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LES ECHOS WEEK-END 45 10 JANVIER 2020 STYLE ROME EN MODE CHUCHOTÉ On la croyait démise de ses lauriers, mais la ville éternelle se tisse une modernité à contre-courant à base d’expériences exclusives. Nouveaux hôtels, tables inventives, marques inspirantes redonnent du train à l’inoxydable « dolce vita » revampée en « slow life ». Par Alice d’Orgeval – Photographe : Lorenzo Maccotta

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ROME EN MODE CHUCHOTÉOn la croyait démise de ses lauriers, maisla ville éternelle se tisse une modernité àcontre-courant à base d’expériences exclusives.Nouveaux hôtels, tables inventives, marquesinspirantes redonnent du train à l’inoxydable«dolce vita» revampée en «slow life».

Par Alice d’Orgeval – Photographe: Lorenzo Maccotta

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ingarde la ville éternelle ? Rattrapée par Milan,reine incontestée de la mode et du design, Romene lâche rien malgré son image de capitale enperte de vitesse qui lui colle à la pierre. En cetteveille de Noël, une météo étonnamment douce afait oublier l’hiver. Un ciel tirant vers le rosepastel illuminait la cité aux sept collines. Dansla cour du palazzo Taverna, splendeur duXVe siècle, Violante Guerrieri Gonzaga en aprofité pour déballer ses créations. L’heure estau vernissage de son show-room désormaisouvert aux initiés. Dans l’ancienne écurie, platsen céramique, oiseaux en porcelaine, verrescolorés donnent de l’éclat aux murs centenaires.À cette collection d’arts de la table s’ajoutentlivres de recettes et délicatesses faites maison(miel, huile d’olive, sauce pesto) étiquetées Vio’sCooking. On ne repart pas sans grimper sur laterrasse secrète, petit joyau inaccessible dupalais familial où la petite-fille instagrameusede la marquise Lavinia Taverna reçoit elle-même, sans chichi, Américains, Français,Anglais, autour d’un verre du vin de la famille,le San Leonardo, trésor de la viticulture

italienne. Panorama époustouflant sur lescoupoles de la Rome baroque, charme enfouisous une végétation luxuriante et divin entresoi… Les amateurs de la dolce vita finiront– après une razzia de légumes et de fromages aumarché du Campo de’ Fiori – par un atelier decuisine chez leur fantaisiste hôte : tomates dePachino IGP et mozzarella, timbale de pâte auxsaveurs méditerranéennes, aubergines frites…Ainsi va la nouvelle vie 2.0 de la Rome aristo.

Si la plus antique de nos cités se rachète unemodernité grâce à un luxe hors piste, pour yaccéder il faut se frayer un chemin. Loin desitinéraires évidents, se dévoilent nouveau «foodhall», le Plebiscito, logé dans un autre palaisprivé, le palazzo Doria Pamphilj ; pizza sansgluten dans le quartier historique (Hosteriadel Mercato), ou ancienne centrale électriqueconvertie en musée d’art (la CentraleMontemartini). Mi-parisien, mi-romain, PatrizioMiceli fondateur de l’agence de publicité AlDente décrypte: «La modernité romaine ne semesure pas à l’aune du nombre de nouvellesadresses, comme à Londres ou Milan… Rome est la LO

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ROME EN MODE CHUCHOTÉ

ville de l’émotion et du luxe de l’instant, la dernièrecapitale d’Europe capable de générer autantde nonchalance et de fantaisie. Ce qui en faitune ville formidablement ancrée dans l’époque.Et comme il n’existe pas de poumon qui permettede réunir les énergies, elle est restée éminemmentsecrète.» Aimanté par ses beautés et par cet artde vivre inimitable qui, dans la même journée,fait jouer à saute-mouton d’un siècle à l’autre(d’une trattoria tradi fréquentée par les évêquesà une fiesta déjantée sur les toits, du charmedésuet de l’Hotel Locarno au bar à champagneavec vue du grand magasin la nouvelleRinascente), le publicitaire s’y installerégulièrement quelques jours par mois avecfemme et enfants. «Une vraie bouffée d’oxygène.»

