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Nwor~ oft;uropean Idea,, Vol. IS, No. l-3. PP. 297-303. 1992 Printed tn Great Britain Ol91-6599/92 %S.OO+O,OO f~ I992 Pergamon Precs Ltd LES EFFETS DE LA REVOLUTION FRANCAISE SUR LA MONTEE DU NATIONALISME AU CANADA FRANCAIS DANS LA PREMIERE MOITIE DU 19e SIECLE GILLES CHAU&* Un fait demeure indeniable: la Revolution francake a fortement marque le Canada franqais. Bien avant l’tdnement de 1789, les Canadiens Ctaient de fervents lecteurs des Lumiitres. La conqdte de la Nouvelle-France par 1’Angleterre en 1760 n’avait pas empkhe, loin de 11, la penetration des id&es des grands penseurs de l’epoque: Voltaire, Montesquieu, Diderot, Rousseau. Le declenchement de la Revolution frangaise provoqua chez les Canadiens le m&me engouement. De 1789 a 1815, les principaux ouvrages en faveur ou contre la Revolution circulerent dans la province. L’tdque de Quebec, Mgr Hubert, le constatait, du reste, en 1792: ‘11 s’est introduit dans ce pays une quantitt prodigieuse de mauvais livres, avec un esprit de philosophie et d’indifference qui ne peut avoir que de funestes suites’.2 Les journaux, cependant, devaient jouer un role encore plus determinant. Pendant prb de quatre ans, de fevrier 1789 a decembre 1792, la presse canadienne rapporta avec un enthousiasme non d&guise, a I’instar de la presse britannique dont elle s’inspirait largement, les progres de la Revolution en France. ‘Les gazettes d’Europe, constatait le grand- vicaire Brassier, influent beaucoup sur i’esprit des citoyens de Montreal; ils prechent partout la libertt et l’indCpendance’.3 Quant a l’tdque de Quebec, Mgr Hubert, il dtplorait vivement pour sa part les progres qu’a fait parmi nos Canadiens l’esprit de libertt et d’independance, amen& d’abord par la circulation des manifestes des Anglo-Americains, au com- mencement de la derniere guerre (177.5), et repandu depuis par la multiplication et la license de nos gazettes et par la libertt des conversations sur les affaires politiques4 Si les ideaux de la Revolution touch~rent peu fes elites traditionnelles, les seigneurs et le clerge, suscitant au contraire chez eux la crainte et la reprobation, par contre, ils trouvtrent audience auprb d’une large part de la population, notamment aupres d’une certaine intelligentsia lai’que qui s’affirmait de plus en plus au sein de la bourgeoisie canadienne montante. Admirateurs des Lumieres, ceux-ci disposaient g Quebec et B Montreal depuis 1779 de bibliothbques publiques echappant au controle de 1’Eglise catholique et bien pourvues en oeuvres de Voltaire, de Montesquieu, de Diderot, d’Alembert et de Rousseau, Quant a la Gazette du commerce et littkraire de Montrkal, fond&e en 1778 par le voltairien Fleury Mesplet, elle exposait regulierement Yes idees des Encyclopedistes et de Voltaire’, traitant ‘de Science, de philosophie et de liberte de presse tout en *FacultC de theologie, Universite de Montreal, C.P. 6128 Succursale A, Montreal, Quebec, Canada H3C 357. 297

Les effets de la revolution française sur la montee du nationalisme au Canada français dans la premiere moitie du 19e siecle

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Page 1: Les effets de la revolution française sur la montee du nationalisme au Canada français dans la premiere moitie du 19e siecle

Nwor~ oft;uropean Idea,, Vol. IS, No. l-3. PP. 297-303. 1992 Printed tn Great Britain

