du conseil en gestion de patrimoine : bilan et prospective, Gaz. Pal. 22 avril 2000, p.727 ; L’auteur cite parmi les plus représentatives les associations suivantes : CGPC; ANCDPG; CCEF; CNCEF… 13 AFB et AFEI- les deux sont adhérents de l’AFECEI; AFTI; AFTE; AFTB; AFG-ASSFI; SFAF; ANSA … 14 F. G. Trebule, Responsabilité sociale des entreprises, Rép. Sociétés Dalloz ; I. Desbarats, Codes de conduite et chartes éthiques des entreprises privées regard sur une pratique en expansion, JCP éd. G n°9,26 février 2003, p.337 15 article L533-6 C. mon. et fin. 16 Par exemple la résolution 35/63 de l'assemblée générale de l'ONU de 1980 qui concerne les pratiques commerciales restrictives ; la résolution du conseil de l'Organisation internationale de travail de 1977 sur les entreprises multinationales et la politique sociale ; la résolution de l'assemblée générale de l'ONU de 1986 : code pour la protection du consommateur ; le code international sur la commercialisation des substituts du lait maternel- résolution WHA 34 - 32 de l'assemblée de l’OMS de 1991 ; en 1976 a été institué le code de conduite des sociétés transnationales dans le cadre de la commission des sociétés transnationales de l’ECOSOC ; cité par Nguyen Huu Tru, Les codes de conduite : un bilan, RGDI public 1992, p.51

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En 1977, la Commission européenne avait élaboré un code de conduite européen concernant les transactions de valeurs mobilières17. En janvier 1990, l’OICV18 a formulé les grands principes internationaux de déontologie financière. Ces principes visent non seulement les opérations transfrontalières mais également les activités nationales. Ils s’inspirent de ceux élaborés par le groupe Brac de la Perrière en France, du Sib en Grande Bretagne et de la déclaration commune franco-britannique du 19 mars 1990.

La libération totale des mouvements de capitaux a été effectuée au 1 juillet 1990 19 et la directive sur les services d'investissement ( DSI ) qui apparaît, selon ses propres termes, comme un « instrument essentiel pour la réalisation de marché intérieur dans le secteur des entreprises d'investissement », a ajouté un article 11 relatif aux règles de conduite. Il appartient à l'État membre d'accueil d'établir et assurer ces règles qui doivent être respectées à tout moment20. Les règles de conduite envisagée par la DSI sont assez similaires à celles contenues dans la recommandation de la commission de 1977, elles reprennent celles élaborées par le comité technique de IOSCO21 dans le cadre de l'harmonisation internationale des règles de conduite.

Les principes restent assez généraux et vagues, ce qui correspond bien à la philosophie

de l'instrument choisi, une directive, qui n'appelle pas de réglementation détaillée et minutieuse et qui doit laisser aux Etats membres une certaine liberté d'action22. Les Etats membres restent libres d'imposer également d'autres principes de conduite. La mise en place des règles de bonne conduite est un sujet en expansion23. Le 16 novembre 2000, la Commission européenne a élaboré une communication relative aux règles de bonne conduite que doivent respecter les entreprises d’investissement en application de l’article 11 de la DSI. La directive du 28 janvier 2003 innove en ce qu’elle est destinée à encadrer des personnes qui réalisent ou diffusent des travaux de recherche concernant les instruments financiers ou les personnes qui produisent ou diffusent d'autres informations suggérant les stratégies d'investissement destinées aux canaux de distribution ou au public (il s’agit en particulier des analystes financiers et des journalistes). Enfin, les règles de bonne conduite sont directement visées par la nouvelle proposition de la Commission européenne concernant la révision de la DSI24. La directive accorde une place particulière aux règles visant à éviter les conflits d'intérêts et aux règles de conduite pour la fourniture de services d'investissement à des clients.

En réponse aux différentes crises boursières25 et conformément à la DSI, des règles de

bonne conduite sont également fixées par le législateur français. La loi de modernisation des activités financières (MAF)26 a énoncé les règles de bonne conduite concernant les 17 Recommandation 77/534/CEE du 25 juillet; J.O.n° L 212/37 du 20 août 1977 18 Comité technique de l'organisation internationale des commissions de valeurs mobilières 19 Directive 88 /361/CEE du conseil, du 24 juin 1988 pour la mise en oeuvre de l'article 67TCE ; cette libération a eu lieu au 1 janvier 1993 en Espagne, l’Irlande, en Grèce et au Portugal 20 La communication de la commission européenne de 16 novembre 2000 précise les règles que les entreprises d’investissement doivent appliquer 21 International Organisation of Securities Commissions 22 P. Lastanouse, « Les règles de conduite et la reconnaissance mutuelle dans la directive sur les services d'investissement », Revue Marché unique européen n°4,1995,p.79 23 H. de Vauplane et J.-J. Daigre, Abus de marché. Directive - cadre. Règles spécifiques aux analystes et aux journalistes, Banque & Droit n°87 janvier - février 2003,p.38 24 Projet présenté par la commission le 19 novembre 2002 ; JOUE 71 E/62 du 23 mars 2003; article 16, article 18 et s. 25 Dont les plus retentissantes sont le crash boursier de 1987, la faillite Enron et celle de Wordcom… 26 Loi n°96-597

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prestataires de services d'investissement et les membres des marchés réglementés au sein de l’article L. 533–4 et s. C. mon. et fin. Récemment, la loi sur la sécurité financière du 1 août 2003 ( LSF ) est venue réglementer les règles de bonne conduite concernant les démarcheurs, en définissant les exigences au sein des articles L. 341 –11 à 341 -1627C. mon. et fin.. Enfin, l’article L. 541-4 C. mon. et fin. énumère les règles minimales, auxquelles les code de bonne conduite édictés par les associations professionnelles des conseils en investissements financiers , doivent répondre.

En vertu de ces règles, la loi impose aux professionnels de marché diverses obligations. Outre une obligation de loyauté, d’équité, l’obligation d’agir au mieux des intérêts de leurs clients et de l'intégrité du marché, les professionnels ont en charge une obligation d'information très large. Cette dernière regroupe deux volets : l'obligation d'informer les clients et de s'informer sur leurs attentes, leur expérience, leurs objectifs en matière de placement ou de financement. Nous devons souligner que l’article L. 533-5 C. mon. et fin., qui impose une obligation du ducroire, fait également partie des règles de bonne conduite mises en place par la loi . La loi exige également la mise en place d’un mandat écrit28, d’un règlement intérieur des entreprises d’investissement avec des dispositions spécifiques29, d’un système d’indemnisation30 et enfin l’abstention de toute initiative qui aurait pour effet de privilégier l’intérêt de l’intermédiaire au détriment de celui du client31 .

Si l’Etat a fixé les dispositions fondamentales qui doivent gouverner les professionnels de la finance, il a dévolu la mise en place des codes aux organismes professionnels32 et aux autorités administratives indépendantes. Cette démarche n’est pas nouvelle. Bien que la loi ne l’ait pas expressément prévu, le règlement général du CBV contenait des dispositions d’ordre déontologique33. Après la loi MAF, deux autorités ont la compétence d'élaborer des règlements, afin de concrétiser les règles de bonne conduite que la loi a mis en place34 : la COB et le CMF.

En effet, la COB n’est compétente que pour élaborer des règles applicables à la

gestion de portefeuille et c’est par le règlement 96-0335 qu’elle fixe les règles de bonne conduite en la matière. Le règlement général du CMF détermine les règles applicables aux autres prestataires de service d’investissement dans son titre III intitulé « Règles de bonne conduite applicables aux prestataires habilités ». La loi du 1 août 2003 a fusionné les deux autorités et il appartient aujourd’hui à l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’adopter « les règles de bonne conduite et autres obligations professionnelles » en vertu de

27 Il convient de préciser au préalable que cette action ne comprend pas que des règles de bonne conduite au sens strict du terme car l'article L. 341 - 16 reconnaît un droit de rétractation à la personne démarchée; J.Deveze, A. Couret, G. Hirigoyen, Lamy droit du financement, éd. 2004,p.654, n°1070 28 article L. 533-10 C. mon. et fin. 29 article L. 533-6 C. mon. et fin. 30 article L. 533-13 et L. 322-1 C. mon. et fin. 31 article L. 533-11 C. mon. et fin. 32 Le premier code de bonne conduite en matière boursière a été élaboré en 1983 par la Chambre syndicale des agents de change sur la base de l’article 24 de la loi de 14 février 1942 ; 33 Un discours à l’assemblée nationale démontre que le législateur était favorable à une telle initiative « la sécurité de la place ne repose aussi sur des règles déontologiques claires, qui devront également être fixées par le conseil des bourses et valeurs », Doc. Ass. Nat.1987, n°1073, Annexe15 34 article L 533-4 C. mon. et fin. 35 homologué par un arrêté du 6 janvier 1997, paru au Journal officiel du 22 janvier 1997 et modifié par les règlements n°97-03, 2000-03 et 2003-07 de la Commission

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l’article L. 621-7 III et VIII C. mon. et fin. Son règlement doit être homologué par arrêté du ministre chargé de l’économie36.

Nous pouvons constater d’emblée qu'il convient de distinguer entre les règles issues du

pouvoir législatif et les règles fixées par des associations, les organisations internationales et les organismes de nature privée ou par le biais de l'autorégulation. Car les règles ne sont pas de même nature.

La véritable question du débat est de déterminer dans quelle mesure les codes de

bonne conduite « privés » c’est-à-dire issus de simples associations professionnelles ou élaborés par la technique de l’autorégulation s’intègrent dans l’appareil normatif pour servir de fondement à la responsabilité des professionnels.

Les règles déontologiques ne se cantonnent plus à assurer l’indépendance des

professionnels des marchés financiers. Leur rôle s’étend au-delà de la sphère professionnelle. Ainsi, le juge de droit commun semble avoir progressivement intégré les codes comme une référence de comportement professionnel. Nous nous intéresserons, ainsi, dans un premier temps à la démarche du juge de droit commun face aux règles issues des codes de bonne conduite en examinant la responsabilité de droit commun et les codes de bonne conduite ( Partie 1 ).Cependant, les règles issues de ces codes étant strictement des règles professionnelles, leur sanction naturelle relève de la responsabilité devant les autorités disciplinaires. Il s’agit pour les professionnels de sanctionner eux-mêmes les comportements préjudiciables à la profession. Toutefois, le système de sanctions dépasse la simple organisation corporatiste. Le respect des règles déontologiques est assuré par des organismes « para-administratifs » et à cet égard, un auteur qualifie la déontologie des activités financières comme un néo-corporatisme37. Ceci nous amène à dépasser la conception traditionnelle selon laquelle les déontologies constituent un instrument de contrôle des professionnels sur les professionnels et de nous intéresser aux codes de bonne conduite comme instrument du contrôle des autorités de tutelle (Partie 2).

Partie 1 La responsabilité de droit commun et les codes de bonne conduite Admettre que les manquements aux codes de bonne conduite peuvent servir de

fondement à la responsabilité civile des professionnels semble avoir posé plusieurs problèmes. Ils relèvent de l’origine des codes de bonne conduite et de la difficulté de qualifier les documents dont ils peuvent prendre la forme. Nous pouvons constater que la jurisprudence a progressivement admis les règles issues de ces codes comme des standards de comportement. Or, la position de la chambre commerciale et celle de la chambre civile de la Cour de cassation ne sont pas les mêmes concernant l’admission des manquements aux codes comme fondement à la responsabilité. Afin d’illustrer notre propos nous nous intéresserons successivement à l’absence de valeur normative des codes de bonne conduite ( Titre I) afin d’analyser l’évolution récente de la jurisprudence concernant les codes de bonne conduite en examinant l’assouplissement du principe (Titre II). 36 article L. 621-6 C. mon. et fin. 37 Ch. Hannoun, La déontologie des activités financières: contributions aux recherches actuelles sur le néo-corporatisme, RTD com. 1989, p.417

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Titre 1. L’absence de valeur normative des codes de bonne conduite

L'éthique des affaires est « un sujet d'une actualité brûlante »38. Le monde de la finance qui est la représentation dans le marché d'informations codées s'est profondément modifiée. Les règles professionnelles trouvent leur origine dans la pratique journalière des différentes interventions sur le marché. A l’occasion de la loi MAF et LSF, le législateur a senti le besoin de codifier de façon plus explicite les règles professionnelles universelles. De telles règles sont un des éléments de la compétitivité de la Place. Elles sont nécessaires dans un environnement concurrentiel où les objectifs commerciaux sont souvent prépondérants. Cela incite à la mise en exergue de principes permanents afin de rappeler aux professionnels la liste de leurs interdits et de leurs propres règles. Les règles en question sont formulées par différents types de documents. Nous retrouvons des codes de bonne conduite dans les recommandations des organisations internationales. Les entreprises ou leurs associations représentatives élaborent également leurs règles déontologiques. Ceci a soulevé la difficulté de déterminer la valeur normative des codes de bonne conduite (chapitre 2). La doctrine semble largement favorable à admettre que les codes de bonne conduite peuvent servir de fondement à la responsabilité civile, toutefois le juge refuse traditionnellement d’annuler un contrat lorsque ce dernier ne se conforme pas aux règles déontologiques ( chapitre1).

Chapitre 1. La nullité des contrats et les codes de bonne conduite

D’après la position de principe de la première chambre civile de la Cour de cassation les manquements aux règles déontologiques mises en place par des professionnels ne seraient pas de nature à provoquer la nullité les contrats qui en sont entachés ( Section1). Si une telle règle semble être traditionnellement admise elle n’est pas exempte de critiques (Section 2).

Section 1. La nullité des contrats

Traditionnellement, la jurisprudence refuse d’admettre que des fautes de nature disciplinaire peuvent entraîner la nullité des contrats39. L’arrêt de principe est un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 5 novembre 199140. Ainsi, la Cour d’appel d’Orléans a vu sa décision censurée. La Cour de cassation décide dans l’arrêt de 1991 que les règles déontologiques dont l’objet est de fixer les devoirs des membres de la profession peuvent donner lieu à des sanctions disciplinaires mais « n’entraîneraient pas à elles-seules la nullité des contrats conclus en infraction à leur disposition ». En l’espèce, la Cour d’appel d’Orléans avait estimé nul un contrat d’abonnement qui avait stipulé une rémunération forfaitaire conclue par un expert-comptable alors que le code de déontologie établi par l’ordre des experts-comptables prescrit une telle rémunération à l’acte. La même solution a été déjà consacrée par les juridictions de fond41.

38 J-J. DAIGRE, L'éthique financière, Que sais-je, PUF 1991 39 Cass. Civ. 1ère 5 novembre 1991 Conta c/ SARL le blanc distributeur et autres Bull. Civ. I. , n°210,p.165 ; JCP éd. E., n°225, note A. Vivandier; C.C.C. février 1992, n°24, note L. Leveneur; RTD civ.1991, p.383, obs. J. Mestre 40 Cass. Civ. 1ère 1 novembre 1991, Bull. Civ. I. , n°297,p.195 ; D. 1991, I. R., p.292; JCP éd. E 1992, II, n°225, note A. Vivandier ; RJDA 1992,n°11, p.15, RTD civ. 1991, p. 383, obs. J. Mestre 41 Cour d’appel de Paris 28 juin 1985, D.1987, II, p.16, note Gourio; Cass. Soc 24 mai 1960 cité F. Osman, Avis, directives, codes de bonne conduite, recommandations, déontologie, éthique, etc. : réflexions sur la dégradation des sources privées du droit, RTD civ., juillet-septembre 1995, p.509

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Cet arrêt distingue nettement l’ordre juridique privé de l’ordre juridique public. Il convient de relever que les codes de bonne conduite ne constituent pas une parcelle de l’ordre public « politique » de l’article 6 du code civil. La méconnaissance de devoirs de nature purement professionnelle ne devra pas produire, en principe, des effets sur les liens contractuels. Les règles de bonne conduite ont pour objet principal d’organiser la discipline professionnelle à laquelle le lien contractuel est totalement étranger. Implicitement, l’arrêt revient à dire que les règles déontologiques ne rentrent pas dans le lien contractuel. Ce principe d’indépendance figure pour la première fois dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 18 avril196142 qui au vu des articles 6 et 1134 du code civil a posé le principe de l’indépendance de l’action civile et de l’action disciplinaire.

Par cette jurisprudence, la Cour de cassation circonscrit la sphère du droit infra -étatique. Par une jurisprudence constante, la Cour de cassation refuse d’admettre que les manquements aux obligations professionnelles pouvaient constituer une faute civile en vertu des articles 1134 ou 1382 du code civil 43. Le Conseil d’Etat a également admis l’indépendance des instances civile et disciplinaire par une décision de 19 octobre 195644. La Cour de cassation ne distingue pas selon que les codes étaient approuvés par décret en Conseil d’Etat ou les codes qui prennent la forme de règlements intérieurs des entreprises, des associations ou syndicats.

En réalité, elle avait adopté une vision purement contractualiste des codes de bonne conduite comme le prouve un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 juin 199345. En l’espèce, une chambre syndicale avait adopté un « code de pratiques loyales en matière d’emplacement publicitaire » qui n’était pas respecté par la société OPCD et la cour a considéré que la société ne pouvait pas se voir imposer une obligation qui lui était « contractuellement étrangère ».Ceci était critiqué par la doctrine car le justiciable invoquait l’article 1382 du code civil et la cour pouvait admettre que les règles issues du code constituaient des standards de comportement46. Il convient de souligner que certains codes excluent expressément cette idée. Ainsi le code de bonne conduite de AFTB-AFTE précise dans son préambule qu’il a une portée déontologique et n’a pas une valeur contractuelle pour les parties.

Si cette solution souligne les différences entre la faute professionnelle et la faute susceptible d’engager la responsabilité en droit commun elle peut donner lieu à une lecture critique.

Section 2. Une solution critiquée

L’arrêt du 5 novembre 1991 ainsi que l’arrêt du 18 avril 1961 soulignent que les codes de bonne conduite dont le seul objet est de fixer les règles déontologiques des membres d’une profession ne seront assorties que de sanctions disciplinaires et « n’entraîneront pas à elles seules l’annulation des contrats ». Cette solution ne se justifie pas vraiment. Les

42 Cass. Civ. 1ère 18 avril 1961, Bull. Civ. ,I. , n°210, p. 165 43 Cass. Civ. 1ère 18 avril 1961, Bull. Civ. , I, n°210, p.165 ; Cass. Civ. 1ère 15 février 1961, Bull. Civ. , I, p.85; Cass. Civ.1ère 21 octobre 1968, D1969, p.82 ; Cass. Com.3 janvier 1985, Bull. Civ. IV, n°3, p.2 44 C.E.19 octobre 1956, RPDA 1956,n°331, cité par R. Salomon, L’originalité de la responsabilité disciplinaire des commissaires aux comptes, Droit des sociétés avril 2002, p.4 45 F. Osman, Avis, directives, codes de bonne conduite, recommandations, déontologie, éthique, etc. : réflexions sur la dégradation des sources privées du droit, RTD civ., juillet- septembre, 1995, p.509 46 ibid.

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critiques portent essentiellement sur le refus du juge d'annuler une convention sur la base des manquements au code de bonne conduite.

Il convient de préciser que traditionnellement en droit civil on distingue les nullités

textuelles et les nullités virtuelles47. Les nullités textuelles sont spécialement prévues par le législateur. Les nullités virtuelles s’appliquent dans le cas où le législateur prévoirait une condition de formation des contrats sans en préciser la sanction. Dans ces conditions une nullité relative du contrat reste largement concevable mais elle n’est pas automatique. La nullité ne sera prononcée que si l'intérêt sauvegardé est suffisamment important.

Ainsi, même si la règle de bonne conduite est spécialement prévue par le législateur, il

convient de replacer cette règle à la lumière de la responsabilité de droit commun. En vertu de l'article 21 du règlement COB 96 -03 et l'article L. 533- 10 du code monétaire et financier, les gestionnaires de portefeuille doivent souscrire avec leurs clients une convention écrite. L'absence de rédaction d’un contrat écrit n’expose pas le gestionnaire à une sanction légale ou réglementaire spécifique. La règle semble être une exigence de preuve, il ne reste pas moins que même en absence de sanction prévue la nullité relative du contrat sera possible.

L’impossibilité d'admettre la nullité des conventions contrevenant aux dispositions

déontologiques est fixée principalement sur la base de l'article 6 du code civil. Or cet article concerne l’ordre public48. La notion d'ordre public est une notion « indéterminée, (un) standards, qui ne répond à aucune définition précise et qui a donc besoin du relais du juge pour être concrétisée »49. La notion d'ordre public qui donne lieu à de nombreuses controverses se caractérise par une fluidité. Il s’ensuit que le principe édicté par la première chambre civile de la Cour de Cassation doit être relativisé. Il semble difficile d'admettre que l'ordre public déontologique et l'ordre public constituent des ensembles totalement extérieurs l'un de l'autre. Il existe des règles de l'ordre public déontologique qui peuvent intégrer en soi des règles d'ordre public. A cet égard les codes déontologiques affirment souvent l'obligation du respect du secret professionnel. Comme un auteur le constate, en l’espèce la solution se justifie par l'absence de manquement à une règle d'ordre public que du fait que le contrat ne pourra pas être annulé pour un simple manquement à une obligation professionnelle50.

Même si la critique semble largement justifiée ces arrêts démontrent qu’il convient de distinguer la responsabilité civile de droit commun de la responsabilité disciplinaire. La faute disciplinaire ne constitue pas une faute civile. Il reste que des engagements pris par les professionnels de respecter certaines règles pourraient constituer un élément d’appréciation de la responsabilité civile contractuelle ou délictuelle. Pour déterminer la valeur normative des règles issues des codes de bonne conduite, il convient d’étudier leur qualification juridique.

47 F. Terré,Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, éd. Dalloz 2002, n°79 48 article 6 C. Civ. « On ne peut pas déroger par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs » 49 F. Terré,Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, éd. Dalloz 2002, n°107 50 J. Moret- Bailly, Les déontologies, PUAM 2001, p.310

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Chapitre 2. De la valeur normative des règles de bonne conduite

La nature de l’engagement pris est un élément d’appréciation de la responsabilité. Le caractère le plus surprenant des codes est leur caractère non obligatoire51. Certes une règle n’a pas besoin d’être obligatoire pour être respectée. Ainsi une des clés de la démarche des entreprises qui adoptent des codes déontologiques c’est de les situer en dehors de la sphère du droit. Nous pouvons difficilement admettre qu’il existe des engagements qui n’engagent pas et adhérer à un système de responsabilité qui ne soit pas juridiquement sanctionnée. En réalité, la règle juridique « peut s’approprier des règles qui lui sont à l'origine étrangères et intégrer dans le système juridique des valeurs sociales ou éthiques sous forme de normes qualitatives et de concepts flexibles, soumis à l'appréciation de ses destinataires, sous le contrôle de l'interprète et du juge »52. Les codes de bonne conduite peuvent être de nature à créer de nouvelles obligations civiles et ceci à deux titres. Comme nous l’avons constaté, ils peuvent être un élément d'appréciation de la responsabilité (section 1) ou bien être tout simplement intégrés dans le contrat et par là-même constituer un engagement créateur d'obligations (section2). La doctrine est allée parfois plus loin dans son raisonnement afin d’attribuer une valeur propre aux codes.

