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DALOZE Alexis Mémoire de Master 1 LES CONSEQUENCES DE L’AFFAIRE SNOWDEN EN ALLEMAGNE Dans quelle mesure les révélations sur la surveillance de la NSA ont-elles modifié les représenations allemandes sur la protection des données Sous la direction du Professeur Frédérick Douzet Année 2014/2015 Chaire Castex de Cyberstratégie Cercle des partenaires de l’IHEDN Ecole Militaire - 1 place Joffre, 75007 Paris Institut Français de Géopolitique Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis 2 rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis Cedex Jeune chercheur de la chaire Castex de cyberstratégie Etudiant à l’Institut Français de Géopolitique

LES CONSEQUENCES DE L'AFFAIRE SNOWDEN EN ALLEMAGNE

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Page 1: LES CONSEQUENCES DE L'AFFAIRE SNOWDEN EN ALLEMAGNE

DALOZE Alexis

Mémoire de Master 1

LES CONSEQUENCES DE L’AFFAIRE SNOWDEN EN ALLEMAGNE

Dans quelle mesure les révélations sur la surveillance de la NSA ont-elles modifié les représenations allemandes sur la protection des données

Sous la direction du Professeur Frédérick Douzet

Année 2014/2015

Chaire Castex de CyberstratégieCercle des partenaires de l’IHEDNEcole Militaire - 1 place Joffre, 75007 Paris

Institut Français de GéopolitiqueUniversité Paris 8 Vincennes Saint-Denis2 rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis Cedex

Jeune chercheur de la chaire Castex de cyberstratégieEtudiant à l’Institut Français de Géopolitique

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Résumé : « L’Affaire Snowden », du nom du lanceur d’alerte ayant volé des documents

confidentiels de la NSA établissant le rôle prédominant joué par l’agence de renseignement

américaine dans une surveillance massive à grande échelle, a eu des répercutions en

Allemagne comme dans aucun autre pays du monde. En raison de son passé tourmenté en

matière de surveillance, les révélations d’Edwards Snowden ont trouvé un écho considérable

dans la société allemande qui est fondamentalement attaché à la notion de protection des

données personnelles. Ce facteur structurel conjugué au scandale de la NSA s’est traduit en

Allemagne par une perte de confiance envers les Etats-Unis, aussi bien dans les sphères

diplomatiques qu’économiques ou civiles. Ces réactions ont d’une part relancé le débat

allemand et européen sur la protection des données, et d’autre part permis à l’Union

européenne, sous l’impulsion de l’Allemagne, de se servir de l’Affaire Snowden comme

levier dans les négociations du partenariat transatlantique avec les Etats-Unis.

Zusammenfassung : Der ehemalige amerikanische NSA-Mitarbeiter Edward Snowden ist der

Whistleblower, der vertraulichen NSA-Dokumenten gestohlen hat, die die vorherrschenden

Rolle des US-Geheimdienstes bei massiven Überwachungen hervorheben. In Deutschland

hatte die NSA-Affäre Auswirkungen wie in keinem anderen Land der Welt. Auf Grund der

Erfahrung Deutschlands mit globaler Überwachung hatten die „Snowden-Enthüllungen“ eine

beachtliche Resonanz in der deutschen Gesellschaft, die fest an die Frage der Datensicherheit

und Datenschutz glaubt. Dieser strukturelle Faktor führte, in Zusammenhang mit der NSA-

Affäre, zu einem Vertrauensverlust zu den Vereinigten Staaten sowohl in zivilen, als auch

diplomatischen und wirtschaftliche Bereichen. Einerseits hat diese Reaktion die deutsche und

europäische Debatte um Datenschutz und -sicherheit erneut angestoßen. Andererseits bildet

sie, unter dem Einfluss von Deutschland, das Hauptargument in den TTIP-Verhandlungen

zwischen den Vereinigten Staaten und der Europäische Union.

Mots clés : Edward Snowden, Allemagne, Etats-Unis, National Security Agency, Bundesnachrichtendienst, surveillance, protection des données, Bundestag, Union

européenne, Organisation des nations unies, Safe Harbor Principles, partenariat

transatlantique de commerce et d’investissement, relations transatlantiques.

Photo de couverture : Reuters / Tobias Schwartz

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Sommaire

Remerciements ........................................................................................................... 6

Propos préliminaires ................................................................................................... 7

Introduction .................................................................................................................. 9

I) Conséquences et effets au lendemain des révélations d’Edward Snowden ....... 14

A) Les conséquences : de la condamnation à l’indignation, un traumatisme dans la

sphère politique et civile allemande ..................................................................................... 14

1) Le gouvernement condamne ............................................................................ 14

a) Condamnations publiques ............................................................................ 14

b) Des représentations différentes du terrorisme .............................................. 19

c) NSA et BND : une étroite collaboration ...................................................... 22

d) L’espionnage : un monde apolaire ............................................................... 31

2) Les citoyens s’indignent ................................................................................... 32

a) Les réminiscences du concept de Lebensraum dans le subconscient collectif

allemand ....................................................................................................................... 33

b) Le lourd héritage de la Stasi ......................................................................... 34

c) La place importante accordée à la propriété intellectuelle et à la protection

des données dans la culture allemande ......................................................................... 36

B) Effets : les mesures mises en œuvre par les acteurs pour répondre aux révélations

.............................................................................................................................................. 39

1) Mesures diplomatiques entreprises par le gouvernement allemand ................. 40

a) A l’échelle internationale ............................................................................. 40

b) A l’échelle européenne ................................................................................. 42

c) Au niveau bilatéral ....................................................................................... 43

2) Les bouleversements de la sphère politique allemande ................................... 46

a) Ouverture d’une commission d’enquête parlementaire ................................ 46

b) Les réformes internes du Ministère de l’Intérieur ........................................ 52

c) Les premiers signes d’un renforcement du Parti Pirate ................................ 54

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d) Le retour des communistes en ex RDA ........................................................ 58

3) Les initiatives civiles au cœur de la contestation ............................................. 59

a) La forte mobilisation citoyenne .................................................................... 59

b) Le changement de comportement des allemands dans le cyberespace ........ 65

c) L’influence d’Edward Snowden dans l’art et le street art allemand ............ 68

4) La réponse industrielle de l’Allemagne ........................................................... 70

a) L’espionnage économique : la révélation de trop pour l’Allemagne ........... 70

b) Sécurisation des réseaux et acquisition de nouveaux marchés .................... 72

c) Les efforts menés par les Etats-Unis pour retrouver la confiance

commerciale ................................................................................................................. 77

II) Les conséquences de l’Affaire Snowden sur les politiques allemandes et européennes de protection des données ................................................................................ 81

A) Les enjeux géopolitiques liés à la protection des données européennes ............. 82

1) La politique européenne de protection des données ........................................ 82

a) Les cadres légaux de la protection des données en Europe et aux Etats-Unis

...................................................................................................................................... 82

b) Les limites des mécanismes institutionnels actuels ..................................... 85

2) La protection des données en Allemagne, défi pour l’Europe ......................... 88

a) Le cadre légal de la protection des données en Allemagne .......................... 88

b) Les problèmes du système allemand ............................................................ 91

c) Les solutions proposées par les agences de protection des données ............ 95

B) La protection des données comme moyen de pression de l’Allemagne et de

l’Europe dans les négociations du TTIP .............................................................................. 97

1) Les représentations allemandes du TTIP sur la protection des données .......... 97

a) Un secteur économique favorable ................................................................ 97

b) La méfiance de l’opinion publique ............................................................ 100

c) Représentations et réalités du TTIP en matière de protection des données 102

2) L’influence des révélations dans les négociations du TTIP ........................... 103

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a) La domination de l’Allemagne dans les négociations ................................ 103

b) Les obstacles aux négociations : l’espionnage de l’UE par la NSA et le BND

.................................................................................................................................... 106

3) Les prochains défis pour la protection des données européennes .............. 108

Conclusion ................................................................................................................. 111

Sources et bibliographie : ....................................................................................... 113

Personnes interrogées ............................................................................................. 118

Annexes .................................................................................................................. 120

Table des encadrés Le programme Tempora………………………………………………………...…………… 15

Les Special Collection Services………………………………….………………..………… 17

Le programme Xkeyscore…………………………………………………………………… 29

Du scandale de la NSU à celui de la NSA……………………………………...…………… 46

Le programme PRISM………………………………………………………….…………… 55

Le programme Blarney…………………………………………………………………….… 77

La protection des données en Europe…………………………….………………………….. 83

Andrea Vosshof……………………………………………….……………….……...……... 87

Les péripéties de la transposition de la directive de 95 en Allemagne…………….………… 89

Bernd Lange……………………………………...………………………………………… 105

Le programme Regin………………………………………………………………………. 107

Table des cartes Les stigmates de l’occupation américano-britannique dans la surveillance en Allemagne…. 25

Les conséquences de la surveillance de la NSA sur la diplomatie allemande………............. 45

Francfort, centre névralgique du transfert de données en Allemagne et unique bastion

européen du Parti Pirate………………………………………………………………..….… 57

Les efforts des entreprises américaines pour regagner la confiance européenne……………. 79

Table des schémas Le contrôle institutionnel des services de renseignement allemands……………………...… 27

Les acteurs de la commission d’enquête parlementaire du Bundestag sur la surveillance de la

NSA……………………….….….….….….….….….….….…...…………………………… 52

Les autorités chargées de la protection des données en Allemagne......................................... 90

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RReemmeerrcciieemmeennttss

La rédaction de ce mémoire a été pour moi un immense enrichissement personnel ainsi

qu’une expérience épanouissante. Toutefois, il n’aurait jamais vu le jour sans le concours de

certaines personnes que je tiens à remercier.

Je remercie en tout premier lieu l’équipe de l’IFG pour les cours de grande qualité

dispensés qui m’ont aidé à la rédaction de ce mémoire. Je remercie plus particulièrement

Madame Frédérick Douzet pour m’avoir fait confiance en m’acceptant à l’IFG et pour

m’avoir dirigé tout au long de cette année. Ses conseils et sa disponibilité ont été d’une

immense aide. Je remercie également Teva Meyer pour sa patience et sa pédagogie lors du

stage de cartographie qui a été indispensable pour l’élaboration des cartes de ce mémoire.

Je remercie aussi les participants de la Chaire Castex de Cyberstratégie pour leur

passion dans le partage de connaissances autour du cyberespace et dont les échanges lors de

chaque séminaire m’ont permis de développer de nouvelles idées.

Le mois de février passé sur le terrain a été l’occasion de rencontrer des personnes

extraordinaires qui ont eu la gentillesse de m’accorder un entretien. Leurs réponses ont permis

l’enrichissement du corpus de ce mémoire en apportant des informations importantes qu’il ne

m’aurait jamais eu été possible d’obtenir si j’étais resté en France. Ainsi, je tiens à remercier

tous les intervenants pour leur disponibilité et leur expertise. Plus particulièrement, je

remercie le Dr. Marcel Dickow, chercheur au Siftung für Politische Wissenschaft, pour avoir

presque organisé une conférence lors de ma venue avec plusieurs de ses collègues et pour

avoir tenté de me mettre en relation avec des membres haut placé du gouvernement

allemand1.

Ma famille et mes amis m’ont également apporté un soutien considérable et je tiens à

les en remercier. Je remercie tout d’abord Thimo et Lena Exner pour m’avoir hébergé à Berlin

pendant presque un mois, me permettant ainsi de travailler mon mémoire dans des conditions

optimales. Je remercie aussi évidemment mes amis de toujours, Laurent et Xavier, pour leur

soutien et pour m’avoir changé les idées dans les moments difficiles.

Enfin, je remercie ma compagne Charline sans qui j’aurais arrêté mes études à un

moment de ma vie et sans qui ce mémoire n’aurait jamais vu le jour. Son soutien indéfectible

m’a permis de me dépasser chaque jour pour tenter de vous présenter le meilleur mémoire

possible.

1 Une liste complète des intervenants est disponible en fin de mémoire page 117.

Page 7: LES CONSEQUENCES DE L'AFFAIRE SNOWDEN EN ALLEMAGNE

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PPrrooppooss pprréélliimmiinnaaiirreess

Au moment où j’écris ces lignes, la loi française sur le renseignement est votée à

l’Assemblée Nationale en réponse aux attaques de Paris de janvier 2015. Presque deux ans

après le scandale de la NSA, le spectre des révélations d’Edward Snowden sur la surveillance

massive des Etats est donc un sujet toujours d’actualité en France. Mais s’il y a bien un pays

où l’ « Affaire Snowden » a eu des conséquences majeures dont les effets se poursuivent

encore aujourd’hui, c’est en Allemagne.

Dans le cadre d’une année d’échange universitaire à Hanovre en 2013/2014, j’ai pu

constater par moi-même l’engouement des allemands autour du personnage d’Edward

Snowden et les réactions que ses révélations ont suscité dans la société allemande. Je me

souviens particulièrement d’une journée de septembre 2013, en pleine campagne des élections

fédérales, où le parti Pirate tenait en stand en centre ville. Le parti avait fait des révélations de

Snowden l’argument principal de leur campagne, à tel point qu’on aurait cru que Snowden

lui-même se présentait aux élections. Tous les produits dérivés du stand étaient à son effigie :

affiches, T-shirts, badges, stylos, ballons… sous titré de la phrase « Yes we scan », en

référence au célèbre « Yes we can » de Barack Obama. C’est à ce moment là que je me suis

rendu compte de l’ampleur qu’avait pris l’Affaire Snowden en Allemagne.

Ainsi, pour ce premier mémoire à l’Institut Français de Géopolitique, j’ai voulu

concilier mon expérience personnelle et mes centres d’intérêt avec un sujet géopolitique

d’actualité complexe, dont les conséquences sont visibles à plusieurs niveaux de la société

allemande, et dont les enjeux qui en découlent ne concernent pas seulement l’Allemagne mais

également l’Europe.

Conscient des limites posées par la rédaction d’un mémoire, je sais que tous les

tenants et les aboutissants du sujet ne pouvaient être exposés au cours de ces cent pages. Le

but de ce mémoire est de brosser de manière générale les conséquences de l’Affaire Snowden

en apportant beaucoup de détails sur les changements qu’elle a apporté dans la société

allemande avant de se concentrer de manière plus approfondie sur la question de la protection

des données en Allemagne et les questions nouvelles qu’elle a soulevée.

Pour mener à bien ce mémoire, je me suis investit personnellement afin d’essayer de

produire un travail de recherche pertinent. J’ai suivi des cours de langue au Goethe Institut de

Paris afin d’améliorer mon allemand qui était d’un niveau très scolaire. Si mes compétences

en allemand se sont grandement améliorées me permettant de lire la presse sans trop de

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difficultés, je regrette qu’elles ne m’aient toutefois pas permis de lire toute la littérature

scientifique que j’aurais souhaité. J’ai également du approfondir mes connaissances dans des

disciplines variées afin de mieux appréhender les enjeux liés à l’Affaire Snowden. J’ai du

ainsi étudier entre autre les systèmes politique et juridique allemands, les mécanismes

institutionnels de l’Union européenne, et assimiler quelques notions d’économie. Enfin, je me

suis rendu à Berlin pendant presque un mois durant lequel j’ai pu de rencontrer et interviewer

des acteurs ou témoins liés aux conflits politiques, diplomatiques et économiques nés de

l’Affaire Snowden. J’ai pu constater sur le terrain que les stigmates d’Edward Snowden

étaient encore présents dans les rues et les mentalités berlinoises. Il est en effet aujourd’hui

quasiment impossible de visiter Berlin sans tomber sur un graffiti mentionnant Edward

Snowden ou un sticker le représentant. De même, aucun allemand rencontré ou interrogé

ignorait l’existence d’Edward Snowden ni ce pourquoi il était célèbre.

Au cours de la rédaction de ce mémoire, j’ai du aussi faire face à certaines déceptions.

Je me suis rendu au centre d’information et de documentation sur l’Allemagne (CIDAL) afin

de faire des recherches scientifiques mais qui n’ont malheureusement pas été aussi

fructueuses qu’espéré. J’ai aussi créé un questionnaire que je comptais faire remplir aux

berlinois pour connaitre leur opinion sur l’Affaire Snowden. J’ai finalement abandonné ce

projet de peur que les résultats obtenus manquent de pertinence scientifique, mais aussi faute

de temps pour le traitement des réponses. J’aurais également aimé pouvoir interroger des

membres du parti Pirate qui, malgré mes demandes répétées à plusieurs niveaux (député

européen, députés des Länder, députés du Bundestag, cadres du parti), ne m’ont jamais

répondu. Je regrette aussi de ne pas avoir interrogé plus d’entreprises, notamment des géants

du net allemand comme Deutsche Telekom ou Avira mais dont les sièges sociaux se trouvent

respectivement à Bonn et Tettnang.

Lors de mon terrain à Berlin, je suis allé voir dans un petit cinéma de quartier le film

de Laura Poitras « Citizenfour » qui était toujours à l’affiche après quatorze semaines

d’exploitation. Nous étions que deux dans la salle. A la fin du film, l’autre spectateur s’est

approché de moi d’un air outré et me disant : « c’est dégueulasse, c’est notre devoir en tant

que citoyen de faire quelque chose mais nous ne faisons rien. Nous devons trouver un moyen

de nous protéger de ce genre d’intrusions ». Cette réaction est révélatrice de l’intérêt que

suscite le sujet en Allemagne. Sans avoir la prétention de pouvoir changer les choses, j’espère

que ce mémoire permettra une meilleure compréhension de l’ampleur qu’a eue l’affaire

Snowden en Allemagne.

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IInnttrroodduuccttiioonn

En 1996, le journaliste Néo-Zélandais Nicky Hager publiait son premier livre intitulé

« Secret Power – New Zealand's Role in the International Spy Network »2. Dans son livre,

Nicky Hager révélait l’existence de l’accord UKUSA, un accord facilitant la collecte et le

partage de renseignements entre les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et la

Nouvelle-Zélande3. Le livre révélait également l’existence du « Réseau Echelon », à travers

lequel les cinq agences de renseignements de ces pays interceptaient un volume considérable

de communications à travers le monde à des fins d’espionnage. Les révélations de Nicky

Hager avaient poussé le Parlement européen à ouvrir une enquête parlementaire sur

l’espionnage supposé de l’Union européenne par la National Security Agency (NSA) et ses

partenaires à travers le réseau Echelon4. L’eurodéputé allemand Gerhard Schmidt avait dirigé

l’enquête et déposé son rapport le 11 juillet 2001. Ce dernier révélait que le réseau Echelon

permettait aux américains et à leurs alliés d’espionner les entreprises, connaitre les objectifs

des Etats ou encore d’évaluer la stabilité politique et la puissance économique d’un pays

ciblé5. Le 5 septembre 2001 le Parlement européen votait une résolution condamnant la

présence de stations d’écoutes américaines sur le territoire européen, particulièrement sur la

base militaire allemande de Bad Aibling. Mais les attentats du 11 septembre 2001, survenus

six jours après la résolution, ont fait passé totalement inaperçu l’affaire Echelon. Les

européens avaient estimé le moment mal choisi pour continuer à contester l’espionnage des

américains, alors même qu’ils n’avaient pas su déjouer les attentats du 11 septembre6. Plus

personne ne reparlera de la NSA en Europe avant juin 2013.

Le 6 juin 2013 paraissait dans les colonnes du journal britannique The Guardian un

article de Glenn Greenwald révélant les méthodes utilisées par la NSA pour mettre en œuvre

2 Hager Nicky, « Secret Power – New Zealand's Role in the International Spy Network », Craig Potton Publishing, 1996 ; disponible dans son intégralité à cette adresse : http://www.nickyhager.info/Secret_Power.pdf. 3 L’accord UKUSA a été mis en place après la Seconde Guerre Mondiale pour le partage du renseignement électromagnétique entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Il a par la suite été élargi avec le Canada, l’Australie et la Nouvelle Zélande. 4 La NSA a été créée en 1952 sur ordre du Président Harry Truman et est l’une des huit organisations nationales de renseignement au sein de du Ministère de la Défense américain (Defense Department). Elle collecte du renseignement électronique également appelé SIGINT et fait du décryptage de codes. Elle se situe au croisement de la sphère civile et militaire. 5 Parlement européen, « Rapport sur l'existence d'un système d'interception mondial des communications privées et économiques (système d'interception ECHELON) », Commission temporaire sur le système d'interception ECHELON, Schmid Gerhard, 11/07/01, http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A5-2001-0264+0+DOC+XML+V0//FR, consulté le 22/05/15. 6 Lefébure Antoine, « L’affaire Snowden, comment les Etats-Unis espionnent le monde », Editions La Découverte, Paris, 2014.

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une surveillance massive à l’échelle mondiale7. Resté dans l’ombre pendant trois jours après

la publication de l’article, la source de Glenn Greenwald finit par dévoiler son identité au

monde entier. Il s’agissait d’un jeune whistleblower (lanceur d’alerte) de 29 ans : Edward

Snowden.

Expert en informatique travaillant chez Booz Allen Hamilton, une entreprise

américaine spécialisée dans la sécurité informatique des agences d’Etat américaines, Edward

Snowden a profité d’un contrat de maintenance des serveurs de la NSA pour collecter environ

1,7 million de fichiers confidentiels prouvant la surveillance de masse abusive à laquelle se

livrait l’agence américaine. En confiant ces informations à deux journalistes engagés dans la

lutte pour la protection des données, Glenn Greenwald et Laura Poitras, Edward Snowden a

révélé le plus vaste programme d’espionnage à l’échelle mondiale à ce jour, impliquant entre

autre la mise sur écoute de certains chefs d’états dont la chancelière allemande Angela

Merkel. Recherché pour trahison par le gouvernement américain, Edward Snowden a

paradoxalement trouvé refuge en Russie en aout 2013, un Etat qui n’est pourtant pas réputé

pour sa grande transparence en matière de libertés sur Internet. En effet, la Russie se

représente le cyberespace comme un espace où la souveraineté et l’identité nationale doivent

être affirmées plutôt que de le concevoir comme un espace de liberté et d’affranchissement

total8. Lors de la conférence de l’Union Internationale des Télécoms qui s’est tenue en 2012 à

Dubaï, la délégation Russe a d’ailleurs affirmé leur représentation en affirmant que le

cyberespace ne devait pas être libre mais contrôlé.

Parallèlement, ces révélations ont également exposé la collusion entre les agences de

renseignement européennes (dont les services secrets allemands, notamment du fait de la

tutelle historique américaine en matière de renseignement) et la NSA. Cette situation place les

gouvernements victimes de l’espionnage américain dans une position compliquée les

obligeant à trouver un juste équilibre entre condamnations publiques et silence diplomatique

afin de ne pas trop attirer les regards sur leurs propres méthodes de renseignements.

Comme le réseau Echelon ou encore l’Affaire WikiLeaks9, l’Affaire Snowden

démontre l’obsession du pouvoir que confère la maitrise de l’information. Elle rappelle à bien

7 Greenwald Glenn, « NSA collecting phone records of millions of Verizon customers daily », The Guardian, 06/06/13, http://www.theguardian.com/world/2013/jun/06/nsa-phone-records-verizon-court-order, consulté le 22/05/15. 8 Limonier Kevin, « La Russie dans le cyberespace : représentations et enjeux », Hérodote, 2014/1 n° 152-153, p. 140-160. 9 WikiLeaks est une association à but non lucratif fondée par Julian Assange et dont le site internet a été la source en 2010 d’une importante fuite de documents confidentiels de l’armée américaine en Afghanistan. Accusé par l’Etat Suédois pour le viol de deux femmes, Julian Assange a obtenu l’asile politique à l’ambassade d’Equateur où il réside toujours. Bradley Manning, le soldat lanceur d’alerte qui a volé les 77 000 documents de

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des égards la société totalitaire décrite par Georges Orwell dans son roman 1984 ainsi que sa

maxime devenue célèbre depuis : « Big Brother is watching you ». Cependant, la société

décrite par Snowden est encore plus vicieuse que celle d’Orwell puisque à la différence du

Big Brother qui voulait que les citoyens sachent qu’ils sont observés, la NSA a pratiqué la

surveillance de masse dans l’ombre du secret10. Quitte à jouer sur les mots par endroits, cette

surveillance américaine est pourtant légale. Elle a été autorisée par le pouvoir législatif à

travers une série de lois (Foreign Intelligence Surveillance Act – FISA – en 1978, Electronic

Communications Privacy Act en 1986), validé par le pouvoir judiciaire (Foreign Intelligence

Surveillance Court) et mise en œuvre par le pouvoir exécutif (NSA). L’objectif de cette

surveillance était officiellement la lutte contre le terrorisme en surveillant des cibles précises.

Après les attentats du 11 septembre 2001, une nouvelle série de lois est venu renforcer la

surveillance étatique (Patriot Act en 2001, Protect America Act en 2007, FISA Amendments

Act en 2008). Cette surveillance ciblée s’est progressivement transformée en une surveillance

massive. La surveillance massive de la NSA a en partie été rendue possible avec le concours

des plus grandes sociétés des télécommunications américaines, contraintes par des obligations

légales de divulguer les informations personnelles de leurs utilisateurs. L’Ancien directeur de

la NSA, le Général Keith Alexander, avait justifié ses méthodes en ces termes : « On a besoin

de toute la botte de foin pour trouver l’aiguille »11.

Bien que l’Allemagne ne soit pas le seul pays européen à avoir été espionné par la

NSA et que Mme Merkel ne soit pas la seule dirigeante à avoir été mise sur écoute (la

présidente du Brésil Dilma Rousseff par exemple), ce qu’on appelle aujourd’hui « l’Affaire

Snowden » a eu un retentissement en Allemagne comme aucun autre pays dans le monde. Les

stigmates de la surveillance du régime nazi puis celle de la République démocratique

allemande ont laissé des plaies pas tout à fait pansées dans la société allemande que le

scandale de la NSA a rouvert. La surveillance massive de la NSA en Europe en général, et en

Allemagne en particulier, a été un véritable électrochoc pour les Allemands. Un document

confidentiel de la NSA montre que l’agence américaine avait en décembre 2012 enregistré

plus de cinq cents millions de communications téléphoniques et internet en Allemagne12, soit

environ dix fois plus qu’en France13.

l’armée américaine purge actuellement une peine de 35 ans de détention à la prison militaire de Fort Leavenworth. 10 Huyghe François Bernard, « Au-delà de l’effet Snowden », Huyghe François-Bernard (sous la direction de), « Cyberespace, le temps de l’après Snowden », Observatoire Géostratégique de l’Information, IRIS, Mars 2014. 11 Desreux Sébastien, « Big Mother veille sur vous, pourquoi et comment la NSA s’intéresse à vous », ed H&K, Décembre 2013. 12 Poitras Laura, Rosenbach Marcel, Schmid Fidelius, Stark Holger, Stock Jonathan, « How the NSA targets Germany and Europe », Der Spiegel, 01/07/13, http://www.spiegel.de/international/world/secret-documents-nsa-

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Peu après les révélations de Snowden, l’opinion publique allemande s’est vite emparée

du sujet : les médias allemands relayent encore aujourd’hui massivement l’actualité liée à

Snowden14 et des manifestations de soutien à Edward Snowden sont régulièrement organisées

dans les plus grandes villes d’Allemagne. Le Whistleblower est devenu en Allemagne un

véritable symbole de la démocratie. En juin 2013, peu après les révélations, un sondage de

TNS Emnid (Sofres) révélait que 50 % des allemands considéraient Edward Snowden comme

un héro et que 35 pourcent le cacheraient chez eux15. Sur le plan diplomatique, alors que tous

les Etats européens victimes de la surveillance de la NSA se contentaient de dénoncer les

actions faites par les Etats Unis, la chancelière Angela Merkel a été la seule dirigeante

européenne à proposer une alternative au problème soulevé par l’espionnage informatique

avec la création d’un réseau européen afin d’éviter aux données de transiter par les Etats-Unis.

Face à la perte de confiance des entreprises allemandes, le gouvernement américain a initié

avec la chancellerie allemande et ses principales entreprises un « Cyber-Dialogue » pour

restaurer la confiance dans le secteur économique. Certains géants du net américains installent

des data centers en Allemagne afin de rassurer les citoyens allemands sur la protection de

leurs données. Enfin, le Bundestag (le parlement allemand) est le seul parlement national à

être allé jusqu’à ouvrir officiellement en mars 2014 une commission d’enquête sur les écoutes

de la NSA avec la volonté d’auditionner Edward Snowden comme témoin principal. La prise

de position de la société civile et les déclarations du gouvernement rappellent à bien des

égards l’onde de choc qu’avait provoqué en 2011 l’explosion de la centrale nucléaire de

Fukushima au Japon. Deux mois et demi après l’accident, le gouvernement allemand

annonçait sa sortie du nucléaire d’ici 2022, amorçant ainsi sa transition énergétique et

devenant le premier pays industrialisé du monde à renoncer à l’énergie nucléaire.

L’Affaire Snowden revêt donc toutes les caractéristiques d’un tournant majeur dans la

société allemande et nous pousse à nous demander si les révélations faites par l’ancien sous

traitant de la NSA ont modifié les représentations allemandes sur la protection des données.

Au delà de l’espionnage diplomatique largement médiatisé et de la perte de confiance entre

partenaires que l’Affaire Snowden a pu susciter, l’enjeu fondamental pour une société

targeted-germany-and-eu-buildings-a-908609.html, consulté le 22/05/15 ; document de la NSA disponible en annexe. 13 Deighton Ben, Breidthardt Annika, « Indignation européenne sur les soupçons d'espionnage américain », l’Obs, 01/07/13, http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20130701.REU7382/l-allemagne-serait-la-principale-cible-de-la-nsa-en-europe.html, consulté le 22/05/15. 14 A titre de comparaison, le quotidien allemand conservateur Süddeutsche Zeitung (pour la simple version papier) a consacré 1371 sujets liés de près ou de loin à Edward Snowden depuis les révélations contre seulement 175 sujets pour Le Figaro. Sources : www.factiva.com, consulté le 10/12/14. 15 Pop Valentina, « Germany defends intelligence co-operation with US », EUobserver, 08/07/13, https://euobserver.com/foreign/120795, consulté le 22/05/15.

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allemande encore hanté par son passé est de savoir comment mieux protéger ses données

personnelles afin de s’adapter aux nouvelles menaces posées par la surveillance de masse

étatique sur les libertés individuelles.

Aborder les représentations allemandes sur la protection des données à travers le

prisme de la géopolitique semble tout à fait pertinent puisque cette méthode permet de mettre

en évidence les discours, parfois divergents, des différents acteurs qui gravitent autour de

l’Affaire Snowden et d’en mesurer l’impact sur les politiques mises en œuvre. L’objectif de

ce mémoire est de tenter de démontrer dans une première partie que les conséquences de

l’Affaire Snowden ont profondément changé la conception allemande de la vie privée dans le

cyberespace et, a fortiori, modifié les habitudes des citoyens allemands dans l’utilisation des

technologies de l’information. Nous verrons ensuite dans une seconde partie que ces

révélations ont d’une part fondamentalement influencé la politique allemande en matière de

protection des données, et d’autre part permis au gouvernement allemand de se servir de

l’Affaire Snowden comme levier dans les négociations de l’accord de libre-échange entre

l’Union européenne et les Etats-Unis.

Enfin, pour reprendre les termes d’un célèbre géopoliticien allemand, la géopolitique

est « l’étude des grandes connexions vitales de l’homme d’aujourd’hui dans l’espace

d’aujourd’hui »16. Bien que Karl Haushofer ne l’ait probablement pas pensé sous cet angle,

les grandes connexions vitales de l’homme d’aujourd’hui sont sans conteste les données

personnelles qui transitent dans l’espace d’aujourd’hui : le cyberespace. L’étude des rivalités

de pouvoirs qui s’exercent dans cet espace autour de ces connexions a pour intérêt de

démontrer que l’étude des conséquences de l’Affaire Snowden en Allemagne en fait un objet

éminemment géopolitique.

16 Phrase de Karl Haushofer citée dans : « Histoire de la Géopolitique », Lorot Pascal, Ed. Economica, p.26, 1995.

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II)) CCoonnssééqquueenncceess eett eeffffeettss aauu lleennddeemmaaiinn ddeess rréévvééllaattiioonnss

dd’’EEddwwaarrdd SSnnoowwddeenn

AA)) LLeess ccoonnssééqquueenncceess :: ddee llaa ccoonnddaammnnaattiioonn àà ll’’iinnddiiggnnaattiioonn,, uunn

ttrraauummaattiissmmee ddaannss llaa sspphhèèrree ppoolliittiiqquuee eett cciivviillee aalllleemmaannddee

11)) LLee ggoouuvveerrnneemmeenntt ccoonnddaammnnee

Lorsque Glenn Greenwald a commencé à publier le 6 juin 2013 son premier article sur

la collecte de données de la NSA auprès de l’opérateur américain Verizon17, il s’agissait en

réalité du début d’une longue série de révélations. Après avoir condamné les pratiques des

renseignements américains, les remarques de la chancelière Angela Merkel sont montées d’un

cran lorsque celle-ci s’est aperçue que l’Allemagne faisait également l’objet d’un espionnage

massif. Mais le moment où les tensions ont été les plus vives entre la chancelière allemande et

le président américain fut lorsqu’il a été révélé que le propre téléphone privé d’Angela Merkel

avait été mis sur écoute par la NSA. Ces condamnations se sont surtout faites pour des

questions de légitimité. Toutefois, la portée des critiques formulées par Mme Merkel a été

affaiblie d’une part par le fait que le Bundesnachrichtendienst (BND, les services secrets

allemand) collaborait activement avec la NSA dans sa collecte de données, et d’autre part que

les services secrets allemands espionnent eux aussi des dirigeants de pays pourtant alliés de

l’Allemagne.

aa)) CCoonnddaammnnaattiioonnss ppuubblliiqquueess

Au lendemain des révélations d’Edward Snowden, la plupart des dirigeants européens

ont condamné les pratiques de la NSA, sans toutefois atteindre le même niveau de

véhémence. Pour François Hollande, la NSA se livrait à « des pratiques inacceptables » et

exprimait sa « profonde réprobation » au gouvernement d’Obama18. Le chef du

gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a quant à lui convoqué en privé l’ambassadeur des

Etats-Unis à Madrid pour qu’il lui rende compte directement de cette affaire, laissant le soin à

son ministre des affaires étrangères, José Manuel Garcia Margallo, de commenter l’affaire :

17 Greenwald Glenn, « NSA collecting phone records of millions of Verizon customers daily », The Guardian, 6/06/13, http://www.theguardian.com/world/2013/jun/06/nsa-phone-records-verizon-court-order, consulté le 26/11/2014. 18Riols Yves-Michel, « Surveillance de la NSA : François Hollande dénonce "des pratiques inacceptables" », Le Monde, 22/10/13, http://www.lemonde.fr/international/article/2013/10/22/surveillance-de-la-nsa-francois-hollande-denonce-des-pratiques-inacceptables_3500802_3210.html, consulté le 28/11/14.

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« Le gouvernement espagnol a fait remarquer que cette pratique, si elle est confirmée, est

absolument inacceptable et inadmissible entre gouvernements amis et alliés » 19.

Paradoxalement, bien que ces pratiques aient été confirmées, les conséquences diplomatiques

ont été plus que limitées dans ces pays et aucune mesure concrète n’a été prise, les

déclarations publiques des dirigeants européens n’ayant servi qu’à sauver la face devant leur

opinion publique. De plus, il est tout à fait possible que l’Affaire Snowden ait été

volontairement ignorée par la plupart des pays européens car il s’agit de méthodes qu’ils

pratiquent eux mêmes20, ce qui s’avère d’ailleurs être exact dans le cas de l’Allemagne (cf

infra).

