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Les jeux vidéo, joujoux idéologiques

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Les jeux vidéo, joujoux idéologiquesLE MONDE CULTURE ET IDEES | 20.12.2013 à 11h58 • Mis à jour le21.12.2013 à 15h14 |

Par Catherine Vincent (/journaliste/catherine-vincent/)

Grand Theft Auto V a gagné son pari. Attendu depuis des années par lesaficionados du jeu, produit pour 270 millions de dollars (195,7 millionsd’euros) – le budget d’une grosse production hollywoodienne –, le dernierépisode de Grand Theft Auto (littéralement : « vol qualifié d’automobile»), GTA pour les intimes, a généré, mi-septembre, lors de son lancement

mondial, 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires en trois jours. Du jamais-vu dans l’histoire du jeu vidéo. Et ce sans rien perdre de son espritsubversif par rapport au déjà très sulfureux GTA IV.

« De même que les opus précédents, le jeu peut être pris comme un pur

Image extraite du jeu vidéo Grand Theft Auto V. | DR

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ou politique bien marqué. Et la tonalité dominante de la plupart d’entreeux est limpide : américaine, virile et militarisée.

Quoi d’étonnant à cela ? Cette industrie est dominée par les Etats-Unis, etses relations avec l’armée sont quasi originelles. « Les jeux vidéo sont nésau sein du complexe militaro-industriel, à l’époque de la grandecompétition entre l’URSS et les Etats-Unis dans la course pour la

conquête spatiale. Apparu en 1962, Spacewar, le premier jeu vidéosimulant un combat dans l’espace, a servi avant tout à mesurer la puissance de calcul des ordinateurs », rappelle Tony Fortin, rédacteur enchef des Cahiers du jeu vidéo (éd. Pix’n Love).

SYNERGIE EN DÉFENSE ET INDUSTRIE

Dans les années 1990, cette collaboration entre défense et industrie des jeux s’est muée en une véritable synergie. Ainsi, America’s Army, un jeu

multijoueur en ligne qui a attiré près de 10 millions de personnes depuissa sortie en 2002, fut développé par l’armée comme un outil affiché derecrutement et de propagande.

Cette collusion entre guerre et divertissement n’a rien de nouveau. EnFrance, durant la première guerre mondiale, les jeux « de société » étaientempreints de nationalisme et de militarisme, et nombre de ceux qui furentédités après 1945 valorisaient (déjà) l’armée américaine, ses soldats et sesmatériels. Mais un jeu vidéo n’est pas un jeu de l’oie. Par sa puissanced’immersion et de transgression, il peut vous captiver autant qu’un film deguerre. A ceci près que c’est vous le héros de l’histoire.

En cette fin 2013, les nouveaux épisodes proposés par les éditeurs de Callof Duty et Battlefield, les deux séries phares de jeux FPS (« first personshooter » : jeu de tir en vue subjective), ne dérogent pas à la règle. Call of Duty : Ghosts nous met dans la peau de soldats américains chargés dereconquérir une Amérique du Nord dévastée par une attaque des Etatsd’Amérique latine. Battlefield 4, vaste campagne militaire dont la majeurepartie se situe en Chine, poursuit sa logique d’affrontement entre les deuxgéants économiques de la planète. Pour d’autres produits made in USA, laguerre contre les forces obscures a lieudans un pays du Moyen-Orientdont les populations sont plus ou moins présentées comme des terroristesislamistes en puissance.

La violence à laquelle nous convient ces jeux flatte-t-elle nos instincts lesplus vils, nous incitant, sous couvert de respecter les règles, à des actes

virtuels de sadisme ? Pour Tony Fortin, l’omniprésence de l’homme blancet guerrier qui sauve la communauté par la force n’a rien d’anodin. « Enincorporant ces valeurs, de jeu en jeu, dans notre vie à tous, ces produitsludiques fabriquent du consentement », affirme-t-il. D’autant que lecourant dominant de l’idéologie occidentale, compétitive, machiste et

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individualiste, n’imprègne pas seulement les jeux de guerre ou de sport.

« DES SCHÉMAS ETHNOCENTRÉS »

Il traverse aussi, de manière plus subtile, les jeux de stratégie s’inspirantde périodes historiques, telles les séries Age of Empires ou Civilization. Lesociologue Laurent Trémel, qui a étudié cette dernière de près, remarque

qu’elle véhicule « des schémas ethnocentrés, valorisant les “civilisations” de souche nord-européenne au détriment du reste de l’humanité, le tout combiné avec des mécanismes de jeu et des représentations politiquesépousant l’idéologie libérale ». De même, le jeu de gestion SimCity, sousson apparence de « monde ouvert », impose par ses règles undéveloppement fondé sur l’étalement urbain, excluant d’office d’autreschoix : ceux qui favoriseraient par exemple la mixité sociale, larevalorisation d’un centre-ville ancien ou la multiplication d’espaces verts.

Que dire enfin du biais fortement sexiste qui caractérise les jeux pour PCet consoles dans leur ensemble ? A l’exception de Lara Croft, héroïneintelligente et athlétique, les figures féminines y sont rarement actives etont pour principale fonction d’être… regardées. Pour préciser cetteidéologie sous-jacente, Fanny Lignon, maître de conférences en cinémaaudiovisuel et organisatrice d’un récent colloque sur le thème « Genre et jeux vidéo », a mené une étude portant sur 44 jeux d’aventure-action,édités pour la PlayStation 3 entre 2007 et 2009. Elle a analysé les imagestransmises par les jaquettes de présentation.

