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Les facteurs culturels intervenant dans la résilience Jean Autard, Cécile Coulon, Marie-Laure Fournasson, Maude Geissmann Mots Clés : résilience individuelle, mémoire, éducation, culture du risque Résumé : Nous étudions les modalités par lesquelles les facteurs culturels structurent les résiliences individuelles. La culture du risque et de la prévention, installée par le biais de l’éducation, de campagnes gouvernementales, et la mémoire collective des catastrophes, intervient dans la manière de faire face au risque. Cependant, la gestion du traumatisme lié à la catastrophe est un processus indépendant de ces facteurs culturels, c’est un processus à l’échelle individuelle. Enfin, la résilience à long-terme après la catastrophe est en fait surtout contrainte par des facteurs socio-économiques plus complexes, (notamment les moyens matériels). Introduction La résilience est la capacité d'un individu ou d'une société à se relever après une catastrophe. S’il est admis depuis longtemps qu’il n‘existe de déterminisme culturel dans la résilience, dans quelle mesure les facteurs culturels influencent-ils notre résilience ? Nous entendrons par culture un ensemble de pratiques et de représentations matérielles et symboliques acquises par les individus en tant que membres d’une société. En se basant sur quelques études de cas, nous tenterons d’amener des éléments de réflexion à cette question. Tout d’abord, l’étude du cas du Japon, notamment du séisme de Sendaï, nous permettra d’opposer culture du risque et résilience individuelle post-traumatisme, Ensuite nous verrons dans le cas du séisme de Sumatra en Indonésie en 2004, que la culture en tant que mémoire collective intervient dans la réaction face au danger. Enfin, l’étude comparative d’une inondation au Bénin et en France renforcera cette idée que si les mémoires collective et individuelles interviennent dans la résilience face à une catastrophe, la résilience repose aussi beaucoup sur les possibilités matérielles offertes et le cadre institutionnel. Le Japon, culture du risque et résiliences individuelles [!] L’image du Japon comme un « archipel de résilience », très répandue en Occident, s’appuie sur le poncif que les Japonais seraient résilients par essence. En étudiant les séismes (notamment Sendai, 2011) affectant l’archipel, peut-on conclure qu’il existe-t-il une culture de la résilience spécifiquement japonaise ? Situé sur une zone de subduction, le Japon est secoué en moyenne par 30 séismes de magnitude supérieure à 7 par siècle. Il est également actif d’un point de vue volcanique. S’est ainsi développée une culture du « shikata ga nai » (signifiant « c’est ainsi ») : la catastrophe naturelle est acceptée, voire accueillie. Les catastrophes sont intégrées dans le folklore et dans la langue japonaise. L'idée de l'impermanence des choses est très répandue, les populations n'ont pas le même vécu de la cyclicité des catastrophes.

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Les facteurs culturels intervenant dans la résilience

Jean Autard, Cécile Coulon, Marie-Laure Fournasson, Maude Geissmann

Mots Clés : résilience individuelle, mémoire, éducation, culture du risque

Résumé : Nous étudions les modalités par lesquelles les facteurs culturels structurent les résiliences individuelles. La culture du risque et de la prévention, installée par le biais de l’éducation, de campagnes gouvernementales, et la mémoire collective des catastrophes, intervient dans la manière de faire face au risque. Cependant, la gestion du traumatisme lié à la catastrophe est un processus indépendant de ces facteurs culturels, c’est un processus à l’échelle individuelle. Enfin, la résilience à long-terme après la catastrophe est en fait surtout contrainte par des facteurs socio-économiques plus complexes, (notamment les moyens matériels).

Introduction

La résilience est la capacité d'un individu ou d'une société à se relever après une catastrophe. S’il est admis depuis longtemps qu’il n‘existe de déterminisme culturel dans la résilience, dans quelle mesure les facteurs culturels influencent-ils notre résilience ?

