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Dossier ILLUSTRATION MUZO ILLUSTRATION MUZO - PHOTOS P2H GLOBAL/D. TRIBAL - DR 26 - Arts&MétiersMag - Décembre 2014-Janvier 2015 La fonction maintenance a évolué plus vite que son image. Elle s’est enrichie à grand renfort d’analyses, de méthodes, informatiques, de démarche «lean», de «coût complet de possession», tout en conservant son identité de métier technique. Reste cependant à convaincre les candidats à ces missions de pousser les portes des formations spécialisées. Et à persuader les entreprises de «sanctuariser» les dépenses d’une fonction qui joue un rôle majeur dans la productivité de l’industrie. Maintenance Les généralistes de l’industrie L a maintenance est-elle en crise ? Désindustriali- sation, réduction d’effec- tifs, désintérêt des jeunes, manque d’ambition pour valoriser ses métiers, le tableau paraît bien sombre. Pourtant, les profession- nels de la filière restent optimistes. Et ils ont des raisons de l’être. Cer- tains secteurs ne peuvent pas se permettre de négliger l’entretien de leurs outils de production et un nombre croissant d’entreprises prennent conscience des enjeux économiques, voire associent la fonction maintenance à leurs choix d’investissements. Quant aux ingé- nieurs et techniciens de mainte- nance, ils n’ont aucun mal à trouver du travail grâce à leurs compétences techniques. D’ailleurs, la main- tenance elle-même évolue de la GMAO (1) vers la gestion des actifs industriels, preuve que les portes des directions techniques, voire du «board», ne lui sont plus inac- cessibles. Pour les professionnels du secteur, maintenance ne rime pas avec coût. Elle doit être considérée comme une source d’optimisation de l’outil de production, voire un facteur de profits. Reste à en convaincre le top management… «Cela rede- vient plus facile aujourd’hui, estime Philippe Hinfray (Li. 78), fondateur de P2H Global, société de conseil en Philippe Hinfray, fondateur de la société de conseil P2H Global: «Couper dans les dépenses de maintenance, tout le monde peut le faire, mais on finit toujours par le payer cher.» Li 78

Les généralistes de l’industrie - p2h- · PDF fileMiroslav Lukic, en met-tant en œuvre des process plus prédictifs que cura - tifs et en cherchant à améliorer la fiabilité

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La fonction maintenance a évolué plus vite que son image. Elle s’est enrichie à grand renfort d’analyses, de méthodes, informatiques, de démarche «lean», de «coût complet de possession», tout en conservant son identité de métier technique. Reste cependant à convaincre les candidats à ces missions de pousser les portes des formations spécialisées. Et à persuader les entreprises de «sanctuariser» les dépenses d’une fonction qui joue un rôle majeur dans la productivité de l’industrie.

Maintenance Les généralistes de l’industrie

L a maintenance est-elle en crise ? Désindustriali-sation, réduction d’effec-tifs, désintérêt des jeunes,

manque d’ambition pour valoriser ses métiers, le tableau paraît bien sombre. Pourtant, les profession-nels de la filière restent optimistes. Et ils ont des raisons de l’être. Cer-tains secteurs ne peuvent pas se permettre de négliger l’entretien de leurs outils de production et un nombre croissant d’entreprises prennent conscience des enjeux économiques, voire associent la fonction maintenance à leurs choix d’investissements. Quant aux ingé-nieurs et techniciens de mainte-nance, ils n’ont aucun mal à trouver du travail grâce à leurs compétences techniques. D’ailleurs, la main-tenance elle-même évolue de la

GMAO (1) vers la gestion des actifs industriels, preuve que les portes des directions techniques, voire du «board», ne lui sont plus inac-cessibles.Pour les professionnels du secteur, maintenance ne rime pas avec coût. Elle doit être considérée comme une source d’optimisation de l’outil de production, voire un facteur de profits. Reste à en convaincre le top management… « C e l a r e d e -vient plus facile a u j o u r d ’ h u i , estime Philippe Hinfray (Li. 78), f o n d a t e u r d e P 2 H G l o b a l , société de conseil en

Philippe Hinfray,fondateur de la société de conseil P2H Global: «Couper dans les dépenses de maintenance, tout le monde peut le faire, mais on finit toujours par le payer cher.»

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(1) GMAO : gestion de la maintenance assistée par ordinateur

optimisation de la fonction main-tenance en entreprise. Il faut dire que les réductions de coûts sur ce poste ont été telles dans certains secteurs qu’il était temps ! Couper ces dépenses à court terme, tout le monde peut le faire, mais on finit toujours par le payer cher.» Les défaillances de personnels, de procédures ou même d’organisa-tions de la maintenance peuvent en effet être à l’origine de catastrophes retentissantes, comme cela a été le cas de l’accident ferroviaire de Bré-tigny-sur-Orge en 2013.Les réductions de coûts et d’effectifs ont contribué à accroître la pression sur les responsables maintenance depuis de nombreuses années. «D’où l’idée d’accompagner cette fonction, de prendre le temps de réfléchir à son organisation et à l’optimisation de certains projets, ce qui peut être long, explique Phi-lippe Hinfray. Il s’agit d’une sorte d’intérim de haut niveau sur des projets précis, ou d’assistance à la maîtrise d’ouvrage.»

Une fonction transversale très demandéeP2H Global propose ainsi de s’ap-puyer sur trois piliers : la GMAO, des procédures faisant appel aux techniques du «lean» et les res-sources humaines. «Les hommes doivent être impliqués et convain-cus par la démarche», soutient le consultant. Le facteur humain est d’autant plus important que les aléas sont omniprésents. «Une procédure vous dira d’extraire un boulon, mais pas ce qu’il faut faire si celui-ci ne sort pas du premier coup, pointe Philippe Hinfray. Il faut souvent improviser, inventer, même si on essaie aujourd’hui de gérer ces imprévus avec la main-tenance préventive ou prédictive.»Sur le marché de l’emploi, la mainte-nance souffre néanmoins d’un défi-cit de candidats. «Sur 100 offres, on a peut-être 70 postulants dis-ponibles qui correspondent au profil recherché», note Miroslav

