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Journal de Gyn´ ecologie Obst´ etrique et Biologie de la Reproduction (2014) 43, 79—84 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ÉDITORIAL Les défis éthiques du gynécologue-obstétricien The ethical challenges of obstetrician Introduction Avant toute chose, je voudrais vous dire mon plaisir de par- tager ce moment avec vous, même si je mesure toute la difficulté d’un sujet particulièrement délicat. Le médecin généticien que je suis a travaillé une bonne partie de sa vie en étroite collaboration avec vous et participé à tant de dis- cussions lourdes de conséquences que je me suis senti, bien souvent, des vôtres. Mais je veux néanmoins souligner que c’est toujours à vous que revenait l’ultime décision au terme de toutes les consultations nécessaires auprès des spécia- listes concernés. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité créer, dès la loi de Bioéthique de 1994, les Centres pluridisci- plinaires de diagnostic prénatal. Je peux témoigner que vous vivez au cœur des problématiques éthiques d’aujourd’hui, et en cela le sujet que vous m’avez proposé sur les défis éthiques du gynécologue-obstétricien me semble répondre à une préoccupation permanente qui vous habite. Les problèmes éthiques, notamment dans votre spécia- lité, ne datent, d’ailleurs pas de la « re-naissance » de l’éthique. Les gynécologues-obstétriciens ont, depuis la nuit des temps, rencontré des dilemmes éthiques que résume bien cette formule restée dans les mémoires : « La mère ou l’enfant ? ». Entre deux vies, laquelle fallait-il choisir ? Laquelle fallait-il sacrifier ? Les temps ont changé, les ques- tions ne sont plus les mêmes, mais cela fait longtemps que vous faisiez de l’éthique sans le savoir comme monsieur Jourdain avec la prose. L’éthique identifiée dans l’antiquité (qu’on songe simple- ment à « L’éthique à Nicomaque » d’Aristote qui s’efforc ¸ait de distinguer le bien et le mal, le beau et le juste) s’est ensuite assoupi durant des siècles pendant lesquels la société n’évoluait pas fondamentalement sur ces sujets. En revanche, depuis la seconde guerre mondiale, elle s’est réveillée et se fait reconnaître. De plus en plus souvent, vous devez vous y référer tant les situations difficiles se sont multipliées. Cela se comprend sans qu’il faille chercher de nombreuses explications. Par définition, votre spécialité incarne la vie, elle est, par nature, tournée vers la trans- mission de la vie et l’avenir. Elle se trouve, exactement, au point de rencontre de deux révolutions qui ont marqué la deuxième moitié du xx e siècle et bouleversé nos repères. La révolution scientifique, biologique et médicale qui permet aujourd’hui de congeler les gamètes, de féconder in vitro, de conserver des embryons pour un recours dif- féré, voir le fœtus et l’observer, l’étudier, l’atteindre pour l’analyser grâce à la génétique et à la biologie moléculaire, mais aussi le préserver, en prendre soin ou parfois encore le supprimer. Ces questions, vous les connaissez parfaitement, vous les vivez et je ne veux pas m’y attarder. Je préfère, plutôt que l’inventaire à la Prévert de tous les sujets à problèmes sur lesquels chacun a son opinion, tenter de che- miner avec vous pour attirer l’attention sur telle ou telle difficulté et dégager si possible des lignes de force pour aborder des problématiques souvent insolubles. D’autant que la deuxième révolution, sociétale celle- là, survenue à la fin des années 1960, a porté la valeur de « liberté » au premier rang, bien au-dessus de toutes les autres, accompagnée de son cortège d’individualisme, d’hédonisme et de consumérisme. Cette révolution qu’on a souvent tendance à oublier ou à méconnaître parce qu’elle est entrée dans la vie quotidienne, a donné la priorité au désir avec le droit de chacun à le satisfaire. Elle est en grande partie à l’origine de l’évolution actuelle de notre société, notamment pour ce qui est de l’affaiblissement, voire le délitement, du lien social. C’est la rencontre de ces deux révolutions qui a conduit la gynécologie-obstétrique à prendre le train de l’éthique. D’où le premier défi qui s’impose face à l’émergence de l’éthique Car les nouvelles connaissances acquises ont créé de nou- velles situations devant lesquelles s’imposent de nouveaux 0368-2315/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jgyn.2013.12.008

Les défis éthiques du gynécologue-obstétricien

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Journal de Gynecologie Obstetrique et Biologie de la Reproduction (2014) 43, 79—84

Disponible en ligne sur

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ÉDITORIAL

Les défis éthiques du gynécologue-obstétricienThe ethical challenges of obstetrician

