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Les déterminants biologiques des rythmes circadiens LE C(EUR DE LA PHYSIOLOGIE INTÉGRÉE (5) Déterminants moléculaires des horloges biologiques Éveil et sommeil Le sommeil est un état actif C'est en 1953 seulement que Kleitman et Ase- rinsky ont démontré que le sommeil était un état hétérogène et complexe, et qu'il n'était pas qu'une période passive de seule récupération. Ils ont en effet montré l'existence sur I'EEG de deux états différents [Il. (1) Le sommeil à ondes lentes sans mouvements rapides des yeux qui se définit à la fois par un décalage du spectre de I'EEG vers les basses fréquences et par une augmentation de l'amplitude des ondes corticales. Ces modifi- cations sont progressives et aboutissent au bout d'une heure, au moment le plus profond du som- meil pendant la phase 4, aux ondes Delta. On attribue à ce sommeil profond une valeur répa- ratrice, le débit sanguin cérébral et la consom- mation d'oxygène sont en effet réduits de près de 40 % et la température corporelle est abais- sée. La valeur réparatrice est classiquement limi- tée au cerveau puisque I'activité musculaire est préservée à I'EMG, et que c'est la phase où se produisent les phénomènes de somnambulisme. (2) Le sommeil à ondes lentes est ponctué plu- sieurs fois par nuit de périodes de sommeil dit paradoxal avec, à I'EEG, une activité de fré- quence élevée et de faible amplitude, caractéris- tiques de la veille normale, et des mouvements rapides des yeux. Le rôle du sommeil paradoxal est encore discuté, I'activité cérébrale y est comparable à celle de la veille. Les ondes EEG du sommeil paradoxal prennent naissance dans la formation réticulairepontiqueet se propa- gent par l'intermédiaire du corps genouillé du tha- lamus jusqu'au cortex. Le sommeil est sous le contrôle de I'horloge dont nous avons parlé précé- demment, et cette horloge est hypothalamique. Corrélations physiologie/biologiemoléculaire Globalement, tout le monde sait que le coeur, et ... le mental se mettent en quelque sorte au repos la nuit. II y a, la nuit, activation vagale, inhi- bition sympathique, et bradycardie, sommeil. Le sommeil existe même chez les mouches, il est indispensable à la vie animale, mais son rôle phy- siologique est encore discuté. Les deux thèses les plus en vogue sont soit que le sommeil est le moment où s'activent les synthèses protéiques dans le cerveau, soit qu'il s'agisse plutôt du moment de la journée où la mémoire se conso- lide [21. En fait, la nuit, loin d'être une période de repos total, est un moment d'intense activité transcriptionelle; on ignore pour le moment si cette activité est le propre du sommeil paradoxal. Plusieurs auteurs ont appliqué la technique d'analyse globalisée de I'expression génétique, le a cDNA microarray » à l'étude du sommeil soit dans le système nerveux central, SNC [2], soit dans un tissu périphérique, le myocarde en I'oc- currence [3], afin de déterminer l'importance des variations jourlnuit de I'expression génique. Dans le SNC Le SNC est bien entendu central dans ce proces- sus, et il est important dans ce type d'études de différencier ce qui revient au sommeil propre- ment dit et à l'horloge jourlnuit. C'est possible en étudiant les variations chez des animaux privés de sommeil. II a été ainsi démontré que (i) 10 % AMC pratique / no 150 1 juin 2006 / 29

Les déterminants biologiques des rythmes circadiens

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Page 1: Les déterminants biologiques des rythmes circadiens

Les déterminants biologiques des rythmes circadiens LE C(EUR DE LA PHYSIOLOGIE INTÉGRÉE (5)

Déterminants moléculaires des horloges biologiques

Éveil et sommeil

Le sommeil est un état actif

C'est en 1953 seulement que Kleitman et Ase- rinsky ont démontré que le sommeil était un état hétérogène et complexe, et qu'il n'était pas qu'une période passive de seule récupération. Ils ont en effet montré l'existence sur I'EEG de deux états différents [Il. (1) Le sommeil à ondes lentes sans mouvements rapides des yeux qui se définit à la fois par un décalage du spectre de I'EEG vers les basses fréquences et par une augmentation de l'amplitude des ondes corticales. Ces modifi- cations sont progressives et aboutissent au bout d'une heure, au moment le plus profond du som- meil pendant la phase 4, aux ondes Delta. On attribue à ce sommeil profond une valeur répa- ratrice, le débit sanguin cérébral et la consom- mation d'oxygène sont en effet réduits de près de 40 % et la température corporelle est abais- sée. La valeur réparatrice est classiquement limi- tée au cerveau puisque I'activité musculaire est préservée à I'EMG, et que c'est la phase où se produisent les phénomènes de somnambulisme. (2) Le sommeil à ondes lentes est ponctué plu- sieurs fois par nuit de périodes de sommeil dit paradoxal avec, à I'EEG, une activité de fré- quence élevée et de faible amplitude, caractéris- tiques de la veille normale, et des mouvements rapides des yeux. Le rôle du sommeil paradoxal est encore discuté, I'activité cérébrale y est comparable à celle de la veille. Les ondes EEG du sommeil paradoxal prennent naissance

dans la formation réticulaire pontique et se propa- gent par l'intermédiaire du corps genouillé du tha- lamus jusqu'au cortex. Le sommeil est sous le contrôle de I'horloge dont nous avons parlé précé- demment, et cette horloge est hypothalamique.

