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©Nans-Bortuzzo http://voir.ca/scene/2015/02/12/les-devoilements-simples-strip-tease-nudite-bucolique/ Parution 12-02-2015 | Par Philippe Couture Les dévoilements simples (Strip-tease) Nudité bucolique Le prometteur metteur en scène Félix-Antoine Boutin poursuit sa quête d’un langage plastique et performatif singulier avec Les dévoilements simples, un spectacle sympathique qui s’amuse avec les codes du striptease, dénudant les corps dans la simplicité et le ludisme. Un spectacle de nudité bucolique. Félix-Antoine Boutin fait ses premières armes comme metteur en scène mais, déjà, cet artiste aussi productif qu’inspiré développe une signature singulière, qu’il fait plaisir d’observer évoluer. S’intéressant à la notion de rituel, tentant de favoriser un jeu d’acteur «performatif» et manipulant les symboles d’animalité et de troupeau avec un ludisme renouvelé, il propose cette fois un spectacle léger dans lequel, en une petite heure bien serrée, défilent des corps nus sous des éclairages soignés, dans des mises en scène variées et la plupart du temps bucoliques, rythmées par le piano de Jean-Sébastien Bach (les Variations Goldberg). On reconnaît dans cette pièce sans prétention, la plupart du temps assez divertissante et sexy, une approche plastique et performative qui est chère à Boutin. C’est une succession de tableaux à la composition picturale soignée, sur un lit de verdure éclairé chaleureusement: le metteur en scène flirte avec l’esthétique des toiles bucoliques des 18e et 19e siècles, dans une tonalité légère et lyrique. On a l’impression d’atterrir dans l’une des plus lumineuses toiles d’Antoine Watteau, ou dans l’un des nus de Gustave Courbet, mais passés au tamis de notre époque, avec une crudité supplémentaire et un mixage plus assumé des corps féminins et masculins. Quelque chose de pur s’en dégage: comme dans un tableau racontant la genèse de l’humanité, ou le rapport vif et naturel de l’humain avec son environnement et avec lui-même. Au fil de la succession des ta- bleaux, les corps se dépouilleront de leurs apparats et les muscles comme les sexes seront exposés sans pudeur, mais le dévoilement repose toujours sur la simplicité, l’intimité, la vulnérabilité, pas sur les codes du striptease de cabaret, jamais sur la lascivité du corps nu. C’est beau. À la fois esthétiquement léché et hyper -léger, pour ne pas dire candide. Dustin Segura Suarez dans Les dévoilements simples / Crédit Nans Bortuzzo

Les dévoilements simples (Strip-tease) Nudité bucolique · 2017. 12. 19. · Les dévoilements simples (Strip-tease) Nudité bucolique Le prometteur metteur en scène Félix-Antoine

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    http://voir.ca/scene/2015/02/12/les-devoilements-simples-strip-tease-nudite-bucolique/ Parution 12-02-2015 | Par Philippe Couture

    Les dévoilements simples (Strip-tease) Nudité bucolique Le prometteur metteur en scène Félix-Antoine Boutin poursuit sa quête d’un langage plastique et performatif singulier avec Les dévoilements simples, un spectacle sympathique qui s’amuse avec les codes du striptease, dénudant les corps dans la simplicité et le ludisme. Un spectacle de nudité bucolique.

    Félix-Antoine Boutin fait ses premières armes comme metteur en scène mais, déjà, cet artiste aussi productif qu’inspiré développe une signature singulière, qu’il fait plaisir d’observer évoluer. S’intéressant à la notion de rituel, tentant de favoriser un jeu d’acteur «performatif» et manipulant les symboles d’animalité et de troupeau avec un ludisme renouvelé, il propose cette fois un spectacle léger dans lequel, en une petite heure bien serrée, défilent des corps nus sous des éclairages soignés, dans des mises en scène variées et la plupart du temps bucoliques, rythmées par le piano de Jean-Sébastien Bach (les Variations Goldberg).

    On reconnaît dans cette pièce sans prétention, la plupart du temps assez divertissante et sexy, une approche plastique et performative qui est chère à Boutin. C’est une succession de tableaux à la composition picturale soignée, sur un lit de verdure éclairé chaleureusement: le metteur en scène flirte avec l’esthétique des toiles bucoliques des 18e et 19e siècles, dans une tonalité légère et lyrique. On a l’impression d’atterrir dans l’une des plus lumineuses toiles d’Antoine Watteau, ou dans l’un des nus de Gustave Courbet, mais passés au tamis de notre époque, avec une crudité supplémentaire et un mixage plus assumé des corps féminins et masculins.