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Dl’émergence de l’éthique

Introduction

Avant toute chose, je voudrais vous dire mon plaisir de par-tager ce moment avec vous, même si je mesure toute ladifficulté d’un sujet particulièrement délicat. Le médecingénéticien que je suis a travaillé une bonne partie de sa vieen étroite collaboration avec vous et participé à tant de dis-cussions lourdes de conséquences que je me suis senti, biensouvent, des vôtres. Mais je veux néanmoins souligner quec’est toujours à vous que revenait l’ultime décision au termede toutes les consultations nécessaires auprès des spécia-listes concernés. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaitécréer, dès la loi de Bioéthique de 1994, les Centres pluridisci-plinaires de diagnostic prénatal. Je peux témoigner que vousvivez au cœur des problématiques éthiques d’aujourd’hui,et en cela le sujet que vous m’avez proposé sur les défiséthiques du gynécologue-obstétricien me semble répondreà une préoccupation permanente qui vous habite.

Les problèmes éthiques, notamment dans votre spécia-lité, ne datent, d’ailleurs pas de la « re-naissance » del’éthique. Les gynécologues-obstétriciens ont, depuis la nuitdes temps, rencontré des dilemmes éthiques que résumebien cette formule restée dans les mémoires : « La mèreou l’enfant ? ». Entre deux vies, laquelle fallait-il choisir ?Laquelle fallait-il sacrifier ? Les temps ont changé, les ques-tions ne sont plus les mêmes, mais cela fait longtemps quevous faisiez de l’éthique sans le savoir comme monsieurJourdain avec la prose.

L’éthique identifiée dans l’antiquité (qu’on songe simple-ment à « L’éthique à Nicomaque » d’Aristote qui s’efforcaitde distinguer le bien et le mal, le beau et le juste)s’est ensuite assoupi durant des siècles pendant lesquelsla société n’évoluait pas fondamentalement sur ces sujets.En revanche, depuis la seconde guerre mondiale, elle s’est

réveillée et se fait reconnaître. De plus en plus souvent,vous devez vous y référer tant les situations difficiles sesont multipliées. Cela se comprend sans qu’il faille chercherde nombreuses explications. Par définition, votre spécialité

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ncarne la vie, elle est, par nature, tournée vers la trans-ission de la vie et l’avenir.Elle se trouve, exactement, au point de rencontre de

eux révolutions qui ont marqué la deuxième moitié du xxe

iècle et bouleversé nos repères.La révolution scientifique, biologique et médicale qui

ermet aujourd’hui de congeler les gamètes, de fécondern vitro, de conserver des embryons pour un recours dif-éré, voir le fœtus et l’observer, l’étudier, l’atteindre pour’analyser grâce à la génétique et à la biologie moléculaire,ais aussi le préserver, en prendre soin ou parfois encore le

upprimer. Ces questions, vous les connaissez parfaitement,ous les vivez et je ne veux pas m’y attarder. Je préfère,lutôt que l’inventaire à la Prévert de tous les sujets àroblèmes sur lesquels chacun a son opinion, tenter de che-iner avec vous pour attirer l’attention sur telle ou telleifficulté et dégager — si possible — des lignes de force pourborder des problématiques souvent insolubles.

D’autant que la deuxième révolution, sociétale celle-à, survenue à la fin des années 1960, a porté la valeure « liberté » au premier rang, bien au-dessus de touteses autres, accompagnée de son cortège d’individualisme,’hédonisme et de consumérisme. Cette révolution qu’on aouvent tendance à oublier ou à méconnaître parce qu’ellest entrée dans la vie quotidienne, a donné la priorité auésir avec le droit de chacun à le satisfaire. Elle est enrande partie à l’origine de l’évolution actuelle de notreociété, notamment pour ce qui est de l’affaiblissement,oire le délitement, du lien social.

C’est la rencontre de ces deux révolutions qui a conduita gynécologie-obstétrique à prendre le train de l’éthique.

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hoix. Cette démarche est d’autant plus incertaine que cesouveaux choix ouvrent, à leur tour, de nouveaux champs deibertés et en conséquence imposent de nouvelles responsa-ilités. De cet énoncé rapide, il apparaît que le momentéterminant est celui du choix : « Devant cette situationnhabituelle, voire inédite, qu’elle attitude vais-je adopter ?uel comportement vais-je choisir ? ».