Lukic (Li. 90), cofondateur du site Emploi-maintenanceIndustrielle.com et ancien élève du mastère spécialisé Management de la main-tenance d’Arts et Métiers Paris-Tech [lire page 38]. Et, pourtant, les compétences existent… Mais aujourd’hui, offre et demande peinent encore à se rencontrer : «D’où l’intérêt d’un site spécialisé pour donner de la visibilité à ce segment de marché de l’emploi», précise Miroslav Lukic. Lancé en septembre 2013, le site Emploi-maintenanceIndustrielle.com est uniquement dédié aux métiers de la maintenance indus-trielle et se positionne, pour les recruteurs, comme un outil de com-plément aux grands sites généra-listes. À l’opposé d’une démarche sectorielle, «nous avons voulu nous focaliser sur la fonction en elle-même, qui est transversale, com-mune à tous les secteurs d’activité», explique Miroslav Lukic. Depuis un an, plus de 4 000 candidatures ont été renvoyées vers les recru-teurs, parmi lesquels des groupes industriels tels que RTE, Fives Maintenance, Laboratoires Pierre Fabre, Elis ou Nataïs, le leader européen du maïs à pop-corn. Et le trafic affiche 10 000 visiteurs par mois au dernier trimestre 2014.Le déficit de candidats, cumulé aux besoins réels des industriels, est une véritable aubaine pour ceux qui postulent : ils n’ont en général aucune difficulté à trouver un employeur. À condition d’être mobiles et bien informés des réa-lités du marché. «Que ce soit en agroalimentaire, en chimie ou sur un site aéronau-tique, les professionnels de la maintenance utilisent les mêmes méthodes pour travailler sur des compresseurs, des moteurs élec-triques, des pompes, préparer un arrêt d’usine ou une grosse inter-vention. Ils sont ainsi d’une plus grande adaptabilité que les autres», affirme Miroslav Lukic. Et Philippe Hinfray de confirmer : «Si un >>>

Miroslav Lukic,cofondateur du site Emploi-maintenance Industrielle.com :«Les professionnels de la maintenance, ce sont les médecins généralistes de l‘industrie. Ils doivent être capables de poser les bonnes questions pour établir un diagnostic pertinent.»

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opérateur de haut-fourneau aura du mal à se recaser, car il maî-trise un métier très particulier qui n’existe plus en France, ce ne sera pas le cas d’un technicien de main-tenance.»Pour peu qu’un employeur soit suffisamment ouvert, recherche un œil neuf «qui apporte parfois de nouvelles méthodes», glisse Miroslav Lukic, les professionnels de la maintenance peuvent passer d’un secteur à l’autre sans trop de difficulté. Pour Philippe Hinfray, «c’est un métier à part entière. Même si, dans le détail des opéra-tions et des normes, les missions sont plus ou moins spécifiques.» Il est impératif cependant d’adap-ter les principes de la maintenance à l’environnement de production et au contexte d’utilisation réelle des équipements : une machine ne fonctionne pas de la même manière dans un milieu salin, un atelier émetteur de poussières, une salle ultra-propre ou près d’une source de chaleur intense.

Des échelons à gravir au sein de l’entreprisePeu valorisée, comme nombre de métiers de l’industrie, la fonction maintenance dans l’entreprise regroupe pourtant une variété de compétences : technique, organi-sation, optimisation, analyse des flux, énergie, sécurité, normali-sation, coût complet de posses-sion, finance… «C’est en cela que le métier est intéressant, martèle Philippe Hinfray. Remplacer un moteur électrique à l’identique, ce n’est pas compliqué. Mais s’il est dépassé, vous devez être en mesure de proposer une alternative, ce qui signifie connaître les normes, les coûts de l’énergie et les exigences en termes de sécurité.»La maintenance a évolué : des pré-mices de l’informatique, avec la MAO, à la GMAO intégrant l’orga-nisation, les coûts, les historiques et les méthodes de calcul, jusqu’à la gestion des actifs, aujourd’hui. «Désormais, quand une entreprise achète un équipement, elle doit prendre en compte le coût com-plet de possession, donc la main-

tenance, rappelle Philippe Hinfray. Ce qui montre aussi que la fonction peut gravir des échelons dans l’en-treprise. Beaucoup d’entre elles ont encore des directions techniques où la maintenance a son rôle, ce n’est plus un métier où l’on est cantonné à la réparation des équipements.»Mais la fonction a besoin de casser une image dégradée dans l’opinion, chez les futurs candi-dats, mais pas seulement. «Ce sont souvent les parents qui ont une mauvaise image du métier. On le voit sur des salons ou des événements comme les Nuits de

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>>> l’Orientation organisées par les CCI, évoque Miroslav Lukic. Il faut faire connaître les métiers de la maintenance, réussir à mobili-ser les professionnels, qui sont en recherche de compétences, pour diffuser une image plus positive et attirer plus de jeunes vers les for-mations dédiées.» Des PME commencent aussi à se structurer et ont de plus en plus besoin d’un responsable technique avec de vraies compétences en main-tenance. Le bagage technique et les méthodes d’analyse acquis dans les cursus spécifiques et par l’expé-

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Claude Pichot,président de l’Association française des ingénieurs et responsables de maintenance (Afim) : «Qui se souvient que les premiers robots industriels sont nés chez Renault, développés par les services méthodes du constructeur, qui scrutaient la production ?»

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diagnostic pertinent.» Les services maintenance doivent aussi être en mesure de réaliser une enquête et ne pas suivre aveuglement les recommandations de la produc-tion ou du donneur d’ordres. De même, quand il intervient en sup-port de la fonction maintenance, Philippe Hinfray pose un préa-lable : «Rencontrer les différentes équipes, les faire parler de leur quo-tidien, de ce qu’il faudrait amélio-rer, puis analyser la situation sur

rience permettent de passer sans trop de difficulté vers des fonctions de production, «l’inverse étant beau-coup moins évident…», fait remar-quer Miroslav Lukic.

