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L A L ETTRE AAAF 13 LES histoires de L’HISTOIRE Georges VILLE, un des deux français avec Roger BETEILLE à être reconnu « pionnier Airbus » lors de la cérémonie « Airbus Heritage » en janvier 2001, a contribué pendant plus de trois décen- nies de vie professionnelle à façonner l’histoire de cette coopération euro- péenne ; sa participation à l’aventure Airbus comporte 4 périodes, chacune d’elles se distinguant par une nouvelle entreprise et un nouveau métier : de 1965 à 1974, ingénieur de mar- que Airbus au STAé ; de 1974 à 1986, directeur adminis- tratif et financier à Airbus Industrie ; de 1986 à 1998, directeur adjoint de la division Avions d’Aerospatiale ; depuis 1999, en position de retraité avec le temps de la réflexion. Il est sans doute, aujourd’hui, l’un des rares acteurs de cette histoire à pou- voir apporter cette connaissance aiguë des vrais enjeux aussi bien techniques et industriels que financiers et d’orga- nisation, moins connus mais importants pour la compréhension de la réussite de la coopération Airbus. Il a accepté pour LA LETTRE AAAF, de nous faire revivre, à travers ses souve- nirs personnels, cette grande histoire de la construction aéronautique mon- diale, marquée par une concurrence féroce débouchant sur la confrontation entre deux géants : Airbus et Boeing. Cette chronique s’appuie sur le docu- ment « Un demi-siècle d’aéronautique en France : les programmes Airbus » préparé par George VILLE pour le Comité pour l’histoire de l’aéronau- tique (COMAERO) en 2005. Au cours de l’exposé, pour distinguer les souve- nirs personnels exprimés à la première personne du singulier, ceux-ci seront présentés en italiques. Avant de rentrer dans la présentation de cette belle aventure, il est utile de connaître les spécificités de l’activité dans laquelle elle prend place et ceci est l’objet du premier chapitre intro- ductif. De dimension mondiale, il fait intervenir trois acteurs : le passager et son besoin de transport, exprimé sous la forme du trafic aérien ; la compagnie aérienne et la mise en œuvre opérationnelle du transport ; le constructeur d’avions de transport et la réalisation des produits. LE MARCHÉ DU TRANSPORT AÉRIEN Le développement du trafic aérien, à la fin des années 1950, est lié à l’exploi- tation des avions équipés de turbo- réacteurs seuls considérés ici. L’évolution de la croissance, élevée sur la période 1950-2000 (de l’ordre de 16 % vers 1960 et de 5% vers 2000) fait apparaître de fortes variations cycliques, en corrélation avec les fluc- tuations décennales de l’économie (figure 1). Pour répondre à ce besoin, les compa- gnies aériennes ont mis en exploitation une flotte d’avions dont la figure 2 pré- sente l’évolution au niveau mondial (hors ex-URSS) avec comme ordre de grandeur en 2000 : le total cumulé des avions livrés (18 000), la flotte totale des avions disponibles (13 500) prenant en compte le cumul des avions retirés de l’exploitation (4 500), la flotte totale des avions en exploita- tion (12 500) après déduction des avions non utilisés (1 000). Figure 1 : croissance annuelle du trafic régulier Les histoires d’AIRBUS PAR GEORGES VILLE, PIONNIER AIRBUS, ANAE ET AAAF L’Airbus A380 a décollé pour son vol inaugural, le 27 avril 2005 de l’aéroport de Toulouse-Blagnac devant plusieurs milliers de pas- sionnés d’aviation, venus fêter son succès. Le plus gros avion civil jamais construit est donc européen. Comme les Airbus déjà nombreux qui l’ont précédé, c’est le fruit d’une coopération européenne, une véritable aventure commencée dans les années 60, dont le succès n’était pas acquis d’em- blée, loin s’en faut, à une époque où le marché ; dominé par les avionneurs américains, augurait une lente agonie de la construc- tion aéronautique civile en Europe. Comment dans une telle adversité, le système Airbus a-t-il pu s’épanouir et devenir aujourd’hui l’égal de Boeing sur le marché des avions civils ? Figure 2 : évolution de la flotte des avions de transport à réaction Les particularites du marché des avions de transport civil Georges Ville

Les histoires d’AIRBUS georges ville (2).pdf · L’ Airbus A380 a décollé pour son vol inaugural, le 27 avril 2005 de l’aéroport de Toulouse-Blagnac devant plusieurs milliers

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Georges VILLE, un des deux françaisavec Roger BETEILLE à être reconnu« pionnier Airbus » lors de la cérémonie« Airbus Heritage » en janvier 2001, acontribué pendant plus de trois décen-nies de vie professionnelle à façonnerl’histoire de cette coopération euro-péenne ; sa participation à l’aventureAirbus comporte 4 périodes, chacuned’elles se distinguant par une nouvelleentreprise et un nouveau métier : • de 1965 à 1974, ingénieur de mar-

que Airbus au STAé ;• de 1974 à 1986, directeur adminis-

tratif et financier à Airbus Industrie ;• de 1986 à 1998, directeur adjoint de

la division Avions d’Aerospatiale ;• depuis 1999, en position de retraité

avec le temps de la réflexion.

Il est sans doute, aujourd’hui, l’un desrares acteurs de cette histoire à pou-voir apporter cette connaissance aiguëdes vrais enjeux aussi bien techniqueset industriels que financiers et d’orga-nisation, moins connus mais importantspour la compréhension de la réussitede la coopération Airbus.

Il a accepté pour LA LETTRE AAAF, denous faire revivre, à travers ses souve-nirs personnels, cette grande histoirede la construction aéronautique mon-diale, marquée par une concurrenceféroce débouchant sur la confrontationentre deux géants : Airbus et Boeing.

Cette chronique s’appuie sur le docu-ment « Un demi-siècle d’aéronautiqueen France : les programmes Airbus »préparé par George VILLE pour leComité pour l’histoire de l’aéronau-tique (COMAERO) en 2005. Au coursde l’exposé, pour distinguer les souve-nirs personnels exprimés à la premièrepersonne du singulier, ceux-ci serontprésentés en italiques.

Avant de rentrer dans la présentationde cette belle aventure, il est utile deconnaître les spécificités de l’activitédans laquelle elle prend place et ceciest l’objet du premier chapitre intro-ductif.De dimension mondiale, il fait intervenirtrois acteurs :• le passager et son besoin de

transport, exprimé sous la forme dutrafic aérien ;

• la compagnie aérienne et la mise enœuvre opérationnelle du transport ;

• le constructeur d’avions de transportet la réalisation des produits.

LE MARCHÉ DUTRANSPORT AÉRIENLe développement du trafic aérien, à lafin des années 1950, est lié à l’exploi-tation des avions équipés de turbo-réacteurs seuls considérés ici.

L’évolution de la croissance, élevée surla période 1950-2000 (de l’ordre de16 % vers 1960 et de 5% vers 2000)fait apparaître de fortes variationscycliques, en corrélation avec les fluc-tuations décennales de l’économie(figure 1). Pour répondre à ce besoin, les compa-gnies aériennes ont mis en exploitationune flotte d’avions dont la figure 2 pré-sente l’évolution au niveau mondial(hors ex-URSS) avec comme ordre degrandeur en 2000 :• le total cumulé des avions livrés

(18 000),• la flotte totale des avions disponibles

(13 500) prenant en compte le cumuldes avions retirés de l’exploitation(4 500),

• la flotte totale des avions en exploita-tion (12 500) après déduction desavions non utilisés (1 000).

■ Figure 1 : croissance annuelle du trafic régulier

Les histoires d’AIRBUSPAR GEORGES VILLE, PIONNIER AIRBUS, ANAE ET AAAF

L’Airbus A380 a décollé pour son vol inaugural, le 27 avril 2005 de l’aéroport de Toulouse-Blagnac devant plusieurs milliers de pas-sionnés d’aviation, venus fêter son succès.Le plus gros avion civil jamais construit est donc européen. Comme les Airbus déjà nombreux qui l’ont précédé, c’est le fruitd’une coopération européenne, une véritable aventure commencée dans les années 60, dont le succès n’était pas acquis d’em-blée, loin s’en faut, à une époque où le marché ; dominé par les avionneurs américains, augurait une lente agonie de la construc-tion aéronautique civile en Europe.Comment dans une telle adversité, le système Airbus a-t-il pu s’épanouir et devenir aujourd’hui l’égal de Boeing sur le marché desavions civils ?

■ Figure 2 : évolution de la flotte des avions de transport à réaction

Les particularites du marché des avions de transport civil

■ Georges Ville

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L’ACTIVITÉ DE CONSTRUC-TION AÉRONAUTIQUELe comportement souvent aventureux,de certaines compagnies aériennes apour conséquence une évolution deslivraisons nettement plus chahutéeque les fluctuations du trafic comme lemontre la figure 3Confrontée aux exigences des compa-gnies aériennes pour une présencemondiale sur tous les créneaux d’utili-sation (en termes de capacité et derayon d’action), l’activité de construc-tion aéronautique s’exercedans le cadre d’un marchétrès concurrentiel et aussiéminemment politique.Pour maintenir leur pré-sence, les constructeursaéronautiques doiventposséder :

• non seulement l’expérien-ce et le savoir-faire per-mettant d’intégrer lesavancées technologiquesdéterminantes pour l’effi-cacité de leurs produits(pour Airbus, il ne fautoublier de dire à ce pro-pos « merci Concorde,sans lui Airbus n’aurait jamais pu réus-sir ») ainsi que le savoir-faire commer-cial pour les faire reconnaître ;

• mais également les ressourcesfinancières importantes nécessaires

pour entrer et se maintenir sur lemarché.

Le commerce des avions civils estfondé sur l’utilisation du dollar UScomme monnaie de référence du prixde vente et aucun argument ne permetd’entrevoir une évolution de cettesituation dans un proche avenir. Poursituer l’impact d’une telle situation surla compétitivité des entrepreneurs, ilfaut appréhender la « juste valeur éco-nomique » de la parité dollar/euro (laplus représentative pour la construc-

tion aéronautiquecivile ?) Bien que touteproposition dans cedomaine comporte unepart d’incertitude etd’arbitraire, un faisceaud’arguments convergevers une égalité du dol-lar et de l’euro (1 dollar= 1 euro = 6,56 FF) ;comment cette « justevaleur économique » a-t-elle évolué dans lepassé à partir du tauxde change corrigé desdifférences d’inflation ?La comparaison entrele taux économique

Téco et le taux réel Tréel est présentéeen moyenne annuelle de 1970 jusqu’à2003 à la figure 4 (les taux présentéssont relatifs au dollar et au franc fran-çais).

Les positions relatives des deux indi-cateurs qualifient les écarts de com-pétitivité monétaire entre l’Europe etles États-Unis : la corrélation avec lacroissance économique en Europeserait facile à mettre en évidence maisce n’est pas l’objet du présent exposé.La situation des constructeurs euro-péens d’avions civils est fragilisée parle considérable risque monétaire asso-cié à ces changements de parité.Dans le cas présent pour Airbus avec100% des recettes et 50% des coûtsexprimés en dollars, le risque porte surun équivalent de 50% du chiffre d’af-faires (pour un chiffre d’affaires de 20milliards de dollars et un taux de 1 dol-lar = 0,8 euro, le risque atteint 2milliards d’euros) ; à terme si une tellesituation se prolonge, la pérennitéd’Airbus en tant qu’industriel euro-péen peut être mise en cause.

LE DUOPOLE BOEING-AIRBUSL’ensemble des coûts liés à la com-mercialisation et à l’amortissementdes frais de développement conduit àun volume de frais fixes déterminantdans l’économie de la compétition.Une analyse macro-économique deleur couverture par les marges de pro-duction montre que seuls deux cons-tructeurs se partageant également lemarché peuvent rentabiliser et péren-niser leur activité. Ces considérationspermettent de mieux comprendre lasituation actuelle du duopole Airbus-Boeing.Avant de voir Airbus atteindre cettesituation, le chemin a été long commele montre l’évolution de sa part demarché présenté en figure 5.

Expliquer ce long cheminement est unelongue histoire qu’il convient de repren-dre à son début. Cette histoire fera l’ob-jet, dans LA LETTRE AAAF, de 7 épisodes,calqués sur 7 périodes remarquables del’histoire d’Airbus :

• 1965-1968 : la gestation, avec lelancement en 1967 de la phase pré-liminaire de définition de l’A300 parla signature d’un protocole d’accordtripartite entre les gouvernementsfrançais, anglais et allemand ;

• 1968-1970 : la naissance, marquéepar le retrait du gouvernement bri-tannique, la signature en 1969 d’unaccord intergouvernemental franco-allemand et la création, le 18 décem-bre 1970, d’Airbus Industrie ;

■ Figure 3 : évolution des livraisons annuelles d’avions de transport à réaction

« Une analyse macro-économique de l’amor-tissement des fraisfixes par les margesde production montreque seuls deux cons-tructeurs se parta-geant également lemarché peuvent ren-tabiliser et pérenni-ser leur activité. Cesconsidérations per-mettent de mieuxcomprendre la situa-tion actuelle du duo-pole Airbus-Boeing »

■ Figure 4 : évolution des taux de change entre le dollar et le franc français (moyenne annuelle)

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• 1970-1974 : l’enfance, révélant la per-tinence des organisations techniqueset industrielles mises en place pour leprogramme de développement del’A300B ;

• 1974-1978 : la jeunesse, avec laconsolidation des premiers résultats,malgré un environnement peu favora-ble, l’apprentissage du marché et lamise en place des organisations admi-nistratives et financières ;

• 1978-1984 : l’adolescence, marquéepar la reconnaissance du produit par lemarché, le retour des Britanniques etle lancement de l’A310 ;

• 1984-1998 : l’âge adulte, associé àune nouvelle équipe de direction, aulancement et à la mise en service desfamilles A320 et A330-A340, et aupartage du marché mondial avecBoeing ;

• à partir de 1998 : la maturité, concré-tisée par le maintien d’une pénétrationcommerciale égale à celle de Boeing,le lancement de l’A380 et la mise enplace d’une nouvelle organisationindustrielle, plus classique.

■ Figure 5 : part Airbus en % du marché mondial des avions de ligne

ENVIRONNEMENT

AIRBUS

BOEING

McDonnel Douglas

Lockeed

SUD AVIATION

1966

23/12/65 : Création de ARGEAirbus devenu Deutsche Airbus(DA, le 4/9/67)

13/O4/66 : lancement 747long courrier quadrimoteur ( Pratt & Whitney JT9D)

1967

01/O7/67 : Instauration de laCommission Européenne com-me organe exécutif de la CEE

26/9/67 : Protocole d’accordgouvernemental A300 (Sud-Aviation, HSA, DA)

28/04/67 : McDonnel absorbeDouglas pour former MDD

11/09/67 : Lancement L1011triréacteur (Rolls Royce RB211)

01/67 : Nomination de MauricePapon comme président

1968

01/07/68 : Union douanièrede l’Europe des six

projet A300 moribond

(9/2/69 : 1er vol du B747 ;30/12/69 CDV du B747)

lancement DC10 triréacteur(General Electric CF6)

O7/68 : Nomination de HenriZiegler comme président

Ier Episode : La Gestation d’Airbus : 1966 - 1968

■ CDV : Certificat de Navigabilité, GE : General Electric; MDD : McDonnel-Douglas ; RR : Rolls-Royce ;

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UNE CONJONCTURE MONDIALE FAVORABLE

LA PÉRIODE DES « TRENTE GLORIEUSES »Les années 60 sont marquées, en Europe, par la mise en œuvre de laCommunauté Economique Européenne des Six (CEE), créée le 7 mars 1957dans le cadre du traité de Rome, avec comme étape importante, l’instaurationde la Commission comme organe exécutif, le 1er juillet 1967.

Entraînée par le dynamisme des Etats-Unis et bénéficiant de surcroît d’un envi-ronnement économique et monétaire favorable résultant des accords deBretton-Woods de juillet 1944 (un référentiel de parités fixes basées sur l’étalonor, dans lequel, le taux élevé de l’US $ constitue un avantage appréciable pourles économies européennes en reconstruction), l’Europe Occidentale se déve-loppe à un rythme soutenu, pendant cette période dite des « Trente Glorieuses »(ouvrage de Jean Fourastié) qui se prolongera jusqu’en 1975.

UN MARCHÉ TRANSPORT AÉRIEN EN EXPANSIONLe transport aérien et la construction d’avions de transport civil se développentà un rythme soutenu marqué par :• un trafic en forte croissance (taux annuel de l’ordre de 15 à 20%) ;• l’arrivée des turboréacteurs à grand taux de dilution offrant une réduction de

consommation de 20% en même temps qu’une réduction du bruit au décolla-ge et en approche ;

• un savoir-faire acquis par les constructeurs à l’occasion des programmes d’a-vions de transport militaire et des programmes de transport civil subsonique etsupersoniques.

LES BESOINS DES COMPAGNIES AÉRIENNESDans leurs réflexions prospectives, les compagnies aériennes affichent unegrande réticence vis à vis du transport supersonique, malgré les projets desavionneurs français Sud-Aviation et britannique BAC associés pour le dévelop-pement du produit Concorde par le traité franco-britannique signé à Londres le29 novembre 1962, et le projet ambitieux d’avion supersonique à géométrievariable SST 2707 de Boeing, retenu le 31 décembre 1966 par le gouvernementaméricain mais qui n’aura pas de suite.

Ils soulignent en revanche leur intérêt pour des avions de grande capacitérépondant mieux à la croissance du trafic aérien.

ETATS-UNIS : DES SOLUTIONS QUADRI ET TRIMOTEURSAux Etats-Unis, sous l’impulsion de Pan Am et d’American Airlines, les compa-gnies précisent dans ce domaine leurs besoins de capacité et de rayons d’ac-tion dans les missions « long-courrier » et « moyen-courrier » « coast to coast »,adaptées à leur marché domestique.

LE CARACTÈRE TRIANGULAIRE DES ALTERNATIVES POSSIBLESPour répondre à la demande, les constructeursaméricains sont dans une position privilégiée, sus-ceptible d’affermir encore une domination sanspartage de l’activité de construction aéronautique,avec trois formules possibles (bi, tri et quadri-réacteurs), trois motorisations possibles (P&W,GE et RR) et trois avionneurs expérimentés :Boeing, McDonnell Douglas et Lockheed. Cecaractère triangulaire des alternatives possiblesaurait dû conduire à une totale mainmise américaine sur le marché…, si l’un destrois avionneurs avait retenu la solution bimoteur (voir l’Encart N°1).

UN CHOIX AUX LOURDES CONSÉQUENCESEn effet, Boeing, avec la commande de PanAm, lance le 13 avril 1966 son 747long-courrier quadriréacteur, équipé du moteur Pratt & Whitney JT 9 D. Quant à McDonnell Douglas (MDD, résultat de l’absorption de Douglas parMcDonnell le 28 avril 1967) et Lockheed, ils s’engagent en janvier 1968 dansdeux programmes triréacteurs concurrents, destinés aux lignes intérieures amé-ricaines : le DC 10, équipé du moteur General Electric CF 6, et le L 1011Tristar, équipé du moteur Rolls Royce RB 211.Le choix stratégique de MDD et Lockheed laissera ainsi à Airbus, pour untemps, l’exclusivité de la formule bimoteur qui, associée aux nouveaux réacteurs

La fiche programme établie en 1966 par AmericanAirlines et retenue comme référence correspondaitpourtant bien à un avion moyen courrier destiné auxlignes intérieures américaines (250 places et 2500km) dont l’adaptation technique conduisait à une solu-tion bimoteur. Cette solution bimoteur sera cependant abandonnée auprintemps 1967 par les constructeurs américains auprofit de la formule trimoteur à la demande de nom-breuses autres compagnies américaines, les unes poursatisfaire le « coast to coast » (traversée est-ouest ducontinent) et les autres pour juguler le « syndrome deDenver » (aéroport peu favorable à une exploitation parbimoteur en raison d’une altitude élevée et d’un accèsdifficile au milieu des Rocheuses).La solution trimoteur s’avérera fortement pénalisanteavec les nouveaux réacteurs à fort taux de dilutionpour plusieurs raisons, à la fois techniques et opéra-tionnelles :– l’encombrement important du réacteur rend malaiséeson installation à l’arrière de l’avion ;– le taux de dilution favorise le bimoteur par son effetmaximal sur la poussée au décollage ; – les coûts élevés de maintenance de la propulsion quidépendent principalement du nombre de moteurs et deleur accessibilité, ne sont pas favorables au réacteurarrière ;– la forte amélioration de fiabilité de fonctionnementapportée par ces nouveaux moteurs réduit les limita-tions d’exploitation imposées aux bimoteurs et leurouvre des domaines réservés précédemment aux tri etquadrimoteurs.

Ce choix entraînera la disparition des deux construc-teurs américains de la construction aéronautique civileet sera un facteur essentiel dans la réussite d’Airbus ;à ce propos, on peut rappeler que les propositions dudirecteur technique d’American Airlines, Franck KOLK,furent reprises par Roger BÉTEILLE pour définir lesspécifications de l’A380.

DES CHOIX TECHNIQUESAUX

LOURDES CONSÉQUENCES

à fort taux de dilution, se révélera leconcept opérationnel le plus por-teur d’avenir. Le succès d’Airbusainsi que la conception des futursproduits Boeing tous en formulebimoteur en seront la parfaitedémonstration.

EUROPE : L’HEURE DE LA CONCERTATION

UN CONTEXTE INDUSTRIEL PEU FAVORABLEEn Europe les industries britannique etfrançaise, pionnières dans le domaineavec les mises en service des premiersavions de transport à réaction long-courrier (le Comet de de Havilland en1952) et moyen-courrier (la Caravellede Sud Aviation en 1959), ne semblentplus en mesure de valoriser leur savoir-

« Le caractère triangulairedes alternatives possibles… aurait dû conduire à unetotale mainmise américainesur le marché…, si l’un destrois avionneurs avait rete-nu la solution bimoteur »

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faire face à la concurrence américainepour de multiples raisons : • aucun pays européen ne représente

un marché domestique suffisant pouroffrir aux constructeurs locaux lanécessaire vitrine opérationnelle quipermettrait de rentabiliser les lourdsinvestissements par l’ouverture dumarché mondial à la commercialisa-tion des produits ;

• sur le marché des long-courriers, lesaccidents initiaux du Comet et lesdélais pour les expliquer et les corri-ger ont laissé le champ libre à laconcurrence américaine avec lesBoeing 707 et Douglas DC8, tousdeux particulièrement réussis ; lesderniers modèles du Comet et leVC10 mis en service respectivementen 1958 et 1964 arrivent trop tard etne sont pas suffisamment compétitifspour prendre place sur le marché ;

• dans le domaine des moyen-cour-riers, l’insuffisance du marché euro-péen est aggravée par les cloisonne-ments nationaux et la dispersion desefforts : si le marché domestique auxEtats-Unis peut supporter la compéti-tion entre les Boeing 727 et 737 et leDouglas DC9, l’Europe n’a pas ladimension pour assurer une clientèlesuffisante au trio de produits euro-péens en compétition, Caravelle,Trident et BAC111 (augmentés bien-tôt du Fokker F28) ;

• la dimension industrielle des compé-titeurs européens n’est pas à la hau-teur des exigences de la constructionaéronautique civile. Les nécessairesrestructurations et concentrationsprennent du retard et freinent le lan-cement des nouveaux produits (voirl’Encart N°2) ;

• également, le tassement des res-sources, autant humaines que finan-cières, provoqué par les énormesbesoins du programme Concordemodère les ardeurs des responsa-bles de l’industrie et des administra-tions pour accepter le lancement denouvelles opérations.

UN MÊME CONSTAT DE NOUVEAUX BESOINSDans ce contexte industriel peu favora-ble, les perspectives de croissanceattendues de la mise en place du mar-ché commun conduisent néanmoins aumême constat de nouveaux besoins enterme de transport aérien civil.

A l’initiative d’Air France et de sondirecteur général l’IGA Joseph Roos,un symposium réunit à Londres enoctobre 1965 onze compagnies euro-péennes et les constructeurs français,britanniques et allemands. Les discussions convergent vers unbesoin d’avions « gros porteur » de

200 à 300 sièges adaptés aux liaisonsdomestiques européennes. Cette posi-tion commune est annoncée bien queles positions individuelles restent enco-re éloignées : Lufthansa réclame unecapacité plus faible, BEA (BritishEuropean Airways) une moyenne et AirFrance une plus grande.

LA SITUATION EN FRANCE

Les constructeurs françaisLes constructeurs français impliquésrassemblent leurs moyens pour êtrepartie prenante du marché.L’entreprise publique Sud Aviation,forte de la réalisation de la Caravelle etdu développement en cours duConcorde multiplie, par l’entremise deson président le Général AndréPUGET, les contacts avec l’administra-tion et les partenaires européens envue de préparer le terrain pour une par-ticipation de sa société aux futurescoopérations en gestation. Il est écartéde son poste en janvier 1967 au profitde Maurice PAPON ancien préfet depolice qui, sans affinité particulièreavec le métier, n’aura pas l’autorité per-mettant de faire aboutir les discus-sions. Elles n’aboutiront qu’avec lanomination de Henri ZIEGLER en juillet1968 (voir l’Encart N°3).

La société privée des Avions MarcelDassault souhaite élargir son champd’activité aux avions commerciaux civilsavec le projet Mercure. Elle bénéficied’un préjugé favorable résultant del’efficacité démontrée pour ses avionsde combat Mirages et pour l’avion d’af-faires Mystère XX désigné Falcon 20aux Etats-Unis.

Le rôle des services officielsLes services du Secrétariat Général àl’Aviation Civile (SGAC) sont les pre-miers à s’impliquer dans la réflexion,sans qu’Airbus soit une priorité dansleurs préoccupations. Au niveau desservices, les ICA Jean DELACROIX etBernard LATREILLE responsablessuccessifs du bureau du matérielvolant sont beaucoup plus motivés etdeviennent les chevilles ouvrières desdémarches engagées. Les équipes du SGAC traduisent lesbesoins des compagnies dès 1965sous la forme d’une fiche programme,base de définition du futur produit :capacité de 200 à 225 sièges, rayond’action de l’ordre de 1000 km, confortréduit (qualifié de « spartiate »), critèred’optimisation basé sur les DOC(coûts directs d’exploitation).

Pour les évaluations des propositionstechniques des constructeurs, lesreprésentants du SGAC s’appuient surles experts du STAé : l’ICA JeanSEGUIN ingénieur de grande expérien-ce dans le domaine des avions detransport civil et moi-même, en chargedu projet Airbus. Les analyses prennent aussi en comp-te les aspects commerciaux du marchéet les coûts d’exploitation en s’ap-puyant sur des outils spécifiquementdéveloppés par un jeune INA JeanPeyrelevade responsable, à l’époque,des études économiques au SGAC.

Avec Jean PEYRELEVADE, nousaurons souvent l’occasion de travaillerensemble pour préparer les dossiersde lancement du programme Airbus.Dès janvier 1966, nous présentons

En France, répondant au vœu de l’Etat qui souhaite la concentration de l’industrie aéronautique, Dassault prend le 27juin 1967 le contrôle de Breguet Aviation (appelé jusqu’en 1966 Société Anonyme des Ateliers d’Aviation Louis Breguet.L’administrateur directeur général de Breguet Henri Ziegler reviendra plus tard dans le paysage Airbus en prenant en 1968la présidence de Sud Aviation). Les deux sociétés fusionneront sous la forme d’une absorption de Dassault par Breguet le14 décembre 1971 pour créer l’entreprise AMD-BA.Il faudra attendre 1970 pour voir s’opérer la fusion des entreprises publiques Sud Aviation, Nord-Aviation et SEREB encréant l’entité SNIAS (Société Nationale Industrielle Aérospatiale) devenue plus tard Aerospatiale.En Allemagne, l’industrie encore plus dispersée commence une première recomposition autour des entités VFW(Vereinigte Flugtechnische Werke créée en 1963), Messerschmitt Bölkow, Hamburger Flugzeugbau et Dornier ; la restruc-turation finale se règlera en deux temps : en 1979 avec l’absorption de VFW, Messerschmitt Bölkow et HamburgerFlugzeugbau pour constituer l’entreprise MBB et en 1989 par la reprise de l’ensemble de la construction aéronautique enAllemagne par Daimler et la constitution du groupe DASA (Daimler-Benz Aerospace S.A.).Au Royaume Uni, les restructurations ont conduit dès 1960 à la création de deux groupes d’avionneurs majeurs :• BAC (British Aircraft Corporation) est créée par incorporation des activités de Bristol Aircraft, English Electric Aviation,

Vickers-Armstrongs Aircraft et Hunting Aircraft. Ses principaux produits civils sont les avions à turboréacteurs VC10 etBAC111 et à turbopropulseurs Viscount et Vanguard. BAC est le partenaire britannique retenu pour la coopérationConcorde ;

• HSA (Hawker Siddeley Aviation) absorbe les activités de de Havilland très affaibli financièrement par les difficultés duprogramme Comet. Les principaux produits civils de la nouvelle entité sont les avions de transport à turboréacteurs CometIV et Trident. Les deux entités BAC et HSA fusionneront en 1977 pour constituer le groupe British Aerospace (BAe).

En Espagne, l’absorption en 1972 d’Hispano-Aviation rassemble tous les avionneurs dans le groupe CASA.

LES RESTRUCTURATIONS EN EUROPE

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une étude préliminaire sur le program-me « Aérobus » présentant différentschoix de définition de l’avion : bi ouquadriréacteur, forme d’aile et sectiondu fuselage. L’efficacité des solutionsenvisagées est mesurée au niveau desperformances techniques et des coûtsd’exploitation.

C’est peu de temps après ces pre-miers travaux que le directeur du STAé,l’IGA André VIALATTE me demandede quitter la section Etudes Généralespour prendre la responsabilité de lamarque Airbus en cours de création àla section Avions. Je reconnais avoiraccepté avec une certaine réticencecette promotion, n’ayant pas envie dequitter le monde de la technique pourcelui de la gestion. Cet événementconstitue le premier maillon de la chaî-ne qui va me lier définitivement àl’aventure Airbus.

LA SITUATION AU ROYAUME UNIDepuis la fin des années 50, les britan-niques s’intéressent aux avions detransport de grande capacité : le comi-té Lightill (du nom de son président)constitué pour réfléchir sur le sujet prô-nera pour une réalisation en coopéra-tion européenne ; il utilisera pour la pre-mière fois le mot Airbus pour qualifierles avions de transport moyen-cour-riers de grande capacité. Les deuxavionneurs BAC et HSA démarrèrenten interne leurs premières études dèsle début des années 60 et s’efforcentd’élargir leur coopération avec lesindustriels européens principalementfrançais. Après la décision prise en1962 de lancer avec la France le déve-loppement du programme Concorde,l’avion de grande capacité n’est plusune priorité pour le Royaume Uni.A cette époque, le challenge principalpour les britanniques réside dans lelancement d’un moteur de nouvelle

génération et de grande poussée parRolls Royce de manière à assurer à cedernier le maintien de sa position vis-à-vis de ses grands concurrents améri-cains Pratt & Whitney et GeneralElectric. Toutefois, le choix du moteurPratt & Whitney et le rejet de la propo-sition Rolls Royce par Boeing pour son747 en 1966 poussent les responsa-bles britanniques à un rapprochementen direction de l’Europe avec l’objectifd’associer une participation britan-nique à un programme commun auchoix du moteur Rolls Royce pour leproduit à réaliser.

