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8/4/2019 Les Hommes Libres l Histoire oubliée des Arabes occupés http://slidepdf.com/reader/full/les-hommes-libres-l-histoire-oubliee-des-arabes-occupes 1/4    P    r    i    n    t    e    d    w    i    t    h      j     o      l      i     p     r      i     n      t «Les Hommes libres», l’histoire oubliée des Arabes occupés Le cinéaste Ismaël Ferroukhi, aidé de l’historien Benjamin Stora, raconte ces « invisibles » de Paris sous l’Occupation. N ous sommes en 1942, à Paris. Younes (Tahar Rahim, « Un Prophète ») pousse la porte d’une bâtisse en ruines. Dans la cour, l’attend une bande de vieillards algériens creusés par la faim. Ils troquent leurs dernières richesses contre quelques cigarettes, une casserole, une boîte de sardines. « Prends, c’est tout ce qu’il me reste », dit un vieil homme, tendant son instrument, un « oud » [1] , au  jeune homme. Ferroukhi : « C’est un sujet historique tellement nouveau » En découvrant le quotidien de la communauté al- gérienne à Paris pendant l’Occupation, Ismaël Fer- roukhi avoue s’être « pris une claque ». Après « Le Grand Voyage », le réalisateur marocain se lance dans une ction historique exigeante avec « Les Hommes libres » – malgré un budget qui im- pose la sobriété à la reconstitution : « L’idée était avant tout de recréer un univers qui avait existé et que personne ne connais- sait. » Pour montrer comment 100 000 Algériens de Paris ont traversé la Seconde Guerre mondiale, Ferroukhi  joue la mesure : « J’ai essayé de ne pas aller trop loin dans la ction. C’est un sujet historique tellement nouveau qu’on allait me dire : “ Mais qu’est- ce que tu racontes ! ” » De fausses attestations de foi musulmane délivrées aux juifs Les temps sont durs. Younes, le héros, vit du marché noir et nourrit sa famille, restée en Algérie. Quand il se fait arrêter, il est contraint de passer un mar- ché avec la police vichyssoise : il doit espionner la communauté maghrébine qui fréquente la mosquée de Paris et son recteur, Si Kaddour Benghabrit [2]  (Michael Lonsdale). Le jeune homme découvre rapidement que le rec- teur protège des syndicalistes et délivre de fausses attestations de foi musulmanes à des familles juives. Il rencontre aussi Salim Halali [3] , étoile des cabarets arabes, qui animent la vie festive de l’époque. Par Aurélie Champagne | Rue89 | 27/09/2011 | 12H12  Page 1 http://www.rue89.com/2011/09/27/les-hommes-libres-lhistoire-oubliee-des-arabes-occupes-223665 « L’Histoire avec sa grande hache »

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«Les Hommes libres», l’histoire oubliée des Arabesoccupés

Le cinéaste Ismaël Ferroukhi, aidé del’historien Benjamin Stora, raconte ces

« invisibles » de Paris sous l’Occupation.

Nous sommes en 1942, à Paris. Younes (TaharRahim, « Un Prophète ») pousse la porte d’unebâtisse en ruines. Dans la cour, l’attend une

bande de vieillards algériens creusés par la faim. Ilstroquent leurs dernières richesses contre quelquescigarettes, une casserole, une boîte de sardines.« Prends, c’est tout ce qu’il me reste », dit un vieilhomme, tendant son instrument, un « oud » [1], au

 jeune homme.

Ferroukhi : « C’est un sujet historique

tellement nouveau »En découvrant le quotidien de la communauté al-gérienne à Paris pendant l’Occupation, Ismaël Fer-roukhi avoue s’être « pris une claque ».

Après « Le Grand Voyage », le réalisateur marocainse lance dans une ction historique exigeante avec« Les Hommes libres » – malgré un budget qui im-pose la sobriété à la reconstitution :

« L’idée était avant tout de recréer un universqui avait existé et que personne ne connais-sait. »

Pour montrer comment 100 000 Algériens de Parisont traversé la Seconde Guerre mondiale, Ferroukhi

 joue la mesure :

« J’ai essayé de ne pas aller trop loin dans laction. C’est un sujet historique tellementnouveau qu’on allait me dire : “ Mais qu’est-ce que tu racontes ! ” »

De fausses attestations de foi musulmanedélivrées aux juifs

Les temps sont durs. Younes, le héros, vit du marchénoir et nourrit sa famille, restée en Algérie. Quandil se fait arrêter, il est contraint de passer un mar-ché avec la police vichyssoise : il doit espionner lacommunauté maghrébine qui fréquente la mosquéede Paris et son recteur, Si Kaddour Benghabrit [2] (Michael Lonsdale).

Le jeune homme découvre rapidement que le rec-teur protège des syndicalistes et délivre de faussesattestations de foi musulmanes à des familles juives.Il rencontre aussi Salim Halali [3], étoile des cabaretsarabes, qui animent la vie festive de l’époque.