De l’autre coté de la Manche, le gouvernement britannique est en revanche resté bien

silencieux concernant l’Affaire Snowden. Et pour cause, les services britanniques ont

activement participé à la collecte des données orchestrée par la NSA. Cette collaboration est

le fruit d’un pacte entre les Etats-Unis et quatre de leurs alliés proches en matière

d’espionnage (Canada, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle Zélande). Cette coalition du

renseignement, également connue sous le nom des « Five Eyes », partage certaines

informations sensibles et collabore activement sur certains projets de renseignement21. Ainsi,

le Government Communications Headquarters (GCHQ), équivalent de la NSA au Royaume-

Uni, est à l’origine du programme TEMPORA.

Le programme Tempora

Le programme Tempora existe depuis 2011 et est piloté par le GCHQ. Il s’agit d’un « partenariat contraint » avec sept compagnies mondiales de télécom (British Telecom, Vodafone Cable, Verizon Business, Global Crossing, Level 3, Viatel et Interoute)22. Celles-ci doivent donner à l’agence de renseignement britannique un accès « illimité » à leurs câbles de fibre optique, où transite l’essentiel du trafic Internet et téléphonique mondial. Or, les câbles de 3 de ces compagnies passent par le territoire allemand depuis les villes de Norden et de Sylt23. Le GCHQ sert de filtre à la NSA en interceptant des communications entre l’Europe et les Etats-Unis en contrepartie d’une subvention de 100 millions de livres (117 millions d’euros) sur trois ans24.

19 Le Point, « Espionnage de la NSA : au tour de l'Espagne », 25/10/13, www.lepoint.fr/monde/espionnage-de-la-nsa-au-tour-de-l-espagne-25-10-2013-1747931_24.php, consulté le 28/11/14. 20 Deléage Jean-Paul, « Avec Edward Snowden, l’homme sorti de l’ombre qui voulait éclairer le monde ! », Ecologie &Politique, 2014/1 n°48, p. 5-5. 21 L’accord des « Five Eyes », est la continuité de l’accord UKUSA révélé par Nicky Hager en 1996 à propos du programme Echelon. 22 Goetz John, Obermeier Frederick, « Snowden enthüllt Namen der spähenden Telekomfirmen », Süddeutsche Zeitung, 02/08/13, http://www.sueddeutsche.de/digital/internet-ueberwachung-snowden-enthuellt-namen-der-spaehenden-telekomfirmen-1.1736791, consulté le 28/11/14. 23 Source: http://www.submarinecablemap.com/#/, consulté le 28/11/14. 24 Hopkins Nick, Borger Julian, « Exclusive: NSA pays £100m in secret funding for GCHQ », The Guardian, 01/08/13, http://www.theguardian.com/uk-news/2013/aug/01/nsa-paid-gchq-spying-edward-snowden, consulté le 28/11/13.

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En revanche, c’est en Allemagne que les réactions ont été les plus vives. La ministre

allemande de la justice Sabine Leutheusser-Schnarrenberger n’a pas hésité à dénoncer les

pratiques du GCHQ en qualifiant le comportement britannique en ces termes : « les

accusations contre la Grande-Bretagne ressemblent à un cauchemar Hollywoodien. Les

institutions européennes devraient chercher rapidement à clarifier la situation »25. Thomas

Oppermann, leader du parti d’opposition Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD), à

lui aussi critiqué le comportement britannique : « les accusations semblent comme si la

surveillance de la société de George Orwell est devenue une réalité en Grande Bretagne.

C’est inacceptable, le gouvernement doit clarifier ces accusations et agir contre une

surveillance totale des citoyens américains »26.

Mais les réactions les plus virulentes sont finalement venues d’Angela Merkel. Après

avoir dans un premier temps qualifié l’espionnage américain en Europe « d’incident

extrêmement sérieux » puis d’avoir taclé le président Obama en lui rappelant qu’« utiliser des

micros pour écouter des amis dans [leurs] ambassades et dans les représentations de l’UE

n’étaient pas correcte »27, le ton est monté d’un cran lorsque le Guardian a publié le 23

octobre 2013 un document confidentiel datant du 27 octobre 2006 indiquant qu’un cadre de

l’administration américaine avait fourni à la NSA plus de 200 numéros de téléphones

portables d’officiels étrangers dont 35 chefs d’états, et encourageait l’agence de

renseignements d’inclure ces numéros de téléphone dans son logiciel d’écoute28.

Bien que le nom d’Angela Merkel ne soit pas explicitement mentionné dans ce

document, de sérieux soupçons du BND pesaient sur le fait que la chancelière américaine

puisse faire partie de cette liste29. Le magazine allemand Der Spiegel, qui fait partie des titres

de presse disposant des documents d’Edward Snowden, a révélé que le téléphone de Mme

Merkel aurait été sur écoute depuis 2002, alors qu’elle n’était même pas encore chancelière30.

25 Der Spiegel, « Britisches Abhörprogramm: Bundesregierung nimmt Tempora-Bericht "sehr ernst" », 22/06/13, http://www.spiegel.de/politik/deutschland/bundesregierung-nimmt-tempora-bericht-sehr-ernst-a-907333.html, consulté le 28/11/14. 26 Ibid 27 Connolly Kate, « Angela Merkel: NSA snooping claims 'extremely serious' », The Guardian, 3/07/13, http://www.theguardian.com/world/2013/jul/03/angela-merkel-nsa-snooping-serious, consulté le 28/11/14. 28Ball James, « NSA monitored calls of 35 world leaders after US official handed over contacts », The Guardian, 25/10/13, http://www.theguardian.com/world/2013/oct/24/nsa-surveillance-world-leaders-calls#, consulté le 28/11/14. 29 Appelbaum Jacob, Stark Holger, Rosenbach Marcel, Schindler Jörg, « Berlin Complains: Did US Tap Chancellor Merkel's Mobile Phone? » Der Spiegel, 23/10/13, http://www.spiegel.de/international/world/merkel-calls-obama-over-suspicions-us-tapped-her-mobile-phone-a-929642.html, consulté le 28/11/14. 30 Der Spiegel, « NSA-Überwachung: Merkels Handy steht seit 2002 auf US-Abhörliste », 26/10/13, http://www.spiegel.de/politik/deutschland/nsa-ueberwachung-merkel-steht-seit-2002-auf-us-abhoerliste-a-930193.html, consulté le 28/11/14.

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En effet, son nom avait été listé par les Special Collection Services (SCS) de la NSA en

Allemagne.

Les Special Collection Services (SCS)

La spécificité d’une station SCS tient d’abord à sa localisation et à son extra-territorialité. Elles sont le plus souvent installées dans une enceinte diplomatique. Ces stations d’écoute jouissent de la sanctuarisation propre à ce type de bâtiments, elles sont en effet à l’abri de toute intrusion ou perquisition par la justice du pays hôte. Ce sont des équipes mixtes CIA-NSA qui assurent la bonne marche des stations SCS dans le monde31. Dans le cas de l’Allemagne, l’ambassade des Etats-Unis à Berlin et le consulat américain de Francfort ont été explicitement désignées par Edward Snowden comme étant des SCS.

Ambassade américaine à Berlin. Un sticker à l’effigie d’Edward Snowden est collé sur le panneau

descriptif du mémorial de la Shoah se trouvant à proximité immédiate (photos : Alexis Daloze) Si la date depuis laquelle Angela Merkel a commencé à être espionnée n’est pas

encore déterminée avec précision, un document du Center for content extraction (un service

de la NSA chargé d’extraire les données) datant du 21 mai 2009 et rendu public par le Spiegel

confirme que le téléphone de Mme Merkel faisait bien l’objet d’une surveillance32. Il est

d’ailleurs amusant de noter que les noms des chefs d’Etats apparaissent clairement et ne

soient pas remplacés par des noms de codes. En réalité, seules les sources bénéficiaient de

noms de codes, pas les cibles33.

31 Lefébure Antoine, « Un secret bien gardé de la NSA », 3/11/14, http://www.antoinelefebure.com/2014/11/un-secret-bien-garde-de-la-nsa.html, consulté le 28/11/14. 32 Electronic Frontier Foundation, « Presentation from the Center for Content Extraction », Der Spiegel, https://www.eff.org/fr/document/20140618-der-spiegel-presentation-center-content-extraction. 33 Poitras Laura, « Citizenfour », Haut et Court, 2014.

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Source : The Intercept

Face à ces révélations, Angela Merkel s’est dite profondément choquée par les

pratiques du gouvernement américain et n’a pas hésité à en faire part à Barack Obama.

Steffen Seifert, porte parole du Bundesrat (le gouvernement allemand) a relayé une discussion

téléphonique entre les deux dirigeants durant laquelle la chancelière aurait dit au président

américain qu’ « elle désapprouvait clairement et voyait comme complètement inacceptables

de telles pratiques »34. Elle a par ailleurs ajouté dans une interview télévisée que

« l’espionnage entres amis n’était pas acceptable, […] et ce n’est pas juste à propos de moi

ou de mes problèmes, mais ca vaut pour chaque citoyen allemand. Nous avons besoin d’avoir

confiance en nos alliés »35.

La grande fermeté montrée par Angela Merkel s’inscrit dans un contexte politique

particulier. En effet, en Septembre 2013, soit trois mois après les révélations, se tenait les

élections fédérales allemandes dans lesquelles la chancelière allemande jouait sa réélection. Il

est fort probable que Madame Merkel ait voulu montrer une image de fermeté avec des mots

très durs dans le langage diplomatique afin de s’attirer les votes des électeurs. Cette stratégie

semble avoir marché puisque la mise sur écoute du téléphone personnel d’Angela Merkel fit

l’effet d’une véritable bombe dans l’opinion publique allemand, car en mettant le téléphone

34 Traynor Ian, Oltermann Philip, Lewis Paul, « Angela Merkel's call to Obama: are you bugging my mobile phone? », The Guardian, 24/10/13, http://www.theguardian.com/world/2013/oct/23/us-monitored-angela-merkel-german, consulté le 28/11/14. 35 Traynor Ian, « Angela Merkel: NSA spying on allies is not on », the Guardian, 24/10/13, http://www.theguardian.com/world/2013/oct/24/angela-merkel-nsa-spying-allies-not-on, consulté le 28/11/14.

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personnel d’Angela Merkel sur écoute c’est en tant que citoyenne et non en tant que

dirigeante qu’elle était espionnée. Au regard de l’ampleur qu’a pris l’affaire, les médias

allemands n’ont pas tardé à lui donner un nom : le handygate, « handy » faisait référence au

mot allemand pour « téléphone portable ».

Les efforts du porte parole de la Maison Blanche Jay Carney pour apaiser les tensions

n’ont pas suffit. Dans un communiqué de presse du 23 octobre 2013, Jay Carney a assuré que

« le Président a assuré à la Chancelière que les Etats Unis ne surveillent pas et ne

surveilleront pas les communications de la Chancelière »36. Cependant, il ne dément pas le

fait que le téléphone de Madame Merkel ait pu être l’objet d’une surveillance, ce qui n’a

évidemment pas échappé au gouvernement allemand. En outre, Angela Merkel s’est même vu

refuser l’accès à son dossier par la NSA37, ce qui tend à confirmer l’existence de sa mise sur

écoute par l’agence américaine.

A première vue, il semble donc évident que le gouvernement américain ait largement

abusé de ses prérogatives pour établir un système d’écoutes à travers des programmes qui

sont, sinon illégaux, moralement problématiques. Mais c’est surtout la légitimité des écoutes

qui pose problème au gouvernement allemand en raison de la différence de représentation du

terrorisme.

bb)) DDeess rreepprréésseennttaattiioonnss ddiifffféérreenntteess dduu tteerrrroorriissmmee

Au delà du fait qu’Angela Merkel ait été personnellement mise sur écoute, les

motivations de ces condamnations vont bien plus loin. En effet, le clivage entre les deux pays

sur le cas d’Edward Snowden tient surtout à deux représentations très différentes du

terrorisme.

La principale ligne de défense des Etats-Unis pour justifier les programmes d’écoute

de la NSA par toutes les méthodes connues (du prélèvement des câbles sous marins à

l’espionnage hyper ciblé des téléphones portables) est la lutte contre le terrorisme. Toutefois,

il est important de noter que la notion de terrorisme est une représentation. Le terme est

tellement subjectif que les membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ne se sont

toujours pas accordés à donner au terrorisme une définition commune depuis 1984. De

manière générale, le terrorisme consiste en une action violente et organisée à des fins

politiques dont les effets psychologiques excèdent de beaucoup ses dommages purement

36 Carney Jay, The White House, Press Briefing, 23/10/13, http://www.whitehouse.gov/photos-and-video/video/2013/10/23/press-briefing, moment cité : 39m45s, consulté le 28/11/14. 37 Lewis Paul, Oltermann Philip, «Angela Merkel denied access to her NSA file », The Guardian, 10/04/14, http://www.theguardian.com/world/2014/apr/10/angela-merkel-denied-access-nsa-file, consulté le 28/11/14.

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physiques38. Pour illustrer le fait que le terrorisme est une représentation, citons les exemples

de Nelson Mandela et de Yasser Arafat qui furent longtemps considérés par la communauté

internationale comme terroristes avant de recevoir le Prix Nobel de la Paix respectivement en

1993 et 1994. Ainsi, une même personne peut être à la fois considérée comme terroriste ou

comme vecteur pour la paix mondiale selon la représentation qu’un Etat se fait de cette

personne.

Or, la représentation américaine du terrorisme se heurte à une autre représentation

allemande et européenne de ce qu’est le terrorisme, et ces deux représentations se situent aux

antipodes l’une de l’autre. L’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)

« Klass et autres contre Allemagne » rendu le 6 septembre 1978 définit les méthodes pouvant

être employées par un gouvernement lorsqu’un individu est suspecté d’être un terroriste39.

Dans les faits, les requérants contestaient la possibilité même de mesures de surveillance

secrètes adoptées par le gouvernement de la RFA sans notification à l'intéressé. La CEDH a

finalement donné raison à l’Allemagne au motif que des restrictions à l’article 8 de la

Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales

étaient nécessaires lors de situations exceptionnelles afin de lutter efficacement contre le

terrorisme. La Cour met néanmoins en garde les Etats à respecter les droits individuels. Les

termes utilisés par la CEDH trouvent d’ailleurs un fort écho à travers l’Affaire Snowden,

même 35 après :

« Les sociétés démocratiques se trouvent menacées de nos jours par des

formes très complexes d’espionnage et par le terrorisme, de sorte que l’État

doit être capable, pour combattre efficacement ces menaces, de surveiller en

secret les éléments subversifs opérant sur son territoire. La Cour doit donc

admettre que l’existence de dispositions législatives accordant des pouvoirs

de surveillance secrète de la correspondance, des envois postaux et des

télécommunications est, devant une situation exceptionnelle, nécessaire.

[…] La Cour souligne néanmoins que les États contractants ne disposent

pas pour autant d’une latitude illimitée pour assujettir à des mesures de

surveillance secrète les personnes soumises à leur juridiction. Consciente

du danger, inhérent à pareille loi, de saper, voire de détruire, la

38 Gauchon Pascal et Huissoud Jean Marc (sous la direction de), « Les 100 mots de la géopolitique », ed. Que sais-je, Presses universitaires de France, Paris, 2008. 39 Cour Européenne des Droits de l’Homme, « Klass et autres contre Allemagne », 6 septembre 1978, Strasbourg, http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-62068, consulté le 07/11/2014.

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démocratie au motif de la défendre, elle affirme qu’ils ne sauraient

prendre, au nom de la lutte contre l’espionnage et le terrorisme, n’importe

quelle mesure jugée par eux appropriée »40.

Ainsi, même si l’on peut éventuellement trouver une certaine légitimité à la NSA en

collectant les métadonnées des utilisateurs (noms et coordonnées) afin de lutter contre le

terrorisme, elle outrepasse le droit à la vie privée en examinant les contenus (conversations,

fichiers joints, renseignements bancaires, etc.). La CEDH introduit donc un élément

déterminant dans les différences de représentations, celui du lien de proportionnalité : les

moyens intrusifs doivent être utilisés avec mesure et à proportion de la gravité du risque ou du

danger soupçonné. En d’autres termes, la NSA effectue exactement ce que la

Bundesverfassungsgerichtshof (BVerfG, la cour constitutionnelle allemande) et la CEDH

condamnent.

Par médias interposés, la chancelière allemande et le président américain ont débattu

sur la question de ce lien de proportionnalité en matière de terrorisme. Dans une interview

accordée au Guardian et à cinq autres journaux européens, Angela Merkel a déclaré « [qu’] il

ne fait aucun doute que la lutte contre le terrorisme est essentielle, et qu’elle doit exploiter

des renseignements sur ce qui se passe en ligne, mais il n’existe aucune doute non plus que

les choses doivent être gardés proportionnellement »41. De l’autre côté, dans une interview

accordée à la télévision allemande, Barrack Obama a précisé que rien ne changerait

concernant les programmes de la NSA : « ce n’est pas la peine d’avoir une agence de

renseignement si vous êtes limités à ce qu’on peut lire dans le New York Times ou Der

Spiegel. La vérité c’est que par définition, le travail, du renseignement est de découvrir ce

que pensent les gens. Que sont-ils en train de faire ? »42. Les attentats du 11 septembre 2001

perpétrés par Al-Qaïda et dont Mohammed Atta, (un étudiant de Hambourg) était l’un des

terroristes ayant détourné un des avions viennent appuyer les arguments du président

américain quant à une surveillance massive de la population allemande. Seulement ce qu’a

dénoncé Edward Snowden en révélant ces programmes de surveillance de masse n’est pas de

remettre en cause le fait que la NSA fasse du renseignement, mais que les interceptions se

40 Considérants 48 et 49 de l’arrêt. 41 Connolly Kate, « Angela Merkel: NSA snooping claims 'extremely serious' », The Guardian, 3/07/13, http://www.theguardian.com/world/2013/jul/03/angela-merkel-nsa-snooping-serious, consulté le 10/12/14. 42 Interview donnée par Barack Obama le 18 janvier 2014 à la chaine ZDF, disponible en intégralité à cette adresse : http://www.zdf.de/ZDFmediathek/beitrag/video/2069890/Obama-Interview-%2528engl.-Originalfassung%2529#/beitrag/video/2069890/Obama-Interview-%28engl.-Originalfassung%29, consulté le 07/11/2014.

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soient généralisées sans aucun motif les justifiant. D’une surveillance ciblée, la NSA est

passée à une surveillance massive en contraignant les géants du web par des obligations

légales à leur communiquer les données personnelles de leurs utilisateurs.

Conscient que l’espionnage entre alliés est un fait, le gouvernement allemand

s’indigne surtout l’ampleur démesurée de cette surveillance. Le choc a été d’autant plus

important en Allemagne que les services de renseignement allemand étaient au courant de ces

pratiques et ont même largement contribué à l’utilisation de ces programmes.

cc)) NNSSAA eett BBNNDD :: uunnee ééttrrooiittee ccoollllaabboorraattiioonn

Si les révélations d’Edward Snowden ont surtout permis à l’Allemagne de savoir

qu’en matière d’espionnage il n’y avait d’alliés, elle ont également permis aux Allemands de

se rendre compte que la NSA n’était pas la seule responsable dans la surveillance de masse et

que les services secrets allemands avaient également leur part de responsabilité. Avant d’aller

plus loin dans notre développement, il convient tout d’abord de revenir sur les liens étroits qui

unissent les Etats-Unis et l’Allemagne dans la sphère du renseignement.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale qui a marqué la chute du Troisième Reich, le

territoire allemand fut partagé entre les puissances victorieuses – Etats-Unis, Royaume-Uni,

France, Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) – en zones d’occupations,

chacune étant souveraine sur sa zone. Ces dernières entendaient néanmoins favoriser la

renaissance d’une vie démocratique dans l’Allemagne d’après-guerre en lui accordant la

souveraineté pleine et entière. L’antagonisme idéologique entre les trois Occidentaux d’une

part et les Soviétiques de l’autre s’est traduit par des orientations divergentes entre la partie

occidentale de l’Allemagne et la zone orientale. Le processus mettra ainsi quatre ans avant

que soit créé le 23 mai 1949 la République Fédérale d’Allemagne (RFA) puis, le 7 octobre

1949, la République Démocratique d’Allemagne (RDA).

Cependant, l’accès à la souveraineté des deux Allemagnes ne s’est pas faite sans

conditions. Si la RDA a accepté de devenir une république satellite de l’URSS, la RFA a du

elle aussi accepter des compromis de la part des Alliés. Parmi ces compromis figurait un

accord autorisant les alliés à surveiller l’Allemagne de l’Ouest, et ce « même si elle atteignait

un haut niveau de souveraineté en 1995 »43. A partir de là a débuté une étroite collaboration

entre les services de renseignements allemand et américain. Cette coopération a commencé

avec la surveillance par les services allemands des courriers échangés entre l’Est et l’Ouest et

qui rapportait aux services américains toute lettre suspecte. Cette méthode n’était pas nouvelle

43 Riha Clemens, « Guiding the Guardians », Deutsche Welle, diffusé le 01/12/14.

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et rappelle celles qu’employaient l’Okhrana, la police politique secrète de l’Empire Russe, qui

engageait des concierges pour ouvrir le courrier de certains suspects, le recopier, et l’envoyer

aux bureaux des services secrets44. Puis, évolution technologique oblige, la surveillance s’est

principalement matérialisée sous la forme d’écoutes téléphoniques. Véritable vestige de cette

époque, la station de la NSA de Teufelsberg (littéralement la « colline du diable ») a été

pendant longtemps le symbole de l’ingérence américaine en matière d’écoutes. Construite en

1961, elle était chargée de capter les signaux hertziens en provenance du bloc de l’Est et plus

particulièrement de la RDA. Après la chute du mur de Berlin en 1989, la station de

Teufelsberg fut fermée deux ans plus tard en 1991 et demeure encore aujourd’hui

complètement à l’abandon.

L’ancienne station d’écoutes américaine de Teufelsberg (photos : Alexis Daloze)

44 Bausardo Thomas, « Quel passé pour Prism et Snowden ? », Vacarme, 2014/1 N°66, p.142-157.

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La carte « ci-contre » montre l’emplacement des stations d’écoutes américaines en

Allemagne, qu’il s’agisse de SCS, de bases américaines ou de centres officiels de la NSA.

L’activité de ces stations a été confirmée par les documents révélés par Edward Snowden. On

constate alors que l’ensemble de ces stations se trouvent toutes dans l’ancienne zone

d’occupation américaine. La superposition de ces deux données montre l’importance qu’ont

eu les Etats Unis dans le renseignement allemand et le rôle qu’ils continuent à jouer malgré la

chute du Rideau de Fer.

Par ailleurs, le document suivant liste les villes d’Allemagne dans lesquelles travaillent

les agents de la NSA, leurs missions ne sont en revanche pas précisées. Excepté la base de

Baumholder qui se trouve dans l’ancienne zone d’occupation française, on constate que

l’ensemble des sites nommés se trouvent également dans l’ancienne zone d’occupation

américaine.

Source : Der Spiegel45

45 Der Spiegel : http://www.spiegel.de/media/media-34096.pdf.

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En 1968, le Bundestag a voulu se débarrasser de ce privilège accordé aux alliés et qui

allait à l’encontre de l’article 10 de la Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (la loi

fondamentale allemande), ratifiée en mai 1949, et qui consacre le droit fondamental du secret

de la correspondance, de la poste et des télécommunications. Il dispose que, sauf menace

contre l’Etat fédéral, contre un Land ou contre l’ordre constitutionnel, « le secret de la

correspondance ainsi que le secret de la poste et des télécommunications sont inviolables »46.

Une commission parlementaire s’est alors formée sous le nom de la G10 Kommission pour

tenter d’abroger ce privilège. Cette entreprise n’a finalement pas abouti car le pouvoir fédéral

dont Willy Brandt était le chancelier avait fait d’autres arrangements avec le gouvernement

américain47. La même année, sous la pression du gouvernement fédéral, une loi légalisant les

écoutes téléphoniques a même été adoptée48. Aujourd’hui la G10 existe toujours. Composée

de quatre parlementaires, elle est en charge de contrôler la légitimité de l'intervention du

gouvernement fédéral dans le champ d’application de l'article 10 de la Grundgesetz et est

censée contrôle la légalité des mesures de surveillance49. Néanmoins, son action réputée

confidentielle ne garantit absolument pas un véritable contrôle parlementaire.

46 Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne, Bundesregierung, 23 mai 1949, http://www.bundesregierung.de/Content/FR/_Anlagen/loi-fondamentale.pdf?__blob=publicationFile. 47 Das Gupta Olivier, « Die NSA darf in Deutschland alles machen », Süddeutsche Zeitung, 9/07/2013, http://www.sueddeutsche.de/politik/historiker-foschepoth-ueber-us-ueberwachung-die-nsa-darf-in-deutschland-alles-machen-1.1717216, consulté le 10/12/14. 48 Laurent Sébastien-Yves, « Atlas du renseignement : géopolitique du pouvoir », Paris, Presses de Sciences Po, 2014. 49 Deutscher Bundestage, « G 10-Kommission », http://www.bundestag.de/bundestag/gremien18/g10, consulté le 02/12/14.

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Le contrôle institutionnel des services de renseignement allemands

Malgré l’existence de cette commission, les documents de la NSA subtilisés par

Edward Snowden établissent une étroite collaboration entre la NSA et le BND, ainsi que le

Bundesamt für Verfassungsschutz (BfV), le service de renseignement allemand qui exerce son

activité sur le territoire national. La surveillance américaine ne s’est donc pas arrêtée après la

chute du mur comme on aurait pu l’imaginer (la « menace » communiste s’étant effondrée),

mais a continué encore bien après. Parmi les documents les plus compromettants pour le BND

figure un document interne de la NSA datant du 17 janvier 2013 qui retrace la coopération

entre les deux agences de renseignement. En page 3 de ce document sont énoncés les

« success stories », c'est-à-dire les objectifs accomplis dont se félicite la NSA. L’une de ces

success story rapporte que « le gouvernement allemand a modifié son interprétation du G10

du droit de la vie privée, qui protège les communications des citoyens allemands, pour

permettre au BND une plus grande flexibilité dans le partage d’informations protégées avec

les partenaires étrangers »50. Un autre document fait état de la coopération entre le BND et la

NSA. Située en Bavière près de Munich, la station de Bad Aibling est la plus importante

50 Der Spiegel, http://www.spiegel.de/media/media-34053.pdf, consulté le 02/12/14, document disponible en annexe.

Sources : Bundesnachrichtendienst, http://www.bnd.bund.de/ Laurent Sébastien-Yves, « Atlas du renseignement : géopolitique du pouvoir », Paris, Presses de Sciences Po, 2014.

Législatif Judiciaire

Contrôle parlementaire

Bundestag

Ponctuel :

Commission d’enquête

parlementaire sur la NSA

Patrick Sensburg

Audit

Permanent :

G 10 Kommission

Andreas

Schmidt

Contrôle Juridictionnel

Bundesrechnunghof

(Cour Fédérale des Comptes)

BND & BfV

Contrôle

hiérarchique

interne

Nomme Fixe les orientations

et missions

Contrôle hiérarchique du

Ministre de l’Intérieur

Thomas de Maizière

Contrôle politique

du chef de l’Etat

Angela Merkel

Exécutif

Auteur : Alexis Daloze, Institut Français de Géopolitique, 2015

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station d’écoute de la NSA en Europe et est cogérée depuis 2002 par le BND51. Un document

d’Edward Snowden a révélé que le BND captait depuis cette station et pour le compte de la

NSA des données téléphoniques transitant sur les réseaux allemands et européens52. La « Joint

SIGINT Activity » permettait de récolter des renseignements électromagnétiques du type

appels téléphoniques et short message services (sms) en vue d’être analysé par des agents de

la NSA53. Cette coopération a été institutionnalisée à travers une unité du nom de

« Zeitgeist ». Le Zeitgeist est une notion empruntée à la philosophie allemande signifiant

« l’esprit du temps » et désignant le climat intellectuel et culturel d’une époque. Un logo a

même été crée pour symboliser cette coopération.

Logo de la coopération entre la NSA et le BND

Source : Der Spiegel

En outre, un des documents révélé par Snowden montre que le BfV et le BND participaient au

programme XKeyscore54 :

Par ailleurs, un autre document prouve également une étroite collaboration entre le

GCHQ et les services secrets européens, notamment le BND, pour développer des méthodes

de surveillance massives. Le document émanant du GCHQ apporte même des conseils aux

agences européennes pour savoir comment contourner les lois nationales55.

51 Hayez Philippe, « Espionnage allemand : l’Elysée sur écoute », C dans l’air, France 5, diffusé le 01/05/15. 52 Hubert Gude, Laura Poitras et Marcel Rosenbach, « Mass Data: Transfers from Germany Aid US Surveillance », Der Spiegel, 5 août 2013. http://www.spiegel.de/international/world/german-intelligence-sends-massive-amounts-of-data-to-the-nsa-a-914821.html, consulté le 02/12/14. 53 Der Spiegel, http://www.spiegel.de/media/media-34084.pdf. 54 ACLU, https://www.aclu.org/files/natsec/nsa/20140722/Provision%20of%20XKeyscore%20to%20BfV.pdf. 55 Borger Julian, « GCHQ and European spy agencies worked together on mass surveillance », The Guardian, 01/11/13, http://www.theguardian.com/uk-news/2013/nov/01/gchq-europe-spy-agencies-mass-surveillance-snowden, consulté le 03/12/14.

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Enfin, Thomas Drake, ancien cadre supérieur de la NSA ayant dénoncé le programme

TRAILBLAZER56, a confirmé lors de son audition en tant qu’expert dans le cadre de la

commission d’enquête du Bundestag sur la surveillance de masse américaine, l’étroite

collaboration entre les deux services de renseignements en comparant le BND à un avant-

poste de la NSA57.

Le programme XKeyscore Le programme XKeyscore est l’outil central du système de renseignement américain, permettant d’examiner presque toute l’activité d’un individu sur Internet. Il s’agit du système que les analystes de la NSA utilisent le plus souvent pour leurs recherches. XKeyscore s’apparente à un moteur de recherche pour espions, alimenté par les données des différents programmes de surveillance liés à la NSA. Il comprend plus de 700 serveurs répartis dans 150 pays dont l’Allemagne58.

On peut s’interroger sur le niveau de connaissance réel d’Angela Merkel concernant

l’ampleur de la surveillance du BND pour le compte de la NSA. Il est tout à fait possible que

les dirigeants ne soient pas personnellement au courant de ces méthodes, notamment compte-

tenu de leur technicité. Leur fonction exigeant une quantité considérable de sujets à traiter, il

se peut qu’ils ne connaissent pas tous les détails du fonctionnement de leurs agences de

renseignements ni les moyens utilisés59. Il se peut que Mme Merkel soit de bonne foi

lorsqu’elle condamne les méthodes américaines après la découverte d’un vaste réseau

d’espionnage massif révélé par Edward Snowden, mais elle ne s’attendait peut être pas à ce

que ses propres services de renseignement fassent également partie de cette entreprise.

Néanmoins, certains spécialistes s’accordent pour dire que le BND étant une agence

directement rattachée à la chancellerie, il était impossible pour Mme Merkel de ne pas être au

courant de l’implication de ses services secrets60. Néanmoins, la chancelière allemande

n’avait pas d’autre choix que de feindre l’incrédulité compte tenu du passé de l’Allemagne et

la question sensible (voire taboue) de la surveillance étatique menée par le régime nazi puis

par la RDA. Il était culturellement impossible pour le gouvernement allemand de laisser

56 Le programme TRAILBLAZER avait pour objectif de développer la capacité d’analyser les données transitant sur les réseaux de communications comme Internet. William Binney, un autre démissionnaire de la NSA et également auditionné par la commission d’enquête avait déjà déclaré en 2012 à propos de ce programme : « on est à deux doigts d’un Etat totalitaire prêt à l’emploi », Bamford James, « The NSA Is Building the Country’s Biggest Spy Center », Wired, http://www.wired.com/2012/03/ff_nsadatacenter/all/. 57 Deutscher Bundestage, « Größte Bedrohung seit dem US-Bürgerkrieg », https://www.bundestag.de/bundestag/ausschuesse18/ua/kw27_pa_nsa/285336, consulté le 03/12/14. 58 American Civil Liberties Union, https://www.aclu.org/files/natsec/nsa/NSA%20XKeyscore%20Powerpoint.pdf. 59 Hayez Philippe, « Espionnage allemand : l’Elysée sur écoute », C dans l’air, France 5, diffusé le 01/05/15. 60 Lieutenant-Colonel Patrice Tromparent, Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la Défense, Chaire Castex de Cyberstrétégie, Séminaire jeunes chercheurs, 30 avril 2015

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passer les révélations de Snowden sans condamner ces méthodes. La chancellerie se retrouve

donc dans une situation compliquée et est forcée de mener une politique schizophrène en

tentant de jongler avec cette contradiction, c'est-à-dire jongler entre l’héritage culturel de son

passé et la tutelle historique imposée par les Etats-Unis en matière de renseignement. Ainsi,

l’indignation du gouvernement allemand et les propos tenus par Mme Merkel relèvent avant

tout de stratégies de communication que de la morale en elle-même, car la chancelière est

consciente des nécessités de la Realpolitik et du besoin d’espionner. De plus, lors des

premières révélations à l’été 2013, cette stratégie de communication était vitale pour Angela

Merkel qui jouait sa réélection au poste de chancelière d’Allemagne aux élections fédérales de

septembre 2013.

Les méthodes de la NSA peuvent sembler liberticides et incompatibles avec les

sociétés démocratiques car elles renforcent encore davantage l’asymétrie entre le pouvoir et

ses administrés. Néanmoins, les révélations d’Edward Snowden ont montré que la

surveillance de masse n’était pas uniquement un monopole de l’administration américaine

mais également une composante des services de renseignements européens. Le renseignement

a toujours été une donnée fondamentale de l’art de gouverner et est considéré comme étant le

2e plus vieux métier du monde61. Depuis des siècles les nations ont espionné des chefs d’Etat,

y compris alliés. Conscient du pouvoir que confère le contrôle de l’information, les Etats

abusent de leur prérogative pour se livrer à une surveillance de masse en se formant ou en

collaborant avec ceux qui peuvent leur apporter la meilleure expertise, en l’espèce les Etats-

Unis et le Royaume-Uni. Les coopérations bilatérales existantes entre agences de

renseignement expliquent également peut être la réserve et la relative discrétion de nombreux

gouvernements européens dont la France dans cette affaire. D’ailleurs, pour remédier à ces

pratiques opaques et ne pas perdre la face, Angela Merkel a annoncé sa volonté de poser de

nouvelles bases contractuelles claires avec les Etats-Unis concernant la coopération entre les

agences de renseignement et leurs activités62.

Les critiques de Mme Merkel à l’égard de la surveillance américaine ont perdu de leur

intensité du fait de la coopération avérée entre le BND et la NSA. Mais une autre affaire

61 Claus Arndt, président de la commission G10 en 1968, cité dans : Riha Clemens, « Guiding the Guardians », Deutsche Welle, diffusé le 01/12/14, et Arboit Gérald, « Au cœur des services secrets, idées reçues sur le renseignement », ed. Le cavalier bleu, Paris, 2013. 62 Traynor Ian, Oltermann Philip, Lewis Paul, « Angela Merkel's call to Obama: are you bugging my mobile phone? », The Guardian, 24/10/13, http://www.theguardian.com/world/2013/oct/23/us-monitored-angela-merkel-german, consulté le 03/12/14.

