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Les complications des blocs nerveux périphériques

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Page 1: Les complications des blocs nerveux périphériques

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Le praticien en anesthésie réanimation© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

éditorial

Les complications des blocs nerveux périphériques

Xavier Capdevila (photo), Christophe Dadure

Correspondance :

Xavier Capdevila, Département d’Anesthésie et Réanimation, Hôpital Lapeyronie, CHU, 34000 Montpellier.

[email protected]

l y a une dizaine d’années, en France,l’anesthésie locorégionale (ALR) concer-nait 20 % des actes anesthésiques (soit

1 760 000 ALR en 1996), contre 4 % seule-ment 15 ans auparavant, en 1980 (1). Sonutilisation a donc augmenté de manièreexponentielle sur cette période. Parmi lestechniques d’ALR, les blocs périphériquesont connu la plus forte progression et sontdevenus une référence pour la chirurgieorthopédique conventionnelle ou ambula-toire et pour l’analgésie postopératoire,avec un cathétérisme continu (2).Comme toutes les techniques d’anesthésie,les blocs nerveux périphériques comportentdes risques qui ne sont pas tous parfaite-ment établis et dont l’incidence doit êtremieux précisée. Des effets adverses de gra-vité variable ont été rapportés, avec uneincidence certes faible, mais ne permet-tant pas d’en faire abstraction. Des compli-cations sévères sont possibles, tels lestrois arrêts cardiaques rapportés dans unelarge série de 21 278 blocs (3), mais cesont la plupart du temps les neuropathiesséquellaires ou les effets secondaires detelle ou telle technique qui sont décritsdans les suites des blocs périphériques.Des blocs moteurs ou sensitifs gênants,des neuropathies parfois invalidantes peu-vent compliquer tout bloc périneural (4,5). Des complications infectieuses ont étédécrites après mise en place de cathéterspérineuraux et les facteurs de risques deces complications sont actuellement mieuxconnus (5). Des problèmes techniques inhé-rents au cathéter sont également classiques.Malheureusement, peu de données sontdisponibles pour établir des corrélations

entre le risque de complication et un typede patient déterminé (diabète, artériopa-thie, trouble neurologique préexistant…).Un respect des règles de bonne pratiquelors de la réalisation des blocs s’impose defacto, ainsi qu’une surveillance spécifiqueet adaptée à ces techniques afin de dépis-ter précocement leurs effets secondaires etcomplications.

Toxicité systémique des anesthésiques locaux

Ce risque a longtemps été la préoccupationmajeure des praticiens de l’anesthésie loco-régionale. Les trois dernières grandes sériesépidémiologiques publiées (dont les don-nées de SOS-ALR en France) n’ont pas rap-porté d’accidents graves liés à une toxicitésystémique des AL (3, 6). Des manifestationstoxiques peuvent survenir, soit lors d’uneinjection intraveineuse directe, soit lorsde l’administration de doses importantesd’anesthésiques locaux. La toxicité neuro-logique se manifeste pour des concentra-tions élevées et de façon inversement pro-portionnelle à la puissance des AL. Tous lesanesthésiques locaux sont susceptibles deprovoquer des convulsions dont l’incidencevarie selon les études de 0 à 35/10 000. Latoxicité cardiaque est légitimement craintemais les accidents les plus graves ont étédécrits avec la bupivacaïne. Des cas de toxi-cité cardiaque ont récemment été décritsaprès injection intraveineuse accidentellede ropivacaïne, et ils ont évolué favorable-ment après réanimation appropriée (7, 8).

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En ce qui concerne la L-bupivacaïne, dessurdosages accidentels ont aussi été décrits,ayant entraîné des convulsions sans signede cardiotoxicité (9). Aucun anesthésiquelocal n’est donc dépourvu de ce risque.

Complications neurologiques

L’incidence actuelle des complicationsneurologiques (neuropathies) après ALRpériphérique est faible, celles-ci étantquatre fois moins fréquentes qu’aprèsanesthésie périmédullaire. Trois mécanis-mes, éventuellement associés, sont habi-tuellement retenus pour expliquer uneatteinte neurologique :

– l’ischémie nerveuse par compression ouétirement ;

– le traumatisme direct du nerf par lebiseau de l’aiguille ;

– la neurotoxicité directe des AL par injec-tion intrafasciculaire.