Qualité et productivité sous garantie La curiosité et le savoir-être sont bien évidemment des qualités essentielles pour les profession-nels de la maintenance. «Ce sont les médecins généralistes de l’indus-trie, compare Miroslav Lukic. Ils doivent être capables de poser les bonnes questions pour établir un

le terrain et la comparer aux souhaits de la direc-

tion avant de proposer de la GMAO, du “lean” ou encore une

réorganisation.» L a fonction réclame également de la dis-

ponibilité – les machines ne se calent pas sur votre emploi du temps pour tomber en panne –, de la

souplesse et un esprit de service. «Les responsables

maintenance doivent aussi travailler à leur propre disparition en quelque sorte, ironise

Miroslav Lukic, en met-tant en œuvre des process

plus prédictifs que cura-tifs et en cherchant

à améliorer la f i a b i l i t é d e s équipements.» Dans certains

secteurs, comme l’énergie, la chimie,

la sidérurgie, le ferro-viaire ou l’aéronautique, la

maintenance conserve une impor-tance vitale et les services internes aux entreprises restent étoffés, même si la sous-traitance se déve-loppe. Une sous-traitance dont

sont d’ailleurs souvent exclues les PME et TPE, pour diverses rai-sons liées entre autres à leurs capa-cités financières, à des questions d’assurance voire des compétences techniques trop faiblement repré-sentées dans la structure. Le recours à des prestataires exté-rieurs ne doit pas rimer avec perte de compétences, avertissent les spé-cialistes. Certaines entreprises se retrouvent ainsi désarmées quand il s’agit de départager des offres, ce qui peut provoquer un dérapage des coûts. «C’est surtout le cas dans la

construction, mais cela arrive aussi lors des travaux d’ar-

rêt dans l’industrie, note Claude Pichot (Ai. 65), président de l’Associa-tion française des ingé-

nieurs et responsables de maintenance (Afim) [lire

page 32]. Il faut avoir une bonne connaissance technique de

son projet pour évaluer le sérieux des offres.»La qualité de la maintenance condi-tionne aussi la qualité des produits que l’on fabrique, car il est essen-tiel de conserver un taux de dispo-nibilité des équipements optimal pour assurer la compétitivité de sa production. Or, dans les usines, le taux d’utilisation des capacités productives, lorsqu’on le demande aux industriels, est un chiffre qui s’obtient trop souvent «au doigt mouillé». «D’ailleurs, le rende-ment des équipements de produc-tion s’élève généralement avec le rang hiérarchique de la personne interrogée», sourit Claude Pichot. C’est pourquoi il est indispensable d’être au contact des machines et d’observer les systèmes de produc-tion pour améliorer leur fonction-nement. «Qui se souvient que les premiers robots industriels sont nés chez Renault, développés par les services méthodes du construc-teur, qui scrutaient la production ?» interroge le président de l’Afim. Ce n’est pas parce qu’on ne fabrique pas (ou plus) certaines technologies en France, qu’il faut abandonner la maîtrise de leur fonctionnement. L’avenir de notre industrie passe aussi par là. n Guillaume Arvault

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Chiffres

Marché > Les travaux de l’Observatoire Réseau maintenance permettent, depuis vingt-cinq ans, de mieux appréhender les contours de cette activité, qui n’est pas reconnue comme un secteur économique à part entière.

D epuis 1988, l’Observa-toire Réseau mainte-nance mis en place par l’Association française

des ingénieurs et responsables maintenance (Afim) [lire p. 32]scrute les dépenses de mainte-nance dans l’industrie, le tertiaire et la construction. Et suit les évolu-tions d’un secteur passé, au cours de ces vingt-cinq dernières années, d’activités essentiellement internes aux entreprises à une externali-sation croissante, majoritaire sur les segments hors industrie et en progression constante dans le domaine manufacturier. Dans un certain nombre de branches, les industriels se défaussent sur des prestataires de services de certaines activités qu’elles ne considèrent plus comme stratégiques. La main-tenance en fait partie.Le secteur emploie en France entre 430 000 et 450 000 personnes. Avec plus de 80 % des effectifs, les ouvriers y représentent l’im-mense majorité des intervenants. La proportion de cadres et d’ingé-nieurs dépasse à peine les 2,5 %,

soit environ 12 000 salariés selon les estimations de l’Afim, alors que celle des techniciens et des agents de maîtrise s’établit autour de 15 %. Les besoins annuels de la filière sont estimés à plus de 10 000 diplô-més par an.

Les risques du métierDes travaux de l’Afim ont mis en évidence la forte exposition des opérateurs de maintenance aux risques professionnels. L’occur-rence des accidents graves et mor-tels est en moyenne 2 à 2,5 fois plus élevée que pour la moyenne natio-nale des salariés et celle des mala-dies professionnelles 5 à 6 fois plus haute. Sur certaines pathologies, exposition à l’amiante ou au ben-zène par exemple, les risques sont même plus importants. De même que 15 fois plus de surdités pro-fessionnelles sont détectées chez les opérateurs de maintenance que sur la moyenne des autres métiers. Au début des années 2000, des études menées avec le ministère du Travail avaient pointé que presque un accident grave ou mortel sur

deux était lié à des activités de main-tenance. La maintenance n’étant pas identifiée comme un secteur économique dans les statistiques officielles, l’Observatoire doit donc aller chercher les informations et données économiques auprès des entreprises. Globalement, les dépenses enga-gées cette année par les indus-triels, les entreprises du tertiaire et l’ensemble de leurs sous-trai-tants s’élèvent à plus de 40 mil-liards d’euros. Après vingt-cinq ans d’existence, l’organisme affirme bien connaître les contours des frais de maintenance dans l’indus-trie et leur évolution actuelle. En 2014, il en estime ainsi le montant à 21,5 milliards d’euros (contre 21,2 milliards d’euros en 2013), un chiffre qui devra être consolidé dans les prochains mois. Sur les secteurs du tertiaire et de l’immobilier, où le travail de remon-tée des informations s’avère plus complexe, le chiffre de 19 milliards d’euros (17,6 milliards d’euros en 2013) est avancé, avec plus de 60 % des dépenses liées à des bâtiments et infrastructures publics (État et collectivités locales). Un chiffre qu’il faudra, là encore, affiner en ce début d’année 2015.Dans l ’ industrie, la par t des dépenses internes reste majori-taire. Mais la sous-traitance des activités de maintenance absorbe malgré tout plus de 35 % des dépenses consenties par les entre-prises en 2014, soit plus de 7,5 mil-liards d’euros. Un chiffre en hausse par rapport à 2013 (33 % et 7,1 mil-liards d’euros). Dans ses prévisions, l’Observatoire Réseau mainte-nance avance une externalisation représentant 36 % des dépenses annuelles pour 2015. Dans le sec-teur tertiaire, la sous-traitance capte environ les trois quarts des dépenses de maintenance, avec 13,2 milliards d’euros en 2013 et plus de 14 milliards en 2014. n GA

Une filière qui compte

LE CHIFFRE

21,5 milliards d’euros > C’est le montant estimé par l’Observatoire de l’Afim des dépenses de maintenance dans le seul secteur de l’industrie pour 2014.