Section1. Les codes de bonne conduite un élément d'appréciation de la responsabilité

L'inscription des règles de bonne conduite au sein de la loi ou des règlements fait en sorte que le code de conduite emprunte leur valeur dans la hiérarchie des normes. Le simple principe purement publicitaire qui n'exprime aucune volonté d'engagement ne fera pas objet de qualification. Seules les engagements qui dépassent la seule pétition de principe feront l’objet d’une analyse.

Les codes de bonne conduite appartiennent à ce que la doctrine appelle droit mou ou

soft law53. Ceux qui sont issus des organisations internationales sont juridiquement non obligatoires54. Ils sont des accords internationaux de nature politique. De tels codes correspondent à une prise de position commune des Etats vis à vis des entreprises multinationales opérant sur leurs territoires. Les codes déontologiques peuvent également représenter la position commune des professionnels quant à certains pratiques contestables. Les règles issues des codes « internationaux »ne peuvent pas prévaloir sur les règles nationales. Il semble que ces codes ont une vocation qui serait de nature à compléter et renforcer les dispositions du droit national. Ce raisonnement est parfaitement transposable aux codes déontologiques des professionnels des marchés financiers.

Afin de qualifier les règles déontologiques la doctrine a recours à plusieurs normes qui

acquièrent en droit une autorité de fait.

51G. Farjat, Réflexions sur les codes de conduite privés, Mélanges Berthold Goldman 1982, éd. Litec, p.47 52 J.-L. Bergel, Droit et déontologies professionnelles, 1997 Lib. Univ. Aix-en-Provence, p.16, cité par F. G. Trebule, Responsabilité sociale des entreprises, Rép. Sociétés Dalloz 53 F. Osman, Avis, directives, codes de bonne conduite, recommandations, déontologie, éthique, etc. : réflexions sur la dégradation des sources privées du droit, RTD civ., juillet- septembre, 1995, p.509 ; G. Farjat, Réflexions sur les codes de conduite privés, Mélanges B. Goldman 1982, éd. Litec, p.47 ; F. G. Trebule, Responsabilité sociale des entreprises, Rép. Sociétés Dalloz 54Nguyen Huu Tru, Les codes de conduite : un bilan, RGDI publiic1992, p.51

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Dans un premier temps, certains auteurs soutiennent que les codes de bonne conduite constituent des usages particuliers ou des coutumes codifiées à formation rapide55. Ces deux autorités de fait se caractérisent par leur caractère évolutif et par le fait qu'elles ne sont pas intégrées dans un support écrit. Il convient de relever que l'article 1135 du code civil mentionne expressément les usages en tant qu’obligation qui s'impose aux parties cocontractantes : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ». La Cour de Cassation admet également que les usages professionnels ont une valeur supplétive et dans le silence de la convention les parties doivent les appliquer56.

Certes, les codes de bonne conduite reprennent les usages professionnels mais la nature des codes diffère substantiellement de celle des coutumes ou des usages. La formalisation des règles s’accompagne d’un processus de négociation fort laborieuse, elles sont intégrées dans un document écrit et souvent les pratiques qu’elles stipulent ne se sont pas formées spontanément. À cet égard la qualification de coutumes ou des usages ne correspond pas aux règles de bonne conduite.

Les règles issues des codes déontologiques peuvent prendre la forme d'un standard de

comportement. Les codes de bonne conduite peuvent servir de notion cadre. Le standard est une norme souple fondée sur un critère intentionnellement indéterminé57. Le standard juridique a pour fonction de compléter les lacunes de droit intra-legem. Nous pourrions constater que les éléments pris par les juges pour traduire directement les devoirs dans les comportements extracontractuels sont la bonne foi, la loyauté, la prudence, l’obligation de précaution, le devoir de surveillance des personnes et des choses ainsi que le devoir d’information et de mise en garde, de compétence professionnelle et de diligence58. Il est fréquent que la loi ou les règlements soient relativement imprécis et ne permettent pas au juge de savoir ce qui est par exemple pratique déloyale, la bonne foi, la prudence… Ainsi les tribunaux sont amenés à se référer à des réglementations corporatives qui définissent le comportement du professionnel diligent ou avisé59. Admettre que le code de bonne conduite constitue un standard de comportement aura pour conséquence de mettre entre les mains des professionnels eux-mêmes la définition de modèles de référence du bon professionnel. Il appartient alors aux créanciers de prouver que l'obligation n'a pas été exécutée conformément aux règles déontologiques. Il faudrait établir que cette inexécution est due aux manquements du débiteur à ses obligations qui se déterminent par référence à des modèles de conduite et de tels modèles relèveraient des codes de bonne conduite.

Les codes de bonne conduite constituent des standards de comportement et en tant

que tels ils peuvent servir de fondement à la responsabilité des professionnels. De même ils peuvent constituer de véritables règles contractuelles lorsqu'ils sont intégrés au sein des contrats.

55 F.G. Trebule, Responsabilité sociale des entreprises, Rép. Sociétés Dalloz 56 Cass. Com.19 février 2002, C. C. C.2002, n°91, note Leveneur 57 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF éd.4, 2003 v. standard 58 G. Viney, P. Jourdain, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, éd. LGDJ 1998, p.361 et s. 59F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, les obligations, n° 579,p.556 ; Ph. le Tourneau, L’éthique des affaires et du management au XXI siècle, Essaie,éd. Dalloz 2000, p.108

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Section 2. Les codes de bonne conduite intégrés dans des contrats

Selon certains auteurs les codes de déontologie peuvent être qualifiés comme des engagements unilatéraux, d'autres estiment que les codes de bonne conduite ne devraient puiser leur force obligatoire que dans le droit contractuel.

Les règles de bonne conduite peuvent être formalisées dans un contrat. Par exemple elles peuvent figurer dans les conditions générales des contrats avec les clients. Souvent les codes de bonne conduite sont intégrés dans les contrats de travail des collaborateurs des entreprises. Les règles déontologiques peuvent être représentées sous la forme d’un simple manuel de procédure mis à la disposition des collaborateurs, assimilé à celui prévu par l’article 3-1-3 du Règlement général du CMF60. Un rapport du CMF61 constate qu’une partie des codes de bonne conduite a fait l’objet de la signature d’une lettre par laquelle les salariés concernés accusent leur réception et déclarent en avoir pris connaissance. Les règles déontologiques peuvent également être prises en compte par le cocontractant lors de la conclusion du contrat. Adossés au contrat, les codes retrouvent la même efficacité que les règles contractuelles. La valeur contractuelle des codes de bonne conduite est le plus souvent invoquée en droit social et concernant la responsabilité sociale des entreprises quant à leurs engagements en matière d’environnement ou en matière de droits fondamentaux62.

Nous pourrions également parler d’engagement unilatéral. L’acte unilatéral est une manifestation de volonté qui entend créer certains effets de droit sans le secours d’aucune autre volonté. Si nous nous intéressons à la démarche de développement durable ou à la politique de responsabilité sociale on peut constater que les entreprises forment des principes de bonne conduite sous la forme d'un « acte atypique ». Or, les études de l'inspection de la COB constatent qu’une démarche similaire est utilisée par les entreprises afin d'intégrer les règles de conduite telle qu'elles sont fixées par l'article L. 533-4 et suivantes du code monétaire et financier (cette politique semble contraire à l'exigence d'intégrer les règles au sein du règlement intérieur).

A cet égard, un auteur compare les codes de bonne conduite à des mécanismes

d’incitation, substituts de l’acte unilatéral mais sans être véritablement des contrats63. La doctrine donne un exemple de la force de ces engagements par le fait que les déclarations patrimoniales sont créatrices de droit. Les codes constituent ainsi un engagement de faire. En tant qu’acte unilatéral les codes de bonne conduite ne pourraient pas accroître les engagements des clients ou des salariés, ils ne peuvent que créer de nouvelles prérogatives leur égard64. Ainsi, conformément au droit commun de la preuve, la volonté du professionnel de s'engager doit être prouvée dans son existence et dans son contenu par celui qui s’en prévaut. Cette volonté sera appréciée souverainement par les juges de fond.

Les qualifications ainsi proposées restent possibles. Toutefois, la jurisprudence

adopte une conception plus nuancée concernant les règles issues des codes de conduite privés. Les règles édictées par la COB et le CMF auxquelles se substituera le règlement général de

60 Synthèse des rapports sur la déontologie des collaborateurs, Revue CMF n°41, septembre 2001, p.45 61 ibid. 62 F. G. Trebule, Responsabilité sociale des entreprises, Rép. Sociétés Dalloz; A. Sobszac, Le cadre juridique de la responsabilité sociale des entreprises en Europe et aux Etats- Unis, D. soc. n°9/10 septembre-octobre 2002, p. 806 63 B. Opetit, L'engagement d’honneur, D. 1979,chr, p.103 64 article 1119 du C. civ.

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l’AMF s’imposent en principe à tous et devraient pouvoir être utilisés par les clients pour engager la responsabilité du professionnel ; en revanche les principes énoncés par les professionnels ne visent que eux-mêmes et ne peuvent pas en principe être invoqués par les clients65. Cette conception de principe doit être examinée à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation. La Haute juridiction a assoupli sa position au regard des règles déontologiques.

Titre 2. L’assouplissement du principe

La Cour de cassation a admis, par deux arrêts de principe, que les codes de bonne conduite constituent des standards de comportement. A ce titre, ils peuvent servir de fondement à la responsabilité civile (chapitre1). La doctrine semble majoritairement favorable à cette démarche, il reste que certains aspects ne sont pas exempts de critiques. Ce qui semble critiquable c’est la manière dont la jurisprudence détermine les conditions du dédommagement (chapitre 2) c’est-à-dire le préjudice et le lien de causalité.

Chapitre1. Les codes de bonne conduite, fondement de la responsabilité civile

Deux arrêts de la Cour de cassation ont abandonné le concept contractualiste des règles déontologiques. La Haute juridiction a admis que les règles conçues par les professionnels peuvent constituer un standard de comportement (section 1) sur lequel on pourrait engager la responsabilité civile extracontractuelle. Soulignée plus haut, cette démarche a le mérite de laisser aux professionnels eux-même de déterminer le comportement attendu d’un professionnel avisé. Mais malgré ses avantages, une telle position pourrait prêter à des reproches concernant la théorie de la hiérarchie des normes (section2).

Section 1. Les codes de bonne conduite, un standard de comportement

La Cour de cassation a abandonné la conception contractualiste des codes de bonne conduite. Par les arrêts de la première chambre civile du 18 mars 199766 et de la chambre commerciale du 29 avril 199767 elle a admis que les manquements à des codes de bonne conduite peuvent être pris en compte pour l’appréciation de la responsabilité civile extracontractuelle. La position issue de ces arrêts n’est pas nouvelle. Elle a été déjà annoncée par d’autres arrêts de la Cour de cassation mais ils n’ont pas le mérite d’être aussi explicites68.

Il s’ensuit de l'arrêt rendu par la première chambre civile que « la méconnaissance des

dispositions du code de déontologique médicale peut être invoquée par une partie à l'appui 65 J. M. Boussin et G. de Lambilly, Le mandat de gestion de portefeuille individuel et la responsabilité des intermédiaires, Banque & Droit n°59 mai – juin 1998, p.3 ; la même idée est développée par J.-P. Mattatout, La sécurité et la responsabilité sur les marchés de produits dérivés de gré à gré, P. A. 8 mai 1996,n°56, p.24 66Cass. Civ. 1ère 18 mars 1997, JCPéd. G 1997,II,n°22829, note P. Sargos; G. Viney, JCP éd.G 1997, Chronique responsabilité civile n°4068 67Cass. Com. 29 avril 1997,D.1997, p.459, note Y. Serra;JCPéd.G, 1997, Chronique responsabilité civile n°4068, G. Viney 68 Cass. Civ. 1ère 27janvier 1989, J. Mestre, RTD civ.1992, p.385 ; Cass. Civ.1ère30 octobre 1995, Bull., I, n°383; Cass. Civ. 1ère17 juillet 1996, Bull. I, n°53, cités par G. Viney, JCP éd. G. 1997, Chronique responsabilité civile n°4068

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d'une action en dommages et intérêts dirigé contre un médecin et qu’il n'appartient qu’aux tribunaux d'ordre judiciaire de se prononcer sur une telle action à laquelle l’exercice d'une action disciplinaire ne pouvait pas faire obstacle ».

La position de la chambre commerciale semble être plus catégorique que celle de la première chambre civile; ainsi aux termes de l’arrêt :

« Les transferts de dossiers de certains clients s’étaient effectués en méconnaissance des règles déontologiques de la profession d’expert comptable, ce qui suffisait à établir que de tels agissements étaient constitutifs de concurrence déloyale ».

Il ressort de l’exposé des motifs que le juge devra nécessairement admettre l'existence d'une faute civile lorsqu'il constate un manquement à une règle déontologique. L’expert-comptable a fait parallèlement l’objet d’une sanction disciplinaire toutefois ceci ne préjudicie en rien à la mise en place d’une responsabilité civile. Or, pour condamner la société en concurrence déloyale la Cour de cassation s’est basée uniquement sur les manquements aux règles déontologiques. La condamnation a été prononcée, même s’il n’a pas été démontré que la société défenderesse se serait livrée à des manœuvres ou ait pris des initiatives dans ce sens. Cette solution a été confirmée par un arrêt récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 22 mai 200169.

Certains auteurs estiment que la portée des arrêts doit être limitée. Nous pourrons

estimer que ces arrêts ne devraient pas être révélateurs de la position de la chambre commerciale. En réalité, l’arrêt de 1997 et celui du 21 mai 2001 ont été rendus dans une formation restreinte de la chambre commerciale en application de l’article 131-6 al.2 du code d’organisation judiciaire. Ceci pourrait être de nature à relativiser leur portée. A titre d’illustration nous pourrions citer un arrêt rendu le 21 juin 1988 qui relativise la position catégorique. Ainsi, la chambre commerciale de la Cour de cassation décide que : « …toute infraction au code de la déontologie de la profession d’expert-comptable ne constitue pas nécessairement une faute civile (…) les manquements à ces règles, à supposer effectifs, ne pouvaient servir de base à une action en concurrence déloyale que s’ils impliquaient des manœuvres illicites »70.

Récemment un jugement très médiatisé du Tribunal de commerce de Paris du 12 janvier 200471 LVMH c/ Morgan Stanley a soulevé le problème de l’application des codes déontologiques devant les juges de droit commun( cf. annexe). Si cette décision est venue préciser les devoirs des analystes financiers son originalité consiste dans la manière dont elle caractérise la faute. Le tribunal a retenu la responsabilité civile délictuelle de la banque Morgan Stanley sur la base de l’article 1382 du code civil. Le jugement affirme l’obligation de construire une séparation étanche entre les différents services d’une banque d’affaires. Il retient comme faute lourde le fait que Morgan Stanley n’avait pas construit des « murailles de chine ». Ainsi les juges caractérisent la faute de la banque en se basant sur un constat opéré 69 Cass. Com.22 mai 2001, n°95-14.909, cité par J. Moret-Bailly, Règles déontologiques et fautes civiles, D. 2002, n°37,chr, p.2820 70 Cass. Com. 21 juin 1988, Bull. Civ. IV, n°120 cité par J. Moret-Bailly, Règles déontologiques et fautes civiles, D. 2002, n°37, p.2820 71 T. C. Paris 12 janvier 2004, A.Couret, Banques d’affaires, analystes financiers et conflits d’intérêts, D. 2004, n°5, p.335; H. de Vauplane et J.-J. Daigre, Banque & Droit n° 93, janvier – février 2004, p. 31; A. Pietracosta, L’affaire Morgan Stanley/ Banque d’investissement et analyse financière, RDBF n°2 mars-avril 2004, p.131; JCP éd. E n°5, 29 janvier 2004, Pan. , p.151 ; N. Rontchevsky, RTD com. n°2 avril -juin 2004, chronique Droit des marchés financiers, p.338

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par la SEC. Le tribunal retient que « la structure de Morgan Stanley ne comportait pas de séparation stricte entre les services d’investissement et les services d’analyse financière » ce qui devait nécessairement causer un préjudice aux investisseurs. Cette décision démontre clairement que des manquements aux règles déontologiques peuvent constituer un fondement direct et suffisant pour mettre en cause la responsabilité civile délictuelle des professionnels des marchés. Elle s’aligne sur la jurisprudence issue des arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation du 18 mars 1997 et par la chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 avril 199772. Indirectement les règles qui sont prises en compte sont celles imposées par les associations internationales et les codes de déontologie. Nous pouvons souligner que lors de la discussion devant le tribunal les parties se référent expressément au code déontologique de l’Association française des analystes financiers.

Il apparaît également des termes du jugement que la banque a manqué gravement, et à

des multiples reprises, à ses devoirs d’indépendance, d’impartialité et de rigueur et s’est rendue coupable de dénigrement à l’encontre de LVMH. En effet, de 1999 à 2002 Morgan Stanley avait diffusé des études et opinions comportant, « de façon systématique et répétée, des informations erronées ou biaisées ». Le tribunal caractérise les obligations qui incombent aux analystes financiers. Ces dernières ne sont que la déclinaison du devoir d’objectivité qui s’impose aux professionnels de l’information. Ils peuvent être rattachés au devoir de diligence et de prudence. En tant que tels les devoirs de diligence et de prudence semblent traditionnellement pris en compte par le juge afin de caractériser les devoirs extra contractuels73.

Le jugement du Tribunal de commerce de Paris démontre clairement que des

manquements aux règles déontologiques peuvent constituer un fondement direct et suffisant pour mettre en cause la responsabilité civile quasi- délictuelle des professionnels des marchés financiers.

Même si cette décision relève d’une juridiction du fond la doctrine estime que les deux arrêts qui concernent la concurrence déloyale sont parfaitement transposables en droit financier74. Il s’ensuit que les codes de bonne conduite doivent être appliqués en tant que standard de comportement. Cette idée s’impose d’autant plus que la loi harmonise et « légalise » les règles fondamentales qu’ils doivent contenir. Nous retrouvons les règles au sein de l'article L. 533–4 et s. C. mon. et fin. concernant les prestataires de service d’investissement, l’article L. 341 –11 à 341 -1675C. mon. et fin. concernant les démarcheurs, l’article L. 541-4C. mon. et fin. énumère les règles minimales, auxquelles les codes de bonne conduite édictés les associations professionnelles des conseils en investissements financiers , doivent répondre. La décision du tribunal de commerce de Paris ne fait que confirmer cette position.

Il s’ensuit que les manquements aux codes de bonne conduite peuvent constituer une faute de nature à engager la responsabilité civile délictuelle.

72préc. 73 G. Viney, P. Jourdain, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, éd. LGDJ 1998, n°480 74 F. Bordas, Devoirs professionnels des établissements de crédit, J.-Cl. Banque -Crédit-Bourse, fasc.140, n°46 75 Il convient de préciser au préalable que cette action ne comprenne pas que des règles de bonne conduite au sens strict du terme car l'article L. 341 - 16 reconnaît un droit de rétractation à la personne démarchée; J.Deveze, A. Couret, G. Hirigoyen, Lamy droit du financement, éd. 2004, p.654, n°1070

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Les règles de bonne conduite peuvent servir de fondement pour engager la responsabilité contractuelle des professionnels. En effet, les arrêts cités ci-dessus concernent la responsabilité civile délictuelle mais le conseiller rapporteur de la première chambre civile précise qu’il en serait de même en matière contractuelle. « La solution sera la même pour un litige opposant le praticien à son client »76.

Ainsi, la Cour de cassation a admis depuis longtemps que les professionnels de la bourse commettent une faute en vertu de l’article 1147 du code civil lorsqu’ils n’informent pas leurs clients sur les risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés à terme. L’obligation d’information est générale, elle s’impose quelles que soient les relations contractuelles entre la banque et le client77.

Nombre de règles sont également reprises dans divers contrats type ou des conventions sur mesure. Leurs stipulations peuvent être parfois la traduction pure et simple des normes de comportement figurant dans un code de déontologie. Ainsi la responsabilité du cocontractant peut être engagée sur le fondement de l’article 1142 du code civil78 . Il s’agirait dans ce cas d’une obligation de faire.

Dans le silence de la convention, les dispositions de l’article 1135 du code civil permettraient au juge de considérer les obligations déontologiques naturellement applicables. Aux termes de cet article : « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé mais également à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ». Dans un premier temps certains auteurs soutiennent que les codes de bonne conduite constituent des usages particuliers ou des coutumes codifiées à formation rapide79. Ces deux autorités de fait se caractérisent par leur caractère évolutif et par le fait qu'ils ne sont pas intégrés dans un support écrit. Il convient de relever que l'article 1135 du code civil vise expressément les usages en tant qu’obligation qui s'impose aux parties cocontractantes. Mais même si nous devons constater que certaines règles posées par les codes sont des usages codifiés il semble nécessaire de constater que suite à la loi MAF et à la loi LSF la majorité des règles de bonne conduite sont fixées par la loi et c’est à ce titre qu’elles peuvent compléter les conventions.

Parallèlement à cette jurisprudence un arrêt de la première chambre civile de la Cour

de cassation du 13 octobre 199880 a précisé que l’appréciation par les autorités professionnelles de la gravité d’un manquement déontologique ne lie pas le juge civil. Cet arrêt affirme la prééminence d’une conception souple entre l’obligation déontologique et l’obligation civile. Le juge précise également que les critères qui le conduisent à évaluer un comportement s’inspirent en principe de la justice applicable à l’échelle de la société globale et pouvaient ne pas coïncider avec ceux qui guident l’aménagement d’un ordre particulier.

76Cass. Civ. 1ère 18 mars 1997, JCPéd. G 1997, II, n°22829, note P. Sargos 77 Cass. Com. 5 novembre 1991, RJDA 1992n°1et n°68, RTD com. 1992, p.436 ; Banque & Droit 1992, n°23, p. 106 ; Bull. Joly Bourse 1993,p.292, note F. Peltier; confirmé par Cass. Com. 22 mai 2001, Banque & Droit 2001, n°79, p.29 78article 1142 C. civ. «Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur » 79 F. G. Trebule, Responsabilité sociale des entreprises, Rép. Sociétés Dalloz 80 Cass. Civ. 1ère 13 octobre 1998, D. 1999, note C. Jamin; JCP éd. 1999, II, n°10133 note N. Rzepski; D. somm., p.155, obs. Ph. Delbecque; cité par D. Gutmann, L’obligation déontologique entre l’obligation morale et l’obligation juridique, Arch. Phil. Dr. n°44, 2000, p.115

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La solution ne souffre donc plus d’aucun doute : une règle déontologique peut être invoquée par une partie à l’appui d’une action en dommages intérêts et elle peut servir à un juge pour qualifier une faute civile, contractuelle comme délictuelle. Le juge reste libre de déterminer les standards de comportement, sauf à considérer que l’arrêt de la chambre commerciale et le jugement du Tribunal de commerce de Paris pourront servir de position de principe et admettre par la même que une faute disciplinaire devrait constituer nécessairement une faute civile. Une conception si étroite présente des critiques.