L’incidence des neuropathies est variableselon les études. Dans le travail d’Auroy etcoll. (3), les auteurs ont rapporté 4 cas deradiculopathies sur 21 278 blocs nerveuxpériphériques (0,04 %). Tous les patientsavaient ressenti des douleurs ou desparesthésies de même topographie que lesradiculopathies lors de l’injection de lasolution anesthésique. En 2002, les mêmesauteurs (6) ont colligé, à partir des don-nées émanant de SOS ALR en France,12 neuropathies sur 50 223 blocs péri-phériques pratiqués (0,02 %), 7 patientsprésentant des séquelles à 7 mois. L’inci-dence des neuropathies variait selon letype de bloc, et elle était la plus grandepour les blocs sciatiques poplités (0,31 %).D’un autre côté, Horlocker et coll. (10) ontnoté une prévalence de 0,4 % de trauma-tismes nerveux sur 1 614 blocs axillaires,et Fanelli et coll. (11) ont déclaré 69 casde neuropathies (1,7 %) à 1 mois sur

3 996 blocs nerveux périphériques, toutesrégressives en 4 à 12 semaines. D’autresauteurs n’ont pas mis en évidence de trou-bles neurologiques sérieux rémanents après415 et 228 blocs périphériques, mettanten exergue l’importance de la taille du col-lectif de patients analysé (12, 13). Les tra-vaux portant sur le cathétérisme continuont mis à jour de sensibles différences dansles incidences des neuropathies retrouvées.Sur une série de 520 blocs interscaléni-ques dont 234 cathéters, l’incidence totaledes complications neurologiques était de0,4 %, toutes régressives à 9 mois saufune (14). Ce patient présentait une atteintesévère et persistante du plexus brachial.Dans un travail portant sur le suivi de405 cathéters axillaires, les auteurs ontretrouvé quatre déficits neurologiquespostopératoires (1 %) dont deux étaientimputables à l’ALR (15). Très récemment,deux séries portant sur des collectifsimportants de patients ont été publiées.Un travail allemand incluant 3 491 cathé-térismes retrouvait 9 patients présentantun déficit neurologique de courte durée(0,3 %) et 6 patients avec des lésions ner-veuses persistant plus de 6 semaines (0,2 %)(16). Enfin, sur 1 416 cathéters périneu-raux colligés en 1 an, 3 patients (0,21 %)ont présenté des neuropathies, toutesaprès cathétérismes fémoraux, et régressi-ves dans un délai maximal de 10 semaines(5). Les mêmes auteurs notaient 3 % debloc sensitif continu en postopératoire et2,2 % de bloc-moteur (parésie) continupendant toute la durée du cathétérisme.À l’évidence, ces blocs prolongés sont dusà une concentration trop importante del’anesthésique local durant la perfusion,avec bloc anesthésique et non plus anal-gésique. Des facteurs de risques de neuro-pathie périphérique ont pu être mis enévidence. Certains sont liés à la techniqued’ALR : blocs guidés par la recherche deparesthésies, neurostimulateur défectueux,

recherche d’une intensité de stimulationtrop basse (< 0,5 mA) (22), douleurs à laponction et/ou à l’injection des AL, réali-sation du bloc sous sédation profonde ousous anesthésie générale.

Les caractéristiques des patients peuventégalement interférer avec le risque de neu-ropathie. Hebl et coll. (17) ont comparé lebloc axillaire et l’anesthésie générale chezdes patients opérés de transposition dunerf ulnaire. Le type d’anesthésie n’a enaucun cas affecté le risque neurologiqueà court ou moyen terme. La prolongationdes blocs par rapport à la pharmacodyna-mique des AL utilisés (bupivacaïne à0,375 %) n’était pas flagrante. De façongénérale, 6 des 100 patients du groupebloc axillaire et 15 (6 %) des 260 patientsdu groupe anesthésie générale ont présentédes complications neurologiques postopé-ratoires tout venant. Plus récemment, Sin-gelyn et coll. (18) ont rapporté un taux desuccès de bloc sciatique poplité plus élevéchez les diabétiques que chez les patientsnon diabétiques. Selon les auteurs, celas’expliquait logiquement par une plusgrande sensibilité des nerfs des patientsdiabétiques à l’action des anesthésiqueslocaux. Les blocs nerveux étaient plus pro-longés chez les diabétiques mais la diffé-rence n’atteignait pas la significativité.Enfin, un travail multicentrique prospec-tif épidémiologique récent (19) a évaluél’impact des antécédents des patients surla qualité et la durée d’un bloc nerveuxpériphérique chez 5 143 patients. L’ana-lyse multivariée des résultats, qui s’affran-chit des facteurs confondants, rapporte quel’âge > 65 ans (odd ratio : 1,2), l’artériopa-thie (OR : 2), l’existence d’une pathologieinflammatoire (OR : 1,9), une neuropathiepériphérique avérée (OR : 1,9) et une neu-ropathie médullaire (OR : 2,1) sont desfacteurs qui prolongent de façon anormalela durée d’un bloc périphérique.