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Expert

Claude Pichot (Ai. 65) > Le président de l’Association française des ingénieurs et responsables maintenance (Afim) fait le point sur les enjeux du secteur : besoins en formation et recrutement, sécurité au travail et normalisation européenne.

«Il faut sécuriser les person nels et les procédures»AMM – Comment voyez-vous l’avenir de la fonction maintenance en France ?C’est le premier pilier d’un déve-loppement économique durable. Sans elle, la durée de vie des patri-moines industriel et immobilier serait fortement réduite. Sans parler du coût ! Les décideurs qui n’ont pas compris la nécessité de «sanctuariser» la maintenance en conservant un niveau d’investisse-ment régulier s’exposent à de graves déconvenues. La pression est forte sur les responsables de cette fonc-tion, car tout euro économisé sur ce poste est considéré à court terme comme un euro de résultat net en plus pour l’entreprise… Le constat concerne aussi bien les machines que les procédés et les bâtiments qui les abritent. Il faut également dis-poser des compétences associées : ce n’est pas parce qu’une entreprise achète, en Allemagne ou ailleurs, le centre d’usinage 6 axes ou l’éo-lienne qu’elle exploite, qu’elle est dispensée de maîtriser leur techno-logie afin de les maintenir en état.

AMM – Que préconisez-vous pour améliorer la formation des intervenants en maintenance ?La maintenance, c’est d’abord une affaire humaine. La télémainte-nance et le «machine-to-machine» ne pourront jamais tout régler. Les personnels doivent rester au contact des technologies. Nous avons des difficultés à susciter l’in-térêt des jeunes pour cette filière, et c’est regrettable, car celles et ceux qui s’y engagent témoignent globalement d’une activité pro-fessionnelle satisfaisante. Et les plus de 10 000 diplômés par an n’ont aucun mal à trouver du tra-vail. Nous avons néanmoins subi un recul du niveau technique à la suite de certaines réformes des forma-tions professionnelles et de la dis-parition progressive des machines dans les collèges et lycées. Tout le

BioCLAUDE PICHOT

Président de l’Afim depuis 1987, il dirige également la commission générale de normalisation Maintenance à l’Afnor et est membre du directoire de l’association eCl@ss (1). En parallèle, il est le gérant, depuis 1993, de Défi Consultants. Titulaire d’un DEA d’électricité, Claude Pichot a débuté dans le nucléaire au sein de la Compagnie centrale d’études industrielles (Cocei) comme ingénieur de projet. En 1972, il devient responsable des ateliers centraux de maintenance de la Société nationale de sidérurgie à Annaba (Algérie). Et, en 1977, intègre Séri Renault Ingénierie où il finit directeur technique et du développement. En 1985, il rejoint l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail.

monde se plaint de la faiblesse du nombre d’apprentis en France, par rapport à l’Allemagne notamment, mais beaucoup d’entreprises n’en veulent pas chez elles. Nous aurions besoin d’unités pédagogiques de production pour apprendre leur métier aux étudiants, comme cela se fait dans les restaurants péda-gogiques ou les hôpitaux univer-sitaires. Même les Campus Arts et Métiers ParisTech, mieux pourvus que d’autres en équipements, ne sont pas tous en mesure de produire des prototypes.

Un des problèmes actuels de la formation réside dans le fait que nombre d’ingénieurs qui arrivent sur le marché du travail ne disposent pas d’une bonne connaissance de la réalité des installations indus-trielles. Ils manquent de savoir-faire, faute d’avoir été confrontés à certaines machines au cours de leur formation, alors même que leur métier consiste à créer ce qui n’existe pas ou à améliorer ce qui existe. Nous devons développer pour les ingénieurs ce que nous appelons la «conception orien-

(1) eCl@ss est un standard national et international de description et classification des produits et services industriels conforme aux normes ISO/IEC.

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Plus d’infos sur www.afim.asso.fr

(2) INRS : Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.(3) Interreg IV France-Wallonie-Vlaanderen est un programme européen de coopération transfrontalière doté d’une enveloppe de l’ordre de 276 millions d’euros.

dustrie et les formations en main-tenance. Partenaire du dispositif depuis l’origine, Essilor a réussi à diviser par deux l’occurrence de ses accidents professionnels.

AMM – L’accès aux documents techniques dans les usines vous paraît-il satisfaisant ?Il est capital de conserver dans de bonnes conditions la documen-tation papier des machines et des bâtiments : on suit en effet plus facilement leur dégradation qu’en se fiant aux supports numériques. D’autant qu’il faut être en capa-cité de relire lesdits supports des années plus tard. Dans quinze ans,

aura-t-on l’application et le sys-tème d’exploitation adéquats pour relire les informations contenues sur un DVD, un disque dur ou une clé USB ? Et sans documentation technique, il est illusoire de vou-loir maintenir une technologie dans le temps. Les questions sur l’information et la continuité de la connaissance sont essentielles. Les branches de l’aéronautique, de l’énergie et de la défense, où les documentations techniques sont très suivies, l’ont bien compris. Une tranche d’EDF, par exemple, ce n’est pas loin d’un million de documents à gérer. Heureusement qu’ils sont bien organisés ! Mais si vous allez dans une usine pour demander combien de documents techniques définissent l’installation et où ils sont conservés, vous aurez rarement une réponse satisfaisante.

AMM – Qu’en est-il de la gestion des pièces de rechange ?Depuis le début des années 2000, sous l’impulsion de l’industrie

«Il faut sécuriser les person nels et les procédures»tée maintenance» pour intégrer les éléments qui faciliteront par la suite la durabilité des produits et procédés. Pour attirer les plus jeunes, l’Afim organise en 2015 la 8e édition du Trophée Frontinus pour faire découvrir aux collégiens les technologies et les métiers de la maintenance en entreprise. Ils devront réaliser une vidéo valori-sant la profession avec l’aide d’une société partenaire et d’étudiants de BTS ou DUT, avec lesquels ils pourront dialoguer.

