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LE JEU JPddiatrPudriculture 1998; 11 : 162-3 © Hsevier, Paris les jouets virtuels sont-ils de simples jouets ? M Rufo Service de p6dopsychiatrie, h6pital Sainte-Marguerite, 270, bd de Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09 L itt~ralement, tamagotchi signifie ~sur- veiller un oeuf,,. Cet animal virtuel a envahi nos maisons. II est venu d'une autre plan~te (l'~toile video ?). II s'anime d~s que vous aurez tir~ la languette de I'emballage : un petit point se transforme alors en poussin. commen ons par le d crire C'est une sorte de petit oeuf en plastique. II compte plus de 100 coloris. Sa d&oration est tr~s ~< manga ~. I1 est tr~s facile ~t manipuler entre pouces et index des deux mains, Ie pouce dominant appuyant sur l'un des trois boutons: celui du milieu commande l'hor- loge dormant l'heure du tamagotchi; avec les deux antres, il va falloir le fake manger, jouer avec lui, net- toyer ses crottes (il ne sera jamais propre), le faire dor- mir, sans oublier de le c~iner de mani~re ~lectro- nique. I1 risque de grossir, d'Stre malade et surtout de se sentir abandonnd. Si on l'oublie, il sonne. I1 ne donne jamais rien, il demande toujours. I1 meurt en gdndral ~ 20 ans, mais comme dans toute bonne tradition de jeu dlectronique, il a dvidemment plusieurs vies. I1 faut savoir que, chez eux, 1 jour dgale 1 an. II peut dgalement mourir de mani&re accidentelle et surtout par carence d'attention. Les nouveaux seront sexu&, certains seront maritimes, d'autres bagarreurs (pour les gargons qui, pour l'instant, jouent moins au ~ tam ~ que les flUes) et connectables avec celui d'un copain pour jouer ~ la bagarre. D'autres feront m~me des enfants. ~Ibus ont ddj~ la possibilitd de bdndficier d'un carnet de santd rempli par le petit propridtaire. quel est le rapport des enfants a leur tagamotchi ? Lors des consultations, alors que le pSre et la mSre jouent avec leur t8ldphone portable (autre outil dlectro- nique qui a envahi notre monde des adultes sans que nous nous posions trop de questions sur les risques ~ventuels au plan psychologique), leurs enfants nous disent qu'il faut qu'ils s'occupent de leur (~ tam ,~ (aprSs le retentissement de quelques (~ bip-bip ~ dans Ieur poche ou dans le pendentif &range qu'ils avaient ~t leur cou). Avouez qu'il est passionnant, pour un &ur&ique, de nettoyer les crottes de son animal virtuel, de m~me, pour un enfant qui pr8sente des troubles du sommeil, l'obligation des 12 heures journali~res pour la bonne santd de l'enfant est tout ~ la fois une ~vocation et une provocation. Mais plus dSlicates peuvent &re les projections vis-8- vis des rivalit& fraternelles avec le cortSge d'agressivitd et mSme de d&ir de mort qui, parfois, les accompagne. Nous voyons l~t que l'objet n'est plus un support neutre, amusant et badin mais, en revanche, le support d'une activit~ psychologique troubl& pouvant en accentuer les d~faillances. 1 6 2 JOURNAL DE PI~DIATRIE ET DE PUERICULTUREn ° 3 - 1998

Les jouets virtuels sont-ils de simples jouets?

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Page 1: Les jouets virtuels sont-ils de simples jouets?

LE JEU JPddiatrPudriculture 1998; 11 : 162-3

© Hsevier, Paris

les jouets virtuels sont-ils de simples jouets ?

M Rufo Service de p6dopsychiatrie, h6pital Sainte-Marguerite, 270, bd de Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09

L itt~ralement, tamagotchi signifie ~sur- veiller un oeuf,,.