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Xavier Capdevila, Christophe Dadure

Complicationsinfectieuses

Lors des injections uniques, le risque decomplications infectieuses (abcès au niveaudu point de ponction, abcès profond, infec-tion secondaire de matériel prothétique oud’ostéosynthèse) est quasiment nul si l’onrespecte les contre-indications (inflamma-tion ou infection préexistante du pointde ponction, maladie dermatologique) etles règles d’asepsie (désinfection cutanéeen deux temps, port de gants, masque etcalot). Le risque septique semble plus réellors du cathétérisme périneural, bien quela littérature soit extrêmement pauvre à cesujet. Cuvillon et coll. (20), sur une sériede 208 cathéters fémoraux, n’ont rapportéaucun cas d’infection manifeste du sited’insertion du cathéter. Des abcès du psoas(5) et des fasciites nécrosantes ont étérécemment rapportés. L’incidence de lacolonisation des cathéters périneuraux estélevée : 57 % sur 208 cathéters fémoraux(20), 28,2 % sur 986 cathéters mis enculture, avec une incidence plus grandepour les cathéters axillaires (36,5 %) etsciatiques (30,4 %). Ces incidences sontcomparables à celles rapportées dans les

études sur les cathéters périduraux.L’élément constant à toutes ces étudesest la grande disproportion entre le tauxde cathéters colonisés et le taux d’infec-tions réellement constaté. D’une part, il estvraisemblable qu’une partie des cathéterssoit contaminée lors de leur retrait et,d’autre part, ces cathéters sont parfoiscolonisés par des bactéries commensalessans réel pouvoir pathogène. La prépon-dérance de

Staphylococcus epidermidis

parmi les germes identifiés dans ces étu-des était à ce propos tout à fait significa-tive (62,9 % des microorganismes isolésdans le travail de Capdevila et coll. (5)).Des facteurs de risque de colonisation etd’inflammation locale au point de ponc-tion des cathéters ont pu être mis en évi-dence : sexe masculin (risque relatif2,09), durée de cathétérisme supérieure à48 heures (RR : 4,61) et absence d’antibio-prophylaxie (RR : 1,92). Il convient depeser le rapport risque/bénéfice du cathé-térisme périneural chez les patients à ris-que infectieux élevé, notamment lespatients immunodéprimés (diabétiques,patients hospitalisés en unité de soinsintensifs ou réanimation) et de le rééva-luer chaque jour et pour chaque patient.

Autres complications

Les risques spécifiques à chaque techniquede bloc périphérique (paralysie diaphragma-tique du bloc interscalénique, anesthésierachidienne par migration des anesthési-ques locaux lors d’un bloc du comparti-ment psoas…) doivent être dépistés defaçon systématique.Enfin, il convient de signaler que, à l’ins-tar des nouvelles pathologies, le panel descomplications potentielles des blocs ner-veux périphérique est en train de s’élargirpar le risque myotoxique local (21) ou le ris-que de toxicité nerveuse in situ par diminu-tion des débits sanguins périneuraux (22).

Conclusion

Les recommandations de pratique cliniquede la SFAR concernant les blocs nerveuxpériphériques ont parfaitement établi lesprocédures et surveillances implicites per-mettant de minimiser les risques. Ellesdoivent être appliquées en toutes circons-tances, pour éviter que ces techniques àhaut rapport bénéfice/risque ne devien-nent nocives du fait de la négligence ou de« l’à peu près ».

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