AMM – La sécurité du personnel est l’un des enjeux majeurs, comment la renforcer ?Les opérateurs de maintenance sont en effet très exposés aux acci-dents du travail et maladies pro-fessionnelles. Pour ce qui est des accidents graves, on estime que la moitié d’entre eux sont dus à des défauts de consignation d’énergie ou à des condamnations de cir-cuit erronées. C’est la raison pour laquelle l’Afim s’est attachée avec l’INRS (2) à la sécurisation des sys-tèmes sur lesquels interviennent les personnels en prenant le parti de rendre visibles les éléments de dissipation des énergies. Il y aura toujours des risques liés aux acti-vités de maintenance, mais il faut supprimer ceux qui sont attachés à la surprise d’être confronté à une énergie résiduelle. Quand 500 machines fonctionnent sur un site, un opérateur doit pou-voir déterminer très vite où sont les dispositifs de consignation des énergies (vannes, interrupteurs, capteurs, disjoncteurs…), surtout les intervenants extérieurs qui ne connaissent pas les installations. C’est le sens de la démarche Sécu-rafim qui a pour but d’identifier les points de condamnations des énergies à l’aide de cercles bleus. Elle fait l’objet d’un guide détaillé et d’un logiciel accessible à tous, mis en place depuis deux ans dans l’in-

allemande, le standard interna-tional eCl@ss a permis de limiter «l’anarchie» en matière d’identifica-tion et de description des produits utilisés en travaux neufs et mainte-nance. Or depuis 2007, l’Afim est membre du directoire d’eCl@ss et représente l’association en France. Grâce à ses modèles, nous avons ainsi pu développer avec Renault, le e-catalogue [email protected]. L’idée est de disposer d’une pla-teforme numérique d’échange de données techniques certifiées des produits et composants industriels, pour permettre à chacun d’être sûr de parler de la même chose. Rien qu’en France, plus de 10 millions de composants sont utilisés pour la conception et la maintenance des équipements de production. Et chacun d’eux peut être défini différemment d’une entreprise à une autre. Ec@t-npmi est capable de fournir un descriptif technique et un lien vers la pièce lorsqu’elle est intégrée dans un système complexe pour faciliter sa commande.

AMM – Et l’Europe dans tout ça ?L’Europe commence à s’intéres-ser à la maintenance. L’Afim parti-cipe ainsi au projet «More 4 Core» (2011-2015), piloté par les fonds Interreg IV (3), qui doit permettre une meilleure intégration des marchés de la maintenance dans l’Europe du Nord-Ouest et une amélioration de l’innovation de la filière pour offrir plus de compéti-tivité à l’industrie dans ces régions. Un certain nombre d’acteurs en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en France sont amenés à réfléchir sur la normalisation des activités de maintenance, diffé-rentes selon les États, ou les spé-cialités de chacun en Europe. Une partie du programme concerne aussi l’identification des dépenses et de l’offre de services en mainte-nance dans les pays concernés. n Propos recueillis par GA

«Sans documentation technique, il est illusoire de vouloir maintenir une technologie dans le temps»

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Innovation

Ferroviaire > Outre-Manche, à Manchester, Alstom Transport teste sur des trains pendulaires le service HealthHub qui permettra bientôt de connaître, à titre préventif, l’état de santé réel des pièces et équipements contrôlés.

d’image) pour la compagnie fer-roviaire qui l’exploite. Un incon-vénient majeur que peut éviter la maintenance prédictive.

Capturer des images pour les analyserConcrètement, le service Health Hub va permettre de connaître l’état de santé de chaque «actif» (flotte, trains, composants) d’un coup d’œil sur un tableau de bord adaptable aux besoins des utilisateurs. L’outil de maintenance prédictive s’appuie sur Train Scanner, un portique sous lequel roulent les 56 trains pendu-laires de la West Coast Main Line

exploitée par Virgin Trains, dont la plupart comprennent onze voi-tures. À chacun de leur passage, les images des roues, des plaquettes de frein et des bandes de carbone des pantographes sont capturées à l’aide de scanners 3D à trian-gulation laser [lire encadré]. Ces images sont traitées pour analyser les paramètres clés de chaque équi-pement au centre de calcul d’Alstom Transport. Les données, traduites en informations pertinentes, sont alors renvoyées aux équipes de maintenance de Manchester.Les logiciels d’analyse, on le com-prend, sont un élément impor-

Alstom suit la voie de la maintenance prédictive

Z éro panne. Ce fol objectif du département Services d ’A l s t o m Tr a n s p o r t , constructeur de trains

et de systèmes de signalisation ferroviaire, pourrait être atteint, sinon approché, grâce à la solution HealthHub. Celle-ci a fait bascu-ler le groupe de la maintenance préventive à la maintenance pré-dictive. Ici, le changement n’est pas que sémantique. En effet, si la maintenance préventive permet de planifier le changement d’un composant ou d’une machine à partir d’une durée de vie théorique (nombre d’heures de fonctionne-ment ou de kilomètres parcourus), la maintenance prédictive calcule la durée de vie résiduelle à partir d’informations réelles obtenues par différents moyens (capteurs, caméras…) et analysées par des logiciels spécifiques.L es chercheurs et ingénieurs d’Alstom Transport travaillent sur ce sujet depuis de nombreuses années et leurs tests grandeur nature ont débuté il y a un an envi-ron. L’annonce, fin septembre à Berlin, au salon mondial Inno-Trans, du lancement prochain de HealthHub, la nouvelle prestation d’Alstom Transport Services, est donc l’aboutissement d’un long processus destiné à améliorer la disponibilité des équipements fer-roviaires.Selon Laurent Fromont, vice-pré-sident du département Services d’Alstom Transport, «l’objectif est de réduire significativement les coûts liés à la gestion des flottes de trains en augmentant leur taux de disponibilité». Ici, l’économie sur la gestion des matériels est estimée à 15 %. Il est évident qu’un train tombé en panne sans prévenir est néfaste en termes financiers (et

Franz-Jochim Wegner,responsable marketing du portefeuille maintenance au sein du département Services d’Alstom Transport.

Laurent Fromont,vice-président du département Services d’Alstom Transport.