Cet animal virtuel a envahi nos maisons. II est venu d'une autre plan~te (l'~toile video ?). II s'anime d~s que vous aurez tir~ la languette de I'emballage : un petit point se transforme alors en poussin.

commen ons par le d crire

C'est une sorte de petit oeuf en plastique. II compte plus de 100 coloris. Sa d&oration est tr~s ~< manga ~.

I1 est tr~s facile ~t manipuler entre pouces et index des deux mains, Ie pouce dominant appuyant sur l 'un des trois boutons: celui du milieu commande l'hor- loge dormant l 'heure du tamagotchi; avec les deux antres, il va falloir le fake manger, jouer avec lui, net- toyer ses crottes (il ne sera jamais propre), le faire dor- mir, sans oublier de le c~iner de mani~re ~lectro- nique.

I1 risque de grossir, d'Stre malade et surtout de se sentir abandonnd.

Si on l'oublie, il sonne. I1 ne donne jamais rien, il demande toujours.

I1 meurt en gdndral ~ 20 ans, mais comme dans toute bonne tradition de jeu dlectronique, il a dvidemment plusieurs vies.

I1 faut savoir que, chez eux, 1 jour dgale 1 an. II peut dgalement mourir de mani&re accidentelle et

surtout par carence d'attention.

Les nouveaux seront sexu&, certains seront maritimes, d'autres bagarreurs (pour les gargons qui, pour l'instant, jouent moins au ~ tam ~ que les flUes) et connectables avec celui d'un copain pour jouer ~ la bagarre.

D'autres feront m~me des enfants. ~Ibus ont ddj~ la possibilitd de bdndficier d 'un carnet de santd rempli par le petit propridtaire.

quel est le rapport des enfants a leur tagamotchi ?

Lors des consultations, alors que le pSre et la mSre jouent avec leur t8ldphone portable (autre outil dlectro- nique qui a envahi notre monde des adultes sans que nous nous posions trop de questions sur les risques ~ventuels au plan psychologique), leurs enfants nous disent qu'il faut qu'ils s'occupent de leur (~ tam ,~ (aprSs le retentissement de quelques (~ bip-bip ~ dans Ieur poche ou dans le pendentif &range qu'ils avaient ~t leur cou).

Avouez qu'il est passionnant, pour un &ur&ique, de nettoyer les crottes de son animal virtuel, de m~me, pour un enfant qui pr8sente des troubles du sommeil, l'obligation des 12 heures journali~res pour la bonne santd de l'enfant est tout ~ la fois une ~vocation et une provocation.

Mais plus dSlicates peuvent &re les projections vis-8- vis des rivalit& fraternelles avec le cortSge d'agressivitd et mSme de d&ir de mort qui, parfois, les accompagne. Nous voyons l~t que l'objet n'est plus un support neutre, amusant et badin mais, en revanche, le support d'une activit~ psychologique troubl& pouvant en accentuer les d~faillances.

1 6 2 JOURNAL DE PI~DIATRIE ET DE PUERICULTURE n ° 3 - 1998

Page 2: Les jouets virtuels sont-ils de simples jouets?

ce jouet va-t-il permettre d' valuer I'enfant ?

Certains l 'abandonnent tr~s vite, les distraits, obli- geant les parents (les grands-parents virtuels !) fi se charger de leur animal ~ leur place. Ils critiquent vio- lemment ces grands-parents virtuels si l'animal meurt trop vite. Ce comportement ressemble fort au d~sir violent d 'un enfant pour un chien, dont il jure qu'il s'occupera, qu'il le sortira pour ses besoins et le pro- m~nera et qui, d& qu'il est entrd dans la maison, l'abandonne tr~s vite fi la charge de ses parents.

D'autres enfants sont hypnotis~s par le jouet et ce, de mani~re exclusive. Ils sont moins attentifs fi leur t~che habituelle. Nous retrouvons l'inqui&ante attrac- tion pour les jeux viddo envahissant le champ d'int&& de l'enfant.