    Quelque chose de pur s’en dégage: comme dans un tableau racontant la genèse de l’humanité, ou le rapport vif et naturel de l’humain avec son environnement et avec lui-même. Au fil de la succession des ta-bleaux, les corps se dépouilleront de leurs apparats et les muscles comme les sexes seront exposés sans pudeur, mais le dévoilement repose toujours sur la simplicité, l’intimité, la vulnérabilité, pas sur les codes du striptease de cabaret, jamais sur la lascivité du corps nu. C’est beau. À la fois esthétiquement léché et hyper-léger, pour ne pas dire candide.

    Dustin Segura Suarez dans Les dévoilements simples / Crédit Nans Bortuzzo

    http://voir.ca/scene/2015/02/12/les-devoilements-simples-strip-tease-nudite-bucolique/

  • Suite …

    Il y aura fraternité des corps, dans des tableaux de groupe où les acteurs se touchent délicatement en se souriant: le corps y est enveloppe charnelle dont il faut prendre soin, qu’il faut découvrir petit à petit, caresser doucement. Il y aura, de manière générale, exploration du rapport libre entre le corps nu et la nature. Les corps se roulent dans la verdure; les sexes se laissent découvrir par une bourrasque de vent qui soulève les jupes; les pieds nus se lancent dans un match de soccer improvisé avec une pomme de pin.

    Boutin explore aussi le rapport entre nature et culture, cultivant le choc entre la nudité et les artifices du monde civilisé, par des déshabillages appuyés où le poids du monde social se lit dans le vêtement qu’on enlève doucement ou maladroitement. Le thème traverse entièrement le spectacle, très simplement (peut-être trop), sans arriver à approfondir (ce qui est un peu regrettable) mais dans des évocations tout de même éloquentes.

    Tantôt le corps nu s’offre au regard d’une tortue (vivante), tantôt il danse devant un ours à la gueule ouverte, tantôt il se compare à un poisson visqueux : le spectacle tisse aussi un réseau de symboles animaliers, réfléchissant sans en avoir l’air à l’animalité primitive de l’humain. Mais une animalité ludique, jamais bestiale ou agressive.

    Plasticien avant tout, Félix-Antoine Boutin orchestre son ballet nudiste devant et derrière une vitre qui, parfois, laisse voir des corps légèrement déformés, d’autres fois sublimés . Le rapport de l’acteur avec son image, dans cette vulnérabilité refletée, est saisissant. À travers cette vitre déformante, le

    comédien perd le contrôle de son image, observe les multiples possibilités de regard sur lui, s’aperçoit des différentes perspectives selon lesquelles son corps peut-être perçu. Un jeu de miroirs stimulant, qui n’est d’ailleurs peut-être pas assez exploité.

    L’expérience est ainsi avant tout visuelle: un théâtre de l’image qui mise avant tout sur la présence de l’acteur et sur son inscription précise dans un espace symbolique. Parce que souvent trop rapide, la succession des scénettes peut donner l’impression d’un manque de profondeur. Les images puisent aussi dans un certain universalisme qui aurait gagné à être déconstruit, décortiqué, complexifié. Mais il y a suffisamment de pistes, dans ce ballet de tableaux vivants, pour tisser un réseau de sens cohérent et se questionner (inévitablement) sur son propre rapport à la nudité.

    Jusqu’au 14 février au Théâtre La Chapelle

    Crédit: Nans Bortuzzo

  • ©Nans-Bortuzzo

    http://voir.ca/babel/2015/02/12/les-devoilements-simples-leffeuillage-mis-a-nu/ Parution 12-02-2015 | Par Dorothée de Collasson

    Une femme, une jupe souple, un ventilateur. Un homme, un chandail, des bras trop longs.

    C’est dans un cadre particulièrement bien choisi que se dévoilent cette semaine au théâtre La Chapelle les touchants comédiens de Création dans la Chambre. Une salle simple, intime, classe, organisée en 3 plans. Au fond, les coulisses, dissimulés uniquement par une vitre qui reflète légèrement le plan central, la scène, un carré de pelouse éclairé par des lumières tamisées. Le 3e plan c’est toi. Toi, le public, qui sera tout autant vu que voyeur, déshabillé et décortiqué par les artistes, dégourdis, intimidés, amusés, ridiculisés, attendrissants dans leur innocence.