Corrélations physiologie/biologie moléculaire Globalement, tout le monde sait que le cœur, et ... le mental se mettent en quelque sorte au repos la nuit. II y a, la nuit, activation vagale, inhi- bition sympathique, et bradycardie, sommeil. Le sommeil existe même chez les mouches, il est indispensable à la vie animale, mais son rôle phy- siologique est encore discuté. Les deux thèses les plus en vogue sont soit que le sommeil est le moment où s'activent les synthèses protéiques dans le cerveau, soit qu'il s'agisse plutôt du moment de la journée où la mémoire se conso- lide [21. En fait, la nuit, loin d'être une période de repos total, est un moment d'intense activité transcriptionelle; on ignore pour le moment si cette activité est le propre du sommeil paradoxal. Plusieurs auteurs ont appliqué la technique d'analyse globalisée de I'expression génétique, le a cDNA microarray » à l'étude du sommeil soit dans le système nerveux central, SNC [2 ] , soit dans un tissu périphérique, le myocarde en I'oc- currence [3], afin de déterminer l'importance des variations jourlnuit de I'expression génique. Dans le SNC Le SNC est bien entendu central dans ce proces- sus, et il est important dans ce type d'études de différencier ce qui revient au sommeil propre- ment dit et à l'horloge jourlnuit. C'est possible en étudiant les variations chez des animaux privés de sommeil. II a été ainsi démontré que (i) 10 %

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1 Les bases fondamentales pour le praticien

des séquences sont exprimées de façon différen- tielle entre jour et nuit, (ii) mais la moitié seule- ment de ces séquences sont modulées par I'heure du jour, l'autre moitié dépendant du sommeil proprement dit. (iii) II existe des gènes, dits circa- diens [voir Rythmes biologiques (3)], dont I'ex- pression corticale est régulée par le sommeil seul (Dbp), par le sommeil et I'heure (Per2) ou par I'heure seulement (Bmall). (iv) Ces gènes, connus, ne sont pas les seuls à s'exprimer spécifiquement pendant le sommeil ou l'éveil. L'éveil se caracté- rise par une augmentation de I'expression des gènes du métabolisme oxydatif, des protéines de stress, de la consolidation mémorielle et de ceux de la transmission synaptique. En tout, au moins une bonne centaine, aussi bien dans le cortex que dans le cervelet. Surtout, il semble bien qu'il y ait autant de gènes activés durant le sommeil que durant l'éveil, simplement, ce ne sont pas les mêmes gènes (tableau). À la périphérie Martino et al. ont identifié 12 488 gènes dans le myocarde de souris. Ils les ont mesurés toutes les 3 heures, de jour et de nuit (période d'activité). Le résultat le plus évident c'est que I'expression myocardique de 13 % de ces gènes diffère entre jour et nuit. Les différences sont importantes et hautement significatives. II y a en gros deux types de variations. (i) L'expression de 146 gènes varie de façon cyclique avec une périodicité de l'ordre de 24 heures et deux pics, l'un de jour, l'autre de nuit. Ce sont soit des gènes dont on sait que I'expression varie de façon cyclique dans

le SNC, comme Amtl (Bmal), Per2 (Per comme périodique), soit des gènes plus ... constitutifs, comme un gène régulant l'activité de la collagé- nase, une oxydase, plusieurs kinases.. .(ii) Par ailleurs, 1 488 gènes s'allument ou s'éteignent, au moment où la lumière apparaît ou disparaît. Bien évidemment, la démonstration chez l'homme n'est- pour l'instant - pas pour demain, quoiqu'il ne soit pas impossible que I'on puisse un jour détecter I'expression de certains gènes in vivo. Mais ce travail apporte des bases à la chro- nopharmacologie, on sait que certaines drogues doivent être prescrites à des moments précis de la journée, mais on sait également que le cœur hypertrophié a perdu ces variations cycliques. Le nombre des variations est comparable dans le myocarde et dans le SNC. Ces variations témoi- gnent d'une intense activité synthétique au cours du sommeil, activité qui est interprétée comme étant en relation avec la plasticité neuronale, le sommeil étant en quelque sorte le moment où l'on consolide ses mémorisations.

Rbférences 1. Puwes D, Augustine GJ, Fiipatrick D et al. eds. Neuros- ciences. DeBoeck Université pub 1999. Sommeil et vigi- lance. Ch 26. pp497-51 l . 2. Cirelli C, Gutierrez CM, Tononi G. Extensive and diver- gent effects of sleep and wakefulness on brain gene expression. Neuron 2004;41:3543. 3. Martino T, Arab S. Straume M. et al. Daylnight rhythms in gene expression of the normal murine heart. J Mol Med 2004;82:25664.

TABLEAU - Gènes du cortex de rat dont I'expWon est modulée par le sommeil ou I'bveil indépendamment de l'heure [l]

Éveil Sommeil 7 dont l'expression est modufée I de la mémoire

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