LA SITUATION EN ALLEMAGNE Les limitations imposées depuis 1945dans les activités d’armement et aéro-nautiques ont cantonné l’industrie alle-mande dans les domaines de la main-tenance, de la sous-traitance ou de lafabrication sous licence. Poussée parson épanouissement industriel et éco-nomique, l’Allemagne souhaite sortirde ce ghetto et revenir dans un domai-ne prometteur aux plans technique etindustriel.

Après une coopération réussie avecl’industrie française dans le program-me d’avions de transport militaireTransall lancé en 1959, une participa-tion à un programme civil en coopéra-tion européenne représente la voieidéale pour y parvenir : ceci explique laconstante volonté allemande de voiraboutir le processus engagé concer-nant l’Airbus.

Pour se préparer à la future coopéra-tion, l’industrie allemande rassembleses moyens dans un groupe d’étudescommun le « Studiengruppe Airbus »constitué dès juillet 1965 puis transfor-mé à partir de décembre 1965 en uneassociation informelle « l’Arbeitsge-meinschaft Airbus ».

Les innovations techniques proposéespar les industriels allemands pour affir-mer leur retour dans l’aéronautiquesont souvent insolites, à l’image d’unpremier projet de quadriréacteur à ailehaute (le VEB Baade BB 152) et d’au-tres programmes lancés au plan natio-nal comme le Hansa Jet (voilure à flè-che inversée) et plus tard le VFW 614(2 moteurs MH45 implantés sur l’extra-dos de la voilure). A la fin de 1967, l’entreprise communeDeutsche Airbus GmbH est créée parles industriels allemands pour lesreprésenter formellement dans les dis-cussions en cours ; le Dr BERNHARTWEINHARD, gérant de la firme Bölkowen devient le premier président.

LA MISE EN PLACE DE LA COOPERATION EUROPEENNE

LA CONCERTATION EUROPÉENNE Des administrations aux motiva-tions diversesInitiées au départ par les administrationsfrançaise et britannique les discussionssont ensuite élargies à celle d’Alle-magne. La concertation européenne serévèle être le moteur essentiel pour faireavancer les choses, même si les objec-tifs de chacun diffèrent :

• en France, c’est la seule voie poursortir des blocages budgétairesimposés par le ministère desFinances ;

• Au Royaume Uni, le maintien dans lacompétition de Rolls-Royce, après lechoix par Boeing du moteur Pratt &Whitney pour le B 747, pousse lesresponsables gouvernementaux à unrapprochement politique en directionde l’Europe avec l’objectif d’associerune participation britannique au choixd’un moteur Rolls-Royce de nouvellegénération ; les secrétaires d’Etat àl’aviation chargés du dossier dans legouvernement d’Harold WILSON,Fred MULLEY puis John STONE-HOUSE, sont tout deux favorables àl’idée de la coopération européenne ;il n’en sera malheureusement plus demême à partir de 1968 lorsque leministre de l’industrie WedgwoodBenn, très proche des Etats-Unis,reprend la responsabilité du dossieren succédant à John STONEHOUSEnommé ministre des postes et télé-communications

• en Allemagne, l’épanouissementindustriel du pays et l’efficace impli-cation de Franz Josef STRAUSSpoussent à une participation à cedomaine d’avenir.

PAPON CHEF D’ENTREPRISEA propos de la nomination de Maurice Papon à la tête de Sud-Aviation en janvier 67, Roger Béteille se souvient quecelui-ci avait publié un ouvrage sur la direction des grandes entreprises sans avoir aucune expérience dans le domai-ne. Ancien préfet, mis en disponibilité à la suite de l’affaire Ben Barka, il aurait alors demandé qu’on lui en confie unepour mettre ses idées en pratique : Sud Aviation fut choisie pour la simple raison qu’on pouvait sans difficulté en écar-ter son président, le Général Puget, en le nommant ambassadeur à Stockholm. Le nouveau président, sans affinité particulière avec le métier n’apporta aucune compétence reconnue pour conforterla position de Sud-Aviation et faire progresser les discussions en cours. A l’époque, quelques journalistes facétieux sou-lignèrent la continuité du parcours de l’ancien préfet, passant des « cellules de prison » aux « cellules d’avion » !Maurice Papon a été très vite déçu en constatant que les pouvoirs d’un président de Société Nationale étaient beau-coup plus restreints qu’il ne l’aurait cru et que la réalité n’avait guère de rapport avec ses idées théoriques. De plusn’étant pas anglophone, ceci le laissait en dehors de bien des subtilités du métier.Heureusement, Maurice Papon est élu député en juin 1968 – une conséquence inattendue des événements de mai 68– lors des élections législatives qui suivirent la dissolution de l’Assemblée Nationale. Il démissionne de sa présidencepour partir en politique. Pour lui succéder, le gouvernement français fait appel, en juillet 1968, à Henri Ziegler, une per-sonnalité du monde aéronautique connue pour sa grande expérience, qui concrétisera la véritable naissance d’Airbus.

DU RÔLE DES POLITIQUES DANS LA CONSTRUCTION AÉRONAUTIQUE - I

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LE PROTOCOLE D’ACCORDTRIPARTITE DE 1967 : PREMIÈREPIERRE DE LA COOPÉRATIONEUROPÉENNEPas moins de quatre rencontres inter-ministérielles, de mai 66 à juillet 67,seront nécessaires pour faire aboutirles discussions pour le lancement d’unprogramme adapté au besoin euro-péen (capacité de 250 sièges et rayond’action de 2 000 km) : le 26 septem-bre 1967 dans la résidence deLancaster House à Londres, les minis-tres Jean CHAMANT, John STONE-HOUSE et Klaus SCHNETZ signent le« Protocole d’Accord lançant la phasede définition du projet d’Airbus Euro-péen » et posent ainsi la première pier-re de la coopération européenne.Ce protocole d’accord couvre les tra-vaux de développement : de la cellule,sous maîtrise d’œuvre de Sud-Aviationavec la participation d’Hawker Sidde-ley Aviation et de Deutsche Airbuscomme associés ; du moteur RollsRoyce RB 207, de conception et sousmaîtrise d’œuvre de Rolls Royce,assisté de la SNECMA et de MAN.

Avec la signature du protocole d’ac-cord tripartite, l’organisation des servi-ces officiels français se met en place.l’IGA Jean FORESTIER est nommédirecteur de programme chargé de lagestion officielle pour les deux ministè-res concernés (Transports et Défense).Je suis désigné comme ingénieur demarque Airbus au STAé et investi desmissions d’agence exécutive gouver-nementale cellule (coordination des tra-vaux des administrations et interfaceavec le maître d’œuvre industriel) (voirl’Encart N°4).

L’ORGANISATION INDUSTRIELLELe redéploiement de la coopérationindustrielleLes décisions gouvernementalesconduisent au déploiement de lacoopération industrielle, entre Sud-Aviation, désigné par le gouvernementfrançais, HSA, désigné par le gouver-nement britannique, et DeutscheAirbus (DA), société commune crééepar l’industrie allemande pour ce pro-gramme.

L’organisation industrielle se met enplace au départ sous la forme d’unestructure informelle ayant pour objet laréalisation d’un produit baptisé A 300(A pour Airbus, 300 pour 300 places).

Une équipe qui gagneRoger Béteille est désigné en juillet1967 comme directeur du programmepour Sud-Aviation et coordinateur duprogramme pour l’ensemble des cons-tructeurs. Jim THORNE, directeur de

l’usine de Hatfield, est son correspon-dant chez HSA. Enfin, le partenaireallemand choisit Félix KRACHT pourreprésenter DA. Le courant passeimmédiatement entre les trois person-nalités désignées : ceux-ci ne lâcherontAirbus que lors de leur départ à laretraite dans les années 80 et auronttous un rôle majeur dans l’édificationde la coopération. Roger Béteille etFélix Kracht seront les architectes del’organisation Airbus Industrie et JimThorne sera à l’origine du maintien àtitre privé de HSA en 1969 et du retourbritannique dans la coopération Airbusen 1979.

Le partage des travauxLes grandes lignes du partage des tra-vaux sont établies dès cette époquesous la responsabilité de Félix Krachten tenant compte du principe de lasource unique, des compétences dechacun et des interfaces les plus judi-cieuses :• A Sud-Aviation, maître d’œuvre et

architecte industriel, reviennent l’as-semblage final, la partie centrale dufuselage (nœud de raccordemententre les parties avant et arrière dufuselage et les deux demi voiluresexternes), les mats réacteurs, lessystèmes et le cockpit. cette part detravail est proche de celle d’Aero-spatiale sur le Concorde : ainsi beau-coup d’avancées techniques acqui-ses lors du développement de cedernier seront appliquées surl’Airbus lequel en tirera un grandavantage par rapport aux produitsconcurrents.

• A HSA, la conception et la produc-tion de la voilure. Les constructeurset les établissements de recherchebritanniques avaient une avancetechnique reconnue dans l’optimisa-tion aérodynamique des voilures envol subsonique à Mach élevé ; HSA

(repreneur du constructeur duComet de Havilland) venait en parti-culier de démontrer un brillant savoir-faire avec la mise en service en 1964de son dernier produit moyen cour-rier, le Trident. Il était donc logiquedans le partage industriel Airbus delui confier la responsabilité de la voi-lure.

• A DA, le fuselage, les empennageset les aménagements commerciaux.L’industrie allemande avait déjà eu laresponsabilité du fuselage dans leprogramme d’avion de transport mili-taire Transall en coopération avecNord Aviation.

Félix KRACHT doit être remercié pouravoir su avec lucidité et courage trou-ver la bonne répartition, la faire accep-ter par tous (surtout par le partenaireallemand) et la conserver tout au longdes programmes.Il a réussi à maintenir un cap fermedans ce domaine malgré les vents indi-vidualistes des partenaires souventprêts à remettre en cause les fonde-ments de son organisation. On peutdire avec le recul du temps que le sys-tème Airbus lui est redevable, de cefait, d’une grande part de son efficaci-té actuelle.

Les aléas de la coopérationEn dépit de ce bon démarrage, lespéripéties qui suivent montrent com-bien l’avenir d’Airbus semblait biencompromis à la fin de l’année 1968.

LES ERREMENTS DU PROJET A300Rapidement, les discussions avec lescompagnies aériennes montrent que leconcept « spartiate » imposé pour leconfort des passagers correspond àune vision technocratique et qu’unereprise des études à partir de spécifi-cations plus réalistes s’avère indispen-

UNE MAÎTRISE D’ŒUVRE FRANÇAISE DIFFICILE À SUPPORTERLes responsabilités d’Agence Exécutive furent difficiles à assumer au cours de cette première phase de coopération tri-partite (septembre 1967 à mars 1969) en face d’une administration britannique ne pouvant supporter une maîtrise fran-çaise dans la conduite du programme. LES ALLEMANDS EN POSITION D’ARBITREA l’époque, ma situation de jeune ingénieur principal de l’air comparée à celle de mon correspondant britannique dénom-mé Brown (je n’ai pas retrouvé son prénom) plus âgé, plus gradé (général) et ancien directeur du centre d’essais en volde Boscombe-Down ne facilitait pas l’affirmation de ma position.Les situations conflictuelles se manifestaient particulièrement en présence du troisième partenaire de la coopération dontla position dans les discussions fut déterminante entre les égales participations de la France et du Royaume Uni : cha-cun menait ses propres entreprises de séduction pour tenter de faire passer son point de vue.LE RÔLE DES EXPERTS BRITANNIQUESToutefois, les experts officiels britanniques (Morris, Handel Davies, Dr Cameron, Courtney…) sont de grande compéten-ce et apportent au cours de cette phase de lancement un savoir-faire utile pour la connaissance du marché et la miseen place des méthodologies et argumentaires techniques ; nous devons le reconnaître et leur en savoir gré, même si leurcomportement ultérieur ne fut pas à la hauteur de nos espérances.

L’ATTITUDE DES BRITANNIQUES – I : LES RÉTICENCES DE L’ADMINISTRATION ANGLAISE

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Esable. La refonte du projet basée surune référence de confort « accep-table » conduit à de notables augmen-tations de la masse et du prix de l’a-vion : la détérioration des coûts d’ex-ploitation par siège (dépassant alors lecritère fixé par le Protocole d’Accord)ne pouvant être compensée que par unaccroissement de la capacité.

Cette évolution va conduire à un produittrop gros par rapport aux besoins desclients et ceux-ci exprimeront leur insa-tisfaction en de nombreuses occasions.

LE CHOIX DU MOTEUR ROLLSROYCE POUR LE L1011 ET SESCONSÉQUENCESDe tels changements répondent auxattentes de Rolls-Royce et l’on peutmême supposer que cette entrepriseles encourage : l’orientation du moteurRB207 vers des poussées élevées (del’ordre de 25 tonnes) évite ainsi toutrecouvrement avec le RB211 retenupour le L1011 de Lockheed (pousséeinitiale de 18 tonnes pouvant être por-tée à 22,7 tonnes). Rolls-Royce pense profiter de ce dou-ble développement pour faire suppor-ter au programme Airbus la plus gran-de part des dépassements financiersattendus pour le programme RB211,en raison des concessions excessivestechniques et financières consenties àLockheed pour forcer la décision. Cesengagements hasardeux auront delourdes conséquences et conduirontRolls-Royce à une faillite retentissante.Un signe de cette volonté est le niveaude prix de vente proposé à Airbus pourle RB207, de 50 % plus élevé quecelui du RB211 pour un supplément depoussée de seulement 20 %.De plus cette orientation met l’avenir duprogramme totalement entre les mainsde Rolls-Royce et du gouvernement bri-tannique (seul le moteur RB207 offreune poussée compatible avec lesbesoins de l’avion A300). Une telle vul-nérabilité du programme est inaccepta-ble pour les autres parties prenantes etne peut conduire qu’à la rupture de lacoopération.

LE RETRAIT DU GOUVERNEMENTBRITANNIQUECes dernières péripéties soulignentcombien le choix du moteur RollsRoyce RB211 pour le Lockheed L1011perturbe la coopération naissante etmet en lumière la duplicité desBritanniques : le gouvernement ayantassuré la présence de Rolls-Royce surle marché des nouveaux moteurs n’at-tache plus le moindre intérêt à lacoopération Airbus. Il l’affiche ostensi-

blement d’ailleurs en acceptant l’enga-gement de commandes de L1011 parla compagnie britannique BEA (BritishEuropean Airways). Depuis sa prise de fonction début1968, Wedgwood BENN, ministre encharge du dossier est opposé à toutecollaboration européenne et va utilisertous les moyens à sa disposition pourdiscréditer la coopération et en sortirsans dommage : les errements dans ladéfinition du produit et le caractère peuattrayant du projet présenté le confor-tent dans son attitude négative et vontjustifier au début de l’année1969 ladécision de retrait du Royaume Uni dela coopération Airbus.

UN SEVRAGE DE 30 ANSCette attitude britannique me choqueprofondément : mes convictions euro-péennes sont bafouées et je ne peuxsupporter le rôle joué par BEA, princi-pal instigateur de la mauvaise évolutiondu produit A300. Aussi, je fais le vœuxde ne plus boire de whisky tant qu’unecompagnie portant le flambeau britan-nique ne passera pas commande deproduits Airbus. Pour retrouver le goûtdu breuvage écossais, il me fallutattendre 1999 – trente années plustard – et l’engagement de BritishAirways en faveur de l’A320 : cetteabstinence forcée fut certainementbénéfique pour ma santé et je devraiscertainement en remercier nos parte-naires britanniques !

LE DÉSENGAGEMENT DU POU-VOIR POLITIQUE FRANÇAISEn France également, le pouvoir poli-tique n’est guère favorable à la pour-suite du programme : inquiets desdérapages du programme Concorde etdes faiblesses témoignées dans ledémarrage de la nouvelle coopération,les pouvoirs publics se prononcent auprintemps 1968, sans l’annoncer enco-re officiellement, pour un arrêt des tra-vaux sur le programme Airbus. Dans lemême temps, le gouvernement françaiss’engage en faveur de Dassault et duprogramme Mercure (voir l’EncartN°5).

Sur ces entrefaites, les événements demai 1968 en France surviennent etdéstabilisent encore la coopération etla position française : les grèves asso-ciées retardent l’avancement des tra-vaux et reportent la fourniture et l’exa-men des dossiers prévus par le proto-cole de septembre 1967. La réputationde la France et de son industrie en res-sort ébranlée.

Georges VILLE nous contera, dans ledeuxième épisode « La naissanced’Airbus », comment, mettant à profitun sursis de 6 mois accordé par les pou-voirs publics, le nouveau président deSud-Aviation, Henri Ziegler, parviendra àretourner favorablement la situation,avec une nouvelle proposition, préludeau futur programme Airbus A300B.

LA LETTRE AAAFÉditeur : Association Aéronautique etAstronautique de France, AAAF – 6, rue Galilée, 75016 ParisTél : 01 56 64 12 30 • Fax : 01 56 64 12 31 [email protected] • www.aaaf.asso.frDirecteur de la publication : Michel SCHELLERRédacteur en chef : Khoa DANG-TRANComité de rédaction : Michel de la BURGADE,Shirley COMPARD, Claude HANTZ, JacquesHAUVETTE, Philippe JUNG, Georges MEAUZERédaction : Tél : 01 46 73 37 80 ; Fax : 0146 73 41 72 ; E-mail : [email protected]

Ont notamment collaboré à ce numéro : Fernand d'AMBRA, Valérie GUÉNON, ChristianMARCHAL, Jérôme PORA, Georges VILLE.

Crédits Photos : ONERA, Airbus.Conception : Khoa DANG-TRAN, S. BOUGNONRéalisation : Sophie BOUGNON Imprimerie : AGI SYSTEM’S Dépôt légal : 1ème trimestre 2004

ISSN 1767-0675 / Droits de reproduction, texte et

illustrations réservés pour tous pays

A propos de la décision du gouvernement en faveur du Mercure, Henri ZIEGLER déclare que « les raisons n’étaient pasindustrielles, mais politiques et financières car 1968 était une année électorale et la différence entre une compagnie pri-vée et une compagnie publique c’est que, si la première avait le droit de verser de l’argent dans les caisses électorales,la seconde ne l’avait pas ».Cette proposition est de plus appuyée par le jeune et nouveau secrétaire d’Etat à l’Emploi Jacques Chirac sensible à l’ar-gumentation de Dassault et aux perspectives d’implantations industrielles à Seclin (près de Lille), Martignas (près deBordeaux), Poitiers et Istres.

DU RÔLE DES POLITIQUES DANS LA CONSTRUCTION AÉRO-NAUTIQUE – II : LE LANCEMENT DU MERCURE

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UN ENVIRONNEMENTCHANGEANT MAIS ENCORE PROPICE

Des changements à la tête des états impliquésAu niveau politique, l’apparition de nou-veaux leaders dans la conduite desEtats à vocation aéronautique civile vapeser sur la coopération Airbus. Enparticulier aux Etats-Unis, l’arrivée deRichard Nixon se traduit par un fortsoutien de l’administration aux indus-tries américaines stratégiques commel’armement et l’aéronautique en s’ap-puyant sur tous les moyens à sa dispo-sition y compris l’arme monétaire : onen mesurera les conséquences sur lemarché des avions civils au cours despériodes qui vont suivre.

En Europe, l’entrée en vigueur de l’UnionDouanière le 1er juillet 1968 se traduit parla disparition des droits de douanesentre les Six et une même tarificationpour tous les produits en provenancedes états tiers (voir ENCART N°1).

Encore peu de perturbations au plan monétaireSeules les monnaies françaises et alle-mandes voient leurs parités réajustéespour harmoniser des productivitésnationales malmenées par les événe-

ments de 1968 : le 8 août 1969, lefranc est dévalué de 11% pour com-penser les augmentations de salairesaccordées après mai 1968 ; le 27 octo-bre 1969, le deutsche mark est rééva-lué de 9% entérinant ainsi la bonnesanté de l’économie allemande et larigueur de sa gestion.

Un trafic et un marché des avions civils erratiquesLe trafic poursuit son évolution favora-ble, avec un taux de croissance néan-moins plus raisonnable voisin de 12%.

Les Histoires d’Airbus 2ÈME EPISODE : LA NAISSANCE D’AIRBUS : 1969 - 1970

Nous continuons la publication de la série d’articles de Georges VILLE, consacrée à l’histoire d’Airbus. Dans ce deuxième épisode,Georges VILLE nous raconte l’histoire mouvementée de la naissance de l’entreprise Airbus (1969-1970).

ENVIRONNEMENT POLITIQUE 20 janvier : Election Richard Nixon23 avril : Démission du Général de Gaulle20 juin : Election Georges Pompidou21 octobre : Election Willy Brandt

18 juin : élection de Edward Heath

Dévaluation du Franc de 11%Réévaluation du DM de 9%Croissance du trafic 13%

Croissance du trafic 9%

Déc. 68 : Proposition A300B 250 sièges10 avril : Retrait du gouvernement britannique29 mai : Accord franco-allemand24 juillet : Maintien de HSA dans AIOctobre : Choix moteur CF6-50

18 décembre : Assemblée constitutive du GIEAirbus Industrie

9 février : 1er vol 747 22 janvier : mise en service 747Fin d’année : 96 avions 747 exploités

ENVIRONNEMENT ECONOMIQUE

AIRBUS

BOEING

McDONNEL DOUGLAS

LOCKHEED

CONSTRUCTEURS EUROPEENS

1969 1970

Mars : lancement DC-10-30 long courrieravec moteur renforcé CF6-50

29 août : 1er vol DC-10-10

16 novembre : 1er vol L-1011

1er janvier : fusion VFW-Fokker24 février : certification du Fokker F282 mars : 1er vol Concorde9 avril : lancement Mercure1er octobre : Concorde Mach1

4 nov. : Concorde à Match 2

AI : Airbus Industrie ; GE : General Electric; MDD : McDonnel-Douglas ; RR : Rolls-Royce ;

L’entrée en vigueur de l’Union Douanière le 1er juillet 1968 entraîne la disparition des droits de douane entre lesSix et une même tarification pour tous les produits en provenance des états tiers ; les procédures d’applicationvont se révéler défavorables à Airbus dans sa compétition avec les avionneurs américains. D’une part, les achats aux Etats-Unis d’avions et de rechanges associées par les compagnies aériennes européennessont exemptés de droits de douanes pour ne pas les pénaliser par rapport à leurs concurrents américains ; en revan-che pour protéger les fournisseurs européens d’équipements, les rechanges au titre des équipements américains mon-tés sur les produits européens (tel Airbus) sont soumis aux droits de douanes à leur entrée en Europe.On aboutit ainsi à la situation paradoxale qu’une même rechange d’équipement américain acheté par un client euro-péen est taxé ou non selon la nationalité de l’avionneur acheteur (et ceci au détriment de la compétitivité d’Airbus). Il fallut des années de discussions avec les services des Etats concernés et ceux de la Commission pour faire admet-tre la perversité de la procédure et la faire évoluer dans un sens plus équitable.

LES EFFETS PERVERS DE L’UNION DOUANIÈRE EUROPÉENNE1

■ Geoges Ville

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Toutefois, le comportement desacteurs entraîne une accumulation decommandes, fin 1970, à un niveaudémesuré par rapport au besoin dutrafic : dès 1969 le ralentissementapparaît et conduit lors de son passa-ge au point bas en 1971 à une baissede 65% des livraisons par rapport à1968, avec des conséquences drama-tiques sur les plans de charge desindustriels.

Etats-Unis : des difficultésde mise au point favorablesà AirbusAux Etats-Unis, les dépassements decoûts et les retards consécutifs à desdéveloppements des avions de gran-de capacité plus délicats que prévusainsi que le fort ralentissement d’acti-vité à partir de 1970 seront difficiles àsupporter par les entreprises, notam-ment pour Boeing.La situation de Boeing est ébranléepar le développement du 747 : lesnombreuses augmentations de masserequièrent une poussée plus élevéeentraînant de grandes difficultés pourle motoriste. Le 1er vol est effectué le9 février 1969 avec plusieurs mois deretard et le certificat de navigabilitéobtenu le 31 décembre de la mêmeannée. Ces difficultés de mise au point cou-plées aux à-coups du programme deproduction consécutifs à un rythmeinitial de livraisons trop rapide (96avions exploités dès la fin de l’année1970) se traduiront par de lourdesrépercussions financières pourBoeing.Ces difficultés auront des répercus-sions positives pour l’avenir d’Airbus :en effet après avoir investi plus de2 Md $ pour le développement du747, Boeing n’a plus de ressourcesdisponibles pour apporter à temps uneréponse pertinente à la concurrenced’Airbus. Lorsqu’il pourra le faireaprès avoir rétabli sa situation à la findes années 70, sa riposte sera exem-plaire mais elle arrivera trop tard pourrejeter Airbus hors du marché.

Europe : de nombreux programmesconcurrents de l’AirbusEn Europe, la plupart des avionneursn’affiche pas un grand enthousiasmepour une participation à la coopérationAirbus : celle-ci leur apparaît politique,étrangère et insuffisamment industriel-le. Et ils font tout pour retarder toutéventuel engagement dans cette opé-ration avec pour objectif la préserva-tion de leur personnalité et le librechoix de leur avenir. Aussi, chacund’eux tire profit des difficultés d’Airbusen promouvant des rapprochements

industriels plus conformes à leur cultu-re et des programmes concurrents :• BAC éliminé de la coopération

Airbus poursuit les études de sonprojet BAC 311 concurrent del’A300B et tente de s’allier avec leconstructeur allemand MBB ;

• Fokker certifie en février 1969 sonbiréacteur F28 moyen courrier de65 places ;

• VFW lance en août 1968 son pro-gramme d’avion biréacteur régionalVFW614 avant de fusionner avecFokker en janvier 1969 ;

• Dassault lance en avril 1969 le pro-gramme Mercure (voir ENCARTN°2);

• Concorde fait son premier vol le2 mars 1969.

La mise au point des nouveaux moteurs : une entreprise risquéeLa mise au point des nouveaux moteursdestinés aux avions de grande capaci-té est difficile et les motoristes peinentpour atteindre leurs objectifs de perfor-mances, de délais et de coûts.

PRATT & WHITNEYPratt & Whitney, confronté au trèscourt délai du programme et aux aug-mentations de poussée requises parBoeing, rencontre de nombreux ava-tars dans la mise au point de son pro-duit : explosions lors d’essais au banceffectués prématurément, essais envol retardés et faible fiabilité des pre-miers moteurs livrés. Toutes ces per-turbations entraînent une crise aiguëentre Pratt & Whitney, ses clients etses actionnaires.

ROLLS-ROYCELes risques pris par Rolls-Royce vis-à-vis de Lockheed lors du lancement duRB211 deviennent rapidement insup-

portables. Des options techniquesambitieuses du moteur, tel le matériaucomposite « hyfil » pour la réalisationdes aubes, doivent être abandonnéesau profit de solutions classiques mieuxconnues. Les conséquences financiè-res de ces difficultés mettent la socié-té Rolls-Royce en quasi-faillite aucours de l’année 1970.

GENERAL ELECTRICGeneral Electric s’en sort mieux du faitde l’expérience acquise avec le labo-rieux développement du TF39 (moteurmilitaire équipant le C5A) ; les objec-tifs plus réalistes sont respectés lorsdes mises au point simultanées dumoteur de base (CF-6-6 à 18,1 tonnespour le DC-10-10) et de sa versiondéveloppée (CF-6-50 à 21,3 tonnespour le DC-10-30 et bientôt l’AirbusA300B).

LES GOUVERNEMENTS ET LE LANCEMENT DU PROGRAMME AIRBUS

Une coopération moribondeEn ce début d’année 1969, la coopé-ration Airbus est considérée moribon-de : le produit A300 est récusé parses utilisateurs potentiels européenset la coopération n’est plus recevablepour la plupart des administrationsconcernées.

Pour les services britanniques la situa-tion est sans appel : on ne peut faireconfiance aux industries et administra-tions françaises pour assurer la maîtri-se d’œuvre d’un programme de cetteampleur et seule une mutation vers leprogramme BAC 311, développé sousmaîtrise britannique, peut offrir unealternative crédible (voir ENCART N°3).

UNE IDÉE DE BON SENSLe soutien du gouvernement au projet Mercure s’appuyait sur l’idée qu’un constructeur privé est plus performantqu’une entreprise publique, ce que démentiront, dans ce cas précis, toutes les tentatives de transferts d’activitéentre les deux sociétés : celles-ci possibles de Dassault vers Aerospatiale n’ont jamais pu aboutir dans l’autresens pour des raisons de coûts de production trop élevés. Pour le comprendre, il faut remarquer que le facteur essentiel d’efficacité est non la position capitalistique del’entreprise mais la situation concurrentielle du marché : contrairement aux apparences, Aerospatiale Avions estconfronté à la dure compétition des constructeurs américains alors que les marchés de Dassault, pour la plupartgouvernementaux, sont moins soumis aux dures lois de la concurrence.

LES ERREURS DU PROGRAMME MERCURECe soutien va à l’encontre des recommandations de nombreux experts officiels émettant des doutes sur la viabi-lité commerciale du produit Mercure en raison de son faible rayon d’action ce qui limitera sa commercialisationà Air Inter ; de plus, bien qu’étant un excellent produit, le Mercure n’apporte aucune innovation technologique luipermettant de se démarquer des efficaces avions américains en service sur le même créneau commercial.L’histoire de ce programme confirmera ces inquiétudes avec un marché limité à une commande de 10 avions àAir Inter.

L’AFFAIRE MERCURE2

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Du côté français, même si un sursis desix mois couvrant la fin de l’année 1968a été accordé au nouveau président deSud Aviation, le gouvernement n’envi-sage pas d’aller au delà des engage-ments pris pour Concorde et Mercure. Seuls les Allemands s’accrochent enco-re à la coopération mais ne savent pascomment s’y prendre pour la réactiver.

Chronologie (succincte)d’une résurrectionUN NOUVEAU PRODUIT NOMMÉA300BNouvellement nommé en juillet 1968, leprésident de Sud-Aviation HenriZIEGLER, bien épaulé par RogerBÉTEILLE, réussit à inverser la tendan-ce au début de l’année 69, et àconvaincre ses partenaires, les compa-gnies et les gouvernements du bien-fondé d’un nouveau produit nommé A300B, équipé de réacteurs existants etde capacité réduite à 250 sièges. Ce produit est imaginé à l’origine par

Roger BÉTEILLE et Jean FORESTIERpour sortir de l’impasse « A300 équipéde RB207 » : sur la base d’une réduc-tion de 0,9 des dimensions initiales, lacapacité est ainsi ramenée à 250 siè-ges ce qui permet d’équiper l’avion del’un des moteurs (JT9D, CF6 ouRB211) développés pour les produitsaméricains.

Défini dans des délais très courts etdans un cadre confidentiel par lebureau d’études de Sud Aviation àCourbevoie, il reçoit un accueil favora-ble lors de sa présentation, le 10décembre 1968 à Londres, aux offi-ciels du Comité Directeur et aux com-pagnies aériennes.

Dès le mois de janvier 1969, une lettredu président d’Air France confirme l’in-térêt de sa compagnie pour un avionmoyen courrier de 250 places en rap-pelant sa préférence pour le produitA300B (par rapport au BAC311).