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DES MOYENS DE CONTRÔLE ADAPTÉS À CHAQUE ORGANE DU TRAIN 1 Roues : 2 systèmes de mesures, avec pour chacun 4 caméras 3D et 4 lasers. 2 Plaquettes de frein: 3 systèmes de mesure, avec pour chacun 2 caméras 3D, 2 lasers et 1 caméra 2D. Les images 2D permettent au contrôleur de premier niveau de détecter la présence ou l’absence d’une plaquette de frein.3 Bandes de carbone des pantographes : 2 systèmes de mesure, avec pour chacun 2 caméras 3D et 4 lasers (2 lasers par caméra en raison de la grande zone de balayage).4 Autres équipements : matériels de signalisation trappes latérales de maintenance, réservoirs des suspension, moteur de traction, boîte de transmission, portes et marches… Au total, une trentaine d’équipements contrôlés via 2 systèmes latéraux avec, pour chacun, 5 lasers et 3 caméras 3D.

du portefeuille Maintenance chez Alstom Transport Services. Paral-lèlement au contrôle des roues, plaquettes de frein et bandes de carbone, les scanners 3D à trian-gulation supervisent le bon posi-tionnement ou la bonne fermeture de divers éléments (vis, antennes, trappes…). D’ici peu, HealthHub sera enrichi d’un système dédié à la surveillance des voies ferrées (aiguillage, caténaires…).

Plusieurs dispositifs de contrôle en synergieParallèlement à cet arsenal de c o n t r ô l e , A l s t o m Tr a n s p o r t exploite le système TrainTracer. Opérationnel depuis 2006, ce dis-positif de surveillance à distance des équipements s’appuie sur un ordinateur, localisé à bord du train, qui pilote un grand nombre de sous-systèmes, tels que la traction ou la climatisation. Les données collec-tées sont, elles, envoyées au centre de maintenance via le réseau de télécommunications adapté au monde ferroviaire, le GSM-R . L’idée de tirer meilleur parti de ces informations en les intégrant à HealthHub est évidemment proje-tée. «In fine», l’objectif est obtenir une radiographie complète de l’état de santé d’un train en temps réel.Cette nouvelle offre devrait donner à Alstom une certaine avance dans l’univers peu médiatisé, mais très concurrentiel, de la sous-traitance de la maintenance des flottes de trains. Rappelons qu’aujourd’hui, le département Services d’Alstom Transport gère plus de 8 300 voi-tures à travers le monde, dont 20 % n’ont pas été construites par l’in-dustriel. Ensemble, ces voitures parcourent chaque jour plus de 4 millions de kilomètres. n Djamel Khames

tant du système. Ils s’appuient sur des algorithmes capables de prédire la durée de vie restante de chaque organe, individuelle-ment, sur la base de l’historique des mesures. Les résultats issus de ces algorithmes facilitent ainsi la planification des opérations de maintenance. Le processus est renouvelé à chaque passage des trains. On compare la nouvelle mesure à l’ancienne. La prévision précédente peut dès lors évoluer. «La précision des mesures atteint 0,5 mm», une prouesse tech-nique que souligne Franz-Jochim Wegner, responsable marketing

Alstom suit la voie de la maintenance prédictive

Les trains de la compagnie britannique Virgin, rattachés au dépôt de Manchester (Grande-Bretagne), sont soumis au dispositif HealthHub depuis un an. Ce service permet de vérifier, à partir de milliers d’informations collectées à chaque passage d’une rame, l’état d’usure de ses pièces et équipements afin de les changer avant leur probable rupture.

L e portique TrainScanner est à la’

base du système de maintenance prédictive développé par Alstom Transport.

Comment fonctionne-t-il ? Lorsqu’un train de la compagnie Virgin passe dessous, il est identifié grâce à un système RFID. On détermine ainsi de quelle rame il s’agit et dans quel sens elle circule. Ces informations permettent aux scanners 3D à triangulation, qui associent lasers et caméras 3D posés sur le portique et au sol, d’adapter leurs mesures. La caméra enregistre la position des points lumineux émis par une source laser ; les images prises sont donc constituées de nuages de points. Elles sont ensuite traitées en deux étapes. La première, réalisée par le sous-système de mesure situé dans le portique, crée un profil normalisé à partir du nuage de points. On en extrait les paramètres clés (épaisseur des plaquettes de frein, diamètre des roues…) qui sont ensuite transmis, dans un format XML, au serveur central («Data Processing Visualization and Repository System»). La seconde étape consiste à stocker ces paramètres dans une base de données structurée, afin d’enrichir l’historique des mesures. Intervient ensuite le calcul de l’état de santé des équipements. Des algorithmes développés à cet effet permettent de connaître avec précision le niveau de dégradation des organes contrôlés et leur durée de vie résiduelle en mesurant les différences entre les derniers paramètres enregistrés et les précédents. Au final, ces informations sont envoyées au service de maintenance chargé des rames de la West Coast Main Line, qui peut planifier ainsi, avec une grande exactitude, les futures visites d’atelier pour opérer les changements des composants trop usés. n DK

Les trains passés au scanner

Cette image du châssis d’un train pendulaire prise depuis le sol par le TrainScanner restitue en 3D ses différents composants, avec un code couleurs qui varie selon leur distance au rail.

Traitement d’images > Clé du dispositif prédictif HealthHub, le portique TrainScanner.