    A travers des dizaines de tableaux très courts, le spectateur découvre durant près d’une heure les différentes facette du dévoilement de l’intimité, explorée par une vingtaine de jeunes. Chaque scène est une bouchée à saveur différente. J’en aurais dégusté le double. La mise à nu ne prend pas ici la forme d’un strip-tease langoureux mais d’un effeuillage poétique, plus ou moins évident selon chacun. On explore les limites de cette pudeur, on se découvre par morceau, on se tourne

    en dérision, on reconnaît l’imperfection de nos pas titubants, on se présente tel que l’on est avec ses rondeurs, sa maladresse, sa cellulite qui ballote, ses seins pesants, ses passions cachées, sa volonté de dépasser cette « stérilité émotive » du déshabillement. Dans ces formes si simples, le spectateur se retrouve, se décomplexe. Câlisse, scusez mais c’est beau un humain tout nu. Une femme qui pendant 3 minutes tire son lait, face au public, en silence, droite comme un i. Un homme qui reste pogné dans son chandail. Une femme qui sourit d’un air géné au public en ôtant sa camisole avec un petit « hop, ça c’est mes seins » laché à la volée. Ca te donne le gout de te regarder dans ton miroir quand tu vas rentrer chez toi. De te dire que c’est peut-être dans ta maladroite recherche du sex-appeal que tu seras le plus charmante. Que ton petit bidon et tes grains de beauté, ils font écho aux genoux tordus et à la couille plus grosse que l’autre de celui qui peut-être, lui aussi, transpire intérieurement à l’idée de baisser ses culottes. Certains y parviendront aisément. Pour d’autres ça sera le parcours du combattant.

    http://voir.ca/babel/2015/02/12/les-devoilements-simples-leffeuillage-mis-a-nu/

  • ©Nans-Bortuzzo

    Suite...

    Les dévoilements simples explore ces rapports aux corps à coup de bouquets de fleurs, de tortue galopante, de sardine luisante, de touchés sains, d’odeurs de peau, d’éclairages ajustés aux frontières de l’intime de chacun. « C’est un dialogue entre l’intime et le collectif que nous plaçons en plein cœur de notre démarche. L’objectif est de trouver de nouveaux angles qui s’éloignent du personnel pour rejoindre quelque chose de plus large qui touche nos systèmes de valeur, notre cruauté collective, notre beauté complexe, nos poésies intérieures, notre détachement simple par rapport aux choses.” (Création dans la Chambre)

    Un homme, un cellulaire. Il appelle, au hasard, et décrit – sur haut parleur – à ce contact “random” son déshabillement devant le public. Cette expérience pénible uniquement parce qu’on l’a décidé parce qu’on (la religion? Adam et Eve ?) a déterminé il y a des milliers d’années que la nudité (qu’on a pourtant tous en commun) n’est pas montrable dans tout contexte. Pas montrable à des inconnus. Parce qu’on a tellement associé la peau à l’intime, et l’intime au privé, voire à l’indécent que l’on ose à peine s’aimer, dans le miroir.

    « Je me rends compte qu’il nous est difficile aujourd’hui de se regarder en face et de s’écouter réellement. Nous sommes pris dans des systèmes de valeurs qui éliminent la nuance, qui nient l’humanité pour inventer un réel schématisé, loin de nos sensibilités profondes. » (Félix-Antoine Boutin, metteur en scène). Comme cette phrase me parle… Tandis que je viens d’achever une réflexion sur la novlangue que nous mettons en place à notre insu au sein de notre société, Les dévoilements simples illustrent avec brio cet éventail précieux de perceptions et surtout d’expériences autour d’un geste simple et commun à chacun : le dévoilement intime.

    Représentations jusqu’au samedi 14 février 2015 – Théâtre La Chapelle.

    http://lachapelle.org/calendar/84/8752-LES-DE-VOILEMENTS-SIMPLES-STRIP-TEASE/?show=11http://lachapelle.org/calendar/84/8752-LES-DE-VOILEMENTS-SIMPLES-STRIP-TEASE/?show=11http://voir.ca/babel/2015/02/08/novlangue-2-0/

  • http://plus.lapresse.ca/screens/0cc96360-a464-4798-9f5d-9e882ac02b21|49b-8hf-y-J3.html Parution 13-02-2015 | Par Mario Cloutier

    Au-delà du nu

    La nouvelle création de Félix-Antoine Boutin est un work in progress sans prétention, tendre et drôle.

    Ils sont jeunes. Ils sont beaux. Ils sont nus.

    Une quinzaine de comédiens et de comédiennes présentent des tableaux vivants accompagnés, en musique, par les Variations Goldberg de Bach. Nus au début, habillés à la fin, tendres et drôles au milieu.