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d’espionnage entre pays alliés dont le BND est cette fois ci l’instigateur est venue affaiblir

davantage la position de l’Allemagne sur le renseignement.

dd)) LL’’eessppiioonnnnaaggee :: uunn mmoonnddee aappoollaaiirree

Déjà ébranlés par les révélations d’Edward Snowden et la collecte de renseignement

américain d’origine électromagnétique (SIGIT), les services secrets allemands ont du faire

face à un autre cas d’espionnage cette fois-ci de nature humaine (HUMINT). En effet, les

services de renseignement allemands ont arrêté le 4 juillet 2014 un agent double du BND qui

travaillait depuis 2012 pour la Central Intelligence Agency (CIA). L’agent qui travaillait en

tant que secrétaire au département des « zones opérationnelles Est » était suspecté d’avoir

fourni à la CIA plus de 200 documents confidentiels63. Face aux refus des autorités

américaines de fournir de quelconques explications sur cette affaire qui venait s’aouter à celle

d’Edward Snowden un an plus tôt, la Chancelière Merkel a pris l’initiative le 10 juillet 2014

de renvoyer le directeur de la CIA à Berlin comme preuve de son agacement64. Mais ce qui

nous intéresse n’est pas cet acte diplomatique rarissime, mais plutôt les documents qui ont été

trouvés au domicile de l’agent infiltré. Parmi eux figurait un document démontrant que le

BND écoutait depuis plusieurs années la Turquie alors que celle-ci est un partenaire privilégié

de l’Allemagne, et que des conversations de l’ancienne secrétaire d’Etat américaine Hillary

Clinton et de son successeur actuel John Kerry avaient été enregistrées65. Par la suite, le

quotidien Süddeutsche Zeitung a révélé en avril 2015 que le BND avait, à travers l’unité

Zeitgeist de Bad Aibling, espionné pour le compte de la NSA des « hauts fonctionnaires » du

Ministère des Affaires Etrangères français, de l’Elysée, ainsi que des officiels de la

Commission européenne66.

Alors qu’au lendemain des révélations d’Edward Snowden Angela Merkel martelait

avec fermeté que l’espionnage entre pays alliés était inadmissible, la chancelière allemande

s’est retrouvée sous le feu des critiques après qu’il ait été révélé que son gouvernement

utilisait les mêmes pratiques. On se rend alors compte qu’en matière d’espionnage, les intérêts

informationnels des pays compliquent les jeux d’alliances. S’il y a bien une leçon que les

63 Segler Tim, « NSA Activities in Germany, Current Matters and Future Questions On the Work of the NSA Investigation Committee of the German Bundestag Initiative Junger Transatlantiker, 18/07/14. 64 Gebauer Matthias, « Retaliation for Spying: Germany Asks CIA Official to Leave Country », Der Spiegel, 10/07/14, http://www.spiegel.de/international/germany/germany-asks-top-cia-official-to-leave-country-a-980372.html, consulté le 03/12/14. 65 Der Spiegel, « Targeting Turkey: How Germany Spies on Its Friends », 18/08/14, http://www.spiegel.de/international/germany/german-considers-turkey-to-be-official-target-for-spying-a-986656.html, consulté le 03/12/14. 66 Mascolo Georg, « BND half NSA beim Ausspähen von Frankreich und EU-Kommission », Süddeutsche Zeitung, 29/04/15, http://www.sueddeutsche.de/politik/geheimdienst-affaere-bnd-half-nsa-beim-ausspaehen-von-frankreich-und-eu-kommission-1.2458574, consulté le 30/04/15.

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dirigeants européens et mondiaux ont retenu après les révélations Snowden, c’est qu’en

matière d’espionnage il n’y a pas d’amis. De fait, l’ordre mondial se trouve dans une

configuration inédite. Il n’est plus multipolaire, bipolaire ou unipolaire, mais apolaire : il n’y a

plus d’ennemis donc il n’y a plus d’amis67.

Ainsi, nous pouvons donc avancer l’idée que l’Affaire Snowden n’a eu finalement que

peu de conséquences directes sur la diplomatie allemande et les relations germano

américaines. Pour preuve, cela n’a pas modifié l’agenda d’Angela Merkel qui a effectué un

voyage protocolaire aux Etats-Unis en avril 2014 et qui s’est passé sans accroc majeur.

Malgré la rupture des liens de confiance avec les Etats-Unis et la volonté de créer un réseau

européen, l’Allemagne cherche encore à renforcer sa « special relationship » avec

Washington afin d’établir des règles claires (à défaut d’être transparentes) concernant la

coopération bilatérale en matière d’espionnage (limitation de l’espionnage réciproque et plus

grand partage du renseignement)68, pour au final se rapprocher d’un statut dont dispose déjà le

Royaume-Uni, celui d’un Five Eyes. En outre, les Etats-Unis, par la voix de John Kerry, ont

proposé à l’Allemagne de rejoindre ce cercle fermé en devenant le sixième œil de cet accord

sur le renseignement69. Néanmoins, les sources rencontrées sur le terrain s’accordent pour

affirmer que si la proposition d’un tel arrangement est avérée, l’Allemagne avait du y

renoncer pour des raisons constitutionnelles.

Mais les conséquences de ces révélations ont surtout un impact dans l’opinion

publique allemande, pour qui les révélations Snowden ont fait l’objet d’un véritable

traumatisme qu’il convient de développer dans la partie suivante.

22)) LLeess cciittooyyeennss ss’’iinnddiiggnneenntt

Nous l’avons vu, les révélations Snowden ont provoqué un vif remous de la part du

gouvernement allemand. Mais la réaction la plus importante vient finalement des citoyens qui

pensaient que la technologie les protégeait, qu’ils bénéficiaient d’une vie privée en ligne et

que le secteur privé était plus fort que les gouvernements70. Par ailleurs, l’Allemagne compte

plus de 67 millions d’utilisateurs d’internet ce qui en fait le sixième pays le plus connecté

67 Kempf Olivier, « Conséquences stratégiques », in Huyghe François-Bernard (sous la direction de), « Cyberespace, le temps de l’après Snowden », Observatoire Géostratégique de l’Information, IRIS, Mars 2014. 68 Etude « La balkanisation du web : chance ou risque pour l’Europe », Cattaruzza Amaël, Danet Didier, Desforges Alix, Douzet Frédérick, Naccache David, Direction des Affaires Stratégiques, Septembre 2014. 69 Passenheim Anje, « US lawmakers push for German entrance to Five Eyes spy alliance », Deutsche Welle, 22/11/2013, http://www.dw.de/us-lawmakers-push-for-german-entrance-to-five-eyes-spy-alliance/a-17246049, consulté le 24/03/2015. 70 Rudolf Peter, « Algorithmen und Agenten, Wo es gerade Deutschland bei der Geheimdienstarbeit hapert », Internationale Politik, November/Dezember 2014, p.8-33.

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dans le monde et le premier en Europe71. Ces chiffres permettent de comprendre les

inquiétudes des Allemands et montrent aussi pourquoi ils prennent très au sérieux les menaces

qui pèsent sur leurs libertés individuelles. Pour comprendre pourquoi ces révélations ont

provoqué un tel traumatisme chez une grande partie de la population allemande, il semble

pertinent d’adopter une approche diachronique afin de comprendre la relation entre le peuple

allemand et les concepts de vie privée et de liberté d’expression.

aa)) LLeess rréémmiinniisscceenncceess dduu ccoonncceepptt ddee LLeebbeennssrraauumm ddaannss llee ssuubbccoonnsscciieenntt ccoolllleeccttiiff

aalllleemmaanndd

En révélant que la navigation privée des utilisateurs internet était en réalité

directement épiée par les firmes du net et indirectement analysée par les agences de

renseignements, Edward Snowden a touché chez les Allemands un point sensible qu’il

convient de développer. Cette restriction de mouvement dans la sphère cyber ravive un

concept que les allemands se sont pourtant forcés à oublier : celui de Lebensraum. L’idée

centrale de ce concept de géographie politique créé à la fin du XIXe siècle par Friedrich

Rätzel (puis repris dans un second temps par Karl Haushofer) réside dans le fait que le peuple

allemand aurait besoin d’un Lebensraum – ou « espace vital » – dans lequel la nation

allemande puisse se développer. Aujourd’hui passé aux oubliettes compte tenu de

l’appropriation de ce concept par le régime nazi, le Lebensraum renvoie à l’idée d’un

territoire suffisant pour assurer la survie notamment culturelle d’un peuple72.

Si ce terme est aujourd’hui obsolète, il continue d’exister chez les allemands une

certaine culture d’un espace vital dans la sphère privée. Pour les Allemands, la vie privée, et

plus particulièrement la sphère familiale, ne doit pas être l’objet d’une intrusion non désirée.

Les allemands font par exemple une nette distinction entre vie professionnelle et vie privée et

les deux ne doivent pas se mélanger. Un terme consacre d’ailleurs cette dichotomie entre les

deux vies : le Feierabend73. Une fois le travail terminé, rien ne doit plus interférer dans la

sphère privée. Ainsi, des évènements sociaux comme les afterworks sont très peu populaires

en Allemagne74.

71 Statistisches Bundesamt (Office Fédérale des Statistiques), « Bevölkerung auf Grundlage des Zensus 2011 », https://www.destatis.de/DE/ZahlenFakten/GesellschaftStaat/Bevoelkerung/Bevoelkerungsstand/Tabellen/Zensus_Geschlecht_Staatsangehoerigkeit.html, 2011 ;Union Internationale des Télécoms, « Core indicators on access to, and use of, ICT by households and individuals, latest available data (2008-2012) », UNdata, http://data.un.org/DocumentData.aspx?q=ict&id=352, consultés le 07/11/2014. 72 Lorot Pascal, « Histoire de la Géopolitique », Ed. Economica, 1995. 73 A l’origine le Feierabend faisait référence à une tradition médiévale consistant à se retrouver à l’église, après le travail aux champs, pour célébrer les vêpres. 74 Christine Kurz, professeure d’allemand au Goethe Institut de Paris, 10/12/14.

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Cette conception allemande du Lebensraum trouve donc un certain écho aujourd’hui

dans la façon dont la vie privée doit être conservée et protégée. Or, le fait que la NSA et le

gouvernement américain se soient immiscés sans y avoir été conviés dans cet espace privé en

y observant les moindres faits et gestes des utilisateurs a été un véritable choc pour les

Allemands. De cette manière, cela peut en partie expliquer pourquoi les utilisateurs

allemands, sensibles à la notion d’espace vitale dans la sphère privée, se sentent davantage

concernés que d’autres citoyens européens, ces derniers ne partageant pas la même conception

de la vie privée. En France par exemple, on constate que les révélations ont davantage indigné

les autorités publiques que l’opinion publique dont les contestations ont été très

confidentielles sporadiques. A titre personnel, lorsque je parle du sujet de mon mémoire avec

des Français, trois personnes sur quatre ignorent complètement le nom d’Edward Snowden ou

bien ont une très vague idée du personnage sans pouvoir donner de précisions. En Allemagne,

il est quasiment impossible de rencontrer quelqu’un ne connaissant pas Edward Snowden ni

ce pourquoi il est célèbre. Cette différence de conscience s’explique en partie à cause d’un

héritage historique dont l’Allemagne peine à se débarrasser.

bb)) LLee lloouurrdd hhéérriittaaggee ddee llaa SSttaassii

A la fin de la Seconde Guerre mondiale et la création de la RDA, le nouvel Etat Est

allemand a dû se doter de tous les appareils politiques et militaires propres à un Etat, dont

parmi eux le tristement célèbre Ministerium für Staatssicherheit (Ministère de la sécurité

d’Etat), plus communément appelé la Stasi.

Créé le 8 février 1950 puis dissous en 1990, la Stasi a été pendant 40 ans à la fois le

service de police politique, de renseignement, d’espionnage et de contre-espionnage de la

RDA. Ce service a beaucoup fait parler de lui car il était l’un des services de renseignement

les plus actifs dans le monde avec environ 91 000 agents chargés d’espionner les citoyens Est-

allemands et plus de 180 000 agents de coopération (les agents de coopération, ou

« Inoffizieller Mitarbeiter » étaient des citoyens contraints par la menace de la Stasi de

dénoncer toute personne hostile au régime Est Allemand)75. Au total, la Stasi aura incarcéré

plus de 250 000 personnes dont beaucoup trouveront la mort dans les prisons de

Hohenschönhausen. Pour espionner ses citoyens, le gouvernement de RDA avait recours à un

vaste système de mise sur écoute afin de démasquer quiconque ne partageant pas les mêmes

opinions politiques que ceux du régime. Le résultat de cette entreprise fut la constitution d’un

nombre impressionnant de dossiers – notamment 39 millions de fiches et plus de 110

75 Mémorial de la Stasi Hochenhonchenhauser, Berlin, visité le 24/02/2015.

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kilomètres de documents76 – où étaient consigné la vie des gens ordinaires dans ses détails les

plus intimes. Pour collecter ces données, les agents « d’opérations spéciales » s’introduisaient

chez les gens pendant qu’ils étaient au travail et prenaient en photo à l’aide d’un polaroïd tous

les documents pouvant être utiles afin de retracer dans les moindres détails l’emploi du temps

et les relations sociales de chaque citoyen. Calendriers, agendas, répertoires, notes… toutes

les données étaient passées au peigne fin. Il est donc compréhensible que les Allemands aient

été profondément traumatisés par ces méthodes cruelles et antidémocratiques. Or, compte

tenu de l’avancée technologique, la NSA procède exactement de la même façon à la collecte

de ces données sans avoir à s’introduire de manière physique chez les gens. Avec des services

tels que Google Calendar ou des réseaux sociaux comme Facebook, les agents de la NSA

peuvent reconstituer les moindres faits et gestes des citoyens du monde entier sans bouger de

Fort Meade. Le passé de l’Allemagne avec la Stasi explique donc en partie pourquoi le

scandale de la NSA a eu un impact si important dans ce pays.

En haut à gauche : entrée de l’ancien

quartier général de la Stasi à

Hohenschönhausen (Berlin), aujourd’hui

reconverti en Mémorial. En haut à droite : une des nombreuses salles

d’interrogatoire.

Ci-contre : une salle de surveillance de la

Stasi.

(Photos : Alexis Daloze)

76 Mayer-Schönberger Viktor, Cukier Kenneth, « Big Data, la révolution des données est en marche », ed. Robert Laffont, 2013.

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Angela Merkel en personne n’a d’ailleurs pas hésité à fustiger directement Barack

Obama en lui reprochant que l’écoute de son téléphone portable pendant plus de dix ans par la

NSA était « comme la Stasi »77. Toutefois, lors d’une interview accordée à la ZDF en juin

2013, Joachim Gauck le président de la République fédérale d’Allemagne et ancien directeur

des archives de la Stasi a lui réfuté toute comparaison qui pourrait être faite entre l’agence de

surveillance américaine et l’ex-police secrète allemande : « ce n’est pas comme c’était avec la

Stasi et le KGB – où il existait des salles entières pleines de grands classeurs dans lesquels

tout le contenu de nos conversations étaient écrites et bien transposées – ce n’est pas le

cas »78. Néanmoins, on peut critiquer cette prise de position en arguant que si effectivement

les conversations ne sont plus écrites sur papier, l’évolution technologique fait que dorénavant

nos conversation sont stockées dans des data centers sur des serveurs et sous forme de

données numériques. La donnée a donc remplacé le papier, le serveur le classeur, et le data

center les « salles entières » auxquelles Joachim Gauck fait référence.

Ce bref retour sur l’histoire du renseignement de la RDA permet de comprendre

pourquoi les Allemands attachent aujourd’hui beaucoup d’importance aux notions de vie

privée, de propriété intellectuelle, et par extension aux questions relatives à la protection des

données personnelles. Ce protectionnisme numérique se ressent d’ailleurs aujourd’hui dans

leur système juridique.

cc)) LLaa ppllaaccee iimmppoorrttaannttee aaccccoorrddééee àà llaa pprroopprriiééttéé iinntteelllleeccttuueellllee eett àà llaa pprrootteeccttiioonn ddeess

ddoonnnnééeess ddaannss llaa ccuullttuurree aalllleemmaannddee

L’Allemagne est un pays qui accorde énormément d’importance au régime juridique

de la propriété intellectuelle et à la protection des données. Pour illustrer ce propos, prenons

l’exemple de la Gesellschaft für musikalische Aufführungs – und mechanische

Vervielfältigungrechte (GEMA), équivalent allemand de la Société des Auteurs,

Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM). La particularité de la GEMA est qu’elle a

décidé de mener une guerre ouverte contre le géant Google et son site de partage vidéo

Youtube au motif que celui-ci diffuse des vidéos musicales d’artistes dont les droits sont

protégés. La GEMA exige de Youtube que les droits de ces artistes soient rémunérés au

visionnage par vidéo au lieu d’un forfait comme c’est le cas dans la majorité des autres pays

77 Sanger David E., Smale Alison, « U.S.-Germany Intelligence Partnership Falters Over Spying », The New York Times, 16/12/13, http://www.nytimes.com/2013/12/17/world/europe/us-germany-intelligence-partnership-falters-over-spying.html?pagewanted=all&_r=2&, consulté le 02/12/14. 78 Bundespräsident, « ZDF-Sommerinterview 2013 », ZDF, http://www.bundespraesident.de/SharedDocs/Reden/DE/Joachim-Gauck/Interviews/2013/130630-ZDF.html, consulté le 02/12/14.

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européens79. La conséquence de cette prise de position est l’impossibilité de visionner depuis

l’Allemagne bon nombre de vidéos musicales faute d’accord sur les droits d’auteur. L’écran

suivant s’affiche alors :

« Cette vidéo n’est pas disponible en Allemagne parce qu’il est possible qu’elle contienne de la

musique pour laquelle les droits requis par la GEMA n’ont pas été accordés. Veuillez nous excuser » (traduction : Alexis Daloze)

Cette conception de la propriété intellectuelle a aussi une répercussion importante en

matière de téléchargement illégal. Alors qu’en France la loi Hadopi a surtout fait parler d’elle

pour son inefficacité, le gouvernement allemand a pris des mesures drastiques pour lutter

contre ce délit. En effet, le partage d’œuvres artistiques sur Internet est répréhensible d’une

amende de 1000€ en moyenne sans qu’aucun courrier d’avertissement ne soit envoyé à

l’internaute80. Cette amende peut s’élever à 10 000€ si l’œuvre a été partagée depuis une

connexion tierce (c'est-à-dire une autre connexion que celle de l’internaute qui partage

l’œuvre). A titre de comparaison, la loi Hadopi prévoit 3 courriers de mise en garde et une

amende de 150€ si les avertissements n’ont pas été pris en compte. Pour donner un autre

exemple concret, le site de téléchargement très populaire en France « zone-

telechargement.com » est inaccessible en Allemagne car le pays n’autorise pas l’accès au

contenu de ce site.

79 Breton Johann, « Youtube condamné à ne plus incriminer la GEMA », Les numériques, 27/02/14, http://www.lesnumeriques.com/youtube-condamne-a-ne-plus-incriminer-gema-n33406.html, consulté le 25/10/14. 80Meillassoux Marc, « Téléchargement illégal en Allemagne : tolérance zéro et amendes salées », La Tribune, 22/11/12, http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/20121120trib000732126/telechargement-illegal-en-allemagne-tolerance-zero-et-amendes-salees.html, consulté le 25/10/14.

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Capture d’écran du site « zone-téléchargement » lorsque l’on s’y connecte depuis l’Allemagne.

De plus, le partage et le téléchargement illégal étant extrêmement contrôlés, la loi

allemande prévoit également l’obligation pour les particuliers de protéger leur WiFi, chaque

possesseur de ligne est donc entièrement responsable des connexions établies81. Autrement

dit, si un individu profite du fait que le réseau d’un particulier ne soit pas protégé pour

télécharger des contenus illégaux, c’est le propriétaire de la ligne qui est responsable au motif

que celui-ci n’avait pas pris les mesures de sécurité adéquates.

Ainsi, ce principe restrictif appliqué par l’Allemagne en matière de propriété

intellectuelle est révélateur d’une forte volonté du système juridique allemand de limiter à tout

prix la diffusion illégale de contenu intellectuel, et donc a fortiori de données personnelles à

travers le cyberespace. A titre informatif, le droit de la propriété individuelle est enseigné

dans les facultés de droit allemandes au stade de la Licence alors qu’il est une spécialité de

Master en France.

Parallèlement, la société allemande ne prend pas à la légère la question de la

protection des données. Un concept est d’ailleurs né d’une jurisprudence de la Cour

Constitutionnelle allemande en 1970 pour qualifier le rapport inaliénable entre un citoyen et

ses données personnelles, celui d’ « autodétermination informationnelle » (Informationnelle

selbstbestimmung) 82. Ce concept qui n’existe qu’en Allemagne consiste à garantir la capacité

81 Dezalay Théo, « PirateBox, à l’abordage de nouveaux internets », Humanoïde, octobre-décembre 2014. 82 Foegle Jean-Philippe, « Le Conseil d’Etat, héraut de la révolution numérique ? », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, décembre 2014.

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de l’individu à décider de la communication et de l’utilisation de ses données personnelles.

Depuis, la BVerfG n’a cessé d’affirmer sa position sur la protection des données des citoyens,

allant même jusqu’à la renforcer. En 1987, la BVerfG a donné raison à un groupe de citoyens

allemands ayant refusé de répondre à une partie du questionnaire de recensement en estimant

que certaines informations étaient personnelles et ne concernaient pas l’Etat83. En 2006, elle a

reconnu que la pratique de profilage des données par rapport à des critères établis par la police

allemande constituait une violation de la Constitution.

Les décisions de la BVerfG démontrent que les Allemands se sentent extrêmement

impliqués dans la question de la protection de leurs données personnelles. Cela est également

vrai concernant leurs données personnelles dans le cyberespace, et a fortiori lorsque celles-ci

font l’objet d’un commerce à travers les réseaux sociaux. Le réseau social Facebook par

exemple a été le premier à introduire un bouton « j’aime » permettant aux internautes de faire

savoir leurs goûts littéraires ou leurs préférences cinématographiques84. De nombreux sites ou

blogs mettent en avant ce bouton pour que les utilisateurs interagissent au cours de leur

navigation. Or, Facebook a installé un cookie85 sur ce bouton qui permet de suivre à la trace la

navigation de l’internaute en enregistrant l’intégralité de son comportement (clics, pages

visitées, vidéos regardées…) et ce même si ce dernier ne clique pas sur le bouton « j’aime », il

suffit que le bouton soit présent sur la page pour que le cookie s’active86. Parce qu’il a estimé

que cette collecte de données était illégale, le Land de Schleswig-Holstein a purement et

simplement décidé d’interdire en 2011 la présence de ce bouton à tous les sites édités sur son

territoire sous peine d’une amende de 50 000 euros87. Il convient toutefois de relativiser cette

mesure probablement unique dans le monde.

BB)) EEffffeettss :: lleess mmeessuurreess mmiisseess eenn œœuuvvrree ppaarr lleess aacctteeuurrss ppoouurr

rrééppoonnddrree aauuxx rréévvééllaattiioonnss

Au-delà des mots qui ont, nous l’avons vu, une portée surtout symbolique, la

conséquence majeure de l’Affaire Snowden en Allemagne est la perte de confiance politique

83 Le Rutte Mathijs, « Sécurité et traitement des données personnelles », Cultures & Conflits, 76 | hiver 2009. 84 Google a également utilisé cette option à travers le bouton « +1 » 85 Un cookie est l'équivalent d'un petit fichier texte stocké sur le terminal de l'internaute. Ils permettent aux développeurs de sites internet de conserver des données utilisateur afin de faciliter leur navigation et de permettre certaines fonctionnalités mais contiennent également des informations personnelles résiduelles pouvant potentiellement être exploitées par des tiers. 86 Leroy Franck, « Réseaux sociaux & Cie, le commerce des données personnelles », ed. Actes Sud, 2013. 87 Gifford Jonathan, « 'Preference aggregation algorithms' know exactly what you like », Deutsche Welle, 22/08/11, http://www.dw.de/preference-aggregation-algorithms-know-exactly-what-you-like/a-15334375, consulté le 10/12/14.

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et industrielle des allemands à tous les niveaux de la société. Dans ce chapitre, nous verrons

comment le gouvernement allemand tente de restaurer la confiance diplomatique avec les

Etats-Unis tout en cherchant en parallèle à développer des alternatives régionales. Nous

verrons également que le scandale de la NSA a eu des répercussions sur la politique nationale

de l’Allemagne avec pour exemple l’ouverture d’une enquête parlementaire sur la

surveillance de la NSA dont le but principal est de retrouver la confiance des citoyens envers

les services de renseignement allemands qui n’ont pas su empêcher ces écoutes et qui y ont

même participé. Des citoyens qui ont aussi perdu confiance dans les entreprises du net

américain et s’organisent afin de renforcer la protection de leurs données ou bien se tournent

vers des concurrents européens. Enfin, et par effet de ricochet, la perte de confiance des

Allemands du fait de la surveillance de la NSA a surtout porté préjudice aux entreprises

américaines qui tentent par tous les moyens de regagner la confiance de leurs utilisateurs

allemands.

11)) MMeessuurreess ddiipplloommaattiiqquueess eennttrreepprriisseess ppaarr llee ggoouuvveerrnneemmeenntt aalllleemmaanndd

aa)) AA ll’’éécchheellllee iinntteerrnnaattiioonnaallee

En réponse à la surveillance de masse orchestrée par le gouvernement américain, la

délégation permanente à l’Organisation des Nations Unies (ONU) de l’Allemagne s’est

rapprochée d’un autre pays directement visé par l’espionnage de la NSA : le Brésil. En effet,

la présidente du Brésil Dilma Rousseff fait partie des dirigeants qui ont été mis sur écoute par

l’agence de renseignement américaine88. Lors de la soixante-huitième assemblée générale des

Nations Unies les deux pays ont soumis le 1er septembre 2013 un projet de résolution intitulé

« Le droit à la vie privée à l’ère du numérique »89. Bien que le nom de la NSA ou celui

d’Edward Snowden ne soient directement cités dans cette résolution, il est difficile de ne pas

faire le lien entre les révélations de l’ancien sous traitant de l’agence de renseignement

américaine et ce projet de résolution soumis par deux pays ciblés. Dans le quatrième

considérant du préambule notamment, l’Allemagne et le Brésil rappellent que les technologies

de l’information modernes « permettent aux pouvoirs publics […] de surveiller, d’intercepter

et de collecter plus facilement des données, ce qui peut constituer une violation des doits de

88 Greenwald Glenn, « Nulle part où se cacher », ed. JC Lattès, 2014. 89 Projet de résolution de la troisième commission de l’Assemblée Générale des Nations Unies, soixante-huitième session, « Le droit à la vie privée à l’ère du numérique », 1er Novembre 2013, http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/C.3/68/L.45&referer=/english/&Lang=F, disponible en annexe.

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l’Homme, notamment du droit à la vie privée »90. Le projet de résolution invite donc les Etats

à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin aux violations du droit à la vie privée et de

prévenir toutes nouvelles activités de ce type en obligeant les pays à respecter leurs

obligations dans le cadre des lois internationales sur les droits de l'homme. Mais surtout, le

texte appelle les Etats à « revoir leurs procédures, leurs pratiques et leur législation relatives

à la surveillance et à l’interception des communications, et à la collecte de données

personnelles, notamment à grande échelle, afin de défendre le droit à la vie privée »91. A

travers cette clause opératoire, le projet de résolution vise implicitement les Etats-Unis qui ont

justifié tout leur arsenal de programmes de surveillance sous couvert du terrorisme. Sans

surprise, l’ancien ministre allemand des affaires étrangères, Guido Westerwelle, n’a pas

manqué l’occasion d’évoquer ce projet de résolution lors de sa prise de parole à l’Assemblée

Générale de l’ONU le 28 septembre 2013. Il y fait notamment mention de la nécessité d’un

internet neutre dans lequel la liberté, la sécurité et la protection de la vie privée doivent être

garantis et respectés : « Chaque personne qui utilise Internet doit être sûr que ses droits sont

protégés vis-à-vis des Etats et des entreprises »92. Cette prise de position a par ailleurs été

réaffirmée l’année suivante par son successeur Frank-Walter Steinmeier le 27 septembre 2014

qui a rappelé lors de son allocution devant l’Assemblée Générale que « l’Internet devrait être

un espace libre, ouvert et sûr »93.

La diplomatie allemande semble avoir atteint son but puisque la résolution a

finalement été adoptée par consensus par l’Assemblée Générale le 25 novembre 2014. Celle-

ci encourage les Etats à respecter le droit à la vie privée « dans le contexte de la vie

numérique » en demandant aux Etats de revoir leurs pratiques et leur législation en matière de

surveillance, d’interception des communications et de collecte de données personnelles94. Ce

texte constitue un message fort adressé aux Etats-Unis dont l’Allemagne peut se targuer d’être

l’instigateur. Toutefois, d’un point vue pratique, il est peu probable que les Etats-Unis

tiennent compte des dispositions de l’ONU. Nonobstant le caractère non obligatoire des

résolutions de l’Assemblée Générale, il apparait clairement que la vie privé dans le

90 Ibid. 91 Ibid. 92 Westerwelle Guido, « Germany, General Debate, 68th Session », UN Web TV, http://webtv.un.org/meetings-events/general-assembly/general-debate/68th-session/watch/germany-general-debate-68th-session/2702515871001, moment cité : 13m05s. 93 Steinmeier, Franck-Walter, « Allemagne - Débat 2014 de l'Assemblée générale de l'ONU », Youtube, https://www.youtube.com/watch?v=PXnQWFeFQMA&feature=youtu.be, moment cité : 11m25s. 94 Soixante neuvième session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, 8 décembre 2014, http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/69/488/Add.2&Lang=F, consulté le 13/02/15.

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cyberespace est un des enjeux majeurs que défend la diplomatie allemande sur le plan

international.

bb)) AA ll’’éécchheellllee eeuurrooppééeennnnee

En parallèle de la prise de position du gouvernement allemand dans la communauté

internationale en matière de vie privée dans le cyberespace, la chancelière allemande s’est

illustrée sur la scène européenne en faisant une proposition innovante lors du 19e congrès des

ministres franco-allemands mi-février 2014. En effet, elle a suggéré de créer un réseau de

communication à l’intérieur même de l’Europe afin de conserver un niveau élevé de

protection des données95. Cette proposition a beaucoup fait parler d’elle sous le nom d’un

« réseau Schengen de la donnée ». Cette initiative a le double mérite de mettre le sujet sur la

table au plus haut niveau politique et de constituer un chantier technologique ambitieux, pour

l’Allemagne dans un premier temps, et pour le clan européen ensuite. D’ailleurs, plusieurs

sources rencontrées sur le terrain s’accordent pour dire que l’idée ne vient pas directement

d’Angela Merkel mais plutôt de Deutsche Telekom, premier réseau de télécommunications

européen, qui voit dans ce « réseau Schengen » une opportunité de signer de gros contrats et

d’étendre son réseau.

Si la création d’un « réseau Schengen » est techniquement possible, il reste un

problème politique à résoudre. Avant d’aboutir à un réseau européen, l’Allemagne devra

probablement commencer par établir des coopérations bilatérales dans laquelle le couple

franco-allemand pourrait être un moteur. Lors de ce sommet, Angela Merkel a d’ailleurs

précisé que l’Allemagne allait « discuter avec la France de la manière dont conserver un

degré élevé de protection des données »96.

Un institut de recherche binational en pointe sur les questions de nouvelles

technologies de défense et de sécurité existe déjà entre les deux pays et constituerait un cadre

adéquat pour mettre en marche cette coopération. En effet, l’Institut Saint Louis, exploité en

commun par la France et l’Allemagne, a pour mission de développer des projets dans des

domaines aussi techniques que l’étude des sources laser et leurs applications, la détonique, la

balistique, l’optronique ou encore la sensorique97. On peut tout à fait imaginer que cet institut

à la pointe de la technologie puisse jouer un rôle prépondérant dans les balbutiements d’un

95 Arpagian Nicholas, « L’Europe après la vague Snowden » in Huyghe François-Bernard (sous la direction de), « Cyberespace, le temps de l’après Snowden », Observatoire Géostratégique de l’Information, IRIS, Mars 2014. 96 Lemaitre Frédéric, « Angela Merkel veut convaincre la France de mettre en place un Internet européen », Le Monde Economie, 17/02/14, http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/02/17/angela-merkel-veut-convaincre-la-france-de-mettre-en-place-un-internet-europeen_4367933_3234.html, consulté le 15/12/14. 97 Institut Franco-allemand de recherches de Saint-Louis, « Scientific activities », http://www.isl.eu/index.php/recherche.

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réseau internet transfrontalier à travers un partage de souveraineté. De plus, la nature

transfrontalier du cyberespace est appropriée à une coopération des souveraineté pour gérer

des espaces communs98.

Néanmoins, beaucoup de critiques émergent quant à la création d’un réseau internet

binational et a fortiori européen, notamment pour ces questions de souveraineté. Jusqu’à

présent, chaque Etat est souverain dans son cyberespace. Or, le partage des connaissances

cyber d’un Etat est perçu avant tout comme un abandon de souveraineté, étant donné le

caractère sensible de la technologie et des forces et vulnérabilités qu’elle pourrait révéler99.

Ainsi, en pratique, il est peu probable que l’Europe, même sous l’impulsion d’un pays aussi

important que l’Allemagne, aboutisse à un réseau commun car aucun pays ne sera prêt à

sacrifier une part de sa souveraineté au profit d’autres100.

De plus, si un réseau européen devait être créé, cela impliquerait la présence du

Royaume-Uni – pays membre de l’UE – alors que le gouvernement britannique est l’allié

historique de l’administration américaine et pays membre des Five Eyes. La présence du

Royaume-Uni dans l’Union européenne risque de compromettre fortement les chances de voir

aboutir un projet de réseau européen. Il est en revanche beaucoup plus probable que chaque

Etat prenne des mesures au niveau national pour augmenter leur propre protection.

Bien qu’idéalistes, les efforts entrepris par l’Allemagne sur le plan multilatéral afin de

bâtir une nouvelle infrastructure internet et relâcher l’emprise américaine sur le World Wide

Web témoignent d’une Weltanschauung dans laquelle la sécurité des données est primordiale.

En outre, l’engagement personnel d’Angela Merkel dans un dossier sur lequel les politiques

ne sont en général pas les plus habiles relève d’un courage et d’une expertise politiques

certains. Toutefois, la force non obligatoire des résolutions de l’Assemblée Générale de

l’ONU et les enjeux européens liés à la souveraineté, viennent rappeler les limites de la

Realpolitik et mettent ainsi un frein à d’éventuelles solutions internationales. Malgré cela,

l’Affaire Snowden semble jouer en faveur de l’Allemagne sur le plan bilatéral.

cc)) AAuu nniivveeaauu bbiillaattéérraall

Les conséquences diplomatiques aux échelles internationales et européennes sus

évoquées sont symptomatiques d’une tension qui s’est installée dans les relations Germano-

98 De la Chapelle Bertrand, « Souveraineté et juridiction dans le cyberespace », Hérodote, 2014/1 n° 152-153, p. 174-184. 99 Douzet Frédérick, « La géopolitique pour comprendre le cyberespace », Hérodote, 2014/1 n° 152-153, p. 3-21. 100 Kempf Olivier, « Conséquences stratégiques », in Huyghe François-Bernard (sous la direction de), « Cyberespace, le temps de l’après Snowden », Observatoire Géostratégique de l’Information, IRIS, Mars 2014.