Section 2. Une solution critiquée

D’après une partie de la doctrine, il semble contestable d’admettre qu’une faute déontologique devra automatiquement être qualifiée de faute civile. Selon certains auteurs l'insertion innovante des principes déontologiques dans le droit positif peut de prime abord porter atteinte au principe de sécurité juridique. Ce principe implique dans les Etats de droit écrit des règles aux contours préalablement définis. La solution posée par la chambre commerciale de la Cour de cassation reviendrait à une méconnaissance flagrante de la hiérarchie des « sources de droit »81. Ceci reviendrait à retirer au juge tout pouvoir d’appréciation sans que ceci ait une réelle utilité82. Il revient au juge de prendre en compte la finalité de la règle déontologique ; de vérifier si elle correspond aux devoirs dont il devra assurer le respect83. Comme un auteur le précise « toute violation d’une règle de déontologie ne doit pas systématiquement être érigée en faute au sens des articles 1147 ou 1382 du code civil »84 les codes devront présenter des critères de comportement fautif. Il convient de souligner qu’il ne fait aucun doute que les règles déontologiques constituent des règles primaires de droit, elles prescrivent un comportement à l’égard des membres d’une profession donnée. Si une partie de la doctrine semble être opposée c’est parce qu’elle intègre implicitement la question dans le débat doctrinal qui oppose le positivisme étatiste strict et la théorie de pluralisme juridique85. Cette critique ne remet pas en cause la cohérence de droit mais souligne que les règles sont ordonnées de manière hiérarchique et s’inscrivent dans la conception kelsennienne de droit. Le juge garde tout son pouvoir de définir les devoirs extra contractuels des professionnels pour définir la faute civile en contravention de l’article 1382 du code civil. Ce raisonnement rapproche la morale civile et la morale professionnelle.

Nous pourrions donner raison aux partisans de la doctrine positiviste car les idéaux

collectifs peuvent se caractériser d’une certaine instabilité. Or, le juge n’a pas pour fonction de diriger les mœurs mais seulement de les constater. Sa mission consisterait à faire coïncider le droit avec elles et non à les orienter en fonction de concepts qu’aucune autorité émanée de l’Etat n’aurait qualité pour définir86. Cependant, comme dans de nombreux Etats il semble que la jurisprudence pourrait légitimement recourir à l’éthique et la morale pour définir les fautes civiles. Or, il semble qu’admettre la position positiviste stricte comporte le risque d’une définition très étroite de la faute civile. 81 Cass. Com. 29 avril 1997, D.1997, p.459, note Y. Serra; G. Viney, JCP éd. G 1997, Chronique responsabilité civile n°4068 82Cass. Com. 29 avril 1997, D.1997, p.459, note Y. Serra 83 Cass. Civ. 1ère 18 mars 1997, RTD civ.1999, p.117, obs. J. Mestre 84 J. Mestre, RTD civ.1992,p.385, préc. 85 La doctrine adopte plusieurs visions des sources du droit : jus naturalisme, positivisme, sociologisme et des approches transversales la position qu’on adopte face aux règles déontologiques est intrinsèquement liée par ces théories. J. Moret-Baiily, Les déontologies, PUAM éd.2001, p.27 et 43 ; D. Gutmann, L’obligation déontologique entre l’obligation morale et l’obligation juridique, Arch. Phil. Dr. n°44, 2000, p.115 86 G. Viney, P. Jourdain, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, éd. LGDJ 1998, n°461

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Le standard juridique a pour fonction de compléter les lacunes de droit intra-legem.

L’avantage de cette analyse est de proposer une théorie unifiée applicable à l’ensemble des règles déontologiques extra étatiques. Les juges peuvent prendre en compte ces règles dans la qualification des fautes civiles. Ainsi les tribunaux seront amenés à se référer à des réglementations corporatives qui définissent le comportement du professionnel diligent ou avisé87. Il semble que les professionnels sont les mieux à même pour définir le modèle de conduite et un tel modèle relèverait des codes de bonne conduite. Le législateur a codifié les règles de bonne conduite au sein du code monétaire et financier ce qui leur donne une portée normative beaucoup plus importante que les autres codes de déontologie. Cette démarche a pour effet de hisser les règles de bonne conduite en haut de la hiérarchie des normes et de permettre de manière plus aisée de définir le mauvais comportement. Il semble que le juge reste libre de motiver ses décisions en leur faisant référence88.

Il convient à présent de s’intéresser à l’étendue de la responsabilité civile engagée sur

le fondement des règles déontologiques. En réalité, il semble que la doctrine soit plus critique au regard du régime de la mise en œuvre de la responsabilité que sur le fait de les prendre en compte comme des standards de comportement.

Chapitre 2. Les conditions du dédommagement Deux reproches sont généralement adressés aux arrêts qui engagent la responsabilité

civile sur le fondement d’un manquement aux codes de bonne conduite. La chambre commerciale de la Cour de Cassation et le Tribunal de commerce de Paris ont adopté une conception souple en ce qui concerne le lien de causalité qui doit exister entre le préjudice et le fait causal. L’assouplissement du lien de causalité (section1) doit être mis en perspective avec la conception extensive concernant le préjudice réparable en matière du droit financier (section 2).

Section1. Un lien de causalité souple

Pour engager la responsabilité civile, le droit commun exige un lien de causalité (Section 1) entre le dommage et la faute, or il convient de souligner que la jurisprudence semble assouplir(section2)la mise en œuvre de cette condition quant aux manquements déontologiques.

§1. L’exigence traditionnelle d’un lien de causalité

Traditionnellement en droit de la responsabilité civile, il convient de démontrer un lien de causalité entre le préjudice et le fait reproché. La notion de lien de causalité ne fait pas l’unanimité au sein de la doctrine. Il existe un refus systématique de définir le concept89. Ceci étant, l’article 1151 du code civil exige un lien de causalité entre la faute et le préjudice en

87F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, les obligations, n° 579, p.556 ; Ph. le Tourneau, L’éthique des affaires et du management au XXI siècle, Essaie, éd. Dalloz 2000, p.108 88J. MORET- BAILLY, Les déontologies, éd. PUAM, 2001, p.325 et s. 89 G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, éd. LGDJ, 1998

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matière contractuelle. La doctrine et la jurisprudence90 s’accordent sur l’exigence d’un lien de causalité direct entre la faute et le préjudice en matière civile délictuelle.

En matière contractuelle, l’article 1151 caractérise le préjudice réparable comme la

suite « immédiate et directe de l’inexécution de la convention ». L’idée essentielle que nous devons voir dans cet article c’est la relation de cause à effet entre le dommage, dont on réclame la réparation et la faute du débiteur. Or, comme un évènement n’a pas toujours une seule cause, deux théories sont généralement mises en avant par la doctrine : le système de l’équivalence des conditions et celui de la cause adéquate.

Dans le premier cas, il suffit que le dommage puisse être rattaché par un lien

quelconque à la faute du débiteur pour que ce dernier soit déclaré coupable. Le second système distingue parmi les causes prépondérantes et les causes secondaires. Les premières sont celles qui ont nécessairement contribué à la réalisation du dommage, les causes secondaires sont celles dont la réalisation ne serait pas de nature à provoquer le dommage à elle seule. Dans les deux cas il appartient au juge du fond de constater le lien de causalité.

L’exigence d’un lien de causalité, concernant la responsabilité délictuelle ne relève pas

explicitement des textes mêmes du code civil, les articles 1382 à 1385 ne définissent pas l’exigence du lien de causalité. C’est une notion de droit qui s’impose au juge et sur laquelle la Cour de cassation opère son contrôle91.

Il convient de souligner que la jurisprudence relative à la responsabilité pour des

manquements aux règles déontologiques a tendance à déduire le dommage du seul fait du manquement déontologique. Ceci se vérifie aussi bien en matière de concurrence déloyale qu’en cas de conflit d’intérêt en droit financier.

§2. Une mise en œuvre assouplie Deux domaines semblent soulever des particularités : il s’agit principalement de la

concurrence déloyale et des conflits d’intérêt.

La concurrence déloyale : La chambre commerciale de la cour de cassation a décidé dans l’arrêt du 29 avril 199792 au visa de l’article 1382 du C. Civ. que « la méconnaissance des règles déontologiques de la profession d’expert- comptable (…) suffisait d’établir que de tels agissements étaient constitutifs de concurrence déloyale ». Cette décision a été confirmée par un arrêt du 22 mai 200193 qui indique que « les transferts de dossiers de certains clients s’étaient effectués en méconnaissance des règles déontologiques ce qui suffisait à établir que de tels agissements étaient constitutifs de concurrence déloyale ».

A la lumière de ces deux arrêts, il semble suffisant que le juge qualifie les faits comme méconnaissance d’une règle de bonne conduite pour que par le fait même elles doivent être

90 Cass. Com. 15 mars 1976, JCP 1977,II,18632, note J. Gesthin; F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, éd.2002, n°592 et 859 91 Ibid. 92 Cass. Com. 29 avril 1997, D.1997, p.459, note Y. Serra; G. Viney, JCP éd. G, 1997, Chronique responsabilité civile n°4068 93 Cass. Com 22 mai 2001, pourvoi n°95-14.909 cité par J. Moret-Bailly, Règles déontologiques et fautes civiles, D. 2002, n°37, p.2820

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qualifiées d’agissements constitutifs de concurrence déloyale. Certes, l’établissement du lien de causalité est extrêmement délicat en matière de concurrence déloyale mais il ne reste pas moins critiquable que le juge déduit de plus en plus souvent le préjudice de la faute professionnelle elle-même. Ceci, d’après un auteur, correspond à une vision pragmatique en matière de concurrence déloyale.

Les conflits d’intérêt : La même critique pourrait être adressée concernant la décision du Tribunal de commerce de Paris du 12 janvier 200494. Dans le jugement LVMH/Morgan Stanley le tribunal caractérise la faute de la banque d’affaires par l’absence de séparation entre les services d’investissement et ceux de l’analyse financière. En effet, la banque dispose d’un département de conseil en fusion acquisitions et d’un département en analyse financière qui fait appel aux services d’une analyste connue pour sa compétence en matière de produits de luxe et de la mode Mme C. Kent. A l’occasion de la prise de contrôle de Gucci par LVMH la banque, conseil du premier, avait contribué à l’échec de l’opération. Les analyses financières relevaient des inexactitudes. Les erreurs factuelles avaient pour conséquence de valoriser Gucci au détriment de LVMH. En l’espèce, il ne s’agit pas de délit de fausse information 95.Il convient de souligner que les agences de notation avaient également donné des notes défavorables à LVMH. La société LVMH invoque la responsabilité civile pour engager la responsabilité. La décision retient une faute lourde sur la base de l’article 1382 du code civil. Constituée par le fait que la banque n’avait pas construit une séparation stricte entre les services. Elle se base sur le constat opéré par la Securities Exchange Commission qui avait « précisé que l’absence d’une séparation entre les services (…)a manifestement crée un manque d’objectivité des analystes de la banque, nécessairement préjudiciable aux investisseurs ».En l’espèce, le tribunal constate, sans démontrer que l’opinion de l’analyste était entachée d’un manque d’objectivité et il se base sur l’ensemble des informations erronées qui étaient communiquée par la banque. Le tribunal ne démontre pas en quoi l’opinion de l’analyste était influencée. Or, il ne semble pas raisonnable d’exiger de l’analyste de s’abstenir de tout jugement critique. L’auteur d’analyse « exerce un droit ou une liberté qui comporte par sa nature le droit de nuire »96.

Donc comme nous l’avons relevé il existe des fautes, mais il ne semble pas que le lien

de causalité soit établi entre le dénigrement, que la décision retient, et l’absence de séparation entre les différents services et ceci même si, comme la cour le relève, l’opinion d’une banque de standing international comme Morgan Stanley a nécessairement un impact sur les sociétés d’importance mondiale dans ce secteur du luxe et sur l’opinion des analystes spécialisés. Un lien de causalité direct entre cette faute et le préjudice ne semble pas être réellement établi. Le jugement semble déduire le lien de causalité du seul fait du manquement à l’obligation déontologique. Les « règles de bonne conduite » obligent les banques qui disposent d’un service d’analyse financière de mettre en place une séparation stricte entre les différents services pour prévenir les conflits d’intérêts. Or, nous pourrions soutenir qu’en l’espèce la décision semble se conformer à la jurisprudence récente de la Cour de cassation qui admet

94 T. C. Paris 12 janvier 2004, A.Couret, Banques d’affaires, analystes financiers et conflits d’intérêts, D. 2004, n°5, p.335 ;H. de Vauplane et J.-J. Daigre, Banque & Droit n° 93, janvier – février 2004, p. 31; A. Pietracosta, L’affaire Morgan Stanley/ Banque d’investissement et analyse financière, RDBF n°2 mars- avril 2004, p.131; JCP éd. E n°5, 29 janvier 2004, Pan. , p.151 ; N. Rontchevsky, RTD com. n°2 avril- juin 2004, chronique Droit des marchés financiers, p.338 95 article L. 465-1C. mon. et fin. 96 B. Starck, Droit civil, Les obligations, T. 1, n°191 cité par, A.Couret, Banques d’affaires, analystes financiers et conflits d’intérêts, D. 2004, n°5, p.335

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que « le préjudice s’infère nécessairement du seul dénigrement commis »97. Cependant, il nous semble critiquable que les juges n’ont pas attaché une importance aux usages dans la matière. Ils imposent une communication préalable des analyses à l’émetteur concerné. Aucune recherche dans ce sens ne relève de l’espèce commentée. De même il importerait peu alors que Morgan Stanley ne serait pas la seule à établir des analyses défavorables dés lors qu’elles sont établies dans des conditions fautives.

L’assouplissement du lien de causalité s’accompagne d’une conception large du préjudice réparable. En effet, il existe un caractère nécessairement aléatoire dans les opérations de bourse. La jurisprudence a une conception large du préjudice réparable, elle admet l’indemnisation de la perte d’une chance ainsi que le préjudice moral des personnes morales.

Section 2. Une conception large du préjudice réparable

La jurisprudence a adopté une conception extrêmement souple concernant le préjudice réparable. Si traditionnellement le préjudice porte sur les pertes matérielles que le demandeur peut subir, nous pouvons constater que la Cour de Cassation admet de réparer la perte d’une chance réelle et sérieuse et le préjudice moral des personnes morales.

Le préjudice subi par les clients est généralement un préjudice matériel. Pour déterminer son étendue nous devons comparer la gestion avec celle effectuée par un professionnel normalement diligent et compétent, étant précisé qu’il s’agit d’apprécier la gestion globale du mandataire. Le préjudice est fonction de la faute de gestion. Si les fautes du professionnel sont des fautes lourdes, c’est l’intégralité du préjudice qui sera réparée98.

La jurisprudence qualifie généralement le préjudice comme la perte d’une chance. Les opérations sur les produits financiers sont liées intrinsèquement avec l’existence d’un aléa. Il s’agit pour le juge de déterminer la probabilité de réalisation d’un gain en fonction des circonstances prévisibles. La perte d’une chance réelle et sérieuse constitue un dommage certain et elle pourrait être réparée. Il n’en reste pas moins que dans certains cas la notion est utilisé abusivement. Ceci est particulièrement vrai concernant l’obligation d’information qui trouve à s’appliquer en cas de défaut d’appel à la couverture. Afin de protéger le bon fonctionnement du marché le professionnel est tenu de fournir une couverture pour les opérations réalisées. Or, le manquement à cette obligation professionnelle ne pourrait pas être invoqué par le client. Une jurisprudence constante souligne que cette obligation a pour objet de protéger le marché99 . Toutefois, la Cour de cassation affirme que les manquements à l’obligation d’information, qui incombe au professionnel, peuvent donner lieu à la réparation de la perte d’une chance. La doctrine souligne que si en apparence les juridictions semblent se conformer à la distinction opérée entre les fautes disciplinaires et les fautes civiles en pratique l’indemnisation accordée aux clients semble remettre en cause cette question. Un arrêt de la Cour d’appel de Versailles SA France Compensation Bourse c/ Mme Chevalier100

97 Cass. Com.14 juin 2000, Bull. civ. , IV, n°126 ; cité par A.Couret, Banques d’affaires, analystes financiers et conflits d’intérêts, D. 2004, n°5, p.335; Cass. Com. 9 février 1993, JCPéd. E 1944, II, n°545, note C. Danglehant 98 Cass. Com. 6 juin 2001, Bull. Joly bourse novembre décembre 2001, p.591 99 Cass. Com.5 novembre 1991, RTD com. 1992, p.436, n°22, Obs. M. Cabrillac et Teyssie 100 C.A. Versailles, 22e ch., sect. A, 21 septembre 1999, n°284/97 SA France Compensation Bourse c/ Mme Chevalier, Bull. Joly Bourse janvier- février, 2000, p.51, note L. Ruet

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semble illustrer cette idée : « Le préjudice ainsi subi par la cliente consiste en la perte d’une chance d’échapper, par des décisions éventuellement plus judicieuses, au risque des pertes qui s’est, en définitive, réalisé ». En l’espèce, la cliente qui n’avait pas d’expérience en matière boursière opère sur les marchés à terme lors du krach boursier de 1987. Or, la banque n’avait pas exécuté correctement l’obligation d’information et de mise en garde. Comme suite aux pertes subies, elle assigne en justice sa cliente pour le payement de ses dettes. La cour estime que la perte de chance subie par la cliente s’élève à 99,3% des pertes totales. Il convient de souligner que la cour ne démontre aucunement la certitude que la cliente dûment informée sur les risques du marché aurait évité les pertes subies ou aurait reconstitué la couverture des opérations réalisées. Les pertes en question tenaient plus à la situation catastrophique de la bourse due au krach de 1987. Cet arrêt constitue un exemple marquant de la manière dont les juridictions appliquent la théorie de la perte d’une chance et par le biais des règles de bonne conduite. A la lecture de l’arrêt il semble que les juges de fond sanctionnent indirectement l’obligation de couverture faute de pouvoir engager la responsabilité des professionnels sur la base des fautes disciplinaires.

L’examen de l’étendue du préjudice semble particulièrement intéressant à la lumière

du jugement du Tribunal de commerce de Paris LVMHc/Morgan Stanley101. Deux enseignements peuvent être dégagés de ce jugement.

Le jugement accorde la réparation du préjudice moral de la personne morale. L’acceptation du préjudice moral des personnes morales s’inscrit dans un courant récent de la jurisprudence de la Cour de cassation et spécialement concernant la chambre commerciale102. La question du préjudice moral des personnes morales semble a priori incongrue. Les auteurs n’admettent pas la personne morale comme un être vivant or le préjudice moral se définit comme le dommage subi par la personne dans ses sentiments. L’atteinte à la réputation de la personne. La volonté contemporaine des juridictions de se montrer à l’écoute des victimes et de leur apporter aide et indemnisation ne devrait pas aller dans des excès surréalistes. Le groupement qualifié de personne morale semble être plus proche de la copropriété, de l’indivision c’est-à-dire du droit des biens que du droit des personnes103. Il semble que le préjudice réellement subi par LVMH correspond plus à l’attente à l’image de l’entreprise sur le marché qu’à un préjudice moral104dû au dénigrement.

L’article 1149 du code civil105 pose le principe de la réparation intégrale du préjudice. Ce qui choque la doctrine c’est le montant accordé au titre du préjudice moral. Nous restons perplexes sur le montant du préjudice qui est évalué à 30 millions d’euros. Ce jugement semble rapprocher l’indemnisation à des dommages et intérêts punitifs. La responsabilité engagée sur la base des règles déontologiques semble rapprocher la conception française de l’étendue du préjudice à la conception américaine qui met en avant un aspect punitif de la responsabilité. Les juridictions américaines indemnisent le dommage subi au-delà de sa juste valeur. Ainsi, vue sous cet angle, la responsabilité des professionnels devant les juridictions du droit commun semble évoluer d’une conception réparatrice à une

101 Ibid. 102 V. Wester- Ouisse, Le préjudice moral des personnes morales, JCP éd. G, n°26 juin 2003, p.1189 103 ibid. 104 A.Couret, Banques d’affaires, analystes financiers et conflits d’intérêts, D. 2004, n°5, p.335 105 Il faut relever que si cet article concerne la responsabilité contractuelle, il s’applique également en matière délictuelle, même si les articles 1382 à1386 C. civ. ne font aucunement référence à la réparation en dommages et intérêts. G. Viney, Introduction à la responsabilité, éd. LGDJ 2001, p.107

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conception punitive. Cette démarche reste critiquable, car elle diffère de la conception française de la responsabilité qui tend à limiter le préjudice dans des limites bien circonscrites.

Cependant, l’appréciation des dommages et intérêts appartient aux juges du fond. Le

contrôle sur la motivation106 de la Cour de cassation reste possible. Il semble que cette position est conforme aux vœux d’une grande partie des investisseurs107. Néanmoins, une telle tendance mérite d’être soulignée, car elle peut progressivement réorienter le débat.

Nous pouvons constater que le juge peut recourir aux codes de bonne conduite afin de

caractériser la faute au sens du droit commun de la responsabilité. Le traitement des règles déontologiques par la Cour de cassation n’a rien d’original par rapport à celui des autres règles du droit. La Haute juridiction applique aux règles de bonne conduite les principes habituels du droit civil. L’ensemble des règles déontologiques extra étatiques peut être pris en compte par le juge civil dans la qualification des fautes civiles, sans que cette mise en œuvre présente le moindre caractère obligatoire. Toutefois, nous devons souligner que la responsabilité civile ne devra jouer qu’un rôle secondaire. La jurisprudence et la doctrine affirment traditionnellement que la responsabilité qui s’impose au regard des règles corporatives est d’abord et avant tout une responsabilité disciplinaire.

Comme le souligne M. Savatier, les « déontologies constituent une loi interne à la

profession, sanctionnée disciplinairement »108. Or, le contentieux disciplinaire en droit des marchés financiers présente des caractéristiques propres. Le législateur a mis en place des autorités régulatrices qui ont pour fonction de veiller à la protection de l’épargne et au bon fonctionnement des marchés. Les autorités de tutelle sont dotées de pouvoirs de plus en plus étendus, elles sont dotées d’un pouvoir de sanction disciplinaire au regard des professionnels des marchés financiers. Les sanctions qu’elles peuvent prononcer à l’encontre des professionnels sont gouvernés par le principe de légalité. Or, comme nous l’avons déjà précisé les règles déontologiques sont des règles « privées ». A la lumière de ce constat, nous analyserons la démarche adoptée par les autorités de tutelle pour intégrer les codes de bonne conduite dans le contentieux disciplinaire.

Il ne reste aucun doute que le juge du droit commun puisse prononcer des sanctions au

regard des règles déontologiques. Or, la responsabilité ne peut pas être circonscrite aux sanctions de nature purement civile. L’effectivité des codes de bonne conduite est également subordonnée à la possibilité d’invoquer les codes de nature professionnelle devant les régulateurs du marché. Cette possibilité est loin d’être évidente. Les autorités de tutelle doivent statuer dans des limites circonscrites par l’Etat. Les codes de bonne conduite qui relèvent de la déontologie constituent un droit infra-étatique et se déterminent par un caractère strictement corporatiste. Cependant, les règles déontologiques sont également prises en compte par les autorités de tutelle.