Ol91-6599/92 %S.OO+O,OO f~ I992 Pergamon Precs Ltd

LES EFFETS DE LA REVOLUTION FRANCAISE SUR LA MONTEE DU NATIONALISME AU CANADA FRANCAIS

DANS LA PREMIERE MOITIE DU 19e SIECLE

GILLES CHAU&*

Un fait demeure indeniable: la Revolution francake a fortement marque le Canada franqais. Bien avant l’tdnement de 1789, les Canadiens Ctaient de fervents lecteurs des Lumiitres. La conqdte de la Nouvelle-France par 1’Angleterre en 1760 n’avait pas empkhe, loin de 11, la penetration des id&es des grands penseurs de l’epoque: Voltaire, Montesquieu, Diderot, Rousseau. Le declenchement de la Revolution frangaise provoqua chez les Canadiens le m&me engouement. De 1789 a 1815, les principaux ouvrages en faveur ou contre la Revolution circulerent dans la province. ’ L’tdque de Quebec, Mgr Hubert, le constatait, du reste, en 1792: ‘11 s’est introduit dans ce pays une quantitt prodigieuse de mauvais livres, avec un esprit de philosophie et d’indifference qui ne peut avoir que de funestes suites’.2 Les journaux, cependant, devaient jouer un role encore plus determinant. Pendant prb de quatre ans, de fevrier 1789 a decembre 1792, la presse canadienne rapporta avec un enthousiasme non d&guise, a I’instar de la presse britannique dont elle s’inspirait largement, les progres de la Revolution en France. ‘Les gazettes d’Europe, constatait le grand- vicaire Brassier, influent beaucoup sur i’esprit des citoyens de Montreal; ils prechent partout la libertt et l’indCpendance’.3 Quant a l’tdque de Quebec, Mgr Hubert, il dtplorait vivement pour sa part les

progres qu’a fait parmi nos Canadiens l’esprit de libertt et d’independance, amen& d’abord par la circulation des manifestes des Anglo-Americains, au com- mencement de la derniere guerre (177.5), et repandu depuis par la multiplication et la license de nos gazettes et par la libertt des conversations sur les affaires

politiques4

Si les ideaux de la Revolution touch~rent peu fes elites traditionnelles, les seigneurs et le clerge, suscitant au contraire chez eux la crainte et la reprobation, par contre, ils trouvtrent audience auprb d’une large part de la population, notamment aupres d’une certaine intelligentsia lai’que qui s’affirmait de plus en plus au sein de la bourgeoisie canadienne montante. Admirateurs des Lumieres, ceux-ci disposaient g Quebec et B Montreal depuis 1779 de bibliothbques publiques

echappant au controle de 1’Eglise catholique et bien pourvues en oeuvres de Voltaire, de Montesquieu, de Diderot, d’Alembert et de Rousseau, Quant a la Gazette du commerce et littkraire de Montrkal, fond&e en 1778 par le voltairien Fleury Mesplet, elle exposait regulierement Yes idees des Encyclopedistes et de Voltaire’, traitant ‘de Science, de philosophie et de liberte de presse tout en

*FacultC de theologie, Universite de Montreal, C.P. 6128 Succursale A, Montreal, Quebec, Canada H3C 357.

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stigmatisant le cIergi’.5 Puis, B partir de 1785, dans la Gazette de ~~~?~~~~, Mesplet poursuivit avec Jautard et Du Calvet sa croisade en faveur de la RCvolution qu’il appeiait de tous ses voeux, dknowant en mZme temps les clcrcs qui vivaient ‘abondamment et dtlicieusement’ dans des ‘paiais’, et prlirnant la tolkrance religieuse, l’kgalitk devant la loi, et la libertir de presse, de pens&e et de parole. ‘L’homme qu’il faut en 1790, tkrivait-il, doit connaitre les droits quc lui donne la nature, savoir en jouir, et les dkfendre’.6