    Ce work in progress intitulé Les dévoilements simples (strip-tease) de Félix-Antoine Boutin, contrairement à son Koalas présenté l’automne dernier, se déroule sans prétention, avec un brin de poésie.

    Pour les âmes sensibles, à part une ou deux exceptions comiques, les saynètes n’évoquent jamais la sexualité de front. À peine y trouve-t-on un peu de sensualité ici, beaucoup de tendresse là, comme lors de cette belle ouverture où les uns et les autres partent à la découverte de leur cou.

    S’il y a un caractère organique à la chose, c’est la véritable pelouse sur laquelle les comédiens s’exécutent et de laquelle émanent de vraies odeurs de gazon coupé.

    La présentation comprend un peu de mime, de chant et de danse et quelques rares paroles : « Ma peur et mon cynisme sont un chat, mon jeu est un chien ». Des mouvements et des images fortes, surtout, avec ou sans vêtements.

    L’expression « simples » est importante dans cette proposition. Félix-Antoine Boutin nous parle ici de la simplicité volontaire des corps en dehors des préjugés, des clichés sociaux, sexuels et autres. Il recrée, chaque soir différemment, un certain Éden des possibles.

    Bref, voilà une exploration sympathique du corps, de sa beauté, de ses travers et de ce qu’il peut tenter d’exprimer en dehors des sentiers battus.

    Un jour, ce jeune auteur et metteur en scène inventif prendra son temps pour peaufiner son travail – on peut difficilement y arriver en créant six spectacles en trois ans –, et il trouvera quelque chose de substantiel à nous dire.

    À La Chapelle jusqu’au 14 février

    http://www.sorstu.ca/auteur/cleomathieu/

  • http://www.ledevoir.com/culture/theatre/431781/theatre-effeuillages Parution 13-02-2015 |Par Christian St-Pierre

    Effeuillages Photo: Nans Bortuzzo Dans la pièce, les corps apparaissent dans toute leur splendeur, mais ils expriment aussi, et peut-être même surtout, la vulnérabilité, la fragilité, l’intimité

    Les créations de Félix-Antoine Boutin se suivent et ne se ressemblent pas. Du théâtre de chambre au happening en plein air, de l’installation en cabanes au mythe grec servi à la sauce karaoké, l’auteur et metteur en scène ne s’interdit rien… et c’est tant mieux ! Ces jours-ci, le jeune homme s’appuie sur les Variations Goldberg de Bach pour explorer le thème de la mise à nu.

    Les dévoilements simples (strip-tease), c’est une collection d’images d’une beauté exquise, une suite de tableaux peuplés de modèles vivants, une forme de retour aux sources. Dans ce qui s’apparente à une recréation kitsch du jardin d’Éden, carré d’herbe jaunie où sont posés quelques arbustes, où les fleurs et les ours sont faux, mais où les tortues sont vraies, des hommes et des femmes se dévêtent en solo, en duo ou en choeur. Les corps apparaissent dans toute leur splendeur, mais ils expriment aussi, et peut-être même surtout, la vulnérabilité, la fragilité, l’intimité. Quel bonheur, dans

    une société où la nudité est le plus souvent ostentatoire et marchande, de la voir redevenir un don, une offrande, un partage, la célébration d’un lien, le gage d’une authenticité, d’une franchise, d’une précieuse honnêteté !

    Tout en étant éminemment disparates du point de vue de la forme, les oeuvres de Félix-Antoine Boutin sont d’une remarquable cohérence thématique. Avec cette série de vignettes, des images qui sont souvent drôles, parfois émouvantes, cruellement fugaces, le créateur prolonge son exploration des rapports entre nature et culture, condition humaine et animale, vérité et mensonge, révélation et dissimulation ; en somme des oppositions qui innervent toutes ses réalisations.

    Il faut tout de même admettre qu’on reste un peu sur notre faim. Tout d’abord parce que c’est trop court. De cet éveil du printemps, de ce puissant antidote à la morosité ambiante, on aurait facilement pris 30 minutes additionnelles. L’autre source de déception, c’est le peu de corps atypiques figurant parmi la quinzaine d’interprètes.