Nous entendrons par culture un ensemble de pratiques et de représentations matérielles et symboliques acquises par les individus en tant que membres d’une société. En se basant sur quelques études de cas, nous tenterons d’amener des éléments de réflexion à cette question. Tout d’abord, l’étude du cas du Japon, notamment du séisme de Sendaï, nous permettra d’opposer culture du risque et résilience individuelle post-traumatisme, Ensuite nous verrons dans le cas du séisme de Sumatra en Indonésie en 2004, que la culture en tant que mémoire collective intervient dans la réaction face au danger. Enfin, l’étude comparative d’une inondation au Bénin et en France renforcera cette idée que si les mémoires collective et individuelles interviennent dans la résilience face à une catastrophe, la résilience repose aussi beaucoup sur les possibilités matérielles offertes et le cadre institutionnel.

Le Japon, culture du risque et résiliences individuelles [!]

L’image du Japon comme un « archipel de résilience », très répandue en Occident, s’appuie sur le poncif que les Japonais seraient résilients par essence. En étudiant les séismes (notamment Sendai, 2011) affectant l’archipel, peut-on conclure qu’il existe-t-il une culture de la résilience spécifiquement japonaise ?

Situé sur une zone de subduction, le Japon est secoué en moyenne par 30 séismes de magnitude supérieure à 7 par siècle. Il est également actif d’un point de vue volcanique. S’est ainsi développée une culture du « shikata ga nai » (signifiant « c’est ainsi ») : la catastrophe naturelle est acceptée, voire accueillie. Les catastrophes sont intégrées dans le folklore et dans la langue japonaise. L'idée de l'impermanence des choses est très répandue, les populations n'ont pas le même vécu de la cyclicité des catastrophes.

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Cette culture du risque transparait aussi au travers d’une préparation technique orchestrée par l’Etat ! , et psychologique via le volet de l’éducation, en amont de la catastrophe. Le Japon est l’un des pays le mieux préparé à l’aléa sismique. Les normes parasismiques sont très développées, des abris tsunami et des vannes de rétention sont mis en places sur certaines côtes. De plus, des exercices de prévention sont pratiqués à l’école lors de la Journée nationale de prévention des désastres, régulièrement des campagnes d’information indiquent les comportements à adopter.

Après le séisme de Sendaï, le secours des victimes et le déblayage s’organisent avant l’arrivée des autorités, des communautés créent des réseaux de solidarité. Philippe Mesmer, correspondant du Monde au Japon, explique au lendemain de cette catastrophe que ce calme et cette cohésion proviennent de l’éducation, où est transmise la « valeur du groupe », le « vivre en société ».

Au premier ordre, une culture du risque spécifiquement japonaise influence donc a priori et a posteriori la réaction aux catastrophes.

Cependant, l’existence même d’une culture de la résilience spécifiquement japonaise est à interroger. Tout d’abord, la pseudo-culture de la résilience au Japon peut trahir une incapacité à faire face à la souffrance. Le Japon possède les taux annuels de suicide les plus élevés au monde. L’explication sociologique suivante, généralisante, résume la spécificité de la mentalité japonaise. Pour ne pas perturber ou décevoir la société, on préfère se murer dans le silence et continuer autant qu’on le peut, la dernière alternative étant le suicide. Le culte de la discrétion, du groupe et du conformisme présente ainsi un aspect oppressif.

La particularisation d’une résilience spécifiquement japonaise pourrait provenir de la tendance naturelle à ne voir, lors de la découverte d’une aire culturelle nouvelle, que ce en quoi elle diffère de la nôtre. En réalité face à une catastrophe, les Japonais sont, avant d’être japonais, des Hommes. La résilience à l’échelle d’un individu est propre à chacun. Les médias locaux vantent un stoïcisme exacerbé en tant qu’il est l’idéal nippon, mais c’est pour inciter la société à en faire preuve. Et les médias occidentaux de se laisser prendre au piège.