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américaines. Néanmoins, ce rapport de force semble jouer davantage en faveur de Berlin que

de Washington. Jacob Schrot est président de la Young Transatlantic Initiative et de la

Federation of German-American Clubs, deux associations qui servent surtout de plateformes

de réseaux pour mettre en relation étudiants et entreprises allemandes avec leurs homologues

américains. J’ai contacté ce spécialiste des relations transatlantiques (et atlantiste dans l’âme)

afin de savoir quel était le point névralgique des tensions Germano-américaines nées du

scandale de la NSA. Selon lui, les révélations d’Edward Snowden ont surtout influé sur les

négociations du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (ou TTIP pour

Transatlantic Trade and Investment Partnership). Il ajoute qu’Angela Merkel soutenait ce

partenariat depuis longtemps, avant même de devenir chancelière d’Allemagne, et a continué

d’en faire un cheval de bataille une fois arrivée au pouvoir. Jacob Schrot affirme être en

étroite relation avec des membres des ambassades américaine et allemande de part et d’autre

de l’Atlantique. Ces derniers lui auraient confié que Barack Obama avait ces dernières années

délaissé le TTIP au profit de l’Accord de partenariat transpacifique (APT) dont il souhaitait

faire sa priorité. Ces rumeurs corroborent la stratégie de pivot que semble exercer Obama vers

l’Asie, cela a particulièrement été observé lors du dernier sommet Asie-Pacifique en

novembre 2014. Or, le scandale de la NSA a mis Angela Merkel en position de force vis-à-vis

des Etats-Unis et les sources de Monsieur Schrot affirment que lors de sa visite officielle en

février 2015, la chancelière allemande aurait fait pression et « vivement insisté » pour que

Barack Obama se recentre sur le TTIP plutôt que sur l’APT.

Néanmoins, il convient de nuancer cette apparente position de force qu’exerce la

chancellerie allemande sur l’administration américaine, car hormis le fait qu’elles lui

permettent de presser Washington sur les négociations du TTIP, les révélations de Snowden

n’ont pas laissé de marques indélébiles dans les relations transatlantiques. L’interdépendance

entre les deux Etats est bien trop importante pour qu’Angela Merkel prenne le risque de se

mettre à dos l’un de ses principaux alliés, puissance hégémonique de surcroit. De plus, les

tensions en Ukraine face à la Russie et le problème du terrorisme soulevé par l’Etat Islamique

sont des facteurs qui impliquent une coopération des plus stables entre les deux pays. Le

scandale de la NSA n’a donc plus d’influence dans la politique extérieure de l’Allemagne.

En revanche, les stigmates de l’Affaire Snowden demeurent encore bien visibles

aujourd’hui dans le paysage politique allemand où de nombreux changements sont apparus.

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22)) LLeess bboouulleevveerrsseemmeennttss ddee llaa sspphhèèrree ppoolliittiiqquuee aalllleemmaannddee

aa)) OOuuvveerrttuurree dd’’uunnee ccoommmmiissssiioonn dd’’eennqquuêêttee ppaarrlleemmeennttaaiirree

Nous l’avons évoqué en introduction et brièvement abordé au cours du premier

chapitre, mais l’une des conséquences majeures de l’Affaire Snowden a été l’ouverture le 18

mars 2014 d’une enquête parlementaire du Bundestag pour faire la lumière sur la surveillance

de masse effectuée par la NSA. Le 18 novembre 2013, les chefs parlementaires des groupes

Sozialedemokratische Partei Deutschlands (SPD), Die Linke (gauche radicale) et Die Grüne

(les Verts) avaient déjà reçu une pétition, sous l’impulsion de l’association Campact,

regroupant plus de 160 000 signataires soutenant Edward Snowden et réclamant l’ouverture

d’une enquête parlementaire sur les méthodes de la NSA et leur éventuelle coopération avec

le BND101. Il est donc certain que la mobilisation citoyenne est un facteur majeur de

l’ouverture de cette enquête. Néanmoins, les personnes rencontrées lors de l’enquête sur le

terrain s’accordent à l’unanimité pour dire qu’elle n’a pas été déterminante. Selon Sandro

Gaycken, expert reconnu en cybersécurité et cyberstratégie ayant lui-même été auditionné par

la commission d’enquête pour éclairer les membres de la commission sur des considérations

techniques, les parlementaires ont d’eux-mêmes ouvert cette commission en réponse à

l’inaction du gouvernement à prendre des initiatives concrètes contre la surveillance de la

NSA.

Du scandale de la NSU à celui de la NSA

C’est la deuxième fois en trois ans que les services de renseignement allemands connaissent une crise de confiance de la part des citoyens. De 2000 à 2011, un groupe terroriste d’extrême droite, le Nationalsozialistischer Untergrund (NSU) a assassiné neuf immigrés grecs et turcs dans différents Länder d’Allemagne sans que les services secrets ne parviennent à recouper leurs informations et établir un lien entre les assassinats. Le « scandale de la NSU » a entrainé de nombreuses manifestations dans tout le pays et cette bavure a été vivement reprochée aux services secrets qui n’ont pas réussi à éviter les meurtres. Arne Schönbohm parle de sentiment de « trahison ». Le « scandale de la NSA » a créé une nouvelle perte de confiance des citoyens allemands dans les services secrets qui n’ont pas seulement failli à protéger les citoyens allemands des écoutes américaines, mais qui ont également participé activement aux programmes de la NSA (voir photo page suivante).

101 Sawatzki Annette, « Welcome to Germany, Edward Snowden! », Campact.de, 19/11/13, http://blog.campact.de/2013/11/welcome-to-germany-edward-snowden/, consulté le 12/12/14.

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« L’affaire NSA »

« Le BND ………………………… …………………. ne savait pas et ……………………..…………. …………………… la chancellerie …………. non …………………. plus ……………………….……. » ______________________________________

« Ce que nous avons appris de la procédure NSU »

« ………….. S’il y a eu des fautes ………………………….……….. ……… des services secrets ….…. ce n’était que ..………………….. ………………. des toutes petites» (Graphique humoristique extrait du Zeit Weekend Zeitung, 03/05/15 ; photo : Thimo Exner).

Ainsi, conformément à l’article 44 de la Grundgesetz, « le Bundestag a le droit et, à la

demande d'un quart de ses membres, l'obligation de constituer une commission d'enquête

chargée de recueillir les preuves nécessaires en audience publique »102. Une enquête

parlementaire est l’outil le plus extrême du parlement allemand pour décortiquer les actions

du gouvernement. La commission d’enquête peut elle-même statuer en recevant directement

les preuves, comme par exemple en auditionnant les témoins ou en exigeant et en inspectant

les dossiers en cause. Elle peut également demander une enquête plus large dirigée par les

juges et les autorités administratives. Les résultats de l’enquête sont compilés dans un rapport

qui est présenté en session plénière du Bundestag et en public. Dans l’histoire de l’Allemagne

Fédérale, la plupart des commissions d’enquêtes ont examiné jusqu’à présent les fautes du

gouvernement, la mauvaise administration ou les éventuelles mauvaises conduites des

politiques103. C’est seulement la première fois qu’une commission d’enquête se penche sur

une affaire impliquant des acteurs extérieurs à l’Allemagne.

Selon ses propres termes, l’enjeu principal de cette commission est de préciser si, pour

la période à partir de 2001, les services de renseignement des Five Eyes ont collecté des

102 Bundesregierung, « Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne », 23 mai 1949, http://www.bundesregierung.de/Content/FR/_Anlagen/loi-fondamentale.pdf?__blob=publicationFile. 103 Segler Tim, « NSA Activities in Germany, Current Matters and Future Questions On the Work of the NSA Investigation Committee of the German Bundestag », Initiative Junger Transatlantiker, 18/07/14.

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données sur les activités de communication, de leur contenu ou autres actions de traitement de

données et, dans le cas de l’affirmative, de quelle manière et à quelle échelle104. Elle vise

également à déterminer si ces données ont été recueillies et utilisées par des entreprises

publiques ou des tiers privés, et dans quelle mesure les organismes fédéraux américains (en

particulier le gouvernement fédéral et la NSA) ont participé à cette collecte105. Dans un souci

d’équité et de transparence, la commission cherche également à savoir si les organismes

fédéraux allemands tels que le gouvernement fédéral, le BND et le BfV, ont aidé à la fuite de

ces données106.

La commission est formée d’une coalition de huit membres dont quatre sont issus de la

coalition Christliche Demokratische Union (CDU) / Christliche Soziale Union (CSU)107 et

SPD mis en place par Mme Merkel en novembre 2013, et quatre autres issus de l’opposition

Die Grüne et Die Linke. La commission était initialement présidée par le député CDU

Clemens Binninger, mais celui-ci a démissionné de son poste de président de la commission

le 9 avril 2014, soit seulement six jours après sa nomination. Il justifiait alors sa décision par

l’absence de consensus au sein de la commission. Dans sa lettre de démission, M. Binninger

critique le fait que les membres de l’opposition (Die Linke et Die Grüne) soient

exclusivement intéressés par l’audition d’Edward Snowden à Berlin et rien d’autre, semant la

discorde au sein de la commission108. Binninger va même jusqu’à affirmer qu’il serait inutile

d’auditionner Edward Snowden du fait que tout a déjà été révélé par la presse109. En signe de

protestation, Clemens Binninger a donc décidé de quitter la commission et a été remplacé par

un autre député de la CDU Patrick Sensburg. Néanmoins, le 24 janvier 2015, Patrick

Sensburg à lui aussi été prié par son propre parti de démissionner de son poste de président de

la commission pour une affaire de violences conjugales110. Malgré la pression de son camp,

Patrick Sensburg continue aujourd’hui de diriger la commission.

Il n’est pas de notre ressort de dire si effectivement il fallait ou non auditionner

Edward Snowden. Le principal intéressé était pourtant enthousiaste à venir témoigner en

104 Deutscher Bundestage, « Motion instaurant une enquête parlementaire », 18 mars 2014, https://www.bundestag.de/blob/284528/a89d6006f28900c4f46e56f5e0807ddf/einsetzungsantrag_englisch-docx-data.pdf, disponible en annexe. 105 Ibid 106 Ibid 107 La CDU et la CSU sont deux partis politiques allemands de centre-droit conservateurs. Alors que la CSU est exclusif à la Bavière, la CDU opère dans le reste de l’Allemagne. La coalition des deux partis au niveau fédéral est appelé CDU/CSU. 108 Pastebin.com, Lettre de résignation de Clemens Binninger, 9 avril 2014, http://pastebin.com/print.php?i=22zyQnXF, disponible en annexe page XXX. 109 Ibid 110 Bild, « Sensburg tritt als CDU-Kreisvorsitzender zurück », 24/01/15, http://www.bild.de/politik/inland/dr-patrick-sensburg/tritt-nach-pruegelvorwurf-als-cdu-kreis-vorsitzender-zurueck-39482898.bild.html, consulté le 13/02/15.

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Allemagne lorsque le député Die Grüne Hans Christian Ströbele l’a rencontré à titre personnel

à Moscou en novembre 2013111. En revanche, il faut essayer de comprendre pourquoi

Clemens Binninger a refusé d’auditionner le témoin principal de cette affaire. La première

réponse nous renvoie au droit international. Dans le cas où Snowden aurait été entendu

comme témoin, il aurait fallu qu’il se rende à Berlin pour témoigner. Cependant, à cause des

accords bilatéraux d’extradition existant entre l’Allemagne et les Etats-Unis, les autorités

allemandes auraient été obligées de remettre M. Snowden aux autorités américaines. En effet,

Edward Snowden est poursuivi aux Etats-Unis pour des actes criminels qui existent aussi en

droit pénal allemand, en l’espèce la violation de la sécurité de l’Etat dans le cadre de la loi du

1er janvier 2002 sur la lutte contre le terrorisme112.

Néanmoins, cet argument perd de sa portée compte tenu de la possibilité d’effectuer

une audition en visioconférence depuis Moscou. Dans un entretien accordé au Spiegel le 13

mai 2014, Patrick Sensburg était allé en ce sens en soufflant la possibilité à Edward Snowden

de se rendre à l’ambassade de Suisse de Moscou qui dispose d’excellentes technologies de

sécurité afin de pouvoir témoigner sans crainte d’être écouté par les autorités russes et ainsi

parler en toute liberté113.

Une autre explication potentielle du refus de Clemens Binninger à vouloir auditionner

Edward Snowden est la possibilité que M. Binninger ait subi des pressions de la NSA qui

aurait tout fait pour empêcher M. Snowden de témoigner devant le Bundestag. C’est en tout

cas ce que soupçonne Hans Christian Ströbele114. Mais cette hypothèse doit être écartée car

aussi vastes que sont les ramifications de la NSA, il est peu probable qu’elle remette en cause

l’indépendance des parlementaires allemands. Sandro Gaycken a validé cette théorie.

En revanche, il existe une autre possibilité tout à fait plus cohérente qui explique les

réticences des membres de la coalition à vouloir auditionner Edward Snowden. Quelques

notions basiques de droit constitutionnel allemand sont nécessaires pour bien comprendre la

portée et l’enjeu politique qui se cache derrière cette raison.

Le chancelier allemand étant élu par le Bundestag, Angela Merkel devait disposer

d’une majorité pour pouvoir être réélue chef du gouvernement. Malgré les bons scores de son

111 Der Spiegel, « NSA Whistleblower: Snowden Open to Testifying in Germany », 01/11/13, http://www.spiegel.de/international/germany/snowden-tells-german-lawmaker-he-is-willing-to-testify-in-nsa-scandal-a-931237.html, consulté le 12/12/14. 112 Studzinsky Silke, « Jusqu’où ira l’antiterrorisme en Allemagne ? », in Didier Bigo et al., Au nom du 11 septembre…, ed. La Découverte « Cahiers libres », 2008, p. 246-259. 113 Gude Hubert, Schindler Jörg, « NSA Probe: Can Snowden Be Questioned in Germany? », Der Spiegel, 13/05/14, http://www.spiegel.de/international/germany/head-of-parliamentary-nsa-investigation-mulls-questioning-of-snowden-a-969102.html, consulté le 12/12/14. 114 Deutsche Welle, « Berlin's NSA inquiry loses chairman », 09/04/14, http://www.dw.de/berlins-nsa-inquiry-loses-chairman/a-17553113, consulté le 12/12/14.

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parti le CDU (et du CSU, son équivalent pour la Bavière) il ne lui manquait seulement 6

sièges pour disposer de cette majorité. Lors de ses deux derniers mandats, Angela Merkel

pouvait compter sur le soutien du Freie Demokratische Partei (FDP), le parti des libéraux

démocrates, pour pouvoir faire une coalition et être réélue. Or, lors des dernieres élections

fédérales de septembre 2013, le FDP n’a obtenu que 3.3% des suffrages, et était donc en

dessous des 5% nécessaires pour pouvoir être représenté au Bundestag. Angela Merkel a donc

du faire une coalition avec un autre parti pour pouvoir être réélue. Seul le SPD a accepté de

faire coalition avec elle en échange bien sûr certains postes clés du gouvernement. Angela

Merkel a donc été réélue chancelière d’Allemagne le 22 novembre 2013 à la tête d’une

coalition CDU/CSU/SPD. Cette coalition a également été surnommée la « Grosse Koalition ».

Parmi les membres du gouvernement, elle a choisi de nommer à la tête du Auswärtiges

Amt (le Ministère des Affaires Etrangères) le socialiste Frank-Walter Steinmeier. Or, avant

d’être chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier a occupé le poste de

directeur des services de renseignement de 1998 à 1999115 et ne pouvait en aucun cas ignorer

les partenariats avec la NSA.

La coalition formée par Angela Merkel se retrouve donc très fragilisée par cette

commission d’enquête parlementaire car si le gouvernement admet qu’il était au courant, c’est

toute l’opinion publique allemande qui se retournerait contre la chancelière. Parallèlement, si

le gouvernement nie toute implication du BND dans la surveillance de masse, cela

discréditerait totalement Frank-Walter Steinmeier qui ne pouvait pas ne pas savoir. La

diplomatie allemande verrait son image s’écorner et les résolutions qu’elle essaye de faire

passer à l’ONU auraient probablement moins de chances d’obtenir des sponsors ou signataires

(voir supra I, B, 1, a). Les membres de la coalition se retrouvent donc dans une impasse et

c’est sans surprise qu’ils ne souhaitent pas particulièrement entendre le témoignage d’Edward

Snowden. La pression ne vient donc pas de la NSA comme peut l’affirmer Mr Ströbele mais

de la chancelière allemande elle-même. Toutefois, de récentes révélations du vice chancelier

allemand Sigmar Gabriel ont montré que Barack Obama avait menacé Angela Merkel de

suspendre toute coopération anti-terroriste si elle accueillait Snowden sur son territoire116.

Concomitamment, très attaché à ce qu’Edward Snowden soit entendu à Berlin pour

d’une part lancer un message fort aux Etats-Unis et d’autre part mettre en difficulté la

coalition, M. Ströbele ainsi que l’opposition dont il fait partie ont formé un recours le 26

115 Bundesregierung, Frank Walter Steinmeier, CV, http://www.bundesregierung.de/Webs/Breg/EN/FederalGovernment/Cabinet/FrankWalterSteinmeier/_node.html 116 Greenwald Glenn, « US Threatened Germany Over Snowden, Vice Chancellor Says », The Intercept, 19/03/15, https://firstlook.org/theintercept/2015/03/19/us-threatened-germany-snowden-vice-chancellor-says/, consulté le 04/05/15.

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septembre 2014 devant la BVerfG afin que celle-ci se prononce sur la nécessité ou non

d’auditionner Edward Snowden à Berlin117. La Cour Constitutionnelle Fédérale a rendu sa

décision le 4 décembre 2014 en déclarant à l’unanimité irrecevable le recours formé par

l’opposition118. Cette décision vient donc fortement compromettre les chances de la

commission d’enquête parlementaire d’obtenir le témoignage de M. Snowden à Berlin. Sans

remettre en cause l’indépendance de la BVerfG, on imagine les conséquences catastrophiques

sur la coalition de Mme Merkel ainsi que sur les relations transatlantiques entre l’Allemagne

et les Etats-Unis si la Cour avait validé le recours de l’opposition.

Toujours est-il qu’à l’heure actuelle Edward Snowden n’a toujours pas été entendu par

la commission d’enquête parlementaire. N’ayant pas les connaissances STEM (Science,

Technology, Engineering and Maths) requises pour pouvoir vraiment débattre, les membres

de la commission doivent donc se contenter de faire appel à tout un panel d’experts, de hauts

fonctionnaires du renseignement ainsi qu’à la société civile afin de participer plus activement

au débat119.

Malheureusement, cette commission semble davantage être une impasse démocratique

qu’un rempart contre la surveillance de la NSA. En raison de la complexité de l’affaire, des

démissions successives, des conflits internes et des enjeux politiques, la commission se

retrouve prise à son propre piège et peine à trouver de véritables solutions. Elle veut d’une

part montrer au public allemand que le parlement remplit son devoir de contrôle tout en

essayant en parallèle de ne pas en montrer trop sur l’implication du gouvernement.

117 Der Spiegel, « Bundesverfassungsgericht: Opposition will Snowden-Befragung in Deutschland erzwingen », 24/09/14, http://www.spiegel.de/politik/deutschland/snowden-opposition-klagt-vor-bundesverfassungsgericht-auf-befragung-a-993537.html, consulté le 12/12/14. 118 Bundesverfassungsgericht, « Antrag im Organstreitverfahren zur Zeugenvernehmung von Edward Snowden in Berlin ist unzulässig », 12/12/14, https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/DE/2014/bvg14-114.html, consulté le 12/12/14. 119 Une liste des témoins disponible en annexe.

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Les acteurs de la commission d’enquête parlementaire du Bundestag sur la surveillance de la NSA

bb)) LLeess rrééffoorrmmeess iinntteerrnneess dduu MMiinniissttèèrree ddee ll’’IInnttéérriieeuurr

Les documents fuités par Edward Snowden ont permis de révéler au monde entier que

la NSA avait la capacité de mettre sur une écoute un chef de gouvernement aussi influent

qu’Angela Merkel. Cependant, elles ont également révélé à la chancelière allemande que ses

services secrets étaient incapables de la protéger d’un tel espionnage. L’arrestation de l’agent

Auteur : Alexis Daloze, Institut Français de Géopolitique, 2015

Bundestag

Edward Snowden

Opinion publique favorable

Ouvre

Demande asile

politique

Commission d’enquête sur la surveillance de la

NSA (8 membres dont 1 président)

Ne veulent pas interroger

en Allemagne

Clemens Binninger (démission au bout de 10 jours)

Patrick Sensburg (CDU)

Coalition (5 membres) :

Opposition (2 membres) :

Veulent interroger

en Allemagne

Favorable à

accueillir

Fait pression

Angela Merkel

Fait opposition

Fait pression

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double de la CIA en juillet 2014 est venue confirmer la vulnérabilité des institutions

allemandes à l’espionnage massif du gouvernement américain. De plus, un autre cas

d’espionnage par les services secrets américains a été rendu public le 9 juillet 2014 sans avoir

pu pour autant être officiellement confirmé. Il s’agirait d’un consultant travaillant au

Ministère de la Défense dans le département du « planning politique » qui serait suspecté de

collecter des informations pour le gouvernement américain concernant l’armement de

l’Allemagne120. Selon une source du Süddeutsche Zeitung, cette affaire aurait même une

dimension beaucoup plus élevée que celle de l’agent de la CIA découvert au BND121. En

outre, ces deux cas d’espionnage sont jusqu’à présent les seuls à avoir été détectés par les

autorités allemandes, mais rien n’exclut qu’il existe d’autres agents infiltrés, américains ou

d’une autre nationalité. Des ministères aussi importants en Allemagne que ceux de l’économie

ou du développement sont vraisemblablement des cibles tout aussi stratégiques pour les

services de renseignement étrangers.

L’une des conséquences directes de l’Affaire Snowden sur la politique intérieure

allemande a donc été, logiquement, le renforcement des effectifs du Ministère de l’Intérieur.

Conscient des enjeux de souveraineté et de sécurité liés à l’espionnage et à la surveillance des

acteurs étatiques étrangers, le ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière a indiqué que son

ministère procéderait ainsi au recrutement de nouveaux agents de contre-espionnage au BfV

pour mieux se protéger contre la surveillance des gouvernements étrangers122. En pratique,

cela va certainement se traduire par un budget plus important pour le Ministère de l’Intérieur

et la création de nouvelles infrastructures techniques plus performantes afin d’améliorer la

sécurité des infrastructures vitales nationales. Par ailleurs, un contrôle plus poussé lors du

recrutement de fonctionnaires ministériels est tout à fait envisageable afin de limiter les

risques d’agents infiltrés. Selon Marcel Dickow, chercheur au Siftung Wissenschaft Politik123

(SWP) où il dirige le département de sécurité internationale, la réorganisation interne des

services secrets allemands est l’une des conséquences majeure de l’Affaire Snowden, mais les

médias n’en parlent pas car ces décisions se prennent dans le secret. M. Dickow a par ailleurs

pu constater personnellement les nouvelles mesures prises par le gouvernement en termes de

120 Tagesschau, « Spion im Verteidigungsministerium? », 10/04/14, http://www.tagesschau.de/inland/nsa-spionageaffaere-razzia-104.html, consulté le 15/12/14. 121 Süddeutsche Zeitung, « Spionageaffäre weitet sich aus - Spitzel auch bei von der Leyen? », 09/07/14, http://www.sueddeutsche.de/news/politik/geheimdienste-spionageaffaere-weitet-sich-aus---spitzel-auch-bei-von-der-leyen-dpa.urn-newsml-dpa-com-20090101-140708-99-00686, consulté le 15/12/14. 122 N-TV, « Wichtige Ministerien abgeschottetBerlin verstärkt die Spionageabwehr », 19/07/14, http://www.n-tv.de/politik/Berlin-verstaerkt-die-Spionageabwehr-article13243266.html, consulté le 15/12/14. 123 Le SWP est le deuxième plus gros think tank européen qui traite des questions de politique internationale avec environ 130 chercheurs dont 55 ont le statut de chercheurs permanents.

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sécurité. Certains membres du gouvernement allemand ayant perdu totalement confiance

envers les services secrets ont radicalement modifié leurs habitudes et se montrent dorénavant

très prudents, refusant parfois de parler de certains sujets au téléphone, préférant des

entretiens face à face.

Cette facette des conséquences de l’Affaire Snowden est méconnue et surtout

difficilement quantifiable compte-tenu des enjeux qui pèsent sur la priorité du gouvernement

à garder le secret de ses mouvements.

cc)) LLeess pprreemmiieerrss ssiiggnneess dd’’uunn rreennffoorrcceemmeenntt dduu PPaarrttii PPiirraattee

La protection des données en tant que liberté individuelle est également présente dans

le paysage politique allemand notamment grâce à un parti qui en a fait son cheval de bataille.

Fondé le 10 septembre 2006 en tant que plate-forme politique de la communauté Internet, le

Piratenpartei Deutschland (Parti Pirate allemand) s’inspire de son homologue suédois, le

Piratepartiet, qui avait lancé l’initiative 9 mois plus tôt le 1er janvier 2006. Le parti milite

principalement en faveur des libertés individuelles, de la transparence politique et surtout pour

la sauvegarde la sphère privée. Le parti est né de jeunes passionnés en informatique qui se

sont unis afin de protéger la liberté d’expression et lutter contre toute forme de censure. Le

cyberespace est donc au cœur du fonctionnement du parti et ses partisans plaident pour un

style novateur dans lequel la réflexion et la prise de décision doit se faire collectivement via

Internet. En outre, le parti revendique ouvertement œuvrer pour une « cyberdémocratie », ce

qui fait de lui le premier parti à placer le cyberespace au cœur de son idéologie.

Bien que le Parti Pirate allemand ne soit que le 2ème créé après la Suède, il est celui qui

a remporté le plus de succès. Lors du scrutin régional de Berlin organisé le 18 septembre 2011

(soit seulement 5 ans après sa création) le parti pirate a obtenu le score inattendu de 8.9%. Il a

également obtenu de bons scores l’année suivante lors des élections régionales de Schleswig-

Holstein (8.2%), Rhénanie-Du-Nord-Westphalie (7.8%) et de Sarre (7.4%)124. Ces quatre

Länders sont donc les seuls d’Allemagne à compter des représentants pirates au sein de leur

parlement régional. En revanche, et malgré une timide augmentation de 0.2 points par rapport

aux élections fédérales de 2009, le parti a essuyé un échec aux dernières élections fédérales du

22 septembre 2013 avec un score décevant de 2.2%.

Toutefois, fort des succès allemands, le Parti Pirate gagne énormément d’influence à

l’échelle européenne avec notamment la création d’un Parti Pirate Européen qui a été

124 Chiffres officiels du Piratenpartei, Landtagspiraten, http://www.landtagspiraten.de/, consulté le 02/11/2014.

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officiellement fondé le 21 mars 2014 à Bruxelles125. Mais la victoire la plus significative du

Parti Pirate est probablement l’élection de l’allemande Julia Reda aux dernières élections

européennes du 25 mai 2014 en tant que première (et seule) eurodéputé pirate. Julia Reda a

construit son programme autour de la transparence d’Internet et mène actuellement un combat

au Parlement européen contre les géants du Net américains (plus particulièrement Google)

dans le cadre du débat sur le marché unique numérique126.

Il ne faut cependant pas considérer l’élection de Julia Reda comme l’avènement du

Parti Pirate en Allemagne. Il faut nuancer cette victoire en soulignant le fait que l’électorat

des élections européennes n’est pas le même que celui des élections fédérales. En témoigne le

faible taux de participation lors des dernières élections européennes : seuls 42,4% des

allemands se sont déplacés pour voter127. Il faudrait attendre les prochaines élections

régionales allemandes pour voir se confirmer ou non le succès du Parti Pirate en Allemagne.

Enfin, signe du destin ou simple coïncidence, Julia Reda a été élue dans la

circonscription de Darmstadt (près de Francfort) qui a également la particularité d’abriter le

Dagger Complex, une base militaire américaine gérée par le United States Army Intelligence

and Security Command (INSCOM) et employant deux cent quarante employés de la NSA128.

Or, c’est de cette base qu’une partie des analyses des écoutes européennes étaient effectuées,

l’INSCOM a notamment participé aux programmes d’espionnage PRISM et XKeyscore129.

Le programme PRISM Le programme PRISM (ou Planning Tool for Ressource, Integration, Synchronisation and Management) est une série de partenariats conclus progressivement par la NSA depuis décembre 2007 avec plusieurs géants du net (Microsoft, Yahoo, Google, Facebook, PalTalk, Youtube, Skype, AOL et Apple). La NSA et le GCHQ disposent d’un accès direct à leurs serveurs, elles peuvent donc se servir à leur guise dans les données (messages, photos, courriels, chats…), sans intervention des entreprises en question. Dispensée de demander une ordonnance de justice pour chaque collecte, la NSA peut théoriquement transférer en masse sur ses propres serveurs toutes les données liées aux utilisateurs ou

125 Europen Pirate Party, https://europeanpirates.eu/, consulté le 02/11/2014. 126Parlement européen, Intervention de Julia Reda au Parlement Européen le 26 novembre 2014, http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+CRE+20141126+ITEM-020+DOC+XML+V0//FR&language=fr&query=INTERV&detail=3-453-000, consulté le 10/12/14. 127 Parlement Européen, Résultat des élections européennes 2014, http://www.europarl.europa.eu/elections2014-results/fr/election-results-2014.html, consulté le 10/12/14. 128 Lefébure Antoine, « L’affaire Snowden, comment les Etats-Unis espionnent le monde », Editions La Découverte, Paris, 2014. 129Poitras Laura, Rosenbach Marcel, Stark Holger, « Ally and Target: US Intelligence Watches Germany Closely », Der Spiegel, 12/08/13, http://www.spiegel.de/international/world/germany-is-a-both-a-partner-to-and-a-target-of-nsa-surveillance-a-916029.html, consulté le 10/12/14.

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clients de ces entreprises. Au total, environ 227 millions de données internet sont collectées chaque année sous le programme PRISM130.

On peut néanmoins avancer une hypothèse qui pourrait expliquer l’élection de Julia

Reda dans cette circonscription. Il se trouve que Francfort et sa région sont le véritable centre

névralgique du cyberespace allemand. Nonobstant le fait que trois stations d’écoutes aient été

constatées par Edward Snowden (Consulat américain, Wiesbaden, Darmstadt), Francfort a

également la particularité d’abriter le plus grand nombre de data centers dans toute

l’Allemagne, et de loin. En effet, Francfort compte 49 data centers alors que la seconde ville

qui en accueille le plus est Hambourg avec seulement 15131. De plus, sur les quatorze serveurs

racines présents en Allemagne, sept se trouvent à Francfort132 (voir carte ci-contre).

Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que Francfort et sa région emploient plus de

monde dans le secteur de l’informatique que toute autre ville en Allemagne. Il faut ajouter à

cela la concentration des sièges sociaux de grandes banques allemandes ainsi que le siège de

la Banque Centrale Européenne qui doivent également engager beaucoup de personnel pour

garantir la sécurité de leurs transactions informatiques. Ces personnes qui sont pour la plupart

des techniciens ou ingénieurs sont donc certainement beaucoup plus sensibilisées aux

questions relatives au cyberespace et à l’Internet qu’un citoyen lambda qui n’a pas les

compétences STEM requises pour assimiler les idées d’un candidat dont les principaux

arguments concernent la sécurité informatique. Ces facteurs pourraient éventuellement

expliquer l’élection de Julia Reda au Parlement Européen. J’ai essayé de contacter Julia Reda

à plusieurs reprises (et sur plusieurs adresses électroniques) afin d’essayer de comprendre les

facteurs de sa victoire et ainsi confirmer ou infirmer ma théorie. Malheureusement, je n’ai

jamais pu obtenir de réponse de sa part. J’ai également essayé de joindre des membres du

parti pirate dont des parlementaires des Länder de Sarre et de Berlin, des parlementaires du

Bundestag, et cadres du parti, mais aucun n’a répondu à l’invitation d’un entretien. Il est fort

curieux que des élus d’un parti qui se revendique pourtant jeune et moderne aient de telles

carences en matière de communication à tous les niveaux institutionnels (européen, Etats

fédérés, Etat fédéral).

130 NSA-Observer, programs, PRISM, https://www.nsa-observer.net/category/program, consulté le 10/12/14. 131 Data center map, colocation Germany, http://www.datacentermap.com/germany/, consulté le 19/12/14. 132 Root-servers.org, http://www.root-servers.org/, consulté le 19/12/14.

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dd)) LLee rreettoouurr ddeess ccoommmmuunniisstteess eenn eexx RRDDAA

Une autre élection allemande récente est venue renforcer les soupçons de l’impact de

l’ « Affaire Snowden » dans le paysage politique allemand. Bodo Ramelow, politicien de 58

ans membre du parti Die Linke (« la gauche »), a été élu le 5 décembre 2014

Ministerpräsident (chef du gouvernement) de l’Etat de Thuringe. Cette élection a été

retentissante en Allemagne car Bodo Ramelow est devenu le premier chef de gouvernement à

être issu de la gauche radicale, qui plus est dans une ancienne région Est-allemande. De plus,

le parti dont Bodo Ramelow est membre, Die Linke, est l’héritier en ligne directe du

Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (SED) qui était le parti communiste au pouvoir

sous la RDA. Après la réunification, le SED est devenu en 1990 le Partei des Demokratischen

Sozialismus (PDS) puis Linkspartei en 2005 et enfin Die Linke en 2007. Ainsi, le retour d’un

descendant du SED à la tête du gouvernement d’un Länder sonne comme un coup de tonnerre

en Allemagne.

Mais ce qui nous intéresse concerne surtout le personnage de Bodo Ramelow et les

réformes qu’il compte entreprendre. Entré en politique en 1994 du temps où le parti radical de

gauche s’appelait encore le PDS, Bodo Ramelow a fait l’objet en tant qu’activiste

communiste d’une surveillance du BfV et du BND qui le considéraient comme « extrémiste

de gauche »133. En 2006, il a engagé une procédure contre les deux agences de renseignement

allemandes devant la cour administrative de Cologne afin d’obtenir réparation. Cet épisode

marquant l’a grandement influencé dans ses choix politiques, il a notamment été très actif sur

les réseaux sociaux pour dénoncer les pratiques de la NSA134, critiquer le BND135 et apporter

son soutien à Edward Snowden136. En tant que nouveau Ministerpräsident de Thuringe, il

veut maintenant faire de la refonte des pratiques des services de renseignement l’une des ses

priorités137. Cette proposition n’est pas nouvelle. Déjà en 1998 le programme électoral du

parti écologiste Die Grünen (les Verts) demandait vainement leur démantèlement

progressif138. D’ailleurs, la victoire de Bodo Ramelow a été rendue possible seulement grâce à

une coalition formée avec Die Grünen qui lui a permis de remporter la victoire sur le fil (46

133 Seidel Jan, « Der extremist Bodo Ramelow », Die Linke, Juillet 2006, http://archiv2007.sozialisten.de/politik/publikationen/disput/view_html?zid=33440&bs=1&n=11, consulté le 10/12/14. 134 Twitter, https://twitter.com/bodoramelow/status/376319211418963968, consulté le 10/12/14. 135 Twitter, https://twitter.com/bodoramelow/status/332467834485616643, consulté le 10/12/14. 136 Twitter, https://twitter.com/bodoramelow/status/419140249831612416, consulté le 10/12/14. 137 Renon Danièle, « Allemagne. Bodo Ramelow, ou la victoire historique de la gauche radicale dans l'ex-RDA », Courrier International, 05/12/14, http://www.courrierinternational.com/article/2014/12/05/bodo-ramelow-ou-la-victoire-historique-de-la-gauche-radicale-dans-l-ex-rda, consulté le 10/12/14. 138 Arboit Gérald, « Au cœur des services secrets, idées reçues sur le renseignement », ed. Le cavalier bleu, Paris, 2013.

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voix sur 91). Les Verts allemands n’avaient à l’époque pas réussi à imposer leurs idées

puisque la mise en application des services secrets est une prérogative qui incombe aux

Länders, donc seul le chef du gouvernement peut les réformer. Maintenant que Bodo

Ramelow a atteint cette fonction, rien n’est impossible.