106G. Viney, Introduction à la responsabilité, éd. LGDJ 2001, p.133 107 S. Bonnifassi, L’accès au juge pour l’épargnant, P.A. 31 juillet 2003, n°152, p.39 108 C.A. Limoges 4 mai 1959, JCP1959, II, 11154, obs. J. Savatier

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Partie 2 Les codes de bonne conduite, un instrument de contrôle des autorités de tutelle

Les règles de bonne conduite sont obligatoires au regard des organismes professionnels. Le concept d’infraction disciplinaire s’inscrit dans un autre registre que celui de la responsabilité pénale ou civile. Il s’agit « d’assurer l’ordre interne d’un groupe social »109et de faire en sorte que les membres de la profession ainsi que leurs collaborateurs respectent des règles précises afin d’assurer la sécurité et l’intégrité du marché. Les sanctions sont de nature à dissuader les professionnels mais peuvent également avoir un effet pédagogique. Le respect des règles déontologiques est assuré par la force contraignante que dégage la réprobation de la profession surtout lorsque cette dernière est organisée de manière à exercer un pouvoir disciplinaire. Le respect des codes de bonne conduite se fait par recours à une autorité de surveillance. Les codes sont plus que de la morale. Ils se rapprochent des règles de droit car ils empruntent leur force obligatoire.

Le pouvoir disciplinaire est bicéphale. Les sanctions peuvent non seulement être

prononcées par le dirigeant de l’entreprise mais également par l’autorité professionnelle. La responsabilité devant les dirigeants de l’entreprise relevant du droit du travail nous nous concentrerons dans cette partie sur le pouvoir de sanction des autorités de tutelle.

La loi du 1 août 2003 a élargi l’étendue des compétences des autorités de tutelle

(Titre1). La nouvelle Autorité des marchés financiers voit ses pouvoirs de sanction disciplinaire s’étendre sur les codes de bonne conduite adoptés par les organismes privés. Ces compétences sont traduites quant à la mise en œuvre de la responsabilité des professionnels (Titre 2).

TITRE 1 L’étendue des compétences des autorités de tutelle

En principe, les codes de bonne conduite sont élaborés par des associations privées. Compte tenu de l’importance que les codes revêtent à l’égard des professionnels, la COB, le CMF et la CB ont mis en place des modalités propres de nature à élargir leur champ de compétence. La loi sur la sécurité financière est venue reconnaître ce procédé. Parallèlement à la fusion de la COB, du CDGF et du CMF, le législateur a en quelque sorte fait sienne la pratique instituée par les anciennes autorités concernant les codes privés de bonne conduite (chapitre 1). Pratique qui consiste dans l’appropriation des codes privés par les autorités professionnelles (chapitre 2).

Chapitre1. L’appropriation des codes de bonne conduite par les autorités de

tutelle

Les modalités adoptées pour l’appropriation des codes déontologiques par les régulateurs du marché (section1) sont largement similaires. Si elles s’intégraient en partie dans le cadre d’une habilitation législative, elles dépassaient parfois les termes strictes de la loi et a ce titre elles ont fait l’objet de plusieurs critiques(section2). 109 Bruno Gizard et Jean- Pierre Dechanel, Déontologie financière et pouvoir disciplinaire, Mélanges AEDBF- France III, Banque éditeur, 2001, p. 157

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Section 1 Les modalités adoptées

Le cadre législatif et réglementaire : Comme nous l’avons déjà souligné, la loi du 2 juillet 1996110 a transposé la directive communautaire du 10 mai 1993111 . L’article 58 de la loi a donné pouvoir au CMF et à la COB pour mettre en place les règles de bonne conduite concernant respectivement les prestations de services d’investissement et des services connexes ainsi que le mandat de gestion de portefeuille112. La loi fixe elle-même les principes de base. En vertu de leur pouvoir réglementaire113, les autorités de tutelle ont mis en place des règles détaillées concernant l'application des règles générales de bonne conduite.

La démarche de la COB se concrétise par les règlements n°96-03 et 96-02 relatifs aux

règles de bonne conduite applicables aux services de gestion de portefeuille pour le compte de tiers et par une instruction de janvier 1997 qui précise l’application du règlement 96-02 quant aux règles applicables à la gestion sous mandat 114. Le règlement général du Conseil des marchés financiers intègre les règles applicables aux prestataires de service d’investissement dans son titre trois intitulé « Les règles de bonne conduite applicable aux prestataires habilités »115.

Toutefois, les deux autorités ne se limitent pas à l’exercice de leur pouvoir

réglementaire. Elles s’approprient également des règles issues des codes adoptés par les associations professionnelles.

Un des premiers codes de conduite professionnelle est celui des professionnels de la

gestion collective116 . La COB a « décidé de confirmer l'insertion du Nouveau code de déontologie de l’ASFFI dans les dispositions générales destinées à l'ensemble de la profession de la gestion collective de portefeuille »117.

De même, l’association AGF-ASFFI a élaboré un règlement de déontologie de la

gestion de portefeuille individualisée sous mandat le 3 avril 1997 pour lequel la COB a précisé dans son bulletin de septembre 1997 qu’il s’adressait à l’ensemble des prestataires opérant en France118.

Plus récemment, l’AFG-ASFFI et l’AFIC119 ont adopté un code déontologique qui

reprend les principes et les propositions arrêtées par le groupe Adhémar constitué par la

110 Loi n°96-597 111 Directive 93/22 CEE du Conseil concernant les services d’investissement dans le domaine des valeurs mobilières et en particulier son article 11qui impose aux Etats membres de mettre en place des règles de bonne conduite 112 Ancien art. L533-4 C. mon. et fin. « Ces règles sont établies par le Conseil des marchés financiers et, pour celles ayant trait aux services définis au 4 de l'article L. 321 -1, par la Commission des opérations de bourse. » 113 article L 621-16 C. mon. et fin et article L622-7 C. mon. et fin. 114 J. M. Boussin et G. de Lambilly, Le mandat de gestion de portefeuille individuel et la responsabilité des intermédiaires, Banque & Droit n°59 mai – juin 1998, p.3 115 Arrêté du 2 mai 2002 (Journal officiel du 5 mai 2002) ; Arrêté du 18 décembre 2000 (Journal officiel du 17 juillet 2001) ; Arrêté du 29 juillet 1998 ( Journal officiel de 5 septembre 1998) 116AFG-ASFFI code de déontologie des OPCVM établi en 1990 et actualisé en juin 1996 par un volet quant à la gestion individuelle 117 Rapport annuel COB 1997,p.151 118 J. M. Boussin et G. de Lambilly, Le mandat de gestion de portefeuille individuel et la responsabilité des intermédiaires, Banque & Droit n°59 mai – juin 1998, p.3 119 Association française des investisseurs en capital

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COB120. Un autre exemple de recommandations est le « code de bonne conduite relatif à la présentation des performances et des classements d’OPCVM » adoptée par l’AFG-ASFFI le 16 septembre 1998121. Le règlement COB n° 96 - 03 se situe dans le prolongement de cette démarche et confirme les principes arrêtés par les professionnels. Ainsi, par le biais de son pouvoir réglementaire, la COB intègre les règles de bonne conduite dans un dispositif contraignant.

Le Conseil des marchés financiers a pris la même position au regard des codes privés.

Intéressante est la manière dont il légitime ses pouvoirs: en vertu de l’article 3-1-2 du règlement général du CMF lorsque une association professionnelle élabore un code de bonne conduite destiné à s’appliquer aux prestations de service d’investissement il semble qu’elle doivent le soumettre à l’autorité professionnelle. Cette dernière vérifie sa compatibilité avec son règlement et les règles de bonne conduite qu’elle a elle-même mis en place conformément à l’habilitation du pouvoir législatif. La démarche requiert un avis préalable de l’Association française des établissements de crédit et des entreprises d’investissement. Le Conseil pourra alors « recommander à l’ensemble des prestataires habilités tout ou partie des dispositions du code en cause ». Cette démarche est officialisée par une publication au Bulletin Officiel du CMF. Par ce biais le CMF s'approprie les codes de bonne conduite élaborés par des associations privées. Implicitement, le conseil impose à toute association professionnelle de lui communiquer le projet de code de bonne conduite qu'elle envisage de mettre en place. La doctrine estime que l'autorité de tutelle sort des pouvoirs que la loi lui confère. En effet, la loi ne donne aucun pouvoir de tutelle au conseil concernant les associations professionnelles.

Afin d’améliorer la sécurité de la Place de Paris pour la relation banque – client sur les

opérations traitées sur les marchés de gré à gré, les conseils d’administration de trois associations professionnelles de banques et d’entreprise : AFB, AFTB et AFTE ont adopté le code de bonne conduite AFTB-AFTE. Après avis favorable de l’AFECEI, l’autorité du marché a recommandé ce code, par un communiqué du 30 octobre 1998, à l’ensemble des prestataires de service d’investissement habilités122. D’après les termes de cette publication le code « contribue utilement à inscrire les rapports professionnels entre intervenants concernés dans un cadre de confiance et d'efficacité ». La France est le seul pays de la zone euro qui dispose d'un tel référentiel123. Grâce à ce dernier, l'Association française des trésoriers d'entreprise est reconnue comme leader sur ce plan est et elle s'est vue confier la tâche d'élaborer un code européen dans son domaine124.

Une des dernières recommandations en vertu de l'article 3-1-2 du règlement général du

CMF concerne le code de déontologie professionnelle de la Société française des analystes financiers et le code de professionnel FBF-AFEI relatif aux diligences à opérer par les prestataires de services d'investissement qui conseillent une société en vue de la publication d'un prospectus d’introduction, d'un document de référence ou d'un prospectus d'émission et de l'attestation de ces diligences auprès de la COB125.

120 Eliet Guillaume, Des fonds éthiques à l'éthique des fonds, Bull. Joly bourse et produits financiers, 2002, p.8 121 ibid. 122 BALO CMF du 4 novembre 1998 123 A. Rousset et C.-H. Taufflieb, Code de bonne conduite AFTB-AFTE, Banque & Droit n°64, mars-avril 1999, p.20 124 ibid. 125 Décision de recommandation du 19 mars 2003 www.sfaf.fr

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La même démarche est adoptée par la Commission bancaire126. En vertu de l'article L.. 613 -1 C. mon. et fin. « elle veille au respect des règles de bonne conduite de la profession » c'est-à-dire des établissements de crédit. Les règles déontologiques rentrent dans ce cadre. Un indice de l'appropriation peut être trouvé dans la position prise par le gouverneur de la Banque de France qui indique dans une lettre de 15 mai 1990 que la recommandation professionnelle relative à la commercialisation des plans d'épargne populaire figure au rang des obligations des établissements de crédit. De même, la Commission bancaire considère que les règles élaborées par les instances professionnelles ont une autorité morale. Les règles reconnues par les organismes professionnels ou bien les règles contenues dans les avis du Comité consultatif du Conseil national de crédit pouvaient être considérées comme des règles de bonne conduite. La Commission bancaire a considéré comme des règles de bonne conduite les dispositions issues de la Déclaration des principes du Comité de Bâle de décembre 1988 sur la prévention de l'utilisation du système bancaire pour le blanchiment de fonds d'origine criminelle. La commission a souligné que son appréciation se fait au cas par cas. Toutefois, il convient de souligner qu'elle s'octroyait la possibilité de contrôler leur respect127 alors que les règles n’étaient pas expressément fixées par la loi française.

Il convient de constater que les autorités de tutelle ont adopté une démarche similaire

afin d'intégrer les règles de bonne conduite arrêtées par des associations de droit privé ou par des organisations internationales dans leur domaine de compétence. Cette démarche n'est pas exempte de critiques même si elle peut être justifiée dans une large mesure.

Section 2 Une démarche critiquable

Deux critiques peuvent être adressées aussi bien à la COB qu’au regard de la démarche du CMF. Elles concernent principalement l’étendue de leurs compétences.

Dans un premier temps nous pouvons adresser des critiques au regard du pouvoir

même de réglementation des autorités tutelle. Il ne fait aucun doute que le règlement n°96-03 a une valeur réglementaire et peut faire l’objet de sanctions administratives et disciplinaires de la COB. Aux termes de la loi, elle pouvait ordonner qu’il soit mis fin aux pratiques contraires à ses règlements (la COB disposait à cet effet d’un pouvoir d’injonction et de sanctions administratives et disciplinaires).

Or, conformément à sa démarche adoptée au regard des codes de bonne conduite, la

COB avait annoncé dans un communiqué que les règles énoncées dans le code AFG-ASSFI et AFIC seront passibles de sanctions disciplinaires prononcées par le CDGF. En effet, la COB n’a pas le droit de sanctionner les manquements à moins que les règles soient reprises dans ses règlements.

De même, s'est posée la question du pouvoir de la COB de réglementer les « due

diligence » en matière d'appel public à l’épargne. Ce pouvoir ne lui revenait pas d’après la loi MAF. Les due diligence sont les procédures de vérification qui s’imposent à tout intermédiaire financier qui assiste une société candidate à l’appel public à l’épargne. En

126 F. Bordas, Devoirs professionnels des Etablissements de crédit ; Déontologie, éd. J. –Cl. Banque – Crédit-Bourse, fasc.140 127 L’exemple donné par les principes du Comité de Bâle a un aspect purement historique parce que la lutte contre le blanchiment d'argent relève aujourd'hui des dispositions législatives

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réalité, la commission a réglementé 128 l'information à diffuser lors de l'admission aux négociations sur un marché réglementé. Elle a également défini les informations dues lors de l'émission d'instruments financiers dont l'admission aux négociations sur un marché réglementé est demandée. Or, en l’espèce les prestataires de services d'investissement doivent pouvoir définir eux-mêmes les règlements relatifs à l'information due au public et le devoir de diligences des intermédiaires financiers apportant leurs services à la réalisation d'un appel public à l'épargne. Cette démarche est critiquée. La COB n'est pas autorisée à régir le comportement des prestataires de services d'investissement sans être habilitée par la loi. De plus la profession est apte à définir ses propres règles déontologiques129 au sein de la Fédération bancaire française ou de l'association française des entreprises d'investissement. Ceci illustre les limites du pouvoir de la Commission en ce qui concerne la définition des usages professionnels. De même ces critiques témoignent des problèmes soulevés par la démarche d'appropriation des règles de bonne conduite.

Il paraît difficile d'intégrer le code, objet de recommandation, dans le champ normatif

du droit des marchés financiers. Toutefois, le CMF ne semble pas être influencé par l'ambiguïté de son pouvoir de recommandation. En vertu de l’article 3-4-14 al. 3 du règlement général du CMF, l'autorité de tutelle s’arroge le droit de sanctionner disciplinairement le manquement aux règles recommandées : « Au cas où le prestataire habilité estime ne pas devoir se conformer à une des recommandations établies en application de l’article 3-1-2, il doit être en mesure d'en justifier la raison sur requête du Conseil » . L'impossibilité de justifier pourrait ainsi être sanctionnée par l'autorité de marché130.

Il existe également une deuxième critique au regard de cette démarche. L’intégration

des règles dans la compétence de l'autorité de tutelle aura pour effet de juxtaposer les codes dédiés à des organisations et opérations particulières et ceci sans assurer la cohérence entre les différentes dispositions. Cette critique a été adressée concernant le code de bonne conduite AFTB-AFTE relatif aux opérations sur des instruments financiers de taux de change conclu sur les marchés de gré à gré131. La mise en oeuvre du code pouvait relever des différences d’interprétation avec les règles réglementaires.

Les reproches ainsi faits doivent être modérés. La difficulté est surtout pratique. Elle

relève de la multiplication des règles auxquelles les professionnels doivent se soumettre lorsque les opérations relèvent du code de bonne conduite. Il faut souligner que les lois et règlements encadrent largement les règles de fond et assurent une certaine uniformité. La fonction des autorités devrait les inciter à s'assurer préalablement qu’il n'existe pas de divergences d'interprétation sur les conditions dans lesquelles les règles peuvent être mises en oeuvre.

Ces critiques ne sont pas adressées à toutes les autorités de tutelle. Il semble que le

législateur ait voulu donner, au moins en ce qui concerne la Commission bancaire, le pouvoir de veiller à la bonne réputation de la profession en dehors de toute prescription légale ou

128 En vertu des règlements n°95-01, 98-01 et 98-08 relatifs à l'information à diffuser à l'occasion d'opérations réalisées sur le Nouveau marché 129 F. Peltier, « Due diligence » à responsabilité limitée, RDBF septembre- octobre 2002 n°5, p.285 130 F. Buisson et B. de Saint Mars, « Prestataires de services d'investissement ( autres que les sociétés de gestion de portefeuille), Réglementation, contrôle et discipline, éd. J. –Cl. Sociétés Traité, fasc.1542, n°78 et s. 131 ibid.

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réglementaire132. Ainsi, lors de l'adoption de l'article 37 de la loi bancaire de 1984, le sénateur Durand avait écrit dans son rapport que « le corps de règles de bonne conduite qui s’apparente à la déontologie de la profession, n'est pas aisé à cerner et que la Commission bancaire est à la fois chargée implicitement sinon de le définir, du moins de le constater et de le faire respecter »133. Nous pourrions conclure que le domaine des règles professionnelles inclut les codes de bonne conduite des associations bancaires. C'est à cette fin que le législateur a conféré à la Commission bancaire un pouvoir de mise en garde134 . Le non-respect d’une mise en garde pouvait entraîner l’application du pouvoir disciplinaire de la commission135.

Nous pouvons constater aujourd'hui que le pouvoir de recommandation des autorités

de tutelle a joué un rôle considérable en droit des affaires. Le législateur s’est inspiré d’un nombre important de recommandations afin de codifier lui-même les principes qui se sont révélés les plus problématiques. Dans un premier temps, ce sont les principes de Corporate gouvernance que le législateur a repris des recommandations de la COB alors que la doctrine ne concevait ces principes que sous leur aspect de « pure et simple recommandation »136 instituée pour séduire les investisseurs. D'après la doctrine, la législation n'avait pas à être modifiée et tout au contraire il appartenait aux actionnaires de choisir le modèle qu'ils voulaient appliquer. Ces principes qui initialement avaient un aspect purement contractuel pour les actionnaires sont aujourd'hui largement ancrés par la loi. Ce mouvement de codification a commencé par la loi Nouvelles régulations économiques137 et nous le retrouvons dans les lois récentes du 1 août 2003 - la loi sur la sécurité financière et la loi Dutreil.

Toutefois, la démarche adoptée par le législateur concernant les recommandations des

règles de bonne conduite en matière financière est autre. Ce dernier ne codifie pas en détail les règles concernant les différentes professions. La grande technicité de la matière le contraint à abandonner la mise en place des règles aux professionnels eux-mêmes par le biais de l'autorégulation. Toutefois, il attribue le contrôle de ces règles à des autorités administratives. Il reconnaît le pouvoir des autorités de tutelle de sanctionner disciplinairement le manquement aux codes déontologiques.

Chapitre 2. Une appropriation légitimée

Afin d'examiner la légitimation de la pratique des recommandations nous allons nous

intéresser au cadre général institué par la loi du 1 août 2003(section1) et au cas particulier des conseillers en investissement financier (section 2).

132 E. Fernandez -Bollo, Structures, réglementation et contrôle public des professions bancaires; Réglementation et contrôle, éd. J.–Cl. Banque et Crédit, fasc. 60 133 cité par E. Fernandez –Bollo, ibid. 134 article L 613-15 C. mon. et fin. 135 article L 613-21 C. mon. et fin. 136 P. le Cannu, Légitimité du pouvoir et efficacité du contrôle dans les sociétés par actions, Bull. Joly 1995, §227, p.637 137 loi n°2001-420 du 15 mai 2001

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Section 1. Le cadre général de la loi du 1 août 2003

La loi sur la sécurité financière138 a pour but premier d’assurer la sécurité des épargnants et de mettre en place des autorités de régulation fortes. Un des apports majeurs de la loi est la création de l'Autorité des marchés financiers, suite à la « fusion- absorption »139 de la COB, CDGF et CMF. La loi ne se contente pas d'additionner les pouvoirs des différentes autorités. Sous l'impulsion du droit communautaire, elle réglemente de nouvelles professions. Elle a élargi également les pouvoirs de l’AMF au regard des associations professionnelles.

La loi du 1 août 2003 approuve et légitime d’une certaine manière la pratique des

recommandations. Selon l’aveu du Ministre de l'économie et des finances « l'éthique ne se décrète pas »140. Ce constat montre la conscience de la faiblesse des pouvoirs publics face aux abus du marché mais la loi témoigne surtout de la volonté d'encadrer les pratiques des professionnels qui interviennent sur le marché. À cet effet, la loi met en place des règles de base ayant vocation à gouverner les conseillers en investissements financiers141, les démarcheurs142 et les analystes financiers143. De même, la loi encadre le droit de vote des OPCVM en rajoutant une nouvelle règle de bonne conduite à l'article L. 533-4 C. mon et fin.. La loi élargit le champ de compétences personnel de l’AMF et lui confère le pouvoir de contrôle sur le pouvoir réglementaire de certaines associations professionnelles et plus exactement sur les codes de bonne conduite élaborés par les associations représentatives des conseillers en investissement financier144.

En vertu de la loi du 1 août 2003 la nouvelle Autorité des marchés financiers dispose

du pouvoir de prendre un règlement général dans lequel elle fixe « les règles de bonne conduite et les autres obligations professionnelles ». Le terme « autres obligations professionnelles » est assez large en soi et pourrait inclure les codes de bonne conduite.

Cette précision serait de nature à inciter les organismes professionnels à adopter des

règles de qualité afin de bénéficier de l'approbation de l'AMF. L'approbation de ces codes pourrait jouer comme moyen de contrôle sur les règles adoptées et comme un label145 pour les associations représentatives. Ainsi la référence aux obligations professionnelles faite par l'article L. 621 –7 C. mon. et fin. serait de nature à légitimer la pratique des recommandations que la COB et le CMF avaient utilisé au regard des codes déontologiques adoptés par les associations professionnelles.

Le cadre de ce pouvoir régulateur est délimité par l'article L. 621 –9 II C. mon. et fin.

En vertu de cet article, l'AMF est compétente pour les codes qui seront applicables aux prestataires de services d'investissement agréés ou exerçant leur activité en libre établissement en France ; les personnes mentionnées à l'article L. 542 -1 C. mon. et fin. sont les établissements de crédit et des entreprises d'investissement établis en France etc.; les dépositaires des organismes de placement collectif en valeurs mobilières; les dépositaires 138 Rapport du sénateur Ph. Marini www.senat.fr 139 Th. Bonneau, Des nouveautés bancaires et financières issues de la loi n° 2003 - 706 du 1 août 2003 de sécurité financière, JCP éd. E n°38, 18 septembre 2003,p.1470 140 cité par M.-L. Coquelet, Brèves remarques à propos d'une fusion attendue, P.A. 14 novembre 2003,n° 228,p.6 141 article L. 541-4 C. mon. et fin. 142 article L. 341-11 à L. 341-16 C. mon. et fin. 143 article L. 544 –2 C. mon. et fin. 144 article L 541 –4 C. mon. et fin. 145 P.-H. Cognac, «L’AMF », RDBF n°5, septembre-octobre 2003, p.299

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centraux et gestionnaires de système de règlement et de livraison d’instruments financiers; les membres de marchés réglementés; les entreprises de marché; les chambres de compensation des instruments financiers; les organismes de placement collectif et leur société de gestion; les intermédiaires en biens divers; les personnes habilitées à procéder au démarchage bancaire et financier; les conseillers en investissement financier; les analystes financiers buy side et sell side c'est-à-dire les analystes qui exercent au sein d'un établissement agrée en tant que prestataire de services et les analystes financiers indépendants .