UN AVENIR FRANCO-ALLEMANDPOUR AIRBUSSeule l’administration britannique rejet-te l’initiative et impose comme diver-sion dilatoire l’introduction du BAC311dans le champ des discussions (voirl’encart N°3). Le 10 avril 1969, endépit d’une ultime démarche à Londresdu ministre français Jean CHAMANT,le ministre britannique WedgwoodBENN confirme le retrait du RoyaumeUni de la coopération Airbus : il décla-re préférer consacrer les moyens deson pays pour le moteur RB211 desti-né au programme L-1011 (sérieuxpuisque américain !) plutôt que sur unprojet comme l’Airbus européen (poli-tique donc sans avenir !).

En dépit de ce retrait britannique, unaccord de principe sera conclu le 24janvier 1969 entre industriels pour fixerles conditions d’une participation à titreprivé de l’industriel britannique HSAdésireux de poursuivre sa participationau développement de l’A300B et prêt àcontribuer à son financement.

De leur côté, les gouvernements fran-çais et allemands se sont mis d’accordDès le 17 janvier 1969 pour la poursui-te du programme A300B sur une basefranco-allemande égalitaire (voirEncart N°4). Le 11 mars 1969, le gou-vernement français autorise le lance-ment des négociations pour une parti-cipation au programme Airbus encoopération avec l’Allemagne.

L’accord du 29 mai 1969Les négociations aboutissent à l’ac-cord intergouvernemental du 29 mai1969 signé par le ministre destransports français et le ministre de l’é-conomie et des finances allemand ausalon du Bourget, l’accord intergouver-nemental relatif à la réalisation del’A300B ; l’accord intergouvernementaldu 29 mai 1969 constitue le premierdes quatre textes fondateurs de lacoopération Airbus (voir Encart N°5).

L’URGENCE DUE AUX ÉCHÉANCESÉLECTORALES : UNE CHANCEPOUR LA COOPÉRATIONLa démission du général de Gaulle enavril 1969 accélère les négociationspour les faire aboutir avant l’élection dunouveau président de la républiquefixée le 1er juin : en effet après l’électiondu président, la mise en place du nou-veau gouvernement et les prochaineséchéances électorales en Allemagnerisquent d’en repousser la signature audébut de l’année 70.

Les négociations ne durent que troissemaines et trois réunions, le 8 mai àBonn, le 13 mai à Paris et le 19 mai à

UN DEUXIÈME FER AU FEULe BAC311, au départ de capacité plus faible, se rapproche très vite du projet Airbus : dans sa version ultime, sadéfinition présente de grandes analogies à l’exception d’une implantation des moteurs à l’arrière du fuselage. Ces travaux sont tacitement encouragés par les services britanniques pour maintenir un deuxième fer au feu en vued’une réorientation de la coopération vers un programme proche mais sous leur obédience. Il faut rappeler que la partie britannique a accepté la maîtrise d’œuvre de Sud Aviation pour la cellule uniquementcomme contrepartie à l’attribution de la maîtrise d’œuvre du moteur à Rolls-Royce. Le contexte ayant changé avecle choix de Rolls-Royce pour le Lockheed 1011, les officiels britanniques ne se sentent plus tenus par leurs enga-gements dans l’accord de septembre 1967.

DE L’ART D’INTERPRÉTER LES STATISTIQUES (SOUVENIR GV)L’Agence Exécutive est chargée de la comparaison technique des propositions BAC et Airbus. Il est aisé de mont-rer que l’architecture de A300B est mieux adaptée que celle du BAC311, handicapée par l’implantation des moteursà l’arrière du fuselage avec comme conséquences un trop grand écart de centrage entre avion vide et avion pleinpénalisant l’exploitation, une installation de l’empennage horizontal au sommet de la dérive augmentant les risquesde « super-décrochage » (comportement aérodynamique à l’origine de plusieurs accidents, en particulier sur leBAC111).Bien que ce premier résultat soit admis par tous, l’expert britannique Courtney (responsable des évaluations duprojet) maintient son dessein de démontrer la non viabilité de la proposition Airbus auprès des officiels allemandspour les attirer vers une contre-proposition britannique. Lors des évaluations – je devrais plutôt dire les négociations ! – menées en commun, toutes les hypothèses tech-niques proposées sont discutées, dégradées et affectées d’une incertitude d’estimation. A la fin de l’analyse,Courtney pense avoir atteint son objectif car l’accumulation arithmétique des incertitudes ne permet plus à l’avionde remplir sa mission. De mon côté, anticipant une telle conclusion, j’avais préparé une parade dénonçant l’inadaptation de la méthodearithmétique : celle-ci ne prenait pas en compte la nature indépendante et aléatoire des impacts élémentaires desincertitudes. En reprenant l’évaluation selon une méthode appropriée (relevant du calcul statistique et conduisantà un effet cumulé égal à la racine carrée de la somme des carrés des impacts élémentaires), l’avion répondaitparfaitement à sa mission, même dans les circonstances les plus défavorables. Beau joueur, Courtney reconnut le bien-fondé de mon calcul et accepta bon gré mal gré la publication de mon rap-port favorable au programme A300B.

UNE ENTREPRISE DE DÉSTABILISATIONIl est manifeste que les travaux sur le BAC311 constituent une manœuvre de leur part pour déstabiliser Airbus,isoler la France et attirer l’Allemagne, troisième partenaire, dans leur giron. Jusqu’au milieu de la décennie 70, le projet va continuer à faire parler de lui. Au début de l’année 1969, BAC sug-gère à Lockheed une alliance pour une commercialisation commune des produits L-1011 et BAC-311 tous deuxéquipés du moteur Rolls-Royce RB211 : cette proposition n’aura pas de suite. En 1970 et 1971 la présence de ce projet sert de prétexte pour justifier un rejet britannique des ouvertures faitespar la France et l’Allemagne pour un retour du Royaume Uni dans Airbus. Au delà, il semble que les travaux s’ar-rêtent faute de financement ou de relance par les tabloïds coutumiers de ce genre d’interventions francophobes.

L’ATTITUDE DES BRITANNIQUES – II : LE PROGRAMME BAC311

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Bonn. Ce court délai est une grandechance pour la future coopération caraucune altération de l’accord négociéne put être apportée, faute de temps,par les habituelles (et souvent domma-geables) interventions des politiciens etdes administrations.

DES MODALITÉS CONTRAIRES À LA LÉGISLATIONEn effet, certaines modalités de l’ac-cord du côté allemand (forfait sanscontrôle des coûts, partage des tra-vaux…), en contradiction avec la légis-lation interne de la cour des comptes,n’auraient jamais pu franchir le filtragede l’administration si celle-ci avait eu letemps d’en analyser les tenants. Lesnécessaires adaptations des clausesconcernées, essentielles dans l’effica-cité de la future organisation, auraienteu un effet fort dommageable pour lacoopération.

UNE ORGANISATION INDUSTRIEL-LE FONDÉE SUR L’EFFICACITÉLe texte de l’accord intergouvernemen-tal, d’inspiration française négocié ducôté français par Alain BRUTÉ deRÉMUR et Georges VILLE, est remar-

quable dans son souci de répondre auxobjectifs d’efficacité :

• gestion confiée aux industrielsexcluant toute intervention étatique ;

• société commune chargée de la maî-trise d’œuvre et du commerce ; cetteorientation constitue un facteur essen-tiel de la pérennité du système en évi-tant de se reposer les questions d’or-ganisation et de maîtrise d’œuvre lorsdes lancements des programmes sui-vants ;

• pas de contraintes strictes de retourgéographique (voir Encart N° 6) ;

• financement du développement à par-tir d’avances remboursables forfaitaires.

UNE ORGANISATION ADAPTÉEDES SERVICESLa direction des opérations incombantaux Gouvernements Associés estconfiée à un Comité Intergouver-nemental lequel peut déléguer lestâches à entreprendre à un ComitéExécutif. Ces Comités utilisent en tant

que de besoin une Agence Exécutivemise à leur disposition par la Répu-blique Française. Celle-ci, mandatée àcet effet par le Comité Intergou-vernemental, a la responsabilité denégocier, conclure et assurer le suivid’un contrat avec le maître d’œuvredont l’objet est l’application aux indus-triels des clauses de l’AccordIntergouvernemental les concernant.

LES INDUSTRIELS ET LENOUVEAU PROJET A300BLes bonnes options techniques et opérationnellesLes caractéristiques de l’A 300B arrê-tées en février 1969 : formule biréac-teur, section du fuselage, adaptation dela voilure et architecture des systèmes,sont à l’origine du succès des produitsAirbus.

Roger BÉTEILLE s’est inspiré desréflexions du directeur techniqued’American Airlines Frank KOLK aveclequel il est resté en contact tout aulong de la période de définition du pro-duit A300B. Les spécifications quecelui-ci avait proposées (250 places,biréacteur) sans succès pour lesDC10 et L1011 vont servir de référen-ce pour la définition de l’A300B etmontrer leur pertinence avec la recon-naissance commerciale de ce produit.

LE FUSELAGEFondée sur le concept de 8 sièges defront, la section du fuselage del’A300B est particulièrement réussie ;elle peut être même qualifiée d’optima-le pour les capacités comprises entre250 et 350 sièges comme l’ont montréles succès commerciaux des produitsconcernés. Cette dernière affirmationest renforcée par la position actuelle deBoeing : celui-ci, après avoir toujourscherché à se démarquer du choixd’Airbus en retenant les sections à 7 et9 sièges de front pour le 767 et le 777,

LA BASE ÉGALITAIRE DE L’ENTENTE FRANCO-ALLEMANDE : LES « LETTRES DOHNANYI – CHAMANT » La traduction financière de la parité requise par l’Allemagne a conduit le gouvernement allemand à accepter laprise en charge d’une part importante des travaux effectués en commun et dans les pays tiers pour compenser unréel déséquilibre de sa propre part dans la répartition des travaux de développement ; c’est à ce titre quel’Allemagne finance notamment la part du développement de la voilure non supportée par HSA.L’engagement allemand est défini dans une lettre du secrétaire d’état à la recherche Klauss von Dohnanyi au minis-tre des transports Jean Chamant datée du 27 mai 1969, la veille de la signature de l’Accord Intergouvernemental ;le choix de cette date souligne l’importance de ce document pour la partie allemande. Comme la règle du « justeretour géographique » a été écartée de la rédaction finale de l’accord, cette lettre précise les travaux couverts parle financement des avances apportées par l’Allemagne.Le ministre français souhaitant éviter de donner une trop grande importance à cette lettre par rapport à l’AccordIntergouvernemental, hésite plusieurs semaines avant de répondre. Les deux lettres, connues sous le nom « lettres von Dohnanyi-Chamant », ont des rédactions alambiquées, contra-dictoires et incompréhensibles : heureusement, il n’y eut pas de désaccord dans leur application, sinon je suis inca-pable de dire dans quelle direction aurait pu nous conduire un conflit d’interprétation suivi d’un éventuel arbitrage !

LA FASCINATION BRITANNIQUELes services allemands sont toujours restés très attachés au maintien des relations avec les britanniques en vuede leur possible retour dans la coopération : ainsi ils pousseront pour une participation à titre privé de HSA et oeu-vreront pour l’adoption en deuxième source du moteur Rolls-Royce. Deux raisons peuvent être avancées pour com-prendre cette attitude :• ils sont attirés par la culture et le savoir-faire aéronautique des britanniques ;• ils souhaitent retrouver dans une coopération triangulaire une position plus facile à gérer que le face à face dés-

équilibré avec des services français plus expérimentés.Dans le cas présent le comportement allemand soutenant obstinément Rolls-Royce manque de clairvoyance face àla duplicité britannique.

DES PRISES DE POSITION PRÉJUDICIABLES À LA COOPÉRATIONTout au long de l’histoire d’Airbus, on retrouve de telles prises de positions allemandes allant à l’encontre de l’ef-ficacité de la coopération ; la plupart du temps elles sont sans conséquence préjudiciable mais il n’en est pas tou-jours ainsi comme on le constatera lors des événements suivants :• la réduction unilatérale de la cadence de production en 1977 ;• la définition non optimisée de l’A310 en 1978 ;• le retard dans le lancement de l’A320 au début des années 80 ;• la tentative de coopération avec Boeing sur l’avion de grande capacité VLCT en 1993…

QUELQUES SINGULARITÉS ALLEMANDES DANS LA COOPÉRATION

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Quatre textes fondateurs régissent la structure orga-nisationnelle d’Airbus :• « l’Accord Intergouvernemental du 29 mai 1969 »,en fixe les principes ;• « les Statuts et Règlement Intérieur du GIE entéri-nés le 18 décembre 1970 » constituent l’acte defondation d’Airbus Industrie ;• « la Convention Cadre signée en juin 1971 », entreAirbus Industrie et l’Agence Exécutive, engage lesindustriels à respecter les principes de l’AccordIntergouvernemental et en définit les modalitésd’application ;• « les Conventions Industrielles et l’Accord deFinancement approuvés le 6 mars 1978 », fixent lastructure contractuelle de série entre AirbusIndustrie et ses partenaires.

LES TEXTES FONDATEURSD’AIRBUS INDUSTRIE

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s’oriente aujourd’hui vers une section à8 sièges de front pour son nouveau787.

LE DIAMÈTRE DU FUSELAGE : UN CHOIX STRATÉGIQUELe choix du diamètre de fuselage eststratégique en raison des implicationssur :• l’efficacité opérationnelle de la cabinepour les passagers et des soutes pourle fret ; • le potentiel de développement de lacabine vers des capacités variables ;• la polyvalence et l’amortissement descoûteux outillages d’assemblage.Le réemploi d’une même section réus-sie pour le fuselage de plusieursfamilles successives (telles la sectionde l’A300B pour l’A310, l’A330 etl’A340, et celle du Boeing 707 pour le727, le 737 et le 757) confirme la vali-dité de cette affirmation.Un compromis retenu entre les néces-sités opérationnelles et les habitudesdu bureau d’études conduira au dia-mètre fétiche de 5,64 mètres (soit 222pouces) retenu ultérieurement pourtous les gros porteurs Airbus.

LA VOILURELa voilure est implantée en positionbasse sur le fuselage selon l’usage. Lechoix de sa surface est plus délicat et

résulte d’un délicat compromis entreles exigences contradictoires impo-sées par la mission initiale de l’avionA300B et par les besoins des futuresversions dérivées (voir Encart N°7).

LA GUERRE DES MOTEURSLe choix du moteur General ElectricCF-6-50 (modèle développé pour laversion DC-10-30 à long rayon d’ac-tion) est retenu par Airbus Industrie enoctobre 1969 à la suite d’analysesapprofondies des propositions présen-tées par les trois motoristes en compé-tition :

• Rolls-Royce, après le choix duRB211 pour le Lockheed L-1011, sedésintéresse de la coopération euro-péenne et ne fait rien pour rendre sonoffre attrayante. Le gouvernement alle-mand (sous le charme britannique etencore attaché au retour du Royaume-Uni dans la coopération) reste toutefoisun supporter du maintien de Rolls-Royce dans la compétition (voirl’Encart N°4).

• Pratt & Whitney ne prend pas nonplus au sérieux la coopération euro-péenne, malgré de solides atouts dansla compétition avec sa grande notorié-té, la crédibilité de son produit JT9Dretenu par Boeing, son étroite allianceavec son licencié français SNECMA(dont il détient 10% du capital) et lesoutien des services français.

• General Electric est le seul soumis-sionnaire intéressé (voir Encart N°8).Soutenu par aucune des parties, ilréussit à proposer une offre attractivegrâce au moteur CF-6-50 développé à21,3 tonnes pour les besoins de la ver-sion long-courrier DC-10-30 et dont lescaractéristiques répondent le mieuxaux spécifications recherchées pourl’A300B ; de plus ses propositionsd’alliance industrielle présentées à laSNECMA et à MTU sont très sédui-santes.

La solution Rolls-Royce est prise ensolution alternative pour satisfaire lapartie allemande (voir Encart N°4) ;elle ne sera jamais mise en œuvre, nonpas du fait d’Airbus Industrie mais deRolls-Royce qui à chaque occasion pri-vilégie les produits américains ; il fallutattendre 1993 et la mise en service del’A330 pour voir enfin un moteur Rolls-Royce installé sur un produit Airbus.

LES SYSTÈMESLes produits Airbus seront particulière-ment innovants dans ce domaine cequi leur permettra de se démarquerdes produits concurrents ; les systè-

mes techniques de l’A300B tirent pro-fit de l’expérience Caravelle et surtoutdes grandes avancées techniquesacquises lors de la mise au point duConcorde.

LES APPORTS DE CARAVELLE ET DU CONCORDEL’apport du Concorde s’avère essen-tiel dans la réussite d’Airbus du fait dusavoir-faire incomparable et novateuracquis à cette occasion, permettantaux produits Airbus de se démarqueravantageusement de la concurrencedans plusieurs domaines tels :

• la conception et l’aménagement duposte de pilotage ;• les commandes de vol hydrauliques(initiées au départ sur Caravelle) puisélectriques (installées à partir del’A320) ;

• le système d’atterrissage tout tempscatégorie III (initié sur Caravelle) ;

• le système centralisé des alarmes…

Le maintien de HSA dans le programme en tant quesous-traitant associé est confirmé par l’accord signéentre industriels le 24 juillet 1969 puis approuvépar les Gouvernements Associés. En effet bien quele gouvernement britannique se soit retiré de lacoopération, aucune solution satisfaisante pour laréalisation de la voilure ne peut être trouvée endehors du maintien de HSA et ceci en dépit des ten-tatives envisagées en France (Sud Aviation, NordAviation ou Dassault), en Allemagne et aux Pays-Bas(Fokker). Le bureau d’études de Dassault avait une efficacitéreconnue en matière d’optimisation aérodynamiquedes voilures subsoniques ; ce savoir-faire, initiépour les avions d’affaires, s’était développé au seind’une équipe compétente dirigée par l’ingénieurPierre Perrier. Confier la réalisation de l’aile del’A300B à Dassault avait une certaine logique maisil apparut rapidement qu’une telle orientation devaitêtre écartée pour des raisons de calendrier : eneffet, l’étude de cette voilure en parallèle avec celleen cours du Mercure aurait entraîné un retard supé-rieur à une année, ce qui n’était pas acceptable pourle programme Airbus.Le financement nécessaire pour le développementde l’aile est couvert partiellement à titre privé parHSA (151,7 MF aux CE de janvier 68), le reste étantpris en charge par l’Allemagne (205 MF aux CE dejanvier 68) dans le cadre de la lettre de vonDohnanyi du 27 mai 1969 (voir l’Encart N°4).Cette position présente en outre l’avantage de main-tenir HSA dans l’organisation industrielle ce qui rendpossible un éventuel retour des Britanniques dans lacoopération : ceci se réalisera effectivement mais10 années plus tard !

LE MAINTIEN DE HSA POURLA RÉALISATION DE L’AILE

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Une disposition du texte en discussion dite de« juste retour géographique » prescrivant un équili-bre « géographique » des travaux pour l’ensemblede la cellule et des équipements m’apparaissaitcontraire à l’efficacité globale et de plus dangereu-se pour les équipementiers français : une telle pro-cédure pouvait en effet conduire Sud Aviation à lais-ser de côté les équipementiers français (plus com-pétitifs que leurs confrères allemands) pour passercommande auprès de leurs concurrents américains(afin d’éviter une réduction de sa part lors du choixde fournisseurs français). Je réussis à convaincre Alain Bruté de Rémur de lanécessité de changer cette malencontreuse rédac-tion acceptée par mon prédécesseur : le rétropéda-lage fut difficile à faire accepter par les négocia-teurs allemands mais la disposition put être retiréedu texte de l’accord. Il en est resté toutefoisquelques traces dans les prescriptions régissant lepartage des fabrications de série telles :• une répartition dans des proportions aussi prochesque possible de celles des avances remboursablespour la cellule, • une possibilité de compensation si une proportionéquilibrée ne peut être atteinte pour les équipe-ments ; l’interprétation de la possible compensationconduira ultérieurement à de longs débats et de com-plexes modalités d’application (il me fallut plus devingt années de discussions pour en venir à bout).

UNE DISPOSITION DE« JUSTE RETOUR GÉOGRA-

PHIQUE » DANGEREUSE

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Le choix de la sociétécommune, le GIEEn matière d’organisation, le principed’une société commune chargée de lamaîtrise d’œuvre et de la commerciali-sation, sa structure de Groupementd’Intérêt Economique (GIE) et sa déno-mination « Airbus Industrie » sont arrê-tés dès avril 1969 ; la solution du GIEest adoptée pour de multiples raisons(absence de capital, responsabilitéconjointe et solidaire de ses membres,transparence fiscale…) qui s’avérerontparticulièrement bien adaptées à lacoopération.L’assemblée constitutive du GIE AirbusIndustrie se tient à Paris le 18 décem-bre 1970 ; le siège social est situé àcette époque à Paris 160 avenue deVersailles.

LES ATOUTS INSOUPÇONNÉS DU GIE

Un atout pour les clientsLa forme juridique de GIE, inspirée desréflexions menées par Nord Aviation (etreprises par Aerospatiale après 1970)pour la future organisation Euromissileavec l’industrie allemande, présente legrand avantage d’une étrangeté juri-

dique le rendant mystérieux et incom-préhensible pour le monde extérieur ;les futurs clients en mesureront rapide-ment les avantages grâce à une infor-mation préparée à leur intention parAirbus Industrie. Par ailleurs, la cessation d’activité estpratiquement impossible pour un GIEtant les procédures en sont obscureset complexes sur les plans juridique etfinancier : cette particularité permettraà Airbus de traverser la dure crise desannées 75 sans remise en cause de saviabilité, même si de nombreuses voixse sont élevées à l’époque pour endemander la suppression.

Un atout contre les concurrentsLa concurrence refusant d’en voir lesqualités, en sous-estimera à la fois l’ef-ficacité et l’attrait qu’il peut représen-ter pour les compagnies clientes.Boeing qualifiera longtemps AirbusIndustrie de consortium sans avenir.Lorsqu’il se rendra compte de sonerreur au début de la décennie 90, ilsera trop tard pour abattre AirbusIndustrie : celui-ci aura atteint unematurité suffisante lui donnant lesmoyens de résister aux agressionsmenées contre son existence.

LA FINALISATION DE LACOOPERATION ET L’ESPOIRREVENU

Les années 1969 et 1970 constituentun tournant décisif dans l’établissementde la coopération : partant d’une situa-tion fort compromise en 1968, la volon-té politique et la détermination indus-trielle réussissent en ce court laps detemps à transformer une situation d’é-chec en une avancée exemplaire pourla coopération : définition d’un produitaccepté par les clients, accord gouver-nemental scellant le volontarisme poli-tique et structuration industrielle ras-semblant les énergies dans la mêmerecherche d’efficacité.L’espoir est revenu mais la partie n’estpas gagnée pour autant ; ces premiersrésultats doivent être confirmés et denombreux obstacles jalonnent encorela route menant à l’objectif visé.

La réussite du développement del’A300B constitue le premier pas surce long chemin et nous allons voir dansla suite de l’exposé comment Airbusatteint cet objectif.

Georges VILLE

La suite dans le 3ème épisode : « L’enfanced’Airbus », de 1970 à 1974

General Electric a une revanche à prendre sur son concurrent américain Pratt & Whitney ; en effet, ce dernier aréussi à prendre une place prépondérante sur le marché civil des turboréacteurs simple flux grâce aux succès desproduits Boeing équipés de ses moteurs. General Electric va tenter et réussir un remarquable « come-back » avec l’arrivée des moteurs à haut taux de dilu-tion grâce, notamment, à l’expérience acquise lors de la mise au point du nouveau turboréacteur TF39 équipant lecargo militaire géant C-5A.

LE CHOIX D’AIRBUSLe 27 janvier 1969, Gerhard NEUMANN président de General Electric appelle Roger Béteille pour manifester l’in-térêt de son entreprise pour une implication dans le programme A300B. Personnalité exceptionnelle, GerhardNeumann, en bon disciple des idées de Franck Kolk croît, à la différence des autres motoristes, en l’avenir du pro-duit biréacteur Airbus. Il sera tout au long du programme un interlocuteur aussi constructif que compréhensif desproblèmes Airbus.Roger BÉTEILLE raconte que lors de son analyse des programmes des trois motoristes, il a pu constater que GEavait retenu pour les développements de son produit de base un budget triple de celui prévu par ses concurrents.Cela lui assurait que GE ne lésinerait pas sur les efforts de mise au point des versions futures et ce fut un élé-ment important dans sa décision de choix de ce motoriste.

LE DÉPART D’UNE COLLABORATION FRUCTUEUSE AVEC LA SNECMALe 29 mars 1969, une première rencontre entre la SNECMA et General Electric, organisée sur les conseils de RogerBÉTEILLE, permet aux deux entreprises de faire connaissance et va conduire à une participation de la SNECMA àla production du moteur CF-6-50 retenu pour l’A300B : Cette décision fut heureuse pour le produit Airbus ; elle est aussi stratégique pour le motoriste français SNECMAcar elle lui permet d’amorcer une fructueuse coopération avec General Electric : • sous-traitance de 22% de la production des moteurs livrés pour l’A300B selon les termes du protocole d’accorddu 24 octobre 1969 (au total 626 moteurs seront ainsi délivrés par la SNECMA) ; • réalisation du nouveau moteur de 10 tonnes CFM56 dans le cadre d’une société commune CFM créée à cet effetaprès l’accord industriel de lancement du 29 décembre 1971 (voir La Lettre AAAF N° 2005) ; • participation à hauteur de 10% au programme du CF6-80E équipant l’Airbus A330 selon un nouvel accord concluen 1988…

LE « COME-BACK » DE GENERAL ELECTRIC :8

LA LETTRE AAAFÉditeur : Association Aéronautique etAstronautique de France, AAAF – 6, rue Galilée, 75016 ParisTél : 01 56 64 12 30 • Fax : 01 56 64 12 31 [email protected] • www.aaaf.asso.frDirecteur de la publication : Michel SCHELLERRédacteur en chef : Khoa DANG-TRANComité de rédaction : Michel de la BURGADE,Philippe JUNG, Georges MEAUZE, Jean TENSIRédaction : Tél : 01 46 73 37 80 ; Fax : 0146 73 41 72 ; E-mail : [email protected]

Ont notamment collaboré à ce numéro : Jean-Michel BIDOT, Didier COMPARD, Gérard DUBEY, Alain GRAS, Louis LAIDET,Françoise et Guy LEBEGUE, Caroline MORICOT, Sophie POIROT-DELPECH,Victor SCARDIGLI, Jean-Pierre TARAN, Jean TENSI, Georges VILLECrédits Photos : NASA-JPL, TsAGI, Airbus, EADSConception : Khoa DANG-TRAN, S. BOUGNONRéalisation : Sophie BOUGNON Imprimerie : AGI SYSTEM’S Dépôt légal : 1ème trimestre 2004

ISSN 1767-0675 / Droits de reproduction, texte etillustrations réservés pour tous pays

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Nous continuons la publication de la série d’articles de Georges VILLE, consacrée à l’histoire d’Airbus.Dans ce troisième épisode, Georges VILLE nous raconte l’enfance de l’entreprise Airbus (1971-1974).

Les Histoires d’Airbus 3EME EPISODE : L’ENFANCE D’AIRBUS : 1971 - 1974

PAR GEORGES VILLE

■ Geoges Ville

POLITIQUE

Mars : CEE, plan Werner préconi-sant l’union monétaireAoût : USA, suspension de laconvertibilité du $ en or suivied’une dévaluation de 7,9 %

Mars : CCE, création du serpentmonétaire

Juin : signature de la conventioncadre avec l’agence exécutive9 nov. : commande Air France

15 janvier : commande IberiaJuin : entrée de CASA dans AI29 octobre : 1er vol

ECONOMIE

TRANSPORT AERIEN

AIRBUS

BOEING

Mc DONNEL DOUGLAS

LOCKHEED

1971 1972

Activité : divisée par 4 par rapportà 1970 et effectifs par 3

29-07 : certification du DC-10-10

22-12 : certification du L1011

AVIONNEURSEUROPEENS

Mars : mise en service Caravelle XII28-05 : 1er vol du Mercure

MOTORISTES Février : Rolls-Royce banquerouteet nationalisation29-12 : lancement du CFM 56 parla SNECMA et GE

01-01 : entrée dans la CEE duRoyaume UniMars : guerre du Kippour suivied’un embargo sur le pétrole

Janvier : multiplication par 6 dubaril de pétrole en quatre ansAnnée : inflation de 12% etrécession mondiale

7 mai : commande Lufthansa

1973

21-11 : certification du DC-10-30

06-04 : mise en service du L101101-08 : soutien public de 350 M$

02-04 : décès de GeorgesPompidou19-05 : élection de Valéry GiscardD’Estaing06-05 : démission de Willy Brandt08-08 : démission de RichardNixon

trafic : croissance réduite à + 5%flotte : 800 avions non utilisés

15 mars : certificationMai : mise en serviceSept. : commande KoreanOct. : annulation commande Iberia

1974

03-03 : accident d’un DC-10 àErmenonville (374 morts)

12-02 : certification du Mercure et mise en service par Air Inter

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UN ENVIRONNEMENT EN DÉGRADATION

UNE GRANDE STABILITÉ À LA TÊTE DES ÉTATS IMPLIQUÉS Cette période est marquée au niveau politique par la stabili-té des équipes à la tête des pays concernés par la cons-truction aéronautique civile et en Europe par l’améliorationdes relations franco-britanniques ; la candidature duRoyaume-Uni à la CEE est ainsi réactivée et le 1er janvier1973, l’Europe des Six s’élargit pour devenir l’Europe desNeuf avec l’adhésion du Danemark, de l’Irlande et duRoyaume Uni.L’entrée du Royaume-Uni est un événement important pourla coopération Airbus ; dans le prolongement du partenariatindustriel de HSA avec Airbus, elle laisse entrevoir un pos-sible élargissement de la coopération à la partie britannique :pourtant, il faudra attendre encore cinq années pour voirl’administration et l’industrie britannique s’intégrer définitive-ment dans l’organisation Airbus et vingt-cinq années pourenregistrer la première commande de produits Airbus par lacompagnie aérienne British Airways.

LA GUERRE DU KIPPOUR ET SES CONSÉQUENCESÉCONOMIQUES La guerre du Kippour du 6 au 16 mars 1973 entre Israël etses voisins arabes entraîne de fortes répercussions auniveau de l’économie mondiale. L’utilisation de l’arme« pétrole » par les pays producteurs dans le cadre del’OPEP, (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrolemise en place en septembre 1960 et contrôlée par les pro-ducteurs du Moyen Orient) conduit à un embargo partielentre novembre et décembre 1973 et entraîne une haussebrutale du prix du baril de pétrole brut passant de 2 dollarsen janvier 1970 à 12 dollars en janvier 1974.Les conséquences sur l’économie des pays industrialiséssont importantes et amènent dès 1974 une récession géné-rale (la première depuis 1945). Celle-ci, a un impact immé-diat sur le trafic avec un effet amplifié par de nouvelles for-mes de terrorisme et de piraterie aérienne : les niveaux decroissance du trafic chutent ainsi en 1974 et 1975 à unniveau de 5%. Cette évolution est très inférieure aux hypo-thèses retenues par les compagnies aériennes pour le déve-loppement de leurs activités et la passation de leurs com-mandes ; une telle stratégie exagérément volontaristeconduit dès 1970 à une profonde crise dans le transportaérien avec un excès d’avions livrés proche de 800

LE REPLI INDUSTRIEL DES AVIONNEURS AMÉRICAINSCet emballement des commandes et des livraisons va ame-ner un fort repli industriel dès 1970 ; en effet, plus de 1800avions ont été livrés au cours des années 1967, 68 et 69alors que le besoin ne dépassait pas 1 000 : la résorption dusurplus conduira à une décennie de sous activité avec descadences de livraisons divisées en moyenne par deux.L’impact est plus ou moins fort selon les avionneurs :

• pour Boeing, après une laborieuse mise en service du 747en1970, la contraction des volumes de livraisons (377avions civils livrés en 1968 et 95 seulement en 1972) metl’entreprise en grande difficulté avec des effectifs diviséspar 3 (de 112 000 à 37 000), des pertes financièresimportantes et une forte chute de l’action à Wall Street ;dix années seront nécessaires pour sortir de la crise etdonner à Boeing les ressources nécessaires au lancementdu bimoteur 767 concurrent de l’A300.