    Tout en reconnaissant la délicatesse admirable du spectacle, sa douceur salvatrice, on ne peut s’empêcher de penser que des corps en rupture avec les standards auraient entraîné la représentation sur des territoires plus riches, plus complexes. Ce sera peut-être pour la prochaine fois.

    http://www.ledevoir.com/culture/theatre/431781/theatre-effeuillages

  • Les samedi 16 et dimanche 17 août 2014, cahier CULTURE & LIVRES, p.E1

  • Les samedi 16 et dimanche 17 août 2014, cahier CULTURE & LIVRES, p.E3

  • OCTOBRE 2014, p.82

  • Semaine du 2 au 14 octobre 2014, p.16

  • Weekend du 3 au 5 octobre 2014, p.W20

  • Les samedi 4 et dimanche 6 octobre 2014, cahier CULTURE, p.E3

    « Je trouve que parler de l’intime, ça ramène aux rapports humains. Et ça devient politique, finalement », dit

    l’auteur et metteur en scène Félix-Antoine Boutin. Photo: Annik MH De Carufel Le Devoir

    Marie Labrecque, collaboratrice, théâtre

    Le doute peut être un puissant moteur créatif pour un artiste, à condition qu’il ne laisse pas cette incertitude le

    paralyser. « J’ai un doute dévorant chaque fois que je fais un show. Je me dis tout le temps que c’est mon

    dernier, confie Félix-Antoine Boutin. Mais on finit par le faire et il prend son sens. »

    Il faut croire que le jeune auteur et metteur en scène maîtrise plutôt bien cet état puisqu’il a signé pas moins de

    cinq spectacles depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre, il y a deux ans ! Koalas, dont la troisième et

    définitive incarnation s’apprête à voir le jour à la salle Jean-Claude-Germain, a justement été enfanté dans un

    doute« monumental ». « C’était la première fois que je me risquais à l’écriture. Et j’étais incapable d’écrire la

    pièce, d’écrire des dialogues. Alors, ce que les comédiens ont reçu les premiers mois, avant qu’on répète, c’était

    une longue didascalie de 30 pages, une liste d’actions… »

    L’auteur a fini par se servir de cette difficulté à écrire pour donner forme à la propre incapacité de ses

    personnages, incapacité d’être, de rencontrer autrui, d’avoir des relations amoureuses. Il a travaillé sur

    l’incertitude. Une écriture au mode conditionnel reflète l’indécision des cinq personnages, engagés dans des

    relations mouvantes. « On avance dans le récit, mais à tâtons, et on est toujours dans une espèce de flou par

    rapport au réel. Ça ressemble à un songe. »

    Dans ce qui devient « comme des monologues intérieurs », les cinq dépendants affectifs énoncent les actions

    qu’ils pourraient faire. « Ils se scénarisent par rapport aux autres. » Comme si en modifiant qui ils sont, ils

    pouvaient réussir à entrer en contact avec l’être désiré. « Ils sont très seuls, et un peu perdus face au néant, avec

    rien à quoi s’accrocher, sauf l’autre. » Mais à force de se changer, ils finissent par ne plus exister et par se

    détruire l’un l’autre.

  • SUITE - Les samedi 4 et dimanche 6 octobre 2014, cahier CULTURE, p.E3

    Malgré l’importance de la forme, ces personnages qu’on côtoie de l’intérieur finissent par être touchants,

    constate leur créateur. « C’est rare qu’on voie des êtres se révéler comme ça : on a accès à leurs doutes, à tout ce

    qu’on ne se dit pas dans la vie. Ils sont comme un livre ouvert devant nous. »

    Boutin souligne aussi le caractère festif de ce bestiaire, où les humains se métamorphosent en animaux. Le

    créateur, qui face au vide spirituel cherche à se reconnecter avec le sacré au sens large, évoque les notions

    d’enchantement et de magie. « Quand j’ai monté Le sacre du printemps, on avait travaillé beaucoup sur

    l’Homme à l’état de nature, sur ce que ça veut dire de tenter d’effacer la civilisation pour se rapprocher de nos

    instincts. Koalas repose sur un paradoxe amusant, parce que ses personnages sont très peu instinctifs, toujours

    dans l’autoréflexion, mais qu’ils sont abordés de manière animale. Et ça devient une fable : si je ne suis pas

    capable d’être, alors je deviens une licorne… »

    Pour incarner les bêtes, le metteur en scène a travaillé sur la gestuelle avec ses acteurs (Marie-Line Archambault,

    Philippe Boutin, Sébastien David, Daniel Desputeau et Juliane Desrosiers Lavoie).

