2
1 A GAUCHE POUR GAGNER / Note d’analyse et de débat Le 17 septembre 2015 Les conditions politiques du rassemblement La récente lettre de Jean-Christophe Cambadélis « à la gauche et aux écologistes » a un mérite : elle interpelle l’ensemble de la gauche sur un processus d’émiettement lourd de conséquences. Elle décrit l’orage qui arrive. On pourrait y voir une figure imposée du discours politique. Les défaites se sont accumulées, d’autres s’annoncent. L’injonction à resserrer les rangs vient naturellement… Nous prenons le sujet comme il doit l’être : au sérieux, pas simplement comme une tentative désespérée à la veille des élections régionales. Il n’y a pour aucun parti à gauche de salut solitaire. Il n’y a pas non plus vers le centre de majorité de rechange. Enfin il (re)devient clair que le rassemblement de la gauche est indispensable pour retrouver les chemins de la confiance et de la victoire. Débattre de ses conditions est autrement plus urgent que de décider, seul, prématurément, de l’abandon de la stratégie de « front républicain », face au risque de voir le Front National s’emparer de plusieurs régions. Mais si la dispersion peut en effet conduire à la disparition, la dispersion a aussi ses raisons que le Parti socialiste ne peut plus feindre d’ignorer ou de minimiser. La déception crée la dispersion. On doit bien sûr regretter que des élus qui ont travaillé ensemble à la tête de collectivités locales ne fassent pas le choix de défendre ensemble devant les électeurs leurs bilans honorables, ou s’enferment dans un sectarisme dangereux pour la gauche toute entière. Plus grave, les dernières élections locales l’ont démontré sans fard : la déception nationale balaie les beaux bilans de proximité. On ne peut plus nier que le basculement opéré pendant ce quinquennat vers une politique d’inspiration sociale-libérale, tournant le dos aux engagements de la campagne de 2012, aggravent les fractures profondes qui se sont creusées au sein de la gauche française, et entre la gauche de gouvernement et son électorat. Réduire ces débats sur la politique gouvernementale à des désaccords techniques et secondaires, ou les subordonner au combat commun sur les « valeurs » que la gauche doit mener face à la droite et l’extrême-droite, c’est passer à côté des conditions essentielles du rassemblement. Et probablement, se condamner à perdre aussi la bataille culturelle, car si le parti au pouvoir doit mener la bataille des idées, il est aussi jugé sur ses actes. Personne ne nie aujourd’hui l’ampleur historique des problèmes posés par la réémergence du fondamentalisme religieux, par les désordres géopolitiques, par les grandes migrations et les nationalismes xénophobes. Mais ces enjeux sont inséparables de l’aggravation des inégalités, et d’abord des inégalités sociales. Au nom du présent, comme de l’histoire politique et

Les conditions politiques du rassemblement

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Les conditions politiques du rassemblement

Citation preview

Page 1: Les conditions politiques du rassemblement

1

A GAUCHE POUR GAGNER / Note d’analyse et de débat

Le 17 septembre 2015

Les conditions politiques du rassemblement

La récente lettre de Jean-Christophe Cambadélis « à la gauche et aux écologistes » a un

mérite : elle interpelle l’ensemble de la gauche sur un processus d’émiettement lourd de

conséquences. Elle décrit l’orage qui arrive.

On pourrait y voir une figure imposée du discours politique. Les défaites se sont accumulées,

d’autres s’annoncent. L’injonction à resserrer les rangs vient naturellement… Nous prenons le

sujet comme il doit l’être : au sérieux, pas simplement comme une tentative désespérée à la

veille des élections régionales.

Il n’y a pour aucun parti à gauche de salut solitaire. Il n’y a pas non plus vers le centre de

majorité de rechange. Enfin il (re)devient clair que le rassemblement de la gauche est

indispensable pour retrouver les chemins de la confiance et de la victoire. Débattre de ses

conditions est autrement plus urgent que de décider, seul, prématurément, de l’abandon de la

stratégie de « front républicain », face au risque de voir le Front National s’emparer de

plusieurs régions.

Mais si la dispersion peut en effet conduire à la disparition, la dispersion a aussi ses

raisons que le Parti socialiste ne peut plus feindre d’ignorer ou de minimiser. La déception

crée la dispersion.

On doit bien sûr regretter que des élus qui ont travaillé ensemble à la tête de collectivités

locales ne fassent pas le choix de défendre ensemble devant les électeurs leurs bilans

honorables, ou s’enferment dans un sectarisme dangereux pour la gauche toute entière. Plus

grave, les dernières élections locales l’ont démontré sans fard : la déception nationale balaie

les beaux bilans de proximité. On ne peut plus nier que le basculement opéré pendant ce

quinquennat vers une politique d’inspiration sociale-libérale, tournant le dos aux

engagements de la campagne de 2012, aggravent les fractures profondes qui se sont

creusées au sein de la gauche française, et entre la gauche de gouvernement et son électorat.