Par Aurélie Champagne | Rue89 | 27/09/2011 | 12H12

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Stora, complice historique de Ferroukhi

Dans le cinéma parisien où a lieu la projection enavant-première des « Hommes libres », il y a dubeau monde :

• un conseiller du roi du Maroc,• le cinéaste Claude Lanzmann,• l’ambassadeur d’Israël en France,• des représentants du Conseil français du

culte musulman,• l’imam de la mosquée de Marne-la-Vallée…

Ferroukhi a la tremblote :

« Ce sera un des premiers retours sur lelm. »

A ses côtés, Benjamin Stora [4], spécialiste de l’Algériecoloniale et de l’histoire du Maghreb contemporain,attend d’un air débonnaire. Dans la vie, les deuxhommes sont complices. Très complices. Ils onttravaillé main dans la main sur le scénario pourraconter « la complexité d’une époque inconnueet jamais traitée au cinéma ».

Les Algériens sous l’Occupation, « desinvisibles »

« Les 100 000 Algériens qui vivaient à Paris sousl’Occupation font partie d’une immigration ouvrièreextrêmement pauvre, écrasée socialement », raconteStora :

« Ils ne sont ni des Algériens – puisque l’Al-

gérie, c’était la France – ni des Français. Ilsn’ont pas le statut de citoyens français. A larelégation juridique s’ajoute l’écrasementsocial, qu’on voit très bien dans la scèned’ouverture du lm. »

« Ce sont des hommes invisibles », résume Stora :

« Ils sont arrivés en France bien avant le dé-but de la guerre. En 1926, quand la mosquéede Paris est inaugurée, il y a déjà une forte

présence d’Algériens à Paris. Ces hommesconnaissent Maurice Chevalier, le mouve-ment ouvrier, les grèves du Front popu-laire… »

 

Beaucoup sont syndiqués et suivent « Messali Hadj,grand leader syndical algérien, qui a refusé la Col-laboration avec l’Allemagne ». Avec l’exode, lesmembres de la communauté se retrouvent « aban-donnés, perdus dans le Paris déserté du début des

années 40. »

Par Aurélie Champagne | Rue89 | 27/09/2011 | 12H12

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« Quand les gens ressortent du lm, ils sedemandent : “ Mais est-ce que c’était vraitout ça ? ”. Bah oui, c’était vrai… Moi, c’estleur étonnement qui m’étonne. »

La mosquée de Paris, un enjeu pour lesNazis et Vichy 

Ferroukhi et Stora mettent en lumière le rôle mé-

connu de la mosquée de Paris pendant l’Occupation.« On a d’ailleurs tourné toutes les scènes dans unpalais à Rabat », explique le premier.

« A la mosquée de Paris, ça aurait été com-pliqué. Notamment avec les gens qui vien-nent prier. Là, on a eu toute la liberté qu’onvoulait. On a donné au palais la couleur deParis. »

Lorsque les Allemands entrent dans Paris en 1940,

la mosquée est un enjeu politico-stratégique pour lerégime de Vichy, comme pour les Nazis. A l’époque,c’est un endroit symbolique pour la gestion de l’is-lam de France.

En parlant du recteur Si Kaddour Benghabrit, Storas’illumine :

« Ah ! Que dire de ce personnage… Il est trèsproche de la cour du sultan du Maroc. Il estrecteur, c’est un homme de foi, mais c’estsurtout un homme politique. Il est agréé parl’Etat français pour gérer la mosquée. Il doitnaviguer entre sollicitations et pressions ve-nant du pouvoir politique vichyssois et desAllemands qui veulent l’instrumentaliser. »

Des « Hommes libres » en zone grise

Dans « Les Hommes libres », Benghabrit ne protègepas seulement les membres de sa communauté –alors que « tout le monde de gauche et l’universsyndical n’existent plus, que plus rien n’existe ».

Sur ce point, « il n’y a pas eu de décision centraliséede la mosquée », précise l’historien.

« La mosquée de Paris devient un territoiremixte, bizarre. Entre pression et acceptationlégitime de collaboration d’Etat. Toutes lesinstitutions ocielles sont obligées d’accep-ter la collaboration, à l’époque.

A part le préfet Jean Moulin qui a refuséd’obéir, tous les préfets et toutes les insti-tutions ont accepté de collaborer. Tous les

fonctionnaires de l’appareil d’Etat ont conti-nué leur travail. Les choses ont commencéà se décanter seulement à partir de l’année1943. »

C’est cette zone grise qu’explore le lm de Ferroukhi.Et c’est le débarquement anglo-américain de 1942au Maroc, qui change la donne [5] et constitue l’undes rebondissements de la ction.

« Le recteur Benghabrit, un homme qui

ajuste ses pratiques »« En Europe, on accorde beaucoup d’importance –à juste titre – à la bataille de Stalingrad, en 1943 »,conclut Stora.

« Mais pour le Maghreb, le tournant de laguerre, c’est le débarquement américainen novembre 1942. Si Kaddour Benghabritest proche du sultan du Maroc. Il ne peutpas rester insensible à ça. Il sent que le venttourne.

L’intelligence du lm est aussi de montrerun homme qui ajuste ses pratiques et sonlangage. »

Les Hommes libres d’Ismaël Ferroukhi - avec Ta-har Rahim et Michael Lonsdale - 1h39 - sortie le 28septembre 2011.

Liens

[1] fr.wikipedia.org | http://bit.ly/qIQ8xM

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«Les Hommes libres», l’histoire oubliée des Arabes occupés

[2] fr.wikipedia.org | http://bit.ly/mPgtY9

[3] fr.wikipedia.org | http://bit.ly/n04id2

[4] fr.wikipedia.org | Benjamin Stora - Wikipédia | http://bit.ly/pCEpnh

[5] fr.wikipedia.org | http://bit.ly/n8LqX7

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