Le législateur est resté « réaliste »146 et n'a pas attribué un pouvoir réglementaire à

l'autorité des marchés financiers en ce qui concerne les agences de notation. L'autorité reste compétente pour faire un rapport sur leurs méthodes déontologiques. Cette règle reste en dessous des espérances de certains mais ses limites se justifient. En réalité, il n'existe aujourd'hui que quatre agences de notation qui sont américaines et dépendent du pouvoir réglementaire et disciplinaire de la Securities Exchange Commission.

Toutefois, la référence de l'article L.621-7 C. mon. et fin. reste très générale. Elle se

précise davantage quant aux codes de bonne conduite applicables aux conseillers en investissements financiers.

Section 2. Les conseillers en investissements financiers

La loi du 1 août impose aux conseillers en investissements financiers d’adhérer à une association professionnelle. En vertu de l'article L. 541-4 C. mon. et fin. l'association en question doit être agréée par l'Autorité des marchés en fonction de sa représentativité et aptitude de remplir sa mission. La loi reste imprécise quant aux critères d'appréciation de la représentativité. Dans tous les cas, l'association doit faire agréer par l’AMF un code de bonne conduite. La loi ne donne pas une forme précise pour l'agrément du code : nous pouvons raisonnablement penser qu’il prendra la forme d’une recommandation. Celui-ci se représentera comme un prolongement de la pratique mise en place par l’article 3-1-2 du règlement général du CMF.

La loi fixe les règles de bonne conduite qui doivent guider les associations

professionnelles. Il appartient à l'Autorité des marchés financiers de préciser les règles en question, afin de les adapter à la pratique des marchés financiers et d'éviter que les codes soient fondamentalement différents. Les règles fixées par l'article L. 541-4 C. mon. et fin. regroupent en grande partie celles relatives aux prestataires de services d'investissement énoncées par l'article L. 533 – 4 C. mon. et fin. c'est-à-dire se comporter avec loyauté , diligence, agir au mieux de l'intérêt de ses clients. Ces règles peuvent se résumer au principe de bonne foi de l'article 1134 du code civil et celui de l'équité mentionnée à l'article suivant, principes régissant les relations entre les parties dans un contrat147.

L'examen des pouvoirs donnés à l'AMF concernant les conseillers en investissements

financiers combiné avec son pouvoir réglementaire nous amène à la conclusion que l'Autorité des marchés financiers pourrait s'approprier les codes de bonne conduite issus des associations professionnelles de droit privé. Cette démarche n’a pas à être critiquée : les codes 146 Ph. Portier, Disposition de la loi de sécurité financière applicable aux agences de notation et aux analystes financiers, RDBF n°5, septembre octobre 2003, p.307 147 Hubert de Vauplane et Jean-Pierre Bornet, Droit des marchés financiers, éd. Litec 2000, p. 975

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de bonne conduite eux-mêmes font référence aux pouvoirs de sanction de l'AMF.Toutefois, la loi sur la sécurité financière ne se limite pas à l’approbation du procédé des recommandations. Une des innovations les plus importantes relève de la mise en œuvre de son pouvoir de sanctions. Le législateur habilite la nouvelle autorité de tutelle d’engager la responsabilité des professionnels des marchés financiers lorsque ces derniers ne respectent pas les règles issues des codes déontologiques.

TITRE 2. La mise en œuvre de la responsabilité

La mise en oeuvre de la responsabilité des professionnels relève d’une responsabilité disciplinaire. La loi de 1 août 2003 a élargi le pouvoir de sanction disciplinaire de l'AMF (chapitre1). Les règles de procédure et les sanctions envisageables ne différent pas selon que l’infraction concerne le règlement de l’AMF ou un code de déontologie. Les sanctions en elles-mêmes ne sont pas fondamentalement modifiées mais la loi rationalise le régime de la responsabilité professionnelle (chapitre 2).

Chapitre1. Le pouvoir de sanction de l'AMF

Il convient de s'arrêter dans un premier temps sur les pouvoirs dont disposaient les autorités de tutelle avant la loi du 1 août 2003 afin de mettre en perspective les nouvelles compétences de l'AMF( section 1). Ces pouvoirs de sanction semblent limités par la mise en place de sanctions pénales (section2) en cas de manquements aux règles de bonne conduite édictées par la loi.

Section 1. L’étendue des pouvoirs de sanction de l'AMF

Il est intéressant de relever les pouvoirs dont disposaient les anciennes autorités de régulation afin de mettre en perspective la réforme opérée par la loi du 1 août 2003 (§1) et les nouvelles compétences de l'AMF (§2).

§1 Les pouvoirs de sanction avant la loi du 1 août 2003

L’AMF a été investie dans une large mesure des pouvoirs dont disposaient les anciennes autorités de tutelle en droit des marchés financiers.

La nouvelle autorité de régulation a hérité des pouvoirs de sanction disciplinaire et

administrative de la COB qui relèvent respectivement des anciens articles L. 621- 25 C. mon. et fin. et L. 621 -15 C. mon. et fin... En vertu de l'article L. 621- 25 la COB était compétente pour sanctionner les sociétés de gestion de portefeuille « à raison de manquement à leurs obligations professionnelles, définies par les lois et règlements en vigueur ». La commission disposait d’un pouvoir de sanction administratif assez large qui s’étendait à l’ensemble des opérateurs sur les marchés financiers. Conformément à sa compétence de sanction administrative la Commission peut, après une procédure contradictoire, sanctionner les pratiques contraires à ses règlements lorsque ces derniers sont de nature à « faire bénéficier les émetteurs et les investisseurs des agissements d’intermédiaires contraires à leurs

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obligations professionnelles » . La Commission des opérations de bourse exerçait son pouvoir disciplinaire sous réserve des pouvoirs attribués au Conseil de discipline de la gestion financière.

Le conseil de discipline de la gestion financière a été investi du pouvoir de sanction

disciplinaire dans le domaine de la gestion de portefeuille pour le compte de tiers. En vertu de l'ancien article L. 623-2 C. mon. et fin. son pouvoir de sanction s'étend à toutes les infractions aux lois et règlements applicables aux OPCVM et les sociétés de gestion de portefeuille pour le compte de tiers. Ce pouvoir s’étend également à «tout manquement aux règles de pratique professionnelle de nature à nuire à l'intérêt des actionnaires ou des porteurs de parts ou des mandants ». La loi reste muette sur ce que recouvre cette expression. Une partie de la doctrine doute de la validité du mécanisme juridique par lequel un simple code de déontologie pourrait s’élever au rang de règles de pratique professionnelle dont la sanction est organisée par la loi148. Pour une autre partie de la doctrine la loi a habilité elle-même le Conseil de discipline à prononcer des sanctions sur le fondement des manquements aux règles de bonne conduite instituées par des associations professionnelles. Il semble pourtant que c’est la seconde conception qui devrait prévaloir.

A titre d’exemple de l’exercice du pouvoir disciplinaire peut être mentionnée une

décision de sanction récente du conseil sur le fondement de l’article L 533-4 6°C. mon et fin., article 3 du règlement COB n°96-03 et disposition 46 du règlement de déontologie de l’AFG-ASSFI149.

La faiblesse de cette acception relève du fait que dans certains cas les mêmes pratiques

pouvaient donner lieu à un cumul des sanctions administratives de la COB et disciplinaires du CDGF.

L'autorité des marchés financiers a repris le pouvoir de sanction disciplinaire du CMF.

En vertu de l'ancien article L. 622-16 C. mon. et fin. le Conseil est compétent pour prononcer des sanctions « à raison des manquements à leurs obligations professionnelles, définies par les lois et règlements en vigueur » sur les prestataires de services d'investissement, les membres d'un marché réglementé, les entreprises du marché et les chambres de compensation.

Il s'ensuit que de ces trois autorités professionnelles, uniquement le Conseil de

discipline de la gestion financière disposait d'un pouvoir disciplinaire en cas de manquement aux règles de bonne conduite arrêtées par les organismes privés. La COB et le CMF étaient compétents pour connaître les manquements à des règles issues de la loi ou de leurs règlements. Aucun texte législatif ne leur attribue des compétences concernant les codes de bonne conduite.

Il convient de souligner que la Commission bancaire se voit institué le devoir de

veiller « au respect des règles de bonne conduite de la profession ». A cet effet, en vertu de l'article L. 613- 15 C. mon. et fin. elle dispose d'un pouvoir de mise en garde concernant les établissements de crédit, après avoir mis leurs dirigeants en mesure de présenter leurs explications. Toutefois, la mise en oeuvre du pouvoir de sanction disciplinaire tel qu'il est prévu par l'article L. 613- 21 C. mon. et fin. n’est pas automatique. En effet, la Commission estime le plus souvent que ce pouvoir lui est donné pour assurer le respect des lois et 148 E. Guillaume, Des fonds éthiques à l'éthique des fonds, Bull. Joly bourse et produits financiers 2002,p.8 149 Rapport annuel de l’AMF 2003, p.165

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règlements et non les faits qui relèvent des infractions de droit commun sans lien direct avec la législation ou la réglementation qu'elle est chargée de faire appliquer150. Ceci étant, la CB reste libre d’utiliser son pouvoir au regard des règles qu’elle estime être obligatoires pour les établissements de crédit et les entreprises d’investissement.

Avant la loi sur la sécurité financière, l’étendue des pouvoirs de sanction et les

compétences variaient selon l’autorité compétente. Le législateur a mis en place une seule autorité de tutelle qui cumule les pouvoirs de ses prédécesseurs. A la différence du CMF et de la COB, l’AMF possède des pouvoirs propres et se voit dotée du pouvoir d’engager la responsabilité des professionnels au titre des règles déontologiques.

§ 2 Les nouvelles compétences de l’AMF

Les compétences de l’AMF se situent dans le prolongement des pouvoirs de sanction disciplinaire et administrative qui appartenaient aux autorités dont elle est issue. Si l’autorité les reprend dans une large mesure, une innovation majeure doit être soulignée quant à l’étendue que la loi donne à ces pouvoirs. En vertu de l’article L. 621 –15 II C. mon. et fin, l’AMF est compétente pour prononcer des sanctions disciplinaires à l’encontre des professionnels personnes morales dénombrés à l'article L.621 –9 ainsi qu’à l’encontre des personnes physiques travaillant pour elles. Ce pouvoir de sanction s'exerce au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements mais également par les règles professionnelles approuvées par l'autorité des marchés financiers. La dernière référence semble innover par rapport au dispositif précédent. Comme nous venons de le décrire précédemment la COB et le CMF ne pouvaient sanctionner disciplinairement qu’en raison des manquements aux obligations professionnelles qui étaient définies par les lois et les règlements en vigueur. La loi ne leur donnait pas les compétences expresses concernant les violations de simples règles professionnelles. La même remarque ne pouvait pas être faite au regard du CDGF qui pouvait sanctionner les manquements aux règles de pratique professionnelle de nature purement déontologique151.

Ainsi les règles professionnelles qui ne sont pas établies par les lois et les règlements

sont les règles déontologiques telles que définies par les codes de bonne conduite des associations professionnelles. Admettre une telle acceptation peut aller à l'encontre du principe de la sécurité juridique. Afin de limiter l’insécurité juridique, le législateur exige de l'AMF d'approuver au préalable les codes de bonne conduite ou les règles en question. Ceci n'est pas sans rappeler la procédure de recommandation qui était pratiquée par les anciennes autorités de tutelle et dont la légitimité a été critiquée par la doctrine.

L'article L. 621 – 15 II C. mon. et fin. réserve un traitement différent aux conseillers

indépendants en investissements financiers et aux démarcheurs. Or si ce dernier article ne fait pas expressément référence à ces professionnels ce sont l’article L. 341 - 17 et l’article L. 621 -17 du code qui soumettent respectivement les démarcheurs et les conseillers en investissements financiers au pouvoir disciplinaire de l'AMF.

150 J. Deveze, A. Couret, G. Hirigoyen, Lamy financement, éd .2003,n°1009 ; C. E.30 décembre 2002, P.A.24 mars 2003, p.7, note Guyomar 151 ancien article L. 623 -2 C mon. et fin.

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Comme nous l’avons déjà souligné, les articles L. 341 -11 à L. 341 -16 C. mon. et fin. fixent les règles de bonne conduite applicables aux démarcheurs financiers. Ces articles sont suivis de l'article L. 341 - 17 qui encadre la responsabilité disciplinaire des démarcheurs et les conseillers en investissements financiers procédant au démarchage. À cet égard, des démarcheurs financiers voient leur responsabilité engagée devant l'autorité des marchés financiers dans les conditions de l'article L. 621 -15, l’article L. 613 -21 et l’article L. 621 - 17 C. mon. et fin.. L'originalité de l’article L. 341 - 17 consiste dans son énoncé. Il relève des termes de la disposition que les sanctions seront applicables pour des manquements aux lois, aux règlements et aux obligations professionnelles. Le législateur ne fait plus référence à un agrément des règles en question, ni à une quelconque approbation préalable. Ceci étant, nous ne pouvons pas dire que la règle est contraire au principe de la sécurité juridique. En réalité, le législateur a détaillé de manière scrupuleuse les règles de bonne conduite que les démarcheurs doivent respecter dans la loi elle-même. Ces règles abordent de manière détaillée les étapes du déroulement de la relation démarcheurs-clients. Pour s'en convaincre il suffit de se rapporter à l'article 50 -I de la loi du 1 août 2003. Il convient de relever que cet article diffère par sa précision de l'article L. 533 -4 et suivants concernant les règles de bonne conduite des prestataires de services d'investissement ainsi que de l'article L. 541 -4 C. mon. et fin. relatif aux conseillers en investissements financiers. L’article 50-I de la nouvelle loi ne s’arrête pas à des termes aussi généraux que la loyauté ou la diligence, il précise les détails des relations contractuelles.

L'article L. 621 -17 C. mon. et fin. qui fixe les règles de la responsabilité des

conseillers en investissements financiers ne se réfère non plus à la nécessité d'une approbation préalable. Ceci étant, une telle approbation est déjà exigée en vertu de l'article L. 541 -4 C. mon. et fin. Ce qui rend une critique, qui au premier abord reste envisageable, sans objet.

Si le pouvoir disciplinaire de l’AMF est relativement étendu, certaines questions se

posent au regard des sanctions que l’autorité pourrait prononcer concernant les manquements aux règles de bonne conduite fixées par la loi elle-même. Certains sanctions restent incertaines. Il en est ainsi quant à l’obligation des gérants d’OPCVM152 d’exercer le droit de vote attaché aux parts sociales qu’ils détiennent. La loi ne fixe pas expressément la manière dont elle devait être mise en œuvre. Le droit de vote peut être exercé aussi bien par un mandat de représentation ou par un pouvoir en blanc. Toutefois, les lois ne déterminent pas les sanctions encourues. La loi de 1997 qui a institué l'obligation de vote pour les fonds de pension n’apporte pas plus de précisions. Nous pouvons nous demander à cet égard si l'AMF pourrait à l’occasion de son pouvoir général de sanction administrative153 engager la responsabilité du gérant en cas de non-respect de l'obligation de vote. Ceci n'est concevable que si le non-respect de cette obligation a eu des conséquences négatives sur les droits des actionnaires ou des porteurs de parts. Concrètement, il faudrait que le non-respect de l'obligation ait privé l’adhérent de la rémunération de son épargne. Reste que l'autorité ne pourra pas priver les sociétés de gestion de leur droit de vote compte tenu du caractère essentiel de ces prérogatives.154 Cette ambiguïté étant relevé il convient de souligner que le pouvoir de sanction administrative reste possible lorsque les pratique « sont de nature à porter atteinte aux droits des épargnants ou ont pour effet de fausser le fonctionnement de marché, de procurer aux intéressés un avantage injustifié qu'il n'aurait pas obtenu dans le cadre anormal de marché, de porter atteinte à l'égalité d'information ou de traitement des

152 article L. 533 –4 8° C. mon. et fin. 153 article L. 621 –14 I C mon. et fin. 154 R. Kaddouch, L'obligation de vote du gérant d’OPCM, D. 2004 n°11,p.796

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investisseurs ou à leurs intérêts ou de faire bénéficier les émetteurs ou les investisseurs des agissements intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles »155.

Nous pouvons constater par les règles énoncées ci-dessus que l'AMF dispose d'un

large pouvoir de sanction disciplinaire et administrative. Son étendue porte non seulement sur les manquements aux lois et aux règlements mais également sur les règles déontologiques ou plus largement les codes de conduite privés. Toutefois, il convient de souligner que ce pouvoir de sanction est limité par la loi elle-même. Curieusement, parallèlement aux sanctions disciplinaires, la loi a institué des sanctions pénales pour les manquements aux règles de bonne conduite et aux codes déontologiques.

Section 2. Les codes de bonne conduite et la responsabilité pénale

Une disposition de la loi de sécurité financière semble admettre la possibilité de sanctionner pénalement les codes de bonne conduite (§1). Si ceci n’est pas choquant concernant les règles de démarchage, la doctrine critique cette position quant aux simples règles déontologiques(§2).

§1 Les sanctions pénales envisagées par la loi

La loi de 1 août 2003 fixe dans l'article L. 541 -4 C. mon. et fin. les règles de bonne conduite fondamentales que les associations doivent adopter. Le non-respect des prescriptions des codes ainsi adoptés peut être sanctionné pénalement sur la base de l'article L. 573 -9 C. mon. et fin. Cet article renvoie à l'article 313 –1du Code pénal qui prévoit une peine de 5 ans emprisonnements et 375 000 € d'amende. Le renvoi à des sanctions pénales pour le non-respect des règles de bonne conduite reste « énigmatique »156.

A la lecture de l'article L. 541-4 C. mon. et fin. nous pouvons distinguer deux volets qui regroupent des obligations différentes. Aux termes de l’article« Tout conseiller en investissements financiers doit adhérer à une association chargée de la représentation collective et de la défense des droits et intérêts de ses membres. Ces associations sont agrées par l’Autorité des marchés financiers en considération, notamment, de leur représentativité et de leur aptitude à remplir leurs missions. Elles doivent faire approuver par l’Autorité des marchés financiers les conditions de compétence et le code de bonne conduite auxquels sont soumis leurs membres. Ce code doit respecter un minimum de prescriptions fixées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers obligeant notamment les conseillers en investissement[s] financier à… »

Dans un premier temps, le code oblige les conseillers en investissements financiers à

adhérer à une association agréée par l'AMF. L’autorité de tutelle doit examiner et approuver les conditions de compétence et le code de bonne conduite que l’association doit mettre en place. Un deuxième volet ne fait qu’énumérer de manière succincte les différents principes fondamentaux auxquelles les conseillers doivent se conformer. Le terme « notamment » suggère que l'article en question reste largement incomplet. La doctrine se pose la question de savoir si la référence doit concerner les deux volets de l'article L. 541 -4 C. mon. et fin. ou 155article L. 621 –14 I C mon. et fin. 156 B. Dondero, Les conseillers en investissements financiers, P.A. 14 novembre 2003,n° 228, p.58

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bien juste le premier. Les débats sur la loi n’éclairent pas spécialement la question. Ainsi le sénateur Ph. Marini avait estimé que l'article L. 573 -9 du code doit sanctionner le non-respect des « règles générales du code de bonne conduite ». Toutefois, il n’existe pas de consensus sur cette interprétation. Le parlementaire Fr. Goulard avait quant à lui retenu que ce texte ne devait sanctionner que le non-respect de l'obligation d'adhérer à une association professionnelle157.

Il convient de relever que des sanctions pénales sont prévues également au regard des

démarcheurs qui ne respectent pas l’article L. 341-12 et L.341-14 et L.341-16 C. mon. et fin. En vertu de l’article L.353-1 C. mon. et fin., les délits constitués en infraction de ces règles sont passibles d’une peine de six mois d’emprisonnement et d’une peine de 7.500 euros. La responsabilité pénale issue de l’article L.353-1 est en quelque sorte une responsabilité du fait d’autrui car elle s’impose principalement aux personnes morales. La responsabilité pénale du mandant personne physique devrait être exclue dans la majorité des cas, sous réserve de l’application de l’article L341-12 2° C. mon. et fin.

La mise en place d’une responsabilité pénale admise par la loi n’est pas exempte de

critiques.

§2 Les critiques formulées par la doctrine

Dans un premier temps, les critiques formulées relèvent de la technique même de la mise en place des incriminations. Il ne semble pas critiquable de sanctionner pénalement les règles de bonne conduite fixée par le législateur. Les infractions concernant les démarcheurs restent très précisément définies par la loi. Or, la doctrine déplore la pratique du législateur d’incriminer par renvoi pour faciliter la mise en place des normes pénales techniques158. En renvoyant à des dispositions non pénales, le législateur méconnaît la précision qui devrait s’attacher à l’écriture d’un texte répressif d’interprétation stricte. Pour caractériser la responsabilité pénale, il convient de démontrer l’intention de commettre l’infraction.

D’autre part, la loi reste imprécise selon certains auteurs. Nous pouvons douter de la

mise en oeuvre des sanctions pénales pour garantir le respect des codes de bonne conduite de source privée. Cette conception se justifie d'autant plus que le terme « notamment » indique que l'article contient des règles minimales qui peuvent être enrichies par les associations professionnelles. Il serait paradoxal de ne sanctionner pénalement que les règles de bonne conduite issues d'une association de droit privé alors que les règles quasiment identiques fixées pour les prestataires de services d'investissement de la part du régulateur du marché ne donneraient lieu a priori qu’à des sanctions disciplinaires. Cependant, le doute reste permis.

La sévérité de la loi reste cependant cohérente. Conformément à l’essor accru des

sanctions disciplinaires nous pouvons estimer que les sanctions pénales au regard des conseillers en investissements financiers seront cantonnées à des violations très graves. Ceci peut être le cas pour le délit de rémunération anticipée, l’escroquerie ou le délit d'abus de faiblesse. Ce dernier est constitué lorsque les circonstances montrent qu'une personne a

157 cité par B. Dondero, Les conseillers en investissements financiers, P.A. 14 novembre 2003,n° 228,p.58 158 M. Haschke-Durnaux, Les sanctions dans la loi de sécurité financière, P.A.14 novembre 2003,n°228,p.110

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souscrit son engagement sans être en mesure d'apprécier sa portée ou de déceler les ruses et artifices déployés pour la convaincre159.

Comme suite à ce constat nous pourrions conclure que les manquements aux codes de

bonne conduite, entendus au sens large, peuvent donner lieu principalement à des sanctions disciplinaires et administratives. La loi du 1août 2003 a attribué la compétence en la matière à une seule autorité de tutelle. Elle a simplifié, clarifié et unifié la procédure des sanctions qui répond aujourd’hui à toutes les exigences de l’article 6 de la CEDH et au principe de l’égalité des armes. Enfin, si les sanctions encourues pour les manquements aux lois et règlements restent largement inchangées, même si on peut constater un alourdissement des sanctions pécuniaires, celles relatives aux manquements à des règles déontologiques s’y alignent.