Le tsunami de Sumatra, mémoire des catastrophes et réactions face au danger

Le 26 décembre 2004, le séisme de Sumatra de magnitude 9.0 provoque un tsunami qui a tué 233 689 personnes en Indonésie. La province d’Aceh, au niveau de la zone de subduction, est souvent touchée par des séismes et tsunamis ; c’est la région la plus touchée par ce tsunami.

Les victimes ne sont pas réparties de façon homogène dans la cette province. Dans trois lieux, les réactions d’habitants face au danger ont été analysées. Ces lieux sont Kajhu (au Nord) et Johan Pahlawan (au centre), pour lesquels on compte un total d’environ 170 000 morts ; et Air Pinang sur l’île de Simeulue, pour laquelle on ne compte que 44 victimes. L’île de Simeulue est habitée par des personnes vivant sur les lieux depuis plusieurs générations. En revanche, les deux autres régions sont majoritairement peuplées par des personnes qui se sont installées récemment, il y a moins de 10 ans. Dans le premier cas la communication intergénérationnelle

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est donc naturelle car traditionnelle, alors que dans les deux autres, les individus n’ont pas accès au savoir ancestral.

Figure 1 : Carte de la région de Aceh

Plusieurs questions, sur la manière dont les habitants ont repéré l’arrivée du tsunami, et comment ils ont réagi face au danger, montrent des réactions distinctes selon le lieu de vie des individus. La majorité des habitants de l’île de Simeulue (Air Pinang) ont vu les signes annonciateurs naturels du tsunami, et 85,3% [!] se réfugiés sur la montagne en hauteur. Ce qui n’est pas le chez les populations installées récemment à Kajhu et J. Pahlawan : à J. Pahlawan la majorité des gens (63,1%) [!] ont repéré l’arrivée du séisme grâce à la panique des gens alentours ou en voyant les autres individus courir, puis les individus se sont réfugiés dans les mosquées ou sur des arbres. Ces derniers sont des lieux inadaptés, puisque ce ne sont pas des abris en hauteur ou suffisamment solides pour encaisser les chocs provoqué par la vague. L’exemple le plus marquant montrant le manque d’avertissement de ce genre d’évènement est le suivant : 8.8% [!] des individus interrogés à Kajhu se dirigent vers les rizières. Ce reflex est mortel car les rizières sont des lieux fortement inondables et donc extrêmement vulnérables face à un tsunami.

Ces séries de réponses montrent l’importance de la transmission du savoir (tradition ou éducation), qui peut permettre une réaction plus adaptée aux situations dangereuses. La mémoire des catastrophes est un facteur culturel influençant la réaction des individus face au danger, et donc un facteur intervenant dans la résilience post-catastrophe.

Inondations en France et au Bénin : résilience post-catastrophe et facteurs socio-économiques.

Nous allons maintenant analyser les limites de cette appropriation de la mémoire des catastrophes du passé par les individus, dans les processus de résilience sociale. Pour cela nous allons procéder à une analyse comparative de deux inondations dans des contextes culturels et de développement socio-économique différents : D'une part les inondations de 2003 à Arles en France qui ont duré 10 jours, touchant 8000 habitants [!]. D'autre part l'inondation de 2010 au Bénin qui ont fait 46 morts et ont touchés 50000 habitations [!].

Dans les deux cas il apparaît que les habitants des régions disposent d'une « mémoire du risque » qu'ils mobilisent au moment de la catastrophe : Ainsi en Arles, 75% des habitants interrogés disposent de savoirs généraux sur les risques liés au Rhône, par exemple connaître la date de la dernière inondation, tandis que 44% ont reçu des récits de leurs proches sur les épisodes passés. Cette mémoire collective remonte jusqu'aux inondations de 1856. De même au Bénin les habitants des villages de Kpoto et Agonvé interrogés disposent d'une mémoire des événements de 1939, 1988, 1998 et 2007 malgré une population plus jeune.