C’est cela le questionnement éthique. L’éthique n’estas une science comme peut l’être l’anatomie ou la chi-ie, c’est un questionnement. Je ne suis donc pas là pour

noncer un prêt à penser quelconque en fonction de telleu telle valeur morale, mais pour rappeler les élémentse la problématique à prendre en considération. En outre,’éthique n’est pas la propriété exclusive de spécialistes jar-onnant, mais elle concerne chaque citoyen. Il n’y a pas deamille qui ne soit concernée par des problèmes touchantoit à l’avortement, à l’infertilité, au handicap, sans comp-er la souffrance physique et morale, la mort et le respecte l’intimité des personnes.

Ce questionnement éthique est double.Il est d’abord strictement personnel lorsque chacun

ngage un dialogue avec sa propre conscience et tente dee forger une conviction fidèle à ses valeurs. Cette éthiquee conviction pourrait suffire et permettre de vivre sa vie« Fais ce que doit, advienne que pourra ! »).Mais il n’en estien, car nos choix personnels sont rarement dépourvus deonséquences sur l’autre et sur demain. Par exemple, si parhoix personnel je refuse de recourir aux cellules embryon-aires, je peux priver un malade d’un traitement dont ilurait besoin ! Autre exemple, si je recours à la thérapieénique embryonnaire, je vais modifier certes l’embryonraité, mais aussi ses descendants, c’est-à-dire les généra-ions à venir !

Ces deux dimensions d’altérité et de temporalité sontssentielles. Et quelle autre spécialité les incarne davan-age que la vôtre ? L’altérité, quand il s’agit à la fois d’uneemme, d’un couple et de leur enfant. La temporalité,uisqu’il s’agit de transmettre la vie de génération enénération, avec, en outre, cette possibilité nouvelle de sus-endre le temps par la congélation. Vous êtes les premiersépositaires de ces deux repères que sont l’altérité et laemporalité.

Il faut donc poursuivre le questionnement dans uneeuxième étape, collective celle-là, pour assumer ses choixt atteindre une éthique de responsabilité. Rien n’est plusifficile à mon sens. Comment concilier des exigences fré-uemment contraires entre l’intérêt individuel et l’intérêtu groupe ? Comment refuser l’instauration d’un ordre moralout en s’inspirant de valeurs morales pour ses choix etes comportements ? Comment concilier l’intérêt du courterme et celui du long terme ? Autrement dit, il n’y a pas dehoix éthique sans une tension morale parfois douloureuset il faut en passer par là. Un moraliste très connu ne disait-ilas dans son discours de réception à l’Académie des sciencesorales et politiques en 1993 : « Au-delà de nos différences,

l nous faut trouver les moyens d’assurer ensemble notrexistence sociale. . . ». Autrement dit, respecter chacun etivre ensemble.

Il ne s’agit pas d’artifices de raisonnement, mais bien

es bases de l’exercice qui est le vôtre. Et ce faisant,l faut choisir entre deux types d’éthique opposés. Unethique utilitariste, d’inspiration anglo-saxonne, qui va dans

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Éditorial

e sens du plus grand bien pour le plus grand nombre. Autre-ent dit, la définition de ce qu’il convient de faire relèvee l’opinion publique, souvent appréciée par enquête ouondage. Cette éthique utilitariste cherche à satisfaire lesésirs selon la liberté de chacun. Elle ne se réfère pas auxaleurs qui fondent une société et lui permettent d’êtreohérente et solidaire. À l’opposé, l’éthique essentialiste,lus latine, privilégie la dignité de chaque personne commealeur commune de notre société. Cette éthique rappelle,implement, que nous sommes tous porteurs d’une parcellee notre commune humanité. Autrement dit, ce que l’onait à une personne humaine est le reflet de ce que l’on fait

l’humanité toute entière.En clair, ces deux valeurs de liberté et de dignité

’opposent radicalement. La liberté, par nature, séparet divise car chacun revendique la sienne propre, qui auemeurant s’arrête où commence celle du voisin pour céder,nalement devant la liberté du plus fort. Au contraire, laignité rassemble car elle nous rappelle notre communeumanité. C’est elle qui nous fait nous « indigner » quandne attitude nous paraît inhumaine. C’est cela qui expliquea réaction quasiment unanime pour s’opposer au clonageeproductif humain.