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(1) Office national de l’eau et des milieux aquatiquesPH

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Dossier

Solution

Métaux > La lutte contre la corrosion des ouvrages métalliques permet de prolonger leur durée de vie. Et limite les coûts de maintenance à long terme. Une affaire de spécialistes. À l’instar de Contrôle et Maintenance, la PME de Denis Mondière (Cl. 91).

d’une baisse d’investissement des collectivités locales dans la main-tenance et le renouvellement des canalisations.Les grands donneurs d’ordre sous-traitent le plus souvent la mainte-nance de la protection cathodique, qui reste un domaine assez pointu, pour lequel le Centre français de l’anticorrosion (Cefracor) peut servir de ressource aux ingénieurs. «Il est important de sensibiliser les industriels et les acteurs de la

construction à la lutte contre la corrosion, notamment pour anti-ciper, dans les appels d’offres, les mesures à prendre pour protéger les ouvrages», plaide Denis Mondière. Souvent oubliée dans la conception des systèmes, la protection pâtit ensuite d’un mauvais choix ini-tial de matériaux ou d’assemblage d’éléments, qui feront grimper les coûts de maintenance, voire met-tront l’ouvrage en danger. «Dans certains cas, avec une eau salée et

La protection cathodique, gage de durabilité

A nticiper les problèmes pour éviter une explo-sion des coûts, ou pire des accidents indus-

triels. C’est à ce titre que la lutte contre la corrosion des ouvrages métalliques peut s’avérer décisive. Une question critique lorsque ces ouvrages sont au contact d’un milieu électrolytique : canalisations enterrées d’eau ou de gaz, arma-tures du béton, structures soumises à un environnement salin… La solution ? La protection catho-dique. Elle consiste à protéger la structure de l’ouvrage reliée au pôle négatif (cathode) d’une batterie, en réduisant la vitesse de corro-sion grâce à l’utilisation d’un métal relié au pôle positif (anode), qui va se dégrader sous l’effet du courant électrique.

Des tuyaux et des fuites« L a p r o t e c t i o n c a t h o d i q u e engendre des coûts relativement faibles par rapport aux risques encourus sur des éléments enter-rés dont on ne voit pas l’évolution et qui peuvent subir des dommages importants, donc beaucoup plus coûteux à long terme», avance Denis Mondière (Cl. 91), prési-dent de Contrôle et Maintenance, PME spécialisée dans les mesures

électriques et la protection catho-dique en particulier.Dans son rapport 2014 sur les performances des services publics de l’eau et d’assainissement, cité par «Les Échos» le 20 novembre, l’Onema (1) évoque «un milliard de mètres cubes de fuites d’eau par an dans les réseaux de distribution d’eau potable en France, soit 20 % de l’eau traitée et mise en distribu-tion qui sont perdus». Un chiffre qui tend à se dégrader en raison

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une configuration particulière, la corrosion peut endommager l’ou-vrage en quelques mois !» avertit Denis Mondière. Consulté suffi-samment en amont, l’ingénieur spécialisé en protection cathodique a un vrai rôle à jouer dans l’optimi-sation des éléments. «Nous avons ainsi pu faire abaisser le coût d’un projet en déterminant que certains éléments de protection cathodique préconisés à notre client n’étaient pas nécessaires.»

Le couple infernal sel-humiditéLes futurs développements des énergies marines renouvelables [lire AMM déc. 13-jan. 14, p. 24] offrent de nouvelles perspec-tives à ce secteur, très important en environnement marin du fait de l’accélération de la corrosion liée au couple sel-humidité. Les EMR pourraient servir de relais de croissance aux marchés tradition-nels de la protection cathodique dans les réseaux de gaz, d’eau, les pipelines, lignes à haute tension, stations de pompage, usine de des-salement, centrales nucléaires et autres zones portuaires, voire la protection interne de citernes ou de conteneurs. «Les énergies marines font partie de nos objectifs», confirme Denis Mondière, qui mise aussi sur un développement des activités por-tuaires mondiales et vient de décro-cher un contrat pour la protection cathodique de l’usine marémotrice de la Rance. Dans un contexte de préservation des ressources et des matières premières, l’activité a sans doute un rôle à jouer, sachant que, selon les estimations, entre 100 et 158 millions de tonnes d’acier dis-paraissent chaque année dans le monde sous forme de rouille. n GA

D epuis près de vingt-cinq ans, Mecason propose des systèmes innovants de surveillance continue

des machines tournantes critiques, comme alternative ou complément des analyses vibratoires périodiques. «L’idée est d’utiliser le bruit généré par les organes mécaniques plutôt que les vibrations pour détecter les anomalies de fonctionnement, rappelle son créateur Guy Duchamp (Ai. 69). Le capteur étant plus sensible, il repère les risques de défaillances avant que l’endommagement soit irréversible. Ce qui est le cas des accéléromètres utilisés classiquement, comme l’a confirmé dernièrement SKF, le leader mondial des roulements. La particularité majeure du dispositif est de réagir aux défauts de lubrification.»À l’origine, les capteurs Mecason ont commencé à se diffuser dans les industries du pétrole, du traitement de l’eau, la sidérurgie, la cimenterie, puis dans les équipements de transport par câble en montagne et, plus récemment, dans la petite hydroélectricité. Guy Duchamp connaît bien cette profession car il est lui-même exploitant d’une petite centrale électrique qu’il a entièrement rénovée, et sur laquelle il se plaît à dire que, «grâce à cette surveillance et aux appoints de

graisse effectués, certains roulements affichent plus de 140 000 heures au compteur.»Les capteurs Mecason invitent les utilisateurs à engager un contrôle de leurs machines par le déclenchement d’alarmes. La maintenance est ainsi plus proactive et peut favoriser des changements de pratiques chez les industriels : «L’un de nos plus anciens clients va désormais demander aux opérateurs de production, plus proches des machines, de prendre en charge le graissage des roulements quand le système déclenche une alarme.»Pour accompagner ses produits, Mecason propose des formations. En effet, Guy Duchamp, qui a été ingénieur d’application des lubrifiants pour Total pendant dix ans, a découvert que la lubrification à la graisse des roulements est beaucoup plus aléatoire que ne le pense la majorité des gens. «Les industriels n’imaginent pas les gains économiques potentiels qu’ils pourraient obtenir s’ils surveillaient mieux leurs équipements», conclut le patron de Mecason. Mais il est difficile de bousculer certaines habitudes, aussi Guy Duchamp est-il à la recherche de partage d’expériences avec des experts en mécanique qui souhaiteraient mettre en œuvre ses approches. n GA

Mecason, le sonar des machines tournantes

Dossier

Focus

Outil > Ces capteurs très sensibles utilisent le son pour mettre en évidence des dysfonctionnements de roulement avant qu’il y ait dégradation mécanique.

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Denis Mondière (Cl. 91), président de Contrôle et Maintenance lors d’une mesure de corrosion sur site gazier. Son entreprise, basée à Sens, intervient essentiellement pour sécuriser la production, le transport et le stockage de fluides (eau, gaz, produits pétroliers…) et d’électricité mais voit dans les énergies marines renouvelables un important relais de croissance pour son activité.