Réduire ces débats sur la politique gouvernementale à des désaccords techniques et

secondaires, ou les subordonner au combat commun sur les « valeurs » que la gauche doit

mener face à la droite et l’extrême-droite, c’est passer à côté des conditions essentielles du

rassemblement. Et probablement, se condamner à perdre aussi la bataille culturelle, car si le

parti au pouvoir doit mener la bataille des idées, il est aussi jugé sur ses actes.

Personne ne nie aujourd’hui l’ampleur historique des problèmes posés par la réémergence du

fondamentalisme religieux, par les désordres géopolitiques, par les grandes migrations et les

nationalismes xénophobes. Mais ces enjeux sont inséparables de l’aggravation des inégalités,

et d’abord des inégalités sociales. Au nom du présent, comme de l’histoire politique et

Page 2: Les conditions politiques du rassemblement

2

intellectuelle de la gauche, il n’est pas concevable de renoncer à faire de la justice sociale le

fondement principal de notre engagement. L’idée selon laquelle la question des valeurs

constitue le clivage central de la vie politique française ne résiste d’ailleurs pas à l’analyse : la

majorité des couches populaires et moyennes partage cette conviction que la politique de la

gauche au pouvoir ne contribue pas à améliorer leurs conditions de vie et à résoudre leurs

problèmes essentiels. C’est la raison principale des défaites récurrentes subies depuis mars

2014.

Ajoutons qu’une offre de dialogue ne saurait être un ultimatum entre soumission ou

marginalisation. Ceci vaut pour les partenaires du parti socialiste comme en son sein.

Disons-le sans détour : la confiance – gravement sapée aujourd’hui par l’exercice du pouvoir

sur le mode autoritaire et par la discipline imposée sans débat à la majorité- ne pourra être

véritablement rétablie sans que s’opère en préalable, à l’occasion du budget 2016, une réelle

inflexion de la politique économique et sociale du gouvernement. Les propositions adoptées

presqu’unanimement par le Bureau national du PS en juillet dernier constitue la base de

travail opératoire d’une négociation utile avec le gouvernement et nos partenaires de gauche :

redonner du pouvoir d’achat aux classes populaires en amorçant une vraie réforme de justice

fiscale, relancer l’investissement des collectivités publiques, soutenir mieux les entreprises

qui investissent et qui embauchent.

Si cette étape était franchie, il deviendrait possible, à nouveau possible, de reprendre le

chemin du rassemblement des forces de gauche pour reconstruire un projet politique commun

à vocation majoritaire, offrant aux Français une réponse crédible aux grands défis

économiques, sociaux, écologiques, et européens de la période. Il deviendrait même à

nouveau possible, pour incarner ce mouvement, de discuter d’un processus de primaires de

tous les progressistes pour la présidentielle.

Il n’y a pas de raccourci : tout autre chemin faisant diversion, toute tentation d’acheter « à la

découpe » telle ou telle formation de la gauche seront – à juste titre - perçus comme des

leurres et n’engendreront pas la dynamique attendue, face au « bloc réactionnaire » qui se

consolide. Le pire est sûr : la crainte du Front national ne suffit plus à rassembler la gauche.

Oui, le PS doit se dépasser. Oui, il peut contribuer de façon majeure à la refonte d’un projet

progressiste et majoritaire. Mais il doit pour cela sortir de sa torpeur et de sa passivité,

retrouver son indépendance, renouer avec ses fondamentaux, rompre avec le conformisme

libéral pour prendre à bras le corps les nouveaux défis. Il doit aussi se redonner une exigence

démocratique, pas pour lui seul, pas dans le huis-clos dans lequel il s’est à nouveau enfermé.

Mais pour rendre possible l’engagement du peuple de gauche, de syndicalistes, de militants

associatifs, d’intellectuels ou d’artistes, et d’abord la participation de citoyens motivés, qui ne

viendront pas au secours d’un appareil muré dans ses certitudes. Cette « grande gauche » n’a

pas disparu, elle attend une offre crédible.

Notre première tâche sera donc de défendre sans relâche au cours des semaines qui viennent

les orientations de politiques économiques et budgétaires qui nous ont réunis au cours des

derniers mois. C’est un nouveau test en grandeur réelle du respect des engagements pris, et

de l’utilité de notre parti quand le suffrage des citoyens lui confie l’exercice du pouvoir.

(Texte co-rédigé par plusieurs animateurs de la motion B en contribution au débat du conseil national

du PS du 19 septembre 2015)