Le peuple, particulikrement celui des campagnes, n’ktait pas sourd B de tels appels. Communiant spontankment B la ferveur rkvolutionnaire qui gagnait Ie Bas-Canada, il parut un moment, notamment de 1790 B 1800, prlt B une action plus radicale, SensibIes aux invitations pressantes des agents francais qui, des Etats-IJnis, les incitaient B l’insurrection, ils rtvkent bientat de voir fa France les dtlivrer du joug britanni~ue. Mais ils cherchkrent en vain des chefs p&s B prendre la t&e du mouvement. La nouvelle gCn&ration d’hommes politiques canadiens qui jouissait depuis peu d’institutions parlementaires et qui n”6tait pas sans s’inquikter de l’orientation sanglante don&e 5 la RCvolution en France aprbs 1793 rkpugnait g s’engager dans une action aussi absolue.

L’octroi aux Canadiens d’une Chambre d’Assembl&e en vertu de I’Acte constitutionnel de 1791, au moment mbme oti la France se dotait d’une constitution, &ait dir, en fait, davantage au reformisme des hommes d’Etat britanniques qu’aux id&es de la Rtvolution. ’ Cet kvtnement avait peut-&tre don& lieu B Mont&al et 5 Quebec & des &l&brations publiques et ‘B des santts en faveur de l’abolition de la fkodalit6, de la libertt: religieuse et civile, de l’ind~p~ndanc~ de la presse, de la RCvnlution franqaise, de toutes fes lois contraires & la 1ibertC de l’individu, de l’av&nement de la vraie IibertC dans tout l’univers’;8 le nationalisme qui s’Clabora j partir de 1791 n’en demeusait pas moins inspirk par les institutions britanniques plutBt que fran$aises. Les leaders de 1’Assembliie s’orientaient rtsolument ‘vers un modkle jug6 plus avancb, le mod& arrglais de gouvernement: un parlement, certes, mais g l’amkricaine, plus dkmocratique qu’en Angleterre’.’ Dans le mEme temps, ils prenaient leur distance de la France dont ils condamnaient la ‘deuxikme Rkvolution’, celle du 10 aoQt 1792, qui auvrait ‘la voie B l’anarchie, au dttsordre, au meurtre, au pillage, 6 la tyrannic qui dttruit fa libertt et la propriCtC’.‘”

C’est B partir de 1806, avec la fondation du journal L4 Can&en, et ie d&but des luttes de Ia Chambre d’Assembi&e contre I’ExCcutif domint par le parti anglais que s’affirma rkellement ie national&me canadien-fran~a~s. Defini par un leader charismatique, Louis-Joseph Papineau,” ce nationalisme alla en s’amplifiant, particulikement aprks la crise de 1822 oti Ie Bas-Canada faillit Ctre annext a la province anglophone du Haut-Canada. Les mots ‘nationalit& et ‘canadien-franqais’ devinrent alors d’un usage courant. Pourtant, Papineau demeurait toujours un admirateur enthousiaste de 1’Angleterre. ‘L’intkgration & 1’Empire britannique assurait au Bas-Canada, selon lui, une protection efficace contre les marchands anglais, contre Xa bureaucratic coloniale et contre l’amCricanisme’,‘2 et une garantie de survie pour le Canada fraxyais.

L’admiration qu’entretenait Papineau pour les institutions britanniques l’avait d’ailleurs amen& 5 prononcer, au moment du d&s du roi Georges III en 1820, un vibrant &loge de la ‘pax britannica’:

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Nationalisme au Canada Francais 299

Depuis cette tpoque [ 17601 le rtgne de la loi a succedt a celui de la violence, depuis ce jour les tresors, la marine et les arm&es de la Grande-Bretagne ont CtC employ&s pour nous procurer une protection efficace contre tout danger exttrieur; depuis ce jour ses meilleures lois sont devenues les nbtres; tandis que notre religion, nos proprietes et les lois par lesquelles elles etaient rtgies nous ont Ctt conservtes; bientot aprbs les privileges de sa libre constitution nous ont CtC accord&, garants infaillibles de notre prosperitt interieure, si elle est observee.‘3