Voilà le premier défi qui se présente à vous : croire en’éthique et être persuadé de son bienfondé au travers dees quatre grands principes que sont l’autonomie, la bien-aisance, la non-malfaisance et la justice. C’est un vrai défiar s’agissant du principe de bienfaisance, par exemple,st-elle univoque pour la femme ? L’homme ? Le couple ? Et’enfant ? Les intérêts peuvent-être contradictoires et neermettent pas toujours de solutions évidentes. En vou-ant faire du bien à l’un, ne fait-on pas de mal à l’autre ?ous connaissez comme moi la terrible question récurrente

propos de l’accouchement sous-X où l’intérêt de la femmeéside le plus souvent dans l’anonymat, alors que celui de’enfant peut être de connaître ses origines et de savoir quist sa mère. . . Comment choisir entre deux légitimités aussiortes et opposées ? Sur quels critères ? Il vous faut donc vouspproprier l’éthique ! Voilà votre premier défi.

éfinir les limites de votre pratique, entreossible, souhaitable et interdit : c’est leecond défi

’est la référence éthique qui va guider l’évolution de laratique médicale dans les années à venir, entre le possible,e souhaitable et l’interdit. La question essentielle est alorsa suivante : « Le médecin a-t-il l’obligation morale de satis-aire toutes les demandes qui lui sont faites, au motif qu’ilossède la technique ? » La question se pose ainsi dans lehamp de l’assistance médicale à la procréation (AMP) auegard de la demande de femmes seules, de deux personnesu même sexe ou de femmes ayant largement passé l’âgee la procréation. Si je réponds « oui, le médecin doit satis-aire ces demandes », alors je quitte le champ médical pourntrer dans celui de la prestation de service. Les indicationsédicales s’effacent derrière les demandes des patients. On

e rend vite compte que même avec un esprit très ouvert,

ertains cas viennent heurter plus fortement que d’autresa conscience du médecin. Si d’autres situations demeurentiscutées et font même l’actualité, il y a, par exemple, une
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Éditorial

quasi-unanimité pour récuser les grossesses chez les femmesayant dépassé l’âge physiologique d’enfanter, celles que lesmédias ont appelées les « mamies-mamans ». Alors commentfixer la limite entre oui et non ? Le « oui » sans aucune limiten’est probablement pas la solution souhaitée. Mais, si je sou-haite pouvoir dire « non, le médecin ne doit pas répondrefavorablement à toutes les demandes qui lui sont faites »,la question rebondit sur les critères du refus. Dans quellessituations vais-je dire non ? Est-ce la seule conscience dumédecin qui va refuser ?

On discerne que les enjeux sont d’importance. Aprèss’être opposé, puis avoir hésité, ce sont finalement, lesjuges et les médecins qui ont souhaité la voie législative.C’est pour tenter d’aider les médecins à défendre cer-taines positions, et souvent à leur demande, que les loisde bioéthiques ont été élaborées et adoptées. Les seulesjurisprudences, toujours tardives et parfois contradictoires,ne pouvaient plus suffire. Pour éviter toutes les subjectivi-tés, en 1994, j’ai proposé un choix qui s’est trouvé adoptépar une très large majorité, puis confirmé lors des révisionslégislatives de 2004 et 2011. Il consistait à préciser que,s’agissant de techniques biomédicales, elles relevaient desseules indications médicales. Je suis convaincu que c’est cequi a pacifié le débat pendant des années et permis à lamédecine de la reproduction de se développer à la satis-faction du plus grand nombre. Ces techniques d’AMP quisemblaient promettre des situations de plus en plus comple-xes et innovantes étaient trop lourdes d’enjeu pour que l’onne soit pas satisfait, pour la plupart, d’agir dans un cadredéfini.

Aujourd’hui, avec l’évolution de la société, on voit bienque les demandes sont plus nombreuses. Elles se diversi-fient, en réponse à de nouvelles techniques et à une visiondifférente de la procréation, peut-être aussi de la famille,voire du rapport des deux membres du couple. Force est deconstater que nous vivons une époque où l’on sacralise ledésir des parents et le droit à l’enfant, alors qu’on diabolisesouvent ceux qui voudraient tenter de rappeler quelquesdonnées de bon sens.

Sans entrer, faute de temps, au fond du débat de la« gestation pour autrui », on discerne bien qu’il illustre ceque nous venons d’aborder car nombreuses sont les ques-tions qui se posent. D’abord, celle des conséquences àtermes de cette période pré et périnatale sur l’enfant carun doute existe comme l’a évoqué un rapport de l’Académienationale de médecine en 2009 ? Autrement dit, peut-onfaire l’impasse sur les 9 mois de gestation, pour la mèrecomme pour l’enfant ? Peut-on considérer l’utérus de la« gestatrice » comme un simple incubateur comme un hypo-thétique utérus artificiel ?