Pourtant, la résilience observée est ainsi très différente dans chaque cas : en France, malgré l'inondation de certains quartiers pendant 10 jours, la présence de réseaux d'alertes et d'information réactifs, d'infrastructures de transport de qualité puis le jeu des assurances ont permis d'engager une vrai résilience post-catastrophe. Inversement au Bénin se sont fait sentir

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des insuffisances : inexistence de systèmes d'alerte précoce opérationnels, évacuation des sinistrés par leurs propres moyens, souvent à pied. Les habitats traditionnels en terre sont très vulnérables et ne peuvent pas être surélevés expliquant l'importance des destructions. La majorité des habitants sont retournés dans leurs villages par manque d'alternative.

Figure 2 : Kpoto, vulnérabilité contrastée selon le type de matériaux de construction. Figure 3 : Les inondations à Arles en 2010, moindre vulnérabilité du bâti.

Ainsi, la mémoire sociale et individuelle des risques à pu être mobilisée par les individus après la catastrophe pour la mise en place de stratégies de résilience. Toutefois, la différence de mémoire et de connaissance des risques n'est pas déterminante pour expliquer le caractère insatisfaisant de la résilience au Bénin : les individus sont contraints par leurs possibilités matérielles et leur inscription dans des structures institutionnelles déficientes. Ainsi, cela révèle que des mesures d'information et d'éducation à la résilience sont inutiles si elles ne sont pas associées à des possibilités matérielles.

Conclusion

Nous observons qu’il y a des niveaux extrêmement différents de résilience. Malgré la forte culture du risque qui existe au Japon, face à la catastrophe les Japonais sont, avant tout, des Hommes. La manière de gérer le traumatisme individuel post-catastrophe est un processus complexe qui n’est pas déterminé par la culture. Néanmoins, la culture en tant que mémoire des catastrophes et transmission intergénérationnelle du savoir, est un facteur qui peut influencer la réaction des individus face au danger, comme le montre le cas de Air Pinang en Indonésie lors du tsunami lié au séisme de Sumatra. Cependant, si la mémoire sociale et individuelle des risques intervient pour la mise en place de stratégies de résilience post-catastrophe, les individus sont finalement contraints par leurs possibilités matérielles et leur inscription dans des structures institutionnelles. Ainsi, la résilience post-catastrophe est contrainte par des sociaux-économiques plus complexes. Ceci met en lumière toute la complexité de la résilience. C’est un processus qui se développe à chaque moment : dans la manière de se préparer et faire face au danger, de gérer le traumatisme une fois l’urgence directe passée, et enfin de se reconstruire après la catastrophe. (L’appel à la culture sert à réifier les différences de résilience.)

Bibliographie : Les études de cas sont basées sur les articles cités dans la bibliographie :

[!] SeminaireResilienceurbaine,27mai2010,Lesfacteursculturelsdelarésilience-lecasduJapon,MarieAugendre,universiteLyonII

[!]How Japan tackles its quake challenge”. Fogarty, Philippa. BBC News. 11 mars 2011.

[!] Gaillard, J. C., Clavé, E., Vibert, O., Denain, J. C., Efendi, Y., Grancher, D., ... & Setiawan, R. (2008). Ethnic groups’ response to the 26 December 2004 earthquake and tsunami in Aceh, Indonesia. Natural Hazards, 47(1), 17-38.

[!] C. Labeur, ‘Raconter l'inondation quand les récits de la catastrophe se font mémoire du risque’, Géocarrefour 88 n°4.

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[!] M. Ahouagan, B. Djaby, P. Ozer, Y. Hountondji, A. Thiry, F. de Longueville, ‘Adaptation et résilience des populations rurales face aux catastrophes en Afrique subsaharienne. Cas des inondations de 2010 dans la commune de Zagnanado’, Université de Liège.

Figure 1 :

Figure 2 :

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Figure 3 :