• MDD est moins affecté : le développement du DC10-10 etdu DC10-30 se déroule conformément aux prévisionsavec l’obtention des certifications respectives les 29 juillet1971 et 21 novembre 1972. Conforté par ses succès,MDD songe à élargir sa gamme en proposant une versionbiréacteur désignée DC11 (ou DC10 Twin) concurrentede l’A300B. L’accident d’un DC10 à Ermenonville enFrance affectant la crédibilité de l’avionneur met un coupd’arrêt à cette tentative (voir ENCART N°1).

• de son côté, Lockheed subit de plein fouet la faillite deRolls-Royce en février 1971 et doit retarder le premier voldu L1011 au 16 novembre 1971 ; la première livraison àEastern Airlines est ainsi repoussée au 6 avril 1972, c’està dire huit mois après la mise en service du DC10. Lasociété Lockheed déjà affaiblie par la difficile mise au pointdu C-5A doit faire appel à un soutien public de 250milliards de dollars sous la forme d’un Loan Guaranty Actvoté par le Congrès le 1er août 1971.

LES SOUBRESAUTS DES MOTORISTES EUROPÉENSDeux événements impriment leur marque sur l’avenir desmotoristes européens :• Le premier a pour objet l’annonce de la faillite de Rolls-

Royce imprudemment engagé dans le programme RB211 ;pour éviter une banqueroute, le gouvernement britanniqueannonce le 4 février 1971 la nationalisation de ses activitésaéronautiques et .la recapitalisation de l’entreprise.

• Le deuxième intervient en France le 29 décembre 1971avec la décision de la SNECMA de lancer les études du

Un concept défectueux du verrouillage de la porte de soute est à l’origine de cet acci-dent ; le défaut est constaté dès 1970 aux essais de gonflage de la cabine et de nou-veau signalé en juin 1971 lors de la certification du produit. Une première défaillan-ce en exploitation intervient le 12 juin 1972 lors d’un vol d’American Airlines entreDetroit et Chicago ; l’arrachement de la porte mal verrouillée entraîne une brutaledécompression de la soute, un effondrement du plancher et la vidange (heureusementpartielle) des circuits hydrauliques de commandes de vol ; l’équipage réussit l’exploitde ramener l’avion sans conséquence corporelle (semble-t-il) pour les passagers. Ala suite de cet accident, la FAA recommande l’introduction de modifications pour cor-riger le défaut sans lui donner de caractère impératif. Le 3 mars 1974, le scénariose reproduit à Ermenonville avec le DC10 de Turkish Airlines n’ayant pas incorporéles modifications recommandées ; dans l’ouvrage « Destination désastre », des jour-nalistes américains mettent en cause l’attitude de la FAA.

Il est intéressant de rappeler le comportement d’Airbus ; dès la conception du pro-duit A300B le constructeur européen a anticipé le risque en prenant plusieursmesures pour s’en protéger : – le système de fermeture des portes de soute est conçue « idiot proof » avec ver-

rouillage automatique par la pressurisation si celles-ci étaient par inadvertance(ou incompétence) mal fermées au sol ;

– la structure du plancher est dessinée avec des zones perméables permettant delocaliser et circonscrire les effets d’une éventuelle dépressurisation ;

– les trois circuits de commandes de vol sont physiquement séparés entre le hautet le bas du fuselage pour éviter toute destruction simultanée pour une mêmedéfaillance.

Ces précautions vont démontrer leur bien-fondé lors du vol TG620 d’un A300-600de Thaï International le 26 octobre 1986 ; à la suite de la maladresse d’un Yakusa(gangster japonais) une grenade explose dans les toilettes et entraîne l’éclatementdu fond de cabine: la ségrégation des systèmes maintient valide un circuit de com-mandes de vol et permet à l’avion de se poser sans autre encombre pour les pas-sagers qu’une brutale dépressurisation. Il n’en a pas été de même pour les 524 passagers du 747SR de Japan Airlines quis’est écrasé le 12 août 1985 après l’éclatement du fond de cabine et la perte detous ses circuits de commandes de vol.

L’ACCIDENT DU DC10 DE TURKISH AIRLINESLE 3 MARS 1974 À ERMENONVILLE (346 MORTS)

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ECFM56 en coopération avecGeneral Electric dans le cadre d’unesociété commune française appeléeCFM ; ce moteur moderne de 10tonnes à haut taux de dilution sera unextraordinaire succès dont nousaurons l’occasion de parler au coursde l’histoire d’Airbus ; ce nouveauprogramme prolonge la collaborationen cours entre les deux motoristespour la production des moteurs CF6-50 montés sur les Airbus A300.

LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE NIXONLa suspension en août 1971 par leprésident Richard Nixon du systèmede fixité des changes et de la conver-tibilité du dollar en or bouleverse lesréférences économiques ; la valeurdes monnaies se détermine ainsi augré de l’offre et de la demande ce quientraîne une baisse appréciable du $passant ainsi de 5,56 à 4,5 francsfrançais. La compétitivité des entrepri-ses américaines par rapport àl’Europe et au Japon s’améliore dansles mêmes proportions ; cet effet estparticulièrement sensible pour lesindustries en compétition avec lesEtats-Unis comme l’aéronautique (voirENCART N°2).

Les officiels et la consolida-tion de la coopération

L’ÉLARGISSEMENT DE LA COOPÉRATIONL’ouverture de la coopération Airbus àd’autres partenaires européens est unenjeu politique important tant pour lesgouvernements que pour l’avenir desavionneurs concernés :• Les relations avec le gouvernement

britannique en vue de le faire revenirdans la coopération demeurent vai-nes et font ressortir sa préférenceoutre-atlantique.

• Les négociations avec les Pays-Bas,aboutissent à l'accord intergouverne-mental tripartite du 28 décembre1970 basé sur une participation néer-landaise de 6,6%. En revanche, bienque marié avec le partenaire alle-mand VFW depuis janvier 1969,Fokker ne croit pas en l’avenir decette coopération et refuse une inté-gration dans le GIE ; il n’accepte unecollaboration au programme A300Bque dans une position de sous-trai-tant associé (voir ENCART N°3).

• La Belgique, attachée à sa largecoopération avec Dassault dans lesdomaines militaires et civils, n’est pastrès intéressé par l’Airbus ; il faudraattendre l’échec commercial de l’o-

pération Mercure et le lancement del’A310 en 1979 pour voir entrer laBelgique dans la coopération.

• L’Italie repousse les propositions departicipation au programme A300Bprésentées dès 1969 par HenriZiegler : l’industrie italienne souligneainsi sa préférence pour une collabo-ration en sous-traitance des indus-triels américains (voir ENCART N°3).

• La situation en Espagne se présenteplus favorablement. L’intérêt du gou-vernement franquiste pour uneouverture vers l’Europe le conduit às’intéresser au programme Mercurepuis à l’Airbus dès 1970 ; pourAirbus, l’entrée de l’Espagne pré-sente l’avantage d’une ouverture dumarché espagnol. La signature del'accord intergouvernemental qua-dripartite le 23 décembre 1971 fixela participation au niveau de 4,2%avec pour contrepartie un engage-ment de commande de 30 avionspar Iberia. Cette entrée de l’Espa-gne est prolongée le 23 juin 1972par l’adhésion de l’industriel CASAà Airbus Industrie en tant que mem-bre du GIE à hauteur de 4,2% (voirENCART N°3).

Les niveaux de participation au pro-gramme Airbus A300B évoluent selonle tableau ci-dessous valable jusqu’auretour du Royaume Uni en 1979 :

L’organisation contractuelleet la convention cadreL’organisation du développement pro-longe l'accord intergouvernemental ;le schéma présenté ci-dessous enrappelle les principaux traits dans lecontexte à deux partenaires :

• La structure centrale de maîtrised’œuvre et de coordination du pro-gramme comprend l’Agence exécu-tive et Airbus Industrie liées entreelles par la convention cadre fixantles règles de la coopération entreindustriels et gouvernements (voirENCART N° 4).

• Les conventions nationales de finan-cement entre chaque industriel etson gouvernement apportent selondes procédures propres les finance-ments prévus par la conventioncadre.

• Les conventions industrielles entreAirbus Industrie et ses partenairesconsolident les engagements prisdans la convention cadre et lesfinancements apportés nationale-ment.

• La convention industrielle conclueavec HSA, de forme plus classique,a pour objet de fixer les conditionsde sa participation à titre privé auprogramme A300B.

Le premier dossier financier sur le programme de série est présentée par Airbus Industrie en 1972 sous le nomde « plan d’exercice 1972 » ; cette analyse basée sur les conditions de compétitivité économique et monétaireprévalant en janvier 1972 (1 dollar = 5,1157 francs = 3,2225 marks) conduit à l’équilibre financier pour la sérieenvisagée de 360 avions.Cette rentabilité est rapidement remise en cause par la baisse du dollar. Une négociation menée entre les indus-triels et leurs gouvernements pour couvrir les risques économiques et monétaires liés à ce type d’évolutionconduit à la mise en place de la procédure dite des aides économiques et monétaires basée sur l’instauration degaranties au plan national :– ce qui est du ressort des industriels (respect des coûts en monnaies nationales) est maintenu dans leur respon-

sabilité ; – ce qui relève de la politique des États (évolutions économiques et monétaires) fait l’objet de garanties gouver-

nementales.

En France, la procédure définie dans la lettre du 8 juillet 1974 du ministre de l'Economie Jean-Pierre Fourcadeau président d’Aérospatiale se rapproche du concept actuel de couvertures de change. Le régime en vigueur jus-qu’en 1983 conduira au versement à Aérospatiale d’un montant cumulé d’aides de 2 milliards de francs ; à par-tir de 1983, le risque monétaire sera supporté par les industriels : la sous-évaluation du $ entre 1987 et 1999(de l’ordre de 15% en moyenne) mettra Aerospatiale dans une grande fragilité financière.

LES CONSÉQUENCES DE LA BAISSE DU $ SUR LA COMPÉTITIVITÉ AIRBUS

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France RFA Pays-Bas Espagne HSA

Participation des États 44,6% 44,6% 6,6% 4,2%

Financement du développement 42,0% 42,0% 6,6% 2,0% 7,4%

Droits de membre dans le GIE 47,9% 47,9% 4,2%

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UNE PREMIÈRE ESQUISSED’ORGANISATION EUROPÉENNEDE CERTIFICATIONDans le domaine de la navigabilité, lesservices étatiques sont responsablesde la réglementation applicable et de lavérification de la conformité des pro-duits. Les organismes compétents enFrance et en Allemagne, désignéssous le terme d’autorités de navigabili-té, se distinguent des services officielsde gestion par la nature de leur activitéexclusivement orientée vers la sécurité.A cette époque du côté français, l’au-

torité dépositaire de la mission est leSFACT (Service de la FormationAéronautique et du Contrôle Tech-nique) ; rattaché au SGAC, celui-cis’appuie sur l’expertise technique desservices compétents de la DTCA c'est-à-dire du STAé, du CEV et du CEAT.Du côté allemand, les experts du LBA(LuftfahrtBundesAmt) sont pleins debonne volonté mais encore peu expéri-mentés. En vue d’une coordination deleurs travaux, les autorités françaises etallemandes créent une organisationinformelle appelée BOCA (Bureau

La convention cadre, conclue en juin 1971 entre l’Agence exécutive et Airbus Industrie a pour objet l’applicationdes accords intergouvernementaux au maître d’œuvre et aux constructeurs associés . Ce contrat non conventionnel n’est pas aisé à mettre en forme et les négociations dureront deux années ; après

une première initiation à l’occasion de la négociation de l’accord intergouvernemental, cette expérience repré-sente pour moi un instructif apprentissage ; elle me permet de mesurer l’importance des organisations financiè-res et administratives sur l’efficacité des organisations industrielles : expérience qui me sera fort utile dans mesfutures fonctions au sein d’Airbus Industrie et plus tard chez Aérospatiale. Ma liberté d’action est très grande : jepeux m’affranchir du carcan administratif habituel et mon antériorité dans le programme me donne une grandecrédibilité auprès de ma hiérarchie, du comité exécutif et des industriels.

Dans son application, la convention cadre démontre une grande efficacité : le respect de tous les objectifs du déve-loppement (délais, performances et bilan financier) en est une probante démonstration. Les procédures mises enœuvre se distinguent des contrats classiques entre l’administration et l’industrie ; rappelons parmi les traits lesplus significatifs :• La procédure de choix des équipements est basée sur la responsabilité finale des industriels associée à un suivi

permanent de l’Agence exécutive : La position des services officiels pouvait être exprimée et prise en compte dans les choix grâce à une informa-tion préalable à toute décision : cette procédure permettra la promotion d’une industrie française des équipementsdevenue très performante grâce au programme Concorde avec une répartition favorable dans le programmeA300B :

– 50% en France, – 20% au Royaume Uni,– 10% en Allemagne, – 20% aux États-Unis.

• Le financement par avances remboursables est fixé par la convention cadre et les versements sont effectuésselon des procédures nationales : Ce système est en opposition avec les procédures allemandes basées sur un financement en régie contrôlé parune Cour des comptes toute puissante. La convention cadre a traité cette distorsion en la reportant dans laconvention de financement entre l’administration allemande et Deutsche Airbus. En revanche, la convention definancement entre l’État français et l’Aérospatiale reprend sans altération les dispositions de la convention cadre.

LA CONVENTION CADRE : 3ÈME TEXTE FONDATEUR DE LA COOPÉRATION

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Confiant dans ses capacités, ses produits et sondevenir, Fokker tient à conserver son indépendan-ce et ne veut surtout pas perdre son âme dans unecoopération politique à laquelle il ne croit pas. Fokker fait preuve ici d’une erreur stratégique enpensant maintenir sa situation d’avionneur à partentière malgré sa faible assise industrielle et poli-tique. Tant que ses produits se limiteront au marchérégional, aucun des grands avionneurs ne viendra lecombattre sur son terrain ; il n’en sera plus demême lorsque celui-ci aura pour stratégie la péné-tration du marché des avions de ligne (plus de 100places) soulevant aussitôt une réaction des cons-tructeurs américains allant au-delà de ses proprescapacités de résistance. A chaque lancement d’un nouveau programme, lesgouvernements et les partenaires industrielsd’Airbus vont proposer à Fokker de rentrer dans lacoopération ; à chaque fois, Fokker refusera préfé-rant se retirer dans son indépendance ou écouter lechant d’autres sirènes comme en 1982 lors de satentative de réaliser en commun avec MDD un avionde 150 places. En poursuivant cette politique jus-qu’au-boutiste, la direction de Fokker porte unegrande responsabilité dans la disparition d’une belleentreprise européenne.

Il en sera de même avec Aeritalia (devenue plus tardAlenia) : renouvelées à chaque lancement de pro-gramme (A300 en 1970, A310 en 1979, A320 en1985, A330-340 en 1987 et A380 en 2000), lespropositions de coopération seront toujours reje-tées ; cette position, dommageable au plan euro-péen, s’explique par l’absence d’une volonté poli-tique et une préférence constante des industrielspour une coopération avec les constructeurs améri-cains (d’abord avec Douglas puis après la dispari-tion de ce dernier avec Boeing).

En revanche, l’entrée de CASA dans Airbus lui assu-rera le développement de ces activités civiles ; leniveau de sa participation à 4,2% est le résultatd’un calcul de compensation industrielle à hauteurde 50% de l’engagement d’achat de 30 avions rap-porté à la série prévue de 360 avions (soit 30 /360 du programme de référence) :

50% x (30 / 360) = 4,17% niveau arrondi à 4,2%.

Un accord industriel entre CASA et Airbus Industriele 16 novembre 1971 fixe les conditions d’entréedans le GIE et sa part de travail (empennage hori-zontal transféré par Deutsche Airbus et portes decabine et de soute transférées par Aérospatiale). En contrepartie, Iberia concrétise le 15 janvier 1972l’engagement prévu avecr l’achat de 4 avions fermeset 8 options ; toutefois, Iberia, soumis à la pressionde Boeing annulera sa commande au profit du 727-200 en 1974 ; nous reparlerons plus loin de cettemanœuvre et de ses conséquences.

AIRBUS ET LE DEVENIR DES AVIONNEURS

EUROPÉENS : FOKKER,AERITALIA ET CASA

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Officiel de Certification Airbus) animépar le STAé et réunissant des repré-sentants du SGAC, du LBA et del’ARB (Air Registration Board, leurhomologue britannique).La première tâche du BOCA est ladéfinition du règlement applicable : lerèglement américain FAR 25 (applica-ble aux avions de transport civil) estretenu comme base et complété parquelques exigences spécifiques. Laconformité du produit à la réglementa-tion repose sur l’établissement de rap-ports et l’exécution de nombreuxessais ; au fur et à mesure de l’avance-ment du développement, la justificationde la conformité de l’avion au règle-ment est enregistrée dans un docu-ment dénommé le « Grand Livre » queles services officiels approuveront pourla certification.L’organisation BOCA ainsi mise enplace va démontrer sa légitimité et sonefficacité lors de la certification despremiers Airbus ; plus tard, elle évolue-ra et sera le terreau sur lequel s’édifie-ront les futures autorités européennesde navigabilité.

Les industriels et le dévelop-pement d’airbus

LA MISE EN ŒUVRE ET LE FONCTIONNEMENT DE LA COOPÉRATIONL’assemblée constitutive du GIEAirbus Industrie du 18 décembre 1970entérine les statuts et le règlement inté-rieur du GIE (voir ENCART N° 5). Lesiège social du groupement est fixéinitialement à Paris 160 avenue deVersailles dans des locaux loués à ceteffet ; celui-ci s’avère rapidementinadapté et la proximité géographique

du siège d’Aérospatiale fait craindreune trop forte emprise de cette derniè-re sur le fonctionnement du GIE. Aussiune nouvelle implantation à Blagnacest-elle décidée le 23 juin 1972 en vuedu regroupement de tous les servicesd’Airbus sur un même site proche del’aéroport et de la chaîne d’assem-blage ; l’emménagement dans sesnouveaux locaux intervient début 1974.

Le fonctionnement de la coopérationdécoule directement de l’accord inter-gouvernemental et de la structure juri-dique du GIE (voir ENCART N° 6).Dans l’organisation mise en place, lanouvelle entité Airbus Industrie a pourmissions essentielles la maîtrise d’œu-vre et la commercialisation. L’auto-nomie est totale dans le domaine com-mercial mais en revanche pour la maî-trise d’œuvre, Airbus Industrie doits’appuyer sur les capacités de sespartenaires et principalement d’Aé-rospatiale :L‘accord préliminaire de 1967 avaitconfié la maîtrise d’œuvre de la celluleà Sud Aviation et le transfert de cetteresponsabilité à la nouvelle entitéAirbus Industrie n’est pas acceptésans réticence ; la direction de l’éta-blissement de Toulouse manifeste enparticulier une forte opposition à lanouvelle organisation. Personnelle-ment, comme responsable de l’Agenceexécutive et plus tard à mon arrivée àAirbus Industrie, j’aurai à en supporterles humeurs mais avec le temps et l’ar-rivée de nouveaux responsables le cli-mat relationnel s’améliorera. Heureusement et c’est de loin le plusimportant, les équipes chargées del’exécution des travaux et de la déléga-tion de maîtrise d’œuvre sont tenuesen dehors de ce débat et apportenttoute leur compétence et leur savoir-faire à la réalisation des objectifs duprogramme.

Les moyens propres d’AirbusIndustrie, négligeables lors de la créa-tion du GIE, s’accroissent au fur et àmesure de l’avancement du program-me : les effectifs limités à quelquespersonnes pendant la phase prélimi-naire atteignent deux cents en fin dudéveloppement et la plupart des inves-tissements communs (bâtiments,Super Guppies, simulateur…) lui sontconfiés. L’organisation interne d’AirbusIndustrie s’appuie sur quatre direc-teurs détachés par les partenaires :

• Roger BÉTEILLE (Aérospatiale) à ladirection technique et à la coordina-tion d’ensemble ;

• Félix KRACHT (Deutsche Airbus) àla direction de la production

• Didier GODECHOT (Aérospatiale) àla direction commerciale ; • KRAMBECK (Deutsche Airbus),

puis Friedrich FEYE à la directionfinancière.

La percée commercialeLes efforts dans le domaine commer-cial sont longs à concrétiser malgré lamise en place d’une efficace organisa-tion de commerciaux détachés parAérospatiale et HSA : les compagniesne sont pas pressées de s’engagervis-à-vis d’un constructeur et d’un pro-duit aussi peu crédibles. Les premiersclients doivent être recherchées enpriorité dans les pays européens parti-cipants (voir ENCART N° 7).En tête de liste compte tenu de la posi-tion de la France dans la coopération,Air France passe le 9 novembre 1971après de longues tergiversations, unecommande portant sur 6 avions fermeset dix options. Pour obtenir cette déci-sion, Airbus Industrie est conduit àproposer à la place de son produitA300B1, les deux nouvelles versionsA300B2 (court courrier) et A300B4(moyen courrier). Bien que tardifs etpénalisants pour le programme, ceschangements s’avéreront essentielspour la commercialisation du produitAirbus : l’augmentation du rayon d’ac-tion sera le facteur majeur de la réussi-

Saisie par Airbus Industrie pour lui demander sonaccord, la Commission des Communautés européen-nes, répond le 19 décembre 1972, que « les activi-tés d’Airbus Industrie ne sont en rien contraires auxdispositions du Traité de Rome concernant la régle-mentation de la concurrence et qu’en conséquence,aucune décision formelle ne paraît nécessaire » :En me remémorant ces souvenirs, je me pose laquestion de savoir si l’actuel environnement admi-nistratif aurait accordé les mêmes facilités à nosinitiatives. Ici, je ne pense pas que la jurispruden-ce actuelle de la Commission dans le domaine dela concurrence conduirait au même accueil de lademande d’Airbus Industrie : pour s’en convaincre,on peut rappeler, parmi d’autres, le veto mis en1990 par la Commission à la tentative de rappro-chement entre Aérospatiale, Alenia et de HavillandCanada dans le domaine des avions régionaux.

LA COMMISSION EURO-PÉENNE ET LA CRÉATION

D’AIRBUS INDUSTRIE

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En conformité avec l’Ordonnance du 26 septembre1967 instituant le GIE, la gouvernance d’AirbusIndustrie comprend trois niveaux de pouvoir :• L’Assemblée des membres (membre est le terme

juridique désignant chacun des partenaires du GIE)est constituée d’un représentant par membre ;l’Assemblée des membres est l’autorité la plus éle-vée dans l’organisation avec pour attributions, lesévolutions du GIE, la nomination de l’administra-teur gérants et l’approbation des comptes annuels.

• Le conseil de surveillance est constitué de repré-sentants des membres et a pour mission d’assu-rer le contrôle de la gestion opérationnelle du GIE.Dès sa nomination comme président le 18 décem-bre 1970 jusqu’à son décès en octobre 1988,Franz Josef STRAUSS s’impliquera avec unegrande efficacité dans cette position ; ses succes-seurs, Hans FRIEDERICHS et EdzardREUTER n’eurent pas la même ascendant.

• L’administrateur gérant est chargé de la gestionopérationnelle du groupement pour un mandat decinq années. Cinq administrateurs gérant se succé-deront à la tête du GIE : Henri ZIEGLER à par-tir du 18 décembre 1970, Bernard LATHIÈREdu 1er janvier 1975, Roger BÉTEILLE (en situa-tion d’intérim) du 1er janvier 1985, JeanPIERSON du 1er mars 1985 et NoëlFORGEARD du 1er mars 1998 à la création de lanouvelle société Airbus.

LA GOUVERNANCE INDUS-TRIELLE DU GIE AIRBUS

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te commerciale avec des commandesimpliquant pour plus de 75% le moyencourrier A300B4 (considéré au départcomme une version accessoire ducourt courrier A300B2).En prolongement de l’entrée del’Espagne dans Airbus et avec réticen-ce, Iberia suit le mouvement le 15 jan-vier 1972 avec une commande de 4avions B4 fermes et 8 options.Lufthansa, la plus courtisée, en raisond’une indépendance vis-à-vis de songouvernement, se décidera plus tardi-vement le 7 mai 1973 avec une com-mande pour 3 avions B2 fermes et 4options.Airbus Industrie est conscient de la fai-ble crédibilité de son organisation etde son produit. Aussi pour en faireconnaître les qualités, Airbus utilise ladisponibilité de l’avion 1 de développe-ment en organisant des tournées dedémonstration dans les Amériques, auMoyen Orient, en Extrême Orient, enEurope et en Afrique) ; ces présenta-tions vont constituer un réel investisse-ment commercial et lors de ces cam-pagnes trois catégories de compa-gnies affichent leur intérêt :

• Celles, pour lesquelles le produitAirbus correspond à un besoin nonsatisfait, vont s’engager à courtterme : Korean Airlines (en septem-bre 1974), Indian Airlines (en février1975) et South African Airways (enseptembre 1975) ;

• Celles, dont l’objectif est d’utiliserAirbus pour faire pression sur leursfournisseurs américains et qui neconcrétiseront jamais l’intérêtaffiché : National Airlines et WesternAirlines aux États-Unis, Quantas enAustralie, les compagnies japonaiseset bien d’autres dans le monde(même en Europe).

• Celles intéressées mais de faibleimportance, passeront des comman-des malheureusement sans suiteeffective : TEA (charter belge : loueurde l’avion 2), SATA (charter suisse :contrat « signé » sans suite, Sterling(charter danois : également sanssuite), Transbrasil (conduit à sedésister sous pression américaine)et Air Siam (loueur occasionnel del’avion n°8 en 1975) ;

A la fin du développement en mars1974, le carnet de commandes atteintun total de 19 avions fermes et 24options (seuls 13 conduiront à deslivraisons effectives) ce qui représentemoins de 3% du carnet mondial : ilreste encore un long chemin à parcou-rir avant d’atteindre l’objectif de péren-nité de 50%.

La valorisation des prix de vente meten lumière l’importance des parités

monétaires et de leurs fluctuationsdepuis 1971. Au départ, Air Franceaccepte la proposition d’Airbus expri-mant le prix de vente dans les quatremonnaies de ses coûts (FrancFrançais, Deutsche Mark, LivreSterling et dollar américain) ; en revan-che Lufthansa (sensibilisé par les bais-ses du $) refuse une telle présentationet demande un prix de vente libellé entotalité en dollars comme le lui propo-se la concurrence. Airbus Industrie estainsi conduit à s’aligner sur les avion-neurs américains (voir ENCART N° 8).

Le développement de l’A300et la politique de produitLe développement de l’A300B dansdes versions dérivées est une préoc-cupation constante de RogerBÉTEILLE ; sa participation au pro-gramme Caravelle lui a permis demesurer l’impact des nouvelles ver-sions sur la réussite d’un programme(voir ENCART N°9) et ses premierscontacts avec les compagnies lui ontmontré de plus l’importance attachée àce sujet pour juger de la crédibilitéd’Airbus. Aussi dès l’origine, de nom-breuses versions sont envisagées et ilest intéressant de les rappeler car ellespréfigurent la future politique de pro-duits des Airbus à large fuselage : • A300B1 (base) : 259 sièges, 1 200

nm et 132 tonnes au décollage ;

Le choix de la monnaie va se poser tout au long dela commercialisation des Airbus ; à chaque tentativepour accrocher le prix de vente aux monnaies euro-péennes, le marché en rejettera le principe et Airbusdevra revenir au $. Les compagnies préfèrent ache-ter en $, monnaie neutre vis-à-vis de la compétitioninternationale, cette position renforcée de plus par lasituation monopolistique des avionneurs américains

Sur cette question, il est intéressant de rappeler l’é-volution de la position d’Air France dans ses rela-tions avec Airbus : – le contrat de 1971 libellé au départ dans les qua-

tre monnaies doit être modifié à la demande de lacompagnie pour être exprimé en dollars ;

– le contrat A320 conclu en 1985 est exprimé enfrancs à la demande de la compagnie ; lors despremières livraisons en 1988, la baisse de plusde 30% du dollar conduit à une hausse équiva-lente du prix de vente exprimé en $ ; une tellesituation inacceptable pour la compagnie obligeAirbus à revenir à sa proposition initiale en dol-lars pour débloquer la situation ;

– aujourd’hui, les recettes d’Air France s’exprimentà la fois en euros (pour le trafic européen) et endollars (pour le trafic international) ; pour éviterles risques monétaires, la compagnie rechercheune même proportion pour ses coûts : euros pourle fonctionnement et les personnels, dollars pourle carburant et l’achat des avions.

L’HÉGÉMONIE DU $ DANSLES PRIX DE VENTE

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Les compagnies aériennes européennes sont conscientes des sollicitations et des pressions auxquelles elles vontêtre soumises ; aussi pour éviter de se trouver confrontées à un produit ne correspondant pas à leur besoin, elless’impliquent dès l’origine dans sa définition. Mais ceci ne les empêche pas d’envisager avec inquiétude le momentde se déterminer vis-à-vis d’Airbus car elles sont satisfaites des produits délivrés par la concurrence et peuventtrès bien se passer du produit Airbus ; aussi pour éviter de se trouver acculées à une obligation de décision, ellesrecherchent tous les atermoiements susceptibles de retarder l’arrivée d’une telle situation.L’attitude d’Air France est révélatrice lors du choix de la capacité de l’A300B. Après être intervenue pour consi-dérer trop grande la capacité de l’A300 et pour recommander celle retenue pour l’A300B (260 sièges), Air Francepar la voie de son directeur général Pierre-Donatien Cot déclare en 1970 la capacité de l’A300B trop petite parrapport à ses besoins ; Roger BÉTEILLE prend la compagnie à son propre jeu en se déclarant disposé en échan-ge d’une commande ferme à satisfaire cette exigence avec le lancement du produit A300B2 ; Air France ne peutplus reculer et doit passer commande le 9 novembre 1971 pour 6 appareils de ce type. De son côté, Lufthansa préfère prendre son temps pour voir comment évolue le système ; ce décalage permet

aussi de laisser supporter à d’autres (comme Air France) les maladies de jeunesse du constructeur et du nouveauproduit. Autre preuve de méfiance, Lufthansa impose une clause au contrat (appelée ultérieurement « clause sau-vage ») ouvrant pour tout client du groupe ATLAS (Air France, Lufthansa, Alitalia et Sabena rejoints par Iberia) lapossibilité d’annuler sans frais son engagement si le niveau cumulé des ventes n’atteint pas 50 avions dans lessix mois suivant la première livraison.En novembre 1974, Iberia, sous l’emprise de Boeing annule sa commande d’Airbus par application de la clause« sauvage » du contrat ATLAS rappelée ci-dessus. Cette position d’Iberia en contradiction avec l’accordIntergouvernemental pèsera sur les relations avec l’Espagne jusqu’en 1977 et le retour d’Iberia dans la clientèleAirbus.Air Inter était aussi une cible privilégiée d’Airbus ; le lancement en mars 1971 de la nouvelle ligne TGV sur laliaison Paris-Lyon (le plus fort trafic d’Air Inter) perturbe la stratégie de la compagnie ; celle-ci préfère en analy-ser les répercussions avant de s’engager pour Airbus en décembre 1975.Compagnies nationales des autres pays participants, KLM s’engagera pour l’A310 en avril 1979 et BritishAirways encore plus tard avec une commande d’ A320 en 1999.La compagnie française UTA (Union des Transports Aériens, absorbée par Air France en janvier 1990) n’exploite-ra jamais des Airbus et restera une chasse gardée des avionneurs américains Douglas (DC-8 et DC-10) et Boeing(quelques 747 et plus tard des 767).