Ces propos contrastaient avec ceux qu’il tenait au m&me moment sur la France de Louix XV, ‘prince justement meprise pour ses debauches et son peu d’attention aux besoins du peuple, sa prodigalitt insensee pour ses favoris, et ses maitresses’, et sur Napoleon, ‘le tyran et l’heritier de la Revolution francaise’.r4 D.-B. Viger, le lieutenant de Papineau, ne pensait pas autrement que son chef lorsqu’il stigmatisait, en 1809, la ‘trop fameuse Revolution francaise’ et le ‘genie destructeur qui planait sur 1’Europe et menacait toutes les nations qui l’habitent’, dtplorant les ‘evenements malheureux’ qui avaient ‘amen6 1’Europe

esclave aux pieds du trop illustre tyran qui gouverne la France’, et rappelant la ‘tranquillite’ dont avaient joui les Canadiens ‘sans interruption, cornparke a l’anarchie et aux horreurs de la guerre, qui ont fait tant de ravages chez toutes les nations qui ont accueilli les principes francais’.15

C’est a partir de 1827 que Papineau devait modifier sa penste politique. Ulcer+ par l’opposition systtmatique de Londres aux rtformes protrees par la Chambre d’Assemblee; d&u de la Constitution de 1791,libCrale et gk-kreuse en apparence, mais qui n’etait en realit ‘qu’une ombre trompeuse de la constitution anglaise’;r6 exacerbe, enfin, par le favoritisme dans les emplois et I’exclusion des Canadiens des charges publiques, Papineau jugeait la situation faite aux Canadiens intolerable, perdant du coup l’admiration qu’hier encore il vouait aux institutions britanniques. En 1834, il tcrivait: ‘Le peuple ne veut plus du systtme actuel, qui n’a ttt qu’un essai infortune, accompagne de quarante ans d’abus et de souffrances’.r7 Plus que jamais, Papineau etait persuade qu”une nation n’en sut

jamais gouverner une autre’,ls et ‘que c’est une maxime a laquelle le gouvernement anglais ne renoncera jamais’, que celle qu’il devait ‘dtnationaliser’ les Canadiens pour mieux les ‘anglifier’.r9

Affirmant, en outre, que ‘la majorite des habitants du pays n’est nullement disposte a repudier aucun des avantages qu’elle tire de son origine et de sa descendance de la nation francaise’,*O Papineau ttait convaincu que les Canadiens n’avaient

aucune justice a esperer de I’Angleterre; que pour eux, la soumission serait une fletrissure et un arret de mort, l’indtpendance, au contraire, un principe de resurrection et de vie; plus encore, une rehabilitation du nom franqais terriblement compromis en Amtrique par la honte du trait& de Paris de 1763.*’

Du coup, Papineau rompait avec l’idee monarchique, achevant sa reconciliation avec la Revolution francaise et avec la democratic americaine. Papineau Ctait prCt desormais a &laborer un nouveau programme politique, inspire a la fois des modeles americain et francais. Du modele americain, il devait surtout retenir le projet d’emancipation politique; du modele francais, le projet de socittt. Liberal

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300 Gilles ChaussP

et democrate, Papineau eprouvait le besoin de redefinir la societe canadienne en termes la&. Croyant ‘a la necessite d’une separation rtelle de 1’Eglise et de l’Etat, il affirma a plusieurs reprises les droits des laks contre ce qu’il appelait les empiktements du clergC’.22 En ttmoignent la legislation scolaire de 1829, votte par la Chambre d’Assemblee dans le but avoue de contrer l’influence grandissante de 1’Eglise catholique dans un domaine qu’elle considerait comme lui appartenant de droit, de m&me que les tentatives de la Chambre pour exercer un controle plus strict sur les hopitaux diriges traditionnellement par les religieuses, et le bill des Fabriques destine en 1831 a democratiser les structures d’Eglise.

