Les fonds souverains - Notes d'analyse Géopolitiques n°32

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  • 8/4/2019 Les fonds souverains - Notes d'analyse Gopolitiques n32

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    Les fonds souverainsVecteurs et symptmes dune mutation du capitalisme mondialis ?

    Les fonds souverains fascinent et inquitent. Comment en serait-il

    autrement alors que, selon certains analystes, lun des plus importants

    dentre eux pourrait soffrir, lui seul, en une seule journe, Total,Axa,

    BNP-Paribas, CrditAgricole, Bouygues, LOral, Michelin, Danone, et

    LVMH ! Do une srie de questions laquelle se sont attachs rpondre,

    chacun dans un ouvrage, Henri-Louis Vdie, professeur au dpartement

    finance/conomie du Groupe HEC, et Lucien Rapp, professeur agrg de

    droit et associ dune cabinet daffaires international. Leurs rponses

    clairent la fois la puissance financire de ces fonds. Elles dcrivent

    aussi les risques stratgiques rsultant des participations quils prennent

    dans des entreprises occidentales sensibles. Mais, plus fondamentalement,

    ils formulent une crainte gopolitique majeure : et si les fonds souverains

    ntaient, in fine, que le signe avant coureur dune mutation du capitalisme

    mondialis appel prendre demain un virage tatique sous lgide dtats

    au fonctionnement souvent peu dmocratique ?

    Sagissant des fonds de pension,la premire question porte dabord sur leur puis-sance financire exacte. En effet,en raison de montages financiers complexes etdune certaine opacit de fonctionnement, les analystes hsitent quant aux mon-tants quils peuvent rellement mobiliser.

    Une puissance financirede 12.000 milliards de dollars en 2015 ?

    Gnralement on estime quils psent quelque 4.000 milliards de dollars Mais cemontant est probablement dj dpass, car ces fonds sont en expansion.Au fil dutemps, ils sont plus nombreux et plus puissants.Voici quelques annes, le rapportannuel de la banque Morgan Stanley estimait quils pourraient reprsenter euxseuls quelque 12.000 milliards de dollars compter de 2015Restons-en toutefois au montant actuel : 4000 milliards de dollars. Comme le noteHenri-LouisVdie,cest certes un montant considrable,mais cest aussi relativementpeu si on le compare aux compagnies dassurances (16.000 milliards de dollars) ouaux fonds de pension (17.000 milliards de dollars). Est-ce dire quil ny aurait fi-nalement pas de quoi smouvoir ? Si, car il faut prendre en compte une autre don-

    Comprendre Les Enjeux Stratgiques

    Note hebdomadaire danalyse gopolitiquede lESC Grenoble. juin 2011

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    CLES - Comprendre Les Enjeux Stratgiques - Note danalyse n32 - juin 2011 - www.grenoble-em.com - 1 -

    Par Jean-Franois

    Fiorina

    Directeurde lEcole Suprieurede Commercede Grenoble

    CLES

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    ne, souligne raison par Henri-Louis Vdie : Les dix plus importants de ces fondscontrlent 90 % de lencours total, ce qui laisse imaginer la puissance financire de cha-cun de ces dix acteurs .

    Une menace pour les pays dveloppset leurs entreprises ?

    Cette puissance colossale nourrit bien sr de vives inquitudes. Lucien Rapp consi-dre ainsi que cest un choc majeur de souverainets qui se prpare. En effet, commeleur nom lindique, les fonds souverains ne sont pas des fonds comme les autres. Ilssont contrls directement par des tats, ce qui suscite des interrogations quant leurs objectifs. Agissent-ils selon une logique purement financire ou sont-ils des ins-truments par lesquels des tats poursuives des vises stratgiques ? Du fait de leurproximit avec les gouvernements des pays dont ils sont issus, ces fonds sont lexpressiondune souverainet financire de la part des Etats concerns. Jusqu prsent cette situa-tion na pas pos de problmes, car leurs participations sont restes le plus souvent limi-

    tes en pourcentage du capital des socits concernes, et il ny a pas de tension majeuredans les relations conomiques internationales, crit Lucien Rapp. Mais quen sera-t-ildemain ? Quel impact cela peut-il avoir sur lindpendance des pays qui accueillentces investissements et sur la gouvernance des entreprises concernes ? Voici en effetdes questions auxquelles il serait bon de rpondre, tant au niveau national et euro-pen quinternational. Avant quil ne soit trop tard

    Une puissance chappant peu ou prouaux tentatives de rgulation

    En effet, jusquici, les tentatives de rgulation de ces fonds nont pas eu les effets es-compts. Certes les pays crateurs de fonds souverains ont gnralement adhrs auxfameux principes de Santiago dicts en 2008. Ils se sont solennellement engags latransparence dans la gestion et les oprations de leurs fonds, et la conformit des pra-tiques de ceux-ci au regard des standards internationaux, notamment en matiredthique. Toutefois, daprs Lucien Rapp, la ralit est tout autre. Selon lui, rares sontles fonds qui ont chang leurs habitudes. Ils sont toujours aussi peu nombreux publier leursrapports annuels, et quand ils en publient, il sagit souvent de documents succincts et de pureforme, toujours silencieux sur la composition de leurs portefeuilles.Aprs enqute, il a ainsidcouvert que ces fonds recourent des montages complexes, avec de nombreuses so-cits ou personnes interposes, pour cacher lampleur relle de leurs participations.Et si demain, tel fonds que lon croyait minoritaire au capital dune entreprise se rv-lait finalement majoritaire parce quil contrle un autre dtenteur de capital ? Commentdevrions-nous alors ragir ? Voil encore une question laquelle il serait bienvenu derpondre ds maintenant.