33)) LLeess iinniittiiaattiivveess cciivviilleess aauu ccœœuurr ddee llaa ccoonntteessttaattiioonn

Bien qu’un peu plus marginal que les conséquences diplomatiques et politique, l’effet

qu’ont eu les révélations d’Edward Snowden sur la société allemande en elle-même doit être

prise en compte, car celles-ci sont révélatrice d’un changement de comportement de la part

des citoyens notamment grâce à une mobilisation d’envergure. Ces changements de

comportement s’observent d’ailleurs jusque dans le monde de l’art.

aa)) LLaa ffoorrttee mmoobbiilliissaattiioonn cciittooyyeennnnee

Comme nous l’avons vu précédemment, l’Allemagne, en raison de son histoire et de

son système juridique protecteur des données personnelles, a été un terreau favorable pour

faire écho aux révélations d’Edward Snowden et servir de porte-voix pour dénoncer les

menaces que font peser les services de renseignements sur la vie privée des citoyens.

Ainsi, après plusieurs mouvements de protestation non structurés un peu partout en

Allemagne contre la surveillance de la NSA, des organisations non gouvernementales (ONG)

telles que Digitale Gesellschaft, Netzpolitik, Digital Courage et Campact ont réussi à

organiser le 27 juillet 2013 des manifestations au niveau fédéral. Ce mouvement baptisé

Menschen fordern #StopWatchingUs (« les gens exigent #StopWatchingUs ») a regroupé plus

de 10 000 personnes dans une quarantaine de villes139.

139 Schuttenberg Sandra, « Tausende fordern #StopWatchingUs – Eindrücke aus Berlin, Hamburg und Köln », Campact !, http://blog.campact.de/2013/07/stopwatchingus-eindrucke-aus-berlin-hamburg-und-koln/, consulté le 21/02/15.

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Sticker de l’association Netzpolitik à coté d’un sticker pour accorder

le droit d’asile à Edward Snowden (photos : Alexis Daloze)

D’autres manifestations ont suivi par la suite toujours pour protester contre la

surveillance de la NSA. L’association Campact est une plateforme associative engagée

proposant de se mobiliser afin de lutter contre les atteintes à la démocratie. Le soutien à

Edward Snowden est l’une de leur campagne principale avec celle du soutien à Charlie Hebdo

après les attentats du 7 janvier 2015 ou encore celle contre le mouvement Pegida. C’est elle

qui est à l’origine de la pétition ayant réuni 160 000 signataires qui incitait les parlementaires

à ouvrir une commission d’enquête sur le scandale de la NSA140.

Outre le fait de protester contre la surveillance de la NSA, Campact est surtout très

active pour accorder le droit d’asile à Edward Snowden. En Allemagne, Edward Snowden a

atteint le statut de véritable héros, celui du défenseur de la vie privée dans le cyberespace

contre le Big Brother américain. Si bien qu’une grande majorité des allemands sont favorables

pour l’accueillir sur leur territoire. La ville de Berlin est d’ailleurs remplie de ces stickers et

autres graffitis à la gloire d’Edward Snowden.

140 Sawatzki Annette « Welcome to Germany, Edward Snowden! », Campact!, 19/11/13, http://blog.campact.de/2013/11/welcome-to-germany-edward-snowden/, consulté le 21/02/15.

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Exemples de graffitis et stickers de soutien à Edward Snowden

(photos : Alexis Daloze) Or, nous le savons, la chancelière allemande Angela Merkel a refusé d’accorder le

droit d’asile à Snowden de peur de rompre définitivement avec les Etats-Unis. Une

manifestation citoyenne s’est alors tenue le 8 mai 2014 devant le Reichstag pour réclamer une

nouvelle fois le droit d’asile à Edward Snowden et protester contre le refus de Mme Merkel

de le lui accorder141. Bien sûr, malgré une pétition regroupant 191 000 signatures, la pression

citoyenne n’a pas pu faire fléchir le gouvernement allemand pour qui la Realpolitik est plus

forte que tout. Toujours est-il que cette pétition pour accorder le droit d’asile Edward

Snowden est toujours en ligne et a regroupé jusqu’à présent plus de 231 000 signatures142.

Preuve que cette mobilisation est d’une ampleur sans égal, Edward Snowden a

141 Nocun Katharina, « Handgemenge vor dem Bundestag: Merkel und Gabriel sperren Snowden aus », Campact!, 08/05/14, http://blog.campact.de/2014/05/handgemenge-vor-dem-bundestag-merkel-und-gabriel-sperren-snowden-aus/, consulté le 21/02/15. 142 Campact !, « Überwachung: Gefangen im Status Quo », https://www.campact.de/snowden/appell/teilnehmen/, consulté le 21/02/2015.

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personnellement remercié Campact pour le soutien apporté à son égard et regrette de ne

pouvoir malheureusement pas être en Allemagne malgré leurs efforts143.

Conscient que cette pétition n’est qu’un outil dérisoire pour renverser la position du

gouvernement, Campact a choisi de prendre la situation à la légère et de lancer le 23 mai 2014

une nouvelle campagne plus marginale intitulée Ein Bett für Snowden (« un lit pour

Snowden ») qui consiste à signer une pétition pour accueillir personnellement Edward

Snowden chez soi. Cette campagne avait déjà réuni 43 000 signatures le 5 juin 2014144 et sa

popularité est encore visible dans les rues de Berlin.

Stickers et graffiti de la campagne « Ein Bett für Snowden » (photos : Alexis Daloze)

Par ailleurs, l’ONG Digital Courage qui édite entre autres les stickers d’Edward

Snowden et qui a été très active dans l’organisation des manifestations contre la surveillance

143 Nocun Katharina, « Snowden möchte nach Deutschland – und dankt Unterstützern », 14/11/14, http://blog.campact.de/2014/11/snowden-dankt-campact-aktiven-persoenlich/, consulté le 21/02/2015. 144 Campact !, « Ein Bett für Snowden », 04/06/14, https://www.campact.de/snowden/ein-bett-fuer-snowden/bestellen/, consulté le 21/02/15.

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de la NSA a remis à Edward le prix symbolique de « Big Brother Award » qui récompense les

lanceurs d’alertes pour leur participation à la démocratie145. Digital Courage est une ONG

pour l’instant d’envergure nationale et reste inconnue en dehors de l’Allemagne donc ce prix

peut paraître marginal. Toutefois, Transparency International, une ONG mondialement

connue qui établit chaque année des classements sur le niveau de corruption des pays et qui

est prise très au sérieux par la classe politique, a également remis à Edward Snowden le

Whistleblower Award146. Or, Transparency International est, tout comme Digital Courage,

une organisation d’origine et de droit allemand.

Enfin, autre élément révélateur de l’engouement que suscite Edward Snowden en

Allemagne, le film de Laura Poitras « Citizenfour » sorti le 6 novembre 2014 était toujours à

l’affiche des cinémas de Berlin 15 semaines après sa sortie en salles. Laura Poitras est l’une

des deux journalistes, avec Glenn Greenwald, à avoir été contactée par Edward Snowden pour

révéler la surveillance de la NSA. Son film est un documentaire qui retrace la rencontre avec

Snowden à Hong Kong ainsi que la mise en ligne des documents et toute la couverture

médiatique qui s’en est suivit. Le film a enregistré au total environ 75 000 spectateurs, ce qui

est un score respectable étant donné le faible nombre de salles de cinéma en Allemagne147. A

titre de comparaison, le film sorti 4 mois plus tard en France le 4 mars 2015, et couronné de

l’Oscar du meilleur documentaire la semaine précédente, a enregistré 68 000 entrées148.

Et il n’y a pas que le cinéma qui s’intéresse à l’affaire Snowden. En effet, la chaîne de

télé publique allemande NDR a annoncé qu’elle produisait un documentaire sur Edward

Snowden. Le film intitulé « Snowden’s Great Escape » se concentrera sur les péripéties à

partir de sa fuite de Hong Kong vers la Russie149.

145 Digital Courage, 25/04/14, https://www.bigbrotherawards.de/2014/.positive, consulté le 21/02/15. 146 Transparency International Germany, « Whistleblowerpreis 2013 für Edward Snowden », 24/07/13, http://www.transparency.org/news/pressrelease/whistleblowerpreis_2013_fuer_edward_snowden 147 Kino.de, Citizenfour, http://www.kino.de/kinofilm/citizenfour/156686, consulté le 22/04/15. 148 JP’s Box-Office, Citizenfour, http://www.jpbox-office.com/fichfilm.php?id=14988, consulté le 22/04/15. 149 Benzine Adam, « Exclusive: NDR, DR TV prep “Snowden’s Great Escape” », Realscreen, http://realscreen.com/2014/10/10/exclusive-ndr-dr-tv-prep-snowdens-great-escape/, consulté le 22/04/15.

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Le film de Laura Poitras « Citizenfour » est toujours à l’affiche dans plusieurs cinémas 15 semaines après sa sortie…

… à côté de films récents et de grandes productions hollywoodiennes (photos : Alexis Daloze)

Ainsi, la « Snowdenmania » allemande, comme l’ont appelé certains média150, est une

réalité qui n’a son égal dans aucun autre pays du monde. Plus d’un an et demi après les

révélations, il est quasiment impossible de rencontrer un Allemand ne connaissant pas le nom

d’Edward Snowden ni ce pour quoi il est connu. De plus, il est important de préciser que les

stickers et graffitis à son image qui décorent les rues de Berlin ne sont pas exclusifs à certains

quartiers branchés mais sont au contraire présents dans différents quartiers. En effet, si l’on en

trouve beaucoup dans le dynamique Kreuzberg et le « bobo » Friedrichshain, les murs

d’autres quartiers plus populaires comme Moabit ou touristique comme Mitte arborent eux

aussi les effigies d’Edward Snowden. Seuls les quartiers chics semblent avoir été épargnés

(Charlottenburg). Bien que tous les Allemands ne sentent pas forcément concernés, l’ampleur

150 Hermann Tertsch, ABC, « Snowdenmania Teutonia », 5/11/13, http://sevilla.abc.es/cordoba/20131105/sevp-snowdenmania-teutona-20131105.html, consulté le 21/02/15.

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de ses révélations a incité les plus inquiets d’entre eux à modifier leur comportement dans le

cyberespace.

bb)) LLee cchhaannggeemmeenntt ddee ccoommppoorrtteemmeenntt ddeess aalllleemmaannddss ddaannss llee ccyybbeerreessppaaccee

Il existe une nette différence entre se sentir concerné par un sujet, et avoir la volonté

de changer les choses. C’est pourquoi l’affaire Snowden a fait naître trois catégories de

citoyens en Allemagne. Les premiers sont ceux qui ne se sentent pas du tout concernés par le

scandale de la NSA et que les rebondissements de l’Affaire Snowden n’intéressent pas. Les

seconds, qui constituent la majorité des Allemands, se sentent réellement concernés par cette

affaire mais ne souhaitent pas abandonner le confort numérique auquel les ont habitué les

géants du net américain tels que Google ou Facebook. Enfin, il existe une troisième catégorie

de citoyens qui eux se sentent suffisamment concernés pour changer leur comportement au

quotidien afin de protéger davantage leur vie privée. Bien que difficilement quantifiable,

certains éléments nous permettent de penser que cette catégorie de citoyens est loin d’être une

minorité.

La première réaction de ces personnes a été le recours à la messagerie cryptée. Les

révélations d’Edward Snowden ont mis en lumière les lacunes des plus grandes compagnies

web à protéger des yeux de la NSA la confidentialité de leur messagerie privée et de leurs

contenus. Et pour cause, l’essentiel des services de messageries du cyberespace (Gmail,

Outlook, Facebook, Skype pour ne citer qu’eux) ne proposent pas de messagerie chiffrée qui

pourrait pourtant garantir la fiabilité et la confidentialité des contenus.

Or, l’Allemagne connaît en ce moment un véritable boom de la cryptographie. Déjà en

juillet 2013, un mois après les révélations, le charismatique fondateur de TOR, Jacob

Appelbaum, révélait lors d’une conférence à Munich une augmentation significative par les

utilisateurs allemands de sa messagerie cryptée151. De plus, énormément d’utilisateurs ont

abandonné les messageries classiques de leurs Smartphones au profit d’applications cryptées.

En témoigne le classement des applications téléphoniques les plus vendues en Allemagne.

L’application payante Threema, qui propose un très haut niveau de sécurité et de

confidentialité grâce à un cryptage de bout en bout, a été l’application la plus vendue en

Allemagne en 2014 et continue encore aujourd’hui à figurer en haut du classement152. Le fait

151 Der Standard, « Tor-Entwickler zu Prism: "In den USA soll es eine Demokratie geben?" », 27/07/13, http://derstandard.at/1373513894169/Tor-Entwickler-In-den-USA-soll-es-eine-Demokratie-geben, consulté le 22/02/15. 152 Beuth Patrick, « Die Deutschen suchen nach Threema », Die Zeit, 16/12/14, http://www.zeit.de/digital/internet/2014-12/google-year-in-search-jahrestrends-2014-threema, consulté le 22/02/15 ; pour le classement au 22/02/15 : http://www.appannie.com/apps/ios/top/germany/overall/?device=iphone.

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qu’une partie des allemands soient prêts à payer une application de messagerie instantanée

alors que beaucoup d’autres sont gratuites (Whatsapp en tête) démontre particulièrement le

fait qu’ils prennent la confidentialité de leurs conversations très au sérieux.

A gauche : graffiti avec la mention « portable dehors, l’ennemi écoute avec ».

A droite : pochoir « NSA loves you » (photos : Alexis Daloze).

Pour initier les citoyens à utiliser ces messageries cryptées qui pour certaines peuvent

être compliquées à prendre en main, des « cryptoparties » ont lieu un peu partout en

Allemagne. Le concept consiste en une réunion dans une salle d’association ou un café et

durant laquelle les gens viennent suivre des ateliers gratuits animés par des bénévoles pour

leur apprendre à sécuriser leurs communications. Le principe n’est pas nouveau puisqu’il

existe depuis 1983 mais l’Affaire Snowden a servi de véritable détonateur au boom des

cryptoparties où les citoyens sont de plus en plus nombreux à venir153. A Berlin, ces

cryptoparties ont lieu à intervalles réguliers dans différents endroits de la ville en moyenne

tous les deux à cinq jours154. Florian Glatzner, est responsable de l’association Surfer Haben

Rechte (« Les surfeurs ont des droits ») auprès de la Verbraucherzentrale Bundesverband qui

est une association de consommateurs au niveau fédéral. Il est également un activiste engagé

pour la protection des données et participe régulièrement aux manifestations populaires

organisées sur ce thème. Florian Glatzner admet que les allemands utilisent de plus en plus les

messageries cryptées. Habitué à ce système de communication depuis plusieurs années déjà, il

confie que les révélations de Snowden n’ont pas fondamentalement modifié ses habitudes

puisqu’il utilisait déjà la messagerie cryptée. En revanche, il a néanmoins augmenté le niveau

153 Binsch Jessica, « Boom der Cryptopartys », Stern, 13/07/13, http://www.stern.de/digital/computer/boom-der-cryptopartys-e-mails-verschluesseln-fuer-anfaenger-2037872.html, consulté le 22/02/15. 154 CryptoParty, Berlin, http://www.cryptoparty.in/berlin, consulté le 22/02/15.

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de sécurité de ses messages en agrandissant sa clé de cryptage afin qu’elle soit plus difficile à

déchiffrer. Il note également que depuis l’Affaire Snowden, il lui est bien plus facile de

convaincre ses amis d’utiliser des applications cryptées du type Threema. Pour ceux qui ne

sont pas encore prêts pour le changement, Florian Glatzner continue d’utiliser les messageries

standards. Toutefois, les géants du net semblent avoir pris conscience de l’importance de

proposer des services cryptés puisque la très populaire application de messagerie instantanée

WhatsApp a signé le 18 novembre 2014 un partenariat avec Open Whisper Systems afin de

crypter ses messages via le logiciel TextSecure, le même logiciel qu’a utilisé Edward

Snowden pour contacter Glenn Greenwald et Laura Poitras155.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que ce changement de comportement dû à la

méfiance envers les services de renseignements n’est pas propre à la classe citoyenne. La

sphère politique se sent également très concernée par le scandale de la NSA à tel point que

certains hommes politiques ont pris des mesures afin de minimiser les risques d’écoutes.

Ainsi, Marcel Dickow a rapporté au cours de notre entretien, sans citer de noms, que certains

membres du gouvernement avec qui il est en contact en tant qu’expert en sécurité

internationale refusent de lui parler au téléphone mais acceptent uniquement des entretiens en

face à face. Cette nouvelle procédure l’a d’autant plus interpellé que ça ne lui était jamais

arrivé avant l’Affaire Snowden. Autre homme politique mais issu du Parlement cette fois-ci,

Patrick Sensburg qui a dirigé la commission d’enquête sur la surveillance de la NSA a

proposé pendant un moment de revenir à la machine à écrire afin d’être sûr qu’aucun

programme de la NSA n’espionne les avancées de l’enquête156. Cette solution n’a finalement

pas été acceptée par les autres membres de la commission car cela aurait rendu le travail trop

compliqué.

Nonobstant le réel traumatisme qu’a provoqué le scandale de la NSA en Allemagne,

un sondage de la très sérieuse association fédérale des hautes technologies Bitkom montre que

les allemands reprennent peu à peu confiance concernant la protection de leurs données dans

le cyberespace. Ce sondage publié en septembre 2014 montre que 16% des utilisateurs

d’internet estiment que leurs données ne sont pas en danger, alors qu’ils n’étaient que 13% en

mai 2014157. L’étude rappelle tout de même qu’en 2011, avant les révélations de Snowden, ils

155 Giraud François, « WhatsApp va chiffrer les messages avec le logiciel de cryptage TextSecure », Zone-numérique, 19/11/14, http://www.zone-numerique.com/whatsapp-va-chiffrer-les-messages-avec-le-logiciel-de-cryptage-textsecure.html, consulté le 22/02/15. 156 Oltermann Philip, « Germany 'may revert to typewriters' to counter hi-tech espionage », The Guardian, 15/07/14, http://www.theguardian.com/world/2014/jul/15/germany-typewriters-espionage-nsa-spying-surveillance, consulté le 22/02/15. 157 Bitkom, « Vertrauen ins Internet steigt wieder – ein bisschen », 11/09/14, http://www.bitkom.org/de/presse/81149_80303.aspx, consulté le 22/02/15.

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étaient 41%. On observe donc un net changement de représentation des Allemands entre

l’avant et l’après Snowden, ce qui a inévitablement entrainé un changement de comportement

explique l’explosion des cryptopartys et le succès de Threema. En outre, ce changement de

comportement prend également forme dans la sphère artistique.

cc)) LL’’iinnfflluueennccee dd’’EEddwwaarrdd SSnnoowwddeenn ddaannss ll’’aarrtt eett llee ssttrreeeett aarrtt aalllleemmaanndd

Construit en 1961, le mur de Berlin a représenté pendant près de trente ans le Rideau

de fer séparant l’Ouest capitaliste de l’Est communiste, mais il a également fortement

contribué à l’identité culturelle de la ville jusqu’à en faire la capitale européenne de la contre-

culture. S’il était impossible aux allemands de l’Est de s’approcher du mur, les Allemands de

l’Ouest s’en servirent au contraire comme support artistique pour y dessiner des graffitis ou y

écrire des slogans. Partant du mur, les graffitis ont progressivement envahi les rues, les parcs

et les services publics pour finalement faire partie intégrante de l’identité de Berlin. Encore

aujourd’hui, il est impossible de parcourir la ville sans apercevoir un graffiti au pied d’un

immeuble, et ce même dans les quartiers chics ou d’affaires. Ainsi, Berlin s’est

progressivement construit une image de ville alternative qui inspira – et continue d’inspirer –

de nombreux artistes de rues, largement influencés par cette culture du graffiti.

C’est le cas de Jörg Janzer, un artiste Berlinois de 76 ans qui a pris l’initiative de

remplacer le nom de plusieurs rues de la ville par celui d’Edward Snowden158. Son travail a

d’ailleurs été une source d’inspiration pour de nombreux internautes qui ont lancé une pétition

en ligne afin de demander au gouvernement allemand de rebaptiser le nom de certaines rues.

Le projet artistique s’est par la suite exporté dans d’autres villes européennes comme à

Londres où des artistes activistes ont renommé certaines rues « Snowden Street »159. J’ai

essayé de contacter Jörg Janzer afin de savoir ce qui l’avait inspiré dans le personnage de

Snowden et pourquoi il avait décidé d’en faire l’objet d’un projet artistique mais celui-ci

n’était pas à Berlin lorsque j’y étais et aucun rendez-vous n’a pu être convenu.

Il est intéressant de noter qu’Edward Snowden et le scandale de la NSA qu’il a révélé

n’ont pas seulement inspiré des œuvres urbaines, considérées par certains comme marginales,

mais font également l’objet de véritables expositions. En effet, la dernière édition du

European Media Art Festival qui s’est tenue en avril et mai 2014 à Osnabrück a consacré une

exposition entière sur le thème « Under surveillance ». Cette exposition propose des œuvres

de cinéastes, photographes et plasticiens dont le but est de dénoncer l’intrusion massive des

158 Jörg Janzer, https://janzerblog.wordpress.com, consulté le 12/12/14. 159 France 24, « Sur le net », http://www.france24.com/fr/sur-le-net-canada-toronto-ford-crack-allemagne-snowden-chats-astronaute-hadfield/, consulté le 12/12/14.

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institutions étatiques et économiques dans les sphères d’information privées et publiques.

Exceptionnellement, cette exposition a été présentée en octobre 2014 au Goethe Institut de

Paris. Lors du vernissage de l’exposition, j’ai notamment eu l’occasion de rencontrer l’artiste

allemande Meggie Shneider venue présenter deux de ses œuvres. Comme beaucoup

d’allemands, le scandale de la NSA a été pour Meggie Shneider un véritable choc. Sa manière

de contester a été de retranscrire dans ses œuvres un « sentiment de surveillance » pour que

les gens prennent conscience de l’importance du problème posé par l’espionnage de la NSA.

Edward Snowden l’a également énormément influencé dans son travail puisqu’elle y fait

directement référence dans ses œuvres. Dans « In the future everyone will need a fridge », elle

a décidé de placer un téléphone portable dans la contreporte du réfrigérateur en référence au

conseil d’Edward Snowden qui déclarait qu’ « à moins d’enlever la batterie, le seul moyen

pour que l’on ne puisse pas se servir d’un téléphone portable comme micro est de le placer

dans un frigo ». Dans cette œuvre, Meggie Shneider insinue que le réfrigérateur sera un outil

indispensable dans un futur proche pour pouvoir se protéger contre les écoutes. Sa deuxième

œuvre, « Post your life » est composée de 154 petites pochettes plastiques dans lesquelles les

visiteurs sont invités à déposer des objets leur appartenant. Le message de cette œuvre est de

montrer que ce sont les citoyens qui ont le choix de décider de ce qui peut être public ou de ce

qui doit rester priver, et non les autorités. Comme il s’agissait d’un vernissage, quasiment

aucune de ces pochettes n’étaient encore remplies. Toutefois, Meggie Shneider a tenu à y

insérer en premier une photo d’Edward Snowden, car c’est avant tout lui qui lui a inspiré cette

œuvre.

A gauche : « In the future everyone will need a fridge »

Au centre et à droite : « Post your life ». (Photos : Alexis Daloze)

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44)) LLaa rrééppoonnssee iinndduussttrriieellllee ddee ll’’AAlllleemmaaggnnee

aa)) LL’’eessppiioonnnnaaggee ééccoonnoommiiqquuee :: llaa rréévvééllaattiioonn ddee ttrroopp ppoouurr ll’’AAlllleemmaaggnnee

L’espionnage économique cherche à obtenir par des moyens répréhensibles

(corruption, piratage, vols de documents, écoutes téléphoniques etc…) les informations qui

n’ont pas pu être obtenues par des voies officielles. Il se distingue en cela de l’intelligence

économique qui vise à obtenir ces mêmes informations par des moyens légaux160. Alors que

l’espionnage diplomatique est relativement toléré dans la sphère politique internationale,

l’espionnage économique – ou industriel – est en revanche lui formellement proscrit dans la

coutume de droit international. Par ailleurs, bon nombre de législations nationales, à

commencer par les Etats-Unis, condamnent l’espionnage industriel. D’ailleurs, les services de

renseignement américains sont très attentifs à la protection de leur économie et tentent de

débusquer les éventuels espions d’entreprises ou d’Etats qui, sur leur sol, seraient susceptibles

de piller leurs richesses. Déjà en 1991, le BND fut particulièrement accusé par les services

secrets américains d’avoir privilégié le piratage informatique contre des entreprises

américaines dans un but d’espionnage, et plus particulièrement d’avoir pénétré à plusieurs

reprises le réseau SWIFT spécialisé dans les liaisons informatiques internationales entre les

banques161. Mais l’affaire d’espionnage industriel la plus célèbre entre les deux pays remonte

à 1993. La société allemande Volkswagen avait été condamnée à verser 100 millions de

dollars d’indemnités à General Motors (GM) après qu’un de ses employés ait avoué avoir

volé les plans d’une future voiture d’Opel lorsqu’il travaillait encore dans cette société (la

marque Opel appartient en totalité à GM)162. Le gouvernement américain est même allé

jusqu’à poursuivre l’auteur du vol, un ingénieur espagnol, afin qu’il soit jugé par un tribunal

américain. Mais l'Espagne a refusé en 2001 de l'extrader vers les Etats-Unis en mettant en

avant un grave accident de voiture survenu en 1998 qui avait largement affecté sa mémoire163.

Cette anecdote témoigne donc de l’acharnement auquel se livre le gouvernement

américain quand il s’agit de protéger son économie. Pourtant, cela n’a pas empêché la NSA

d’être également impliquée dans un programme d’espionnage industriel. Un document interne

de la NSA révélé le 13 mai 2014 par Der Spiegel prouve que l’agence américaine récoltait des

160 Rouach Daniel, « La veille technologique et l’intelligence économique », Paris, Presses Universitaires Françaises, coll. « Que sais-je », n°3086, 2010 (5e ed.). 161 Guisnel Jean, « Guerres dans le cyberespace, services secrets et internet », ed. La Découverte, Paris, 1995. 162 Delattre Lucas, « Lopez, voleur de mémoire ? », l’Express, 19/08/1993, http://www.lexpress.fr/informations/lopez-voleur-de-memoires_595575.html, consulté le 16/12/14. 163 Les Echos, « Un précédent célèbre, l'affaire josé ignacio lopez », 06/01/11, http://www.lesechos.fr/06/01/2011/LesEchos/20842-115-ECH_un-precedent-celebre--l-affaire-jose-ignacio-lopez.htm, consulté le 16/12/14.

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données à des fins économiques164. Dans ce document, l’Allemagne était explicitement

désignée comme une cible de choix.

Source: American Civil Liberties Union (ACLU)

Dans une interview accordée à la chaîne de télévision allemande ARD en janvier

2014, Edward Snowden avait déjà déclaré que la NSA ne se limitait pas à l’espionnage des

citoyens ou de la sécurité des Etats, mais espionnait également des firmes internationales

comme Siemens165. Selon lui, la NSA surveille les entreprises étrangères dans l’éventualité où

ces dernières disposeraient d’informations pouvant « bénéficier à l’intérêt national » (et non

pas à la sécurité de l’Etat)166. Impossible toutefois de savoir ce qui se cache derrière

l’expression « intérêt national », puisque tout et son contraire peut être déclaré d’intérêt

national. En revanche, les documents d’Edward Snowden ont révélé qui était intéressé par ces

données. La Maison Blanche, le Département d’Etat, la CIA et les départements de

164 American Civil Liberties Union, https://www.aclu.org/files/natsec/nsa/20140722/NSA%27s%20Economic%20and%20Trade%20Espionage.pdf. 165 ARD, « German Television does first Edward Snowden Interview », Live Leak, 27/01/14, http://www.liveleak.com/view?i=f93_1390833151, moment cité: 15m08s. 166 Ibid.

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l’agriculture, du trésor et du commerce étaient considérés comme les « clients » de la NSA

concernant ce type de données167.

Source : American Civil Liberties Union (ACLU)

bb)) SSééccuurriissaattiioonn ddeess rréésseeaauuxx eett aaccqquuiissiittiioonn ddee nnoouuvveeaauuxx mmaarrcchhééss

Il est en tout cas fort probable que Siemens ait déjà pris des mesures afin de sécuriser

davantage ses réseaux. Conscients que l’Affaire Snowden était bien plus vaste qu’elle n’y

paraissait, les entreprises allemandes ont rapidement été amenées à repenser leur sécurité

réseau. Selon une étude du cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers datant de novembre

2013, une entreprise allemande sur trois déclarait que le scandale de la NSA l’avait

encouragée à augmenter sa sécurité informatique, et 38 pourcent déclaraient vouloir chiffrer

leur messagerie168. Toujours selon cette étude, 15 pourcent des entreprises interrogées

envisageaient de passer à un fournisseur européen de services informatiques afin de réduire

les risques d’espionnage. On constate donc que les révélations de Snowden ont eu un impact

rapide et relativement important sur les entreprises allemandes qui cherchent à se protéger

davantage d’une quelconque fuite de données ou de cyberattaque.

167 American Civil Liberties Union, https://www.aclu.org/files/natsec/nsa/20140722/NSA%27s%20Economic%20Motives.pdf, consulté le 16/12/14. 168 Der Spiegel, « Angst vor Industriespionage: NSA-Affäre rüttelt deutsche Firmen auf », 07/11/13, http://www.spiegel.de/wirtschaft/unternehmen/nsa-affaere-viele-deutsche-firmen-wollen-daten-verschluesseln-a-932337.html, consulté le 16/12/14.

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Arne Schönbohm est le président du Cyber-Sicherheitsrat Deutschland (Le Conseil de

Cybersécurité Allemand), une association indépendante qui s’occupe de promouvoir la

coopération entre les autorités publiques et les entreprises sur les questions de cybersécurité.

Selon Monsieur Schönbohm, très peu d’entreprises, aussi performantes soit-elles, savent gérer

leur cybersécurité, et c’est seulement depuis l’Affaire Snowden qu’elles ont commencé à se

pencher sur ce problème169. Car la cybersécurité est enjeu majeur pour les entreprises. Dans

son rapport annuel de 2014, le Bundesamt für Sicherheit in der Informationstechnik (BSI,

équivalent de l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information en France) a

révélé une attaque perpétrée contre une usine d’acier en Allemagne. Les conséquences ont été

plus que sérieuses puisque les fourneaux de l’usine étaient reliés au système informatique de

l’usine. En s’infiltrant dans les réseaux, les hackers ont empêché la fermeture des hauts

fourneaux entrainant d’importants dégâts matériels dans l’usine et interrompant la chaîne de

production170. Les auteurs de cette attaque n’ont pas pu être identifiés.

En ce qui concerne les Five Eyes, leurs capacités sont telles qu’il leur est possible de

pénétrer semble-t-il aussi facilement sur des réseaux étrangers que sur leurs propres réseaux,

ce qui ne protégerait pas davantage les entreprises allemandes de l’espionnage. Déjà en mars

2014, il avait été révélé que le GCHQ s’était introduit via le programme dans les réseaux de

Stellar, une société allemande dont les services vont de la vente d’espace satellitaire au

secteur privé et public à la fourniture d’accès internet aux particuliers171. Plus récemment, un

nouveau document est venu affirmer en septembre 2014 que la NSA avait également infiltré

les réseaux de Deutsche Telekom et de NetCologne, un opérateur local172.

Malgré cela, en perdant la confiance de leurs clients européens, ce sont surtout les

entreprises américaines qui risquent d’être davantage pénalisées par les révélations de

Snowden plutôt que les entreprises allemandes. En effet, le marché européen constitue un

véritable enjeu pour l’industrie américaine en matière de services numériques. Rien que pour

le domaine du cloud computing, l’industrie américaine pourrait perdre entre 21,5 et 35

169 Propos recueillis lors de la conférence « Le marché de la cybersécurité : quelle stratégie pour la France ? », organisée le 12 janvier 2015 au Medef Ile-de-France. 170 Bundesamt für Sicherheit in der Informationstechnik, « Die Lage der IT-Sicherheit in Deutschland 2014 », 2014. 171 Poitras Laura, Rosenbach Marcel, Stark Holger, « 'A' for Angela: GCHQ and NSA Targeted Private German Companies and Merkel », Der Spiegel, 29/03/14, http://www.spiegel.de/international/germany/gchq-and-nsa-targeted-private-german-companies-a-961444.html, consulté le 17/12/14. 172 Poitras Laura, Müller-Maguhn Andy, Rosenbach Marcel, Sontheimer Michael, Grothoff Christian, « Treasure Map: The NSA Breach of Telekom and Other German Firms », Der Spiegel, 14/09/14, http://www.spiegel.de/international/world/snowden-documents-indicate-nsa-has-breached-deutsche-telekom-a-991503.html, consulté le 17/12/14.

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milliards de dollars pour les trois prochaines années à cause de cette perte de confiance173. Le

gouvernement allemand a par exemple déjà écarté l’opérateur américain Verizon de l’un de

ses marchés publics au profit de l’opérateur national Deutsche Telekom174. En outre,

Deutsche Telekom vient de terminer de construire en juillet 2014 un data center à Biere (près

de Magdebourg) qui est considéré comme l’un des plus sécurisés au monde. Timotheus

Hoettges, le président de Deutsche Telekom, est allé jusqu’à le comparer à un véritable « Fort

Knox de la donnée », et assure que les données stockées seront physiquement et légalement

protégées des gouvernements175. Fait intéressant, le calculateur réseau du data center qui est

chargé d’alimenter toute l’infrastructure a été équipé avec deux logiciels de la compagnie

Siemens176. Pour rappel, Siemens avait été explicitement nommée par Edward Snowden

comme ayant subi l’espionnage de la NSA. Cependant il serait inapproprié de tirer des

conclusions hâtives. Siemens est le plus gros conglomérat d’ingénierie d’Europe et équipe des

milliers d’infrastructures en Allemagne, il n’est donc pas étonnant de la voir associée à un

projet aussi exigeant technologiquement parlant. Sans pouvoir affirmer que la NSA dispose

des capacités de s’introduire dans le data center de Biere, cela n’empêche pas de faire planer

un doute sur ses capacités réelles. D’autant plus que l’expérience a montré que le

gouvernement américain avait déjà réussi en 2010 à pirater les codes sources du logiciel Step7

de Siemens qui servait à faire fonctionner les ordinateurs de commande des centrales

nucléaires de Natanz en Iran177. Ce virus, plus connu sous le nom de Stuxnet, avait permis

l’arrêt des centrifugeuses lui permettant de rendre ces dernières totalement inactives.

Apparemment secouées par la prise de conscience de leur vulnérabilité face à

l’espionnage, les grandes entreprises allemandes continuent de prendre des mesures

sécuritaires afin de parfaire la protection de leurs réseaux. Pour reprendre le cas de Deutsche

Telekom (qui est la plus grande société européenne de télécommunication), la compagnie

vient de s’associer le 9 décembre 2014 avec la société américaine FireEye en créant une

entreprise commune qui a pour objectif de protéger les sociétés contre les pirates

173 Etude « La balkanisation du web : chance ou risque pour l’Europe », Cattaruzza Amaël, Danet Didier, Desforges Alix, Douzet Frédérick, Naccache David, Direction des Affaires Stratégiques, Septembre 2014. 174 Filippone Dominique, « Scandale de la NSA : Le gouvernement allemand ne veut plus de Verizon », Le Monde Informatique, 27/06/14, http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-scandale-de-la-nsa-le-gouvernement-allemand-ne-veut-plus-de-verizon-57943.html, consulté le 16/12/14. 175 Rahn Cornelius, « Deutsche Telekom Builds ’Fort Knox’ Against Hackers, Spies », Bloomberg News, 03/07/14, http://www.bloomberg.com/news/2014-07-03/deutsche-telekom-fort-knox-data-center-keeps-u-s-spies-at-bay.html, consulté le 17/12/14. 176 Siemens, « Data Center, T-Systems », http://w3.siemens.com/powerdistribution/global/en/consultant-support/references/infrastructure/data-center-t-systems-biere/pages/default.aspx. 177 Desreux Sébastien, « Big Mother veille sur vous, pourquoi et comment la NSA s’intéresse à vous », ed H&K, Décembre 2013.