Chapitre2. La rationalisation du régime de sanctions

A la notable exception de la CB, qui est une juridiction administrative, les autorités du marché ne sont pas des juridictions. L’AMF ne relève pas de l’ordre judiciaire et les sanctions qu’elle est amenée à prendre n’ont pas de caractère juridictionnel. La mission des autorités régulatrices n’est pas de dire le droit mais d’assurer la discipline du marché par des sanctions (section2) plus ou moins rigoureuses en fonction de la gravité des faits et du comportement de la personne. Les multiples annulations des procédures de sanction du CMF et la COB ont conduit le législateur à mettre en place une procédure conforme aux exigences de la CEDH (section1).

Section 1. Le régime des sanctions

Dans un premier temps le Conseil d’Etat avait jugé que le CBV, siégeant en formation disciplinaire, ne pouvait pas se voir appliquer l’article 6 de la CEDH160. Un premier revirement est intervenu par la décision GIE ODDO-Futures du 9 avril 1999161. En effet, le Conseil d’Etat rejetait l’application de l’article 6 CEDH en faisant application du critère de juridiction. Les autorités professionnelles n’en étaient pas une dans le sens strict du terme, ce dernier refusait de soumettre les décisions disciplinaires au respect de l’article 6 de la CEDH. Le revirement concernant l’application de l’article 6 de la CEDH est confirmé par trois décisions du 3 décembre1999162 . Les critiques les plus vives de la procédure de sanction étaient cependant adressées à la COB et ceci depuis deux arrêts de la Cour de cassation ( Cass. Ass. Plén. 5 février 1999163) et un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 mars 2000 (K.P.M.G. Fiduciaire de France164) qui ont rappelé l’exigence d’impartialité objective.

159 article L. 122 – 8 à L. 122 - 11 du code de la consommation ; les sanctions sont de 5 ans d’emprisonnement et une amende de 9000 euros 160 C.E..1 mars 1991, Le Cun, cité par Bruno Gizard et Jean- Pierre Dechanel, Déontologie financière et pouvoir disciplinaire, Mélanges AEDBF- France III, Banque éditeur, 2001, p. 157 161 ibid. 162 Concl. Seban, C.E.3 décembre 1999, revue CMF février 2000,p.51; cité par Bruno Gizard et Jean- Pierre Dechanel, Déontologie financière et pouvoir disciplinaire, Mélanges AEDBF- France III, Banque éditeur, 2001, p. 157 163 Cass. Ass. plén., 5 février 1999, JCP éd.E, p.957, note E. Garaud 164 C.A. Paris 7 mars 2000, J.C.P.éd. E,2000,p.992, note A. Couret; Bull. Joly Bourse 2000, p.244, note N. Rontchevsky; D.Aff.2000, p.512, obs. M.Boizard

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En réponse aux différentes critiques relatives à l’organisation procédurale, la loi du 1 août 2003 a mis en place une séparation stricte entre les différentes étapes de la mise en place de la responsabilité professionnelle. Le législateur a crée deux instances distinctes au sein de l’AMF : le Collège et la Commission des sanctions.

Désormais, nous pouvons distinguer quatre étapes dans la mise en œuvre de la procédure :

°Les contrôles et les enquêtes sont engagés et menés sous la direction du secrétaire général de l’AMF ;

°L’ouverture de la procédure de sanction est décidée par une commission spéciale, après examen du rapport d’enquête ou du contrôle. Après quoi le Président de l’AMF notifie les griefs aux personnes concernées et les transmet au Président de la commission des sanctions.

°L’instruction de la procédure de sanction est menée par un rapporteur membre de la Commission des sanctions, désigné par le Président de la commission ;

° La sanction est prononcée par la commission hors de la présence du rapporteur.

La Commission des sanctions est la seule compétente pour prononcer la décision. La nouvelle loi instaure une séparation étanche entre les différents pouvoirs de l'autorité et garantit « l'impartialité structurelle »165 de l'AMF. La procédure instituée respecte les exigences de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. La commission ne peut pas s’autosaisir et elle statue en dehors de la présence du rapporteur. Le respect des règles issues de l'article 6 de la convention donne un poids important à l’AMF dans la mise en œuvre de la responsabilité professionnelle.

La loi a introduit également des garanties procédurales. En vertu de l'article L. 621- 15

C. mon. et fin. « la commission des sanctions ne peut être saisie de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur recherche, à leurs constatation ou à leur sanction ». Cette prescription vaut uniquement au regard de l’autorité de tutelle et pas devant les juridictions de droit commun166. Le délai de prescription correspond à celui prévu par l'article 8 du Code de procédure pénale concernant les délits. Le même délai de prescription est retenu par rapport aux autres autorités administratives notamment le Conseil de la concurrence167.

Le pouvoir de sanction est institué en respect des droits de la défense. La procédure est

contradictoire, la personne mise en cause ou son représentant doivent avoir été entendus ou, à défaut, dûment appelés. La décision doit être motivée.

Comme nous l’avons constaté l’AMF pourra sanctionner non seulement les

manquements aux règles de bonne conduite qu’elle est amenée à mettre en place elle-même, mais également les règles issues des codes déontologiques qu'elle a approuvés. Il convient à présent de s'intéresser aux sanctions susceptibles d'être prononcées.

165 M.-L. Coquelet, Brèves remarques à propos d'une fusion attendue : la création de l'Autorité des marchés financiers, P.A.14 novembre 2003, n° 128, p.16 166 N. Rontchevsky, M.Storck, Ch.Goyet, Réglementation boursière, chronique Droit des marchés financiers, RTD com. octobre- décembre2003, p.758 167 article L. la 462 -7 du Code de commerce

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Section2. Les sanctions

Les sanctions disciplinaires et administratives qui peuvent être prononcées à l’égard des différents professionnels sont largement identiques. Il s'agit en vertu de l'article L. 621-15 C. mon. et fin. auquel nous renvoient l'article L. 621-17 et l’article L. 341-17 C. mon. et fin. d’un avertissement, un blâme, une interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis ainsi que des sanctions pécuniaires. Si nous admettons que la Commission bancaire peut elle-même sanctionner les règles déontologiques en vertu de l'article L.613 -15 C. mon. et fin., cette dernière dispose d'un pouvoir de mise en garde et l'article L. 613- 21 C. mon. et fin. se réfère aux mêmes sanctions que l'AMF pourrait prononcer.

Nous pouvons distinguer trois types de sanctions. Les sanctions qui n’ont pas une

nature pécuniaire(§1) et les sanctions pécuniaires(§2) sont les deux principales subdivisions. Une importance particulière doit être donnée au fait de rendre publiques les sanctions(§3). Les sanctions ainsi adoptées peuvent faire l’objet d’un contrôle (§4).

§1 Les sanctions non pécuniaires

Quatre types de sanctions sont susceptibles d’être prononcées. Nous les examinerons dans un sens de gradation coercitive.

La mise en garde : La mise en garde n'est pas à proprement parler une sanction

disciplinaire. Le législateur a souligné à son propos qu’elle est proche de l'avertissement mais en réalité les deux sanctions ne se confondent pas. Elle se rapproche davantage d’un moyen de pression qui peut, dans certains cas, intervenir avant l'exercice du pouvoir de sanction et ce avec toutes les garanties que suppose la procédure contradictoire168. Un pouvoir de mise en garde a été reconnu au profit de la CB mais seulement à l'égard des établissements de crédit et non au regard des entreprises d'investissement, la COB pouvait également intervenir à titre curatif ou préventif. Cette possibilité est reconnue à l’AMF par le biais de l'article L. 621 –14 I C. mon. et fin. mais uniquement au regard des pratiques contraires aux dispositions législatives ou réglementaires.

L'avertissement et le blâme : L'avertissement n'est pas une sanction mais une menace

de sanctions. Le blâme quant à lui est une sanction disciplinaire consistant dans la réprobation officielle de l’attitude ou des agissements d'une personne soumise à un statut disciplinaire, venant en général dans l’ordre de gravité en seconde ligne après l’avertissement169. C’est le premier stade de sanction que chaque autorité peut prononcer. La commission bancaire ne peut le faire qu'au regard des personnes morales alors que l'autorité des marchés financiers peut prononcer de telles sanctions également concernant des personnes physiques placées sous leur autorité. Le pouvoir de l'AMF trouve sa source dans la capacité des prestataires à respecter les règles propres à la délivrance du service et notamment les règles de bonne conduite alors que la CB trouve son pouvoir dans l’analyse de la capacité financière d'un prestataire à mener ses activités. 168 Rapport de l'Assemblée nationale n°1692 du 26 mars 1996, p. 247, cité par Fr. Buisson et B. de Saint Mars, Prestataires de services d'investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille, éd. J.-Cl. Sociétés, fasc. 1542 169 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique- Association Henri Capitant, éd. PUF 2003

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L’interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des

activités : L'Autorité de marché financier hérite du pouvoir d'interdire l'exercice d'une activité de manière temporaire ou définitive.

L'interdiction d’exercice est accompagnée par des mesures de protection de la

clientèle. Le conseil des marchés financiers devait désigner dans un tel cas une autre personne pour recevoir, transmettre et exécuter les ordres des clients du professionnel sanctionné. La mission de ce « remplaçant » prend fin avec la fin de la période d’interdiction ou de suspension ou lorsqu'il n'existe plus de position ouverte pour le compte des clients170.

L'interdiction d'exercice se rapproche de la radiation. Lorsqu’elle est prononcée à titre

définitif et concerne les activités pour lesquelles l’entreprise a été agréée l’interdiction conduit nécessairement à un retrait d’agrément prononcé pour des raisons disciplinaires ou autrement dit à une radiation. La radiation entraîne en tant que telle la liquidation de la personne morale ; le retrait d’agrément laisse subsister la personne morale et donc n'est pas une mesure irrémédiable. En théorie, la personne pourra demander plus tard l'approbation d’un nouveau programme d'activités.

L’interdiction d’exercice doit également s'accompagner par un retrait de la carte

professionnelle. Le retrait temporaire ou définitif de la carte professionnelle est une sanction applicable avant tout aux personnes physiques. La carte professionnelle est requise pour l'exercice et son retrait oblige la personne à cesser ses fonctions. Il apparaît à la lecture de l'article L. 621-17 C. mon. et fin. que les sanctions applicables aux conseillers en investissements financiers ne prévoient pas de modalités temporaires ou permanentes concernant le retrait de la carte professionnelle.

À la place ou conjointement aux sanctions non pécuniaires sus mentionnées, les

autorités de tutelle peuvent prononcer les sanctions pécuniaires.

§2 Les sanctions pécuniaires

En l’absence de profit réalisé, les sanctions pécuniaires des personnes morales sont fixées à un montant forfaitaire d'1, 5 millions d'euros et celles des personnes physiques à 300 000 euros. Lorsqu'un profit est réalisé l'autorité de marché financier doit limiter les sanctions à un montant proportionnel qui ne peut pas excéder le décuple du profit réalisé par les personnes morales ou le quintuple du profit réalisé par les personnes physiques. Ces sanctions sont considérablement élevées. En vertu des règles en vigueur avant la transposition de la loi de sécurité financière les professionnels pouvaient encourir une sanction pécuniaire de 60 000 € ou du triple du profit éventuellement réalisé. Il convient également de préciser que la sanction de 300 000 € s'appliquent indifféremment aux personnes morales et physiques exerçant l’activité de conseil en investissements financiers.

Enfin les articles L. 621-17 et l'articles L. 621 – 15 C. mon. et fin. instituent un

principe de proportionnalité . Les sanctions doivent être fixées en fonction de la gravité des

170 Décret n° 96 - 872 du 3 octobre 1996, article 9

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manquements commis, en relation avec les avantages ou profits éventuellement réalisés par ces manquements.

La Commission bancaire a un pouvoir qui ne s'exerce que sur les personnes morales.

La sanction qu'elle prononce ne peut pas excéder le capital minimal fixé pour les établissements de crédit et les entreprises d'investissement.

Les sommes seront versées aux fonds de garantie auxquels est affiliée la personne

sanctionnée. Si c'est une personne physique la somme sera versée au fonds auquel la personne morale pour laquelle elle travaille est affiliée. A défaut la somme sera versée au Trésor public. Le fonds de garantie de la Place a été institué par la loi du 25 juin 1999.

§3 La publication des sanctions

L’autorité de tutelle peut rendre publiques ses décisions dans des publications, journaux ou supports qu’elle désigne, les frais étant à la charge des personnes sanctionnées. Ceci traduit en partie l'idée de sanction de la Place. Cette possibilité est d’un usage délicat, compte tenu des effets néfastes qu’elle pourrait avoir. Une telle mesure pourrait amener à une perte de confiance concernant les professionnels des marchés financiers. Des conflits comme Enron démontrent les effets désastreux d'une publicité au regard des professionnels. Recourir à la publicité de la sanction irait à l’encontre de l’idée même de la déontologie. En réalité, les code de bonne conduite sont mis en place principalement pour renforcer la confiance au regard des professionnels. Nous devons faire prévaloir une dimension curative et préventive plutôt que de faire primer un système purement répressif. Rendre publique la sanction conduit à instituer en soi une nouvelle sanction médiatique-celle du quatrième pouvoir.

Les sanctions pécuniaires ou non peuvent faire l’objet d’un contrôle de la part des

juridictions de droit commun. Il convient de préciser à titre préalable que cette partie porte uniquement sur le contrôle de la sanction prononcée par l’autorité de tutelle et non sur la mise en cause de la responsabilité civile des professionnels.

§4 Le contrôle des sanctions

Les recours contre les décisions de l’AMF ont été réorganisés par la loi de sécurité financière. Le nouvel article L621-30 C. mon. et fin. organise les voies de recours. Il ressort de ladite disposition que les décisions individuelles seront soumises à la compétence du juge judiciaire. Nous pouvons déduire a contrario que les décisions générales et celles à caractère réglementaire relèveront de la compétence administrative du Conseil d’Etat. A la lumière de la réserve expressément formulée par ce texte il s’ensuit que les décisions individuelles relatives aux professionnels relèvent également du contrôle du Conseil d’Etat. Seules les décisions qui se rapportent à des non professionnels seront de la compétence du juge judiciaire.

La solution retenue semble contestable, car elle revient à priver les professionnels

sanctionnés disciplinairement du double degré de juridiction. Il semble préférable de soumettre les décisions relatives aux manquements des codes de bonne conduite au juge

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judiciaire. En vertu de l’article 66 de la Constitution ce dernier est le gardien des droits et libertés fondamentaux. Cette proposition semble justifiée d’autant plus que potentiellement une sanction serait de nature à mettre en cause des professionnels et des non- professionnels des marchés financiers. La nouvelle loi a introduit un élément de complexité qui ne se justifie pas et qui peut provoquer des conflits de juridictions171.

Toutefois, les critiques peuvent être légèrement modérées. En réalité, le Conseil d’Etat

se reconnaît, à la différence de la Cour de Cassation, le droit de contrôler l’existence matérielle des faits soumis à son contrôle dans la mesure où ces derniers ressortent du dossier172. La Cour de cassation quant à elle abandonne ce contrôle aux juridictions de fond173.

Nous pouvons constater à la suite de cette étude que la loi LSF a élargi les

compétences disciplinaires de la nouvelle Autorité des marchés financiers. Il ne fait plus aucun doute que les règles déontologiques disposent d’une force contraignante et peuvent faire l’objet de sanctions disciplinaires par le régulateur. La réforme des marchés financiers contribue ainsi à assurer une discipline, tout en laissant aux professionnels le pouvoir de mettre en place eux-mêmes les règles directrices de comportement.

171 J.-J. Daigre, Recours contre les décisions de la future Autorité des marchés financiers : compétence administrative ou judiciaire, RDBF juillet-août 2003 n°4,p.197 172 CE 12 janvier1951, Union com. De Bourdeau - Bassens, D.1951, p.335, concl. Guionin ; J. Moret-Bailly, Les déontologies, éd. PUAM 2001, p195 et s. 173 Cass. Civ 1ère 7 juillet 1993 n°91-18.242, Bull. Civ. , n°249, p.172 ; Cass. Civ 1ère 26 mai 1994, n°92-18.506 cité par J. Moret- Bailly, Les déontologies, éd. PUAM 2001, p195 et s.

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Conclusion :

Les règles issues des codes de bonne conduite sont de nature extrêmement variée. Les obligations telles qu’elles figurent dans le code monétaire et financier restent très vastes et se rapprochent en partie à l’idée de bonne foi dans les relations contractuelles. Ce constat démontre l’incapacité du législateur de fixer des règles précises dans un domaine qui se caractérise par une grande technicité et des constantes évolutions quant aux produits et aux techniques de commercialisation. L’institution d’un marché fort et concurrentiel qui serait de nature à répondre aux exigences de transparence et de sécurité devrait revenir aux professionnels.

Certes, les codes de bonne conduite se caractérisent par leur aspect privé mais ils

restent largement adaptés pour instituer la sécurité des marchés. Comme le souligne un auteur, « Les possibilités d’effectivité des codes de conduite privés sont considérables pour qui ne s’en tient pas aux apparences et à une définition formelle d’efficacité »174 . Que le code soit intégré dans le droit, qu’il soit utilisé par le juge lui –même ou qu’il soit administré dans la sphère professionnelle dans tous ces cas, son effectivité ne peut pas être démentie.

Le juge de droit commun accorde un caractère obligatoire175aux règles issues des

codes déontologiques. Il ne distingue pas entre les codes édictés sous forme décrétale ou les codes issus des personnes privées qui ne sont pas investies de prérogatives de puissance publique. Nous pouvons considérer que l’ensemble des règles déontologiques peut être pris en compte par le juge du droit commun dans la qualification des fautes civiles. Toutefois, la position adoptée par la chambre commerciale de la Cour de cassation pourrait être critiquée parce qu’elle soulève un problème de sécurité juridique et s’intègre difficilement dans la conception contemporaine de la hiérarchie des normes. Cet aspect porte en lui une certaine ambiguïté car les codes sont généralement élaborés dans un but de protection.

De même, la loi sur la sécurité financière renforce le développement du néo-corporatisme. La mise en place du Haut conseil du commissariat aux comptes est dans le direct prolongement de l’intégration de la responsabilité professionnelle dans un cadre « para –administratif ». Le souhait de contrôle sur la responsabilité disciplinaire ne fait que renforcer progressivement l’autorité des codes déontologiques qui se voient ainsi reconnue une légitimité à part entière.

Les codes de bonne conduite appartiennent à la sphère infra - étatique. Admettre la

possibilité de sanctionner leurs manquements aussi bien par les juridictions de droit commun que par les organismes régulateurs ne peut qu’être approuvé. En effet, ces codes ont le mérite de codifier des règles adaptées à la particularité des différents domaines professionnels. Souvent il s’agit de règles essentiellement techniques dont le respect devrait s’imposer à tous les professionnels. Admettre la possibilité de sanctionner les règles d’ordre déontologique a le mérite de combler les lacunes de la loi aussi bien du point de vue de la réglementation adoptée, que du point de vue de l’application de principe de territorialité. A cet égard, nous pourrions soulever que la loi elle-même invite les autorités de tutelle à rendre des rapports sur les règles déontologiques des agences de notation. On pourrait se demander dans quelle mesure on pourrait admettre aujourd’hui la responsabilité civile des agences de notation ou des journalistes financiers. Le jugement du Tribunal de commerce LVMH/ Morgan Stanley 174 G. Farjat, préc. 175 F. Osman, préc. ; J.-F. Amadieu, Le durcissement du « droit mou », in La déontologie, ce qui va changer dans l’entreprise, Cahiers de L’ORSE, éd. Organisation 2003, p.135

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semble assouplir les conditions de la mise en œuvre de la responsabilité qui faute de preuve restait largement théorique. Ainsi, il convient de rechercher dans quelle voie la jurisprudence va évoluer, car le jugement « incompréhensible » dans certains de ses aspects va faire l’objet d’un appel176. La question de la responsabilité des agences de notation semble s’avérer très intéressante quant au litige ouvert devant le Tribunal de grande instance de Paris concernant les agences de notation Moody’s et Standards and Poors dont l’Association française des porteurs d’emprunts russes réclame la somme de 2,7 milliards d’euros. Elle leur reproche de l’avoir incité en 1996 à investir dans un nouvel emprunt russe. L’admission des règles déontologiques comme standard de comportement en droit de la responsabilité civile ne révélerait- elle pas un autre problème qui est celui de l’américanisation du droit de la responsabilité civile et le rapprochement de la responsabilité disciplinaire à la responsabilité civile ? Dans quelle mesure la vaste opération « restore confidence » lancée depuis la faillite d’Enron et par la loi Sarbanes - Oxley Act va influencer la jurisprudence française concernant les fondements de la responsabilité civile ? Il ne semble ni nécessaire, ni concevable que le juge civil aille au-delà de sa position actuelle.

Le secteur financier devra s’ouvrir de plus en plus à l’influence des organisations

internationales et du droit communautaire qui essaient de définir les obligations professionnelles de manière à assurer la sécurité des marchés financiers. La nouvelle AMF ne peut rester neutre face à la normalisation de plus en plus accrue qui intervient à de différentes strates des acteurs de la vie financière et se doit d’assurer le respect des règles déontologiques issues des associations professionnelles des marchés financiers.

La mise en place de codes de bonne conduite est de plus en plus invoquée au niveau

communautaire. En témoigne la proposition de la directive sur les pratiques commerciales déloyales du 18 juin 2003. La directive propose la mise en place d’organes administratifs destinés à assurer le respect des règles concernant la concurrence déloyale. Elle encourage vivement le procédé d’autorégulation. Les codes de bonne conduite sont envisagés comme le moyen privilégié du droit communautaire pour exposer plus en détail la manière d’appliquer les prescriptions législatives mais également pour mettre en place des règles dans des domaines dans lesquelles il n’existe pas de prescriptions juridiques spécifiques. Cette proposition qui n’est pas encore adoptée par le Parlement européen pourrait ouvrir un vif débat sur le rôle joué par les codes de bonne conduite en droit de la responsabilité177.

176A. Pietracosta, L’affaire Morgan Stanley/LVMH Banque d’investissement et analyse financière, RDBF n°2 mars- avril 2004, p.131 177D. Touchent, La proposition de directive sur les pratiques commerciales déloyales, P. A. 1 août 2003, n°153, p.3

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ANNEXE TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS

JUGEMENT PRONONCE LE LUNDI 12/01/2004

1ère CHAMBRE SUPPLEMENTAIRE

RG 2002093985

21/01/2003

ENTRE : SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON –LVMH dont le siège social est situé 30 avenue Hoche 75 008 PARIS

PARTIE DEMANDERESSE

ET

1/ SOCIETE MORGAN STANLEY & C° INTERNATIONAL LIMITED dont le siège social est 25 Cabot Square – Canary Wharf LONDON E144Q4- ROYAUME UNI

2/ SOCIETE MORGAN STANLEY DEAN WITTER INC. dont le siège social est situé Corporation Trust Center, 1209 Orange Street, Wilmington, DELAWARE 19801 et dont siège de la direction est 1585 Broadway NEW YORK NY 10036

PARTIES DEFENDERESSES CAUSE JOINTE ET JUGEE A :

RG 2003015834

12/05/2003

ENTRE ; SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON dont le siège social est 22 avenue Montaigne, 75 008 PARIS

ARTIE DEMANDERESSE ET : SOCIETE MORGAN STANLEY DEW Inc. Dont le siège social est situé Corporation Trust Center, 1209 Orange Street, Wilmington, DELAWARE 19801 et dont le siège de la direction est 1585 Broadway, NEW YORK – NEW YORK 10 036

- Monsieur LECUE, substitut de Monsieur le Procureur de la République

APRES EN AVOIR DELIBERE

Faits

MORGAN STANLEY est une grande banque d’affaire internationale avec deux sociétés de tête, l’une à NEW YORK ( MORGAN STANLEY DEAN WITTER Inc.) et l’autre à LONDRES (MORGAN STANLEY & C° INTERNATIONAL Ltd.), ci après dénommée MORGAN STANLEY.