    Un symptme du basculementconomique du monde vers le Sud et lEst

    Encadrer les fonds souverains, voire riposter leurs menes, se rvle toutefois dau-tant plus complexe que leurs marges de manuvre rsultent directement du systmeconomique mondialis promu par les vieux pays industrialiss. En effet, la monte enpuissance des fonds souverains nest que la traduction au plan financier du basculementde lconomie mondiale vers le Sud et lEst. Comme le note Michel Pbereau, prsi-dent de lInstitut de lentreprise, dans la prface quil a donne louvrage de LucienRapp,leur dveloppement est la consquence directe de laccumulation dnormes rservesde change par certains pays asiatiques et par les pays producteurs dhydrocarbures : les ex-

    cdents que dgagent les changes extrieurs alimentent chaque anne une pargne quilspeuvent placer hors de leur frontires.Rien donc que de trs logique, dautant que cest bon droit que ces pays peuvent vouloir prparer lavenir et le temps o la source ac-tuelle de leurs revenus se tarira. Reste que cette puissance financire et linversion desflux qui laccompagne est le symptme du dclin relatif des vieux pays industrialiss.Cest l un fait gopolitique majeur qui fait dire de nombreux analystes que le meil-leur moyen de rsoudre le problme des fonds souverains consisterait rquilibrerla balance commerciale entre les pays dvelopps et les mergents. Quand la solutionest plus ardue encore que le problme

    Vers un tournant tatiqueet autoritaire du capitalisme ?

    Toutefois, ce basculement conomique a aussi des implications gopolitiques qui senouent autour de lmergence dune relation indite de certains tats au capitalisme.

    Lucien Rapp rapproche ainsi trois phnomnes : la multiplication des fonds souverains,le regain de lgitimit de lintervention publique suite la crise financire et la s-duction grandissante quexerce le modle chinois dun capitalisme pilot par les ins-tances tatiques Et de voir l un redoutable dfi pour les dmocraties occidentales.

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    Ces fonds recourent

    des montages complexes,

    avec de nombreuses socits

    ou personnes interposes,

    pour cacher lampleur relle

    de leurs participations. Et si

    demain, tel fonds que lon

    croyait minoritaire au capitaldune entreprise se rvlait

    finalement majoritaire parce

    quil contrle un autre

    dtenteur de capital ?

    Comment devrions-nous

    alors ragir ?

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    O lon dcouvre que, dans un monde en mutation acclre, il nest, dcidment, paspossible daborder les grandes questions conomiques et financires sans prendreen compte les enjeux gopolitiques qui leur sont associs.I

    Pour aller plus loin : Les fonds souverains, par Henri-Louis Vdie,Editions Eska, 227 p. 20 ; Ces fonds que

    lon dit souverains, par Lucien Rapp, Editions Vuibert, 184 p., 21 .

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    EXTRAIT :

    Raffirmer le principe de rciprocit -Il est videmment souhaitable de bien dfinir les conditions poser pour que

    les participations des fonds souverains soient considres comme bienvenues. La premire est quils jouent le jeu du march : quils

    acceptent de donner lassurance quen aucun cas, leur spcificit de souveraint ne viendra interfrer dans la stratgie et la ges-

    tion de lentreprise. Mais il en est une seconde, tout aussi ncessaire : lapplication du principe de rciprocit. Il serait paradoxal

    que ces fonds puissent prendre au capital des entreprises europennes des participations de contrle sils dpendent de pays qui

    interdisent aux intrts europens le contrle de leurs propres entreprises dans certains secteurs dactivit. Un pays qui considre

    certaines activits du secteur concurrentiel comme trop stratgiques pour passer sous contrle dintrts trangers ne peut ston-

    ner que lEurope fasse de mme.Michel Pbereau, extrait de la prface donne Ces fonds que lon dit souverains, op. cit.

    Comprendre

    Les Enjeux StratgiquesPourquoi CLES ?Depuis 2007, Grenoble cole deManagement a introduit dans soncursus un enseignement de gopo-litique. Cette initiative novatricesappuie notamment sur la convic-tion que, face un monde com-plexe et en mutation permanente,lentreprise et les managers ont be-soin du prisme de la gopolitiquepour se positionner, prendre lesbonnes dcisions et engager lesstratgies adquates.

    Il sagit toutefois dune approche ori-ginale de la gopolitique. traversses enseignements et ses activitsde recherche, Grenoble cole deManagement envisage celle-ci sousun angle oprationnel.Lobjectif est doffrir aux dcideursconomiques les outils daide ladcision ncessaires pour naviguerdans un environnement au sein du-quel les risques et les opportunitsvoluent sans cesse.

    Avec la publication des notes CLES,Grenoble Ecole de Managementsouhaite partager, chaque semaine,avec ses partenaires, le fruit de sesrecherches en matire de gopoli-tique.Elle souhaite aussi stimuler leschanges dides et les partagesdexprience. Car, dans le mondequi est le ntre, cest aussi de laconfrontation des visions que pro-vient la performance.I

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