    Le social et l’intime

    Cette incapacité de se définir comme personne, de se construire sur du néant, Félix-Antoine Boutin l’a lui-

    même vécue de « manière assez violente ». « Je suis entré à l’école de théâtre à 19 ans. Il y a beaucoup de

    pression pour s’autodéfinir, mais à cet âge, on n’a pas encore d’assise. Et on finit par se demander : quelle est

    mon identité ? Tout n’est que remise en question. Je pense que j’ai puisé dans cette crise pour écrire. En même

    temps, j’essaie de distancier mon travail de moi-même. Je trouve que creuser mes petits bobos, c’est limitant

    comme façon d’écrire. Alors j’ai lu pour m’inspirer, par exemple la biographie de Verlaine et Rimbaud, qui

    avaient cette dynamique de codépendance, jusqu’à se détruire. »

    Koalas refléterait aussi l’indécision de notre époque. Notre incapacité collective à nous parler sans nous diviser

    illico en deux clans antagonistes. « Le printemps érable, la charte… Ces sujets sont plus complexes que la

    façon dont on en a parlé, mais on est incapables de discuter, alors on finit par simplement être pour ou contre.

    Et finalement indécis en tant que peuple parce que pas capable de se brancher dans une direction », constate-t-

    il.

    Mais c’est par la lorgnette de l’intimité que cet admirateur de Fassbinder aborde le politique. « Je trouve que

    parler de l’intime, ça ramène aux rapports humains. Et ça devient politique, finalement. J’essaie d’avoir un

    rapport sincère avec le public dans mon théâtre, et [de faire en sorte] que les comédiens soient le moins possible

    dans la séduction. »

    Félix-Antoine Boutin entame ici une résidence de deux ans au Théâtre d’Aujourd’hui. Une occasion d’oeuvrer

    plus en profondeur. L’artiste, qui aime bousculer la relation entre la scène et la salle, entend axer son

    questionnement sur « comment amener la performance dans un cadre fictionnel », ou vice-versa. Bref, explorer

    la capacité de créer un « état de présence chez les acteurs/performeurs tout en racontant une histoire ». À suivre,

    donc.

  • Le vendredi 10 octobre 2014, cahier WEEK-END CULTURE, p.B4

  • Le samedi 11 octobre 2014, cahier weekend, p.74

  • Le lundi 13 octobre 2014

  • SUITE 1 - Le lundi 13 octobre 2014

  • SUITE 2 - Le lundi 13 octobre 2014

  • Voir- 16 août 2013

    Félix-Antoine Boutin Le sacre du printemps, ou le rite réinventé

    Par Philippe Couture

    À l’affiche du Festival de théâtre de rue de Lachine et de l’événement Zone Homa, Le sacre du printemps (tout ce que je contiens) est une exploration festive du passage à l’âge adulte, dans une relecture très libre de l’oeuvre centenaire de Stravinsky. Un spectacle de ruelle pour 20 acteurs!

    Depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre, Félix-Antoine Boutin n’a pas chômé. Le Sacre du printemps est déjà son troisième spectacle, après une pièce intimiste de théâtre de chambre présentée dans son appartement et après le laboratoire Koala(s) dans le cadre du OFFTA 2013. Intéressé par les enjeux de l’intimité mais aussi par la quête d’appartenance à une collectivité, il a trouvé le territoire le plus fertile pour explorer les tensions entre ces deux pôles de l’expérience humaine: le rite de passage. Appuyé sur une expérience initiatique et sur une transformation profonde de soi, le rite se vit en présence du groupe et sous l’influence d’une forte pression sociale. C’est cette dualité entre l’intime et le collectif que Le sacre du printemps (tout ce que je contiens) tente d’exposer dans ce que Boutin appelle une «installation vivante», où il travaille à une sorte d’«artisanat théâtral».

    «On a voulu réinventer Stravinsky en repartant à zéro, explique-t-il. On a gardé la structure du ballet et on l’a rempli de nos propres inventions; ce sont les mêmes tableaux avec un contenu qui nous est propre. En gros, on a gardé les titres des tableaux et on s’inspire du mouvement général de l’oeuvre, mais on prend toutes les libertés.»

    Résultat? Une exploration de la notion de sacrifice à travers les expériences d’une série de personnages qui abandonnent une partie d’eux mêmes en quittant l’enfance pour se conformer aux convenances du monde social. Exit le sacrifice de la jeune danseuse imaginée par Stravinsky. Le voici plutôt démultiplié dans les corps d’une vingtaine de comédiens.

    «Notre réflexion sur les rites de passage s’appuie sur le visionnement d’une tonne de documentaires, des films de la BBC ou de National Geographic, qui explorent les rituels de passage un peu partout dans le monde. On ne cherche pas à donner de réponses ou à prendre position par rapport à ça, mais on tente de représenter les enjeux autour du rituel, de comprendre l’énergie, l’état d’esprit qui le meut, ainsi que les dangers qu’ils comportent. On tente de reproduire certains codes récurrents de tous ces rites.»