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informatiques et les cyberespions178. Le contenu de cet accord prévoit que FireEye fournit les

outils virtuels permettant d’isoler un comportement suspect et que ce comportement soit

ensuite étudié par les analystes de Deutsche Telekom. Il ne faut pas s’y tromper, l’origine de

cette fusion est avant tout de se prémunir davantage contre les gouvernements que contre les

pirates. En effet, FireEye est avant tout spécialisée dans ce que l’on appelle des « menaces

persistantes avancées » qui sont des attaques sophistiquées souvent lancées par les Etats179.

Par ailleurs FireEye avait déjà fait parler d’elle en janvier 2014 lorsqu’elle a racheté le groupe

Mandiant pour un milliard de dollars180. Ce dernier s’était rendu célèbre en février 2013 en

révélant d’importantes cyberattaques orchestrées par l’armée chinoise. En s’associant avec

FireEye, alors même qu’il s’agit d’une entreprise américaine, Deutsche Telekom profite d’une

importante expertise en matière de cybersécurité et envoie un signal fort montrant qu’il fait de

sa sécurité informatique vis-à-vis des gouvernements une priorité. Cette association n’est pas

une preuve d’une confiance retrouvée entre les entreprises américaines et allemandes, mais

prouve que les intérêts économiques sont plus forts que la crise de confiance soulevée par les

révélations d’Edward Snowden.

En parallèle, Le succès de la compagnie allemande de cybersécurité Avira est

révélateur de cette nouvelle génération IT. Son antivirus, régulièrement élu meilleur ou

second meilleur antivirus du monde181, connait depuis 2013 une forte hausse du nombre

d’utilisateurs182. Par ailleurs, la compagnie a exprimé par le biais de son blog sa volonté de

s’adapter aux logiciels malveillants développés par les Etats dont Snowden a révélé

l’existence183. Jacob Schrot et Marcel Dickow confirment, malgré l’absence de chiffres, cet

élan des entreprises high tech allemandes qui selon eux est le seul secteur allemand à avoir

gagné des parts de marché en Allemagne. Marcel Dickow précise également que depuis

l’Affaire Snowden, la politique industrielle du gouvernement allemand a fortement soutenu ce

secteur en augmentant les fonds du Bundesamt für Sicherheit in der Informationstechnik

(BSI) qui est l’équivalent de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information

178 Orihuela Rodrigo, « Deutsche Telekom Joins FireEye to Fight Cyber-Attacks in Europe », Bloomberg News, 09/12/14, http://www.bloomberg.com/news/2014-12-09/deutsche-telekom-joins-fireeye-to-fight-cyber-attacks-in-europe.html, consulté le 18/12/14. 179 Financial Times, « Deutsche Telekom and FireEye create cyber security service », 09/12/14, http://www.ft.com/intl/cms/s/0/0f917204-7fba-11e4-b4f5-00144feabdc0.html#axzz3M4WY8O5o, consulté le 17/12/14. 180 Finkle Jim, « FireEye buys cyber forensics firm Mandiant for about $1 billion », Reuters, 02/01/14, http://www.reuters.com/article/2014/01/02/us-mandiant-fireeye-idUSBREA010W220140102, consulté le 17/12/14. 181 Avira, http://www.avira.com/en/company-awards, consulté le 03/05/15. 182 Opswat, « Antivirus and operating system report : October 2014 », https://www.opswat.com/resources/reports/antivirus-october-2014, consulté le 03/05/15. 183 Avira, « Regin: Is Government Malware Stoppable After All ? », 13/03/15, https://blog.avira.com/regin-pc-cleaner/, consulté le 03/05/15.

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(ANSSI) en France. Les entreprises d’une part adoptent de plus en plus la certification du BSI

qui est de plus en plus fiable et, d’autre part, le gouvernement favorise énormément les

compagnies allemandes de cybersécurité. Le Bundesministerium des Innern (BMI, le

Ministère de l’Intérieur allemand) a adopté le 17 décembre 2014 la « IT-Sicherheitgesetz »,

une loi afin de garantir un niveau de sécurité extrêmement élevé des infrastructures vitales

allemandes184. En conséquence, cette loi va donc assurément favoriser le développement des

entreprises de cybersécurité. M. Dickow ajoute qu’il y a beaucoup de sociétés militaires qui se

sont réorientées vers la recherche IT et la cybersécurité. Preuve que ce marché est en pleine

expansion, le président du groupe Thales Allemagne Peter Obermark a déclaré vouloir mettre

en place davantage de partenariats avec les universités dans le domaine de la cybersécurité

afin de pouvoir recruter des élites et développer ainsi ce secteur185.

Les exemples sus-cités mettent en exergue l’une des conséquences majeures des

révélations de Snowden en Allemagne : celle de la perte de confiance des entreprises

allemandes envers les entreprises américaines. Si la confiance diplomatique n’a pas mis

longtemps à se rétablir compte-tenu des jeux et enjeux géopolitiques (voir supra I, B, 1, a), la

confiance industrielle et commerciale mettra sans doute plus de temps à revenir. En effet, les

entreprises allemandes n’ont pas du tout apprécié l’espionnage économique auquel s’est livré

le gouvernement américain à travers des programmes comme BLARNEY. Cet espionnage

illégal a sans aucun doute engendré une perte de compétitivité significative pour les

entreprises allemandes. Or, les entreprises ne sont pas liées entre elles comme peuvent l’être

les Etats, leur interdépendance est bien moins prononcée. Les entreprises ont la faculté de se

tourner vers de nouveaux partenaires ou investisseurs bien plus rapidement que ne peuvent le

faire les Etats. En perdant la confiance du secteur privé allemand avec la surveillance de la

NSA, le gouvernement américain prive ses fleurons du numérique de se positionner ou de se

renforcer en Allemagne. Or, la confiance dans les relations commerciales est indispensable

pour pouvoir obtenir des marchés à long terme. Arne Schönbohm citait l’exemple de

l’industrie automobile allemande qui construit de plus en plus de voitures équipées de

systèmes d’exploitation embarqués pour contrôler les fonctionnalités du tableau de bord et

autres gadgets. Il m’a confié, sans citer de marques précises, que certaines compagnies qui

avaient décidé dans un premier temps de s’associer avec Google pour leur système

d’exploitation avaient finalement choisi de changer de partenaire et de s’orienter vers d’autres

compagnies concurrentes. Ainsi, face à la perte de confiance des entreprises allemandes, les

184 Bundesministerium des Innern, 18/12/14, « Federal Government approves draft IT Security Act », http://www.bmi.bund.de/SharedDocs/Kurzmeldungen/EN/2014/12/it-security-act.html, consulté le 06/05/15. 185 Calla Cecilia, « On ne peut pas garantir une sécurité à 100% », ParisBerlin, mars 2014.

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entreprises américaines se sont lancées dans des efforts considérables pour retrouver cette

confiance perdue en faisant de leur image de marque l’une de leur priorité.

Le programme BLARNEY BLARNEY est un programme de surveillance des communications débuté en 1978 dont la collecte des données se fait aux Etats-Unis selon la méthode « upstream ». La nature des données recherchées concernent les domaines militaires et diplomatiques, le contre-terrorisme mais également les données économiques186. Les informations collectées sont partagées avec plusieurs agences américaines dont la CIA et le FBI. Certaines compagnies américaines ont également accès à des données clés issues de cette collecte (données économiques, stabilité du pays, politique étrangères du pays, intentions des dirigeants, etc…)187.

cc)) LLeess eeffffoorrttss mmeennééss ppaarr lleess EEttaattss--UUnniiss ppoouurr rreettrroouuvveerr llaa ccoonnffiiaannccee ccoommmmeerrcciiaallee

Le programme PRISM a été le premier programme de la NSA à être publié par Glenn

Greenwald, ce pourquoi il est probablement aujourd’hui le plus familier du grand public. Le

programme PRISM autorisait la NSA à exiger – sous couvert de la menace terroriste – les

données personnelles des utilisateurs des géants du Net dont les serveurs se trouvaient sur le

territoire américain. En d’autres termes, la NSA pouvait réclamer les données d’un profil

Facebook, les métadonnées d’un abonné Verizon, ou le contenu d’un message Gmail. En

effet, en ce qui concerne la protection des données, la législation du pays dans lequel les

données sont stockées (sur le serveur) s’applique. Autrement dit, la NSA n’aurait pas pu

obtenir ces données dans les mêmes conditions si le serveur se trouvait dans un autre pays.

Or, nous l’avons vu, les Allemands sont extrêmement attachés à la notion de protection de la

vie privée et des données personnelles. De fait, la législation allemande protège beaucoup

mieux les données personnelles que la législation américaine qui elle est plus flexible. Cela

explique pourquoi la majeure partie des data centers des géants du net se trouve aux Etats-

Unis ou, pour ceux situés en Europe, en Irlande où les taux d’imposition sont très attractifs

pour les compagnies étrangères.

La société américaine Amazon Web Services (AWS) est une filiale d’Amazon.

Consciente que la confiance des utilisateurs et des partenaires était primordiale, l’entreprise a

annoncé le 23 octobre 2014 qu’elle comptait ouvrir un des ses data center à Francfort afin que

les données des utilisateurs allemands puissent rester en Allemagne. Son vice-président Andy

Jessy a déclaré qu’AWS avait des milliers de clients allemands qui avaient fait part à AWS de

leur intention d’utiliser leurs data centers mais qu’ils ne le feraient pas à moins d’avoir une

186 Greenwald Glenn, « Nulle part où se cacher », Ed. JC Lattès, 2014. 187 Nsa-observer.net, https://www.nsa-observer.net/search/blarney, consulté le 01/05/15.

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infrastructure en Allemagne188. Il a d’ailleurs également ajouté : « Ce que nous avons

découvert avec les clients allemands, peut être plus que n’importe où dans le monde, c’est

qu’ils ont beaucoup d’intérêt pour que les données résident dans le pays »189. Concrètement,

cela se traduit par la prise en considération des représentations allemandes concernant la

protection des données par AWS.

On imagine alors l’opportunité que représente ce marché pour les constructeurs

nationaux qui équipent ce genre d’infrastructures (tels que Siemens). Il est relativement

difficile d’évaluer le coût d’un data center, d’une part parce que ce sont des informations la

plupart du temps confidentielles, et d’autre part parce que son coût dépend de sa taille, de son

niveau de sécurité, du prix du foncier etc. A titre de comparaison, Microsoft a révélé en

septembre 2013 vouloir investir 2 milliards d’euros pour la construction d’un data center aux

Pays-Bas190. Même si celui d’AWS à Francfort ne faisait que la moitié, il représenterait

néanmoins un marché important qui serait une conséquence directe de l’Affaire Snowden.

En parallèle des initiatives du secteur privé, le Ministre des Affaires Etrangères

allemand Franck-Walter Steinmeier a mis en place un « Transatlantic Cyber Dialogue » avec

son homologue américain John Kerry afin d’essayer de trouver des solutions pour la

confiance entre les entreprises191. Ce groupe de travail est composé de membres du

gouvernement, mais inclut également des think tanks et des entreprises. Annegret Bendiek est

chercheuse associée spécialiste des relations transatlantiques au SWP, un think tank très

influent en Allemagne. Le SWP a en outre été convié par le Ministère des Affaires Etrangères

à faire partie des discussions et c’est Madame Bendiek qui a été choisie pour représenter le

think tank. Lors de notre entretien, Annegret Bendiek m’a confié que ce dialogue était

davantage une mesure politique que commerciale car les discussions « manquaient

cruellement de substance ». Le but de cette manœuvre politique est avant tout de rassurer les

entreprises en montrant que des initiatives sont aussi prises au niveau gouvernemental, mais

en pratique le Transatlantic Cyber Dialogue n’a montré que peu de résultats jusqu’à présent.

188 Financial Times, « Amazon to open German data centers to soothe Europen concerns », 23/10/14, http://www.ft.com/intl/cms/s/0/56181a6e-5a96-11e4-b449-00144feab7de.html#axzz3MAfDjQ8V, consulté le 17/12/14. 189 Ricadela Aaron, « Amazon Cloud Service Courts Germany With New Data Center », Bloomberg News, 23/10/14, http://www.bloomberg.com/news/2014-10-23/amazon-cloud-service-courts-germany-with-new-data-center.html, consulté le 17/12/14. 190 Edmond Rich, « Microsoft looking to invest $2.7 billion in a new Dutch data center Microsoft », Microsoft, 28/09/13, http://www.windowscentral.com/microsoft-looking-invest-new-netherlands-data-center, consulté le 03/05/15. 191 German Missions in the United States, « Cyber Dialogue: Safeguarding Freedom and Security, 30/06/14, http://www.germany.info/Vertretung/usa/en/__pr/P__Wash/2014/06/30-CyberDialogue.html, consulté 31/03/15.

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Cet exemple montre de manière limpide que si des solutions de confiance doivent être

trouvées, cela se fera indiscutablement à travers le secteur privé plutôt que par le secteur

public qui se révèle pour l’instant inefficace. En revanche, le gouvernement a un rôle

prépondérant à jouer en termes de dialogue juridique, car il existe de fortes incompatibilités

légales entre les entreprises et les Etats. Or, la confiance entre les entreprises serait facilitée si

elles disposaient d’un cadre légal adéquat qui les protégeaient davantage des abus des

gouvernements afin de ne plus être l’objet de programmes comme PRISM qui nuisent

énormément à leur image. Un tel dialogue a été mis en place au niveau législatif. Il regroupe

les chefs parlementaires des commissions qui s’occupent des services secrets mais leurs

conclusions sont attendues d’ici juin 2015. Même si ce dialogue aboutit à un consensus, il y a

peu d’espoirs qu’il change la donne à court terme puisque Barack Obama, malgré des

promesses de renforcement des libertés dans le numérique, a déjà reconduit les programmes

de la NSA192. Cette initiative de Barack Obama a par la suite été confirmée par le pouvoir

législatif. Le 23 mai 2015, le Sénat américain a rejeté le projet de loi « USA Freedom Act »

visant à interdire à la NSA la collecte massive de données aux Etats-Unis193.

192 Hattem Julian, « Obama renews NSA spying program after reform bill fails », The Hill, 12/08/14, http://thehill.com/policy/technology/226322-obama-renews-nsa-program-after-reform-bill-fails, consulté le 03/05/15. 193 Zetter Kim, « The Senate Fails to Reform NSA Spying, Votes Against USA Freedom Act », Wired, 23/05/15, http://www.wired.com/2015/05/senate-fails-end-nsa-bulk-spying-votes-usa-freedom-act/, consulté le 24/05/15.

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IIII)) LLeess ccoonnssééqquueenncceess ddee ll’’AAffffaaiirree SSnnoowwddeenn ssuurr lleess

ppoolliittiiqquueess aalllleemmaannddeess eett eeuurrooppééeennnneess ddee pprrootteeccttiioonn

ddeess ddoonnnnééeess

Dans la première partie, nous avons vu que les révélations d’Edward Snowden ont eu

des conséquences visibles dans toutes les strates de la société allemande. Dans cette partie,

nous nous concentrerons sur une conséquence moins visible mais d’un enjeu capital : la

protection des données numériques à caractère personnel. En effet, nous sommes arrivés

aujourd’hui au terme d’un processus de digitalisation globale des informations qui transforme

nos données numériques en véritable « matière première »194, « ressource stratégique »195 ou

« monnaie »196. La gratuité des services proposés par Google ou Facebook font des

utilisateurs la marchandise de ce système. Cette constatation suit une logique simple : quand

le service est gratuit, l’utilisateur est le produit. Les données numériques à caractère personnel

représentent donc une manne financière et informationnelle non négligeable pour qui les

convoitent, que ce soient les entreprises ou les gouvernements. Pour les entreprises, la collecte

de données des utilisateurs peuvent servir à affiner les stratégies marketing et proposer des

produits plus adapté à leurs cibles. Pour les gouvernements, elles permettent de connaitre les

opinions et les activités de leurs citoyens et d’intervenir en cas de menace terroriste. Mais les

révélations d’Edward Snowden ont montré les abus et les dérives de ce système.

C’est pourquoi la protection des données personnelles est devenue un enjeu majeur

depuis les révélations d’Edward Snowden. Mais les politiques américaines, européennes et

allemandes en matière de protection des données ne sont pas les mêmes, ce qui rend difficile

une protection efficace.

Ainsi, nous verrons dans un premier temps les enjeux liés à la protection des données

européenne puis ce que l’Affaire Snowden a apporté dans la politique allemande de protection

des données. Dans un second temps, nous verrons comment l’UE, menée par l’Allemagne, se

sert de la protection des données comme levier dans la négociation du TTIP avec les Etats-

Unis.

194 Leroy Franck, « Réseaux sociaux & Cie, le commerce des données personnelles », ed. Actes Sud, 2013. 195 Frénot Stéphane et Grumbach Stéphane, « Les données sociales, objets de toutes les convoitises », Hérodote, 2014/1 n° 152-153, p. 43-66. 196 Gill Peter, « Les nouveaux développements des réseaux de sécurité et de renseignement », in Didier Bigo et al., Au nom du 11 septembre…, ed. La Découverte « Cahiers libres », 2008, p. 104-117.

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AA)) LLeess eennjjeeuuxx ggééooppoolliittiiqquueess lliiééss àà llaa pprrootteeccttiioonn ddeess ddoonnnnééeess

eeuurrooppééeennnneess

Les données allemandes sont avant tout des données européennes. Comme les géants

du nets et l’espionnage massif s’est révélé venir surtout d’outre-Atlantique, il convient de se

pencher dans un premier temps sur les cadre légaux qui entourent la protection des données en

Europe et aux Etats-Unis, pour ensuite les mettre en relation avec les enjeux allemands liés à

la protection des données.

11)) LLaa ppoolliittiiqquuee eeuurrooppééeennnnee ddee pprrootteeccttiioonn ddeess ddoonnnnééeess

aa)) LLeess ccaaddrreess llééggaauuxx ddee llaa pprrootteeccttiioonn ddeess ddoonnnnééeess eenn EEuurrooppee eett aauuxx EEttaattss--UUnniiss

i) Le cadre européen

La protection des données personnelles dans l’UE est régie par une multitude de

conventions, chartes, décisions-cadres, règlements et directives (voir encadré). Parmi ces

textes, tous n’ont pas force obligatoire et ne représentent que des règles de bonne conduite

invitant les Etats membres à les adopter. Le principal texte de loi européen relatif à la

protection des données et applicable dans l’UE est la « directive 95/46/CE relative à la

protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel

et à la libre circulation de ces données » (la directive de 95), votée le 24 octobre 1995 et

entrée en vigueur en octobre 1998197. Cette directive met en place un cadre réglementaire

visant à établir un équilibre entre un niveau élevé de protection de la vie privée des personnes

et la libre circulation des données à caractère personnel au sein de l’UE. Pour ce faire, la

directive prévoit deux mesures majeures.

Premièrement, la directive impose aux Etats membres de l’UE la création, à travers

une loi de transposition, d'un organisme national indépendant chargé de la protection des

données. En Allemagne par exemple, cet organisme est le Bundesbeauftragte für den

Datenschutz und die Informationsicherheit (BfDI). Il est l’équivalent de la Commission

Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) en France. Ces agences sont chargées de

veiller à ce que l’informatique soit au service du citoyen et qu’elle ne porte atteinte ni à

l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles

ou publiques.

197 Parlement européen, Directive 95/46/CE, 23/11/95, http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:31995L0046:fr:HTML

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Deuxièmement, la directive fixe des limites strictes à la collecte et à l'utilisation des

données à caractère personnel. En effet, elle prévoit le transfert des données personnelles des

citoyens européens à l’extérieur de l’Espace économique européen (EEE198), à la condition

que le pays accueillant les données propose un « niveau de protection adéquat » établi par la

Commission européenne. Or, nous allons voir que le cadre légal de la protection des données

aux Etats-Unis est à l’opposé de celui prévu par l’UE.

La protection des données en Europe199 La protection des données fait partie du cadre législatif de la protection de la vie privée. Autrement dit, les textes législatifs protégeant la vie privée s’appliquent également à la protection des données personnelles. Ainsi, en Europe, la protection de la vie privée est principalement régie par :

x L’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (1950) x L’article 7 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne (2000)

Les deux textes prévoient en des termes similaires le droit au respect de la vie privée et familiale200. Par ailleurs, la protection des données personnelles fait elle-même l’objet de textes spécifiques dont :

x La convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (1981)201

x La directive 95/46/CE relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (1995)

x L’article 8 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union européenne (2000) x La directive 2002/58/CE relative à la protection de la vie privée et au secteur des

communications électroniques (2002)

ii) Le cadre américain

La protection des données outre-Atlantique fait également l’objet de multiples textes.

Outre les textes constitutionnels et les jurisprudences relatifs à la protection de la vie privée,

la protection des données personnelles aux Etats-Unis a été consacrée pour la première fois

par le Code of Fair Information Practices rédigé en 1973 et qui prévoyait cinq principes

permettant une plus grande protection des données des citoyens américains. Mais le Code of

Fair Information Practices a surtout servi de base à la rédaction l’année suivante du Privacy

Act de 1974, qui constitue encore aujourd’hui le texte américain de référence concernant la

protection des données à caractère personnel. En revanche, ce texte s’applique seulement aux

198 L’Espace Economique Européen est composé de tous les pays membres de l’Union Européenne ainsi que l’Islande, la Norvège et Liechtenstein. 199 Davoli Alessandro, « La protection des données à caractère personnel », Parlement européen, février 2015, http://www.europarl.europa.eu/ftu/pdf/fr/FTU_5.12.8.pdf, consulté le 02/02/15. 200 Pour plus de précisions sur les articles, voir : http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Treaties/Html/005.htm et http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf. 201 Les conventions du Conseil de l’Europe s’appliquent aux pays de l’Union européenne.

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citoyens américains ou aux étrangers légalement admis pour une résidence permanente202. Les

citoyens européens qui ne sont pas permanents aux Etats-Unis sont donc exclus du champ

d’application du Privacy Act. De plus, le Privacy Act ne prévoit pas la création d’une autorité

indépendante chargée de la protection des données comme c’est le cas en Europe203.

Les attaques terroristes du 11 Septembre 2001 ont été un facteur déterminant de

l’assouplissement de la protection des données des citoyens américains après la ratification du

Patriot Act, quelques semaines après les attentats. Avec le Patriot Act, les techniques de

surveillance qui étaient permises pour la sécurité extérieure des Etats-Unis sont devenues

autorisées pour la sécurité intérieure du pays204. De plus, le chapitre cinq de la loi prévoit la

possibilité pour les autorités américaines d’exiger des opérateurs l’accès aux métadonnées des

utilisateurs afin de les traiter205. En ce sens, on peut affirmer que le Patriot Act a été un des

tournants majeur du passage d’une surveillance américaine ciblée à une surveillance massive,

à l’intérieur de ses frontières comme à l’extérieur. En 2001, juste après les attentats, le vote de

cette loi a été un élément fédérateur pour les Américains qui, dans l’indignation du moment,

étaient probablement prêt à abandonner un peu de leur liberté contre plus de sécurité. C’est

d’ailleurs ce qu’on a pu également observer en France après les attentats de Paris de janvier

2015 avec pour réponse le lancement quasi immédiat d’une réforme des services de

renseignement.

La protection des données aux Etats-Unis ne remplit donc pas les mêmes garanties que

celles proposées par l’UE. Pour ces raisons, la commission européenne a jugé que les Etats-

Unis ne disposaient pas d’un niveau de protection adéquat autorisant le transfert des données

de l’EEE sur leur territoire. C’est donc le transfert des données européennes vers les Etats-

Unis qui cristallise les tensions entre les deux puissances.

Le marché européen étant un marché non négligeable pour l’économie américaine, le

gouvernement américain a dû trouver une alternative afin de satisfaire les exigences de la

Commission européenne en matière de protection de données. Le Département du Commerce

des Etats-Unis a donc mis en place une « sphère de sécurité » plus connue sous sa

dénomination américaine : les Safe Harbour Principles. Les Safe Harbour sont composés de

sept principes qui ont été approuvés par la Commission européenne le 26 juillet 2000 et

permettant à une entreprise américaine, si elle les adopte, de certifier qu’elle respecte la

202 Bellanova Rocco & De Hert Paul, « Protection des données personnelles et mesures de sécurité : vers une perspective transatlantique », Cultures & Conflits, 2009. 203 Ibid 204 Ekovich Steven, « Patriot Act, sécurité et liberté aux Etats-Unis », La marche de l’Histoire, France Inter, 13/01/15. 205 Ibid

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législation de l’EEE afin d’obtenir la permission de transférer des données personnelles de

l’EEE vers les Etats-Unis. Ainsi, les sociétés américaines opérant à l’intérieur de l’EEE qui

veulent transférer les données aux Etats-Unis (comme Facebook par exemple) doivent

justifier qu’elles remplissent les critères mis en place par le Département du Commerce

américain.

Néanmoins, que ce soit en Europe ou aux Etats Unis, les mécanismes mis en place

pour assurer la protection des données des citoyens européens sont devenus insuffisants et ne

répondent plus aux enjeux contemporains.

bb)) LLeess lliimmiitteess ddeess mmééccaanniissmmeess iinnssttiittuuttiioonnnneellss aaccttuueellss

i) Les problèmes posés par les Safe Harbour

La première limite à la protection des données européennes concerne l’application

pratique des Safe Harbour. En effet, pour pouvoir figurer sur la liste des Safe Harbour, il suffit

à l’entreprise américaine de déclarer qu’elle remplit bien les sept principes prévus par le

Département du Commerce. Or, le contrôle du respect de ces principes peut s’effectuer soit

par un tiers soit par un service interne. Et c’est bien là le problème que posent les Safe

Harbour Principles. Grâce à ce processus d’auto-certification, une entreprise américaine peut

déclarer qu’elle se conforme aux sept principes prévus par le Département du Commerce

quand bien même cela serait faux. Le Département du Commerce américain n’effectue pas de

contrôle a posteriori du respect des principes, le seul recours possible étant la vigilance des

citoyens européens (ou entreprises concurrentes) qui peuvent rapporter à leur agence nationale

de protection des données (la CNIL par exemple) ou à la Federal Trade Commission (FTC) le

non respect des Safe Harbour par l’entreprise en question. Un contrôle bien mince pour

garantir la protection d’un droit pourtant fondamental. Et pour cause, les seules

condamnations prononcées à ce jour pour non respect des Safe Harbour remontent au 19

janvier 2010 où la FTC a condamné six entreprises américaines à un simple avertissement206.

Face au non respect des principes de protection des données par les entreprises

américaines et à l’insuffisance des mesures de contrôles relevant de la FTC, les autorités

européennes ont commencé progressivement à pointer du doigt les dysfonctionnements des

Safe Harbour et chercher une alternative ou un renforcement de ce mode d’autorégulation.

Dans un communiqué de presse du 25 janvier 2012, la Commission annonçait la proposition

206 Federal Trade Commission, « FTC Settles with Six Companies Claiming to Comply with International Privacy Framework », 06/10/09, http://www.ftc.gov/news-events/press-releases/2009/10/ftc-settles-six-companies-claiming-comply-international-privacy, consulté le 02/02/15.

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d’une réforme globale des règles en matière de protection des données207. Mais c’est surtout

depuis les révélations d’Edward Snowden que le débat s’est accéléré. En effet, le parlement

européen a adopté le 12 mars 2014 une résolution intitulée « Programme de surveillance de la

NSA, organismes de surveillance dans divers États membres et incidences sur les droits

fondamentaux des citoyens européens » dans laquelle il demande la suspension immédiate de

l’accord Safe Harbor pour violation de la directive européenne de protection des données

personnelles208. Cette résolution n’ayant qu’une portée déclaratoire, la mise en œuvre de ses

dispositions revient à la discrétion de la Commission qui en l’espèce a fait le choix ne pas la

suivre et a préféré opter pour le dialogue avec les Etats-Unis afin d’aboutir à un renforcement

des Safe Harbour plutôt que leur suppression209.

Toutefois, malgré sa force déclaratoire, cette résolution a activement relancé le débat

sur la réforme européenne de la protection des données en faisant prendre conscience aux

Etats membres que la directive de 95 et ses mécanismes étaient devenue obsolète.

ii) L’obsolescence de la directive de 1995

La seconde limite portée à la protection des données européennes concerne la directive

de 1995 elle-même. En effet, lorsque la directive a été rédigée, l’Internet n’en était encore

qu’à ses balbutiements. Les législations européennes sur la protection des données, vieilles de

vingt ans, doivent faire l'objet d'une mise à jour urgente afin de répondre aux progrès réalisés

dans les technologies de l'information et au recours croissant aux données personnelles par les

entreprises. La technologie de l’information évoluant tellement rapidement fait que la

législation européenne n’est plus – ou moins – adaptée à l’Internet d’aujourd’hui et requiert

une mise à jour. C’est pourquoi une réforme de la protection des données a été initiée en

2012. L’autorité compétente pour amorcer cette réforme est le « Groupe de travail Article 29

sur la protection des données » (G29) qui est constitué d’un représentant des agences de

protection de chaque Etat membre, du Contrôleur européen de la protection des données et

d’un membre de la Commission. Cette réforme devrait inclure des changements tels que le

207 Commission européenne, communiqué de presse, 25/01/12, Bruxelles, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-46_fr.htm?locale=FR, consulté le 14/04/15. 208 Parlement européen, « Résolution relative aux programme de surveillance de la NSA, organismes de surveillance dans divers États membres et incidences sur les droits fondamentaux des citoyens européens », 12/03/14, Strasbourg, http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2014-0230+0+DOC+XML+V0//FR, consulté le 14/04/15. 209 CIL Consulting, « Quel avenir pour les accords de Safe Harbor ? », 07/04/14, http://www.protection-des-donnees.fr/quel-avenir-pour-les-accords-de-safe-harbor/, consulté le 14/04/15.

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droit à l’oubli numérique, le renforcement des Safe Harbour et l’encadrement de la protection

des données à la coopération policière et judiciaire210.

Au cours de mon enquête de terrain à Berlin, j’ai pu rencontrer Sven Hermerschmidt

qui est rattaché à la direction générale du BfDI et qui le représente à l’Etat fédéral à Berlin211.

Lors de notre entretien, Monsieur Hermerschmidt m’a confié que les révélations d’Edward

Snowden avaient considérablement accéléré la réforme sur la protection des données.

Cependant, il a toutefois précisé que certains acteurs du G29 étaient davantage impliqués que

d’autres sur la progression de cette réforme et que tous n’avaient pas les mêmes priorités.

Selon Sven Hermerschmidt, le BfDI a longtemps été – avec la CNIL ensuite – le moteur du

G29, notamment grâce à son ancien directeur Peter Schaar qui était un expert international des

technologies de l’information et très engagé sur la scène européenne concernant la protection

des données. Arrivant au terme de son second mandat de cinq ans et dans l’impossibilité de se

représenter pour un troisième, Peter Schaar a été remplacé en décembre 2013 par Andrea

Vosshof, une députée de la CDU ne possédant pas la même expertise que son prédécesseur

(voir encadré). Ainsi, Monsieur Hermerscmidt affirme que la CNIL assure aujourd’hui le rôle

de leader dans le processus de réforme de protection des données engagé par l’UE,

notamment du fait des importantes ressources humaines et financières mis à sa disposition.

Elle est devenue sans contexte l’autorité nationale de protection des données ayant le plus

d’influence en Europe. Mais le manque de consensus au sein du G29 retarde la réforme.

Originairement prévue pour mars 2014, la réforme est maintenant attendue pour fin 2015.

Néanmoins, il est probable que les attentats de Paris en janvier 2015 viennent encore reporter

cet agenda prévisionnel du fait de l’important débat qui a été relancé en Europe sur la sécurité

des Etats et le renseignement, dont la collecte des données personnelles constitue la pierre

angulaire. En l’espèce, les questions liées aux accords PNR (Passenger Name Record) entre

les Etats-Unis et l’UE est au cœur de ces débats et risque d’accroitre la tache du G29 puisque

les accords PNR figurent dans son champ de compétence.

Andrea Vosshof Avant d’être nommée à la tête du BfDI, Andrea Vosshof était député de la CDU au Bundestag. Sa nomination à ce poste est très controversé car elle s’était illustrée en 2012 en se déclarant favorable à la rétention de données prévues par l’Accord commercial anti-contrefaçon (plus connu sous le nom d’ACTA). Le Bundestag a finalement été un des seuls parlements européen (avec l’Estonie, la

210 Commission européenne, communiqué de presse, 25/01/12, Bruxelles, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-46_fr.htm?locale=FR, consulté le 14/04/15. 211 Bonn étant l’ancienne capitale de la République Fédérale d’Allemagne, certains ministères et autorités gouvernementales y sont toujours installées. Le siège du BfDI est établi à Bonn mais il détient une antenne à Berlin pour des raisons pratiques de communication avec le pouvoir central.

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Slovaquie et la Croatie) à ne pas avoir ratifié le traité. Lors de sa nomination au BfDI, Andrea Vosshof a radicalement changé de position en revenant sur ses propos affirmant que « la rétention de données était incompatible avec nos droits fondamentaux »212. Ce changement de conviction a donné à la directrice du BfDI une image d’instabilité dont elle est maintenant indissociable. Son rôle politique en est considérablement affaibli. Sven Hermerschmidt a tenu un discours très critique à son propos en affirmant que Madame Vosshof était « molle », « manquait de charisme » et « ne comprenait pas grand-chose à la protection des données ».

Ainsi, les dysfonctionnements des Safe Harbour d’une part et la lente réforme

européenne de la protection des données d’autre part contraignent les agences nationales à

composer avec des outils souvent inadéquats afin de garantir la protection des données de

leurs citoyens. Maintenant que nous avons vu les mécanismes et les failles liés à au transfert

de données entre l’Europe et les Etats-Unis, voyons comment l’Allemagne gère la protection

de ses données et ce que les révélations d’Edward Snowden ont changé dans ce système.

22)) LLaa pprrootteeccttiioonn ddeess ddoonnnnééeess eenn AAlllleemmaaggnnee,, ddééffii ppoouurr ll’’EEuurrooppee

L’Allemagne est un pays tout à fait à part concernant la transposition de la directive de

1995 dans son droit interne. Alors que les autres pays membres ne disposent que d’une agence

nationale chargée de la protection des données, l’Allemagne en est dotée de dix-huit,

comprenant dix-sept agences régionales et une fédérale. Après en avoir expliqué leurs rôles

respectifs, il conviendra d’exposer les défis posés par les révélations d’Edward Snowden et

l’importance pour l’Allemagne de les relever.

aa)) LLee ccaaddrree llééggaall ddee llaa pprrootteeccttiioonn ddeess ddoonnnnééeess eenn AAlllleemmaaggnnee

La Bundesdatenschutzgesetz du 18 mai 2001 est la loi de transposition de la directive

de 1995 qui définit la répartition des compétences concernant la protection des données en

Allemagne. Le système fédéral de l’Allemagne fait que les Länder ont beaucoup d’autonomie

vis-à-vis du pouvoir central et disposent de leur propre parlement et de leur propre

gouvernement. Chaque Länder dispose donc de prérogatives telles que l’éducation, la santé,

l’environnement ou encore la sureté. La protection des données fait également partie de ces

prérogatives. Ainsi, chaque Länder dispose de sa propre autorité de protection des données,

que l’on pourrait qualifier « d’agence régionale », chargée de mettre en œuvre la

Bundesdatenschutzgesetz. Toutefois, le mandat de ces agences n’est pas illimité. En effet, les

212 Beckedahl Markus, « Bundesdatenschutzbeauftragte Andrea Voßhoff ist jetzt auch gegen die Vorratsdatenspeicherung », 31/01/15, https://netzpolitik.org/2015/bundesdatenschutzbeauftragte-andrea-vosshoff-ist-jetzt-auch-gegen-die-vorratsdatenspeicherung/, consulté le 14/04/15.