MORGAN STANLEY exerce, comme la plupart des banques d’affaires internationales, une triple activité de prise ferme et de placement d’instruments financiers, de conseil financier dans les opérations de fusion-acquisition et d’analyse financière.

MORGAN STANLEY est depuis 1995 la banque d’affaires de GUCCI, société immatriculée au PAYS BAS, cotée à AMSTERDAM et NEW YORK, exerçant son activité dans le domaine du luxe. Elle est intervenue pour le compte de GUCCI lors de sa prise de contrôle par PINAULT-PRINTEMPS-REDOUTE (PPR) en février mars 1995 puis en août-septembre 2001. MORGAN STANLEY est également intervenue auprès de GUCCI comme conseil pour l’acquisition de SANOFI BEAUTE (1999) , de YVES SAINT LAURENT et de BOUCHERON

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(2000), de BOTTEGA VENETA et de BALENCIAGA (2001), transformant ainsi GUCCI d’une simple marque en un groupe multimarque, dans le secteur du luxe.

Les sociétés assignées seront ci-après désignées «MORGAN STANLEY ».

A la suite des assignations, des conclusions d’incident ont été échangées entre les parties ; un jugement de ce Tribunal en date du 28 avril 2003 a débouté MORGAN STANLEY de ses conclusions d’incident et fait injonction à MORGAN STANLEY de conclure au fond.

Par conclusions en réponse du 26 mai 2003 MORGAN STANLEY a demandé au Tribunal de débouter LVMH de ses demandes et de la condamner à payer à MORGAN STANLEY 10.000.000 d’euros à titre de dommages et intérêts ; ordonner la publication du jugement dans 20 magazines et journaux en FRANCE, en ANGLETERRE et aux USA et sur le propre site internet de LVMH pour une période de trente jours aux frais de LVMH ; condamner LVMH à payer à MORGAN STANLEY et à MORGAN STANLEY DW 75.000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du NCPC avec les dépens ; ordonner l’exécution provisoire du présent jugement.

Par conclusions en réplique du 15 septembre 2003, LVMH demande au Tribunal de rejeter les demandes reconventionnelles de MORGAN STANLEY et confirme ses précédentes écritures, y ajoutant la publication de la décision à intervenir dans trois quotidiens grand public de diffusion internationale aux frais des sociétés assignées et portant à 100.000 euros la somme demandée au titre de l’article 700 du NCPC.

Par conclusions déposées à l’audience de plaidoirie du 17 novembre 2003 à 14h30, MORGAN STANLEY demande au Tribunal de débouter LVMH de ses demandes et confirme ses précédentes écritures, en portant à 100.000 euros sa demande de l’article 700 du NCPC.

A l’audience de plaidoirie du 17 novembre 2003, le Tribunal , après avoir entendu les Conseils des parties en leurs plaidoiries respectives, leur enjoint de fournir des notes en délibéré limitées strictement aux points suivants :

1. Les liens pouvant exister entre GUCCI et MORGAN STANLEY durant la période de 1999 à 2002.

2. Les informations positives et négatives données par MORGAN STANLEY sur LVMH et GUCCI avec une analyse comparative permettant de déterminer si le processus d’analyse est comparable pour les deux sociétés.

3. Quels ont été les critères retenus pour effectuer une décote de maturité et une décote de holding

4. Fournir au Tribunal un tableau des variations des cours de la bourse de LVMH et GUCCI de 1999 à 2002

Ces notes devant être remises au Tribunal et au Parquet et transmises sous quinze jours à l’adversaire qui devra répondre dans les huit jours à compter de la date de la réception desdites notes.

Monsieur LECUE, Substitut de Monsieur le Procureur de la République , a indiqué que : « -Le délit de diffusion d’informations fausses ou trompeuses de nature à agir sur les cours de la bourse tel qu’il

en est fait mention dans l’article L465-1 du Code Monétaire et Financier ne serait pas constitué, les fautes pénales n’étant pas caractérisées.

En effet pour entre dans le cadre de cet article, l’information devrait être pénalement répréhensible, ce qui n’est pas le cas ; de plus elle devrait être de nature à agir sur les cours, ce qui n’est pas démontré de manière précise et certaine.

-Il est en outre allégué la neutralité de MORGAN et de GUCCI alors que cependant, un certain nombre d’erreurs pourrait caractériser une comportement fautif de la banque, notamment l’interview de M. ZAOUI au FINANCIAL TIMES prétendant faussement que le taux d’endettement de LVMH s’élève à 37%, et l’absence de rectificatif de la part de l’intéressé. En conclusion, il ressort qu’il n’y a pas de poursuite pénale dans cette affaire ni d’enquête sur l’initiative du Ministère Public.

LVMH a choisi la voie civile.

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Le Tribunal a donc toute latitude pour apprécier sur le fondement de l’article 1382 du Code civil si le comportement de MORGAN STANLEY est fautif, si la faute a entraîné un préjudice, s’il existe un lien de causalité entre la faute et le préjudice ».

Le Tribunal a prononcé la clôture des débats à la fin de l’audience du 17 novembre 2003, avec mise en délibéré à cette date pour jugement être prononcé à l’audience spéciale de la 1° Chambre le 12 janvier 2004 à 14h.

Les quatre Notes en délibéré demandées par le Tribunal ont été adressées au Tribunal le 1er décembre 2003 par MORGAN STANLEY et le 8 décembre 2003 par LVMH.

Par lettres des 9 et 12 décembre 2003 l’avocat conseil de MORGAN STANLEY indique que LVMH a joint dans ses notes des pièces qui n’ont pas été soumises à un débat contradictoire. L’avocat conseil de LVMH a répondu à ces lettres par courriers des 10 et 15 décembre 2003.

Le Tribunal ne retiendra que les éléments répondant au respect du contradictoire.

Les notes en délibéré et les lettres et courriers précités seront annexées à la procédure.

Le Tribunal statuera par un jugement contradictoire rendu en premier ressort en joignant les instances en raison de leur connexité.

DISCUSSION

La structure de MORGAN STANLEY

LVMH voit en MORGAN STANLEY une grande banque internationale, mais constate qu’elle est sujette à de graves dysfonctionnements résultant de sa structure : MORGAN STANLEY exerce à la fois une mission de conseil financier et une mission d’analyse financière. Des conflits d’intérêt peuvent exister entre les services d’analyse de la Banque et les autres départements de celle-ci, plus particulièrement les services d’investissement. Une « muraille de Chine » doit être mise en place entre ces deux catégories de service pouvant assurer aux investisseurs l’indépendance et l’objectivité des analyses financières de la Banque.

Or , LVMH estime que cette muraille de Chine n’existe pas chez MORGAN STANLEY. C’est ce qu’a révélé une enquête menée simultanément en 2001 et en 2002 par SECURITY EXCHANGE COMMISSION (SEC) et l’Avocat général de l’Etat de NEW YORK, Eliot SPITZER. Les banques, dont MORGAN STANLEY, ont incité des sociétés à leur confier des missions en leur laissant entendre qu’elles bénéficieraient du soutien de l’analyse de la Banque, trahissant ainsi la confiance des investisseurs, du marché et du public.

La SEC a ainsi révélé que les « analystes financiers de MORGAN STANLEY ont été l’objet de pression inappropriées de la part de la banque d’investissement du groupe – qu’elle a rémunéré ses propres analystes pour partie en fonction de leur degré de contribution à l’obtention par la Banque d’investissement de nouvelles affaires » ( Communiqué SEC n° 18 117 du 28 avril 2003 ).

La procédure s’est terminée par une transaction moyennant 50M$ d’amende et 75M$ pour la création d’un service d’analyse indépendant de ses clients.

LVMH soutient que MORGAN STANLEY s’est servi « comme d’un outil marketing de l’aide de Claire KENT, l’analyste –vedette du secteur du luxe », responsable du secteur des industries du luxe au sein du département d’analyse financière de MORGAN STANLEY.

LVMH fait état de ce que la Banque a refusé de communiquer les règles et procédures appliquées par elles dans le secteur du luxe, reconnaissant ainsi implicitement que le système général dénoncé par la SEC était utilisé de la même manière au sein du secteur du luxe.

MORGAN STANLEY oppose à LVMH qu’elle déforme le contenu et les conséquences des procédures américaines engagées par M. SPITZER et la SEC, en partant du postulat –erroné – que des fraudes auraient été commises aux ETATS UNIS par MORGAN STANLEY et que de telles fraudes l’auraient été aussi en Grande Bretagne et en France. Or il n’a pas été établi que MORGAN STANLEY ait commis une fraude, ni qu’une analyse financière aurait été fausse parce qu’elle n’aurait pas été conforme à l’opinion que s’étaient faite les analystes, alors que les analyses reflétaient sincèrement l’opinion des analystes. Si la procédure américaine s’est terminée par une transaction, cela s’explique par le souci de MORGAN STANLEY d’éviter un procès public.

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Quoiqu’il en soit, il n’y a aucun rapport de droit ou de fait entre les procédures américaines et le litige pendant devant ce Tribunal . Le droit français s’applique. Aucune autorité de régulation n’a jamais prétendu qu’une banque d’affaires ne devrait pas avoir de département d’analyse financière. Le code de déontologie professionnelle de la SFAF (la SOCIETE FRANCAISE DES ANALYSTES FINANCIERS) précise les obligations des analystes financiers :

« Le membre de la SFAF doit s’abstenir de diffuser dans le public par des voies et moyens des fins informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d’un émetteur d’un instrument financier ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier ».

Il n’est pas allégué par LVMH que ces obligations auraient été méconnues par MORGAN STANLEY. II. Les griefs LVMH retient à l’encontre de MORGAN STANLEY 6 griefs qui seront repris par le Tribunal avec les positions respectives des parties :

A. Mentions fausses et dissimulation de conflits d’intérêts

LVMH relève des mentions fausses faites par MORGAN STANLEY dans ses rapports hebdomadaires d’analyse financière LUXURY GOODS WEEKLY

- 95 fois pendant plus de trois ans le fait qu’un de ses salariés ou administrateurs était administrateur de LVMH

- 37 fois le fait qu’elle aurait durant les trois dernières années été chef de file ou membre du syndicat de placement d’une offre publique de titres LVMH

- à deux reprises qu’elle attendait une rémunération pour des services de banque d’affaires, avec indication de ce fait sur son site internet

Par contre MORGAN STANLEY n’a pas révélé ses liens avec GUCCI.

MORGAN STANLEY oppose que si elle a pu commettre des erreurs, LVMH ne présent aucun document dans lequel elle se plaint de ces erreurs, que d’ailleurs MORGAN STANLEY a fait une correction dans ses rapports des 30 août, 6 et 15 septembre 2002 à propos de l’administrateur indiqué comme commun ; pour l’indication relative à la participation de MORGAN STANLEY à un syndicat de placement d’une offre publique des titres LVMH, cette révélation (« disclosure ») était exact jusqu’au 7 novembre 1999 ; la mention a été supprimée , puis rétablie par erreur en mars/mai 2000, sans protestation de LVMH ; c’est par application de la réglementation américaine que MORGAN STANLEY a indiqué la perception d’une rémunération possible de LVMH ; enfin une erreur a effectivement eu lieu sur le site Internet de MORGAN STANLEY, mais a été supprimée avant qu’elle ne puisse figurer dans un rapport d’analyse financière.

Quant à la révélation de ses liens avec GUCCI, MORGAN STANLEY soutient qu’elle a respecté la réglementation américaine.

B. L’atteinte au crédit de LVMH

LVMH fait état d’une interview au FINANCIAL TIMES du 16 mars 2002 de Michael ZAOUI, directeur responsable des activités de banque d’investissement de MORGAN STANLEY pour l’EUROPE, déclarant « LVMH a un ratio d’endettement net par rapport à sa capitalisation boursière estimé à 37%, alors que GUCCI , au mois d’octobre 2001, dispose d’une trésorerie nette disponible de 1,5 milliard d’euros ».

Dans cette interview M. ZAOUI omet de mentionner que MORGAN STANLEY est la banque conseil de GUCCI et que la trésorerie nette de GUCCI ne provient pas des profits qu’elle génère mais d’une augmentation de capital de 3 milliards de dollars pour permettre à PINAULT, PRINTEMPS, REDOUTE (PPR) de prendre le contrôle de GUCCI. De plus les chiffres d’endettement indiqués sont vieux de 9 mois (28% et non 37%) à la date de la publication. Cette interview n’a pas été suivie d’un rectificatif de la part de l’intéressé.

LVMH fait état également de deux e-mails (« e-mail alert ») du 17 juillet 2002 adressés à ses clients par MORGAN STANLEY :

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« Les analystes crédit de MORGAN STANLEY ne peuvent exclure la possibilité que la notation de crédit de LVMH (actuellement BBB+ perspective négative) change. Dans ce cas la notation évoluerait probablement en BBB+ sous surveillance. Nous pensons que si cela n’est pas imminent, cela ne peut être écarté au cours des prochains mois. Nous pensons aussi que cela pourrait être dommageable au titre ».

Ces indications sont reprises dans le rapport du 19 juillet 2002.

En réalité MORGAN STANLEY ne faisait que reprendre une communication de STANDARD & POOR’S parue trois mois auparavant, alors que les résultats du premier semestre de 2002 confirmaient l’amélioration du profit financier du groupe LVMH. MORGAN STANLEY a ainsi communiqué au marché une information fausse.

MORGAN STANLEY oppose à propos de l’interview de M. ZAOUI que les chiffres donnés étaient exacts lorsqu’il les a donnés et que si une critique devait être formulée elle ne pourrait l’être que contre le FINANCIAL TIMES qui a publié un article trois semaines après l’entretien de la journaliste avec M. ZAOUI. Quant aux notations concernant la société LVMH, MORGAN STANLEY ne fait que reprendre les informations de STANDARD & POOR’s et s’étonne qu’il lui soit interdit de mentionner la note attribuée à la dette à long terme de LVMH.

C. L’atteinte à la marque LOUIS VUITTON

LVMH relève dans le rapport du 1° aout 2002 : « Nous pensons que le titre LVMH devrait se négocier avec une décote de 10% pour tenir compte du fait que la management a détruit de la valeur ( le retour sur capitaux investis est de 19% en 1990 comparé à 9,5% en 2001), et repose sur une marque qui connaît un important succès, mais qui est arrivé à maturité, LOUIS VUITTON » laissant entendre que parvenue à un sommet la marque LOUIS VUITTON ne peut que connaître un déclin , alors qu’elle offre au contraire de formidables perspectives de croissance, comme l’atteste l’augmentation des ventes (15% par an de 1990 à 2000), la construction et l’ouverture de nouvelles usines et de magasins.

MORGAN STANLEY oppose que l’utilisation du terme « mature » ne signifie pas condamné à l’échec. LVMH passe sous silence tout commentaire positif de MORGAN STANLEY sur la marque LOUIS VUITTON ; toute société a ses forces et ses faiblesses, MORGAN STANLEY comme tous les autres analystes a relevé les unes et les autres ; elle l’a fait pour LVMH comme pour toutes les autres sociétés du secteur. D’ailleurs la qualification de « maturité » pour les marques est un concept fréquemment utilisé par d’autres analystes financiers les plus autorisés, chez ABN AMRO et LEHMAN BROTHERS notamment, et par la presse économique.

D.L’atteinte au management et à la valeur de LVMH

Pour LVMH le principe d’une décote de 10% est d’autant plus injustifié qu’elle s’accompagne d’un éloge de GUCCI à laquelle MORGAN STANLEY applique une prime de 10% « pour refléter le fait que GUCCI a prouvé qu’elle ne présente pas de ‘risque mode’ et que le management apparaît être le seul capable de créer une seconde marque forte avec YVES SAINT LAURENT » (rapport du 7 novembre 2002).

MORGAN STANLEY relève que LVMH ne conteste pas les chiffres retenus par elle, pour la rentabilité des capitaux employés réduite de 19% en 1990 à 9,5% en 2000, ni les raisons de cette baisse qui se trouvent dans les investissements réalisés par LVMH (PHILIPS, DFS, SAPHORA, FENDI, DONNA KARAN etc.) justifiant une décote de 10% pour LVMH, alors qu’une prime pour GUCCI ne présente aucun caractère arbitraire.

E. L’exposition au yen

LVMH n’ignore pas qu’elle est exposée à une baisse du yen japonais, mais elle reproche à MORGAN STANLEY son manque d’objectivité à ce sujet, compte tenu de ce que la part des ventes du groupe LVMH est de 15% comparée à celle de GUCCI qui est de 23%, et que la part des ventes de LVMH aux touristes japonais est de 17% comparée à celle de GUCCI qui est de 20%. LVMH souligne qu’elle dispose de couverture de change et qu’elle a la possibilité d’augmenter ses prix afin de compenser la baisse du yen.

MORGAN STANLEY oppose que la couverture du taux de change ne peut pas protéger LVMH contre une chute des ventes de LOUIS VUITTON et contre la chute des ventes de LOUIS VUITTON aux touristes japonais et contre l’effondrement des profits réalisés par DFS. C’est d’ailleurs ce que d’autres banques comme la BNP ont pu relever.

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E. Forces et faiblesses comparées de LVMH et de GUCCI

LVMH donne une série d’exemples d’éloges à l’adresse de GUCCI par MORGAN STANLEY et de réserves de la banque à l’égard de LVMH. Il en est ainsi notamment de l’interview de Mme Claire KENT donnée au quotidien CORRIERE DELLA SERRA le 30 avril 2001 :

« Il faut avant tout un management fort et mettre sur pied une équipe de designers capables. Chez FENDU (groupe LVMH) par exemple , il manque un management à poigne. Pour créer de la valeur et avoir une marque gagnante, il faut avoir une vision unique. Comme cela s’est produit chez GUCCI quand sont arrivés Domenico DE SOLE (administrateur délégué du groupe) et TOM FORD ». MORGAN STANLEY, si dur avec le management de LVMH et si confiante dans celui de GUCCI ne parle pas de la possibilité pour cette dernière de voir son management la quitter dans un proche avenir, ce qui est évoqué par la presse et les analystes autres que Claire KENT depuis le début de 2003.

MORGAN STANLEY oppose que ses commentaires sur LVMH sont souvent louangeurs et qu’il serait faux de dire qu’elle est toujours positive sur GUCCI dont elle a relevé les difficultés. Quant à l’article du CORRIERE DELLA SERA du 20 avril 2001, qui d’ailleurs ne fait pas état du nom de LVMH comme actionnaire de FENDU, il ne fait l’objet d’aucun commentaire critique au moment de sa parution par LVMH qui l’a subitement redécouvert le 31 mai 2002, alors que des analystes autres que MORGAN STANLEY ont critiqué l’organisation de FENDI.

III. Synthèse de la position réciproque des parties

De l’examen de ces griefs, LVMH conclut au caractère systématique des rapports de MORGAN STANLEY toujours en défaveur de LVMH et en faveur de GUCCI, alors que MORGAN STANLY relève que les informations qu’elle a publiées sur LVMH et GUCCI sont partagées par d’autres commentateurs, et que des commentaires sont souvent favorables à LVMH et défavorables à GUCCI.

LVMH considère que MORGAN STANLEY a manqué aux devoirs d’indépendance, d’objectivité et de rigueur qui s’imposent à elle, qu’elle a trompé la confiance de LVMH et des investisseurs, qu’elle a nui à LVMH et favorisé son client GUCCI, qu’elle a ainsi engagé sa responsabilité délictuelle au titre de l’article 1382 du Code civil, qu’il résulte du comportement de MORGAN STANLEY un préjudice considérable et demande à titre de dommages-intérêts 100 millions d’euros, ce qui ne représente qu’une faible quote-part des dommages causés à l’image, au crédit et au cours boursier du groupe LVMH, avec publication de la décision dans la presse financière et dans la presse grand public.

MORGAN STANLEY rejette toute idée de dénigrement et l’existence d’un préjudice qu’aurait subi LVMH. En réalité LVMH cherche à obtenir réparation d’un seul « préjudice », c’est le rôle de MORGAN STANLEY dans l’échec de LVMH dans la prise de contrôle de GUCCI, LVMH veut obtenir une condamnation de MORGAN STANLEY « pour trouver enfin une consolation à son échec cuisant dans l’affaire GUCCI » (conclusions de MORGAN STANLEY déposées à l’audience de plaidoiries).

SUR CE LE TRIBUNAL

Attendu que LVMH demande la condamnation de MORGAN STANLEY sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ;

Que la mise en jeu de la responsabilité délictuelle de MORGAN STANLEY suppose l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice ;

Qu’il appartient au Tribunal de rechercher si ces éléments sont réunis dans la présente affaire.