LES ATERMOIEMENTS DES COMPAGNIES EUROPÉENNES 7

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• A300B2 (en service en 1974) : 280sièges, 1 200 nm et 138 tonnes ;

• A300B3 : 280 sièges, 1 600 nm et138 tonnes ;

• A300B4 (en service en 1975) : 280sièges, 2 000 nm et 146 tonnes ;

• A300B5 : version cargo de l’A300B4appelée ultérieurement A300F ;

• A300B6 : version convertible del’A300B4 ;

• A300B7 : 296 sièges, 1 600 nm et146 tonnes ;

• A300B8 (version « américaine ») :212 sièges, 500 nm et 120 tonnes ;

• A300B9 (précurseur de l’A330) :350 sièges, 2 000 nm ;

• A300B10 (précurseur de l’A310) :220 sièges, 1 200 nm et 125tonnes ;

• A300B11 (précurseur de l’A340) :quadriréacteur long courrier.

Ces travaux vont montrer leur pertinen-ce lorsque Roger BÉTEILLE estconduit fin 1971 à passer du produitinitial A300B1aux versions A300B2(court courrier) et A300B4 (moyencourrier) pour répondre aux sollicita-tions d’Air France : capacité accrue (de259 sièges à 280 en aménagementbasique) et rayon d’action allongé (de1 200 nm à 2 000 nm). D’autres évolu-tions seront aussi prises en comptepour satisfaire les compagnies du grou-pe ATLAS réclamant un alignement deleurs spécifications techniques et com-merciales sur les nouveaux standardsagréés pour le DC-10-30. Ces changements amènent à unerefonte du programme ne remettantpas en cause les objectifs de perfor-mances et de délais : l’atteinte d’un telrésultat sera une première confirmationde la réactivité et de l’efficacité de l’or-ganisation. Les gouvernements entéri-nent ces changements et apportent un

financement complémentaire au titred’un arrangement contractuel notifié le9 avril 1974 sous la dénomination« Accord cadre B2, B4 et RFC Atlas ».

La mise en route de la productionSous la conduite de Félix KRACHT, l’or-ganisation mise en place pour la pro-duction sera à l’origine de l’efficacitéindustrielle du système. En matière d’af-fectation des travaux entre les partenai-res (souvent à l’origine de conflits et del’inefficacité industrielle), Félix KRACHTva réussir ici à imposer une rationalitéexemplaire en affectant les parts de tra-vail non pas selon des références poli-tiques mais en fonction des compéten-ces de chacun des partenaires.Le découpage industriel est basé surdes tronçons équipés ce qui permet unmeilleur équilibrage des tâches entre lespartenaires : enrichissement technolo-gique des travaux amont et moindreimportance de la chaîne finale. Un telpartage a toutefois pour conséquencesune taille plus importante des éléments àtransporter ; le problème de l’achemine-ment des tronçons de grande dimensionse pose d’emblée compte tenu de lasituation géographique de Toulouse et ilne pourra être traité que par la voieaérienne (voie ENCART N° 10).

L’outil industriel démontre son bien-fondé dès la phase de développementavec le respect de tous les objectifsinitiaux : le 28 septembre 1972 l’avion 1fait sa première apparition publique aucours d’une grande manifestationregroupant côte à côte les dernièresproductions d’Aerospatiale, l’Airbus, leConcorde de présérie et la 1èreCaravelle XII livrable à Air Inter.« Les principes à l’origine de cette effi-cacité, seront repris dans tous les pro-

grammes ultérieurs ; Airbus doit avoirune grande reconnaissance envers lespionniers pour avoir su l’imposer à despartenaires plutôt réticents : bravo etmerci, Félix Kracht ! » En revanche, l’accord sur les prix desérie aboutira plus tard après de lon-gues et laborieuses négociations (voirENCART N° 11).

Les essais envolDébut 1972, la préparation du premiervol devient l’activité industrielle dominan-te. Dans l’organisation retenue, laconduite des essais est confiée à AirbusIndustrie alors que l’installation, lesmoyens au sol et les dépouillementssont assurés par Aérospatiale. En avan-ce de 33 jours par rapport à l’objectifmalgré un retard d’une journée pour rai-son météorologique (pluie et vent d’au-tan), le premier vol est effectué le 28octobre 1972 en fin de matinée avecpour équipage Max Fischl, commandantde bord, Bernard Ziegler deuxième pilo-

Lorsqu'en 1967, on me confia la responsabilité du programme européen “Airbus”, je cherchai à comprendre pourquoila collaboration engagée entre la SNCASE et Douglas quelques années plus tôt avait échoué, permettant au DC-9,puis au Boeing 737 de dominer le marché pour deux décennies. La rumeur interne, soutenue par certains médiasfrançais, laissait penser que c'était le résultat d'une manœuvre indélicate de Douglas, ayant dès le début cherché àprofiter des informations techniques, industrielles et commerciales obtenues sur Caravelle, pour faciliter le déve-loppement de son propre avion concurrent. De mon enquête détaillée des deux côtés de l'Atlantique, j'ai conclu, àmon grand regret devant cette occasion manquée, qu'il n'en était rien, et, que le refus d'adapter étroitementCaravelle au marché américain, en particulier en modifiant le fuselage pour avoir une soute à bagages plus grande,en était la cause essentielle. D'une manière générale, les constructeurs européens étaient beaucoup plus réticents face aux demandes des com-pagnies aériennes que leurs concurrents américains, ce qui explique en partie leur domination du marché à cetteépoque. Airbus en a tiré heureusement les leçons !Le bureau d'études de P. SATRE avait pourtant défini une version (Caravelle XIV) satisfaisante, mais la tutelle gou-vernementale ne voulait pas autoriser des dépenses non négligeables (il fallait modifier les principaux outillages),alors que l'avion trouvait encore des clients tel quel (étant à ce moment là seul sur le marché). La direction de laSNCASE, aurait probablement dû à l'époque prendre une position plus ferme sur ce point, mais les illusions"Concorde" (qui au départ était vu comme un moyen courrier Paris Alger en 1h, appelé même “Super Caravelle”),expliquent peut-être cette orientation.

LE DÉVELOPPEMENT DE CARAVELLE : SOUVENIR DE ROGER BÉTEILLE

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A la différence de la plupart des implantations indus-trielles concurrentes, le site toulousain n’a pas d’ac-cès maritime ou fluvial autorisant l’utilisation de bar-ges d’un gabarit suffisant :on ne peut reprocher àPierre Paul RIQUET de n’avoir pas prévu Airbus ! Lavoie ferrée n’est pas non plus praticable et la routemontre vite ses limites à l’occasion du transport despremières cellules (trente années plus tard letransport routier reviendra à l’ordre du jour avec lelancement de l’A380).Seule la voie aérienne pourrait satisfaire le besoinmais il reste à trouver le véhicule approprié ; aprèsavoir exploré les produits existants (Galaxy deLockheed et Antonov russe), Félix KRACHT entendparler d’un avion insolite utilisé depuis 1962 par laNASA pour le transport des étages de la fuséeSaturne : le « Pregnant Guppy » obtenu par super-position d’une cabine de très grande dimension surune cellule récupérée de Boeing C-97 Stratocruisert.Son constructeur, l’entreprise américaine AéroSpacelines étudie un nouveau produit modernisé etéquipé de turbopropulseurs, le « Super Guppy ». Enaoût 1969 à l’occasion d’un déplacement à SantaBarbara siège d’Aéro Spacelines, Félix KRACHT estemballé par un produit répondant si bien à sesbesoins ; il passe aussitôt commande pour le premierexemplaire en cours de réalisation.Félix KRACHT outrepasse ses délégations lorsqu’ilconclut cette première commande et l’ on ne peutque s’en féliciter : en effet, si Félix Kracht avaitattendu pour passer sa commande, AéroSpacelines(au bord de la faillite) arrêtait les travaux et c’enétait fini du transport aérien pour la productionAirbus. Cette décision risquée et contestée constitueun facteur important dans la réussite Airbus. Pour lasécurité du système de transport, un second exem-plaire est acheté en 1973.

DE GROSSES BALEINESPOUR LE TRANSPORT

DES TRONÇONS : LES SUPER GUPPIES

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te, Pierre CANEILL et GüntherSCHERER, ingénieurs navigants, etRoméo ZINZONI, mécanicien navi-gant. La réussite de ce premier vol,trois ans et cinq mois après la décisionde lancement, apporte un premiergage de crédibilité : escomptant undécalage de l’événement, tous (clients,concurrents et administrations) l’ac-cueillent avec surprise.Les essais se déroulent ensuite confor-mément au programme avec la terminai-son des vols de certification en février1974 et la délivrance du certificat denavigabilité le 15 mars. Seule une ridicu-le polémique initiée par Jean-JacquesSERVAN-SCHREIBER marquera lapériode (voir ENCART N° 12).

LA FIN DU DÉVELOPPE-MENT ET L’ENTRÉE DANSL’ÈRE INDUSTRIELLE

Le début d’année 1974 marque uneétape de la vie d’Airbus, entre uneenfance protégée et une adolescenceresponsable. L’organisation technique etindustrielle d’Airbus vient de prouver sacapacité à franchir ce cap avec l’atteintede tous les ambitieux objectifs du pro-gramme de développement : délais,masses, performances et budgets. Maisil ne faut pas s’endormir sur ces pre-miers lauriers car il reste encore beau-coup à faire : les résultats encoura-geants obtenus doivent être confirméset étendus en vue de répondre aux exi-gences de crédibilité commerciale etd’efficacité de gestion ; ces deux sujetsconstitueront les chantiers prioritairesde la période à venir.

A suivre…

La détermination des prix des prestations facturés par les partenaires à Airbus Industrie sera la pierre d’achoppe-ment du système industriel : dès que l’on parle d’argent, les positions des parties s’exacerbent quelle que soientleur nature : famille, communauté, entreprise ou nation. Deux approches sont ici envisagées : soit une consolidation des « coûts réels » au niveau d’Airbus Industrie (avecpour conséquence l’obligation d’une transparence comptable) soit la négociation de « prix de cession » agréés avecles partenaires. Les discussions selon l’approche « coûts réels » se bloquent rapidement, aucun partenaire n’étantprêt à accepter la transparence de sa comptabilité ; à partir de 1974 elles évoluent vers l’établissement de « prixde cession » (guère plus aisés à obtenir mais plus motivant pour faire des efforts de productivité). Dans de tellesnégociations,, chacun privilégie sa propre position même si celle-ci va à l’encontre de l’intérêt général ; AirbusIndustrie aura pour mission de s’opposer à de tels comportements mais sa démarche sera longue et n’aboutira pourle produit A300 qu’en 1978.

LA FIXATION DES PRIX DE CESSION, PIERRE D’ACHOPPEMENT DU SYSTÈME INDUSTRIEL

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LA LETTRE AAAFÉditeur : Association Aéronautique etAstronautique de France, AAAF – 6, rue Galilée, 75016 ParisTél : 01 56 64 12 30 • Fax : 01 56 64 12 31 [email protected] • www.aaaf.asso.frDirecteur de la publication : Michel SCHELLERRédacteur en chef : Khoa DANG-TRANComité de rédaction : Michel de la BURGADE,Philippe JUNG, Georges MEAUZE, Jean TENSIRédaction : Tél : 01 46 73 37 80 ; Fax : 0146 73 41 72 ; E-mail : [email protected]

Ont notamment collaboré à ce numéro : Jean-Michel BIDOT, Didier COMPARD, Gérard DUBEY, Alain GRAS, Louis LAIDET,Françoise et Guy LEBEGUE, Caroline MORICOT, Sophie POIROT-DELPECH,Victor SCARDIGLI, Jean-Pierre TARAN, Jean TENSI, Georges VILLECrédits Photos : NASA-JPL, TsAGI, Airbus, EADSConception : Khoa DANG-TRAN, S. BOUGNONRéalisation : Sophie BOUGNON Imprimerie : AGI SYSTEM’S Dépôt légal : 1er trimestre 2004

ISSN 1767-0675 / Droits de reproduction, texte etillustrations réservés pour tous pays

Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER (pluscommunément dénommé JJSS journaliste,et hommepolitique et patron du Parti radical-socialiste) s’op-pose à Jacques CHABAN-DELMAS pour lamairie de Bordeaux en mars 1971 et pour les légis-latives de mars 1973 ; il englobe dans sa vindictetous les proches de son adversaire tel le patrond’Aerospatiale, Henri ZIEGLER (compagnon d’ar-mes de Jacques CHABAN-DELMAS pendantla guerre et plus tard son directeur du cabinet auministère des Travaux publics). Lors d’ une réunionpublique à Toulouse le 14 mars 1973, JJSS tente demettre en porte à faux l’Aérospatiale et son présidentau travers de ses produits tels le Concorde (contro-versé à l’époque) et l’Airbus (au mépris de la réus-site du programme) ; en qualifiant l’aile de l’Airbusde voilure ratée, le polémiste porte la contestationsur un domaine aérodynamique complexe où sonincompétence technique aurait dû le conduire à plusde prudence : l’installation (contestée par JJSS) degénérateurs de tourbillons sur l’aile constituait alorsune solution classique utilisée sur tous les avionspour retarder en vitesses transsoniques les phéno-mènes de « buffeting » (vibrations de l’aile). Laréunion est houleuse et JJSS fortement conspué ;celui-ci n’aura gagné à cette occasion qu’un surnomproposé par André TURCAT : « JJSS ou Je JacteSans Savoir ».

LA VOILURE RATÉE DE L’AIRBUS SELON

JEAN-JACQUES SERVAN-SCHREIBER

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8TH INTERNATIONAL SYMPOSIUM ON EXPERIMENTALAND COMPUTATIONAL AEROTHERMODYNAMICS

OF INTERNAL FLOWS (ISAIF)École Centrale Lyon, France, July 2-6, 2007

CALL FOR PAPERSExtended Abstract and preliminary registration : June 30, 2006Information of paper acceptance : October 31, 2006Submission of full-length papers : January 31, 2007http://www.Imfa.ec-lyon.fr/ISAIF8/ ; [email protected]

The first ISAIF was organized in 1990 in the People's Republic of China with the intention of encouraging scien-tific ans technical cooperation between Asia and Europe. It is now extended to all the continents around the world.The 8th ISAIF is organized by Laboratoire de Mécanique des Fluides et d'Acoustique, Ecole Centrale Lyon.

Papers are sollicited related to the following topics– Flows in compressors ans turbines, intakes, nozzles and channels;– Transonic and supersonic flows, schok wave-boundary layer interaction;– Laminar and turbulent flows;– Unsteady flows, stall and surge, aeroacoustics;– multiphase flows and reacting flows;– Flows in combustion chambers and facilities;– Flows with heat and mass transfer, fuel cells;– Novel technologies e.g. actuators for flow control, advanced materials...

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La mise en service de l’A300B donne une nouvelle dimension à l’aventure Airbus : d’une origine essen-tiellement politique, elle prend de plus en plus une dimension industrielle. Airbus Industrie doitaffermir sa crédibilité tant sur le plan interne de la coopération que vis-à-vis du transport aérienfortement perturbé de 1974 à 1977par la crise économique.

Les Histoires d’Airbus 4EME EPISODE : LA JEUNESSE D’AIRBUS : 1974 - 1977

PAR GEORGES VILLE

■ Geoges Ville

POLITIQUE 02 avril : décès de Georges Pompidou06 mai : démission de Willy Brandt19-mai : élection de Valéry Giscard D’Estaing08 août : démission de Richard Nixon

ECONOMIE

TRANSPORT AERIEN

AIRBUS

BOEING

McDONNELL DOUGLAS

LOCKHEED

1974

AVIONNEURSEUROPEENS

15 juin 1977 : décès du Général Franco

pétrole : hausse du baril multiplié par 6 depuis 1970économie : inflation de 12% et récession mondialechange : $ voisin de 4,8 FF

pétrole : stabilisation du baril à 20 $

change : $ entre 4 et 4,5 FF

trafic : croissance réduite à + 5%flotte : 800 avions non utiliséscarnet total1 : 400 (1200 en 1967)livraisons2 : 350 (740 en 1968)

trafic : 5% (1975), 10% (76) et 10% (77)

carnet total : 300 (1975), 280 (76) et 400 (77)livraisons : 320 (1975), 270 (76) et 210 (77)

carnet : 190 (45% mondial)livraisons : 189 (376 en 68)

carnet : 135 (1975), 165 (76) et 275 (77 soit 67% mondial)livraisons : 170 (1975), 139 (76) et 120 (77)

03 mars : Accident D’un DC-10 à Ermenonville (374 Morts)carnet : 120 (28% mondial)livraisons : 95 (305 en 68)

carnet : 60 (1975), 45 (76) et 90 (77 soit 21% mondial)livraisons : 85 (1975), 69 (76) et 36 (77)

carnet : 50 (12% mondial)livraisons : 41 (0 en 68)

carnet : 29 (1975), 27 (76) et 21 (77 soit 5% mondial)livraisons : 25 (1975), 16 (76) et 11 (77)

12 février : certification du Mercure mis en service par Air Inter janvier 76 : mise en service du Concordeavril 77 : fusion de HSA et BAC dans BAe

15 mars : certification de l’A300mai : mise en service par AFsept. : commande Koreanoct. : annulation commande Iberiacarnet : 16 (4% mondial)livraisons : 4 (0 en 68)

carnet : 24 (1975), 12 (76) et 13 (77 soit 3% mondial)livraisons : 8 (1975), 13 (76) et 15 (77)

1975 à 1977

1. Le carnet exprime le nombre total d’avions commandés non livrés en fin d’année et le pourcentage indiqué pour chaque constructeurentre parenthèses la part qu’il représente en % du carnet mondial.

2. Les livraisons correspondent au nombre d’avions livrés chaque année.

Le 28 novembre 2006, à 17h, le groupe Normandie de l'AAAF organise une conférence, ouverte à tous, sur la propulsion spatiale électrique

dans l'amphithéâtre Charliat de l'ESIGELEC à Rouen (Technopole du Madrillet).

Olivier DUCHEMIN de Snecma, groupe SAFRAN, présentera les principes, les programmes en cours

ainsi que les perspectives de ce nouveau mode de propulsion.

PROPULSION SPATIALE ÉLECTRIQUE: PROGRAMMES EN COURS ET PERSPECTIVES

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LA CRISE DE 1974 : AVANT-GARDE DE LA MONDIALISATION

La crise économique apparue dès 1973 se prolonge jus-qu’en 1977 ; sans renier le rôle de catalyseur de la guerre duKippour sur son déclenchement, cette situation s’insèreaussi dans la suite des cycles (d’une durée voisine de dixannées) affectant l’économie américaine depuis un demi-siècle sous la forme d’une succession de crises et de repri-ses. Ce qui est nouveau est la propagation de la crise à l’en-semble du monde capitaliste et ceci en prolongement dudéveloppement des échanges internationaux ; en Europecette dépression entraîne une brutale apparition du chômagealors que celui-ci semblait jugulé depuis la fin de la guerre.

Les conséquences sur les activités liées au transport aériensont lourdes avec un taux de croissance du trafic annuel chu-tant à 5% en 1974 et 1975 avant d’amorcer une remontée à10% en 1976 et 1977 puis 15% en 1978 en accompagne-ment de la reprise.Le comportement passé des opérateurs ayant surestimé leurbesoin conduit à une flotte surdimensionnée et à un plafon-nement des livraisons aux alentours de 250 avions jusqu’en1978, soit en réduction des deux tiers par rapport au som-met atteint en 1968.La situation industrielle et financière des constructeurs amé-ricains en est lourdement affectée ce qui a pour effet deretarder le lancement du produit concurrent de l’A300 :lorsque les ressources de Boeing lui permettront de le faireen 1978, il sera tard.

LA CRISE MET EN PERIL AIRBUS

La pérennité d’Airbus est doublement mise en cause sur leplan commercial en prolongement des difficultés du transportaérien et sur le plan industriel par les doutes des États et desindustries impliqués sur l’avenir de la coopération.

LA FRAGILITÉ COMMERCIALE DU NOUVEL INTERVENANTDans un premier temps, la mise en service de l’avion en mai1974 accroît la confiance et amène à la fin de l’année 1975,19 commandes s’ajoutant aux 13 cumulées à la date de miseen service (ce fut un bon cru en comparaison aux 22 com-mandes 747, aux 7 DC10 et aux 4 L1011):• au cours de l’été 1974, Air Siam, compagnie thaïlandaise

souscrit une location à court terme pour un B2 livrable enseptembre 1974 (bilan : 0 voir ENCART N° 1) ;

• en septembre 1974, Korean Airlines commande 6 avionsB4 (bilan : + 6)

• en octobre 1974, Iberia annule sa commande d’Airbus parapplication de la clause « sauvage » du contrat ATLAS(bilan : - 4) ;

• le 11 février 1975, le charter allemand Germanair com-mande 2 B4 (bilan : + 2) ;

• le 24 avril 1975, Indian Airlines signe un contrat pour 3 B2(bilan : +3) ;

• le 4 septembre 1975, South African Airways commande 4B2 (bilan : + 4) ;

• le 16 octobre 1975, le charter belge TEA, loue l’avion 2 dedéveloppement et commande un B4 (bilan : + 2) ;

• le 14 novembre 1975, Air France complète sa flotte parune commande de 3 B4 (bilan : + 3) ;

• le 24 décembre 1975, Air Inter passe une première com-mande de 3 B2 (bilan : + 3).

En revanche, 1976 marque l’entrée d’Airbus dans une phasepérilleuse appelée « la traversée du désert » ; avec une seulecommande en dix-huit mois, il ne reste que 12 avions à livrerfin 76, à comparer aux 28 en production.Les actions commerciales ne font pas défaut mais la situa-tion du marché et les dénigrements de Boeing n’encoura-gent guère les clients potentiels à s’engager auprèsd’Airbus ; rappelons deux négociations encourageantes, deconclusions contraires et se révélant prometteuses pour l’a-venir :• Singapore Airlines (SIA), nouvelle compagnie créée en

1972 et spécialisée dans le long courrier (équipée exclusi-vement de 747) envisage d’étendre son réseau au moyen-courrier en s’équipant d’avions de grande capacité de spé-cifications voisines de l’A300B4. En dépit de ses atouts,SIA ne retient pas Airbus et se prononce en faveur du 727.La persévérance d’Airbus et les qualités de l’A300 serontreconnues deux années plus tard avec une commande de6 A300 (avec un prix de vente majoré de 10% !).

• La deuxième concerne une tentative pour entrer sur le mar-ché américain, clé de la réussite commerciale : en sep-tembre 1976, la compagnie Western Airlines manifeste unvif intérêt pour le produit en vue de remplacer ses vieuxBoeing 720 et 707. Les discussions pour une commandede 4 appareils avancent vite et font espérer une décision

La compagnie ne payant pas ses loyers, l’avion est repris au bout de quelques moispour être finalement livré à Air Inter un an plus tard : « Cette opération fut critiquée par les partenaires : on peut les comprendre car, AirSiam étant une compagnie de faible notoriété, ils devaient supporter dans le con-texte du GIE les risques financiers de l’opération. Les événements leur donnèrentraison avec la reprise de l’avion pour défaut de paiement et pourtant ce fut unextraordinaire investissement commercial.En effet, Les compagnies asiatiques, se posèrent la question : comment Air Siam unecompagnie peu crédible a-t-elle pu assurer un service aussi fiable ? La seuleréponse raisonnable ne pouvait être trouvée que dans les qualités du produit : cetteopération fut ainsi une efficace vitrine pour l’A300B en exploitation dans la régionet même si l’expérience coûta un certain prix elle constitua un efficace investisse-ment promotionnel. »

AIR SIAM : COMMENT UN MAUVAIS CONTRATDEVIENT UNE EFFICACE PUBLICITÉ.

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Quels événements ont-ils pu conduire à ce revirement de la compagnie Western ? Laconnaissance insuffisante du processus de décision aux États-Unis a été un facteurdéterminant (la leçon sera retenue lors de la tentative suivante avec Eastern Airlines)mais d’autres considérations propres à la mentalité américaine sont aussi interve-nues tel le slogan « buy America » et une sensibilité exacerbée à toutes les réali-sations d’origine française : « A cette occasion, on a évoqué une prise de position de l’administration américaineet du lobby israélite à l’encontre de la France en raison de l’affaire Abou Daoud. Ceterroriste palestinien, soupçonné d’être l’organisateur de l’attentat contre l’équipeisraélienne lors des jeux olympiques de 1972 à Munich, est arrêté le 7 janvier 1977à Paris ; sa libération par les autorités françaises quatre jours plus tard, contestéeen Israël et aux Etats-Unis, a certainement jouée dans la décision du conseil deWestern. »Les pressions politiques sur les décisions commerciales s’exercèrent tout au longde l’histoire Airbus. « Il en a été ainsi au cours de l’été 76 : à l’occasion d’une chas-se en Centrafrique, les déclarations du président Valéry Giscard d’ESTAING contre lapolitique d’apartheid de l’Afrique du Sud faillirent remettre en cause le choix de lacompagnie en faveur d’Airbus et il fallu tout l’entregent de Franz Josef STRAUSSauprès des Sud Africains pour calmer la situation. »

DE L’IMPORTANCE DES COMPORTEMENTSPOLITIQUES SUR LES NÉGOCIATIONS

COMMERCIALES

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Epositive pour Airbus : pourtant la position annoncée par leconseil d’administration de Western le 25 janvier 1977 esten faveur de Boeing ce qui entraîne une grande déceptionchez Airbus et ses partenaires (voir ENCART N° 2).

Heureusement, l’année 1977 apporte le retour de la crois-sance économique ; la reprise du trafic se traduit pourAirbus par l’annonce de 16 commandes supplémentaires :• en avril 77, commande de 4 B4 par la compagnie Thaï

Airways International ; • en mai 77, commande de 2 B4 par SAS, « ancienne mar-

raine » de Thaï ; • en mai 77, location de 4 B4 à la compagnie EasternAirlines (voir ENCART N° 3) ; • à la fin 77, nouvelles commandes de 2 B4 par Air France,

de 2 B2 par Air Inter, de 2 B4 par Germanair et de 4 B4par Lufthansa (soulignant ainsi leur satisfaction pour leproduit)

Les milieux américains n’apprécient guère l’arrivée d’Airbusdans leur marché et utilisent tous les moyens pour entraverla mise en service de l’A300 :– l’US International Trade Commission ouvre ainsi une

enquête sur la régularité de la location par rapport à lalégislation américaine ; ce procès d’intention se clôturerapidement par un constat de parfaite régularité ducontrat au regard des règles de la concurrence ;

– une interdiction d’atterrissage de l’Airbus A300B à l’aéro-port de New York La Guardia, promulguée au motif queles charges au sol de l’avion dépassent la résistance destaxiways (la restriction ne s’applique pas aux DC10 et L-1011 pourtant plus lourds !), ne sera levée qu’uneannée plus tard le 4 décembre 1978 ;

– les médias fustigent le produit européen : un journal deFloride fait sa manchette avec le titre « Airbus donne desboutons » en expliquant que sur Airbus les hôtessesd’Eastern sont victimes de mystérieuses éruptions d’ec-zémas ; heureusement, un médecin d’Air France diligentépar Airbus découvre rapidement l’origine du syndrome :une réaction allergique à la peinture du gilet de sauvetageEastern.

L’exploitation de l’A300 aux Etats-Unis s’avère toutefoisconcluante et Eastern confirme son intérêt dès 1978 parune commande de 23 appareils (suivie de 9 autres lesannées suivantes) ; malheureusement les difficultés finan-cières de la compagnie amènent sa faillite en 1986 et ceciva coûter très cher au système Airbus : l’ouverture du mar-ché américain en valait toutefois la peine !

LE REJET DE LA COOPÉRATION PAR SES COMMANDITAIRES

Dès1975, les partenaires récusent la légitimité de la maîtri-se d’œuvre Airbus et éprouvent l’impression de se voirdevancer par leur enfant engrangeant ses premiers succèsalors que leurs propres programmes (Concorde, VFW614)stagnent. La crise commerciale va servir de prétexte pourmontrer que ce sont eux les vrais patrons ; par chance, lesvelléités d’arrêt envisagées par les partenaires et les gou-vernements ne peuvent aboutir en raison de la robustessejuridique de la coopération : ne sachant pas sortir de l'ac-cord intergouvernemental ni fermer le GIE, aucune des par-ties n’était disposée à se déclarer de peur d’avoir à en sup-porter les conséquences.

Parmi les dispositions prises par les partenaires, la plusdommageable pour l’avenir est la réduction de cadence (àun avion par mois au lieu de deux) imposée au début de1977 par l’industrie allemande (alors que les premiers fré-missements du marché annoncent la prochaine reprise !) ;cette position unilatérale contraint l’ensemble du système àentériner la suspension des approvisionnements. Du fait del’hystérésis de la production, cette décision pénalisera lapénétration lors de la reprise : en effet malgré une abroga-tion de la décision 6 mois plus tard, il fallut deux annéespour revenir à la cadence 2 et quatre années pour récupé-rer le retard (alors que la crise se profile à l’horizon).

Les réflexions sur l’avion de 150 places et la promotiond’une coopération avec l’industrie américaine vont déstabi-liser pendant deux années (de 1975 à 1977) la coopérationAirbus. Ces tentatives, d’origine française sous la pression

Cet accord, annoncé le 2 mai 1977, est la reconnaissance des qualités du produitA300B par rapport à ses concurrents américains L-1011 et DC-10 ; le premier avionest livré le 24 août et mis en service le 18 novembre 1977 ;La location à Eastern Airlines a pour origine la rencontre de deux entreprises pré-sentant des handicaps complémentaires : d’un côté Eastern souhaite se séparer deses L-1011 sans en avoir les moyens financiers, et de l’autre Airbus a le bon produitmais éprouve de grandes difficultés à placer ses avions. Cette conjugaison d’intérêtsest un point de départ favorable mais encore insuffisant pour conclure : il faut aussides hommes et leurs qualités pour mettre en musique une partition aussi complexe ;dans ce domaine, la rectitude scientifique des présentations de Roger BÉTEILLE inspi-re une grande confiance au rigoureux Frank BORMAN (président d’Eastern et ancienastronaute) et l’exubérante convivialité de Bernard LATHIÈRE apporte l’effervescencechaleureuse nécessaire à l’aboutissement des négociations.