CLOUER LE BEC DES CASSANDRESPour ne pas s’égarer dans le labyrinthe, autantfrapper à la bonne porte. Palaces grandiloquents,boutique hôtel design, Airbnb à foison? Dansce maelstrom, l’hôtelier Gabriele Salini jouel’éclaireur. Son hôtel intimiste chic, le G-Rough(juste 10 chambres), à deux jets de pierrede la très touristique piazza Navone, insuffleun esprit locavore enchanteur. Nouveaux chefs,osterias améliorées, studios d’artistes,les adresses qu’il confie à ses hôtes sortentde sa poche. «J’explore sans cesse. Et je croisfondamentalement aux vertus de l’économie deproximité. Sans mentir.» Il vient ainsi d’achever,sur ses propres deniers, la rénovation dela placette devant son établissement. Défiguréeau fil des ans en parking, le lieu offre désormaisbancs et végétation pour déguster une glaceen regardant les enfants gambader. Clouer le becdes Cassandres de la Roma Guasta (la «Romebrisée», comme on l’appelle), investir un champdélaissé par les politiques, orienter le voyageurvers ces micro-expériences inouïes dont la villeregorge. Une démarche d’autant plus précieuseque le renouvellement de l’offre hôtelière,longtemps jugée poussiéreuse, s’est accéléré.

Au pied du mont Palatin où tout a commencé,l’audacieux The Rooms of Rome, nouvel ensemblede 24 appartements à louer à la nuit, suggèreà sa manière une autre expérience. Derrièrela façade de ce palais XVIIe siècle, ancienne HLMrepris par la Fondazione Alba Fendi-Esperimenti,l’architecte Jean Nouvel a logé, entre les épaismurs laissés bruts, des boîtes en acier aux lignesd’une pureté fatale, pour y nicher chambres,salles de bains, dressings… Un dépouillementqui joue l’apaisement des sens après la journéed’immersion dans le chaos urbain. Moins

Vue sur les toitsde Rome depuisla terrassede la Rinascente,le grand magasinde luxe de la viadel Tritone.

Violante GuerrieriGonzaga (photodu haut) dansses appartementsdu palazzo Taverna.

Gabriele Salinidans son hôtelintimiste(10 chambres),le G-Rough.

Y ALLERDonatello, le spécialiste du voyage en Italie,

propose 3 jours/2 nuits à l’hôtel The Rooms ofRome : à partir de 620 euros par personne (départ,par exemple, le 20 mars), incluant vols au départ

de Paris sur Alitalia, taxes aériennes, studiostandard et transferts privés. Tél. : 0155878585.

www.donatello.fr

SE LOGERL’Hotel de la Ville. À partir de 500 euros la nuiten chambre double, 42 euros le petit-déjeuner

buffet. Via Sistina, 69. www.roccofortehotels.comThe Rooms of Rome. À partir de 300 euros la nuit

en studio standard. Via Del Velabro 9.theroomsofrome.com

Chapter Roma. À partir de 200 euros la chambredouble, avec petit-déjeuner et taxes. Via di

S. Maria de’Calderari, 47. www.chapter-roma.com

DÉJEUNER SUR LE POUCEAu Mercato Centrale Roma, 17 stands offrant

la crème de la gastronomie italienne et romaine.De La pizza di Pier Daniele Seu à la gelateriaen passant par le fromage, la truffe, et même

le populaire trapizzino (cornet de pâte à pizzatrès aérienne à garnir). Via Giovanni Giolitti, 36.

www.mercatocentrale.it

EXPLORER LE ROME PRIVÉIf Experience Les appartements d’un palazzo derenom, la deuxième bibliothèque de livres anciens

après celle du Vatican, une habitation antiquecachée dans une villa privée, un thé chez Violante

Guerrieri Gonzaga… À partir de 2500 eurosl’itinéraire avec guide expert et chauffeur.

www.ifexperience.itVisite Rome Imbattable pour une visite privéedu Rome hors piste sur des thématiques aussipointues (Rome gustatif) qu’insolite (trekkingarchéologique), guidée par les trois fondateurssympathiques parlant couramment le français.À partir de 160 euros les deux heures et demie

(jusqu’à 8 personnes), ou 25 euros par personne.www.visiterome.com

CARNET PRATIQUE

Chambre à l’Hotel de la Ville.