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agences régionales ne sont compétentes que pour la protection des données des citoyens du

Land qu’elles représentent et celles du secteur privé dont le siège social est établi dans leur

Land. L’Allemagne étant composée de seize Länder, seize agences régionales sont

responsables de la protection des données. Il y a cependant une exception avec la Bavière qui

a fait le choix de créer deux agences distinctes et différencier la protection des données des

citoyens de celles du secteur privé. Il y a donc en réalité dix-sept agences régionales. Ces

agences sont indépendantes les unes des autres et l’application de la Bundesdatenschutzgesetz

n’est pas la même dans tous les Länder. Si la loi est la même pour tous, sa mise en œuvre peut

varier selon les Länder. Ceci explique par exemple pourquoi le Land de Schleswig-Holstein a

décidé d’exclure les mentions « j’aime » de Facebook et les « Google +1 » des sites internet

édités dans le Land (voir supra I, A, 2, c).

Les péripéties de la transposition de la directive de 95 en Allemagne Bien que l’Allemagne soit très soucieuse des questions relatives à la protection des données, elle a paradoxalement eu des difficultés à transposer la directive de 95 dans son droit interne. Lorsqu’une directive est votée par le Parlement européen, les Etats membres disposent de 3 ans pour pouvoir la transposer. Or l’Allemagne a tardé à transposer la directive et une procédure pour manquement fut alors engagée en 1999 par la CJUE. Le pays fut condamné à verser des pénalités de retard. L’Allemagne a fini par transposer la directive à travers la Bundesdatenschutzgesetz votée le 18 mai 2001 et entrée en vigueur deux jours plus tard. Mais en juillet 2005 la Commission européenne a critiqué l’Allemagne du fait que les autorités régionales de protection des données n’avaient pas suffisamment d’indépendance vis-à-vis de l’Etat fédéral. Cela s’est traduit par un nouvel arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) le 9 mars 2010 condamnant l’Allemagne pour mauvaise transposition. Le pays a une nouvelle fois du payer des pénalités. Enfin, l’Allemagne a rapidement réagi à la condamnation puisqu’elle a révisé sa loi le 1er avril 2010.

Cette dernière est entrée en vigueur le 11 juin 2010 et constitue aujourd’hui la loi actuelle.

Alexander Dix est le commissaire de la Berliner Beauftragter für Datenschutz und

Informationsfreiheit (BBfDI), l’agence chargée de la protection des données du Land de

Berlin. Dernier acteur que j’ai pu interroger lors de mon séjour à Berlin, il m’a été présenté

par toutes les personnes rencontrées avant lui comme le plus grand expert allemand de la

protection des données. Effectivement, cette personne de 64 ans très charismatique parle de

son sujet avec une réelle passion communicative. Bien que Berlin soit l’un des plus petits

Länder d’Allemagne, le BBfDI a sous sa responsabilité la protection des données

d’énormément d’entreprises, que ce soit de grands groupes (Deutsche Bahn est le plus gros

employeur d’Allemagne), des établissements semi-publics (Berlin est le plus important pôle

hospitalier d’Allemagne et accueille de nombreux sièges sociaux de laboratoires

pharmaceutiques) ou de petites start-up (La ville est très dynamique et attire de nombreux

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jeunes qui créent de petites entreprises innovantes). Les données industrielles ou médicales de

toutes ces entreprises sont sous la protection du BBfDI.

La dix-huitième agence est le Bundesbeauftragte für den Datenschutz und die

Informationsicherheit (BfDI) qui est l’institution fédérale chargée de la protection des

données. La mission de cette agence n’est pas de chapeauter les agences régionales ni de

s’assurer de leur harmonisation. En réalité, le BfDI se distingue des agences régionales par le

mandat qui lui a été confié. En effet, alors que les agences régionales sont compétentes pour

la protection des données des citoyens et du secteur privé, le BfDI est compétent pour la

protection des données des institutions fédérales et la protection des communications et des

postes. Elle représente également la position de l’Allemagne à l’étranger sur la protection des

données, que ce soit en Europe à la Commission européenne (principalement au G29) ou à

l’international lors de conférences mondiales (l’Union Internationale des Télécoms par

exemple).

Les autorités chargées de la protection des données en Allemagne

(auteur : Alexis Daloze)

Bundesdatenschutzgesetz

Directive 95/46/CE

Agence régionale de Berlin

•Protection des données des citoyens du Land de Berlin

•Protection des données du secteur privé (entreprises ayant leur siège social à Berlin)

BfDI

•Protection des données des institutions fédérales

•Protection des données des communications et des postes

•Représente la position de l'Allemagne à l'étanger sur la protection des données

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bb)) LLeess pprroobbllèèmmeess dduu ssyyssttèèmmee aalllleemmaanndd

Le système fédéral de l’Allemagne induisant une forte décentralisation implique deux

conséquences négatives sur la politique de protection des données : d’une part un manque de

clarté pour les citoyens, d’autres part une protection à deux vitesses. Ces deux conséquences

se traduisent par des problèmes d’harmonisation qui constitue le véritable enjeu pour la

politique de protection des données.

i) Un manque de clarté pour les citoyens

Nous l’avons vu, la protection des données se fait à deux niveaux : au niveau fédéral et

au niveau des Länder. Que ce soit au BfDI ou au BBfDI, les représentants que j’ai rencontrés,

respectivement Sven Hermerschmidt et Alexander Dix, ont tous les deux remarqué après les

révélations d’Edward Snowden une importante augmentation (sans pouvoir la chiffrer avec

précision) des demandes et requêtes des citoyens concernant la protection de leurs données.

Alors que le BfDI est normalement compétent principalement pour la protection des données

des institutions fédérales, Monsieur Hermerschmidt avoue qu’au lendemain du scandale de la

NSA, l’agence a littéralement croulé sous les demandes de citoyens et d’entreprises de tout le

pays. Les messages étaient de plusieurs nature, il s’agissait principalement de questions

d’ordre général pour savoir quels étaient leurs droits et comment protéger leurs données. Mais

le BfDI a également reçu des déclarations politiques de citoyens mécontents voulant partager

leur colère, allant jusqu’à accuser le BfDI de laxisme et d’être inutile. Des citoyens sont

même venus se présenter en personne au BfDI pour savoir comment augmenter la protection

de leurs données.

Le problème lié à cette conséquence des révélations Snowden ne sont pas les

revendications des citoyens que Monsieur Hermerschmidt trouve parfaitement justifiées, mais

le fait que les citoyens ne s’adressent pas à l’agence compétente pour protéger leurs données.

Le manque de clarté lié aux compétences des institutions chargées de la protection des

données est révélateur d’un problème institutionnel que les révélations de Snowden ont

contribué à mettre à jour. Pour Sven Hermerschmidt, il faut donc réformer le système, mais ni

le BfDI ni les agences régionales ne souhaitent faire le premier pas. Pour réformer ce système,

il faudrait que le BfDI reprenne la compétence des agences régionales et englobe la protection

des citoyens et des entreprises, ce que les agences régionales ne veulent absolument pas.

Inversement, une autre solution voudrait que les agences régionales soient compétentes pour

la protection des données des institutions de leur Länder respectifs, ce sur quoi le BfDI ne

veut pas céder. Monsieur Hermerschmidt a néanmoins laissé entendre que l’affaire Snowden

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avait été l’élément déclencheur de discussions entre les agences régionales et le BfDI pour

que celui-ci reprenne aux agences régionales la compétence du secteur privé. La raison de ces

négociations est la différence de moyens, tant humain que financier, entre les deux autorités.

ii) Une protection des données à deux vitesses

Soumis à l’autorité des Länder, les agences régionales sont donc dépendantes du

budget de ces derniers. Or, les Länder allemands ne disposent pas des mêmes fonds et n’ont

pas non plus les mêmes priorités concernant l’administration de leur territoire. Ainsi, la taille,

les moyens et les priorités des agences régionales varient énormément selon les Länder. Les

petits Länder comme Berlin, Hambourg ou Brême ne disposent que de très peu de ressources

pour parfois gérer la protection des données d’entreprises de taille considérable. Alors que les

agences régionales comptent en moyenne une vingtaine d’employés, l’agence de Berlin n’en

dispose que d’à peine quinze. Pourtant, ce n’est pas parce que les Länder sont petits que les

entreprises y sont moins nombreuses. Berlin accueille entre autre le siège de Deutsch Bahn

qui est le plus gros employeur d’Allemagne, Brême celui d’Airbus et Hambourg ceux de

Google et Facebook. Inversement, l’agence régionale du Schleswig-Holstein est la plus

grande d’Allemagne avec une trentaine d’employés alors que c’est un petit Land d’un point

de vue démographique et économique. En réalité tout dépend des priorités des Lander. Pour

faire face aux faibles ressources accordées par les Lander comparé aux missions auxquelles

les agences régionales sont censées répondre, chaque agence régionale s’est plus ou moins

spécialisée dans un domaine en particulier. Berlin, par exemple, qui est le pôle hospitalier le

plus important d’Allemagne a fait de la protection des données médicales sa priorité. Les

hôpitaux utilisent des systèmes complexes et perfectionnés pour soigner ou diagnostiquer les

patients et ces données sont de plus en plus numériques, d’où l’importance de les protéger.

Mais le gros challenge que l’agence essaye de relever est la protection des jeunes start-up

berlinoises. En effet, la capitale est très dynamique et accueille énormément de petites

entreprises innovantes qui ne pensent pas toujours à protéger leurs données comme il

conviendrait. Le risque pour ces entreprises est de voir leur brevet ou leurs créations

subtilisées par autrui. Pour lutter contre cela, le rôle du BBfDI est de faire de la prévention

pour encourager les entreprises à se protéger. Cependant, le BBfDI manque tellement de

ressources humaines et financières que l’agence se retrouve dans l’incapacité de faire une

campagne traditionnelle avec des affiches ou des spots publicitaires. Pour répondre à ce

besoin, Alexander Dix fait lui-même de la prévention dans les cryptopartys ou durant les

meetings du Parti Pirate qui, comme nous le savons, fait de la protection des données un de

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ses arguments majeurs. Alexander Dix ne se plaint pas pour autant car malgré les difficultés

budgétaires que connait l’agence de Berlin, la situation n’est selon lui pas aussi catastrophique

que pour les agences d’Hambourg et de Brême dont les ressources sont encore plus limitées.

Selon Alexander Dix, l’Affaire Snowden a accru la prise de conscience de cette réalité mais il

regrette que cela ne se soit pas traduit par des mesures politiques concrètes. Le budget de son

agence reste inchangé depuis 2012 alors que le besoin et la demande ont augmenté. C’est pour

ces raisons qu’un dialogue s’est instauré entre le BfDI et les agences régionales afin que

l’agence fédérale devienne compétente pour le secteur privé. Car à la différence des agences

régionales dont les ressources sont limitées, le BfDI compte 85 employés et dispose d’un

budget qui est, selon Sven Hermerschmidt, « confortable ». Les enjeux ne sont pas

négligeables. Si cette solution devait être adoptée, les agences régionales se verraient

amputées d’une partie importante de leur budget qu’elles considèrent déjà insuffisant. En

revanche, cette solution faciliterait l’harmonisation des règlementations en matière de

protection des données, ce qui constitue un véritable défi pour l’Allemagne mais également

pour l’Europe.

iii) L’harmonisation de la protection des données, le véritable défi pour

l’Allemagne et l’Europe

Le manque d’harmonisation des règlementations en matière de protection des données

conduit par définition à une fragmentation des normes entre les Länder. Les données des

entreprises établies à Postdam (qui dépend du Land de Brandebourg) ne sont pas protégées de

la même manière que celles de Berlin alors que les deux villes se touchent. Pour les

entreprises, cette fragmentation est un facteur d’instabilité car la législation concernant la

protection de leurs données dépendra du Land dans lequel elles se seront installées. Cela est

particulièrement vrai pour les entreprises étrangères pour qui le facteur de stabilité est le plus

important à prendre en considération lorsqu’elles cherchent à s’installer dans un pays. Si l’on

reprend l’exemple du Schleswig-Holstein qui a décidé d’interdire les mentions « J’aime » et

« Google+1 » des sites internet établis sur son territoire, on peut imaginer que peu

d’entreprises du net s’établiront dans ce Land. L’examen des lois en vigueur dans les Länder

en matière de protection des données est donc important, voire vital, pour une entreprises

souhaitant s’installer en Allemagne. Arne Schönbohm a confirmé cette hypothèse en

affirmant que cette fragmentation n’était pas compétitive pour les entreprises étrangères qui

rencontrent beaucoup de problèmes pour s’installer en Allemagne à cause des différentes

législations sur la protection des données. Pourtant, selon Alexander Dix, peu d’entreprises

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s’intéressent aux lois en vigueur concernant la protection des données avant d’établir leur

siège. Autrement dit, les règles en matière de protection des données ne sont pas un facteur

déterminent pour les entreprises. Ce constat se révèle positif car si les entreprises ne

choisissent pas le Land dans lequel elles s’établissent en fonction de la protection des

données, cela veut dire que ce sont les entreprises qui doivent s’adapter à la loi et non

l’inverse. Si les Länder devaient assouplir les lois sur la protection des données afin d’attirer

les entreprises, cela risquerait d’aboutir à un nivellement par le bas des normes et réduire le

niveau de protection. La solution en cours de négociation pour que le BfDI reprenne la

compétence du secteur privé permettrait une harmonisation de la protection des données des

entreprises sur tout le territoire allemand qui serait synonyme de clarté mais surtout de

stabilité. Ce clivage entre Messieurs Schönbohm et Dix est révélateur de deux idéologies

diamétralement opposées. J’ai demandé aux deux hommes ce qu’ils pensaient l’un de l’autre.

Pour Arne Schönbohm, Alexander Dix est un « idéaliste » qui ne « pense pas assez grand ».

M. Schönbohm a ajouté que les agences de protection des données, que ce soit le BfDI ou les

agences régionales, étaient « trop lentes », « ne prenaient pas de décisions » et « manquaient

d’initiative ». De l’autre coté, Alexander Dix considère le Conseil de Cybersécurité Allemand

dont Arne Schönbohm est le président comme un « club de lobbying dont le seul but est de

faire de l’argent ».

L’harmonisation des normes est donc un véritable enjeu pour l’Allemagne, mais

concerne également l’UE. En effet, la réforme européenne de la protection des données,

menée par le G29, aspire à long terme à doter l’UE d’un cadre réglementaire commun en

matière de protection des données. Or, l’ensemble des acteurs interrogés s’accordent pour dire

que cette initiative aura du mal à aboutir car, comme le pointe Sven Hermerschmidt, « avant

de songer à harmoniser les normes européennes il faudrait penser à harmoniser les normes

allemandes ». Bien qu’il soit commissaire d’une agence régionale, Alexander Dix est

extrêmement favorable à une harmonisation européenne de la protection des données car il est

persuadé que l’Allemagne aurait un rôle très important à jouer dans la gouvernance de ce

cadre européen compte tenu de son engagement traditionnel pour la protection des données.

Malgré le manque d’influence politique d’Andrea Vosshof, une position clé de dirigeant serait

probablement attribuée à un allemand.

Bien que cette harmonisation ne soit pas encore atteinte à l’échelle fédérale, les

agences régionales sont à l’origine d’initiatives extraréglementaires qui ont pour objectif

d’avancer lentement vers une harmonisation des normes en matière de protection des données.

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cc)) LLeess ssoolluuttiioonnss pprrooppoossééeess ppaarr lleess aaggeenncceess ddee pprrootteeccttiioonn ddeess ddoonnnnééeess

Bien que les agences régionales agissent indépendamment des unes des autres, celles-

ci se retrouvent deux fois par an à la Konferenz der Datenschutzbeauftragten des Bundes und

der Länder (KDBL), une conférence informelle, non prévue par la loi, qui vise à harmoniser

les règles entre les différentes agences. La conférence est divisée en plusieurs groupes de

travail traitant de sujets divers comme les données relatives aux statistiques, à la justice, le

cloud computing etc…213 Les groupes sont également tous informels. Le Düsseldorf Kreis

(« Cercle de Düsseldorf ») est un groupe particulier de la KDBL qui est chargé de discuter des

priorités pour garantir la protection des données du secteur privé allemand. Le Cercle de

Düsseldorf est composé des présidents des 16 agences régionales de protection des données.

Les membres de ce groupe votent des résolutions qui n’ont pas force obligatoire mais qui ont

une forte influence sur les politiques de protection des données au niveau fédéral. Alexander

Dix confirme même que celles-ci sont toutes mises en œuvre par les agences régionales pour

garantir la sécurité des données des entreprises sous leur protection.

Comme nous l’avons vu, la régulation du transfert des données de l’EEE vers les

Etats-Unis est l’un des principaux défis à relever pour l’UE et qui, en attendant la réforme du

G29, n’a pas réussi à proposé d’alternatives à ce système défectueux. Lors d’une résolution

adoptée les 28 et 29 avril 2010 à Hanovre, le Cercle de Düsseldorf avait déjà déclaré que les

entreprises allemandes envoyant ou exportant leurs données aux Etats-Unis ne devaient plus

se fier aux entreprises américaines importatrices qui déclaraient respecter les Safe Harbour214.

Le Cercle invitait alors les entreprises allemandes à évaluer elles-mêmes si l’entreprise

américaine remplissait bien les conditions d’une certification Safe Harbour215. Il est

intéressant de noter que cette résolution intervient 3 mois seulement après la condamnation

par la FTC des six entreprises américaines pour non respect des Safe Harbour. Il est tout à fait

probable que le Cercle de Düsseldorf ait voulu, à travers cette résolution, mettre en garde une

première fois les entreprises allemandes face aux dérives du principe d’auto-certification des

Safe Harbour. Or, peu de temps après les révélations d’Edward Snowden, le Cercle de

Düsseldorf est venu réitérer son appel à la prudence concernant le transfert de données

personnelles à l’étranger.

213 Virtuelles Datenschutzbüro, « Die Konferenz der Datenschutzbeauftragten des Bundes und der Länder », https://www.datenschutz.de/dsb-konferenz/, consulté le 22/04/15. 214 Cercle de Düsseldorf, « Examination of the data importer’s self-certification according to the Safe-Harbor-Agreement by the company exporting data », https://www.datenschutzzentrum.de/internationaler-datenverkehr/Resolution_DuesseldorfCircle_DE%20DPAs_EN.pdf, 28/29 avril 2010, Hannover ; disponible en annexe. 215 Ibid

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En effet, le programme PRISM révélé par Snowden en juin 2013 a prouvé que les

géants du net américains tels Microsoft, Apple, Amazon Google et Facebook transmettaient

les données de leurs utilisateurs (américains ou européens, tant que leurs données se trouvent

sur un serveur aux Etats-Unis) à la NSA. Trois mois après ces révélations, le Cercle de

Düsseldorf a rendu une décision les 11 et 12 septembre 2013 concernant le transfert de

données à des pays tiers de l’EEE. Bien que la résolution ne vise pas directement les Etats-

Unis, il est difficile de ne pas établir un lien entre les révélations de Snowden et l’agenda du

Cercle de Düsseldorf. Alexander Dix a d’ailleurs confirmé cette hypothèse. Dans cette

résolution, les membres du Cercle viennent apporter des éclaircissements concernant

l’interprétation de la Bundesdatenschutzgesetez en précisant que la protection des données

lors de leur exportation en dehors de l’EEE doit être examinée en deux étapes. Premièrement,

les entreprises allemandes doivent s’assurer du consentement des personnes concernées par

les données transmises ou bien être autorisés par une disposition légale à effectuer ce

transfert216. La seconde étape doit être la vérification que le pays tiers dispose d’un niveau

adéquat de protection conformément aux exigences de l’Union européenne217. Or, dans sa

résolution de 2010, le Cercle de Düsseldorf déclarait de façon indirecte que les Safe Harbour

ne proposaient justement pas un niveau de protection adéquat. Ainsi, la résolution de

septembre 2013 encourage les entreprises allemandes à redoubler de vigilance pour exporter

leurs données hors de l’EEE tout en continuant de les dissuader de les exporter aux Etats-

Unis.

Les révélations d’Edward Snowden n’ont pas seulement influencé les résolutions du

Cercle de Dusseldorf, mais ont aussi remis en cause le statut de la KDBL. En effet, Alexander

Dix m’a confié que depuis les révélations il était question d’institutionnaliser la conférence

afin de la rendre officielle. Toutefois, deux obstacles contrarient sa mise en œuvre. Tout

d’abord, officialiser la KDBL impliquerait de consacrer une partie du budget de chaque

agence pour la rendre opérationnelle. Or, comme nous le savons, les ressources des agences

sont très limitées. Ensuite, l’institutionnalisation de la KDBL n’aurait pas de conséquences

pratiques puisque quasiment toutes ses résolutions sont déjà adoptées par les Länder malgré

leur caractère non obligatoire. Bien que l’influence de la KDBL pour harmoniser les normes

allemandes en matière de protection des données soit indiscutable, il n’y a actuellement pas de

216 Düsseldorf Kreis, « Datenübermittlung in Drittstaaten erfordert Prüfung in zwei Stufen », https://www.datenschutz-mv.de/datenschutz/themen/ddk/Drittstaaten.pdf, 11/12 septembre 2013, disponible en annexe. 217 Ibid

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réel besoin de l’officialiser. Néanmoins les révélations de Snowden ont permis de soulever la

question.

Que ce soit en Allemagne, en Europe ou aux USA, l’affaire Snowden a pointé du doigt

les dysfonctionnements des systèmes juridiques actuellement en place et a permis d’accélérer

le débat sur les solutions envisageables pour y remédier. Cette réflexion complexe à plusieurs

échelles (interne pour l’Allemagne, multilatérale pour l’Europe et bilatérale pours les Etats-

Unis) s’inscrit dans un contexte particulier : celui de la négociation du Partenariat

Transatlantique de commerce et d’investissement. Dans le prochain paragraphe, nous

essayerons de nous intéresser aux conséquences de l’Affaire Snowden dans ces négociations.

BB)) LLaa pprrootteeccttiioonn ddeess ddoonnnnééeess ccoommmmee mmooyyeenn ddee pprreessssiioonn ddee

ll’’AAlllleemmaaggnnee eett ddee ll’’EEuurrooppee ddaannss lleess nnééggoocciiaattiioonnss dduu TTTTIIPP

Le Partenariat Transatlantique de commerce et d’investissement (ou TTIP pour

Transatlantic Trade and Investment Partnership) est un accord économique entre l’UE et les

Etats-Unis en cours de négociation qui vise à favoriser les échanges entre les deux parties si

celui ci est accepté d’une part par le Sénat américain et par le Parlement Européen d’autre

part. Bien que le Sénat et le Parlement européen soient compétents pour la ratification du

traité, le processus des négociations a toutefois été respectivement délégué au Département du

Commerce américain et à la Commission européenne. Les négociations se déroulent à huis

clos et peu d’informations ressortent concernant le contenu exact du traité. Ce contexte est

favorable à l’émergence de représentations dont le gouvernement allemand se sert pour mener

les négociations.

Compte tenu de la technicité du sujet, du manque de transparence qui entoure les

négociations et du peu de sources fiables sur le sujet, ce paragraphe n’a pas la prétention

d’apporter des réponses précises sur l’intérêt du TTIP, mais plutôt de dresser le contexte et

l’état d’esprit dans lequel se déroulent les négociations.

11)) LLeess rreepprréésseennttaattiioonnss aalllleemmaannddeess dduu TTTTIIPP ssuurr llaa pprrootteeccttiioonn ddeess

ddoonnnnééeess

aa)) UUnn sseecctteeuurr ééccoonnoommiiqquuee ffaavvoorraabbllee

Que ce soit en Europe ou à l’international ; l’image de l’Allemagne est souvent

associée à une économie forte, notamment grâce à une industrie réputée de qualité. Si les

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révélations d’Edward Snowden ont eu des conséquences sur l’économie allemande (voir

supra I,B, 4), la confiance entre l’Allemagne et les Etats-Unis n’a pas été aussi endommagée

comme cela a pu être le cas dans les sphères politiques et publiques. Le lien économique qui

unit l’Allemagne est trop important pour que les entreprises allemandes cessent ou réduisent

les échanges avec les Etats-Unis. En effet, les Etats-Unis représentent, après l’UE, le second

partenaire économique de l’Allemagne avec 6,4 pourcent des exportations218. L’Allemagne

est aussi le premier partenaire européen des Etats-Unis avec 5 pourcent des importations219.

En parallèle, le TTIP est censé être un important levier pour les petites et moyennes

entreprises (PME) européennes qui représentent 28 pourcent de la valeur totale des

exportations depuis l’UE mais qui se heurtent aux règles techniques et aux régulations

imposées outre-Atlantique220. Les différences réglementaires d’un Etat fédéré à l’autre ainsi

que les règles douanières jugées trop onéreuses représentent également des obstacles aux

échanges commerciaux de ces PME221. L’harmonisation des régulations et l’affranchissement

des règles douanières seraient un accélérateur considérable pour les PME européennes. Or, le

succès de l’économie allemande repose en grande partie sur ses PME, un conglomérat

d’entreprises de taille intermédiaire aussi appelé « Mittelstand ». Ce Mittelstand représente

99,7 pourcent des entreprises allemandes, emploie 70 pourcent des actifs et forme 80 pourcent

des apprentis222. Il se recrute pour l’essentiel dans les branches industrielles intensives en

R&D sur lesquelles repose la spécialisation sectorielle de l’économie allemande :

électrotechnique et mécanique de précision, travail des métaux, construction mécanique et

automobile, ainsi que la chimie223. Le Mittelstand constitue le véritable moteur économique

de l’économie allemande. Bien que l’Allemagne soit le troisième pays de l’UE à compter le

plus de PME après l’Italie et le Royaume-Uni, les PME allemandes sont en valeur les

premières entreprises de l’UE à exporter vers les Etats-Unis avec des revenus de 12,4

milliards d’euros224.

218 Central Intelligence Agency, « The Wolrd Factbook », 2013, https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/gm.html, consulté le 12/05/15. 219 Central Intelligence Agency, « The Wolrd Factbook », 2013, https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/us.html, consulté le 12/05/15. 220 Moniteur international du commerce, « UE-Etats-Unis : les PME principales bénéficiaires du TTIP, selon la Commission », 21/04/2015, http://www.lemoci.com/ue-etats-unis-les-pme-principales-beneficiaires-du-ttip-selon-la-commission/, consulté le21/05/15. 221 Ibid 222 Bourgeois Isabelle, Lasserre René, « Les PME allemandes : acteurs de la mondialisation », Regards sur l’économie allemande, 83, pages 11-25, Octobre 2007. 223 Ibid 224 Hiault Richard, « TTIP : les PME objet de toutes les attentions », Les échos, 26/04/14, http://www.lesechos.fr/monde/europe/02132445311-les-pme-objet-de-toutes-les-attentions-1114543.php, consulté le 21/05/15.

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Ces chiffres témoignent non seulement de la forte interdépendance économique entre

les deux pays, mais aussi le fait que l’Allemagne a davantage besoin des Etats-Unis

économiquement parlant que l’inverse. Ainsi, le TTIP dont l’objet est d’ouvrir un marché

commun entre les Etats-Unis et l’UE est perçu comme une opportunité par le secteur

économique allemand qui voit dans cette occasion la possibilité de renforcer des liens

économiques avec un de ses principaux partenaires. Bien que les révélations d’Edward

Snowden aient déplacé le débat du TTIP sur les risques éventuels qu’il pourrait causer plutôt

que sur les opportunités qu’il pourrait apporter, le secteur économique reste majoritairement

favorable à sa mise en œuvre225. Selon une étude de la Chambre de commerce allemande de

New York, 69 pourcent des entreprises allemandes voient le TTIP comme étant une mesure

importante notamment grâce à la baisse des frais de douanes226.

En tant que président de Young Transatlantic Initiative et de la Federation of German-

American Clubs, Jacob Schrot organise régulièrement des séminaires et des conférences sur

les relations transatlantiques autour de différentes thématiques. Les deux associations

regroupent principalement des patrons allemands et américains qui se servent de ces

associations comme plateformes de réseau pour les affaires. Jacob Schrot a noté que lorsqu’il

organisait des débats sur les révélations d’Edward Snowden et la protection des données, peu

de membres se déplaçaient. En revanche, chaque fois qu’il organise un évènement sur le

TTIP, presque tous les membres sont présents. La position des chambres de commerce

américaines et allemandes corroborent les constations de Monsieur Schrot avec pour

argument principal la création de centaines de milliers d’emplois de part et d’autre de

l’Atlantique227. Une étude de la Bertelsmann Siftung, un think tank allemand traitant des

relations transatlantiques et très respecté en Allemagne, prévoit la création de 160 000

emplois en Allemagne grâce au TTIP228.

Bien que la protection des données soit un facteur important pour assurer la

compétitivité des entreprises, il semblerait que peu d’entres elles ne se soucient des risques

225 Straubhaar Thomas, « TTIP, the view from Germany », Transatlantic Academy, 17/10/14, http://www.transatlanticacademy.org/node/736, consulté le 12/05/15. 226 Deutsche-Amerikanische Handelskammern, communiqué de presse, 8/12/14, http://www.gaccny.com/fileadmin/ahk_atlanta/Dokumente/Events/National_International/German_American_Business_Outlook_2015.pdf, consulté le 12/05/15. 227 American chamber of commerce in Germany, « Transatlantische Handels- und Investitionspartnerschaft, Chancen und Herausforderungen », http://www.amcham.de/fileadmin/user_upload/user_upload_alt/Policy/TTIP_Info_Desk/TTIP_News/AmChamGermany_TTIP.pdf, consulté le 15/05/15. 228 Bertelsmann Siftung, « Every German state, industry and income group would benefit from a transatlantic free trade agreement », 10/04/13, https://www.bertelsmann-stiftung.de/en/presse-startpunkt/press/press-releases/press-release/pid/every-german-state-industry-and-income-group-would-benefit-from-a-transatlantic-free-trade-agreemen/, consulté le 21/05/15.

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que le TTIP pourrait faire peser sur les standards à adopter. Pourtant cette question est au

cœur des inquiétudes de l’opinion publique qui ne partage pas du tout le même enthousiasme

que les entreprises.

bb)) LLaa mmééffiiaannccee ddee ll’’ooppiinniioonn ppuubblliiqquuee

Rappelons-le, le principal effet de l’affaire Snowden est avant tout la perte de

confiance des Etats et de leurs citoyens envers la surveillance généralisée des Etats-Unis. Cela

est particulièrement vrai pour l’Allemagne. A l’échelle gouvernementale d’abord, les

révélations des écoutes téléphoniques de la Chancelière allemande ont entrainé une perte de

confiance du gouvernement allemand envers leur allié américain. Bien qu’Angela Merkel ait

choisi de renouer avec les Etats-Unis plutôt que de les défier en acceptant l’asile politique à

Edward Snowden, cela n’a pas empêché la méfiance de s’installer comme en témoigne les

mesures prises par le ministère de l’Intérieur (voir supra I, B, 2, b). Parallèlement, les

révélations des programmes PRISM et XKeyscore ont entrainé la perte de confiances des

citoyens allemands envers les géants du net américains qui stockent la majeure partie de leurs

données aux Etats-Unis.

En toute logique donc, les citoyens allemands sont donc devenus méfiants à l’égard du

TTIP concernant la protection des données. Dans une étude menée par le Pew Reasearch

Center sur les négociations du TTIP entre les Etats-Unis et l’UE, une enquête révèle que

seulement 3 pourcent des citoyens allemands ont confiance dans les standards américains

concernant la protection des données alors que 85 pourcent d’entre eux ont confiance dans les

normes européennes229. De plus, toujours selon cette étude, 65 pourcent des citoyens pensent

que c’est au gouvernement allemand de négocier le partenariat transatlantique et non à

l’UE230. Nonobstant le fait que la négociation du TTIP soit une compétence exclusive de la

Commission européenne et qu’elle ne puisse en aucun cas revenir à la seule charge de

l’Allemagne pour des raisons de mandat, les révélations de Snowden ont très certainement

influencé les citoyens allemands dans leurs réponses. De plus, cette méfiance à l’égard des

Etats-Unis s’inscrit dans un contexte d’anti-américanisme progressif depuis quelques

années231, les révélations sur la surveillance de masse de la NSA n’ayant fait que confirmer ce

229 Pew research Center, April 2014, « Support in principle for E.U.-U.S. Trade Pact », http://www.pewglobal.org/files/2014/04/Pew-Research-Center-Bertelsmann-Foundation-U.S.-Germany-Trade-Report-FINAL-Wednesday-April-9-2014.pdf. 230 Ibid 231 Petersen Thomas, Frankfurter Allgemeine, 23/01/13, Schleichende Zunahme des antiamerikanismus », http://www.faz.net/aktuell/politik/deutsche-fragen-deutsche-antworten-schleichende-zunahme-des-antiamerikanismus-12034804.html, consulté le 08/04/15 ; et Valenti Alexandre, « Un œil sur vous, citoyens sous surveillance », Arte, 2014, 89 min.

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sentiment anti-américain encore latent aujourd’hui. Mais ce n’est pas la seule raison qui

explique ces résultats étonnants. En effet, le remboursement par l’UE de la dette grecque dont

l’Allemagne est le principal contributeur sert de terreau favorable à la naissance d’un

euroscepticisme allemand232.

Ci-contre : Sticker contre le TTIP :

« Empechons l’accord de libre-

échange » (photo : Alexis Daloze).

La principale crainte de l’opinion publique repose sur la peur d’une éventuelle

harmonisation des standards en matière de protection des données. Les données personnelles

étant moins protégées aux Etats-Unis qu’en Europe, le risque pour les Etas membres de l’UE

d’accepter cet accord est de voir un nivellement par les bas de leurs standards de protection

des données et ainsi faciliter l’accès des entreprises américaines aux données personnelles des

citoyens européens. Une harmonisation par le bas impliquerait que des multinationales

comme Facebook et Google qui collectent, utilisent et commercialisent les données, feraient

tout pour casser les barrières déjà mises en place par les autorités nationales ou régionales.

Concrètement, et pour reprendre notre exemple des mentions « j’aime » et « Google +1 » au

Schleswig-Holstein, cela signifierait très certainement que les géants du net américain

attaqueraient l’Allemagne sur la base de l’accord de libre échange pour retirer cette fonction.

Sven Hermerschmidt avoue être lui aussi très inquiet de l’éventuelle harmonisation

des standards de protection des données. Bien que le BfDI soit une agence fédérale et que

Monsieur Hermerschmidt occupe une position de responsable, aucune information concernant

le TTIP relative aux données personnelles ne parvient jusqu’à lui. Malgré plusieurs tentatives

d’approche à la chancellerie pour pouvoir obtenir des informations à ce sujet, il déclare que

personne n’est en mesure de lui communiquer quoi que ce soit. Il déplore n’avoir d’autre

232 Radio France Info, « L'euroscepticisme gagne du terrain en Allemagne en raison de la crise en Europe du Sud », 30/07/12, http://www.rfi.fr/europe/20120730-euroscepticisme-allemagne-euro-grece-bild-sondage/, consulté le 06/05/15.