LA LOCATION À EASTERN AIRLINES, PREMIER ACCÈS AU MARCHÉ AMÉRICAIN :

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Le lancement d’un bimoteur de 150 places équipé du moteur CFM56 développé encoopération par la SNECMA et General Electric est une préoccupation en France ;cette nouvelle propulsion apporte des avantages considérables en consommation eten bruit par rapport aux produits existants mais il reste à en convaincre le marchéet à en définir l’avion porteur.Espérant reproduire l’efficace entente SNECMA-General Electric, le gouvernementfrançais pousse les avionneurs français vers une coopération avec un constructeuraméricain. Les deux avionneurs constituent ainsi les alliances « Dassault-Douglas »et « Aérospatiale-Boeing » .Le gouvernement français tranche en faveur du projet Mercure 200 et de l’allianceDassault-Douglas à laquelle Aérospatiale est priée d’adhérer. Un accord signé entreMDC, l’État français, Dassault et Aérospatiale est approuvé le 27 juillet 1976 en comitéinterministériel présidé par Jacques CHIRAC. Les exigences du constructeur américainvont rapidement dissiper les illusions des parties françaises sur une telle coopérationtransatlantique et les discussions s’arrêteront en mars 1977 à la demande de MDC.Le gouvernement français, encore peu confiant dans l’avenir d’Airbus, pousseAérospatiale et ses partenaires à poursuivre les discussions avec Boeing ; les tra-vaux se prolongent ainsi plusieurs mois sur un projet concurrent de l’A300 appeléBB10. Dieu merci, Boeing décide d’arrêter au début de l’année 1977 (sous la pres-sion des syndicats opposés à toute collaboration avec l’Europe). Pendant cet intermède franco-américain, le reste de l’Europe poursuit ses travaux surl’avion de 150 places dans le cadre de deux alliances excluant les partenaires français: les industriels s’aperçoivent très vite qu’ils n’ont ni les moyens ni les ressources pourdisperser leurs efforts et le retour d’Aérospatiale au printemps 1977 va leur permettrede se retrouver dans une structure unifiée appelée Eurojet. Le rapport que JET (JointEuropean Transport) présente en juillet 1977 confirme l’importance du marché poten-tiel de l’avion de 150 places et recommande la présence d’Airbus Industrie dans laréflexion européenne : Airbus Industrie reprend ainsi sa place dans la concertationeuropéenne mais il se passera beaucoup de temps avant le lancement de l’A320.

L’AVION DE 150 PLACES : UNE CACOPHONIEEUROPÉENNE EN PRÉLUDE

AU DÉVELOPPEMENT DE L’A320

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de l’administration et de l’industrie, poussent les partenairesindustriels à rechercher de nouvelles formes d’associationavec MDC d’abord puis avec Boeing. Heureusement pourl’avenir d’Airbus, les suspensions des discussions à lademande de MDC suivi de Boeing mettent un terme à cesalliances contre-nature : ce refus constitue une erreur stra-tégique car ils avaient en main tous les moyens pour circon-venir leur futur adversaire (voir ENCART N° 4).

LA CRISE RENFORCE AIRBUS

Bien que la crise rencontrée soit durement ressentie parAirbus, elle représente une grande chance pour la coopéra-tion européenne en lui donnant le temps nécessaire pourconvaincre de sa crédibilité et pour renforcer son organisa-tion : Airbus sera prêt le jour de la reprise avec un produitreconnu.

L’OBTENTION DE LA CRÉDIBILITÉ Malgré le bon positionnement de son produit et la réussitede son développement, Airbus Industrie a de nombreuxhandicaps avant d’être accepté par le marché :– la filiation d’Airbus aux avionneurs européens ne constitue

pas un label : en dépit de leur compétence technique,ceux-ci ont en effet la fâcheuse réputation de ne pas êtreà l’écoute du marché et des clients (définition, évolutiondu produit et suivi en service) ;

– une coopération laissant planer des doutes sur son effica-cité et sa pérennité.

– la structure juridique du GIE est incompréhensible pour laplupart : clients, fournisseurs et concurrents ; Boeing nese prive pas de l’exploiter en traitant Airbus de « consor-tium politique irresponsable ».

Airbus Industrie est dans l’obligation de démontrer la vacuitéde ces imputations : la crise du transport aérien va lui donnerle temps nécessaire pour mener à bien cette opération.

Le premier objectif est de convaincre les clients de l’effica-cité du produit en opération. Au-delà des premières expé-riences en service par les compagnies européennes, denombreuses démonstrations et présentations vont êtremenées dans l’ensemble du monde. Deux régions sont par-ticulièrement prospectées, l’Extrême Orient et les Etats-Unis et celles-ci deviendront à la fin des années 70 le fer-ment du redémarrage commercial d’Airbus une fois la crisepassée. En Extrême Orient, plusieurs expérimentations vont souli-gner l’adaptation du produit à un marché régional en pleineexpansion ; le premier banc d’essai est constitué par lacourte mais probante exploitation au dernier trimestre 1974de l’avion n°8 par Air Siam ; les mises en service des B4 deKAL en septembre 1975 et des B2 d’IAL en novembre1976 complètent efficacement cette promotion.En Amérique du Nord, la première démonstration de l’A300est apportée par Air France au cours de l’hivers 1975-76avec l’exploitation de son premier B4 sur une liaison entreNew York et les Antilles ; l’expérience Eastern avec ses qua-tre premiers B4 en opération à partir du 18 novembre 1977donne une dimension plus large à l’expérimentation de l’a-vion sur le marché américain.

La médiocre réputation des constructeurs européens dansleurs relations avec leurs clients doit être redressée ; Airbusva déployer tout un ensemble d’actions visant à démontrerque les leçons des expériences passées sont prises enconsidération dans le suivi des avions en exploitation :• service après-vente, une priorité pour répondre aux exi-

gences opérationnelles des utilisateurs ;

• formation en vol et au sol des personnels des compagniespar une filiale Aéroformation ;

• suivi des incidents en service.

Le développement des produits reste au centre des préoc-cupations d’Airbus et deux réalisations soulignent cetteouverture malgré l’atonie des activités :• le développement d’une deuxième motorisation en coopéra-

tion avec Pratt & Whitney est décidé au printemps 1977 enaccompagnement de la commande d’A300B4 par SAS ;

• la configuration FFCC (Forward Facing Crew Cockpit)est conçue et mise au point pour rendre possible le pilo-tage de l’A300B4 par deux pilotes alors que traditionnel-lement l’équipage est constitué de deux pilotes et d’unmécanicien navigant (voir ENCART N° 5).

Il reste aussi à faire comprendre aux interlocuteurs d’AirbusIndustrie le fonctionnement de la coopération dans lecontexte juridique du GIE ; par sa singularité, l’organisationindustrielle prête le flanc à l’incompréhension. Une brochu-re pédagogique préparée à cet effet, rassure les clients surl’importance apportée par la caution conjointe et solidairedes partenaires dans la structure du GIE.

LA CONSOLIDATION DE LA COOPÉRATION INDUSTRIELLELe développement des activités du groupement entraîneune augmentation de ses moyens : les effectifs passent ainside 200 en 1974 à plus de 600 à la fin de 1977 et l’organi-sation se peaufine avec une équipe de direction complétéeau cours des années 74 et 75 :• Bernard LATHIÈRE est nommé Administrateur Gérant enremplacement d’Henri ZIEGLER ;• Roger BÉTEILLE, désigné administrateur gérant adjoint etdirecteur général assure la gestion opérationnelle d’AirbusIndustrie ;• Jean ROEDER prend la direction technique ;• Bernard ZIEGLER assure la direction des essais en vol• Félix KRACHT est maintenu à la direction de production ;• Dan KROOK est détaché par Fokker comme directeur

commercial ;• George WARDE (ancien vice-président d’American

Airlines) est nommé directeur du support aux clients ;• Georges VILLE prend la direction financière (voir

ENCART N° 6).

L’adaptation du cockpit pour présenter face à l’équipage l’ensemble de l’instrumenta-tion et des boutons de commande est rendue possible grâce à l’utilisation despremières techniques numériques. La version A300 incorporant ce nouveau conceptest vendue en 1979 puis exploitée à partir de janvier 1982 par la compagnie indo-nésienne Garuda. Cette avancée technologique est une première dans l’exploitationdes avions de ligne ; elle sera reprise pour tous les futurs produits Airbus à partir del’A310 et Boeing sera obligé de suivre en modifiant dans ce sens ses nouveaux pro-duits. Dès l’origine, cette évolution s’accompagne d’une polémique avec les associa-tions de pilotes de ligne : celle-ci se calmera dans l’ensemble du monde sauf du côtéfrançais où les syndicats de pilotes continuèrent à s’opposer à une telle évolution :il fallut attendre pour clore ce conflit en 1988, la mise en service de l’A320 asso-ciée à l’énergique intervention du ministre des Transports Charles FITERMAN. Aux Etats-Unis, saisi du problème dès son entrée en fonction en janvier 1981, le pré-sident Ronald Reagan nomme une commission d’experts et la charge de lui remettreun avis ; après une visite à Toulouse pour ausculter le cockpit Airbus, celle-ci rendle 2 juillet de la même année un verdict tout à fait favorable au nouveau concept depilotage à deux.

AIRBUS, PIONNIER CONTESTÉ EN FRANCE DE L’ÉQUIPAGE À 2

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Les règles contractuelles internes à lacoopération industrielle avaient été lais-sées de côté au cours du développe-ment : cette question n’était pas priori-taire et la réponse pas évidente, mêmesi la question était d’importance car deson issue dépendait pour une grandepart l’efficacité industrielle. Avec la pre-mière livraison à Air France en 1974,Airbus Industrie se trouve confronté aureversement aux partenaires de larecette en l’absence de toute procédu-re agréée ce qui va provoquer un crisemajeure entre partenaires et Airbus(voir ENCART N° 7).

Les enjeux de la négociation sontconsidérables en matière d’impactsfinanciers et d’incitation à la compétiti-vité, et de longues et complexes négo-ciations seront nécessaires pour trou-ver les bons compromis. Dans les dis-cussions, les partenaires ont tendanceà privilégier leurs positions au détri-ment de l’intérêt général, alors qu’Air-bus Industrie s’attache à refuser toutesolution allant à l’encontre de l’effica-cité globale. Les accords contractuelssont définitivement approuvés par lesprésidents des partenaires et d’Airbusle 6 mars 1978.Rappelons ci-dessous les particularitésde cette structure contractuelle :• un système de gestion distinguant les

deux rôles des partenaires : « indus-triel » pour la fourniture de leur partde travail et « actionnaire » pour leurspositions de membres du GIE ;

• une utilisation de dollar américainétendue à toute la gestion financièredu système : facturation des fournitu-res, tenue des comptes courants etcomptabilité du GIE ;

• des cessions des parts de travail despartenaires comptabilisées sous laforme de forfaits équilibrés et incita-tifs : cette méthode délicate à mettreen oeuvre (négociation des forfaits)est le moteur essentiel des améliora-tions de productivité industrielle obte-nues dans le système.

Dès leur approbation, les accords sontmis en application : ô surprise, la pra-tique s’avère d’une grande simplicitédans la gestion de la coopération.Comme nous le constaterons, cetteorganisation de la coopération ne serajamais un handicap de compétitivitépar rapport à Boeing ; au contraire, endistinguant les activités opérationnelleset les responsabilités de commerciali-sation et de direction générale, la

structure constituera même un atoutmajeur en matière d’efficacité et deréactivité.

APRES LA CRISE LACONFIANCE RETROUVEE

Avec la reprise du marché en 1977,Airbus Industrie peut regarder avecconfiance un avenir offrant des pers-pectives plus favorables ; la coopéra-tion a réussi à traverser la crise sansrenier ses principes, son produit estreconnu et son système industriel esten ordre de marche. Par leur courageet leur persévérance, les hommesd’Airbus sont au centre d’une telleconjoncture et l’on ne répètera jamaisassez le rôle d’entraîneur joué parl’équipe de direction d’Airbus Industrieà cette époque. Cette première pério-de d’émancipation d’Airbus se terminesous des auspices plus favorablesavec toutefois un seul regret : la déci-sion de baisse de la cadence de pro-duction dont on va rapidement mesurerles conséquences.

... à suivre, dans un prochainnuméro de LA LETTRE : Les histoires d'Airbus, 5ème épisode. 1978-1984.

Ma nomination a surpris : en effet je n’étais pas reconnu pour mon expérience financière et beaucoup ne comprenaient pas pourquoi j’allais « gâcher ma carrière » dans une aven-ture sans avenir. Au fond de moi, je l’attendais ce poste, même si ma formation ne plaidait pas en ma faveur ; j’étais sûr que mes antécédents dans le programme m’avaient pré-paré pour relever le challenge de la compétitivité primordial pour Airbus. La coopération Airbus opérait dans une situation particulière avec une clientèle privée non disposée à supporter les handicaps accompagnant une telle organisation ; la situationaurait été différente pour un programme militaire où le client État pouvait prendre à sa charge les surcoûts d’une coopération.J’étais persuadé qu’une des clés de la réussite se trouvait dans une organisation de gestion taillée sur mesure avec pour seul objectif l’efficacité ; pour la construire, il fallait fairepreuve d’imagination, (qualité peu répandue à l’époque dans la communauté financière) et sur ce plan, je me sentais d’attaque à relever le défi.Plusieurs opportunités se sont conjuguées pour me permettre de satisfaire cette aspiration : – le poste était disponible depuis plusieurs mois et les candidatures ne se bousculaient pas ;– j’avais depuis plusieurs mois fait part à Roger BÉTEILLE de mon souhait de poursuivre ma route dans ce domaine sous sa direction chez Airbus Industrie ; – une autre candidature était envisagée, celle de Jean PEYRELEVADE mais ce dernier n’y donna pas suite en préférant orienter sa carrière dans la banque.Si ce dernier avait postulé, je pense qu’il aurait été retenu en raison de sa plus grande notoriété dans le monde financier ; tant pour Airbus que pour les deux candidats, je suisconvaincu aujourd’hui qu’il en a été mieux avec la solution arrêtée : Jean PEYRELEVADE, pur financier, avait sa place dans le monde bancaire (sa brillante carrière l’a démontré)et de mon côté j’avais un esprit bien fait pour la gestion industrielle ce dont avait besoin Airbus à l’époque.

LA DIRECTION FINANCIÈRE DU GIE : UNE NOUVELLE MISSION AU SERVICE D’AIRBUS6

Pour ma première décision après mon arrivéecomme directeur financier d’Airbus Industrie, je suisconfronté au problème : que faire des 62 millionsdes francs correspondant à la livraison du premieravion à Air France ? Après un examen des finance-ments supportés par chaque partenaire, il apparaîtqu’Aérospatiale supporte un découvert plus élevé,aussi je lui transfère à titre provisoire la totalité dela recette. Malgré l’aval de tous les responsablesfinanciers à cette proposition, les réactions des deuxpartenaires vont conduire au blocage de tout échan-ge financier interne pendant plusieurs années : – en premier, Rolf SIEBERT, gérant de Deutsche

Airbus s’élève contre cette manœuvre « déloyale »et stoppe tout financement d’Airbus Industrie ;

– André GINTRAND, directeur financier d’Aéros-patiale, s’aligne sur la position de DeutscheAirbus ;

– en réplique, je décide de ne plus transférer aucu-ne recette tant qu’un accord n’aura été établi entreAirbus Industrie et ses partenaires ;

Le conflit se traduit ainsi par la suspension de touttransfert financier et cette situation se prolongerajusqu’à l’agrément des principes contractuels en1976. Cette crise sera bénéfique car elle produiraune pression suffisamment forte pour mobiliser lesresponsables concernés à un niveau suffisant pourengager leur entreprise dans la négociation.

MES PREMIERS PAS CHEZAIRBUS ET LE PARTAGE DELA RECETTE D’AIR FRANCE

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L’histoire d’Airbus se construit pas à pas : après les difficultés de la crise, l’année 1978 ouvre une phaseplus sereine (malheureusement courte) avec la reconnaissance commerciale et l’achèvement del’organisation. Le foisonnement des produits nouveaux lancés par Boeing et Airbus (dans uneconfrontation annonciatrice des prochaines batailles entre les deux constructeurs) en constituel’élément le plus remarquable.

Les Histoires d’Airbus 5EME EPISODE 1978 – 1984 : LA POLITIQUE DE PRODUITS GUIDE L’ADOLESCENCE D’AIRBUS

PAR GEORGES VILLE

■ Georges Ville

POLITIQUE janvier 79 : renversement du Shah d’Iranmai 79 : au Royaume Uni, Margaret Thatcher, Premier ministremai 81 : en France, François Mitterrand, Président de la Républiquenovembre 82 : en Allemagne, Helmut Kohl, Chancelier

ECONOMIE

TRANSPORT AERIEN

AIRBUS

BOEING

McDONNELL DOUGLAS

LOCKHEED

1978 - 1984

AVIONNEURSEUROPEENS

pétrole : en conséquence des événements en Iran, le baril passe de 12 à 30 $économie : reprise stoppée en 80 à la suite des événements en Iranchange : hausse du $ à partir de 1982 conduisant à plus de 9 FF en 85

octobre 78 : « Airlines Deregulation Act » instaurant la déréglementation aux Etats-Unis85 : réglementation « ETOPS » (moins restrictive pour les biréacteurs) adoptée par la FAAtrafic : croissance 15% en 1978 et 79, chutant à 3% de 1980 à 83 puis 8% en 1984carnet1 : 809 en 1978 puis 931, 917, 760, 721, 634 et 710 de 1979 à 84livraisons2 : 284 (1978) puis 414, 443, 440, 302, 336 et 281 de 1979 à 84

juillet 78 : lancement 767 (mise en service en septembre 82)août 78 : lancement 757 (mise en service le 1er janvier 83)mars 81 : lancement 737-300 (certification en novembre 84, mise en service en décembre 84)juillet 85 : lancement 747-400 (certification en janvier 89, mise en service en février 89)carnet : 531 (66%) en 1978 puis 543, 565, 492, 421, 363 et 381 (54%) de 1979 à 84livraisons : 203 en 1978 puis 286, 299, 257, 176, 204 et 146 de 1979 à 84

de 79 à 82 : accidents de DC10 à Chicago (274 morts), Boston, Malaga…carnet : 160 (20%) en 1978 puis 159, 128, 54, 135, 117 et 186 (26%) de 1979 à 84livraisons : 40 en 1978 puis 75, 63, 103, 54, 63 et 54 de 1979 à 84

décembre 81 : décision d’arrêt de la chaîne L1011carnet : 39 (7%) en 1978 puis 58, 48, 21, 7, 1 et 2 de 1979 à 84livraisons : 8 en 1978 puis 14, 24, 28, 13, 4, 4 et 2 de 1979 à 85

78 : lancement du BAe 146, quadriréacteur de 80 places80 : arrêt du VFW61481 : lancement de l’ATR en coopération entre Aerospatiale et Aeritalia83 : lancement du turbopropulseur F50 par Fokker

MOTORISTES 79 : certification du CFM 56 (10 tonnes de poussée)83 : lancement du V 2500 (10 tonnes) par le groupe IAE (PW, RR, MTU, FIAT et JAE)

juillet 78 : lancement A310 (certification en mars 83, mise en service en avril 83)octobre 80 : lancement A300-600 (certification en mars 84, mise en service en avril 84)mars 84 : lancement A320 (mis en service en avril 88)carnet : 67 (8%) en 1978 puis 160, 165, 178, 149, 120 et 107 (15%) de 1979 à 84livraisons : 15 en 1978 puis 26, 39, 38, 46, 36 et 48 de 1979 à 84

1. Le carnet exprime le nombre total d’avions commandés non livrés en fin d’année et le pourcentage indiqué pour chaque constructeurentre parenthèses la part qu’il représente en % du carnet mondial.

2. Les livraisons correspondent au nombre d’avions livrés chaque année.

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EUN ENVIRONNEMENT PROPICE AUX PRODUITS NOUVEAUX

LA REPRISE DU TRAFICSur le plan économique, la reprise constatée depuis 1977s’enraye dès 1980 à la suite des chocs pétroliers de janvier(départ du Shah d’Iran) et de décembre 1979 (réunion del’OPEP à Caracas) : ceux-ci font monter le prix du baril de12 dollars à plus de 30 dollars,. Le trafic aérien amplifie cettetendance et enregistre une chute du taux de croissance (3%pour la période 1980 à 84) après la forte croissance desannées 1976 à 79 (12% en moyenne annuelle) ; les activitésde transport aérien et de construction aéronautique suppor-tent difficilement ces à-coups : le niveau global des livraisonsaprès être remonté à 443 en 1980 retombe à 281 en 1984.Dans le secteur monétaire, la forte remontée du dollar amé-ricain avec un taux dépassant 10 francs français en 1985constitue un élément de compétitivité favorable à l’industrieeuropéenne (voir ENCART N° 1).

L’ÉVOLUTION DU CONTEXTE RÉGLEMENTAIRE

Deux décisions du gouvernement américain vont modifier ledéveloppement du transport aérien et l’optimisation des flot-tes des compagnies aériennes.L’Airlines Deregulation Act voté le 24 octobre 1978 ouvre lemarché du transport aérien à la concurrence et met ainsi fin àquarante années de réglementation aux États-Unis ; cette déci-sion se traduit par l’arrivée sur le marché américain de nou-veaux intervenants se livrant une rude compétition sur les prixdu billet et sur le service rendu aux passagers. La fréquencedes vols sur chaque liaison devient ainsi un enjeu de concur-rence et entraîne un fort besoin d’avions de 150 places.

Les dispositions « ETOPS » (Extended range Twin-enginedOPerationS) agréées par la FAA à partir de 1985 ont pourobjet d’élargir le domaine d’exploitation des biréacteurs versles longs rayons d’action ; cette évolution repose sur la grandefiabilité des réacteurs de nouvelle génération permettant des’affranchir des limitations imposées au bimoteur à pistons. Lesréflexions de la FAA sur ce sujet ont commencé à l’initiative deBoeing : convaincu après l’expérience d’Airbus de l’intérêt dela formule biréacteur, celui-ci voulait être sûr avant de se lancerdans cette voie de la possibilité d’étendre le domaine d’utilisa-tion vers les longs rayons d’action (voir ENCART N° 2).

LA DISPONIBILITÉ DE NOUVEAUX MOTEURSLes activités de transport aérien et de construction aéronau-tique vont être bouleversées par l’arrivée du réacteur CFM56, premier moteur de 10 tonnes de poussée à fort taux dedilution : le saut d’efficacité en résultant révolutionne le mar-ché du bimoteur de 150 places recherché après l’AirlinesDeregulation Act. Le démarrage commercial est pourtantlent ; seules les remotorisations des DC8 de United Airlineset des ravitailleurs militaires KC135 (version militaire cousinedu 707) sont acquises. Plusieurs raisons expliquent cetteindifférence : une absence de ressources chez les avion-neurs, un moteur encombrant difficile à installer sous l’aile etune prudence des clients vis-à-vis de cette coopérationtransatlantique entre motoristes. Il faut attendre le succès duMD80 pour voir enfin Boeing franchir le pas et décider enmars 1981 le lancement de son 737-300 équipé de CFM 56.Les autres motoristes encore sous le choc des difficilesmises au point des réacteurs de 20 tonnes, ne peuvent sepermettre de développer de nouveaux moteurs ; seul Rolls-Royce en 1978 lance pour le Boeing 757 le RB211-535C depoussée nettement plus élevée (17 tonnes). Il faut attendrele 14 décembre 1983 pour voir arriver la première concur-rence au CFM56 avec le lancement du moteur V2500 par lanouvelle coopération industrielle IAE (International AeroEngines regroupant Rolls-Royce, Pratt & Whitney, MTU,FIAT et Japanese Aero Engine) ; ce réacteur lancé pourrépondre aux besoins de l’A320 sera mis en service en mai1989 : ce retard de dix années par rapport au CFM56 cons-tituera un handicap difficile à rattraper.

UN FOISONNEMENT DE PRODUITS NOUVEAUX

LA REMARQUABLE STRATÉGIE DE PRODUITS DE BOEINGBoeing profite de l’embellie des années 1978 à 80 (carnetreprésentant plus de 60% du carnet mondial) pour convainc-re ses actionnaires d’investir dans de nouveaux produits. Pourrépondre aux besoins du marché en intégrant les avancéestechnologiques, la stratégie est remarquable : • le 767, lancé en juillet 1978 et mis en service en septembre

82, est un avion inspiré des produits Airbus avec un choixd’aile autorisant les longs rayons d’action accessibles grâceaux dispositions ETOPS et pour seul défaut, une section dufuselage définie pour 7 sièges de front (justifiée par le refusde Boeing de reconnaître le choix Airbus à 8 sièges defront) ; le produit aura un grand succès commercial : à la fin2000, plus de 800 avions ont été livrés ;

• le 757 lancé en août 1978 et mis en service en 1er janvier83, est développé pour offrir la capacité extrême (190 sièges)compatible avec la section de fuselage à 6 sièges de front(déjà retenue pour les 707, 727 et 737-100) ; cet avion estpeu original mais il est apprécié par de nombreux clients : à lafin 2000, 948 avions ont été livrés ;

Après le coup de frein imposé à la production en 1977, il faut attendre 1982 pouratteindre l’objectif de cadence de 4 avions par mois et ceci juste avant l’arrivée dela nouvelle crise de 1983 : Airbus Industrie se trouve ainsi en charge d’une vingtained’avions invendus (appelés « queues blanches » en raison de leurs dérives non pein-tes à la couleur d’un client).« Ces queues blanches correspondent au modèle A300B en cours d’arrêt de produc-tion ce qui en amplifie les conséquences. A 50 millions de dollars l’exemplaire, lesrisques associés mettent en cause la pérennité des industriels sous capitalisés maissans conséquence dommageable pour deux raisons :– la disponibilité de ces avions devient un atout dès 1984 pour répondre à la deman-

de de clients soucieux d’augmenter rapidement et à bas prix leur capacité detransport telles les compagnies Pan Am et Continental ;

– le taux de change élevé du dollar (de l’ordre de 9 francs) compense les importantesconcessions accordées à cette occasion (de l’ordre de 40% de la recette attendue). »

LE $ ÉLEVÉ : EFFICACE PARACHUTE FINANCIER POUR AIRBUS

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« Grâce à un lobbying efficace auprès de la FAA, Boeing réussit ici à faire évoluerla réglementation dans un sens favorable à ses produits pour en tirer avantage dansla compétition. N’ayant pas anticipé cette évolution, Airbus ne l’a pas pris en comp-te dans la définition de ses produits et ceux-ci (particulièrement l’A310) ne pour-ront rivaliser avec ceux de Boeing lorsque le marché réclamera des rayons d’actionplus importants.On mesure ici une nouvelle fois l’importance du soutien de la FAA aux constructeursaméricains (ceci est d’ailleurs inscrit dans ses statuts) »

UN NOUVEAU SOUTIEN DE LA FAA AUXCONSTRUCTEURS AMÉRICAINS

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• le 737-300, lancé en mars 1981 et mis en service endécembre 84, répond au besoin d’avions plus petits à lasuite au « Deregulation Act » : capacité 140 sièges, rayond’action 1 500 NM ; même s’il en conserve la dénomination,il n’est pas un dérivé de l’ancien 737-100 équipé de réac-teurs CFM 56 : tout est remanié à l’exception de la sectiondu fuselage ; ce sera un grand succès commercial : 2 000avions livrés lors de son remplacement en 1997 ;

• le 747-400, lancé en juillet 1985 et mis en service en février89, est une modernisation du modèle 747-100 ; le produitprend en compte les dernières améliorations techniques etbénéficie de la réglementation applicable au 747-100 cequi représente un grand avantage opérationnel ; le nouveauproduit est d’une remarquable efficacité et plus de 500avions ont été livrés à la fin de 2000.

LES REPLIS DE McDONNEL DOUGLAS ET LOCKHEEDLeur part de marché se réduisant, les autres constructeursaméricains ne disposent plus des ressources nécessaires àleur maintien ; au cours de la décennie à venir, la dégradationprogressive de leur position précédera leur disparition à uneéchéance plus ou moins lointaine :• Lockheed, le plus affecté avec son produit L-1011, en

décide l’arrêt dès décembre 81 pour se consacrer exclusi-vement au développement de ses activités militaires ;

• MDD pense encore se maintenir sur le marché des avionsde 150 places grâce à la disponibilité de son produit MD-80 (modernisation du DC-9) et ceci malgré l’échec de satentative de coopération avec Fokker sur un produit bi-CFM56 ; du côté des produits gros porteurs, la comman-de par l’USAF de 60 KC-10 A (version militaire du DC-10)apporte un répit à ce programme malmené par de nom-breux accidents.

L’ÉLARGISSEMENT DE LA GAMME AIRBUSPréparé de longue date par Airbus, l’élargissement de lagamme prend en compte la consolidation du segment grosporteur avec l’A310 (version modernisée de l’A300) et laréponse au nouveau besoin d’avions de 150 places avecl’A320 (bi-CFM56). L’A310 est soutenu par la partie alle-mande (gouvernement, compagnie et industrie) et l’A320 parla partie française ; le forcing de Lufthansa conduit au lance-ment de l’A310 en juillet 1978 et reporte celui de l’A320 enmars 1984 :« Pour moi j’aurais préféré une décision inversée : pour s’enconvaincre, il suffit de contempler l’échec commercial del’A310 et le fulgurant succès du 737-300. »

Le programme A310Le lancement de l’A310 répond à deux motivations ; uneréplique au 767 de Boeing et le besoin de Lufthansa pourun avion optimisé pour les courts rayons d’action. Lorsquecette compagnie se déclare prête à s’engager, Airbus estconduit à annoncer le lancement du programme A310 le 6juillet 1978. Des deux versions prévues au départ, la version court-courrier répondant aux spécifications de Lufthansa seraabandonné au profit de la version moyen-courrier sous ladénomination A310-200 ; l’A310 est à la pointe du progrèstechnique et il est dommage que son dimensionnement nelui ait pas permis de mieux répondre aux besoins des clients(voir ENCART N° 3).Le développement A310 se déroule selon le programmeprévu : premier vol réalisé le 3 avril 1982 et la certification ob-tenue le 11 mars 1983 soit 4 ans et 7 mois après le lancement.La demande de rayon d’action conduira Airbus à proposerdès1982 la version A310-300 portant le rayon d’action à 7500 km ; il ne sera malheureusement pas possible d’aller

au-delà ce qui conduira à l’extinction progressive du pro-gramme. Avec un total cumulé de 255 livraisons fin 2000, laperformance commerciale est loin des 817 livraisons accu-mulées fin 2000 par Boeing et son 767.Le programme A300-600

Avec le lancement de l’A310 que faire du « vieil A300B » ?La nouvelle récession conduit à l’arrêt de la chaîne A300B4en 1984 mais la version modernisée A300-600 lancée enoctobre 1980 est maintenue : l’A300-600 reprend la voilurede l’A300, rallonge le fuselage de 1,3 m, porte sa masse audécollage à 170,5 tonnes et incorpore les nouveaux systè-mes développés pour l’A310. Le premier vol est réalisé le 8juillet 1983 et la certification acquise le 9 mars 1984. Lacarrière commerciale de l’A300-600 se prolonge aujour-d’hui dans une version adaptée au transport de fret (au totalavec l’A300B près de 500 avions livrés fin 2000).

Le programme A320 (2ème mouvement de la partition) Le lancement de l’A320 exige une longue gestation avantl’aboutissement du complexe processus initié dès 1976 parla partie française. Les premières péripéties (se reporter au4ème épisode) aboutissent en 1977 aux rassemblement desefforts dans Airbus Industrie, mais il faut attendre mars1984 pour en décider le lancement. Les préalables à leversont nombreux :• Pour Roger Béteille, le nouveau produit doit devenir la

référence du marché et pour cela se démarquer en tech-nologie et flexibilité opérationnelle du produit concurrent737-300 : le fabuleux destin de la famille A320 est là pourmontrer le bien fondé de son approche.