Cette politique s’etait attiree les foudres des chefs religieux, inquiets de voir ainsi trait& ‘la religion et ses ministres’ et les ‘Canadiens catholiques toujours les premiers a tracasser leurs prEtres et a fronder les regles canoniques de leur religion’.23 Mgr Lartigue, en particulier, pour qui les initiatives de la Chambre d’Assemblte et ‘les frequentes sorties contre le clerge’ dans les journaux ne

faisaient que refleter ‘l’esprit actuel de la vieille France’,24 deplorait ces attaques contre 1’Eglise qu’il jugeait aussi inutiles que prejudiciables aux intertts des Canadiens. Une profonde divergence de vues sur I’orientation a donner a la socitte canadienne stparait l’Cv2que de son cousin Papineau qui reprochait entre autres a 1’Eglise de vouloir ‘former dans l’Etat, dans la societe civile, au milieu des citoyens tous assujettis aux lois, un ordre privilegit, independant’.25

Quant au projet politique poursuivi par Papineau parallklement au projet de socitte, il s’inspirait nettement du modele americain. Papineau devait en dtfinir les grandes lignes aprb que la Revolution de juillet de 1830 en France- longuement comment&e dans la presse canadienne-etit ravive les espoirs des patriotes de voir realiser un jour l’independance du Bas-Canada. Le 16 fevrier 1832, le journal patriote La Minerve evoquait pour la premiere fois la possibilite d’une revolution comme solution aux maux dont souffraient depuis longtemps les Canadiens. Partant du principe que ‘le plus grand malheur pour l’homme politique, c’est d’obeir a une puissance irtrangere’ et qu’ ‘aucune humiliation, aucun tourment de coeur ne peut Ctre compare a celui-la’, La Minerve Ccrivait: ‘Notre pays se trouve dans des circonstances bien critiques et il faudra peut-2tre une revolution pour le mettre dans une situation plus naturelle et moins precaire (. . .). Une separation immediate d’avec I’Angleterre est le seul moyen de conserver notre nationalitt’. Des lors, les termes ‘Peuple’, ‘Patrie’ et ‘Nation’ devaient apparaitre regulierement dans les discours de Papineau.

En 1837, la situation politique dans le Bas-Canada devint explosive. Le 23 octobre, lors de l’assemblee des Six ComtCs a Saint-Charles, Papineau jugea le temps venu pour les Canadiens de s’affirmer, au besoin, par la force:

Quand un peuple se trouve invariablement en butte a une suite d’oppositions systematiques, malgrt ses voeux emprimes de toutes les manieres reconnues par l’usage constitutionnel, par des assemblees populaires et parses representants en Parlement apres mtire deliberation (. .), il devient imperieusement du devoir du peuple de se livrer sirieusement a la consideration de sa malheureuse position, des dangers qui l’environnent, et par une organisation bien combinee, de faire les arrangements ntcessaires pour conserver intacts leurs droits de citoyens et leur dignite d’hommes libres.26

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~ationaiisme au Canada Frangais 301

Apres quoi l’assemblbe adopta une serie de resolutions 02 ttaient CnumCrCs notamment les Droits de 1’Homme a partir de la D.&Zaratiun de l’hdkpendance amkicaine. 11 n’en fallait pas davantage pour que I’Cveque de Montreal intervint rigoureusement pour denoncer ces ‘maximes de license toujours dangereuses parce qu’elles favorisent notre penchant nature1 pour une liberte effrenee et qu’elles flattent les vices du coeur, l’orgueil, l’ambition, l’independance et bien

d’autres passions’,*’ et condamner par un mandement solennel, le 24 octobre 1837, un mouvement revolutionnaire devenu irreversible.** L’alliance intervenue en Belgique en 1829 entre 1’Eglise et les liberaux pour secouer le joug de Guillaume Ier et assurer l’independance du pays ne s’etait pas realisee au Canada.