Sur 26 de ces jaquettes n’apparaît qu’un personnage : de sexe masculin, degrande taille, de face, l’air d’un héros. Deux titres seulement, X-Blades etHeavenly Sword, arborent l’image d’une héroïne. La première, Ayumi, esttrès érotisée. « Armure ajourée, string et chaussures à talons compensés,regard par en dessous, sein aguichant, fesse rebondie : dans X-Blades, il y a un X ! », ironise Fanny Lignon. De fait, les scènes d’approche, voire desexe, ne sont pas rares dans les jeux vidéo, où des femmes

ultrastéréotypées se révèlent le jouet de l’homme.Jeux guerriers, compétition sportive, image sexualisée de la femme… Unefois encore, quoi d’étonnant ? Le monde des game designers reste encoretrès masculin, celui des joueurs aussi. Les enquêtes réalisées parl’industrie du jeu ont beau montrer une augmentation de leur âge moyen(35 ans) et une proportion grandissante de joueuses, les « gamers »restent majoritairement des adolescents et de jeunes hommes. Selonl’enquête Ludespace, 65 % des hommes et presque 100 % des garçons

interrogés déclaraient en 2012 avoir joué aux jeux vidéo au cours desdouze derniers mois, contre 53 % des femmes et 95 % des filles. Ledécalage est plus grand encore chez les joueurs assidus.

CRÉATIONS INDÉPENDANTES INVENTIVES

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A mesure que le jeu vidéo s’impose dans le paysage culturel, cette routetoute tracée s’enrichit pourtant de chemins de traverse. A côté desproductions à gros budgets apparaît un nombre croissant de créationsindépendantes, qui détonnent par leur inventivité. Certaines, commeJourney ou Braid, ont même remporté un franc succès. Au point queMicrosoft et Sony ont fait des jeux indépendants un axe important de leur

communication pour leurs nouvelles consoles Xbox One et PlayStation 4,actuellement en phase de lancement. « Comparés au courant dominant,ces jeux alternatifs ont souvent comme point commun de porter undiscours critique, tant sur les mécanismes de game play (il ne s’agit pasd’accumuler des richesses) que sur l’environnement graphique », préciseTony Fortin. Et beaucoup sont porteurs d’un autre contenu idéologique.

C’est le cas de PeaceMaker (2007), simulation géopolitique dont le but estla résolution pacifique du conflit israélo-palestinien par la solution à deuxEtats. De Papers, Please (2013), qui met le joueur dans la peau d’un agentde l’immigration chargé de contrôler les entrées dans l’Etat fictif d’Arstotzka. Des jeux de l’Américaine Anna Anthropy (Mighty Jill Off,Sexy Hiking, etc.), conceptrice gay dont les créations remettent en causel’identité sexuelle. Ou encore ceux du site italien Molleindustria. Créé en2003 par un collectif d’artistes et de programmeurs milanais, il proposedes microjeux flash politiquement engagés sur des thèmes aussi divers quela précarité du travail, la liberté de la presse ou la guerre moderne : celle

que vit dans Unmanned (2012) un contrôleur de drones de combat en Afghanistan, qui gère au quotidien les problèmes de sa vie familiale.

Même s’ils effraient les grands éditeurs, les jeux qui incitent à réfléchiraux règles sociales ou à celles de la marche du monde ont le vent enpoupe. Pour Mathieu Triclot, philosophe des sciences et des techniques, etaussi « gamer », la vraie puissance politique des jeux vidéo est pourtantailleurs. « Les plus marquants ne sont pas forcément ceux qui livrent unmessage explicite, mais plutôt ceux qui vont produire un effet de

sidération, estime-t-il. Ceux qui, à un moment donné, nous amènent à faire des choses atroces qu’on ne peut pas cautionner. Comme si le jeu,alors, nous trahissait. » Ainsi, le récent Prison Architect (IntroversionSoftware), qui fait du joueur un directeur de prison cherchant à créer lesinfrastructures les plus à même d’assurer le bien-être de ses détenus. « Dans la construction de cette prison modèle, tout se passe bien jusqu’aumoment où il s’agit de bâtir une belle chambre d’exécution, avec une bellechaise électrique et du beau carrelage au sol, poursuit Mathieu Triclot. Plus on tente d’y parvenir, plus on prend conscience de ce qu’on est entrain de faire. Les meilleurs jeux politiques sont ceux qui nous prennent par le jeu, qui nous questionnent sur nos actes de jeu. »

Olivier Mauco ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque la violence à laquelle

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À LIRE« LES JEUX VIDÉO LE MONDE EXPLIQUÉ AUX VIEUX » de BlaiseMao (10/18, 154 p., 6,60 ! ).« GTA IV. L’ENVERS DU RÊVE AMÉRICAIN » d’Olivier Mauco(Questions théoriques, 126 p., 9,90 ! ).« PHILOSOPHIE DES JEUX VIDÉO » de Mathieu Triclot (Zones, 252p., 19,30 ! ).« MYTHOLOGIE DES JEUX VIDÉO » de Laurent Trémel et TonyFortin (Le Cavalier bleu, 96 p., 14,50 ! ).À VOIR

« JEU VIDÉO L’EXPO » Cité des sciences et de l’industrie, Paris 19 , jusqu’au 24 août 2014.

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se livrent les héros de GTA V pour obtenir des informations. « Les règlesobligent le joueur à pratiquer la torture. C’est profondément éprouvant,et c’est précisément le but de ces scènes », affirme-t-il. Un but non dénuéd’ambiguïté, puisque le jeu nous fait à la fois juge et partie de cet acte.

Lire aussi : Fort McMoney, la ville dont vous êtes citoyen(/culture/article/2013/12/20/fort-mcmoney-la-ville-dont-vous-etes-

citoyen_4337505_3246.html)

Catherine Vincent (/journaliste/catherine-vincent/)

Journaliste au Monde

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