    L’exercice a évidemment mené la troupe de Boutin à réfléchir à la mort et ses rites, mais le spectacle s’intéresse à cette ultime étape de manière festive. «On s’inspire notamment de la tradition mexicaine, où les morts ne sont pas pleurés comme ici. C’est un spectacle qui fête la mort, ou l’abandon d’une parcelle de son identité, en s’interdisant toute forme d’apitoiement. Il y a une constante dans la plupart des rituels de passage que nous avons étudiés, c’est le caractère festif – la joie de devenir quelqu’un. Paradoxalement, ça se passe souvent dans la souffrance: il s’agit partir seul dans la jungle, de maltraiter son corps, de revenir ensanglanté parmi les siens mais heureux de passer à l’autre étape.»

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  • Heureux, aussi, d’avoir vécu le passage entouré de sa communauté. Sans vouloir être moralisateur, Félix-Antoine Boutin s’intéresse à la disparition des rites dans notre société et à la disparition de la notion de communauté. «Lorsqu’on a joué le spectacle au Quartier des spectacles, on a arrêté la circulation sur St-Urbain. Tout à coup le collectif reprenait le dessus sur les actions individuelles de chacun et c’était franchement intéressant, saisissant, signifiant.»

    La performance-installation, dont l’action s’articule autour d’un bac à sable, est portée par un travail symbolique autour des objets. «Mon imaginaire s’exprime naturellement dans une certaine plasticité, dit Félix-Antoine Boutin. Je suis un artiste visuel qui fait du théâtre. Pour moi, le rapport à l’objet est très important, et dans ce cas-ci l’idée du rituel ou du sacré passe beaucoup par l’utilisation d’objets qui prennent une valeur symbolique. Ce sont aussi les outils autour du sacrifié qui se transforment et lui serviront différemmment dans sa nouvelle vie adulte.»

    Un spectacle bricolé en direct par les acteurs et offert aux passants dans un effort de renouer avec le collectif.

    2

  • Le Devoir Culture, samedi, 17 août 2013, p. E2

    Un gros compost de vies et de morts. Félix-Antoine Boutin livre une interprétation bien personnelle du Sacre du printemps, alliant danse, théâtre et musique

    Christian Saint-Pierre

    Formé en interprétation, Félix-Antoine Boutin a toujours su qu'il était bien davantage un auteur et un metteur en scène qu'un comédien. Sous la bannière de la compagnie qu'il a fondée il y a un an, Création Dans la chambre, le jeune homme a déjà signé deux spectacles remarquables : Message personnel, un théâtre drôle et cruel pour salon privé, et Koalas, un appel à la magie et à l'émerveillement. " L'intimité dans ce qu'elle a de plus politique, voilà ce qui m'intéresse, explique le créateur. Les spectacles de la compagnie mettent à jour de nouvelles formes d'intimité, ou à tout le moins en parlent de façon inédite. Toujours, il y a des rapports de force, des dominants et des dominés. Dans Message personnel comme dans Koalas, il est question de la dépendance affective et des extrémités dans lesquelles elle peut entraîner. Je commence aussi à réaliser que les notions de vie et de mort m'obsèdent, qu'elles sont très présentes dans mon travail. Cela dit, mon approche est plus comparable à celle des Mexicains. J'ai envie de célébrer nos morts, besoin de les reconnaître plutôt que de les pleurer pour mieux les oublier. " Ces jours-ci, Félix-Antoine Boutin s'attaque à rien de moins qu'au chef-d'oeuvre de Stravinski, Le sacre du printemps. À partir de la trame narrative du ballet centenaire, il donne naissance à une performance in situ, un amalgame de danse, de théâtre et de musique, une installation où les objets jouent un rôle-clé. Le résultat est pour le moins... surprenant. Devant tant de singularité, certains passants n'en reviennent tout simplement pas ! Après quelques représentations dans le Quartier des spectacles, Le sacre du printemps (tout ce que je contiens) sera donné au Festival de théâtre de rue de Lachine, puis en clôture de la Zone Homa.