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radical, le nouvel Hotel de la Ville (119 chambreset suites), deuxième établissement romain dugroupe Rocco Forte (après l’Hotel de Russie)surplombant la piazza de Spagna, joue unedouce partition néoclassique (orchestrée par letrès stylé architecte d’intérieur Tommaso Ziffer)rythmée par une délicieuse série de pausescontemporaines. Cours de yoga avec coach (surla terrasse surplombant les toits, à partir desbeaux jours), menu nutritionniste du maestroFulvio Pierangelini et spa au top (massage étoiléà l’huile d’amande douce d’Irene Forte, salineméditerranéenne et bains de pieds Kneipp).

LES QUARTIERS PÉRIPHÉRIQUES ONT LA COTEAutre nouveauté, à la lisière du ghetto juifet du quartier de Regola: Chapter Roma(42 chambres et suites), premier établissementde cette enseigne quatre étoiles, avec bar àcocktails (roi du Negroni) décoré de street art,accueillant aussi bien les voyageurs que laclientèle locale. Son fondateur le Romain MarcoCilia, un ancien de l’enseigne mexicaine GrupoHabitas, aura donc préféré, pour se lancer,sa ville natale à Milan ou Florence. «Beauté,histoire, architecture, art, cinéma: on ne trouvepas mieux ailleurs. Si Rome a perdu du terrainces dernières années, j’ai le sentiment qu’unerenaissance pointe lentement, espère-t-il. Elle ade quoi redevenir le hub créatif qu’elle fut dansles années 60.» Les enseignes les plus branchéesdu moment, des néerlandais de Hoxton auxanglais de Soho House, ont pris position. Et cettefois, oubliez le centre historique! Cette hôtelleriedécomplexée, souvent désireuse de décloisonnerle luxe, viserait avant tout les rioni, ces districtsdécalés où vivent jeunesse estudiantineet population créative… Tor Pignattara et sacommunauté d’artistes (comme Stefano MariaGirardi, Marta Mancini, Andrea D’Aguanno),San Lorenzo et son atmosphère jeune, Ostienseet son restaurant- microboulangerie scandinave(Marigold)… Un élan centrifuge auqueladhère déjà la nouvelle garde de la scènegastronomique. Quand il s’agit de s’encanailler,celle-ci mène le jeu en terrain vierge, sanscompte à rendre.

Direction Centocelle : ce quartier populaire,rugueux et rebelle de l’est, accessible par lanouvelle ligne de métro, est devenu à la vitessede l’éclair le dernier «hot spot» des adresses àtester (vins naturels chez Menabó Vino e Cucina,ciccheti (shots) à L’OmbraLonga, pizza chez 180g)chroniquées de Paris à New York. À l’origine dece décollage détonnant? Mazzo, un bistrot de dixcouverts mené durant six ans par deux punks de

la tradition, The Fooders alias Francesca Barrecaet Marco Baccanelli. Comment une trattoriaperdue au fin fond d’un faubourg réussit-elle àtenir en haleine la foodosphère? Culot monstre,ancrage local, et un talent affirmé inspiré parFergus Henderson (le chef londonien du St John,pionnier du «nose to tail»). Avec ses assiettesresserrées autour de quelques produits issusd’une agriculture biologique et sourcée, le duoaura conquis l’intelligentsia de la pasta… avantde fermer boutique plusieurs mois pour s’offrir– décidément bien de leur génération – une

tournée mondiale armée de ses casseroles.À chaque étape, rencontres, pop-up, ateliers.Après un grand tour, de Lisbonne à Taipei,retour au bercail prévu d’ici peu, avec à l’horizonl’ouverture d’un nouveau lieu entretenantla même flamme.