L’insurrection qui suivit en novembre et decembre 1837 s’avera un Cchec. La plupart des chefs patriotes furent art&s ou prirent la fuite, tels Papineau qui se rtfugia en France et qui recontra plusieurs personnalitts politiques dont F&licit& de Lamennais qui l’honora de son amitie. C’est 6 Paris, du reste, que Papineau Ccrivit son Histoire de I’insurrection au Canada.29 Plus que jamais, il etait convaincu que l’avenir du Canada ttait ‘Ccrit dans les declarations des droits de l’homme et dans les constitutions politiques que se sont don& nos bons, sages et heureux voisins, les Americains indtpendants’.30

Papineau revint au Canada en 1845.11 n’avait pas renonct B son rke d’un Etat national pour les siens, aflirmant que ‘cette nationalitt France-Canadienne est le premier de nos droits d’hommes et de citoyens; le plus imprescriptible de tous nos droits natureb’. ‘11 a grandi pour moi, cet amour du pays, avec toutes les fortes emotions que j’ai eprouvtes. 11 grandira avec toutes celles que j’kprouverai jusqu’au moment sup&me oh la derniere pulsation de mon coeur, sera pour la patrie et la nationalite franco-canadienne’.3* Papineau, cependant, ne retrouva plus jamais l’autorite et l’ascendant qu’il avait autrefois exercts. Son nationalisme heurtait a la fois ses anciens collaborateurs, devenus modCrCs et soumis a l’Eglise, qui avaient expurge de leur programme le radicalisme de 1789, et les liberaux de 1’Institut canadien et de L’avenir qui jugeaient retrograde le nationalisme de Papineau en matikre sociale, notamment sur la question du regime seigneurial dont ils pronaient l’abolition contrairement B Papineau, lui- m$me seigneur de la Petite-Nation. C’est d’ailleurs dans son ch&eau feodal qu’il

devait occuper les dernittres an&es de sa vie, confine apres 1854 dans la tour de sa biblioth~que, son ‘asile sac&‘, se rem~morant le souvenir de ses travaux “de quarante an&es dans la bonne cause, la bonne cause de la Democratic, heureux de la certitude de son triomphe prochain et certain sur toute l’itendue du Monde amtricain’.32 Papineau reconnaissait a la tin de sa vie avoir puke ses doctrines politiques dans la ‘Declaration d’indtpendance de 1776 et de la Declaration des droits de 1’Homme et du Citoyen de 1789’, et dans Montesquieu et son Esprit des Lois, ‘l’homme et le livre qui font le plus honneur aux ages modernes et a la philosophie du 18e sikcle’.33 Papineau n’avait peut-&tre pas

reussi a faire ‘tonner la grande voix du peuple’, comme il souhaitait encore en 1851;‘” il n’en avait pas moins galvanise Ies siens par ses accents prophetiques et reussi a faire prendre conscience aux Canadiens qu’ils formaient une Nation adulte.

Gilles Chauss&

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NOTES

1. Voir Q ce sujet Jean-Pierre Wallet, ‘La Revolution francaise au Canada, 1789-1838, dans Michel Grenon, dir., L’lmage de la RPvolution francaise au Qukbec, 1789-1989 (Montreal: Hurtubise HMH), pp. 67-69.

2. Rapport de Mgr Hubert au prefet de la congregation de Propagande, 26 octobre 1792, Archives de I’drchevkht de QuPbec, Registre des lettres, t. II, p. 4.

3. Lettre de Brassier a Mgr Hubert, nov. 1789, citee dans Grenon, L,‘Zmage de /a R&olurion, p. 27.

4. M&moire de Mgr Hubert concernant l’admission des pretres europeens dans le diocese de Quebec, 20 mai 1790, Mandements des &vgques de Qutbec (MEQ), t. II,

p. 430. 5. Wallot, ‘La Revolution francake’, dans Grenon, L’lmage, p. 67. 6. Ibid., pp. 68 et 70. 7. L’historien Marcel Trudei a releve un certain nombre d’tltments de revolution

Venus d’Angleterre et de la societe anglaise etablie au Canada depuis 1760, notamment la parution a partir de 1764 de journaux ‘concus a la mode anglaise et porteurs d’idees anglaises’. Voir ‘Le vent souffle aussi de I’Angleterre’, dans ibid., pp. 27-28.