• La poussée du CFM56 est insuffisante pour satisfaire lesbesoins ; le motoriste, conforté par le succès du 737-300,refuse toute évolution de son produit et; pour le fairechanger de position en 1984, il faudra obtenir l’appui effi-cace du ministre français Charles Fiterman et faire naîtreune nouvelle concurrence avec le lancement du moteurV2500 par le consortium IAE.

• En France, le programme A320 est fortement soutenumais ceci n’entraîne pas l’adhésion des autres partiesassociées : il est sûr que l’origine franco-américaine duCFM 56 réduit la crédibilité de la position française.

Le fuselage reprend l’efficace section de l’A300B avec une longueur réduite de 7 m,la voilure incorpore les dernières améliorations aérodynamiques, les matériaux com-posites font leur apparition et les systèmes sont particulièrement innovants.Les avancées en matière de pilotage et d’intégration constituent une rupture dans lagestion du vol opérationnel : ergonomie de pilotage conçue pour un pilotage à deux,présentation des informations sous la forme d’écrans cathodiques, première intro-duction de commandes de vols électriques (commandes secondaires) et équipementsinformatisés. « Cette extraordinaire évolution (très en avance par rapport à laconcurrence)deviendra le label des produits Airbus ; ces progrès sont le prolonge-ment direct du savoir-faire acquis lors de la mise au point du Concorde. »La propulsion de l’A310 est assurée par General Electric ou Pratt & Whitney ce quidénote la confiance des deux motoristes américains pour Airbus ; seul, Rolls Royce(peu incité à faire autrement par son gouvernement) maintient sa préférence pourune collaboration avec Boeing et ses produits 767 et 757.La faiblesse de l’A310 se situe dans le choix de sa surface d’aile : son dimension-nement a été optimisé pour satisfaire les exigences imposées par Lufthansa sansprendre en compte les versions développées et sans anticiper l’application prochai-ne des dispositions ETOPS :« Je suis intervenu auprès de Roger Béteille mais n’ai obtenu qu’une augmentationde la surface alaire de 210 à 219 m2 ; ce dimensionnement inférieur de 30 % àcelui du 767 entraîne une masse au décollage et une capacité de carburant infé-rieures de 30 et 40 %. »

L’A310, UNE RÉUSSITE TECHNIQUE MAISUNE ERREUR DE POSITIONNEMENT

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• En Allemagne, le programme fait l’unanimité contre lui :Lufthansa affiche sa persistante préférence pour le 737,l’industrie reste favorable à la gamme à fuselage large etle gouvernement est opposé à tout nouvel engagement ;heureusement, Franz Josef Strauss réussira à faire évo-luer cette position à la fin de l’année 1983.

• Au Royaume Uni, le libéralisme de Margaret Thatcherconduit à une position proche de son gouvernement ; l’in-tervention de Franz Josef Strauss en soutien aux actionsde BAe aura une même efficacité auprès du gouverne-ment britannique.

• Aux Pays-Bas, le constructeur Fokker a un comportementperturbateur ; après son divorce avec VFW, Fokker pros-pecte une alliance avec MDD pour lancer son produit de150 places sans se compromettre avec Airbus : après unaccord en mai 1981 pour développer le MDF100, l’asso-ciation est rompue à la suite du retrait de MDD en février1982 (voir ENCART N° 4).

Les revendications industrielles des partenaires vont à l’en-contre de la spécialisation préconisée par Airbus :Aérospatiale et Deutsche Airbus réclament la voilure et BAeles systèmes et l’assemblage final ; il faut une vigoureuseintervention de Roger Béteille pour arrêter ces digressionset revenir à une position raisonnable (voir ENCART N° 5).• Le challenge commercial de l’A320 ne peut être gagné

que dans l’hypothèse d’une pénétration aux États-Unis ;de manière à faciliter l’entrée de son produit, RogerBéteille cherche à établir une tête de pont aux États-Unissous la forme d’une alliance avec un avionneur américainchargé de l’assemblage des avions pour la clientèle amé-ricaine ; après plusieurs négociations avec Lockheed puisavec General Dynamics, cette tentative de collaborationaméricaine est abandonnée (voir ENCART N° 6).

• Les compagnies de lancement ne se bousculent pas pours’engager en faveur du nouveau produit Airbus ; AirFrance annonce le 6 juin 1981 son intention (c'est-à-diresans engagement réel de sa part) d’acheter 50 appareils,mais il faut attendre le début de l’année 1984 pour réunirenfin les 50 engagements commerciaux nécessaires pour

la décision de lancement : 25 pour Air France, 9 pour AirInter, 7 pour British Caledonian, 4 pour Cyprus Airways et7 pour Imex Adria) mais rien pour Lufthansa, BritishAirways et Iberia.

Une fois le lancement décidé, les clients vont alors se bous-culer et à la fin de l’année 1985 plus de 100 commandesseront enregistrées.

Les conditions du lancement étant remplies, le programmeA320 peut enfin être décidé le 12 mars 1984 avec le sou-tien financier des gouvernements. Cette longue gestationconduit à une mise en service en avril 1988 alors que 500appareils de son concurrent 737-300 sont déjà en exploita-tion ; en contrepartie, ce retard a permis grâce à RogerBéteille la réalisation d’un produit parfaitement adapté auxbesoins des opérationnels (voir ENCART N° 7).

LA RECONNAISSANCE COMMERCIALELa reprise du trafic et le lancement de l’A310 se manifestentpour Airbus Industrie par de nombreuses ventes, 69 en1978 et 119 en 1979 ; le ralentissement du trafic à partir de1980 fait chuter le volume autour de 30 commandes par ande 1980 à 84. Après avoir culminé à 178 avions et 24% dumarché en 1981, le carnet Airbus à la fin 1984 s’établit à107 avions et 15% du marché.

Dans cette avancée, il faut citer l’extraordinaire succèsd’Airbus sur la « route de la soie » (appelée ainsi, par ana-logie avec la traditionnelle voie utilisée pour le commerce decette marchandise) : en allant de l’ouest vers l’est, Airbusl’emporte ainsi au Moyen-Orient, en Orient, en Extrême-Orient et en Océanie (voir ENCART N° 8).

L’ACHÈVEMENT DE LA COOPÉRATIONLe lancement de l’A310 repose la question du maintien dela participation industrielle de BAe dans la coopération etdeux options sont possibles pour ce dernier :

« Aérospatiale et British Aerospace sont tous les deux des avionneurs completscapables d’étudier et réaliser seuls un avion civil ; de peur de perdre cette capacité,leurs directions techniques acceptent difficilement la spécialisation de leurs compé-tences telle qu’Airbus veut l’imposer. Aussi à l’occasion des premières réflexionsmenées sur l’A320 (hors Airbus), un accord de principe a attribué la voilure àAérospatiale et l’assemblage final à British Aerospace ; après la décision de confierle programme à Airbus, les partenaires ont pensé faire entériner cette répartition parle système. Si Airbus n’avait pas réussi à retourner la situation, une telle évolution serait alléeà l’encontre de la coopération en raison des forts impacts de la spécialisation sur :- le développement du savoir-faire technique ce qui a permis de proposer des pro-

duits en avance par rapport à la concurrence ; - l’efficacité industrielle en conduisant à une organisation in fine plus productive que

celle de ses concurrents. »

UNE DERNIÈRE TENTATIVE DES PARTENAI-RES POUR RECOUVRER LEUR AUTONOMIE

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« L’idée de délocalisation de la deuxième chaîne d’assemblage de la famille A320reviendra plus tard lorsque le succès commercial exigera le doublement des capa-cités d’assemblage ; la revendication du partenaire allemand pour son installation àHambourg surprendra lorsqu’on se souvient de son opposition au programme A320.Bien que cette exigence aille à l’encontre du principe de spécialisation, le systèmesera obligé après de longues négociations à accepter l’installation de la chaîne A321à Hambourg. Aujourd’hui la question se pose de nouveau à propos de la demandeallemande de transférert à Hambourg la gestion complète de la famille A320. »

LA 2ÈME CHAÎNE À HAMBOURG : UNE SURPRE-NANTE REVENDICATION ALLEMANDE

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« On retrouve dans cette tentative de coopération l’attitude classique de tout cons-tructeur américain réduisant la coopération à une simple sous-traitance placée soussa maîtrise d’œuvre ; une telle approche conduit au divorce habituel entre les indus-triels de part et d’autre de l’Atlantique.Fokker a fait preuve ici d’une grande naïveté et d’une méconnaissance de la dupli-cité coutumière de Douglas rappelée ci-dessous : - l’accord signé le 10 février 1960 par Douglas et Sud-Aviation pour la licence de

la Caravelle se révèle un contrat de dupe avec pour prolongement le lancement en1962 du produit DC9 directement inspiré de la Caravelle ;

- la proposition de James McDonnell en 1970 d’élargir la collaboration industrielleavec Airbus Industrie reste au niveau des déclarations ;

- la tentative de collaboration de MDD avec Dassault sur le Mercure 200 en 1976échoue et se termine par le lancement du DC9-80.

Après cette tentative, Fokker, essaye de renouer avec Airbus mais ses prétentionsainsi que l’opposition de BAe font échouer la démarche. Pour rester présent sur cemarché,, Fokker lancera en 1983 son propre produit le F100, avion de 100 placesdérivé du F28 mais n’ayant pas les moyens d’une telle politique, Fokker seracondamné à disparaître dans les années 90.De son côté, MDD lance le MD80 pour maintenir sa présence sur le marché et lesévénements montreront qu’il s’est trompé ; personnellement, je pense que MDD afait une erreur stratégique en refusant cette collaboration ; en effet, dans une tellehypothèse, l’A320 aurait peut-être été lancé mais il n’aurait certainement pas atteintson niveau de réussite. »

LA COOPÉRATION AVEC DOUGLAS, UNE UTOPIE EUROPÉENNE

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• la poursuite avec Airbus, mais il exis-te une alternative pour la réalisationde la voilure. en confiant la concep-tion de la voilure A310 à un groupede travail Aérospatiale-MBB (selonRoger Béteille : « pour avoir lesAnglais avec soi, il faut leur montrerque l’on peut se passer d’eux »).

• De son côté, Boeing propose à BAeune coopération pour la réalisationde l’aile du 757 en espérant ainsiaffaiblir la coopération Airbus et obte-nir un financement britannique.

Tenu de choisir entre une coopérationeuropéenne à part entière dans Airbuset une association transatlantique avecBoeing, le gouvernement de MargaretThatcher penche en faveur du grand

large, mais heureusement l’industrielBAe fait preuve de plus de lucidité enpréférant Airbus (ouvert à une véritableparticipation) à Boeing (simple sous-traitance déguisée en coopération).Avec l’accord des gouvernements lespartenaires signent l’agrément du 29novembre 1978 fixant les conditions del’entrée de BAe au 1er janvier 1979(voir ENCART N° 9). La participation de20 % dans le GIE (résultant d’un trans-fert de 10 % des droits d’Aérospatialeet de 10 % de Deutsche Airbus)conduit à la nouvelle répartition (inchan-gée jusqu’à la création du nouvel Airbusen 2000) dans le GIE : 37,9 % pourAérospatiale et Deutsche Airbus, 20 %pour BAe et 4,2 % pour CASA.

LA MATURATION INDUSTRIELLELe défi essentiel est la montée en puis-sance de l’outil industriel pour répond-re à la demande commerciale et à l’ar-rivée de nouveaux produits. Le systè-me de production a une grande inertieet la récupération du coup de freinimposé en 1977 a mis en évidencecette faiblesse puisqu’il a fallu attendre1982 pour atteindre la cadence de 4avions par mois. Une réflexion mêlantAirbus et ses partenaires permettra de

remédier à cette situation lors de lamise en production de l’A320.La croissance réclame aussi de nou-veaux investissements de production enparticulier dans le domaine du transport.Le concept basé sur un transport aérienpar Super Guppies a démontré son effi-cacité mais celui-ci devient critique faceà l’activité ; de plus, en matière de sécu-rité, qu’adviendrait-il si l’un des deuxSuper Guppies était immobilisé ? FélixKracht sera conduit une nouvelle fois àfaire preuve d’imagination pour acquérirles deux appareils supplémentaires dontil a besoin :• aucun Super Guppy n’est disponible à

la vente et leur constructeur a disparu ; • les droits de licence seront rachetés

au repreneur de l’entreprise, • UTA Industrie sera chargé de la réali-

sation des deux exemplaires supplé-mentaires.

1985, Airbus devient adulteVingt ans après le démarrage des pre-mières études, l’année 1985 marquel’arrivée à l’âge adulte d’Airbus ; il esttemps de prendre du recul pour lespionniers. Le flambeau est transmis àune équipe plus jeune et dynamiqueavec pour mission l’objectif de partagedu marché avec Boeing.

... à suivre

Georges VILLE

L’A320 doit être considéré comme l’aboutissementd’une longue démarche initiée avec Concorde, pour-suivie avec l’A300 et l’A310 et inspirée du projetA200 étudié depuis 1977 par Aérospatiale. Quels ensont les traits essentiels :– le diamètre du fuselage supérieur de 20 cm au

standard des avions Boeing (707, 727, 737 et757), offre un meilleur confort ;

– la structure incorpore dans une grande proportionles nouveaux matériaux composites (de l’ordre de15 %) et les nouveaux alliages d’aluminium ;

– c’est dans la conception des systèmes et du pilo-tage que l’A320 se distingue particulièrement desavions existants en devenant le premier appareilcommercial à commandes de vol entièrementélectriques ; ces évolutions appliquées sur tousles futurs produits Airbus vont rendre possiblesdes qualifications voisines ce qui constituera unavantage marquant des produits Airbus.

« Ce qui est devenu aujourd’hui le standard des pro-duits Airbus est le fruit d’une politique d’innovationremontant à la Caravelle ; celle-ci ouvre la voie desapplications de l’électronique au pilotage des avions,en étant le premier avion de transport doté d’un sys-tème d’atterrissage automatique sans visibilité. Vingtans avant l’A320, le Concorde est le premier avionde transport équipé de commandes électriques àpleine autorité sur les trois axes mais les technolo-gies utilisées ne pouvaient être reprises sur les pre-miers Airbus pour des raisons de coûts. Il fallutattendre l’arrivée des premiers calculateurs numé-riques pour voir apparaître les commandes de volélectriques, partiellement sur l’A310 et l’A300-600,puis totalement sur A320. »

L’A320 : UNE DÉFINITIONPARTICULIÈREMENT

RÉUSSIE

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Le ministre des Transports français Joël Le Theuleaccepte le retour des Britanniques en contrepartied’une commande d’Airbus : voir comment ceux-cisatisfont cet engagement est significatif du compor-tement britannique.Dès 1978, la compagnie nationale British Airwaysprend position en faveur de Boeing pour le 737-300et le 757 ; bien que s’étant engagée (sous la pres-sion de son gouvernement) à ne jamais acheter d’a-vions concurrents de l’A310, la compagnie poursui-vra plus tard ses approvisionnements auprès deBoeing pour ce type de produits avec les comman-des de 767 et de 777.Le ministre français Joël Le Theule est outré par cecomportement et menace de rompre les discussionsmais la situation se débloque in fine sous la formed’une opportune commande de 10 A300-B4 par lacompagnie britannique Laker : l’accord peut êtreapprouvé sur ces bases en novembre 1978. Rappelonstoutefois que Laker sera déclaré en faillite en 1982avec un passif très lourd à la charge d’Airbus.

LA CONTREPARTIE COM-MERCIALE DE L’ENTRÉE

DES BRITANNIQUES

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« Le marché japonais demeure une chasse gardée des avionneurs américains et Airbus aura toujours des diffi-cultés à le pénétrer (il en est encore ainsi aujourd’hui) ; à plusieurs reprises Airbus pense l’emporter mais une« amicale » pression des autorités américaines change l’orientation de la décision vers un fournisseur américain : – achat de 40 Boeing 767-300 en décembre 1985 par All Nippon Airways au lieu des A300-600 proposés par

Airbus (les pilotes d’ANA étaient déjà en formation à Toulouse) ; – achat de MD11 en 1990 par Japan Air Lines au lieu des A340 d’Airbus à la suite d’une pression politique au

plus haut niveau (le vendredi l’affaire semblait conclue en faveur d’Airbus et le lundi la compagnie annonçaitune commande auprès de l’avionneur américain). »

LE MARCHÉ JAPONAIS, UNE QUASI-EXCLUSIVITÉ AMÉRICAINE8

LA LETTRE AAAFÉditeur : Association Aéronautique etAstronautique de France, AAAF – 6, rue Galilée, 75016 Paris Tél : 01 56 64 12 30 – Fax : 01 56 64 12 [email protected] • www.aaaf.asso.frDirecteur de la publication : Michel SCHELLERRédacteur en chef : Khoa DANG-TRANComité de rédaction : Michel de la BURGADE, Philippe JUNG, Jean TENSIRédaction : Tél : 01 46 73 37 80Fax : 01 46 73 41 72E-mail : [email protected]

Ont notamment collaboré à ce numéro : Jean CARPEN-TIER, Khoa DANG TRAN, Christian VANPOUILLE,Bernard VIVIER, Georges VILLECrédits Photos : Basile AUDOLY, Sébastien NEUKIRCH,Price-InductionConception : Khoa DANG-TRAN, S. BOUGNONRéalisation : Sophie BOUGNON Imprimerie : AGI SYSTEM’S Dépôt légal : 1er trimestre 2004

ISSN 1767-0675 / Droits de reproduction, texte et illustrations

réservés pour tous pays

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Ce 6ème et dernier épisode des histoiresd’Airbus clôt une série d’articles de larubrique « Les histoires de l’Histoire » quinous a tenus en haleine tout au long del’année 2006.En nous livrant ses « souvenirs », GeorgesVILLE a non seulement brossé un tableauhistorique de la construction aéronau-tique civile mondiale des années 1966 à1999, remarquable par sa précision et sa

hauteur de vue, il nous a aussi permis d’êt-re les témoins privilégiés des stratégies

déployées par les grands constructeurs aéronautiques pouracquérir la suprématie des marchés. Stratégies à l’origine despartenariats, des retournements d’alliances et des fusions quiont conduit à la situation actuelle du duopole Airbus-Boeing.En 2007, la suprématie d’Airbus est remise en cause par Boeing.Les dissensions entre les dirigeants allemands et français, lesdélais de production de l’A380 revus à la hausse, un dollarexcessivement faible par rapport à l’euro, des investissementslourds à réaliser pour la production de l’A350, ont conduitAirbus à revoir l’organisation de son management au plus hautniveau et de ses usines de montage en Europe, entraînant uneforte diminution de ses effectifs.

Ce dernier épisode révèle très opportunément les transforma-tions profondes des relations entre partenaires européens sur-venues dans les années 90, avec la nouvelle génération des diri-geants ignorants du fonctionnement du système Airbus. La« disparition des vieux sages », une nouvelle posture du parte-naire allemand, l’ouverture aux options libérales du partenairebritannique, l’isolement du partenaire français due à son appar-tenance au secteur public, vont conduire dans la nouvelle orga-nisation au retrait d’Aerospatiale et de ses compétences d’archi-tecte technique et industriel : tous les ressorts sont remontéspour préparer la crise que l’on connaît aujourd’hui. Une magis-trale leçon d’histoire.

L’affrontement entre Airbus et Boeing constitue le fait majeurde cette période ; Jean PIERSON (voir ENCART N° 1), nou-veau patron d’Airbus de 1985 à 1998, initiera le dur combatet le mènera à son terme avec l’obtention d’un partage dumarché avec son adversaire. Cet épisode raconte : l’offen-sive d’Airbus, la réaction de Boeing et la consécrationd’Airbus.

Les Histoires d’Airbus 6EME EPISODE 1985 – 1999 : L’ISSUE FAVORABLE DU CONFLIT AVEC BOEING CONSACRE LAMAJORITE D’AIRBUS

PAR GEORGES VILLE

■ Georges Ville

POLITIQUE 1991 : 1ère Guerre du GolfeJuillet 92 : accord CEE et Etats-Unis sur les aides à l’aéronautique civile

ÉCONOMIE

TRANSPORT AERIEN

AIRBUS

BOEING

McDONNELL DOUGLAS

1985 - 1999

AVIONNEURSEUROPEENS

pétrole : le baril reste voisin de 30 $ malgré le pic de la Guerre du Golfeéconomie : crise en 91 amplifiée par la Guerre du Golfechange : baisse du $ entre 5 et 6 FF

Trafic : croissance moyenne de 6% entrecoupée par la crise de 91 (-2,4%)Carnet1 : 1003 en 85, 3020 en 90, 1608 en 95 et 2890 en 99livraisons2 : 361 en 85, 848 en 91 (pic), 444 en 95 et 919 en 99

octobre 90 : lancement 777 (mis en service en 95)novembre 93 : lancement 737 Nouvelle Génération (mis en service en 98)carnet : 569 (57%) en 85, 1393 (46%) en 90, 861 (54%) en 95 et 1445 (50%) en 99livraisons : 203 (56%) en 85, 435 (51%) en 91, 207 (47%) en 95 et 573 (62%) en 99

1997 : absorption par Boeingcarnet : 213 (21%) en 85, 278 (11%) en 90, 114 (7%) en 95 et 0 (0%) en 99livraisons : 82 (23%) en 85, 170 (20%) en 91, 50 (11%) en 95 et 0 (0%) en 99

1989 : prise de contrôle de MBB et Deutsche Airbus par Daimler : création de DASA1993 : reprise de Fokker par DASA1996 : rejet de Fokker par DASA et faillite de Fokker en février 1996 1998 : fusion Aerospatiale et MATRA

mars 85 : Jean PIERSON, nommé administrateur gérantjuin 87 : lancement A330-A340avril 88 : mise en service A320février 93 : mise en service A340décembre 93 : mise en service A330mars 98 : départ de Jean PIERSON remplacé par Noël FORGEARDCarnet : 157 (16%) en 85, 1038 (34%) en 90, 578 (36%) en 95 et 1445 (50%) en 99livraisons : 42 (12%) en 85, 163 (19%) en 91, 124 (28%) en 95 et 294 (32%) en 99

1. Le carnet exprime le nombre total d’avions commandés non livrés en fin d’année et le pourcentage indiqué pour chaque constructeurentre parenthèses la part qu’il représente en % du carnet mondial.

2. Les livraisons correspondent au nombre d’avions livrés chaque année.

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l’offensive d’airbusUN CHANGEMENT À LA TÊTE D’AIRBUSAvec les départs en 1985 de Bernard LATHIERE à la fin deson deuxième mandat d’administrateur gérant, et de RogerBETEILLE pour une retraite bien méritée après 18 annéespassées au service d’Airbus, une nouvelle équipe se met enplace à la tête d’Airbus avec les nomination de :

• Jean PIERSON d’origine Aérospatiale, administrateurgérant ;

• Johann SCHÄFFLER, d’origine Deutsche Airbus, direc-teur général ;

• Robert WHITFIELD, d’origine BAe, directeur financier(voir ENCART N° 2).

Dès son arrivée à la tête d’Airbus Industrie, Jean PIERSON,prévoyant le prochain retrait de MDC du marché des avionscivils, est convaincu que la pérennité d’Airbus ne peut êtreassurée qu’à condition d’assumer totalement la responsabi-lité de concurrent unique de Boeing. En particulier, il estconscient que seul un partage équilibré du marché avec sonconcurrent peut lui permettre de respecter cet objectif etqu’il lui faut pour cela élargir la base commerciale d’Airbusen complétant sa gamme dans le domaine des avions long-courriers.

L’élargissement de la gamme de produits

LA FAMILLE A320Après sa laborieuse gestation, le développement de l’A320se déroule conformément aux objectifs ; en février 1987 unesemaine avant le premier vol, une spectaculaire manifesta-tion pour la sortie de chaîne du premier avion est présidéepar la Princesse de Galles ; la certification intervient un anplus tard et la mise en service par Air France le 18 avril 1988(livraison en mars 88). En dépit d’une controverse franco-française sur la fiabilité duproduit et ses innovations dans le domaine du pilotage (polé-mique jamais éteinte sur le pilotage à deux), l’accueil du pro-duit est très favorable autant auprès des exploitants que despilotes. Comme l’avait recherché Roger BETEILLE, l’A320devient très vite la référence du marché pour les moyenscourriers de 150 places.Le succès du produit prend de plus en plus d’ampleur etconduit Airbus à lancer en novembre 1989 la version agran-die A321. En revanche malgré une forte demande commer-ciale, le lancement de la version raccourcie A319 est pluslong à obtenir et il faut toute l’insistance de Jean PIERSON

pour obtenir en juin 1993 le lancement de l’A319 ; en effetAérospatiale et Deutsche Airbus, tous deux fortement impli-qués dans le transport régional auraient préféré couvrir cebesoin par un dérivé du futur avion de 100 places qu’ils envi-sagaient de lancer en coopération avec la Chine.

LA FAMILLE A330-A340Pour Jean PIERSON, il est indispensable de prendre pieddans le marché des avions long-courriers gros porteurs ; cemarché repart à grande vitesse après sa stagnation due à ladéréglementation, et l’on ne peut laisser Boeing en positionde monopole sur ce marché après le retrait attendu deMDC. Dans cette perspective, Jean PIERSON reprend etaccélère les travaux sur le projet bimoteur A330 censérépondre à ce besoin. Toutefois les réacteurs existants n’of-frent pas au produit la capacité d’atteindre les rayons d’ac-tion envisagés ; comme les motoristes ne sont pas disposésà concevoir le moteur adapté à ce besoin, Airbus Industrieest conduit à envisager d’associer au bimoteur A330 debase un produit quadrimoteur très long-courrier A340 équi-pé de réacteurs CFM 56. Pour la propulsion du bimoteurA330, les propositions des trois motoristes sont en concur-rence : même Rolls-Royce s’intéresse au produit Airbussans toutefois entraîner une commande de British Airwayslaquelle, malgré tous ses engagements antérieurs, achèterale 777 produit concurrent de Boeing, équipé de moteursGeneral Electric.Développer deux voilures pour ce programme serait troplourd, ce qui conduit Airbus à reprendre l’idée de RogerBETEILLE de retenir la même voilure pour les deux produits ;un dimensionnement insuffisant de sa voilure ne donnerapas au produit la capacité de répondre à la concurrence dunouveau produit 777 de Boeing et conduira au développe-ment d’une nouvelle aile pour les versions A340-500 etA340-600 (voir ENCART N° 3). La définition des A330-A340 bénéficie des dernières avancées de la technologie :aérodynamique, nouveaux matériaux et Conception Assistéepar Ordinateur. Un trait remarquable est la reprise de carac-téristiques éprouvées sur les produits antérieurs : de l’A300et l’A310, on retient la section de fuselage, et de l’A320 lescommandes de vol électriques, l’avionique et le poste depilotage ; une telle communauté dans la définition permetd’offrir une capacité de qualification multiple des équipagestrès appréciée par les opérateurs. Même si les réactions des compagnies aériennes sontencourageantes, l’accord des gouvernements sera long àobtenir ; le gouvernement français aurait préféré aborder cemarché dans le cadre d’une coopération avec MDC mais

Jean PIERSON, a développé ses compétences de meneur d’hommes dans la pro-duction puis il a montré ses aptitudes de gestionnaire en succédant à AndréETESSE comme directeur de la division Avions. Sa nouvelle responsabilité à AirbusIndustrie va lui permettre de mettre en valeur des qualités insoupçonnées telles unegrande finesse intellectuelle et un extraordinaire sens du commerce ; sa réussite toutau long de son parcours à la tête d’Airbus confirmera la validité de cette nominationqui en avait surpris plus d’un !La fascination exercée par Airbus sur ses dirigeants jouera aussi pour Jean PIER-SON : auparavant que ce soit pour Roger BETEILLE, Félix KRACHT ouBernard LATHIERE, leur passage à Airbus avait constitué le couronnement deleur vie professionnelle, même si au départ leur affectation ne correspondait qu’à uneétape dans leur carrière. Dans le cas de Jean PIERSON, l’arrivée chez Airbusreprésentait l’ultime marche avant la présidence d’Aérospatiale mais l’attractivitéd’Airbus fut telle qu’il ne put la quitter et qu’il « rempila » deux fois avant de se reti-rer en 1998 pour retrouver les rivages de la Méditerranée.

JEAN PIERSON, UN GRAND PATROND’AIRBUS

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Depuis leur entrée dans Airbus en 1979, les britanniques revendiquent mon poste dedirecteur financier et la restructuration en cours leur donne l’opportunité de l’obtenir.Robert WHITFIELD est ainsi nommé en 1985 : personnalité brillante maisignorante de la coopération, il quittera en 1989 pour être remplacé jusqu’au chan-gement de statut d’Airbus en 2000 par un représentant de CASA Alberto FERNANDEZ.Personnellement, j’abandonne la direction financière d’Airbus sans amertume car jepense avoir accompli avec efficacité la tâche que l’on m’avait confiée ; de plus aprèsces années de difficiles négociations, je me sens usé pour poursuivre avec efficaci-té mon action à l'intérieur du GIE.J’arrive ainsi à Aerospatiale pour prendre en 1988 la position d’adjoint au directeurde la division Avions, Jacques PLENIER. Je m’investis avec passion dans cettenouvelle vision d’Airbus en apportant ma contribution aux démarches d’efficacité encours ; mon objectif est la prise en compte de la dimension économique par lesacteurs opérationnels grâce à la mise en œuvre d’un contrôle de gestion décentrali-sé, d’une transparence de l’information financière et d’une communication appropriée.Comme nous l’évoquerons plus loin, je pense avoir réussi et apporté ainsi ma pierreà la réalisation chez Aerospatiale de l’outil industriel le plus performant au monde.

DE LA DIRECTION FINANCIÈRE D’AIRBUS À AEROSPATIALE AVIONS

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comme lors des tentatives précédentes, la proposition serarepoussée par le constructeur américain pour le plus grandbien d’Airbus. Heureusement, Franz-Josef STRAUSS, réus-sira au début 1987 à convaincre de l’importance du pro-gramme les gouvernements allemand du chancelier HelmutKOHL, britannique du Premier ministre Margaret THAT-CHER et français du Premier ministre Jacques CHIRAC :« Ce sera la dernière charge du “taureau de Bavière” enfaveur d’Airbus avant son décès en octobre 1988. »Conforté par un volume de 104 commandes fermes etoptions, le lancement du programme est annoncé le 5 juin1987 au Bourget. Les objectifs sont tenus et les mises enservice des A340-300 et A330-300 interviennent le17 mars1993 chez Lufthansa et le 17 janvier 1994 chez AirInter. Une version raccourcie A330-200 à long rayon d’ac-tion (plus de 10 000 km) est lancée en novembre 1995 pourconcurrencer avec succès le 767.

L’AVION DE TRÈS GRANDE CAPACITÉ A3XX :Dès 1991, Jean PIERSON annonce au Salon du Bourgetqu’Airbus Industrie s’intéresse à l’avion de très grandecapacité ; les premières investigations sur un projet nomméA3XX commencent cette année-là et inquiètent Boeing. Audébut 1993, celui-ci circonvient le partenaire allemand de lanécessité d’une collaboration sur ce programme ; c’est ainsique le système Airbus est contraint par DASA à une coopé-ration surréaliste avec Boeing pour étudier la faisabilité d’unprogramme commun d’avion de 500 sièges (appelé VLCT :Very Large Civil Transport) : celle-ci durera deux années jus-qu’au moment où Boeing estimera avoir fait perdre suffi-samment de temps à Airbus. Cet épisode n’aura pas d’effetsur le lancement du projet Airbus : en effet, dès le début del’année 1996, les travaux reprennent activement au seind’une organisation spécifiquement créée à cet effet.