Guy Duchamp (Ai. 69), patron de Mecason lors d’une installation de capteurs sur les équipements (moteur et réducteur d’entraînement) d’un gros télésiège à Saint-Gervais (Haute-Savoie) .

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Spécialisation > Depuis 25 ans, Arts et Métiers ParisTech propose à Paris l’une des rares formations françaises en management de la maintenance via un mastère spécialisé placé sous la direction du LCPI. Un cursus offrant d’intéressants débouchés.

et la spécialisation des gadzarts, le mastère s’est peu à peu ouvert au secteur tertiaire, mais aussi à d’autres profils de candidats.D ’o c t o b r e à m a r s, l a fo r m a -tion théorique propose près de 400 heures de cours qui s’articulent autour de deux grands axes de sept modules chacun : le management de la maintenance (sûreté de fonc-tionnement, gestion des stocks, maintenance du patrimoine immo-bilier, qualité…) et les techniques et la gestion de la maintenance (ingé-nierie, gestion du comportement des composants, surveillance des installations, hygiène-sécurité-environnement…).«Cette formation est dispensée à 80 % par des professionnels issus de nos partenaires industriels comme EDF, Saipem, Vinci, Spie, Cege-lec, Solvay ou GDF-Suez», pointe le directeur du LCPI Améziane Aoussat. La thèse professionnelle commence dès le début du mastère. Elle s’échelonne sur trois fois une semaine pour élaborer le projet en entreprise, avant de passer à temps plein en mars, pour une soutenance en octobre. Les pro-jets doivent impérativement inté-grer une dimension managériale : «C’est un critère de validation, on ne forme pas des techniciens mais des managers, rappelle Améziane Aoussat. Le savoir-être est notam-ment vérifié pendant la période de temps plein en entreprise.» Car pour faire de cette fonction une source de profits, «il faut des ingé-nieurs et de bonnes méthodes !»Il y a vingt-cinq ans, la création du MS Management de la main-tenance répondait à une forte demande industrielle – d’EDF et Rhodia notamment – pour recruter des ingénieurs spécialisés après leur

«Formons managers en mai ntenance avec savoir-être et méthodes»

Le master spécialisé en management de la maintenance dispensé au LCPI,

à Paris, accueille en moyenne une vingtaine d’étudiants chaque

année. La plupart sont issus d’autres écoles

d’ingénieurs qu’Arts et Métiers ParisTech,

ont des formations universitaires,

ou viennent de l’étranger.

Améziane Aoussat,directeur du Laboratoire Conception de produits et innovation (LCPI)de Paris.

D estinée aux ingénieurs et cadres d’entreprises, la formation dédiée au management de la main-

tenance est proposée depuis 1989 par le Laboratoire Conception de produits et innovation (LCPI) d’Arts et Métiers ParisTech. Ce

mastère spécialisé (MS) lie forte-ment les dimensions techniques et managériales pour dévelop-per les capacités de l’ingénieur à prendre sur ce sujet des décisions cohérentes avec la politique éco-nomique et sociale de l’entreprise. Tourné à l’origine vers l’industrie

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formation initiale. Les gadzarts constituaient alors la majorité de la promotion. La situation a changé depuis : peu d’ingénieurs Arts et Métiers choisissent désormais cette voie. «Nos étudiants proviennent d’autres écoles d’ingénieurs, de for-mations universitaires, et aussi de l’étranger. Nous accueillons égale-ment des professionnels en recon-version ou pour un enrichissement de leurs compétences», indique Améziane Aoussat.

Un accélérateur de carrièreLe recrutement sur dossier et entre-tien s’est donc adapté, avec la véri-fication de prérequis techniques pour les candidats extérieurs à l’École, et de prérequis scientifiques pour les candidats professionnels en réorientation. Le nombre de candidats souffre cependant un peu de l’image de la maintenance : «Ce domaine n’est pas très vendeur pour nombre de jeunes. Certains ont encore l’image du mécanicien, du bleu de travail et de la burette d’huile ! Il faut casser ces clichés et prendre le temps d’expliquer la dimension managériale de ce métier via des actions de commu-nication ciblées des écoles et des instances professionnelles», plaide le directeur du LCPI. L e MS accueille en moyenne une vingtaine d’étudiants, 16 en 2014, contre 19 en 2013 et 20 en 2012. Il existe pourtant une forte demande industrielle sur des pro-fils de managers avec des besoins précis en termes de compétences, «demande à laquelle nous ne pou-vons pas répondre aujourd’hui faute de candidats». Pas étonnant, donc, que sur la promotion 2013, 18 étudiants aient été embauchés dès leur diplôme en poche.

«Formons managers en mai ntenance avec savoir-être et méthodes»

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Les mastériens trouvent des débou-chés en tant que responsable main-tenance, ingénieur qualité ou de maintenance, consultant ou chef de projet dans de grands groupes, en interne ou en sous-traitance. Parmi les principaux employeurs, on retrouve les partenaires du mas-tère parisien : EDF, Saipem, Vinci, Spie, Cegelec, Solvay ou encore la Direction générale de l’arme-ment (DGA). «Nous travaillons très peu avec des PME sur ce secteur», reconnaît Améziane Aoussat. Ce mastère spécialisé étant une formation alliant compétences terrain et compétences managé-riales avec un accompagnement très fort, dès la fin de l’année, les étudiants sont opérationnels et aptes à prendre des responsabilités en entreprise. «Les témoignages d’industriels dans le cadre de cette formation sont très importants. Ce sont essentiellement des synthèses d’expériences, résume Améziane Aoussat. L’un des principaux inter-venants m’a souligné que les ingé-nieurs y gagnaient au minimum trois ans en termes de maturité et d’expérience !» Ils peuvent ainsi prétendre à des postes dont l’évo-lution est différente de ce que l’on pourrait proposer à un ingénieur sorti d’école juste après sa forma-tion initiale.Avec ce mastère spécialisé, «Arts et Métiers ParisTech joue à plein son rôle d’ascenseur social», estime le directeur du LCPI, en permettant à d’autres étudiants, issus d’écoles moins prestigieuses ou de l’univer-sité, de pousser la porte de grands groupes industriels pour décrocher des postes auxquels ils n’auraient certainement pas pu prétendre sans cette formation au sein de l’École. Nul ne s’en plaindra. n GA