    Une cérémonie Stravinski parlait de son ballet comme d'un " grand rite sacral païen ". Tout en étant fort personnelle, la version de Boutin, sans paroles et d'une durée de 40 minutes, respecte l'essence de cette formule. " J'ai voulu renouer avec le rituel, explique Boutin. Je souhaitais faire écho aux différents rites, qu'ils soient de passage, d'initiation, funéraires, de naissance, sexuels ou religieux. Autrement dit, le spectacle est un retour à la base, au primaire, au primitif. C'est pourquoi je n'ai pas cherché à donner naissance à une représentation conventionnelle. Je tenais à une expérience hors les murs, quelque chose qui soit en rupture avec ce qui constitue la norme. J'ai notamment demandé aux comédiens de ne pas adopter ce jeu charismatique et emphatique que je vois trop souvent et auquel j'ai cessé de croire. Je ne veux pas priver le spectateur de son plaisir, mais je tiens à ce qu'il se pose des questions, à ce qu'il rompe avec ses habitudes, ce qui est d'ailleurs tout à fait dans l'esprit de ce que Nijinski a fait du Sacre à sa création. " Avec ses comédiens (une vingtaine) et ses concepteurs de plusieurs horizons, Félix-Antoine Boutin a travaillé sur la venue au monde, l'existence et la disparition. Un terreau fertile. Pour aborder ces questions métaphysiques, mais aussi politiques et psychanalytiques, le groupe s'est laissé guider par les différents tableaux du ballet de Stravinski. " Comment avoir prise sur notre existence et notre humanité, comme individus aussi bien que comme société, dans un monde qui pousse à disparaître ou à se conformer ? Pour exprimer cela, j'ai établi avec mon équipe un système de codes, pour ne pas dire un écosystème, et je me suis efforcé de le déployer dans l'espace. En revisitant cette oeuvre, nous souhaitions faire surgir un gros compost de vies et de morts, une somme de disparitions et de renaissances. C'est une tentative pour nous, civilisés, de revenir à ce qui pourrait ressembler à l'état de nature. "

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  • ESSE- 79 Reconstruction- Septembre 2013

    Par Christian St-Pierre

    Message personnel, Création Dans la Chambre, Montréal, du 19 au 30 mars 2013

    Le privé est politique. La formule de Simone de Beauvoir pourrait très bien être la devise de l’auteur et metteur en scène Félix-Antoine Boutin. En effet, le directeur artistique de la compagnie Création Dans la Chambre, diplômé de l’École nationale de théâtre en 2012, a placé la riche dialectique entre le privé et le politique, l’intime et le collectif, au cœur de sa démarche. Afin de renouveler le propos, Boutin est prêt à sortir des lieux de représentation traditionnels et à convier les disciplines les plus diverses, du ballet au karaoké.

    Le prolifique créateur – à qui l’on doit aussi Koalas et Le sacre du printemps – présentait en mars dernier, dans son propre salon, un spectacle intitulé Message personnel. La pièce de théâtre à domicile s’adressait chaque soir à une dizaine d’esprits aventureux. Librement inspiré des Larmes amères de Petra Von Kant, l’œuvre de Fassbinder, le texte était livré en alternance par un tandem de femmes et d’hommes. Marie-Line Archambault et Juliane Desrosiers-Lavoie défendaient brillamment la version féminine. Drôle et tragique, un brin kitsch, bercée par Françoise Hardy et Nicole Croisille, la relation amour-haine qui unit les deux sœurs évoque à la fois Les bonnes de Genet, Le grand cahier de Kristof et les premiers films d’Ozon. Vous l’aurez compris, on se régale  !

    Le théâtre de chambre accueille un face-à-face chargé de mystère, de dérision et de poésie. Pour exister aux yeux des autres, les sœurs s’avèrent prêtes à tout. De la fillette à la femme, leur émancipation sera tellurique et cosmique, parfois dégradante, mais toujours haute en couleur. Dans cette série d’épreuves, il s’agira souvent de séduire. De plaire à sa sœur. De plaire à sa mère. De plaire à un homme. De plaire au spectateur, qu’on n’hésite d’ailleurs pas à interpeller par son nom. Puis, vient le moment de s’imposer : «  Tu ne sembles pas très réceptif, pas très “reconnaissant” des efforts que je fais pour toi. Des honneurs que je te porte. Tu ne sembles pas accueillir la chose avec grandeur d’âme. Hé bien, je vais te l’enfoncer comme un poing dans la gorge, mon âme.  »

    Truffée de formules irrésistibles, mais surtout de saisissantes preuves de la fragilité psychique des protagonistes, la partition a de quoi rendre extatique le plus blasé des psychanalystes. Les comédiennes mordent dans les mots à belles dents, en plus de jouer très habilement de leur proximité avec le spectateur. Nous sommes chez elles, dans leur salon, sur leur territoire, cela ne fait pas de doute. S’il arrive à pareil résultat avec des moyens financiers quasi inexistants, on n’ose pas imaginer ce que Boutin va nous pondre dans le futur.

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