La percée commercialeLa pénétration commerciale d’Airbus se développe au fur età mesure des lancements et mises en service des nouveauxproduits ; l’objectif de 50% de part du marché (exprimé encarnet de commandes) est atteint en 1999 : le graphiqueprésenté en fin d’exposé rappelle la progression d’Airbusdans ce domaine depuis le démarrage de la coopération.La famille A320 constitue le grand succès commerciald’Airbus : fin 1999, le cumul des commandes A320 (livréset en carnet) représentait déjà plus des 2/3 de l’ensembledes commandes. Parmi celles-ci, il faut signaler en 1992 lacommande de 50 A320 par la compagnie United Airlinesaprès une dure compétition avec Boeing.

la réaction de boeingLa découverte de la concurrence AirbusPensant qu’il était plus opportun de s’intéresser à ses com-pétiteurs américains, Boeing a sous-estimé Airbus et sonorganisation de coopération ; au début des années 90,après le retrait de Lockheed et la lente agonie de MDC dansles activités civiles, Boeing se retrouve face à Airbus commeseul compétiteur.Boeing va prendre conscience de cette nouvelle concurren-ce à la suite de trois événements :

Le premier est le lancement en 1987 de la famille A330-A340 dans le marché des avions long-courriers de gran-de capacité.Le second intervient quelques années tard au Salon duBourget de 1991avec l’annonce de Jean PIERSONconcernant les réflexions d’Airbus sur un projet dénom-mé A3XX répondant à une mission long-courrier de trèsgrande capacité (supérieure à 500 sièges).Et pour finir en 1992, la commande de 50 A320 parUnited Airlines confirme la supériorité de l’A320 sur sonproduit 737.

De tels agressions ne sont pas supportables pour Boeing etcelui-ci va mettre en œuvre une offensive tous azimuts cont-re Airbus ; il retient à cette époque le slogan interne « to killAirbus ». Bénéficiant d’un faible taux du dollar (appréciableavantage de compétitivité de l’ordre de 20 à 30%), Boeingpense réunir ainsi tous les ingrédients nécessaires pour faireplier son adversaire.

1ÈRE VOIE D’ACTION : UNE AMBITIEUSE POLITIQUE DE PRODUITS :La première contre-attaque de Boeing intervient dans ledomaine des produits avec le lancement du 777 en octobre1990 ; ce bimoteur long-courrier de grande capacité (concu-rrent des d’Airbus) sera mis en service en 1995 ; les troismotoristes acceptent le développement d’un moteur adaptéau besoin du nouvel avion alors qu’ils l’ont refusé à Airbuspour l’A340. Dans la compétition avec les A330-A340, lesuccès actuel de cet avion souligne la qualité du travail deBoeing.Avec le lancement simultané en novembre 1993 des 737-600, 700 & 800, Boeing poursuit son objectif de contrer lesuccès commercial de l’A320 d’Airbus mais là, il faut recon-naître que sa réussite est moins évidente.

2ÈME VOIE D’ACTION : UNE GUERRE DES PRIX DE VENTE :Dans le même temps, Boeing engage une profonde réformede ses processus industriels avec des objectifs ambitieux deréduction des cycles et des coûts (moins 25%) ; il proclamehaut et fort que ces améliorations sont envisagées pour lebien des clients et propose en conséquence un prix du 737-600 réduit de l’ordre de 20% pour contrer le succès del’A320 (voir ENCART N° 4).

3ÈME VOIE D’ACTION : UNE DÉSTABILISATION DE LA COOPÉRATION AIRBUS :Boeing essaye de fragiliser la coopération en jouant sur lesfrustrations des partenaires. Boeing ne cherche pas à seconcilier Aérospatiale considéré comme son véritableconcurrent : celui-ci est le seul dans la coopération à pos-séder le savoir-faire d’intégrateur et d’ensemblier, domainesd’activité que Boeing conserve dans tous ses programmes.Boeing tente sa chance auprès de BAe qui écoute mais nese laisse pas séduire. En revanche auprès de DASA, lechant des sirènes opère et en 1993 lors d’une réception

« L’A310 du fait de sa petite voilure n’avait pas la capacité de suivre l’augmentationdes besoins en rayon d’action ; à l’époque de son lancement, j’avais alerté RogerBETEILLE de cette insuffisance mais sans succès. L’histoire allait confirmer mescraintes avec un programme A310 s’éteignant prématurément face à au 767 deBoeing bien mieux pourvu dans ce domaine.Le même scénario va se reproduire avec l’aile de l’A340. Bien que m’étant promisde ne plus intervenir sur le choix des surfaces d’aile après la controverse sur la défi-nition de l’A310, je n’ai pas su résister aux sollicitations requérant mon avis sur ladéfinition du nouveau produit. Les résultats de mon analyse montraient que l’avion aurait de meilleures capacitésde développement (masse au décollage et réservoir de carburant) si l’on rallongeaitla corde de l’aile de 1 à 2 mètres ; cette modification ne coûtant rien en masse nien traînée selon mes calculs, il était donc possible de l’appliquer sans perturber l’ef-ficacité du produit. Ma proposition fut bien accueillie par Aérospatiale mais AirbusIndustrie décida de ne pas lui donner suite ; ce fut regrettable car l’aile dessinéeselon ces principes aurait aussi couvert les besoins de l’A340-600 : l’adjonction tar-dive des deux mètres de corde conduira au développement d’une nouvelle voilure : et« qui dit nouvelle aile dit nouveau programme » tant en coûts qu’en délais !

DE L’IMPORTANCE DU CHOIX DE L’AILE SURLE SUCCÈS D’UN PROGRAMME

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grandiose de l’état-major de Daimler-Benz à Seattle, ce der-nier se laisse convaincre de l’intérêt d’une coopérationtransatlantique sur l’avion de 500 places, ce sera l’épisodeVLCT dont nous avons déjà parlé.

4ÈME VOIE D’ACTION : UN SOUTIEN SANS FAILLE DEL’ADMINISTRATION AMÉRICAINE :Reprenant les critiques sur le financement des programmesAirbus, Boeing convainc l’administration américaine de sai-sir le GATT (General Agreement for Tarifs and Trade) pourentrave à la libre concurrence et à l’économie de marché.Les discussions, traitées directement entre les États-Unis etla CEE, aboutissent en juillet 1992 à un accord bilatéralréglementant toutes les formes d’aides publiques qu’ellessoient sous forme d’avances remboursables (limitées à 30%des coûts de développement) ou de subventions à la recher-che (limitées à 4% du chiffre d’affaires).En prolongement de son action commerciale Boeing réussit,grâce à un fort soutien politique, à faire revenir de son côtéplusieurs négociations évoluant dans une direction qui ne luiétait pas favorable ; plusieurs exemples aux États-Unis, auJapon et en Arabie Saoudite sont encore dans les mémoires.

4ÈME VOIE D’ACTION : UN RENFORCEMENT INDUS-TRIEL :Du fait du développement rapide des activités civiles, celles-ci représentent une proportion de l’ordre de 80% du chiffred’affaires de Boeing ; une telle situation fragilise l’entreprise

obligée de supporter les coûteux développements et les à-coups de livraison des produits civils. Aussi, Boeing chercheun meilleur équilibre de ses activités en renforçant sa partiemilitaire avec l’absorption de Rockwell Aerospace andDefense en 1996 et de MDC en 1997 ; grâce à cette crois-sance externe, Boeing réduit ainsi sa dépendance et ramènela proportion de ses activités civiles au niveau de 60% : grâceaux contrats militaires, il peut aussi mieux assurer le finance-ment de sa recherche.

la consécration d’airbusL’organisation de la coopération va démontrer ici sa grandeefficacité en surmontant tous les obstacles mis sur sa route ;une telle réussite aurait dû conforter sa situation mais il n’enfut pas ainsi, son organisation étant de plus en plus contestéepar ses partenaires.

La confirmation de l’efficacité de la coopé-ration :En dépit de sa propre vulnérabilité, Airbus fait mieux querésister et prend même l’avantage sur son adversaire à la findes années 90 ; deux domaines soulignent l’épanouisse-ment d’Airbus dans sa compétition avec Boeing, le com-merce avec une pénétration équilibrée du marché et la pro-duction avec la démonstration d’une grande efficacité indus-trielle.

LE PARTAGE DU MARCHÉ AVEC BOEING :La pénétration commerciale d’Airbus ne cesse de croîtretout au long de la période au fur et à mesure des mises enservice des nouveaux produits : d’un niveau de 16% en1985, la part du carnet mondial des commandes franchit lesseuils de 30% en 1990 et de 40% en 1994 avant d’atteind-re l’objectif recherché de 50% en 1999 ; avec ce résultat,une étape essentielle pour la pérennité de l’entreprise a étéainsi franchie. Le graphique ci-dessous montre la lente pro-gression d’Airbus dans ce domaine.

« Boeing a bien ciblé son offensive en faisant porter son action sur l’A320 produitphare d’Airbus ; Boeing pense qu’Airbus ne pourra le suivre sur ce terrain où il sup-porte déjà le handicap de taux de change défavorables.Dès la mise en œuvre de la nouvelle politique commerciale de Boeing, Airbus subittrois échecs dans des négociations pourtant bien engagées (SAS, Hapag Lloyd,ValuJet) ; Jean PIERSON saisit alors les partenaires et leur présente l’alterna-tive : suivre ou ne pas suivre la guerre des prix. La décision de suivre est prise ;la réactivité du système fait que dès le lendemain, chacun des partenaires lancedans sa propre organisation son programme de réduction des coûts. Qui va gagner,commercialement et industriellement ? Ce ne sera pas celui que l’on attendaitcomme on le verra plus loin ! »

AIRBUS FACE À LA GUERRE DES PRIX DE VENTE

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EVOLUTION DU CARNET DE COMMANDES

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L’EXCELLENCE AU PLAN INDUSTRIEL :En matière d’efficacité industrielle, la performance d’Airbusest plus inattendue : comment une telle organisation peut-elle faire mieux qu’une entreprise de référence commeBoeing ?Dans le domaine de la production, le parcours d’Airbusimpressionne avec une cadence annuelle de livraisons multi-pliée par 10 entre 1986 et 1999 (de 29 à 294), un cycle deproduction réduit de 50% et un prix de revient divisé par 2. La croissance de la cadence de production a pour principa-le origine le succès du programme A320 (celui-ci représen-te plus de 75% des livraisons en 1999). La crise des livrai-sons de 1993 à 1996 affecte moins Airbus que ses compé-titeurs américains obligés de réduire leurs activités de plusde 50% ; en effet pour le système Airbus, une pénétrationcroissante sur le marché et l’arrivée en production d’un nou-veau programme (l’A330-A340) atténuent les conséquen-ces de la récession. Une grève longue de quinze semaineschez BAe à partir d’octobre 1989 a en revanche des effetssignificatifs sur le programme de livraisons mais le systèmedémontrera à cette occasion toute sa réactivité en récupé-rant en moins d’une année les retards accumulés.

Le renouvellement des moyens de transport aérien entresites industriels représente un lourd mais nécessaire inves-tissement ; en effet, la flotte vieillissante des Super Guppiesne permet plus de répondre aux exigences croissantes dutransport ce qui conduit Airbus Industrie à lancer en décem-bre 1990 le produit Béluga. Celui-ci est conçu selon le prin-cipe du Super Guppy appliqué à une cellule A300-600 dontle plancher est surmonté d’une vaste soute dimensionnéepour les besoins de transport ; l’abaissement du poste depilotage permet l’installation d’une porte de chargementdans le prolongement de la soute ce qui en améliore l’effi-cacité opérationnelle. Le Béluga, mis en service au début1996, se révèle un remarquable outil de transport et permetle retrait progressif des Super Guppies.En matière de coûts, les actions de réduction conduisent àdes résultats remarquables. Rappelons les conséquencesde la guerre des prix initiée par Boeing en 1994 ; pour suiv-re les baisses de prix de vente, les partenaires s’imposentdes objectifs de réduction de coûts du même ordre de gran-deur selon des plans d’actions adaptées à chaque part deproduction et chaque culture d’entreprise ; les résultats àl’avantage d’Airbus dans cette compétition avec Boeingdémontreront la réactivité et l’efficacité de la coopération,que ce soit dans le respect des délais ou dans la tenue desobjectifs de coûts ; ainsi en 1997 Boeing est conduit àreporter la livraison de plusieurs dizaines d’avions et à affi-cher des pertes importantes alors que le système Airbusatteint sans problème sa montée en cadence et ses propresobjectifs de réduction des coûts.

La contestation de la structure de coopération :

UN NOUVEAU MODELAGE DE L’INDUSTRIE EUROPÉENNEEn Allemagne poussé par le pouvoir politique, le groupeDaimler-Benz achève en 1989 la restructuration des activitésaéronautiques et d’armement en prenant le contrôle de l’en-semble des industries concernées (voir ENCART N° 5) et enles regroupant dans une société holding DASA.

Dans le nouvel ensemble, Daimler impose sa forte cultured’entreprise avec ses modes de pensée, ses méthodes detravail et ses équipes. Plusieurs responsables d’Airbus chezMBB et Deutsche Airbus ne peuvent s’adapter au nouvel

état d’esprit et doivent quitter l’entreprise ; ils sont rempla-cés par une nouvelle génération formée par Daimler et peuinitiés au fonctionnement du système Airbus : l’esprit de lacoopération ne sera plus le même (voir ENCART N° 6).

En Grande Bretagne, la société British Aerospace reprendles activités des arsenaux de la Royal Ordonance du cons-tructeur automobile Rover et élargit ses domaines d’activitéà l’immobilier et à la téléphonie mobile. Au fur et à mesurede cette expansion, l’entreprise se transforme en s’éloignantde sa culture aéronautique initiale pour devenir le chantre dulibéralisme dans le système Airbus.De son côté, Aérospatiale demeure une entreprise du sec-teur public dans un monde ouvert aux options libérales, unetelle situation constitue un handicap pour les discussions àvenir. Après une tentative de rapprochement avec Dassault,il faut attendre l’année 1998 pour voir Aérospatiale se marieravec MATRA et 1999 pour assister à la privatisation de l’en-treprise ainsi fusionnée.Ces évolutions modifient les comportements des partenai-res dans le système Airbus. Alors qu’une alliance objectiveentre les constructeurs français et allemands présidaitdepuis l’origine aux destinées d’Airbus, le slogan libéral rap-proche les partenaires britannique et allemand et isole lepartenaire français rejeté pour son appartenance au secteurpublic. Le relâchement des liens ancestraux entreAérospatiale et MBB témoigne de la nouvelle situation : laplupart des alliances en gestation à la fin de la décennie 80seront abandonnées et seule la création d’Eurocopter en

« La reprise de MBB et de sa filiale Deutsche Airbus est complexe en raison desimplications gouvernementales dans les activités Airbus ; en effet, la GMBHDeutsche Airbus ne survit que grâce aux garanties apportées par l’État allemandauprès des banques assurant son financement. Pour assainir la situation, un contratcadre est signé en septembre 1989 entre les quatre parties concernées (RépubliqueFédérale d’Allemagne, Daimler-Benz, MBB et Deutsche Airbus) : l’État allemandprend à sa charge l’apurement des aides et des garanties pour un montant de 7milliards de marks et Daimler accepte de son côté d’investir 1 milliard de marksdans la nouvelle entreprise. A partir d’informations publiques, j’ai pu reconstituer le montant cumulé des aidesapportées par le gouvernement allemand à son industriel depuis le démarraged’Airbus en 1969 ; le chiffre cumulé fin 1998 s’élève à 10 milliards de marks sedécomposant en : – avances apportées : + 7,5 milliards de marks, – remboursements effectués : - 3,5 milliards de marks, – autres aides : + 6 milliards de marks. »

LA REPRISE DE MBB ET LES AIDES DU GOUVERNEMENT ALLEMAND

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L’attitude du partenaire allemand change totalement : il passe d’une position modes-te et attentive à une posture présomptueuse et suffisante ; on retrouve ici le com-portement de Daimler déjà rencontré lors sa fusion avec Chrysler ou de sa prise decontrôle de Mitsubishi.Le climat des relations à l’intérieur de la coopération en est perturbé et le systèmeest à plusieurs occasions contraint à suivre des orientations contraires à son effi-cacité : rappelons-nous les revendications relatives au programme A320 et lacoopération avec Boeing sur l’avion de 500 places.Dans mon domaine, la plupart de mes correspondants allemands avec lesquels unclimat de confiance s’était établi au cours du temps vont disparaître. Cette évolu-tion sera dommageable pour la coopération car elle ne facilitera pas le traitement« pacifique » des difficultés inhérentes à notre coopération ; pendant de longuesannées, ma position de « vieux sage » m’avait permis de régler un grand nombrede litiges ; à partir de 1994, il n’en fut plus ainsi car je ne trouvais plus chez lepartenaire allemand de correspondants ouverts à de telles démarches. »

LE COMPORTEMENT DU NOUVEAU PARTENAIRE ALLEMAND

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Ejanvier 1992 rappellera l’entente passée ; Les stratégiesconflictuelles entre les deux groupes dans le domaine desavions régionaux exacerbent encore plus les relations (voirENCART N° 7).

LA MISE EN CAUSE DU GIE ET DE SON FONCTIONNEMENT :Ces nouveaux comportements des partenaires amènent unecontestation de la structure de la coopération. Et pourtant,sa pertinence peut se mesurer au chemin parcouru depuisson lancement : dans le domaine technique avec la qualitédes produits réalisés, dans le domaine commercial avec laconquête progressive du marché, dans le domaine industrielavec la montée en puissance de l’outil de production et dansle domaine financier avec l’avantage pris par Airbus lors dela guerre des prix de revient lancée en 1993 par Boeing. « Plusieurs réflexions menées sur le sujet ont montré que l’ef-ficacité industrielle de la coopération reposait sur trois fac-teurs : la spécialisation des centres industriels (voulue etimposée par Félix KRACHT), la grande réactivité du système(grâce à la séparation de la direction générale et des fonc-tions opérationnelles) et la mise en place de forfaits dans lesrelations internes. » La recherche permanente d’une organisation efficace endépit des implications contraignantes de la coopération aconduit à une structure contractuelle originale qui en rend lalecture difficile pour les non-initiés. Tant que le système estresté entre les mains de ses concepteurs, toutes les partiesacceptaient ses spécificités opératoires ; en revanche aprèsle départ des pionniers, les nouveaux arrivants vont le rejeterparce qu’il ne correspond pas aux standards de gestion desentreprises.Au-delà de son caractère non classique, que reproche-t-on ausystème Airbus ? En premier, la lourdeur de son processusde décision apparaît pertinente car l’application des statuts duGIE exigeait l’unanimité des membres dans toute décisionstratégique ; toutefois l’histoire d’Airbus montre qu’aucunedéfaillance n’est intervenue sous ce prétexte. Un autre pointde controverse est l’opacité des coûts : celle-ci n’est que leprolongement du traitement forfaitaire des prestations ; toutesles expériences de coopération dans la transparence finan-cière (Concorde, produits militaires…) ont suffisamment mon-tré leur inefficacité pour que l’on ait retenu un autre principedans l’édification d’une coopération soumise à la dure loi dela concurrence.Derrière les critiques du système se cache une autre moti-vation pour DASA et BAe : affaiblir la position centraled’Aérospatiale dans le système en exploitant les prétendues

faiblesses liées à son appartenance au secteur public. Lesmessages envoyés par DASA et BAe sont repris par desmédias et des administrations plus ouverts aux prises depositions libérales, même si celles-ci reposent sur des rai-sonnements simplistes ; avant même le démarrage des dis-cussions, Aerospatiale est mis dans une situation de faibles-se ce qui ne facilitera pas la défense de ses intérêts dans lesnégociations à venir.

Le système est ainsi entraîné à promouvoir une évolution deson organisation au fur et à mesure des réflexions menéessur le sujet. Trois démarches, en1987, 1991 et 1995, vontêtre nécessaires avant d’aboutir en 2000 au nouvel Airbuscréé sous la forme d’une SAS (Société par actions simpli-fiée de droit français) détenue à 80% par EADS et à 20%par BAe Systems. Le GIE cède alors la place à la nouvelleorganisation après trente années de bons et loyaux services(voir ENCART N° 8).

Épilogue : la contribution française au succesd’airbusArrivé aux termes de cet exposé, que peut-on conclure ? Enpremier, cette extraordinaire aventure a permis à l’industrieeuropéenne d’atteindre une maturité aussi brillante qu’impré-vue dans le domaine concurrentiel de la construction aéro-nautique civile ; il est sûr que les erreurs de nos concurrentsaméricains nous ont aidés, mais cela ne doit pas nousconduire à minimiser les trente années d’efforts, d’intelligen-ce et d’imagination qui ont permis d’atteindre ce résultat.L’histoire d’Airbus n’est pas terminée et il reste encore denombreux chapitres à vivre et écrire mais nous laisserons àd’autres le soin d’en parler.La contribution française a été essentielle dans la réussitede la coopération Airbus et j’aimerais en rappeler lesapports les plus marquants dans les domaines du savoir-faire technique et de l’efficacité industrielle ; ceci ne doit pasnous faire oublier les autres contributions françaises à laréussite de la coopération que ce soit en matière de straté-gie de produits (A300, A320, et famille A330-A340), d’éla-boration d’une administration efficace de la coopération(l'accord intergouvernemental, statuts du GIE, conventioncadre et accords industriels) et de mise en place des infras-tructures nécessaires (Autorités de Certification, centresd’essais au sol et en vol).

Dans le domaine des avions régionaux, les partenaires français et allemand onttous les deux la même ambition : prendre le leadership du marché. Ce mêmeempressement va mettre à mal au début des années 90 une entente de plus devingt années dans la construction aéronautique civile.Aérospatiale associé avec Alenia dans l’ATR, tente de prendre le contrôle deHavilland of Canada dont Boeing cherche à se défaire ; l’accord d’avril 1990 pourla reprise de l’entreprise est invalidé en octobre 1991 par un veto de laCommission européenne pour abus de position dominante à la suite d’une saisinepar Fokker, BAe et SAAB. « Personnellement, je fus rassuré par cette décision carj’étais convaincu qu’Aérospatiale n’avait pas les ressources pour investir dans lesdeux secteurs d’activité et Airbus devait rester la priorité. » De son côté, DASA renforce sa position en reprenant Fokker en avril 1993 et s’ensépare en janvier 1996 après avoir investi à fonds perdus plus de 3 milliards demarks dans l’opération.« Que de ressources employées pour satisfaire de tels egos alors que celles-ciauraient été bien utiles pour préparer Airbus à la rude confrontation qui l’attendavec Boeing ! »

UNE COÛTEUSE FASCINATION POUR LES AVIONS RÉGIONAUX

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« Mon exposé peut sembler critique vis-à-vis des démarches entreprises pour faireévoluer le système Airbus : c’est vrai et je tiens à m’en expliquer car pour beaucoupje ne peux être crédible pour en parler du fait de ma participation dans sa conception. Cette organisation est considérée comme mon « enfant » du fait de mon implicationdans la mise en œuvre des quatre textes fondateurs de la coopération :

– l’accord intergouvernemental de mai 1969, – les statuts du GIE entérinés en décembre 1970, – la convention cadre entre Airbus et l’Agence exécutive en juin 1971, – les accords industriels de série conclus en mars 1968.

Je reconnais être marqué par une telle expérience, mais étant celui qui a le plusapprofondi son fonctionnement, je pense avoir le droit et le devoir de l’analyser, d’enreconnaître les faiblesses et d’en défendre l’efficacité. »

LE SYSTÈME AIRBUS DANS LE CADRE DU GIE: « MON ENFANT »

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Aérospatiale a eu un rôle majeur en matière technique grâceà l’expérience acquise lors des programmes précédents etau développement de son savoir-faire d’intégrateur tout aulong des programmes : il est intéressant de remarquer icique les domaines de responsabilité Aerospatiale recouvrentceux que Boeing conserve dans ses programmes. Cettecontribution est à l’origine des succès commerciauxd’Airbus et l’on ne répétera jamais assez l’importance deConcorde dans cette réussite ; il suffit de regarder les gran-des innovations apportées par les produits Airbus pour voirque celles-ci prolongent chaque fois des avancées testéessur Concorde : commandes de vol électriques, architectureet intégration des systèmes, aménagement et ergonomie duposte de pilotage, centralisation des alarmes, analyses desécurité… ; il faut reconnaître toutefois que cette « fontainede technologies se tarit de jour en jour et qu’il devient urgentde prolonger l’effet Concorde par une politique de recher-che dynamique si l’on ne veut pas voir Boeing dépasserAirbus sur ce plan.L’efficacité industrielle est aussi une priorité permanente dela Division Avions d’Aerospatiale tout au long de l’histoired’Airbus car l’entreprise doit assurer par elle-même la mon-tée en puissance de son outil technique et industriel (voirENCART N° 9).

Les efforts portent en priorité sur les coûts de production etles améliorations s’enchaînent au fur et à mesure des pro-grammes. Avec les perspectives de croissance attachéesau programme A320, un changement plus radical s’imposeet Jacques PLENIER, directeur de la division, lance en 1987une « démarche industrielle » bouleversant de fond en com-ble l’organisation et les méthodes de travail de l’entreprise ;les conséquences en terme d’efficacité seront très appré-ciables. Cette démarche est complétée au milieu desannées 1990 par un nouveau plan de réduction des coûts(25 à 30%) consécutif à la guerre des prix de vente initiéepar Boeing (voir ENCART N° 10).

Lors de la fusion avec MATRA, Jean-Luc LAGARDERE vadécouvrir avec Airbus un joyau inattendu dans les actifs del’entreprise publique. Malheureusement ces mérites n’é-taient pas reconnus au sein de la société Aérospatiale etceci s’avérera très dommageable dans les valorisationsmenées tant pour la fusion Aérospatiale-MATRA que lors dela création de EADS (voir ENCART N° 11).

Georges VILLE,Président de l’AAE

« Aérospatiale n’a bénéficié sur le plan industriel d’aucune aide gouvernementale àla différence de son partenaire allemand ; les aides apportées par le gouvernementfrançais concernent uniquement les avances remboursables ; la situation à la fin 1997correspondait à :

– un montant cumulé des avances de 19 milliards de francs, – un montant cumulé des remboursements de 10 milliards de francs.

La situation nette s’établit à cette date au niveau de 9 milliards de francs, montanttrès inférieur au total du soutien apporté par le gouvernement allemand et estimé ci-dessus à 10 milliards de marks soit 34 milliards de francs. En tant qu’actionnaire d’Aerospatiale, l’Etat n’a pas non plus apporté sous forme d’aug-mentation de capital les ressources nécessaires à l’extension de ses activités aéro-nautiques civiles ; heureusement que les marges dégagées par quelques contrats mili-taires à l’exportation ont permis de couvrir les forts besoins d’investissement qui yétaient attachés. »

LES CONTRIBUTIONS DE L’ETAT ACTIONNAIRE À AEROSPATIALE

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La Division Avions va ainsi devenir l’entreprise la plus performante dans le secteur dela construction aéronautique civile.« Sur la base d’une veille économique permanente, j’ai réussi à reconstituer l’évolutionde la compétitivité des principaux avionneurs civils au cours de la décennie 90. Le para-mètre représentatif de l’efficacité industrielle est la marge de production (écart entrele prix de vente et les coûts de production) exprimée en % du chiffre d’affaires : dansune saine gestion, ce paramètre doit dépasser 20% pour couvrir l’amortissement desdéveloppements, les frais de structure, les taxes et la rémunération des actionnaires.Pour l’année 1997 après avoir corrigé des effets monétaires, les niveaux de margesestimées pour les activités avions civils étaient de :– 23% pour Aérospatiale Avions, – 13% pour Daimler-Benz Airbus (anciennement Deutsche Airbus), – 21% pour BAe – 17% pour Boeing. »

AEROSPATIALE-AVIONS LE CONSTRUCTEURLE PLUS PRODUCTIF

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« La direction générale d’Aérospatiale de l’époque ne croyait pas à l’efficacité de sadivision et le nouveau président avait une vision déformée des activités Airbus ; celui-ci considérait Airbus comme la « danseuse » de ses prédécesseurs dilapidant les res-sources dégagées par les activités militaires dont il avait la responsabilité. Je rappel-lerai deux circonstances où une reconnaissance des mérites de la division avionsaurait amené une meilleure appréciation de l’activité Airbus dans les négociations :

– la politique de couverture de change menée à l’époque ne reposait pas sur unegestion du dollar en prolongement des activités avions : inquiet des conséquen-ces, je m’en étais ouvert en 1997 dans une lettre personnelle au président maisje fus éconduit ; les conséquences en furent très lourdes lors la fusion avecMATRA (je les ai estimés de l’ordre de 10 milliards de francs à partir de la docu-mentation distribuée pour la fusion Aérospatiale-MATRA) ;

– à l’occasion de la fusion EADS, les valorisations retenues pour les activitésAirbus ont été acceptées par les négociateurs français sur la base d’une plusgrande efficacité du partenaire allemand de l’ordre de 1 milliard de francs annuelalors que toutes mes analyses aboutissaient au résultat opposé ; le constat dansles comptes fusionnés d’Airbus confirmera mes dires mais il sera trop tard pourrevenir sur les résultats de la négociation. Ayant quitté la vie active en 1999, jen’ai pas participé aux discussions bien que j’ai proposé mon aide si on l’esti-mait utile.

Vis-à-vis de tous ceux qui ont fait confiance à la division dans cette recherche d’effi-cacité, je me sens redevable de faire connaître ici leurs performances et ceci est laraison de ce plaidoyer. Dans le même registre, j’avoue ressentir encore aujourd’hui uneamertume et un ressentiment pour ceux qui n’ont pas su mieux mettre en valeur l’ap-port de leurs personnels, plus de trente années durant, à une aussi belle aventure. »Pour l’avenir, la conséquence la plus dommageable de cette dévalorisationd’Aerospatiale sera certainement le laminage de ses équipes et la non-reconnaissan-ce de ses compétences dans la mise en place de la nouvelle organisation Airbus.

LA REGRETTABLE VALORISATIOND’AEROSPATIALE-AVIONS

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LA LETTRE AAAFÉditeur : Association Aéronautique et Astronautique de France, AAAF – 6, rue Galilée, 75016 Paris • Tél : 01 56 64 12 30 Fax : 01 56 64 12 31 • [email protected] • www.aaaf.asso.frDirecteur de la publication : Michel SCHELLERRédacteur en chef : Khoa DANG-TRANComité de rédaction : Michel de la BURGADE, Philippe JUNG, Jean TENSIRédaction : Tél : 01 46 73 37 80 • Fax : 01 46 73 41 72E-mail : [email protected]

Ont notamment collaboré à ce numéro : Vincent CAZAUBIEL, Laurence GUILLET, Philippe JUNG, André MORTELETTE, Georges VILLE. Crédits Photos : AAAF, Dassault Aviation, EADS ASTRIUM.Conception : Khoa DANG-TRAN, S. BOUGNONRéalisation : Sophie BOUGNON Imprimerie : SB IMPRIMEURS Dépôt légal : 1er trimestre 2004

ISSN 1767-0675 / Droits de reproduction, texte et illustrations réservés pour tous pays