Sur la faute

Attendu qu’il est constant que la structure de MORGAN STANLEY ne comportait pas de séparation stricte entre les services d’investissement et les services d’analyse financière

Que cette situation a été relevée aux ETATS UNIS par la SEC et par l’Avocat Général de l’Etat de NEW YORK qui ont précisé que l’absence d’une séparation entre les services ainsi concernés a manifestement créé un manque d’objectivité des analyses de la Banque, nécessairement préjudiciable aux investisseurs ;

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Qu’une transaction a été passée entre MORGAN STANLEY et la SEC aux termes de laquelle la Banque s’est engagée notamment à payer 75 millions de $ de contribution pour la création d’un service d’analyse indépendant pou ses clients ;

Qu’après signature de cette transaction le Président de MORGAN STANLEY a minimisé la responsabilité de sa banque dans une interview au NEW YORK TIMES du 30 avril 2003, ce qui lui a valu une sévère réprimande du Président de la SEC ;

Qu’il résulte de ces actes et faits que la structure de MORGAN STANLEY était source de préjudices pour ses clients et pour les investisseurs ;

Attendu qu’il est également constant que des liens d’affaires existaient entre MORGAN STANLEY et GUCCI ; que cette dernière spécialisée comme LVMH dans le secteur du luxe était convoitée par LVMH ;

Que l’aide apportée par MORGAN STANLEY à PPR notamment, a contribué à l’échec de tout rapprochement entre LVMH entre GUCCI ;

Qu’aucun élément ne permet de dire que la procédure initiée par LVMH à l’encontre de MORGAN STANLEY avait pour seul objet de rechercher une compensation à l’échec de LVMH dans sa tentative de prendre le contrôle de GUCCI ;

Attendu en revanche qu’il résulte d’une multiplicité de fautes relevées par LVMH, retenues par le Tribunal, et parfois récurrentes, commises par MORGAN STANLEY, que celle-ci a de cette façon valorisé GUCCI au détriment de LVMH ;

Que par exemple le rapport hebdomadaire d’analyse financière LUXURY GOODS WEEKLY de MORGAN STANLEY fait état 95 fois pendant plus de 3 ans du fait qu’un de ses salariés ou administrateurs était administrateur de LVMH ;

Que ce fait ne peut être imputé à une simple erreur s’agissant d’un professionnel du secteur du luxe de réputation mondiale ;

Que cette mention erronée pouvait induire en erreur un investisseur amené à penser que tout ce que pouvait dire MORGAN STANLEY sur LVMH, notamment sur ses défauts et faiblesses, ne pouvait qu’être vrai, en raison de l’existence de prétendus liens entre les deux sociétés ;

Que MORGAN STANLEY ne peut s’exonérer en prétendant que LVMH a attendu la présente procédure pour réagir devant ces erreurs;

Qu’en ne dénonçant pas ces erreurs LVMH a pu faire preuve de patience, mais non d’approbation ;

Que l’accumulation de ces faits a conduit LVMH à s’interroger et à réagir ;

Attendu que dans son interview au FINANCIAL TIMES, le Directeur responsable des activités de banque d’investissement de MORGAN STANLEY en EUROPE a indiqué des ratios d’endettement qui ne correspondaient plus à l’actualité et a jeté ainsi un discrédit supplémentaire sur LVMH, et ce d’autant plus que cette déclaration obsolète s’accompagnait d’une mention brillante pour GUCCI, qu’aucun rectificatif n’a été rapporté à la déclaration de ce Directeur ;

Que de même la référence à des notations anciennes voilait des résultats en progrès ;

Que la référence à la « maturité » de LVMH laissait entendre que ce groupe avait atteint son sommet et ne pouvait que décliner, et justifiait une décote de 10%, et ce d’autant plus qu’elle s’accompagnait d’un éloge de GUCCI qui se voyait attribuer par MORGAN STANLEY une prime de 10% ;

Attendu qu’une information incomplète sur les activités de LVMH au JAPON et sur les ventes à des Japonais laissait planer un doute sur l’avenir du groupe, compte tenu de l’importance du marché « JAPON » pour LVMH ;

Attendu que dans ses déclarations MORGAN STANLEY a valorisé GUCCI et émis des doutes sur le dynamisme du management de LVMH, notamment dans une interview donnée au CORRIERE DELLA SERRA le 30 avril 2001 par Mme Claire KENT, responsable du secteur du luxe et analyste vedette chez MORGAN

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STANLEY, en liaison étroite avec la banque MORGAN STANLEY, opinion que les faits ne semblent pas avoir confirmée ;

Qu’il apparaît ainsi que MORGAN STANLEY a manqué gravement et à de multiples reprises à ses devoirs d’indépendance, d’impartialité et de rigueur et s’est rendu coupable d’un dénigrement à l’encontre de LVMH ;

Qu’ un tel comportement n’est pas admissible d’un professionnel de l’analyse financière de réputation mondiale, qui doit contrôler ses informations et les vérifier constamment, eu égard aux enjeux pour les investisseurs et les sociétés concernées ;

Il convient donc d’apprécier et d’évaluer le préjudice subi par LVMH du fait des fautes de MORGAN STANLEY Sur le préjudice et le lien de causalité entre faute et préjudice Attendu que MORGAN STANLEY est une banque internationale de premier rang ;

Que l’opinion d’un tel établissement est nécessairement considérée avec soin par les investisseurs ;

Attendu que LVMH est une société de premier plan, mais qu’elle exerce ses activités dans un secteur sensible , celui du luxe ;

Que l’opinion et les analyses financières d’une grande banque internationale telle que MORGAN STANLEY ont nécessairement un impact sur les sociétés d’importance mondiale dans ce secteur et sur les analystes spécialisés ;

Que dire du bien de GUCCI valorise GUCCI ;

Que dire du mal de LVMH ou émettre des réserves sur sa situation valorise GUCCI en raison de l’appartenance des deux sociétés au même secteur ;

Que MORGAN STANLEY ne s’est pas contentée d’analyser isolément LVMH, mais a comparé LVMH et GUCCI, vantant les qualités de GUCCI et dénigrant LVMH ;

Que l’image de marque pour une société du secteur du luxe est essentielle à son développement et à sa notoriété ;

Que cette image se construit année par année et nécessite de très lourds investissements publicitaires, techniques, marketing ;

Attendu que l’atteinte à l’image de marque de LVMH a des répercussions tant sur la clientèle que sur les investisseurs ;

Attendu qu’une atteinte à l’image de LVMH a été causée par le comportement fautif de MORGAN STANLEY,,

Qu’en effet la multiplicité des dires, des sous-entendus et des erreurs émanant de MORGAN STANLEY a nécessairement porté une atteinte grave à l’image de marque et à l’image financière de LVMH ;

Attendu que le Tribunal doit estimer le préjudice occasionné à la société LVMH,

Que le Tribunal a retenu des éléments qui lui ont été donnés que la valeur boursière de LVMH était de 27 milliards d’euros, que la décote de 10% préconisée par MORGAN STANLEY représente 2,7 milliards d’euros ;

Que le Tribunal a constaté que l’appréciation de Mme Claire KENT était orientée contre LVMH pour favoriser GUCCI et que, vu la notoriété de cette analyste, cela ne pouvait qu’influencer le marché au détriment de LVMH ;

Attendu que le montant des dommages-intérêts doit compenser le préjudice causé par la faute du MORGAN STANLEY.

Qu’à l’évidence les agissements fautifs de MORGAN STANLEY ont porté une atteinte grave à l’image de LVMH, qui a dû en conséquence mettre en oeuvre une défense et une communication coûteuses pour compenser l’atteinte à son image et à sa réputation financière ;

Qu’à cet effet LVMH a dû nécessairement réaliser des investissements importants pour maintenir sa réputation financière faussée par les informations mensongères de MORGAN STANLEY ;

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Que dans ces conditions le Tribunal constatera que LVMH a subi un préjudice à la fois matériel et moral qu’il convient de réparer ;

Que le Tribunal usant de son pouvoir souverain pour déterminer le préjudice moral par LVMH, fixera à 30 millions d’euros le montant de ce préjudice et condamnera in solidum MORGAN STANLEY & Co. INTERNATIONAL Ltd et MORGAN STANLEY DW Inc. à payer à LVMH ce dernier montant dès la signification du présent jugement ;

Attendu que le préjudice matériel subi par LVMH résulte d’un part de la décote préconisée par MORGAN STANLEY et de son impact sur le marché, et d’autre part des mesures spécifiques que LVMH a dû prendre pour lutter contre le dénigrement dont elle était l’objet mettant à sa charge des frais supplémentaires dont LVMH demande réparation ;

Qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention (article 9 du NCPC)

Qu’il apparaît que les éléments fournis au Tribunal sont insuffisants pour lui permettre de statuer sur ces frais supplémentaires ;

Que des mesures d’instruction peuvent être ordonnées, en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer (article 143 et 144 du NCPC),

Le Tribunal désignera Monsieur Didier KLING, demeurant à PARIS 75 008 – 41 avenue de Friedland, comme expert avec la mission qui sera précisée ci-après.

Le Tribunal ordonnera la publicité du présent jugement dans les conditions indiquées au dispositif.

Sur la demande reconventionnelle de MORGAN STANLEY

Attendu qu’aucune faute n’est relevée par le Tribunal qui aurait été commise par LVMH dans l’engagement et la conduite de la procédure ;

Que LVMH a fait valoir ses droits,

Le Tribunal déboutera MORGAN STANLEY de sa demande reconventionnelle.

Sur l’article 700 du NCPC Sollicité par LVMH Attendu que la partie demanderesse a dû pour faire reconnaître ses droits exposer des frais non compris dans les dépens, qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge ;

Qu’il est justifié de lui allouer par application de l’article 700 du NCPC une indemnité, en l’état , de 80.000 euros Le Tribunal se réservant pour le surplus de la demande ;

Sollicité par MORGAN STANLEY

Sur l’exécution provisoire

Elle sera ordonnée sans constitution de garantie, mais ne s’appliquera pas aux publications de la présente décision

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant en premier ressort par jugement contradictoire,

Joint les instances (réf. 2002093985 et 2003015834°. Constate que les faits relevés sont constitutifs d’une faute lourde commise par la SOCIETE MORGAN

STANLEY & Co INTERNATIONAL LIMITED et la SOCIETE MORGAN STANLEY DEAN WITTER INC. au détriment de la SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON-LVMH

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Constate que cette faute a causé un préjudice considérable tant moral que matériel à la SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON – LVMH dans son image, justifiant réparation ;

Condamne in solidum la SOCIETE MORGAN STANLEY & Co INTERNATIONAL LIMITED et la SOCIETE MORGAN STANLEY DEAN WITTER INC. à payer à la SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON – LVMH, dès la signification du présent jugement, la somme de 30.000.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi par la SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON – LVMH,

Se réserve de compléter cette condamnation pour indemniser les préjudices matériels subis par la SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON –LVMH , qui comprendront :

-d’une part le préjudice causé par la décote préconisée par la société MORGAN STANLEY

-d’autre part le préjudice résultant des divers coûts engagés par las SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON LVMH pour la défense de son image, le Tribunal, pour l’éclairer uniquement sur ces coûts, désigne Monsieur Didier KLING, demeurant à PARIS 75 008, 41 avenue de Friedland, comme expert, avec la mission suivante :

• collecter tous éléments chiffrés permettant au Tribunal de commerce de connaître pendant la période allant de 1999 à 2002

les dépenses publicitaires directes de la SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON –LVMH et de l’ensemble de ses filiales

les coûts de communication indirecte occasionnés par l’organisation de conférences de presse, les missions de chargés de communication

les frais et honoraires de l’ensemble des procédures engagées pour la défense des atteintes de la SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON (contrefaçons, concurrences déloyales ...)

les frais de marketing-packaging,

les frais engagés pour le dépôt des marques, leur surveillance internationale et leur renouvellement

le coût de l’endettement

• déterminer, après avoir collecté ces chiffres, quelle pourrait être la part qui pourrait avoir été supportée par la SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON – LVMH et ses filiales, pendant la période de 1999 à 2002 pour maintenir son image et contrecarrer le dénigrement dont elle a été victime du fait de la SOCIETE MORGAN STANLEY & Co INTERNATIONAL LIMITED et la SOCIETE MORGAN STANLEY DEAN WITTER INC. Fixe à 10.000 euros le montant à consigner par la SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON -LVMH avant le 30 janvier 2004 au greffe de ce Tribunal, par application des dispositions de l’article 269 modifié du NCPC ;

A défaut de consignation dans le délai prescrit, la désignation de l’expert sera caduque (article 271 modifié du NCPC) et l’instance poursuivie ;

Dit que dans les deux mois à compter de sa désignation, l’expert indiquera le montant de sa rémunération définitive prévisible afin que soit que soit éventuellement ordonnée une provision complémentaire dans les conditions de l’article 280 du Nouveau Code de Procédure Civile et qu’à défaut d’une telle indication le montant de la consignation initiale constituera la rémunération définitive de l’expert,

Dit que, si les parties ne viennent pas à composition entre elles, le rapport de l’expert devra être déposé au Greffe dans un délai de trois mois à compter de la consignation de la provision et, dans l’attente de ce dépôt, inscrit la cause au rôle des mesures d’instruction ;

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Dit que le magistrat chargé du contrôle des mesures d’instruction suivra l’exécution de la présente expertise ;

Déboute la SOCIETE MORGAN STANLEY & Co INTERNATIONAL LIMITED et la SOCIETE MORGAN STANLEY DEAN WITTER INC. de leur demande reconventionnelle ;

Ordonne la publication du présent jugement dans trois quotidiens de la presse financière de diffusion international et dans trois quotidiens grand public de diffusion internationale ainsi que dans une prochaine édition du rapport hebdomadaire sur le secteur du luxe (LUXURY GOODS WEEKLY) émanant du service d’analyse financière de la SOCIETE MORGAN STANLEY & Co INTERNATIONAL LIMITED et la SOCIETE MORGAN STANLEY DEAN WITTER INC. , le tout au frais de ces deux société ;

Condamne in solidum la SOCIETE MORGAN STANLEY & Co INTERNATIONAL LIMITED et la SOCIETE MORGAN STANLEY DEAN WITTER INC. à payer à la SA LVMH MOET HENNESSY LOUIS VUITTON – LVM la somme de 80.000 euros au titre de l’article 700 du NCPC ;

Se réserve pour le surplus de la demande à ce dernier titre

Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision, sauf en ce qui concerne les publications

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

Condamne in solidum la SOCIETE MORGAN STANLEY & Co INTERNATIONAL LIMITED et la SOCIETE MORGAN STANLEY DEAN WITTER INC. aux dépens, dont ceux à recouvrer par le Greffe

Retenu et plaidé à l’audience publique du 17 novembre 2003 où siégeaient ;

Messieurs COSTES , ECK, GERONIMI, Mesdames MESNIL, MAEGHT

Délibéré par les mêmes magistrats et prononcé à l’audience publique où siégeaient

Monsieur ECK, Président, Monsieur GERONIMI, Madame MESINIL, Monsieur IRLES, Madame MAEGHT, Juges, assistés de Mademoiselle DANCHOT Greffier

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D. TOUCHENT, La proposition de directive sur les pratiques commerciales déloyales, P. A. 1 août 2003, n°153, p.3 F.-G. TREBULE, Responsabilité sociale des entreprises (Entreprises et éthique environnementale), Rép. Sociétés, Dalloz, 2003 H. de VAUPLANE et J.-J. DAIGRE, Abus de marché. Directive - cadre. Règles spécifiques aux analystes et aux journalistes, Banque & Droit n°87 janvier - février 2003, p.38 H. de VAUPLANE, La responsabilité civile des intermédiaires, RDBB, novembre- décembre 1999, n°76, p.228 G. VINEY , JCP éd. G, 1997, Chronique responsabilité civile n°4068 J. DI VITTORIO, L’évolution de la responsabilité du banquier, Banque n°367, novembre 1977,p.1207 V. WESTER- OUISSE, Le préjudice moral des personnes morales, JCP éd. G, n°26 juin 2003,p.1189 Jurisprudence : C.A. Limoges 4 mai 1959, JCP1959, II, 11154, obs. J. Savatier Cass. Com. 15 mars 1976, JCP éd. G 1977,II,18632, note J. GESTHIN C.E. 12 janvier1951, Union com. de Bourdeau - Bassens, D.1951, p.335, concl. GUIONIN C. A. Paris 28 juin 1985, D.1987, II, p.16, note GOURIO Cass. Civ. 1ère 27janvier 1989, RTD civ.1992, p.385, obs. J. MESTRE Cass. Civ. 1ère 5 novembre 1991 Conta c/ SARL le blanc distributeur et autres, D. 1991, I.R., p.292 ; JCP éd. E 1992, II, n°225, note A. VIVANDIER;RJDA 1992,n°11, p.15, RTD civ. 1991,p. 383, obs. J. MESTRE; C.C.C. février 1992, n°24, note L. LEVENEUR Cass. Com.5 novembre 1991, RTD com. 1992,p.436, n°22, Obs. M. CABRILLAC et TEYSSIE ,RJDA 1992n°1et n°68, RTD com. 1992, p.436 ; Banque& Droit 1992, n°23, p. 106, H. DE VAUPLANE et J.-J. DAIGRE; Bull. Joly Bourse 1993,p.292, note F. PELTIER Cass. Com. 9 février 1993, JCPéd. E 1944, II, n°545, note C. DANGLEHANT Cass. Com. 29 avril 1997, D.1997, p.459, note Y. SERRA Cass. Civ. 1ère 18 mars 1997, JCPéd. G 1997, II, n°22829, note P. SARGOS ; RTD civ.1999, p.117, obs. J. MESTRE Cass. Civ. 1ère 13 octobre 1998, D. 1999, note C. JAMIN ; JCP éd. 1999, II, n°10133 note N. RZEPSKI; D. somm. , p.155, obs. Ph. DELBECQUE

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Cass. Ass. plén. 5 février 1999, JCP éd. E, p.957, note E. GARAUD C.A. Versailles, 22e ch., sect. A, 21 septembre 1999, n°284/97 SA France Compensation Bourse c/ Mme Chevalier, Bull. Joly Bourse janvier- février, 2000, p.51, note L. RUET Cass. Com.5 octobre 1999, JCP éd. E. 2000, n°1-2, p.33, note H. HOVASSE C.A. Paris 7 mars 2000, J.C.P.éd. E, 2000,p.992, note A. COURET ; Bull. Joly Bourse 2000,p.244, note N. RONTCHEVSKY; D.Aff.2000,p.512, obs. M.BOIZARD Cass. Com. 22 mai 2001, Banque& Droit 2001,n°79,p.29 H. DE VAUPLANE et J.-J. DAIGRE Cass. Com. 6 juin 2001, Bull. Joly Bourse novembre-décembre 2001, p.591 Cass. Com.19 février 2002, C. C. C.2002, n°91, note LEVENEUR C. E.30 décembre 2002,P.A.24 mars 2003, p.7, note GUYOMAR T. C. Paris 12 janvier 2004, A.COURET, Banques d’affaires, analystes financiers et conflits d’intérêts, D. 2004, n°5, p.335 ; PIETRACOSTA, L’affaire Morgan Stanley/LVMH Banque d’investissement et analyse financière, RDBF n°2 mars- avril 2004, p.131 ; H. DE VAUPLANE et J.-J. DAIGRE, Banque & Droit n° 93, janvier – février 2004, p. 31 ; JCP éd. E n°5, 29 janvier 2004, Pan. , p.151 ; obs. N. RONTCHEVSKY, RTD com. n°2 avril- juin 2004, Chronique Droit des marchés financiers, p.338

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INDEX ANALYTIQUE A - agence de notation : p.24,35,48 - analyste financier : p.30,34,35 - avertissement : p.44 B - blâme: p.44 C - CB : p.28,38,42,44 - COB : p.6,9,13,16,28,32 et s. - CMF : p.7,9,16,28 et s. - causalité : p.22 et s. --- Equivalence des conditions (th.) : p.23 --- causalité adéquate (th.) : p.23 -conseiller en investissements financiers : p.40 - Coutume : p.15,20 D - démarchage : p.35,39,40 - déontologue : p.7 - dommages et intérêts : p.18, 20, 25 -- punitifs : p.26 - Due diligence : p.32 E - Éthique : p.6, 11, 14, 21, 34 - engagement unilatéral : p.16 G - Gouvernement d’entreprise (corporate gouvernance) : p.6, 33 H - hiérarchie des normes : p.20 I - Obligation d’information : p.9, 20, 25 - interdiction d’exercice : p.45 L - Loyauté : p.9, 15, 35, 39 M - morale : p.5, 21, 25 - mandat de gestion : p.29

N - nullité : p.11, 13, 42 -néo- corporatisme : p.10, 48 O - Obligation -- De diligence : p. 15, 19, 30, 31 -- De prudence: p. 15, 19 -- De bonne foi: p. 15, 35, 48 P - Perte d’une chance: p. 25 - Préjudice: -- moral : p.25 R - radiation : p.45 - responsabilité contractuelle: p. 19, 26 - responsabilité extra: contractuelle( quasi-délictuelle) : p.17 S - Standard (de comportement) : p.10, 12, 15, 17, 19, 21 - sanction: -- administrative : p. 31, 33, 36 -- disciplinaire: p.11, 18, 21, 25, 28, 31 et s. - publication des sanctions : p. 46 U -usage: p.15, 20, 24, 32

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TABLE DES MATIERES

SOMMAIRE.......................................................................................................................................................... 2

INTRODUCTION................................................................................................................................................. 5

PARTIE 1 LA RESPONSABILITÉ DE DROIT COMMUN ET LES CODES DE BONNE CONDUITE 10

TITRE 1. L’ABSENCE DE VALEUR NORMATIVE DES CODES DE BONNE CONDUITE ............................................... 11 Chapitre 1. La nullité des contrats et les codes de bonne conduite ........................................................................... 11

Section 1. La nullité des contrats......................................................................................................................... 11 Section 2. Une solution critiquée.............................................................................................................................. 12

Chapitre 2. De la valeur normative des règles de bonne conduite............................................................. 14 Section1. Les codes de bonne conduite un élément d'appréciation de la responsabilité ........................................... 14 Section 2. Les codes de bonne conduite intégrés dans des contrats.......................................................................... 16

TITRE 2. L’ASSOUPLISSEMENT DU PRINCIPE ...................................................................................................... 17 Chapitre1. Les codes de bonne conduite, fondement de la responsabilité civile......................................... 17

Section 1. Les codes de bonne conduite, un standard de comportement................................................................... 17 Section 2. Une solution critiquée.............................................................................................................................. 21

Chapitre 2. Les conditions du dédommagement .......................................................................................... 22 Section1. Un lien de causalité souple ....................................................................................................................... 22

§1. L’exigence traditionnelle d’un lien de causalité ............................................................................................ 22 §2. Une mise en œuvre assouplie ........................................................................................................................ 23 Section 2. Une conception large du préjudice réparable...................................................................................... 25

TITRE 1 L’ÉTENDUE DES COMPÉTENCES DES AUTORITÉS DE TUTELLE ............................................................ 28 Chapitre1. L’appropriation des codes de bonne conduite par les autorités de tutelle ................................ 28

Section 1 Les modalités adoptées ............................................................................................................................. 29 Section 2 Une démarche critiquable ......................................................................................................................... 31

Chapitre 2. Une appropriation légitimée .................................................................................................... 33 Section 1. Le cadre général de la loi du 1 août 2003 ................................................................................................ 34 Section 2. Les conseillers en investissements financiers .......................................................................................... 35

TITRE 2. LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ ...................................................................................... 36 Chapitre1. Le pouvoir de sanction de l'AMF .............................................................................................. 36

Section 1. L’étendue des pouvoirs de sanction de l'AMF......................................................................................... 36 §1 Les pouvoirs de sanction avant la loi du 1 août 2003 ..................................................................................... 36 § 2 Les nouvelles compétences de l’AMF........................................................................................................... 38

Section 2. Les codes de bonne conduite et la responsabilité pénale ......................................................................... 40 §1 Les sanctions pénales envisagées par la loi .................................................................................................... 40 §2 Les critiques formulées par la doctrine........................................................................................................... 41

Chapitre2. La rationalisation du régime de sanctions ................................................................................ 42 Section 1. Le régime des sanctions........................................................................................................................... 42 Section2. Les sanctions ............................................................................................................................................ 44

§1 Les sanctions non pécuniaires ........................................................................................................................ 44 §2 Les sanctions pécuniaires ............................................................................................................................... 45 §3 La publication des sanctions........................................................................................................................... 46 §4 Le contrôle des sanctions ............................................................................................................................... 46

CONCLUSION : ................................................................................................................................................. 48

ANNEXE.............................................................................................................................................................. 50

BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................................. 61

INDEX ANALYTIQUE...................................................................................................................................... 69

TABLE DES MATIERES .................................................................................................................................. 70

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