En plein renouveau, la gastronomie faitbouger les lignes de cette Rome si souvent figée.Dans leur QG ouvert sur une rue pavée, àquelques enjambées du Panthéon, GiuseppeLo Iudice et Alessandro Miocchi de RetroBottega brisent aussi les codes, à leur façon : du

Derrière la façadeaustère du palazzo

Rhinoceros (XVIIe siècle),les appartements

très design deThe Rooms of Rome.

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ROME EN MODE CHUCHOTÉ

design (esthétique minimaliste), de l’expérience(petits rituels et chefs présents en salle) etde la naturalité (le végétal guide la carte).« L’impulsion de la jeune génération est unebonne nouvelle, mais encore faut-il quel’entreprenariat soit favorisé. La multiplicationdes pièges à touristes [boutiques à gadgets etfast-food, NDLR] n’aide pas à l’émergence destalents », déplorent-ils en chœur. D’un côtéla Rome créative se désespère, de l’autre elles’imprègne. « Il faudrait être fou pour ne pas êtreinspiré par tant de beauté », assène le styliste Plus d’infos sur weekend.lesechos.fr

5 CHOSES QUE L’ON NE SAIT PAS SUR ROME

01. On trouve à Romedes lieux épargnéspar la foule, comme lesSanti Quattro Coronati,à deux pas du Colisée,une des premièreséglises de Rome(IVe siècle). Un silenceabsolu y est imposé parles religieuses du lieu.L’écrivain Marco Lodolia publié deux livres surce Rome encore secret.

02. L’hôtel Locarno,adresse délicieusementdésuète que leshabitués comparentau Chateau Marmontd’Hollywood (toutesproportions gardées),aurait inspiré WesAnderson pour son filmThe Grand BudapestHotel.

03. C’est dansle quartier de SanLorenzo, que l’ItalienneMaria Montessoria ouvert sa premièreCasa dei Bambini.

04. Autre attractionde la nouvelleRinascente, l’aqueducromain, mis à nu parle chantier du grandmagasin, que l’on peutcontempler au sous-sol.

05. La couleur ocredes façades n’apparaîtqu’au XVIIIe siècle.Au XVIIe, les bâtimentsnobles étaient peintsd’un bleu très clairou de gris. Au XVIe,elles étaient d’un blanccouleur marbre– marmorino, en italien.

Gerardo Caveliere, créateur avec MargheritaCardelli de la marque de prêt-à-porter GiulivaHeritage. Le couple vient d’ouvrir une boutiquedans la prestigieuse via di Monserrato, au 152.« Rome n’a pas son pareil pour procurer cettesérénité propice à la création que les capitales dela mode, Paris, Londres, New York, Milan ont dûdélaisser, poursuit-il. S’éloigner de la frénésie estfondamental pour créer de façon lente et durable.Vous trouvez ici plein de gens talentueux quiœuvrent fort pour rester dans la course. »

Avec un goût avoué pour la flânerie : se lever

tôt, se faufiler dans la ville encore désertebaignée par la lumière magique des premièresheures, et s’offrir un cours d’histoire de l’artgrandeur nature. Une « slow life » qu’AntoninePeduzzi et Luisa Orsini ont adoptée à merveille.Les deux jolies créatrices de TL180, tout justedésignées par l’illustre maison de coutureRoberto Capucci – connue jadis pour habillerMaria Callas ou Silvana Mangano – afin deredonner du twist à sa collection de prêt-à-porter, s’offrent le luxe de composer de la maillesur-mesure dans leur atelier du quartierbohème de Trastevere. « Rome est comme unemamma italienne qui vous prend dans ses braspour ne plus vous lâcher. Nous avons puisé danscette humanité une identité forte et des liensindéfectibles. Le cool ici n’est pas dans la tendancemais dans l’intemporalité. » Le privilège des citésantiques que la Rome contemporaines’approprie avec foi.

Page de gauche en bas,et ci-contre: dolce vitaà la romaine via della Frezza,dans le rione Campo Marzio.

Ci-dessous: Luisa Orsini (à gauche)et Antonine Peduzzi (à droite),les créatrices de la marque TL180.