8. Wallet, ‘La Revolution francaise’, dam Grenon, L’lmage de la RPvolution, p. 71. 9. Ibid., p. 66.

10. Ibid., p, 72. I 1. Elu president de la Chambre d’AssemblCe en 18 15, Papineau en fut le chef inconteste

jusqu’en 1837. Seigneur de la seigneurie de la Petite-Nation, il etait pour le maintien de la societe traditionnelle, tout en poursuivant sa lutte pour 1’~mancipation politique du Bas-Canada.

12. Fernand Ouellet, Pupineau (Quebec: PUL, 1970), p. 23. 13. Discours de Papineau a l’occasion de la mort de Georges III, reproduit dans La

Gazette de Qutbec, juillet 1820, cite dans Ouellet, Pupineau, p. 22.

14. Ibid., p. 21-22. 15. Denis-Benjamin Viger, ConsidCrations sur les effets qu’ont produit en Canada, la

conservation des ktablissements du pays, les moeurs, l’dducation etc. de ses habitans; et Ies consPquences qu’entraineroient Ieur decadence par rapport aux intkrCts de la Grande Bretagne, dans Oeuvres pofitiques (Montreal: Reedition-Quebec, 1970),

pp. 17, 18, 22, 40. 16. Discours de Papineau sur le Conseil legislatif, reproduit dans La Minerve du 21 janvier

i 833, cite dans Ouellet, Papineau, p. 5 1. 17. Discours de Papineau ‘aux libres et independants Clecteurs du quartier ouest de

Montreal’, reproduit dans La Minerve du 4 decembre 1834, cite dans ibid., p, 64. 18. Ibid., p. 65. 19. Lettre de Papineau B son epouse, 9 novembre 1835, citte dans ibid., p. 74. 20. Adresse de la Chambre d’AssemblCe au Parlement anglais, La Minerve, 24 mars 1834,

cit.&e dans ibid., p. 62. 21. Papineau, Histoire de l’insurrection au Canada (Montreal: Ed. Lemeac, 1968), p. 49. 22. Ibid., p. 9. 23. Lettre de Lartigue a l’editeur de La Minerve, 21 mars et 5 mai 1831, cite dans

notre etude sur Jean-Jacques Lartigue, premier Pvcque de Montreal (Montreal: Fides, 1980), p. 181.

24. Lettre de Lartigue a l’editeur de La Minerve, 17 fevrier 1831, citee dans ibid.. p. 182. 25. Papineau, Question des Fabriques, cite dans Ouellet, Papineau, p. 46. 26. Adresse de Papineau au peuple du Canada, citee dans ibid., p. 80.

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Nationalisme au Canada Fraqais 303

27. Lartigue, ‘Des doctrines du philosophisme moderne’, ACAM, 901.037, 838-2, cite dans Chausse, Lartigue, pp. 202-203.

28. Voir a ce sujet ibid., pp. 200-226. 29. Ce livre, malheureusement, fut un echec. Ce qui explique que la seconde partie de

l’ouvrage ne fut jamais publiee par l’tditeur parisien. 30. Papineau, Histoire de I’insurrection, p. 70. 31. Discours prononce par Papineau en faveur de la colonisation des townships,

reproduit dans L’Avenir du 15 avril 1848, cite dans Ouellet, Papineau, pp. 90-91. 32. Adresse de Papineau aux electeurs de la Cite de Montreal, 24 novembre 1851, cite

dans ibid., p. 92. 33. Discours de Papineau devant les membres de I’Institut canadien en 1867, cite dans

ibid., pp. 100-101. 34. Adresse de Papineau aux electeurs de la Cite de Montreal en 1851, cite dans ibid.,

p. 92.