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choix que de s’informer à travers les journaux qui selon lui ne sont pas des sources fiables sur

cette question très précise des données personnelles.

cc)) RReepprréésseennttaattiioonnss eett rrééaalliittééss dduu TTTTIIPP eenn mmaattiièèrree ddee pprrootteeccttiioonn ddeess ddoonnnnééeess

Etant donné la grande opacité dans laquelle se déroulent les négociations, il est

difficile de prévoir son contenu. On sait déjà que l’accord portera sur l’agriculture, l’énergie,

les droits de douanes et l’ouverture des marchés publics233. Alexander Dix qui avoue suivre

ces questions de près m’a confié que le TTIP était un accord qui rentrait dans le cadre de

l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Le contenu du TTIP est donc sujet à certaines

restrictions. Or, la protection des données fait partie de ces restrictions, et conformément à

l’article trente neuf des aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au

commerce (ADPIC) de l’OMC, les données personnelles sont considérées comme

intellectuelles et ne peuvent pas faire l’objet d’accords commerciaux234.

La représentation selon laquelle le TTIP abolirait les Safe Harbour et permette

l’échange ou même l’harmonisation des données est donc erronée. Les dispositions du TTIP

sur le marché commun ne concernent en aucun cas les données. Le scandale de la NSA

conjugué à l’opacité qui entoure les négociations du TTIP a donné naissance à cette

représentation. En général la peur nait de ce que l’on ne sait pas ou ne voit pas. Or, le fait que

les négociations ne soient pas transparentes a fait naitre chez les citoyens un sentiment de

méfiance, voire d’hostilité à l’égard du TTIP. Il est même curieux de noter que cette

représentation soit si forte qu’elle ait réussit à tromper Sven Hermerschmidt qui travaille

pourtant au BfDI. Si un accord sur le transfert ou la protection de données devait voir le jour,

il ferait l’objet d’un cadre propre comme la directive de 95 par exemple.

Johannes Thimm est chercheur au SWP et dirige le département de recherche sur les

Amériques, ce qui fait de lui un spécialiste des relations transatlantiques. Selon lui, cette

représentation est également le reflet de la surmédiatisation du TTIP. Comme les termes de

l’accord sont opaques, et parce qu’il est négocié avec les Etats-Unis, les médias sautent sur

l’occasion pour le médiatiser car le mystère de l’accord provoque le débat dans l’opinion

publique. Il note que les négociations de l’Accord économique et commercial global (ou

CETA pour Comprehensive Economic and Trade Agreement) avec le Canada, qui comportait

233 German Missions in the United States, « Tapping potential with the Transatlantic Trade and Investment Partnership », http://www.germany.info/Vertretung/usa/en/06__Foreign__Policy__State/03__Europe/TTIP-Overview.html, consulté le 21/01/15. 234 Organisation Mondiale du Commerce, «Aspects des droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce », Partie 2, Section 7, article 39, paragraphe 2, https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/27-trips_04d_f.htm, consulté le 07/05/15.

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quasiment les mêmes termes que le TTIP, a été signé en septembre 2014 par le parlement

européen sans la moindre contestation. En revanche, si le TTIP avait été négocié avec la

Chine, il aurait provoqué les mêmes réactions qu’actuellement avec les Etats-Unis, car la

Chine est aussi une grande puissance économique et ses standards en matière de protection de

la vie privée sont eux aussi moins élevés que ceux de l’UE.

Si la protection des données ne fera pas partie du TTIP, la Commission européenne et

l’Allemagne se servent des révélations Snowden et de la réforme de la protection des données

comme levier pour mener les négociations avec les Etats-Unis.

22)) LL’’iinnfflluueennccee ddeess rréévvééllaattiioonnss ddaannss lleess nnééggoocciiaattiioonnss dduu TTTTIIPP

La négociation du TTIP est la continuité d’un long processus initié en 2006 entre l’UE

et les Etats-Unis en vue d’établir un marché commun, mais la phase de négociations en tant

que telle n’a débuté qu’en juin 2013235. En d’autres termes, les négociations de l’accord de

libre échange ont commencées le même mois que les révélations d’Edward Snowden. Ce

concours de circonstances a permis à l’UE, sous l’impulsion de l’Allemagne, de jouer en la

faveur du vieux continent dans la balance des négociations.

aa)) LLaa ddoommiinnaattiioonn ddee ll’’AAlllleemmaaggnnee ddaannss lleess nnééggoocciiaattiioonnss

Alors que la nécessité d’un partenariat de libre échange entre l’UE et les Etats-Unis

divise le Parlement européen236, le Conseil européen composé des 28 chefs d’Etats des pays

membres de l’UE a atteint le consensus et est largement favorable à l’aboutissement de cet

accord. L’ancien président du Conseil Européen Herman Von Rompuy s’était montré

particulièrement enthousiaste lors du lancement des négociations le 17 juin 2013237 et son

successeur Donald Tusk a également montré sa volonté à voir aboutir ce projet238. Parmi les

membres du Conseil européen, Angela Merkel est sans conteste la chef d’Etat à être la plus

favorable aux TTIP.

Tout d’abord parce que la chancelière allemande est la seule chef d’Etat européenne à

être encore en fonction depuis 2005, ce qui est un facteur de stabilité dans les négociations et

assure une certaine cohérence politique. Ensuite, parce que ce qui fait la force de l’Allemagne

235 Commission européenne, « How we’ll make TTIP happen », 20/03/15, http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/about-ttip/process/, consulté le 21/05/15. 236 Bolla Sophie, « The European Union and TTIP: How does it work? », National Foreign Trade Council, Février 2014, http://www.nftc.org/default/trade/European%20Union%20and%20TTIP.pdf, consulté le 21/05/14. 237 European Council, « Remarks by President of the European Council Herman Van Rompuy on the occasion of the launch of the EU-US Transatlantic Trade and Investment Partnership », 17/06/13, http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/ec/137501.pdf, consulté le 21/05/15. 238 Twitter, 1/12/14, https://twitter.com/eucopresident/status/539479247027732481, consulté le 21/05/15.

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est son économie et qu’Angela Merkel ne peut pas se permettre d’ignorer l’avis des acteurs

économiques dont le Mittelstand est le principal ambassadeur du TTIP. La chancelière s’était

d’ailleurs rendue en personne en Mai 2014 à la Chambre américaine de commerce de

Düsseldorf pour plaider en faveur de l’accord de libre échange239. Enfin, Angela Merkel est

favorable à cet accord car elle bénéficie du soutien de la coalition CDU/CSU/SPD qu’elle a

formée après les élections fédérales de septembre 2013240. Se prononcer contre cet accord

l’affaiblirait donc sur le plan politique car elle risquerait de perdre le soutien d’une partie de la

coalition.

Ce sont donc pour des raisons principalement économiques et politiques qu’Angela

Merkel se montre particulièrement favorable au TTIP. Cela se traduit par des manœuvres

d’influence du gouvernement allemand à la commission européenne afin d’influencer les

négociations. Interrogée à ce sujet, Annegret Bendiek chercheuse au SWP travaillant en

étroite collaboration avec le gouvernement allemand a affirmé que l’Allemagne « dominait

clairement » les négociations du TTIP, notamment par l’intermédiaire de Bernd Dickman,

chef du département en charge de la signature des traités au Ministère de l’Economie. Lors de

notre entretien, Marcel Dickow et Annegret Bendiek ont eu la gentillesse de joindre par

téléphone le cabinet de Monsieur Dickman afin d’essayer de convenir d’un rendez-vous pour

que je puisse lui soumettre mes questions sur son influence à la Commission européenne.

Malgré les efforts de Monsieur Dickow et Madame Bendiek, l’emploi du temps surchargé de

Bernd Dickman ne lui permettait pas de concrétiser cet entretien. Anngret Bendiek m’a alors

décrit ce personnage comme étant « très charismatique » et « particulièrement intransigeant ».

Elle a ajouté que les priorités de Bernd Dickman prédominaient l’ordre du jour durant les

sessions de négociations du TTIP. Ajoutons que si Monsieur Dickman peut orienter les

négociations du TTIP, il est important de rappeler qu’il ne peut en aucun cas en modifier le

contenu.

Concernant l’impact des révélations d’Edward Snowden sur les négociations du TTIP,

il est certain que le scandale de la NSA a été un argument majeur pour affirmer la position de

l’UE en général et de l’Allemagne en particulier dans les négociations du TTIP. Rappelons à

ce titre les propos de Jacob Schrot mentionnant la « vive insistance » d’Angela Merkel lors de

239 Bundesregierung, « Rede von Bundeskanzlerin Merkel anlässlich der 111. Jahrestagung der American Chamber of Commerce in Germany am 23. Mai 2014 », 23 mai 2014, http://www.bundesregierung.de/Content/DE/Rede/2014/05/2014-05-26-rede-merkel-american-chamber.html, consulté le 21/05/15. 240 Strubenhoff Marius, « Why Germany Will be Pivotal to the Trade Talks », Bohnen, Kallmorgen & Partner, Août 2013, http://www.bohnen-kallmorgen.com/files/PolicyBriefs/bkp_policy_brief_-_ttip_-_august_2013.pdf, consulté le 21/05/15.

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son voyage aux Etats-Unis en Février 2015 pour que Barack Obama se recentre sur le TTIP

plutôt que sur l’APT (voir supra I, B, 1, c). Il est également intéressant de constater que c’est

un eurodéputé allemand, Bernd Lange, qui a été nommé le sept juillet 2014 pour présider la

commission du commerce international du Parlement européen. Cette commission est

compétente pour les questions ayant trait à la définition et à la mise en œuvre de la politique

commerciale commune de l’Union et de ses relations économiques extérieures. Elle se réunit

une fois par mois pour examiner les accords commerciaux négociés par la Commission, dont

elle a la charge de recommander l’approbation par l’ensemble du Parlement européen. Cette

commission a donc un pouvoir considérable sur les négociations du TTIP et le fait que Bernd

Lange ait été nommé président résulte très certainement d’un choix politique.

Bernd Lange Bernd Lange est un eurodéputé allemand du SPD qui a été élu dans la circonscription de Hanovre aux dernières élections européennes de mai 2014. Ayant effectué une année d’échange universitaire dans cette ville en 2014, j’ai pu personnellement assister à la campagne de Bernd Lange. Niklas Mulheis, un très bon ami à moi rencontré à Hanovre, est politiquement engagé au SPD et a fait parti du cabinet de campagne de Bernd Lange pour les européennes 2014. Pour les besoins de ce mémoire, j’ai essayé de rencontrer Bernd Lange par l’intermédiaire de Niklas Mulheis. Malheureusement la nouvelle fonction de Bernd Lange ne lui permettait pas de convenir d’un rendez-vous. Je remercie toutefois Niklas Mulheis pour son aide précieuse.

Affiches de campagne pour les élections européennes de mai 2014

dont celle de Bernd Lange (photos : Alexis Daloze, Hanovre, 2014)

Néanmoins, si les révélations de Snowden ont pesé dans les négociations du TTIP, il

ne s’agissait que d’un poids éphémère. L’ensemble des sources rencontrées sur le terrain

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s’accordent pour dire que le scandale de la NSA a effectivement permis à l’Allemagne de se

positionner en tant que leader européen des négociations face aux Etats-Unis en 2013 et 2014,

mais que ce rapport de force n’était plus exact aujourd’hui. Il existe toujours un lien indirect,

en filigrane, entre Edward Snowden et le TTIP, mais très faible. Trop faible pour

véritablement peser dans les négociations. La position de l’Allemagne s’est même fragilisée

depuis les révélations en Mai 2015 de l’espionnage d’officiels français et européens par le

BND.

bb)) LLeess oobbssttaacclleess aauuxx nnééggoocciiaattiioonnss :: ll’’eessppiioonnnnaaggee ddee ll’’UUEE ppaarr llaa NNSSAA eett llee BBNNDD

Les révélations d’Edward Snowden ont démontré que les Etats-Unis avait, sous

couvert de la lutte contre le terrorisme, espionné les citoyens, les Etats et les entreprises.

Beaucoup moins médiatisé, les révélations Snowden ont aussi prouvé que les Etats-Unis

espionnaient les Organisation intergouvernementales dont la principale victime est l’UE.

L’espionnage entre Etats, alliés ou non, fait partie des instruments de la Realpolitik et nous

avons vu que l’Allemagne s’y prêtait volontiers à des fins personnelles (voir supra I, A, 1, d).

En revanche, l’espionnage d’organisations internationales revêt un tout autre caractère car ces

dernières sont censées représenter des espaces neutres dans lesquels les nations peuvent

échanger sur des sujets communs et sur un pied d’égalité.

Alors que les initiatives prises par Angela Merkel pour mettre en place un réseau

européen laissent supposer une certaine unité entre les pays de l’UE (à l’exception peut être

du Royaume-Uni), les récentes révélations concernant l’espionnage d’officiels de l’UE par le

BND pour le compte de la NSA241 risquent de diminuer davantage le rôle de l’Allemagne

dans les négociations du TTIP. Sans être rompu, le lien de confiance nécessaire aux

négociations d’un partenariat aussi important est remis en question à deux niveaux : l’UE a

perdu confiance d’une part envers les Etats-Unis qui ont voulu l’espionner, d’autre part envers

l’Allemagne qui a mis en œuvre cet espionnage. Alors que l’UE profitait de la dynamique

allemande pour mener les négociations, elle voit d’un très mauvais œil l’espionnage de ses

cadres par l’un de ses pays membres. Le président de la Commission européenne Jean-Claude

Junker n’a pas manqué de signifier son mécontentement à l’égard de cette affaire lors d’une

conférence de presse : « un jour, j'ai dit lors d'une réunion avec les commissaires que nous

241 Mascolo Georg, « BND half NSA beim Ausspähen von Frankreich und EU-Kommission », Süddeutsche Zeitung, 29/04/15, http://www.sueddeutsche.de/politik/geheimdienst-affaere-bnd-half-nsa-beim-ausspaehen-von-frankreich-und-eu-kommission-1.2458574, consulté le 27/05/15.

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devrions avoir un service secret, parce qu'il y a des agents à Bruxelles. Je ne sais pas s'il y a

des agents allemands actifs ici en ce moment »242.

Outre le fait que l’espionnage de l’UE ai sans doute affaibli la position allemande, il

est difficile de savoir si ces révélations auront un impact direct sur les négociations du TTIP

entre l’UE et les Etats-Unis. Peut être qu’un lien indirect sera établi. Si c’est le cas, il profitera

probablement davantage à l’UE qu’aux Etats-Unis qui devront une nouvelle fois regagner la

confiance de son principal partenaire. Néanmoins, depuis les révélations d’Edward Snowden,

ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis sont accusés d’espionner l’UE. Déjà en juillet

2013 était révélé que la NSA avait placé des micros dans les ambassades de l’UE à

Washington et New York243. En novembre 2014, The Intercept démontrait que l’agence de

surveillance américaine avait même réussi à infiltrer les réseaux de la Commission

européenne et du Conseil européen grâce au programme Regin (voir encadré)244. Malgré les

déclarations publiques des dirigeant de l’UE, rient jusqu’à présent ne permet de prouver que

ces écoutes clandestines aient eues un impact sur les négociations du TTIP.

Le programme Regin245 Le programme Regin est un logiciel malveillant (malware) développé par la NSA et le GCHQ qui a été découvert par la société de cybersécurité Symantec. Le malware avait infecté depuis 2003 le réseau de Belgacom qui est, outre le principal fournisseur d’accès internet de Belgique, l’opérateur des institutions de l’UE basées à Bruxelles. Comparée au niveau de perfectionnement de Stuxnet (voir supra I, B, 4, b), Regin est entre autres capable de surveiller le trafic internet de l’ordinateur infecté, lire les contenus, mais aussi de réaliser des captures d’écran ou subtiliser des mots de passe. Grâce à ce programme, la NSA et le GCHQ ont espionné pendant plus de dix la Commission européenne et le Conseil européen.

Ainsi, la surveillance de l’UE par le BND pour le compte de la NSA se conjugue à une

série de révélations compromettantes pour les Etats-Unis. Toutefois, il est probable que ces

révélations portent davantage atteinte à la crédibilité de l’Allemagne vis-à-vis de l’UE que

celle des Etats-Unis. Mais le prochain défi à relever pour l’UE, particulièrement concernant la

242 Euractiv, « Juncker appelle Berlin à tenir les rênes de ses services de renseignements », 04/05/15, http://www.euractiv.fr/sections/leurope-dans-le-monde/juncker-appelle-berlin-tenir-les-renes-de-ses-services-de, consulté le 27/05/15. 243 Radio France Info, « Affaire Snowden: la NSA accusée d'espionnage contre l'UE, qui s'indigne », 30/06/13, http://www.rfi.fr/ameriques/20130630-affaire-snowden-union-europeenne-serait-espionnee-%C3%A9tats-unis/, consulté le 27/05/15. 244 Marquis-Boire Morgan, Guarnieri Claudio, Gallagher Ryan, « Secret Malware in European Union Attack Linked to U.S. and British Intelligence », The Intercept, 24/11/14, https://firstlook.org/theintercept/2014/11/24/secret-regin-malware-belgacom-nsa-gchq/, consulté le 27/05/14. 245 Ibid

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protection des données, concerne un autre accord international : l’Accord sur le Commerce

des Services (ACS).

33)) LLeess pprroocchhaaiinnss ddééffiiss ppoouurr llaa pprrootteeccttiioonn ddeess ddoonnnnééeess eeuurrooppééeennnneess

L’ACS, également connu sous son nom original de TiSA pour Trade in Services

Agreement, est un projet de traité initié par les Etats-Unis et l’Australie actuellement négocié

en secret par vingt trois parties membres de l’OMC (dont l’UE représentant ses vingt-huit

Etats membres, soit un total de cinquante pays). Actuellement, un pays membre de

l'Organisation mondiale du commerce (OMC) n'est tenu de libéraliser que les secteurs sur

lequel il a explicitement donné son accord, en les inscrivant sur une « liste positive »246. L’UE

n’ayant pas inscrit le transfert de données sur cette liste, ses pays membres ne sont pas tenus

de libéraliser ce secteur247. Mais le TiSA prévoit d'inverser cette logique en introduisant des

« listes négatives » où seuls les secteurs cités explicitement dans les accords ne seront pas

libéralisables248. Cette manœuvre ouvrira la possibilité de libéraliser par défaut tous les

nouveaux secteurs des communications dont les données sont la matière première. Les Etats

seront donc menacés de poursuites s'ils maintiennent des monopoles publics ou favorisent

leurs entreprises locales pour relancer la croissance.

Le TiSA vise donc à réduire au maximum les barrières empêchant les entreprises d'un

pays A de mener leurs activités de service dans un pays B. Barrières que sont entre autres les

normes protectrices, concrétisées par notre exemple du Land de Schleswig-Holstein qui a

décidé d’exclure les mentions « j’aime » de Facebook et les « Google +1 » des sites internet

édités dans le Land (voir supra I, A, 2, c). On constate à travers la constitution de groupes de

lobbying américains que certains secteurs représentent plus d’intérêts que d’autres. La Team

TiSA est un groupe de lobby américain représentant les intérêts de cinquante sept entreprises

américaines dans les négociations du traité. Sur ces cinquante sept entreprises, dix neuf

d’entre elles sont liées aux secteurs des technologies de l'information et de la communication,

de l'e-commerce ou des services informatiques. Parmi elles figurent des sociétés telles que

246 Organisation Mondiale du Commerce, « Listes d'engagements et listes d'exemptions des obligations énoncées à l'article II », https://www.wto.org/french/tratop_f/serv_f/serv_commitments_f.htm, consulté le 28/05/15. 247 Organisation Mondiale du Commerce, « Communautés européennes et leurs États membres - Liste d'engage-ments spécifiques », GATS/SC/31, 15/04/1994, https://docs.wto.org/dol2fe/Pages/FE_Search/FE_S_S006.aspx?Query=%28@Symbol=%20gats/sc/*%29%20and%20%28%28%20@Title=%20european%20communities%20or%20european%20union%20%29%20or%20%28@CountryConcerned=%20european%20communities%20or%20european%20union%29%29&Language=FRENCH&Context=FomerScriptedSearch&languageUIChanged=true#, consulté le 28/05/15. 248 Damgé Mathilde, Vaudano Maxime, « TiSA : les trois dangers du nouvel accord mondial de libéralisation », Le Monde, 18/05/14, http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/07/09/tisa-les-trois-dangers-du-nouvel-accord-mondial-de-liberalisation_4452743_4355770.html, consulté le 18/05/15.

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Microsoft, Cisco, Oracle, eBay, Verizon ou encore AT&T249. Dans son plaidoyer pour

l'accord, la Team Tisa déplore la permanence de barrières au commerce international comme

« le mouvement limité des données à travers les frontières »250.

Il n’est pas étonnant que l’initiative de ce traité revienne aux Etats-Unis. En effet, les

Etats-Unis occupent le premier rang des pays exportateur de services251, notamment grâce à

son hégémonie dans le secteur des technologies de l’information et de la communication. Si le

TiSA devait être ratifié, il est probable que les firmes de l’Internet américaines plaideraient

pour une transmission sans restriction des données de leurs clients. Alexander Dix se dit

extrêmement préoccupé par l’impact qu’aurait le TiSA sur la protection des données en

Allemagne et en Europe. D’autant plus que les négociations se déroulent entièrement à huis-

clos. A la demande des Etats-Unis, le traité est protégé par Copyright, ce qui interdit aux

parties prenantes de le diffuser ou de le publier complètement ou en partie. Alexander Dix a

tenté d’y avoir accès mais l'exemplaire déposé au Parlement européen est préservé dans une

armoire forte et n'est consultable que sur autorisation spéciale, avec interdiction d'en prendre

note ou une copie. De plus, le site Statewatch.org a révélé qu’une clause du TiSA prévoyait le

secret des négociations même cinq ans après sa ratification252. Néanmoins, le site Wikileaks a

réussi à se procurer une annexe du traité relative aux services financiers et qui prévoit dans

son article X, 11 qu’ « aucun parti ne doit prendre des mesures pour empêcher le transfert ou

le traitement d’informations financières, y compris le transfert de données par moyens

électroniques, à l’intérieur et à l’extérieur de son territoire »253. Depuis la publication de ce

document par Wikileaks, les négociations du TiSA qui avaient initialement lieu dans les

locaux de l’OMC se déroulent dorénavant à l’ambassade d’Australie à Genève par crainte de

nouvelles fuites ou d’espionnage254. Ces craintes résument les faits qui ont été présenté tout au

long de ce mémoire, à savoir que l’espionnage entre Etats alliés est une pratique devenue

courante, a fortiori, lorsqu’il concerne la sphère économique.

249 Team TiSA, http://www.teamtisa.org/about-team-tisa/coalition-members, consulté le 28/05/15. 250 Team TiSA, « What is TiSA ? », http://www.teamtisa.org/index.php/the-tisa-agreement/what-is-the-tisa, consulté le 28/05/15. 251 Central Intelligence Agency, « The Wolrd Factbook https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/us.html, 2014, consulté le 28/05/15. 252 Bendrath Ralph, « Analysis, TTIP and TISA : big pressure to trade away privacy », Statewatch.org, September 2014, http://www.statewatch.org/analyses/no-257-ttip-ralf-bendrath.pdf, consulté le 28/05/15. 253 Wikileaks, « Secret Trade in Services Agreement (TISA) - Financial Services Annex », 19/06/14, https://wikileaks.org/tisa-financial/, consulté le 28/05/15. 254 Bendrath Ralph, « Analysis, TTIP and TISA : big pressure to trade away privacy », Statewatch.org, September 2014, http://www.statewatch.org/analyses/no-257-ttip-ralf-bendrath.pdf, consulté le 28/05/15.

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Peu de médias s’intéressent aux enjeux liés au TiSA, probablement à cause de

l’opacité totale des négociations et du manque d’accès à l’information. De plus, le débat

actuel autour du TTIP contribue à éclipser les négociations du TiSA. Pourtant, ce traité

semble nettement profiter aux Etats-Unis plus qu’aux autres pays et son contenu risque d’être

une menace pour les normes protectrices européennes, particulièrement en matière de

protection des données. Originellement prévu pour 2015, aucune information ne circule quant

à l’avancée des négociations. Sur le site de la Commission européenne, la page relative au

TiSA n’a pas été mise à jour depuis le 8 juillet 2014255.

Conscient que toutes les questions liées à la protection des données ne sauraient être

abordées dans ce mémoire, une recherche plus poussée des politiques européennes relative au

TiSA et de la position allemande serait pertinente pour appréhender les enjeux

géoéconomiques liés à la protection des données. Mais sans le concours d’un lanceur d’alerte,

comme l’a été Edward Snowden avec la NSA, il parait difficile d’analyser les intérêts des

différents acteurs dans cette rivalité de pouvoirs.

255 Commission européenne, « Accord sur le commerce des services », http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/tisa/index_fr.htm, consulté le 28/05/15.

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CCoonncclluussiioonn

L’objectif de ce mémoire était de montrer que l’Affaire Snowden a eu des

conséquences importantes en Allemagne qui n’ont pu être observées dans aucun autre pays.

Mais en définitive, la position allemande se révèle être aussi l’une des plus ambigües en

Europe. Désireuse de préserver ses bonnes relations économiques, commerciales et

diplomatiques avec Washington, l’Allemagne n’en est pas moins choquée par les affaires

d’espionnage révélées par Edward Snowden. Les principales raisons de ce choc vont de paire.

Les cicatrices laissées par la surveillance successive du régime nazi puis du régime est-

allemand ne sont pas totalement refermées, ce qui explique pourquoi les allemands attachent

tant d’importance à la protection des données. La réaction allemande s’est donc traduite par la

mise en place d’une série de mesures concrètes par les différents acteurs politiques,

économiques et civils. Les mesures les plus marquantes exposées au long de ce mémoire

auront entre autres été la mise en place d’un « Cyber-dialogue » entre l’Allemagne et les

Etats-Unis pour relancer la confiance commerciale entre les deux pays, mais aussi l’ouverture

par le Bundestag d’une enquête parlementaire pour cette fois ci retrouver la confiance des

citoyens allemands dans leurs institutions, ou encore l’explosion des cryptoparties pour

sensibiliser les citoyens à protéger leurs données.

Convaincu que la notion de protection des données est l’élément clé du

mécontentement allemand, il a été intéressant d’aborder plus en détail les conséquences de

l’Affaire Snowden sur les politiques menées par les institutions européennes et allemandes en

charge de la protection des données. Il ressort de cette étude une forte volonté des institutions

à s’adapter d’une part aux nouveaux outils de surveillance de plus en plus perfectionnés, et

d’autre part aux cadre légaux existant permettant le transfert de données (tel que l’accord Safe

Harbor). Toutefois, le manque de financement de ces institutions rend leurs objectifs difficiles

à atteindre. Les diminutions consécutives des budgets qui leur sont alloués risquent

d’amoindrir leur capacité à anticiper ces enjeux.

En parallèle, l’Affaire Snowden a eu des conséquences sur les relations

transatlantiques. Les standards américains en matière de protection des données ne

garantissant pas la même confidentialité que ceux mis en place en Europe, l’affaire Snowden

a fait prendre conscience à l’UE de l’intérêt qu’avaient les Etats-Unis à transférer les données

européennes sur leur territoire. L’UE, en partie sous l’impulsion de l’Allemagne, s’est donc

servie du scandale suscité par la NSA comme levier dans les négociations autour du TTIP.

Les résultats de l’impact qu’a pu avoir cet instrument dans les négociations n’est pas encore

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mesuré avec précision. Néanmoins, s’il est probable que cette arme ait servi en 2013 et 2014,

sa pertinence diminue au fil des révélations sur la coopération allemande avec la NSA en

matière d’espionnage.

Enfin, les révélations d’Edward Snowden n’ont pas fini de livrer tous leurs secrets

concernant la surveillance de masse de la NSA ou sa coopération avec l’Allemagne. Même

deux ans après le déclenchement de l’affaire, la quantité considérable de documents volés par

Snowden nécessite une investigation méticuleuse et parfois complexe de la part des

journalistes. D’autant plus que peu de journaux se sont vu confié ces documents. En effet,

seuls The Washington Post, Der Spiegel et The Intercept sont en possession des documents de

Snowden. The Guardian, qui a été le premier journal à avoir révélé l’affaire, s’est vu contrait

par la police britannique de détruire les disques durs sur lesquels étaient les documents. C’est

donc au compte goutte que les révélations sur la NSA nous parviennent. En avril 2015, The

Intercept révélait grace aux documents de Snowden que les attaques de drones de l’armée

américaine au Moyen-Orient étaient pilotées depuis la base militaire américaine de

Ramstein256. En mai 2015, c’était le scandale de l’espionnage d’officiels de l’UE par le BND

pour le compte de la NSA qui était révélé. Ainsi, il est tout à fait possible que les prochains

mois soient le théâtre de nouvelles révélations. Ces dernières pourraient soit affaiblir encore la

position de l’Allemagne si elles concernent la coopération du BND avec la NSA, soit la

renforcer si elles prouvent une atteinte aux libertés.

256 Scahill Jeremy, « Germany is the Tell-Tale Heart of America’s Drone War », The Intercept, 17/04/15, https://firstlook.org/theintercept/2015/04/17/ramstein/, consulté le 29/05/15.

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SSoouurrcceess eett bbiibblliiooggrraapphhiiee ::

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ARD Tagesschau

Bild Die Zeit

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Der Spiegel Frankfurter Allgemeine Zeitung

Deutsche Welle Süddeutsche Zeitung

Die Welt Stern

Presse étrangère à l’Allemagne consulté:

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Courrier International Les numériques

Euobserver Libération

Euractiv Mediapart

Euronews Radio France Info

France 24 The Financial Times

Humanoïde The Guardian

La Tribune The Huffington Post

Le Monde The Intercept

Le Figaro The New York Times

Le Nouvel Observateur Wikileaks

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Blogs consultés :

Antoine Lefébure http://www.antoinelefebure.com/

Campact ! https://www.campact.de/

Electrospace.net http://electrospaces.blogspot.fr/

Netzpolitik https://netzpolitik.org/

Principaux sites institutionnels consultés :

Bundesbeauftragten für Datenschutz und Informationscherheit

BundesMinisterium des Innern

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Bundesnachrichtendienst

Bundesregierung

Parlement européen

Central Intelligence Agency

Commission européenne

Conseil de l’Europe

Cour européenne des Droits de l’Homme

Deutscher Bundestag

Mémorial de la Stasi de Hohenschönhausen

Office de la statistique allemande

Organisation Mondiale du commerce

Organisation des Nations Unies

Union Internationale des Télécoms

Documents officiels, rapports, et études consultés :

Assemblée Générale des Nations Unies , « Le droit à la vie privée à l’ère du numérique », projet de résolution A/C.3/68/L.45, 1 er novembre 2013.

Bundesamt für Sicherheit in der Informationstechnik , « Die Lage der IT-Sicherheit in Deutschland 2014 », 2014.

Bundesregierung , « loi fondamentale pour la République Fédérale d’Allemagne », 23 mai 1949.

Bundestag, « Bundesdatenschutzgesetz », 11 juin 2010.

Bundestag, motion établissant une commission d’enquête sur les révélations d’Edward Snowden, 18 mars 2014.

Commission européenne, Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, 18 décembre 2000.

Conseil de l’Europe , Convention Européenne des Droits de l’Homme, 1 e r juin 2010

Cour Européenne des Droits de l’Homme , arrêt « Klass et autres contre Allemagne », 6 septembre 1978.

Direction des Affaires Stratégiques , Cattaruzza Amaël, Danet Didier, Desforges Alix, Douzet Frédérick, Naccache David, « La balkanisation du web : chance ou risque pour l’Europe », Septembre 2014.

Düsseldorf Kreis , « Examination of the data importer’s self-certification according to the Safe-Harbor-Agreement by the company exporting data », 28/29 avril 2010.

Statewatch, Bendrath Ralph, « Analysis, TTIP and TISA : big pressure to trade away privacy », Statewatch.org , September 2014.

Initiative Junger Transatlantiker , Segler Tim, « NSA Activities in Germany, Current Matters and Future Questions On the Work of the NSA Investigation Committee of the German Bundestag », 18 juillet 2014.

Pew research Center , « Support in principle for E.U.-U.S. Trade Pact », April 2014.

Page 117: LES CONSEQUENCES DE L'AFFAIRE SNOWDEN EN ALLEMAGNE

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Sites internet dont les documents de Snowden sont extraits :

The American Civil Liberties Union

Der Spiegel

The Guardian

The Intercept

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PPeerrssoonnnneess iinntteerrrrooggééeess

Arne Schönbohm Président du Conseil de Cybersécurité Allemand

Expert en cybersécurité

Dr. Marcel Dickow Chercheur au Siftung Wissenschaft und Politik

Chef du département de recherche sur la sécurité internationale

Expert en nouvelles technologies et cyberdéfense

Dr. Annegret Bendiek Chercheuse associée au Siftung Wissenschaft und Politik

Division de recherche de l’Europe

Spécialiste des relations transatlantiques

Dr. Johannes Thimm Chercheur au Siftung Wissenschaft und Politik

Chef du département de recherche sur les Amériques

Spécialiste des relations transatlantiques

Dr. Sandro Gaycken Professeur à l’European School of Management and Technology

Chercheur senior en cybersécurité et cyberstratégie

Témoin en tant qu’expert à la Commission d’enquête parlementaire

sur la NSA

Jacob Schrot Président de Young Transatlantic Initiative

Président de la Federation of German-American Clubs

Spécialiste des relations transatlantiques

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Florian Glatzner Responsable de l’association de consommateurs « Surfer Haben Rechte »

auprès de la Verbraucherzentrale Bundesverband

Activiste engagé pour la protection des données

Sven Hermerschmidt Représentant du Bundesbeauftragte für Datenschutz und die

Informationsicherheit (BfDI) à Berlin

Département des affaires générales

Alexander Dix Commissaire du Berliner Bundesbeauftragte für Datenschutz und die

Informationsicherheit

Expert international sur la protection des données

Meggie Shneider

Artiste plasticienne

A exposé au European Media Art Festival d’Osnabruck et au Goethe

Institut de Paris dans le cadre de l’exposition « Under surveillance »

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AAnnnneexxeess

1 – Collecte des données de la NSA en Allemagne du 10 décembre 2012 au 2 janvier 2013 à

travers le programme BOUNDLESS INFORMANT, National Security

Agency…………………………………………………………………….…………………120

2 – Relations de la NSA en matière de renseignement avec les services secrets allemands,

National Security Agency, 17 janvier 2013………………………………………….………121

3 – Projet de résolution « Le droit à la vie privée à l’ère du numérique », Assemblé Générale

des Nations Unies, 1er novembre 2013…………………...………………………………….124

4 – Motion du Bundestag établissant une commission d’enquête parlementaire sur la

surveillance de la NSA en Allemagne, Deutscher Bundestage, 18 mars 2014……………...127

5 – Lettre de démission de Clemens Binninger, Pastebin.com, 2014………….……………132

6 – Liste des témoins auditionnés appelés à témoigner à la commission d’enquête

parlementaire, Junge Transatlantiker Initiative, 18 juillet 2014………………...…………..133

7 – Résolution relative à l’examen d’auto certification des Safe Harbor par les compagnies

exportatrices de données, Düsseldorf Kreis, 28/29 avril 2010……………….……………..136

8 – Résolution relative à l’interprétation de la Bundesdatenschutzgesetez par les compagnies

exportatrices de données et sa conformité avec les Safe Harbor, Düsseldorf Kreis, 11/12

septembre 2013…………………………………………………………………...…………138