Ensuite la question de l’argent, car elle s’impose. Lemontant de la transaction financière est clairement annoncéet l’on en vient à la notion de contrat. Car dans la démarched’un couple qui commande, d’une gestatrice qui s’engage,l’objet de l’accord est l’enfant. Sachant parfaitement queles esprits peuvent être partagés sur cette question, j’aisimplement voulu souligner que derrière un tel choix,s’inscrivaient en toile de fond des problèmes cruciaux,lourds de conséquences.

En termes d’argent, notamment. Je sais que la tenta-tion est grande de contourner le principe essentiel de lagratuité du « vivant »qui régit la transfusion sanguine, la

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ransplantation d’organes et le don de gamètes, afin’accepter une éventuelle rétribution pour le « don »’ovocytes et répondre à la demande. Qui ne voit qu’aveca référence à l’argent apparaissent toujours des inégalitésn faveur des plus fortunés ? Qui ne voit que si une gestationtait payée, si les ovocytes l’étaient aussi, pourquoi n’enerait-il pas de même pour les spermatozoïdes ? Le sang ?es organes ? Ainsi, l’insuffisant hépatique pouvant se payern lobe hépatique serait-il avantagé par rapport à d’autres,émunis de moyens. Mettre l’argent au milieu de ces ques-ions ne me paraît pas souhaitable. Le vivant ne peut pasntrer dans les termes du marché économique. La France’est toujours battue pour défendre cette position dans leoncert européen. Elle a fait de même en s’opposant à laossibilité de breveter les gènes humains. Chacun doit bien’interroger pour savoir si l’argent doit entrer en jeu faisantu vivant humain une matière marchande.

L’autre question, celle de l’avenir des liens possiblesntre l’enfant et la gestatrice qui n’a rien d’anonyme etui viendrait réveiller tout le débat si difficile sur la règlee l’anonymat dès qu’il s’agit du vivant. Toutes ces ques-ions, et d’autres, laissent à penser que nous sommes,arfois, sur le fil du rasoir quand, pour répondre au désire quelques dizaines ou centaines de personnes, l’enjeust bien de modifier sensiblement nos repères. Y comprises grands principes à valeur constitutionnelle que sont’indisponibilité et la non-patrimonialité du corps, auquel’ajoute l’anonymat en matière de don. C’est cela le fond dea réflexion éthique. Considérer la demande et faire le touru problème, évaluer les avantages et les inconvénients etesurer les conséquences d’un éventuel changement pour

a société. Après, il appartient à notre société de choisir dehanger les principes de références, si elle le souhaite. Rien’est écrit définitivement dans le marbre. Il faut simplemente faire en bonne conscience des enjeux globaux.

Depuis les premières méthodes d’AMP, nous savons lesituations d’infertilité médicale et c’est pour tous cesouples infertiles que nous sommes allés déjà très loin dans’évolution de nos pratiques. Voulons-nous, désormais, àôtés des infertilités médicales, définir de nouvelles formes’infertilités sociales ? Définir le champ de la pratique médi-ale est donc le second défi.

J’en viens au « syndrome de la pente glissante » bienonnu dans le domaine des innovations. On fait un pas, puisn autre, puis encore un, pour un jour se trouver là où l’on’avait jamais imaginé aller, où l’on n’aurait même jamaisoulu aller. Aidés en cela par l’argument du tourisme pro-réatif et l’idée que puisque d’autres le font, pourquoi pasous ? Ne faut-il pas, à un moment donné, savoir marquerne limite à ne pas franchir ?

’est, à mon sens, le troisième défi qui serésente à vous avec l’évolution du diagnosticrénatal

e généticien que je suis est heureux de partager le far-eau de cette question. En effet, ayant appris à identifieres gènes nous pouvons, désormais, en apprécier la qualité,

e qui permet la sélection des meilleurs et l’éliminationes moins bons. Tout le monde se réjouit des nouvellesossibilités diagnostiques, des conseils plus précis pour
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es familles, des prescriptions médicales améliorées, voireême déjà des possibilités thérapeutiques tant attendues.ais aujourd’hui, en l’absence de traitement pour le plusrand nombre des maladies génétiques, se sont développées techniques de plus en plus performantes de diagnosticvant la naissance.

Depuis plus de trente ans, la génétique a partagé avec’échographie le pouvoir de déceler nombre d’anomaliesmbryonnaires et fœtales, d’en informer les couples etes accompagner dans leur décision de poursuivre ou nona grossesse concernée. Au départ, cette technique avaite désir de répondre à la demande singulière de couplesprouvés par la survenue d’une grave anomalie chez unnfant. À défaut de pouvoir guérir, on acceptait la possi-ilité d’interrompre la grossesse d’un nouvel enfant porteure l’anomalie. L’intention était bien de rassurer les couplesn leur permettant de concevoir et mettre au monde lesnfants normaux qu’ils souhaitaient.