Certains attribuent ~l ce gadget plus que sa reprd- sentation. Nous avons par exemple rencontrd une petite fille tr& affect& par les morts successives de son ,tam~. Quand nous saurons qu'un petit fr~re &ait mort quelque temps auparavant, de mort subite du nourrisson, nous comprendrons mieux le pourquoi de cette obligation de survie de l'objet pour cette jeune enfant.

ILl existe dgalement les opposants aux r~gles, le ~ tam ~ peut &re, du fait de sa dimension, introduit ~t l'&ole, au grand dam des institutrices qui voient que l'atten- tion de leurs prddl~ves ffest plus aussi vive pour les pr& requis (qui sont d'ailleurs maintenant des acquis pr& scolaires).

Mais en fait, l 'immense majoritd des enfants se rend compte, en tant que consommateurs, qu'il ne s'agit que d'un objet m~me si cela leur permet d'organiser leur concept de temps, d'abandon, voire de mort. Cerrains enfants les enterrent (comme dans Jeux inter- dits, de Rend Cldment) mais avec une durde de vie beaucoup plus br~ve, alors que l'animal domestique accompagne le plus souvem l'enfant dans toute sa #riode de petite enfance.

Les enfants sont, comme les adultes, victimes de la mode (rappelez-vous les tdldphones portables) et de la rivalitd qui les oppose ~t leurs pairs (comment suppor- ter qu'une petite fille s'occupe de son ~ tam )~ alors que l'autre n'a pas de ~( tam )~ fi prendre en charge ?).

N'avons-nous pas, les adultes, tendance ~i diaboliser tout ce qui vient de l '&ran ? Tdldvision et troubles du sommeil, dessins animds japonais et violence, jeux viddo (toujours japonais) et enfin cet animal virtuel de nouveau japonais. Ce qui passionne les enfants s'ap- puie sur le paradoxe du tamagotchi qui souffre lors- qu'il est abandonnd, situation redout& par les enfants m~me les plus aimds.

quelles r flexions psychopathologiques pourrait-on avancer quant aux nouvelles formes d'attention infantile ?

I1 semble qu'aujourd'hui l 'attention visuelle prime, le bip-bip sonore pousse l'enfant vers l'&ran. Le temps est bien entendu chronom&rd, renvoyant ~t l '&olution m~me des capacitds attentives de l'enfant : ~l jouer avec son ~ tam ~, l'enfant mat&ialise ses progr~s.

Comme pour toute la vie psychologique et affective de l'enfant, le dessin, la musique, le cindma, la tdl&i- sion, le ~tam,~ peuvent &re les supports de projec- tions. Ils sont ddpendants des &dnements et des dla- borations fantasmatiques de l'enfant (cette petite fille ne supportant pas la mort de son objet virtuel en rai- son de la mort subite de son petit fr~re).

I~abandon d u , tam ~ prouve aussi la qualitd des pro- cessus de sdparation-individuation de l'enfant : ~ si je te quitte, c'est que je suis maintenant libre de le faire ~. Le ~ tam ~ peut aussi apprendre la mort en jouant. Cette proposition scandaleuse est vite attdnu& si nous rdfl& chissons au fait que nous avons tous joud ~i faire le mort, ou a minima le malade.

C'est l 'attention elle-m~me des parents pour le ~ tam ~ qui passionne les enfants. Ils voient, pour de rire, leurs ascendants jouer, nettoyer et s'occuper de l'animal virtuel : ~ je ne peux donc plus &re abandonnd puisqu'ils sont aussi attentifs ~t cet oeuf dlectronique ~.

Ainsi l'enfant, en faisant la part du virtuel au rdel, peut rentrer dans la vole royale de l'imaginaire.

Comment ne pas &re attentif ~t un jeu aussi puis- samment affectif?

D~s demain, j'examine le ~ tam ~ de mon futur petit patient.

JOURNAL DE PEDIATRIE ET DE PUERICULTURE n ° 3 - 1998 163