Chemin faisant, sur des données statistiques et dans unouci d’égalité des chances, la stratégie initiale a évolué.lle s’est adressée à des populations dont les grossessestaient considérées « à risques », fonction de l’âge mater-el, de données échographiques ou du dosage de protéinesériques. Il s’agissait moins, cette fois, de répondre à uneemande personnelle que de diminuer le plus possible leombre de malades ciblés. Chacun sait que l’affection’abord concernée était la trisomie 21.

Du désir d’aider les couples en difficulté, n’étions-nousas en train de basculer dans une attitude qui pouvait res-embler à de l’eugénisme ? Cette question m’a littéralementaraudé dès la fin des années 1980, car Francis Galton quiréa ce terme en 1883 avait développé l’idéologie eugé-iste à partir d’hypothèses biomédicales. Un siècle après,’étions-nous pas en train de revenir aux sources médicalese l’eugénisme ?

L’histoire ouvre facilement ses livres sur les liaisonsangereuses entre le champ de la politique et celui desffections congénitales. Personne ne peut oublier les lois de’Allemagne nazie qui dès le début des années 1930 visaient

prévenir la transmission des tares héréditaires par la sté-ilisation prescrite dans un certain nombre de maladiesupposées héréditaires (faiblesse mentale congénitale, schi-ophrénie, psychose maniaco-dépressive, épilepsie, cécité,urdité, malformation physique et alcoolisme grave). Je’insiste pas, chacun connaît cela. Mais, ne l’oublions pas,e texte fondateur de « l’Éthique biomédicale » est le codee Nuremberg.

Or, les possibilités du diagnostic prénatal pourraitujourd’hui apporter les justifications et les moyensécessaires pour légitimer et organiser, non pas les eugé-ismes barbares que je citais, mais une forme nouvelle’eugénisme : un eugénisme médical beaucoup plus insi-ieux, à visage humain et empreint de compassion.

La question de fond est donc bien de savoir si la qua-ité d’un homme peut dépendre de la qualité de ses gènes.e développement de nos techniques, de nos recherches ete nos pratiques pourrait être compris comme une réponseffirmative. Donc, je me permets de reposer cette ques-

ion fondamentale : « La qualité d’une personne humaineépend-elle de la qualité de ses gènes ? Ou de son absencee handicap ? ».

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Éditorial

C’est parce que j’ai l’intime conviction que les méde-ins ne peuvent se prêter à la moindre indulgence danses domaines, que j’ai souhaité faire un distinguo clairans la loi de 1994 entre ce qui relève du choix personnel’une femme ou d’un couple et l’organisation systéma-ique d’un dépistage destiné à l’élimination d’enfants dits

non conformes » sous des prétextes de santé publique,’économie budgétaire ou de justice sociale. Le choix indi-iduel est une chose qu’il convient de respecter quand laiscrimination collective en est une autre qu’on ne peutccepter. Tenant compte de l’évolution des pratiques, ilallait les aménager et empêcher leur dérive.

C’est ce que j’ai proposé dans l’article de la loiui énonce que « Toute pratique eugénique tendant à’organisation de la sélection des personnes est interdite ».ette disposition prohibant toute forme d’eugénisme a étéotée en 1994, puis confirmée en 2004 et reconfirmée en011 lors des deux révisions de la loi. Elle reflète donc unonsensus indiscutable.

Mais depuis 1994, date de la première loi de Bioéthique,e contexte a beaucoup changé.

Le diagnostic préimplantatoire, voulu pour des raisonsxceptionnelles, a fait ses preuves au point qu’une pressionour étendre ses indications se manifeste avec insistance.

En outre, le tri de cellules fœtales dans le sang mater-el est désormais maîtrisé, ouvrant avec les puces à ADNt les techniques de séquencage à haut débit de nouveauxorizons encore accrus par la mondialisation de l’Internet.l est désormais possible de réaliser des séries de diagnosticsénétiques avant la dixième semaine de gestation.

Dès lors, force est de reconnaître que les lois nationaleses plus strictes, quels que soient les pays concernés, neourront pas grand-chose contre cette évolution. Ce mou-ement ne relève d’aucune idéologie politique mais de laecherche irrépressible des supposées conditions du bonheurt d’une qualité de vie meilleure, le tout nourri d’une visionndividualiste.

Je constate, aujourd’hui, que ma distinction initialentre démarche individuelle et stratégie collective estevenue fragile. Car, en réalité, lorsque plus de 95 % desouples font le choix de l’interruption de la grossesse poura trisomie 21,c’est l’addition de tous ces choix indivi-uels qui dessine les contours de notre société dont forcest de constater qu’elle est déjà largement imprégnée’eugénisme.

Nous vivons une époque où la vie de l’être humain ne vau-rait pas forcément en elle-même. Comme si la science et leontexte culturel définissaient des degrés rendant cette vielus ou moins acceptable, voire franchement indésirable.’est le triomphe de la sentence de Francis Crick, codé-ouvreur de l’ADN, que je cite : « Aucun enfant ne devraittre reconnu humain avant d’avoir passé un certain nombree tests portant sur sa dotation génétique. S’il ne réussitas ces tests, il perd son droit à la vie ». Je n’ajoute aucunommentaire.

En dehors de cette idéologie prométhéenne, on peutnvoquer toute une série d’explications pour ce choix impli-ite de notre société, telles que la vie difficile, les familles

éduites, le regard des autres, la perte du lien social,es coûts de prise en charge, l’absence de solidarité suf-sante pour accompagner les personnes handicapées et la
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Éditorial

défaillance des États. Mais les faits sont là, qu’on l’admetteou qu’on le refuse, nous sommes bien dans une société eugé-nique où règne un idéal de performance.

Alors, que faire ? Il faut certainement éveiller lesconsciences mais la tâche est immense et le résultat incer-tain. Car nous sommes désormais devant le choix d’unesociété toute entière qui esquisse peu à peu le projet col-lectif de naissances sans handicap prévisible ou prédictible.Le consensus tacite semble ainsi établi qu’un enfant porteurd’une trisomie 21 ou 18 n’a pas vocation à naître.

Je n’exagère pas en disant cela. Je vous rappelle sim-plement le célèbre arrêt Perruche de la Cour de Cassationqui, en 2000, légitimait la plainte d’un enfant d’être némalformé quand il aurait dû être avorté. Cet arrêt recon-naissant « un droit à ne pas naître » a suscité un trouble réelchez les praticiens en charge des grossesses, les associa-tions de familles confrontées au handicap de leur enfant etmême l’opinion publique. En clair, l’arrêt de la Cour posaitcomme règle que le handicap de l’enfant Perruche auraitdû être détecté et la grossesse interrompue. Il fallait doncindemniser cet enfant puisqu’il était né porteur d’un han-dicap alors même que sa vie ne valait pas la peine d’êtrevécue.

Cela m’est apparu inacceptable et avec les conseils d’uncertain nombre d’entre vous, j’ai tout fait pour contre-carrer cette disposition juridique par une proposition deloi qui a été adoptée. C’était le seul moyen d’éviter quecet arrêt n’établisse une jurisprudence d’autorité. Maisquelques années et quelques progrès plus loin, je crains quecette tendance du droit ne reprenne le dessus et finisse pars’imposer.

L’équation est simple : par nos méthodes nous pou-vons éviter la naissance de nombreux enfants porteurs dehandicaps et donc réputés « anormaux », leur naissanceelle-même deviendra vite « anormale », puis sans doutecondamnable car un enfant, si l’on suit la philosophie del’arrêt Perruche, serait fondé à poursuivre ses parents pourl’avoir laissé naître. Il n’y aurait donc plus pour eux lechoix d’une éventuelle interruption de la grossesse, maisle devoir d’y mettre un terme sauf à risquer la condamna-tion.

Je sais que vous êtes déjà confrontés à ces techniquesrécentes de diagnostic sur cellules fœtales triées du sangmaternel. Je n’ai malheureusement aucune parade miracleà vous proposer dans l’immédiat. Il faut, plus que jamaisconsidérer de telles demandes avec l’attention qu’ellesexigent. Il faut y consacrer du temps. La rencontre avec lescouples est essentielle. Non pas pour les convaincre ou lesculpabiliser, évidemment, mais pour que leur décision soitprise après qu’ils aient été complètement éclairés et qu’ilsaient saisi la nature des enjeux. Je sais aussi que dans cedialogue singulier il est difficile de prendre argument d’unedérive collective.

Je voudrais, néanmoins, rappeler l’existence de laclause de conscience, que vous connaissez bien, qui per-met à chacun de ne pas s’engager dans des actes qu’iln’approuve pas en son for intérieur. Devant un tel enjeu,personne, je crois, ne peut éviter de se poser la ques-tion : « Faut-il accompagner ces techniques pour tenter

d’éviter les dérives redoutées ou faut-il refuser pourne pas être caution d’un choix que l’on réprouve enconscience ? ».

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Le sociologue, Max Weber, résume fort bien le dilemme : . . . Il n’existe aucune éthique au monde qui puisse nousire à quel moment et dans quelle mesure une fin mora-ement bonne justifie les conséquences et les moyensoralement dangereux. C’est donc bien le problème de

a justification des moyens par la fin qui voue à l’échec’éthique de conviction. En fait, il ne reste logiquement’autre possibilité que celle de repousser toute action quiait appel à des moyens moralement dangereux ». Et iljoute : « Je me sens très profondément bouleversé par’attitude d’un homme — ou d’une femme — qui se sentéellement et de toute son âme responsable des consé-uences de ses actes et qui, pratiquant l’éthique deesponsabilité, en vient à un certain moment à décla-er : « Je ne puis faire autrement. Je m’arrête là ! » Uneelle attitude est authentiquement humaine et elle estmouvante. Chacun de nous, si son âme n’est pas entiè-ement morte, peut se trouver un jour dans une situationareille ».

Renoncer à accompagner cette évolution en invoquant lalause de conscience n’est donc pas une hypothèse à balayerans une profonde réflexion personnelle. D’autant que par-ant de ces questions, je ne peux passer sous silence deuxutres applications du diagnostic prénatal qui laissent à pen-er que les valeurs humaines fondamentales ne sont pas,artout, unanimement partagées. La première concerne laolitique de sélection des sexes dont on sait les effets désas-reux lorsqu’elle est pratiquée à grande échelle. « Et laeuxième porte sur le diagnostic prénatal de paternité. Cesérives ne sont, hélas, pas des utopies, notamment du faites pressions commerciales, des enjeux financiers et desoyens de l’Internet.Toutes ces questions sont cruciales. Jusqu’où ne pas aller

rop loin ? Quelle est l’attitude du moindre mal ?Lutter contre la « pente glissante » est donc, sans aucun

oute, le troisième défi que vous avez à relever.

l en est un quatrième que je veux esquisservec vous en évoquant la voie de lahérapeutique, car ce sont les perspectiveshérapeutiques qui permettent d’espérer

ucun d’entre vous ne saurait se contenter de généralisern diagnostic prénatal de sélection des enfants à naître.omme vous, je suis convaincu que la médecine a d’abord

a vocation de soigner et guérir. C’est là que doivent seoncentrer tous nos efforts et toutes nos forces vives.’est là que doit s’exprimer notre acharnement. Rien neaurait résister au génie humain, toute l’histoire de la méde-ine le montre. Ce défi est fait pour être gagné. Et il leera.

Au-delà de toutes les incohérences vis-à-vis de l’embryont du fœtus, il reste pour nous, d’abord et avant tout,n patient. Et à ce titre, il requiert tous nos soins.e n’est pas le lieu de développer les formidables pro-rès de la médecine fœtale et embryonnaire depuiséjà deux décennies. Les biothérapies dont la théra-ie génétique et le recours aux cellules souches ainsi

ue de nouvelles pistes pharmacologiques ou interven-ionnelles ouvrent des voies porteuses de fantastiquesspoirs.
Page 6: Les défis éthiques du gynécologue-obstétricien

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Face à ces espoirs formidables de traitement, je ne peux’empêcher de penser que décidément, la solution resteien dans l’avènement de solutions thérapeutiques. C’estassurant s’agissant de médecine. C’est cela qui correspond

la vocation médicale. C’est cela préparer un avenir plusumain, plus fraternel et plus solidaire.

Et si les résultats tardent parfois, je vous demande sur-out de ne pas désespérer, mais au contraire de persévérert de vous acharner. Souvenez-vous de la phrase d’Henryunant, le fondateur de la Croix-Rouge : « Seuls ceux quiont assez fous pour croire qu’ils peuvent changer le monde

parviennent » !

Voilà, trop rapidement évoqués, les principaux défis qui

’offrent à vous. Ils sont difficiles, parfois même doulou-eux.

Mais qu’est-ce qu’une vie sans défi ?

Éditorial

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

J.-F. Mattei 1

Espace éthique méditerranéen, hôpital de La Timone,13385 Marseille cedex 5 France

Adresse e-mail : [email protected]

Disponible sur Internet le 18 janvier 2014

1 Professeur émérite de génétique et éthique médicale,

membre de l’Académie nationale de médecine, ancien

ministre de la santé, de la famille et des personneshandicapées, UMR 7268 ADES, Aix-Marseille

Université/EFS/CNRS.